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Full text of "Revue des sciences philosophiques et théologiques 1908"

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Revue  des  Sciences 
Philosophiques  &  Théologiques 


2e  Année.  —  Revue  des  Sciences,  —  N»  i' 


Revue 


des 


cieoces  fiîiioso 


et 


Théologiques 


DEUXIÈME    ANNÉE 


BUREAUX   DE   LA  REVUE 
Le   Saulchoir,    à   KAIN   (Belgique). 


FEB  2 S  i960 


Intellectualisme  et  liberté 
chez  Saint  Thomas 

SUITE    (1) 


B.     —    LE     PRINCIPE     DE     RAISON     SUFFISANTE 
ET    LA   LIBERTÉ. 

«  Siifficiens  motivum  alicujus  potentiae  non  est  nisi  objectum, 
quod  totalifer  hahef  rationem  motivi  (ver  respectum  ad  voluiitatejn 
hoc  est  bonum  perfectum):  si  autem  in  aliquo  deficiat  non  ex 
necessitati  movehit.  »  1^  11"^,  10.  2.  ad  1. 

Nous  avons  déduit  la  liberté  de  la  raison.  L'homme  est  libre, 
avons-nous  dit,  parce  qu'il  possède  non  seulement  Vimage  moyen- 
ne du  bien,  mais  Vidée  du  bien  (2);  parce  qu'il  ne  se  contente 


1.  Cf.  Sevue  des  Sciences   philosophiques   et   théologiques,   octobre   1907. 

2.  Rappelons  que  pour  Aristote  et  S.  Thomas  l'idée  diffère  essentiellement 
de  l'image  commune,  parce  qu'elle  contient  la  raison  d'être  de  ce  qu'elle  re- 
présente, tandis  que  l'image  contient  seulement  à  l'état  de  juxtaposition  ce 
qu'elle  nous  fait  connaître.  (Objectum  formate  et  adaequatum  intellectus  nostri 
est  ens  ;  objectum  proprium  ejus  est  gnod  quid  est  rei  sensibilis,  seu  ratio 
rei  intima.  IS  12,  4.)  L'image  commune  de  l'homme  contient  mécaniquement 
juxtaposés  et  associés  les  caractères  communs  à  tous  les  hommes  :  raisonnable, 
libre,  moral,  religieux,  sociable,  doué  de  parole...;  tandis  qna  l'idée  rend  tous 
ces  caractères  intelligibles  en  montrant  leur  raison  d'être  dans  le  premier 
d'entre  eux;  elle  exprime  le  quod  quid  est  de  l'homme  :  ce  qui  fait  qnç 
l'homme  est  homme,  ce  n'est  pas  la  liberté,  ni  la  moralité,  ni  la  religioQ,  ni 
la  sociabilité,  ni  la  parole,  c'est  la  raison,  car  de  la  raison  toutes  les  autres 
notes  se  déduisent.  L'idée  de  rationabilité  diffère  à  son  tour  de  l'image 
commune  correspondante  en  ce  qu'elle  rend  la  rationabilité  infdUgihle  :  elle 
en  montre  la  raison  d'être  dans  la  relation  essentielle  de  l'intelligence  à 
l'être  :  raisonner,  c'est  trouver  la  raison  d'être  du  moins  connu  dans  le  plus 
connu,  ce  qui  ne  peut  être  le  fait  que  d'une  faculté  qui  a  pour  objet  formel 
l'être  et  non  pas  la  couleur,  l'odeur  ou  le  son.  Rien  n'est  intelligible  qu  en 
fonction  de  l'être.  «  lUud  quod  primo  intellectus  concipit  quasi  notissimum  et 
in  quo  omnes  conceptiones  reso'vit  est  ens  ».  (De  Veritatc,  q.  1,  a.  1).  L'in- 
telligence surtout  n'est  intelligible  qu'en  fonction  de  l'être,  qui  est  le  fond 
de  toutes  ses  idées,  le  lien  de  tous  ses  jugements  et  vde  tous  ses  rai- 
sonnements. 

Quelle  est  donc  la  différence  de  l'image  commune  du  bien  et  de  l'idée  du 
bien  ?  L'image  commune  du  bien  est  une  image  qui  nous  rappelle  la  Bensation 
de  plaisir  provoquée  par  la  présence  de  tel  ou  tel  objet  délectable;  l'idée 
du  bien,  au  contraire,  nous  dit  ce  qu'est  le  bien,  elle  rattache  toutes 
ses    notes    à    un    élément    fondamental    et    cet    élément    à   l'être.    Pour    tout 


fl  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

pas  de  connaître,  comme  l'animal,  des  choses  qui  sont  bonnes, 
mais  qu'il  sait  de  chacune  d'elles  qu'elle  est  bonne  et  pourquoi 
elle  est  bonne.  Notre  intelligence  connaît  la  raison  de  ])ien,  ce 
qui  fait  que  le  bien  est  bien,  de  là  elle  s'élève  à  l'idée  du  Bien 
parfait;  par  suite,  nous  l'avons  montré,  son  jugement  practico- 
pratique  reste  indifférent  (au  moins  d'une  indifférence  d'exer- 
cice) à  l'égard  de  tout  objet  et  de  tout  acte  qui  n'est  pas  exempt 
de  tout  mélange  de  mal  ou  d'imperfection.  Une  intervention  de 
la  volonté  est  nécessaire  pour  vaincre  cette  indifférence  du  juge- 
ment, et  cette  intervention  ne  saurait  être  elle-même  infaillible- 
ment déterminée  par  l'intelligence  puisqu'elle  ne  se  produit  préci- 
sément que  pour  déterminer  l'intelligence.  C'est  pourquoi  l'hom- 
me, placé  à  deux  reprises  dans  les  mêmes  circonstances,  peut 
\me  fois  agir  et  une  autre  fois  ne  pas  agir.  —  La  liberté  se 
déduit  de  la  parenté  de  notre  volonté  avec  l'universel,  c'est-à-dire 
avec  la  raison. 

Cette  théorie  de  la  liberté  permet-elle  de  résoudre  l'objection 
fondamentale  du  déterminisme,  celle  tirée  du  principe  de  raison 
suffisante  ? 

Le  principe  du  déterminisme  ou  principe  d'induction  s'énonce  : 
la  même  cause  dans  les  mêmes  circonstances  produit  nécessaire- 
ment le  même  effet.  Ce  principe  est  un  dérivé  du  principe  de  rai- 
son suffisante  :  le  changement  de  l'effet  serait  absolument  sans 
raison  suffisante  s'il  se  produisait  sans  que  se  fût  produit  aupa- 
ravant dans  la  cause  ou  dans  les  circonstances  un  changement 
pour  le  déterminer.  Soit  la  cause  A  et  son  effet  B,  si  de  A  pouvait 
résulter  une  fois,  non  pas  l'effet  B,  mais  l'effet  B',  ce  changie- 
ment  de  B  en  B'  serait  sans  cause  et  sans  raison.  Le  principe  du 


le  monde,  le  bien  c'est  ce  qui  '  est  de  nature  à  provoquer  en  nous,  par  la 
connaissance  que  nous  en  avons,  le  désir,  l'amour,  l'espérance,  par  sa  pré- 
sence, la  joie,  par  son  absence,  le  tristesse,  d'une  façon  générale,  tous  les 
mouvements  do  l'appétit.  Et  de  mêma  que  tous  ces  mouvements  de  l'appétit 
dérivent  de  l'amour,  tous  les  caractères  du  bien  dérivent  de  l'un  d'entre  eux  : 
le  bien  est  ce  qui  est  capable  de  provoquer  l'amour  :  bonum  est  id  quod 
omnia  appetunt.  Quelle  est  maintenant  la  raison  d'être  de  cette  «  appétibilité  », 
de  ce  pouvoir  mi'a  le  bien  d'attirer  l'appétit?  Pourquoi  le  bien  nous  attire- 
t-il,  est-il  désirable?  Parce  qu'il  peut  accroître  notre  être,  combler  en  nous 
un  vide,  nous  perfectionner.  Mais  pour  nous  perfectionner,  il  doit  être  lui- 
nii'rne  perfection,  •plénitude  d'être,  à  qui  rien  ne  manque,  capable  de  se  ré- 
pandre au  dehors.  «  Unumquodque  est  appetibile  secundum  quod  est  perfectum, 
in  tantuni  est  autem  perfectum  unumquodque,  in  quantum  est  actu.  »  I'^ , 
q.  b,  a.  1).  «  Ratio  formalis  boni  consistit  in  porfectione  ut  fundat  appetibi- 
litatem  »  (Jean  de  S.  Thomas,  in  I--"").  —  Et  comme  nous  nous  élevons 
par  le  prmcipe  de  raison  suffisante  des  êtres  m.ultiples  à  l'Être  absolu,  des 
ventes  multiples  à  la  Vérité  absolue,  nous  nous  élevons  aussi  des  biens 
multiples,  partiels  et  limités  au  Bien  suprême  qui  ne  peut  manquer  d'aucune 
perfection  concevable  :  est  Ipsa  plénitude  essendi. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTE  CHEZ  SAINT  THOMAS  / 

déterminisme  est  donc,  comme  le  principe  de  raison  suffisante 
d'où  il  dérive,  certain  a  priori  :  la  même  cause  dans  les  mêmes 
circonstances  produit  nécessairement  le  même  effet.  —  Or,  la 
liberté  telle  que  nous  l'avons  définie  est  une  violation  de  ce  prin- 
cipe. Donc  la  liberté  telle  que  nous  l'avons  définie  est  Impossi- 
ble. 

On  peut  répondre  à  cette  objection  en  distinguant  sur  le  mot 
cause  :  la  même  cause  qui  par  nature  est  déterminée  ad  uniim 
produit  nécessairement  dans  les  mêmes  circonstances  le  même 
effet,  p  e.  la  chaleur,  l'électricité,  le  magnétisme.  Mais  il  n'en  va 
pas  de  même  de  la  volonté  qui  par  nature  n'est  déterminée  qu'au 
bien  universel  et  non  pas  à  tel  bien  particulier.  —  Nous  n'avons 
pas  à  réfuter  ici  le  déterminisme  physiologique,  sa  réfutation  est 
celle  de  l'empirisme.  Saint  Thomas  se  contente  de  dire  :  les 
influences  physiques  ou  physiologiques  ne  peuvent  déterminer 
directement  l'acte  de  volonté;  comme  nos  passions  et  nos  habitu- 
des, elles  sont  préalablement  soumises  au  jugement  de  la  raison, 
lequel  demeure  indifférent  parce  qu'il  a  pour  norme  le  bien  uni- 
versel (1). 

Mais  alors  l'objection  se  précise  :  même  si  la  volonté  n'est 
pas  par  nature  déterminée  à  tel  bien  particulier  la  difficulté  sub- 
siste. La  volonté  en  tous  ses  actes  doit  suivre  le  jugement  de 
l'intelligence.  Or,  l'intelligence  jugerait  sans  raison  suffisante  si 
les  circonstances  restant  les  mêmes  elle  changeait  son  jugement. 
Donc  les  circonstances  restant  les  mêmes  la  volonté  ne  peut  chan- 
ger son  élection. 

A  cette  instance  on  répond  ordinairement  :  la  volonté  en  tous 
ses  actes  doit  suivre  le  jugement  au  point  de  vue  de  la  tepécifica- 
tion;  mais  elle  le  précède  au  point  de  vue  de  l'exercice.  Par  con- 
séquent c'est  d'elle  qu'il  dépend  que  l'intelligence  juge  ou  wb 
juge  pas,  ce  qui  suffit  pour  qu'il  y  ait  liberté  d'exercice. 

1.  «  Ex  parte  corporis  et  virtutum  corpori  annexarum  potest  esse  homo  ali- 
dualis  naturali  giialitate,  secundum  qiiod  est  talis  complexioiiis,  vel  talis 
dispositionis,  ex  quacumque  impressione  corporearum  caiisarum,  quae  non 
possunt  in  intellectivam  partem  imprimere,  eo  guofl  non  est  alicujus 
corporis  actus.  Sic  isitur  qualis  unusquisque  est  secundum  corporeani  quali- 
tatem,  talis  finis  videtur  ei  :  quia  ex  hujusmodi  «lispositione  homo  xncli- 
natur  ad  eligendum  aliquid  vel  repudiandum.  Sed  istae  indinationes  suhja- 
cent  judicio  rationis,  oui  obedit  inferior  appetitus,  lit  dictum  est  (q.  81,  a.  3). 
Unde  per  haec  libertati  arbitrii  non  praejudicatur.  Quaiitates  autem  super- 
venientes  sunt,  sicut  habitus  et  passiones,  secundum  quas  aliquis  magis  in- 
clinatur  in  unum,  quam  in  alterum.  Tamen  istae  etiam  indinationes  subjacent 
judicio  rationis.  Et  hujusmodi  etiam  quaiitates  ei  subjacent,  in  quantum  in 
nobis  est  taies  quaiitates  acquirero,  vel  causalitcr,  vel  dispositive,  vel  a  no- 
bis  excludere.  Et  sic  nihil  est,  quod  libertati  arbitrii  repugnet  »  I^  ,  q.  83,  a. 
1,  ad  ô""».. 


8  FEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Cette  réponse  n'est  pas  définitive.  L'objection  se  précise  à 
nouveau  :  même  si  la  volonté  précède  l'intelligence  au  point  de 
rue  de  l'exercice,  la  liberté  d'exercice  n'est  pas  sauvegardée 
mais  seulement  la  spontanéité  des  Jansénistes.  Il  est  évident  en 
effet  que  le  pur  exercice  s'il  a  lieu  dépend  de  la  volonté,  mais 
il  ne  peut  dépendre  d'elle  seule  qu'il  y  ait  ou  qu'il  n'y  ait  pas 
acte  exercé:  c'est  là  précisément  l'objet  de  la  délibération.  Cela 
doit  dépendre  de  l'intelligence  et  l'intelligence  ne  peut  en  aucun 
cas  se  soustraire  aux  exigences  du  principe  de  raison  suffi- 
sante. I    \    '  '    '    '   '.    [  i; 

Ce  principe  apparaît  en  effet  comme  un  dérivé  du  principe 
d'identité  et  comme  lui  il  doit  régir  toutes  les  modalités  de  l'être, 
a  priori  rien  ne  lui  échappe.  Il  s'énonce  :  «  Tout  ce  qui  est  a  sa 
raison  d'être  »  ou  «  tout  est  intelligible  ».  Il  se  rattache  au  prin- 
cipe d'identité  par  l'intermédiaire  du  principe  de  contradiction. 

Exposons  brièvement  cette  réduction  à  l'impossible  pour  don- 
ner à  l'objection  toute  sa  force  :  Soit  le  principe  d'identité  :  Ce 
qui  est  est,  tout  être  est  lui  même,  est  identique  à  lui-même, 
A  est  A.  —  Le  principe  de  contradiction  est  une  forme  négative 
du  précédent  :  Un  même  être  ne  peut  pas  à  la  fois  exister  et 
ne  pas  exister,  être  ce  qu'il  est  et  ne  pas  l'être,  p.  e.  être  rond  et 
non-rond.  Cette  formule  conduit  à  une  seconde  :  un  même  être 
ne  peut  pas  à  la  fois  et  sous  le  même  rapport  être  déterminé  de 
deux  manières  différentes,  être  tel  et  autrement,  p.  e.  être  rond 
et  carré  ;  car  à  la  fois  et  sous  le  même  rapport  il  serait  et  il  ne 
serait  pas  ce  qu'il  est  :  le  carré  est  autre  que  le  rond  tet  par  con- 
séquent non-rond.  C'est,  on  peut  dire,  le  principe  des  contraires 
ou  des  disparates  qui  s'excluent  nécessairement  d'un  même  su- 
jet. De  là  nous  sommes  conduits  au  principe  de  raison  suffisante  : 
S'il  y  a  contradiction  à  dire  :  le  rond  est  carré,  le  rouge  est  vert, 
il  n'y  en  a  plus  à  dire  :  le  carré  est  rouge,  puisque  le  rapport 
d'attribution  n'est  plus  le  même  :  parler  du  carré  c'est  se  placer 
au  point  de  vue  de  la  forme,  parler  du  rouge  c'est  se  placer 
au  point  de  vue  de  la  couleur.  Mais  il  y  a  encore  contradiction 
à  dire  :  le  carré  en  soi  et  comme  tel,  c'est-à-dire  immédiatement 
et  sans  condition,  est  rouge  ;  car  ce  qui  fait  que  le  carré  lest  carré 
est  autre  que  ce  qui  fait  que  le  rouge  est  rouge.  Le  carré  ne 
peut  être  rouge  par  soi  et  sans  condition.  Nous  arrivons  ainsi  à 
cette  troisième  formule  du  principe  de  contradiction  :  «  l'union 
ou  l'identification  inconditionnelle  et  immédiate  du  divers  est  im- 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTE  CHEZ  SAINT  THOMAS  9 

possible  »,  ou  bien  :  «  le  divers  ne  peut  en  soi  et  comme  tel  (per 
se  primo,  .<o.ô'  <y-ÙTO  y. 71  -hj-iiTo)  être  un  et  le  même  »;  ce  qui  est  évi- 
demment une  forme  négative  du  principe  d'identité.  —  Mais  c'est 
aussi  une  forme  du  principe  de  raison  d'être  :  «  Tout  être  a  sa 
raison  d'être  en  soi  ou  dans  un  autre;  en  soi  lorsqu'il  est  un  et 
le  même,  dans  un  autre  lorsqu'il  est  union  du  divers  ».  Ex.  :  Tout 
être  a  en  soi  ce  qui  le  fait  tel  être  lorsque  par  lui-même  ou  par  ce 
qui  le  constitue  en  propre  il  est  tel,  c'est  ainsi  que  le  rouge  est 
rouge  par  soi.  Un  être  a  en  soi  la  raison  de  son  existence  lorsque 
par  lui-même  ou  par  ce  qui  le  constitue  en  propre  il  est  existant, 
c'est-à-dire  lorsqu'il  est  à  l'existence  comme  A  est  A,  lorscfu'il 
est  l'existence  même,  Ipsum  esse,  ce  qui  n'est  vrai  que  de  Dieu. 
Par  opposition,  tout  ce  qui  est  union  du  divers,  c'est-à-dire  tout 
composé  et  tout  devenir  n'ayant  pas  en  soi  sa  raison  d'être, 
requiert  une  raison  d'être  extrinsèque.  Se  refuser  à  affirmer  que 
l'union  du  divers  dépend  d'une  raison  d'être  extrinsèque  ou  d'une 
condition,  c'est  dire  que  cette  condition  n'est  pas  requise,  que 
l'union  inconditionnelle  du  divers  est  possible,  que  le  divers  par 
soi  et  comme  tel  est  un  et  le  même;  ce  qui  est  la  négation  du 
principe  d'identité.  —  De  ce  principe  de  raison  d'être  dérivent  les 
principes  de  raison  proprement  dite,  de  causalité,  de  finalité; 
la  cause  formelle  ou  la  différence  spécifique  est  raison  propre- 
ment dite  des  propriétés,  mais  la  raison  d'être  peut  être  aussi 
cause  efficiente  et  cause  finale  (1).  Il  est  donc  certain  a  priori 
qu'un  commencement  absolu,  sans  cause  efficiente  et  finale,  ré- 
pugne. 

Nous  avons  emprunté  l'essentiel  de  cette  réduction  du  principe 
de  raison  au  principe  d'identité  au  Précis  de  Philosophie  de  M. 
Penjon  (p.  106-111).  Elle  est  tout  à  fait  conforme  à  la  doctrine 
d'Aristote  et  de  saint  Thomas  et  ne  demande  qu'à  être  précisée 
pour  ce  qui   est  de  la  causalité  et  de  la  finalité  par  les  idées 


1.  Quant  au  principe  de  substance  supposé  par  notre  thèse,  il  est  une  simple 
détermination  du  principe  d'identité.  Notre  intelligence,  dans  sa  toute  pre- 
mière appréhension,  connaît  d'une  façon  confuse  l'èire,  rà  Ôf,  le  quelque 
chose  qui  est,  de  même  que  les  sens  connaissent  d'abord  confusément  un 
continu  amorphe  et  mouvant.  Ce  quelque  chose  qui  est  devient  d'une  façon 
précise  sujet  un  et  permanent  (sunstance)  lorsque  l'intelligence  remarque  la 
multiplicité  de  ses  phénomènes  transitoires;  le  multiple  en  effet  n'est  in- 
telligible qu'en  fonction  de  l'un  et  le  transitoire  qu'en  fonction  du  permanent 
ou  de  l'identique,  parce  que  l'être  de  soi  est  un  et  le  même  (p.  d'identité). 
L'idée  confuse  de  substance  est  déjà  dans  l'idée  d'être,  elle  est  précisée  par 
l'idée  confuse  de  phénomène  ou  d'accident,  et  elle  permet  ensuite  de  préciser 
cette  idée  de  l'accident  dans  la  définition  duquel  elle  entre;  cognoscimus  com- 

ponendo  et  dividende  (I  85,  3  et  5). 


10  REVUE    DES    SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  puissance  et  d'acte  (1).  Saint  Thomas  fait  cette  réduction  lors- 
qu'il écrit  :  «  Omne  ciuod  alicui  convenit  non  secundum  quod 
ipsum  est,  per  aliquam  causam  ei  convenit,  nam  quod  causam 
non  habet  primum  et  immediatum  est.  »  (C.  Génies.  L.  II,  c.  XV. 
§  2);  ou  encore  :  «  quae  secundum  se  diversa  sunt  non  conve- 
niunt  in  aliquod  unum,  nisi  per  aliquam  causam  adunantem  ipsa  » 
(P,  q.  3.  a  7).  Ce  qui  a  pour  traduction  exacte  :  l'union  incon- 
ditionnelle et  immédiate  du  divers  est  impossible.  —  C'est  une  doc- 
trine reçue  d'Aristote  et  conservée  dans  l'École  qu'on  manifeste 
la  vérité  des  premiers  principes  par  une  réduction  à  l'impossi- 
ble (2).  Par  le  principe  de  contradiction  on  ne  démontre  pas  la 
vérité  des  autres  principes,  mais  l'impossibilité  ou  la  répugnance 
qui  suit  de  leur  négation;  cela  suffit  à  les  rattacher  au  principe 
d'identité  et  à  l'idée  d'être,  premier  objet  de  noti'e  intelligence  : 
«  Illud  quod  primo  intellectus  concipit  quasi  notissimum  et  in 
quo  omnes  conceptiones  resolvit  est  ens.  »  (De  Veritate,  q.  I, 
a  1.)  ; 

Si  tel  est  le  lien  du  principe  de  raison  suffisante  à  l'être,  objet 
formel  de  notre  intelligence,  ne  faut-il  pas  affirmer  a  priori  que 
ce  principe  aussi  bien  que  le  principe  d'identité  régit  toutes  les 
modalités  de  l'être,  que  rien  ne  lui  échappe;  partant  qu'un  com- 
mencement absolu  répugne  et  que  la  liberté  telle  que  nous  l'avons 
définie  est  manifestement  impossible? 

Telle  est,  je  crois,  l'objection  dans  toute  sa  force  :  Rien  n'est 
intelligible  qu'en  fonction  de  l'être,  des  principes  d'identité  et  de 
raison  d'être,  or  l'acte  libre  au  sens  qui  est  le  nôtre,  avec  l'ini- 
tiative de  l'intervention  volontaire  qu'il  implique,  serait  un  acte 
sans  raison,  donc  inintelligible  ou  absurde.  Si  l'on  admet  le  primat 
de  l'intelligence  il  faut  se  résoudre  à  ne  plus  jamais  retrouver  la 
liberté.  Si  donc  on  veut  rendre  la  morale  possible  il  faut  rejeter 
l'absolue  nécessité  des  premiers  principes  comme  lois  du  réel, 
subordonner  en  tout  et  pour  tout  l'intelligence  au  vouloir,  en 
Dieu  tout  au  moins,  et  dire  avec  Descartes  que  la  vérité  du  prin- 
cipe de  contradiction  dépend  de  l'arbitraire  de  la  Volonté  absolue. 
«  Si  l'on  ne  met  la  liberté  au  sommet  de  tout,  elle  n'a  de  place 
nulle  part;  si  elle  n'est  tout  elle  n'est  rien.»  Ch.  Sécrétan  donnait 


1.  Voir  plus  loin,  fin  de  cet  article. 

2.  AnisïOTE.  Met.  1.  IV  (Cornm.  de  S.  Thomas,  leç.  6  à  17),  1.  XI  (Comm. 
do  S.  Th.,  leç.  3  à  7).  —  Zigliara.  De  la  Lumière  intellectuelle,  t.  III,  p.  2.5.5.  — 
SuAREZ.  Disp.  Meth.,  Disp.   III,  sec.   III,  §  IX. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAIXT  THOMAS  11 

à  choisir:  ou  la  formule  de  Parméiiide,  le  principe  d'identité,  ou  la 

philosophie  de  la  liberté  (1). 

* 
*  * 

La  théorie  de  la  liberté  que  nous  avons  exposée  permet-elle  de 
répondre  à  cette  objection?  Au  premier  abord  il  ne  le  semble 
pas.  La  liberté  thomiste,  nous  l'avons  vu,  se  présente  comme  un 
milieu  entre  la  liberté  d'indifférence  au  sens  de  liberté  d'équilibre, 
telle  que  la  conçoivent,  à  la  suite  de  Scot  et  des  nominalistes, 
les  Molinistes  (2),  quelques  cartésiens  et  Reid,  et  le  déterminisme 
psychologique,  tel  qu'il  est  conçu  par  Leibnitz.  Ce  milieu  est-il 
possible  ?  Est  il  possible  d'affirmer  contre  Soot  le  principe  de  l'in- 
tellectualisme, subordination  de  la  volonté  à  l'intelligence,  sans 
aller  jusqu'au  déterminisme  leibnitien?  Si  la  volonté  par  défini- 
tion est  subordonnée,  ne  fautil  pas  dire  que  toutes  ses  démar- 
ches sont  déterminées  par  l'intellect? 

La  possibilité  d'une  position  intermédiaire  est  niée  par  les 
tenants  des  opinions  extrêmes,  en  vertu  du  même  principe  :  le 
déterminisme  est  la  conséquence  fatale  de  l'intellectualisme.  Poar 
mieux  comprendre  le  sens  et  la  portée  de  cette  objection,  nous 
allons  l'exposer  telle  qu'elle  se  trouve  chez  Leibnitz,  dans  la 
Théodicée  ;  nous  rappellerons  ensuite  quelle  forme  elle  avait  prise 
che.i  les  Molinistes  et  Suarez.  —  Pour  répondre,  nous  commence- 
rons par  nous  séparer  de  ces  derniers;  et  nous  aborderons  en 
dernier  lieu  la  réfutation  du  déterminisme  psychologique. 

L'objection  chez  Leibnitz  et  chez  les  partisa)is  de  la  liberté 

d'équilibre 

Leibnit;"  qui  a  recueilli  sur  ce  sujet  les  recherches  des  théolo- 
giens scolastiques,  qui  la  lu  saint  Augustin,  saint  Thomas,  Bannez 
et  Alvarez,  comme  aussi  Molina  et  Fonseca,  admet  avec  nous  que 
«  Vinielligence  est  comme  l'àme  de  la  liberté  »  {Théod.  III,  §  288)  ; 
que  la  liberté  suppose  la  spontanéité,  c'est-à-dire  l'exemption  d9 
toute  contrainte  extérieure  (§  301)  et  aussi  V indifférence;  maj«! 
il  précise:  pourvu  qu'on  n'entende  par  indifférence  rien  de  plus 


1.  La  Philosophie  de  la  Liberté,  2e  éclit.,  p.  439. 

2.  Sur  la  position  de  ces  théologiens,  cf.  Salmanticenses,  op.  cit.,  V.  p.  424. 
Ils  refusent  d'admettre  que  l'élection  sniv?  infailliblement  le  dernier  jugement 
pratique.   Ce  dernier  jugement  formulé,  la  volonté  peut  (etiam  in  sensu  com- 

f)osito)  agir  autrement.  S'il  n'en  était  pas  ainsi,  disent  ces  scolastiques,  la 
ibcrté  serait  détruite  :  Si  voluntas  in  omnibus  sequatur  ductum  intellectus,  des- 
truitur   libertas. 


1:2  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

que  contingence  (1).  La  contingence,  c'est  «  l'exclusion  de  la  né- 
cessité logique  ou  métaphysique  »  (§  288),  mais  non  pas  l'exclu- 
sion de  la  nécessité  morale  qui  est  le  propre  de  l'entendement  et 
qui  incline  infailliblement  sans  nécessiter  (§  310). 

Notre  dernier  jugement  pratique  est  indifférent,  selon  Leibnitz, 
au  sens  de  contingent;  c'est-à-dire  que  le  jugement  contraire,  ou 
tout  au  moins  le  jugement  contradictoire,  est  possible,  n'implique 
pas  contradiction;  mais  il  n'est  pas  indifférent  en  ce  sens  que  le 
jugement  contraire  ou  contradictoire  serait  compossiMe  avec  les 
circonstancer  extérieures  et  les  dispositions  intérieures  où  se  trou- 
ve celui  qui  juge.  Admettre  cette  compossibilité,  admettre  que  dans 
les  mêmes  circonstances  (in  sensu  composito),  l'homme  peut  une 
fois  agir  et  ràne  autre  fois  ne  pas  agir,  n'est-ce  pas  retomber  dans 
la  thèse  scotiste  et  moliniste  de  la  liberté  d'indifférence  au  sens 
de  liberté  d'équilibre  {Théod.  I,  §  46.  III,  §  303);  et  n'est-ce  pas 
nier  le  principe  de  raison  suffisante  qui  veut  que  rien  n'arrive  sans 
raison  déterminante?  Or  «  sans  ce  grand  principe  nous  ne  pour- 
rions jamais  prouver  l'existence  de  Dieu  et  nous  perdrions  une  in- 
finité de  raisonnements  très  justes  et  très  utiles,  dont  il  est  la  fon- 
dement; et  il  ne  souffre  aucune  exception,  autrement  sa  force  se- 
rait affaiblie.  Aussi  n'est-il  rien  de  si  faible  que  ces  systèmss,  où 
tout  est  chancelant  et  plein  d'exceptions.  »  [Théod.  I,  §  44).  ^-  Il  est 
bien  évident  que  le  dernier  jugement  pratique  n'est  pas  absolu- 
ment nécessaire  comme  une  conclusion  de  géométrie,  le  jugement 
contradictoire  ne  répugne  pas.  Mais  il  est  nécessaire  d'une  néces- 
sité m.orale  en  vertu  du  principe  de  raison,  ou  du  principe  du  meil- 
leur; dans  telles  circonstances  déterminées,  il  ne  peut  être  en 
même  temps  meilleur  d'agir  et  meilleur  de  ne  pas  agir;  pour  une 
seule  et  même  situation  il  ne  peut  y  avoir  qu'un  meilleur  et  non 
pas  deux.  Et  si  l'on  juge  qu'il  est  mieux  d'agir,  les  circonstances 
restant  les  mêmes,  on  ne  peut  effectivement  abandonner  ce  juge 
ment  et  juger  qu'il  est  mieux  de  ne  pas  agir. 

Cette  argumentation  de  Leibnitz,  reprise  par  Kant  (négation  de 
la  liberté  phénoménale),  sera  toujours  la  principale  objection  con- 
tre le  libre  arbitre.  L'intelligence  qui  paraissait  fonder  la  liberté 


1.  «  Juscju'ici  nous  avons  énurnéré  les  deux  conditions  de  la  liberté  dont  Aris- 
tote  a  par.é,  c'està  dire  la  spontanéité  et  l'intelligence,  qui  se  trouvent  join- 
tes en  nous  dans  la  délibération;  au  lieu  que  les  bêtes  manquent  de  la 
seconde  condition.  Mais  les  scolastiques  en  demandent  encore  une  troisième 
qij'ils  appellent  l'indifférence.  Et  en  effet,  il  faut  l'admettre,  si  l'indifférence 
signifie  autant  que  contingence;  car  j'ai  déjà  dit  ci-dessus  que  la  liberté 
G  oAo^'^*"'",^  ""°  nécessité  absolue  et  métaphysique  ou  logique.  »  Théod.  III, 
§  302.  —  1,  §  46. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAINT  THOMAS  13 

par  la  connaissance  du  bien  universel,  paraît  maintenant  la  suppri- 
mer au  nom  dn  principe  de  raison;  la  puissance  de  choisir  gui  sub- 
siste semble  ne  plus  conserver  de  la  liberté  que  le  nom.  Faculté 
fatale,  l'intelligence  ne  peut  que  comparer  les  divers  partis  possi- 
bles avec  le  principe  de  raison  suffisante  qui  est  la  règle  même 
du  choix.  D'où  il  faut  conclure  que  nos  décisions  sont  certaines 
d'avance  et  prédéterminées  par  nos  états  de  conscience  précédents. 
«  Tout  est  certain  et  déterminé  d'avance  dans  l'homme  comme 
partout  ailleurs,  et  l'âme  humaine  est  une  espèce  d'automate  spi- 
rituel »  {Tliéod.  I,  §  52).  —  Si  cela  est  vrai,  nous  ne  sommes  |plus, 
semble-t-il,  qu'une  série  de  phénomènes  dont  l'enchaînement  est 
régi  par  les  lois  de  l'association  des  idées  lorsque  nous  ne  réflé- 
chissons pas,  par  le  principe  de  raison  suffisante  lorsque  nous 
réfléchissons.  L'automate  rationnel  peut-il  être  appelé  une  per- 
sonne, est-il  vraiment  maître  de  ses  actes,  siii  juris ;  n'est-il  pas 
plutôt  une  pièce  de  l'univers,  un  groupe  de  phénomènes  perdu 
dans  l'immense  série?  Est-il  vraiment  source  d'activité,  a-t-il  des 
initiatives  véritables?  Ne  se  borne-t-il  pas  plutôt  à  transmettre 
l'activité  reçue?  En  dépit  de  sa  raison,  il  est  moins  agent  qu'il 
n'est  agi. 

Voilà  pourtant,  selon  Leibnitz,  «  la  liberté  telle  qu'on  la 
demande  dans  les  écoles  théologiques  »  {Théocl.  III,  §  288).  «  La 
volonté  esi  déterminée  par  la  bonté  prévalente  de  l'objet....  C'est 
aussi  le  sentiment  de  tous  les  anciens,  de  Platon,  d'Aristote,  de 
saint  Augustin  »  {Théocl.  I,  §  45).  Je  ne  sais  si  Leibnitz  cite 
quelque  part  saint  Thomas  comme  étant  de  son  avis,  mais  il  paraît 
le  penser,  puisqu'il  ajoute  en  parlant  de  Baimez  et  Alvarez  3 
«  Ainsi  on  n'a  pas  besoin  de  recourir,  avec  quelques  nouveaux  tho- 
mistes, à  une  prédétermination  nouvelle  immédiate  de  Dieu,  qui 
fasse  sortir  la  créature  libre  de  son  indifférence,  et  à  un  décret  de 
Dieu  de  la  'prédéterminer,  qui  donne  moyen  à  Dieu  de  connaître 
ce  quelU  fera  :  car  il  suffit  que  la  créature  soit  prédéterminée  par 
son  état  précédent,  qui  l'incline  à  un  parti  plus  qu'à  l'autre; 
et  toutes  ces  liaisons  des  actions  de  la  créature  et  de  toutes  les 
créatures  étaient  représentées  dans  l'entendement  divin  et  con- 
nues à  Dieu  par  la  science  de  la  simple  intelligence,  avant  qu'il 
eût  décerné  de  leur  donner  l'existence.  Ce  qui  fait  voir  que  pour 
rendre  raison  de  la  prescience  de  Dieu,  on  se  peut  passer,  tant 
de  1m.  science  moyenne  des  Molinistes  que  de  la  prédétermination, 
telle  qu'un  Bannez  ou  un  Alvarez  (auteurs  d'ailleurs  fort  profonds) 
l'ont  enseignée  »  {Théod.  I,  §  47).  —  Leibnitz  a  certainement  rai- 


14  REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

son  :  si  la  Toloiité  créée  est  infailliblement  déterminée  par  son 
état  précédent,  la  thèse  thomiste  des  décrets  divins  prédétermi- 
nants, moyens  pour  Dieu  de  connaître  les  futurs  libres,  est  ruinés, 
et  la  science  moyenne  des  ^lolinistes  peut  trouver  enfin  le  médium 
qu'elle  cherche  depuis  si  longtemps  (1). 

Il  est  incontestable  que  la  thèse  de  la  nécessité  des  décrets 
prédéterminants  était  enseignée  bien  avant  Bannez  et  Alvarez, 
elle  est  nettement  exprimée  chez  saint  Thomas  :  P,  q.  14,  a.  5  et  8. 
—  q.  19,  a.  4  et  8.  —  q.  57,  a.  4.  —  C.  Génies  I,  c.  68  et  alibi... 
Il  est  non  moins  sur  que  saint  Thomas  rejette  le  déterminisma  psy- 
chologique (cf.  De  Malo,  q.  6, 1,  ad  15).  Pour  lui  le  déterminisme  de 
fait  n'est  assuré  que  par  la  prémotion  physique.  Elle  seule  peut 
opérer  suaviter  et  fortiter,  sans  froisser  la  liberté,  parce  que  l'ac- 
tion divine,  cause  propre  de  l'être  en  tant  qu'être  des  créatures 
et  de  leurs  actes,  est  aussi  cause  des  modes  premiers  de  l'être, 
mode  nécessaire,  ou  mode  contingent,  ou  mode  libre;  elle  produit 
non  seulemeni  la  substance  de  l'acte  libre,  si  l'on  peut  ainsi  parler, 
mais  encorti  l'acte  libre  dans  tout  ce  qu'il  est  et  jusque  dans  la  mo- 
dalité qui  le  fait  libre.  C'est  un  mystère  conséquent  au  mystère  de 
l'acte  créateur  :  Celui  qui  peut  produire  à  son  gré  l'être  en  tant 
qu'être,  c'est-à-dire  créer,  produit  aussi  à  son  gré  et  comme  cause 
propre  les  modalités  premières  qui  divisent  l'être,  nécessité  et  li- 
berté. «  Voluntas  divina  est  intelligenda  extra  ordinem  cntium  ex- 
istons, velut  causa  quaedam  yrofundcns  totum  eus  et  omnes  ejus 
dit ferentias  ;  sunt  autem  differentiae  entis  possibile  et  necessa- 
rium;  et  ideo  ex  ipsa  voluntate  divina  originantur  nécessitas  et 
contingentia  in  rébus»  In  I  FcriJicrmenias,  leç.  14.  —  Cf.  VI  Met- 
leç.  3.  —  r.  19.  8.  —  22.  4.  ad.  3.) 

C'est  à  te  même  endroit  du  Pcrihermenias  (c.  9)  qu'Aristote  lui- 
même  affirme  que  le  libre-arbitre  serait  détruit  si  de  deux  propo- 
sitions singulières  contradictoires  sur  les  futurs  en  matière  contin- 
gente (A  sera,  A  ne  sera  pas),  l'une  est  déterminée  comme  vraie 
et  l'autre  déterminée  comme  fausse.  Certainement  Leibnitz  se 
trompe  lorsque  après  avoir  nié  que  «  les  futurs  contingents  libres 
soient  privilégiés  contre  cette  règle  générale  de  la  nature  des  cho- 
ses »  (d'avoir  une  raison  déterminante),  il  cite  Aristote  comme 
étant  de  son  avis.  [Théod.  I,  §  45). 

1.  «  C'est  plaisir  de  voir  comment  ils  (les  Molinistes,  partisans  de  la.  science 
moyenne)  se  tourmentent  pour  sortir  d'un  labyrinthe,  où  il  n'y  a  absolument 
aucune  issue...  Ils  ne  sortiront  donc  jamais  d'affaire  sans  avouer  qu'il  y  a 
une  prtdotermination  dans  l'acte  précédent  de  la  créature  libre,  qui  l'in- 
clme  à  se  déterminer.  »  (Théod.  I,  §  481  La  science  moyenne  ne  peut  en 
effet  se  comprendre  que  si  l'on  admet  le  déterminisme  des  circonstances,  dont 
les   Molinistes   se   scandalisent   si  fort  en  psychologie. 


IXTELLECTUAIJSME  ET  ElBEKTÉ  CHEZ  SAL\T  TlIOiMAS  lo 

Saint  Thomas  admet  donc  contre  les  partisans  du  déterminisme 
psychologique  que  le  tout  dernier  jugement  pratique  n'est  pas 
détermine  par  nos  états  antécédents.  Un  thomiste  peut  souscrire  à 
ces  paroles  de  Lequier  :  «  la  liberté  s'applique  au  dernier  juge- 
ment qui  motive  l'acte  libre  et  non  pas  seulement  à  l'acte  propre- 
ment dit  de  volonté  ».  Nous  admettons  avec  Ch.  Renouvier  que 
«  nous  pouvons  arrêter,  suspendre  ou  bannir  »  une  représentation, 
nous  pouvons  être  cause  de  nos  représentations  mêmes;  et  le 
motif  est  bien  en  un. sens,  comme  l'a  dit  M.  Dolfus,  un  «  auto- 
motif ».  M.  Ravaisson  voyait  dans  cette  doctrine  ce  qui  a  été  dit 
de  plus  profond  sur  le  rapport  de  la  volonté  et  du  motif  dont  elle 
dépend,  c'est  la  doctrine  même  de  saint  Thomas  (1). 

Connnent  dès  lors  répondre  à  l'objection  leibnitienne?  Pour 
le  fond  des  choses,  dira  un  leibnitien,  vous  ne  différez  pas  des 
partisans  de  la  liberté  d'équilibre  ;  c'est  cette  même  liberté  d'équi- 
libre que  vous  placez  avant  le  dernier  jugement,  au  lieu  de  la 
placer  après.  La  volonté  d'appeler,  de  retenir  ou  d'écarter  tel 
motif,  de  considérer  le  devoir  sous  tel  ou  tel  aspect,  ne  peut  être 
elle-même  sans  motif.  Le  milieu  que  vous  cherchez  est  illusoire; 
un  philosophe  intellectualiste  ne  peut  admettre  une  indifférence 
dominatrice  de  la  volonté  qui  implique  en  fin  de  compte  im  libre 
jeu  de  cette  faculté  sous  l'intellect,  on  a  beau  limiter  ces  initiatives 
du  vouloir,  n'est-ce  pas  admettre  ces  commencements  absolus,  ces 
«  coups  victorieux  de  la  volonté  »  dont  parlent  les  libertistes. 

Les  Molinistes  et  Suarez  déclarent  également  de  leur  côté  qu'il 
n'y  a  {m^  de  milieu  entre  leur  position  et  la  négation  de  !a  liberté. 
Votre  solution,  disait  Suarez  aux  thomistes,  ne  fait  que  reculer  la 
question  :  l'acte  de  volonté  qui  précède  le  dernier  jugement  devrait 
être  précédé  lui-même  d'un  autre  jugement,  en  vertu  du  principe 
que  vous  alléguez  :  nihil  volitum  nisi  prsecognitum  ut  conveniens. 
et  ainsi  de  suite  à  l'infini.  (Cf.  Suarez  Disp.  Met.  XIX.  sect.  VL) 
Dès  lors  c'est  le  déterminisme  :  si  voluntas  in  omnibus  sequatur 
ductmii  intellectus,  destruitur  libertas. 

Cette  objection  avait  été  posée  par  saint  Thomas  dans  toute 
sa  rigueur,  De  Malo  q.  6.  a.  1.  15®  obj.  (2).  11  s'était  contenté,  pour 


1.  Descartes  parle  à  peu  près  de  la  même  manière  :  Lettre  à  un  B.  P. 
Jésuite,  éd.  V.   Cousin,   IX,  p.  168-170. 

2.  «  Si  voluntas  respectu  ad  aliqua  volita  non  ex  necessitate  noveatur,  ne- 
cesse  est  dicere  quod  se  haboat  ad  opposita  :  quia  quod  non  necesse  est  esse, 
possibile  est  non  esse.  Sed  oame  quod  est  in  potentia  ad  opposita,  non  redu- 
citur  in  actuni  alicujus  eorum  nisi  per  aliqnoJ  ens  actu,  quod  facil  illud  quod 
erat  in  potentia  esse  in  actu.  Quod  autem  facit  aliquid  esse  actu  dicimus 
esse  causam  ejus.  Oportebit  ergo,  si  voluntas  aliqiiid  determinate  vult,  quod  sit 
aliqua   causa   (fuae   faciat   ipsani   hoc   velle.    Causa   autem   posita,   necesse   est 


■16  REVUE   DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

y  répondre,  de  rappeler  les  principes  de  sa  thèse,  nous  allons  voir 
en  effet  qu'il  contiennent  une  solution,  et  que  l'intellectualisme 
peut  faire  une  place  à  une  véritable  liberté. 

Mais  montrons  d'abord  que  la  liberté  tliomiste  n'est  nullement 
la  liberté  d'équilibre  reculée  d'un  cran,  avant  le  jugement  pratique. 
Fidèle  au  principe  intellectualiste,  cette  théorie  n'admet  aucun 
acte  de  volonté  qui  ne  soit  formellement  déterminé  par  l'intel- 
lect. 

La  liberté  thomiste  n'est  pas  la  liberté  cVéquilibre,  tous  ses  actes 
sont  forinellement  déterminés  par  Vintclligence. 

L'acte  de  volonté  par  lequel  l'intelligence  est  appliquée  à  juger 
de  telle  manière,  répondent  les  thomistes  à  Suarez,  est  celai-là 
même  qui  suit  le  jugement  (1).  Eil  il  n'y  a  là  aucune  contradiction 
si  l'on  entend  bien  l'axiome  d'Aristote  :  causae  ad  invicem  sunt 
causae  in  diverso  génère,  v-où  àAlr,AMv  ai-ix.  (2).  C'est  ici  que  nous 
reconnaîtrons  volontiers  une  part  de  vérité  dans  les  analyses  de 
M.  Bergson  et  de  M.  Le  Roy  lorsqu'ils  affirment  que  tout  est  dans 
tout.  Pouv  nous  aussi  tout  est  dans  tout,  mais  sans  confusion,  et 
le  réel  n'échappe  pas  à  l'intelligence.  Cela  ne  peut  s'entendre  que 
grâce  à  ces  distinctions  conceptuelles  et  réelles,  défigurées  par 


effeclum  poni,  ut  Avicenna  probat  (lib.  VI,  Met.  c.  1  et  2)  quia  si  causa 
posita,  adhuc  est  possibile  effectum  non  esse,  indigebit  adhuc  alio  reducente 
de  potentia  in  aclum;  et  sic  primum  non  erat  sufficiens  causa.  Ergo  voluntas 
ex  necessitate  movetur  ad  aliquid  volendum.  »  {De  Malo,  q.  6,  a.  1,  lô''  obj.). 
Cette  même  objection  est  faite  d'une  manière  plus  brave,  1^  11^^  ,  10,  2. 
«  Objectum  voluntatis  comparatur  ad  ipsam,  sicut  motivum  ad  mobile,  ut 
patet  3  de  Anima  (tex.  54,  to.  2).  Sed  motivum  si  sit  sufficiens,  ex  necessitate 
movet  mobile;  ergo  voluntas  ex  necessitate  potest  moveri  a  suo  objecto.  » 

1.  «  Infallibilis  conuexio  aclus  voluntatis  cum  ultime  judicio  practico  intel- 
lectus  non  officit  ejus  iibertati  :  quia  etsi  voluntas  potestate  consequenti  non 
possit  a  tali  judicio  dissentire,  bene  tamen  potestate  anteccdenti,  qua  intellectum 
ad  sic  judicandum  libère  applicuit.  Et  quia  efficacia  illius  judicii  tota  est 
ex  hac  libéra  appIicaUonc,  nihil  adimit  libertatis.  Si  vero  petas  per  quem 
actum  voluntatis  fiât  talis  applicatio?  Respondotur  posse  fieri  per  vumdem, 
quem  dirigit  illud  judicium,  ob  mutuam  causalitatem  in  diverso  génère  quae 
solet  in  ea  constitui  :  nam  judicium  in  génère  causse  formalis  extrinsecse 
dirigit  voluntatem,  ut  sic  determinate  eligat:  et  voluntas  in  génère  efficientis 
app.icat  inleliectuai  quoad  exercilium,  ut  determinale  sic  judieet.  Sed  haec 
ratio  tune  solum  potest  habere  locum  quando  in  intellectu  et  voluntate  praeces- 
scrunt  aliqui  actus,  unde  possit  pra?dicta  causalitas  deduci.  »  Salmânt.  t.  V, 
p.  426,  §  is.  Cette  fin  de  phrase  fait  allusion  au  tout  premier  acte  de  la 
vie  psychologique.  L'intelligence  ne  peut  être  appliquée  à  son  tout  premier 
jugement  par  la  volonté  qui  est  encore  à  l'état  du  pure  puissance,  il  faut  ici 
une  intervention  spéciale  de  Dieu,  premier  moteur  des  intelligences.  On  dit 
que  Dieu,  pour  cet  acte,  donne  lui-même  le  dictamen  (I^ .  82,  4,  ad  3).  Dans 
ce  premier  instant,  la  créature  ne  peut  pécher,  elle  no  jouit  pas  d'une  pleine 
liberté  :  non  est  plénum  dominium.  La  liberté  de  ce  premier  acte  paraît 
très  voisine  de  la  liberté  leibnitienne.  • 

2.  Met.  IV,  c.  Il,  515;  24  (Didot). 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAINT  THOilAS  17 

la  «  philosophie  nouvelle  »,  dans  lesquelles  elle  veut  toujours 
voir,  bien  à  tort,  des  distinctions  quantitatives  et  spatiales.  M.  Le 
Roy  parlait  récemment  à  propos  du  miracle  et  de  la  foi  de  «  ces 
conditionnements  réciproques,  de  ces  rapports  d'antériorité  mu- 
tuelle, de  ces  cercles  indénouables  discursivement  qui  caracté- 
risent à  tous  les  étages  les  démarches  de  la  vie  (1).  »  Rien  de 
plus  vrai  que  l'existence  de  ces  rapports  d'antériorité  mutuelle; 
mais  faut-il  y  voir  autant  de  cercles  indénouables  pour  la  pensée 
discursive,  déclarer  le  réel  inintelligible  et  se  réfugier  dans  une 
philosophie  de  l'action?  Aristote  et  les  partisans  de  la  philosophie 
du  concept  ne  le  pensent  pas.  Après  avoir  rendu  le  devenir  intelli- 
gible en  fonction  de  l'être  par  la  distinction  des  quatre  causes, 
Aristote  reconnaît  et  explique  les  rapports  mutuels  de  ces  causes. 
—  Le  devenir  suppose  nn  être  indéterminé  (puissance  ou  matière) 
qui  acquiert  une  détermination  (acte  ou  forme);  cette  détermina- 
tion progressive  de  la  puissance  suppose  un  principe  détermi- 
nant (cause  efficiente),  et  la  puissance  n'est  susceptible  d'être  dé- 
terminée ainsi  et  non  pas  autrement  que  parce  qu'elle  est  ordon- 
née à  tel  acte  et  non:  à  tel  autre;  potentia  dicitur  ad  actum,  c'est 
la  plus  haute  formule  du  principe  de  finalité  chez.  Aristote.  — 
De  là  il  suit  que  les  causes  sont  causes  les  unes  par  rapport  aux 
autres  à  des  points  de  vue  divers,  xat  à/lAv^Acov  olÏtlx.  La  matière 
reçoit  et  limite  la  forme,  la  forme  détermine  et  contient  la  ma- 
tière, la  cause  efficiente  réalise  ce  par  quoi  elle  est  finalisée  (2). 
Ces  rapports  d'antériorité  mutuelle  doivent  se  retrouver  par- 
tout où  les  quatre  causes  interviennent,  c'est-à-dire  dans  tout 
devenir,  «  ils  caractérisent  à  tous  les  étages  les  démarches  de  la 
vie  ».  Le  vivant  agit  sur  l'aliment,  mais  l'aliment  agit  sur  lui  et 
le  refait.  Le  connaissant  s'assimile  son  objet  et  pourtant  se  laisse 
assimiler  par  lui.  Dans  l'ordre  de  la  grâce,  il  est  des  exemples 
classiques  chez  les  théologiens  :  Dans  la  justification  de  l'im- 
pie, la  contrition  est  en  un  sens  disposition  à  la  grâce  et  en  un 
autre  sens  effet  de  la  grâce.  «  Tu  ne  me  chercherais  pas  si  tu 
ne  m'avais  déjà  trouvé.  »  (3).  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  disait  de 


1.  Le  Roy.  Annales  de  Philosophie  chrétienne,  déc.  1906. 

2.  «  Effiiiens  est  causa  finis  quaiitiiiu  ad  cuse  quideni,  quia  inovendo  pordu- 
cit  eft'iciens  ad  hoc  ut  sit  finis;  finis  autem  est  causa  efficientis,  non  quan- 
tum ad  esse  sed  quantum  ad  rationem  causalitatis  »  S.  Th.  In  Met.  Y,  leç.  2. 

3.  «  Ex  parte  mobilis,  naturaliter  recessus  a  termine  praecedit  àccessuni 
ad  terminum,  prius  enim  est  in  subjecto  mobili  oppositum  quod  abjicitùr  et 
poslmodum  est  id  quod  per  motum  assequitur  mobile.  Sed  ex  parle  agentis 
est  e  converse;  agens  enim  per  formam,  quae  in  eo  praeexistit,  agit  ad 
removendum  contrarium,  gicut  sol  per  suam  lucem  agit  ad  removendum  tene- 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  i.  2 


18  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Madeleine  :  «  Remittuntur  ei  peccata  multa,  quoniam  dilexit  inul- 
tum;  oui  autem  minus  dimittitur,  minus  diligit  »  (Luc.  VU.  il.) 
Dans  le  péché,  selon  les  partisans  de  la  grâce  intrinsèquement 
efficace,  la  défaillance  de  l'homme,  dans  l'ordre  de  causalité 
matérielle,  précède  le  refus  que  Dieu  lui  fait  de  sa  grâce  efficace 
et  en  est  la  raison;  dans  un  autre  oflre  de  cause  toutefois,  cette 
défaillance  suppose  l'absence  de  grâce  efficace  et  ne  se  produirait 
pas  sans  elle  (1).  —  Autre  exemple  classique  :  je  ne  croirais  pas 
de  foi  surnaturelle  que  Dieu  a  fait  une  révélation,  si  l'Église  ne 
me  proposait  pas  cette  vérité,  et  je  crois  que  la  proposition  de 
l'Église  est  infaillible  parce  que  Dieu  l'a  révélé.  Il  n'y  a  pas  cercle 
vicieux,  causae  ad  invicem  sunt  causae  in  cliverso  génère;  Dieu 
révèle  (cause  principale),  l'Église  propose  cette  révélation  (cause 
instrumentale),  —  Selon  certains  théologiens,  Vappetitus  boni 
reprominsi  en  un  sens  suppose  la  foi  puisqu'il  est  surnaturel,  et 
en  un  autre  sens  la  précède,  puisque  c'est  lui  qui  fixe  l'intelli- 
gence du  croyant. 

La  même  loi  doit  donc  régir  les  rapports  de  l'intelligence  et 
de  la  volonté  au  tenne  de  la  délibération  ;  la  réponse  des  thomistes 
n'est  pas  un  artifice,  elle  se  prend  de  la  définition  même  du  deve- 
nir. —  Dans  le  cas  du  dernier  jugement  pratique  et  de  l'acte  de 
volonté  qui  le  précède  et  qui  le  suit,  il  n'y  a  aucune  priorité 
de  iemp.'i  (2)  ;  c'est  au  même  instant  que  la  volonté  applique  l'intel- 
ligence à  juger  ce  qu'il  faut  choisir  et  qu'elle  reçoit  la  direction 
de  l'intelligence  en  choisissant.  Il  y  a  seulement  ici  priorité  de 
nature,  et  priorité  réciproque  suivant  le  point  de  vue  auquel  on 
se  place.  Dans  l'ordre  de  causalité  formelle  extrinsèque  (idée 
directrice)',  il  y  a  priorité  du  jugement,  puisque  le  jugement  dirige 
actuellement  la  volonté  pour  qu'elle  choisisse  de  telle  façon;  mais 
dans  l'ordre  de  causalité  efficiente  il  y  a  priorité  du  vouloir  qui 


bras;  et  jdeo  ex  parte  solis  prius  est  illurainare,  cfuarn  tenebras  removere  : 
ex  parte  autem  aeris  iilumiuaudi  prias  est  purgari  a  tenebris,  q;iam  con- 
sequi  lumen  ordine  naturae;  licet  utruinque  sit  simul  lempore.  Et  qu.a  in- 
fusio  gratiae  et  remissio  culpae  dicuutur  ex  parte  Dei  justificantis,  ideo  or- 
dine naturae  prior  est  gratiae  infusio,  quam  culpae  remissio.  Sed  si  su- 
mantur  ea,  quae  sunt  ex  parte  hominis  justificati,  est  e  converso;  nam  prius 
est  ordine  naturae  liberatio  a  culpa,  quam  cousecutio  gratiae  justificantis.  » 
l^'  l^^   q.   113,   a.   8,   ad    1. 

1.  «  Denegatio  auxilii,  non  nisi  in  subjecto  déficiente  est,  non  ante  deficien- 
tiara  et  tiinn'u  defectus  scquitur  ad  ncgalionem  auxilii.  »  Je.\n  de  S.  Thomas, 
in  I^-",  q.  19,  disp.  5,  a.  6,  §  61. 

2.  «  Motus  liberi  arbitrii,  qui  est  velle,  non  est  successivus,  sed  instantaneus. 
et  ideo  non  opçrtet  quod  justificatio  impii  sit  successiva  »  I^liae^  q.  113,  a.  7, 
ad  4.  Utrmn  justificatio  impii  fiât  in  instanti,  vel  successive.  —  Ct  1*,  q. 
95,   a.  1,  ad  5um. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SALNT  THOMAS  19 

applique  l'intelligence  à  juger  de  telle  façon,  priorité  du  vouloir 
qui  peut  suspendre  l'enquête  intellectuelle  ou  la  laisser  se  pour- 
suivre (1).  La  volonté  est  ainsi  cause  de  l'attrait  même  quelle  ' 
subit,  en  ce  sens  qu'il  dépend  d'elle  de  porter  l'intelligence  à 
juger  que  tel  bien  est  de  nature  cà  l'émouvoir;  elle  est  cause  de 
la  direction  qu'elle  reçoit,  en  tant  qu'elle  meut  l'intelligence  à 
lui  imprimer  cette  direction. 

Kant  dira  plus  tard  :  la  causalité  empirique,  qui  se  réalise  dans 
le  temps,  implique  le  déterminisme,  mais  là  où  s'exerce  la  causalité 
intelligible  (nouménale)  il  tiy  a  point  d'avant  ni  d'après;  cette, 
causalité  est  la  liberté  même  (2).  Les  thomistes  ne  se  croient  pas 
quittes  à  si  bon  compte  et  ne  pensent  pas  avoir  résolu  tout  le 
problème  après  avoir  écarté  la  priorité  de  temps. 

Reste  à  savoir  si  la  causalité  efficiente,  tout  en  étant  dans  une 
dépendance  relative  à  l'égard  de  la  causalité  formelle  extrinsèque 
(idéej,  ne  conserverait  pas  une  priorité  absolue  sur  les  autres  cau- 
ses, lorsqu'il  faut  agir?  On  ne  saurait  le  mettre  en  doute.  La 
causalité  formelle  de  l'idée  ne  s'exerce  actuellement  qu'en  vertu 
d'une  application  qui  relève  de  la  causalité  efficiente;  si  l'artiste 
veut  agir,  il  lui  faut  une  idée  directrice,  mais  cette  idée  n'exerce 
sa  causalité  formelle  que  si  l'artiste  par  son  action  l'emploie  comme 
directrice  de  son  action  (3).  Quand  il  s'agit  d'action  à  exercer, 
c'est  la  causalité  efficiente  qui  en  définitive  est  première,  c'est 
elle  qui  a  l'initiative.  Elle  ne  s'exerce  à  la  vérité  qu'en  entrant 
sous  la  dépendance  relative  de  l'idée,  mais  il  dépend  d'elle  de 
s'exercer  ou  de  ne  pas  s'exercer;  le  fait  de  l'exercice  ne  saurait 
être  commandé  par  la  détermination  formelle.  Causae  ad  invicem 
sunt  causae  in  diverso  génère,  sed  causa  efficiens  ceteris  causis 
actu  causantibus  simpliciter  est  prior. 

Par  cette  réponse  les  thomistes  se  séparent  nettement  des  parti- 
sans de  la  liberté  d'équilibre;  ils  affirment  qu'il  ne  saurait  y  avoir 
d'efficience  exercée  sans  détennination  formelle,  il  ne  saurait  y 


1.  Salmant.    op.    cit.,    t.  V,    p.  426,    §  18.    Loc.    cit. 

2.  Critique  de  la  liaison  pure,  Dialeclique  Iransceudautale,  ch.  II,  d'^  sec- 
tion, III. 

3.  «  Quaelibel  causa  est  in  suo  génère  secundum  quid  prior  alia,  sed  causalitas 
efficientis  est  simpliciter  prior  quam  causa  materialis  et  formalis  actu  causan- 
tes... Unde  praedxta  volitio  est  simpliciter  prior  :  si  quidem  causa  formalis  ex- 
trinseca  non  causât  in  actu  secundo  aliquam  operationem,  nisi  applicatur 
ab  eo,  qui  ea  ulitur,  proJucendo  in  génère  causae  efficientis  praedictam  opex'a- 
tionem;  ita  quiiem  ut  prior  simpiiciter  sit  influxus  causae  efficientis  in  prae- 
dictam operationem...  cpia  causa  formalis  extrinseca  non  causât  actu  opera- 
tionem in  suo  génère,  nisi  quia  applicatur  ab  efficient!,  ut  patet  in  artifice 
et  ejus  idea.  »  Salmant.,   t.   IV,  p.  680,  §  270. 


20  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

avoir  un  acte  de  volonté  qui  ne  soit  pas  formellement  déterminé 
par  l'intellect;  voluntas  in  omnibus  suis  actibus  sequitur  ductiun 
intellectus.  Mais  il  dépend  de  la  volonté  d'entrer  dans  cette  dépen- 
dance relative  à  Tégard  du  motif,  et  le  même  acte  de  volition  q:ii 
suit  le  jugement  en  un  sens  le  précède. 

I/iiiicUcctuaUsme  thomiste  contient  dans  ses  principes  premiers 
une  réfutation    du   déterminisme  psychologique. 

Nous  évitons  par  là  la  liberté  d'équilibre,  mais  évitons-nous 
le  déterminisme  psychologique  ?  Il  ne  le  semble  pas.  Trop  de  psy- 
chologues croient  avoir  refuté  Leibnitz  en  disant  :  «  l 'intelligence 
est  de  sa  nature  représentative,  contemplative  et  non  active  et 
motrice.  Elle  éclaire  donc  la  volonté,  elle  indique  le  but,  mais 
c'est  la  volonté  qui  s'y  porte  par  son  pouvoir  automoteur  (l).  » 
Leibniti:  pourrait  répondre  :  «  la  priorité  de  la  causalité  efficiente 
admise  et  entendue  selon  le  principe  causae  ad  iniicem  sunt  causac, 
elle  sauvegarde  seulement  la  spontanéité,  le  pur  exercice  de  l'acte-, 
mais  non  pas  la  liberté  au  sens  qui  est  le  vôtre.  J'accorde  que  la 
volonté  est  en  nous  premier  principe  dans  l'ordre  d'exercice,  et 
il  est  clair  que  si  elle  n'appliquait  pas  l'intelligence  à  considérer 
il  n'y  aurait  jamais  volition.  Mais  vous  n'expliquez  nullement 
que,  placés  à  deux  reprises  dans  les  mêmes  circonstances,  nous 
puissions  dans  un  cas  juger  qu'il  convient  d'agir  et  dans  l'autre 
juger  qu'il  ne  convient  pas  d'agir.  La  priorité  de  la  causalité  effi- 
cient? n'implique  pas  cette  initiative  que  vous  attribuez  à  la 
liberté,  initiative  qui  serait  une  violation  du  principe  de  raison 
suffisante.,  »  Rappelons  que  si  le  principe  de  raison  est  solidaire 
du  principe  d'identité  qui  régit  toutes  les  modalités  de  l'être,  il 
doit  lui-même  régir  toutes  les  modalités  de  l'être;  une  chose  sans 
raison  d'être  est  contradictoire;  elle  est  ce  qu'elle  est  par  soi 
ou  par  autre  chose,  il  n'y  a  pas  de  milieu.  Un  commencement 
absolu  répugne. 

A  cette  dernière  instance,  qui  ne  pouvait  échapper  à  Saint 
Thomas  nous  trouvons  comme  réponse,  dans  le  De  Maîo  q.  (î.  a. 
1.  ad  15  :  la  volonté  a  toujours  une  raison  suffisante,  mais  elle 
ne  saurait  avoir  une  raison  suffisante  infailliblement  déterminante. 
«  Dicendum  quod  non  omnis  causa  ex  necessitate  inducit  effec- 
tum,  etiamsi  sit  causa  sufficiens;  eo  quod  causa  potest  impediri, 
lit  quandoque  effectum  suum  non  consequatur;  sicut  causae  natu- 

1.  Rabier.    Psychologie,  2e  éd.,    p.    649. 


INTEM.FXTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SATXT  THOMAS  21 

raies,  qiiae  non  ex  necessitate  producimt  suos  effôctus,  sed  ut  in 
pluribus,  quia  in  paucioribus  impediuntur.  Sic  ergo^  illa  causa, 
qiiae  facil  voluntatem  aliqiiid  velle,  non  oportet  quod  ex  necessitate 
hoc  faciat  :  quia  potest  per  ipsam  voluntatem  impedimentura 
praestari,  vel  removendo  talem  considerationem  quae  inducit  eum 
ad  volendum,  vel  considerando  oppositum,  scilicet  quod  hoc  quod 
proponitur  ut  bonum,  secundum  aliquid  non  est  bonum.  »  —  Cette 
réponse  serait  tonte  verbale,  si  on  ne  la  rattachait  au  principe  fon- 
damental de  la  théorie  aristotélicienne  et  thomiste  de  la  liberté  : 
la  disproportion  radicale  du  bien  universel  et  du  bien  particulier, 
du  bien  total  et  du  bien  partiel,  l'hiatus  infini  qui  les  sépare. 
Il  est  dit,  dans  le  corps  de  ce  même  article  :  la  liberté  d'exer- 
cice subsiste  même  à  l'égard  du  bonheur,  «  quia  potest  aliquis 
non  velle  tune  cogitare  de  beatitudine;  quia  etiam  ipsi  actus  in- 
tellectus  et  voluntatis  pariieulares  siint.  »  —  Leibnitz  n'oublie- 
t-il  pas  de  considérer  que  l'indifférence  de  notre  jugement  a  sa 
raisoTi  dernière  dans  l'universalité  absolue  de  l'objet  de  la  vo- 
lonté ou  dans  l'amplitude  infinie  de  notre  puissance  d'aimor?. 
Les  circonstances  extérieures  et  les  dispositions  intérieures  sont 
impuissantes  à  déterminer  infailliblement  ce  dernier  jugement 
pratique  :  il  vaut  mieux  agir  que  ne  pas  agir.  Tant  que  agir  a 
ses  avantages  et  ses  inconvénients,  comme  ne  pas  agir  a  les  siens, 
nous  sommes  en  présence  de  deux  biens  finis,  mêlés  de  non-bien  ; 
or  deux  biens  finis  si  différents  soient-ils  l'un  de  l'autre  restent  à 
l'infini  du  Bien  pur,  sans  aucun  mélange;  et  si  deux  distances  in- 
finies sont  inégales,  ce  ne  sera  jamais,  comme  le  dit  quelque  part 
Descartes,  que  in  ratione  finiti.  Dès  lors,  il  ne  saurait  y  avoir  de 
raison  suffisante  absolument  déterminante  du  passage  de  V Infini 
à  telle  quantité  ou  qualité  finie  plutôt  qu'à  telle  autre;  ou  ce  qui 
revient  au  même,  il  ne  saurait  y  avoir  de  raison  suffisante  infail- 
liblement déterminante  du  passage  de  l'un  au  multiple,  de  l'uni- 
versel en  particulier'.  Il  y  a  là  un  abîme  infranchissable  qu'aucun 
principe  de  l'ordre  intelligible  ne  peut  combler,  pas  plus  le  prin- 
cipe de  raison  que  celui  de  contradiction.  Nous  verrons  cette  dis- 
proportion apparaître  beaucoup  plus  nettement  lorsqu'il  s'agira 
de  la  liberté  divine,  de  la  souveraine  indépendance  de  V Ipsum 
esse  à  l'égard  de  tout  le  créé,  de  sa  supériorité  infinie  au-dessus 
de  tous  les  mondes  possibles;  mais  c'est  le  même  problème  qui  se 
pose  ici  dans  l'homme  :  celui  des  rapports  de  l'un  et  du  multiple, 
du  pur  et  du  mêlé,  de  l'universel  et  du  particulier,  de  l'infini  et 
du  fini. 


2-2  REVUF.   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Dans  la  Somme,  l^  IP.  10.  2,  saint  Thomas  répond  à  la  même 
objection  :  «  siifficiens  motivum  aliciijus  potentiae  non  est  nisi 
objectum,  quod  totaliter  habel  rationem  motivi  (per  respectara 
ad  voluntatem  hoc  est  bonum  perfectum,  cui  nihil  déficit");  si 
autem  iii  aliqiio  deficiat  non  ex  necessitate  movebit.  »  Saint  Tho- 
mas, on  le  voit,  dit  tantôt  que  le  motif  est  suffisant,  et  tantôt  qu'il 
ne  l'est  pas.  A  vrai  dire,  il  est  suffisant  dans  son  ordre  et  non 
pas  absolument. 

Pour  saisir  le  sens  de  cette  réponse  et  voir  comment  la  liberté 
psychologique  est  fondée  sans  que  la  nécessité  des  principes  et 
des  conclusions  de  la  morale  soit  compromise,  il  faut  nettement 
distinguer,  comme  nous  l'avons  fait,  le  jugement  spéculativo 
pratique  qui  dicte  ce  qui  est  bon  en  soi  partout  et  toujours,  indé- 
pendamment des  circonstances  (il  faut  être  juste)  et  le  jugement 
practico-pratique  qui  dicte  ce  qui  est  bon  pour  noua,  hic  et  nunc 
(il  est  bon  pour  moi  en  cet  instant  d'accomplir  cet  acte  de  justice). 
—  La  vérité  du  premier  jugement,  disait  Aristote,  est  un  -  vérité 
absolue,  veritas  ejus  accipitur  per  conformitatem  ad  rem;  1 1  vér.'té 
du  second  est  relative  à  la  disposition  actuelle  de  l'appétit,  veritas 
ejus  accipitur  per  conformitatem  ad  appetitum  rectum  (1).  Le 
jugement  spéculativo-pratique  en  effet  concerne  l'ordre  de  spéci- 
fication :  p.  e.  en  soi  l'acte  de  justice  est  un  bien  conforme  à  la 
droite  raison,  l'acte  d'injustice  ne  peut  être  qu'un  biei  appa- 
rent. Le  jugement  practico  pratique,  au  contraire,  au  moins  celui 
qui  est  absolument  requis  pour  qu'il  y  ait  liberté  (2),  concerne 
l'ordrti  d'exercice;  et  ce  jugement,  disons-nous,  est  indifférent 
malgré  la  pression  des  dispositions  intérieures  et  des  circons- 
tances extérieures  actuelles;  p.  e.  hic  et  nunc  l'acte  de  justice 
est  un  bien  pour  moi  et  aussi  il  n'est  pas  un  bien,  je  puis  le 
poser  ei  aussi  m'abstenir  de  le  poser,  ne  serait-ce  que  parce  que 
je  considère  qu'il  est  bon  d'expérimenter  ma  liberté,  en  refusant 
de  répondre  à  l'attrait  des  plus  forts  motifs  (3).  Tant  que  ne  pas 

1.  Efhic.,  VI,  c.  II,  S.  Th.,  leç.  II.  —  S.  Th.,  I»  II",  q.  .ô7  a.  4  et  5,  ad  3. 
«  Veruni  intellectus  speculativi  accipihir  per  conformitatem  ad  rem  (et  non  po- 
test  infaTibiliter  conformari  in  rébus  continsentibus),  verum  autem  intellec- 
tus practici  per  conformitatem  ad  appetitum  rectum  (quae  quidem  conformitas 
solum  invenitur  in  contingentibus  quae  possunt  a  nobis  fieri).  » 

2._  Seule  la  liberté  d'exercice  est  de  l'essence  de  la  liberté;  pour  être  libre 
à  l'égard  d'un  objet,  il  n'est  pas  nécessaire  de  pouvoir  l'aimer  ou  le  haïr, 
le  préférer  à  un  autre  ou  lui  en  préférer  un  autre,  il  suffit  de  pouvoir  l'aimer 
ou  ne  pas  l'aimer.  Pour  être  maître  de  son  acte,  il  suffit  de  pouvoir 
agir  ou  ne  pas   agir. 

3.  Dans  ce  cas,  le  stat  pro  ratione  voluntas  devient  motif,  objet  d'un 
jugement;  il  n'est  pas,  comme  le  veulent  les  partisans  de  la  liberté  d'équilibre, 
pure  initiative  de  la  volonté.  Cf.  Billuart,  IV    p.  127. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAINT  THOMAS  23 

agir  a  seb  avantages  et  inconvénients  comme  agir  a  les  siens, 
je  suis  en  présence  de  deux  biens  finis  mêlés  de  non-bien;  si 
inégaux  que  soient  les  deux  partis,  le  jugement  practico  pra- 
tique qui  concerne  l'exercice,  pour  autant  qu'il  relève  de  la  seule 
intelligence,  reste  en  un  sens  indifférent.  Une  intervention  de  la 
volonté  est  nécessaire  pour  vaincre  cette  indifférence.  La  volonté 
iniervien-  donc  ici  non  pas  seulement  pour  Vexercice  pur  et  simple 
(il  n'y  aurait  que  spontanéité,  libertas  a  coactione)  mais,  si  l'on 
peut  dire,  pour  la  spécification  de  l'exercice,  pour  qu'il  y  ait  ou 
qu'il  n'y  ait  pas  acte  exercé  (1),  et  c'est  là  l'essence  de  la  liberté 
d'exercice,  seule  requise  pour  qu'il  y  ait  liberté. 

Ces  deux  jugements  sont  manifestement  très  différents  l'un  de 
l'autre.  Nous  pouvons  recevoir  le  jugement  spéculativo-pratique 
de  celui  qui  nous  enseigne  la  morale  ou  de  celui  qui  nous  donne 
un  conseil;  tandis  que  le  jugement  practico-pratique  est  exclu- 
sivement nôtre,  absolument  incommunicable.  Confondre  le  se- 
cond avec  le  premier  c'est  être  amené  à  dire  avec  Platon  'jne  la 
vertu  est  une  science  {V  II  ,  58.  5.);  c'est  aussi  requérir  pour 
la  science  des  dispositions  morales  (aùvô'A/î  rn  '^->/;ç)  qu'elle  n'exige 
pas  nécessairement  (Ihid.). 

Prenons  l'exemple  de  l'homme  qui  est  sur  le  point  de  céder 
à  la  tentation.  Placéi  à  deux  reprises  dans  les  mêmes  circonstances, 
il  peut  une  fois  juger  qu'il  convient  de  pécher,  une  autre  fois 
juger  qu'il  convient  de  faire  son  devoir  ou  tout  au  moins  de  ne 
pas  agir.  Le  jugement  practico-pratique  reste  indéterminé,  même 


1.  Kappelons  le  texte  de  saint  Tliomas  cité  plus  haut,  où  il  définit  ce 
que  c'est  qu'être  maître  de  son  jugement.  Nous  ne  sommes  pas  m.aîtres 
d'adhérer  ou  de  ne  pas  adhérer  à  un  premier  principe,  à  une  conclusion 
démontrée,  la  volonté  intervient  seulement  ici  pour  l'exercice  pur  et  simple 
pour  appliquer  l'intelligence  à  considérer  et  à  juger;  mais  s'agit-il  de  for- 
muler un  jugement  déterminé  avec  un  motif  objectif  insuffisant,  la  volonté 
doit  en  outre  intervenir  d'une  façon  spéciale  pour  suppléer  à  cette  insuffi- 
sance objective;  et  dans  ce  cas,  nous  sommes  maîtres  de  notre  jugement. 
«  Sunt  quaedam  apprehensa,  quae  non  adeo  convincunt  intellectum,  quin 
possit  assentire  vel  dissentire,  vel  saltem  assensum  vel  dissensum  suspendere 
propter  aliquam  causam.  Et  in  talibus  assensus  ipse,  vel  dissensus  in  potestafe 
nostra  est  et  sub  imperio  cadit  »  I^  Il^e ,  q.  17,  a.  6.  —  Nous  avons  cité 
plus  haut,  dans  l'exposé  de  la  théorie  thomiste  de  la  liberté,  d'autres  textes 
non  moins  convaincants  de  saint  Thomas  et  de  ses  commentateurs.  — 
C'est  ici  un  cas  semblable  à  celui  ià  la  foi  («  intellectus  credentis  determina- 
tur  ad  unum,  non  per  rationem,  sed  per  voluntatem;  et  ideo  assensus  hic 
accipitur  pro  actu  intellectus,  secunclum  quod  a  voluntate  determinatur 
ad  unum.  »  II^^  II'»^,  q.  2,  a.  1,  ad  3.  —  «  Actus  fidei  est  actus  intellectus 
déterminât!  ad  unum  ex  imperio  volnntatis  »  11^  lia*,  q.  4,  a.  1.)  Il  y  a 
seulement  cette  différence  qi-xe  dans  la  foi  le  mouvement  de  volonté  est  mo- 
tivé extrinsèquenient  par  les  jugements  de  crédibilité  et  de  crédentité  qui  lui 
sont  antérieurs,  ici  le  mouvement  de  volonté  n'a  d'autre  motif  que  celui 
auquel  il  donne  la  prévalence  en  vertu  du  principe  :  causae  ad  invicem 
sunt  causàe  in  divcrso  génère. 


2i  REVUE   DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

en  fonction  des  circonstances.  L'intelligence  affirme  sans  doute 
par  son  jugement  spéculativo-pratique  que  le  bien  honnête  est 
supérieur  en  soi  au  bien  délectable,  elle  peut  encore  voir  qu'étant 
données  nos  bonnes  dispositions  habituelles  le  bien  honnête  est 
habituellement  préférable  non  seulement  en  soi,  mais  2)our  nous; 
mais  s'agit-il  de  décider  hic  et  nunc  de  Vexercice  même  de  cet 
acte  particulier  par  lequel  nous  allons  vouloir  effectivement  ce 
bien  honnête,  alors  l'intelligence  laissée  à  elle-même  reste  dans 
l'indétermination.  Pourquoi?  C'est  qu'il  n'est  plus  ici  question  de 
considérer  ce  bien  partiel,  au  point  de  vue  de  la  spécification, 
dans  son  rapport  avec  les  principes  de  la  droite  raison,  ou  dans 
son  rappoit  avec  les  habitudes  qui  sont  comme  h  la  surface  de 
notre  volonté;  mais,  puisqu'il  s'agit  ù.' exercice,  il  faut  considérer 
ce  bien  partiel  dans  son  r^apport  avec  la  volonté  même  et  dans 
ce  qu'elle  a  de  foncier  puisqu'elle  doit  s'engager  tout  entière  dans 
l'acte  à  émettre.  Or  le  bien  honnête  en  question,  n'étant  pas 
exempt  de  tout  mélange  de  mal  ou  de  peine,  reste  inadéquat  à 
la  capacité  de  la  volonté,  et  aussi  bien  inadéquat  que  le  serait 
le  bien  délectable;  cette  inadéquation  est  une  disproportion  in- 
finie et  en  un  sens  toujours  la  même;  differt  tantum  in  ratione 
finiti.  L'intelligence  ne  saurait  donc  avoir  une  raison  suffisante 
absolument  déterminante  lorsqu'il  s'agit  de  formuler  le  dernier 
jugement  pratique,  car  il  n'y  a  pas  de  raison  absolument  détermi- 
nante pemiettant  de  passer  de  l'Infini  à  telle  quantité  ou  qualité 
finie  plutôt  qu'à  telle  autre. 

«  liaison  suffisante  qui  ne  suffit  pas  »,  dirait  Pascal,  comme 
dans  la  question  de  la  grâce.  Ce  mot  où  il  voyait  une  critique  à 
l'adresse  des  thomistes  est  à  sa  façon  un  trait  de  lumière.  Partout 
où  il  y  ,1  des  causes  ad  invicem,  n'avons-nous  pas  ce  même  fait 
de  causes  suffisantes  dans  leur  ordre,  mais  n'aboutissant  pas 
par  elles-mêmes?  A  plus  forte  raison  lorsqu'il  s'agit  de  passer 
de  l'Infini  au  fini.  La  question  de  la  suffisance  de  la  grâce  doit 
se  solutionner  par  les  mêmes  principes  que  celle  de  la  suffisance 
du  motif  (1) 

1.  Cf.  Tean  de  s.  Thomas  In  /■""  p.  bnmm.  Theol.,  q.  19,  disp.  5,  a.  6, 
§  61...  «  Solvuntuf  argumenta  ex  defectu  auxilii.  »  —  La  grâce  actuelle  suffisante 
est  une  grâce  transitoire,  prévenante  et  excitante,  qnî  produit  en  nous  des 
mou\-emenls  indéîibérés  de  la  volonté,  pieuses  émotions,  bonnes  aspirations, 
qui  inclinent  à  l'élection.  Elle  nous  dispose  ainsi  immédiatement  à  poser 
l'acte  délibéré,  salutaire,'  sans  pourtant  nous  le  faire  produire  effectivement 
Comme  le  motif,  elh  donn«  le  pouvoir,  non  l'agir.  Aussi  certains  thomis- 
tes (Cf.  BiLLUART,  III,  p.  395)  concèdent-ils  que  l'expression  «  grâce  suffi- 
sante »  prête  à  la  critique  au  point  de  vue  grammatical,  car  cette  grâce  n'est 
Bas  absolument  suffisante  si  l'on  entend  suffisante  pour  agir  effectivement, 
'autres    remarquent    plus    justement    qu'elle    est    suffisante   "dans    son    ordre; 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAINT  THOMAS  25 

Cette  réponse  à  Tobjection  déterministe  est  prise,  on  le  voit, 
du  principe  même  de  notre  théorie  : 

Spécifiée  par  le  bien  universel,  la  volonté  ne  saurait  être  in- 
vinciblement attirée  par  aucun  bien  mélangé  de  non-bien,  tant 
qu'il  est  présenté  comme  tel.  Elle  est  si  l'on  peut  dire  d'une  profon- 
deur infinie,  abîme  que  seul  le  Bien  absolu  peut  combler,  puis- 
sance d'aimer  que  seuls  les  attraits  de  Dieu  vu  facel  à  face  peuvent 
émouvoir  jusqu'en  sa  racine  et  invinciblement  captiver,  elle  ne 
peut  s^^  porter  de  toute  son  inclination  et  de  tout  son  poids  que 
vers  l'objet  qui  apparaît  en  toute  évidence  comme  la  plénitude 
de  tout  bien.  En  dehors  de  l'essence  divine  intuitivement  connue, 
aucune  raison  suffisante  ne  détermine  infailliblement  l'exercice 
même  du  vouloir;  le  jugement  qui  règle  cet  exercice  reste  indif- 
férent en  ce  sens  que  l'attrait  d'un  bien  fini,  honnête,  utile  ou 
délectable^  sollicite  la  volonté  sans  pouvoir  l'atteindre  en  son 
fond.  Il  appartient  à  la  volonté  d'aller  aie  devant  de  cet  attrait 
qui  est  incapable  de  venir  tout  à  fait  jusqu'à  elle;  cest  par  là 

ainsi  disons-nous  :  le  pain  suffit  pour  se  nourrir,  mais  encore  faut-il  le 
digérer;  l'intelligence  suffit  pour  apprendre  à  se  conduire  dans  la  vie,  mais 
encore  faut-il  l'appliquer,  l'exercer;  la  passion  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
suffit  à  sauver  tous  les  hommes,  mais  encore  faut-il  qu'ils  adhèrent  au 
Christ.  —  Et  de  même  que  l'homme  peut  ne  pas  se  rendre  au  motif  suffisant, 
il  peut  aussi  résister  à  la  grâce  suffisante,  et  se  priver  ainsi  de  la  grâce  effi- 
cace qui  lui  aurait  été  donnée  sans  cette  résistance,  et  qui  lui  était  pour 
ainsi  dire  offerte  dans  la  grâce  suffisante.  Toute  la  difficulté  consiste  alors 
à  expliquer  la  responsabilité  du  pécheur  dans  cette  résistance  à  la  grâce. 
On  ne  peut  le  faire  qu'en  ayant  recours  aux  principes  qui  nous  ont  permis 
de  concilier  l'intellectualisme  et  la  liberté.  Cette  résistance  à  la  grâce  suffi- 
sante provient  de  notre  propre  défectibilité  et  non  pas  de  Dieu,  elle  est 
essentiellement  une  défaillance  et  comme  telle  n'exige  qu'une  cause  dé- 
ficiente, perdiNo  tua  ex  te  Israël.  Elle  ne  se  produirait  pas  sans  doute^  si 
Dieu  n'avait  pas  permis  le  péché,  et  s'il  avait  donné  au  pécheur  la  grâce 
efficace;  mais  dans  l'ordre  de  causalité  matérielle,  cette  résistance  précède 
le  refus  que  Dieu  nous  fait  de  sa  grâce  efficace;  causae  ad  invicem_  sunt 
causae  in  diverso  génère;  c'est,  à  l'envers,  le  même  problème  que  celui  étudié 
par  saint  Thomas  à  propos  de  la  justification  I^  Il^e,  113,  8.  Utrum  gratiae 
infusio  sit  prima  ordiiie  naturae  inter  ea,  quae  requinmfur  ad  justificationem 
impii.  Comme  la  justification  est  avant  tout  une  œuvre  de  Dieu  en  nous, 
il  est  vrai  de  dire  que  simpliciter  l'infusion  de  la  grâce  précède  la  contrition 
et  la  rémission  du  péché,  et  que  c'est  Dieu  qui  nous  convertit  et  qui  nous 
sauve;  tandis  que  le  péché  étant  dans  ce  qu'il  a  de  formel,  l'œuvre  de  la 
créature  déficiente,  il  est  vrai  de  dire  que  simpliciter  notre  résistance  précède 
le  refus  que  Dieu  nous  fait  de  sa  grâce  efficace  ;  ce  n'est  donc  pas  Lui^  qui 
nous  abandonne  le  premier,  et  c'est  bien  le  péclieur  qui  se  perd  lui-même. 
—  Quant  à  la  motion  divine  requise  pour  l'acte  même  du  péché,  elle  ne 
sauvegarde  la  liberté  et  la  responsabilité  du  pécheur  que  parce  qu'elle  implique 
une  motion  adéquate  au  bien  universel  et  une  motion  inadéquate  à  tel  bien 
particulier  (rapport  du  fini  et  de  l'infini);  la  motion  adéquate  est  celle  qui 
constitue  le  mode  libre  de  l'acte,  elle  nous  porte  confusément  vers  tout  le 
le  bien  hiérarchisé,  y  compris  la  grâce  efficace  offerte,  de  sorte  que  ce 
n'est  qu'après  Uii  refus  de  notre  part  que  la  motion  inadéquate  incline  et 
restreint  notre  volonté  à  tel  bien  apparent  contraire  à  la  loi  de  Dieu.  — 
Toujours  les  mêmes  principes  de  solution  :  1°  causae  ad  invicem  sunt  causae 
in  diverso  génère;  2o  l'acte  libre  tire  son  indétermination  du  rapport  du  fini 
à  l'infini   qu'il  implique  essentiellenaent. 


26  PEVUE   DES   SCIENXES    PIIII.OSOPIIIOUES   ET    THÉOLOGIOUES 

qu'elle  détermine  le  jugement  qui  doit  la  déterminer  elle-même, 
causae  ad  invicem  sunt  causae.  Pour  la  même  raison,  elle  maintient 
l'intelligence  dans  la  considération  qui  lui  plaît,  suspend  l'en- 
quête intellectuelle  ou  la  laisse  se  poursuivre;  c'est  d'elle  qu'il 
dépend  en  dernière  analyse  que  tel  jugement  soit  le  dernier.  — 
L'acte  libre  est  une  réponse  gratuite,  partie  des  profondeurs  infi- 
nies de  la  volonté,  à  la  sollicitation  impuissante  d'un  hien  fini. 

N'est-ce  pas  ce  qui  a  fait  dire  à  Descartes  :  «  la  volonté  est 
infinie....  il  n'y  a  que  la  volonté  seule  ou  la  seule  liberté  du  franc- 
arbitre  que  j'expérimente  être  si  grande  que  je  ne  conçois  point 
l'idée  d'une  autre  plus  ample  et  plus  étendue,  en  sorte  que  c'est 
elle  principalement  qui  me  fait  connaître  que  je  porte  l'image 
et  la  ressemblance  de  Dieu  ».  (4^  Médit.)  —  De  notre  point  de 
vue,  un  intellectualiste  peut  dire  avec  J.  Lequier  :  «  Qui  ne  s'est 
senti  avec  un  plaisir  mêlé  d'épouvante,  exercer  en  soi,  sur  soi, 
son  pouvoir  créateur  et  former  sa  personne.  Quel  hommei  a  entre- 
n\  sans  vertige  la  grandeur,  la  majesté,  la  divinité  de  l'homme, 
quand  l'idée  réelle  de  la  liberté,  explosion  de  la  conscience,  lui 
découvrait  tout  à  coup  le  fond  de  son  être.  Un  éclair  qui  montre 
un   abîme!  »   {Recherche   d'une  vérité  première,   frag.   p.   85). 

Nous  reconnaissons  par  là  la  part  de  vérité  qui  se  cache  dans 
la  philosophie  de  la  liberté.  Nous  admettons  en  un  sens  des  ini- 
tiatives du  vouloir,  nous  affirmons  que  dans  l'ordre  des  causes 
secondes  la  volonté  est  source  d'action  et  non  pas  seulement  un 
intermédiaire  qui  transmet  ce  qu'elle  a  reçu,  nous  accordons  en 
un  sens  ce  que  voulait  Lequier  :  par  la  liberté  «  non  pas  devenir  ; 
mais  faire  et  en  faisant  se  faire  »;  faire,  c'est-à-dire  introduire 
dans  le  monde  une  série  de  faits  qui  ne  résultent  pas  nécessaire- 
ment des  antécédents  posés;  et  en  faisant  se  faire,  c'est-à-dire 
faire  sa  personnalité,  son  caractère.  Tel  est  le  rôle  que  peut  jousr 
celui  qui  axe  se  contente  pas  de  connaître,  mais  qui  en  même 
temps  sait  vouloir. 

Nous  revenons  ainsi  au  fondement  de  notre  thèse  :  le  principe 
radical  de  la  liberté  est  l'intelligence  en  tant  qu'elle  connaît  la 
pure  raison  du  bien;  le  principe  prochain  est  l'amplitude  infinie 
de  la  volonté  spécifiée  par  le  bien  universel.  Le  principe  radical 
de  l'élection  ou  acte  libre  est  l'indifférence  du  jugement,  le  prin- 
cipe prochain  est  l'indifférence  dominatrice  de  la  volonté  à  l'égard 
de  tout  bien  qui  lui  est  présenté  comme  mélangé  de  non-bien. 

*  « 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTE  CHEZ  SAIXT  THO:\rAS  2/ 

Mai;;  il  reste  une  dernière  difficulté.  Avouer,  au  sens  où  nous 
rentendons,  une  raison  suffisante  qui  ne  suffit  pas,  n'est-ce  pas 
avouer  une  contradiction?  Le  principe  de  raison  suffisante  n'est-il 
pas  solidaire  du  principe  d'identité  et  comme  lui  sans  exception 
ou  restrictior  possible? 

Remarquons  d'abord  que  si  notre  théorie  apportait  une  restric- 
tion au  principe  de  raison  suffisante,  cette  restriction  ne  serait  pas 
imposée  par  la  nécessité  de  sauvegarder  la  morale,  mais  par  la 
disproportion  du  fini  et  de  l'iniini,  du  particulier  et  de  l'uni- 
versel. 

Au  reste  cette  restriction  n'est  qu'apparente.  Bien  plus,  elle 
n'est  cfu'une  conséquence  de  l'apparente  restriction  apportée  au 
principe  d'identité  lorsque,  avec  Platon  et  Aristote,  on  affirme  que 
le  non-être  est;  le  non-être,  c'est-à-dire  la  puissance,  l'être  indé- 
terminé, milieu  entre  l'acte  et  le  pur  néant.  Si  l'on  peut  parler, 
au  sens  où  nous  l'entendons,  d'une  raison  suffisante  qui  ne  suffit 
pas,  c'est  qu'on  a  pu  précédemment  affirmer  que  le  iion-ptre  est. 

Cette  réalité  du  non-être  ou  de  la  puissance  s'est  imposée  on 
effet  à.  Platon  et  à  Aristote  lorsqu'ils  se  sont  efforcés  de  rendre 
intelligible  en  fonction  de  l'être  l'opposition  de  l'un  et  du  mul- 
tiple, du  parfait  et  de  l'imparfait,  du  pur  et  du  mêlé,  de  l'uni- 
versel et  du  particulier,  de  l'infini  de  perfection  et  du  fini,  c'est- 
à-dire  l'opposition  des  termes  entre  lesquels  précisément  se  place, 
selon  nous,  la  liberté  ou  la  raison  suffisante  qui  ne  suffit  pas. 

Platon  dans  le  Sophiste  établit  l'existence  du  non-être  pour 
expliquer  la  multiplicité  des  êtres  qui  tous  sont  de  l'être  et  qui 
par  conséquent  diffèrent  les  uns  des  autres  par  autre  chose  que 
par  l'être.  La  multiplicité  qui  est  donnée  en  fait  l'oblige  à  «  por- 
ter la  main  sur  la  formule  de  Parménide  et  à  affirmer  que  le 
non-être  est  »  milieu  entre  l'être  et  le  pur  néant,  limite  de  l'être  (1). 
—  Par  l'opposition  de  l'être  pur  et  du  mélange  d'être  et  de  non-être 
s'explique  aussi  l'opposition  du  parfait  et  de  l'imparfait,  de  l'uni- 
versel et  du  particulier,  —  Aristote  précise  ce  concept  par  son 
analyse  du  devenir;  le  non-être  relatif  devient  la  puissance  qui 
seule  permet  de  rendre  le  devenir  intelligible  en  fonction  de 
l'être  :  Ex  ente  non  fit  eus,  quia  jam  est  ens;  ex  nihilo  nihil 
fit;  et  tamen  fit  ens;  ex  quo  fit?  ex  quodam  medio  inter  Uihilum 
et  ens,  et  hoc  médium  vocamus  potentiam  (2),  —  Désormais  la 

1.  Le  Sophiste,  241 D,  257  A,  259  E.  Cf.  Brochard.  De  l'Erreur,  2e  éd., 
p.  15-27 

2.  I  PTiyi.,  c.  8.  S.  Thomas,  leç.  XIV. 


28  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

matière  est  conçtie  comme  une  puissance,  qui  est  à  la  fois  sujet 
du  devenir  substantiel,  et  principe  d'individuation  :  une  multi- 
plicité d'individus  de  même  espèce  ne  s'expliqne  cjne  si  l'on 
admet  la  puissance  (matière)  comme  limite  de  l'acte  qui  leur  est 
commun  (la  forme).  Plus  tard  on  dira-  :  la  multiplicité  des  êtres 
en  généra]  ne  s 'explique  que  si  l'on  admet  la  puissance  (essence) 
comme  limite  de  l'acte  qui  leur  est  commun  (existence).  —  Le 
concept  de  puissance  est  le  concept  fondamental  de  l'aristotélisme, 
il  est  à  1?.  base  de  la  théorie  des  quatre  causes,  (d'où  dérive  celle 
de  l'union  de  l'âme  au  corps)  de  la  théorie  des  facultés  (1),  de  la 
théorie  de  la  connaissance  (intellectus  est  potentia  passiva  quae 
potest  omnia  fieri;  l'intelligence  est  de  nature  intentionnelle,  es- 
sentiellement relative  à  l'être).  C'est  encore  sur  ce  concept  que 
repose  le  fondement  de  la  morale;  le  principe  de  finalité  trouvée 
en  effet  sa  plus  haute  formule  dans  la  définition  même  de  la  puis- 
sance :  potentia  dicitur  ad  actum.  S'il  y  a  en  nous  une  puissance 
ordonnée  au  bien  rationnel,  qui  est  bien  en  soi  ou  bien  honnête, 
non  seulement  il  convient  que  cette  puissance  tende  vers  ce  bien 
(optatif),  mais  elle  doit  y  tendre  (obligation);  c'est  là  toute  sa 
raison  d'être. 

Ce  milieu  entre  l'être  et  le  pur  néant  s'impose  donc  absolument 
pour  rendre  intelligibles  en  fonction  de  l'être  la  multiplicité  et 
le  devenir  qui  sont  comme  une  quasi-violation  du  principe  d'iden- 
tité. Ce  monde  multiple  et  changeant  d'une  certaine  façon  ji'est 
pas,  disait  Platon,  c'est  pourquoi  il  ne  saurait  exister  par  soi  ; 
le  principe  d'identité  et  ses  dérivés  nous  obligent  à  le  rattacher 
à  rEtr<.^  pur  ou  à  «  la  partie  la  plus  brillante  de  l'être  »,  au 
Bien  pur  sans  mélange  de  non-bien.  En  ce  dernier  seul  se  vérifie 
rigoureusement  la  formule  de  Parménide  «  l'Etre  est  ».  Dieu  lui- 
même  se  révélant  aux  hommes  a  dit  :  Ego  siim  qui  sum. 

Nécessaire  pour  rendre  intelligible  la  multiplicité  et  le  deve- 
nir, ce  milieu  entre  l'être  et  le  pur  néant  impose  une  Jimite  à 
l'intellectualisme.  La  puissance  n'est  pas  positivement  intelligible 
en  elle-même,  mais  seulement  dans  son  rapport  avec  l'acte, 
«  Unumquodque  cognoscibile  est,  secundum  quod  est  in  actu  » 
(L.  12.  1.)  Ijn  composé  de  puissance  et  acte  (matière  et  forme; 
essence  et  existence)  ne  saurait  être  positivement  intelligible  en 
tout  ce  qu'il  est.  Socrate,  Platon  et  Aristote  tenaient  que  l'indi- 


1.  Loin  d'être  artificielle  et  toute  verbale  comme  le  disent  les  nominaliste^ 
cette  théorie  des  facultés,  supposée  par  notre  thèse,  est  la  seule  qui  rende 
l'activité  psychologique  intelligible  en  fonction  de  l'être. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAINT  THOMAS  29 

vichi  est  ineffable,  qu'il  n'y  a  de  science  que  de  l'universel;  c'est 
que  le  principe  d'individuation  est  la  matière,  c'est-à-dire  l'indé- 
terminé. Partout  où  il  y  aura  puissance,  c'est-à-dire  dans  tout 
créé,  mélange  d'être  et  de  non-être,  de  bien  et  de  non-bien,  il  y 
aura  indétermination;  c'est-à-dire  absence  relative  d'intelligibi- 
lité. 

Aussi  ne  devons-nous  pas  nous  étonner  si  la  détermination  du 
libre-arbitre  qui  se  pose  précisément  entre  l'universel  et  le  par- 
ticulier, entre  l'un  et  le  multiple,  entre  le  bien  pur  et  le  bien 
mélangé,  n'est  pas  positivement  intelligible  en  tout  ce  qu'elle  est. 
Comment  y  aurait-il  une  raison  suffisante  infailliblement  détermi- 
nante pour  émettre  l'acte  libre,  pour  passer  de  l'universel  à  tel 
particulier  plutôt  qu'à  tel  autre,  de  l'infini  à  telle  quantité  ou 
qualité  fini(i  plutôt  qu'à  telle  autre?  A  l'indétermination  dans 
l'effet  possible  doit  répondre  une  indétermination  dans  la  cause 
qui  le  produit  :  aucun  non-être  n'a  droit  à  l'être,  parce  que  non- 
être,  bien  qu'il  puisse  être.  Si  donc  il  est,  c'est  grâce  à  l'ineffable 
et  plus  que  mystérieuse  liberté,  analogue  dans  l'ordre  de  l'action 
à  ce  qu'est  Yessence  et  la  matière  dans  l'ordre  de  la  passivité. 
De  même  que  l'essence  finie  qui  limite  l'existence  est  un  non- 
être  qui  est,  de  même  que  la  matière  qui  limite  la  forme  est  aussi 
un  non-être  qui  est,  de  même  le  motif  de  la  liberté  est  iune  raison 
suffisante  qui  ne  suffit  pas.  C'est  le  mystère  inéluctable  des  rap- 
ports du  droit  et  du  fait.  ^ 

Plus  que  mystérieuse,  la  liberté,  car  d'elle  aussi  on  peut  dire 
ce  que  saint  Thomas  dit  de  la  matière  première  :  Dieu  lui-même 
ne  peut  connaître  la  matière  en  elle-même,  indépendamment  des 
composés,  «  nam  materia  secundum  se  neque  esse  habet,  nequ3 
cognoscibilis  est»  (I  15,  3,  ad  3.)  —  La  supercompréhension  des 
causes  invoquée  par  Molina  ne  pourrait  jamais  permettre  à  Dieu 
de  prévoir  avec  certitude  comment  dans  telles  circonstances  pré- 
cises se  décidera  telle  liberté  créée,  s'il  ne  décrétait  lui-même  d3 
la  prémouvoir  dans  tel  sens  plutôt  que  dans  tel  autre.  Il  y  a  là 
de  l'indéterminé  qui  n'est  pas  intelligible  même  pour  Dieu.  Vou- 
loir, comme  ]\Iolina  et  Suarez,  une  prescience  sans  décrets  libres 
prédéterminants,  c'est  fatalement  aboutir  au  détemiinisme  des 
circonstances;  seul  ici  Leibnitz  est  conséquent  avec  lui-même 
comme  il  le  fait  remarquer  aux  Molinistes  (Théod.  l,  §  48.) 

«  C'est  au  premier  abord  une  singulière  hardiesse,  a  écrit  M. 
Brochard,   que   d'admettre  l'existence  d'un  élément  irréductible 


30  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÊOLOGIQUES 

à  la  pensée  et,  comme  disent  les  Allemands,  illogique.  Cepen- 
dant cette  conception  présente  certains  avantages...  (elle  permet 
d'admettre)  le  libre-arbitre  qui  existe  au  moins  à  titre  d'apparenos 
et  auquel  l'intellectualisme  ne  peut  faire  aucune  place  (1).  » 

Cet  élément,  qu'on  l'appelle  comme  on  voudra,  n'est  autre  que 
le  iion-être  platonicien  ou  la  d-J^jy.aiq  aristotélicienne.  M.  Brochard 
lui-même  a  montré  à  plusieurs  reprises  que  l'existence  du  non- 
être  est  «  "une  des  idées  maîtresses  du  système  de  Platon.  (Seul 
le  non-être)  rend  possible  la  communication  ou  la  participation 
des  idée^  entre  elles,  par  suite  l'existence  du  monde,  la  possibilité 
du  jugement  affirmatif  et  celle  de  l'erreur  (2).  »  —  Cette  affirma- 
tion contient  aussi  implicitement,  selon  nous,  la  solution  du  pro- 
blème de  la  liberté.  Bien  loin  d'être  exclue  par  l'intellectualisme, 
la  liberté  est  fondée  par  lui;  tandis  que  l'empirisme  ne  fera  jamais 
place  qu'à  la  spontanéité  ou  au  hasard. 

Cette  solution  apparaîtra  d'une  façon  plus  nette  lorsque  nous 
poserons  le  problème  en  Dieu,  lorsque  nous  étudierons  la  souve- 
raine indépendance  de  VIpsum  esse  à  l'égard  de  tout  le  créé, 
la  liberté  de  l'acte  créateur,  du  choix  du  monde  et  du  choix  des 
élus.  Nous  comprendrons  mieux  que  tout  mélange  d'être  et  de 
non-être  si  parfait  soit-il  resie  à  rinfini  du  pur  être,  que  sa  réali- 
sation ne  pose  pas  une  perfection  de  plus;  qu'il  ne  peut  y  avoir 
de  raison  infailliblement  déterminante  qui  entraîne  la  réalisation 
de  tel  fini  plutôt  que  de  tel  autre,  tout  fini  restant  à  l'infini  de 
L'Infini.  ■ —  Vouloir  donner  une  explication  parfaitement  intelli- 
gible de  la  coexistence  du  fini  et  de  l'infini,  c'est,  nous  le  verrons, 
vouloir  nier  le  libre-arbitre. 

Mais  dès  maintenant  cette  solution  ne  paraît-elle  pas  s'im- 
poser à  tous  ceux  qui  admettent  avec  Platon,  Aristote  et  saint 
Thomas  la  priorité  de  l'être  sur  Vintelligence?  Secrétan  a  cru 
sauvegarder  la  liberté  en  niant  l'objectivité  des  premiers  principes. 
Bien  au  contraire,  la  liberté  n'a  de  place  dans  un  intellectualisme 
que  s'il  est  en  même  temps  T:;éaliste.  S'il  y  a  priorité  de  l'êtrei, 
conçu  comme  un  absolu,  sur  l'intelligence,  conçue  comme  rela- 
tive à  l'être,  il  n'est  pas  nécessaire  que  tout  dans  le  réel  soit 
positivement  intelligible,  que  le  passage  de  VIpsum  esse  au  créé, 
de  l'Infini  au  fini,  de  l'Un  au  multiple,  de  l'universel  au  particulier 


1.  Brochard.  De  l'Erreur,  2^  éd.,  p.  265. 

2.  Année  philosophique,  1906,  p.   17.  —  De  l'Erreur,  2e  éd.,  p.   15-27. 


INTELLECTUALISME  ET  LIBERTÉ  CHEZ  SAINT  THOMAS  31 

se  puisse  déduire  du  principe  de  raison.  L'intellectualisme  se 
limite  lui-même  en  se  posant  comme  un  réalisme,  et  en  distinguant 
dans  l'être,  auquel  il  reconnaît  une  priorité  sur  la  pensée,  un  élé- 
ment pleinement  intelligible,  l'acte,  et  un  autre  élément  foncière- 
ment obscur  pour  l'intelligence,  mais  nécessaire  pour  résoudre  les 
arguments  de  Parménide  et  expliquer  en  fonction  de  l'être  la  mal- 
tiplicitc  et  le  devenir. 

Leibnitz  rejette  cette  solution,  parce  que  au  fond,  comme  le 
remarque  M.  Boutroux,  «  Leibnitz  ne  fait  point,  comme  Platon, 
dépendre  l'intelligence  de  la  vérité.  ]\Iais  placé  au  point  de  vue 
modeine  de  la  glorification  de  la  personnalité,  il  vjit  dans  une 
intelligence  et  une  volonté  le  support  indispensable  de  la  vérité 
(Erdm.  562.  b.)  »  (1).  Par  là,  comme  par  sa  négation  de  la  matière 
et  de  la  puissance  qu'il  ramène  toujours  à  la  force,  Leibnitz  tend 
vers  l'idéalisme  absolu.  On  peut  se  demander  si  l'aboutissant 
normal  de  sa  philosophie  ne  serait  pas  l'intellectualisme  absolu 
de  Hegel  qui  ramène  Vêtre  à  la  pensée,  ce  qui  est  à  ce  qui  doit 
être,  le  fait  accompli  au  droit,  le  succès  à  la  moralité.  Or,  de 
ce  point  de  vue,  il  faut  affirmer  que  la  réalité  fondamentale  est 
devenir,  et  l'on  doit  nécessairement  exclure  le  principe  de  contra- 
diction de  la  raison  et  de  la  réalité,  pour  en  faire  une  loi  de  la 
logique  inférieure,  de  l'entendement,  qui  travaille  sur  des  abs- 
tractions. Faire  du  devenir  la  réalité  fondamentale,  c'est  nier  le 
principe  d'identité  comme  loi  fondamentale  du  réel  ou  ce  qui 
revient  au  même  c'est  affirmer  que  la  nature  intime  des  choses  est 
une  contradiction  réalisée.  Nier  l'Acte  pur  ou  le  Bien  pur  qui  est 
à  l'être  comme  A  est  A,  c'est  mettre  l'absurdité  à  la  racine  de 
tout.  Sur  ce  point  les  libertistes  absolus  comme  M3il.  Bergson  et 
Le  Pto>-  rejoignent  rintellectualisme  absolu  de  Hegel  (2j. 


1,  Boutroux.  La  Monadnlogie.  Notice,  p.  84.  —  Ollé-Laprune  dit  de 
même  :  La  thèse  rationaliste  se  présente  à  nous  sous  cing  aspects  :  «  l'être 
se  ramène  à  la  pensée,  le  vouloir  se  ramène  à  la  pensée;  la  raison  ne  sup- 
pose T.ea  d'autre  où  elle  se  fonde;  la  foi  naturelle  ou  surnaturelle  se  réduit 
à  la  raiïon;  la  raison  exerce  un  contrôle  suprême  sur  toute  connaissance  ». 
Cf.  La  Baison  et  le  Rationalisme,  cité  dans  les  Annales  de  Fhilos.  chrétienne, 
1907,    Avril,    p.    21. 

2.  Voir  dans  cette  Revue,  année  1907,  p.  738;  et  Revue  Thomiste,  nov.  1907. 
«  Le  Panthéisme  de  la  Philosophie  nouvelle  et  la  preuve  de  la  tra,nscendanco 
divine  »  —  On  relève  une  contradiction  semblahle  chez  Ch.  Secrétan.  Il 
écrit  :  «  Une  liberté  sans  intelligence  est  impossible;  elle  se  confondrait  avec 
le  hasard,  gui  n'est  pas  une  loraie  de  la  causalité,  mais  sa  négation  :  or 
c'est  bien  l'idée  de  la  liberté  gue  nous  avons  obtenue.  Une  puissance  gui 
déterminerait  elle-même  sans  conscience  la  loi  suivant  laquelle  elle  se  réa- 
lise! Il  n'y  a  là  que  des  mots  contradictoires.  Non,  l'être  libre  est  intelligent; 
il  est  inutile  d'insister  sur  ce  point.  »  La  Philosophie  de  la  Liberté.  2e  éd. t.  I, 
XVIJe  leç.,  p.  403.  —  «  Mais  tout  au  contraire,  dit  à  ce  sujet  M.  Pillon,  il 
importe    beaucoup    d'y    insister  »,    car    il   faudrait    dire    si    l'intelligence    dans 


32  REVUE    DES   SCIE.N'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUE.S 

Saint  Thomas  échappe  au  déterminisme  psychologiqtie  tout  en 
maintenant  la  subordination  de  la  volonté  à  l'intelligence,  parce 
qu'il  affirme  plus  hautement  que  Leibnitz  la  dépendance  de  l'in- 
telligence à  l'égard  de  l'être.  —  Le  seul  milieu  possible  entre 
l'intellectualisme  absolu  de  Hegel  et  le  libertisme  absolu  de  Secré- 
tan  et  des  partisans  de  «  la  philosophie  nouvelle  »  n'est  pas  l'intel- 
lectualisme leibnitien,  c'est  cette  philosophie  du  concept,  réaliste 
an  premier  chef,  qui  a  été  préparée  par  Socrate,  développée  par 
Platon  et  systématisée  par  x^ristote;  philosophie  qu'on  pourrait 
appelCi.-  'philosophie  de  Vêtre  par  opposition  à  la  philosophie  du 
phénomène  ou  à  la  philosophie  du  devenir,  ou  encore  philosophie 
de  rident ilé  et  de  la  non-contradiction.  Les  théologiens  qui  affir- 
ment la  liberté  divine  et  hmuaine  au  nom  de  la  Révélation,  pré- 
tendert  rester  fidèles  aux  principes  du  véritable  intellectaalisma, 
qTii  n'est  autre  que  cette  philosophie  du  concept  et  de  l'être  :  A 
rintelligence  l'ordre  de  spécification  et  des  essences,  à  la  volonté 
l'ordre  d'exercice  ou  des  existences  et  des  individus.  —  Il  n'y  a 
aucune  antinomie  entre  l'intellectualisme  et  la  liberté,  si  rintellec- 
tualisme  est  en  même  temps  un  réalisme,  si  l'intelligence  con- 
sent à  se  laisser  mesurer  par  l'être  et  ne  prétend  pas  le  mesurer. 

(A  suivre.) 
Kain.  R.  Garrigou-Lagrange,  0.  P. 


l'Absolu  conditionne  la  liberté  comme  chez  nous,  ce  qui  serait  la  ruine  du 
système  de  Secrétan,  ou  si  c'est  l'inverse  et  si  «  la  liberté  absolue  se  confond 
avec  cette  contingence  radicale  dont  on  nous  dit  qu'elle  est  la  négation  de  la 
causalité.  Voilà  le  dilemme  qui  se  posait  et  qui  méritait  bien  quelque  atten- 
tion. Secrétan  passe  outre,  sans  faire  aucun  effort  pour  y  échapper.  »  Pillon. 
La  Philosophie  de  Ch.  Secrétan,  p.  33. 


La  Philosophie  et  la  Foi 
chez  les  disciples  d'Abélard 


L'influence  d'Abélard  se  manifeste  à  des  degrés  divers  dans 
les  œuvres  de  la  seconde  moitié  du  XII^  siècle  et  de  la  ;première 
moitié  du  Xllfc  siècle.  Plusieurs  historiens  de  valeur  l'ont  niée  (1); 
mais  ne  pouvant  méconnaître  le  changement  opéré  dans  la  mé- 
thode théologique  qui,  vers  le  milieu  du  XIL  siècle,  de  positive 
et  patristique  devint  spéculative,  ils  ont  daté  ce  mouvement  tan- 
tôt de  saint  Anselme  (2),  tantôt  do  Hugues  de  Saint-Victor  (3). 

Cependant,  dès  183G,  Victor  Cousin  (4)  et,  à  sa  suite,  Ré- 
musat  (5)  avaient  reconnu  l'importance  de  l'œuvre  d'i\.bélard  en 
qui  ils  avaient  salué,  sans  précisément  le  prouver,  le  fondateur 
de  la  méthode  scolastique.  Dans  ces  dernières  années,  les  travaux 
du  P.  Denifle  (6),  du  P.  Gietl  (7)  et  de  M.  Kaiser  (8)  ont  dé- 
montré, à  ne  plus  laisser  de  doute,  en  quelle  intime  dépendance 
vis-à-vis  d'Abélard  sont  les  «  Sommes  des  Sentences  »  du  Magister 
On  nebene,  de  Roland,  de  Hugues  de  Saint  \lctor,  de  Pierre  Lom- 
bard et  de  quelques  autres  Sommistes. 

■Mais  tandis  que  ces  théologiens  orthodoxes  empruntèrent  à  Abé- 
lard  la  méthode  surtout,  l'école  plus  hardie  de  Chartres  hérita 
plutôt  de  l'esprit  raisonneur  de  ce  dialecticien,  et  des  tendances 
panthéistes  de  Scot  Érigène. 


1.  V.ACAXDARD.  Ahclard.  8a  lutte  acec  S.   Bernard,  sa  doctrine,  sa  méthods, 
p.  462-463.   Paris,    1881.    —   Vie   da   S.   Bernard,   t.  II,   p.    179.   Paris,   1897. 
—  Deutsch.  Fêter  Ahdlard,  p.  427.  Leipzig,  1883. 

2.  Ragey.  Histoire  de  8.  Ansehu",  t.  I,  p.  116-117  et  283.  Paris,  s.  d. 

o.  Mignon.  Les  origines  de  la  Scolastique  et  Hugues  de  Saint-Victor,  t  I. 
p.  193.  Paris,  s.  d.  (1895).  —  J.  Kilgenstein.  Die  Gotteslehre  des  Huçjo  von 
Sankf-Victor.   Wûrzburg,    1897. 

4.  V.  Cousin.  Ouvrages  inédits  d'At)élard,   p.  200  i^iiitroduction).  Paris,  1836. 

5.  RÉMUSAT.  Ahélard,  I,  p.  273.  Paris,  1845. 

6.  H.  Denifle.  Archiv  fur  Litteratur-  und  Kirchengeschichte,  R.l.  I,  Berlin, 
1885. 

7.  GiF.TL.    Die    Sentenzen    Rolands...    Fribourg  /  Br.    1891. 

8.  Kaiser.  Abélard  critique. 

2^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  i.  3 


3i  REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 


L'ÉCOLE  DE  CHARTRES. 

L'École  de  Chartres  au  XII^  siècle  était  très  florissante.  On 
y  enseignait  toutes  les  branches  du  Trivium  et  du  Quadrivium, 
accordant,  comme  cela  était  de  tradition  depuis  Fulbert  et  Yves, 
beaucoup  d'importance  à  la  médecine  et  à  la  mathématique.  La 
philosophie  aussi  était  en  honneur.  ]\I.  l'abbé  Clerval,  dans  sa 
remarquable  étude  sur  Les  Écoles  de  Chartres  au  moyen  âge, 
établit  ^.diV  y Heptateuchon  de  Thierry  et  plusieurs  textes  de  Jean 
de  Salisbury  que,  dès  113G-1141,  on  enseignait  à  Chartres  tous 
les  livre?;  de  l'Organon  d'Aristote,  dont  Thierry  fut  probable- 
ment le  premier  vulgarisateur  (1). 

L'esprit  qui  règne  dans  ce  centre  d'études  est  sensiblement 
différent  de  celui  des  auteurs  de  sommes,  respectueux  de  l'au- 
torité patristique.  Chez  les  Chartrains,  les  tendances  inconsciem- 
ment rationalistes  et  même  panthéistes  sont  plus  accusées  que 
chez  Abélard,  pour  qui  les  maîtres  les  plus  célèbres  de  Chartres 
Bernard,  Thierry  et  Gilbert  de  la  Porée,  eurent  de  visibles  sympa- 
thies. Ces  philosophes  s'affranchirent  des  Pères.  «  Ils  bâtirent  leur 
»  système,  dit  JM.  l'abbé  Clerval,  en  dehors  de  l'autorité  tradi- 
»  tionnelle  avec  une  liberté  audacieuse  et  inconsciente;  ils  se 
»  préoccupèrent  seulement  de  ne  pas  La  contredire  ouvertement. 
»  Leur  point  de  départ  exclusif  leur  fut  fourni  par  les  philo- 
»  sophes  profanes  et  par  les  philosophes  chrétiens  qui  les  avaient 
»  copiés,  tels  que  Denys  le  pseudo-Aréopagite  et  Scot  Érigè- 
»  no  (2).  » 

D'ailleurs,  les  Chartrains  font  profession  d'Aristotélisme;  mais 
n'ayant  pas  encore  la  métaphysique,  ni  la  physique  du  Stagirite, 
ils  imaginent  de  remplacer  ces  ouvrages  par  ceux  de  Platon 
et  des  néo-platoniciens  (3). 

Aussi  bien,  l'influence  de  Platon  et  de  Scot  Érigène  explique- 
t-elle  historiquement  le  réalisme  outré  et  les  tendances  panthéistes 
de  l'Écoh-  de  Chartres. 

Pour  le  problème   qui   nous   intéresse   ici   plus    spécialement, 


1.  A.  Clerval.  Les  Écoles  de  Chartres  au  moyen  âge,  p.  245.  Paris,  189-5. 

2.  A.  Clerval.  Les  Écoles  de  Chartres,  p.  247. 

3.  Jean  de  Salisdury.  Mctalog.  II.  19,  P.  L.,  t.  190,  roi.  S77,  A.  <v  L't  Aris- 
totfles  planior  sit,  Platnnis  sentontiam  docent....  uiquiddin  omncs  Aristote- 
lem  proiitcntur  »  —  apud  Clerval,  op.  cit.,  p.  247. 


LA    PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LKS    DISCIPLES  D  ABELARD  ou 

celui  des  rapports  entre  la  science  et  la  foi,  nous  ne  trouvons  'pas 
beaucoup  de  renseignements  «  ex  professo  »  chez  les  tenants 
de  cettf!  École.  11  nous  faudra  déterminer  leur  position  en  la 
matière  par  leur  façon  de  traiter  de  Dieu  et  de  la  Trinité.  C'est 
précisément  à  ce  point  de  vue  que  nous  allons  considérer  briè- 
ventent  les  philosophes  les  plus  représentatifs  du  groupe  char- 
train,  à  savoir  :  Thierry  de  Chartres,  Gilbert  de  la  Porrée  et  Guil- 
laume de  Couches. 

Thierry  de  Chartres  (f  1150/1155).  —  Frère  puîné  de  Bernard 
de  Chartres,  Thierry  jouit  de  la  renommée  d'un  vigoureux  dia- 
lecticien. L'auteur  de  la  Metamorphosis  Goliae  le  cite  parmi  les 
maîtres  célèbres  de  Paris  en  1141  : 

Ubi  Doclor  ceruitur  ilie  Carnolensis 

Cujus  lingiia  velteineiis  Iruncat  veiut  ensis  (1), 

et  son  ancien  élève,  J.  de  Salis bury,  l'appelle  «  artium  studiosis^ 
simus  investigator  »  (2).  Ces  jugements  sont  confirmés  par  un 
historien  moderne  de  la  philosophie  médiévale  qui  considère 
Thierry  comme  la  personnification  de  l'intense  mouvement  scien- 
tifique des  écoles  de  Chartres,  au  milieu  du  XII^  siècle  (3), 

Les  principaux  ouvrages  de  Thierry  sont  un  traité  De  sex 
dierum  operihus  et  surtout  YHeptateucîwn,  un  vrai  traité  des 
sept  arts  libéraux,  d'où  l'on  voit  que  Thierry  connaît  fort  bien  la 
logique  d'Aristote  dont  il  enseigne,  probablement  le  premier  au 
moyen  âge,  l'Organon  tout  entier  (4). 

Pendant  son  séjour  à  Paris,  Thierry  subit  fortement,  semble-t-il, 
l'ascendant  du  vigoureux  dialecticien  qu'était  Abélard.  Il  le  défen- 
dit au  Concile  de  Soissons  (5)  ;  mais  peu  après  il  se  jeta  avec  fou- 
gue dans  le  camp  ultra-réaliste  (6). 

Quant  au  problème  des  rapports  mutuels  entre  la  science  et  la 
foi,  Thierry  ne  paraît  pas  s'en  préoccuper  spécialement.  On  ne  peut 
connaître  sa  manière  d'envisager  cette  question  qu'en  considérant 
de  plus  près  ce  qu'il  dit  de  Dieu  et  de  la  Trinité. 

Selon  ce  philosophe,  quatre  genres  de  raisonnements  nous  con- 


1.  Apud   Clerval,   op.   cit.,  p.    171. 

2.  J.  DE  Salisbury.  Metalog.,  I,  5.  P.  L.,  t.  199,  col.  214. 
.3.  Dl  Wulf.  Hist.  de  la  philosophie  médiévale,  p.  19G. 

4.  Ci.ERVAL,  op.  cif.,  p.  246. 

5.  P.  L.  t.   178.    Hist.   cahiiiiif.,    ch.    IX,   col.    l-lÛ-151. 
G.  Ci.ERVAi,  op.  cit.,  i'.  254. 


36  RLVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

duiseiit  à  la  connaissance  du  Dien  créateur;  ce  sont  les  preuves 
fondées  sur  l'arithmétique,  la  musique,  la  géométrie  et  l'astro- 
nomie. En  théologie,  il  faut  se  servir  de  ces  arguments,  qui, 
faisant  apparaître  l'habileté  du  Créateur,  montrent  que  notre  ensei- 
gnement est  raisonnable  (1). 

Ces  paroles  sont  claires.  Elles  témoignent  des  intentions  apolo- 
gétiques de  ce  philosophe  qui,  à  l'exemple  d'Abélard,  veut  faire 
taire  par  la  raison  les  objections  des  incrédules.  Il  essaiera  de 
démontrer,  sans  le  secours  de  l'Écriture,  l'existence  d'un  Dieu 
unique. 

C'est  à  ce  sujet  que,  dans  une  page  toute  néo-platonicienne,  il 
lui  arrive  d'écrire  que  l'unité  ou  la  divinité  est  la  forme  d'être 
(forma  essendi)  pour  toutes  choses  :  «  Unde  vere  dicitur  :  omne 
quod  est,  ideo  est,  quia  unum  est.  » 

Au  premier  abord,  ces  propositions  ont  pu  être  interprétées 
à  la  manière  panthéistique,  mais  elles  perdent  de  leurs  allures 
hétérodoxes  si  l'on  s'attache  au  contexte  et  à  l'avertissement 
de  Thierry  de  ne  point  entendre  par  forma  essendi  un  principe 
constitutii  dans  l'ordre  essentiel  (comme  la  forme  substantielle 
chez  saint  Thomas),  mais  un  principe  (ï existence.  La  forma  essendi 
ainsi  comprise,  la  proposition  suivante  de  Thierry  :  «  Praesentia 
»  dii'initatis  singulis  creaturis  totiim  et  unicum  esse  existit,  ut 
»  eiiani  ipsa  materia  ex  praesentia  divinitatis  haheat  existera  »  (2), 

•  1.  B.  Hauréau.  Notices  et  Extraits  de  quelq.  ms.  latins  de  la  Bihl.  nat.  t.  I, 
p.  63.  Paris,  1890.  «  Adsint  igiLur  quatuor  gênera  ratioiium  quae  ducunt  homi- 
nem  ad  cognitionem  creatoris,  scilicet  anthmeticae  probationes  et  musicae 
et  geometricae  et  astronomicae,  quibus  instrumeutis  in  bac  theo'.ogia  ut  bre- 
viter  utendum  est,  ut  et  artificium  creatoris  in  rébus  appareat  et  quod  propo- 
suimus  rationabiliter  ostendatur.  » 

2.  En  raison  de  son  importance,  nous  reproduisons  ce  texte  presque  sans  sup- 
pression, en  adoptant  la  correction  proposée  par  M.  C.  Baeumker  {Ârchiv  fiir 
Geschichte  der  Philosophie,  Ed.  X  (lo97),  p.  137).  «  Omne  quod  est  idco  est  quia 
ununi  est  »  au  lieu  de  «  in  deo  est  ».  Le  texte  cité  sa  trouve  dans  B.  Hauréau. 
Notices  et  Extraits,  t.  I,  p.  63.  «  Omneni  alteralitatem  unitas  praecedit,  quoniam 
imitas  praece  lit  binarium,  quod  est  principium  omnis  alteralitatis;  alterum  enim 
seniper  de  dunbus  dicitur.  Omnem  igitur  mufabilitatem  praecedit  unitas; 
siquidem  omnis  mutabilitas  substantiam  ex  binario  sortitur.....  sed  muta- 
bilitati  omnis  creatura  subjecta  est,  et  quidquid  est  vel  aeternum  est  vel 
creatura.  Cum  igitur  unitas  omnem  creaturam  praecedit  aeternam  esse  necesse 
est.  Et  aeternum  nihil  est  aliud  quam  divinitas  :  unitas  igitur  ipsa  dinnitas 
est.  At  divinitas  singulis  rébus  forma  essendi.  est,  nam  sicut  aliquid  ex 
luce  lucidum  est,  vel  ex  calore  calidum  ita  singulae  res  esse  suum  ex 
divinitate  sortiuntur.  Unde  Deus  totus  et  essentialiter  ubique  esse  vere  per- 
hibetur.  Unitas  igitur  singulis  rébus  formam  essendi  est.  IJnde  vere  dicitur  : 
omne  quod  est  ideo  est  quia  unum  est.  Sed  cum  dicimus  singulis  rébus 
divinitatem  esse  formam  essendi,  non  hoc  dicimus  quod  divinitas  sit  aliqua 
lorma  quae  in  materia  habeat  consistere,  cujusmodi  est  triangulatio  vel  qua- 
drangulatio  vel  aliquid  consimile  :  sed  hoc  idcirco  dicimus  quoniam  praesentia 
di\initatis  singuhs  creaturis  totum  et  unicum  esse  existit,  ut  etiam  ipsa 
materia  ex  praesentia  divinitatis  habeat  existere,  non  ipsa  divinitas  aut  ex 
ipsa  aut  in  ipsa.  » 


LA   PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES    DISCIPLES  D'ABÉLARD  37 

reviendrait  à  dire  cfue  la  présence  de  la  divinité  donne  à  toutes 
choses  et  à  la  matière  elle-même  d'exister,  ou  en  d'autres  termes, 
que  Dieu,  présent  à  toutes  choses,  leur  donne  et  leur  conserve 
l'existence  (1). 

Ailleurs  Thierry  déclare  que  Dieu  est  la  cause  efficiente  du 
monde,  que  sa  Sagesse  en  est  la  cause  formelle,  sa  Bonté,  la  cause 
finale,  et  les  quatre  éléments,  qu'an  commencement  Bien  créa 
de  rien,  en  sont  la  cause  matérielle  (2).  Cela  paraît  indiquer  qu'il 
n'est  pas  panthéiste,  ou  du  moins  qu'il  l'est  avec  la  même  incon- 
séquence que  Scot  Érigène  chez  lequel  on  trouve  une  semblable 
doctrine. 

Dans  toutes  ces  argumentations,  effleurées  seulement  dans  notre 
travail  restreint,  Thierry  fait  montre  d'un  esprit  vigoureux  et 
spéculatii  au  premier  chef.  Aussi,  nous  ne  sommes  pas  étonnés 
de  le  voir  appliquer  ses  prohafiones  arithmeticae  à  l'incompréhen- 
sible mystère  de  la  Trinité.  «  L'unité,  dit-il,  ne  peut  engendrer 
que  l'égalité  qui  précède  naturellement  tout  nombre.  Mais  ce  qui 
précède  naturellement  tout  nombre  est  éternel.  L'unité  est  donc 
-éternelle.  Or,  deux  choses  éternelles  étant  impossibles,  l'unité  et 
l'égalité  sont  une  seule  chose.  La  substance  éternelle  est  dite  : 
personne  du  Père,  en  tant  qu'elle  est  l'unité,  et  personne  du  Fils 
en  tant  qu'elle  est  l'égalité.  Le  mode  ou  l'égalité  de  l'unité,  les  an- 
ciens philosophes  l'ont  appelé  tantôt  l'esprit  divin  {mentem  divi- 
nitatis)  tantôt  la  providence  et  la  sagesse  du  Créateur.  Ils  avaient 
raison;  car.  la  divinité  étant  l'unité  même,  celle-ci  est  l'existence 
unique  de  toutes  choses  (3).  » 


1.  Cf.   S.   Thomas.  Sum.  Theol.  ^,  Q.  VIII,  art.  I. 

2.  Hauréau.  Notices  et  Extraits,  t.  I,  p.  52.  «  Mimdanae  ii^itur  subsis- 
tentiae  causae  sunt  quatuor  :  efficiens,  ut  Deus;  formalis  ut  Dei  sapientia, 
finalis  lit  ejusdem  benignitas  :  materialis,  quatuor  elementa...  Quia  A-ero  omnis 
ordinatio  iiiordinatis  adhibetur  oportuit  aliquid  inordinatum  praecedere...  Si 
quis  igitur  subtiliter  consideret  muudi  fabricam,  efficientem  ejiis  causam  Deum 
esse  cognoscel,  formalem  vero  Dei  sapientiam,  finalem  ejusdem  benignitatem, 
materialem  vero  quatuor  elementa  qiiae  et  ipse  creafor  in  principio  de  nihilo 
crcavif.  » 

3.  Hauréau.  Notices  et  Extraits,  t.  I,  p.  65-66.  «  Unitas  igitur  per  se  et 
ex  sua  substantia  nihi!  aliud  gignere  potest  nisi  aequaiitatem.  Manifestum. 
eigo  ex  bis  quae  praedicta  sunt  quod  omnem  numerum  naturaliter  praecedit 
aequalitas 

Ât  id  quod  praecedit  omnem  num.erum,  ut  supra  diximus  aeternum  est; 
aequalitas  igitur  unitatis  et  ejus  ab  unitate  generatio  aeLerna  est.  At  duo 
aeterna  vel  plura  esse  non  possunt,  unitas  igitur  et  aequalitas  unitatis  unum 
sunt.  Quamvis  autem  unitas  et  ejus  aequalitas  penitus  sint  una  substantia, 
tamen,  quoniam  seipsum  nihi!  gignere  potest,  et  alia  proprietas  est  genitorem 
esse,  quae  proprietas  est  unitatis,  alia  vero  proprietas  est  genitum  esse,  quae 
est  proprietas  aequalitatis,  idcirco  ad  designandum  bas  proprietates,  quae 
sunt  unitatis  et  aequalitatis,  aeterna  identitate  divini  philosophi  vocabulum 
personae  apposuerunt,  ita  ut  ipsa  aeterna  substantia  dicatur  persona   genitoris, 


38  REVIT.    DES   SCIE^■CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Ces  théories,  non  seulement  côtoient  le  panthéisme,  mais  en- 
core elleo!  accusent  des  tendances  rationalistes,  d'ailleurs  incons- 
cientes, plus  prononcées  que  chez  Abélard.  Thierry,  en  effet,  ne 
se  sert  guère  de  l'argument  d'autorité  dont  il  ne  dit  mot,  lorsqu'il 
énimièro  les  quatre  sortes  d'arguments  à  employer  en  théologie. 
11  ne  professe  pas  non  plus,  comme  Abélard,  que  le  mystère  est 
incompréhensible;  et,  plus  que  ce  dernier,  il  s'efforce  de  dé- 
montrer la  Trinité,  qu'en  fait  il  supprime  par  ses  sul)tiles  spé- 
culations néo-platoniciennes. 

Sans  doute  Thierry,  en  chrétien  de  ])onne  foi  qu'il  fut,  se  serait 
défendu  d'être  rationaliste;  mais  son  ultra-réalisme  d'une  part, 
et  le  manque  de  distinction  entre  le  domaine  de  la  foi  st  celui 
de  la  raison,  d'autre  part,  le  poussent,  à  la  suite  de  Scot  Érigène, 
dans  une  voie  fatale  au  point  de  vue  de  l'orthodoxie,  et  lui 
font  subordonner  de  fait,  sinon  en  théorie,  la  foi  à  la  raison 
humaine. 

Gilbert  de  la  Porrée  (1070-1154).  —  Gilbert,  né  à  Poitiers  en 
1070  selon  les  uns  (1),  en  107G  selon  d'autres  (2),  fréqufenta 
d'abord  les  écoles  de  sa  ville  natale,  dirigées  par  Bernard  de 
Chartres,  un  platonicien.  Plus  tard  il  se  rendit  à  Paris  où  il  fut 
tour  à  toui  élève  de  Guillaume  de  Champeaux,  et  condisciple, 
puis  élève  d'Abélard.  Là  le  platonisme  qu'il  avait  puisé  dans  les 
leçons  de  ses  premiers  maîtres  fut  fortement  envahi  par  l'esprit 
aristotélicien  (3).  Après  avoir  terminé  ses  études  théologiques 
sous  Anselme  de  Laon,  Gilbert  enseigna  pendant  quelques  an- 
nées à  Chartres;  puis  nous  le  voyons,  vers  1140  à  Paris  (4)  où 
il  professa  la  dialectique  et  la  théologie.  Présent  au  Concile  de 
Sens,  en  1141,  où  devait  être  condamné  Abélard,  Gilbert  jeta  en 
passant    ce  vers  d'Horace  à  son  ancien  maître  et  ami  : 

«  A'am  tua  res  agitur,  paries  cum  proximus  ardel.  »  (o) 

secundum  hoc  quod  ipsa  est  imitas,  persona  vero  geniti  secimdum  quod  ipsa  est 

aequalitas.     .     ." 

.  .  .  .  .  Istum  autem  modum  sive  unitatis  aequalitatem  antiqui  philosophi 
tum  mentem  divinitatis  tuin  providentiam,  tum  creatoris  sapientiam  appellave- 
runt.  Piaeclare;  nam  cum  ipsa  diviiiitas  sit  ipsa  imitas,  ipsa  igitur  unitas  re- 
rum  omnium  esse   unicum  (>st.  » 

1.  Berthaud.  Gilbert  de  la  Porrée  et  sa  Thilosophic,  p.  24.  Poitiers, 
1892. 

2.  De  Wulf.  Hist.  de  la  Philosoph.  médiévale,  p.  204. 

3.  Berthaud.    Op.  cit.,  p.  40. 

4.  B.    Hauréau.   Hist.   de   la   Philosoph.   scolas.,   2<^   édit.,   t.    I,   p.    448. 

5.  HoRAT.  Lib.  I.  Episf.  ad  Lollium,  v.  84. 


LA  PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES   DISCIPLES  D'aBÉLARD  39 

Cependant,  la  renommée  de  Gilbert  grandit  et  rÉvéque  de  Poi- 
tiers l'appela  auprès  de  lui  pour  l'enseignement.-  de  ses  cbrcs. 
Gilbert  mourut  évèque  de  Poitiers  en  1154,  laissant  de  nom- 
breuses œuvres.  Les  plus  importantes  sont,  le  Liber  sex  princi- 
piorum,  deux  commentaires  des  traités  de  Boèce  De  Trinitate, 
et  De  (hiahus  naturis  in  Cliristo.  Le  Liber  de  cmisis,  que  MM. 
BeithaUd  (1)  et  Clerval  (2)  attribuent  à  Gilbert,  n'est  pas  de 
lui   (3j. 

En  logique  Gilbert  connaît  les  traités  d'Aristote,  nouvellement 
introduits  par  Thierry  de  Chartres.  Sa  doctrine  des  universaux 
a  été  jugée  assez  diversement  (4).  D'après  lui,  toute  la  nature 
s'expliquerait  par  des  séries  de  formes  plus  ou  moins  aniverselles, 
subordonnées  les  unes  aux  autres,  qui  communiquent  l'existence 
aux  êtres  qu'elles  contiennent.  Les  formes  universelles  ont  simul- 
tanément une  existence  universelle  dans  tous  les  individus  du 
genre  ou  de  l'espèce,  et  une  existence  singulière  dans  les  choses. 
Ainsi  nous  avons  chez  Gilbert  les  universels  ante  rem  (formae 
secundae),  et  les  universels  in  re  (formae  nativae).  (5).  Cette 
doctrine  réaliste  de  Gilbert,  par  subordination  des  formes  nées 
aux  formes  secondes,  éternelles  et  immuables,  rappelle  nettement 
Plotin  et  son  disciple  chrétien,  Scot  Érigène.  Gilbert,  fidèle  en 
cela  à  la  tradition  de  ses  maîtres  chartrains,  semble  avoir  fait 
grand  usage  des  œuvres  de  Scot  Érigène,  du  moins  à  en  juger 
par  certains  points  de  contact  avec  ce  philosophe  (6). 

Souvent  le  réalisme  a  été  accompagné  de  tendances  scepti- 
ques; l'indifférence  et  même  le  mépris  que  certains  mystiques 
platoniciens  témoignent  à  la  Science  en  sont  la  preuve  histori- 
que. 

1.  Berthaud.     Op.  cit.,  p.  129-190. 

2.  Clerval.  Les.  Écoles  de  Chartres,  p.  168,  246,  261. 

3.  C.  Baeumker.  Archiv  fur  Gesch  der  Philos.,  Bd.  X;  neue  Folge,  Bd.  III, 
p.    281. 

4.  De  ^VuLF.  Ihid.,  p.  206.  —  Berthaud,  op.  cit.,  p.  246,  ssq. 

5.  Jean  de  Salisbury.  P.  L.,  t.  199.  Met.ulog.  II.  XVII.  —  «  Universalitatem 
formis  nativis  attribuit,  et  in  earum  conformitàte  laborat.  Est  autem  forma  na- 
tiva  originalis  exemplum,  et  quae  non  in  mente  Dei  consistit,  sed  rébus  creatis 
inhaerei.  Haec  graeco  eloquio  dicitur  eZSos  habens  se  ad  ideam  \it  exemplum 
ad  exemplar,  sensibilis  quidem.  in  re  sensibili,  sed  mente  concipitur  insensibilis, 
singularis  quoque  in  singulis,  sed  in  omnibus  universalis.  » 

6.  Chez  Gilbert  les  formes  individuelles  sont  déterminées  par  l'ensemble 
des  accidents.  Chez  Scot  Érigène,  la  forme  est  un  mode  particulier  de  la 
qualité,  donc  quelque  chose  d'accidentel,  et  la  matière  est  l'union  des  deux 
accidents  de  quantité  et  de  qualité.  Ct.  P.  L.,  t,  122,  De  divisione  naturae.  III, 
14.  —  Un  autre  signe  de  parenté  avec  Scot  Érigène  est  l'importance  que 
Gilbert  attache  à  la  notion  d'essence.  Voir  à  ce  sujet  R.  Ad.  Lipsius,  Gilhertm 
Porretanus.  Separatabd.  aus  Ersch  u.  Grubers,  Allgcmeiner  Encyclopédie  I 
Section,   67.   Ed.,   p.  7  asq. 


•40  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Ces  tendances,  on  les  retrouve  chez  Gilbert.  Sans  doute,  cet 
écolâtre  aime  sincèrement  la  science.  Il  l'a  défendue  contre  les 
«  Cornificiens  »  et  tous  ses  efforts  allaient  à  favoriser  les  études 
dans  les  écoles  de  Chartres  et  de  Poitiers.  ^lais  cette  science 
est,  selon  lui,  sujette  à  la  mutabilité  des  choses  de  ce  monde, 
sa  nécessité  liée  à  leurs  vicissitudes,  est  chancelante,  puisqu'il 
n'y  a  rien  d'absolument  nécessaire  dans  les  choses  auxquelles 
la  seule  habitude  a  imposé  le  nom  de  nécessité  (1). 

Si  donc  la  raison  natiirelle  n'arrive  pas  à  cette  nécessité  et 
à  cette  certitude  dont  elle  est  assoiffée,  il  faut  ou  nier,  avec  les 
sceptiques  absolus,  la  possibilité  de  toute  connaissance  réflexi- 
vement  certaine,  ou  encore  échafauder  toute  connaissance  sur 
la  foi,  comme  font  les  fidéistes.  C'est  à  cette  dernière  solution 
que  se  range  Gilbert.  Et,  quoiqu'il  ne  veuille  pas  confondre  la 
théologie  et  la  philosophie  (2),  et  qu'il  parle  de  leurs  méthodes 
différentes  (3),  il  déclare  cependant  que  la  foi  catholique  est 
dite  à  bon  droit  la  source  de  la  connaissance,  non  seulement 
théologique,  mais  de  toute  connaissance,  et  qu'elle  en  est  le 
fondemenl  le  plus  certain  et  le  plus  solide  (4).  Aussi  la  spéculation 
théologiquo   n'admet-elle,    en    aucune   manière,   les   lois   naturel- 


1.  1)1  Boctium,  P.  L.,  t.  64,  col.  1303-1304.  «In  cœleris  facultatibiis,  in  quibus 
semper  con&uetudini  regulae  generalitas  atque  nécessitas  accomodalur,  ??ow  ratio 
fiderii,  sed  fides  seqiiifiir  rationem.  Et  qnoniam  in  temporalibus  nihil  est  quod 
'/iiulahiîifati  non  sit  ohnoxium.  Tota  illorum  consuefudini  accomodafn  nécessitas 
nuiai.  Nam  in  eis  quidquid  praedicatur  necessarium,  vel  esse,  vel  non  esse 
quodam  modo,  nec  esse,  nec  non  esse  necesse  est.  Non  enim  absolute  necessa- 
rium est,  cid  nomen  necessitatis  sola  consuetudo  accommodât.  » 

2.  In  Boet.,  I.  P.  L.,  f*.  64,  col.  1255,  «  Omnium  quae  rébus  percipiendis 
snppeditant  rationum  aliae  communes  sunt  mulforum  generam,  aliae  propriac 
aliquorum.  » 

3.  In  Boet.,  L,  P.  L.,  t.  64,  col.  1255.  «  Age  igitur,  ingrediamur  et  dis- 
piscianius.  id  est  incipiamus,  et  diversis  speculandi  modis  aspiciamus 
unumquodque  id  est  naturalia  et  theologica  prout  potest  intelligi  atque  capi, 
naturatiu  siio  modo  et  theologica  suo.  » 

4.  In  Boet.,  P.  L.,  t.  64,  col.  1304.  «  In  theologicis  autem  nbi  est  A'eri  no- 
mînis  atque  abso!uta  nécessitas,  non  ratio  fidem,  sed  fides  praevenit  rationam. 
In  lus  enim  non  cognoscentes  credimus,  sed  credentes  cognoscimus.  Nam 
ahsquc  rationum  principiis  fides  concipit,  non  modo  illa  quibus  intelligendis 
humanae  rationes  suppeditare  non  possunt,  verura  etiam  illa  quibus  ipsae 
possunt  esse  principia.  Spiritus  enim  qui  ex  Deo  est  dat  hanc  ipsi  fidei  prae 
rationibus  dignitatem,  et  in  theologicis,  et  etiam  in  bis  qnae  infra  theologica 
snnt,  naturaUbus  scilicet,  et  hujusmodi  aliis  quorum  rationibus  philosophorum 
fidem  spintus  hujus  mundi  supposuit.  Nam  et  in  naturalibus  et  in  aliis,  om- 
nem  rationem  spiritualium  ^;des  antevenit,  nt  fïde  magis  priusquam  ratione 
omnia  judicent.  Ac  pcr  hoc,  non  modo  theologicarum,  sed  etiam  omnium  rerum 
inte  ligendarum,  catholica  fides  recte  dicitur  esse  exordium,  sive  nulla  incer- 
Utudme  nutans,  sed  etiam  de  rébus  mutabilibus  certissimum  atque  firmissimum 
fundamentura.  » 


LA   PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES    DISCIPLES  D'aBÉLARD  41 

les  (1).  La  raison  non  plus  ne  prévient  la  foi,  mais  la  foi  la 
raison;  car  la  foi  conçoit  sans  les  principes  de  la  raison,  non 
seulement  les  choses  qui  dépassent  les  preuves  rationnelles,  mais 
encore  celles  que  la  raison  peut  démontrer.  C'est  l'Esprit-Saint 
qui  donne  cette  dignité  à  la  foi,  et  en  théologie  et  dans  les  con- 
naissances inférieures.  C'est  encore  lui  qui  substitue  la  foi  aux 
raisonnements  des  philosophes;  car,  même  dans  les  choses  na- 
turelles, la  foi  précède  la  raison;  en  sorte  que  ces  philosophes 
jugent  tout  plutôt  par  la  foi  que  par  la  raison!  (2). 

Il  serait  difficile  de  ne  pas  trouver  dans  ces  textes,  et  tant 
d'autres  que  nous  pourrions  encore  citer  (3),  l'expression  des 
thèses  caractéristiques  du  fidéisme,  dans  la  forme  qu'il  devait 
prendre  sous  l'influence  de  la  théorie  de  la  connaissance  ultra- 
réaliste et  subjectiviste  de  Plotin  et  de  Scot  Érigène.  D'une  part, 
Gilbert  fait  ressortir  la  mutabilité,  l'incertitude  de  la  science  .et  l'im- 
puissance de  la  raison  ;  d'autre  part,  il  exalte  la  foi,  immuable  et  cer- 
taine, qui  par  une  illumination  divine,  —  c'est  là  une  pensée  néo- 
platonicienne, —  se  trouve  à  la  base  de  toute  connaissance  théo- 
logique et  profane.  Cependant,  il  ne  faudrait  pas  s'imaginer  que 
cette  défiance  de  Gilbert  à  l'endroit  de  la  raison  l'ait  empêché 
d'appliquer  à  la  théologie  sa  dialectique  très  serrée  et  aussi  S3n 
réalisme.  Il  s'autorise  de  l'exemple  de  Boèce  qui  se  sert  de  l'ar- 
gumentation théologique  pour  démontrer  que  l'essence  du  Père 
et  du  Fils  et  de  leur  commun  Esprit  est  singulière  et  simple  (4). 
Dans  cette  argumentation  théologique  il  faut  prendre  soin  de 
procéder  d'après  les  raisons  propres  à  la  théologie  et  ne  pas 
juger  par  les  propriétés  des  choses  concrètes  de  la  nature  ou 
des  abstractions  de  la  science  (5).  Gilbert  met  aussi  en  garde 

1.  In  Boet.^  P.  L.,  t.  64,  col.  1303...  «  Nattiralium  legcs  theolocjica  speculatio 
non  omnino  admittit,  tum  quia,  sicut  dictum  est,  in  simplici  Deo  nomen  cujus- 
libet  diversitatis,  error  parvulorum  abhorret,  non  taraen  eam  sicut  in  re 
propter  difficultatem  obscura  et  propter  obscuritatem  difficili  fieri  solet,  mul- 
tis  vel  probatarum  Scripfurarum  testimoniis  persuadet,  vel  necessariarum  in- 
ventionum  connexionibus  probat,  vel  eorum  quae  incidenfer  et  quasi  a  latere 
(lisputationis  emergere  possent  amplificatione  explanat;  sed  quia  nec  male- 
volus,  nec  tardus  est  suus,  cui  scripsit,  auditor,  sola  propria  unuuiquodque 
praedicandi  ratione  demonstrat.  » 

2.  Voir  la  note  précédente. 

3.  Cf.  Par  exemple,   P.  L.,  t.   64,   col.   1310.   —    Ibid.,   col.   1303. 

4.  In  Boetium  de  Trinitate,  P.  L.,  t.  64,  col.  1268.  «  Nunc  quod  Patris  et 
Filii  et  Spiritus  amborum  una  sit  singularis  et  simplex  essentia,  qua  sola 
unusquisque  iUorum  est  id  quod  est,  theologica  utens  spéculation?,  demons- 
trat. » 

5.  In  Boetium  de  Trinitate,  P.  L.,  t.  64,  col.  1268.  «  In  divinis  quoque,  quae 
non  modo  disciplina  verum  etiam  re  ipsa  abstracta  sunt,  intellectualiter  versari 


42  REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    TIIÉOLOGIQUES 

contre  les  dangers  des  comparaisons  :  il  ne  faut  ni  les  rejeter 
tout  à  fait,  ni  en  exagérer  la  valeur,  comme  ont  fait  les  Sabel- 
liens  (1).  Au  reste,  Gilbert  n'est  pas  fidèle  à  cette  ligne  de  con- 
duite. Comme  tous  les  théologiens  de  son  époque,  il  s'engage 
dans  do  subtiles  spéculations  sur  la  Trinité.  Par  l'application 
malheureuse  de  son  réalisme  à  ce  mystère  incompréhensible  en- 
tre tous,  il  montre  son  ignorance  d'un  principe  de  délimitation 
du  domaine  révélé,  d'avec  le  domaine  naturel;  et  il  s'écarte  du 
dogme  catholique  en  affirmant  que  les  personnes  divines,  le  Père, 
le  Fils,  le  Saint-Esprit,  ne  peuvent  se  dire  substantiellement  de 
la  divinité  (2),  L'erreur  de  Gilbert  est  grosse  de  conséquences  : 
elle  aboutit  à  la  négation  de  l'unité  divine.  Mais  son  auteur 
fut  un  chrétien  convaincu  qui  retira  les  propositions  incriminées, 
après  que  le  Concile  de  Reims,  en  1148,  les  eût  condamnées  (3). 

Par  son  maître,  Bernard  de  Chartres,  et  par  son  platonisme 
réaliste,  plus  ou  moins  dépendant  de  Scot  Érigène,  Gilbert  se 
rattache  à  l'École  de  Chartres.  A  l'exemple  des  Chartrains  et  de 
son  maître  Abélard,  l'évêque  de  Poitiers  fait  aussi  grand  cas 
d'Aristote  dont  il  emploie  la  logique  dans  les  spéculations  théo- 
logiques. Mais  il  se  sépare  du  philosophe  du  Pallet,  aussi  bien 
que  de  Thierry  de  Chartres,  par  la  solution  fidéiste  qu'il  adopte 
dans  la  question  toujours  pendante  des  rapports  mutuels  entre 
la  foi  et  la  raison. 

De  Gilbert  de  la  Porrée  procède,  presque  tout  entière,  la  théo- 
rie &' Alain  de  Lille  (t  1203)  sur  les  relations  entre  la  science  et 
la  foi  :  Son  manque  d'originalité  (4),  surtout  dans  le  sujet  qui 
nous  intéresse  (5),  peut  nous  dispenser  de  plus  longs  développe- 


oportebit.  Ici  est,  ex  .propriis  rationibus  theo!ogicorum  ilia  cnncipere,  et  non 
ex  .naturaliter  coucretoruin  ant,  disciplinaliter  abstractorum  propriefalibiis 
judicare.  » 

1.  In  Boetium  de  Trinifafr,  P.  L.,  t.  fi4,  col.  1279.  «  Errant  tamen  aligui 
in  comparationibus  imo  ex  oomparationibus,  aut  cum  si  qnid  est  in  eis  dis- 
simile,  illas  omnino  abjiciendas  existimant,  ant  in  his  propter  qnae  non  sit 
illarum  inductio,  easdeni  usurpant,  ut  Sabelliani.  » 

2.  Ibid.,  col.  1308.  «  Recte  intulimus  haec  non  substantiaîiter  dici,  ex  eo 
quod  non  de  omnibus  vel  divisim,  vel  simul  suppositis  Pâtre,  et  Filio,  et 
!-'piritu  Sancto,  dicuntur;  si  enim  quodiibet  borum  substantiaîiter  praedicaretur, 
cerium  est  quod  et  de  singulis  divisim,  et  de  omnibus  simul  suppositis  sin- 
gulariter  diceretur  :  quoniam  omnium  illa  quae  sunt  substantia,  est  tantum 
modo    una.  » 

3.  De  Wulf.  Hist.  de  la  philos,  méd.,  p.  207.  —  Cf.  La  profess^lou 
qu'il  fait  du  principe  d'autorité.  P.  L.,  t.  64,  col.  1310. 

4.  Voir  Baumg.\rtner.  Die  Philoftophie  dssAlanus  ah  Insidis  im  Zuscim- 
niDilwnge   mil   den   Anscliamingen    des   12ten  Jahrîi.   dargestellt,   p.   6-23. 

ô.  Comparer  aux  textes  de  Gilbert  cités  plus  baut,  p.  8,  note  1  et  noto  4, 
les  paroles  suivantes  d'Alain  [Begulae,  Prol.  P.  L.,  t.  210,  col.  621  B.) 
«  Tum  celerarum  regularum  tota  nécessitas  nutet  quia  in  ronsnetudine  sola  est 


LA  PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES    DISCIPLES  d'aBÉLARD  43 

menls,  que  le  lecteur  trouvera  d'ailleurs  dans  la  magistral  iiio- 
nographic  consacrée  par  M.  le  Professeur  Baumgartner  au  phi- 
losophe lillois. 

Guillaume  de  Conches  (1080-1155)  —  Guillaume,  né  à  Cou- 
ches près  Évreux,  appartient  à  l'École  de  Chartres  par  son  maî- 
tre Bernard  de  Chartres.  Nous  avons  de  lui  un  ouvrage  De 
vliilosophia  mnndi  libri  IT  (1),  que  Migne  attribue  faussement 
à  HonoriuR  d'Autun.  Parmi  ses  autres  écrits  moins  importants, 
il  y  a  un  traité  intitulé  Dragmaticon  (au  lieu  de  Dramaticon), 
où  Guillaume  de  Conches,  homme  très  prudent,  si  nous  en  croyons 
M.  l'abbe  Clerval  (2),  rétracte  plusieurs  des  thèses  défendues  par 
lui  dans  Ir.  PJiilosophia  ))m}idi. 

L'auteur  de  la  philosophie  du  monde,  —  l'un  des  moindres 
parmi  les  maîtres  chartrains,  —  procède  par  cfuestions  et  par 
réponses  à  la  façon  d'un  catéchisme.  La  philosophie  y  est  dé- 
fiaie  :  «  Eoriim  qaae  sirnt  et  non  videntur  et  eorum  quae  siuit 
et  videntur  vera  comprehensio.  »  (3).  Son  objet  est  donc  double. 
D'une  part,  les  choses  invisibles  :  Dieu,  l'âme  du  monde,  les  dé- 
mons, les  âmes  humaines.  D'autre  part,  les  choses  corporelles. 
Celle  énumération  montre  déjà  qu'il  s'agit  ici  d'une  philosophie 
religieuse   peu  distincte  de  la  théologie. 

Pour  connaître  une  chose  parfaitement,  il  faut  savoir,  à  son 
sujet,  d'abord  si  elle  existe,  puis  comment  elle  se  comporte  avec 
les  dix  catégories  aristotéliciennes.  Aussi,  ne  connaissons-nou^ 
qu'imparfaitement  ce  qu'est  Dieu,  quoique  nous  sachions  qu  il 
existe  (4).  Guillaume  de  Conches  prouve  comme  Abélard,  l'exis- 
tence de  Dieu,  souverain  ordonnateur,  et,  comme  lui,  il  prétend 
que  nous  pouvons  arriver  par  les  créatures  à  la  connaissance 
de  la  Trinité  (5). 

Toute  la  doctrine  trinitaire  de  Guillaume,  telle  qu'on  la  trouve 
dans  la   PhiJosopJiia    mundi,   ou   dans   une   lettre   de   l'abbé   de 


consisiens  pênes  consuetum  natura  decursum,  nécessitas  theo!ogicarum  maxi- 
marum  absoluta  est...  »  Les  mots  et  tournures  soulignés  se  trouvent  déjà  chez 
Gilbert,  presque  dans  le  même  contaxte. 

1.  P.   L.,   t.    172,    col.   39,    sq.    —    Cf.    Ueberweg-Heixze,    op.    cit.,   p.    200; 
Prantl,  Geschichte  der  LogiJc,  p.  83. 

2.  Clerval,  op.  cit.,  p.  265. 

3.  P.  L.,  t.  172,  col.  39. 

4.  P.    Lr.,    t.     172.    Dr    philos,    mnndi,    1.    c.    IV. 

5.  P.  L.,  t.  172,  ihid.,  c.  V.,  col.  44. 


44  REVUE    DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Sainr-Thierry  à  saint  Bernard,  ressemble  par  le  fonds  et  même 
par  11  forme,  à  la  doctrine  d'Abélard,  dont  l'orthodoxe  abbé  l'ac- 
cnsc  de  confirmer  et  de  multiplier  les  erreurs  (1).  Guillaume  dis- 
tingue dans  la  Trinité,  la  Puissance,  la  Sagesse  et  la  Volonté 
(Abélard  avait  dit  Bonté),  que  les  saints  ont  appelées  :  Père. 
Fils  et  Saint-Esprit  (2).  Si  l'Écriture  dit  que  le  mystère  de  la 
génération  divine  ne  se  peut  raconter,  c'est  qu'elle  veut  faire  en- 
tendre la  difficulté  de  l'entreprise,  mais  nullement  son  impossi- 
bilité (3). 

L'influence  d'Abélard  est  manifeste.  Comme  le  philosophe  du 
Pallet,  Guillaume  de  Couches  est  accusé  de  Sabellianisme.  Au 
reste,  à  eu  juger  par  ce  que  nous  connaissons  des  ouvrages  de 
Guillaume,  d'ailleurs  très  inférieurs  à  ceux  de  Thierry  de  Char- 
tres ou  de  Gilbert,  et  à  plus  forte  raison,  à  l'œuvre  d'Abélard, 
nous  pouvons  croire  que  Guillaume  ne  soupçonnait  guère,  moins 
encore  que  ses  pr'^décesseurs,  la  gravité  de  la  question  des  rap 
ports  entre  la  foi  et  la  raison.  En  voulant  prouver  par  la  raison 
le  mystère  de  la  Trinité,  Guillaume  commet  une  erreur;  mais, 
nous  en  avons  la  conviction,  une  erreur  inconsciente  qui  ne  per- 
met pas,  ce  nous  semble,  de  l'accuser  de  rationalisme  théolo- 
gique (4). 

Pierre  Lombard  fin  du  Xî-  siècle  à  11G4.)  —  Parmi  les  au- 
teurs, alors  nombreux  (5),  de  «  Livres  de  Sentences  »  le  plus 
célèbre,  et  aussi  le  plus  représentatif,  est,  sans  conteste,  Pierre 
Lombard,  dit  le  «  Maître  des  Sentences  —  Magister  sententia- 
ruuL  »  —  Il  fit  ses  premières  études  à  Bologne  et  à  Reims.  Venu 
à  Paris,  il  entendit  les  maîtres  de  Saint- Victor  et  Abélard.  Vers 


1.  P.  L.,  t.  180,  col.  333.  Episf.  Guill.  ahhaf.  S.  Th-oâorici  ad  Bernardiim. 
«  Etenim  post  theologiam  Pétri  Abaelardi,  Guillelmus  de  Conchis  novam  affert 
pliilcscphiam,  confirmans  et  multiplicans  quaecumque  ille  dixit  et  impudentius 
addens  adhuc  de  suo  plurima,  quae  ille  non  dixit.  » 

2.  P.  L.,  t.  180,  col.  333.  «  Est  ergo  in  divinitate  potentia,  sapientia  et 
voluntas.  Has  très  Sancti  personas  vocant,  vocabula  illis  a  vulgari  propter 
affinitatem  quamdam  transferentes,  potentiam  appellantes  Patrem,  Sapientiani 
Filium,   voluntatem   Spiritum   Sanctuni.  » 

3.  Epist.  Guill.  abbat.  b.Theodorici.  P.  L.,  t.  180,  col.  333.  «  De  generatione 
voro  divina  quod,  inquit,  propheta  dicit  generationem  ejus  quis  "enarrabit? 
{Isa.  LUI»  difficultatem  ostendit  non  impossibUitatem.  » 

4.  Cf.  Baeu.mker.  Wilhelm  von  Couches.  AVetzer  ii.  Welte's  Kirchni^exi- 
loti,  Bd.  XIL  c.  1600.  Freiburs,  B.  1901.  «  (Wilhelm  von  Conches)  teilt  auch 
Abàlards  theologischen  Rationalismus,  nach  dem  das  «  Wie  »  (quaiiter  factum 
sit)  der  Glaubcnsiitze  durch  die  Vernunft  zn  bestiramen  sei.  » 

5.  Nous  connaissons  les  «  Sentences»  du  Mss  de  St-Florian,  du  «  Ma- 
gister Omnebene  »,  de  Roland  (Alexandre  III),  de  Hugues  de  St-Victor,  de 
Robert  Pulleyn  et  de  Pierre  de  Poitiers. 


LA  PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES   DISCIPLES  d'aBÉLARD  45 

1140,  i'  enseigna  probablement  la  théologie  à  TÉcole  de  Notxe- 
Dame.  En  1159,  il  devint  Évêqiie  de  Paris,  mais  il  semble  avoir 
résigne  sa  charge  une  année  après.  Il  mourut  en  1164  (1),  lais- 
sant des  Commentaria  in  Fsalmos  (2),  des  CoUectanea  in  omncs 
D.  Fauli  Apostoli  epistuîas  (3)  et  son  œuvre  maîtresse,  les 
Senieniiarum  libri  IV  (4),  qui  lui  assura  jusqu'au  XVIIo  siècle, 
la  gloire  d'être  tin  auteur  classique,  commenté  par  les  plus  grands 
théologiens. 

Ce  dernier  ouvrage  reflète  bien  la  double  influence  qu'a  subie 
le  maître  lombard  durant  ses  études  à  Paris.  La  méthode  est 
celle  du  «  Sic  et  Sou  »  d'Abélard,  auquel  plus  d'un  développe- 
ment est  aussi  emprunté  (5).  Pour  le  fonds,  Hugues  de  Saint- 
Victor,  plus  encore  qu'Abélard,  sert  de  modèle  à  notre  philosophe, 
à  telles  enseignes  que  l'on  a  pu  le  considérer  comme  le  pla- 
giaire du  Victorin,  ou  comme  le  véritable  auteur  des  «  Sentences  » 
de  celui-ci  (6). 

A  proprement  parler,  Pierre  Lombard  n'est  pas  un  philosophe, 
mais  uit  théologien.  Souvent  il  s'exprime  en  termes  fort  désobli- 
geants sur  le  compte  des  dialecticiens  (7)  et  des  philosophes  an- 
ciens (8).  Même  il  lui  arrive  de  vouloir  rejeter  de  la  théologie 
les  arguments  philosophiques  (9). 

Mais  son  but  étant  de  démontrer  la  foi  par  l'Écriture  et  de  la 
défendre  par  des  raisons  catholiques  (c'est-à-dire  d'autorité),  et 
des  comparaisons  convenables  contre  les  raisonneurs  bavards  (10), 

1.  JoH.  Nep.  Espexberger.  Die  Philosophie  des  Pefrus  Lombardus  und  ihre 
Stellung  im  Xllten  Jahrhundert,  p.  1.  Munster  in     W.,    1901. 

2.  P.  L.,  -t.  191,  coK  61,  sq. 

3.  P.  L.,  t.  191,  col.  1297,  sq. 

4.  P.  L.,  t.  192.  —  Voir  aussi  l'excellente  édition  des  «  Sentences  »  pu- 
bliée avec  les  commentaires  de  S.  Bonaventure  à  Quaracchi. 

5.  EsPENBERGER.  Op.  cit.,  p.  5;  Kaiser.  Op.  cit.,  309-31.5. 

6.  EsPENBERGEH.  Op.  Cit.,  p.  5.  — ■  A.  MiGNON.  Les  Origines  de  la  Scolastique 
et  Hugues  de  Saint-Victor,  t.   I,  p.   182,  ssq. 

7.  Voir    note    10. 

8.  In  Ps.  CXL,  7.  P.  L.,  t.  191,  col.  1237-1238.  «  Potentes  docti  qui  de 
moribus  judicant  ut  Plato,  Aristoteles,  Pytagoras  absorpti  sunt  juncti  petrae 
id  est  comparati  Christo  crucifixo...  coniparati  Christo,  per  se  videntur 
aliquid  dicere  sed  junge,  id  est  compara  illos  Christo,  et  nihil  sunt;  mortui 
jacent;  stulta  sapientia  eorum  est.  » 

9.  betit.  III.  disf.  22.  I.  P.  L.,  t.  192,  col.  802-803.  «  lUae  enim  et  hujus- 
modi  argutiae  in  creaturis  locum  habent  sed  fidei  sacramentum  a  philosophicis 
argumenlis  est  liberum.  » 

10.  bent.  I.  dist.  2.  3.  P.  L.,  t.  192,  col.  526.  «  Augustinus  docet,  primo 
secundum  auctoritaies  sanctarum  sripturaruni,  utrum  fides  ita  se  habeat  de- 
monstrandum  est.  Deinde  adversus  garrulos  raciocinatores  elatiores  qtiani  capa- 
ciores  rationibus  catholicis  et  similitudinibus  congruis  ad  defensionem  et 
assertionem  fidei  utendum  est.  »  Cf.  August.  De  Trinit.  1,  2,  -153,  P,  L., 
t.  42,   col.  822. 


40  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

il  doit  d'abord  concilier  les  textes  apparemment  contradictoires 
de  l'Écriture  et  des  Pères.  Pour  ce  faire,  quoi  qu'il  en  ait,  le 
maître  des  «  Sentences  »  est  obligé  de  faire  appel  à  la  philo- 
sophie. Ici  comme  ailleurs,  il  se  ressent  de  la  double  influence 
d'Abélard,  et  plus  encore,  de  Hugues  de  Saint-Victor. 

Pour  le  problème  des  universaux,  que  notre  théologien  ne  traite 
jamais  «  ex-professo  »,  il  semble  s'en  tenir  à  un  éclectisme  pru- 
dent, qui  l'empêche  de  pénétrer  un  peu  avant  dans  la  question 
et  de  s'attacher  déterminément  à  l'une  des  écoles  régnantes.  Il 
paraît  cependant  pencher  du  côté  du  réalisme  (1).  Nous  ne  trou- 
veioiis  non  plus  étrange  que  le  Lombard,  disciple  surtout  de 
Hugues  de  Saint-Victor  et  de  saint  Augustin,  nous  parle  d'une 
certaine  lumière  intérieure  qui  éclaire  celui  qui  comprend  (2). 
Cette  lumière,  —  nous  le  disons  sous  bénéfice  d'inventaire,  — 
a  bien  des  ressemblances  avec  Tillumination  néo-platonicienne, 
admise  par  la  plupart  des  théologiens  du  temps. 

Manque  de  profondeur  et  d'envergure,  voilà  comme  on  pour- 
rait caractériser  les  tendances  philosophiques  de  Pierre  Lom- 
bard. 

La  même  impression  se  dégage  aussi  de  l'étude  des  rapports 
entre  la  science  et  la  foi,  tels  que  les  conçoit  notre  théologien. 
Après  ce  que  nous  ayons  vu,  il  va  de  soi  que  l'autorité  et 
la  foi  pure  et  simple,  tiendront  le  haut  bout.  Rarement  la  raison 
aura  son  mot  à  dire  pour  faire  naître  la  foi;  mais  on  emploiera 
cei)endant  assez  fréquemment  le  raisonnement  pour  la  défendre 
confie  les  dialecticiens  bavards  (3).  Au  reste,  la  science  en  soi. 


1.  Senf.  I.  dist.  19.  9.  P.  L.,  t.  192,  col.  576.  «  Sicut  enim  dicuntur  Abra- 
ham, Isaac,  Jacob,  tria  individua  ita  très  homines  et  tria  auimalia.  » 
Ihid.,  10.  «  Sed  nec  species  est,  essentia  divina  et  persona  individua,  sicut 
Homo  species  est,  individua  autem  Abraham,  Isaac  et  Jacob.  Si  enim  essentia 
species  est  ut  homo  sicut  non  dicitur  unus  ho^mo  esse  Abraham,  Isaac  et 
Jacob,  ita  non  dicitur  una  essentia  esse  très  personas.  —  Sent.  I.  5.  8. 
P.  L.,  t.  192,  col.  537;  25,  5;  28,  1.  «  Intelligentia  enim  dictorum  ex  causis 
est  assumenda  dicendi;  quia  non  sermoni  res,  sed  rei  sernio  subjeclum  e^t.  »• — 
Cf.     EsPENBERGERi     Op.    cit.,    p.    21,    24. 

2.  In  I  Epist.  ad  Corinf.  u,  12.  P.  L.,  t.  192,  col.  SI.  «  (Visione)  quae 
dicitur  intellectualis  ea  cernuntur  quae  n^^c  cernuntur  corporea  nec  ullas  gerunt 
formas  similes  corporum,  velut  ipsa  mans  et  omnis  affectio  bona.  Quo  enim 
alio  modo  ipse  intellectus  nisi  intelligendo  conspicitur?  NiiUo.  »  —  In  ps.  LXI. 
P.  L.,  t.  191,  col.  417,  B.  et  C.  «  Ad  intelligendum  Deuni,  dilatavi  animam 
meani,  quia  relictis  illis  exterioribus  instrumentis  sensum  corporalium  sub- 
jacentibus,  ad  seipsum  rediit  animus  meus  et  cœpit  se  contemplari  ut  videat  pe 
ut  novorit  te  apud  so,  ut  intelligat  an  aliquid  taie  sit  Deus  ipsius.  —  In  Ep. 
ad  Ephcs.  P.  L.,  t.  192,  col.  203,  C.  «  Omnis  qui  iutolligit  quadam  luce  inleriore 
illustratur.  Est  ergo  quaedam  lux  intus  quam  non  habent  qui  non  intclligunt.  » 

.3.  Scnf.  I,  disf.  II,  3.  P.  L..  t.  192,  col.  526.  «  Deinde  adversus  garrulos 
ratiocinatores  elatiores  magis  quam  capaciores,  rationibus  catholicis  et  simi- 
litudinibus  congruis  ad  defensionem  et  assertionem  fidei  utendum  est.  » 


LA  PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES    DISCIPLES  D  ABELARD  4/ 

c'est-à-dire,  la  science  sans  la  charité,  est  inutile;  elb  enile  (1) 
mais  toutefois,  elle  n'est  pas  impuissante,  puisque  les  anciens 
ont  su  démontrer  par  la  seule  raison,  l'existence  de  Dieu  et  ses 
attributs   (2). 

Lorsque  la  foi  est  en  question,  le  langage  du  maître  des  Sen- 
tences est  différent.  Alors,  dit-il,  il  faut  laisser  les  arguments  de 
la  raison  et  les  arguties  philosophiques  et  «  croire  aux  pêcheurs 
et  non  aux  dialecticiens  »  (3).  Cependant,  Pierre  Lombard  ne 
rejette  pas  complètement  les  motifs  de  crédibilité;  bien  plus,  il  fait 
observer  que  déjà  les  apôtres,  pour  rendre  croyable  leur  ensei- 
gnement, faisaient  des  miracles  (4);  et  que  les  païens  eux-mêmes 
sont  arrivés  par  la  contemplation  des  créatures,  à  ce  praeamhulum 
fidci  qu'est  la  connaissance  du  vrai  Dieu  unique  et  spirituel  (5). 

Quant  à  la  foi,  notre  jMaître  la  considère  essentiellement,  comme 
une  «  Tirtiis  qiia  creduntur,  qiiae  non  videntur  »  (6)  ou  comme  dit 
l'apôtre  :  «  Fides  est  substantiel  reriim  spera?idarum,  argumentum 


1.  In  Ep.  I  ad  Corinth.,  c.  VIII.  P.  L.,  t.  192,  col.  1601.  «  Addite  scien- 
tiae  charitatem,  et  iitilis  erit  scieutia.  Per  sô  enim  iuulilis  est  scientia,  cuin 
cliaritate  utilis  est  :  per  se  inflat  iii  superbiam,  ut  daemones,  qui  Graeco 
nomine   a  scientia   sic   sunt  nominati,   in   quibus  scientia  est  sine  charitate.  » 

2.  lu  Ep.  ad  Boni.  I,  20,  23.  P.  L..  t.  191,  col.  1327.  «  Per  cœlum  et 
terram  et  alias  creaturas,  quas  immensas  et  perpétuas  esse  intellexerunt 
(auiiqni)  ipsum  Conditorem  incomparabilem,  immensum,  aeternum  mente 
conspexerunt  ».   Cf.   aussi  Sent.    I,   dist.   III,   1-5.   P.  L.,   t.    192,   col.  529,  ssy 

3.  Sent,  in,  dist.  22,  I.  P.  L.,  t.  192,  col.  802-803.  «  Illae  >3nim  et 
hujus  modi  argutiae  in  creaturis  locum  habent,  sed  fidei  sacramentum  a  phi- 
losophicis  argiDiientis  est  tiberum.  Unde  Ambros.  in  lib.  I,  de  Fide,  c.  5, 
in  fine;  aufer  argumenta,  ubi  fides  quaeritur.  In  ipsis  gymnasiis  suis  jam  dia- 
lectica    jaceat;    piscatoribus    creditur,    non    dialecticis.  » 

4.  In  Ep.  ad  Eom.  c.  I,  16.  P.  L.,  t.  191,  col.  1322.  «  Cum  res  exij^it 
fiunt  miracula  quibus  commendatur  doctrina.  Quia  enim  incredibile  videbatur 
quod  praedicabatur,  ideo  signis  et  prodigiis  ab  apostoîis  factis  affirmabatur, 
ne  diffiderent  homines  de  his  quae  dicebant  qui  tanta  faciebaut.  (Ambrosius)  » 

5.  In  Ep.  ad  Rom.  c.  I,  17.  P.  L.,  t.  191,  col.  1323-1324. 

6.  In  Ep.  ad  Heh.,  c.  XI,  1.  P.  L,  t.  192,  col.  488.  —  Iw  Ep.  a\I  Rom., 
c.  I.  17.  P.  L.,  t.  191,  col.  1324.  «  Et  quia  de  fide  fit  'menti o 
bic  videndum  est  quid  sit  Ifides,  et  quot  modis  accipiatur  fides,  et  de 
quibiis  sit:  Fides  est  virtus  qua  creduntur  qicae  non  videntur,  apparentla  non 
habent  fidem  sed  agnitionem.  Fides  enim  est  quod  non  vides  credere.  (Aug.)  » 
—  Cf.  aussi  Sent.  III,  22,  7.  P.  L.,  t.  192,  col.  806  :  «  Notandum  quoquo 
est  quod  fides  proprie  de  non  apparentibus  tantum  est.  Unde  Gregor.,  in  homi- 
lia  super  Ezecniel  :  Apparentia  non  habent  fidem  sed  agnitionem.  Idem  cum 
Paulus  dicat  (Hebr.  XI)  :  Fides  est  substantia  rerum  sperandarum  argumen- 
tum non  apparentiura;  hoc  veraciter  dicitur  credi,  quod  non  valet  videri. 
Nam  credi  jam  non  potest  quod  videri  potest.  Thomas  aliud  vidit  et  aliud 
credidit;  hominem  vidit  et  Deum  confessus  est...  Ut  enim  Augustinus  alibi  ait, 
(super  Joan.  27  tractatu  27)  :  Credimus  ut  cognoscamus  non  cognoscimus  ut 
credamus.  Quid  enim  est  fides  nisi  credere  quod  non  vides?  Fides  ergo  est 
quod  non  vides  credere,  veritas  quoi  credidisti  videre.  Unde  recte  fides 
dicitur  argumentum  vel  convictio  rerum  non  apparentium;  quia  si  lidos 
esl  ex  PO  convincitur  et  probatur  aliqua  esse  non  apparentia,  cum  fides 
sii  nisi  de  non  apparentibus.  » 


48  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

non  appareritiiim  »  {Hebr.  XI).  Son  objet  propre,  ce  ne  sont  que 
les  choses  que  l'on  ne  voit  pas,  —  non  apparoiîia ;  —  car  les 
choses  apparentes  n'engendrent  pas  la  foi,  mais  la  connaissance 
(agnitionem).  x\iissi,  quand  on  dit  :  «  en  croire  ses  yeux  »,  ce 
n'est  pas  là  la  foi  proprement  dite,  mais  un  motif  de  crédibilité; 
les  choses  ^iies  font  <ïue  nous  croyons  celles  que  nous  ne  voyons 
pas  (1).  D'ailleurs,  l'inévidence  de  l'objet  de  la  foi  ne  la  rend 
pas  moiiicj  certaine  :  L'Apôtre  affirme  cette  certitude  de  la  foi 
en  la  définissant  :  «  argumentum  non  apparentium  »,  c'est-à-dire 
la  démonstration,  la  certitude,  la  preuve  des  choses  non  apparen- 
tes (2). 

Jusqu'ici,  Pierre  Lombard  n'a  pas  dit  la  raison  formelle  de  la 
foi,  l'autorité  d'un  Dieu  révélateur;  mais  du  moins  il  a  délimité 
nettement  son  objet  matériel  aux  choses  non  apparentes.  Lais- 
sons-lui maintenant  la  parole  pour  nous  expliquer  ce  qu'il  entend 
par  choses  non  apparentes  et  par  vision.  «  Il  nous  faut  savoir, 
dit-il,  qu'autre  est  la  vision  intérieure  et  autre  la  vision  extérieure. 
Les  choses  sujettes  à  celle-ci  ne  peuvent  tomber  sous  la  foi;  mais 
il  n'en  est  pas  ainsi  de  celles  qui  sont  saisies  par  la  vision  inté- 
rieure, même  si  elles  sont  comprises  (3).  »  Il  y  a  donc  des  vérités 
qui  sont  simultanément  crues  et  comprises  par  la  raison  natu- 
relle. Aussi,  le  prophète  Isaïe  dit-il,  selon  les  Septante  :  «  Nisi 
credideritis,  non  intelligetis  (4).  »  De  là  à  la  thèse  d'Augustin  et 
d'Anselme  il  n'y  a  qu'un  pas.  Le  Maître  des  Sentences  le  fran- 
chit et  conclut  que  l'on  ne  peut  savoir  et  comprendre  certaines 
données  de  la  foi  sans  d'abord  les  croire,  et  qu'on  ne  peut  croire 
d'autres  vérités  sans  d'abord  les  comprendre  (5). 

1.  In  Ep.  ad  Hebr.,  c.  XI,  1.  P.  L.,  t.  192,  col.  488.  «  Si  aulem  di- 
cuntur  créai  quae  videiitur,  sicut  dicit  unusquisque  oculis  suis  credidisse, 
non  ipsa  est  quae  in  nobis  aedificatur  fides,  sed  ex  rébus  quae  videntur  agifur 
in  nobis,  ut  ea  credaniur  quae  non  videntur.  Et  est  argumentum  vel  con- 
victio  non  apparentium  id  est  praemonstratio,  et  certitudo,  et  probatio  reruni 
quae   non    apparent.  » 

2.  In  Ep.  ad  Hebr.,  c.  XI,  1.  P.  L.,  t.  192,  col.  488.  (Voir  la  note 
précédente). 

3.  Sent.  III,  distinct.  24,  c.  3,  initium.  P.  L.,  t.  192,  col.  808.  — 
«  Sed  sciendum  est  quoJ  cuni  visio  alia  sit  interior,  alla  cxterior,  non  est 
fides  de  subjectis  exteriori  visioni  ;  est  tamen  de  his  cfiiae  visu  interiori  îit- 
cumque  capiuntur.  Et  quaedam  utique  sic  capiuntur,  ut  inlelligantur.  » 

4.  Sent.  III,  24,  3.  P.  L.,  t.  192,  col.  808.  «  Quaedam  ergo  fide  credunlur 
quae  intelliguntur  naturali  ratione;  qaaedam  vero  quae  non  intelliguntur. 
Unde  propheta  Isaias,  VII,  juxta  LXX  interprètes  :  Nisi  credid-^ritis  non  intel- 
ligetis. » 

5.  Sent.  III,  24,  3.  P.  L.,  t.  192,  col.  809.  «  Unde  coUigitur  non  posse 
sciri  et  intelligi  crodenda  quaedam,  nisi  prius  cred.antur;  ot  quaedam  non 
credi  nisi  prius  inte'.ligantur,  et  ipsa  per  fidem  amplius  intelligi.  Nec  ea  quas 
prius  creduntur  quam  intelligantur,  penitus  ignorantur,  cum  fides  sit  ex 
auditu.  Ignorantur  tamen  ex  parte  quia  non  sciuntur.  » 


LA  PHILOSOPHIE  ET  LA  FOI  CHEZ  LES    DISCIPLES  D'aBÉLARD  49 

Quant  au  mystère,  l'homme  ne  l'ignore  qu'en  partie  (1),  et, 
selon  le  Lombard,  il  faut  que  nous  comprenions  (inteUigamus) 
le  Créateur  par  ses  œuvres,  et  que  nous  voyions  la  Trinité  dont 
l'empreinte  apparaît  dans  les  créatures  (2). 

Ce  texte  qui  semble  bien  absolu,  trouve  son  tempérament  dans 
un  autre  passage  du  même  commentaire  de  l'Épître  aux  Romains, 
et  dans  quelques  lignes  du  1'-'"  livre  des  Sentences.  Dans  ces  en- 
droits, le  Maître  nous  apprend  que  l'empreinte  de  la  Trinité 
dans  les  créatures,  qui  nous  esquisse,  en  quelque  sorte  (aliqua- 
tenus),  une  image  de  la  Trinité,  n'est  cependant  pas  telle  que 
nous  puissions,  par  la  seule  contemplation  des  choses  créées,  sans 
le  secours  de  la  révélation,  acquérir  une  notion  suffisante  de  ce 
mystère.  Aussi  les  Anciens  n'ont-ils  vu  la  vérité  que  «  per  um- 
hram  et  de  longinquo  »  et  leur  science  s'est  tue  au  sujet  de  la 
Trinité  (3),  quoiqu'ils  connussent  en  Dieu  ce  que  l'Écriture  a 
accoutumé  d'attribuer  spécialement  et  distinctement  aux  trois 
personnes,  à  savoir  :  la  puissance,  la  sagesse  et  la  bonté. 

Le  Lombard,  rendu  prudent  par  le  sort  d'Abélard,  dont  on 
sent  ic.  l'influence,  n'insiste  pas  sur  ces  trois  termes  de  puis- 
sance, de  sagesse  et  de  bonté,  pour  y  retrouver  la  formule  de  la 
Trinité  chrétienne,  mais  il  conclut  que  les  Anciens,  par  Tordre 
qui  règne  dans  le  monde,  sont  arrivés  à  la  connaissance  du  Créa- 
teur  (4). 


1.  Voir  la  note  précédente. 

2.  In  Ep.  ad  Bom.,  XI,  33-36.  P.  L.,  t.  191,  col.  1493.  «  Oportet  igitur  ut 
Creatorem  per  ea  qnae  facta  sunt,  intellects  conipicientes  Trinitatem  inteUiga- 
mus, cujus  Trinii-atis  vestigiiun  in  creaturis  apparet,  in  illa  enim  Trinitate  summa 
est  origo  omnium  rerum  et  perfectissima  pulcliritudo,  et  boatissima  dilectio.  » 

—  La  fin  de  ce  texte,  comme  nous  le  fait  observer  M.  Kaiser,  [op.  cit.,  p. 
311-312),  contient  un  écho  de  la  doctrine  trinitaire  d'Abélard  :  le  Père  c'est 
«  Origo  rerum  »  ou  la  puissance,  comme  disait  Abélard;  la  «  Perfectissima 
pulchrifudo  »,  c'est  le  Fils;  et  la  «  Beatissima  dilectio  »,  c'est  le  Saint-Esprit. 

—  L'influence  augustinienne,  nous  la  trouvons  dans  les  exemples  de  vestiges 
de  la  Trinité  que  le  Lombard  nous  cite  :  Cf.  Sent.  I,  3,  6.  P.  L.,  t.  192, 
col.  531.  «  Jam  ergo  in  ea  (in  anima  humana)  Trinitatem  guae  Deus  est 
inquiramus.  Ecce  enira  mens  meminit  sui,  intellis^it  se,  diligit  se;  hoc  si 
cernimus,  cernimus  Trinitatem,  nondum  quidem  Deum,  sed  imaginem  Dei. 
Hic  enim  quaedam  apparet  trinitas  memoriae,  intelligentiae,  et  amoris.  » 

3.  Sent.  I,  3,  6.  P.  L.,  t.  192,  col.  530.  «  Ecce  ostensum  est  qualiter  in 
creaturis  aliquatenus  imago  Trinitatis  indicatur  :  non  enim  per  creaturarum 
contemplationem  sufliciens  notitia  Trinitatis  potest  haberi  vel  potuit,  sine 
doctrinae  vel  interioris  inspirationis  revelatione.  Unde  illi  anliqm  philosophi 
([uasi  per  umbram,  et  de  longinquo  videruut  veritatem,  déficientes  in  contuifu 
Trinitatis,  ut  magi  Pharaonis  in  tertio  signo.  Exod.  8.  Adjuvamur  tamev 
in   fide   invisibiliuni  per  ea   quae  facta   suut.  » 

4.  In  Ep.  ad  Rom.,  I,  20-23.  P.  L.,  t.  191,  col.  1.328-1329.  «  Ad  quod 
di' imus  eos  (les  Anciens)  hanc  distinctionem  sumniae  Trinitatis  quani  Fides 
Caiholica  profitetur  nullatenus  habuisse  vel  haherc  potuisse  absque  doctrinae, 
vel  inlernae  inspirationis  revelatione.  Fit  enim  revelatio  tribus  raodis,  per  opéra, 
per  doclrinam,  per  inspirationem.  Revelavit  eis  Deus  per  opéra  veritatem,  sed 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  i.  4 


bO  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGiQÛES 

Le  peu  que  nous  venons  de  dire  des  doctrines  triuitaires  du 
maître  Lombard,  —  en  dire  davantage  n'entre  pas  dans  le  dessein 
d'un  travail  d'histoire  de  la  philosophie  —  montre  que  ce  théo- 
logien n'a  pas  encore  trouvé  la  raison  formelle  qui  lui  permette 
de  délimiter  nettement  le  domaine  de  la  foi  et  de  la  raison,  de  la 
théologie  et  de  la  philosophie.  Si  cependant  nous  constatons  que 
Pierre  Lombard  a  évité  les  erreurs  graves,  nous  nous  l'expli- 
querons moins  par  son  attachement  à  l'Église  —  Abélard  proteste 
en  avoir  autant  —  que  par  le  manque  de  profondeur  et  de  con- 
séquence systématique  dcins  son  œuvre  de  compilation. 

Ces  défauts,  furent,  d'ailleurs,  la  cause  du  succès  des  livTes  de 
Sentences  :  Pierre  Lombard  a  fourni  un  cadre  commode  que  les 
commentateurs  pouvaient  remplir  à  leur  gré,  «  in  via  Thomae  » 
ou  «  in  via  Scoti.  »  Avec  de  pareilles  qualités,  il  est  assez  na- 
turel que  le  Maître  des  Sentences  n'ait  pas  fait  avancer  la  question, 
toujours  ouverte,  des  relations  mutuelles  entre  la  foi  et  la  science, 
et  de  la  délimitation  de  leurs  domaines  respectifs.  Même  il  n'est 
point  étonnant  qu'à  ce  point  de  vue,  —  et  à  d'autres,  —  il  soit 
resté  en  retard  sur  son  maître  Abélard,  et  que  l'envergure  de 
Hugues  de  Saint- Victor,  qu'il  pille  si  fréquemment  dans  son  œuvre, 
lui  fasse  défaut. 

Fribourg  (Suisse).  Th.  Heitz. 


non  per  doclrinam  vel  per  inspirationem.  Viderunt  ergo  de  longinquo  veritatem 
sed  non  appropiuquaverimt  per  humilitateni.  Non  ergo  luas  ti-S  perscnas 
ideo  dicuntur  intedexisse,  quoi  eas  distincte  veraciter  et  propriae  intellexe- 
rint  :  Sed  quia  illa  esse  cognoverant  in  Deo,  qaae  illis,  tribus  personis  in 
Sacra  Scriptura  fréquenter  soient  distinctini  ac  specialiter  attribui,  scili- 
cet  potentia,  sapientia,  bonitas...  quod  quare  fiât,  non  est  oliosuai  inquirere. 
Sicui  enim  ex  motibus  et  adniinistratione  corporis  animam,  quam  non  vides, 
intelligis,  sic  ex  adniinistratione  totius  mundi,  et  regimine  omnium,  Creatorem 
intellexeriint.  » 


La  notion  du  Lieu 

théologique 


Çuemadmodiim  Arisfofeles  in,  Topicis  projmsuit  communes 
locos  quasi  argumeiitorum.  sedeset  notas,  ex  qitihus  omnis 
argamentatio  ad  omnem  disjmtationem  inveniretur  :  sic 
nos  pecuUares  quosdam  Theologiae  locos proiumimys,  ex 
quihus  Theologi  omnes  suas  argumentationes,  sice  ad 
conjirmandum,  sice  ad  refellendum  inveniant. 

MELCHICR  CANO,  De  locis  theologicis.  1.  I,  c.  III. 


SOUS  le  nom  de  Lieux  théologiques,  on  rencontre  fréquemment 
des  ouvrages  qui  renferment  un  grand  nombre  de  questions, 
des  traités  entiers  même,  totalement  étrangers  au  concept  des 
Lieux  théologiques.  Tels  ces  tiaitts  De  Ecclesiâ.  au  triple  point 
de  vue  théologique,  apologétique  et  canonique,  ces  questions 
prolixes  touchant  l'Essence  de  l'Inspiration  de  l'Écriture  Sainte, 
rHerméneutic[ue  et  l'Introduction  aux  Saints  Livres,  le  Déve- 
loppement de  la  Tradition  apostolicfue,  etc.,  qui  enflent  démesu- 
rément et  finissent  par  absorber  le  De  Locis  (1).  Celui-ci  était, 
dans  l'intention  de  son  fondateur,  un  pur  traité  de  méthode, 
une  sorte  de  logique  spéciale  de  la  théologie. 

Ainsi  compris,  les  Lieux  théologiques  sont  exigés  par  la  natu- 
re même  des  choses.  C'est  le  sort  des  sciences  arrivées  à 
un  certain  degré  de  développement,  et  surtout  des  sciences  faites, 
de  prendre  conscience  de  la  totalité  de  leurs  moyens  et  de 
systématiser  définitivement  leurs  méthodes.  Ce  que  l'on  con- 
cède à  la  Logique  et  aux  Mathématiques,  pourquoi  ne  le  passe- 
rait-on  pas  à  la  Théologie? 

Comme  pour  les  autres  disciplines,  la  pratique  a  devancé  ici 
la  théorie  et  la  science  théologique  la  systématisation  de  ses 
règles.  Ces  règles  existaient,  elles  étaient,  pour  la  plupnrt,  for- 

1.  Cf  ScH.^EZLER.  In^rod.  in  S.  Tlisoî-ji/lum,  c.  III,  §  pracvia  informatio,  a. 
Il,   n.  L 


52  REVUE   DES   SCIEN'CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

mnlées  et  utilisées  (1)  :  il  leur  mancfuait  d'être  systématisées. 
Deux  circonstances,  le  développement  d'une  certaine  scolasti- 
que  intempérante  d'une  part,  les  attaques  des  protestants  d'au- 
tre part,  firent  sentir  la  nécessité  urgente  de  la  mise  au  clair  des 
vrais  principes  et  des  véritables  règles  de  méthode  de  la  théo- 
logie. La  fin  à  poun^oir  commandait  impérieusement  le  carac- 
tère méthodologique  du  traité.  Rien  de  plus  significatif,  à  cet 
égard,  que  l'immortel  Proœmium  qui  inaugure  le  De  Locis  de 
Cano  et  débute  par  ces  mots  :  Saepe  mecum  cogitavi,  Lector 
optime,  boni  ne  plus  is  attulerit  hominibus,  qui  multarum  rerum 
copiam.  in  disciplinas  invexit,  an  qui  rationon  paravit  et  viam 
quâ  discipUnae  ipsae  facilius  et  commodius  ordine  iradercntur. 
La  réalisation  répond  au  programme.  L'ouvrage  comprend  deux 
parties  ;  la  première,  consacrée  aux  règles  qui  régissent  la  dé- 
couverte, i«  l'invention»,  des  principes  ou  éléments  constitutifs 
de  la  théologie,  la  seconde,  qni  devait  contenir  trois  livres  dont  un 
seul  est  achevé,  consacrée  aux  règles  de  la  mise  en  œuvre  de 
ces  principes.  Dans  la  première,  Cano  étudie  la  nature  propre 
de  chacun  des  lieux  théologiques.  Écriture  Sainte,  ^lagistère  de 
l'Église,  Tradition,  etc.,  afin  que  les  principes  qu'il  détermine 
soient  fondés  sur  la  nature  des  choses.  11  le  fait  avec  discré- 
tion et  mesure,  marcfuant  bien  la  subordination  des  questions 
ontologiques,  et  des  controverses  qu'il  soulève,  au  but  métho- 
dologicfue  poursuivi.  Pour  lui,  les  dix  lieux  théologiques  ne  sont 
rien  moins  que  des  prétextes  à  thèses  métaphysiques,  théolo- 
giques, historiques,  canoniques,  exégétiques,  comme  ils  le  sont 
devenus  depuis.  Ce  sont  vraiment,  comme  le  promet  le  passage 
que  nous  avons  pris  pour  épigraphe,  les  éléments  d'une  Logique 
théologique  construite  sur  le  modèle  des  Topiques  d'Aristote. 

C'est  cette  conception  que  nous  voudrions  ici  restaurer  et  pré- 
ciser. Aucune  pensée  de  mésestime  ou  de  dénigrement  à  l'égard 
de  nos  devanciers  ne  nous  inspire.  Nous  ne  comprenons  que  trop 
bien  ce  qui  est  advenu.  En  présence  d'objections  de  plus  en 
plus  multipliées  et  difficiles  à  résoudre,  on  a  voulu  fortifier  les 
bases  ontologiques  qui  fondaient  l'autorité  des  Lieux  théologi- 
qiies,  en  faire  l'apologétiqiie  ou  la  théologie.  L'intention  était 
excellente.  La  réalisation  n'a  eu  qu'un  inconvénient  c'est  de 
submerger  sous  ces  développements  ce  qui  faisait  Vidée- mère 
des  Lieux  théologiques.  La  plupart  des  étudiants  savent  à  peine 


1.  Cf.    Cano.   De  Locis,   1.   xii,   c.   IIl,^  §  Divus   Thomas   mihi  et  auctor  et 
nidfjister  fuit  hujus  operis  comporundi. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  53 

pourquoi  l'on  accole  à  des  traités  qui  approfondissent  le  fond  des 
choses  cette  singulière  épithète  de  lieux.  Il  nous  est  arrivé  d'agir 
comme  ces  théologiens  qui,  sachant  que  la  foi  du  chrétien  s'appuie 
sur  la  parole  de  Dieu,  Yeritas  prima  dicens,  remontent  de  ce  motif 
prochain  et  immédiat  de  la  foi  aux  réalités  qui  le  justifient  h 
son  tour,  critériologiquement  d'ahord  puis  même  ontohgiquement, 
Veritas  'prima  in  cognoscendo,  veritas  prima  in  essendo,  et,  sans 
s'apercevoir  qu'ils  ont  passé  d'un  ordre  à  un  autre,  déclarent 
que  le  motif  de  l'assentiment  de  la  foi  est  l'infaillibilité  divine 
ou  même  la  Vérité  transcendante  de  l'Etre  divin.  C'est  voguer 
en  plein  per  accidens.  Or,  il  n'y  a  de  connaissance  rigoureuse- 
ment vraie,  de  science,  que  si  l'on  se  maintient  dans  ce  que  les 
scolasticfues  appelaient  le  per  se,  c'est-à-dire  dans  les  lois  et 
relations  qui  jaillissent  des  choses  considérées  sous  des  points  de 
vue  nettement  et  formellement  définis.  En  ce  qui  concerne  les 
Lieux  théologiques,  ce  point  de  vue  est  celui  de  la  Méthode  de 
la  Théologie.  Que  l'on  fortifie  tant  que  l'on  voudra  les  ])ases 
ontologiques  qui  fondent  l'autorité  des  sources  de  la  Théologie, 
mais  que  ce  soit  dans  des  traités  spéciaux,  dont  les  Lieux 
théologiques  recueilleront  les  résultats,  comme  la  Logique  d'Aris- 
totc,  pour  citer  un  exemple,  recueille  les  résultats  de  la  Théorie 
métaphysique  des  Prédicaments,  en  vue  de  leur  utilisation  logique  ! 
Mais,  que  tous  ces  développements  hétérogènes  cessent  d'occuper 
la  place  prépondérante  dans  une  Méthodologie.  A  notre  époque, 
si  justement  préoccupée  des  questions  de  méthode,  où  la  spé- 
cialisation est  proclamée  la  loi  même  du  bon  travail,  où  les 
sciences  ne  demandent  qu'à  laisser  à  chacun  sa  place  au  soleil, 
pourvu  qu'on  réponde  sans  ambages  à  cette  question  posée  à 
l'américaine  :  qu'êtes  vous,  que  prétendez-vous,  quel  est  votre 
point  de  vue,  quels  sont  vos  principes  et  vos  règles  de  méthode  ? 
la  Théologie  catholique  doit  répondre  par  un  exposé  de  principes 
digne  de  son  long  et  illustre  passé  de  labeur.  Certes,  si  une 
science  a  pu  constituer  sa  méthode  définitive,  c'est  bien  elle, 
l'ancêtre  et  la  nourrice  de  la  plupart  des  sciences  modernes. 
Or  cette  réponse  existe,  et,  sauf  le  rajeunissement  des  détails 
qu'une  durée  de  plus  de  quatre  siècles  de  réflexion  théologique 
et  de  progrès  scientifique  requiert  et  justifie,  elle  est  tout  entière, 
si  on  sait  bien  en  comprendre  l'intention  première  et  profonde, 
dans  l'œuvre  solide  et  plus  actuelle  que  jamais  de  Melchior 
Cano. 


54  REVUK   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Le  plan  de  cette  recherche  est  très  simple.  Dans  une  première 
section,  nous  montrerons  que  c'est  dans  une  Topique  que  la 
Théologie  trouve  normalement  son  introduction  méthodique.  La 
deuxième  section  dira  l'intention  et  retracera  les  grandes  ligne^ 
des  Topiques  d'Aristote,  dont  la  rigoureuse  organisation  scien- 
tifique garantit  l'exceptionnelle  solidité.  Dans  les  sections  sui- 
vantes, nous  ferons  valoir  dans  ses  détails  le  parallèle  des 
lopiques  aristotéliciennes  et  du  Traité  des  lieux  théologiqaes 
tel  que  l'entendait  Cano.  Ce  parallèle,  nous  l'espérons,  mettra 
en  bonne  lumière  la  signification  précise  de  ce  traité  et  sa  valeur 
méthodologique  définitive. 

I 

TOPIQUE    ET    THÉOLOGIE. 

Au  premier  abord,  1?  rapprochement  de  ces  deux  mots  semble 
anormal.  De  l'aveu  de  tous  les  théologiens,  la  Théologie  est 
une  science  (1).  La  Topique  se  présente  plutôt  comme  un  art  : 
art  dialectique,  s'il  s'agit  de  la  Topique  proprement  dite;  art 
oratoire,  s'il  s'agit  de  cette  topique  qui  est  à  la  base  de  la 
Rhétorique.  Comment  une  science  pourrait-elle  avoir  un  art  pour 
introduction?  Pour  résoudre  cette  objection,  il  suffira  d'analyser 
successivement  les  éléments  constitutifs  de  la  Topique  et  de  la 
Théologie,  et  d'en  instituer  la  comparaison. 

L  —  Les  éléments  des  Topiques. 

La  Topique  ou  Dialectique  résulte  de  la  rencontre  de  deux 
éléments,  un  élément  formel  ou  logique  et  un  élément  matériel. 

De  l'élément  logique  nous  ne  parlons  que  pour  mémoire  : 
c'est  le  syllogisme,  qui  ne  diffère  pas  foncièrement  du  syllogisme 
ordinaire,  encore  que  les  dialecticiens  préfèrent,  à  cause  des 
commodités  qu'ils  y  trouvent,  l'espèce  de  syllogisme  que  l'on 
nomme  enthymème  (2). 

La  matière  de  la  Dialectique,  au  contraire,  lui  est  spéciale. 
Elle  est  déterminée  à  deux  points  de  vue  :  1°  par  la  nature  des 
principes  qu'elle  emploie;  2°  par  l'espèce  de  questions  qu'elle  est 
apte  à  résoudre. 

1.  S.  Thomas,  Sunima  théologien,  I  P.,  Q.  I,  a.  2. 

2.  San  Se  terino.  Logicae.  Il»  purs,  c.  Il,  a.  X,  De  generibus  argumentationum 
dialectkarum,  dans  Philosophia  christiann  cum  antiquâ  et  nova  compirata, 
Naples,  1878,  vol,  III,  p.  315-332. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THEOLOGIOUE  OO 

1°  Les  principes  de  la  Dialectique  ont  pour  premier  carac- 
tère, d'être  des  principes  communs,  c'est-à-dire  qui  n'appartiennent 
en  droit  à  aucune  science  particulière.  Je  dis  en  droit,  car,  en 
fait,  ils  sont  parfois  empruntés  à  ces  sciences,  mais,  en  ce  cas, 
la  Dialectique  ne  les  considère  pas  dans  leur  valeur  scientifique 
intrinsèque,  elle  abandonne  cette  valeur  tout  entière  à  la  science 
dont  ces  principes  relèvent  et  dont  ils  continuent  d'être  l'unique 
p]opriéto  (1).  C'est  à  un  autre  point  de  vue  qu'ils  la  concernent. 
Quel  est  ce  point  de  vue?  Le  second  caractère  des  principes  de 
la  Dialectique  va  nous  l'apprendre.  —  Ce  second  caractère  c'est 
qu'ils  soient  tels  que  Vopinion  commune  des  hommes  les  ratifie. 
Or,  les  vérités  scientifiques  ont  cette  propriété,  conséquence  de 
leur  valeur  rigoureuse,  qu'elles  reçoivent  l'approbation  de  tous 
ceux  qui  les  connaissent.  C'est  à  ce  titre  que,  parmi  beaucoup 
d'autres  énonciations  de  moindre  valeur  intrinsèque,  elles  ont 
leurs  entrées  dans  la  Dialectique. 

Il  ne  faudrait  pas  croire,  en  effet,  qu'en  raison  de  leur  carac- 
tère de  principes  communs,  les  principes  dialectiques  excluent 
la  précision  et  la  certitude.  Tout  au  contraire,  considérés  en 
eux-mêmes,  ils  sont  précis,  fondés,  et  certains.  Comment,  sans 
cela,  seraient-ils  encore  des  principes?  On  veut  dire  seulement 
que,  considérés  non  plus  dans  leur  teneur  interne,  mais  en 
regard  d'une  question  posée,  ils  ne  sont  pas  catégoriquement  dé- 
cisifs, comme  le  sont  des  raisons  démonstratives;  que  la  ré* 
ponse  qu'ils  fournissent  laisse  place  à  une  opinion  opposée,  ce 
que  ne  ferait  pas  une  réponse  scientifique  (2). 

Et  la  raison  de  cela,  ainsi  qu'on  peut  le  conclure  du  second  (de 
leurs  caractères,  c'est  qu'ils  limitent  leurs  ambitions  à  ce  qui 
rencontre  l'approbation  des  hommes,  quand  bien  même  les  raisons 
qui  motivent  celle-ci  ne  seraient  pas  scientifiques,  quand  bien 
même  elles  ne  résoudraient  que  très  imparfaitement  la  ques- 
tion. En  un  mot,  la  Dialectique  s'empare  du  terrain  vague  de  la 
])robahihté,  de  ïkvdoloy,  dédaigné  par  les  sciences  spéciales  qui  se 
piquent  de  rigueur  et  de  nécessité;  elle  entreprend  de  l'utiliser, 
de  l'aménager,  de  lui  faire  produire  tout  ce  qu'il  peut,  d'annexer 
ainsi  toute  une  province  délaissée,  et  comme  une  marche  de  fron- 
tières, au  domaine  de  la  vérité.  Réduite  à  ce  critère  extrinsèque 


1.  Cf.  Cassiodore.  De  artibus  ac  discipl.  liberalium  artlmn,  c.  III,  §  De 
DiaUctieis    locis.    Migne,   P.  L.,    t.  LXX,    col.    1177    sq. 

2.  Nous  appelons  scientifique  une  connaissance  certaine,  évidente,  expli- 
calive  des  choses.  Nous  ne  prenons  pas  ce  mot  dans  le  sens  inadéquat  que 
lui   donnent  les   théories    scientifiques   modernes. 


56  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  rapprobation  des  hommes,  la  Dialectique  rend  à  la  science  le 
double  service,  de  pressentir  et  de  préparer  des  investigations 
et  des  démonstrations  plus  décisives,  de  prolonger  des  lueurs  de 
vérité,  au-delà  des  limites  que  la  science  éclaire,  en  des  parties 
du  savoir  qui  sont  souvent  pour  l'humanité  les  plus  intéressantes. 
Une  frontière  sera  toujours  disputée  :  soyons  reconnaissants 
à  la  Dialectique  d'assujettir,  autant  qu'elle  peut  l'être,  celle-ci 
à  l'esprit  humain. 

^^  En  second  lien,  la  matière  de  la  Dialectique  est  déterminée 
par  l'espèce  de  question  qu'elle  est  appelée  à  résoudre,  ou,  ce 
qui  revient  au  même,  par  l'espèce  de  conclusion  qu'elle  peut 
fcimuler.  Cette  question  est  celle  de  la  qualité.  En  effet,  des 
quatre  questions  auxquelles  l'esprit  humain  en  revient  toujours, 
an  sif,  quicl  sit,  propter  quid,  qnale  sif,  la  première  est  supposée 
par  la  Dialectique,  comme,  du  reste,  par  la  Science.  On  ne  pose 
de  questions  que  si  l'on  a  un  sujet  de  les  poser.  Si  l'existence  iie 
certains  sujets  n'est  pas  donnée  par  l'expérience,  si  elle  fait 
quesiioît  c'est  l'occasion  d'une  induction  ou  d'une  démonstra- 
tion o.  posteriori  préliminaires,  prolongeant  le  témoignage  des  sens 
à  l'aide  de  principes  intellectuels,  jusqu'à  ce  que  le  sujet  scienti- 
fique soit  donné.  Mais  ce  labeur  est  antérieur  à  la  science  pro- 
prement dite  de  cet  objet.  Quel  inconvénient  n'y  aurait-il  pas 
d'ailleurs  à  attribuer  à  la  Dialectique,  dont  le  moyen  de  conviction 
est  l'opinion,  la  solution  de  la  question  an  sit  l  Ce  serait  s'exposer 
à  des  discussions  indéfinies  sur  des  sujets  insignifiants,  sur 
les  faits'  et  gestes  de  chimères.  —  D'autre  part,  les  questions 
quid  sit  et  propter  quid,  n'étant  solubles  ([ue  par  la  connaissance 
des  essences  des  choses,  sont,  de  ce  fait,  du  domaine  exclusif  de 
la  Science.  —  Reste  donc  la  question  de  la  qualité,  rb  ôVi,  qui 
se  formule  ainsi  :  TJtrum  taie  praedicatum  insit  suhjecto.  Puis- 
que les  trois  premiers  problèmes  lui  sont  soustraits,  la  question 
de  la  qualité,  ou  du  prédicat,  devra,  semble-t-il,  constituer  le 
problème  propre  de  la  Dialectique. 

Elle  l'est,  en  effet.  Ce  n'est  pas  que  la  Science  ne  puisse  par- 
fois s'en  préoccuper  dans  une  certaine  mesure  et  à  un  point 
do  vue  spécial,  mais  cette  préoccupation  est  secondaire  pour 
elle.  Je  m'explique.  La  connaissance  des  qualités,  on  dirait  au- 
jourd'hui, dans  un  sens  un  peu  différent,  la  connaissance  des 
phénomènes  (1),  est  antérieure  à  la  connaissance  des  essences 


1.  La  différence  consiste  en  ce  que,  pour  les  modernes,  la  connaissance  des 
Xjhénoniènes    ne    concerne    que    le    fait    phénoménal;    pour    les    anciens,    elle 


LA     NOTION     DU     LIEU     TIIÉOLOGIQUE  57 

spécifiques.  Elle  est  objet  de  constatation  brute  et  d'intuition 
directe.  De  la  donnée  composite  formée  par  la  représentation 
d'un  ensemble  de  qualités  s'abstraient  et,  ultérieurement,  se 
concluent,  les  formes  où  les  essences  spéciales  qui  répondent 
à  la  question  quid  sit  et  serviront  à  résoudre  le  propter  quid. 
Or,  sans  doute,  une  fois  déterminés  le  propter  quid  et  le  quid, 
on  pourra  essayer  d'en  déduire  certaines  qualités  données  dans 
l'expérience  et  l'intuition,  par  exemple  les  propriétés  ou  les  grou- 
pements spécifiques  des  qualités  accidentelles,  et  si  cette  ten- 
tative réussit,  dans  la  mesure  de  cette  réussite  et  sous  cet  angle 
de  l'attribution  nécessaire,  la  question  :  Vtrum  praedicatum  in- 
sit  suhjecto,  relèvera  de  la  Science.  ]\Iais,  d'abord,  cette  dé- 
duction est  impossible  pour  les  qualités  les  plus  nombreuses,  à 
savoir  les  accidents  communs,  qui  sont  dans  un  sujet  sans 
avoir  de  connexion  essentielle  avec  lui.  Ensuite,  même  en  ce 
qui  concerne  les  qualités  essentielles,  la  déduction  rigoureuse 
n'est  pas  toujours  assurée  de  réussir;  elle  est  sujette  à  bien  des 
erreurs  du  genre  de  celle  qui  jadis  faisait  de  la  blancheur  la  ca- 
ractéristique des  cygnes  ou,  c'est  tout  un,  érigeait  en  dogme  in- 
tangible, il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  le  principe  de  la  conser- 
vation absolue  de  l'énergie.  On  voit  dans  quelles  limites  res- 
serrées, et  sous  combien  de  conditions  restrictives,  la  solution 
du  problème  de  la  Qualité  relève  de  la  Science.  Et  cependant,  là 
où  la  Science  cesse,  la  question  demeure.  Il  y  aura  donc,  pour 
cette  question,  une  phase  post-scientifique.  D'ailleurs,  antérieure- 
ment à  la  détermination  des  essences,  et  donc  antérieure- 
ment au  labeur  scientifique,  il  y  a  toute  une  période  de  tâtonne- 
ments, de  comparaison  des  phénomènes,  d'essais  de  raccorde- 
ments par  analogie,  par  induction,  etc.,  des  phénomènes  entre 
eux  et  avec  l'essence  encore  inconnue  qu'ils  recouvrent  (1).  A 
vrai  dire,  la  portion  la  plus  considérable  de  nos  connaissances 
est  encore  dans  cette  période  de  recherche.  Or,  la  formule  la 
plus  générale  vers  laquelle  s'oriente  cette  inquisition,  est  précisé- 
ment celle  de  la  question  du  prédicat  :  An  praedication  suhjecto 
insit.  ^  moins  de  renoncer  à  aborder  des  problèmes  certains, 
sous  prétexte  que  l'on  n'en  peut  avoir  la  connaissance  scien- 
tifique, il  faut  traiter  les  questions  que  ne  résoud  pas  la  Science 
par  une  méthode  non-scientifique,   et  qui  donne  cependant  deS 


comprenait,   de  p'.us,  l'intuition  spontanée  de  la  quiddité  des  phénomènes  par 
l'intelligence. 

1.  Un   type    de   cette   phase   préscientifique   nous   est   oftert   dans   le   1.    I  du 
De   Anima   d'Aristote. 


58         revit:  des  scienxes  philosophiques  et  theologiques 

résultats  appréciables.  La  Dialectique  est  précisément  cette  mé- 
thode. Oh  voit  donc  que,  même  en  matière  scientifique,  à  deux 
moments  au  moins,  savoir  :  avant  et  après  la  science,  la  question 
de  la  qualité  se  pose  et  appelle  une  intervention  de  la  Dialecti- 
que. 

Et  comme  dans  la  période  d'invention  qui  précède  la  Science, 
les  prédicats  essentiels  eux-mêmes,  le  genre,  la  définition,  n'ont 
pas  encore  manifesté  la  liaison  nécessaire  qui  les  rattache  au 
sujet,  cette  liaison  sera  considérée  justement,  dans  cette  période, 
comme  une  liaison  aussi  peu  nécessaire  que  celle  d'une  qualité 
commune,  ou  d'une  propriété  de  fait  qui  n'a  pu  faire  sa  preuve 
devant  l'esprit.  Et  il  y  aura  en  conséquence  quatre  grandes  ques- 
tions dialectiques  correspondant  aux  quatre  qualités  fondamentales 
la  question  du  genre,  de  la  définition,  du  propre  et  de  V accident, 
le  tout  à  résoudre  ex  communihus  et  ex  concessis  ah  opinione. 

II.  —  Les  éléments  de  la  Théologie. 

Comme  la  Dialectique,  la  Théologie  comprend  deux  éléments, 
sa  forme,  le  raisonnement,  que  nous  ne  nommons  que  pour  mé- 
moire, étani.  identique  au  syllogisme  qu'utilise  la  Science;  sa  ma- 
tière, déterminée,  comme  la  matière  de  la  dialectique  :  1°  par  la 
nature  de  ses  principes,  2°  par  l'espèce  de  c[uestions  qu'elle  est 
appelée  à  résoudre. 

1°  Les  principes  de  la  Théologie  sont  les  articles  de  foi  (1).  Or. 
la  foi  est  un  moyen  de  connaissance  qui  ne  s'appuie  pas,  ':"omme 
les  sciences  spéciales,  sur  la  vérité  intérieure  des  choses,  sur  le  quid 
et  le  propter  quid.  Elle  regarde  toutes  les  vérités  de  son  domaine 
comme  résultant  delà  rubrique  commune  :  Dieu  Va  révélé.  Les  arti- 
cles de  foi,  comme  tels,  n'appartiennent  donc  à  aucune  science 
spéciale.  En  ce  sens,  ce  sont  des  principes  communs.  Ce  carac- 
tère était  le  premier  caractère  des  principes  de  la  dialectique.  — 
En  outre,  et  c'est  son  second  caractère,  la  vérité  de  foi  n'a 
sa  valeu:""  de  conviction  que  pour  ceux  qui  ont  la  foi.  Un  hé- 
rétique ne  lui  donne  pas  son  assentiment.  Une  argumentation 
qui  s'appuiera  sur  des  principes  de  foi,  procède  donc,  d'une  cer- 
taine manière,  ex  concessis.  Elle  n'est  reçue  que  par  les  fidèles, 
en  raison  de  l'approbation  que  leur  foi  donne  aux  articles  de 
foi.  L' ï'jdoloy  dialectique  apparaît  ainsi  h  la  base  de  la  Théo- 
logie. 


1.  Summa  theol.  Q.  I.  a.  VIII,  in  corpore. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  59 

Ici  s'imposent  des  résen^es  analogues  à  celles  que  nous  avons 
faites  au  sujet  des  deux  caractères  des  principes  dialectiques. 
Et  d'abord,  de  ce  que  les  principes  de  la  Théologie  sont  des  prin- 
cipes communs  il  n'en  faudrait  pas  conclure  à  l'absence  de  pré- 
cision et  de  certitude  intrinsèque.  Il  n'y  a  rien,  au  contraire,  de 
plus  précis  et  de  plus  certain  en  soi  que  la  vérité  énoncée  par 
un  témoin  dont  la  véridicité  est  certaine,  et  c'est  le  cas.  Cela 
n'empêche  pas  cette  vérité  de  n'être  connue,  comme  telle,  que 
par  un  moyen  de  preuve  commun,  banal,  qui  s'applique  indiffé- 
remment à  toutes  espèces  de  vérités,  scientifiques,  d'expérien- 
ce, etc.,  et  donc,  d'être  pour  une  connaissance  ultérieure  un 
principe  commun,  extrinsèque  aux  rapports  internes  des  termes 
des  conclusions  qui  en  seront  tirées. 

Ensuite,  de  ce  que  l'approbation  du  fidèle  est  le  nerf  de  la  vale!iir 
des  principes  de  la  Théologie,  il  n'en  faut  pas  conclure,  ique 
les  principes  de  la  Théologie  sont  probables  à  la  manière  des 
piincipes  de  la  Dialectique.  Car,  cette  approbation  est  due,  en 
raison  de  la  véridicité  absolue  du  témoignage  divin,  ce  qui 
n'est  pas  le  cas  de  l'approbation  d'opinion  qui  fonde  la  valeur 
des  principes  dialectiques.  Néanmoins,  l'exigibilité  absolue  de 
leur  concession  ne  fait  pas  sortir  les  principes  de  la  Théologie, 
qui  ne  sont  tels  qu'en  tant  que  reçus  en  nous,  du  rang  de 
piincipes  valables  ex  concessis,  puisque  le  témoignage  divin  qui 
la  fonde  ne  fait  pas  l'évidence  sur  leur  teneur  intime  et  que 
l'acte  d(^  foi  est  libre.  Elle  marque  plutôt  le  suprême  degré  et 
comme  la  limite  absolue  de  la  valeur  probante  que  peut  commu- 
niquer à  des  principes  l'approbation  qu'ils  rencontrent. 

2°  La  matière  de  la  Théologie  est  déterminée  par  les  questions 
qu'elle  peut  résoudre.  Soit  la  question  Utrum  gratia  sit  aliquid 
creatum.  Le  sujet  Grâce  est  donné,  le  prédicat  fait  question. 
La  question  posée  est  celle  du  quid  sit  ?  Pouvons-nous,  en  Théo- 
logie, la  résoudre  par  la  manifestation  du  rapport  intime  du 
sujet  et  du  prédicat?  Évidemment  non,  car  nous  ne  connaissons 
pas,  par  la  foi,  la  quiddité  de  la  grâce  divine,  nous  ne  con- 
naissons que  ce  qui  nous  en  est  révélé  ;  d'où  le  seul  sens  dans 
lequel  nous  puissions  entendre  la  question  proposte  est,  au  fond, 
celui-ci  :  Vtrum  gratiam  esse  quid  creatum  sit  revelatmn.  Il  en 
est  de  même  pour  toutes  les  questions  théologiques.  Or,  c'est 
là  une  question  de  qualité  et  de  prédicat.  La  révélation,  formelle 
ou  virtuelle,  constitue  l'attribut  visé  par  toutes  les  questions  théo- 
logiques et  la  modalité  inhérente  à  toutes  les  solutions  qu'on 
leur  fera.  Ici  encore  coïncidence  analogique  avec  la  Dialectique. 


60  REVUE   DES   SCIEN'CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

III    —  Comparaison  et  solution. 

Nous  pouvons,  après  ces  explications,  lever  l'antinomie  si- 
gnalée au  début  de  cette  Section  entre  la  nature  de  la  Topique 
et  la  nature  de  la  Théologie,  entre  la  probabilité  qui  est  la  carac- 
téristique des  arguments  de  la  première  et  la  nécessité  qui  fait 
de  la  seconde  une  science. 

La  Théologie,  en  effet,  n'est  pas  une  science  comme  les  autres. 
Sa  forme  logique  est  la  même,  mais  ses  principes  diffèrent  : 
ils  ne  sont  pas  tirés  de  l'analyse  du  sujet  comme  les  princi- 
pes des  sciences,  mais  sont  communs  et  tirent  leur  valeur  probante 
du  critère  extrinsèque  du  consentement,,  d'ailleurs  obligé,  qu'ils 
rencontrent.  Sous  ce  rapport,  le  seul  que  nous  visions  en  ce  mo- 
ment, ils  offrent  une  analogie  de  structure  avec  ce  que  l'on 
nomme  en  dialectique  des  principes  probables  :  Probahilia  sunt 
quae  ut  mox  auclita,  approhantur,  sice  ah  omnibus,  sive  a  plu- 
rimis,  sive  a  doctis. 

Et  cela  suffit  pour  que  nous  puissions  regarder  la  Théologie 
comme  de  nature  dialectique,  tout  en  lui  conservant  sa  certitude 
absolue  de  science. 

La  probabilité  dialectique,  en  effet,  n'exclut  pas  la  nécessité; 
elle  en  abstrait.  Il  se  peut,  par  exemple,  que  ce  qui  cause  (l'appro- 
bation de  ses  principes  soit,  dans  certains  cas,  l'évidence  d'une 
nécessité  intérieure  entre  un  terme  et  un  autre.  Pour  la  Science, 
cette  inclusion  sera  l'essentiel,  le  consentement  universel  qui  en 
résulte  une  conséquence  accidentelle;  pour  le  dialecticien,  c'est 
le  consentement  qui  est  essentiel;  la  nécessité  est  l'accident. 
Pour  la  Science  une  proposition  nécessaire  est  celle  qui  ne  peut 
être  autrement  :  pour  le  dialecticien,  une  proposition  probable 
est  celle  qui  est  admise  par  un  certain  nombre  d'esprits,  qu'elle 
puisse  ou  ne  puisse  pas  être  autrement,  blêmes  différences  en 
ce  qui  regarde  l'argumentation  issue  des  principes.  Pour  la  Scien- 
ce, la  conclusion  tirée  da  principes  nécessaires  a  une  vérité  né- 
cessaire. En  dialectique,  de  principes  probables,  nécessaires  ou 
non  en  soi,  on  ne  tirera  jamais  qu'une  conclusion  probable, 
quand  même  it<lle  serait  en  matière  nécessaire.  On  voit  que  la 
certitude  absolue  se  concilie  fort  bien  dans  la  Dialectique,  avec 
la  probabilité,  au  sens  primitif  du  mot,  des  principes  et  des  con- 
clusions. 

Or,  c'est  cette  certitude  absolue,  que  la  Théologie  est  fon- 
dée à  réclamer  de  ses  principes.  Il  suffit,  pour  qu'elle  l'aie, 
que,  ce  qui  ost  dans  la  dialectique  naturelle  une  limite  supérieure. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  61 

éventuelle  et  indifférente  à  ses  visées,  de  la  probabilité,  lui  soit 
garanti.  Elle  l'est,  toutes  les  fois  que  la  parole  du  Dieu  ab- 
solumeiiL  véridique  témoigne  directement  ou  par  des  intermédiai- 
res infaillibles  en  faveur  de  ses  principes.  Que  si  cette  parole 
nous  parvient  dans  certains  cas  par  des  intermédiaires  moins 
assurés,  les  principes  de  la  Théologie  sui\Tont  alors  le  sort 
qui  leur  est  fait  par  ces  intermédiaires  et  donneront  prise  à 
l'opinion  contraire,  comme  les  principes  dialectiques.  Les  credir 
hilia  sont  donc  les  analogues  des  prohahiUa  de  la  dialectique, 
réserve  faite  de  leur  certitude,  en  droit  absolue. 

Et  il  n'y  a  pas  à  dire  que  ce  dont  Dieu  témoigne  étant  né- 
cessairement vrai,  les  vérités  de  foi  sont  des  principes  néces- 
saires. Car  s'il  est  nécessaire  que  Ce  dont  Dieu  témoigne  soit 
vrai,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  soit  vrai  d'une  vérité  nécessaire; 
tout  au  contraire,  la  présence  d'un  témoignage,  au  lieu  d'une  in- 
clusion de  termes,  comme  raison  de  sa  vérité,  marque  avec 
évidence  que  cette  vérité  appartient  au  genre  du  probable  tel 
que  nous  l'avons  défini.  A  l'objection  posée  en  langage  scolasti- 
que  :  Quod  Deus  dixit,  necessario  verum  est,  nous  répondrions 
nccessarium  verum,  Nego,  necessario  veruni,  probabilifer  seu  cre- 
dibiUter,  Concedo  (1). 

II 

IDÉE    d'ensemble    DES    TOPIQUES    d'aRISTOTE 

Le  problème  général  de  la  Dialectique  consiste,  nous  l'avons 
dit  (2),  à  chercher  si  un  prédicat  convient  à  un  sujet  donné.  Son 
moyen  général  de  solution  réside  dans  l'emploi  de  principes 
communs  et  probables  (3).  Cela  est  désormais  acquis. 

Puisque  nous  nous  proposons  de  décrire  la  méthode  théolo- 
gique en  fonction  de  la  méthode  dialectique,  il  nous  faut  main- 
tenant préciser,  et  amener  la  discipline,  que  nous  venons  de  ca- 
ractériser par  ses  deux  extrêmes,  au  point  où  elle  sera  utilisable 
par  le  Dialecticien  de  la  Théologie.  Pour  arriver  à  ce  résultat  il 
est  nécessaire,  d'une  part,  de  resserrer  davantage  les  termes  du 
problème  dialectique,  de  manière  à  le  diviser  en  questions  spé- 
ciales, faisant  appel  à  des  principes  de  solution  spéciaux;  d'autre 


1.  Cf.    A.    Gardeil.    La   Crédibilité   et   V Apologétique,   p.    86-91.    Paris.   Le- 
coffre,  1908. 

2.  P.   56. 

3.  P.    55. 


62  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

part,  de  déterminer,  avec  précision  et  en  regard  des  questions, 
ces  principes  eux-mêmes.  C'est  à  cette  double  tâche  qu'Aristote 
consacre  la  majeure  partie  du  livre  I  de  ses  Topiques.  Les  livres 
suivants,  II  à  VII,  contiennent  la  nomenclature  raisonnée  des 
principes  ainsi  découverts  appelés  par  lui  Lieux  dialectiques. 

Il  ne  sera  pas  inutile,  croyons-nous,  pour  éclairer  notre  marche, 
de  donne:'  une  idée  d'ensemble  des  divers  moments  de  la  mé- 
thodologie dialectique,  d'après  l'analyse  définitive  que  nous  en 
a  laissé  Aristote.  Celle-ci  comprend,  en  substance,  trois  parties  : 
La  division  des  Questions,  La  notion  du  Lieu  dialectique,  I^a 
théorie  des  Instruments  d'invention  des  Lieux  dialectiques. 

I.  —  La  division  des  Questions  dialectiques  (1). 

Une  question  bien  posée,  a-t-on  dit,  est  à  moitié  résolue.  C'est 
le  motif  qui  engage  Aristote  à  faire  précéder  l'apparatus  des 
moyens  de  solution  et  de  leurs  instruments  d'invention,  d'une 
détermination  plus  précise  du  problème  général  de  la  Dialecti- 
que. 

Il  y  a  quatre  manières  pour  un  prédicat  de  convenir  à  lun 
sujet,  et  partant,  quatre  questions  dialectiques  spéciales  :  1"  Le 
prédicat  appartient  à  l'essence  du  sujet  mais  le  déborde  en  ex- 
tension. Soit  par  exemple,  la  prédicat  animal  et  le  sujet  liomme. 
L'animalité  est  de  l'essence  de  l'humanité,  mais  ne  constitue 
pas  toute  cette  essence  :  elle  la  déborde.  La  question  :  l'homme 
est-il  un  animal?  est,  de  ce  fait,  nettement  caractérisée.  Elle 
relève  du  problème  du  genre,  le  genre  étant  par  définition  de 
l'essence  du  sujet  qu'il  caractérise,  auquel  il  est  d'ailleurs  supé- 
rieur en  extension.  —  2°  Le  prédicat  est  de  l'essence  du  sujet 
et  constitue  toute  cette  essence.  Il  ne  peut,  pour  cette  raison,  con- 
venir à  un  autre  sujet.  Soit  le  prédicat  animal  raisonnable  en 
regard  du  sujet  homme.  Nous  avons  ainsi  un  second  problème 
spécifiquement  distinct,  le  problème  de  la  définition,  3°  Le  pré- 
dicat n'est  plus  de  l'essence  du  sujet,  mais  il  est  avec  lui  en  telle 
relation  qu'il  ne  peut  être  attribué  à  :un  autre  sujet.  Soit  le  su- 
jet homme,  et  le  prédicat  sourire.  La  bête  ne  sourit  pas;  parmi 
les  animaux,  l'homme  seul  sourit,  parce  que  seul  il  a  l'intel- 
ligence qui  se  manifeste  dans  le  sourire.  Le  prédicat,  tout  extrin- 
sèque qu'il  soit  à  l'essence  du  sujet,  est  ici,  avec  elle,  eii  relation 
nécessaire.  D'où  un  troisième  problème,   celui  de  la  propriété. 

1.  Topic.  1.   T,  c.   III-M. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  63 

4^^  Enfin,  le  prédicat  n'est  ni  de  l'essence  du  sujet,  ni  relié  ,avec 
lui  par  iine  relation  nécessaire.  Soit  homme  et  blanc.  Quatrième 
problème  dont  l'objet  est  Vaccident. 

ArJstote  démontre,  tant  par  induction  que  par  déduction,  que 
ces  quatre  problèmes  épuisent  les  modes  selon  lesquels  un  prédi- 
cat peut  convenir  à  un  sujet.  Ses  commentateurs  l'ont  justifié  de 
n'avoir  pas  constitué  des  problèmes  spéciaux  pour  Vespèce  et 
la  différence,  en  remarquant  que,  dans  leur  usage  topique,  ces 
termes  offrent  les  mêmes  caractères  que  le  genre.  (1)  On  nous 
permettra  de  ne  pas  insister.  Nous  n'avons  pas  l'intention  d'ex- 
poser dans  leur  intégrité,  ni  surtout  de  justifier,  les  Topiques 
d'Aristote  (2),  mais  de  faire  saisir  le  rôle  et  la  portée  de  chacmie 
des  étapes  de  sa  méthode  dialectique,  dans  un  but  de  comparaison 
avec  la  méthode  théologique  (3). 


1.  San  Severino,  op.  et  edit.  cit.,  c.  Il,  a.  1.  p.  193. 

2.  Pour  cette  justification,  je  renvoie  au  remarquable  exposé  de  San 
Severino. 

3.  !^e  pourrait-on  pas  préciser  à  leur  tour  les  quatre  problèmes  dialectiques 
fondamentaux,  et,  en  serrant  de  plus  près  leurs  termes,  faciliter  le  déga- 
gement de  leurs  principes  de  solution?  Aristote  semble  nous  y  autoriser,  en  ce 
qui  regarde  du  moins  les  problèmes  de  la  définition  et  du  propre.  Le  pre- 
mier, à  l'entendre,  se  pose  selon  cinq  modalités  qui  en  fout  autant  de  sous- 
problèmes  de  la  Définition  :  1°  La  définition  convient-elle  à  tous  les  sujets 
contenus  sous  le  réel  défini?  2°  Est-ce  avec  raison  que  le  Genre  est  utilisé 
pour  définir?  3°  La  définition  propre  d'une  chose  par  sa  propriété  se  con- 
vertit-elle avec  le  sujet  défini?  4°  Comment  reconnaître  si  une  définition  don- 
née est  bonne?  5°  Comment  reconnaître  s'il  y  a  définition?  (1)  Le  pro- 
blème du  propre  comporte  deux  modalités,  selon  que  l'on  se  demande 
1°  si  la  propriété  d'un  sujet  a  été  bien  déterminée,  ou  2o  si  une  propriété 
donnée  est  effectivement  la  propriété  du  sujet  en  vue.  —  Mais  toutes  ces 
déterminations,  si  elles  sont  commodes,  n'offrent  pas  le  caractère  a  priori 
de  celles  qui  constituent  les  problèmes  fondamentaux  auxquels  elles  se 
rapportent.  Les  trois  premières  ont  été  suggérées  par  le  rapprochement  du  pro- 
blème de  la  définition  avec  les  trois  autres,  dont  ils  sont  des  aspects. 
Aussi  Aristote  renvoie-t-il  pour  leur  solution,  respectivement  aux  problèmes 
de  Vaccident,  du  genre  et  de  la  propriété.  D'ailleurs,  le  premier  d'entre  eux  est 
le  seul  à  viser  la  question  dialectique,  qui  est  celle  du  rapport  du  prédicat  à 
uii  sujet,  mais  il  la  _\àse  sous  un  rapport  accidentel,  ne  prenant  pas  le 
sujet  formellement,  mais  matériellement,  à  savoir  du  côté  des  individus  qui 
intégrent  ce  sujet.  D'où  son  renvoi  à  la  question  de  l'accident.  Quant  aux 
deux  autres,  ils  ne  traitent  pas  le  problème  dialectique  susdit  (pas  plus  d'ail- 
leurs que  le  quatrième  de  la  définition  et  le  premier  de  la  proprié'é),  mais 
ils  enquêtent  touchant  une  question  préliminaire,  concernant  uniquement 
\e  prédicat  et  nullement  le  rapport  du  prédicat  au  sujet.  Il  suffit  de  les 
relire  pour  s'en  convaincre.  Nous  avons  donc  affaire  à  quatre  questions 
présupposées  à  la  nôtre  et  partant  extrinsèques.  Restent  deux  sous-problè- 
mes :  le  5e  de  la  définition  et  le  2e  du  propre,  qui  coïncident  avec  les 
deux  problèmes  du  même  nom.  —  D'ailleurs  les  deux  autres  problèmes,  celui  du 
genre  et  celui  de  Vaccident,  n'ont  pas,  chez  Aristote,  de  subdivisions,  en  tant  qT.ie 
questions.  Leurs  subdivisions  se  tiendront  du  côté  des  réponses  qu'on  leur 
fait  et  seront  établies  par  des  considérations  tirées  de  la  matière  du  sujet 
et  du  prédicat  à  l'aide  ae  ce  que  nous  nommons  avec  Aristote  Ii\s  instruments 
dialectiques.  II  n'y  a  donc,  a  priori,  que  quatre  questions  dialectiques  for- 
mellement distinctes. 

1.  Ce  cinquième  sous-problème  se  divise  Ini-même  en  deux  questions  :  1"  La  définition  est-elle  faite  à  l'uide 
d'éléments  premiers  en  soi  et  plus  counus  par  nous  ?  2'>  La  définition  procéde-t-elle  de  ses  vrais  éléments, 
(tterite  et  différence)  ''  Nous  n'insistons  pas  sur  ces  détails  inutiles  à  notre  but. 


64  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

La  division  du  problème  de  la  Dialectique  en  quatre  problè- 
mes spécifiques  a,  comme  contre-partie  immédiate,  la  division 
a  'priori  de  ses  principes  de  solution  en  quatre  chefs  ou  titres  gé- 
néraux d'argumentation,  qu'Aristote  a  noimnés  d'un  mot  qu'il 
nous  faut  maintenant  expliquer  les  lieux  du  Genre,  de  la  Défini- 
tion, du  Propre  et  de  V Accident. 

II.  —  La  Notion  du  Lieu  dialectique. 

Il  n'est  pas  difficile  de  savoir  ce  qu'Aristote  entend  par  Lieu 
dialectique.  Les  faits  parlent  ici  plus  haut  qua  la  théorie.  Les 
faits  sont  représentés  par  les  six  livres  des  Topiques,  du  II*'  au 
VIl^',  où  Aristote  a  recensé  minutieusement  et  justifié,  en  les 
sériant  d'après  leurs  quatre  titres  généraux,  tous  les  principes 
de  solution  possibles  des  cpatre  problèmes  dialectiques.  Qu'y 
trouvons-nous?  Tout  simplement  des  propositions  probables,  plus 
ou  moins  générales,  toutes  prêtes  à  entrer  comme  prémisses  dans 
les  syllogismes  dialectiques,  aptes  à  leur  servir  de  majeures  puis- 
qu'elles sont  générales,  et  au  besoin  aussi  de  mineures,  lorsque  la 
question  se  prête  à  une  certaine  généralité  de  solution,  ou  encore 
lorsque,  faute  de  mineure  spéciale  appropriée,  on  est  obligé  de  se 
contentej  d'une  réponse  très  générale,  ce  qui  ne  sort  pas  de  la  note 
d'une  doctrine  de  la  probabilité.  Citons  au  hasard.  Voici  les  pre- 
miers lieux  du  genre  :  Si  un  genre  prétendu  ne  peut  être  attribué 
à  une  espèce  ou  à  tin  individu  de  cette  espèce,  ce  n'est  pas  en  réa- 
lité un  genre.  —  L'attribut  qui  ne  convient  pas  essentiellement  à 
tous  les  sujets  auxquels  il  peut  être  attribué,  ne  saurait  être  leur 
genre.  —  Le  prédicat  auquel  convient  la  définition  cVun  accident 
n'est  pas  le  genre  du  sujet  de  cet  accident.  Et  ainsi  de  suite. 
Il  est  donc  bien  certain  que  la  nomenclature  des  lieux  dialec- 
tiques n'est  pas  autre  chose,  pour  Aristote,  qu'une  liste  détaillée  de 
propositions  générales. 

A  l'appui  de  ce  témoignage,  il  ne  sera  pas  inutile  de  joindre 
celui  de  la  Rhétorique  du  Philosophe.  A  vrai  dire,  les  moyens 
de  conviction  dont  dispose  le  rhéteur  ne  sont  pas  tous  d'ordre 
logique.  11  fait  appel  aux  ornements  du  discours,  aux  mœurs  ora- 
toires, et  à  bien  d'autres  procédés.  Cependant  le  rhéteur,  puis- 
qu'il parle,  s'adresse  aux  intelligences,  et  dès  lors,  il  lui  faut  \ni 
fond  toujours  prêt  d'arguments  capables  de  les  persuader.  Quelle 
ressource  mieux  appropriée  à  ce  but  que  les  lieux  dialectiques, 
qui,  par  leur  probabilité,  sont  supposés  jouir  de  la  commune 
approbation  de  leurs  auditeurs,  et,  par  leur  généralité,  sont  aptes 


LA     NOTIOX     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  65 

à  servie:  instantanément  d'amorce  à  toutes  sortes  d'arguments? 
Aussi,  toute  rhétorique  complète  contient  une  topique  simplifiée, 
et  qui,  sans  prétendre  épuiser  méthodiquement,  comme  la  Topi- 
que dialectique,  toutes  les  manières  possibles  dont  un  prédicat 
est  susceptible  de  convenir  à  un  sujet,  énumère  les  principales, 
celles  dont  l'usage  est  le  plus  fréquent  et  va  davantage  au  but 
du  rhéteur.  Aristote  a  recensé  ces  lieux  topiques  de  la  Rhétori- 
que, et  ici  encore  ce  sont  des  propositions  que  nous  renoon- 
trons  (1).  Mais,  dans  sa  Rhétorique,  il  ne  s'est  pas  contenté  de 
les  recenser,  il  a  défini  expressément  le  Lieu,  ce  qu'il  n'avait  pas 
fa:t  dans  sa  Dialectique,  et,  grâce  à  l'affinité  des  deux  doctrines, 
la  notion  du  lieu  dialectique  que  les  faits  nous  avaient  suggérée, 
s'en  trouve  éclaircie  et  confirmée.  «  Parlons  maintenant,  dit-il, 
des  éléments  des  enthymèmes  (2);  j'entends  par  élément  et  lie^a 
d'enthymème  une  seule  et  même  chose  (3)  ».  Or  les  éléments 
d'un  syllogisme  sont,  selon  sa  conception  courante,  les  propo- 
sitions dont  le  syllogisme  se  compose  (4).  Voici,  du  reste,  quel- 
ques lignes  plus  loin,  une  déclaration  explicite  :  «  Nous  avons 
exposé  presque  complètement  les  Lieux,  dit  le  Philosophe,  puis- 
que, sur  chaque  sujet,  des  propositions  ont  été  choisies;  de  telle 
sorte  que  c'est  désormais  chose  faite  que  l'indication  des  Lieux 
d'où  nous  tirerons  des  arguments  sur  le  bien  et  sur  le  mal,  sur 
l'honnête  et  sur  le  honteux  (5)  etc.  » 

Aucun  doute  ne  saurait  donc  subsister.  Les  lieux  dialecti- 
ques sont;,  pour  Aristote,  des  propositions  probahles  et  généra- 
les. Mais  pourcjiioi  les  appeler  des  Lieux?  Le  voici.  En  vertu  de 
leur  caractère  de  probabilité,  dû  à  ce  qu'elles  relèvent  d'un  moyen 
banal  de  comdction,  le  consentement  commun,  ces  propositions 
n'appartiennent  de  droit  à  aucune  branche  spécialisée  de  la  con- 
naissance, mais  peuvent  s'appliquer  à  toutes  ou  a  plusieurs. 
D'ailleurs,  en  vertu  de  la  généralité  de  leurs  termes,  elles  consti- 
tuent des  principes  universels  qui  planent  au-dessus  des  prin- 
cipes propres  de  chaque  science.  Ces  deux  caractères  com- 
binés prédestinent  chacune  de  nos  propositions  générales  à  servir 


1.  Rhét.,  I.  II,  c.  XXIII,  édit.  Didot,  t.  i,  p.  275. 

2.  L'enthymème  est  le  syllogisme  propre  du  rhéteur. 

3.  Rhét.,  ibid.,  cxxii,  §  13.  Edit.  Didot  p.  374,  375. 

4.  San  Severino,  opère  et  edit.  cit.,  c.  ii,  a.  9,  p.  287.  Sau  Séverine  cite 
à  l'appui  un  passage  des  Métaphysiques,  mais  il  semble  s'être  illusionné  sur 
sa  signification  et  sur  sa  portée  pour  sa  thèse,  comme  on  peut  s'en  convaincre 
en.  lisant  l'explication  de  ce  passage  dans  le  commentaire  de  S.  Thomas. 
Métaph.,  1.  V,  leç.  iv,  édit.  Parme,  f.  xx,  p.  388. 

5.  Il  Rhét.,  loc.  cit.,  §  16. 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  i.  5 


66  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  majeure  à  plusieurs  argimients,  gui  trouveront  en  elles  com- 
me leur  lieu  naturel,  celui  où  l'on  sera  sûr,  par  exemple, 
si  l'on  cherche  à  résoudre  un  problème  dialectique  suscepti- 
ble de  se  résoudre  par  la  définition,  de  rencontrer  tous  les  prin- 
cipes approuvés  qui  régissent  la  matière  de  la  définition.  On  voit 
que  la  métaphore  se  soutient  très  bien.  Un  exemple  pour  en 
faire  ressortir  ce  que  c'est  l'occasion,  ou  jamais,  de  nom- 
mer la  topicité  :  Soit  cette  proposition  :  Si  contrario  con- 
trarium  inest,  et  contrarium  contrario.  On  peut  subsumer, 
en  matière  morale  :  sed  bonum  jiivat,  et  conclure  :  ergo  malum 
nocet;  en  matière  logique  :  sed  affirmatio  est  causa  affirmationis, 
et  conclure  :  ergo  7iegatio  est  causa  negationis,  etc.  (1). 

III.  —  Instruments  d'invention  des  Lieux  dialectiques. 

Pour  passer  des  quatre  titres  généraux  des  principes  d'argu- 
mentation dialectique,  donnés  par  la  division  des  questions,  à 
cette  multitude  de  propositions  qui  les  remplissent,  Aristote  for- 
mule certaines  règles  générales  qu'il  appelle  «Les  instruments 
aptes  à  nous  pourvoir  de  syllogismes  et  d'inductions  (2).  » 

Ces  Instruments  sont  au  nombre  de  quatre  à  savoir  :  la  re- 
cension  des  propositions,  la  distinction  des  ambiguïtés,  le  colla- 
tionnement  des  différences,  l'examen  des  ressemblances. 

Au  fond,  il  n'y  a  qu'un  seul  instrument  d'invention  des  lieux  : 
la  recension  des  propositions.  Les  trois  derniers  instruments, 
comme  l'a  remarqué  Aristote,  sont  plutôt  des  auxiliaires  que 
des  instruments  à  part.  Ils  travaillent  sur  un  premier  fond  de 
données  fournies  par  le  premier  instrument,  et,  par  ce  concours, 
aboutissent  à  un  choix  plus  judicieux  et  plus  intégral  de. 
Lieux   (3;. 

Cependant,  précisément  parce  que  le  premier  instrument  joue 
ce  rôle  spécial  de  fournir  la  matière  foncière  des  Lieux  dialec- 
tiques, il  s'explicite  dans  plusieurs  règles  particulières  qu'Aris- 
tote  énumère  au  chapitre  XII^  de  son  premier  livre  (4).  En  voici 
des  extraits  :  On  devra  recueillir  toutes  les  propositions  proba- 

1.  La  notion  aristotélicienne  du  lieu  dialectique  a  été  reproduite  et  déve- 
loppée conformément  à  cette  doctrine,  par  tous  les  grands  commentateurs 
(lu  Philosophe,  Théopliraste,  Alexandre,  Thémistius,  Boèce,  Cassiodore,  Aver- 
roés,  Albert  le  Grand.  Cf.  la  dissertation  de  San  Severino  gur  VHistoire  du  Lieu 
dialectique,  opère  et  edit.  cit.,  a.  ix,  p.  287-301. 

2.  Topiques,  1.  i,  c.  xi,  éd.  Didot,  p.  180.  Cf.  B.\rthélemy  Saint-Hil.\ire,  De 
la  Logique  d'Aristote.  Deuxième  partie,  c.  VI. 

3.  Ihid.  Cf.  S.\N  Severino,  opère  et  edit.  cit.,  p.  335. 

4.  Edit.   Didot,  p.  180. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  67 

bles,  approuvées  comme  telles,  soit  par  la  multitude,  soit  par 
les  doctes,  soit  par  un  seul  sage  faisant  autorité.  —  On  devra 
noter,  par  la  même  occasion,  les  propositions  contraires  aux  pre- 
mières et  celles  qui  ont  de  l'analogie  avec  elles.  —  L'enquête 
devra  s'étendre  aux  documents  écrits,  s'adresser  à  l'histoire,  pren- 
dre son  bien  dans  les  diverses  sciences,  relevant  ici  des  pro- 
positions de  Morale,  là  des  propositions  de  Physique  ou  de  Lo- 
gique. Pas  d'autre  critère  de  ce  premier  choix,  même  en  ma- 
tière nécessaire;  que  la  probabilité  des  propositions,  puisque  c'est 
par  là  que  la  Dialectique  se  distingue  de  la  Philosophie  qui  a 
pour  norme  la  vérité  en  soi  des  choses.  —  On  devra  prendre  des 
propositions  aussi  universelles  que  possible,  sans  négliger'  de 
pousser  leur  division  jusqu'aux  extrêmes  limites,  (où  elles  de- 
viennent particulières)  de  manière  à  pouvoir  en  faire  d'une  plu- 
sieurs et  réciproquement.  —  Ce  dernier  précepte  engage  déjà 
le  concours  des  autres  instruments. 

Le  second  instrument,  la  distinction  des  ambiguïtés,  rwv  rSk- 
).a/6j;  Iv/ouvjwj,  a  pour  but  de  multiplier  les  lieux  dialectiques 
au  sein  d'une  proposition  déjà  recensée  comme  probable,  mais 
dont  les  termes  sont  équivoques.  Une  première  règle  pour  dé- 
noncer l'ambiguïté  sera  de  faire  appel  aux  oppositions.  Si,  en 
effet,  plusieurs  termes  s'opposent  au  terme  qui  sert  de  prédicat 
à  une  proposition  probable,  c'est  le  signe  que  celui-ci  est  ambi- 
gu, et  que  l'on  peut  tirer  de  la  proposition  qui  le  renferme  plu- 
sieurs propositions.  Soit  le  terme  aigu;  en  phonétique  il  a  pour 
contraire  le  terme  grave;  en  armement,  le  terme  émoiissé ;  en 
médecine  le  terme  chronique;  etc.,  autant  de  propositions.  Aris- 
tote  passe  en  revue,  à  cette  intention,  toutes  les  sortes  d'oppo- 
sitions, la  contraire,  la  contradictoire,  la  privative  et  pour  cha- 
cune d'elles  donne  des  préceptes  propres  à  féconder,  pax  l'oppo- 
sition, une  proposition  probable.  —  Une  autre  règle  sera  de 
rendre  les  termes  aux  catégories.  Le  terme  hon,  par  exemple, 
a  une  autre  signification  selon  qu'on  l'applique  aux  aliments, 
à  la  médecine,  à  la  morale,  au  quando  et  au  quantum.  —  D'autres 
règles  sont  prises  des  genres  intermédiaires  non  subalternés  et 
de  leurs  différences.  Je  renvoie  pour  tous  ces  détails  à  Aristote  (1) 
et,  pour  le  reproche  de  subtilité  que  l'on  serait  tenté  de  lui  faire, 
à  San-Severino  qui  en  endosse  allègrement  la  responsabilité  (2). 

Voici  maintenant  le  collationnement  des  différences.  Il  faudra 


1.  Topic,  1.   ï,  c.  XIII,   édit.  Didot,  p.   181  sq. 

2.  Op.  cit.,  p.  343,  §  ne  vero  quis  nobis  quasi  quisquilias... 


08     ■       REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

s'attacher  de  préférence  aux  termes  qui  diffèrent  peu.  —  Il  faudra 
chercher  les  différences  au  sein  des  genres.  —  Au  contraire 
les  ressemblances  devront  être  recherchées  de  préférence  dans 
des  genres  divers,  surtout  dans  les  plus  distants  les  uns  des 
autres.  Sans  négliger  cependant  celles  qui  se  trouvent  au  sein 
d'un  même  genre... 

Encore  une  fois,  nous  n'insistons  pas,  notre  seul  but  étant 
de  faire  constater  au  lecteur  que,  dans  l'esprit  d'Aristote,  les 
Instruments  sont  bien  des  règles  de  découverte,  d'invention, 
jouant  dans  la  Dialectique  un  rôle  intermédiaire  qui  est,  de 
jmsser  des  titres  généraux  d'argumentation  aux  propositions  im- 
médiatement susceptibles  de  s'adapter  à  n'importe  quel  aspect 
des  questions  auxquelles  coi'respondent  les  titres  généraux  (1). 

IV.  —  Conclusion. 
Lieux  dialectiques  proprement  dits  et  Lieux  communs  (2). 

Une  conséquence  de  la  Théorie  aristotélicienne  des  Lieux  est 
la  distinction  de  deux  sortes  de  propositions  générales,  capables 
d'entrer  dans  les  arguments  qui  répondent  aux  questions  dialec- 
tiques. Au  moment  que  nous  avons  entrepris  cette  théorie,  la 
seule  donnée  dont  nous  disposions  consistait  dans  les  quatre 
grands  titres  généraux  qui  différencient  a  priori  les  lieux  dia- 
lectiques, lieux  du  Genre,  de  la  Définitioyi,  du  Propre  et  de 
VAccident. 

Or,  remarque  très  importante,  ces  quatre  grands  caractères  diffé- 
rentiels peuvent  eux-mêmes  être  formulés  en  propositions  géné- 
rales, n  suffit  d'expliciter  le  rapport  que  l'essence  de  chacun  d'eux 
est  apte  à  développer  en  regard  des  sujets  dont  le  Problème 
dialectique  fondamental  a  pour  but  de  chercher  les  prédicats. 
Par  exemple,  on  formulera  la  propriété  foncière  de  la  Définition 
vis-à-\is  du  sujet  défini  par  elle,  et  l'on  aura  cette  proposition 
évidente  pour  qui  sait  ce  que  c'est  qu'une  définition  :  Défini  et  Dé- 
finition s'équivalent,  ou,  si  l'on  préfère  les  circonlocutions  cicéro- 


1.  Cf.  SiLVESTER  Maurus,  hi  Aristot  Top.,  Brecis  paraphrasis,  1.  I,  c.  XI. 
XII,  édit.  Ehrle,  Paris,  1885,  t.  I,  p.  -403.  Ce  rôle  si  simple  et  si  bien  en 
place,  a  été  méconnu  par  certains  critiques.  San  Severino  reproche  à  Thionville, 
dont  il  vante  d'ailleurs  l'ouvrage  De  la  Théorie  des  Lieux  communs  dans 
les  Topiques  d'Aristote,  et  des  principales  modifications  qu'elle  a  subites 
iusQuà  nos  jours  (Paris,  1838),  de  s'être  complètement  mépris  au  sujet 
des  Instruments  dont  il  fait  des  lieux  dialectiques  d'un  ordre  spécial.  San 
Severino,  op.  cit.,  p.  333,  note. 

2.  Cf.  BoÈcE,   In    Topica   Ciccronis  comment..   1    I,   ^Iigne,   P.   L.,    t.  LXIV 
col.    1052-10.54. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  69 

niennes  :  Definitio  adhibetur,  qitae  quasi  involutum  evolvit  id  de 
quo  quaeritur  (1).  Il  n'est  pas  douteux,  et  les  rhéteurs  le  savaient 
bien,  qu'en  dépit  de  sa  très  grande  généralité,  cette  proposition 
ne  puisse  ser\àr  de  lieu  pour  la  solution  telle  quelle  d'un  grand 
nombre  de  questions  dialectiques.  En  faisant  subir  la  même 
opération  aux  quatre  caractéristiques  différentielles,  nous  serons 
en  possession  de  quatre  Lieux  suprêmes  —  maxlmi  —  qui  rachè- 
teront par  leur  é\ddence  ce  qui  leur  manquera  de  faculté  immé- 
diate d'adaptation  aux  modalités  spéciales  des  questions. 

Mais  ces  Lieux  suprêmes  se  diviseront  à  leur  tour,  grâce  aux 
Instruments,  dont  le  rôle  est  de  multiplier  les  Loci  (2).  C'est  ce 
que  Boèce  énonce  ainsi  :  Argumenti  enim  sedes  partim  proposilio 
maxima  intelligi  potest,  partim  maximae  propositionis  differen- 
tia  (3).  Pour  trouver  ces  différences  il  n'y  a  qu'à  analyser  les 
caractéristiques  différentielles  latentes  dans  chacun  de  nos  pré- 
dicats généraux,  en  commençant,  pour  procéder  avec  ordre  et 
ne  rien  omettre,  par  celles  qui  tiennent  à  l'essence  même  des 
quatre  prédicats,  en  continuant  par  celles  qui  sont  prises  de 
leurs  différences  spécifiques,  de  leurs  propriétés,  de  leurs  con- 
séquences nécessaires,  de  leurs  contraires  et  de  leurs  accidents. 
Voyons  l'application  de  ce  procédé  au  Lieu  suprême  de  la  dé- 
finition. DéfÎ7ii  et  définition  s'équivalent.  Aristote  en  tire  les 
trois  propositions  suivantes  :  —  Ce  qui  ne  convient  pas  à  la 
définition  du  Sujet  ne  convient  pas  au  Sujet  lui-même  ;  —  Si 
la  définition  d'un  attribut  ne  convient  pas  au  Sujet,  l'attribut 
ne  lui  conviendra  pas  davantage;  —  Si  la  définition  d'un  attri- 
but ne  convient  pas  à  la  définition  du  Sujet,  l'attribut  à  son 
tour  ne  convient  pas  au  Sujet  (4).  Le  nerf  de  ces  trois  propositions, 
il  suffit  de  les  relire  pour  que  cela  saute  aux  yeux,  est  l'identité 
du  Défini  et  de  la  Définition,  et  donc  le  Lieu  même  de  la  Défini- 
tion dans  toute  son  universalité.  Mais  combien  plus  explicite 
est  leur  teneur  et  comme  elle  serre  de  plus  près  la  question! 

1.  Topica,  c.   Il;  cf.  San  Severino,  op.  cit.,  p.  291. 

2.  Haec  ergo  siint  instrumenta  quibus  inveniuntur  loca  particidaria  uniuS' 
cujnsque  qiiaesifi  locorum  universalium.  Averroes,  in  Topic,  1.  i,  in  calce 
Venise,  1503,  p.  265,  verso. 

3.  De  differ.  Top.,  1.  II.  Migne,  P.  L.,  t.  LXIV,  col.  1185.  Pour  toute  cette 
exposition,  cf.  San  Severino.  op.  cit.,  p.  293. 

4.  Topic,  I.  II,  c.  II,  §  3,  édit.  Didot,  col.  187.  Cet  exemple  est  em- 
prunté au  livre  qni  concerne  les  Lieux  de  l'Accident  absolu,  ce  qui  tient 
à  ce  que  les  différents  loci  se  prêtent  un  mutuel  secours.  Mais  sa  place  est 
parmi  les  Lieux  de  la  Définition  ad  refeUendiim,  et  Aristote  a  eu  soin  de 
la  marquer  1.  vi.  c.  i,  §  1,  en  renvoyant,  nour  le  détail,  aux  Lieux  de  l'Accident 
dont  la  description  précède,  chez  lui,  les  Lieux  de  la  Définition  {ihid.,  §  2,  édit. 
Didot,  235)  afiu  de  ne  pas  se  répéter. 


70  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Comme  elle  emmanche  plus  directement  la  réponse,  et,  c'est  en- 
core le  cas  de  le  dire,  combien  la  première  était  commune  et 
combien  celle-ci  est  topique  (1)!  Il  est  des  exemples  nombreux 
où  cette  division  peut  être  poussée  plus  loin,  jusqu'à  ce  que  l'on 
rencontre  selon  le  mot  d'Averroès  loca  particularia  uniusciijusque 
quaesiti  locorum  universalium.  On  aboutit  alors  à  des  séries 
de  propositions,  graduées  selon  une  échelle  descendante  d'uni- 
versalité. Il  y  a  les  Lieux  dialectiques  suprêmes,  les  intermé- 
diaires ou  majeurs,  les  Lieux  dialectiques  proprement  dits,  ou 
spéciaux.  Cette  division  est  analogue  à  la  division  que  l'on  fait, 
en  Logique,  des  Genres  et  des  Espèces  en  Genre  suprême  tpii 
n'est  que  genre,  en  Espèces  spéciales  qui  ne  sont  qu'espèces,  en 
essences  intermédiaires,  tour  à  tour  genres  et  espèces,  selon 
qu'elles  regardent  leurs  conséquents  ou  leurs  antécédents.  Mais 
on  n'en  retient  d'ordinaire,  en  dialectique,  que  deux  membres: 
les  Lieux  communs  que  comprennent  les  deux  premiers  et  les 
Lieux  topiques  qui  sont  à  proprement  parler  les  Lieux  dia- 
lectiques. Cette  distinction  est  des  plus  importantes  pour  l'in- 
telligence des  lieux  théologiques  que  nous  ne  perdons  pas  de 
vue.  Aussi  malgré  le  développement  qu'a  pris  ce  résumé,  bien 
sommaire  pourtant,  de  la  théorie  des  Lieux  dialectiques  d'après 
iVristote,  devons-nous  faire  à  son  sujet  encore  deux  remarques. 

La  première  concerne  une  conception  du  Lieu  dialectique,  en 
usage  chez  les  rhéteurs,  qui  repose  sur  une  confusion  entre  les 
Lieux  commmis  et  les  Lieux  spéciaux.  Voici  les  textes  fonda- 
mentaux de  Cicéron  qui  la  définissent:  1°  Vt  igitur  earum,  rerum, 
quae  absconditae  simt,  demonstrato  et  notato  loco  facilis  inventio 
est,  sic,  cum  pervestigare  argumeniuin  aliquod  volumus,  locos  nosse 


1.  Pour  fixer  les  idées,  prenons  le  premier  des  trois  Lieux  cités  plus  haut 
de  la  Définition.  Le  prédicat  Définition  du  lieu  suprême  de  la  Définition 
s'y  trouve  remplacé  par  cette  différentielle  :  ce  qui  convient  à  la  définition  du 
sujet.  On  va  voir  l'usage  dialectique  de  cette  substitution  :  soit  ce  problème 
qu'Aristote  cite  pour  l'illustrer  :  L'honnête  homme  est-il  envieux?  el  (peovepos 
à  (Tirovôaîos.  Analysons  le  prédi  cat  (pdovepos.  Il  vient  :  Envie  =  faiblesse 
provoquée  par  la  vue  du  bonheur  des  autres,  =  passion  indigne  de  l'honnête 
homme  (cpavXov).  Subsii nions  ce  résultat  de  l'analyse  à  la  proposition  générale 
qui    constituo   notre    lieu    sous   sa   forme   explicite.  Il   vient  : 

Majeure  (topique)  :  Ce  qui  ne  convient  pas  à  la  définition  du  sujet  ne 
convient  pas   au  sujet  lui-même. 

Mineure  (d'analyse)  :  Or,  l'envie  ne  convient  pas  à  la  définition  de  l'hon- 
nête  homme. 

Conclusion  :  Donc  un  honnête  homme  n'est  pas  envieux  (1).  —  Si  noug 
n'avions  eu  pour  moyen  de  solution  que  le  principe  général  :  le  Défini  et  sa 
Dr /i  II  il  Ion  s' équi  calent,  il  nous  eût  fallu  pour  rejoindre  la  même  conclusion 
tout  un  échafaudage  de  syllogismes. 

1.  Cf.  AUIST.  Topic.  1.  H,  c.  Il,  §  3,  p.  187. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  71 

dehemus.  Sic  enim  appellatae  siuit  ah  Arisfotele  hae  quasi  sedes, 
e  qiiibKS  argumenta  promuntur.  Itaque  licet  definire  locimi  esse 
argumenti  sedem  ;  argumentum  autem  ratio7iem  quae  rei  dubiae 
fidem  faciat.  (1)  2°  Kis  igitur  locis,  qui  suut  expositi,  ad  omne 
argumentHUi  reperiendum,  tanquam  démentis  quihusdam,  signi- 
ficaiio  et  de))wnstratio  datiir  (2).  3°  Idemque  locos,  sic  enim  appel- 
laf,  quasi  argumentorum  notas,  tradidit,  unde  omnis  in  utram- 
que  portem  traheretur  oratio  (3).  Comme  le  note  excellemment 
San-Severino,  toutes  ces  explications  n'apportent  rien  de  nou- 
veau :  elles  ne  font  que  substituer  à  la  métaphore  Lieu,  d'autres 
métaphores,  sedes  argumenti,  notas,  qui  n'apprennent  rien  de 
plus  (4).  Mais  voici  qui  est  plus  grave.  En  parcourant  les  listes 
de  lieux  données  dans  les  ouvrages  que  l'on  vient  de  citer 
et  dans  les  Fartitions  oratoires  (5),  on  s'aperçoit  que  les  Lieux 
dialectiques  ne  représentaient  pas,  pour  Cicéron,  des  propositions 
générales,  mais  des  termes  simples,  p.  e.,  les  mots  Définition, 
Genre,  qui  servent  de  caractéristiques  différentielles  aux  pro- 
positions qui,  seules,  pour  Aristote,  constituent  les  Lieux.  De 
plus,  de  ces  caractéristiques  il  n'a  pris  que  les  plus  générales, 
celles  qui  servent  de  point  d'attache  aux  lieux  communs  d' Aris- 
tote, et  il  y  a  entremêlé  des  termes  qui  chez  Aristote  concer- 
naient les  Instruments,  par  exemple  :  la  différence,  la  ressem- 
blance. A  n'en  pas  douter,  les  Lieux  dialectiques  ne  sont  dans  la 
pensée  de  Cicéron  que  des  signes  indicateurs,  argumentorum 
notas,  comme  il  dit,  qui  marquent,  comme  une  sorte  de  signet, 
nota,  Vendrait  où  se  trouvent  des  arguments.  Qu'une  question  soit 
posée^  l'orateur  parcourra,  d'un  regard,  la  série  de  ces  moyens 
quasi-mnémotechniques,  s'arrêtant  à  celui  qui  peut  faire  l'ace  à 
la  question.  Si  c'est  par  exemple  la  Définition,  il  pose  aussitôt 
en  principe  :  le  défini  et  la  définition  s'équivalent,  et  il  l'applique 
au  sujet. 

Il  n'est  pas  difficile  d'apprécier  le  genre  d'art  auquel  appar- 
tient une  telle  notion.  C'est  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  inférieur  : 
nous  sommes  ici  en  plein  procédé  de  rhétorique;  les  Lieux  ne 


1.  C'iCERO,  Topica,  c.  II,  édit.  Paiickoucke.  Paris.  183.5,  t.  V.  p.  220.  —  Cf. 
BoÈCE,    in     Top.     Cic.     comment.,    1.    I.    Migne.    P.    L.,    t.    LXIV,    col.>   1054. 

2.  Ihid.,  c.  V,  traduction  Delcasso  :  «  Les  lieux  que  je  viens  d'exposer  sont 
des  signes,  des  marques  infaillibles  qui  nous  font  découvrir  les  arguments  ; 
ils   en   sont  comme  les  principes.  »  Edit.  cit.,  p.  231. 

3.  Orator,  c.  XIV,  edit.  cit.,  p.  38. 

4.  Opère  cit.,   p.  290. 

5.  C.  Il,   edit.   cit.,  p.  203,  sq. 


72  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

sont  plus  qu'une  recette  simplifiée  et  maniable,  à  l'usage  çles 
orateurs.  Ce  sont  des  endroits  où  il  y  a  des  argmnents,  «  comme 
dans  les  fonds  sablonneux  certaines  espèces  de  poissons,  et 
dans  les  fonds  rocheux  certaines  autres  »,  insistera  douloureu- 
sement l'excellent  Quintilien  (1).  Ce  sont  des  loca  argiDuentoruni, 
mais  ce  ne  sont  plus  ce  que  San-Severino  nomme  si  justement 
des  loca  argumentationis,  le  mot  argumentation  désignant  ici, 
selon  la  force  même  du  vocable,  l'argument  en  acte,  en  exercice, 
vivant,  en  passe  de  se  formuler  :  majeure,  mineure,  conclusion. 
Nous  aurons  à  revenir  sur  cette  première  remarque,  car  Mel- 
chior  Cano,  qui  connaissait  cependant  bien  la  Dialectique  d'Aris- 
tote,  a  emprunté  à  Cicéron  la  définition  de  ses  Loci. 

La  seconde  remarque  concerne  l'emploi  des  Lieux  communs, 
en  dialectique.  Tandis  que  les  lieux  dialectiques  spéciaux  entrent 
toujours  dans  les  raisonnements,  explicitement  et  comme  pré- 
misses, les  Lieux  commans  n'y  entrent  pas  toujours  de  cette 
manière.  Ils  y  sont  parfois  à  l'état  implicite.  Ils  dirigent  l'argu- 
mentation du  dehors,  de  haut  et,  sans  se  mêler  à  sa  teneur,  en 
font  la  force.  C'est  ce  qu'Averroès  traduit  en  disant,  d'après  ïhe- 
mistius,  que  les  Lieux,  s'ils  sont  essentiellement  des  prémisses 
de  syllogismes,  ne  s'y  trouvent  pas  toujours  secundum  se,  mais 
parfois  sua  sententiâ  et  potestate  (2).  Si  par  exemple  nous  vou- 
lons montrer  que  le  sage  n'est  pas  emueux,  nous  dirons  : 

L'en\'ieux  s'afflige  du  bonheur  d'autrui, 

Celui  qui  s'afflige  du  bonheur  d'autrui  n'est  pas  un  sage. 

Le  sage  n'est  donc  pas  envieux  (3). 

Cette  argumentation  est  fondée  sur  cette  proposition  générale  : 
Des  déimitions  diverses  entraînent  des  essences  diverses,  laquelle 
n'entre  pas  dans  le  syllogisme  dont  elle  est  cependant  le  nerf. 
Or  cette  proposition  est  un  des  Lieux  majeurs  de  la  Définition. 
On  voit  ainsi  que  les  Lieux  peuvent  être  sous-entendus,  sur- 
tout quand  ils  sont  évidents,  ce  qui  est  le  cas  des  Lieux  les 
plus  généraux,  .des  Lieux  communs,  bénéficiaires  privilégiés  de 
ce  mode  d'emploi.  Cette  remarque  sera  de  grande  conséquence 
pour  l'intelligence   des  Lieux   théologiques. 

1.  Jnstit.   orat.,   1.   V.,    c.   X,   cité   par   San   Severino,   p.   292. 

2.  Dans  le  Tractatus  de  locis  annexé  à  son  commentaire  du  I.  I  des 
Toixqups.  Ave.rr.  Comment.,  Venise,  1503,  p.  266  recto.  Cf.  Boèce.  In  Top. 
Cufroms,  1.  I.  Migne,  P.  L.,  t.  LXIV,  col.  1051;  C.\ssiodore,  op.  cit.,  §  De 
SyUogismis,  Migne.  P.  L.,  t.  LXX,  col.  1181. 

3.  Cf.  p.   70,  en  note. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  73 


Notre  enquête  logique  est  terminée.  Il  nous  faut  maintenant, 
conformément  à  l'intention  annoncée  au  début  de  cet  article, 
exposer  la  théorie  des  Lieux  théologiques,  parallèlement  à  celle 
des  Lieux  dialectiques,  ce  que  nous  ferons  en  parcourant  saccessi- 
vement  les  trois  moments  de  la  théorie  aristotélicienne  :  les 
Questions,  les  Instruments,  les  Lieux  (1). 

Kaiii.  (A  suivre). 

Fr.  A,  Gardeil. 


1.  Dans  l'exposé  de  la  dialectique  aristotélicienne,  nous  avons  interverti 
cet  ordre  gui  est  conforme  à  la  marche  génétique  de  la  théorie.  C'est  qu'il 
était  bien  difficile  de  faire  comprendre  les  Instruments,  avant  d'avoir  exposé 
la  notion  des  Lieux,  que  les  Instruments  sont  destinés  à  découvrir.  Main- 
tenant,  il  n'y   a  plus   aucun   inconvénient  à  suivre  l'ordre   naturel. 


Les  Assemblées 

du  Clergé  de  France 

sous  TAncien  Régime 


MATERIAUX  ET   ORIGINES 

«  T  L  esl  peu  d'institutions  de  l'Ancien  Régime  qui  soient  aussi 
X  intéressantes  que  les  anciennes  Assemblées  du  Clergé  de 
France  »,  écrivait  récemment  M.  Hauser  (1).  Et  de  fait,  aucune 
création  similaire  ne  se  retrouve  ailleurs  en  Europe  (2).  En  Fran- 
ce, ces  assemblées  ont  permis  à  l'Église  de  S3  donner  et  de  se 
conserver  une  organisation  temporelle  puissamment  centralisée; 
elles  ont  joué  un  rôle  considérable  en  matière  doctrinale,  disci- 
plinaire, juridictionnelle  et  financière;  elles  ont  maintenu  le  prin- 
cipe de  l'impôt  librement  consenti  ;  enfin,  elles  ont  à  beaucoup 
d'égards  servi  de  type,  bien  plus  que  le  Parlement  anglais,  aux 
corps   délibératifs  de  l'époque  révolutionnaire. 

Et  cependant  depuis  leur  disparition,  à  part  les  réunions  de 
1680  et  1682,  elles  ont  été  bien  oubliées  en.  France  même  (3), 
encore  qu'il  en  soit  question  dans  l'un  ou  l'autre  ouvrage  (4) 


1.  Bévue  historique,  t.  XCIV  (1907),  p.   77. 

2.  Il  faut  cependant  mentionner  les  Congregaciones  de  las  sautas  Iglesias 
de  Léon  y  CastiUa.  Cf.  Rapport  sur  les.  travaux  du  Séminaire  liistoriqwi  pen- 
dant l'année  académique  1905-1906,  dans  l'Annuaire  de  l'Université  catholique 
de   Louvain,   1907,   p.    388.   Louvain,    1907. 

3.  Ainsi,  il  n'en  est  pas  question  dans  Sicard,  L'ancien  clergé  de  France, 
I.  Les  évêques  avant  la  Révolution.  Pajis,   1893. 

4.  Voir,  p.  ex.,  A.  Esmein,  Cours  élémentaire  d'histoire  du  droit  français 
8*^  édit.  pp.  627  svv.  Paris,  1907;  J.  Briss.a^ud,  Manuel  d'histoire  du  droit 
français.  {Sources,  Droit  public.  Droit  privé),  p.  630.  Paris,  1900-1904,- 
E.  Méric,  Ze  clergé  sous  l'ancien  régime,  2e  édit.,  pp.  175  sv.  Paris,  1892.  — 
Dans  ces  derniers  temps  surtout  les  sources  manuscrites  et  imprimées  de 
ces  assemblées  ont  été  utilisées  et  certains  épisodes  de  leur  histoire  ont 
été  traités  dans  plusieurs  monographies.  Citons  :  L.  Bourg.\in,  Contribution 
du  clergé  à  l'impôt  sous  la  mo7iarchie  française,  dans  la  Mevue  des  questions 
historiques,  t.  XLVIII  (1890),  pp.  62132;  A.  Cognet,  Antoine  Godeau,  évêque 
de  Grasse  et  de  Vence,  un  des  premiers  membres  de  l'Académie  française  (1605- 
1672).  Paris,  1900;  G.  Dubois,  Henri  de  Pardaillan  de  Gondrin,  archevêque 
de  Sens  (1646-1674).  Alençon,  1902;  J.  Aulagne,  Un  siècle  de  vie  ecclésiastique 
en  province.  La  réforme  catholique  du  dix-septième  siècle  dans  le  diocèse 
de  Limoges,  Paris,  1906.  —  Les  liistoriens  allemands  et  italiens  se  sont  l^eaucouv 


LES     ASSEMBLEES     DU     CLERGE     DE     FRANCE  /5 

et  qiio  jadis  M.  A.  ^laary  leur  ait  consacré  une  série  d'articles 
dans  la  Bévue  des  Deux  Mondes  (1). 

Et  voici  qu'actuellement  on  s'y  intéresse  de  divers  côtés.  A 
partir  de  1903,  le  Séminaire  historique  de  Louvain  attaquait 
ce  sujet,  comme  en  témoignent  les  Rapports  sur  les  exercices 
académiques  1903-1904  et  1904-1905  (2).  En  1906,  paraissait,  dans 
la  Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Études,  à  Paris,  un  volu- 
mineux travail  de  jM.  L.  Serbat,  sur  «  Les  Assemblées  du  Clergé 
de  France.  Origines,  Organisation,  Développement  1561-1615. 
(154'-  fascicule  de  la  section  des  Sciences  historiques  et  philo- 
logiques) (3).  —  En  1905  et  1906,  M,  l'abbé  Bourlon  pu- 
Ijliait  plusieurs  articles  dans  la  Revue  du  Clergé  frariçais,  t.  XLII, 
XLill,  XLV  et  XLVI,  repris  depuis  dans  la  Collection  «Science  et 
Eeligiori  »  sous  le  titre  :  Les  Assemblées  du  Clergé  sous  l'Ancien 
Régime  (Paris,  1907). 

Certes,  en  abordant  ici  à  notre  tour  ce  sujet,  nous  n'avons 
pas  la  prétention  de  refaire  une  étude  si  judicieusement  élaborée 
par  ^1.  Bourlon  d'après  les  sources  imprimées,  et  surtout  par 
j\I.  Serbat  d'après  les  documents  manuscrits;  mais  nous  avons 
tâché  de  combiner  leurs  résultats,  comme  ceux  de  M.  Laferrière, 
avec  nos  propres  recherches,  pour  mettre  brièvement  en  relief 
les  origines-  juridiques  et  économiques  de  cette  remarquable  ins- 
titution et  pour  attirer,  une  fois  de  plus,  l'attention  des  historiens 
de  l'Église  sur  la  richesse  des  matériaux  que  les  Archives  du 
Clergé  de  France  offrent  à  leur  activité. 

I.  —  LES  ARCHIVES  DES  ASSEMBLÉES 

On  peut  distinguer  deux  grandes  catégories  de  sources  d'après 
leur  état  de  publicité  :  les  Archives  manuscrites  et  les  Archives 
imprimées. 


préoccupés  de  l'assemblée  de  1682,  de  même  que  leurs  confrères  de  tous  pays  et 
plusieurs,  tels  Rauke  et  G.  F.  Pliilipps,  ont  utilisé  les  archives  imprimées  du 
clergé  de  France  ;  mais  aucun  n'a  porté  son  attention  sur  l'histoire  même 
des  assemblées  envisagée  dans,  son  ensemble.  Ainsi  la  liste  bibliographique  de 
Serbat  (pp.   15-16)  ne  contient  l'indication  d'aucun  ouvrage  allemand. 

1.  Les  Assemblées  du  Clergé  en  France  sous  l'ancien  régime,  dans  la  Revuï 
des  Deux-Mondes,  t.  XXXI  (1879),  pp.  751-796;  t.  XXXIl  (1879),  pp.  509- 
555;    t.    XXXY    (1879),    pp.    265-300;    t.    XL    (1880),    pp.    621-667. 

2.  V.  Annuaire  de  VVniversité  catholique  de  Louvain  1905,  pp.  421-437 
Louvain,    1905;   Item,   1906,   pp.   499-519.  Louvain,    1906. 

3.  Le  même  sujet  avait  déjà  été  partiellement  traité,  au  point  de  vue 
économique  et  juridique,  par  Cauwès  {Les  commencements  du  crédit  public 
en  France.  Les  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville  au  xvie  siècle,  dans  la  Revue 
d'économie  politique,  tomes  IX  et  X.  Paris,  1895)  et  par  J.  Laferrière  {Le 
Contrat  d"  Po'issij  {(1561).  Paris,  1905). 


76  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

L  Archives  manuscrites.  —  Les  principaux  fonds  corres- 
pondent à  ceux  repris  dans  les  imprimés.  Il  est  donc  inutile  de 
nous  y  attarder  ici.   Quelques   observations  seulement. 

La  plus  grande  partie  de  ces  Archives  reposent  aujourd'hui  aux 
Archives  nationales  à  Paris  (série  G  :  administration  financière, 
dans  la  catégorie  G^  administration  spéciale  et  dans  la  catégo- 
rie G^  cartons  1-6)  (1). 

Indépendannnent  des  inventaires  actuellement  en  cours  de  con- 
fection, il  existe  dans  ces  Archives  de  bonnes  tables  mauuscrites. 
—  Do  plus  nous  possédons  à  l'état  à.' imprimé  un  Inventaire 
dressé  en  1645  (2). 

Toutefois,  certaines  épaves  des  Archives  manuscrites  se  re- 
trouvent aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  nationale,  à  la  Bibliothè- 
que Mazarine  et  à  la  Bibliothèque  de  V Institut;  mais  à  côté  des 
documents  d'archives  proprement  dits,  il  y  a  là  beaucoup  de 
sources  littéraires  (3). 

Enfin,  pour  des  raisons  que  l'on  peut  tirer  de  l'histoire  de 
cette  institution,  il  doit  exister  dans  les  anciennes  archives  diocé- 
saines de  France,  un  certain  nombre  de  pièces  concernant  les 
Assemblées,  archives  dont  ne  parle  pas  M.  Serbat.  —  De  fait  nous 
possédons,  à  la  Bibliothèque  royale  de  Belgique,  un  fonds  consi- 
dérable d'archives  concernant  les  anciennes  assemblées  du  Clergé 
de  France.  Il  a  jadis  fait  partie  de  la  Bibliothèque  de  Saint-Sul- 
pice  et  provenait,  conune  l'indique  un  ex-libris  armorié  sur  le 
premier  plat  intérieur  de  plusieurs  volumes,  «  Ex  Catalogo  hi- 
bliothecae  Caumartinae,  L.  482  »,  c'est-à-dire  que  vraisemblable- 
ment il  avait  appartenu  à  Jean-François-Paul  Lefebvre  de  Cau- 
martin,  qui  fut  évêqiie  de  Vannes  et  de  Blois  et  mourut  en 
1733  (4). 

II.  Archives  imprimées.  —  On  peut  les  ramener  à  quatre 
groupes  dont  les  trois  premiers  sont  essentiels. 

1)  Les  Frocès-verhaux  des  Assemblées.  —  Deux  catégories  sonl 
à  signaler  : 

a)  Les  Frocès-verbaux  particuliers  de  chaque  Assemblée.  Dès  le 


1.  Cf.  Serbat,  o.  c,  pp.  5-7;  Ch.  V.  Langlois  et  H.  Stein,  Les  Archices 
de   l'histoire   de   France,    pp.    282-9.    Paris,    1891. 

2.  PV.    Collection,   t.    III,    p.   j.,   pp.   23-25. 

3.  Cf.  Serbat,  o.  c,  pp.  8-11. 

4.  Ce  fonds  a  récemment  été  répertoiié  par  le  R.  P.  J.  Van  den  CJheyn.. 
dans  sou  Catalogue  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque:  royale  de  Belgique, 
t.  VI,  nos  4414-4441.  Bruxelles,  190S. 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE     FRANCE  77 

début,  les  secrétaires  ont  eu  pour  fonction  principale  de  dresser 
les  procès-verbaux  de  chaque  séance.  A  partir  de  1635,  le  procès- 
verbal  de  chaque  assemblée  a  été  régulièrement  imprimé. 

h)  Conformément  à  une  décision  de  l'Assemblée  de  1762,  fut 
confectionnée  et  publiée  à  Paris  de  1767  à  1780  une  Collection 
des  Procès-verbaux  des  Assemblées-générales  du  Clergé  de  France, 
depuis  l'année  1560,  jusqu'à  présent,  rédigés  par  ordre  de  matières, 
et  réduits  à  ce  qu'ils  ont  d'essentiel.  (Nous  la  citons  :  PV.  Col- 
lection). —  Elle  est  l'œuvre  des  abbés  Duranthon,  Desaulzet 
et  Gandin.  Elle  comporte  9  volumes  en  8  tomes  (1).  Cette  col- 
lection est  munie  d'une  table  des  plus  utiles,  décidée  à  l'Assem- 
blée de  1770  et  publiée  à  Paris  en  1780  sous  le  titxe  :  Précis 
par  ordre  alphabétique  ou  Table  raisonnée  des  matières  contenues 
dayis  la  nouvelle  Collection  des  Procès-Verbaux  des  assemblées 
générales  et  particulières  du  Clergé  de  France,  avec  une  indication 
des  articles  portes  dans  cette  table  générale.  1  vol.  in-folio,  xxvi- 
2.324  colonnes. 

On  peut  faire  des  réserves  sar  la  valeur  de  cette  collection 
composée  dans  un  but  pratique.  —  M.  Serbat  l'a  trop  dé- 
préciée. C'est  un  vaste  résumé  des  procès-verbaux  particuliers, 
élaboré  d'après  un  ordre  systématique,  mais  il  a  été  rédigé  par 
des  auteurs  Jdes  mieux  outillés,  très  compétents  et  très  cons- 
ciencieux. Il  est  fort  commode  à  consulter.  Peut-être  M.  Serbat 
ne  l'a-t-il  pas  assez  compulsé;  car  il  donne  parfois  comme  inédits 
des  textes  qui  se  trouvent  dans  cette  belle  collection. 

2)  RA,  Les  Rapports  de  l'Agence  du  Clergé  de  France.  —  De- 
puis leur  établissement  en  1579,  les  deux  agents  généraux,  nom- 
més d'abord  de  deux  en  deux  ans  et  puis,  à  partir  de  1625,  de 
cinq  en  cinq  ans,  devaient  à  leur  sortie  de  charge  faire  aux 
Assemblées  «  un  rapport  si  fidèle  et  si  exact  [«  sur  les  affaires 
qui  se  seront  passées  de  leur  temps  »],  que  la  Compagnie  puisse 
en  avoir  une  parfaite  connaissance  (2).  » 

Jusqu'en  1660,  ces  rapports  sont  mentionnés,  sans  grands  dé- 
tails, dans  le  Procès-verbal  de  l'Assemblée.  —  A  partir  de  cette 
date,  ils  furent  imprimés  et  insérés  dans  le  Procès-verbal  par- 
ticulici'  de  chaque  assemblée.  Enfin,  depuis  l'Assemblée  de  1705, 
le  Rapport  des  agents  fut  publié  séparément.  Voici  le  titre  du 


1.  Ces  9  volumes  sont  les  seules  pièces  de  tous  les  imprimés  du  clergé 
de  France  que  signale  Moxod,  BibliograpJtie  de  l'histoire  de  France,  u"  447. 
Taris,   188S. 

•2.  Cf.    RA.    Précis,    p.    m. 


78  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

premier  :  «  Rapport  de  Messieurs  les  anciens  agens  géné- 
raux dic  Clergé  de  France,  fait  dans  l'assemblée  générale 
tenue  à  Paris  au  couvent  des  grands  Augustijis  en  l'ayuiée 
MDCCV  avec  les  Pièces  justijïcatives.  A  Paris,  chez  la  veuve 
François  Muguet,  MDCCX.  »  Un  vol.  in-fol.  de  57.DCXX  pages, 
plus  la  table  des  pièces  justificatives  et  la  table  alphabétique  des 
matières.  —  14—7  pages.  —  Cet  usage  a  persisté  jusqu'à  la 
Révolution.  Comme  le  titre  l'indique,  chaque  rapport  comporte 
deux  parties  :  la  relation  proprement  dite  et  les  pièces  justifica- 
tives. 

En  vertu  d'une  décision  de  l'Assemblée  de  1775,  fut  exécuté 
et  imprime  à  Paris,  en  178G,  chez  Guillaume  Desprez,  un  «  Pré- 
cis des  Rapports  de  l'Agence  du  Clergé  de  France  par  ordre  de 
matières,  ou  extraits  raisonnes  desdits  rapports,  co7icernant  les 
principales  affaires  du  Clergé,  qui  se  sont  passées  depuis  l' année 
i66o,  jusquen  l'année  lySo,  avec  une  table  alphabétique  des 
matières...  »  Un  vol.  in-fol.  de  xvi-1.849  colonnes,  —  C'est  l'œu- 
vre des  abbés  du  Saulzet  et  Gandin. 

3)  Recueil  des  Actes,  Titres  et  Mémoires  concernant  les  affaires 
du  Clergé  de  France  (Nous  le  citons  :  Ri^TM),  —  13  vol.  in- 
folio, Paris  1716-1750,  plus  un  volume  à.' Abrégé  publié  d'abord 
en  1752  et  puis  en  1764  avec  additions.  —  Une  édition  en  14  vo- 
lumes in-4o,  reproduisant  page  par  page  et  mot  pour  mot  les 
13  volumes  et  l'Abrégé  de  1764,  fut  ensuite  imprimée  à  Paris 
de  1768  à  1771. 

Antérieurement  à  l'année  1646,  on  avait  édité  à  diverses  re- 
prises des  recueils  rudimentaires.  En  1646,  fut  publiée  la  pre- 
mière collection  digne  de  ce  nom,  celle  qui  a  servi  de  base  et 
de  type  à  celle  de  1716-1750.  Entre-temps,  une  édition,  augmen- 
tée et  refondue  quant  au  plan,  parut  en  1675,  en  6  vol.  in-folio. 

Ces  anciennes  collections  n'offrent  plus  guère  d'intérêt  que 
pour  les  transformations  de  la  jurisprudence.  Pour  les  documents, 
leur  utilité  a  été  supprimée  par  la  collection  de  1716-1764  ou  de 
1768-1771. 

Les  12  premiers  volumes  comprennent  les  pièces  officielles, 
avec  quelques  considérations,  concernant  les  matières  suivantes  : 
1°  La  foi  et  la  doctrine  de  l'Église  (tome  I);  2^  Les  Ministres" 
de  l'Église  (tomes  II,  III  et  IV);  3«  Le  culte  divin  (tome 
V);  4^'  La  juridiction  ecclésiastique  (tomes  VI  et  Vil);  5*^  Les 
biens  d'Église,  les  bénéfices  (tomes  VIII-XIl).  —  Signalons  spé- 
cialement dans  cette  partie  :  a)  le  tome  VIII  :    Les    Assemblées 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE     FRANCE  79 

du  Clergé.  Les  différents  départements  des  décimes.  Les  receveurs 
et  les  bureaux  des  décimes.  Les  droits  et  fonctions  des  agents 
généraux  du  clergé  et  les  délibérations  pour  la  conservation  de 
ses  archives  ;  b)  le  tome  IX  :  Recueil  des  Contrats  passés  par  le 
Clergé  avec  nos  Rois,  au  sujet  des  impositions  sur  le  Clergé,  et  ses 
receveurs  généraux  pour  en  faire  le  recouvremeyit  ;  c)  les  tomes  X,XI 
et  XII  :  Les  Bénéfices  et  pensions  ecclésiastiques  et  autres  biens 
ecclésiastiques.  —  6°  Suivent  au  tome  XIII  :  Les  Cahiers  [de  plaihtes 
et  doléances\  présentés  et  les  Remontrances  et  harangues  faites  aux 
rois  et  aux  reines  par  le  Clergé  de  Lrance,  tant  aux  Etats-généraux 
qicaux  Assemblées  générales  et  particulières  du  clergé  ;  ensemble 
plusieurs  édits,  déclarations  et  arrêts,  donnés  en  conséquence  des 
cahiers  et  remontrances  du  clergé  ;  et  7"  au  tome  XIV  :  L'Abrégé  du 
RATM  concernant  les  affaires  du  Clergé  de  France,  ou  Table 
raisonnée  en  forme  de  Précis  des  matières  contenues  dans  ce  Recueil, 
divisé  en  deux  parties,  dojit  la  première,  plus  considérable,  renfernie 
chaque  matière  de  doctrine  et  de  discipline;  les  questions,  les  décisions, 
la  jurisprudence  et  les  différents  jugements.  La  seconde,  servant  de 
Nomenclature,  rappelle  les  noms  et  contient  sommairement  tout  ce 
qui  concerne  :  1°  plusieurs  provinces  du  royaume  ;  2°  les  différents 
diocèses  ;  j°  les  Chapitres,  les  Abbayes,  les  Prieurés,  les  Chapelles, 
les  Cures  oïl  Paroisses,  les  Universités,  les  Collèges,  les  Hôpitaux, 
etc.  ^°  Les  Ordres  religieux  et  militaires  /plusieurs  Corps  et  Commu- 
nautés ecclésiastiques  et  religieuses  ;  5°  quelques  auteurs  et  autres 
particuliers.dont  il  est  parlé  dans  les  mémoires.  —  Après  la  deuxième 
partie  de  ce  tome,on  trouve  deux  tables  particulières  :  a)  l'une  donne 
la  liste  des  bulles  des  papes  qui  sont  rapportées  en  entier  da?is  le 
RA  TM  ou  dans  le  Rapport  de  l'Agence  de  ij^s  et  de  1750  ;  b)  l'autre 
donne  la  liste  chronologique  des  <i  ordonnances,  édits,  déclarations  et 
principales  lettres  patentes  qui  se  trouvent  dans  les  Mémoires  du  Cler- 
gé.i> — Vient  alors  un  «  Catalogue  des  manuscrits  et  imprimés  formant 
la  Collection  la  plus  complète  des  Procès-Verbaux  des  Assemblées 
générales  ordinaires  et  extraordinaires  du  Clergé  de  France,  avec  les 
Rapports  de  l'Agence  depuis  leur  origine  jusqu' à  présent  ;  et  les  diffé- 
rents Recueils  des  actes.  Titres  et  Mémoires,  ainsi  que  plusieurs  pièces 
concernant  le  clergé  de  France  »,  plus  uii  «  Supplément  de  quelques 
pièces,  dont  il  n'est  point  parlé  dans  le  Catalogue  ci-dessus  ». 

Comme  nous  l'avons  dit,  il  y  a  deux  éditions  in-folio  de  cet 
Abrégé,  l'une  de  1752,  l'autre  de  1764,  laquelle  a  été  matériel- 
lement reproduite  dans  l'édition  in-4o  de  1771.  —  L'édition  de 
1764  comprend  les  additions  suivantes  :  certains  articles  ont  été 


80  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

ajoutés  ;  d'autres  ont  été  traités  avec  plus  d'étendue;  les  rapports 
de  l'Agence  avaient  été  utilisés  dans  l'édition  de  1752,  mais  seu- 
lement les  Rapports  antérieurs  à  1720  :  l'édition  de  1764  utili- 
se les  Rapports  de  1720  à  1750. 

4)  A  ces  trois  collections  on  peut  ajouter,  sous  le  nom  de  Varia, 
des  ouvrages  de  tout  genre,  soit  sources  d'archives,  soit  sources 
liltéraires,  imprimées  ou  manuscrites,  concernant  également  les 
Assemblées  du  Clergé.  —  Comme  nous  connaissons  les  trois 
collections  essentielles,  il  nous  suffira  de  renvoyer  pour  ces  varia 
au  Catalogue  signalé  de  RATM  Abrégé,  et  à  Lelong,  Biblio- 
thèque historique  de  la  France,  nouvelle  édition  par  Fevret  de 
FoNTETTE,  nos  6825-6955  (Paris,  1768). 

II.  -  LES  ORIGINES  DES  ASSEMBLÉES 

Les  assemblées  du  Clergé  trouvent  leur  point  de  départ  et  leur 
raison  d'être  dans  le  contrat  de  Poissy  de  1561  :  1°  Le  Clergé 
s'engage  librement  à  payer  les  dettes  de  la  Royauté;  2°  le  Roi 
s'engage  à  respecter  le  reste  des  immunités  du  Clergé.  —  Désor- 
mais l'on  aura  des  Assemblées  où  le  Clergé  votera  des  subven- 
tions à  la  Royauté;  d'autre  part  le  Clergé,  en  retour  de  ses  sub- 
sides, présentera  à  la  Royauté  ses  plaintes  et  doléances,  pour 
obtenir  des  satisfactions  d'ordre  temporel  et  spirituel.  En  même 
temps,  il  créera  des  organismes  administratifs  et  judiciaires,  ca- 
pables d'assurer  soit  la  rentrée  des  fonds  destinés  à  la  Royauté, 
soit  l'obtention  et  l'exécution  de  ses  revendications  auprès  du 
pouvoir  civil. 

Mais  comment  en  est-on  arrivé  à  ce  contrat  de  Poissy? 

1.  —  LES  ANTÉCÉDENTS. 

Si  Charles  IX  fit  appel  au  Clergé,  c'est  que  la  Royauté  était 
chargée  de  dettes  dont  elle  ne  pouvait  attendre  la  libération  que 
de  la  part  du  Clergé. 

En  ce  moment,  la  plus  lourde  charge  de  la  Royauté  française 
était  sans  doute  les  Rentes  sur  l'Hôtel-de- Ville  de  Paris. 

Quelle  était  cette  dette,  quelle  était  sa  nature?  Il  convient  de 
s'en  rendre  compte.  Ainsi  s'éclairera  l'objet  du  contrat  de  Poissy 
et  son  importance  au  point  de  vue  des  transformations  juridiques 
et  économiques  de  l'emprunt. 

Je  m'explique.   Pour  faire  face  à  ses  nécessités  pécuniaires, 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE      FRANCE  81 

outre  les  revenus  du  Domaine  et  le  produit  normal  de  l'impôt, 
la  Royauté  française  avait  cherché  des  ressources,  au  moyen  âge, 
dans  l'aliénation  du  domaine;  mais  dès  le  XIV*'  siècle  s'intro- 
duisit le  principe  que  le  domaine  de  la  Couronne  était  inaliéna- 
ble (1).  Restait  la  voie  de  l'emprunt.  Mais  l'emploi  de  ce  moyen 
se  heurtait,  à  une  double  difficulté  :  la  loi  du  royaume  n'admet- 
tait pas  que  les  obligations  pécuniaires  contractées  par  un  roi 
s'imposassent  en  droit  à  son  successeur  (2)  ;  la  loi  canonique 
prohibait  le  prêt  à  intérêt  (3). 

Pour  obvier  au  premier  obstacle,  les  rois  empruntaient  pour 
un  temps  limité  et  avec  l'obligation  pour  eux  de  rembourser  le 
capital  à  un  terme  fixé. 

Pour  tourner  le  second,  ils  cachaient  l'emprunt  et  le  carac- 
tère de  cette  opération,  en  dissimulant  par  divers  artifices  les 
intérêts  dont  ils  étaient  chargés  (4).  Rien  plus,  quand  ces  em- 
prunts étaient  demandés  au  Clergé,  ils  n'étaient  souvent,  du 
moins  à  partir  de  Charles  VIII,  que  des  impôts  déguisés  sur  les 
églises   (5). 

Le  système  normal  était  toutefois  celui  des  rentes  consti- 
tuées (6).  On  ne  peut  prêter  une  somme  d'argent,  mais  on  peut 
la  donner  et  stipuler  que  le  preneur  et  ses  ayant  cause  paieront 
une  rente  sur  tel  fonds  produisant  des  revenus.  C'est  le  système 
des  rentes  constituées,  des  rentes  perpétuelles,  des  rentes  fon- 
cières. Il  reçut  l'approbation  dés  canonistes  et  des  papes  Mar- 
tin V,  en  1425,  et  Callixte  III,  en  1455. 

Cependant,  depuis  la  fin  du  XIII''  siècle,  les  rentes  foncières 


1.  A.  EsMEiN  ^  0.  c,  pp.  328  svT.  ;  P.  Viollet,  Histoire  des  instituiions 
politiques  et  administratives  de  la  France,  t.  II,  pp.  161  et  sva".  Paris, 
1898. 

2.  A.  EsMEiN  ^  0.  c,  pp.  328  svv.  —  V.  Loyseau,  Des  offices...,  li\'.  II, 
ch.  II,  n<j  35,  p.  m  :  ^<  C3  qii3  vos  roys  pavent  ordinairement  les  detïes 
personnelles  de  leurs  prédécesseurs,  est  par  honneur,  dévotion  et  charité, 
sans  y  être  tenus.  » 

3.  Canon  25  du  concile  de  Latran  en  1179  (Cf.  C  J.  v.  Hefele,  Concdien- 
iirschichte,  2e  édit,  t.  V,  pp.  715-716.  Fribourg  en  Br.,  18S6.  —  \"oir  le 
texte  latin  du  canon  dans  Ch.  J.  Hefele,  Histoire  des  Conciles  d'après  les 
documents  originaux.  Trad.  par  Delarc,  t.  VII,  p.  509.  Paris,  1872);  Clem., 
lib.  V,  tit.  5,   c.  unicum. 

4.  Aussi  on  ne  peut  considérer  les  emprunts  antérieurs  à  François  h'^ 
comme  des  emprunts  publics  au  sens  moderne,  ainsi  cpie  l'a  prétendu  A 
ViiHRER  {Histoire  de  la  dette  publique  en  France,  t.  I,  pp.  1-12.  Paris. 
1886). 

5.  P.  Imbart  ue  LA  Tour,  Les  origines  de  la  Réforme,  t.  I.  La  Fn-ance 
moderne,  p.   95.   Paris,    1905. 

6.  Cf.  P.  Viollet,  Histoire  du  droit  civil  français  accompagnée  de  notions 
d<'  droit  canonique  et  d'indications  l>iJjliographiques,  3e  édit.,  pp.  722  suivv. 
Paris,  1905. 

2e  Année.  —  Revue  des  Stiences.  —  No  i.  6 


82  REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

et  les  rentes  constituées  deviennent  rachetables,  excepté  ies  ren- 
tes dues  à  l'Église. 

A  l'époque  moderne  s'introduit  le  système  des  rentes  person- 
nelles. A  rencontre  des  canonistes  et  des  bulles  de  Martin  V  et 
de  Callixte  III,  des  auteurs  se  montrèrent  d'avis  qu'il  fallait  ad- 
mettre la  légitimité  des  rentes  constituées,  non  assignées  sur  des 
fonds  (1).  Celles-ci  étaient  considérées  comme  des  dettes  per- 
sonnelles, pour  la  sûreté  desquelles  des  biens  étaient  hypothé- 
qués. —  Dès  lors,  on  peut  servir  des  rentes  à  ceux  qui  ont  sim- 
plement fourni  de  l'argent.  On  les  appelle  indifféremment  rentes 
hypothéquées,  volantes,  courantes,  personnelles.  La  théorie  fut 
admise  par  le  Parlement  de  Paris  et  la  bulle  de  Pie  V^  Cum  omis, 
de  1569,  ne  put  en  empêcher  l'application  en  France,  car  ce  do- 
cument pontifical  ne  fut  pas  reçu  dans  ce  royaume. 

La  légitimité  des  rentes  personnelles  admise,  on  pense  bien 
que  la  Royauté  française  s'est  empressée  d'user  de  la  permis- 
sion. 

Comment?  Elle  emprunte,  elle  constitue  des  rentes  person- 
nelles, par  souscriptions  d'une  grande  quantité  de  bailleurs  de 
fonds.  Comme  garantie  —  puisque  ce  sont  des  rentes  hypothé- 
quées —  elle  donne  les  recettes  domaniales  ou  fiscales.  Bientôt, 
elle  fait  appel  à  l'intervention  des  municipalités. 

Le  premier  acte  connu  de  ce  genre,  est  le  contrat  de  François  I'" 
avec  la  ville  de  Paris  :  en  1522,  il  crée  les  premières  rentes  sur 
l'Hôtel-de-Ville  de  Paris  (2). 

En  quoi  consiste  le  contrat? 

La  ville  prête  au  roi  200.000  livres  (3).  Le  Roi  s'engage  à  lui 


1.  Cf.  E.  Van  Roey,  Le  Contractus  germanicus  ou  les  controverses  sur 
le  5'>io  au  xvie  siècle  en  Allemagne,  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiastique, 
t.  III  (1902),  pp.  902  SAT".  ;  Le  même,  De  justo  auctario  ex  confractu  crediti. 
Dissertatio    historico-vioralis,    pp.    9    sw.    Louvaia,    1903. 

2.  Voir  les  textes  dans  A.  Vûhrer,  o.  c,  t.  I,  pp.  429  svv.  Cf.  Cauwès, 
Les  commencements  du  crédit  public  en  France.  Les  rentes  sur  l'Hôtel  de 
ville  au  XVIe  siècle,  dans  la  Revue  d'économie  politique,  t.  IX  (1895),  pp.  100  svv.; 
J.  LaferrÎèrÊ,  0.  c,  pp.  14  svv.  Cf.  H.  Lemonmer,  ies  guerres  d'Italie 
La  France  sous  Charles  VIII,  Louis  XII  et  François  /er  (1492-1547)  pp.  241 
sv.    (E.    Lavisse.    Histoire    de    France,    t.    V,    1.)    Paris,    1903. 

3.  Pour  des  causes  diverses,  on  trouve  de  nombreuses  différences  dans 
l'évaluation  de  la  valeur  intrinsèque  de  la  livre  tournois  sous  François  1er. 
Ainsi,  pour  l'année  1530,  les  auteurs  varient  d'estimation  depuis  3  fr.  82 
jusqu'à  5  fr.  67.  (Voir  Mémoire  sur  les  monnaies  du  règne  de  François  ier, 
en  tête  des  Ordonnances  des  rois  de  France  publiées  par  l'Académie  des 
sciences  morales  et  politiques.  Règne  de  François  I^^,  t.  I  (1515-1516),  pp. 
CLXXXV  SN'A'.  Paris,  1902).  —  Plus  grandes  encore  sont  les  div^ergences  dans 
l'évaluation  de  la  puissance  d'achat  {Ibidem,  pp.  cxci  svv);  la  valeur  com- 
merciale de  la  livre  tournois  à  cette  énoque  est  estimée  différemment  3,  4,  5,  6  et 
même    10   fois    supérieure    à  celle    d'aujourd'hui. 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE     FRANCE  83 

payer  une  rente  au  denier  douze  (8,40  0  0).  Comme  sûreté,  il  lui 
donne  engagement  ou  hypothèque  sur  les  aides,  gabelles  et  autres 
impositions  sur  la  ville  de  Paris. 

On  remarquera  qu'en  soi  c'est  une  constitution  de  rentes  vo- 
lantes, personnelles.  De  plus,  le  roi  n'a  plus  affaire  à  quantité 
de  particuliers,  mais  uniquement  cà  la  ville  de  Paris.  En  outre, 
celle-ci  s'adresse  aux  particuliers.  Elle  leur  demande  de  l'ar- 
gent et  en  retour  elle  leur  constitue  des  rentes,  sans  autre  garan- 
tie que  le  crédit  de  la  ville  de  Paris,  qui  leur  inspirait  confiance 
beaucoup  plus  que  la  Royauté.  Encore,  le  capital  des  rentes 
était  toujours  remboursable  par  le  roi,  mais  il  n'était  jamais 
exigible  de  la  part  de  la  ville  vis-à-vis  du  roi,  ni  des  rentiers 
vis-à-vis  de  la  ville. 

Du  coup  même  cet  emprunt  créait  la  dette  publique  et  la  rente 
volante  ou  mobilière.  Le  système  réussit.  Aussi  les  constitutions 
de  rentes  se  multiplient,  en  même  temps  que  se  multiplient  les 
dépenses  de  la  Royauté.  En  janvier  1561,  celle-ci  avait  une  dette 
de  43.483.939  1.  9  sols,  6  deniers,  et  les  rentes  constituées  sur 
l'Hôtel-de-Ville  comptaient,  dans  ce  chiffre,  pour  7.560.056  1.  16 
sols,  8  deniers  tournois  (1). 

Quel  moyen  de  solder?  Le  roi  s'adresse  au  Clergé. 

* 
*  * 

En  vertu  de  quel  droit  le  roi  s'adresse-t-il  au  Clergé?  Ici  encore 
il  importe  de  rappeler  l'attitude  antérieure  du  Clergé  en  matière 
de  contributions. 

A  l'époque  féodale,  l'Église  payait  un  impôt  d'amortissement, 
destiné  à  compenser  les  droits  de  mutation  que  les  biens  ecclé- 
siastiques auraient  payés,  s'ils  n'étaient  pas  tombés  en  main- 
morte. —  Une  fois  ce  droit  acquitté,  les  biens  ecclésiastiques  pro- 
prement dits  échappaient  à  l'impôt. 

Cependant  les  Capétiens  travaillèrent  et  réussirent  à  les  sou- 
mettre à  cette  charge  (2).  Comment? 

D'une  part  s'élabora  la  théorie  de  la  garde  royale  universelle 
sur  les  églises  et  les  couvents  du  royaume  et  la  Royauté  prétendit 
que  «  les  terres  de  l'Église  étaient  restées  sous  l'empire  de  la 
puissance  publique.  »  La  conséquence  était  d'abord  que  les  procès 


1.  Voir    les    chiffres    dans    Laferrière,    o.    c.,    pp.    32    svv.    Cf.    RATM, 
t.    IX,    p.    6. 

2.  Cf.  A.  EsMEiN  *,  0.  c,  pp.  622  svv. 


84  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

concernant  les  biens  ecclésiastiques  rentraient  dans  la  compétence 
de  la  justice  royale,  ensuite  que  le  roi  avait  le  droit  de  surveiller 
l'usage  et  de  contrôler  l'emploi  du  patrimoine  de  l'Église.  En  face 
de  ce  système,  s'élevait  d'autre  part  le  principe  de  l'immunité; 
mais  la  Royauté  obtint  de  l'Église  des  exceptions  à  cette  règle. 
Déjà  Louis  VII  (1137-1180)  s'adressa  à  elle  pour  obtenir  des 
contributions  et  elle  y  consentit.  Bientôt  les  principes  d'excep- 
tion furent  formulés  par  les  conciles,  les  papes  et  les  canonistes. 
Le  troisième  Concile  de  Latran  (1),  en  1179,  autorisa  les  contribu- 
tions extraordinaires  des  ecclésiastiques,  à  condition  que  les  biens 
des  laïcs  fussent  insuffisants  pour  faire  face  aux  nécessités  et 
que  les  subsides  fussent  consentis  par  l'évêque  et  le  clergé  de 
chaque  diocèse.  Le  quatrième  Concile  de  Latran,  en  1215,  ajouta 
une  troisième  condition  :  l'autorisation  expresse  de  la  papauté  (2). 
Au  cours  du  XIIL  siècle.  Innocent  IV  (1243-1254),  de  même  que 
les  canonistes,  reconnut  même  que  dans  certains  cas  les  biens 
ecclésiastiques  pouvaient  être  atteints  par  l'impôt  ordinaire  et  per- 
manent  (3). 

Comment  la  théorie  précédente  fut-elle  appliquée  en  France  ? 

Il  n'étail  pas  difficile  de  montrer  les  nécessités  financières 
de  la  Royauté  ni  d'établir  que  les  biens  des  laïcs  étaient  insuf- 
fisants pour  y  pourvoir.  D'autre  part,  les  rois  avaient  bien  des 
moyens  d'amener  le  Clergé  de  France  à  consentir  à  ses  demandes 
et  d'obtenir  l'autorisation  de  la  Papauté.  De  fait,  ils  perçurent 
d'abondantes  contributions  sous  forme  de  décime  (4),  et  ce  sera 
la  forme  que  garderont  les  principales  subventions  à  l'époque 
des  Assemblées. 

Louis  VII  est  le  premier  qui,  en  1147,  leva  une  décime  «  pour  le 
cas  de  croisade.  »  Sous  le  même  prétexte  de  la  croisade,  Philip- 
pe n  Auguste  (1180-1223)  voulut  également,  mais  en  vain,  perce- 
voir une  décime  en  1188  (5).  Il  recommença  avec  plus  de  succès 

1.  Canon  19,  texte  dans  Hefele,  o.  c,  trad.  Delarc,  t.  VII,  p.  507;  C.  4.  X. 
De  imm.  eccl.,  III,  49. 

2.  Canon   46.    Voir   C.    7,   X,   De   imm.   eccL,    III,    49. 

3.  Innocent  IV,  Super  libros  Decretalium,  sur  le  C  1,  X,  De  censibus,  III, 
39,  et  sur  le  C.  4,  X,  De  imm.  eccl,  III,  49.  Cf.  Esmeix  **,  o.  c,  p.  624,  n.  5. 

4.  La  décime,  on  le  sait,  est  le  1/10^  du  revenu  annuel  net  de  tout  béné- 
ficier; quant  à  la  manière  d'établir  la  décime  (taxatio)  et  de  la  percevoir, 
nous  n'avons  pas   à  nous  en  occuper  ici. 

5.  LucHAiRE.  Loias  VII.  Philippe-Auguste.  Louis  VIII  (113/-1226),  pp. 
242  svv.  (E.  La  VISSE,  Histoire  de  France,  t.  III,  1.)  Paris,  1901.  —  Déjà 
une  tentative  de  ce  genre  avait  eu  lieu  en  1184,  d'après  A.  Cartelieri 
(Bccue  historique,  t.  LXXIII  (190!)),  pp.  6i  svv.);  en  118.5,  d'après  A.  Lu- 
chaire   {Bévue  historique,   t.   LXXIJ   (1900),   pp.   334   ssv.) 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE      FRANCE  85 

en  1215  et  1218.  Une  fois  l'exception  admise  en  pratique,  les  déci- 
mes deviennent  très  fréquentes.  Au  xiiF  siècle,  sous  ses  succes- 
seurs, Louis  VIII  (1223-1226),  saint  Louis  IX  (1226-1270),  Phi- 
lippe III  le  Hardi  (1270-1285)  et  Philippe  le  Bel  (1285-1314), 
malgré  le  conflit  de  ce  dernier  avec  Boniface  VIII,  les  décimes  se 
répètent  très  souvent  (1). 

La  fréquence  s'accentue  au  xive  siècle.  Pour  cette  époque,  nous 
avons  aujourd'hui  des  renseignements  très  précis  grâce  à  MM.  Ch. 
Samaran  et  G.  MoUat.  Jusqu'à  Benoît  XIII  d'Avignon  (1394- 
1424),  à  presque  toutes  les  années  l'on  constate  la  levée  d'une 
décime.  Le  plus  généreux  des  papes  fut  Grégoire  XI  (1370-1378)  : 
il  fut  convenu  que  «  dans  toutes  les  provinces  où  les  aides 
avaient  cours,  les  clercs  y  contribueraient  comme  de  simples  laï- 
ques »  et  que  «  partout  ailleurs  ils  payeraient  au  roi  un  dixième 
des  revenus  de  leurs  bénéfices  (2).  » 

Pour  le  XY^  siècle,  nous  avons  moins  d'informations;  mais  le 
système  des  décimes  a  persisté,  à  telles  enseignes  qu'à  plusieurs 
reprises  le  haut  Clergé  de  France  blâme  le  pape  des  concessions 
de  décimes  faites  par  lui  seul  à  leur  roi.  Nous  savons  d'ailleurs 
qu'en  fait  des  décimes  furent  accordées  aux  monarques  français 
en  1432,  1438  (3),  1489  et  1492  (4). 

Au  xvF  siècle,  elles  se  multiplient.  Plusieurs  furent  octroyées 
à  Louis  XII  (5).  Sous  prétexte  d'une  guerre  contre  les  Turcs, 
François  I'-'"  obtient,  en  1516,  une  décime  sur  le  Clergé  de  France. 
On  dresse  alors  le  «  Département  général  des  Décimes  »,  qui 
a  servi  de  base  à  la  levée  des  décimes  pendant  presque  toute 
l'époque  moderne  (6).  Dès  lors,  sous  ce  règne  et  celui  de  Henri  II, 


1.  Ch.  V.  Langlois,  Saint  Louis.  Philippe  le  Bel.  Les  derniers  Capétiens 
directs  {1226-1328),  pp.  69  sv.  et  241  svv.  (E.  Lavisse,  Histoire  de  France, 
t.  III;  2).  Paris,  1901.  —  Sur  les  décimes  à  l'époque  de  i'hilippe  le 
Bel,  voir  surtout  L.  Bourgain,  Contribution  du  Clergé  à  l'impôt  sous  la 
monarchie  française,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  t.  XLVIII  (1890), 
pp.    65    svv. 

2.  V.  Ch.  Samaran  et  G.  Mollat,  La  fiscalité  pontificale  en  France 
au  xivc  siècle,  pp.  12  sw.  {Bihliothèque  des  Écoles  Françaises  d'Athènes  et  de 
Borne,   série  in-S»,   fasc.   96.)   Paris,    1905. 

3.  Cf.  NoëL  Valois,  Histoire  de  la  Pragmatique  Sanction  de  Bourges  sous 
Charles  VII,  pp.  llx,  lxx  sv.  et  xcl  {Archives  de  l'Histoire  religieuse  de 
la  France,  t.   IV.)  Paris,   1906. 

4.  Imbart  de  la  Tour,  Les  origines  de  la  Réforme,  pp.  94  sv^  Paris, 
1905. 

5.  Ibidem,    p.    96. 

6.  Cf.  L.  Serbat,  0.  c,  pp.  21  sv.  ;  RATM,  t.  VIII,  pp.  751  svv.i  —Une 
copie  de  ce  département,  en  4  volumes  manuscrits  in-folio,  repose  à  la  Biblio- 
thèque rovale  de  Belgique  (n"  4440).  Cfr.  J.  Van  den  Gheyn,  o.  c,  t. 
VI,    pp.    66s    svv. 


86  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

presque  toutes  les  années,  la  Royauté  lève,  de  gré  ou  de  force, 
des  décimes  et  souvent  2,  3,  4  et  même  jusque  9  décimes  la 
même  année,  sans  compter  divers  autres  dons  extraordinaires  (1). 
En  fait,  les  décimes  étaient  devenues  permanentes.  Elles  vont 
bientôt  le  devenir  en  droit,  à  partir  du  Contrat  de  Poissy.  Il  fal- 
lait pour  cela  le  consentement  du  Clergé,  puisqu'en  principe  les 
décimes  étaient  une  contribution   consentie. 


Le  consentement  du  Clergé  à  cette  taxe  est  un  élément  si 
importanc  dans  la  genèse  des  Assemblées,  que  nous  devons  bien 
nous  y  arrêter  quelques  instants. 

Nous  savons  déjà  qu'il  fallait  l'autorisation  du  pape  et  l'assen- 
timent  du  Clergé,  pour  que  la  Royauté  pût  légitimement  imposer 
celui-ci. 

Jusqu'au  xyi''  siècle  l'autorisation  du  pape  fut  généralement 
recherchée  et  obtenue.  Toutefois,  une  exception  importante  avait 
eu  lieu  lors  du  conflit  de  Philippe  le  Bel  et  de  Boniface  VIII  eti 
d'autres  exceptions  s'étaient  produites  au  xiv^  et  au  xv°  siècle  (2). 
A  partir  de  François  I^^'",  on  demande  encore  parfois  le  consen- 
tement de  Rome,  lorsque  c'est  utile,  par  exemple  en  1529  et  en 
1553;  mais  la  Royauté  réussit  à  implanter  le  principe  que  le 
consentement  du  pape  n'était  pas  nécessaire.  François  F''  émit 
cette  proposition  que  «  /a  propriété  des  décimes  était  sienne  exclu- 
sivement »  et  qu'  «  étant  seigneur  et  patron  de  tous  les  bénéfices  de 
France,  il  lui  paraissait  avoir  la  liberté  de  de?nander  quelque 
secours   sans   consentement  d' autrui  »  (3). 

Plus  tard,  aux  États  généraux  d'Orléans,  le  chancelier  ^fichel 
de  l'Hôpital  «  dit  du  Roi,  que  tout  sujet  lui  doit  le  service  du 
bien  et  de  la  vie;  que  ce  n'est  pas  de  nous,  mais  de  Dieu  et  de 
la  loi  ancienne  du  Royamne,  qu'il  tient  sa  couronne...  Que  le  Roi 
doit  pourtant  estimer  que  les  biens  de  ses  sujets  lui  appartiennent, 
Jmpeî'io,  non  dominio  et  proprietate  »  (4).  Paul  III  avait  protesté 
contre  François  I^^"^  mais  en  vain.  Cependant,  bien  plus  tard  en- 


1.  Cf.    L.    BouRGAiN,    art.    cité,    pp.    80   sw. 

2.  P.  DcPUY,  Preuves,  des  libériez  de  VÉglisp  gallicane,  ch.  XXXIX.  3e  édit., 
t.    II,   pp.    224   svv.   Paris,    1731.    Cf.   Esmein  »,   o.   c,   pp.  626  sv. 

3.  Cf.   Serbat,   0.   C;   p.   235,  n.   1. 

4.  PV.    Collection,    t.    I,    p.    2. 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE     FRANCE  87 

core,  Pie  V  en  1568  (1),  Grégoire  XIII  en  1574  (2),  1575  (3), 
1573  (4),  Sixte-Qiiïnt  en  1586  (5)  et  1587  (6),  intervinrent  pour 
autoriser  Charles  IX  et  Henri  III  à  lever  des  subsides  sur  le 
Clergé  et  à  aliéner  des  biens  ecclésiastiques.  Et  même,  à  l'Assem- 
blée de  Melun  (1579-1580),  Henri  III  permit  aux  Prélats  de  recou- 
rir à  l'autorisation  pontificale  (7).  Il  n'est  donc  pas  vrai  que  ce 
serait  à  partir  de  1553  que  les  rois  n'auraient  plus  demandé  l'au- 
torisation de  Rome  pour  la  levée  des  décimes  (8). 

Mais  le  roi  pouvait-il  se  passer  du  consentement  de  son  Clergé  ? 
En  1188,  l'Église  de  France,  l'archidiacre  Pierre  de  Blois  en  tête, 
avait  protesté  contre  la  demande  de  Philippe-Auguste;  mais  elle 
s'était  résignée  en  1215  et  en  1218  (9).  En  1294,  les  évêques  pri- 
rent l'initiative  du  consentement  dans  des  Assemblées  provincia- 
ses  (10).  Depuis  Philippe  le  Bel,  le  roi  généralement  s'adressa  aax 
évêques  et  ceux-ci  réunis  en  assemblées  ou  synodes  provinciaux, 
votaient  les  subsides  demandés  (11).  Le  Clergé  était  jaloux  de  son 
droit  de  vote.  Au  xv«^  siècle,  dans  les  Assemblées  tenues  en 
1409  et  1410  à  l'occasion  du  Grand  Schisme,  le  Clergé  s'opposa 
aux  concessions  de  décimes  faites  par  le  pape  seul  sans  son  propre 
coijsentement  (12).  En  1489,  le  Parlement  remontrait  au  roi  «qu'au 
regard  dud.  dixième  on  n'avoit  pas  acoustumé  d'en  mectre...  sans 
appeler  l'Église  et  l'Assemblée.  »  Quelques  années  plus  tard,  en 


1.  Baronius,  Annales  ecclesiastici,  continuation  0.  Raynaldus,  anno  1568, 
nos  165-167,  t.  36,  pp.  104  svv.  Paris,  1882.  —  Cf.  Serbat,  o.  c,  p.52, 
n.  3. 

2.  Baronius,  Annales  ecclesiastici,  continuation  A.  Theiner,  anno  1574, 
no  67,  t.  I,  pp.  290  sw.  Rome,  1856. 

3.  Le  même,  0.  c,  anno  1575,  n"  94,  et  pièces  justificatives  nos  24-28^ 
t.  II,  pp.  121  et  496  svv.  Rome,  1856. 

4.  Ibidem,  anno  1576,  nos  74^  75  et  77-79,  et  pièces  justificatives  nos 
47-50  et  52-53,  t.  II,  pp.  221  svv.  et  549  svv.  —  C'fr.  Recueil  des  Remonstrancefs, 
edicts,  règlements,  arrests,  contracts  et  autres  choses  concernants  le  clergé  de 
France,  t.   Il,  pp.   73  svv.   Paris,   1625. 

5.  Recueil  cité,  t.  II,  pp.  98  svv.  —  P.  Dupuy,  Preures  des  libériez 
de  l'Église  gallicane,  ch.  XL,  n"  5,  3"  édit.,  t.  II,  pp.^  255  svv.  Cf.  Durand 
DE  Maillane,  Les  libériez  de  l'Église  gallicane  jjrouvées  et  commentées  sui- 
vant Vorclre  et  la  disposition  des  articles  dressés  par  M.  Pierre  Pithou 
et  sur  les  recueils  de  M.  Pierre  Dupmj,  conseiller  d'État,  t.  I,  pp.  402  svv. 
Lyon,    1771. 

6.  Durand   de   Maillane,   0.   c,   t.   I,   p.   416. 

7.  PV.    Collection,    t.    VII,    p.    72. 

8.  Cf.  PV.  Collection,  t.  I,  pp.  202  sv\. 

9.  A.  Luchaire,  0.   c,   l.  c 

10.  Cf.   L.   Bourgain,    art.    cité,   pp.   67    sv. 

11.  Cf.  Ch.-V.  Langlois,  0,  c,  pp.  242  sw. 

12.  Cf.    Serbat,   0.    c,   pp.   20  sv. 


88        REvur;  des  sciences  philosophiques  et  théologiques 

1492,  le  chapitre  de  Tours  protestait  à  son  tour  que  «  nul...  ne  peut 
ne  doit  imposer  tribuz  ou  décimes  sur  les  personnes,  biens  et 
bénéfices...  ecclésiastiques...  sinon  en  nécessité  urgente.,  et  qu'il 
soit  concédé  et  octroyé  Uhere  par  les  dits  prélaz...  »  (1).  Quelques 
années  plus  tard,  en  1501,  le  chapitre  de  Paris  appelle  au  futur 
Concile  de  la  décime  levée  par  Alexandre  VI  à  son  profit  :  nul/a 
super  hoc  episcoporiim  et  cleri  gallicanae  ecclesiae  vel  saltem  singula- 
riun  dioecesiiun  cotisenciojie  vel  convocatione  habita.  »    (2) 

Bien  des  fois  et  notamment  à  l'occasion  de  la  dîme  de  1516,  le 
Clergé  de  Normandie  se  montra  particulièrement  énergique  à 
revendiquer  son  droit  de  voter  ces  taxes  (3). 

François  P""  aurait  aimé  se  passer  du  consentement  du  Clergé, 
comme  le  prouve  le  lit  de  justice  tenu  au  Parlement  en  1527  ;  mais 
le  Clergé  résista  et  à  cette  même  séance  on  entendit  émettre  cette 
opinion  «  que  l'on  doit  demander  en  particulier  aux  archevêques, 
évêques  et  autres  prélats  de  ce  royaume,  ce  qu'ils  voudront  de 
leur  chef  donner  et  après  les  exhorter  qu'ils  eussent  à  assem- 
bler leur  Clergé,  pour  sur  eux  imposer  ce  qu'ils  pourroient  rai- 
sonnablement porter  :  et  sembleroit  advis  que  ce  seroit  pour  par- 
venir à  lever  plus  grande  somme,  que  si  on  levoit  par  déci- 
mes (4).  »  François  I^r  et  Henri  II  réussirent  bien  à  forcer  et 
à  escamoter  le  consentement  du  Clergé  (5J;  mais  ils  ne  purent 
renverser  le  principe  de  la  nécessité  de  ce  consentement. 
A  plusieurs  reprises,  en  1527,  1528,  1536,  1537,  1538,  1549, 
1551,  1552  et  1557,  nous  voyons  la  Royauté  respecter  ce  prin- 
cipe en  s'adressant  tantôt  à  une  réunion  extraordinaire  des  pré- 
lats qui  se  trouvaient  à  Paris  (1527,  1537,  1551,  1552  et  1557), 
tantôt  aux  Assemblées  ou  Conciles  provinciaux  (1528,1536  et  1538), 
tantôt  aux  Assemblées  diocésaines  (1538  et  1549)  (6).  Plus  tard, 
le  Clergé,  appuyé  par  les  Parlements,  réclamera  contre  le  roi 
Henri  III  et  contre  les  papes  Grégoire  XIII  et  Sixte-Quint  la 
nécessité  de  son  propre  consentement  pour  les  subsides  et  les 
aliénations  de  biens  ecclésiastiques  (7). 

1.  Cf.  p.  Imbart  de  la  Tour,  o.  f.,  p.  95,  11°  5. 

2.  Cf.  L.  Serbat,  0.  c,  p.  20. 

3.  Cf.   L.   BouRGAiN,   art.   cité,  pp.   80  sv. 

4.  DuPUY,  Preuves  des  libertez  de  VÉglise  gallicane,  ch-  XXXIX,  n»  26, 
3e  édit.,  t.   II,  pp.  239  sv. 

5.  Cf.  L.  BouRGAiN,  art.  cité,  pp.  80  svv. 

6.  Ibidem  ;   Cf.   L.   Serbat,   0.   c,  pp.   25   sw. 

7.  PV.  Collection,  t.  I,  pp.  301  svv.,  pp.  371  sw.  et  Pièces  justificatives, 
pp.  51  sv,  RATM.  t.  XIII,  itp.  165  svv.;  DupuY,  Preuves  des  libertez  de  l'Église 
pallicane,  ch.  XL,  n»^  3,  4,  5,  6  et  7.  t.  II.  vn.  253  svv.  Cf.  H.  de  lépinois, 
La  Ligue  et  les  Papes,  pp.  37  svv.  Paris,   1883. 


LES     ASSEMBLÉES     DU      CLERGÉ      DE      FRANCE  89 

Ainsi  subsiste  le  principe  et  s'ébauchent  les  diverses  Assem- 
blées qui  seront  bientôt  régulièrement  organisées  et  hiérarchisées  : 
les  Assemblées  diocésaines,  les  Assemblées  provinciales  et  les 
Assemblées  générales. 

Tous  les  éléments  générateurs  de  la  nouvelle  organisation  sont 
constitués  :  nous  connaissons  les  besoins  :  les  dettes  de  la  Royau- 
té;,nous  savons  d'avance  à  qui  le  roi  s'adressera  :  le  Clergé  réuni 
en  Assemblée;  nous  connaissons  sous  quelle  forme  le  subside 
sera  octroyé  :  les  décimes.  L'essentiel  était  d'emporter  le  consen- 
tement du  Clergé.  Ce  fut  la  raison  d'être  de  l'iVssemblée  de 
Poissy. 

2.    —   LE    CONTRAT    DE    POISSY- 

Il  est  superflu  de  rappeler  que  la  situation  de  la  Royauté  était 
devenue  des  plus  difficiles  sous  François  II  (1559-1560).  L'état 
des  finances  était  déplorable,  nous  l'avons  vu.  A  l'intérieur,  les 
partis  politiques  et  religieux  se  constituaient  et  s'agitaient;  au 
dehors,  l'Angleterre  était  menaçante. 

La  Régente,  Catherine  de  Médicis,  se  mit  en  quête  d'im  remè- 
de (1).  Une  Assemblée  de  notables  fut  convoquée  à  Fontaineblea'a 
au  mois  d'août  1560.  —  Les  Protestants  et  d'autres  encore  de- 
mandaient un  Concile  national  pour  résoudre  la  crise  religieuse. 
Pour  solutionner  le  problème  financier,  après  délibérations,  l'avis 
de  Charles  de  ^Marillac,  archevêque  de  Vienne,  prévalut  :  Fran- 
çois II  convoqua  les  États  généraux. 

Ils  se  réunissent  à  Orléans  sous  Charles  IX  (1560-1574),  en 
décembre  1560.  Deux  points  sont  à  noter  ici.  On  s'en  prend  aux 
biens  de  l'Église  et  Grimaudet,  avocat  du  roi  au  présidial  d'An- 
gers, prononce  un  réquisitoire  contre  les  richesses  du  Clergé. 
En  exposant  l'état  des  finances  publiques,  le  chancelier  Michel 
de  l'Hôpital  avait  d'ailleurs  indiqué  que  c'était  de  ce  côté-là  qu'il 
fallait  chercher  un  remède  à  la  détresse  financière.  Les  Députés  re- 
fusèrent de  voter  les  subsides  demandés,  pour  la  raison  qu'ils 
n'avaient  pas  de  mandat  et  que  d'ailleurs  ils  étaient  trop  pauvres. 

C'est  pourquoi  de  nouveaux  États  généraux  sont  réunis  à  Pon- 
toise  et  en  même  temps  se  tient  à  Poissy  une  Assemblée,  de 
caractère  religieux  (1561).  Le  Tiers,  la  Noblesse  et  une  compa- 


1.  Voir  P  V.  Collection,  t.  I,  pp.  1  svv.  ;  G.  Picot,  Histoire  des  États  géné- 
raux considérés  au  point  de  vue  de  leur  influence  sur  le  gouvernement  de  la 
France  de  1355  à  1614,  Ire  édit.,  t.  II,  pp.  9  sw.  Paris,  1872;  Mariéjol, 
La  Réforme  et  la  Ligue.  —  L'édit  de  Nantes  (1.559-1598),  pp.  19  sw. 
(E.   Lavisse,   Histoire  de  France,  t.   III,   1.)   Paris,   1904. 


90  BEVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

gnie  du  Clergé  siègent  à  Orléans;  une  autre  compagnie  du  Clergé 
siège  à  Poissy  avec  un  groupe  de  Protestants. 

La  réoniop.  de  Poissy  avait  été  convoquée  pour  quatre  objets  : 
l'élection  des  membres  du  Clergé  à  envoyer  au  Concile  de  Trente; 
la  réforme  de  l'Église;  une  conférence  avec  les  Protestants  (de 
là  le  célèbre  Colloque  de  Poissy);  l'octroi  d'une  subvention  au 
Roi.  «  Vous  amènerez  aussi  en  vostre  compagnie,  avait  écrit  Char- 
les IX  aux  évèques,  celuy  qui  aura  esté  député  par  vostre  diocèse 
pour  nous  faire  entendre  la  résolution  qui  aura  esté  prise  par 
les  prélats  et  bénéficiez  d'iceluy  sur  l'aide  et  secours  dont  ils 
ont  esté  requis  pour  la  subvention  de  nos  affaires...  et  qu'il  ait 
pouvoir  et  procuration  suffisante  de  tout  vostre  dit  diocèse  (i).  » 

Fidèle  à  ce  dernier  point  de  son  programme  (2),  le  gouverne- 
ment demande  au  Clergé  un  subside  de  15.000.000  de  livres. 
Le  Clergé  trouve  la  charge  excessive.  Mais  la  Cour  allègue  que 
les  affaires  religieuses  exigent  de  l'État  des  dépenses  énormes; 
et,  d'autre  part,  aux  États  généraux  d'Orléans  on  avait  proposé 
des  mesures  radicales  contre  les  biens  de  l'Église  et  aux  États 
de  Pontoise,  qui  se  tenaient  en  même  temps,  des  discours  violents 
s'élevaient  contre  le  Clergé  :  ainsi,  le  sieur  Bretaigne,  vierg  ou 
maire  d'Autun,  au  nom  du  Tiers,  proposait  la  vente  des  propriétés 
de  l'Église,  sauf  à  laisser  une  habitation  aux  ecclésiastiques  et 
affecter  les  revenus  d'une  partie  du  produit  de  la  vente  à  des 
usages  religieux.  La  Noblesse  n'était  guère  mieux  disposée  : 
elle  ne  voulait  accepter  aucune  charge  pour  elle  et  proposait  de 
la  rejeter  pour  1,3  sur  le  Tiers-état  et  pour  les  2,3  sur  le 
Clergé,  alléguant  que  les  biens  ecclésiastiques  appartenaient  à  la 
nation.  Cette  thèse  s'affirmait  aussi  au  dehors  et  l'opinion  pu- 
blique, du  moins  celle  des  classes  représentées  par  le  Tiers,  se 
montrait  favorable  aux  atteintes,  même  les  plus  radicales,  à  la 
propriété  ecclésiastique  (3).  Aussi  le  Clergé  jugea  nécessaire  et 
prudent  de  faire  un  sacrifice  et,  le  21  octobre  1561,  après  négo- 
ciations, quant  au  chiffre,  quant  à  la  forme  et  quant  à  la  durée, 
il  conclut  avec  la  Royauté  un  contrat  dont  voici  les  clauses  essen- 
tielles (4). 

1.  [Dupuy],  Instructions  et  lettres  des  rois  tres-chrestiens,  et  de  leurs  am- 
hassadeurs,  et  autres  actes  concernant  le  Concile  de  Trente,  p.  80.  Paris, 
1654.  Cf.  Serbat,  0.  c,  p.  33. 

2.  Sur  les  délibérations  de  l'assemblée  de  Poissy  concernant  la  question 
financière,  voir  PV.  Collection,  t.  I,  pp.  12  svv.  ;  Serbat,  o.  c,  pp.  34 
s\'v.  ;    Laferrière,    0.    c,    pp.    130    svv. 

3.  Cf.  Laferrière,  o.  c.,  pp.  61  sw. 

4.  Voir  le  texte  du  Contrat  dans  RAT:\I,  t.    IX,  pp.    1   svv. 


LES     ASSEMBLÉES     DU      CLERGÉ     DE      FRANCE  9i 

Et  toat  d'abord,  les  engagements  du  Clergé. 

1°  Pendant  six  ans,  du  1""  janvier  1562  au  31  décembre  1567, 
le  Clergé  lèvera  sur  lui-même  par  cotisation  de  décimes  et  autre- 
ment et  il  fournira  annuellement  au  roi  la  somme  de  1.600.000 
livres  tournois  «  en  l'acquit  et  rachat  des  domaines,  aides  et  ga- 
belles et  rentes  constituées  sur  les  recettes,  tant  générales  que  par- 
ticulières dud.  royaume,  et  autres  qui  sont  engagées  à  l'Hôtel- 
de-Villo   de  Paris   (1).  » 

2'^  «  Lesquelles  six  années  expirées,  et  ladite  somme  de  seize 
cents  mille  livres  payée  et  acquittée  par  chacune  d'icelles,  comme 
dit  est.  iceux  du  Clergé  seront  tenus,  et  pour  ce  faire  se  sont  obli- 
gés et  obligent  comme  dessus,  de  remettre  le  Roi  en  la  ^Dossession 
et  jouissance  de  tous  les  domaines,  aides  et  gabelles,  étant  de 
présent  vendus  et  aliénés  à  ladite  ville  de  Paris,  pour  cause  de 
deniers  que  les  particuliers  habitans  et  autres  ont  ci-devant  four- 
nis à  constitution  de  rente,  montant  en  sort  principal  sept  mil- 
lions cinq  cents  soixante  mille  cinquante-six  livres  seize  sols  huit 
deniers  tournois,  à  commencer  du  premier  jour  de  janvier  1567 
(\7st.)  ».'De  ce  chef,  le  Clergé  devait,  «  pour  racheter  le  reste  du 
domaine  engagé  à  la  ville  de  Paris  »,  payer  directement  à  la  ville 
même  de  Paris  «  six  cent  trente  mille  livres  et  tant  de  livres  de 
rente  »  annuelle  pendant  dix  ans  (2). 

De  son  côté,  dans  le  contrat  même,  le  roi  promet  qu'  «  il  ne 
sera  demandé  ni  levé  sur  lesd.  du  Clergé  aucunes  décimes,  francs- 
fiefs  et  nouveaux  acquêts,  emprunts  et  dons  gratuits,  et  main- 
tiendra et  conservera  lesd.  du  Clergé,  tant  en  général  que  parti- 
culier, en  la  jouissance  et  perception  de  tous  et  chacun  leurs  biens, 
desquels  leurs  prédécesseurs  et  eux  ont  par  ci-devant  joui  et 
jouissent  encore  à  présent,  et  si  aucunes  forces  leur  étoient  faites, 
les  fera  réparer  et  remettre  au  premier  état.  » 

Le  Clergé  voulut  interpréter  la  première  partie  de  cette  clause 
en  ce  sens  que  le  roi  renonçait,  même  après  l'année  1567,  au 
subside  habituel  qu'il  percevait  antérieurement  sous  forme  de 
décime,  mais  la  Royauté  n'admit  pas  cette  interprétation  :  l'ex- 
emption des  décimes  devait  s'entendre  de  la  période  nécessaire 
à  l'exécution   des   engagements  pécuniaires   de  Clergé   (3). 

La  seconde  promesse  était  d'un  grand  prix  pour  le  Clergé.  A 


1.  Il  s'agit  du  «  rachat  des   Domaines,   Aides  et  Gabelles   du  Roi,   engagés 
hors  de  la  ville  de  Paris  ».  Voir  P  V.   Collection,  t.   I,  p.   41. 

2.  PV.   Collection,  t.   I,  p.   41. 

3.  Cf.  Laferrière,  0.  c,  pp.  171  svv. 


92  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

rencontre  de  toutes  les  menaces  récentes  et  actuelles,  il  voyait 
la  Royauté  lui  garantir  l'intégrité  de  son  temporel. 

En  outre,  le  Clergé  présenta  au  roi  un  cahier  de  plaintes  et 
doléances  en  22  articles  et  à  raison  de  sa  subvention,  le  25  oc- 
tobre suivant,  il  y  eut  plusieurs  articles  accordés  concernant  le 
maintien  de  la  religion  catholique  et  le  temporel  de  l'Église; 
mais  ces  articles  n'avaient  pas  la  même  valeur  que  le  contrat; 
car,  si  c'était  en  retour  de  ce  subside  cfue  le  Roi  accédait  aux 
demandes  de  l'Assemblée,  son  acte  était  cependant  essentiellement 
un  acte  de  l'autorité  royale  ;  même  à  plusieurs  des  articles  pré- 
sentés, il  n'y  eut  pas  de  réponse  de  sa  part  ou  la  réponse  fut 
négativo  (1). 

3.  —  l'exécution  du  contrat  de  poissy. 

La  Clergé  exécute  ses  engagements;  mais  le  roi  viole  simple- 
ment les  siens. 

En  1563,  un  édit  royal  ordonne  une  aliénation  partielle  des 
biens  ecclésiastiques  (2);  et  si,  au  cours  de  son  exécution,  il  est 
retiré,  c'est  sur  les  demandes  d'une  Assemblée  du  Clergé  réunie 
d'urgence,   et  moyennant   un   gros  subside   (3). 

De  plus  au  lieu  d'employer  le  subside  annuel  de  1.600.000  li- 
vres au  rachat  du  domaine,  etc.,  hors  de  Paris,  Charles  IX  contrac- 
te de  nouveaux  emprunts  sous  forme  de  rentes  constituées  sur 
l'Hôtel-de-Ville  de  Paris  en  leur  assignant  comme  gage  la  sub- 
vention du  Clergé  (4).  Ainsi  les  contributions  ne  sont  pas  consa- 
crées au  rachat  du  domaine  en  dehors  de  PariSj  mais  elles  servent 
de  gage  à  l'Hôtel-de-Ville,  alors  que  ce  gage  eût  dû  reposer  sur  les 
recettes  domaniales  ou  fiscales  de  la  Royauté.  En  soi,  il  n'y 
avait  aucune  aggravation  de  charge  pour  le  Clergé;  mais  plus 
ta.rd  l'Hôtel-de-Ville  de  Paris  prétendra  avoir  gage  sur  les  biens 
ecclésiastiques,    alors    que    la    subvention    du    Clergé    aura    été 

payée. 

* 
*  * 


1.  Voir  le  texte  dans  RATM,  t.  IX,  pp.  11  s\^'.  —  C'est  donc  à  tort  gue, 
P.  \'.    Collection,    t    I,    p.    23,    on    dit    qu'    «  il    y  eut    22  articles    accordésL  » 

2.  Le  Parlement  ne  voulut  pas  l'enregistrer;  mais  Charles  IX  tint  un  lit 
de  justice.  Voir  P.  Dupuy,  Preuves  des  libériez  de  l'Église  gallicane,  ch.  XXXIX, 
n^    29..    t.    II,    pp.    24.5    s\'^^ 

3.  Voir  le  procès-verbal  de  l'Assemblée  Générale  de  1563,  P  V.  Collée- 
tion,   t.    VIII,   pp.   38   svv.    Cf.    Serbat,    o.    c,   pp.    40   s\^. 

4.  Voir  le  procès-verbal  de  l'Assemblée  de  1675,  PV.  Collection,  t.  V,  pp. 
194  svv.  Cf.  Serbat,  o.  c.  pp.  37  s\-a'. 


LES     ASSEMBLÉES     DU     CLERGÉ     DE     FRANCE  93 

A  l'expiration  de  la  première  période,  •  «  on  prétendit  conti- 
nuer la  levée  des  seize  cent  mille  livres,  et  on  expédia  des  com- 
missions pour  cette  somme  :  les  Provinces  refusèrent  de  payer, 
fondées  sur  les  termes  de  leur  contrat,  et  pour  empêcher  le  trou- 
ble et  la  confusion,  le  roi  fut  supplié  de  convoquer  »  l'assemblée 
de  1567  (1). 

En  voici  les  principaux  résultats  au  point  de  vue  financier  (2). 

Moyennant  un  don  gratuit  de  700.000  livres,  le  Clergé  obtient 
la  ratification  du  contrat  de  Poissy  et  conséquemment  la  sup- 
pression des  charges  qui  n'y  sont  pas  insérées,  c'est-à-dire  des 
rentes  constituées  de  1561  à  1567. 

L'Hôtel-de-Ville  de  Paris  passe  un  contrat  avec  le  Clergé  (3). 
En  vertu  de  ce  contrat,  le  roi  est  déchargé  de  ses  obligations  et 
la  ville  de  Paris  le  remet  en  possession  de  ses  domaines.  D'autre 
part,  le  Clergé  devient  débiteur,  à  la  place  du  roi,  de  la  somme 
de  7.560.056  1.  16  s.  8  d.  vis-à-vis  de  l'Hôtel-de-Ville  de  Paris, 
plus  les  arrérages  des  rentes,  les  gages  du  receveur  de  la  ville 
et  autres  frais  accoutumés. 

Le  roi  permet  au  Clergé  de  percevoir  par  ses  propres  agents 
les  taxes  et  de  juger  des  litiges  en  cette  matière. 

Après  quelques  pourparlers,  l'Hôtel-de-Ville  accepte  cette  com- 
binaison'. 

* 
-*  * 

D>>  1567  à  1577,  le  Clergé  remplit  de  nouveau  exactement  ses 
obligations,  mais  le  nouveau  contrat  fut  encore  violé  par  la 
Royauté  (4),  Le  roi  s'approprie  les  sommes  destinées  à  rembour- 
ser l'Hôtel-de-Ville  pour  dégager  le  domaine  engagé  et  même  cons- 
titue de  nouvelles  rentes  sur  les  subventions  futures.  En  outre, 
il  exige  des  subventions  extraordinaires  et  procède  à  de  nou- 
velles aliénations  de  biens  ecclésiastiques. 

Aussi  aux  États  de  Blois  (1576-1577),  le  Clergé  s'insurge. 
Entre  1561  et  1567,  il  avait  payé,  y  compris  les  9.600.000 
livres  convenues  à  Poissy,  tant  par  aliénation  et  ventes  que  par 
autres  surcharges,  21.344.000  1.  et  plus;  depuis  1567  jusqu'en 
1576,  on  a  ajouté  des  surcharges  pour  41.087.257  1.  10  s.  3  d.. 


1.  PV.    Collection,   t.    I,    p.   41.    Cf.    t.   V,   p.    195. 

2.  P  V.    Collection,    t.    I,    pp.    44    svv. 

3.  Voir   le    texte    dans    RATM,    t.    IX,    pp.    22  svv. 

4.  Voir  les  observations  sur  l'Assemblée  rie  1.573,  P  \'.  Collection,  t.  I,  pp. 
63  sv.  et  Procès  verbal  de  l'Assemblée  de  1675,  P  V.  Collection,  t.  V,pp.  195 
sw.   Cf.    Serbat,   0.    c,  pp.   49  sw. 


94  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

en  toiiî.  environ  62.000-000  (1).  Les  Commissaires  du  roi  don- 
nèrent un  chiffre  moins  élevé,  mais  reconnurent  qni'il  était  entré 
dans  les  caisses  royales  environ  50.000-000  (2).  Le  Clergé  avait 
donc  payé  largement  beaucoup  plus  qu'il  ne  s'était  engagé.  Il 
refuse  de  payer  de  nouveau. 

D'autre  part,  l'Hôtel-de-Ville  n'était  pas  remboursé  :  il  voulait 
l'être. 

Aussi    de  1576  à  1579,  la  situation  fut  troublée. 

En  1579,  sur  les  plaintes  réitérées  du  Clergé,  une  Assemblée 
fut  réunie  à  ]\Ielun  (3).  Après  bien  des  discussions,  le  Clergé  passe 
un  contrai  avec  le  Roi  (4)  et  s'engage  à  payer  pendant  6  ans 
encore  la  somme  annuelle  de  1.300.000  livres;  au  bout  de  ce 
temps,  se  tiendront  des  États  généraux  ou  sinon  une  Assemblée 
du  Clergé.  Le  Clergé  ne  s'engage  donc  pas  pour  le  fond,  et  ne 
veut  pas  assumer  de  responsabilité  à  l'égard  de  l'Hôtel-de-Ville  ; 
car  le  contrat  porte  que  le  Clergé  consent  à  cette  subvention 
«  après  avoir  protesté  ne  pouvoir  avouer  ni  reoonnoître  aucun- 
nement  être  obligé  par  lesdits  contrats  (ceux  de  1566,  1567,  etc.), 
et  sans  que  ce  qu'ils  accordent  présentement,  ni  les  paiements  qui 
se  pourront  faire  des  deniers  qui  se  levront  sur  eux,  en  vertu  du 
présent  accord,  leur  puisse  aucunnement  préjudicier  aux  droits, 
noms,  raisons,  exceptions  et  défenses  qu'ils  ont  contre  lesdits 
contrats,  ni  aux  répétitions  de  deniers  et  actions  qu'ils  pour- 
raient avoir  en  conséquence  d'iceux.  » 


Ce  contrat  de  Melun  est  le  fondement  de  tous  les  autres. 

Comme  il  n'y  eut  pas  d'États  généraux  à  la  date  convenue, 
en  1585,  se  tint  mie  nouvelle  Assemblée  du  Clergé  (5).  Le  contrat 
fut  renouvelé  pour  dix  ans  (6)  et  dans  la  suite  il  fut  toujours  re- 
nouvelé de  dix  en  dix  ans  sous  les  mêmes  réserves  ;  car  le  Clergé 
niait  la  valeur  juridique  du  contrat  de  Poissy  et  d'ailleurs  il  avait 


1.  P  V.  Collection,  i.  I,  pp-  92  svv.  ;  Procès-verbal  des  États  de  BloLs,  P  V. 
Collection,  t.  V,  ad  calceni,  supplément  au  tome  premier,  pp.  xxxiv  svv.  (Les 
cîiiffres  indiqués  se  trouvent  ibidem,  p.  lvi.)  Cf.  P-  Richard,  La  papauté 
et  la  ligue  française.  Pierre  d'Êpinac,  archevêque  de  Lyon  (1573-1599),  pp.  108 
sw.  Paxis,   1901. 

2.  Cf-  Serbat,  0-  c,  p.  82. 

3.  P  V.  Collection,  t.  I,  pp.  150  svv.  Cf.  P.  Richard,  o.  c,  pp.  143  s\-v.  ; 
Serbat,  o.  c,  pp.   89  svv. 

4.  Texte  du  contrat  dans  RATM,  t.  IX,  pp.  65  svv. 

5.  P  V.  Collection,  t.  I,  pp.  271  svv.  Cf.  Serbat,  o.  c,  pp-   115  svv. 

6.  Texte  dans   RATM,  t.   IX,  pp.   100  sv%% 


LES     ASSEMBLÉES     DU      CLERGÉ     DE     FRANCE  93 

rempli  les  obligations  qu'il  lai  imposait.  (1);  mais  en  pratique  il 
continua  à  servir   régulièrement   les   rentes    sur   l'Hôtel-de- Vaille. 

En  même  temps  les  assemblées  s'étaient  accoutumées  à  accor- 
der un  don  gratuit  au  roi. 

D'autre  part,  la  nécessité  de  renouveler  le  contrat  assura  la 
périodicité  des  Assemblées  (2). 

En  outre,  depuis  la  réunion  de  Poissy,  les  Assemblées  présen- 
taient régulièrement  au  roi  leurs  cahiers  de  plaintes  et  doléances 
en  matière  religieuse  comme  en  matière  temporelle;  elles  s'oc- 
cupaient des  intérêts  généraux  de  l'Église  de  France;  elles  avaient 
dû  aviser  à  leur  propre  organisation  intérieure  et  établir  une 
série  d'institutions  centrales,  provinciales  et  diocésaines  d'or- 
dre électoral,  administratif  et  judiciaire  fortement  organisées  et 
savamment  centralisées  :  les  Assemblées  diocésaines  et  les  Assem- 
blées provinciales  électorales  ;  l'agence  générale  du  Clergé  ;  les 
bureaux  et  les  syndics  diocésains  des  décimes;  les  chambres  pro- 
vinciales ou  souveraines  des  décimes  ;  le  receveur  et  le  contrôleur 
général  des  décimes,  sans  compter  quantité  d'officiers  et  de  fonc- 
tionnaires subalternes.  A  cet  égard,  l'Assemblée  de  Melun  (1579- 
1580)  a  joué  un  rôle  capital.  Mais  nous  n'avons  pas  à  traiter  ce 
point.  Nous  n'avons  voulu  qu'exposer  la  genèse  de  ces  majes- 
tueuses et  puissantes  Assemblées  du  Clergé  de  France. 

Le3  conditions  générales  de  la  France  à  ce  moment,  disons-le 
pour  finir,  ont  grandement  favorisé  la  constitution  de  ces  Assem- 
blées. Si  le  Clergé  a  consenti  à  fournir  des  sommes  relativement 
considérables,  il  ne  faut  pas  oublier  que  l'on  menaçait  l'ensem- 
ble de  son  temporel  et  qu'au  surplus  la  Royauté  alléguait  des 
motiiâ  d'ordre  national  et  religieux  pour  exciter  sa  générosité. 
Si  le  Clergé  a  pu  imposer  la  nécessité  de  son  consentement,  se 
constituer  en  corps  délibératif  et  rattacher  aux  Assemblées  un 
ensemble  d'organismes  importants,  il  ne  faut  pas  oublier  da- 
vantaga  que  ce  fut  à  l'époque  troublée  des  guerres  de  religion, 
alors  que  le  gallicanisme  royal  traversait  une  crise  intense  et 
qui  les  théories  les  plus  radicales  battaient  en  brèche  l'absolu- 
tisme de  la  Royauté. 

Louvain.  A.    Cauchie. 


1.  Voir  le  Procès-verbal  de  l'Assemblée  de  1675,  P  V.  Collection,  t.  V,  pp. 
193   svv.    Cf.   Laferrière,   o.  c,   pp.   175   svv. 

2.  Le  Clergé  a  toujours  maintenu  la  nécessité  de  son  consentement.  Voir, 
p.  e.,  les  procès-verbaux  des  assemblées  de  1725,  1726  et  1750,  P  V.  Collection, 
t.  VII,  pp.  71  svv.;  pp.  574  et  653  svv.;  t.  VIII,  Ire  part., pp.  218  et  251  svv. 


Notes 


Canonicité   et  Authenticité. 

LES  deux  termes  «canonicité»,  «authenticité»,  n'ont  pas,  on  le 
sait,  acquis  du  premier  coup  leur  sens  déterminé.  Aujour- 
d'hui encore  un  peu  d'incertitude  règne  sur  la  nature  précise  de 
leur  contenu.  Le  terme  authenticité  en  particulier  s'emploie  quel- 
qiiefois  dans  un  sens  qui  le  rapproche  beaucoup  de  celui  de 
canonicité,  ou  bien  il  reçoit  une  extension  trop  vaste,  propre 
à  engendrer  la  confusion.  Nous  n'avons  pas  l'intention,  de  refaire 
l'historique  de  ces  deux  concepts.  Nous  voulons  plutôt  chercher  à 
fixer  leur  valeur  absolue.  Simple  contribution  à  la  terminologie  de 
l'Introduction  biblique. 

I.  Canonicité.  —  Aucun  livre  saint  n'a  pu  être  canonisé  sinon 
à  caus3  même  de  son  inspiration.  Ce  principe  est  universellement 
admis.  On  peut  donc  légitimement  partir  de  la  notion  même  de 
livre  inspiré  pour  se  former  une  idée  nette  de  la  canonicité. 
Or  le  livre  inspiré  implique  dans  sa  définition  plusieurs  éléments  : 
l"  En  vertu  de  son  origine  un  rapport  actuel  avec  Dieu  sa  cause 
surnaturelle,  2°  En  vertu  de  son  contenu  et  de  sa  fin  une  apti- 
tude à  devenir  la  règle  infaillible  de  la  foi  et  des  mœurs;  3"  Une 
aptitude  à  être  connu  comme  inspiré,  car  si  le  livre  ne  pouvait 
être  reconnu  conmie  tel,  il  n'atteindrait  jamais  sa  fin,  il  ne  pour- 
rait pas  devenir  règle  infaillible  de  la  foi  et  des  mœurs. 

Et  nous  disons  «  aptitude  ».  En  effet,  le  li\Te  par  cela  même 
qu'il  est  actuellement  inspiré  n'est  pas  nécessairement  connu 
comme  tel.  Car  «  l'action  inspiratrice  du  Saint-Esprit  sur  les  écri- 
vains sacrés  étant  un  fait  psychologique  d'ordre  surnaturel,  elle 
ne  pourra  être  attestée  avec  certitude  que  par  un  témoignage  di- 
vin (1).  »  Et  ce  témoignage  divin  est  lui-même  objet  de  foi  sur- 
naturelle. Or  la  foi  n'est  pas  sans  condition  mise  en  rapport  avec 
le  livre  sacré.  Entre  cet  objet  et  l'intelligence  intervient  une  auto- 
torité  qualifiée  par  le  Christ  pour  reconnaître,  constater  le  carac- 

1.  Cf.  E.  M.WGENOT.  Dictionnaire  de  la  Bible.  T.   III,  col.  888.  Paris,  190a 


NOTES  97 

tère  inspiré  des  Livres  saints  et  déclarer  officiellement  leur  valeur 
comme  règles  infaillibles  de  foi  et  de  mœurs. 

Avant  la  déclaration  de  l'Église  il  y  a  donc  dans  ces  écrits 
une  aptitude,  mais  une  simple  aptitude  à  remplir  le  rôle  qui 
leur  est  assigné  par  leur  fin.  Après  cette  déclaration,  le  livre 
inspiré,  reconnu  comme  tel,  entre  dans  Vexercice  de  cette  aptitude. 
Cet  exercice  même,  ainsi  conditionné,  constitue  ce  que  nous 
appelons  la  canonicité  d'un  Livre  Saint. 

On  peut  donc  définir  la  canonicité  :  Le  fait  pour  un  Livre 
sacré  d'exercer,  en  vertu  de  la  reconnaissance  officielle  par  l'Égli- 
se de  son  caractère  inspiré,  le  rôle  de  règle  infaillible  de  la  foi 
et  des  mœurs. 

IL  Authenticité.  —  L'authenticité  d'un  livre  implique  le  rapport 
de  ce  livre,  à  son  auteur.  Tout  écrit  se  trouve  lié,  rattaché  à  la 
personne  et  au  nom  de  l'écrivain  qui  l'a  conçu,  composé,  rédigé, 
ou  même  simplement  compilé,  de  telle  sorte  qu'il  peut  et  doit 
lui  être  attribué.  Si  ce  rapport  d'attribution  est  fondé  en  réalité, 
le  livre  est  dit  authentique.  Par  contre  il  est  inauthentique  si  ce 
rapport  qu'on  disait  exister  n'existe  pas. 

Or  le  Livre  saint  est  totalement  attribuable  à  Dieu  comme 
auteur  principal  et  totalement  à  l'homme  comme  auteur  secon- 
daire. Il  est  donc  authentique  à  un  double  titre.  Mais  l'authen- 
ticité en  tant  que  divine  s'identifie  avec  l'inspiration.  Car  Dieu 
est  l'auteur  des  Livres  saints  pour  autant  qu'il  les  inspire,  La 
signification  du  terme  se  trouvera  dès  lors  limitée,  et  très  ordinai- 
rement on  entend  désigner  par  là  le  rapport  d'attribution  qui  relie 
un  livre  sacré  à  tel  où  tel  auteur  humain  déterminé. 

Le  mot  «  déterminé  »  paraît  inexact.  Car  l'on  dit  souvent  d'un 
ouvrage  même  anonyme  qu'il  est  authentique  si,  par  exemple, 
l'analyse  intrinsèque  révèle  des  idées,  des  coutumes  en  harmo- 
nie avec  l'époque  ou  le  milieu  qu'on  assigne  à  sa  composition. 
A  bien  considérer,  le  terme  «  authentique  »  reçoit,  dans  ces  cas, 
seulement  une  application  diminuée,  imparfaite.  Et  l'on  sera  plus 
d'une  fois  obligé  de  s'en  tenir  là.  Mais  si  l'on  veut  satisfaire  aux 
exigences  absolues  du  concept,  définir  l'authenticité  d'un  ouvrage 
c'est  le  placer  en  regard  d'un  nom,  d'une  individualité  autorisée  à 
en  revendiquer  l'attribution.  Sans  exclure  les  formes  inférieures  et 
comme  embryonnaires  de  la  notion,  il  semble  donc  légitime, 
dès  lors  qu'on  la  considère  en  soi,  d'y  faire  entrer  le  mot  «  déter- 
miné ». 

On  peut  donc  définir  l'authenticité,  appliquée  à  la  Bible  :  L'ai- 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  i.  7 


98  REVUr,   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

trïbution  vraie  d'un  Livre  saint  à  Vauteiir  humain  déterminé  qui 
l'a  écrit. 

III.  Rapports.  —  De  ces  définitions  il  résulte  qu'e;^  soi  les  ca- 
ractères de  canonicité  et  d'authenticité  ne  s'impliquent  pas  mutuel- 
lement. 

1°  Un  écrit  sacré  n'est  pas  canonique  précisément  parce  qu'il 
appartient  à  tel  ou  tel  auteur,  mais  à  cause  de  son  inspiration. 
Et  pour  le  comprendre  il  faut  distinguer  avec  soin  motif  et 
critérium.  Le  motif  est  ce  pourquoi  un  livre  est  canonisé.  Le 
critérium  est  le  signe  extérieur  qui  permet  à  l'Église  de  recon- 
naître le  caractère  inspiré  du  livre  et  de  le  déclarer  règle  de 
foi  et  de  mœurs.  Or  il  est  incontestable  qu'à  ce  titre  de  critérium 
l'attribution  d'auteur  a  joué  un  certain  rôle  quoique  non  pas 
exclusif  dans  l'histoire  du  Canon.  ]Mais  au  moment  précis  où 
l'autorité  ecclésiastique  promulgue  son  décret  officiel,  l'attribu- 
tion d'auteur  passe  au  second  plan,  et  l'inspiration  apparaît  com- 
me le  véritable  motif  de  la  définition. 

2'^  De  même  absolument  parlant,  un  écrit  n'est  pas  authentique 
par  cela  même  qu'il  a  été  déclaré  canonique.  Cette  déclaration 
manifeste  à  la  foi  du  fidèle  l'aptitude  infailliblement  régulatrice 
du  Livre  inspiré.  Or  ce  caractère  dérive  premièrement  du  rap- 
port qui  unit  le  Livre  à  son  auteur  principal,  surnaturel,  et  non 
du  rapport  qui  l'unit  à  sa  cause  seconde  à  son  auteur  humain. 

Toutefois  accidentellement  et  en  fait  il  peut  arriver  que  la 
canonicité  entraîne  l'authenticité,  au  moins  dans  une  certaine 
mesure.  D'abord  le  seul  fait  d'avoir  été  pour  l'Église  un  cri- 
térimii  même  partiel  de  canonicité  donne  à  l'attribution  d'au- 
teur telle  que  l'a  reçue  et  acceptée  l'autorité  officielle,  une  va- 
leur et  'un  poids  qu'on  ne  saurait  ignorer,  ni  écarter  sans  de 
graves  tnotifs  Un  autre  cas,  assez  fréquent,  est  celui  où  le  Livre 
canonique  contient  la  mention  expresse  de  son  auteur.  Il  y  aura 
lieu,  dès  lors,  de  préciser  la  portée  de  cette  affirmation  d'après 
les   règles   ordinaires   appliquées   à  ces   sortes   de  problèmes. 

Kain.  Th.  Mainage,  0.  P. 

II 

Saint  Thomas  et  l'Histoire  Inspirée. 

Au  cours  de  ces  dernières  années,  de  vives  discussions  se 
sont  élevées  entre  théologiens  catholiques  touchant  les  rè- 
gles à  suivre  dans  l'interprétation  et  la  critique  des  parties  histo- 


NOTES  99 

riqiies  de  l'Écriture.  Le  problème  étant  solidaire  de  cet  autre  : 
comment  les  écrivains  inspirés  concevaient-ils  l'histoire  et  en- 
tendaient-ils l'écrire?  c'est  à  résoudre  cette  dernière  question 
qu'on  s'est  particulièrement  appliqué.  A  cette  occasion,  plusieurs 
assertions  des  Pères,  spécialement  de  saint  Jérôme,  ont  été  rap- 
pelées et  soumises  à  un  sérieux  examen.  En  revanche,  je  ne 
vois  pas  qu'on  se  soit  communément  expliqué  sur  un  passage 
similaire  de  saint  Thomas,  qui  se  lit  dans  la  Somme  Théologique, 
V  W  Q.  XCVIII,  art.  III,  ad  2""".  En  voici  le  texte  : 

«  Ad  secundum  dicendum  quod,  sicut  Augustinus  dicit,  XII 
super  Gen.  ad  Litf.,  in  Exodo  dicitur  :  Locutus  est  Dominus 
Moysi  facie  ad  faciem;  et  paulo  post  subditur  :  Ostende  mïhi 
gloriam  tuam.  Sentiehat  ergo  quod  videbat ;  et  quod  non  videbat, 
desiderabat.  Non  ergo  videbat  ipsam  Dei  essentiam  et  ita  non 
immédiate  ab  eo  instruebatur.  Quod  ergo  dicitur  quod  loque- 
batur  ei  facie  ad  faciem,  secundum  opinionem  populi  loquitur 
Scriptura  qui  putabat  Moysen  ore  ad  os  loqui  cum  Deo,  cum  per 
subjectam  creaturam,  id  est  per  angelmu  et  nubem,  ei  loqueretur 
et  appareret...  »  (1). 

Naturellement,  saint  Thomas  a  dans  l'esprit  que  l'auteur  ins- 
piré, Moïse,  sait  que  cette  «  opinio  populi  »  est  fausse.  Il  remar- 
que, en  outre,  après  saint  Augustin,  que  l'Écriture,  quelques 
versets  plus  loin,  laisse  suffisamment  entendre  la  vérité.  Il  n'est 
pas  douteux  que  le  Docteur  Angélique  n'attache  de  l'importance 
à  ces  deux  points.  En  fait-il  la  condition  sine  quâ  non  de  la  ipos- 
sibilité  de  l'explication  qu'il  propose?  Plus  précisément,  consen- 
tirait-il à  voir  dans  les  lois  mêmes  de  certains  genres  littéraires, 
par  exem^ple,  l'équivalent  des  deux  circonstances  qu'il  suppose 
ou  signale  dans  le  cas  de  ce  verset  de  l'Exode?  Je  n'ose  le  décider. 
Il  reste  que,  à  tout  le  moins  sous  réserve  de  certaines  conditions, 
saint  Thomas  ne  voit  aucune  difficulté  à  dire  que  l'historien 
inspiré  peut,  sans  compromettre  le  principe  de  l'inerrance  abso- 
lue de  l'Écriture,  raconter  un  fait  «  secundmn  opinionem  populi  », 
quoique  cette  opinion  du  peuple  soit  fausse.  Il  n'éprouve  même 
pas  le  besoin  de  couvrir  cette  manière  de  voir  de  l'autorité  de 
saint  Jérôme,  dont  cependant  il  ne  devait  pas  ignorer  les  prin- 
cipes sur  ce  point.  ■ 

Kain.  A.  Lemonnyer,  0.  P. 


1.  On  n'oubliera  pas,    si   ou   lit  le   corps   même   de   l'article,   de   se  référer 
au  commentaire  de  Cajetan  qui  en  précise  le  sens.  - 


Bulletin  de  Philosophie 


I.  —  MÉTAPHYSIQUE. 

J'ai  consacré  en  entier  le  précédent  bulletin  de  métaphysique  à 
retracer  brièvement  le  mouvement  pragmaliste.  L'attitude  d'esprit  qu'il 
manifeste,  actuellement  si  commune,  m'avait  semblé  mériter  une 
attention  spéciale.  Tout  en  continuant  à  suivre  le  développement  de  cette 
tendance  philosophique  et  à  noter  les  aspects  successifs  qu'elle  revêt,  je 
ferai  la  part  aussi  large  que  possible  aux  productions  des  diverses 
écoles.  Un  ordre  rigoureux  est  difficile  à  suivre  et  bien  des  obstacles 
s'opposent  à  un  classement  méthodique  des  doctrines,  aucune  étiquette 
n'étant  complètement  satisfaisante.  Voici  donc  les  grandes  divisions, 
arbitraires  mais  commodes,  qu'il  m'a  paru  bon  d'adopter.  I  Théorie  de 
la  Connaissance  ou  Épislémologie.  II  Sijstèmes  Philosophiques.  111  Ques- 
tions Spéciales. 

I.  —  Théorie  de  la  Connaissance. 

En  épistémologie,  les  discussions  concernant  la  notion  et  l'acquisition 
de  la  vérité  ont  été  rajeunies  par  les  résultats  de  la  critique  des  sciences 
et  les  points  de  vue  les  plus  récents  de  la  psychologie.  Si  les  articles 
publiés  sur  ce  sujet  embarrassent  par  leur  multitude,  les  travaux 
d'ensemble  sont  rares.  Aussi,  le  nouvel  ouvrage  par  lequel  M.  Fargf.s 
vient  de  clore  la  série  des  «  Études  »  bien  connues  dans  lesquelles  il 
vulgarise  les  doctrines  aristotéliciennes  et  thomistes,  pourra  rendre  de 
réels  services.  Il  en  rendrait  même  davantage  s'il  réalisait  mieux  les 
promesses  de  son  titre.  Le  livre  est  intitulé  :  La  Crise  de  la  Certitude. 
Étude  des  Bases  de  la  Connaissance  et  de  la  Croyance  avec  la  critique  du 
Néo-Kantisme,  du  Pragmatisme,  du  Neivmanisme,  etc.  (1).  L'etc.  surtout 
est  alléchant,  mais  on  s'aperçoit  à  la  lecture  que  la  discussion  des 
théories  les  plus  nouvelles  ne  joue  qu'un  rôle  épisodique  dans  l'ensemble 
de  l'ouvrage.  Kant,  Stuart  Mill,  l'aine,  les  traditionalistes,  sont  les  prin- 
cipaux adversaires  que  M.  Farges  s'attarde  à  réfuter.  Toutefois  cette  pré- 
occupation à  l'endroit  de  systèmes  déjà  vieillis  sous  leur  forme  primitive, 
est  en  somme  concevable,  si  l'on  prend  le  livre  pour  ce  qu'il  est,  c'est-à- 
dire  pour  un  grand  manuel  de  critériologie  et,  à  cet  égard,  il  a  d'incon- 
testables mérites  d'ordre  et  de  clarté. 

La  question  fondamentale  est  celle  de  l'existence  de  la  certitude 
objective,  c'est-à-dire  d'une  certitude  basée  sur  la  conformité  de  la  con- 
naissance à  sou  objet. 

1.  Paris,   Bercho   et   Traliii,   1907.    1  vol.   iii-So  de  396   p. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  101 

M.  Farges,  avec  la  philosophie  traditionnelle  et  le  sens  commun,  affirme 
cette  existence  que  Kant  et  tous  les  penseurs  qui  s'inspirent  de  son 
crilicisme  considèrent  comme  illusoire.  L'erreur  de  ces  derniers 
s'explique  par  leur  postulat  originel,  le  subjectivisme  ;  l'esprit  ne 
saurait  sortir  de  lui-même  et  ne  connaît,  par  suite,  que  ses  propres 
phénomènes.  11  y  a  là  un  sophisme  facile  à  démasquer.  De  ce  qu"i4  est 
impossible  à  l'esprit  de  sortir  de  soi,  il  n'en  résulte  nullement  qu'il 
ne  connaisse  que  soi.  il  atteint  en  lui-même  des  réalités  qui  lui  sont 
étrangères.  L'action  de  l'objet  extérieur  est  dans  le  sujet;  l'esprit  restant 
en  lui-même  saisit  cette  action  sans  se  l'attribuer  et  la  projette  au  dehors 
à  la  place  qui  lui  convient. 

D'autre  part,  nos  moyens  de  connaître  cette  réalité  indépendante 
de  la  conscience  ne  sont  pas  forcément  des  agents  de  déformation,  ils 
ne  sont  pas  fatalement  voués  à  l'erreur.  Les  sens  ont  visiblement  la 
structure  d'organes  récepteurs  et  passifs  ;  l'exiguïté  de  leur  nombre, 
leur  spécification  rigoureuse,  si  elles  restreignent  le  champ  de  nos 
expériences,  n'en  compromettent  pas  la  valeur.  C'est  à  tort  qu'on  assi- 
mile l'abstraction  à  la  falsification  ;  suivant  l'antique  formule,  l'abstrac- 
tion n'est  pas  un  mensonge.  L'idée,  par  les  éléments  qu'elle  extrait  des 
sensations,  nous  représente  des  aspects  réels  du  monde.  L'erreur 
consisterait  à  prendre  une  vue  partielle  pour  une  intuition  totale, 
mais  nous  pouvons  nous  en  garder,  11  y  a,  en  tout  cas,  certaines  idées 
au  sujet  desquelles  on  ne  saurait  errer,  dont  les  rapports  s'imposent  à 
l'esprit  avec  une  clarté  sans  égale,  ce  sont  celles  qui  forment  les  juge- 
ments analytiques.  Étant  à  priori,  ces  jugements  offrent  le  type  de  la 
certitude  absolue.  La  nécessité  qui  les  caractérise  ne  dérive  pas  de  la 
structure  de  l'esprit  qui  ne  saurait  concevoir  leurs  contradictoires,  mais 
de  la  nature  même  des  termes  en  présence.  Le  raisonnement  déductif, 
basé  sur  un  principe  analytique,  participe  à  sa  certitude  et  Kant  lui- 
même  ne  l'a  pas  contesté.  L'induction  n'a,  le  plus  souvent,  qu'une  valeur 
conditionnelle  mais  qui  suffit  pour  la  pratique.  Par  ailleurs,  qu'il  soit 
déductif  ou  inductif,  le  raisonnement  ne  peut  se  ramener  à  une  associa- 
tion d'images,  car  il  est  basé  sur  la  perception  de  rapports  entre  les 
idées,  tandis  que  l'association  n'est  qu'un  mécanisme  aveugle. 

Après  l'examen  des  critères  intrinsèques,  M.  Farges  aborde  celui  des 
critères  extrinsèques.  Je  ne  ferai  que  signaler  les  chapitres  concernant 
le  témoignage  humain  et  le  témoignage  divin,  oi^i  l'on  trouve  çà  et  là 
des  considérations  visant  certaines  conceptions  contemporaines  de  la 
méthode  historique.  Notons  aussi  que  le  Xewinanisme  est  compté  parmi 
les  essais  de  réduction  des  critères  extrinsèques.  La  discussion  prend 
ici  quelque  ampleur,  malheureusement  les  sources  n'ont  pas  été  con- 
sultées directement  et  c'est  aux  disciples  de  Xewmaa  que  l'on  demande 
un  exposé  de  sa  doctrine.  C'est  là  un  procédé  dangereux  et  qui  ne 
saurait  recommander  une  critique.  Opposé  à  toute  réduction  des  critères, 
qu'ils  soient  extrinsèques  ou  intrinsèques,  M.  Farges  reconnaît  cepen- 
dant une  condition  commune  de  leur  validité,  qui  est  l'évidence.  Sa 
nature,  obscurcie  par  le  subjectivisme,  peut  se  définir  par  la  visibilité  de 
l'objet.  L'évidence  n'a  pas  besoin  de  preuve  et  se  discerne  par  elle-même; 
il  importe  toutefois  de  bien  examiner  les  conditions  dans  les(iuelles  elle 


102         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

se  produit  et  de  délimiter  le  champ  oîi  elle  s'exerce.  Toute  méthode  est 
une  mise  en  œuvre  des  critères  et,  comme  les  critères,  les  méthodes 
varient  suivant  les  objets  auxquels  elles  s'appliquent.  Le  doute  uni- 
versel, comme  méthode,  n'est  acceptable  que  s'il  est  fictif  et  considéré 
seulement  comme  procédé  de  recherche.  La  méthode  mathémalique  est 
purement  déductive  ;  la  méthode  expérimentale  arrive  quelquefois  à  des 
résultats  certains;  le  plus  souvent  elle  n'atteint  qu'une  probabilité  plus 
ou  moins  grande.  Toutefois,  ceux  qui  ne  veulent  voir  dans  les  sciences  de 
la  nature  qu'un  ensemble  de  symboles  conventionnels  ne  sauraient 
justifier  leur  opinion  par  leur  expérience  de  l'investigation  scientifique. 
Elle  dérive  du  subjectivisme  kantien  auquel  ils  se  sont  inféodés  et  de 
la  peur  de  la  métaphysique.  La  certitude  morale  est  une  vraie  certitude  ; 
moins  lumineuse  que  les  autres,  elle  est  plus  profonde,  car  elle  s'empare 
de  l'homme  tout  entier. 

Ceux  que  les  solutions  données  par  M,  Farges  aux  problèmes  actuels 
de  l'épistémologie  ne  satisferaient  pas  complètement,  liront  avec  le  plus 
grand  profit  l'intéressant  travail  de  M.  de  Tonquédec  :  La  Notion  de  Vérité 
dans  la  «  Philosophie  Nouvelle  »  (1).  Ils  y  trouveront,  sous  une  forme 
aux  contours  parfois  imprécis  mais  toujours  correcte  et  distinguée,  un 
exposé  objectif  et  une  critique  intelligente  des  développements  que 
MM.  Le  Roy  et  Wilbois  ont  donné,  sur  le  point  qui  nous  occupe,  à  la 
philosophie  de  M.  Bergson.  Pour  les  penseurs  de  cette  école,  la  vérité, 
on  le  sait,  n'a  rien  d'absolu,  car  elle  se  confond  avec  la  vie  de  l'esprit  ; 
elle  suit  docilement  toutes  les  sinuosités  de  son  devenir  et  ne  signifie 
rien  de  plus  que  les  divers  moments  de  son  expérience.  Libre  comme 
l'évolution  qui  l'emporte,  elle  ne  revêt  des  apparences  rigides  que  par 
suite  des  habitudes  prises  par  l'individu  et  par  la  race,  habitudes  dont 
l'esprit  d'invention  et  l'effort  de  la  philosophie  doivent  nous  dégager. 
Celle-ci,  par  la  critique  des  notions  du  sens  commun,  simples  instru- 
ments de  la  pratique,  et  des  concepts  scientifiques  qui,  plus  précis  et 
plus  affinés,  s'ils  augmentent  notre  puissance  d'agir,  s'écartent  encore 
plus  du  réel,  doit  nous  faire  retrouver  le  fond  mouvant  des  choses.  Par 
elle,  synthétisant  nos  intuitions  partielles  de  l'univers,  nous  nous  insé- 
rerons dans  ce  flux  indistinct  et  indéfini  qui,  par  une  finalité  immanente 
tend  toujours  à  se  dépasser  lui-même  et  qui,  sous  cet  aspect,  n'est  autre 
que  la  divinité. 

M.  de  Tonquédec  n'hésite  pas  à  reconnaître,  et  fort  justement,  à  mon 
avis,  que  le  grand  mérite  de  la  «  philosophie  nouvelle  y>  a  été  d'attirer 
l'attention  sur  l'écart  qu'il  y  a  entre  l'intuition  et  le  concept,  sur  la 
richesse  de  la  première  et  la  pauvreté  relative  du  second,  mais  il  se 
refuse  à  enlever  à  nos  idées  toute  valeur  de  connaissance.  Celte  valeur 
est  indéniable  puisque  le  concept  est  considéré  comme  un  schéma  de 
l'action  et  que  celle-ci  fait  partie  du  réel.  Si  le  concept  déforme, 
comment  les  intuitions  qu'il  prépare  nous  donneraient-elles  la  réalité 
sans  aucune  déformation  ?  D'ailleurs,  si  l'idée  laisse  tomber  un  grand 
nombre   d'éléments  réels,    elle  nous  en  découvre   que  l'intuition   est 


1.  Études,    1907,    20    Mars,    pp.    721-748;    20    Mai,    pp.    1.33453;    5  juillet, 
pp.  68-82;  5  Août,  pp.  335-361. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  103 

impuissante  à  saisir.  L'idéalisme  absolu  auquel  aboutit  la  nouvelle  école 
repose  sur  ces  deux  principes.  1°).  Si  le  réel  est  distinct  de  la  connais- 
sance, il  est  impossible  qu'elle  l'atteigne.  2'^).  A  supposer  qu'elle  l'atteigne, 
elle  n'aurait  aucun  moyeii  de  savoir  si  elle  lui  est  conforme.  Le  premier 
de  ces  principes  n'est  qu'un  simple  postulat;  quant  au  second,  il  est 
sans  force  dès  lors  qu'on  affirme  que  la  connaissance  atteint  immédia- 
tement son  objet.  Dire  que  la  connaissance  n'est  qu'une  production  de 
son  objet,  c'est  détruire  ce  qu'elle  a  d'original.  Pourquoi  ne  pas  admettre 
à  la  base  ce  que  l'on  admet  au  second  degré  pour  la  réflexion,  un  objet 
distinct  de  l'acte  qui  le  saisit  ?  Confondre  le  réel  avec  la  pensée,  c'est 
aussi,  pour  la  philosophie  nouvelle,  se  heurter  à  une  antinomie  inso- 
luble, puisque  pour  elle  la  pensée  est  devenir  et  la  matière  immobilité. 

La  notion  de  vérité  libre  soulève  des  difficultés  non  moins  graves.  Il 
y  a  toujours  une  part  de  détermination  qui  n'est  pas  arbitraire  dans  les 
constructions  de  la  science  (1)  et,  dans  le  domaine  du  sens  commun,  si 
nos  représentations  sont  relatives  à  notre  action,  celle-ci  ne  peut 
modifier  à  son  gré  les  conditions  où  elle  s'exerce  ;  le  morcelage,  par 
exemple,  s'impose  à  elle.  Quant  aux  jugements  à  priori,  alors  même 
qu'on  refuserait  à  l'esprit  toute  structure  définie,  il  n'en  faudrait  pas 
moins  expliquer  les  nécessités  qu'il  est,  en  fait,  obligé  de  subir. 

On  invoque  l'évolution  et  la  formation  d'habitudes  passées  en  nature; 
cela  pourrait  suffire  s'il  s'agissait  de  consécutions  empiiiques,  mais 
c'est  à  des  rapports  logiques  que  nous  avons  affaire.  Par  ailleurs,  l'évo- 
lution continue  à  laquelle  on  voudrait  soumettre  la  vérité,  est-elle 
possible  dans  un  système  oîi  les  intuitions  semblent  n'avoir  aucun  lien 
d'unité  ?  Une  direction,  une  orientation  ne  pourraient  remplir  ce  rôle 
que  si  elles  tendaient  vers  un  but  dont  elles  recevraient  leur  spécification 
et,  dans  ce  cas,  rien  n'empêcherait  de  les  saisir  dans  un  concept.  L'évo- 
lution suppose  donc  la  présence  de  l'idée  et  si  l'on  répugne  tant  à 
l'admettre,  c'est  que  l'on  a  toujours  en  vue  l'idée  claire  et  distincte  qui 
est  le  terme  dun  travail  d'analyse,  mais  l'idée  à  son  début  ne  se  présente 
pas  sous  cette  forme.  «  L'idée  est  une  action  avant  d'être  un  résultat.  »  (2) 
Dans  grand  nombre  de  cas,  la  vérification  d'une  idée  peut  être  fournie 
par  la  multiplicité  de  ses  applications  et  la  durée  de  son  influence,  mais 
le  critérium  de  succès  ne  se  suffit  pas  à  lui-même.  Ce  succès  n'est  un 
signe  de  vérité  que  s'il  est  un  progrès,  il  faut  donc  un  critère  pour 
en  juger. 

Ce  rôle  de  critérium  assigné  au  succès  est  une  des  idées  sur  lesquelles 


1.  «  La  science  choisit  ;  mais  parmi  les  données  du  sens  commun.  Elle 
les  traduit  en  un  langage  artificiel,  mais  ce  langage  ne  les  coiistitue  pas. 
Elle  symbolise  un  fait  par  un  autre,  mais  c'est  parce  que  les  deux  s'accom- 
pagnent dans  le  donné.  Elle  néglige  certaines  variations,  mais,  sous  les 
variations,  il  y  a  des  similitudes  qu'elle  n'invente  pas  et  qui  lui  permettent 
de  classer  les  phénomènes.  Dans  la  recherche  scientifique,  on  ne  sait  ja- 
mais toutes  (souligné  dans  le  texte)  les  conditions  où  l'on  opère,  et  l'on 
est,  par  suite,  toujours  exposé  à  voir  ses  prévisions  déjouées  dans  les 
résultats  d'ensemble;  mais  on  connaît  quelque  chose  (id.,)  des  antécédents 
et  par  suite  on  peut  prédire  quelque  chose  (id.,)  des  conséquents;  au  reste 
si  une  inconnue  intervient,  ce  n'est  jamais  pour  interrompre  le  déterminisme, 
mais  pour  le  compliquer.  »  Etudes,  5  juillet"  1907,  p.  71. 

2.  Etudes,  5  août  1907.  p.  347. 


104         REVUE   DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

les  pragmatistes  reviennent  le  plus  souvent  ;  ils  ont  continué  à  dévelop- 
per cette  conception  en  essayant  de  montrer  qu'elle  n'avait  rien  d'irra- 
tionnel. Nous  avons  tout  d'abord  à  signaler  deux  ouvrages  importants  : 
l'un  est  de  W.  James,  Pragmalism,  a  neiv  Name  for  some  old  Ways  of 
thinking  (1).  C'est  une  série  de  huit  conférences  données  d'abord  à 
Boston,  au  «  Lowell  Institute  »>  en  novembre  et  décembre  1900,  puis  à 
la  «  Cûlumbia  University  »  à  New-York,  en  janvier  1907.  L'autre  est  un 
recueil  de  vingt  essais  publiés  par  F,  C.  S.  Schiller,  sous  le  titre  de 
Studies  in  Humanism  (2).  Les  conférences  de  James  sont  destinées  à 
vulgariser  le  pragmatisme,  tandis  que  les  essais  de  Schiller  ont  un 
caractère  plus  technique.  Bien  que  la  polémique  tienne  encore  une 
place  beaucoup  trop  grande  dans  l'œuvre  de  ce  dernier  et  que  les  traces 
de  mauvais  goût  y  soient  encore  nombreuses,  les  parties  constructives 
sont  devenues  plus  importantes  et  l'on  ne  peut  que  s'en  réjouir,  car 
elles  sont  vraiment  sérieuses,  intéressantes,  et  témoignent  d'un  réel 
souci  de  résoudre  les  difficultés.  Je  ne  reviendrai  pas  sur  les  articles 
qui  figurent  dans  ce  volume  et  dont  j'ai  déjà  parlé  dans  mon  précédent 
bulletin  (3),  et  je  ne  m'occuperai  dans  cette  section  que  des  théories  de 
James  et  de  Schiller  qui  ont  trait  à  l'épistémologie. 

Pour  le  grand  psychologue  américain,  le  pragmatisme  est  tout  d'abord 
une  méthode  qui  permet  d'écarter  les  discussions  oiseuses  en  métaphysi- 
queet  d'aboutir  à  dessolutions  satisfaisantes  (-4).  Elle  consiste  àse  deman- 
der quelles  conséquences  peut  avoir  une  affirmation  donnée  et  à  la  juger 
d'après  ces  conséquences.  Mais  le  pragmatisme  n'est  pas  seulement  une 
méthode  ;  MM.  Schiller  et  Dewey  en  ont  fait  une  théorie  de  la  vérité. 
Envisagé  sous  cet  aspect,  il  apparaît  comme  une  explication  «  fonction- 
nelle ))  de  la  connaissance.  11  fait  de  nos  idées  les  inslrumenls  de  notre 
action,  elles  sont  vraies  en  tant  qu'elles  sont  efficaces.  Le  cas  étudié  de 
préférence  par  les  deux  philosophes  cités  plus  haut  est  celui  où  nous 
nous  formons  des  opinions  nouvelles.  Nous  changeons  alors  le  moins 
possible  à  nos  connaissances  déjà  acquises  et  la  conception  qui  s'impose 
à  nous  comme  vraie  est  celle  qui  procure  l'assimilation  la  plus  aisée 
des  expériences  récentes  par  les  croyances  anciennes. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  ancien  dans  les  concepts  qui  nous  servent  à  orga- 
niser nos  connaissances  ne  provient  d'ailleurs  pas  de  nous  (5).  Il  faut 
y  voir  le  résultat  de  découvertes  géniales  d'ancêtres  préhistoriques,  qui 
se  sont  conservées  à  travers  l'expérience  des  temps  postérieurs,  parce 
qu'elles  ont  toujours  permis  d'atteindre  les  fins  pratiques  en  vue  des- 
quelles les  hommes  pensent.  Mais  on   doit   restreindre   l'application   de 


1.  Longmans,  Green  and  C^.  Loudon,  Bombay  and  Calcutta.  1907.  1  vol. 
in-So  de  XIII-309  pages. 

2.  Macmillan  and  C.  London  1907.  1  vol.  in-8o  de  XV492  p. 

3.  Ce  sont  les  suivants  :  The  Définition  of  Praiimatisni  and  Humanism  (Rev. 
(hs  Se.  PJi.  et  Th.,  .Janvier  1907,  p.  114  et  125.);  The  Amhiijuitu  of  Truth  {ibid., 
p.  127);  Empiricism  and  The  Ahsolute  {ihid.,  pp.  124  et  125);  Truth  and 
Mr  Bradley  (ibid.,  p.  121)  Faith,  Beason    and  Beligion  {ibid.,  p.  128). 

4.  Lecture  IL  What  Pragmatisni  Means.  —  Pragmalism,  pp.  43-81. 

5.  Lecture  V.  Pragmatisni  and  Common  Sensé.  —  Pragmatism,  pp.  165. 
194. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  105 

ces  notions  au  domaine  où  elles  ont  leur  pleine  valeur,  c'est-à-dire  au 
domaine  du  sens  commun.  Quand  il  s'agira  de  science  ou  de  critique 
philosophique,  d'autres  concepts  leur  seront  substitués.  Demander  quelle 
série  de  concepts  est  la  plus  vraie,  est  une  question  qui  n'a  pas  de  sens, 
car  chacune  est  vraie  dans  le  plan  où  elle  est  mise  en  œuvre  et  ceci 
confirme  la  théorie  instrumentale.  Pour  en  prendre  une  vue  plus  nette, 
il  faut  analyser  la  notion  de  vérité,  ce  que  les  intellectualistes  ont  négligé 
de  faire  (1).  Les  pragmatistes  admettent  comme  eux  qu'elle  peut  être 
regardée  comme  l'accord  de  l'idée  avec  la  réalité,  mais  il  reste  à  se 
demander  en  quoi  consiste  cet  accord.  Concevoir  les  idées  comme  des 
reproductions,  comme  des  copies,  soit  des  objets,  soit  des  pensées 
divines,  c'est  leur  assigner  un  rôle  bien  futile.  «  Les  idées  vraies  sont 
celles  que  nous  pouvons  assimiler,  valider,  corroborer  et  vérifier.  Les 
idées  fausses  sont  celles  pour  lesquelles  cela  est  impossible  »  (2).  La 
vérité  n'est  donc  pas  statique,  elle  consiste  en  un  processus,  le  processus 
même  de  vérification,  et,  par  vérification,  il  faut  entendre  le  fait 
qu'une  idée  nous  guide  avec  succès  à  travers  l'expérience.  Toutefois 
une  vérification  complète  est  rarement  nécessaire  ;  la  possibilité  de 
vérifier  suffît  dans  une  foule  de  cas.  Ce  qui  crée  l'illusion  intellectua- 
liste, c'est  la  répétition  de  certains  phénomènes  qui  se  portent  garants 
les  uns  des  autres,  la  fixité  de  certains  éléments  ;  mais,  ceux-là  même 
qui  paraissent  les  plus  stables  ont  cependant  à  subirriniluence  de  notre 
liberté.  Une  réalité  indépendante  de  la  pensée  humaine  semble  être  bien 
difficile  à  trouver.  C'est  cette  constatation  qui  sert  de  base  au  système 
que  M.  Schiller  s'efforce  d'édifier  sous  le  nom  d'Humanisme  (3). 

Nous  trouvons  l'exposé  très  net  de  cette  thèse  dans  l'essai  intitulé  : 
The  Making  of  Tralh  (4).  Supposer  des  faits  indépendants  de  notre 
connaissance  ou  bien  une  vérité  éternelle  qui  la  domine,  c'est  s'engager 
dans  des  difficultés  inextricables,  car  il  restera  toujours  à  montrer 
quelle  relation  existe  entre  ces  faits  indépendants,  cette  vérité  éternelle 
et  les  faits  qui  sont  des  faits  pour  nous,  les  vérités  qui  sont  des  vérités 
pour  nous.  Reportons-nous  donc  au  processus  de  la  connaissance 
humaine  telle  qu'il  se  déploie  dans  le  présent;  voici  les  divers  momenis 
qu'on  peut  y  distinguer.  «  1)  Nous  nous  servons  d'un  esprit  qui  a 
quelque  expérience  antérieure  et  qui  possède  quelque  connaissance  et  2) 
a  ainsi  acquis  (ce  dont  il  a  grandement  besoin)  une  certaine  base  dans 
la  réalité  qu'il  consent  à  accepter  comme  'fail\  car  3)  il  lui  faut  une 
'plate-forme'  d'où  il  puisse  continuer  d'agir  sur  une  silualion,  qu'il  a  en 
face  de  lui,  4)  afin  de  réaliser  quelque  dessein  ou  de  satisfaire  quelque 
intérêt  qui  définit  pour  lui  une  'fin'  et  constitue  pour  lui  un  'bien'.  5) 
En  conséquence,  il  entre  en  contact  expérimental  avec  la  situation  par 
quelque  intervention  volontaire,  qui  peut  commencer  par  une  simple 
affirmation  et  contiimer  par  des  conclusions  raisonnées,  mais  qui,  toii- 

1.  Lecture  VL  Pragmatism's  ConceiAion  of  Truth.  —  Pragniatism,  pp. 
197-236. 

•2.  Ibid.,   p.    20L 

3.  Lecture  VH,  Fragmatism  and  Humanism.  Pragmatism,  pp.  239-270. 

4.  Schiller.  Studie'?   in  Humanism.  Essay  VH,  pp.   179-203. 


1U6         REVUE    DES   SCIEAXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

jours,  quand  elle  est  complète,  aboutit  à  un  acte.  6)  Il  est  guidé  par  les 
résultais  (conséquences)  de  cette  expérience  qui  tendent  à  vérifier  ou  à 
discréditer  la  base  provisoire,  les  'faits',  affirmations,  conceptions, 
hypothèses  et  postulats  originels.  7)  D'oîi,  si  les  résultats  sont  satisfai- 
sants, le  raisonnement  employé  est  considéré  comme  ayant  été  bon 
pro  tanto,  les  résultats  exacts,  les  opérations  accomplies  valides,  tandis 
que  les  concepts  employés  et  les  affirmations  énoncées  sont  jugées 
vraies.  »  (1) 

Il  pourrait  sembler,  d'après  cette  description,  qu'il  y  a  au  moins  un 
élément  qui  s'impose  à  notre  esprit  et  qui  n'a  pu  subir  son  influence  au 
premier  moment,  c'est  cette  base  dans  la  réalité  qui  est  déclarée  néces- 
saire pour  que  notre  action  puisse  s'exercer  sur  une  situation  donnée. 
Mais  M.  Schiller  nous  avertit  que  le  mot  de  fait  auquel  on  reconnaît  une 
si  grande  valeur  est  un  mot  ambigu.  Le  fait  «  trouvé  »  et  non  «  formé  » 
que  l'on  peut,  en  ce  sens,  appeler  indépendant  est  la  «  réalité  primaire  », 
antérieure  à  la  distinction  de  l'apparence  et  de  la  réalité  ;  c'est  de 
l'expérience  brute,  et  tout  ce  que  l'expérience  renferme  est  réel  à  ce  point 
de  vue  (imaginations,  rêves,  illusions,  hallucinations,  erreurs).  Un  travail 
de  sélection  s'accomplit  sur  cette  réalité  primaire  et  alors  seulement 
nous  distinguons  le  fait  réel  de  ce  que  nous  rejetons  comme  une  simple 
apparence.  Dans  celte  sélection,  nos  desseins,  nos  désirs,  nos  émotions 
sont  intervenus  ;  à  ce  plan  de  la  connaissance,  il  n'y  a  donc  pas  de  fait 
purement  objectif.  On  a  cru  trouver  dans  l'existence  des  faits  désa- 
gréables dont  nous  sommes  obligés  de  tenir  compte  une  objection  contre 
la  théorie  humaniste  ;  mais,  au  contraire,  déclare  M.  Schiller,  ils  en  sont 
un  élément  indispensable.  Il  ne  faut  pas  confondre  déplaisant  et  objectif  ; 
ces  faits  ne  font  pas  irruption  en  nous,  ils  sont  «  acceptés  »  comme  les 
autres,  au  moins  provisoirement,  et,  de  plus,  par  cela  même  qu'ils  sont 
désagréables,  ils  nous  excitent  à  des  efforts  qui  tendront  à  les  rendre 
irréels. 

Toute  connaissance  en  effet  est  intéressée,  implique  un  but  quel- 
conque. L'expérience  que  provoque  le  désir  est  active,  c'est  une  expéri- 
mentation. Elle  est  nécessaire  pour  la  validation  d'une  affirmation. 
Cette  validation  peut  être  complète,  mais  elle  ne  vaut  cependant  que  par 
rapport  au  but  poursuivi.  Si  le  succès  n'est  que  partiel,  nous  n'attei- 
gnons qu'une  vérité  approximative  qui  nécessite  d'autres  recherches  ; 
si  nous  subissons  un  échec,  il  n'en  faut  pas  conclure  immédiatement  à 
une  résistance  «  absolue  »  du  réel,  l'échec  peut  tenir  à  l'emploi  de 
méthodes  défectueuses  et,  en  tout  cas,  cette  hypothèse  éliminée  peu  à 
peu  par  des  insuccès  répétés,  il  resterait  seulement  que  la  réalisation 
de  nos  desseins  n'est  pas  possible  dans  l'expérience  «  actuelle  ».  Cette 
limitation  possible  dans  le  présent  n'est  pas  la  seule  à  laquelle  se 
heurte  la  doctrine  pragmatiste.  Si  la  production  de  toute  vérité  suppose 
des  vérités  préexistantes,  ne  doit-on  pas  arriver  finalement  à  une  vérité 
qui  n'ait  pas  été  «  faite  »  ?  A  cela  il  faut  répondre  que,  sans  doute,  on  ne 
peut  concevoir  qu'une  vérité  ait  jamais  été  tirée  de  rien,  mais  que  s'il 
existe  un  élément  primitif  qui  n'a  pas  été  produit  par  notre  esprit,  cet 

1.  >Studies  in  Humanis)»,  p.  185.  Les  mots  sont  soulignés  dans  11-  texte. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  107 

élément  resle  en  dehors  de  nos  prises,  et  il  est  légitime  au  point  de  vue 
de  la  méthode  de  considérer  toute  vérité  comme  ayant  été  «  faite  ». 

La  solution  dernière  de  cette  question  n'appartient  pas  à  l'épistémo- 
logie  mais  à  la  métaphysique,  et  M.  Schiller  y  est  revenu  dans  un  autre 
essai  '/'he  Making  of  Bealilij,  dont  nous  parlerons  plus  loin.  Indiquons 
dès  maintenant  les  raisons  préalables  qui  engagent  le  philosophe  huma- 
niste à  refuser  tout  caractère  absolu  à  la  vérité  et  à  la  réalité.  Elles  sont 
exposées  dans  le  huitième  essai  -.Absolute  Truth  and  AbsoluteRealilij  {1). 
La  Vérité  et  la  Réalité  absolues  sont  deux  conceptions  que  le  désir 
d'échapper  au  scepticisme  et  le  besoin  de  trouver  un  refuge  contre  les 
fluctuations  de  l'expérience  ont  introduites  dans  la  philosophie.  Mais  le 
remède  est  pire  que  le  mal.  Ces  deux  notions  sont  inutiles,  car  la  Vérité 
et  la  Réalité  absolues  ne  peuvent  avoir  aucun  contact  avec  la  vérité  et  la 
réalité  humaines  et  elles  sont  pernicieuses,  car,  si  l'on  perçoit  le 
contraste  qu'elles  forment,  on  aboutit  au  scepticisme  qu'on  voulait 
éviter  et,  si  ce  contraste  reste  inaperçu,  on  est  voué  à  la  stagnation. 
Tout  progrès  devient  à  la  fois  impossible  et  inexplicable.  Ce  n'est  pas  au 
commencement  de  la  connaissance  ni  en  dehors  de  l'esprit  humain 
qu'il  faut  placer  l'Absolu,  mais  bien  dans  l'avenir,  comme  un  idéal  vers 
lequel  nous  tendons  progressivement. 

Il  est  donc  urgent  de  redescendre  de  l'Absolu  abstrait  et  inefficace  à 
la  contemplation  des  processus  réels  de  la  connaissance.  C'est  faute  de 
ce  contact  nécessaire  avecle  devenir  psychologique  que  la  logique  intel- 
lectualiste est  finalement  tombée  dans  un  complet  scepticisme.  Elle  ne 
sortira  d'embarras  qu'en  s'unissant  étroitement  à  la  psychologie,  telle 
est  l'affirmation  développée  dans  le  troisième  essai  :  The  Relations  of 
Logic  and  Psi/cholog>i  (2).  Pour  avoir  une  idée  juste  du  rapport  des  deux 
science?,  il  faut  d'abord  en  délimiter  le  domaine  respectif.  On  a  trop 
restreint  celui  de  la  psychologie.  Non  seulement  celle-ci  décrit  les  phéno- 
mènes mentaux,  mais  elle  doit  reconnaître  en  eux  les  «  valeurs  »  qu'ils 
présentent  et  les  étudier.  Toutefois  il  ne  lui  appartient  pas  de  juger  de 
ces  valeurs,  ce  rôle  revient  à  la  logique.  La  logique  est  une  science 
normative  qui  tire  son  origine  de  l'existence  de  fausses  prétentions  à 
la  valeur  de  vrai.  «  Elle  peut  se  définir  V évaluation  systématique  de  la 
connaissance  actuelle  Ci).  »  Ces  derniers  mots  montrent  bien  que  la 
logique  a  ses  fondements  dans  la  psychologie  et  l'on  s'en  convaincra 
encore  davantage,  si  l'on  observe  que  sans  la  psychologie  qui  nous  donne 
le  «  contexte»  d'une  affirmation,  on  ne  peut  saisir  le  sens  de  cette  affir- 
mation. En  efTet,  il  n'y  a  pas  de  sens  ordinaire  ou  typique,  comme 
l'imaginent  les  intellectualistes  ;  une  affirmation  est  en  relation  avec  la 
personnalité  tout  entière.  Loin  donc  de  «dépersonnaliser»  la  logique,  il 
faut  «  l'humaniser  »  en  y  réintégrant  à  la  fois  les  applications  possibles 
de  la  connaissance  et  l'individualité  du  sujet  connaissant. 

Il  serait  intéressant  de  comparer  ces  vues  sur  les  rapports  de  la 
logique  et  de  la  psychologie  avec  celles  que  l'on  rencontre  dans  l'œuvre 


1.  Stndies   in   Humanism,   pp.    204-22.3. 

2.  Ihiâ.,  pp.  71-113. 

3.  Studies  in  Rumanimi.  p.  78. 


108         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  subtile  analyse  que  Newinan  a  inlitulée  Grammaire  de  rAssenliment  ; 
bien  que  Tinspiralion  en  soit  différente,  on  trouverait  plus  d'un  rappro- 
chement. A  ceux  qui  le  voudraient  la  chose  est  devenue  facile  grâce  à 
l'excellente  traduction  que  Madame  Gaston  Paris  vient  de  donner  de  cet 
ouvrage  (1). 

Ce  ne  sont  plus  seulement  des  analogies  partielles  avec  les  théories  de 
Schiller  que  présentent  les  idées  de  M.  Dewey,  c'est  une  complète  simi- 
litude. Cela  ressort  nettement  d'une  étude  récente  qu'il  vient  de  publier 
sur  les  rapports  du  fait  et  de  l'idée  :  The  Control  of  Ideas  h\j  Facts  (2). 
Le  problème  que  la  logique  fonctionnelle  hérite  des  épistémologies 
monistes  qui  ne  l'ont  pas  résolu,  qu'elles  soient  idéalistes  ou  réalistes, 
est  celui  de  l'accord  entre  les  idées  et  les  faits.  Elle  essaie  d'en  fournir 
une  solution.  Une  idée  n'est  pas  l'inutile  copie  d'un  objet  présent  ;  elle 
apparaît  en  même  temps  que  la  réflexion  et  la  recherche,  elle  n'est 
nécessaire  que  si  l'individu  se  trouve  en  face  d'une  situation  qui  offre 
un  aspect  troublé,  interrompu,  inharmonique  et  qu'il  s'agit  d'harmo- 
niser ;  par  exemple,  la  situation  d'un  homme  perdu  dans  les  bois.  Ce 
que  l'on  appelle  les  faits,  ce  sont  les  éléments  fragmentaires  de  la 
situation.  Loin  d'être  ce  qu'il  y  a  de  plus  réel,  ils  ont,  par  la  discordance 
qu'ils  présentent,  perdu  de  leur  réalité  et  c'est  l'idée  ((ui  doit  la  leur 
rendre  complète.  L'idée  exprime  les  rapports  de  ce  qui  est  actuellement 
perçu  avec  ce  qui  n'est  pas  encore  entré  dans  le  champ  de  la  conscience, 
elle  est  essentiellement  un  plan  d'action.  Si  ce  plan  d'action  lors([u"on 
l'applique,  amène  au  résultat  désiré,  on  déclare  que  l'idée  était  vraie. 
L'accord  entre  l'idée  et  les  faits  signifie  donc  le  succès  de  l'idée. 

Les  explications  fournies  par  les  pragmatistes,  si  elles  ont  offert  à  la 
controverse  un  objet  mieux  défini,  ne  l'ont  pas  rendue  moins  vive.  Il  est 
des  philosophes  comme  M.  Joun  E.  Russell,  ([ui  repoussent  complète- 
ment le  principe  du  pragmatisme  (3).  Aucune  épistémologie  ne  lui 
a  procuré  de  certitude  et  la  nouvelle  ne  lui  parait  pas  apporter  le  salut, 
car  pour  se  convaincre  de  la  vérité  du  pragmatisme;  il  faudrait  adopter 
la  notion  spéciale  du  vrai  que  ce  système  essaie  d'accréditer  et  c'est 
précisément  l'exactitude  de  cette  notion  qui  est  en  question.  M.  Schiller 
vit  dans  cette  argumentation  un  signe  évident  que  M.  Russell  n'avait  pas 
un  bieu  vif  désir  de  sortir  du  doute  (i).  Le  pragmatisme  doit  être,  il  est 
vrai,  librementchoisi,  comme  beaucoup  d'autres  alternatives  qui  s'offrent 
en  philosophie  ;  il  ne  s'impose  pas  à  priori,  mais  on  peut  se  convaincre 
de  sa  vérité,  si  l'on  consent  à  en  faire  l'expérience.  \  quoi  M.  Russell 
répondit  (5)  :  L'expérience  demandée  n'aboutirait  pas,  même  en  se 
plaçant  au  point  de  vue  pragmatiste,  car  la  réussite  de  la  tentative  ne 
prouverait  rien  concernant  la  notion  de  vérité.  11  s'agit  en  effet  de  savoir 

1.  Bloud  et  Ci<^.  Paris,   1907;   1  vol,   in  8^  de  408  p. 

2.  Journal  of  Fhilosophy,  Psychology  and  Scientific  Metliods,  1907,  11 
Avril,   pp.    197-203;   9  Mai,   pp.   253-259;    6  Juin,    pp.    309-319. 

3.  Pragmatism  as  the  Salvation  froni  Philosophie  Doiiht.  Journ.  of  Phil. 
Psych.  and  Scient.  Meth.  31  Janvier  1907,  pp.  57-64. 

4.  The  Pragmatic  cure  of  Douht.  Journ.  of  Phil.,  P-sych.  and  Scient. 
Meth.  25  Avril  1907,  pp.  235-238. 

5.  .4   Replu   to  Dr.   Schiller.   Ibid.,   pp.    238-243. 


BULLETIN  DE  PHILOSOPHIE  d09 

si  l'on  peut  identifier  le  satisfaisant  et  le  vrai.  Si  le  choix  que  l'on 
demande  de  faire  est  raisonnable,  c'est-à-dire  basé  sur  des  motifs,  l'on 
fait  un  appel  implicite  à  la  conception  usuelle  de  la  vérité.  —  La  discus- 
sion porta  ensuite  sur  un  autre  point.  M.  Schiller  ayant  prétendu  (1)  que 
M.  Russell  avait  modifié  la  thèse  soutenue  dans  un  précédent  article,  en 
ce  sens  que  la  conformité  de  la  pensée  avec  un  milieu  donné  ne  serait 
plus  l'unique  condition  du  vrai,  mais  seulement  l'un  de  ses  éléments,  ce 
dernier  fit  observer  (2)  qu'il  n'avait  pas  varié  sur  ce  point  que  c'est  la 
partie  de  la  réalité  totale  qui  n'est  pas  déterminée  par  l'intention 
du  sujet  qui  décide  quelle  est  l'idée  vraie.  La  controverse  se  termina  par 
une  réplique  de  M.  Schiller  (  )  qui  louclie  à  trop  de  points  particuliers 
pour  pouvoir  être  résumée  ici,  et  qui  affirme  de  nouveau  que  pour 
le  pragmatisme  l'idée  vraie  est  une  idée  qui  peut  être  appliquée  par 
l'action  et  vérifiée. 

Pendant  ce  temps  W.  James  répliquait  (4)à  un  article  du  Prof.  Pratt(o) 
qui  avait  dénié  au  pragmatisme  le  droit  d'admettre,  sans  se  contredire, 
qu'une  idée  est  vraie  alors  qu'elle  est  seulement  «  vérifiable  ».  et 
il  montrait  que  la  notion  de  vérité  potentielle  n'a  rien  d'incompatible 
avec  sa  propre  doctrine.  11  engageait  aussi  une  discussion  avec  M.  John. 
E.  Russell  (6),  discussion  qui  aboutit  seulement  à  montrer  que  le  point 
de  vue  pragmatisle  et  le  point  de  vue  intellectualiste  sont  irréductibles, 
la  vérité  étant  définie  d'un  côté  par  la  possibilité  de  vérification,  de 
l'autre  par  le  simple  accord  de  l'idée  et  de  l'objet,  la  vérification  fût-elle 
impossible.  Cependant  James  espérant  faire  accepter  ses  idées  au 
moyen  d'explications  plus  complètes  est  encore  revenu  sur  ce  sujet  (7). 
La  conception  pragmatiste  de  la  vérité  est  concrète,  elle  signale 
tous  les  intermédiaires  empiriques  entre  l'idée  et  l'objet.  L'insuffi- 
sance est  du  côté  de  la  théorie  intellectualiste  qui  est  abstraite.  Le 
reproche  de  subjectivisme  n'est  nullement  fondé;  le  pragmatisme 
lient  compte  de  tous  les  éléments  objectifs  de  la  question. 

M.  Ralpd.  Barton  Perry  (8)  a  fait  une  intéressante  critique  de  l'épis- 
témologie  pragmatiste  dans  un  article  intitulé."  A  Itevieu-  of  Pragmaiism 
as  a  Theorii  of  Knowledge.  Il  accorde  que  toute  connaissance  est 
relative  à  une  intention  particulière  de  connaître,  pourvu  qu'on  laisse 
à  ce  principe  toute  sa  généralité  et  qu'on  ne  l'entende  pas  d'intentions 
purement  utilitaires.  Il  reconnaît  aussi  que  la  preuve  de  la  vérité  d'une 
connaissance  quelconque   doit   être  contenue  dans  le  processus  même 

1.  Pragmaiism  versus  Skepticism.  J.  of  Fh.,  Ps.  and  Se.  Meth..  29  Août 
1907,    pp.    482487. 

2.  A  Last  Word  to  Dr.   Schiller.  Ibid.,   pp.   847490. 

3.  ritima  Baiio  ?  Ibid.,  pp.  491494. 

4.  Prof  essor  Pratt  on  TrutJt.  J.  of  Phil.  etc.;  15  Août  1937,  pp.  464- 
467. 

5.  Trutfi  and  its  Vérification.  J.  of  Phil,  pp.  320-324. 

6.  Confrorersy  -aboiit  Truth.  Journ.  of  Phil  etc.,  23  Mai  1907,  pp.  289- 
296. 

7.  A  Word  More  Abont  Truth.  Jour»,  of  Phil.  18  Juillet  1907.  pp. 
396-406. 

8.  .7.    of   Phil,   4  Juillet    1907,   pp.    365-374. 


1  10         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

qui  engendre  cette  connaissance  ;  mais  il  refuse  de  voir  dans  la  satis- 
faction qu'elle  procure,  l'élément  essentiel  de  la  vérité.  C'est  parce  que 
l'idée  coïncide  avec  le  réel  qu'elle  est  satisfaisante,  et  la  satisfaction 
n'est  qu'une  conséquence  de  la  vérité. 

En  deliors  des  travaux  de  langue  anglaise,  signalons  un  exposé  très 
consciencieux  du  pragmatisme  et  de  l'humanisme  par  le  P.  Marcelino 
ÂRNAiz(l).  Il  reproche  à  ces  doctrines  de  méconnaître  les  tendances 
spéculatives  de  notre  esprit  et  de  substituer  aux  attraits  de  l'idéal 
l'impulsion  des  instincts  aveugles  de  l'individu.  Le  pragmatisme,  quant 
à  la  forme,  est  plus  voisin  de  Kant  que  de  l'empirisme  anglais. 

Dans  une  série  d'articles  publiés  sous  le  titre  de  fiole  de  la  \  olonté 
dans  la  Connaissance  (T),  M.  Labeyrie  expose  et  critique  successivement 
les  principales  théories  volontaristes  contemporaines.  Il  y  a  beaucoup  de 
choses  dans  ce  travail  qui  témoigne  de  lectures  étendues  et  qui  se  distin- 
gue par  une  fidélité  constante  aux  conceptions  traditionnelles,  mais  la 
forme  souvent  verbeuse  et  déclamatoire,  nuit  beaucoup  à  la  clarté  des 
exposés  et  à  la  valeur  des  considérations  critiques.  Comme  ces  articles 
paraissent  destinés  à  être  réunis  en  volume,  je  me  réserve  d'y  revenir 
et  me  contente  d'indiquer  ici  le  jugement  de  M.  Labeyrie  sur  le  Prag- 
matisme et  l'Humanisme.  Le  vice  fondamental  de  ces  doctrines  est 
l'allirmation  de  l'évolution  universelle  et  indéfinie  qui  enlève  tout  point 
fixe  et  rend  impossible  toute  certitude  absolue. 

J'ai  déjà  essayé  dans  un  récent  article  (3),  de  déterminer  la  part  de 
vérité  que  le  pragmatisme  et  l'humanisme  me  semblaient  contenir  ; 
on  pourra  s'y  reporter.  Je  veux  seulement  noter  ici  que  certaines 
objections  faites  au  pragmatisme  (p.  ex.  :  l'existence  de  faits  désagréa- 
bles qui  s'imposeraient  à  la  connaissance)  doivent  prendre  une  nouvelle 
forme  pour  garder  toute  leur  force.  Une  analyse  très  soigneuse  de  la 
notion  de  «  valeur  »  fournirait,  je  crois,  les  meilleurs  éléments  d'une 
critique  sérieuse  de  la  théorie  fonctionnelle  de  la  connaissance. 

Nous  assistons  en  ce  moment  à  la  renaissance  du  réalisme  (4)  qui, 
pour  être  moins  bruyant  dans  ses  manifestations  que  le  pragmatisme, 
ne  tardera  pas  sans  doute  à  attirer  l'attention  qu'il  mérite,  ne  fût-ce 
que  comme  réaction  contre  le  dogme  idéaliste  régnant.  Les  principaux 
représentants  de  l'école  néo-réaliste  sont,  en  Angleterre,  MM.  C.  E.  Moore 
et  M.  Bertrand  Russell,  en  Amérique,  MM.  W.  T.  Montagne,  L.  B.  Me 
Gilvary  et  J.  E.  Boodin.  Comprenant  combien  il  était  difficile  de  faire 
accepter  les  doctrines  qu'ils  tentent  de  faire  revivre,  ils  ont  commencé 
par  écarter  ce  qu'ils  considèrent  comme  de  fausses  conceptions  du 
réalisme  et  par  combattre  les  arguments  que  l'idéalisme  lui  oppose. 

1.  Fragmatismo  y  Humanismo.  Paru  d'abord  dans  la  Cultura  Espanola. 
Mai  1901,  pp.  616-627  et  Août  190 ^  pp.  8.55-S67;  reproduit  dans  La  du- 
dad  de  Dios,   20  Septembre  et  5  Oct.    1907,   pp.   89-102  et   191-204. 

2.  La  Science  Catholique,  Juin,  Juillet,  Août,  Septembre,  Octobre,  Novembre 
1906.  Bévue  des  Sciences  Ecclésiastiques  et  La  Science  Catholique.  Décembre 
1906,  Janvier,  Février,  Mars,  Avril,  Mai  1907. 

3.  Cf.  Bévue  des  Sciences  Philos,   et   Théolog.   Juillet   1907,  pp.   433-418. 

4.  Je  parle  du  réalisme  dans  cette  section,  car  ainsi  que  toutes  les  doc- 
trines qui  naissent  ou  renaissent  actuellement,  il  a  commencé  par  se  placer 
sur    le    terrain    de    l'épistémologie. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  111 

Dans  un  article  intitulé  Currenl  Misconcepiions  of  Realism  (1), 
M.  Montagne  constate  le  renouveau  du  réalisme  et  relève  les  erreurs 
que  les  idéalistes  commettent  à  son  sujet.  Ils  le  confondent  avec  un 
triple  dualisme  dont  il  est  pourtant  indépendant  en  soi.  Ils  l'identifient 
d'abord  avec  le  dualisme  psycho-physique  ou  épiphénoménisme  qui 
considère  la  conscience  comme  un  phénomène  superllu^  incapable 
d'avoir  un  effet,  d'introduire  des  difîérences  dans  le  monde  des  objets. 
En  second  lieu,  ils  voient  en  lui  un  dualisme  métaphysique  pour  lequel 
les  objets  sont  absolument  transcendants  à  la  connaissance  et  ne  pos- 
sèdent aucune  des  qualités  que  nous  leur  attribuons.  Enfin,  ils  le 
considèrent  comme  un  dualisme  épistémologique  où  la  seule  connais- 
sance directe  qui  nous  soit  accordée  est  celle  de  nos  idées  qui  sont 
numériquement  distinctes,  comme  phénomènes,  des  objets  qui  en  sont 
inférés.  Sans  doute,  ces  doctrines  ont  été  soutenues  par  des  réalistes, 
mais  le  réalisme  ne  les  implique  pas.  Il  consiste  essentiellement  dans 
cette  affirmation  que  les  objets  sont  indépendants,  au  moins  partielle- 
ment, vis-à-vis  de  la  connaissance.  Cela  n'exclut  pas  une  influence 
indirecte  de  la  connaissance  sur  les  objets,  sous  la  forme  de  réaction 
subséquente  ;  cela  n'entraîne  pas  non  plus  l'agnosticisme,  car  il  n'y  a 
aucune  absurdité  à  supposer  que  l'objet  ne  change  pas  de  nature  en 
entrant  dans  le  champ  de  la  conscience.  Enfin,  contrairement  à  ce 
qu'imaginent  les  idéalistes,  le  réalisme  s'accommode  d'une  épistémo- 
logie  moniste.  Pourquoi  la  pensée  en  serait-elle  réduite  à  ne  connaître 
qu'un  substitut  de  l'objet,  au  lieu  de  s'étendre  jusqu'à  l'objet  lui-même, 
si  éloigné  qu'il  soit  dans  le  temps  ou  l'espace  ? 

The  FhysioJogical  Argument  against  Realism  (2)  est  une  vigoureuse 
critique  de  M.  Me  Gilvary  contre  le  principal  argument  des  idéalistes, 
l'argument  physiologique.  Du  fait  que,  selon  la  science  et  le  sens 
commun,  les  organes  des  sens  et  le  système  nerveux  sont  les  intermé- 
diaires obligés  de  la  sensation,  on  a  généralement  conclu  que  nous  ne 
percevions  que  nos  propres  modifications  et  non  les  qualités  d'objets 
indépendants.  Mais  s'il  en  est  ainsi,  la  perception  du  cerveau  est  tout 
aussi  subjective  que  celle  du  monde  extérieur  et  alors  l'argument 
physiologique  disparait.  En  effet,  lorsque  nous  avons  la  sensation 
d'une  qualité,  nous  n'avons  pas  conscience  du  phénomène  cérébral 
que  l'on  suppose  être  sa  condition,  ce  phénomène  n'existe  donc  pas 
en  vertu  même  de  la  conception  idéaliste,  suivant  laquelle  être  c'est 
être  perçu.  Si  l'on  veut  échapper  à  cette  conclusion,  il  faut  admettre 
que  le  phénomène  cérébral  est  réel  sans  être  perçu  et  dans  ce  cas  le 
principe  de  l'idéalisme  est  définitivement  ruiné.  Les  contradictions  où 
tombe  ce  système  viennent  de  ce  qu'il  ne  distingue  pas  entre  la  cons- 
cience et  ses  objets,  et  pourtant  elle  s'oppose  à  eux,  comme  ce  qui  reste 
qualitativement  invariable  s'oppose  à  ce  qui  est  perpétuel  changement 
de  qualités.  La  seule  variation  qu'admette  la  conscience  est  d'apparaître 
et  de  disparaître.  Mais,  comment  concevoir  que  nous  percevions 
actuellement  un  objet  qui   n'existe  plus  dans    l'ordre  de  la  nature,  si 


1.  Journ.  of  Phil.  etc.,  14  Février  1907,  pp.  100-105. 

2.  Journ.  of.  Ph.  Psg.  and  Se.  Meth.,   24  Oct.  1907,  pp.  589-601. 


112         REVUE   DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

nous  prétendons  atteindre  l'objet  lui-même  ?  Cette  dilTiculté,  sur  laquelle 
les  idéalistes  insistent  beaucoup,  peut  être  résolue,  si  l'on  distingue  les 
relations  temporelles  des  choses  entre  elles,  des  relations  temporelles 
des  choses  comme  objets  de  conscience.  L'étoile  disparue  des  deux  n'y 
reparaît  pas  quand  elle  est  perçue,  elle  reparaît  dans  l'ordre  des  objets 
de  conscience  où  elle  est  immédiatement  présente.  Immédiatement 
présent  ne  veut  pas  toujours  dire  présent  sans  intervalle  de  temps, 
mais  aussi  présent  par  soi-même,  sans  intermédiaire.  D'ailleurs,  même 
au  point  de  vue  du  temps,  il  est  contradictoire  pour  un  idéaliste  d'afïir- 
mer  que  nous  percevons  un  état  de  l'objet  légèrement  postérieur  à  son 
état  actuel,  puisque  cet  état  actuel,  n'étant  pas  perçu,  doit  être  consi- 
déré, suivant  lui,  comme  inexistant. 

Dans  la  note  qu'il  intitule  The  Anti-Ilealislic  »  Hou:  »  ?  (1)  M.  Bernard 
C.  EwER  reconnaît  que  la  conception  réaliste  est  sujette  à  de  nombreuses 
difFicultés:  p.  ex.  l'analogie  d'une  perception  fausse  et  d'une  percep- 
tion vraie  au  point  de  vue  de  la  transcendance,  la  difTérence  de  trans- 
cendance entre  la  sensation  et  l'idée  ;  mais  l'affirmation  même  de 
la  transcendance  ne  doit  pas  compter  parmi  ces  difficultés.  La  transcen- 
dance constitue  un  fait  irréductible  qu'aucune  théorie  n'a  réussi 
à  expliquer,  sinon  en  ce  qui  concerne  des  détails  secondaires.  Les 
antinomies  apparentes  nous  invitent  seulement  à  un  exposé  plus  exact 
du  fait,  mais  ne  doivent  pas  nous  faire  douter  de  sa  réalité. 

M.  BoDE  avait  reproché  (2)  au  néo-réalisme  de  classer  parmi  les 
objets  des  phénomènes  où  la  conscience  entre  comme  condition  d'exis- 
tence (émotions,  souvenirs,  volitions,  etc.)  et  de  ne  pas  fournir  un 
moyen  d'échapper  à  ces  deux  alternatives  :  ou  bien  les  qualités  perçues 
sont  les  qualités  des  objets  réels  et  un  objet  pourra  présenter  en  même 
temps  des  qualités  qui  s'excluent,  ou  bien  les  qualités  perçues  sont 
distinctes  des  qualités  réelles  et  nous  n'atteignons  plus  l'objet. 

M.  MoNTAGUE  répondit  (3)  que  pour  le  réalisme,  la  conscience,  est  une 
relation  entre  des  ol)jels  de  la  nature.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  la 
concevoir  comme  une  relation  objective,  cependant,  pour  sa  part,  c'est 
ainsi  qu'il  la  conçoit.  Il  estime  qu'en  dernière  analyse,  elle  est  explicable 
en  termes  d'espace  et  de  temps.  Étant  objective,  la  conscience  ne 
peut  enlever  leur  caractère  d'objets  aux  réalités  dans  lesquelles  elle 
entre  comme  condition.  Quant  au  second  point,  M.  Montagne  fait 
observer  que,  s'il  n'a  pas  résolu  le  problème  de  la  perception,  le 
réalisme  lui  a  fait  faire  un  grand  pas  en  considérant  l'objet  perçu  et 
l'objet  pbysique  comme  étant  de  même  espèce,  c'est-à-dire  comme 
appartenant  au  même  ordre  spatio-temporel.  Son  opinion  personnelle 
est  que  les  corps  sont  des  centres  d'énergies  reçues  et  émises.  Ces 
énergies,  lorsqu'elles  atteignent  notre  système  nerveux,  s'y  changent 
en  énergies  potentielles  dont  la  tension  constitue  la  sensation.  Les 
sensations,  reliées  en   un  système,  forment   un  centre   de   tension   ou 


1.  J.    of.    rit.   etc.,    7  Nov.    1907,    pp.    630-633. 

2.  Btalism    and    Objectivity.    Ibid.,    9  Mai    1907,    pp.    259-263. 

3.  Contemvorory  Bealism   and  the  Prohhms  of  Perception.   Ibid.,  4  Juillet 
1907,    pp.    374-383. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  113 

«  moi  »  d'où  leurs  divers  courants  d'énergie  sont  projetés  de  nouveau 
comme  un  champ  d'objets  perceptuels  en  dehors  et  en  arrière  et 
réintégrés  dans  le  même  espace  et  le  même  temps  réels  où  leurs  causes 
sont  situées.  Les  objets  perçus  sont  donc,  au  moins  partiellement, 
identiques  en  substance  aux  objets  réels.  Si  leurs  qualités  subissent  un 
changement  profond  lorsque  l'énergie  passe  du  milieu  physique  dans 
le  milieu  physiologique,  il  faut  considérer  que  notre  activilé  de  per- 
ception contribue  comme  les  autres  forces  à  la  nature  des  objets.  Toute 
apparence  est  de  soi  une  réalité,  mais  nous  réservons  ce  nom 
d'apparences  à  des  réalités  qui  n'ont  pu  s'harmoniser  les  unes  avec  les 
autres  ou  avec  le  système  total  des  objets  perçus.  Une  chose  «telle 
qu'elle  est  en  elle-même  »,  c'est  une  chose  telle  qu'elle  est  pour  l'univers 
pris  dans  sa  totalité  ;  ma  perception  n'est  qu'un  point  de  vue  sur 
cette  chose. 

Il  y  a  là  déjà  un  essai  de  théorie  réaliste  de  la  connaissance  ;  ce  sont 
aussi  les  côtés  positifs  de  cette  philosophie  que  M.  Me  Gilvary  essaie  de 
mettre  en  lumière  dans  les  deux  articles  suivants  :  The  Slream  of 
Consciousness  (1)  et  Prolegomena  lo  a  tentative  lîealism  (2)  Dans  le  pre- 
mier, il  se  sert  des  atfirmations  de  W.  James  pour  établir  contre  ce  der- 
nier que  le  courant  de  la  conscience  tombe  lui-même  sous  la  conscience, 
qu'il  est  connu  par  une  expérience  directe  et  non  pas  seulement  par 
rétlexion.  La  conscience  d'avoir  conscience  n'apparaît  qu'avec  la 
conscience  d'un  objet,  mais  il  ne  faut  pas  faire  de  la  conscience  un  objet 
pour  elle-même  ;  la  relation  qu'elle  soutient  avec  elle-même  est  une 
relation  d'un  genre  unique.  Le  second  article  s'efforce  d'établir  la 
légitimité  d'un  retour  au  réalisme.  Les  difficultés  opposées  par  l'idéalisme 
disparaissent  si  l'on  identifie  l'objet  perçu  avec  l'objet  réel,  si  l'on 
n'affirme  pas  qu'un  même  objet  est  en  même  temps  et  sous  le  même 
rapport  dans  la  conscience  et  en  dehors  d'elle,  mais  seulement  à  des 
moments  divers  et  sous  des  rapports  différents.  L'indépendance  de 
l'objet  vis-à-vis  de  la  connaissance  signifie  seulement  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  pour  lui  d'être  dans  la  conscience  pour  exister  et  que, 
lorsqu'il  est  dans  un  esprit,  il  peut  être  aussi  dans  un  autre.  Le  réalisme 
apparaît  comme  possible  dès  qu'on  distingue  la  sensation  de 
son  objet. 

The  Neiv  Realism  (3)  est  le  titre  d'un  arlicle  où  M,  John  E.  Boodin 
expose  sa  conception  particulière  du  réalisme.  Il  écarte  d'abord  ces 
deux  sophismes  que  le  semblable  seul  peut  connaître  le  semblable  et 
que  ce  qui  n'est  pas  matériel  n'est  pas  réel  ;  puis,  à  l'encontre  d'un  grand 
nombre  de  philosophes  qui  ont  décerné  à  «  l'immédiat  »  une  véritable 
apothéose,  il  affirme  que  le  réel  est  l'intelligible  ouïe  nouménal  et 
que  nous  n'en  prenons  possession  que  par  des  constructions  concep- 
tuelles et  par  un  dessein  créateur. 

On  ne  peut  que  souhaiter  le  développement[du  mouvement  néo-réaliste 
qui,    attaquant  des  principes    considérés    comme    inexpugnables  par 

1.  Jouru.  of  FMI  etc.,  25  Avrif   1907  pp.  225-235. 

2.  Ihid.,   15  Août  1907,  pp.   449-458. 

3.  Journ.    of   Ph.    etc.,    26     Septembre    1907,    pp.    533-542. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  i.  8 


114         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

l'idéalisme,  rend  possible  le  retour  à  cerlaines  lliéories  actuellement 
méconnues.  Le  heurt  de  ces  deux  grands  courants  de  la  pensée  philo- 
sophique montrera  ce  qu'ils  ont  d'incomplet  et  meltra  en  valeur  les 
ressources  du  conceplualisme    thomiste. 

Toutefois,  j'estime  qu'on  se  ferait  illusion  en  croyant  à  un  retour 
pur  et  simple  auK  anciennes  positions.  Le  réalisme  n"a  retrouvé  quelque 
faveur  qu'en  se  libérant  de  certains  concepts  qui  l'entraînaient  hors  de 
sa  voie.  N'y  a-t-il  pas  là  une  indication  invitant  à  reprendre  le  problème 
de  la  connaissance  avec  une  sincère  préoccupation  de  faire  face  aux 
difficultés  soulevées  par  la  critique  soit  idéaliste,  soit  réaliste  et  qu'on 
ne  peut  traiter  légèrement  ? 

II.  —  Systèmes  Philosophiques. 

Deux  ouvrages  s'imposent  ici  à  l'attention  :  L'Lcohilion  Créatrice 
de  M.  H.  Bergson  '^^1)  et  VEssai  sur  les  tjlémenls  Principaux  de  la  Repré- 
sentation de  M.  0.  Hamelin  (2),  œuvres  d'inspiration  bien  diflërente, 
quoiqu'elles  offrent  çà  et  là  des  points  de  contact,  mais  remarquables 
toutes  deux  par  l'effort  soutenu  de  réflexion  dont  elles  témoignent.  Je 
vais  essayer  d'en  mettre  en  relief  les  idées  principales  en  suivant  l'ordre 
des  chapitres. 

M.  Bergson  a  voulu  dans  son  livre  proposer  une  théorie  de  la  vie 
fondée  sur  la  théorie  de  la  connaissance  que  ses  précédents  travaux 
ont  rendue  familière  aux  philosophes.  Je  crois  utile,  tout  d'abord,  de 
donner  le  plan  de  l'ouvrage  tel  que  l'auteur  lui-même  le  trace:  «  Dans 
un  premier  chapitre,  nous  essayons  au  progrès  évolutif  les  deux 
vêtements  de  confection  dont  notre  entendement  dispose,  mécanisme  et 
finalité  ;  nous  montrons  qu'ils  ne  vont  ni  l'un  ni  l'aulre,  mais  que  l'un 
des  deux  pourrait  être  recoupé,  recousu,  et,  sous  cette  nouvelle  forme, 
aller  moins  mal  que  l'autre.  Pour  dépasser  le  point  de  vue  de  l'entende- 
ment, nous  tâchons  de  reconstituer,  dans  notre  second  chapitre,  les 
grandes  lignes  d'évolution  que  la  vie  a  parcourues  à  côté  de  celle  qui 
menait  à  l'intelligence  humaine.  L'intelligence  se  trouve  ainsi  replacée 
dans  sa  cause  génératrice,  qu'il  s'agirait  alors  de  saisir  en  elle-même  et 
de  suivre  dans  son  mouvement.  C'est  un  effort  de  ce  genre  que  nous 
tentons,  —  bien  incomplètement,  —  dans  notre  troisième  chapitre.  Une 
quatrième  et  dernière  partie  est  destinée  à  montrer  comment  notre 
entendement  lui-même,  en  se  soumettant  à  une  certaine  discipline, 
pourrait  préparer  une  philosophie  qui  le  dépasse.  Pour  cela,  un  coup 
d'œil  sur  l'histoire  des  systèmes  devenait  nécessaire,  en  même  temps 
qu'une  analyse  des  deux  grandes  illusions  auxquelles  s'expose,  dès 
qu'il  spécule  sur  la  réalité  en  général,  l'entendement  humain  »  (3). 
De  V Evolution  de  la  Vie  —  Mécanisme  et  Finalité.  —  La  discontinuité 

1.  Paris,  Alcan,   1907.  2me  édit.  1  vol  in-8o  de  VIII-404  p. 

2.  Paris,  Alcan,  1907.  1  vol.  in-8o  de  IV-476  p.  Cet  ouvrage  est  une  thèse 
soutenue  en  Sorboune  le  29  avril  1907.  M.  Hamelin  était  "chargé  de  cours 
à  la  Sorbonne;  une  mort  prématurée  vient  d'enlever  à  la  philosophie  fran- 
çaise  ce  penseur  si   distingué. 

3.  Êvdl.  Créât.,  pp.  VII-VIII. 


BULLETIN  DE  PHILOSOPHIE  115 

apparente  de  la  conscience  est  une  illusion  due  à  la  discontinuité  des 
actes  d'attention.  La  vie  intérieure  est    durée,  c'est-à-dire  changement 
continu  ;  le  passé  se  conserve  tout  entier  pour  la  volonté,  aussi  la  durée 
est-elle  irréversible  et  chaque  état  nouveau  est  une  création.  «  Pour  un 
être  conscient,   «  exister  »   consiste  à  changer,  changer  à  se  mûrir,  se 
mûrir  à  se  créer  indéfiniment  soi-même.  »  (1)  Telle  est  la  vie  ainsi  que 
nous  la  trouvons  en    nous.  Les   corps  inorganiques,  sous  la  forme  où 
nous  les  percevons  et  les  systèmes  clos  comme  les  construit  la  science, 
ne  sont  pas  susceptibles  de  durée,  mais  ils  le  deviennent  si  on  les  réin- 
tègre dans  le  tout  où  ils  ont  été  découpés.  Le  corps  vivant  est  isolé  par  la 
nature   elle-même,   bien  que   son  individualité  ne  soit  pas  parfaite.  Le 
vieillissement  qu'il  subit  est  l'effet  de  la  même  poussée  qui  a  développé 
l'embryon.  Tandis  que  pour  un   corps  brut,   l'état  présent  peut  s'expli- 
quer par  les  conditions  qui  précèdent  immédiatement,    l'état  présent 
d'un  corps  vivant  dépend  de  tout  son  passé.  Aussi  l'évolution  de  la  vie 
a-t-elle  beaucoup  de  rapport  avec  celle  d'une  conscience  et  elle  apparaît 
également  comme  une  création.  Des  deux  systèmes  qui  se  présentent 
comme  des  interprétations  du  progrès  évolutif,  le  mécanisme  radical  et 
le  fînalisme  radical,  aucun  n'est  satisfaisant,    car  leur  commun  défaut 
est  de    n'accorder  au  temps  aucune  influence  réelle.     Cependant   le 
fînalisme,  plus   souple,   pourrait  être  utilisé  si  l'on  ne  s'en  servait  que 
pour  l'explication  du  passé.  Chacune  des   formes  de  la    théorie  évolu- 
tionniste   n'est  qu'un   point  de    vue     particulier   sur   la   réalité    totale 
et  il  importe  de  s'en  faire  une  idée  plus  compréhensive,  bien  que  forcé- 
ment plus  vague.  Cette  représentation  plus  complète   nous   est  fournie 
par  la   notion    d'un    «  élan  originel  »  passant    de  germe   en   germe  à 
travers  les  organismes  et  constituant  la  cause  profonde  des  variations 
régulièrement  transmises. 

Les  Directions  divergentes  de  l'évolution  de  la  vie.  Torpeur,  intelli- 
gence, instinct.  —  Les  directions  divergenles  suivant  lesquelles  la  vie 
s'est  développée  ne  sont  dues  ni  à  l'adaptation,  qui  en  explique  seule- 
ment les  «sinuosités»,  ni  à  la  réalisation  d'un  plan  tracé  d'avance; 
elles  ont  leur  cause  dans  la  nature  même  de  la  vie  qui  est  une  tendance 
aux  virtualités  multiples.  L'harmonie  entre  les  organismes,  harmonie 
d'ailleurs  relative,  provient  de  l'état  indistinct  de  toutes  ces  virtualités 
dans  l'élan  primitif.  Il  ne  faut  donc  pas  chercher  à  distinguer  les  divers 
règnes  par  des  caractères  absolument  difTérents  ;  ce  qui  les  sépare, 
c'est  bien  plutôt  le  développement  ou  la  régression  de  certaines  ten- 
dances communes  à  l'origine.  Ainsi,  tandis  que  la  plante  est  tombée  dans 
une  torpeur  presque  complète,  qu'elle  puise  ses  aliments  directement 
dans  le  sol,  qu'elle  a  perdu  la  mobilité  et  par  suite  la  conscience, 
l'animal  paraît  organisé  tout  entier  pour  le  mouvement  et  pour  l'action. 
Dans  le  règne  animal,  le  développement  de  la  vie  s'est  fait  suivant  deux 
voies  divergentes,  l'une  conduisant  à  l'instinct,  l'autre  à  l'intelligence. 
Il  y  a  ici  une  diff"érence  de  nature  et  non  pas  de  degré,  et  cette  diffé- 
rence peut  être  nettement  définie,  tant  au  point  de  vue  de  l'action  qu'à 
celui  de  la  connaissance.  Sous  le  premier  rapport,  l'instinct  est  «  la 

1.  nid.,  p.  8. 


11"6         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

faculté  d'utiliser  et  même  de  construire  des  instruments  organisés  », 
rinlelligence  est  «  la  faculté  de  fabriquer  et  d'employer  des  instruments 
inorganisés  ».  Sous  le  second,  l'instinct  est  la  connaissance  innée  des 
choses,  l'intelligence  la  connaissance  innée  des  rapports, Tun  est  seul  ca- 
pable de  trouver  ce  que  l'autre  est  seule  capable  de  chercher.  C'est  de  la 
destination  primitive  de  l'intelligence  que  découlent  tous  les  caractères 
qui  la  distinguent,  sa  puissance  vis-à-vis  des  objets  matériels,  son 
aptitude  à  se  représenter  le  discontinu,  l'immobile,  à  décomposer  et  à 
recomposer  des  ensembles  et,  d'autre  part,  son  incapacité  radicale  à 
comprendre  la  vie.  L'instinct,  au  contraire,  est  en  union  intime  avec  la 
vie  et  nous  en  livrerait  le  secret  s'il  pouvait  réfléchir  sur  lui-même  et 
étendre  son  objet.  Il  deviendrait  alors  <■  l'intuition»  et  nous  mettrait  en 
contact  immédiat  avec  le  réel.  Ces  considérations  sur  les  orientations 
divergentes  de  la  vie  montrent  qu'il  ne  faut  pas  concevoir  ses  formes 
inférieures  comme  des  échelons  par  lesquels  elle  a  atteint  l'intelligence, 
mais  comme  des  poussées  dissociées  de  l'élan  originel,  qui  n'ont 
abouti  que  dans  une  seule  direction.  On  peut  regarder  la  vie  comme 
«  un  courant  de  conscience  »  qui,  pénétrant  dans  la  matière  et  cherchant 
à  l'organiser,  aurait  échoué  plus  ou  moins  partout,  excepté  dans  la  voie 
conduisant  à  l'humanité,  où  il  a  complètement  réussi. 

De  la  signification  de  la  vie.  V ordre  de  la  nature  et  la  forme  de  rinlelli- 
gence. —  Ni  la  psychologie,  ni  la  métaphysique  ne  nous  ont  fait  voir 
jusqu'ici  comment  «  s'engendre  »  l'intelligence,  car  la  psychologie, dans 
ses  explications,  suppose  l'intelligence  humaine  déjà  donnée  dans  l'ani- 
mal sous  une  forme  rudimentaire,  et  les  diverses  métaphysiques  sont 
fondées  sur  le  principe  de  l'unité  de  la  nature  et  sur  la  croyance  à 
l'aptitude  naturelle  qu'aurait  l'intelligence  à  embrasser  la  réalité  totale. 
Il  faudrait,  au  contraire,  replacer  l'intelligence  dans  le  milieu  d'où  elle 
est  sortie  et  montrer  comment  elle  en  est  sortie.  Si  l'on  invoque  l'impos- 
sibilité d'engendrer  l'intelligence  sans  l'intelligence  même,  la  diiricullé 
peut  être  levée  en  montrant  que  le  cercle  vicieux  où  s'enferme  l'enten- 
dement peut  être  brisé  par  l'action.  Les  constructions  de  la  science 
positive  doivent  subir  une  correction  métaphysique.  Si  l'on  se  place  é 
ce  dernier  point  de  vue,  la  spiritualité  et  la  matérialité  apparaissent 
comme  deux  processus  de  sens  opposé  et  l'on  passerait  de  l'un  à 
l'autre  par  inversion  ou  interruption,  ce  qui  revient  au  même  dans  le 
cas  présent.  L'intelligence  va  dans  la  direction  de  la  matérialité,  elle 
va  même  plus  loin  en  ce  sens  que  la  matière  elle-même,  car  la  matière 
est  imparfaitement  étendue,  tandis  que  l'intelligence  conçoit  l'espace 
pur.  Celle-ci  tend  à  la  géométrie  dans  toutes  ses  opérations  et  ce  qui  fait 
que  l'intelligence  réussit  dans  une  certaine  mesure,  en  formulant  les 
lois  du  monde  physique,  c'est  que  le  mouvement  constitutif  de  la  maté- 
rialité est  analogue  au  sien  et  que  la  matière  n'est  pas  soumise  à  un 
système   défini   de   lois  mathématiques  (1).   La  croyance  à  un   ordre 


1.  Il  est  intéressant  de  signaler  ici  une  analogie  avec  les  théories  de 
Schiller  sur  la  production  de  la  réalité  dont  rous  parlons  plus  loin.  Le 
monde  physique  est  présenté  par  les  deux  penseurs  conune  indéterminé  dans 
une  mesure   qu'on  ne  saurait  fixer,   mais   tandis  que  pour  Bergson  le   succès 


BULLETIN'   DE   PHILOSOPHIE  117 

positif  de  lanalure  provient  de  la  présence  en  nous  de  l'idée  de  désordre, 
c'est-à-dire  de  l'absence  de  tout  ordre  ;  mais  c'est  là  une  pseudo-idée. 
Désordre  signifie  en  réalité  absence  d'un  ordre  qu'on  s'attendait  à 
trouver,  et  non  absence  de  tout  ordre.  11  y  a  deux  ordres  dans  la  nature  : 
Tordre  vital  et  l'ordre  géométrique,  et  c'est  parce  qu'ils  sont  mêlés  dans 
l'expérience  que  nous  nous  formons  l'idée  d'un  ordre  général  de  la 
nature  et  que  nous  confondons  les  lois  de  la  matière  inorganique  avec 
les  genres  des  êtres  vivants.  La  vie  est  une  poussés  ascendante  que  la 
matière,  courant  inverse,  retarde  dans  sa  marche  et  arrête  même  ça  et 
là  ;  c'est  une  accumulation  progressive  d'énergie  qui  tend  à  une  variété 
de  plus  en  plus  grande  d'actes  libres. 

Le  mécanisme  dnémalographique  de  la  pensée  el  Villusion  mécanistique. 
Coup  d'œ'il  sur  ihhloire  des  sf/stèvies.  Le  devenir  réel  et  le  faux  évoiu- 
tionnisme. —  Pour  achever  de  frayer  la  voie  à  la  nouvelle  métaphysique,  il 
reste  à  dissiper  deux  illusions  théoriques  :  celle  qui  consiste  à  confondre 
avec  la  durée  des  séries  d'états  que  nous  en  avons  détachés,  et  celle  qui 
fait  de  la  réalité  une  création  absolue  qui  vient  remplir  un  vide. 
Pour  commencer  par  cette  dernière,  l'idée  d'un  néant  total  qui  serait 
antérieur  au  réel,  est  une  idée  contradictoire  ;  car,  si  l'on  peut  se  repré- 
senter, soit  un  néant  de  perception  interne,  soit  un  néant  de  perception 
externe,  on  ne  peut  imaginer  la  suppression  simultanée  des  deux.  La 
représentation  du  vide  inclut  deux  éléments  :  l'un  intellectuel,  une  idée 
plus  ou  moins  nette  de  substitution  ;  l'autre  émotionnel,  un  désir  ou  un 
regret  éprouvé  ou  imaginé.  L'intelligence  ne  conçoit  le  vide  que  sous 
Tinfluence  du  désir  ou  du  regret  et  elle  transporte  cette  idée  du  domaine 
de  l'action  dans  celui  de  la  spéculation.  Cette  analyse  de  l'idée  de  néant 
permet  de  conclure  «  quune  réalité  qui  se  suffit  à  elle-même  n'est  pas 
nécessairement  une  réalité  étrangère  à  la  durée  »  (1).  Et  ceci  amène  à 
examiner  la  seconde  illusion.  L'intelligence  étant  faite  pour  l'action 
cherche  dans  le  devenir  des  points  d'appui  qui  lui  permettent  de  se 
poser  au  moins  provisoirement.  Elle  est  ainsi  conduite  à  concevoir  des 
qualités  distinctes,  des  corps  aux  contours  nettement  tranchés,  des 
actes  discontinus.  Pour  se  représenter  la  vie,  elle  se  sert  d'un  procédé 
analogue  à  celui  du  cinématographe  et  déroule  une  série  de  vues 
partielles  de  la  durée  sur  un  mouvement  impersonnel  et  abstrait.  Cette 
méthode  peut  suffire  pour  l'action,  mais  elle  engendre  en  métaphysique 
des  problèmes  insolubles  qui  ne  sont  que  des  pseudo-problèmes,  comme 
les  arguments  de  Zenon.  Ces  arguments  tombent  d'eux-mêmes  quand 
on  se  place  au  point  de  vue  de  l'intuition.  Le  chapitre  se  termine  par 
une  revue  des  principaux  systèmes  à  la  lumière  des  considérations  qui 
précèdent.  Comme  il  en  a  été  parlé  dans  le  bulletin  d'Histoire  de  la 
Pliilosophie,  je  n'y  reviens  pas  ici  (2). 

On  trouvera  dans  une  étude  critique  de  M.  L.  Weber  une   analyse  de 
l'ouvrage   beaucoup  plus   développée  que  celle  que  j'ai  pu  donner  ici 

de  l'intelligence  vient  de  ce  qu'elle  est  «  accordée  »  sur  la  matière  et  ré- 
ciproquement, pour  Schiller,  ce  succès  tient  uniquement  à  la  plasticité  du 
monde. 

1.  P.   323. 

2.  Cf.  Revue  des  Sciences  PJtil-  et  Théol.,  octobre  1907,  pp.  735-738. 


118         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

et  en  même  temps  des  remarques  fort  intéressantes  sur  les  théories 
qu'il  contient  (1).  La  différence  entre  l'inorganique  et  l'organisé  n'est 
peut-être  pas  aussi  profonde  que  M.  Bergson  le  prétend  ;  le  cristal  n'a- 
t-il  pas  une  sorte  d'individualité  comme  l'être  vivant?  Les  considé- 
rations finalistes  ne  peuvent  être  aussi  aisément  écartées  qu'il  le  dit 
et  elles  réapparaissent  à  chaque  instant  dans  ses  propres  raisonnements. 
L'intelligence  a  été  sans  doute  à  l'origine  une  faculté  de  fabrication, 
mais  elle  a  su  s'affranchir  peu  à  peu  de  ce  rôle  servile  et  ses  princi- 
pales découvertes  sont  dues  en  grande  partie  à  cette  libération.  La 
physique  dont  les  progrès  nous  font  déplus  en  plus  percevoir  le  mouve- 
ment dans  le  monde  et  nous  révèlent  que  la  matière  est  loin  d'être 
inerte,  n'a  pas  eu,  pour  en  arriver  là,  à  changer  ses  procédés  essentiels  ; 
il  n'y  a  donc  pas  à  l'opposer  à  l'intuition. 

Une  observation  analogue  à  cette  dernière  critique  a  été  faite  par 
M.  É.  BoREL  (2)  en  ce  qui  concerne  l'idée  que  M.  Bergson  se  fait  de 
l'intelligence  géométrique.  Cette  idée,  «  adéquate  à  l'intelligence 
géométrique  des  Grecs  »,  ne  l'est  plus  à  l'intelligence  géométrique 
actuelle  qui  est  «  beaucoup  moins  rigide  et  beaucoup  plus  vivante  »  (3). 

Ces  critiques  sur  la  rigidité  que  M.  Bergson  attribue  à  l'intelligence 
me  semblent  fort  justes.  L'intelligence  est-elle  donc  cette  pièce  méca- 
nique au  fonctionnement  uniforme,  qu'il  a  démontée  devant  nos  yeux, 
d'un  tour  de  main  si  sûr?  N'est-elle  pas  plutôt  elle-même  quelque 
chose  de  vital,  communiquant  sans  cesse  avec  les  autres  activités  de  la 
vie  ?  Ne  puise-t-elle  pas  à  chaque  instant  dans  l'intuition,  pour  nous 
révéler  ce  que  celle-ci  ne  présente  que  d'une  manière  confuse  ?  Peut- 
être  pourrait-on  reprocher  à  cette  philosophie  nouvelle,  bien  que  cela 
semblât  paradoxal,  d'abuser  de  l'abstraction  ;  n'est-ce  pas,  en  effet,  par 
une  abstraction  continuelle  exercée  sur  les  données  que  présente  la 
conscience  actuelle,  que  l'on  prétend  retrouver  les  éléments  intuitifs  et, 
parce  qu'elle  est  dirigée  en  ce  sens,  l'abstraction,  devenue  inconsciente, 
en  serait-elle  pour  cela  moins  dangereuse  ? 

De  la  métaphysique  de  l'intuition,  nous  passons  avec  M,  Hamelin  à 
une  philosophie  purement  notionnelle.  L'Essai  sur  les  Eléments  Princi- 
paux de  la  Représentation  n'est  pas  une  œuvre  exclusivement  critique, 
comme  on  pourrait  s'y  attendre;  elle  est  au  contraire  essentiellement 
constructive.  Le  caractère  «  ultra-abstrait»  de  l'ouvrage,  pour  employer 
une  expression  de  l'auteur,  rend  nécessaires  quelques  explications  préa- 
lables. Le  point  de  vue  adopté  est  celui  de  l'idéalisme  phénoménisle 
absolu,  rejet  de  toute  chose  en  soi,  réduction  des  êtres  à  des  groupes 
de  relations.  La  méthode  est  synthétique.  Au  lieu  de  partir  du  donné 
psychologique  afin  d'en  distinguer  les  éléments  au  moyen  de  l'analyse, 
on  recherche  tout  d'abord,  par  une  abstraction  poussée  à  la  dernière 
limite,  la  notion  la  plus  simple  et  l'on  y  ajoute  par  le  jeu  de  la  dialec- 
tique des  déterminations  successives  qui  acheminent  peu  à  peu  vers  la 

1.  Bcvuc  de  Met.  et  de  Mor.,   Sept.   1907,   pp.   G20-670. 

2.  L'Évolution  de  l'Intelligence  géométrique.  Ibid.,  Nov.  1907,  pp.  747- 
754. 

3.  Ibid.,  p.  747. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  M9 

plénitude  du  concret  cet  élément  si  pauvre  à  l'origine.  Le  concret  est 
en  effet  conçu  comme  l'épanouissement  de  l'abstrait,  il  n'y  a  entre  eux 
aucun  abîme  et  à  cet  égard  la  philosophie  de  M.  Hamelin  se  pi-ésente 
comme  un  rationalisme  absolu  pour  lequel  il  n'y  a  pas,  en  soi,  de  mys- 
tère. Le  ressort  de  sa  dialectique  est  la  relation  avec  ses  trois  moments  : 
thèse,  antithèse  et  synthèse,  et  l'on  aperçoit  facilement  le  rapport  de 
cette  métaphysique  avec  celle  de  Hegel.  Elle  en  diffère  toutefois,  parce 
qu'ellese  fondesur  l'opposition  de  contrariété  et  non  sur  celle  de  contradic- 
tion qui  ne  peut  se  produire  que  lorsque  l'être  est  complet  et  encore 
en  ce  qu'elle  se  donne  comme  une  philosophie  de  l'entendement  et 
du  fini.  Elle  vise  à  satisfaire  la  raison  et  aussi  «  au  besoin,  la  con- 
science chrétienne  »  (1). 

Voici,  très  sommairement  décrites,  les  étapes  successives  par 
lesquelles  la  notion  primitive  arrive  à  s'égaler  au  concret. 

Relation.  —  L'élément  le  plus  simple  est  la  relation  pure,  la  relation 
sans  aucun  contenu.  La  thèse  et  l'antithèse  ne  s'excluent  que  comme 
moments  d'un  même  genre  et  elles  se  concilient  dans  la  synthèse. 

Nombre.  —  Le  nombre  se  présente  ensuite  comme  un  rapport  déjà  spé- 
cifié. «Le  nombre  est  le  rapport  oîi  l'on  pose  que  l'un  est  sans  l'autre  «  (2). 
Il  forme  l'antithèse  du  rapport  pur  où  l'interdépendance  domine.  Le 
nombre  ne  se  fonde  ni  sur  l'espace,  ni  sur  le  temps  ;  il  leur  est  anté- 
rieur et  s'applique  par  conséquent  à  l'inétendu  et  à  l'intemporel.  La 
nouvelle  analyse  n'a  pas  conduit  à  une  notion  plus  générale  du  nombre  ; 
on  peut  donc  faire  usage,  en  métaphysique,  de  la  notion  ordinaire. 

Temps.  —  Le  temps  est  «  une  quantité  continue,  se  développant 
en  une  série  irréversible,  simple  et  unique  »  (3).  Le  temps  est  la 
synthèse  de  la  relation  et  du  nombre.  Il  est  antérieur  au  mouvement, 
bien  que  ce  dernier  lui  serve  de  mesure,  antérieur  aussi  à  la  qualité  et, 
sur  ce  point,  M.  Hamelin  s'oppose  nettement  à  la  conception  bergso- 
nienne.  Si  le  temps  était  qualité  pure,  il  serait  impossible  qu'il  y  eût 
en  lui  succession,  car  la  succession  est  essentiellement  quantitative.  Le 
temps  est  réel,  car  c'est  un  concept  et  non  une  intuition,  comme  le 
voulait  Kant. 

Espace.  —  L'espace  est  une  «  quantité  oîi  les  parties  ne  s'excluant 
qu'en  un  certain  sens,  se  présentent  en  séries  simultanées,  réversibles 
et  multiples  »  (4).  L'espace  est  l'antithèse  du  temps  ;  comme  lui,  il  est 
concept  et  non  intuition.  On  peut  continuer  d'en  emprunter  la  notion 
à  l'espace  euclidien,  malgré  l'apparition  de  géométries  nouvelles  consi- 
dérant d'autres  espaces. 

Mouvement.  —  Le  mouvement,  synthèse  du  temps  et  de  l'espace,  est 
essentiellement  quantitatif.  Ici  encore  la  théorie  bergsonnienne  est 
rejetée  ;  un  processus  de  qualités  pures  ne  peut  pas  plus  constituer  le 
mouvement  que  le  temps.  Le  mouvement  est  un  concept  ;  il  n'est 
continu  que  parce  qu'il  est  abstrait   et   sa  continuité   ainsi    envisagée 

\.  P.  33. 

2.  P.  38. 

3.  P.  52. 

4.  P.  73. 


120         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

n'est  pas  contradictoire.  La  relativité  du  mouvement  n'est  pas  totale  et 
l'on  peut  concevoir  un  mouvement  absolu. 

Qualité.  —  La  qualité  est  le  simple  qui  apparaît  comme  l'antithèse 
du  composé  (mouvement,  temps,  espace).  Sans  exclure  la  composition, 
le  simple  est  neutre  vis-à-vis  d'elle  ;  la  qualité  implique  pourtant  une 
espèce  de  composition  qui  tient  à  la  relation  qui  la  constitue.  IndifTé- 
rente  à  une  extension  plus  ou  moins  grande,  elle  est  irréductible  à  la 
quantité  qui  cependant  lui  sert  partout  de  support  et  qui  se  trouve  même 
en  elle  idéalement  sous  la  forme  de  l'intensité. 

Altération.  —  L'altération  consiste  dans  la  succession  de  deux 
qualités  distinguées  par  un  intervalle.  C'est  une  synthèse  du  mouve- 
ment et  de  la  qualité.  L'intervalle  n'est  pas  un  temps  vide  entre  deux 
qualités  ;  ce  qui  fonde  l'unité  de  l'altération,  c'est  que  le  contraire 
appelle  le  contraire.  Le  principe  de  la  relativité  joue  ici  le  rôle  de  la 
matière  aristotélicienne  et  d'une  façon  plus  satisfaisante. 

Spécification.  —  Antithèse  de  l'altération,  la  spécification  est  ainsi 
définie  :  «  Spécifier,  c'est  poser  un  élément  [genre^  lui  opposer  une 
détermination  Ldifférence]  qui  lui  manque,  et,  par  la  synthèse  de  l'élément 
et  de  cette  détermination,  former  le  composé  [espèce"  »  (1).  Le  genre 
est  un  élément  au  sens  propre  du  mot,  puisque  les  réalités  sont  compo- 
sées de  concepts.  Spécifier  et  composer  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
opération.  L'on  peut  ainsi  éviter  les  écueils  du  nominalisme  et  du  réa- 
lisme. Les  universaux  ne  sont  plus  des  idées  séparées  des  choses,  ce 
sont  des  «  moments  »  des  choses,  mais  celles-ci,  d'autre  part,  ne  doi- 
vent être  conçues  que  comme  des  groupes  de  relations.  L'individuation 
ne  provient  pas  de  la  matière  mais  de  la  forme. 

Causalité.  —  Elle  forme  la  synthèse  de  l'altération  et  de  la  spécifica- 
tion. La  causalité  est  «  l'enchaînement  nécessaire  des  phénomènes  par 
un  dynamisme  mécanique  rationnel  »  (2).  Enchaînement  nécessaire, 
car  une  succession  uniforme  ainsi  qu'un  antécédent  inconditionné  ou 
une  pure  harmonie  sont  insuffisants  ;  dynamisme,  car  ce  n'est  pas  une 
nécessité  vide.  La  causalité  est  de  plus  mécanique,  cela  «  veut  dire  que 
la  causalité  est  uue  détermination  qui  procède  du  dehors,  qu'elle  n'a 
rien  de  commun  avec  une  activité  léléologique;  que,  dans  la  mesure  où 
l'idéalisme  le  permet,  elle  est  un  enchaînement  réel  et  non  pas  idéal; 
enfin,  qu'elle  est  progressive  et  non  pas  analytique  »  (3).  Enfin,  la  cau- 
salité est  rationnelle  parce  qu'elle  est  fondée  sur  la  corrélation  qui  est 
un  rapport  aussi  intelligible  que  celui  de  contenant  à  contenu.  Il  y  a  un 
cas  où  la  construction  de  la  causalité  est  possible,  c'est  celui  de  la  cau- 
salité mécanique  proprement  dite.  On  peut  alors  ramener  la  force  où  se 
traduit  cette  causalité  à  la  tension  et  à  la  pression  qui  elles-mêmes  se 
réduisent  à  des  notions  parfaitement  intelligibles. 

Finalité.  —  La  fin  est  l'antithèse  de  la  cause,  elle  n'est  donc  pas  une 
cause  ;  mais  son  influence  sur  les  phénomènes  n'en  est  pas  moins  réelle. 
Le  point  d'attache  de  la  finalité  dans  la  causalité  est  fourni  par  cela 


1.  P.    170.    J'ai    ajouté    les    mots    entre    crochets. 

2.  P.    206. 
?,.  P.    228. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  121 

même  que  l'efTel  comme  tel  n'est  qu'un  simple  résultat;  il  y  a  donc  là 
une  indétermination  qui  subsiste,  car  résultat  pur,  sous  certains  rapports, 
équivaut  à  résultat  fortuit.  Si  le  hasard  existait,  il  serait  dû  à  Findé- 
pendance  des  causes,  autrement  dit  à  l'absence  de  finalité.  Qu'un 
résultat  devienne  une  fin,  cela  n'est  nullement  déterminé  par  les  condi- 
tions que  présente  la  cause.  La  finalité  n'est  pas  hors  du  temps,  comme 
le  veut  Kant  ;  elle  s'exerce  toujours  dans  la  conscience,  mais  la  cons- 
cience n'en  est  pas  un  élément  intégrant.  La  finalité  consiste  dans  l'idée 
conçue  comme  une  «  organisation  qui  s'invente  elle-même  »  (1).  Elle 
n'est  pas  contingente,  mais  forme  le  complément  nécessaire  du 
mécanisme. 

Personnalité.  —  Dernier  moment  qui  aboutit  au  concret,  la  person- 
nalité est  la  synthèse  de  la  finalité  et  de  la  causalité.  L'être,  une  fois 
complet,  ne  peut  plus  avoir  de  relation  qu'avec  lui-même;  cette  relation 
se  traduit  par  un  caractère  interne  qui  est  la  liberté.  La  liberté  implique 
que  l'être  est  pour  lui-même  ;  être  «  pour  soi  »  constitue  la  conscience, 
synthèse  de  l'objet  et  du  sujet.  La  conscience  est  un  élément  intégrant 
de  l'être,  elle  est  coextensive  à  l'être.  La  représentation  revêt  les  trois 
aspects  théorique,  pratique  et  affectif.  La  pensée  théorique  provient 
d'un  arrêt  de  l'action,  car  de  soi  toute  pensée  incline  à  l'acte.  Le  cerveau 
n'est  pas  le  sujet,  mais  l'agent  des  fonctions  psychiques  ;  d'autre  part, 
il  n'y  a  pas  d'abîme  entre  l'esprit  et  le  corps,  puisque  tous  les  deux  sont 
de  la  pensée.  L'acte  fondamental  de  la  pensée  est  le  raisonnement;  le 
jugement  et  le  concept  n'en  sont  que  des  appauvrissements,  aussi  la 
pensée  discursive  est-elle  supérieure  à  l'intuition.  La  représentation 
pratique  pose  la  question  de  la  liberté.  Celle-ci  peut  se  définir  :  la  syn- 
thèse de  la  nécessité  et  de  la  contingence.  La  conscience,  naissant  du 
besoin  de  choisir,  s'identifie  ainsi  avec  la  liberté.  Le  primat  appartient  à 
la  représentation  pratique,  mais  l'intelligence  ne  dérive  pas  de  la  volonté. 
La  représentation  affective  est tlécrile  comme  le  moment  de  la  repré- 
sentation oîi  l'objet  est  pour  ainsi  dire  fondu  dans  le  sujet.  Le  plaisir 
est  corrélatif  de  l'activité,  il  s'explique  par  la  tendance.  A  la  fin  de  ce 
chapitre,  M.  Hamelin  aborde  le  problème  de  la  réalité  première  qu'il  ne 
fait  qu'effleurer.  11  se  rallie  au  théisme  malgré  les  difficultés  qu'il  y 
trouve  et  il  en  donne  une  interprétation  conforme  à  son  système. 

L'élude  de  M.  Cu.\rtier  (2)  sur  l'ouvrage  que  nous  venons  d'analyser 
est  surtout  un  plaidoyer  en  faveur  de  la  tentative  dialectique  si  hardie 
qu'il  présente.  Il  faut  reconnaître  que  les  résultats  de  cette  tentative  ont 
été  heureux  sur  plus  d'un  point  et  qu'ils  constituent  un  excellent  correc- 
tif aux  affirmations  de  la  philosophie  intuitionniste  concernant  l'enten- 
dement; mais  cela  est  loin  de  lever  tous  les  doutes  quant  à  l'eft'icacité 
de  la  méthode.  On  a  beau  multiplier  les  intermédiaires  abstraits,  la 
richesse  du  réel  apparaît  encore  presque  sans  proportion  avec  eux. 
Suivre  cette  méthode  de  construction  totale,  c'est  attribuer  implicitement 
à  l'esprit  humain  le  pouvoir  de  créer  le  monde,  car  celui-là  seul  pourrait 
en  retracer  la  formation  qui  l'aurait  réellement  formé.  Quelles  que  soient 

1.  P.    324. 

2.  Eev.   de  Met.   et   de   Mor.,   Nov.    1907,   pp.    797-820. 


122         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIOUES 

les  insuffisances  de  la  méthode  analytique,  elle  s'impose  au  moins  au 
début  ;  n'étant  pas  les  auteurs  de  l'univers,  il  nous  faut  tout  d'abord 
l'interroger,  si  nous  voulons  savoir  ce  quil  est. 

Cette  interprétation  du  monde  d'après  les  donnéesde  la  science,  la  phi- 
losophie naturaliste  prétend  nous  la  fournir.  Dans  un  pelit  livre  écrit 
d'une  façon  claire  et  intéressante  et  intitulé  :  Les  Bases  de  hi  Philosophie 
Naturaliste  (1),  M.  André  Cresson  a  voulu  «  faire  un  exposé  de  vulgari- 
sation, court,  impartial,  accessible  à  tous,  des  principes  les  plus  fonda- 
mentaux sur  lesquels  repose  »  (2)  cette  philosophie.  Sans  se  donner 
comme  l'un  de  ses  adeptes,  il  a  jugé  utile  de  faire  connaître  ce  système 
comme  l'un  des  grands  points  de  vue  auxquels  on  peut  considérer 
le  monde.  Après  avoir  esquissé  dans  un  premier  chapitre  (L'ancien 
Anthropomorphi.sme)  la  philosophie  du  moyen  âge,  géocentrique, 
anthropocentrique  et  finaliste,  il  montre  dans  le  suivant  (Le  Monde 
Inorganique  et  la  Science)  comment  les  découvertes  astronomiques 
de  Galilée,  Kepler,  Newton,  ont  détruit  la  conception  géocentrique; 
comment  aussi,  par  une  conséquence  naturelle,  l'idée  anthropocentrique 
a  été  condamnée  à  disparaître.  Elle  ne  disparut  pourtant  qu'au 
moment  oii  les  sciences  physiques,  chimiques  et  biologiques  lui 
portèrent  le  dernier  coup.  Le  monde  s'est  révélé  alors  comme  soumis  à 
un  déterminisme  inflexible  ;  on  a  pris  conscience  de  l'écait  immense  qui 
existe  entre  les  forces  de  la  nature,  les  objets  réels  et  les  représentations 
que  nous  en  avons  et  l'on  a  été  amené  à  concevoir  la  réalité  dernière  du 
monde  physico-chimique,  comme  «  une  force  aveugle  et  de  quantité 
constante  agissant  soit  seule,  soit  sur  des  atomes,  sans  but  et  sans  cons- 
cience, suivant  des  lois  exclusivement  mécaniques  «  (3).  Cependant  cette 
idée  qui  n'est  pour  le  savant  qu'une  hypothèse  commode  et  que  le  natu- 
ralisme transforme  en  affirmation  catégorique,  semble  se  heurter  à  des 
difficultés  insurmontables  quand  il  s'agit  d'expliquer  les  phénomènes  de 
la  vie  (ch.  m,  la  Vie  et  la  Science).  Apparemment  la  tînalité  est  partout 
dans  le  domaine  de  labiologie  :  les  organes  paraissent  faits  les  uns  pour 
les  autres  et  la  conservation  de  l'individu  paraît  leur  but  dernier.  Toute- 
fois, le  naturalisme,  fort  de  cette  constatation  qu'un  grand  nombre  de 
faits  vitaux  sont  susceptibles  d'être  expliqués  par  les  lois  physico- 
chimiques, ne  veut  voir  que  des  résultats  dans  ce  que  l'on  prend  pour 
des  fins.  Les  théories  de  Lamarck  et  de  Darwin  lui  ont  fourni  de  pré- 
cieux arguments  en  montrant  que  l'adaptation  n'est  pas  l'efTet  d'une 
intention,  mais  qu'elle  résulte  automatiquement  du  jeu  de  certaines 
lois,  comme  celles  de  la  sélection  naturelle  et  de  la  réaction  de  la  fonc- 
tion sur  l'organe.  Les  expériences  de  Fasteur,  toutes  significatives 
qu'elles  soient  pour  l'état  présent  du  monde,  ne  tranchent  pas  la  ques- 
tion de  l'origine  de  li  vie.  L'impossibilité  de  produire  la  vie  en  partant 
des  éléments  inorganiques  tient  peut-être  seulement  à  ce  que  nous  ne 
pouvons  réaliser  toutes  les  conditions  dans  lesquelles  la  vie  aurait 
primitivement  apparu. 

1.  Paris,    Alcan,    1907.    1  vol.    in-16    de    111-178    p. 

2.  P.    I. 

3.  Page  39. 


BULLETIN    DE   PHILOSOPHIE  123 

Non  seulement  celte  difficiillé  ne  décourage  pas  le  naturalisme  dans 
sa  tentative  d'explication  raécaniste,  mais  il  s'efforce  encore  de  l'étendre 
à  l'esprit  de  l'homme  (cli.  iv,  L'Esprit  et  la  Science)  et  aux  sociétés 
(ch.  V,  La  Société  et  la  Science).  L'homme  n'est  une  exception  dans  la 
nature,  ni  par  son  intelligence  dont  on  retrouve  les  traits  fondamentaux 
chez  certaines  espèces  animales,  ni  par  sa  volonté  dont  la  liberté  n'est 
qu'une  illusion.  L'évolution  suffit  à  expliquer  la  présence  chez. l'homme 
de  certaines  facultés,  comme  les  aptitudes  scientifique  et  métaphysique, 
la  moralité,  etc.  Les  phénomènes  mentaux  dépendent  si  étroitement 
des  modifications  cérébrales  que  l'on  peut  considérer  celles-ci  comme 
leurs  causes.  Les  sociétés,  comme  les  individus,  sont  le  produit  des 
races  qui  les  forment,  du  milieu  oi^i  elles  vivent  et  du  moment  où 
elles  apparaissent.  L'influence  que  l'on  voudrait  attribuer  dans  la  cons- 
titution et  le  développement  des  sociétés  à  la  délibération,  aux  inven- 
tions, aux  idées,  est  illusoire,  puisque  ces  phénomènes  loin  d'être  des 
causes  sont  plutôt  des  résultats.  On  peut  considérer  (ch.  vi,  Conclusion) 
la  philosophie  naturaliste  comme  une  hypothèse  séduisante  par  sa 
simplicité  ;  mais  si  elle  compte  parmi  les  conceptions  les  moins  inco- 
hérentes, elle  ne  pourra  cependant  jamais  être  qu'une  croyance 
comme  tout  autre  système. 

Je  n'ai  pas  à  apprécier  ici  les  théories  exposées  par  M.  Cresson 
puisqu'il  ne  les  présente  pas  comme  siennes,  je  ferai  seulement 
remarquer  qu  il  a  peut-être  exagéré  les  probabilités  du  naturalisme  et 
que  la  critique  des  sciences  a  rendu  problématiques  un  grand  nombre 
de  résultats  que  cette  philosophie  considérait  comme  certains.  (1) 

On  en  trouvera  une  preuve  dans  l'opuscule  un  peu  confus  mais  très 
suggestif  de  Sir  Oliver  Lodge  :  la  Vie  et  la  Matière  (2).  Le  monisme  ma- 
térialiste de  Haeckel  y  est  particulièrement  visé.  Cette  doctrine  philoso- 
phique aie  tort  de  négliger  ou  d'estimer  au-dessous  de  leur  valeur  cer- 
taines catégories  de  faits  qui  ne  cadrent  pas  avec  ses  lignes  générales. 
Son  principe  fondamental,  la  loi  de  substance,  n'est  qu'une  expression 
des  deux  lois  combinées  de  la  conservation  de  l'énergie  et  de  la  conser- 
vation de  la  matière.  La  première  de  ces  lois  n'a  pas  l'universalité  qu'on 
voudrait  lui  donner  et  quant  à  la  seconde  qui  pourrait  s'appeler  aussi 
bien  loi  de  constance  de  l'inertie,  elle  est  sujette  à  correction.  En  effet, 
l'inertie  n'est  pas  un  élément  invariable,  elle  augmente  avec  la  vitesse 
et  avec  la  distance  des  électrons.  Ce  qu'il  y  a  de  juste  dans  la  loi  de 
substance,  c'est  l'affirmation  de  la  persistance,  non  d'une  forme  ou 
d'une  autre  du  réel,  mais  du  réel  lui-même.  Haeckel  n'arrive  à  faire 
sortir  la  vie  de  la  matière  qu'en  dotant  la  matière  des  attributs  qu'il 
s'agit  d'expliquer.  L'idée  de  Dieu  qu'il  propose  est  trop  inférieure  pour 
satisfaire,  sinon  çà  et  là  quelques  individus,  au  moins  l'humanité  en- 
tière. 11  se  peut  que  l'esprit  et  la  matière  ne  soient  sous  des  formes  su- 
périeures que  les  deux  aspects  d'une  même  réalité,  mais  cela   n'est  pas 


1.  Le  R.  P.  De  Munnynck  a  très  bien  montré  que  les  bases  de  la  philosophie 
niécaniste  étaient  plutôt  psychologiques  que  cosmologiques.  Cf.  Eev.  des  Bc 
PJii'.  d  Théol.,  janv.  1907,  pp.  1-19. 

2.  Traduit  de  l'Anglais  par  J.  Maxwell.  Paris,  Alcan,  1907.  1  vol  in-16 
de   148  p. 


124         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

vrai  de  Tespril  dont  nous  avons  conscience  et  de  la  matière  que  nous 
connaissons.  Le  cerveau  n'est  pas  forcément  la  cause  des  phénomènes 
psychiques,  il  peut  en  être  simplement  Finstrument.  Quand  même  on 
arriverait  à  produire  la  vie  dans  un  agrégat  moléculaire  complexe,  il  ne 
serait  pas  prouvé  par  là  même  que  la  vie  n'est  pas  immatérielle.  La  vie 
est  «  en  dehors  des  catégories  de  la  matière  et  de  l'énergie,  quoiqu'elle 
puisse  diriger  ou  contrôler  les  forces  mécaniques,  les  régler  et  déter- 
miner les  points  d'application  ;  elle  est  toujours  soumise  aux  lois  méca- 
niques, elle  complète  ces  lois  ou  s'y  associe,  sans  jamais  les  contrarier 
ou  les  traverser  (1).  » 

Signalons  ici  un  exposé  du  monisme  envisagé  d'un  point  de  vue  plus 
large  dans  un  article  de  M.  P.  i^  Cvcue  :  F lude  sur  le  Monisme  C^). 
Le  Monisme  y  est  défini  «  la  conception  unitaire  de  la  nature  et  de  l'es- 
prit »,  ce  qui  inclut  les  deux  solutions  matérialiste  et  idéaliste.  Cette 
conception  philosophique  est  caractérisée  par  la  loi  d'immanence  qui 
énonce  l'unité  de  la  réalité  dernière  à  la  fois  force  et  pensée  d'où  tout 
dérive  par  évolution.  La  notion  de  cette  réalité  unique  à  deux  aspects 
permet  le  passage  subreptice  du  physique  au  mental  et  réciproquement, 
qui  est  la  grande  ressource  de  la  dialectique  moniste.  Quant  aux  «  uni- 
tés dynamiques  »  oîi  se  particularise  le  grand  courant  de  «  l'évolution 
autonome»,  trois  entre  autres  ont  été  proposées:  la  cellule  pensante, 
l'idée-reflet  et  l'idée-force.  Un  coup  d'oeil  sur  l'histoire  des  systèmes 
fait  découvrir  sans  peine  les  racines  du  monisme  sous  les  deux  formes 
qu'il  a  prises. 

W.  James,  dans  le  livre  dont  nous  avons  déjà  parlé,  reprend,  au  point 
de  vue  pragmatiste,  la  question  de  l'un  et  du  multiple  dans  l'univers  (3). 
Il  constate  que,  s'il  y  a  dans  le  monde  un  certain  nombre  d'éléments 
d'unification  dont  il  passe  en  revue  les  principaux,  son  unité  est  loin 
d'être  parfaite.  Pour  le  pragmatisme,  le  monde  est  un,  exactement  dans 
la  mesure  ori  ses  parties  sont  reliées  par  quelque  connexion  définie,  il 
est  multiple  exactement  dans  la  mesure  oîi  quelque  connexion  détlnie 
fait  défaut  ;  aussi,  le  monisme  étant  absolu  par  nature,  le  pragmatiste  se 
rallie  au  pluralisme. 

Passant  de  l'épistémologie  à  la  métaphysique,  M.  Schiller  nous 
donne  quelques  indications  sur  la  réalité  telle  qu'il  la  conçoit,  dans  son 
XIX**  Essai  :  Jlie  Making  of  Healily  (4).  Du  fait  que  nous  produisons  la 
vérité  et  la  réalité  subjectives,  nous  ne  pouvons  pas  immédiate- 
ment conclure  que  la  réalité  objective  est  également  un  produit  de 
notre  connaissance.  Il  faut  bien  distinguer,  en  effet,  entre  les  cas 
oîi  le  réel  est  produit  et  celui  oîi  il  est  seulement  découvert,  et, 
par  ailleurs,  l'humanisme  a  reconnu  la  nécessité  d'un  point  de 
départ  de  la  connaissance.  Mais  ce  n'est  pas  là  le  point  de  vue  définitif. 
On  peut  considérer  la  réalité  initiale  comme  une  simple  potentialité 
et  ne  chercher  l'absolu   que  dans  lavenir.  Nous   observons  que  des 

1.  P.    120. 

2.  Bcvue  de  Phihso-phie,   1er  Août  1907,   pp.   117-154. 

3.  Pragmatism.  Lecture   IV.  The  One  And  The  Many,  pp.   127-162. 

4.  Studies  iti   Htoiiariism,  pp.   422-451. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  125 

changements  s'opèrent  dans  nos  semblables  et  chez  les  animaux 
supérieurs,  lorsqu'ils  ont  conscience  que  leurs  actions  ou  les 
phénomènes  de  leur  vie  intérieure  sont  connus  de  nous.  Pourquoi  ne 
pourrait-on  pas  supposer  que  notre  connaissance  introduit  des  modifi- 
cations analogues  dans  ces  domaines  de  l'univers  que  nous  regardons 
comme  plongés  dans  l'inconscience  ou  privés  d'organisation  ?  Si  cela 
paraît  étrange,  c'est  que  nous  avons  de  la  connaissance  une  idée  beau- 
coup trop  étroite.  Les  choses  nous  connaissent  à  leur  manière  dans  le 
plan  où  nous  les  rencontrons  et  nous  répondent  par  leur  résistance,  leur 
pesanteur,  etc.  II  n'est  donc  pas  impossible  que  notre  action  contribue 
à  la  formation  de  la  réalité  entière;  il  y  a  du  moins  tout  avantage  à  le 
supposer,  car  c'est  l'hypothèse  la  plus  féconde. 

C'est  l'idée  même  de  réalité  que  IM.  Albert  Léon  s'applique  à  définir 
dans  un  article  qui  porte  précisément  ce  titre  :  La  Notion  du  Réel  (1). 
Le  point  de  vue  de  l'idéalisme  absolu  y  est  opposé  à  la  conception  sco- 
lastique  dont  on  retrouve  des  traces  dans  Descartes  et  Leibnilz  et  à  la- 
quelle Kant  a  donné  sa  forme  définitive.  Distinguer,  comme  le  voulaient 
ces  philosophes,  entre  l'objet  simplement  pensé  et  l'objet  pensé  comme 
réel,  c'est-à-dire  comme  existant,  est  chose  impossible,  car  la  connais- 
sance ne  peut  poser  la  réalité  d'un  objet  en  dehors  d'elle-même  et,  le 
pourrait-elle,  elle  n'aurait  aucun  moyen  de  comparer  cet  élément  exté- 
rieur à  la  représentation  qu'elle  se  ferait  de  l'objet  de  cette  réalité. 
Penser  un  objet,  pourvu  qu'on  le  pense  adéquatement,  c'est  le  penser 
comme  existant.  Le  problème  est  donc  de  savoir  comment  la  pensée  ne 
considère  pas  tout  comme  réel  et  acquiert  la  notion  de  la  possibilité  et 
de  l'erreur.  Il  faut  en  chercher  la  solution  dans  la  nature  de  la  pensée 
individuelle  qui  procède  par  voie  de  sélection  et  d'organisation  pro- 
gressive, et  qui  est  amenée  a  concevoir  comme  irréel  ce  qui  n'est  pas  en- 
core systématisé.  Les  notions  de  réalité  et  d'irréalité  dérivent  à  la  fois 
des  lois  de  notre  pensée  comme  pensée  et  de  cette  même  pensée  comme 
pensée  humaine. 

Un  opuscule  du  D""  J.  Compagnion  nous  présente  les  deux  premiers 
chapitres  d'une  Critique  thomiste  du  Thomisme  (2).  L'erreur  des 
thomistes  est  d'affirmer  que  toute  réalité  estinfinieou  finie,  sans  songer 
qu'il  y  a  une  troisième  alternative  qui  est  la  notion  d'indéfini.  Le  di- 
lemme ainsi  énoncé  conduit  au  panthéisme,  car  on  a  beau  insister  sur 
la  limitation  de  l'être  fini,  on  n'en  maintient  pas  moins  qu'en  deçà  de 
cette  limitation  l'être  fini  «  est  ».  Or,  l'être  est  toujours  semblable  à  lui- 
même  et  l'on  ne  peut  pas  être  réellement  sans  être  absolument.  L'idée 
d'être  fini  est  de  plus  contradictoire,  car  elle  implique  à  la  fois  la  fixité 
et  la  limitation  ;  or,  ce  qui  est  limité  est  essentiellement  variable  et  c'est 
ce  qu'exprime  la  notion  d'indéfini  où  la  limite  est  conçue  comme  per- 
pétuellement mobile.  Le  principe  de  contradiction  tel  que  le  formulent 
les  thomistes  est  inacceptable;  il  ne  peut  valoir  quedans  la  vie  pratique, 
mais  conduirait  à  des  erreurs  en  philosophie.  Ce  principe,  en  etTet,  ne 
reconnaît  que  l'être  et  le  non-être  et  ne  fait  aucune  place  à  la  relativité. 

1.  Bévue  de  Met.  et  de  Mot:,  mai  1907;  pp.  348-.362. 

2.  Chez    l'auteur    à  Moulle    (Pas-de-Calais).    1907.    In-lÔ    de    88  p.  , 


126       revul:  des  scienxes  philosophiques  et  theologiques 

A  ce  dernier  point  de  vue,  deux  contradictoires  peuvent  être  impliquées 
Tune  par  l'autre;  par  exemple,  je  suis  {au  sens  relatif)  et  je  ne  suis  pas 
(au  sens  relatif),  et  c'est  précisément  l'union  de  ces  deux  contradictoires 
qui  constitue  l'idée  de  l'être  créé,  comme  elle  constitue  la  notion 
du  non-infini,  véritable  antithèse  de  l'infini.  —  Cette  critique  semble 
reposer  sur  une  conception  inexacte  du  thomisme  ;  dans  cette  philoso- 
phie, la  limite  de  l'être  fini  n'est  pas  extérieure  à  cet  être  comme  semble 
le  supposer  l'auteur  ;  elle  marque  son  empreinte  dans  l'essence  même  de 
l'être  et  réside  dans  la  potentialité.  Cette  potentialité  n'est  jamais  complè- 
tement réduite  et  ainsi  l'être  fini  demeure  un  être  changeant,  sans  être 
pour  cela  un  êtreindéfini.  Quant  au  principe  de  contradiction, leD''Compa- 
gnion,  dans  toutes  les  formules  qu'il  prétend  avoir  empruntées  au  tho- 
misme, a  constamment  oublié  une  clause  qu'il  suffit  de  rétablir  pour 
enlever  toute  force  à  ses  objections.  Pour  qu'il  y  ait  contradiction,  il  ne 
suffit  pas  que  l'opposition  de  deux  notions  soit  simultanée,  il  faut 
qu'elle  se  produise  sous  le  même  rapport.  En  ce  sens,  il  y  a  donc  contra- 
diction entre  l'être  et  le  non-être  même  envisagés  au  point  de  vue 
relatif,  et  il  est  vrai  de  dire  :  dans  la  mesure  oh  je  suis  actuellement, 
je  ne  puis  pas  ne  pas  être  actuellement.  Le  principe  de  contradiction, 
énoncé  comme  nous  venons  de  le  faire,  apparaît  donc  aussi  valable  en 
philosophie  que  dans  la  vie  pratique. 

III.  —  Questions  Spéciales. 
Dieu.  —  Existence,  Personnalité,  Transcendance. 

Jamais  peut-être,  depuis  longtemps,  les  préoccupations  théologiques 
n'ont  été  plus  universelles  que  dans  ces  dernières  années  et  cela 
se  marque  d'une  façon  saisissante  dans  l'intérêt  excité  par  les  problèmes 
concernant  l'existence  et  la  notion  de  Dieu.  C'est  à  l'expérience  reli- 
gieuse qu'on  s'adresse  de  préférence  pour  y  chercher  des  éléments  de 
solution  et  ceci  suffit  à  faire  soupçonner  toute  l'utilité  que  peut  pré- 
senter un  livre  comme  celui  de  M.  Xavier  Moisant,  qui  a  pour  titre  : 
iJieu.  L'expérience  en  mélaph'/sique  (1).  Le  but  de  l'ouvrage  est  de 
déterminer  le  rôle  de  l'expérience,  sa  portée  et  ses  limites  dans  la 
discussion  des  problèmes  qui  se  posent  en  Ihéodicée.  La  question  ne 
peut  pas  être  résolue  à  priori  ;  aussi  l'auteur  cherche-t-il  à  la  trancher 
en  examinant  quelles  données  l'expérience  nous  fournit  concernant 
l'existence  de  Dieu,  sa  personnalité,  les  attributs  divins,  l'énigme  du 
mal  et  enfin  les  enseignements  du  christianisme  sur  la  divinité. 

Existence  de  Dieu.  —  L'athéisme  prétend  s'appuyer  sur  l'expérience, 
lorsqu'il  énonce  ces  quatre  affirmations  :  «  que  les  phénomènes  et  les 
êtres  se  suivent,  sans  cause  initiale,  que  personne  n'a  dressé  le  plan  du 
monde,  que  l'homme  n'a  point  de  Maître  à  servir,  et  qu'il  ne  trouvera 
nulle  part  le  Bien  réalisé  »  (2).  Mais,  l'expérience  le  dément  chaque 
fois,  montrant  que  le  monde  ne  se  suffit  pas,  qu'il  n'est   en  lui-même, 

1.  Paris,    :Marcel    Rivière,    1907.    1  vol    in-8o    de    XIII-300   p. 

2.  P.   5. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  127 

ni  intelligent,  ni  désordonné,  que  Dieu  est  nécessaire  comme  principe 
de  l'obligation  morale,  enfin  que  le  désir  du  bonheur  parfait  est  naturel 
en  nous.  Quelles  que  soient  d'ailleurs  les  formes  particulières  qu'il 
prenne,  positivisme,  agnosticisme,  panthéisme,  l'athéisme  se  heurle 
partout  aux  constatations  de  l'expérience  humaine.  Mais,  d'autre  part, 
faut-il  accorder  que  Dieu  soit  objet  d'expérience  immédiate,  comme  le 
veulent  les  ontologistes  ?  Ce  serait  aller  trop  loin  ;  les  philosophes  de 
celte  école  confondent  des  attributs  créés  avec  des  attributs  divins. 
Lorsque  les  expériences  mystiques  n'ont  pas  un  caractère  surnaturel, 
l'analyse  psychologique  permet  de  découvrir  ou,  tout  au  moins,  de  sup- 
poser des  antécédents  finis  qui  les  expliquent. 

Le  Dieu  Personnel.  —  On  a  voulu  trouver  dans  la  constitution 
monarchique  des  sociétés  l'origine  de  la  notion  de  personnalité  divine 
et  associer  celle-ci  au  sort  de  la  première  ;  on  a  invoqué  le  témoignage 
des  sciences  de  la  nature  qui  nous  montrent  l'univers  gouverné  par  des 
lois  et  non  par  une  volonté  suprême  ;  enfin,  on  prétend  avoir  appris  de 
la  psychologie  que  la  tendance  à  personnaliser  se  rencontre  surtout 
dans  les  esprits  oii  la  raison  ne  domine  pas  encore,  et  que  la  conscience 
est  inférieure  à  l'inconscient.  A  l'encontre,  l'expérience  historique 
témoigne  que  le  personnalisme,  en  théodicée,  ne  provient  pas  d'une  con- 
ception politique  et  par  ailleurs,  elle  ne  prouve  pas  que  la  démocratie 
soit  la  meilleure  forme  de  gouvernement.  Les  lois  physiques  n'ont 
qu'une  vérité,  une  efficacité,  un  être  relatifs  et  laissent  place  à  une 
volonté  toute-puissante.  La  psychologie  constate  que  la  pensée  spécu- 
lative a  ses  maladies  et  ses  illusions,  aussi  bien  que  la  pensée  concrète 
et  rien  dans  ses  découvertes  n'a  rendu  illusoire  la  notion  métaphy- 
sique de  personne  et  la  supériorité  de  la  conscience. 

La  DfUerminalion  des  Atlribuls  divins.  —  Plusieurs  méthodes  se 
présentent  ici.  On  peut  déduire  les  attributs  divins  de  la  notion  de  Dieu  ; 
on  peut  les  induire  de  l'observation  des  perfections  créées  ou  bien  s'y 
élever  par  une  sorte  d'intuition  ou  simplement  les  accepter  par  la  foi. 
Mais  un  travail  de  discernement  s'impose  ;  on  peut  craindre  de  divi- 
niser des  abstractions  ou  des  vices,  ce  qui  est  pire  encore.  L'expérience 
aidée  du  raisonnement  nous  guidera  dans  ce  choix.  C'est  ainsi  qu'une 
observation  plus  attentive  montrerait  aux  pragmatistes  que  les  attributs 
les  plus  métaphysiques  de  la  divinité  ne  sont  pas  sans  influence  sur  la 
conduite  humaine. 

Le  Problème  du  Mal.  —  Consultée  sur  ce  problème,  l'expérience 
semble  donner  des  réponses  contradictoires  et  aucune  des  solutions 
théoriques  proposées  n'apporte  de  satisfaction.  Supposer  Dieu  fini, 
c'est  accepter  la  possibilité  du  mal  ;  si  le  mal  est  la  condition  du  bien, 
doit-on  vouloir  celui-ci  à  ce  prix?  Et  si  Dieu  l'a  voulu,  a-t-il  bien  agi  ? 
La  réparation  future  de  tous  les  maux  ne  suffit  pas  à  adoucir  les  souf- 
frances actuelles,  non  plus  que  cette  considération  que  le  mal  contribue 
à  manifester  la  force  et  la  justice  de  Dieu.  L'inévitable  antinomie  à 
laquelle  on  se  heurte,  amène  à  soupçonner  que  le  problème  d'un  monde 
meilleur  est  un  problème  qu'on  ne  devrait  pas  poser  ;  i-ien,  d'ailleurs, 
ne  nous  y  oblige.  11  faut  y  substituer   le  problème  salutaire  de  la  lutte 


128         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

contre  le   mal  et   celui-ci  qui  comporte  une  solution  :  Dieu  peut-il  tirer 
le  bien  du  mal  ? 

L'Expérience  Psychologique  et  le  Dieu  du  Christianisme.  —  L'apolo- 
gétique d'immanence  est  née  du  besoin  de  se  placer  sur  le  même 
terrain  que  l'incrédulité  moderne  et  de  réagir  contre  ce  qu'il  y  a  de 
trop  extérieur  et  de  trop  autoritaire  dans  un  certain  catholicisme.  Elle 
n'est  sans  doute  pas  inutile  ;  elle  peut  arriver  à  persuader  un  incroyant 
de  la  limitation  de  ses  forces  et  des  défaillances  de  sa  raison  ;  mais  la 
psychologie,  à  laquelle  elle  en  revient  toujours,  est  impuissante  à 
discerner  l'action  delà  grâce  ou  à  retrouver  le  dogme  chrétien.  Quant  à 
l'expérimentation  religieuse  qui  prétend  amener  à  la  foi  par  la  pratique, 
fùt-elle  légitime  pour  l'incroyant,  elle  ne  donnerait  pas  de  résultats 
acceptables  pour  la  raison. L'expérimentation,  pour  être  rationnelle, doit 
être  en  rapport  avec  les  croyances  qu'on  possède  et  ne  pas  les  devancer. 

L'Expérience  en  Théodicée.  —  Par  expérience  il  faut  entendre  la 
connaissance  immédiate  des  données  qui  s'imposent  à  nous  dans  l'ordre 
intellectuel  comme  dans  Tordre  sensible.  Son  rôle  en  théodicée  est  de 
nous  aider  à  choisir  et  à  formuler  les  problèmes,  de  nous  fournir  les 
principes  de  nos  raisonnements  et  de  nous  guider  dans  l'appréciation 
des  conclusions. 

C'est  précisément  l'expérience  religieuse  qu'invoque  M.  Le  Roy 
lorsqu'il  s'agit  de  reconstruire  la  notion  de  Dieu,  après  avoir  rejeté 
comme  dépassée  la  conception  traditionnelle.  Le  titre  qu'il  a  donné  à 
son  important  travail:  Comment  se  pose  le  problème  de  Dieu?  (1) 
indique  suffisamment  que  c'est  moins  une  solution  complète  qu'il 
propose,  qu'une  nouvelle  manière  d'envisager  la  question.  Son 
premier  article  est  consacré  à  examiner  la  valeur  des  preuves  que  l'on 
a  coutume  de  donner  de  l'existence  de  Dieu,  et  leur  valeur  est  déclarée 
nulle  sous  la  forme  quelles  ont  revêtue  jusqu'ici.  Pour  rendre  la 
discussion  plus  claire,  M.  Le  Roy  a  réparti  ces  preuves  en  trois  grou  • 
pes,  suivant  qu'elles  sont  tirées  :  a)  du  monde  physique,  b)  du  monde 
moral,  ou  c)  des  conditions  à  priori  de  la  pensée. 

a)  Preuves  tirées  du  monde  physique.  —  La  preuve  par  le  mouvemen 
que  l'on  rencontre  tout  d'abord,  apparaît  comme  insuffisante,  car  elle 
se  fonde  sur  des  postulats  à  présent  inacceptables  :  la  distinction  du 
moteuF  et  du  mobile,  la  conception  du  mouvement  comme  quelque 
chose  qui  passe  d'un  objet  à  un  autre.  Le  principe  même  de  l'argument 
est  devenu  ruineux  ;  «  —  les  choses  étant  mouvement,  —  il  n'y  a  plus 
à  se  demander  comment  elles  reçoivent  celui-ci  »  (2).  Il  est  donc 
superflu  de  faire  appel  à  un  premier  moteur.  —  La  preuve  par  le  mou- 
vement n'est  qu'un  aspect  de  la  preuve  par  la  contingence  du  monde 
qui  n'est  d'ailleurs  pas  plus  solide.  Comment  prouver  qu'un  être  est 
vraiment  contingent?  N'est-ce  pas  là  une  simple  apparence  qui  tient  à 
ce  que  nous  l'avons  abstrait  du  tout  continu  où  il  a  sa  réalité?  Mais, 
supposé  que  chaque  être,  pris  à  part  fût  contingent, comment  démontre- 

1.  Hev.  de  Met.  et  de  Mor.,  mars  1907,  pp.  129-170  et  juillet  1907. 
470-513. 

2.  P.    135. 


BULLETIN  DE  PHILOSOPHIE  129 

rait-on  la  contingence  du  tout?  Alléguera-t-on  son  imperfection? 
Alors  on  fait  appel  à  l'argument  ontologique  en  liant  l'idée  d'existence 
nécessaire  à  l'idée  de  parfait.  Et  s'il  faut  une  cause  nécessaire,  pourquoi 
ne  pas  s'en  tenir  à  une  nécessité  immanente?  Si  l'on  exige  une  cause 
complètement  transcendante,  on  se  met  dans  l'impossibilité  d'apercevoir 
un  lien  quelconque,  une  analogie  quelconque  de  causalité,  entre  cette 
cause  première  et  la  première  cause  seconde  qui  appartient  à  un  plan 
totalement  différent.  —  L'argument  par  les  causes  finales,  fondé  sur  la 
finalité  externe,  a  contre  lui  la  science  et  la  critique  philosophique  qui 
n'admettent  que  la  finalité  interne  ;  il  suppose  une  conception  juri- 
dique des  lois  de  l'univers  :  le  principe  de  l'analogie  qu'il  établit  entre 
notre  activité  et  celle  de  la  nature  est  contesté  par  la  psychologie  ;  il 
considère  l'ordre  comme  surajouté  après  coup  à  des  éléments  déjà 
existants.  Enfin,  quand  toutes  ces  difficultés  seraient  écartées,  il  ne 
nous  conduirait  pas  à  concevoir  un  Dieu  créateur  et  infini,  mais  seule- 
ment un  esprit  ordonnateur.  —  Contre  la  preuve  par  les  degrés  d'être, 
on  peut  objecter  la  difficulté  de  concevoir  une  essence  typique  pour 
chaque  chose.  Le  plus  et  le  moins  sont  des  notions  obscures  quand  il 
s'agit  de  réalités  spirituelles,  et,  en  tout  cas,  il  ne  s'ensuivrait  pas  que 
le  maximum  nécessaire  fût  un  être.  Le  conclure,  c'est  commettre 
une  pétition  de  principe.  D'ailleurs,  tous  les  arguments  dont  on  vient 
de  parler  offrent  le  même  vice  radical,  celui  d'être  fondés  sur  le  ><  mor- 
celage  »  du  réel,  postulat  dont  la  philosophie  bergsonienne  a  suffisam- 
ment montré  l'inanité  en  métaphysique. 

b)  Preuves  tirées  du  monde  moral.  —  Le  consentement  universel 
n'est  pas  décisif.  Même  en  laissant  de  côté  l'hypothèse  d'une  erreur 
universellement  répandue,  les  témoignages  concordants  que  l'on  invoque 
ne  portent  que  sur  une  croyance  qu'il  resterait  à  interpréter  et  dont 
il  faudrait  examiner  les  bases.  —  Les  aspirations  de  l'àntle  humaine  ne 
prouvent  pas  l'existence  de  leur  objet  ;  exigent-elles  d'ailleurs  autre 
chose  que  le  progrès  indéfini  vers  la  réalisation  du  parfait?  Il  y  a 
pourtant  dans  cet  ordre  de  considérations  le  germe  d'une  preuve  solide, 
mais  à  la  condition  de  voir  dans  le  désir  l'affirmation  même  de  Dieu. — 
Peut-on  dire  que  Dieu  est  nécessaire  pour  expliquer  l'idée  d'obligation? 
Mais  il  faudrait  avoir  montré  que  l'impératif  absolu  de  la  morale  ne 
peut  provenir  ni  de  la  nature,  ni  de  la  société,  ni  de  l'instinct  vital  ou 
de  la  raison.  D'autre  part,  l'absolu  du  devoir  ne  nous  oblige  pas  à 
conclure  à  un  législateur,  il  suffit  de  concevoir  la  moralité  comme  «  la 
fin  suprême  et  la  suprême  loi  de  l'univers»  (1). 

c)  Preuves  tirées  de  la  raison  pure.  —  Sous  la  forme  que  lui  donne 
St  Anselme,  l'argument  ontologique  conclut  de  l'idée  d'être  parfait  à 
l'existence  d'un  tel  être.  Une  question  préalable  surgit  aussitôt.  Dieu 
est-il  concevable  ?  L'idée  d'être  parfait,  infini, .  n'est-elle  pas  contra- 
dictoire ?  Cette  question  résolue,  le  raisonnement  serait  inefficace, 
car  il  faudrait  y  voir  ou  une  simple  tautologie,  ou  une  synthèse  à  priori 
dont  l'évidence  resterait  douteuse. —  La  preuve  par  les  vérités  éternelles 
se  heurte  à  un  doute  sur  l'existence  de  semblables  vérités,  on  ne  peutmê- 

1.  Page    159. 

26  Année.  —  Revus  des  Sciences.  —  No  i.  g 


130         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

me  pas  affirmer  l'existence  de  formes  nécessaires  de  l'esprit,  seule  l'acti- 
vité de  lapensée  apparaîtcomme  nécessaire  et  éternelle. —  L'idée  d'infini 
ne  nous  fournit  pas  non  plus  l'argumentdéfinitif.  Pour  pouvoir  conclure 
de  la  présence  en  nous  de  l'idée  d'infini  à  l'existence  de  l'être  infini, 
il  faudrait  que  cette  idée  de  l'infini  fût  l'idée  du  parfait,  mais  pour 
concevoir  le  parfait,  il  faudrait  être  le  parfait  lui-même.  Si  au  contraire 
l'idée  d'infini  n'est  que  l'idée  de  l'indéfiniment  perfectible,  alors  elle 
n'exprime  que  le  caractère  essentiel  de  la  pensée,  son  pouvoir  créateur, 
et  cela  ne  nous  conduit  pas  à  l'existence  d'un  Dieu  transcendant  et 
personnel. 

S'efïorçant  de  reconstruire  après  avoir  détruit.  M,  Le  Roy,  dans  son 
second  article,  cherche  la  véritable  preuve  de  l'existence  de  Dieu  et  la 
notion  qu'on  peut  rationnellement  se  former  de  la  divinité.  Il  résuite 
du  travail  critique  auquel  il  s  est  livré,  que  l'on  ne  peut  pas  démontrer 
Dieu  ;  Dieu  réalité  concrète,  Dieu  liberté  suprême,  ne  saurait  être 
déduit  mais  seulement  perçu.  C'est  donc  à  l'expérience  qu'il  faut  recou- 
rir, aune  expérience  interne  «  immanente,  impliquée  dans  l'exercice  mê- 
me de  la  vie  »  (1).  C'est  l'expérience  humaine  du  passé  jointe  à  notre  expé- 
rience personnelle  qui  nous  révélera  les  sources  de  la  croyance  en  Dieu, 
et  le  contenu  de  l'idée  qu'on  doit  s'en  faire.  Mais  tout  d'abord,  afin  de 
savoir  si  cette  croyance  correspond  à  quelque  chose  de  réel,  il  faut 
définir  cette  dernière  notion.  Résistance  à  la  dissolution  critique  et 
fécondité  inexhaustible,  voilà  les  caractères  que  l'on  peut  assigner  à 
la  réalité.  Or  l'idée  de  Dieu  présente  ces  deux  caractères,  elle  porte  donc 
sur  une  réalité.  Dieu  est  affirmé  comme  *■  réalité  morale,  comme  réalité 
autonome,  indépendante,  irréductible,  et  même  peut-être  comme 
réalité  première  »  {2)  ;  mais  on  n'atteint  encore  ainsi  que  le  divin  :  pour 
affirmer  Dieu,  il  faut  «  affirmer  le  primat  de  la  réalité  morale  »  (3).  On 
n'en  a  le  droit  qu'après  avoir  montré  que  le  matérialisme  et  le  rationa- 
lisme sont  inacceptables  :  c'est  précisément  la  conclusion  à  laquelle 
arrive  la  philosophie  de  l'intuition.  Celle-ci  nous  amène  à  concevoir  la 
réalité  première  comme  la  «  pensée-action  ».  Dieu  n'est  autre  que 
cette  pensée-action  à  laquelle  on  attribue  trois  caractères  fondamen- 
taux ;  aj  d'être  un  devenir  ;  b)  d'avoir  une  orientation  définie  ;  c)  d'être 
liberté,  bien  que  cette  liberté  ait  des  limites.  Quant  à  la  personnalité 
divine,  elle  est  définie  non  pas  au  moyen  de  concepts,  car  l'analogie 
elle-même  est  impuissante  à  cet  égard,  mais  au  moyen  d'attitudes  pra- 
tiques. «  Dieu  est  tel  en  soi  qu'il  doit  être  par  nous  traité  comme  une 
personne,  ou,  en  d'autres  termes,  Dieu  est  pour  nous  un  centre  de  devoirs 
et  nous  devons  le  regarder  comme  un  êujet  de  droits  »  (4).  Formule  toute 
pragmatique,  comme  le  sont  aussi  les  notions  d'immanence  et  de  trans- 
cendance appliquées  à  Dieu.  L'immanence   exprime   ce  qui  de  lui   est 


1.  Page  475. 

2.  Page  489. 

3.  Page  492. 

4.  Page  501.    Ce   passage   et   les   deux   précédents    sont   soulignés    dans    le 
texte. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  131 

devenu  en  nous  et  dans  le  monde  ;  la  transcendance,  l'infini  qui    reste 
à  devenir. 

Ces  conclusions  si  éloignées  des  idées  habituelles  en  théodicée 
relèvent  d'une  philosophie  qui,  toute  séduisante  qu'elle  soit,  est  loin 
d'être  acceptée  du  grand  nombre.  Elle  ne  peut  donc  prétendre  à  parler 
au  nom  de  la  pensée  moderne.  Celle-ci  revêt  des  formes  multiples,  et, 
à  la  prendre  dans  son  ensemble,  il  n'est  pas  prouvé  qu'elle  soit  prête 
à  considérer  le  fameux  «  morcelage  »  comme  un  simple  postulat 
pratique.  Le  monisme  idéaliste  qui  est  au  fond  de  la  «  philosophie 
nouvelle  >^  n'apporte  qu'une  solution  illusoire  au  problème  de  l'existence 
de  Dieu,  car  fondre  en  une  réalité  unique  des  éléments  comme  la 
pensée  et  l'action,  sans  les  avoir  préalablement  réduits  l'un  à  l'autre, 
c'est  avouer  implicitement  qu'ils  sont  irréductibles,  et  admettre  par  là 
même  un  «  morcelage  »  fondamental  qui  en  ramènera  bien  d'autres  (1). 

La  critique  des  preuvesthomistes  de  l'existencede  Dieu  par  M.  Le  Roy, 
est  examinée  dans  un  article  du  R.  P.  Garrigou-Lagkangë  (2).  Après 
avoir  justement  relevé  que  des  philosophes  comme  M.Jacob  et  M. 
Couturat,  tout  aussi  informés  que  M.  Le  Roy  des  exigences  de  la 
pensée  contemporaine,  se  placent  à  un  point  de  vue  diamétralement 
opposé,  il  fait  observer  que  Si  Thomas  n'a  pas  voulu  prouver  explici- 
tement la  transcendance  de  Dieu  par  les  cinq  arguments  classiques  ; 
celle-ci  n'est  établie  qu'à  la  question  3,  article  6,  par  la  preuve  sui- 
vante. Le  devenir  dans  le  monde  suppose  la  puissance,  la  puissance 
ne  pouvant  s'actuer  elle-même,  il  faut  en  arriver  en  dernière  analyse 
à  un  acte  pur  qui  soit  le  principe  de  toute  actuation.  Cet  acte  pur 
excluant  le  devenir  est  par  là  même  distinct  du  monde.  La  transcen- 
dance résulte  aussi  de  la  simplicité  de  l'acte  pur  opposée  à  la  multi- 
plicité de  l'univers.  St  Thomas  n'a  pas  recours  à  l'argument  ontologi- 
que, car,  au  lieu  de  conclure  de  la  perfection  de  Dieu  à  son  existence 
il  passe  au  contraire  de  l'existence  de  l'être  nécessaire  à  son  infinie 
perfection.  Le  primat  de  l'être  est  rejeté  par  M.  Le  Roy,  de  même  que  le 
postulat  du  ('  morcelage  ».  Cependant  le  morcelage,  plus  ou  moins 
utilitaire  quand  il  s'applique  au  continu  sensible,  s'impose  à  la  pensée 
quand  il  s'opère  sur  l'intelligible  et  sur  l'être,  car  alors  il  est  fondé  sur 
des  raisons  d'être.  La  science  qui  n'atteint  l'être  que  superficiellement 
ne  saurait  être  invoquée  pour  le  condamner.  —  Je  me  contente  de  rappe- 
ler ici  l'article  du  même  auteur  intitulé  :  Le  Dieu  fini  du  Pragmatisme 
qui  a  paru  récemment  dans  cette  revue  (3).  On  pourra  s'y  reporter  utile- 
ment pour  la  pleine  intelligence  des  preuves  thomistes. 

La  discussion  engagée  entre  M.  Sertillanges  et  M.  Gardair  sur  la 
nature  de  la  connaissance  que  nous  pouvons  avoir  de  Dieu,  s'est 
terminée  par  un  dernier  article  de  M.  Gardair  (4),  et  une    courte  répli- 

1.  Obligé  de  me  borner  ici  à  cette  criticpie  très  générale,  je  crois  bien  de 
signaler,  outre  le  livre  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  l'excellent  ouvrage  de 
M.  Sertillanges  :  Les  Sources  de  la  Croyance  en  Dieu  (Paris,  Perrin)  et  celui  de 
M.  C.  Piat  De  la  Croyance  en  Dieu  (Paris,  Alcan);  on  y  trouvera  d'utiles 
éléments   pour  l'appréciation   des   criticpies   de  M.  Le  Roy. 

2.  Revîie   Thomiste,   juillet-Août   1907,   pp.   313-331. 

3.  Revue  des  Se.  Pliil.  et  ThéoL,  avril  1907,  p.  252  sv. 

4.  La  Transcendance  de  Dieu.  Bev-  de  Philosophie,  ler  février  1907. 


132         PEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

que  de  M.  Sertillanges  (1).  M.  Gardair  se  défend  des  accusations  de 
panthéisme  et  d'anthropomorphisme  portées  contre  lui.  Il  affirme  que 
sa  pensée  est  bien  que  Dieu  est  réellefnent  transcendant  comme  source 
de  l'être,  mais  il  entend  la  transcendance  autrement  que  M.  Sertillan- 
ges. Tandis  que  pour  ce  dernier,  l'être  de  Dieu  consiste  en  un  simple 
postulat  dont  l'insuffisance  du  créé  est  le  seul  contenu  réel,  M.  G. 
veut  que  les  créatures  nous  représentent  Dieu  dans  une  certaine 
mesure  et  nous  permettent  dans  cette  même  mesure  de  nous  en  faire 
une  idée  positive. 

Dans  le  même  fascicule,  M.  Sertillanges  répond  que  cette  conclusion 
repose  sur  une  équivoque.  Cette  équivoque  consiste  à  donner  au  mot 
être  un  double  sens  tout  en  laissant  croire  qu'il  n'a  qu'une  signification 
unique.  On  affirme  à  la  fois  que  Dieu  est  être  et  qu'il  est  plus  que 
l'être.  On  éviterait  cette  faute  de  logique  en  considérant  Dieu  comme 
le  postulat  suprême  du  réel,  et  l.on  trouverait  là  le  moyen  de  répondre 
aux  objections  de  Kant  comme  à  celles  du  néo-criticisme  et  du  néo-pa- 
ganisme qui  nous  parlent  d'un  Dieu  fini. 

Sans  se  rallier  à  cette  thèse  du  Dieu  fini,  M.  Dessoulavy  expose  les 
difficultés  qui  ont  amené  certains  penseurs  à  la  soutenir.  Ces  difficultés 
sont  a)  l'impossibilité  de  définir  et  par  conséquent  d'expliquer 
lidée  d'infini,  ce  qui  la  réduit  à  jouer  tout  au  plus  le  rôle  de  postulat, 
comme  l'éther  dans  les  théories  physiques,  b)  l'impossibilité  d'une 
démonstration  rigoureuse  de  l'infini.  Ainsi  que  le  fait  M.  Le  lloy,  M.  Des- 
soulavy observe  qu'il  est  difficile  de  prouver  la  contingence  du  monde 
considéré  dans  son  ensemble  ;  la  preuve  par  la  contingence  se  ramène 
à  la  preuve  ontologique.  D'autre  part,  un  Dieu  fini  expliquerait  mieux 
l'existence  du  mal.  Les  objections  qu'on  élève  contre  la  personnalité  de 
l'infini  peuvent  être  écartées  par  la  méthode  d'analogie  bien  entendue, 
telle  que  l'a  exposée  M.  Sertillanges.  La  preuve  de  l'infini  par  la  création 
implique  deux  postulats  :  o)  le  monde  a  été  créé  ;  b)  la  création  suppose 
un  pouvoir  infini.  Par  contre,  le  Dieu  fini  s'accorde  mal  avec  les  exi- 
gences du  sentiment  religieux  qui,  affirmant  une  dissemblance  de  plus 
en  plus  grande  entre  l'homme  et  le  divin,  nous  conduit  à  une  expé- 
rience de  l'absolu  par  contraste,  notion  réelle  mais  vague,  qui  devient 
irréelle  quand  on  essaie  de  la  définir  (2). 

Cette  conclusion  ne  serait  pas  acceptée  par  M.  Schiffmacuer  qui 
considère  (3j  qu'il  y  a  une  analogie  fondamentale  entre  le  monde 
divin  et  le  nôtre,  entre  l'objet  de  la  théologie  (4)  et  l'objet  de  la  science 
de  la  Nature  et  que  les  perfections  de  Dieu  ont  leurs  analogues  dans  les 
phénomènes  du  monde  sensible.  La  théologie  naturelle  emploie  le 
même  procédé  de  raisonnement  que  les  autres  sciences,  qu'elles  soient 
constructives  ou  expérimentales  c'est-à-dire,  le  raisonnement  par  ana- 
logie et  (i  chaque  démonstration  par  la  science  de  l'existence  dune  loi 


L  Ihid. 

2.  L'Infini  Confus.  Bévue  de  Philos.,  1er  mars   1907. 

3.  L'idée  de  Dieu  et  lidée  du  Cosmos.  Ibid.,   Ifi-  juin  1907,  pp.  541-555. 

4.  Entendez    ïliéologie   naturelle. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  133 

naturelle,  en  établissant  davantage  que  le  réel  n'est  qu'un  cas  de  pos- 
sible, établit  davantage  la  valeur  des  constructions  de  la  théologie  ». 

M.  Gardair  a  essayé  de  résoudre  les  objections  élevées  contre  l'infini 
dans  un  article  intitulé  :  Vinfimlé  divine  (1).  Si  cette  notion  semble 
contradictoire,  c'est  qu'elle  est  mal  comprise.  Dieu  est  infini,  c'est- 
à-dire  que  nulle  perfection  ne  lui  manque  et  il  est  en  même  temps  le 
principe  dune  infinité  potentielle.  Les  critiques  dirigées  par  M.  Dessou- 
lavy  contre  la  preuve  par  la  contingence  ne  semblent  pas  décisives.  Elle 
ne  se  ramène  pas  à  la  preuve  ontologique,  car  elle  prend  son  point  de 
départ  dans  un  fait  d'expérience  et  aboutit  à  l'existence  d'un  être  néces- 
saire, puis  elle  montre  que  la  perfection  infinie  est  incluse  dans  l'essence 
de  cet  être  et  donnée  avec  elle.  Les  attributs  opposés  du  monde  et  de 
Dieu  suffisent  à  prouver  la  transcendance  de  Dieu.  Bien  que  l'être 
divin  soit  le  principe  de  l'infinité  potentielle  des  espèces  et  des  indi- 
vidus, il  ne  se  confond  pas  avec  le  principe  d'évolution  immanent  au 
monde,  si  toutefois  ce  principe  existe.  Ce  dernier  relève  complètement 
de  l'infini  transcendant  et  actuel.  Nou's  ne  concevons  l'être  actuelle- 
ment infini  qu'au  moyen  de  l'être  abstrait,  mais  nous  n'attribuons  pas 
à  Dieu  l'abstraction  de  cette  notion. 

Tout  en  admettant  l'immanence  divine,  certains  penseurs  vou- 
draient ne  pas  sacrifier  la  transcendance  qui  semble  nécessaire  à  la 
conscience  religieuse.  C'est  le  cas  de  M.  Henry  Jo.nes  qui  essaie  de  fonder 
la  transcendance  sur  l'immanence  même  (2).  Il  trouve  dans  l'expérience 
des  croyants  la  double  affirmation  de  l'omniprésence  de  Dieu  et  de  sa 
transcendance.  La  foi  ne  se  préoccupe  pas  d'ordinaire  de  mettre  ces 
notions  d'accord,  mais  lorsqu'elle  réfléchit  à  leur  contenu,  elle  sent 
qu'un  travail  d'harmonisation  est  nécessaire.  Jusqu'ici  en  traitant  des 
rapports  de  Dieu  et  du  monde,  on  semble  n'avoir  envisagé  qu'une 
totale  différence  ou  une  unité  complète.  Ce  qui  a  poussé  quelques 
philosophes  à  concevoir  un  Dieu  fini,  ou  même,  comme  James,  des 
dieux  finis  dont  on  peut  dire  seulement  qu'ils  sont  plutôt  bons  que 
mauvais,  c'est  qu'il  n'ont  pas  imaginé  de  milieu  entre  un  Dieu  imma- 
nent entraînant  l'abolition  de  toute  personnalité  et  un  Dieu  extérieur 
mais  fini.  Cependant  la  conscience  religieuse  exige  à  la  fois  l'identifi- 
cation de  toutes  les  volontés  avec  les  volontés  divines  et  l'irréductibilité 
des  personnes.  Dieu  ne  peut-il  pas  être  immanent  dans  l'homme  sans 
absorber  sa  personnalité,  d'une  manière  analogue  à  celle  dont  la  cons- 
cience est  immanente  à  son  contenu,  tout  en  restant  elle-même  et  en  le 
transcendant  ?  Bien  plus,  il  semble  que  l'homme  puisse  devenir  davan- 
tage lui-même  en  devenant  plus  semblal)le  à  Dieu  par  une  union  plus 
intime  avec  lui. 

De  son  côté,  M.  Patton  voudrait  sauvegarder  l'intinilé  divine  en 
poussant  l'immanence  jusqu'à  ses  dernières  limites  (3).  Non  seulement 
Dieu  est  dans  le  monde,  mais  dans  le  monde  il  n'y  a  rien  en  dehors  de 
Dieu.  L'infini  esf  un  nom  qui  désigne  le  total  des  êtres  existants.  Tou- 

1.  Rec.  dr  FhlL,   1er  octobre  1907,  pp.  319-3.35. 

2.  Divine  Immanence.   The  Hibbert  Journal,  juillet  1907,  pp.  745-767. 

3.  The  yeic  Theism.  The  Hibbert  Journ.  Jaiiv.   1907,  pp.  361-369. 


134         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

tefois,  ceci  ne  détruit  pas  plus  la  personnalité  de  Têtre  divin  que  la 
multiplicité  des  événements  d'une  vie  humaine  ne  détruit  la  personna- 
lité humaine.  Dieu  est  un  principe  unificateur  analogue  à  notre  person- 
nalité, mais  au  lieu  d'être  le  lien  des  événements  d'une  vie  humaine,  il 
assure  la  cohésion  de  toutes  choses.  Nos  personnes  sont  individuelles, 
car  elles  ne  font  la  synthèse  que  d'un  groupe  restreint  de  phénomènes, 
mais  la  personne  divine  ne  saurait  l'être,  puisque  tout  ce  qu'enferme 
Tunivers  fait  partie  de  sa  vie. 

Cette  même  idée  apparaît  incidemment  dans  un  article  de  M.  Josiah 
Royce  :  Immortality  (1).  11  n'y  a  qu'une  volonté  en  nous  tous,  qui  est 
la  volonté  divine  ;  nous  ne  sommes  que  des  expressions  variées  du 
divin.  Mais,  de  plus,  et  c'est  ce  qui  assure  notre  individualité,  Dieu  a 
besoin  de  nous,  de  la  diversité  de  nos  personnes,  de  notre  liberté.  11 
n'arrive  à  la  perfection  que  par  la  lutte  contre  le  mal,  il  considère  la  vie 
du  monde  comme  sa  propre  vie  et  cependant  il  est  dans  un  éternel 
présent,  un  présent  qui  n'exclut  pas  le  temps,  mais  l'embrasse  dans  sa 
totalité. 

Dans  sa  Vlll'^'^  Conférence  sur  le  Pragmatisme:  Pragmatism  and 
Religion  (2),  James  reconnaît  une  valeur  pratique  à  l'Absolu,  mais  il 
considère  que  la  conception  pluraliste  s'accorde  mieux  avec  le  prag- 
matisme. Ceux  qui  ont  recours  à  l'Absolu  ce  sont  les  esprits  délicats  et 
faibles  qui  cherchent  à  se  rassurer,  à  se  mettre  l'âme  en  repos  par  une 
vue  optimiste  du  monde  ;  ceux  qui  le  rejettent,  ce  sont  les  esprits  rudes 
et  forts  qui  acceptent  le  monde  tel  qu'il  est  et  n'en  attendent  rien  de 
bon,  s'exposant  volontiers  aux  risques  à  courir.  Entre  les  deux,  le 
pragmatisme  ouvre  une  voie  qui  est  celle  du  méliorisme  théiste.  Le 
monde  peut  s'améliorer,  se  perfectionner  et  même  finalement  arriver 
à  être  parfait  au  moyen  de  notre  action  secondant  celles  de  puissances 
qui  nous  sont  supérieures.  Les  risques  ne  sont  pas  supprimés,  mais  il 
faut  savoir  les  affronter,  c'est  là  ce  qui  donne  vraiment  du  sérieux  à  la 
vie. 

La  plupart  de  ces  études  sur  Dieu  se  réclament  de  la  conscience  reli- 
gieuse. Insuffisante  par  elle-même,  elle  peut  nous  fournir  de  précieux 
éléments  d'information  qu'il  faut  discerner  avec  soin.  Sous  sa  forme  la 
plus  haute,  elle  a  toujours  proclamé  en  même  temps  que  la  présence 
de  Dieu  dans  tous  les  êtres  qu'il  a  créés,  son  ineffable  transcendance. 
Dieu  est  en  nous.  Dieu  se  distingue  de  nous,  il  est  infiniment  plus  que 
nous,  ce  qui  nous  permet  tous  les  espoirs,  voilà  ses  deux  affirmations  fon- 
damentales. Ceci  suffit  pour  rejeter  la  légitimité,  sinonde  la  méthode,  au 
moins  de  la  théodicée  immanentiste. 

Paris.  F.  Blanche. 

II.  _  COSMOLOGIE. 

Le  domaine  que  s'attribue  la  cosmologie  proprement  dite  n'est 
pas  très  fécond  en   ce  moment.    On  le  travaille   sans  relâche  ;   c'est 

1.  Ibid.,  juil.  1907,  pp.  724-744. 

2.  Pragmatism,  pp.  273-301. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  135 

entendu  ;  mais  les  idées  générales  vraiment  nouvelles  ne  sont  pas 
nombreuses.  Les  questions  traditionnelles  se  discutent  ;  mais  les 
solutions  prennent  assez  naturellement  place  dans  les  cadres  déjà 
formés  ;  et  il  suffira  de  prendre  acte  de  quelques  travaux  saillants 
pour  déterminer  le  progrès  que  peuvent  avoir  réalisé  les  problèmes 
cosmologiques. 

Concept  fondamental  du  corps.  —  Les  recherches  sur  les  substances 
radio-actives  sont  évidemment  trop  incomplètes,  pour  qu'elles  puissent 
servir  de  base  à  la  spéculation  philosophique.  Elles  ont  cependant  fixé 
de  nouveau  l'attention  sur  un  problème  qui  ne  manque  ni  d'intérêt,  ni 
d'importance  pour  la  définition  de  la  quantité.  Si  vraiment  dans  la 
(*  dégradation  »,  dans  la  «  dématérialisation  »  progressive  des  corps,  on 
aboutit  à  des  particules  dont  la  masse  est  nulle,  il  sera  désormais 
impossible  de  confondre  celle-ci  avec  la  quantité.  On  sait  que  c'est  là 
l'opinion  du  professeur  Nvs  (1).  — Les  preuves  de  sa  thèse  se  réduisent 
au  fond  à  des  analogies  ingénieusement  soulignées,  des  coïncidences 
dans  les  propriétés  qui  seraient  parfaitement  susceptibles  d'une  autre 
interprétation.  Nous  croyons  que  la  notion  de  quantité  est  infiniment 
plus  primitive,  plus  pauvre  que  celle  de  la  masse.  Elle  n'implique  par 
soi  que  la  distinction  de  parties  homogènes  ;  elle  est  même  antérieure 
à  l'idée  d'un  rapport  d'extraposition  de  ces  parties  ;  et  paraît  dans  tous 
les  cas  indépendante  de  l'aspect  dynamique  des  substances  corporelles, 
aspect  auquel  la  notion  de  masse  est  indissolublement,  parce  qu'essen- 
tiellement, liée.  —  Il  n'a  pas  fallu  les  spéculations  hardies,  et  très 
discutables  encore,  des  électronistes  pour  nous  en  convaincre.  Mais  il 
nous  a  paru  opportun,  devant  les  tendances  que  manifeste  en  ce 
moment  la  physique  ultra-atomique,  de  signaler  une  thèse  faible  dans 
un  livre  qui  jouit  d'une  haute  et  légitime  considération  dans  les  écoles 
catholiques. 

Il  ne  serait  peut-être  plus  nécessaire  de  parler  encore  des  idées 
d'OsTWALD,  et  des  applications  aventureuses  que  reçoit  dans  son  sys- 
tème la  notion  d'énergie.  La  dernière  édition  de  ses  célèbres  Vorlesungen 
ûher  Naturphilosophie  date  de  190o,  et  son  système  est  universellement 
connu.  Mais  dans  le  premier  numéro  de  l'excellente  Rivista  di  Scienza, 
nous  trouvons  un  exposé  nouveau  et  une  défense  de  «  l'Énergétique  »,  de 
la  plume  du  maître  (2).  Ce  travail  est  remarquable  à  plusieurs  titres. 
Ostwald  signale  une  connexion,  —  combien  lâche,  —  entre  son  Éner- 
gétique et  le  Pragmatisme.  Les  deux  doctrines  poursuivent  un  but 
unique  :  nous  délivrer  de  ce  que  Mach  a  appelé  des  «  Scheinprobleme  », 
c'est-à-dire  des  problèmes  dont  la  solution  ne  peut  avoir  pour  nous 
aucune  importance,  parce  qu'elle  ne  modifie  en  rien  nos  idées  sur  les 
réalités  constatables,  parce  qu'elle  ne  peut  rien  nous  faire  prés'oir.  A  ce 
litre  la  matière  inerte  est  une  hypothèse  absolument  stérile  ;  et  si  l'on 
avait  résolument  marché  dans  la  voie  indiquée  en  1842,  par  Robert 
Mayer,  il  y  a  longtemps  que  la  dualité  :  matière-énergie,  aurait  disparu. 
Nous  ne  connaissons  que  de  l'énergie,  pas  autre  chose  ;  et  il  ne  nous 


1.  D.   Nys.    Cosmologie.   2e   éd.   p.   302. 

2.  Zur  niodernen  Energetik.  Biv-  di  Se.   I,  p.   113. 


i36  REVUE   DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

importe  pas  de  connaître  autre  chose.  C'est  au  delà  du  connu,  pour 
remplir  cet  imaginaire  «au-delà»,  que  cette  absurde  matière  a  été 
supposée  ;  et  son  invention  n"a  eu  pour  résultat  que  de  compliquer  les 
doctrines  et  d  alourdir  la  marche  de  la  science.  L'énergie  suffit  à  tout  ; 
elle  seule  fait  prévoir  les  phénomènes  qui  à  un  litre  quelconque  nous 
intéressent  ;  elle  seule  correspond  aux  exigences  légitimes  de  l'esprit 
humain,  et  peut  donner  quelque  cohérence  à  notre  système  du 
monde. 

La  marche  progressive  du  dynamisme  est  intéressante.  La  scolastique 
avait  de  la  nature  corporelle  un  concept  précis  :  le  corps  était  la  suO- 
slantia  praedita  quanlitate  de  nos  vénérables  manuels. Comme  définition 
préalable,  comme  p;"o<o//ié.se,  dirait  Ostwald,  c'est-à-dire  comme  point 
de  départ  d'examen  et  de  discussion,  la  formule  est  parfaite.  Mais  une 
fois  la  solution  aristotélicienne  écartée,  l'antinomie  fondamentale  entre 
la  simplicité  de  nature  et  l'essentielle  composition  quantitative  devient 
un  tourment  intolérable.  Leibniz  sacrifie  la  quantité  ;  l'extension  n'est 
plus  que  «  l'ordre  des  phénomènes  simultanés  possibles  ».  La  voie  des 
négations  était  ouverte  ;  on  ne  s'y  est  plus  arrêté.  Les  monades  de 
Leibniz  étaient  substantielles  ;  mais  on  a  bientôt  vu  qu'on  n'avait  que 
faire  de  cette  substantialité  :  la  matière  est  devenue  un  complexus  de 
forces.  —  Mais  pourquoi  encore  ces  forces  ?  le  mouvement  actuel  ne 
suffît-il  pas  ?  On  n'a  pas  tardé  de  le  prétendre,  et  l'énergétique  actuelle 
est  sortie  de  là.  Le  système  moderne  est  moins  choquant,  parce  que 
moins  radical,  ou  au  moins  moins  affirmatif  ;  mais  au  fond  on  obéit  à 
la  même  tendance.  Leibniz  a  donné  l'impulsion  ;  le  crilicisme  de  Kant 
l'a  justifiée  devant  le  monde  philosophique  ;  et  Ostwald  est  leur  conti- 
nuateur logique. 

On  peut  se  demander  cependant  si  de  l'excès  même  de  la  doctrine  ne 
doit  pas  sortir  une  réaction.  Laissons  intactle  problème  de  l'objectivité. 
Ce  n'est  guère  la  peine  de  rompre  violemment  avec  le  sens  commun,  si 
l'on  n'obtient  pas  au  moins  la  cohérence  logique  subjective  pour  prix  du 
sacrifice.  Or  nous  croyons  qu'Ostwald  et  son  école  aboutiraient  infailli- 
blement à  des  contradictions  internes,  s'ils  voulaient  pousser  à  fond 
l'analyse  rationnelle  de  leur  «  énergie  ».  L'illustre  chimiste  remarque, 
avec  trop  de  raison,  hélas  !  que  les  philosophes  ne  prennent  conscience 
des  progrès  accomplis  par  les  sciences  particulières,  que  lorsqu'ils  sont 
vieux  et  même  dépassés  et  vieillis.  Mais  il  a  le  courage  de  rappeler  à 
ses  collègues  qu'ils  tombent  exactement  dans  le  même  travers  au  sujet 
des  idées  philosophiques.  Les  «  introductions  »  aux  traités  spéciaux 
sont  instructives  sous  ce  rapport.  —  Ostwald  ne  se  trouverait-il  pas  un 
peu  dans  la  même  situation  ?  Il  y  a  certaines  idées  philosophiques,  pas 
nouvelles  assurément,  mais  jeunes  encore,  qu'il  paraît  singulièrement 
négliger.  Si  l'on  parcourt  tous  les  caractères  qu'il  attribue  à  l'énergie, 
toutes  les  fonctions  qu'elle  doit  remplir,  on  arrive  à  cette  conclusion 
fatale  qu'elle  possède  toutes  les  propriétés,  et  implique  toutes  les 
exigences  du  mouvement  local.  Et  qu'on  n'imagine  pas  que  ce  soit  là  une 
image  analogique  1  11  est  trop  manifeste  que  les  deux  idées  ne  coïnci- 
dent nullement  ;  l'énergie  fait  trop  de  choses  auxquelles  le  mouvement 
ne  peut  point  prétendre.   Mais  l'énergie  possède,  à  côté  de  beaucoup 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  137 

d'autres,  tous  les  caractères  du  mouvement  ;  et  elle  perd  toute  sa  valeur 
explicative  vis-à-vis  des  phénomènes  les  plus  fondamentaux,  si  on  l'en 
dépouille. 

Or  on  n'est  pas  encore  parvenu  à  dégager  la  notion  de  «  mouvement 
local  »  de  celle  de  «  lieu  »  ;  la  logique  pourrait  bien  établir  a  priori 
que  cette  entreprise  d'épuration  est  condamnée  d'avance  ;  et  un  lieu 
réel  n'est  réel  et  actuel  que  lorsqu'il  est  occupé  à  un  titre  quelconque. 
Mais  alors,  occupé  par  quoi  ?  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  la  «  présence  » 
n'est  encore  qu'une  manifestation  d'énergie.  On  peut  et  on  doit  recon- 
naître qu'un  déploiement  d'énergie  est  indispensable  pour  qu'une 
«présence»  nous  soit  connue;  mais  il  ne  s'agit  pas  des  conditions  de 
notre  connaissance;  nous  déterminons  ici  les  exigences  logiques  du  côté 
objectif  de  nos  représentations.  Bref,  on  voit  repoindre  ici  ce  «  sujet  » 
tant  abhorré  ;  et  une  fois  engagés  sur  ce  chemin,  il  n'est  pas  impossible 
qu'on  aille  jusqu'à  la  substance  matérielle,  quantitative,  que  les  dyna- 
mistes  ont  lâchée  depuis  Leibniz, 

Ce  ne  sera,  certes,  pas  la  «  masse  inerte  et  immuable  »,  véritable  fan- 
taisie !iltra-scolasti([ue  qui  n'a  aucune  valeur  ni  réelle  ni  explicative,  et 
dont  Descartes  seul  porte  la  responsabilité.  Les  accidents  actifs  ne  sont 
pas  le  revêtement  extrinsèque  d'une  impassible  substance.  La  substance 
elle-même  est  féconde  par  ses  énergies  potentielles.  Mais  les  modifica- 
tions supposent  le  modifié.  Celui-ci  seul  peut  rendre  compte  de  la  per- 
manence, de  la  continuité  du  réel  sous  le  flux  évolutif  du  cosmos. 

Nous  sommes  bien  loin  cependant  de  croire  que  tout  ce  mouvement 
pour  «  l'énergétique  »  ait  été  stérile.Ilaura  fourni  la  protestation  la  plus 
autorisée,  la  critique  la  plus  efficace  du  mécanicisme  radical  qu'on  ait 
fournie  depuis  Leibniz.  A.  ce  titre,  les  travaux  théoriques  d'Ostwald  auront 
une  valeur  permanente  et  une  place  honorable  dans  la  «  Naturphiloso- 
phie  »  qui  s'élabore. 

Problème  de  la  Divisibilité.  —  Le  vieux  problème  de  la  divisibilité 
n'a  pas  fait  un  pas  eu  somme.  Quelques-uns,  comme  le  savant  profes- 
seur Nys,  s'en  tiennent  exclusivement  à  la  vieille  réfutation  d'Aristote  ; 
et  il  faut  bien  reconnaître  qu'au  point  de  vue  dialectique  elle  est  inatta- 
quable. D'autres,  au  contraire,  considèrent  cette  réfutation  comme 
exclusivement  dialectique,  c'est-à-dire  comme  efficace  contre  les  suppo- 
sitions arbitraires  de  Zenon,  mais  comme  totalement  impuissante  à 
résoudre  objectivement  léternel  problème  du  continu.  11  n'y  aurait  donc 
pas  lieu  d'en  parler  dans  ce  bulletin  si  le  dernier  ouvrage  de  M.  Behg- 
SON  :  L" Evolution  créatrice,  ne  contenait  quelques  données  qui  nous 
paraissent  importantes  dans  le  débat.  Nous  reviendrons  bientôt  sur  ce 
livre,  intéressant  à  plus  d'un  titre.  Nous  ne  voulons  pas  en  discuter  les 
bases  ;  M.  Rageot  n'a-t-il  pas  écrit  que  le  Bergsonisme  échappe  à  la 
discussion  par  sa  nature  même,  et  s'accepte  comme  une  poésie  (1)  !  Même 
son  charme  poétique  ne  parvient  pas  à  nous  convaincre  de  la  solidité 
de  son  point  de  départ.  Cependant,  lorsque  M.  Bergson  souligne  la 
tendance  de  l'intelligence  vers  le  discontinu  et  le  statique,  il  invoque 
un  fait  que,  depuis  deux  ans,  nous  nous  sommes  efforcé  de  mettre  en 
lumière  dans  nos  leçons  de  cosmologie  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Fri- 

1.  Stimp.  Philo soijhiqiie,  juillet  1907,  p.  7.3. 


r38  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

bourg.  Il  y  a  là  un  élément  psychologique  du  problème  qui  n'a  pas 
suffisamment  fixé  Tattention.  Impossible  de  nous  engager  ici  à  fond 
dans  le  débat  ;  mais  il  importe  de  signaler  les  visions  «  poétiques»  de 
M.  Bergson.  Elles  confirment  des  idées  moins  élégantes,  moins  parées 
assurément,  mais  peut-être  plus  solidement  articulées. 

Qu'on  ne  s'y  méprenne  pas  ;  il  y  a  à  prendre  et  à  laisser  dans  ce  que 
M.  Bergson  écrit  à  ce  sujet,  à  différents  endroits  de  son  ouvrage. 
Discutant  l'argument  de  la  flèche  (1),  il  fait  remarquer  à  bon  droit  que 
la  flèche  nest  pas  dans  les  lieux  parcourus.  Mais  ce  n'est  pas  un  motif 
pour  éloigner  le  mouvement  de  sa  trajectoire,  moins  encore  pour  le 
considérer  comme  essentiellement  simple.  Il  est  donc  bien  entendu  que 
nous  ne  pouvons  souscrire  ni  aux  procédés  intuitifs,  ni  aux  conclusions 
de  M.  Bergson  ;  mais  il  a  souligné  la  donnée  psychologique  qui,  à  notre 
sens,  domine  le  problème  de  la  divisibilité.  C'est  à  ce  titre  que  nous 
voulons  attirer  l'attention  sur  ses  fascinantes  analyses. 

La  Vie.  —  Tout  le  monde  connaît  les  idées  que  Driesch  a  émises  et 
défendues  avec  une  rare  sagacité,  sur  l'individualité  des  organismes  ani- 
maux. Des  observations  remarquables  l'avaient  conduit  à  cette  conclu- 
sion plus  frappante  encore  :  Que  les  animaux  n'étaient  pas  et  ne  pou- 
vaient pas  être  de  simples  machines;  c'est-à-dire  que  toutes  les  théories 
mécanicistes  de  la  vie  étaient  impuissantes  à  rendre  compte  des  phéno- 
mènes observés,  et  qu'il  fallait  fatalement  en  arriver  à  une  forme 
rajeunie  des  vieilles  doctrines  aristotéliciennes.  Le  problème  est  repris 
dans  un  remarquable  article  de  Driesch,  publié  dans  la  Rivista  di 
Scienza  (2).  L'auteur  y  tient  compte  des  faits  invoqués  par  Wilhelm 
Roux  en  faveur  de  la  théorie  des  mosaïques  ;  mais  il  reste  fidèle  à  ses 
conclusions.  Seules  les  entéléchies,  les  bonnes  vieilles  formes  substan- 
tielles des  scolastiques  fournissent  une  explication  acceptable  des 
tendances  que  manifestent  dans  leur  développement  certains  embryons 
mis  en  pièces;  et  il  nous  paraît  décidément  impossible  de  se  soustraire 
à  ces  conséquences  (3). 

On  s'y  soustrait  cependant  ;  mais  il  devient  de  plus  en  plus  difficile 
de  découvrir,  dans  les  publications  actuelles,  une  justification  sérieuse 
de  cette  attitude.  On  sait  que  les  faits  débordent  de  toute  part  sur  les 
cadres  mécanicistes  auxquels  on  s'efforce  de  les  réduire  ;  mais  il  faut 
qu'ils  s'y  réduisent  !  —  Pourquoi?  —  Parce  que  seules  les  applications 
mécanicistes  sont  intelligibles  et  satisfaisantes  ;  et  que  toute  autre  doc- 
trine doit  nous  ramener  aux  fantaisies  finalistes  de  la  basse  scolastique. 

Nous  connaissons  bien  cette  fascination  qu'exercent  sur  l'esprit 
humain  les  doctrines  qui  n'empruntent  leurs  éléments  qu'à  l'ordre 
quantitatif.  Ici  même  nous  nous  sommes  efforcé  de  rendre  compte  de 
cette  tyrannique  tendance  (4).    Mais   lorsque    l'esprit   humain  connaît 

1.  Op.  cit.,  p.  333. 

2.  H.  Driesch.  Die  Physiologie  der  inâividuellen  organischen  Formbildung. 
Loc.  cit.,   I,  no  2,  p.  265. 

3.  On  trouve  un  exposé  lumineux  des  théories  rivales  dans  le  superbe 
ouvrage  du  P.  Wasmann,  S.  J.,  Die  moderne  Biologie  und  die  Entwicklungs- 
théorie.  Freiburg  i.  Br.,  Herder,  1906.  Un  vol.  gr.  in-8o,  3e  éd,  de  XXX-530  pp. 

4.  Bev.  des  Sciences  philos,  et  théolorj.,  Janv.  1907,  p.  5.  Les  bases  psycholo- 
giques du  mécanicisme. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  139 

ses  faiblesses,  lorsque  surtout  il  prend  conscience  des  liens  qui  limitent 
son  envergure  spontanée,  ces  liens  se  brisent,  et  son  pouvoir  s'étend. 
La  quantité  et  les  causes  mécaniques  ne  présentent  aucun  avantage 
objectif  sur  les  autres.  Elles  aussi  sont  enveloppées  de  mystères.  Elles 
ne  se  distinguent  des  autres  notions  que  parce  qu'elles  sont  primor- 
diales, antérieures  ;  nous  les  considérons  comme  «  reçues  »,  comme 
«  manifestes  »  ,  au  delà  nous  ne  découvrons  plus  rien  ;  et  c'est  pourquoi 
c'est  à  elles  qu'il  faut  s'en  tenir  ;  à  elles  aussi  qu'il  faut  tout  ramener. 

Les  interprétations  mécanicistes  sont  donc  éminemment  naturelles, 
éminemment  humaines,  trop  humaines  pour  qu'il  ne  faille  pas  s'en 
méfier.  Elles  le  sont  trop  dans  tous  les  cas,  pour  qu'on  y  voie  a  priori  la 
mesure  universelle  des  choses  ;  et  l'on  est  en  droit  d'opposer  aux  biolo- 
gistes, tenants  du  mécanicisme,  une  simple  tin  de  non-recevoir. 

11  y  aurait  lieu  d'ailleurs  de  remettre  sur  le  métier  tout  ce  problème 
du  linalisme.  Qu'il  y  ait  de  la  confusion  dans  les  idées,  c'est  ce  qui 
résulte  clairement  du  fait  que  M.  Bergson  réduit  à  une  erreur  commune 
les  deux  notions,  contradictoires  dans  leur  sens  originel,  de  mécanicisme 
et  de  finalité.  Le  R.  P.  Z.  Martinez-Xuxez  vient  d'éditer  tout  un  volume, 
excellent  d'ailleurs,  sur  la  «  Finalité  dans  la  Science  (1).  »  Or  il  n'y  fait 
pas  allusion  à  une  forme  de  la  finalité  qui,  plus  que  toute  autre,  indi- 
querait une  adaptation  intelligente  extrinsèque,  et  serait  par  conséquent 
la  plus  utile  pour  le  but  apologétique  qu'il  se  propose  (2). 

11  y  a  une  finalité  intrinsèque  qui  n'est  autre  chose  que  la  détermina- 
tion essentielle  de  toute  activité.  Prise  dans  ce  sens,  ce  n'est  pas  la 
finalité  qui  est  étonnante  ;  l'absence  de  finalité  entraînerait  l'absence 
de  toute  action. 

Il  n'est  pas  rare  que,  pour  démontrer  le  finalisme,  on  oublie  tout  à 
coup  que  le  mécanicisme  n'est  qu'un  système,  et  un  système  des  plus 
discutés.  Il  est  trop  évident  que  les  forces  purement  mécaniques  ne 
pourraient  jamais  mener  les  molécules  de  la  matière  brute  à  constituer 
le  moindre  organisme,  la  moindre  cellule.  D'où  l'on  conclut  qu'une 
cause  intelligente  a  mené  la  matière  à  cet  agencement  merveilleux 
qu'elle  possède  dans  les  tissus  vivants.  —  Mais  le  tissu  vivant  est-il 
donc  un  simple  agencement  de  molécules  agissant  suivant  les  lois  de 
la  matière  brute  ?  Le  vivant  contient  un  principe  formel,  une  entéléchie 
supérieure,  en  vertu  de  laquelle  sa  matière  est  ainsi  agencée.  Il  ne  s'agit 
donc  pas  d'un  arrangement  qui  suppose  un  ordinateur  intelligent.  Il  y  a 
un  fait  totalement  nouveau  qui  postule  une  cause  ou  intelligente, 
ou  intrinsèquement  déterminée. 

Le  R.  P.  Martinez-Nufiez  perd  de  vue  cette  alternative.  Adversaire 

1.  P.  Zacarias  JIartinez-Nunez.  La  Finalidad  en  la  Ciencia.  Troisième 
série  de  ses  Études  biologiques,  Madrid,  1907.   1  vol.  in-So  de  XI1418  p. 

2.  Nous  devons  remarquer  cependant  mie  l'auteur  n'a  pas  épuisé  son 
sujet,  et  qu'il  nous  en  avertit  lui-même  :  Un  quatrième  volume  doit  voir  le 
jour.  —  Nous  nous  permettons  de  recommander  vivement  ce  travail,  bien 
que  nous  ne  puissions  pas  partager  toutes  les  idées  du  savant  auteur. 
Son  opposition  à  l'idée  évolutionniste  (cfr.  «  La  Herencia  »  dans  la  2e  série; 
nous  paraît  d'un  radicalisme  que  les  faits  ne  justifient  point.  Mais  le  P. 
Martinez-Nuiiez  a  étudié  personnellement  les  problèmes  qu'il  agite,  et  montre 
une  sûreté  d'information  qui  trop  souvent,  dans  des  ouvrages  similaires, 
brille  par  son  absence. 


140         REVUS    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

résolu  de  révolution  biologique,  il  montre  très  bien  que  les  formes 
vivantes  ne  peuvent  pas  sortir  de  la  matière  brute,  telle  que  nous  la 
connaissons,  sans  le  concours  d'une  cause  supérieure.  Il  prouve  sans 
peine  que  le  darwinisme  est  impuissant,  en  bien  des  occurrences,  à  se 
rendre  maître  des  faits  établis.  Il  y  a  donc  autre  chose.  Mais  quoi  ?  Une 
cause  supérieure  intelligente,  opérant  pour  une  fin  déterminée,  expli- 
querait à  merveille  l'organisation  interne  des  vivants.  Mais  une  cause 
inconnue,  déterminée  intrinsèquement  à  tel  effet,  opérant  d'une 
manière  aveugle,  aboutirait  au  même  résultat,  et  suffirait,  en  toute 
rigueur,  au  moins  comme  explication  immédiate. 

Et  c'est  pourquoi  cette  finalité  immanente,  malgré  toute  l'importance 
et  l'intérêt  énorme  qu'elle  présente,  ne  fait  que  serrer  le  problème  de 
plus  près,  sans  réussir  à  le  résoudre  complètement.  Il  faut  arriver  à 
la  finalité  extrinsèque,  à  celle  qui  se  découvre  dans  l'homme  lançant  une 
flèche  vers  un  but  déterminé,  y  sicut  sagitta  a  sagittaute  »,  comme  dit 
S.  Thomas.  Il  faut  que  tel  être  soit  pour  tel  autre,  ou  soit  adapté  à  tel 
autre  totalement  indépendant  de  lui-même.  Et  si  cet  adaptation  est 
constante,  si  sans  cesse,  par  exemple,  on  voit  surgir  des  êtres  réalisant 
«  illud  quod  est  optimum  »,  c'est  à  dire  correspondant  aux  conditions 
extérieures  de  la  nature,  on  pourra,  sous  certaines  réserves,  conclure  à 
une  finalité  universelle  se  révélant  dans  les  êtres  vivants.  Tel  serait,  par 
exemple,  le  fait  que  la  respiration  animale  est  adaptée  à  la  fonction 
chlorophylienne  des  végétaux. 

Mais  encore  y  aurait-il  des  réserves  à  faire.  Dans  la  détermination  de 
finalités  particulières  les  illusions  sont  faciles.  Woltf  prétend  que  la  nuit 
succède  au  jour  afin  que  nous  dormions,  et  afin  qu'on  puisse  employer 
certaines  méthodes  de  pèche  !  Les  extravagances  des  finalistes  ont 
provoqué  les  plaisanteries,  justifiées  après  tout,  de  leurs  adversaires. 
Voltaire  imagine  que  le  nez  est  fait  pour  les  besicles,  et  Darwin  démon- 
tre que  les  vieilles  filles  remplissent  dans  la  nature  un  rôle  important  : 
elles  concourent,  d'une  manière  plutôt  indirecte,  à  la  fécondation  des 
trèfles!  L'anthropomorphisme  est  toujours  menaçant  dans  les  interpréta- 
tions finalistes  de  phénomènes  biologiques  particuliers  ;  il  faut  une  très 
fine  analyse  pour  s'en  défendre  ;  et  il  en  résulte  qu'il  est  infiniment  plus 
sage,  si  l'on  veut  conclure  avec  une  entière  certitude  à  l'ordre  et  la 
finalité  dans  l'univers,  de  faire  précéder  ses  considérations  de  quel- 
que solide  argument  établissant  la  cause  etliciente  première. Des  exemples 
illustres  doivent  nous  avertir  que  c'est  bien  là  le  procédé  naturel. 

L'Évolution.  —  L'Évolutionnisme  passionne  toujours  les  esprits.  Les 
publications  qui  s'en  occupent  ou  s'en  préoccupent  se  succèdent  sans 
relâche.  Beaucoup  pourraient  sans  aucun  inconvénient  passer  à  côté 
de  la  question,  et  nous  ne  croyons  pas  que  le  bulletin  de  cosmologie 
sera  incomplet  si  nous  ne  signalons  que  quelques  travaux  typiques. 

Avant  tout,  au  point  de  vue  philosophique,  le  dernier  livre  de 
M.  Bergson  force  l'attention.  Rarement,  l'abus  des  métaphores  a  été 
poussé  à  ce  point.  Le  style  en  prend  un  coloris  plus  intense;  mais 
l'éblouissement  est  à  craindre,  et  l'idée  perd  de  sa  précision.  On  a  dit 
que  toutes  ces  images  sont  autant  d'arguments  (1).  C'est  peut-être  le 

1.  G.    RAfiKor.    Renie   philonophijHc,   juillet    1907. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  141 

premier  pas  vers  l'interprélation  cabalistique  du  Maître.  Pour  notre 
part,  nous  ne  parvenons  pas  à  voir  la  valeur  probative  de  ce  dévergon- 
dage poétique  ;  et  nous  persistons  à  croire  qu'un  style  plus  sobre 
serait  un  moyen  de  communication  plus  efficace  avec  des  lecteurs,  qui 
demandent  à  la  métaphysique  autre  chose  que  des  constructions 
scintillantes,  qui  ne  se  discutent  plus  comme  des  systèmes,  mais 
s'apprécient  comme  une  épopée. 

L'information  en  matière  biologique  constitue  aussi  un  côté  discutable 
de  l'ouvrage.  On  sent  l'intermédiaire,  le  collectionneur  de  seconde 
main.  On  s'étonne  surtout  de  la  confiance  illimitée  que  l'auteur 
accorde  aux  déductions  les  plus  aventureuses  des  théoriciens  scien- 
tifiques. 

Mais  sous  un  style  qui  irrite, et  à  côté  de  matériaux  qui  provoquent  la 
méfiance,  il  y  a  une  pensée  profonde.  Évidemment,  ces  nouvelles 
études  se  rattachent  aux  idées  bien  connues  de  M.  Bergson,  et  en  sont 
le  complément  naturel.  Le  «  bergsonnisme  »  n'en  est  pas  devenu  plus 
solide.  Le  principe  de  causalité, forme  delà  raison  raisonnante  à  laquelle 
échappe  le  réel,  reste  toujours  une  contradiction  inadmissible.  Mais 
l'erreur  même  a  permis  au  philosophe  de  mettre  en  lumière  une  face 
trop  négligée  du  problème  fondamental  de  la  causalité.  A  très  juste 
titre,  M.  Bergson  affirme  que  la  raison  raisonnante  est  essentiellement 
statique.  Elle  fixe  les  objets  pour  les  regarder,  et  régit  tout  son  pro- 
cessus par  le  principe  d'identité,  tout  en  révélant  les  attaches  de  ce 
principe  avec  celui  de  la  raison  suffisante  dans  sa  forme  idéale.  C'est 
là  sa  meilleure  garantie.  Elle  lui  permet  le  sortir  d'elle-même  et  de  se  con- 
naître comme  objective.  —  Mais  la  causalité  implique  nécessairement 
le  divers.  Deux  stades  de  l'évolution  cosmique  ne  se  lient  pas  par 
l'identité  comme  deux  notions  rationnellement  distinctes,  comme  sujet 
et  prédicat.  Le  principe  de  causalité  est  en  continuité  avec  celui  de  la 
raison  suffisante,  comme  ce  dernier  se  rattache  à  l'identité  fondamen- 
tale. Mais  il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue  que  la  cause  est  féconde  par 
définition,  qu'il  y  a  du  nouveau,  du  non-réductible.  Si  l'on  reste 
fidèle  à  la  terminologie  traditionnelle,  on  ne  parlera  pas  d'évolution 
«  créatrice  »  ;  mais  on  comprend  ce  que  veut  dire  M.  Bergson,  et  si  on 
l'avait  considéré  davantage,  bien  des  chicanes  faites  aux  tenants  de 
l'évolutionnisme,  auraient  été  impossibles.  Il  y  a  un  jaillissement 
continu  de  réalité  dans  l'univers;  ce  n'est  donc  pas  seulement  à  l'origine 
dune  nouvelle  espèce  naturelle  qu'il  faut  reconnaître  l'intervention  de 
l'Absolu,  comme  par  exception.  Chaque  modification,  chaque  mouve- 
ment, même  le  moindre,  nous  introduit  dans  les  abîmes  féconds  de 
l'Être.  A  la  lumière  de  ces  principes,  on  se  demande  comment  le 
tîxisme  peut  reprocher  au  système  rival  de  ne  pas  admettre  dune 
manière  intermittente,  cette  action  divine,  que  l'évolutionniste  métaphy- 
sicien reconnaît  comme  continue.  Nous  ne  voulons  pas  insister  pour  ne 
pas  empiéter  sur  un  terrain  qui  n'est  point  le  nôtre. 

Nous  ne  pouvons  guère  attacher  d'importance,  à  notre  point  de  vue, 
au  travail  de  M.  l'abbé  Tanguy  sur  VOrdre  naturel  et  Dieu  (1).  L'auteur 

1.  Paris,    Bloud,    1906.   Un   vol.  in-8o   de   XIV -ISG   p. 


142         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

a  senti  le  besoin,  un  peu  surprenant,  de  réfuter  chapitre  par  chapitre 
le  vieux  Krafl  und  Stoff  de  Buchner.  C'est  une  œuvre  de  prédicateur 
et  d'apologiste.  On  y  trouve  un  nombre  considérable  de  citations,  qui 
peuvent  rendre  service  à  ceux  qui  poursuivent  le  même  but  que 
M.  Tanguy.  Mais  il  importe  de  remarquer  que  la  plupart  des  questions 
exigeraient  une  nouvelle  mise  au  point. 

A  un  niveau  supérieur,  nous  trouvons  un  bon  travail  du  professeur 
GiusEPPE  Calderoni  :  Uevoluzione  e  i  suoi  limiti  (1).  L'auteur  étend  ses 
investigations  à  tout  le  domaine  que  les  Allemands  attribuent  à  la 
«  Naturphilosophie  »  ;  et  très  souvent  l'on  rencontre  des  observations 
originales  et  utiles,  qui  sans  aucun  doute  rendront  de  sérieux  servi- 
ces aux  apologistes,  auxquels  le  professeur  Calderoni  parait  destiner 
son  ouvrage.  Nous  croyons  cependant  que  sur  plusieurs  points  les 
théories  qu'examine  et  réfute  l'auteur  ont  un  peu  vieilli  ;  et  les  idées 
actuelles  échappent  souvent  aux  reproches  qu'on  peut  à  bon  droit 
adresser  aux  théories  d'hier. 

Dans  la  deuxième  série  de  ses  Études  biologiques,  le  P.  Martlxez- 
NuNEZ  a  une  bonne  étude  sur  l'hérédité  (2).  Sans  partager  l'avis  final  de 
l'auteur,  nous  nous  faisons  un  devoir  de  rendre  hommage  au  savoir 
solide  et  étendu  de  l'auteur.  Il  est  regrettable  que  les  apologies  scienti- 
fiques n'aient  pas  toujours  cette  valeur. 

Enfin  nous  nous  faisons  une  joie  de  citer,  parmi  les  travaux  d'ensem- 
ble, la  nouvelle  édition  du  superbe  livre  du  P.  Eric  Wasmann  :  Die 
moderne  Biologie  und  die  Entwicldungstheorie.  Haeckel  a  le  don 
d'exaspérer  l'auteur,  qui  finit  par  lui  dire  des  injures  (3).  Nous  le 
regrettons  ;  car  dans  un  travail  aussi  sérieux,  dont  le  but  primordial 
n'est  pas  la  polémique,  un  style  plus  serein  serait  plus  reposant  et 
contribuerait  à  la  dignité  du  livre.  Nous  croyons  d'ailleurs  que  les 
dernières  élucubrations  de  Haeckel  ne  valent  pas  la  peine  qu'on  s'en 
occupe  autrement  qu'au  point  de  vue  de  la  propagande  populaire.  Mais 
ce  n'est  là  après  tout  qu'un  détail.  Le  livre  de  Wasmann  est  une  œuvre 
magistrale,  à  laquelle  on  reviendra  longtemps,  si  l'on  a  la  préoccupation 
du  savoir  solide,  d'une  méthode  de  recherches  rigoureuse,  et  d'une 
synthèse  prudente,  sincère,  réfléchie  (4). 

1.  Rome.  Desclée,  s.  d.,  un  vol.  in-S»  de  VII-368  p. 

2.  La  Herencia,  Hipôtesis  acerca  del  Sueîio,  Optimismo  cientifico.  Ma- 
drid,  1907.  Un  vol.  in-8«  de  XXIV -332  p. 

3.  Le  physicien  Chwolson  ne  se  défend  pas  du  même  langage  dans 
son  excellente  brochure  :  Das  zwôlfte  Gebot.  Elle  n'en  est  pas  moins  dune 
importance  considérable.  L'auteur,  avec  mie  compétence  que  personne  ne 
songe  à  contester,  souhgne  les  invraisemblables  erreurs,  les  affirmations  ar- 
bitraires, le  dogmatisme  ridicule  de  Haeckel;  et  rappelle  à  ce  dernier  le 
«  douzième  commandement  »  (il  y  en  a  déjà  beaucoup  de  «  onzièmes  »)  :  Tu 
n'écriras  pas  sur  un  sujet  que  tu  ignores.  —  Quelcfues  considérations  de  Chwolson 
sur  la  logique  appliquée  sont  discutables;  mais  le  travail  dans  son  ensemble 
est  parfait. 

4.  La  fameuse  discussion  entre  le  P.  Wasmann  et  un  grand  nombre  de 
naturalistes  est  encore  dans  toutes  les  mémoires.  Le  savant  jésuite  a  eu 
l'beiucus^  idée  d'éditer  les  trois  conférences  qui  en  avaient  été  l'occasion, 
ensemMe  avec  un  compte-rendu  détaillé  de  la  discussion  elle-même.  E.  Was- 
mann, S.  J.  Dpt  Kampf  um  das  Entwicklungsprohlem  in  Berlin.  1  vol.  m-8o 
de    XIMG2    pp.    Freiburg,    Herder.)    Les    discours    du    P.     Wasmann    présen- 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  143 

11  ne  sera  pas  sans  utilité  de  passer  en  revue  quelques  détails  concer- 
nant la  question  de  l'évolutionnisme,  à  la  lumière  des  dernières  publi- 
cations. Le  lien  génétique  entre  les  différentes  espèces  est  devenu 
l'opinion  commune.  Le  R.  P.  Martinez-Nunez  et  le  professeur  Calderoni 
sont  à  peu  près  seuls  à  faire  encore  de  l'opposition.  Mais  l'ouvrage  du 
Père  Wasmann,  et  un  excellent  travail,  signé  trop  modestement  des 
initiales  J.  M.,  publié  par  la  Revue  des  Questions  Scientifiques  de 
Bruxelles  (1),  mettent  en  évidence  le  fait  que  certains  arguments  clas- 
siques de  l'évolutionnisme  ont  au  moins  besoin  d'être  remis  au  point. 
La  célèbre  loi  biogénétique  de  Haeckel  surtout  fait  assez  mauvaise 
tigure  devant  une  critique  objective,  dégagée  de  toute  préoccupation 
doctrinale.  Peut-être  l'opposition  menace-t-elle  aussi  de  devenir 
extrême.  Le  Père  Wasmann  semble  bien  admettre  qu'il  y  a  au  moins 
quelque  chose. à  prendre,  en  faveur  de  l'évolutionnisme,  dans  les  formes 
embryonnaires  successives.  Mais  il  paraît  bien  établi  qu'on  avait  donné 
à  ces  faits  une  portée  que  rien  ne  justifie.  Dans  le  développement  indi- 
viduel de  l'homme  notamment,  il  n'y  rien  qui  confirme  la  loi  de 
Haeckel. 

Génération  spontanée.  —  On  connaît  lopposition  radicale  de 
Reixke  dans  la  fameuse  Philososophie  der  Botanik,  contre  toute  géné- 
ration spontanée.  Les  auteurs  qui  l'ont  suivi  dans  cette  voie  se  servent 
généralement  de  ses  recherches  et  reproduisent  ses  énergiques  conclu- 
sions. Mais  on  perd  de  vue  que  les  termes  employés  prêtent  parfois  le 
tlanc  à  la  critique.  H  n'est  pas  exact  de  dire,  par  exemple,  avec  le  Père 
Wasmann,  que  la  doctrine  de  la  création  et  du  Créateur  personnel  est 
«  un  postulat  de  la  science  biologique  »  (2).  La  biologie,  dans  son  con- 
cept actuel,  n'a  d'autre  postulat  que  son  objet  lui-même  :  la  vie.  Elle 
peut,  et  à  notre  sens,  elle  doit  se  désintéresser  de  cette  spéculation 
philosophique  ;  la  «  philosophie  de  la  nature  »  doit  bien  servir  à 
quelque  chose.  Le  Père  Wasmann  lui-même  paraît  avoir  des  idées 
exactes  à  ce  sujet  (3)  ;  mais  ce  «  postulat  scientifique  »  du  créateur  per- 
sonnel revient  à  plusieurs  reprises  sous  sa  plume,  et  pourrait  donner 
occasion  à  des  malentendus. 

Reinke  emploie  d'ailleurs  des  expressions  auxquelles  personne  ne 
peut  souscrire.    Il  estime  la  génération  spontanée  aussi  impossible   que 

tent  un  intérêt  considérable  :  ils  précisent  quelcfues  points  que  son  livre 
laisse  un  peu  dans  l'ombre;  et  peuvent  atteindre  un  public  que  ses  écrits 
plus  spéciaux  devaient  rebuter.  —  ]\Iais  le  travail  est  important  à  un  autre 
point  de  vue  :  il  constitue  une  page  d'bistoire  et  une  page  de  psychologie. 
Nous  avons  là  des  exemples  d'invraisemblable  intolérance,  de  la  part  de 
savants  qm  considèrent  comme  leur  premier  devoir  le  respect  de  toutes 
les  opinions  sincères.  En  outre,  à  chaque  pas  on  se  heurte  à  des  méprises 
incroyables,  aux  conflits  les  plus  flagrants  avec  les  lois  fondamentales  de  la 
logique  scientificpie,  aux  affirmations  les  plus  naïves,  —  et  cela  de  la 
part  d'hommes  intelligents,  de  la  plus  haute  culture,  mais  parlant  de  pro- 
blèmes, hélas!  qu'ils  ignorent  totalement.  Quel  dommage  qu'on  n'ait  pas 
affiché  dans  la  salle  le  douzième  commandement  de  Chwolson! 

1.  Ontogenèse  et  Phyîogénèse  par  J.  M.  S.  J.  Bévue  des  Ou.  Scientif., 
]anv.    et   Avril    1907.  .       -^  i  , 

2.  Wasmann.  Op.  cit.,  p.  210  et  .308. 

3.  Cfr.  Oj).  cit.,  p.  27.5. 


1-44         REVUE    DES   SCIEN'CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

la  construction  du  triangle  au  moyen  de  deux  droites.  Il  y  a  cependant 
une  différence,  croyons-nous,  entre  la  nécessité  métaphysique  et  une 
certitude  de  fait,  surtout  lorsqu'il  s'agit  d'une  thèse  négative.  Nous 
sommes  certains  qu'aucun  fait  constaté  n'est  venu  donner  Tombre  d'une 
vraisemblance  à  la  théorie  de  la  génération  spontanée  ;  c'est-à-dire,  au 
fond,  que  jusqu'ici  nous  n'avons  découvert  dans  la  matière  brute  aucune 
force,  aucune  propriété,  dont  leCréateur se seraitservi,  comme  d'une  cause 
seconde,  pour  faire  jaillir  de  la  matière  le  premier  être  organisé.  Mais 
cette  découverte  est-elle  impossible  ?  Rien  ne  permet  de  l'aflirmer.  Si  on 
la  fait  jamais,  on  n'aura  pas  plus  de  motif  d'éliminer  le  Créateur  ou 
«  l'ordinateur  »  de  l'univers  qu'on  ne  peut  s'en  passer  philosophi- 
quement à  un  stade  quelconque  de  l'évolution  universelle  ;  et  malgré  la 
découverte,  on  ne  construira  pas  de  triangles  au  moyen  de  deux 
droites. 

De  fait,  la  question  n'en  est  plus  précisément  au  point  où  lavait  lais- 
sée le  génie  de  Pasteur.  Elle  est  entrée  de  nouveau  dans  la  phase  expé- 
rimentale ;  et  les  recherches  partent  d'un  point  de  vue  qui  n"a  rien 
de  commun  avec  celui  des  anciens,  ni  même  avec  les  observations 
défectueuses  de  Pouchet.  Jusqu'ici  elles  n'ont  rien  donné,  au  moins 
pour  le  débat  philosophique  qui  nous  occupe.  Il  sérail  naïf  de  croire 
que  les  recherches  sur  les  ferments  solubles,  sur  le  platine  colloïdal, 
sur  la  naissance  des  cristaux  (plasmologie),  ou  les  travaux  de  Stéphane 
Leduc,  de  Burke,  de  Bastian  aient  tranché  la  question  (1).  Mais  il  n'est 
pas  impossible  que  quelques-uns  des  faits  mis  en  lumière  jettent  un 
jour  nouveau  sur  certaines  manifestations  particulières  de  la  vie  végé- 
tative ;  et  il  n'est  pas  inutile  de  les  suivre  avec  attention. 

Polyphylogénèse.  —  Le  nom  est  bien  vilain,  mais  la  doctrine  qu'il 
désigne  a  bien  des  vraisemblances  en  sa  faveur.  Sur  la  question  de 
savoir  si  tous  les  êtres  vivants,  animaux  et  végétaux,  dérivent  d'une 
souche  commune,  M.  Bergson,  métaphysicien  du  vingtième  siècle, 
paraît  avoir  toute  la  naïve  prétention  d'un  scolastique  de  la  décadence. 
A  priori,  par  un  invraisemblable  paralogisme,  il  conclut  avec  une  assu- 
rance qui  exclut  tout  doute,  que  la  cellule  animale  et  la  cellule  végétale 
dérivent  d'une  forme  unique  !  (2)  Les  biologistes  n'ont  pas  cette  solide 
confiance,  qui  étonne  chez  un  philosophe  aussi  avisé.  Les  recherches 
paléontologiques  ne  révèlent  aucune  convergence  qui  puisse  justifier 
cette  conclusion  :  et  les  théoriciens  qui  ne  substituent  pas  des  spécu- 
lations arbitraires  aux  faits  constatés,  ont  une  tendance  croissante  à 
admettre  des  souches  multiples  comme  «  données  ».  Wasmann,  l'auteur 
anonyme  de  la  Bévue  des  Questions  Scientifiques,  ainsi  que  le 
D'^  Gemelli(3)  sont  de  cet  avis.  La  question  théorique  de  la  souche  unique 
reste  ouverte  ;  mais  nous  n'avons  pas  plus  de  raison  de  la  trancher  par 
l'aifirmative  que  celle  de  la  génération  spontanée. 

1.  II  est  étounant  que  le  professeur  Calderoni  ne  s'occupe  pas  de  ces  travaux. 
Les  conclusions  qu'on  en  déduit  peuvent  inquiéter  les  lecteurs  auxquels 
il  s'adresse. 

2.  Op.  cit..  122-123. 

3.  Prof.  Agostino  Dr  Gemelli.  Fer  l'evoluzione,  dans  la  Rivista  di 
Fisica,  Mat.     et    Scienze    Nat.,    nov.    1906. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  145 

Les  facteurs  de  l'évolution.  —  Assistons-nous  à  «  l'agonie  du  Darwi- 
nisme »  ?  La  formule  a  été  employée  en  Allemagne  et  paraît  faire 
fortune  ailleurs  (1).  Les  Anglais  ne  veulent  pas  admettre  que  toute  la 
synthèse  de  leur  illustre  compatriote  soit  perdue  (2).  Des  Allemands, 
préoccupés  peut-être  de  la  gloire  de  Weismann,  leur  prêtent  d'ailleurs 
un  concours  dévoué  (3).  Mais  il  faut  constater  que  la  foi  dans  la  sélection 
naturelle,  comme  principe  des  espèces  vivantes,  diminue  tous  les  jours. 
L'orthogenèse  de  Eimer,  et  surtout  les  travaux  de  De  Vries  occupent 
tous  les  esprits,  et  font  perdre  du  terrain,  d'une  manière  progressive,  au 
darwinisme  orthodoxe. 

11  serait  bien  difficile,  en  efTet,  de  défendre  encore  l'idée  flottante 
que  Darwin  se  faisait  de  l'espèce  (4).  La  variabilité  des  formes  vivantes 
paraît  enfermée  dans  des  limites  assez  restreintes.  Les  lois  de  Mendel, 
si  longtemps  oubliées,  se  sont  tout  à  coup  révélées  judicieuses  et 
.fécondes  ;  et  il  a  bien  fallu  recourir  aux  •<  mutations  »  de  De  Vries,  aux 
«  saltations  »  des  Anglais,  pour  comprendre  encore  quelque  chose  aux 
liens  génétiques  des  espèces. 

L'image  que  nous  devons  nous  faire  en  ce  moment  de  la  succession 
des  formes  vivantes  dans  le  temps  est  assez  complexe.  Il  y  a  des 
espèces  naturelles,  distinctes  des  espèces  syslémaliques,  et  leurs  limites 
peuvent  se  déterminer  expérimentalement  (o).  Les  «  variations  »  ne 
peuvent  jamais  dépasser  leurs  limites.  Mais  des  causes  qui  échappent 
totalement  à  nos  investigations  provoquent  tout  à  coup  l'instabilité 
interne  de  l'espèce  ;  des  formes  nouvelles,  sensiblement  différentes  des 
premières,  se  révèlent  avec  tous  les  caractères  des  espèces  naturelles 
proprement  dites.  L'évolution  est  donc  «  discontinue  »  ;  elle  s'ac- 
complit par  sauts  brusques.  La  constatation  soulève  des  problèmes 
redoutables  ;  mais  nous  n'avons  qu'à  nous  incliner  devant  les  faits. 

Il  serait  illusoire  cependant  de  prendre  ces  doctrines  pour  des  vues 
définitives.  Reinke  (6)  paraît  avoir  établi  que  les  mutations  elles-mêmes 
n'ont  qu'une  portée  très  restreinte.  Darwin  les  connaissait,  mais  ne 
leur  a  attribué  aucune  signification,  parce  qu'à  son  avis,  les  formes 
nouvelles  sont  destinées  à  s'eftacer  rapidement.  On  a  fait  observer 
d'autre  part,  et  non  sans  raison,  que  l'être  vivant  est  une  unité  où  tout 
se  tient.  Le  changement  d'une  partie  entraîne  celui  d'une  foule  d'autres; 
et  il  faudrait  observer,  pour  que  la  mutation  puisse  être  considérée 
comme  le  facteur  essentiel  du  processus  évolutif,  le  changement  syn- 
chronique  et  brusque  d'une  foule  d'organes.  Ce  fait  indispensable, 
l'observation  ne  l'a  pas  établi. 

Les    controverses    poursuivent   leur  cours,   et  rien  ne  permet  d'en 

1.  Cfr.  Dietsche  Warande  en  Belfort,   1907  no  8-9. 

2.  Cfr.  Lettre  de  W.  Thiselton-Deyer  dans  le  Lit.  siipp.  du  Times,  13 
sept.  1907. 

3.  Cfr.  p.  exempt,  l'art,  de  Ziegler  dans  la  Riv.  di  Scicnza  I. 

4.  Cfr.  l'excellent  travail  de  F.  Raffaele  :  Il  concetto  di  specie  in  biologia. 
—   Eiv.   di   Scienza,    I  et    II. 

5.  Cfr.  Blaringhem  :  Notion  d'espèce  et  mutation;  dans  L'année  psycho- 
logique, Douzième  année.  —  Lock  :  Récent  progress  in  thé  study  of  variation, 
heredity    and    évolution. 

6.  Reinke  :  Einleitung  in  die  theoretische  Biologie. 

2^  Année. —  Revue  des  Sciences.  —  No  i,  lo 


146         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

prévoir  l'issue.  Un  point  paraît  acquis,  c'est  que  la  sélection  naturelle, 
c'est-à-dire  l'utilité,  nous  laisse  dans  l'embarras  devant  une  foule  de 
faits  avérés,  lorsqu'on  part  de  l'iiypollièse  d'une  variation  continue. 
Ramon  y  Cajal  rappelait  tout  récemment  un  cas  frappant  (1).  Si  l'on 
passe  par  variations  lentes  de  la  vision  «  panoramique  »  des  batraciens, 
reptiles  et  oiseaux  à  la  vision  binoculaire  de  l'homme  et  du  singe,  on 
doit  passer  par  un  état  qui  entraîne  fatalement  une  diplopie.  Expli- 
quera-t-on  celte  imperfection  manifeste  par  son  utilité  ? 

D'autre  part,  la  variation  «  discontinue  »  est  mystérieuse,  et  affirmée 
comme  fait  général,  éminemment  discutable.  Le  Père  Wasmann  trouve 
quaucun  système  ne  paraît  s'appliquer  à  tous  les  cas,  et  que  tous  con- 
tiennent probablement  une  part  de  vérité. 

Il  nous  semble  qu'une  vue  synthétique  n'est  pas  impossible.  La 
mutation  pourrait  bien  n'être  que  la  conséquence  de  la  variation  con- 
tinue. L'animal  ou  la  plante  est  un  tout,  oîi  toutes  les  parties  sont  soli- 
daires. Imaginons  que,  par  une  tendance  interne,  l'être  vivant  modifie 
sa  forme;  tous  les  organes  seront  constamment  en  équilibre.Mais  il  n'est 
peut-être  pas  impossible  de  supposer  que  l'un  ou  l'autre  caractère  reste 
en  retard.  Un  état  d'équilibre  instable,  peut-être  un  état  de  tension  en 
résultera  ;  le  moindre  déclic  suffira  pour  que  brusquement  le  caractère 
se  mette  au  pas  des  autres  dans  une  nouvelle  génération  (2).  De  cette 
manière  la  variation  continue  serait  la  règle,  la  mutation  au  contraire 
l'exception.  On  comprendrait  la  rareté  des  cas  décrits  jusqu'ici  ;  et 
l'objection  tirée  de  l'équilibre  des  organes  tomberait  d'elle-même. 
L'image  que  l'on  se  ferait  du  monde  vivant  serait  au  moins  plus  synthé- 
tique, ce  qui,  dans  le  conflit  des  systèmes,  est  déjà  un  avantage. 

Rien  ne  nous  empêcherait  d'ailleurs  d'attribuer  un  rôle  considérable, 
bien  qu'un  rôle  négatif,  à  la  sélection  naturelle  qui,  à  certains  égards, 
n'est  pas  une  hypothèse,  mais  un  fait  Si  l'on  admet  les  espèces  natu- 
relles, leur  notion  est  double.  Il  faut  d'abord  les  considérer  comme  un 
ensemble  de  caractères  positifs,  qui,  d'une  manière  plus  ou  moins 
flottante, se  retrouvent  chez  tous  les  individus  de  l'espèce.  Mais, en  outre, 
la  plupart  des  espèces  sont  nettement  limitées.  Entre  chacune  d'elles  et 
l'espèce  voisine,  il  y  a  une  distance  sensible  ;  il  y  a  là  comme  une 
solution  de  continuité  dans  le  système  du  monde.  Il  est  fort  naturel  de 
croire  que  la  sélection  naturelle  l'a  produite.  Il  est  manifeste  qu'à 
certains  points  de  vue  les  formes  intermédiaires  se  trouvent  dans  un 
état  d'infériorité  dans  la  lutte  pour  l'existence  et  qu'elles  tendront  dès 
lors  à  s'éliminer. 

Reconnaissons  cependant  que  tout  est  hypothèse  sur  ce  domaine, 
et  qu'il  y  a  devant  nous  une  possibilité  de  recherches  infinie. 

Fribourg  (Suisse),  octobre  1907.  P.  M.  P.  de  Mlnnynck,  0.  P., 

professeur  à  l'Université. 

1.  Ramon  y  Cajal.  Préface  à  la  deuxième  série  des  études  biologiques 
du   P.   Martinez-Nunez. 

2.  Nous  exprimons  cette  hypothèse  en  termes  «  mécaniques  »;  dans  le 
but  d'obtenir  plus  de  clarté.  La  transposition  n'est  pas  impossible. 


Bulletin     de     Théologie      Biblique 


ANCIEN   TESTAMENT. 


I.  —  Ouvrages  Généraux. 

LE  petit  livre  que  le  Dr.  Max  Lôhr,  de  Breslau,  a  publié  dans  le 
Sammlung  Ginchen  sous  ce  titre  :  Altteslamentliclie  Religions- 
geschichte  (1),  n'est  déjà  plus  tout  à  fait  une  nouveauté.  Je  tiens  cepen- 
dant à  le  signaler  à  cause  de  son  ré'el  mérite.  Ceux  qui  désireraient 
prendre  une  connaissance  rapide  et  pourtant  précise  de  l'histoire  de  la 
religion  israélile  et  juive,  telle  que  la  conçoit  présentement  l'école  de 
Wellhausen,  n'ont  qu'à  lire  cet  Abrégé.  Je  n'en  détaillerai  pas  le  contenu 
ni  même  n'en  préciserai  les  idées  directrices.  Je  ne  pourrais  que 
répéter  ce  qui  a  été  dit  ici  même  l'an  dernier  à  propos  de  l'esquisse 
semblable  de  M.  Marti.  {R.  d.  Se.  Ph.  et  Th.  1, 1,  pp.  132  et  ss.). 

Écrivant  pour  le  grand  public,  M.  Lôhr  s'est  senti  pressé  de  s'expli- 
quer, avec  le  plus  de  netteté  possible,  sur  le  caractère  propre  de  la 
religion  de  l'A.  T.  Nos  lecteurs  prendront  sans  doute  un  intérêt  spécial 
aux  déclarations  suivantes  : 

«  Nous  voyons  dans  la  religion  de  1'  A.  T.  les  premiers  degrés  de  la 
révélation  de  Dieu  dans  le  Christ  Jésus.  Depuis  l'époque  la  plus 
ancienne  dont  parle  l'A.  T.  s'accomplit,  selon  notre  manière  d'envisager 
les  choses,  une  communication  personnelle  et  continue  de  Dieu  à  des 
personnalités  choisies,  communication  dont  le  contenu  de  plus  en  plus 
élevé  est  en  rapport  avec  la  capacité  croissante  de  recevoir  de  ces  élus. 

Cette  révélation  n'est  pas  à  concevoir,  dans  le  concret,  comme  un 
phénomène  magique,  miraculeux.  Son  développement  ne  se  produit 
pas  non  plus  uniformément  en  ligne  droite.  Cependant  l'histoire  de  la 
religion  de  l'A.  T.  présente  une  évolution  spirituelle  dont  j'oserai  dire, 
risquant  le  mot  fatal,  qu'elle  est  en  dehors  des  lois  communes 
{icunderbare),  et  qu'elle  impose  de  faire  appel,  comme  explication,  à 
l'hypothèse  d'une  action  providentielle. 

On  n'est  point  parvenu  à  «  expliquer  »  la  personnalité  de  Moïse.  Il  a 
fallu  qualifier  d'  «  énigme  »  le  fait  que  le  jeune  peuple  israélite,  se 
trouvant  soumis  à  l'influence  de  la  civilisation  cananéenne,  ait  main- 
tenu avec  succès  son  originalité  religieuse.  L'entrée  en  scène  répétée 
de  personnalités  prophétiques,  du  VllI^  au  'VP  siècle,  a  dû  être  signalée 
comme  un  fait  «  unique  »  dans  l'histoire  du  monde. 

Ces  données  et  d'autres  de  la  religion  de  l'A.  T.  perdent  pour  nous 
leur  caractère  d'énigmes  dès  que  nous  nous  décidons  à  y  voir  une 
action    de  Dieu  dans  l'histoire,    et  dans   les  idées   que    ces    hommes 

1.  Petit   iii-16   de   147   p.,  Leipzig,   Goscheii,   1906. 


148         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

représentent  des  révélations,  ayant  pour  but  une  éducation  divine  de 
Thumanité. 

La  principale  difficulté  à  cette  manière  de  voir  git  dans  les  commen- 
cements de  cette  évolution  religieuse. 

Nous  montrerons  que  ces  commencements  portent  le  caractère  d'une 
religion  de  la  nature  et,  à  cet  égard,  ne  diffèrent  en  rien  des  religions 
des  peuples  païens. 

Mais  il  convient  de  signaler,  en  retour,  que  TA.  T.  lui-même  a 
conscience  de  la  différence  qui  existe  entre  la  forme  initiale  et  la 
forme  mosaïque  de  la  religion.  Il  fait  commencer  avec  Moïse  une 
époque  de  révélation  plus  haute,  2  Moïse,  6,  3...,  De  plus,  même  dans 
une  religion  de  la  nature,  Ion  trouve  comme  le  pressentiment  de  l'être 
divin,  à  savoir  de  son  énergie  éternelle  et  de  sa  divinité,  cfr.  Rom.  I. 
20.,  et,  particulièrement  dans  le  culte  des  morts,  apparaît  clairement 
une  orientation  vers  le  point  de  vue  moral. 

En  Israël,  par  opposition  à  tous  les  autres  peuples  de  l'antiquité,  s'est 
effectuée,  à  partir  de  ces  données  initiales  communes,  une  évolution 
unique.  L'A.  T.  rapporte  ce  résultat  à  la  révélation  que  Dieu  a  commu- 
niquée à  ses  envoyés.  Nous-même  nous  n'avons  pas  là-dessus  d'autre 
conception...  »  p.  8  et  ss. 

2.  —   Monographies. 

A.  Période  Ancienne.  —  Depuis  plusieurs  années,  M.  CheYiNE 
travaillait  à  un  commentaire  de  la  Genèse  destiné  à  Vlnternalional 
Critkal  Commentari/.  Mais  quand,  l'an  dernier,  il  remit  son  travail  aux 
directeurs  de  cette  collection,  M.M.  Driver  et  Briggs,  ceux-ci  consta- 
tèrent, sans  beaucoup  d'étonnement  peut-être,  qu'il  s'écartait  par  trop 
du  programme  qu'ils  avaient  entrepris  de  réaliser.  Ils  invitèrent  donc 
M.  Cheyne  à  faire  de  son  élude  l'objet  d'une  publication  indépendante. 
Telle  est,  d'après  l'auteur  lui-même,  l'origine  du  livre  qu'il  vient  de 
publier  à  Londres  cliez  Black  :  Traditions  and  Beliefs  of  ancient 
Israël  (1),  et  qui  est  une  série  de  dissertations  critiques  et  exégétiques 
sur  les  sections  importantes  de  la  Genèse  et  des  premiers  chapitres  de 
l'Exode 

Les  idées  de  M.  Cheyne  nous  étaient  déjà  connues  par  ses  articles  de 
YEncyclopaedia  Biblica  (1902-1903),  par  les  cinq  fascicules  parus  dans 
sa  Crilica  Biblica  (1903-1904),  par  son  Book  of  ihe  Psalms  (1904). 
Cependant  il  ne  les  avait  pas  encore  appliquées,  d'une  manière  aussi 
étendue,  à  l'explication  des  textes  relatifs  à  l'histoire  primitive  d'Israël. 
L'éminent  professeur  d'Oxford  marche  dans  une  voie  qu'il  a  lui-même 
ouverte  et  jusqu'ici  il  y  marche  seul.  Il  représente  à  lui  tout  seul  un 
système.  Ce  n'est  ni  l'évolutionnisme  classique  de  Wellhausen  ni  le 
Panbabylonisme  de  Winckler  :  c'est  le  Pan-Jérahméélitisme.  Pardon  du 
mot  1  Voici  ce  dont  il  s'agit.  M.  Winckler,  il  y  a  quelques  années,  crut 
découvrir  que  certains  textes  assyriens  supposaient  l'existence,  non 
seulement  dans  le  nord  de  la  Syrie,  mais  au  Sud  de  la  Palestine,  d'un 

1.  In-8o   de   XX-591   p.,   Londres   A.   et   C   Black,    1907. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  149 

royaume  de  Musri  distinct  de  l'Egypte  (Misraïm).  Sur  la  carte  qu'il 
inséra  en  1903  dans  Tédition  refondue  par  Zimmern  et  lui-même  de 
l'ouvrage  de  Schrader  :  Die  Keilinschriflen  und  das  Alte  Testament,  ce 
mot  de  Musri  et  les  formes  apparentées  barrent  de  leurs  letlres  rouges 
le  Négeb,  un  peu  au-dessus  du  Djebel  el-Maclira  et  de  Pétra  (1). 
M.  Cheyne  a  adopté  ces  vues  et  il  a  fait  de  Musri  l'un  des  mots  magiques 
à  l'aide  desquels  il  se  flatte  d'arracher  enfin  à  la  Bible  son  secret.  Il  en 
a  un  second  et  c'est  Jérahméel.  Jérahméel  se  lit  en  plusieurs  endroits  du 
texte  actuel  de  la  Bible,  i.  Sam.  xxvii,  10;  xxx,  29,  ;  I  Chr.  ii,  9,  25, 
26,  et  ss.  ;  xxxiii,  42,  comme  désignation  d'un  clan  du  Négeb  issu  de 
Juda  et  apparenté  à  Caleb.  Armé  de  ces  deux  petits  mots  et  spéciale- 
ment du  second,  M.  Cheyne  procède  à  une  révision  substantielle  du 
texte  traditionnel  de  l'A.  T.  Dans  cette  révision  il  observe  deux  règles 
tout  à  fait  appropriées  que  VFxpository  Times  (2)  formule  en  ces  termes 
humoristiques  :  1°  Lorsqu'un  mot  ressemble  à  un  autre,  c'est  évidem- 
ment cet  autre  déguisé  ;  2°  S'il  ne  lui  ressemble  pas,  c'est  cet  autre 
tout  de-même.  Le  résultat  immédiat  de  cette  audacieuse  critique  c'est 
que,  dans  le  texte  révisé  de  M.  Cheyne,  le  mot  Jérahméel  figure  à  toutes 
les  pages. 

Mais  ce  n'est  là  qu'un  premier  pas.  Ces  opérations  critiques  ont  pour 
conséquence  ultérieure  un  bouleversement  total  de  l'ethnographie, 
delà  géographie  et  de  l'histoire  d'Israël.  De  son  ethnographie  :  Jérah- 
méel apparaît  à  M.  Cheyne  comme  un  grand  peuple  dominant  sur 
presque  toute  la  péninsule  sinaïtique,avec  l'Horebpour  centre,  et  Israël 
comme  un  clan  récent  et  peu  considérable  de  Jérahméélites.  De  sa 
géographie  :  Israël,  dans  son  ensemble,  a  pour  patrie  le  Négeb.  La 
Palestine  des  Israélites,  c'est  tout  bonnement  le  Négeb.  De  son  histoire: 
elle  n'a  pas  d'autre  théâtre  que  le  Négeb  et  le  Négeb  lui  suffit.  Dans  le 
Négeb,  en  effet,  se  trouvaient  réunis  tous  les  peuples  ou  royaumes  avec 
lesquels  la  Bible  met  Israël  en  relations.  Là  étaient  :  Ismael,  Aram, 
Amalec  ;  Musri,  Aschur,  Jérahméel  ;  la  Babylonie,  l'Assyrie,  l'Élam  ; 
les  Philistins,  les  Phéniciens  et  Gog  lui-même.  Jamais  pays  ne  fut  aussi 
peuplé.  Aussi  M.  Cheyne  a-t-il  grand  soin  de  nous  dire  que  le  Négeb  de 
jadis  était  mieux  cultivé  et  partant  plus  fertile  que  celui  que  nous 
connaissons  Israël  était  si  bien  enfermé  dans  ce  malheureux  Négeb 
que  ni  l'exode  ni  l'exil  ne  réussirent  à  l'en  faire  sortir. 

Ce  simple  rappel  des  vues  générales  de  M.  Cheyne  a  paru  indispen- 
sable et  suffira  sans  doute  comme  introduction  à  l'exposé  de  la  théorie 
qil'il  propose  touchant  l'origine  et  le  développement  de  la  religion 
Israélite.  Celte  théorie  est  l'élément  intéressant  du  livre  que  nous 
étudions.  Elle  peut  se  résumer  ainsi  :  L'origine  de  la  religion  d'Israël 
est  à  chercher  dans  la  religion  de  Jérahméel.  La  religion  d'Israël  a 
pris  sa  physionomie  propre  et  s'est  développée  par  voie  de  différenciation 
et  d'opposition  vis-à-vis  de  la  religion  plus  ancienne  des  Jérahméélites. 
L'influence  des  autres  systèmes  religieux  de  l'Orient,  égyptien,  perse 
et  même  cananéen  et  babylonien  a  été  relativement  peu  importante. 

1.  Sur  Musri  et  Misraïm,  cf.  Lagrange,  Revue  Biblique-,  1902,  p.  256  et  sv. 

2.  Dec.    1907,    p.    104. 


150         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

Les  Jérahméélites-Israélites  adoraient  anciennement  une  triade 
divine  :  Aschhur  ou  Achtar,  Jérahméel  on  Jarham  et  Jahvé  ou,  plus 
communément  peut-être,  une  simple  dyade  :  .léraliméel-.Iahvé.  Aschhur 
était  le  Dieu  spécial  du  district  Jérahméélite  d'Aschur.  Peut-être  à 
l'origine  était-il  un  esprit  ou  génie  des  arbres.  Dans  la  suite  il  eut 
comme  symboles  les  acherim  ou  pieux  sacrés.  Il  porte  encore  le  nom 
d' Achtar. 

Aschhur-Achtar  n'est  le  plus  souvent  qu'un  double  de  Jérahméel 
le  dieu  ethnique  et  principal  des  anciens  Jérahméélites.  Cette  divinité 
se  présente  avec  des  attributs  nombreux.  11  y  a  lieu  de  distinguer 
en  Jérahméel  le  dieu  d'un  peuple  nomade  et  le  dieu  d'un  peuple 
sédentaire  et  cultivateur.  En  la  première  qualité  il  revêt  les 
aspects  suivants  :  1°  dieu  des  montagnes  (avec  référence  spéciale  au 
Sinaï)  ;  2°  dieu  de  la  tempête  et  du  feu  ;  3°  dieu  des  pierres  sacrées  et 
des  rochers  en  général  ;  4°  dieu  des  sacrifices  simples  et  des  sanctuaires 
primitifs.  En  la  seconde  qualité,  il  apparaît  comme  dieu  de  la  végéta- 
tion, dieu  bienveillant  et  tulélaire,  créateur  et  sage,  guérisseur,  etc. 

Jahvé,  d'abord  simple  compagnon  de  Jérahméel  dans  la  dyade  divine, 
devint  le  dieu  principal  d'un  clan  récent  de  Jérahméélites,  les  Israélites. 
La  tribu  sacerdotale  de  Lévi  et  spécialement  le  clan  de  Mocheh  (^Moyse) 
joua  un  rôle  important  dans  cette  évolution.  Les  prophètes,  ceux  du 
VHP  siècle  et  suivants  surtout,  firent  du  triomphe  de  Jahvé  leur  objec- 
tif principal.  Jahvé  —  dont  le  nom  dérive  de  Jérahméel  —  reçut  la 
plupart  des  attributs  de  la  divinité  qu'il  remplaçait,  mais  un  élément 
nouveau  et  caractéristique  leur  fut  adjoint,  l'élément  moral. 

Cependant  il  s'en  fallut  de  beaucoup  que  Jérahméel  disparût  des 
préoccupations  religieuses  d'Israël.  Il  subsiste  comme  divinité  concur- 
rente et  c'est  lui  qui  attire  les  Israélites  et  les  provoque  à  l'apostasie 
sous  les  noms  de  Baal,  de  Molech.  Il  subsiste  dans  le  Jahvéisme 
lui-même,  en  qualité  de  divinité  déposée  et  à  ce  prix  devenue  orthodoxe, 
dans  le  Mal'ak  Jahvé,  en  Michel,   dans  le  Fils  de  l'homme,  etc. 

Nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  que  de  dieux.  Capendant  il  n'est  pas 
douteux  que  la  divinité  primitive  des  Sémites  n'ait  été  une  déesse-mère, 
une  Astart.  Tout  porte  à  croire  qu'a  l'origine  les  Jérahméélites  adoraient 
une  Astart  à  côté  ou  même  au-dessus  de  Jérahméel.  La  ruah  'Elohim 
{Gen.  I,  2)  suggère  positivement  une  Jarhith,  forme  abrégée  de  Jérah- 
méélith,  la  divine  parèdre  de  Jéraliméel.  Cette  déesse  s'est  maintenue 
jusque  dans  le  Jahvéisme  ancien.  C'est  elle  qui  figure  comme  parèdre 
de  Jahvé  dans  la  formule  Jahvé  Sebaoth.  Sebaoth  =  Chema^ith  = 
Achtart. 

Je  ne  puis  songer  à  pousser  plus  loin  cette  analyse,  malgré  que  le 
livre  de  M.  Cheyne  contienne  beaucoup  d'autres  clioses  encore.  Ce  qui 
vient  d'être  dit  sulfit  sans  doute  à  donner  quelque  idée  de  son  système. 
Dans  un  article  publié  par  V Amprican  Journal  of  llieologij  sous  ce  titre: 
Israël  or  Jérahméel,  (1)  M.  H.  P.  Smhh  nous  avoue  la  stupeur  dont  il 
fut  saisi  lorsqu'il  aborda  l'étude  de  la  théorie  de  M.  Cheyne.  Il  fut 
longtemps  à  se   demander    s'il    ne  se  trouvait  pas  en  présence  d'une 


1.  Octobre    1907. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  loi 

colossale  mystificalion.  La  brochure  de  AVuately  :  Historic  Doubls 
relative  io  IS'apoleon  Buonaparte  lui  revint  en  mémoire.  Celte  fois  en- 
core ne  s'agissait-il  pas  d'une  réfutation  par  l'absurde  des  témérités  de  la 
critique.  Il  lui  fallut  bien  se  convaincre  qu'il  n'en  était  rien  et  il  écrit  cette 
phrase  cruelle  qui  est  à  elle  seule  une  réfutation:  «  To  do  aulhov  justice, 
he  nowhere  betrays  ihe  slightest  sensé  of  humour.  »  Avec  moins  d'hu- 
mour et  plus  de  réelle  justice  j'appliquerai  à  M,  Chejne  le  jugement 
qu'il  porte  lui-même,  dans  l'Introduction,  sur  M.  Edouard  Meyer  : 
«  M.  peut  bien  être  un  critique  de  l'A.  T.  très  désappointant.  Cependant, 
étant  donné  l'étendue  de  son  savoir,  il  est  inévitable  qu'il  apporte  parfois 
des  contributions,  directes  ou  indirectes,  à  son  étude,  soit  d'une  manière, 
soit  d'une  autre.  » 

C'est  avec  un  vif  sentiment  de  soulagement  que  l'on  passe  du  livre  de 
M.  Cheyne,  puissant  à  coup  sur  mais  dans  le  paradoxe,  à  l'étude  oîi 
M.  Adolphe  Lods,  maintenant  professeur  en  Sorbonne,  a  traité  cet  impor- 
tant sujet  :  La  croyance  à  la  vie  future  et  le  culte  des  morts  dans  lanti- 
quité  Israélite  (1).  La  méthode  en  est  infiniment  plus  acceptable  et  si 
plusieurs  des  conclusions  essentielles  ne  le  sont  pas^  une  application 
plus  rigoureuse  encore  des  procédés  suivis  par  l'auteur  suffit  à  faire  voir 
pourquoi  et  dans  quel  sens  elles  doivent  être  corrigées.  Par  sa  seconde 
et  sa  troisième  parties  surtout,  le  travail  de  M.  Lods  nous  maintient  en 
face  du  problème,  sinon  des  origines  mêmes,  du  moins  des  formes 
primitives  de  la  religion  Israélite. 

Dans  la  première  partie  de  son  livre,  M.  Lods,  après  avoir  rappelé  la 
suggestive  histoire  des  discussions  relatives  au  sujet  qu'il  étudie, 
aborde  :  La  notion  de  l'dme  dans  Vancien  Israël.  Les  Hébreux 
croyaient,  depuis  toujours,  à  l'existence  dans  l'homme  d'un  double.  Ce 
double  était  conçu  comme  animant  le  corps.  On  pensait  qu'il  lui  était 
possible  d'émigrer  hors  du  corps  ad  tempus  et  l'on  n'avait  aucun  doute 
qu'il  ne  survécût  au  corps.  A  ce  double,  les  anciens  Israélites  donnaient 
habituellement  le  nom  de  nephech,  plus  rarement  celui  de  ruah.  Le 
nephechelle  ruah  n'étaient  point  conçus  comme  deux  principes  distincts. 
L'anthropologie  hébraïque,  si  l'on  peut  employer  un  terme  aussi  savant, 
était  dichotomique.  Le  double  était  identifié  concrètement  avec  le 
souffle  (halitus).  A  une  époque  plus  récente,  probablement  à  partir  de 
la  captivité,  les  Israélites  semblent  avoir  conçu  le  souffle  vital  comme 
quelque  chose  d'impersonnel,  communiqué  par  Dieu  dans  la  création 
et  qu'il  retire  et  rappelle  à  lui  au  moment  de  la  mort.  Logiquement, 
cette  idée  aurait  dii  entraîner  la  négation  de  toute  survivance  person- 
nelle. Il  n'en  fut  rien.  L'âme  résidait,  d'une  manière  toute  spéciale  dans 
le  sang.  D'oîi  le  caractère  sacré  du  sang.  Les  anciens  Hébreux  attri- 
buaient aux  animaux  et  aux  végétaux  une  âme  qui  ne  semble  pas 
différer  essentiellement  de  celle  de  l'homme.  Ils  étaient  donc  animistes, 
au  moins  dans  une  certaine  mesure. 

Dans  la  seconde  partie  de  son  travail,  M.  Lods  étudie  :  Le  culte  des 
morts.  Les  deux  premiers  chapitres   traitent  respectivement  des  rites 


1.  Deux    volumes    gr.    in-8o    de    VIII-292    p.    et    VI-160    p.    Paris,    Fisch- 
bacher,    1906. 


152         BEVUr   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

préservatifs  et  des  rites  proprement  religieux.  L'auteur  procède 
d'après  le  principe  que  voici  :  «  Il  nous  paraît  donc  de  bonne 
méthode,  lorsqu'un  rite  de  deuil  se  retrouvera  non  seulement  dans  le 
culte,  mais  dans  d'autres  tabous,  d'en  chercher  l'origine  de  préférence 
dans  la  crainte  d'un  esprit,  qui  sera  naturellement  ici  l'esprit  du  mort,  » 
I,  p.  81,  c'est-à-dire  simplement  dans  un  souci  de  préservation.  Comme  ri- 
tes funéraires  proprement  religieux,  les  suivants  seuls  sont  retenus  :  la 
lamentation  funéraire,  l'acte  de  se  raser  la  tête  (sacrifice  des  cheveux), 
les  incisions,  les  repas  funéraires,  les  offrandes  sur  la  tombe.  Le 
ch.  III  traite  de  la  tombe  et  du  Chéol.  Les  idées  en  rapport  avec  la 
tombe,  idées  dont  nous  trouvons  encore  des  traces  à  l'époque  histori- 
que, attestent  que  :  «  Le  mort,  pour  l'ancien  Israélite,  continue  à  sentir, 
à  agir,  à  vivre,  et  il  a  droit  à  une  vénération  religieuse.  »  I,  p.  184. 
Quant  au  Chéol,  voici  ce  qu'en  pense  M.  Lods  :  «  Les  origines  de  l'idée 
du  Chéol  ne  sont  probablement  ni  aussi  simples,  ni  aussi  modernes, 
qu'on  le  dit  souvent  ;  et  il  faut  admettre  provisoirement  que  les  anciens 
Hébreux  ont  pu,  comme  tant  de  peuples  fort  peu  développés,  la  former 
de  très  bonne  heure,  longtemps  avant  leur  entrée  en  Palestine.  »  I,p.  212. 
Le  ch.  IV  a  pour  sujet  le  culte  rendu  aux  morts  après  l'ensevelissement. 
L'auteur  v  voit  un  culte  au  sens  strict,  de  même  nature  que  celui  qu'on 
rend  à  la  divinité  et  il  écrit  :  «  Les  morts  sont  des  dieux,  d'un  rang  très 
inférieur  sans  doute,  des  sortes  de  génies  familiaux  et  locaux,  mais 
enfin  des  élohim.  Ils  sont  doués  d'un  savoir  et  d'un  pouvoir  surhumains, 
on  leur  ofTre  des  sacrifices  ;  ils  ont  leurs  lieux  saints,  leurs  temps 
sacrés  ;  on  leur  demande  des  oracles.  »  I,  p.  263. 

Dans  la  troisième  partie,  M.  Lods  se  demande  quel  rapport  existait 
entre  ce  culte  des  morts  et  l'organisation  de  la  famille  et  du  clan  Israé- 
lites, Si  ce  culte  des  morls  était  un  culte  des  ancêtres.  Il  estime  que  les 
Israélites,  avant  d'adopter  l'organisation  patriarcale,  ont  connu  le 
matriarcat  et  qu'il  subsiste  des  traces  de  cet  état  primitif  même  à  la 
période  historique.  Et  relativement  à  l'objet  principal  de  sa  recherche, 
il  propose  finalement  la  double  conclusion  suivante  :  «  Pendant  la 
période  d'organisation  patriarcale,  le  culte  des  morts,  bien  que  libre  de 
s'adresser  à  tous,  spécialement  aux  morts  puissants,  aux  héros,  tendait 
à  se  concentrer  sur  ceux  qui  étaient  tenus  pour  les  ancêtres  de  la  famille, 
de  la  michpahah,  de  la  tribu,  de  la  nation,  le  mot  ancêtre  étant  pris  au 
sens  précis  de  générateur  humain  par  filiation  paternelle  du  groupe  en 
question.  »  II,  p.  105.  «  Certains  indices  font  penser  que  l'on  rendait, 
dès  l'époque  du  régime  maternel,  un  véritable  culte  non  seulement  aux 
morts  en  général,  mais  d'une  part  aux  ancêtres  dans  le  sens  que  ce  mot 
peut  avoir  dans  les  sociétés  à  filiation  utérine,  et  d'autre  part  aux 
esprits  des  hommes  qui  pendant  leur  vie  avaient  fait  preuve  de  quelque 
puissance  surnaturelle.  »  II,  p.  124. 

Je  note  encore  cette  déclaration  importante  touchant  les  rapports  qui 
existent  entre  le  culte  des  morls  et  l'origine  de  la  religion  chez  les 
Sémites  :  «  Nous  avons  cru  devoir  renoncer  à  déterminer  si  cette 
religion  (le  culte  des  morts)  a  été  la  religion  primitive  des  Sémites.  Il 
nous  a  suffi  de  constater  que,  si  haut  qu'on  puisse  remonter,  on  la 
trouve  à  côté  dos  autres  formes  de  la  religion   sémitique  :   culle  des 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  153 

arbres,  des  sources,  des  pierres,  des  montagnes,  des  animaux,  des 
astres.  La  crainte  et  la  vénération  des  esprits  trépassés  a  été  chez  les 
Sémites,  comme  dans  la  plus  grande  partie  de  l'humanité,  Tune  des 
manifestations  primordiales  du  sentiment  religieux.  »  II,  p.  126. 

Il  y  a  des  points  faibles  à  cette  thèse,  si  remarquablement  conduite 
qu'elle  soit.  J'en  signalerai  deux  qui  sont  de  toute  première  importance. 
M.  Lods  n'a  point  un  assez  vif  sentiment  de  ce  que  le  terme  de  culte  et 
même  de  culte  religieux  peut  recouvrir  d'idées,  de  sentiments,  d'atti- 
tudes d'âme  divers,  même  dans  une  humanité  peu  développée.  L'iden- 
tité de  nature  qu'il  établit  entre  le  culte  des  morts  et  le  culte  de  la 
divinité,  outre  que  bien  des  indices  la  contredisent,  est  solidaire  de 
cette  analyse  psychologique  insuffisante.  En  outre,  l'on  ne  voit  pas 
toujours  clairement  de  quelle  période  de  l'histoire  d'Israël  il  veut  parler 
et  ce  qu'il  entend  au  juste  par  antiquité  Israélite,  par  ancêtres  d'Israël. 
Les  Israélites  n'avaient  point  conscience  de  remonter,  comme  peuple 
spécial  et  branche  autonome  de  l'arbre  sémitique,  au  delà  d'Abraham. 
Il  .semble  que  M.  Lods.  lui,  ait  souvent  en  vue  des  temps  beaucoup  plus 
reculés.  Mais  alors  que  signifie  dans  ce  cas  le  mot  Israélite  ?  Cfr. 
Lagrange,  Bev.  Bibi,  juillet  11)07,  p.  422  et  ss. 

M.  W,  0.  T.  Oesterley  a  donné  dans  VFxpositor  trois  articles  inté- 
ressants sur  La  iJémonologie  de  l\\.  T.  (1),  Malgré  qu'il  l'étudié  surtout 
d'après  les  Livres  prophétiques  et  les  Psaumes,  il  me  paraît  plus  avan- 
tageux de  mentionner  son  travail  en  cet  endroit.  Ce  problème  de  la 
Démonologie  israélile  ofïre  en  effet  de  l'intérêt  surtout  en  tant  qu'il  peut 
contribuer  à  jeter  quelque  lumière  sur  les  formes  anciennes  de  la 
religion  d'Israël.  Dans  un  premier  article,  servant  d'introduction  et 
intitulé  :  2'he  Demonology  in  the  Old  Testament,  l'auteur  propose 
certaines  considérations  générales  qui  lui  paraissent  rendre  vraisem- 
blable à  priori  l'existence  dans  l'A.  T.  d'une  démonologie  beaucoup  plus 
développée  qu'on  ne  le  croit  communément.  La  croyance  à  des  esprits 
malfaisants  est  caractéristique  d'une  certaine  phase  du  développement 
religieux  chez  tous  les  peuples.  Les  Cananéens,  les  Arabes,  les  Baby- 
loniens, peuples  de  même  race  que  les  Israélites,  possédaient  une  très 
riche  démonologie.  Le  Judaïsme  tardif  est  dans  le  même  cas.  Dans  l'A. 
T.  même,  nous  constatons  l'attention  accordée  aux  serpents  et  la  présence 
d'une  angélologie  compliquée.  Trouvant  dans  la  démonologie  cana- 
néenne, arabe,  babylonienne  et  juive  un  fond  de  croyances  communes, 
M.  Oesterley  estime  légitime  et  important  d'interpréter  les  passages 
obscurs  de  l'A.  T.  à  leur  lumière.  Dans  un  second  article  intitulé  :  The 
Demonology  of  the  Old  Teilament  illustrated  froni  the  Propheiical 
irrilings,  l'auteur  attire  l'attention  sur  les  textes  où  il  est  question  des 
animaux  qui  hantent  les  lieux  déserts  et  les  ruines  (v.  g.  Isaïe,  xiii,  21- 
22)  ;  sur  certaines  catégories  de  personnes  et  spécialement  celles  qui 
cultivent  la  nécromancie  ;  sur  les  ornements  des  femmes,  dont  beaucoup 
sont  des  amulettes,  et  autres  objets  semblables.  Il  estime  que  les  démons 
se  recrutaient  en  particulier  parmi  les  esprits  des  défunts.  Un  troisième 
et   dernier   article    est   intitulé  :  llie  Demonologg  of  the  Old  Testament 

1.   1907  :    Avril,    w.    H16-332;    Juin,    pp.    527-.344;    Août,  pp..  132151. 


154         REVUE   DES   SCIE>XES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

illustrated  hij  Psalm  xci.  Ce  psaume,  que  l'auteur  croit  postérieur  à  l'exil, 
est  recommandé  par  la  littérature  rabbinique  contre  les  rencontres 
démoniaques.  Le  thème  général  en  est  celui-ci  :  Il  ne  faut  pas  recourir 
contre  les  démons  aux  formules  magiques  et  aux  incantations,  aux 
pratiques  des  sorciers  et  sorcières,  mais  à  la  seule  protection  de  Jahvé. 
Je  note  cette  vue  générale  sur  la  démonologie  dans  l'A.  T.  :  «  Il  y  a 
des  raisons  de  croire  que,  depuis  les  temps  les  plus  anciens,  Israël 
possédait  une  démonologie  étendue,  de  caractère  populaire,  qui  était  la 
commune  propriété  de  la  race  sémitique.  De  sorte  que,  quand  lin- 
fluence  babylonienne  vint  à  s'exercer  une  seconde  fois,  au  temps  de 
l'exil,  elle  trouva  vraisemblablement  un  terrain  préparé  à  recevoir  les 
semences  nouvelles  que  les  vents  soufflant  de  Test  pouvaient  y  jeter- 
Cela,  joint  au  fait  que  le  ferme  monothéisme  de  l'époque  post-exilienne 
éliminait,  dans  une  large  mesure,  le  danger  de  culte  des  démons, 
expliquerait  la  démonologie  très  développée  et  ofïiciellement  reconnue 
du  judaïsme  tardif.  »  p.  132. 

L'ouvrage  de  M.  Lods  et  les  articles  de  M.  Oesterley  nous  ont  un  peu 
éloignés  de  l'objet  essentiel  de  l'histoire  de  la  religion  Israélite,  qui  est 
l'origine  et  le  développement  du  culte  de  Jahvé.  La  brochure  de 
M.  GuNKEL  :  Elias,  lahve  und  Baal,  nous  y  ramène  (1).  Des  trois 
chapitres  qu'elle  renferme  :  I  Die  Erzàhlungen  von  Elias,  aesthetisch 
und  literaturgeschichtlich  betrachtet  ;  II  Kritik  der  Erzàhlungen  von 
Elias  als  Quellen  der  Geschichtschreibung  ;  III  Das  hislorische  Bild  des 
Elias  im  Zusammenhang  der  Religionsgeschichte  Israels,  seul  le  dernier 
nous  intéresse  ici.  Élie  nous  apparaît  comme  la  personnification  du  zèle 
religieux.  Ce  zèle  se  manifeste  en  deux  rencontres  capitales  :  lors  de 
l'introduction  du  culte  de  Baal  en  Israël  par  Âchab  et  lors  du  meurtre 
juridique  de  Xaboth.  Dans  la  première,  Élie  lutte  pour  le  culte  exclusif 
de  Jahvé  en  Israël.  Il  représente  une  conception  monolâtrique  exclusive 
de  tout  syncrétisme,  et  qui  peut  se  traduire  ainsi  :  «  Je  suis  Jahvé,  ton 
Dieu  ;  tu  n'auras  pas  d'autres  dieux  à  côté  de  moi.  Car  le  nom  de  Jahvé 
est  «  le  jaloux  »  ;  il  est  un  dieu  jaloux.  »  Ce  n'était  pas  à  proprement 
parler  une  conception  nouvelle,  mais  le  renouvellement  d'une  idée  essen- 
tielle au  Jahvéisme,  que  l'établissement  en  Canaan  avait  presque  abolie. 
Grâce  à  Élie,  elle  ne  cessera  plus  d'agir.  Il  y  a  autre  chose  encore  dans 
la  haine  du  prophète  contre  Baal.  Le  dieu  tyrien  ne  lui  apparaît  pas 
seulement  comme  un  rival  illégitime  de  Jahvé,  mais  comne  une  divinité 
de  caractère  essentiellement  différent.  Son  culte  est  fait  d'actes  impurs 
et  de  pratiques  magiques.  Ce  qu'Élie  combat  en  lui,  c'est  un  dieu  de  la 
nature  et  dans  son  culte  une  religion  de  la  nature.  Au  contraire,  Jahvé 
est  pour  Élie  le  dieu  de  l'Exode,  un  dieu  austère,  redoutable,  guer- 
rier. Lors  du  meurtre  de  Naboth,  Élie  représente  une  conception 
morale  de  Jahvé.  Il  parle  et  agit  au  nom  de  Jahvé,  dieu  du  droit  et  de  la 
justice,  gardien  et  prolecteur  de  l'un  et  de  l'autre.  Cela  non  plus  n'est 
pas  nouveau.  Mais  Élie  a  de  cet  aspect  de  Jahvé  un  sentiment  extraor- 
dinairement    intense.    En  résumé,  au  milieu  de  la  déliquescence   reli- 


1.  Un    vol.    ia-lG    de    76    p.    {ReligionsgeschiditUche    Volksbiicher)    Tufniigue, 
Mohr,    190(3. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  lo5 

gieuse  d'Israël  établi  en  Canaan,  Élie  fait  revivre  dans  toute  sa  pureté  et 
sa  vigueur  le  Jahvéisme  mosaïque,  et  il  le  transmet  aux  prophètes  des 
âges  suivants.  C'est  là  son  rôle  et  c'est  un  rôle  unique  dans  l'histoire  de 
la  religion  Israélite. 

Les  deux  derniers  fascicules,  publiés  en  guise  de  supplément  par  la 
Zeilschrifl  fur  die  alUestamentliche  Wissenschaft,  sont  dus  à.  MM.  Max 
LoHR  et  Martin  Peisker.  Tous  les  deux  s'attachent  à  analyser  le  lien 
religieux  qui  unissait  Jahvé  et  Israël,  mais  ils  considèrent  le  problème 
de  points  de  vue  différents.  La  brochure  du  D'"  Lôhr  a  pour  titre  : 
Sozialismus  und  Individualismus  im  Allen  Testament  (1).  La  question 
traitée  est  celle-ci  :  Dans  l'A.  T.  la  collectivité  seule  :  nation,  tribu, 
clan,  famille,  pouvait-elle  entrer  en  relations  avec  Jahvé,  ou  bien  l'indi- 
vidu, comme  tel,  pouvait-il  aussi  y  prétendre  ?  M.  Lôhr  pense,  avec 
Roberlson  Smith,  que,  dans  les  religions  sémitiques  en  général,  le  sujet 
de  la  religion  c'est  uniquement  le  groupe  social  à  ses  divers  degrés. 
Par  contre  il  estime  qu'il  n'en  est  pas  tout  à  fait  ainsi  dans  la  religion 
israélite.  L'individu  comme  tel,  jusqu'à  un  certain  point  et  dès  l'époque 
ancienne,  peut  aspirer  à  entier  directement  et  personnellement  en  rela- 
tions avec  Jalivé. Dans  l'histoire  d'Israël  il  relève  des  cas  d'individualisme 
incontestable,  ceux,  par  exemple,  de  Lot,  de  Caleb-Josué,  de  Josias,  et 
dans  la  législation  ancienne  la  forme  individualiste  de  certaines  pres- 
criptions, Èx.  XXI,  et  ss.,  le  «tu»  individualiste  du  Second  JJécalogue, 
Ex.  XXXIV.  Les  noms  propres  oii  entre  le  nom  de  Jahvé  trahissent  la 
même  conception.  A  l'époque  des  prophètes,  une  différenciation  sociale 
et,  conséquemment,  religieuse  encore  plus  marquée  se  produit.  Les 
prophètes  eux-mêmes  sont  le  vivant  témoignage  que  l'individu  est 
apte  à  entrer  personnellement  eu  relations  avec  Jahvé.  Cependant  cet 
individualisme  a  ses  limites.  «  L'individu,  tout  en  étant  un  adorateur 
véritable  de  Jahvé,  entretenant  avec  lui  des  relations  personnelles,  se 
sentait  pourtant  quantité  sociale  en  tant  que  membre  de  la  communauté 
nationale,  et  cela  dans  une  mesure  importante.  Ce  sentiment  de  solida- 
rité agissait,  tantôt  plus  énergiquement  et  tantôt  moins,  sur  sa  vie  reli- 
gieuse individuelle  elle-même.  »  —  M.  Lôhr  a  eu  raison  de  réagir 
contre  la  conception  purement  sociale  de  Smend,  Stade  et  autres,  en  ce 
qui  concerne  la  religion  israélite.  Il  eiit  été  bien  inspiré  d'introduire 
de  fortes  réserves  dans  son  acceptation  des  vues  de  Robertson  Smith 
relativement  aux  religions  sémitiques  en  général,  ne  fût-ce  qu'en  consi- 
dération de  l'Assyro-Babylonieoù  nous  tiouvons  des  traces  si  marquées 
d'individualisme  religieux. 

L'ouvrage  du  D''  Peisker:  Die  Beziehungen  der  IMchtisraelilen  zii  lalive 
nach  der  Anschauung  der  allisraelitischen  Quellenschriften  (2), offre  plus 
d'intérêt  encore  qne  le  précédent.  Trois  questions  y  sont  successive- 
ment posées,  examinées  avec  beaucoup  de  méthode,  et  résolues  avec 
clarté.  La  première  se  formule  ainsi  :  Quelle  est,  dans  les  documents 
anciens,   l'extension  des  rapports  entre   Jahvé    et    les   non-Israélites? 

1.  Comme  sous-titre  :  Ein  Beitrag  zur  alttestamentUchen  Beligionsgeschichfe. 
Un  vol.  inSo  de  36  p.  Giessen,  A.  Tôpelmann,  1906. 

2.  Un  volume  in-So  de  9.5  p.,  Giessen,  A.  Tôpelmann,   1907. 


136  REVUE   DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Cela  revient,  au  fond,  à  se  demander:  Comment,  dans  ces  documents, 
conçoit-on  Jahvé  ?  M.  Peisker  y  découvre  une  double  conception  qu'il 
qualifie  d'hénothéisme  et  de  monothéisme  naïf.  Dans  le  premier  cas,  on 
se  représente  Jahvé  comme  le  Dieu  propre  d'Israël  à  côté  duquel  sub- 
sistent les  dieux  des  autres  peuples  ;  dans  le  second,  on  le  considère 
comme  étant  objectivement  et,  dans  certaines  limites,  subjectivement, 
le  Dieu  des  païens  eux-mêmes,  en  vertu  d'une  sorte  de  monothéisme 
non  point  systématique,  mais  spontané.  Il  en  résulte  une  dualité  de 
tendances,  qui  d'ailleurs  s'entrecroisent  et  s'influencent  l'une  l'autre, 
dans  la  manière  de  concevoir  lesrelationsde  Jahvé  et  des  non-Israélites. 
L'extension  est  fort  restreinte  pour  l'hénolhéisme,  très  vaste  pour  le 
monothéisme  naïf.  —  La  seconde  question  est  ainsi  formulée  :  Quel  est  le 
contenu  de  ces  relations  entre  Jahvé  et  les  non-Israélites  et,  cette  fois, 
c'est  non  plus  la  nature  de  Jahvé,  mais  sa  volonté  qui  se  trouve  en 
cause.  Nous  avons  d'abord  le  cas  des  rapports  directs  entre  Jahvé  et  les 
non-Israélites.  Pour  le  monothéisme  naïf,  ce  contenu,  ou  plus  précisé- 
ment la  base  d'appréciation  dans  ces  relations,  c'est  la  crainte  de  Dieu 
et  spécialement  la  foi  dans  laparole  prophétique  de  Jahvé.  Pour  l'héno- 
lhéisme, le  non-Israélite  commet  une  faute  lorsqu'il  méprise  Jahvé  mais 
non  point,  en  principe  du  moins,  lorsque  simplement  il  ne  l'honore  pas. 
Nous  avons  ensuite  le  cas  des  rapports  indirects,  c'est-à-dire,  par  l'in- 
termédiaire de  relations  avec  Israël  et  à  raison  de  ces  relations.  Les  non- 
Israélites  causent-ils  quelque  dommage  religieux  à  Israël,  celui-ci  est 
l'objet,  de  la  part  de  Jahvé,  d'un  intérêt  si  spécial  que  les  non-Israélites, 
ou  bien  ne  sont  l'objet  d'aucune  attention,  ou  même,  à  cause  d'Israël  et 
en  vue  de  le  protéger,  sont  voués  à  la  destruction.  D'autre  part,  la 
religion  de  Jahvé  n'est  pas  tellement  enfermée  dans  les  limites  d'Israël 
qu'une  reconnaissance  de  Jahvé  par  les  non-Israélites,  une  conversion, 
ne  soit  saluée  avec  joie,  dans  certains  cas  même  recherchée,  sans  que 
l'on  puisse  toutefois  parler  d'une  obligation  de  prosélytisme.  —  La  troi- 
sième et  dernière  question  consiste  à  se  demander  quels  sont  le  carac- 
tère et  le  sens  des  rapports  entre  Jahvé  et  les  non-Israélites.  La  réponse 
de  M.  Peisker  mérite  la  plus  sérieuse  attention.  La  voici  à  peu  près 
textuellement.  La  conception  d'après  laquelle  Israël  et  Jahvé  seraient 
unis  par  un  lien  naturel,  Jahvé  se  résorberait  en  Israël,  se  heurte  avant 
tout  à  l'idée  fondamentale  des  documents  qui  nous  renseignent  sur 
l'Israël  ancien,  laquelle  va  plutôt  à  voir  naïvement  en  Jahvé  le  Dieu  de 
l'humanité,  à  considérer  les  différents  peuples  comme  parents  et  non 
pas  étrangers  les  uns  aux  autres,  et  finalement  à  expliquer  la  manière 
diverse  dont  sont  traités  les  Israélites  et  les  non-Israélites  par  ce  fait 
que  Jahvé  porte  à  Israël  un  intérêt  qu'il  ne  porte,  à  ce  degré,  à  nul 
autre  peuple.  Si  ces  affirmations  sont  justifiées,  nous  sommes  en  droit 
de  conclure  que,  d'après  les  vues  mêmes  de  ces  sources  anciennes, 
Jahvé  est  le  Dieu  d'Israël,  non  pas  tant  à  raison  de  sa  nature,  qu'en  vertu 
du  choix  qu'il  a  fait  de  ce  peuple  entre  tous  les  autres. —  Pour  préciser  la 
portée  de  cette  conclusion,  rappelons  que  l'auteur,  au  début  de  son 
enquête,  a  expressément  réservé  le  point  de  savoir  si  l'on  peut  identifier 
absolument  les  données  des  plus  anciens  documents  de  l'histoire  israé- 
lile,  tels  que  nous  les  avons,  et  la  religion  des  anciens  Israélites.   L'on 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  157 

pourrait  prétendre, note-t-il, que  la  prédication  prophétique  a  marqué  son 
influence  dans  la  rédaction  finale  de  ces  documents.  M.  Peisker  aurait  dû 
nous  dire  ce  qu'il  pense  à  ce  sujet.  Faute  de  l'avoir  fait,  quelque  doute 
subsiste  sur  le  sens  exact  de  sa  conclusion.  Il  n'est  cependant  pas 
téméraire  de  dire  qu'il  considère  comme  antérieures  aux  prophètes  du 
VIII'^  siècle  une  certaine  idée  monothéiste  et  la  conception  du  lien  qui 
unit  Jahvé  à  Israël  comme  d'ordre  moral  et  non  pas  naturel.  Étant 
donné  l'école  à  laquelle  se  rattache  l'auteur,  il  faut  lui  savoir  gré  d'avoir 
eu  ce  courage.  J'exprimerai  encore  un  regret,  c'est  qu'il  ne  nous  ait  pas 
dit  si,  et  dans  quelle  mesure,  il  considère  ce  «monothéisme  naïf»  comme 
particulier  à  la  religion  Israélite. 

Le  sentiment  du  péché  dans  l'Israël  ancien  et  sa  notion  n'avaient  pas 
encore  été  l'objet  d'une  étude  aussi  étendue  que  celle  que  M.  le  Pasteur 
F.  Bennewitz  vient  de  leur  consacrer  sous  ce  titre  :  Die  Sùnde  im  allen 
Israël  (1).  Après  s'être  expliqué  sur  son  dessein  dans  une  Introduction, 
l'auteur  traite  successivement  des  Sources,  du  sentiment  du  péché  en 
général,  des  éléments  divers  que  révèle  l'analyse  de  ce  sentiment.  En 
matière  de  critique  littéraire,  il  adopte,  dans  l'ensemble,  les  conclusions 
de  l'école  Grafienne  avec  tendance,  lorsqu'il  y  a  doute,  à  préférer  la 
date  la  plus  ancienne.  Analysant  les  termes  mêmes  employés  pour  dési- 
gner le  péché  et  le  qualifier,  M.  Bennewitz  y  découvre  l'idée  générale 
d'opposition,  consciente  ou  non,  à  la  volonté  de  Jahvé.  Une  certaine 
confusion  semble  régner  entre  la  faute  elle-même  et  son  châtiment. 
La  période  ancienne  de  la  religion  Israélite,  telle  que  l'entend  l'auteur, 
prend  fin  avec  l'entrée  en  scène  des  Prophètes  du  VHP  siècle.  Suivant 
dans  sa  recherche  la  méthode  régressive,  qui  s'impose  d'ailleurs,  il 
commence  par  exposer  la  notion  du  péché  dans  le  plus  ancien  des 
Prophètes,  Amos.  L'élément  moral  y  est  très  clairement  marqué  et  tout 
indique  que  ce  n'est  point  là  une  nouveauté.  M.  Bennewitz  remonte  à 
partir  de  ce  point,  de  document  en  document,  jusqu'à  Moïse  et  au  delà 
jusqu'aux  temps  patriarcaux,  accordant  une  attention  particulière  à  la 
conception  du  péché  dans  le  Jahviste,et  aux  fautes  rituelles.  Un  appen- 
dice sur  le  péché  dans  la  religion  babylonienne  clôt  cette  première 
partie  du  livre.  Assurément  des  conceptions  diverses  du  péché  se  font 
jour  dans  l'Israël  ancien,  solidaires  des  idées  plus  ou  moins  élevées  que 
Ion  se  fait  de  Jahvé.  Cependant  l'aspect  moral  du  péché  ainsi  que 
l'aspect  moral  de  Jahvé  se  laissent  apercevoir  à  toutes  les  époques,  et, 
malgré  des  fluctuations  et  des  obscurcissements  partiels  ou  passagers, 
se  laissent  rattacher,  d'une  manière  très  spéciale,  à  l'action  de  Moïse. 
Cependant  ces  conceptions  semblent  plonger  leurs  racines  par  delà  Moïse 
jusque  dans  la  période  patriarcale. 

M.  Bennewitz  consacre  la  seconde  partie  de  son  ouvrage  aux  éléments 
de  la  notion  du  péché  :  universalité  du  péché,  ses  degrés,  son  origine, 
ses  effets,  son  pardon.  1°  Universalité.  Les  anciens  Israélites  avaient  un 
vif  sentiment  de  l'universalité  du  péché.  Croyaient-ils  à  une  culpabilité 
héréditaire  dérivée  d'Adam  ?  L'auteur  ne  le  pense  pas,  mais  admet  la 
croyance  en  une  inclination  congénitale  au  péché.  2°  Degrés.  Si  l'on  ne 

1.  Un    vol.    in-8'3    de    XlI-271    p.,    Leipzig,    A.    Deichert,    1907. 


158         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

distingue  pas  clairement  entre  fautes  involontaires  et  inconscientes,  et 
péchés  volontaires,  il  est  excessif  de  dire  qu'ils  soient  identifiés  absolu- 
ment. De  même,  si  l'on  ne  trace  pas  une  ligne  précise  de  démarcation 
entre  devoirs  moraux  et  obligations  cultuelles,  cependant  les  premiers 
ont  une  prédominance  marquée.  3°  Origine.  Dieu  n'est  pas  conçu  comme 
étant,  d'une  manière  générale,  la  cause  ou  l'instigateur  du  péché.  Un 
être  malfaisant,  que  l'on  se  représente  diversement  aux  difTérentes 
époques,  joue  le  rôle  de  tentateur.  Mais  l'origine  proprement  dite  du 
péché  est  dans  l'homme  et  c'est  à  la  volonlé  humaine  qu'appartient  le 
rôle  décisif  dans  le  péché.  Le  récit  de  la  chute  n'a  pas  l'intention  d'être 
une  explication  de  l'origine  du  péché  dans  le  monde,  mais  d'un  certain 
péché,  d'ailleurs  typique.  A°  Effets.  Le  péché  devient  source  de  nouveaux 
péchés.  La  culpabilité  et  ses  modalités  diverses.  A  côté  du  sentiment  de 
la  solidarité  collective,  celui  de  la  responsabilité  individuelle  se  mani- 
feste. La  mort  est  conçue  tout  ensemble  comme  le  sort  naturel  de 
l'homme  et  comme  un  châtiment  du  péché  et  spécialement  de  la  chute. 
Les  idées  que  nous  livrent  sur  ce  point  les  documents  anciens  sont  assez 
peu  systématisées.  o°  Pardon.  L'idée  de  pardon  demeure  au  second  plan 
des  idées  religieuses.  Il  y  a  des  péchés  irrémissibles.  Comme  moyens 
d'obtenir  la  rémission,  on  emploie  le  paiement  d'une  amende,  le  sacrifice, 
le  jeûne,  la  lamentation,  la  prière,  des  lustrations.  L'idée  de  substitu- 
tion d'un  animal  à  un  homme  semble  admise,  mais  celle  d'un  homme  à 
un  autre  homme  n'apparaît  pas.  —  Je  dois  me  contenter  de  ce  bref 
résumé  de  la  monographie  de  M.  Bennewitz.  Elle  est  très  riche  de 
renseignements,  modérée  dans  ses  tendances  et  il  y  a  beaucoup  à  prendre 
dans  ses  conclusions.  B.  se  montre  parfois  trop  afïirmalif.  Son  analyse 
du  récit  de  la  chute  et  les  déductions  qu'il  en  tire  appellent  d'expresses 
réserves.  Je  doute  qu'il  épuise  le  sens  de  ce  chapitre  étonnant. 

Une  commune  tendance  semble  se  révéler  en  plusieurs  de  ces 
ouvrages.  MM.  L^hr,  Peisker,  Bennewitz  et  Lods  lui-même  donnent 
l'impression  qu'ils  éprouvent  le  besoin  de  réagir  contre  certaines  afTir- 
niations  de  Bobertson  Smith  et  de  Wellhausen.  Le  fait  serait  particuliè- 
rement significatif,  étant  donné  qu'il  se  produit  au  sein  même  de  l'école 
évolutionniste  et  anthropologique  et  indépendamment  du  mouvement 
panbabylonien.  M.  Lods  ne  croit  pas  pouvoir  affirmer  que  les  religions 
sémitiques  ont  pris  leur  origine  dans  le  culte  des  morts  et,  si  peu  que  ce 
soit,  c'est  déjà  quelque  chose.  M.  Lohr  soutient  l'existence  aux  temps 
anciens  d'un  certain  individualisme  religieux.  M.  Peisker,  pour  la 
période  antérieure  aux  prophètes,  parle  d'un  «  monothéisme  naïf  »,  et 
écarte  l'idée  d'un  lien  naturel  entre  Jahvé  et  son  peuple.  M.  Bennewitz 
accorde  à  l'aspect  moral  du  Jahvéisme,  toujours  en  ce  qui  concerne 
l'Israël  ancien,  une  importance  et  une  action  considérables.  Se  décide- 
rait-on enfin  à  réviser  des  théories  considérées,  depuis  trop  longtemps, 
comme  d'inattaquables  axiomes? 

J'annexerai  à  ce  groupe  d'ouvrages  l'étude  publiée  par  l'éminent 
anlhropologiste  M.  J.  G.  Fhazer  :  Folk-lore  in  the  Old  Testament  (1).  Elle 

1.  Dans  le  recueil  qui  a  pour  titre  :  Anthropological  Essays  presented  to 
E.  B.  Tylor  etc.,  iii-4o  de  416  p.  Oxford,  The  Clareiidon  Press,  1907, 
pp.   101-174... 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  159 

traite  de  plusieurs  survivances  prétendues,  dans  la  religion  Israélite,  du 
paganisme  primitif.  1°  Le  signe  de  Caïn.  Ce  n'est  pas  une  simple  marque 
tribale  (RobertsonSmilh),maisun  signe  particulier  aux  meurtriers  destiné 
à  les  rendre  méconnaissables  pour  l'esprit  de  leurs  victimes  ou  à  les  pro- 
téger contre  cet  esprit  2°  Chênes  et  térébinthes  sacrés.  Ils  tiennent  une 
place  importante  dans  la  religion  populaire  de  la  Palestine  actuelle.  Ils 
en  avaient  une  dans  le  Jahvéisme  primitif,  o"  L'alliance  sur  le  tas  de 
pierres.  {Gen.  xxxi,  17-35).  Cet  usage  procède  d'une  croyance  à  la  pré- 
sence du  divin  dans  la  pierre  en  même  temps  qu'il  se  présente  comme 
un  acte  de  magie  par  le  moyen  duquel  on  espère  infuser  au  pacte  la 
solidité  de  la  pierre.  4°  Jacob  au  gué  du  Jabbok.  Dans  le  récit  primitif, 
l'adversaire  de  Jacob  devait  être  le  génie  de  la  rivière.  Jacob  lutte  avec 
lui  spontanément,  pour  lui  arracher  sa  bénédiction.  Le  génie  se  méta- 
morphose pour  échapper  aux  prises  de  Jacob.  5'^  Le  faisceau  de  vie. 
{I  Sam.  XXV,  29).  Se  réfère  à  la  croyance  d'après  laquelle  l'âme  peut  être 
retirée  du  corps,  sans  amener  la  mort  par  le  fait  même.  Si  c'est  un  Dieu 
propice  qui  la  retire,  ce  peut  être  même  une  garantie  d'invulnérabilité. 
L'âme  ainsi  retirée  du  corps  est  attachée  aune  baguette  ou  à  une  pierre 
allongée.  Ces  objets,  liés  en  faisceau,  sont  précieusement  mis  à  l'abri  eî 
cachés.  6°  Défense  de  cuire  un  chevreau  dans  le  lait  de  sa  mère.  Elle 
repose  sur  l'idée  de  «  sympathie  ».  La  mère  pourrait  être  lésée  par  cette 
pratique,  devenir  stérile.  7°  Les  gardiens  du  seuil.  Trois  officiers  étaient 
attachés,  en  cette  qualité,  au  temple  de  Jérusalem.  Ils  avaient  mission 
de  veiller  à  ce  que  nul  ne  touche  du  pied  le  seuil.  Le  seuil  était  conçu 
comme  la  demeure  d'esprits  et  spécialement  d'esprits  des  morts  ;  d'où 
sa  sainteté.  8°  Le  recensement  considéré  comme  péché.  Cette  idée  se 
retrouve  chez  les  sauvages. —  M.  Frazer,  selon  son  procédé  habituel,  qui 
est  d'ailleurs  celui  de  l'école  anthropologiste,  cherche  le  sens  de  ces 
pratiques  et  de  ces  croyances  dans  l'étude  comparée  des  folklores 
anciens  et  actuels.  Aussi  suggestif  que  discutable. 

Le  travail  extrêmement  intéressant  de  M.  H.  Grimme,  professeur  à 
l'université  de  Fribourg  en  Suisse,  sur  :  Das  israelitische  Pfingstfest 
und  der  Plejadenkult  (1),  s'inspire  du  point  de  vue  Wincklérien.  M. 
Grimme  fait  d'abord  la  critique  de  l'interprétation  agricole  du  cycle  festal 
d'Israël  :  fête  des  Azymes,  de  la  Pentecôte,  des  Tabernacles,  qui  lui 
paraît  mal  fondée.  S'ociupant  ensuite  exclusivement  de  la  Pentecôte,  il 
procède  à  l'exégèse  des  textes  bibliques  la  concernant.  Les  formes  exté- 
rieures de  la  Pentecôte  :  son  échéance  et  le  comput  qui  sert  à  la  fixer, 
S(-s  noms  et  ses  rites,  ne  trouvent  pas,  à  son  sens,  d'explication  sutli- 
sante  dans  les  idées  proprement  israélites  ou  cananéennes.  Un  mot 
qui  revient  sans  cesse  à  propos  de  la  Pentecôte  et  que  l'on  traduit  ordi- 
nairement par  semaines  :  chahu'ôth  oriente  la  pensée  vers  un  septénaire 
sacré  et  la  recherche  vers  la  Babylonie.  Là,  en  effet,  nous  trouvons  le 
chiffre  sept  avec  un  caractère  religieux.  Le  type  le  plus  ancien  de 
septénaire    sacré    que    nous  y   rencontrions  est    un    groupe    de    sept 

1.  Un  volume  gr.  in-8o  de  VIII-124  p.,  Paderborn,  F.  Schôningli.  C'est 
le  premier  fascicule  d'une  collection  intitulée  :  StucUen  zur  Geschichte  und 
Kidtiir  des  Aîtcrtums  et  que  dirigent  les  D.  D.  Drerup-Munich,  H.  Grimme- 
Fribonrg,   J.   P.   KirscliFril)ourg. 


160         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

divinités.  M.  Grimme  analyse  les  mythes  babyloniens  relatifs  à  ce 
groupe  de  sept  dieux  (cfr.  la  série  des  textes  magiques  Ulukki  Ihnnûti 
n°  16,  n"  o,  etc.)-  Ces  sept  dieux,  conçus  primitivement  comme  malfai- 
sants, sont  les  sept  étoiles  de  la  Pléiade.  Le  mythe  babylonien  voyage 
et  on  le  retrouve  à  des  époques  diverses  en  Assyrie,  à  Harran,  dans  la  ré- 
gion syro-cananéenne.  Finalement  le  Milhriacisme  l'accueille.  En  Canaan 
il  est  attesté  dès  l'époque  d"El-Amarna. 

Revenant  alors  à  la  Bible,  et  l'étudiant  à  la  lumière  de  tout  cet 
ensemble  de  données,  M.  Grimme  y  aperçoit  des  traces  manifestes  delà 
conception  qui  voit  dans  les  étoiles  de  la  Pléiade  des  êtres  animés  et 
divins.  Le  terme  Chabu^ôlh,  en  particulier,  se  réfère  à  la  Pléiade 
considérée  comme  un  septénaire  divin.  L'expression  :  Hag  Chahu'olh, 
qui  désigne  la  Pentecôte,  signifie  :  Fêle  de  la  Pléiade,  fête  en  l'honneur 
de  la  Pléiade.  Existe-t-il  donc  en  dehors  du  monde  israélite  une  fête  de 
la  Pléiade  ?  oui,  et  tout  d'abord,  naturellement,  en  Babylonie.  De  même 
à  Harran.  Mais  en  ces  deux  endroits  le  mythe  relatif  à  la  Pléiade  est 
subordonné  et  adapté  à  la  glorification  du  dieu  principal,  ici  Sin,  là 
Mardouk.  En  Israël  nous  avons  affaire  à  une  fête  propre  de  la  Pléiade. 
Toute  idée  d'un  emprunt  direct  à  la  Babylonie  et  à  Harran  est  donc 
exclue.  D'ailleurs,  d'une  manière  générale,  M.  Grimme  ne  croit  pas 
à  l'influence  directe  de  la  religion  babylonienne  sur  Israël.  Mais  la  fêle 
a  suivi  le  mythe  dans  ses  migrations  et  nous  la  retrouvons,  sous  sa 
forme  native,  en  pays  phénicien  et  cananéen.  C'est  là  que  les  Israélites 
l'ont  prise.  Bersabée,  l'antique  lieu  de  culte,  a  dû  servir  d'organe  de 
transmission,  Harran,  toutefois,  parait  avoir  fourni  certains  éléments. 
Les  Israélites  s'approprièrent  les  formes  traditionnelles  de  cette  fête  de 
la  Pléiade  et  lui  conservèrent  son  nom,  mais  ils  en  changèrent  totale- 
ment la  signification  réelle  et  c'est  en  l'honneur  de  Jahvé  seul  qu'ils  la 
célébrèrent.  La  conclusion  de  ce  travail  est  ainsi  formulée  :  «  Nous  voici 
au  terme  de  notre  recherche.  Le  résultat  qu'elle  a  donné  est  que  la  fête 
israélite  de  la  Pentecôte  plonge  ses  racines  dans  la  plus  lointaine 
période  de  l'évolution  religieuse  de  l'Asie  antérieure  que  nous  puissions 
présentement,  et  peut-être  jamais,  atteindre.  Née  de  la  contemplation 
du  ciel  étoile,  elle  n'a  jamais  cessé  de  prêcher  l'idée  de  puissances 
régnant  sur  le  ciel  et,  conséquemment,  exerçant  une  action  sur  la  terre 
et  sur  l'humanité.  Cette  conception  a  été  l'un  des  facteurs  essentiels  du 
culte  de  Mardouk,  qui  est  bien  la  plus  noble  fleur  du  paganisme  oriental. 
A  Harran,  elle  joue  un  rôle  capital  dans  le  culte  de  la  Lune,  qui,  dans 
l'Asie  antérieure,  marque  un  pas  décisif  vers  le  monothéisme.  Reprise 
par  le  législateur  d'Israël  qui  l'introduit  dans  un  système  rigoureuse- 
ment monothéiste,  elle  sert  de  cadre  à  tout  un  groupe  d'idées  centrales 
du  judaïsme  primitif  et  tardif.  Transformée  finalement  par  le  Catholi- 
cisme, elle  s'ouvre  à  ce  concept  nouveau  que  lonction  par  l'Esprit 
signifie  la  perfection  définitive  de  la  religion.  Ainsi  la  Pentecôte  se 
trouve  rendre  témoignage,  comme  nulle  autre  dans  le  cycle  des  fêtes 
religieuses,  au  progrès  continu  de  la  religion  vers  le  plus  élevé  et  le 
plus  spirituel.  »  p.  122. 

M.  le  professeur  J.  Heiin,  de  Wurzbourg,    a   traité   dans  :    Siebcnzahl 
und  Sabbat  bei  den  Babyloniern  und  ira  Allen  J'eslamenl.  Eine religions- 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE   BIBLIQUE  161 

geschichtliche  Studie  (1),  un  sujet  assez  voisin  du  précédent  et  d'après 
une  méthode  semblable.  Il  est  donc  naturel  d'analyser  son  ouvrage  en 
cet  endroit.  M.  Hehn  a  en  vue  de  préciser  la  signification  du  sabbat 
israélite.  C'est  ce  dessein  qui  le  meut  à  rechercher  quels  rapports 
peuvent  exister  entre  le  chabatlu  babylonien  et  le  septième  jour,  et 
finalement  quel  est  le  sens,  en  Babylonie,  du  nombre  sept  et  la  raison 
de  sa  valeur  religieuse.  Il  commence  par  déterminer  l'explication  que 
donnent  les  Babyloniens  eux-mêmes  du  nombre  sept  et  les  applications 
diverses  qu'ils  ont  faites  de  ce  nombre  sacré.  Il  s'efforce  ensuite  de 
retrouver  l'origine  et  le  sens  primitif  de  ce  nombre  en  une  série  de 
chapitres  qui  sont  les  plus  importants  de  son  livre.  Le  nombre  sacré 
sept  n'a  rien  à  voir,  primitivement,  avec  les  sept  planètes  (Winckler, 
A.  Jeremias,  Hommel),  ni  non  plus  avec  les  sept  étoiles  de  la  Pléiade 
(Zimmern,  H.  Grimme).  Sibitti  (sept)  paraît  se  rattacher  à  une  racine 
Chebû  dont  le  sens  serait  :  se  rassasier,  être  rassasié.  On  obtiendrait 
ainsi  comme  signification  étymologique  :  multitude,  plénitude,  totalité, 
d'où  la  fréquente  substitution  de  kxchchatu  à  sibilli.  Ce  terme  de  sibitti 
aurait  servi  d'expression  au  nombre  sept  parce  que  ce  chiffre  lui-même 
est  la  mesure  des  phases  de  la  lune  (29  jours  1/2  divisés  par  4  donnent 
7  3/8).  Telle  est,  pour  M.  Hehn,  l'origine  véritable  de  la  semaine  de  7 
jours  et  du  sens  du  nombre  sept  ainsi  que  de  son  caractère  sacré. 
L'auteur  étudie  ensuite  la  signification  des  nombres  trois  et  quatre  en 
Babylonie  et  en  Israël,  puis  il  relève  dans  l'A.  T.  les  cas  nombreux  où 
sept  apparaît  comme  nombre  sacré. 

La  seconde  partie  de  l'ouvrage  est  consacrée  au  sabbat  biblique.  Le 
substantif  chabbath  est  une  forme  hébraïque  de  l'assyrien  chabatlu  issu 
de  la  même  racine  que  sibitli,  avec  le  sens  de  plénitude,  rassasiement 
et,  secondairement  :  de  contentement,  d'intégrité,  de  perfection.  Les 
septièmes  jours  babyloniens,  qui  figurent  dans  les  Hémérologes,  ne 
sont  pas  des  jours  de  repos,  mais  simplement  de  suspension  d'activité  et 
d'apaisement  de  la  colère  des  dieux.  Le  nombre  sept  est  le  symbole  de 
l'expiation  et  de  la  purification.  Les  septièmes  jours  sont  donc  indiqués 
pour  l'office  susdit.  Ce  n'est  pas  précisément  qu'ils  soient  des  jours 
néfastes,  où  les  dieux  sont  mal  disposés,  mais  ils  marquent  la  fin  d'une 
période,  d'une  phase  lunaire  et,  de  ce  chef,  suggèrent  l'opportunité  de  se 
purifier  et  d'apaiser  la  divinité.  Jusqu'ici  nous  ne  sommes  pas  en  état 
d'affirmer  que  le  septième  jour  babylonien  portait  le  nom  spécifique 
de  chabatlu.  En  revanche  il  est  manifeste  que  ce  septième  jour  avait 
exactement  le  même  caractère  que  le  jour  appelé  chabatlu.  Aussi  bien 
ne  pouvons-nous  pas  assurer  que  le  terme  chabatlu  désignait  une  caté- 
gorie déterminée  de  jours.  Il  est  plus  conforme  aux  faits  de  voir  dans 
chabattu  un  terme  générique,  éventuellement  applicable  au  septième 
jour.  Le  sabbat  israélite  n'était  pas  originairement  le  jour  de  la  pleine 
lune  (contre  Meinhold).  Pas  plus  en  Israël  qu'en  Babylonie,  la  sainteté 
du  nombre  sept  et  sa  signification  n'ont  rien  à  voir  avec  les  sept 
planètes  (contre  A.  Jeremias).  M.  Hehn  caractérise  le  rapport  du  sabbat 


1.  Un  volume  in-8o   de  132  p.   (Leipziger  semitische  Studien  de   A.   Fischer 
et  H.  Zimmern,   II,  5),  Leipzig,  Hinrichs,   1907. 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  i.  ii 


162         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

Israélite  au  septième  jour  bal)yIonien  en  ces  termes  :  «  Chez  les  Baby- 
loniens le  chiffie  sept  est  le  nombre  de  la  perfection,  le  septième  jour 
est  considéré  comme  le  terme  d'une  période,  et,  par  suite,  est  consacré 
à  apaiser  les  dieux  pour  les  fautes  qui  ont  pu  être  commises  pendant 
ce  laps  de  temps,  et  à  leur  demander  leur  bienveillance  pour  la  nouvelle 
période  qui  va  s'ouvrir.  Chez  les  Israélites,  le  septième  jour  est  pareil- 
lement le  terme  d'une  période  déterminée  par  les  mouvement^  du  ciel, 
mais  on  y  voit  une  invitation. pour  l'homme  à  suspendre  son  labeur,  et 
il  en  vient  à  voir  dans  le  sabbat  un  jour  de  repos.  Le  Sabbat  Israélite, 
tel  qu'il  apparaît  dans  l'A.  T.,  même  aux  endroits  les  plus  certainement 
anciens,  est  un  jour  d'universel  repos  avec  un  caractère  joyeux  et 
festal.  Ce  par  quoi  il  diffère  du  septième  jour  babylonien  devient  ainsi 
manifeste,  en  même  temps  que  la  solidarité  des  milieux  oîi  l'un  et  l'autre 
sont  nés  se  reconnaît  à  la  souveraineté  du  nombre  sept  et  la  similitude 
des  noms.  >>  p.  I2l.  L'auteur  repousse  la  thèse  de  Jastrow  d'après  lequel 
le  sabbat  biblique  aurait  été,  à  l'origine,  un  jour  néfaste.  Il  étudie  fina- 
lement les  rapports  établis  entre  le  sabbat,  la  création  et  l'exode. 

J'ignore  la  fortune  réservée  aux  conclusions  de  MM.  H.  Grimme  et 
Hehn.  J'ai  déjà  signalé  leur  désaccordsur  l'origine  ou  la  forme  primitive 
du  septénaire  sacré.  Mais  il  est  difficile  de  ne  pas  ranger  ces  deux 
monographies  parmi  les  plus  sérieuses  qui  aient  encore  paru  en  matière 
d'histoire  comparée  des  religions  babylonienne  et  Israélite. 

B.  Période  prophétique.  —  Obligé  de  ne  pas  m'étendre  outre 
mesure,  je  serai  bref  relativement  à  cette  période,  importante  cepen- 
dant, de  l'histoire  de  la  religion  Israélite.  D'ailleurs  peu  de  vues  nou- 
velles se  sont  fait  jour  dans  ce  domaine,  cette  année. 

Les  Poèmes  du  Serviteur  de  Jahvé  dans  Isaïe  ont  été  étudiés  par 
MM.  G.  C.  WoRKMAN  et  F.  Feldmann.  Le  premier  a  publié  sous  ce  litre  : 
The  servant  of  Jehovah  or  the  Passion  -  Prophecy  of  Scripture  anah/sed 
and  elucidated  (1),  un  travail  de  valeur  commune,  oîi  il  revendique  ce 
titre  pour  Lsraël  lui-même.  Le  "econd,  dans  un  ouvrage  d'étendue  à  peu 
près  égale,  mais  en  réalité  de  contenu  plus  riche  et  de  trame  plus 
serrée  :  Der  Knecht  Gottes  in  Jsaias  Kap.  40-55  (2),  défend  l'interpré- 
tation individualiste  et  l'application  directe  à  Jésus.  Il  signale  que 
cette  exégèse  retrouve  faveur.  Elle  le  mérite  à  tous  égards. 

Je  signalerai,  sans  pouvoir  l'étudier,  n'ayant  pas  les  documents  suffi- 
sants, toute  une  catégorie  de  travaux  plus  significatifs.  Ce  sont  ceux  qui 
ont  trait  au  Prophétisme  lui-même,  soit  en  Israël,  soit  chez  les  peuples 
voisins.  Parmi  les  derniers  parus,  je  citerai  :  C  H.  W.  Johns,  The 
prophets  in  Babylonia  {The  Interpréter,  ayrû  1906);  J.  Béville,  Le 
Prophétisme  hébreu.  Esquisse  de  son  histoire  et  de  ses  destinées,  Paris. 
1906;  E.  KoENiG,  Die  Prophétie  in  Israël  iind  bei  den  andern  Vôlkern  des 
Altertums  (Der  alte  Glaube,  VIII,  n°  11);  B.  Baentsch,  Pathologische 
Zûqe  in  Israels  Prophetentum  [Zeitschrift  f.  wiss.  Theolorfie,  30, 
p.  52-81)  ;  G.  Stosch,  Die  Prophétie  Israels  in  religionsgesdi.  IVùrdigwig, 
1907,  etc. 

C.  Période  juive.  —  M.  le  Pasteur Ludwig  Couard  a  pubhé,  avec  dédi- 

1.  Un.  volume  ia-8o  de  XXVI-250  p.,  Londres,  Longmans,   1907. 

2.  Ua  volunu'  gr.   iii-S"  de  VIII-206  p.,   Fribourg  eu  Brisgau,  Herder,  1907. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE   BIBLIQUE  163 

cace  au  professeur  E,  Kautzsch,  un  très  estimable  exposé  synthétique 
intitulé  :  Die  religiosen  und  sittlichen  Anschauungen  der  allteslament- 
lichen  Apokn/phen  U)id  Pseudepigraphen  (1).  Il  y  étudie  en  autant  de 
chapitres  :  Les  sources  et  leur  utilisation  ;  Dieu  ;  Les  anges  ;  Dieu  dans 
ses  rapports  avec  le  inonde  ;  L'homme  et  le  'péché  ;  La  morale  ;  Vespé- 
rance  messianique;  L'eschatologie.  Parmi  les  caractéristiques  de  ce  travail 
je  signalerai,  après  l'auteur  lui-même  :  l'attention  accordée  aux  idées 
morales  des  pseudépigraphes  et  des  apocryphes  ;  et  la  tendance  déclarée 
à  rechercher  dans  les  Livres  canoniques  de  FA.  T.  les  poinls  d'attache 
des  conceplions  développées  dans  la  littérature  post-canonique.  M. 
Couard  est  persuadé,  et  sans  doute  il  n'a  pas  tort,  que  les  influences 
étrangères  ont  eu  sur  le  judaïsme  une  action  moins  étendue  et  beau- 
coup moins  profonde  surtout  qu'on  ne  le  dit  parfois.  Dans  la  morale  des 
pseudépigraphes  et  des  apocryphes,  il  signale  une  tendance  rigoureuse- 
ment particulariste,  non  seulement  par  rapport  aux  païens  mais,  à 
l'intérieur  même  du  judaïsme,  de  secte  à  secte,  de  groupe  à  groupe,  et 
une  tendance  ascétique. 

M.  Couard  souhaite  que  son  petit  livre  puisse  faciliter  l'étude  du 
Recueil  des  Pseudépigraphes  et  Apocryphes  de  Kautzsch.  Par  son  carac- 
tère positif  et  descriptif,  sans  mélange  d'hypothèses,  il  y  est  tout  à 
fait  propre. 

M.  W.  BoussET  a  donné  récemment  une  seconde  édition  de  son  bel 
ouvrage  :  Die  Religion  des  Judentums  imneutestamentlichen  Zeitaltev  {^). 
La  période  étudiée  est  comprise  entre  la  persécution  d'Antiochus  IV  et 
le  soulèvement  Macchabéen  d'une  part  et  d'autre  part  l'anéantissement 
définitif  de  la  nation  juive  sous  Hadrien.  L'ouvrage,  dans  sa  seconde 
édition,  compte  XV-6r7  pages,  au  lieu  de  XIV-512.  II  renferme  une 
introduction,  un  chapitre  préliminaire  sur  les  sources  et  huit  sections 
(au  lieu  de  six,  ou  plus  exactement  de  cinq,  puisque  le  chapitre  actuel 
des  sources  formait  la  première  section).  Ces  sections  ont  respective- 
ment pour  titre:  Tendances  universalisles  et  particularisme  national; 
Piété  cultuelle  et  piété  légale;  Les  formes  nouvelles  de  la  nouvelle 
(légale)  piété  ;  Les  idées  relatives  au  jugement;  Le  monothéisme  elles 
influences  sous-jacentes  limitatrices  du  monothéisme  ;  Dieu  et  Chomme  ; 
Les  formes  secondaires  de  la  piété  juive  ;  Le  problème  dliistoire  reli- 
gieuse. Ceux  de  nos  lecteurs  qui  ont  entre  les  mains  la  première  édition 
savent  quelle  abondance  de  matériaux  et  quels  rapprochements,  souvent 
suggestifs,  renferme  ce  livre.  Tout  cela  s'est  encore  accru,  spécialement 
en  ce  qui  concerne  les  points  suivants  :  la  substitution  de  la  piété 
légale  à  la  piété  cultuelle  (ch.  m)  ;  la  piété  chez  les  laïques  ;  les  prin- 
cipes de  la  morale;  la  vie  de  prière,  etc. 

M.  Bousset  n'a  modifié  sur  aucun  point  important  ses  idées  anté- 
rieures. En  revanche,  la  manière  dont  il  les  présente  est  nouvelle,  et 
peut-être  d'aspect  un  peu  moins  paradoxal.  Sans  abandonner  — ■  c'est 
lui-même  qui  nous  en  avertit,  et  en  vérité  ce  n'était  pas  nécessaire,  — 
la  conviction  que  le  judaïsme  tardif  tendait  à  s'organiser  en  Église  et 

1.  Ia-12    de    VI-248    p.,    GiitersLoh,    Bertelsmami,    1907. 

2.  Un  volume  gr.   in-8o   de   XV-617  p.,   Berlin,   Reuther  et   Reichard,   1906. 


164         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

que  c'est lasignifîcatioD  priacipale  de  son  évolution,  il  n'a  pas  cru  devoir 
persister  dans  sa  tentative  de  ramener  à  ce  point  de  vue  et  de  présenter 
sous  ce  jour  tout  l'ensemble  des  manifestations  de  la  piété  juive.  Il  a 
remanié,  en  conséquence,  les  divisions  de  son  livre  et  laissé  au  second 
plan  la  conception  qui  avait  présidé,  dans  la  première  édition,  à 
l'organisation  générale  des  matériaux.  Mais  M.  Bousset  est  un  esprit 
synthétique  et  il  lui  fallait,  à  tout  prix,  une  idée  directrice  et  organisa- 
trice. Il  a  cru  la  trouver  dans  la  substitution,  au  sein  du  judaïsme,  de 
la  piété  légale  à  la  piété  cultuelle.  Et  dans  cette  substitution  il  découvre 
à  nouveau  le  principe  et  le  signe  d'un  judaïsme  évoluant  du  nationa- 
lisme et  du  particularisme  religieux  vers  l'individualisme  et  l'universa- 
lisme.  Mais  enfin  il  ne  parle  plus  autant  d'Église  juive  et  c'est  déjà 
quelque  chose. 

Dans  son  article  intitulé  :  Le  Judaïsme  de  la  Dispersion  tendait-il  à 
devenir  une  Eglise?  {!),  Mgr  Batiffol  a  montré  combien  les  vues  de 
M.  Bousset  sur  ce  point  étaient  chimériques.  Sa  conclusion  mérite 
d'être  citée:  «  La  vérité  est,  semble-t-il  bien,  que  le  judaïsme  histo- 
rique, celui  que  les  pharisiens  représentaient,  était  fondé  sur  l'idée  de 
peuple  et  sur  l'idée  de  loi  :  on  était  ou  on  n'était  pas  enfant  d'Abraham, 
on  observait  ou  on  n'observait  pas  la  T.oi.  Ce  particularisme  était  un 
article  essentiel  de  la  foi  juive,  et  l'idée  d'Église  lui  est  hétérogène. 

»  Le  judaïsme  hellénisé  eut  l'intuition  d'un  universalisme  religieux, 
mais  il  le  conçut  moins  comme  une  foi  réformée,  que  comme  une 
apologie  de  la  foi  traditionnelle,  un  argument  pour  forcer  le  respect  des 
Grecs.  On  l'a  dit  avec  justesse,  le  judaïsme  hellénisé  défendait  sa 
religion  au  moyen  de  l'hellénisme,  tandis  que  le  pharisaïsme  la  défen- 
dait contre  l'hellénisme.  Le  judaïsme  hellénisé  n'a  pas  élargi  l'idée  du 
peuple  de  Dieu,  pas  plus  que  restreint  l'idée  de  la  Loi  ;  son  apologé- 
tique fut  une  littérature,  et  rien  d'autre.  Le  prosélytisme,  enfin,  fut  une 
application  de  cette  apologétique,  mais,  comme  elle,  il  concluait  à  la 
circoncision.  Quiconque  n'aboutissait  pas  là  était  un  allophyle,  un 
étranger,  un  impur,  car  le  peuple  et  la  Loi  étaient  au-dessus  de  tout.  » 
p.  209. 

Malgré  que  je  n'aie  pas  entre  les  mains  la  4®  édition,  qui  vient  de 
paraître,  du  second  volume  delà  Geschichte  des jûdischen  Volkes  im 
Zeitalter  Jesu  Christi{^)  de  M.  E.  Schurer,  je  ne  veux  pas  omettre  d'en 
faire  mention  ici.  On  sait  que  ce  second  volume  est  consacré  à  la  situa- 
tion intérieure  du  judaïsme,  spécialement  au  point  de  vue  religieux. 
Moins  systématique  que  l'exposé  parallèle  de  M.  Bousset,  avec  moins 
d'ouverture  aussi  sur  le  monde  religieux  d'alors,  en  dehors  de  l'hellé- 
nisme, l'étude  de  M.  Schurer,  si  elle  est  peut-être  moins  suggestive, 
n'en  est  que  plus  sûre  et  peut  servir  à  contrôler  les  vues  du  professeur 
de  Goettingue.  Elle  garde  donc  une  valeur  de  premier  ordre.  La  nouvelle 
édition  présentée  au  public  par  l'auteur  lui-même,  dans  la  llieologische 
Literaturzeitung  [3),   contient  de  nombreuses  additions  en  note  et  dans 

1.  Revue  Biblique,  avril  1906,  pp.  197-209. 

2.  Un  volume  in-8o  de  YI-680  pp.  (au  lieu  de  VI-584),  Leipzig,  Hiurichs, 
1907. 

3.  1907.  110  22.  col.  607-608. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  165 

le  texte  même.  Elles  affectent,  en  particulier,  les  questions  suivantes  : 
Influences  étrangères  sur  le  judaïsme,  Jésus  Sirach  et  la  liberté,  les 
Sadducéens  (contre  Hôlscher),  les  synagogues  en  Egypte  depuis  le 
III'  siècle  av.  J.-C,  l'espérance  messianique  dans  Jésus  Sirach,  le  Fils 
de  l'homme,  l'éternelle  valeur  de  la  Loi,  la  vie  après  la  mort,  l'espé- 
rance messianique,  etc..  M.  Schiirer  a  utilisé  pour  ces  additions  et 
éclaircissements  les  nouvelles  découvertes  de  papyrus,  manuscrits, 
inscriptions,  monnaies,  et  les  travaux  récents  sur  les  documents  déjà 
connus. 

M.  G.  HoELSCHER  a  entrepris  de  reviser  la  théorie,  communément 
admise  depuis  cinquante  ans,  qui  fait  des  Sadducéens  le  parti  de 
l'aristocratie  sacerdotale.  C'est  là  l'objet  principal  de  l'étude  qu'il  a 
publiée  sous  ce  titre  :  Der  Sadduzàismiis .  Eine  krilische  Untersuchunfj 
zur  spiiteren  jûdischen  Religionsgeschichle  (\).  La  première  section  traite 
de  l'essence  du  Sadducéisme.  Les  Sadducéens  représentent  sous  les 
Hérodes  les  tendances  qui  s'incarnèrent  dans  les  Hellénistes  d'avant  le 
mouvement  macchabéen.  Ils  sont,  comme  l'on  disait  à  la  fin  de  notre 
XVIII'  siècle,  «le  parti  des  lumières».  Leur  position  doctrinale  est 
caractérisée  par  la  négation  de  la  Providence,  de  la  résurrection  et  par 
une  large  indifférence  à  l'égard  de  la  Loi.  La  littérature  rabbinique  et 
Josèphe,  non  moins  que  le  N.  T.,  les  considèrent  comme  traîtres  à  la 
foi  juive  authentique.  La  seconde  section,  qui  est  la  section  capitale, 
a  pour  titre  :  Sadducéisme  et  Haut  Sacerdoce.  La  base  de  la  recherche 
sur  ce  point  est  l'œuvre  de  Josèphe.  M.  Hôlscher  découvre  dans  l'histo- 
rien juif,  dont  l'attitude  hostile  au  sadducéisme  a  été  signalée  plus 
haut,  une  double  tradition  relativement  au  souverain  pontificat.  Dans 
la  Guerre  Juive,  il  est  uniformément  favorable  aux  grands  prêtres  : 
dans  les  Antiquités  judaïques,  il  leur  est  généralement  hostile.  M.  Hôl- 
scher s'efforce  d'expliquer  celte  diversité  d'attitudes  et  surtout  il  insiste 
sur  le  fait  que,  sauf  en  ce  qui  concerne  la  famille  de  Boethos  dont 
Josèphe  dit  positivement  qu'elle  était  sadducéenne,  l'historien  ne 
donne  nulle  part  l'impression  qu'il  considère  sadducéisme  et  aristo- 
cratie sacerdotale  comme  des  termes  s'impliquant  l'un  l'autre.  La  sym- 
pathie qu'il  témoigne  aux  grands  prêtres,  dans  la  Guerre  Juive, 
s'oppose  même  formellement  à  celte  supposition.  Même  dualité  de 
traditions  dans  le  N.T.  et  la  littérature  rabbinique.  M. Hôlscher  explique- 
rait la  tradition  hostile  aux  grands  prêtres  et  l'accusation  de  Saddu- 
céisme portée  contre  leHaut  Sacerdoce  pris  en  blocpar  la  haine  desJuifs, 
après  la  ruine  de  Jérusalem,  à  l'égard  de  Rome  et  de  ses  amis.  L'aristo- 
cratie sacerdotale,  qui  en  avait  été,  fut  considérée  comme  traître  à  la 
foi  nationale  et  impie.  Le  qualificatif  de  sadducéen  lui  fut  assez  natu- 
rellement appliqué.  La  troisième  section  expose  lorigine  du  Saddu- 
céisme. A  proprement  parler,  il  ne  remonte  pas  au  delà  de  l'époque 
Hérodienne.  Tout  ce  que  M.  Hôlscher  accorde,  c'est  qu'il  constitue  une 
résurrection  et  une  aggravation  des  tendances  hellénisantes  qui  carac- 
térisent les  derniers  Sadoqides  et  que  le  mouvement  macchabéen 
balaya.  Jean  Hyrcan,  Aristobule,  Alexandre  Jannée  n'étaient  nullement 
sadducéens. 

1.  Un.    volume    gr.    in-8o    de    IV-116    p.,    Leipzig,    Hinrichs,    1907. 


166  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

M.  ScHURER,dans  une  longue  recension  [Theologischb  Literalurzeitung, 
1907,  n"  7,  col.  200-203)  et  dans  la  récente  édition  du  second  volume  de 
son  Histoire  du  peuple  Juif  (voir  plus  haut),  s'est  élevé  avec  force 
contre  la  thèse  de  M.  Hôlscher  et  il  a  protesté  contre  le  traitement 
infligé  à  Josèphe. 

M.  Vaganay  nous  a  donné,  comme  thèse  de  doctorat  en  théologie, 
une  étude  vraiment  excellente  sur  Le  Problème  eschatologique  dans  le 
IV^  livre  d'Esdras  (1).  Après  une  Introduction  où  il  étudie  le  problème 
textuel,  littéraire  et  historique,  M.  Vaganay  traite  en  deux  parties  la 
position,  puis  la  solution  du  problème  eschatologique  dans  le  Pseudo- 
Esdras.  Voici  la  conclusion  :  «  Ce  qu'il  y  a  peut-être  d'original  dans 
cette  apocalypse,  c'est  le  caractère  bien  tranché  decette  opposition  entre 
l'eschatologie  nationale  et  l'eschatologie  individuelle.  Une  telle  sépara- 
tion répondait  d'ailleurs  à  un  état  psychologique  spécial  de  l'auteur. 
Après  la  ruine  de  Jérusalem,  la  question  messianique  revêtait  aux  yeux 
des  Juifs  plus  d'importance  que  jamais.  iNotre  pseudo-prophète  a  voulu 
aborder  le  problème,  comme  il  se  posait  désormais  devant  sa  conscience. 
Convaincu  de  la  corruption  intime  du  monde  présent  et  de  la  nécessité 
d'une  vengeance  divine  sur  les  pécheurs  obstinés,  il  ne  pouvait  s'arrê- 
ter seulement  à  la  conception  d'un  règne  de  justice  et  de  bonheur  sur 
cette  terre,  après  le  triomphe  du  Messie  sur  les  ennemis  d'Israël.  Et, 
d'autre  pjirt,  la  pensée  de  la  revanche  lui  tenait  toujours  à  cœur.  11 
n'avait  abandonné  aucune  des  espérances  nationales  de  ses  compa- 
triotes. Il  était  resté,  malgré  les  événements,  fermement  attaché  aux 
rêves  d'avenir  de  ses  ancêtres.  Comment  aurait-il  pu  concevoir  un  au- 
delà  céleste  sans  Messie?  Il  y  avait  donc  réellement  dans  celte  âme 
un  conflit  de  tendances. Une  nouvelle  solution  eschatologique  s'imposait. 
L'auteur  la  trouva  dans  un  Messianisme  plutôt  amoindri,  préludant 
aux  destinées  éternelles  de  l'humanité  entière...  »  p.  120. 

  la  page  précédente,  il  remarque  à  propos  du  Livre  d'Hénoch 
(éthiopien)  :  «  ...  L'auteur  (Hénoch)  divise  le  cours  du  monde  en  dix 
semaines.  La  huitième  symbolise  la  félicité  messianique,  la  neuvième 
et  la  dixième  représentent  le  jugement  général  après  lequel  apparaît  la 
nouvelle  création.  N'avons-nous  pas  là  en  germe  la  théorie  millénariste 
ou  Chiliasme  ?  »  En  tout  cas  :  «  L'idée  d'un  royaume  terrestre  provisoire, 
précédant  la  rétribution  définitive  des  individus,  existait  donc  avant 
Esdras.  » 

Il  m'est  impossible  d'accorder  même  une  simple  mention  à  toutes  les 
études  de  détail  qui  en  seraient  dignes.  Je  citerai  seulement  divers 
articles  remarquables  de  notre  collaborateur  M.  L.  Gry  :  Le  Roi-Messie 
dans  Hénoch,  (Muséon,  VI,  p.  129-139)  ;  Le  Messie  des  Psaumes  de 
Salomon,  {ibid.  p.  231-248)  ;  L'idée  de  Dieu  dans  les  Apocryphes  de  l'A. 
T.  {ici  même,  I,  p.  44-63)  ;  et  une  intéressante  étude  du  R.  P.  Protin  : 
Le  Messie  souffrant  dans  la  pensée  juive.  (Rev.  August.,  X,  5-20). 

D.  Études  Comparatives.  —  M.  Daniel  Voelter,  professeur  de  théo- 
logie à  Amsterdam,  vient  de  donner  une  troisième  édition,  sérieusement 
revue,  de  son  ouvrage  estimé  :  Aegypten    und   die   Bihel.    Die    Urges- 

1.  Un  volume   gr.  in-8o  de  XII-121   p.,   Paris,   Picard,   1906. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE   BIBLIQUE  167 

chichle  Israels  imLicht  der  aegyplischen  Mythologie  (l).  Les  points  suivants 
y  sont  examinés  :  Abraham  et  sa  famille  ;  Jacob  et  sa  famille  ;  Moïse  et 
le  Dieu  du  Sinaï  ;  L  arche  de  Jahvé  ;  Samson.  Il  a  lui-même  résumé,  et 
fort  clairement,  ses  vues  dans  cette  conclusion  :  a  ...  Les  tribus 
sémitiques,  qui  séjournèrent,  pour  partie  sur  la  frontière  orientale  de 
l'Egypte,  pour  partie  au  nord  de  la  péninsule  Sinaïtique,  et  qui  se 
fixèrent  ensuite  dans  cette  Palestine  si  longtemps  soumise  à  l'influence 
égyptienne,  ont  vécu  en  contact,  non  seulement  avec  la  civilisation 
égyptienne,  mais  avec  la  théologie  et  le  culte  égyptiens  et  ont  subi 
profondément  leur  action...  L'étendue  de  cette  action  de  FÈgypte  sur 
la  religion  ancienne  d'Israël  se  découvre  spécialement  en  ceci  que  même 
le  Dieu  du  Sinaï,  le  Dieu  de  l'arche  se  laisse  identifier  avec  les  divinités 
égyptiennes  et  que  l'on  ne  saurait  comprendre  sa  vraie  nature  en  dehors 
de  cettecomparaison.  L'identité  de  Jahvé,  dieu  du  Sinaï  et  de  l'arche,  avec 
le  Chépéra  égyptien  et  Ptah-Sokar-Osiris  —  ce  qui  en  fait  la  person- 
nification du  soleil  hivernal  et  nocturne,  un  dieu  qui  habite  l'obscurité 
etqui  se  révèle  par  le  législateur  Moïse,  forme  lui-même  de  Thot,  dieude 
la  nouvelle  lune  —  a  joué  un  rôle  important  dans  la  transformation 
spirituelle  et  morale  du  concept  israélile  de  Dieu  et  dans  l'évolution 
monothéiste  de  la  religion  d'Israël.  Il  en  est  résulté  que  tout  ce  qui  a 
passé  en  Israël  en  fait  de  figures  divines  et  de  mythes  divins  d'origine 
égyptienne,  a  été  rabaissé  au  niveau  de  la  sphère  humaine  et  historique 
et  s'est  déposé  principalement  dans  les  légendes  de  toute  sorte  relatives 
aux  patriarches  et  aux  tribus.  »  p.  123. 

M.  AViEDEMAiNN,  l'émineut  égyptologue,  tout  en  rendant  hommage  à 
l'érudition  de  M.  Vôlter,  oppose  à  ses  conclusions  la  simple  et  décisive 
remarque  que  voici  :  «  L'auteur  peut  bien  accumuler  les  ressemblances 
et  les  analogies,  ainsi  que  cela  se  pratique  souvent  lorsqu'on  compare 
à  diverses  mythologies...  des  récits  d'événements  plus  ou  moins  his- 
toriques. Mais  la  conviction  du  recenseur  est  que  l'on  ne  saurait  fonder 
sur  le  simple  fait  de  ce  parallélisme, sans  plus,  l'hypothèse  d'une  solidarité 
réelle  et  d'emprunts.  Or,  ce  qui  manque  dans  cet  ouvrage,  c'est  la  preuve 
que  l'assimilation  non  seulement  est  possible  sous  bénéfice  de  certaines 
présuppositions,  mais  qu'elle  est  réelle.  »  (Theologische  Literaturzeitung, 
1907,  n°  20,  col.  546.)  Il  reste  que  l'ouvrage  de  M.  Vôlter  est  le  livre  à 
lire  sur  ce  sujet. 

M.  le  professeur  P.  Jensen,  de  Marbourg,  dans  son  gros  volume  : 
Dus  Gilgamesch-Epos  in  der  Weltliteratur.  Die  Ursprùnge  der  alttes- 
tamentlichen  Patriarchen-,  Propheten-  und  Befreier-Sage  iind  der  neu- 
testamentlichen  Jesns-Sage  (2)  soutient  une  thèse  qui  n'est  pas  préci- 
sément nouvelle,  mais  il  la  pousse  si  loin  qu'on  se  demande  vraiment, — 
comme  M.  Smith  à  propos  de  M.  Cheyne  —  s'il  n'a  pas  eu  l'arrière-pensée 
d'en  faire  éclater  à  tous  les  veux  la  totale  invraisemblance.  Mais  non  ; 
lui  aussi  parle  sérieusement.  C'est  à  croire  que,  pas  plus  que  M.  Cheyne, 
il  n'a  le  sens  de  l'humour,  de  l'humour  qui  est  dans  les  choses. 
Qu'on  en  juge  par  cet  échantillon,  «Jésus  de  Nazareth...  n'a  jamais  vécu 

1.  Un  volume  gr.  in-8o  de   125  p.,  Leyde,  Brill,   1907. 

2.  \]n   volume   gr.   in-S^   de   XVIII-IOSO   p.,   Strasbourg,    Trubner,    1906. 


168         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

sur  terre  et  jamais  il  n'y  a  subi  la  mort.  Il  n'est  rien  autre  chose  qu'un 
Gilgamech  israélite....  Comme  jadis  les  Babyloniens  dans  leur  Gilgamech, 
ainsi  les  Chrétiens  en  leur  Jésus  —  pour  moitié  —  rendent  un  culte  au 
soleil  s'enfonçant  dans  la  nuée  et  disparaissant  aux  regards  des  hommes, 
à  notre  grand  soleil  radieux,  celui-là  même  qui  déjà,  il  y  a  des  milliers 
de  siècles,  montait  et  descendait  au  ciel  babylonien  et  forçait  la  sup- 
pliante adoration  et  le  culte  reconnaissant  du  roi  et  du  peuple  de  la 
Babylonie.  »  p.  1029.  La  plus  grande  partie  de  l'histoire  évangélique 
n'est  qu'un  mythe.  Les  discours  que  les  Synoptiques  prêtent  à  Jésus 
sont  dun  inconnu. 

Ainsi  en  va-t-il  pour  presque  toutes  les  figures  caractéristiques  de 
la  tradition  israélite.  M.  Jensen  ne  voit  partout  que  des  Gilgamech 
travestis.  Chaque  tribu  a  collaboré  à  cette  vaste  épopée  mythique, 
fournissant  souvent  plusieurs  exemplaires  nouveaux  de  l'antique  héros 
solaire.  Lévi  possède  Moyse,  Âaron,  Éliézer,  le  grand-prêtre  Josué, 
Esdras,  Daniel,  Azarias  ;  Juda  a  créé  Josué  de  Belh  Chemech,  Éléazar 
fils  dAminadab,  David,  Jacob,  Ésaii,  Joseph,  Abraham  ,  Isaac,  etc. 
Et  ainsi  des  autres  tribus. —  Une  part  très  importante  de  l'histoire  d'Israël 
s'écroule,  ou,  s'il  reste,  dans  la  poussière  des  décombres,  quelques 
matériaux  plus  résistants,  il  devient  difficile  de  les  distinguer  et  surtout 
l'on  ne  sait  plus  qu'en  faire.  Il  est  donc  dans  la  logique  fatale  de  ces 
comparaisons  entre  des  mythes  avérés  et  l'histoire  d'aboutir  à  de 
pareilles  extravagances.  Il  faut  dire  que  le  livre  de  M.  Jensen  a  causé 
dans  le  monde  savant  une  véritable  stupeur.  La  réputation  scientifique 
de  Téminent  assyriologue  est  solidement  établie,  heureusement  pour  lui. 
Tout  le  monde  ne  pourrait  pas  commettre  impunément  un  ouvrage 
pareil. 

Après  l'Egypte  et  l'Assyro-Babylonie,  la  Perse.  Beaucoup  de  savants, 
M.  Bousset,  par  exemple,  dans  le  livre  recensé  plus  haut,  croient  pou- 
voir affirmer  que  les  idées  religieusesdela  Perse  ontexercé  une  influence 
sur  le  Judaïsme,  spécialement  en  matière  d'eschatologie.  La  question 
vient  d'être  étudiée  à  nouveau  par  un  éraniste  d'autorité  reconnue, 
M.  L.  H.  Mills  dans  un  livre  intitulé  :  Zarathuslitra,  Philo,  the  Achaeme- 
nids  and  Israël  (1).  M.  Mills  est  professeur  de  philologie  Zend  à  Oxford 
et  c'est  lui  qui  a  achevé  la  traduction  de  l'Avesta  commencée  par  J. 
Darmesteter  pour  la  collection  :  The  sacred  Books  of  the  East.  L'on  sait 
que  Darmesteter,  vers  la  fin  de  sa  vie,  se  prononça,  non  sans  éclat, 
pour  la  codification  tardive  de  l'Avesta.  Les  Gàthas  elles-mêmes,  sous 
leur  forme  actuelle,  sont  récentes,  postérieures  à  Philon  dont  elles 
dépendent  sur  certains  points.  C'est  pour  combattre  cette  manière  de 
voir  que  M.  Mills  a  pris  la  plume.  Son  livre  comporte  deux  parties.  Dans 
la  première,  il  compare  les  doctrines  des  Gàthas  à  celles  principalement 
de  Philon  et  de  l'école  Platonicienne.  Les  Gàthas  ne  doivent  rien  à  la 
philosophie  grecque  ni  à  Philon  et  c'est  Philon  qui  leur  est  redevable. 
Dans  la  seconde  partie,  il  s'efforce  de  reconstituer  les  grandes  lignes 
du  système  religieux  des  Achéménides  à  l'aide  des  inscriptions  et  des 

1.  Un  volume  --r.  in-S»  de  XIII-460  p.,  Chicago,  The  Opeu  Court  PubUs- 
Inng  Cf>,  1906. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  169 

renseignements  contenus  dans  la  Bible  ;  puis,  comparant  ce  système  à 
l'Avesta,  il  conclut  dans  le  sens  d'une  homogénéité,  d'une  identité, 
partielle  mais  caractéristique,  de  conceptions.  Les  Gâthas  ne  peuvent 
être  postérieures  à  630  av.  J.-C.  On  pourrait  remonter  à  la  rigueur 
jusqu'à  930  et  peut-être  à  1000  ou  1200.  Elles  sont  bien  l'œuvre  d'un 
personnage  historique  du  nom  de  Zoroastre.  Même  les  parties  non  Gâ- 
thiques  de  l'Avesta  sont  anciennes,  certainement  antérieures  à  Hérodote 
(V*  siècle  av.  J.-C),  sous  réserve  d'additions  beaucoup  plus  récentes. 
L'auteur  s'attache,  en  terminant,  à  préciser  les  relations  existant  entre 
l'Avesta,  qu'il  conçoit  résolument  comme  un  système  cohérent,  ho- 
mogène, et  l'A.  T.  Il  conclut,  pour  une  part  restreinte,  à  un  dévelop- 
pement parallèle  des  deux  doctrines  à  partir  de  sources  communes 
fort  lointaines  et,  pour  une  part  beaucoup  plus  importante,  à  l'action  du 
Zoroastrisme  sur  la  religion  juive,  à  partir  de  l'exil.  —  L'étude  du 
professeur  Mills,  difficile  à  suivre  à  force  de  subdivisions,  est  de  celles 
qui  s'imposent  à  l'attention.  L'influence  qu'il  attribue  au  Zoroastrisme 
a-t-elle  été  aussi  considérable  qu'il  le  pense  ?  J'abandonne  volontiers 
le  soin  d'en  juger  à  de  plus  compétents.  Cependant  l'on  ne  peut  s'em- 
pêcher d'éprouver  un  insurmontable  sentiment  de  défiance  en  voyant 
assyriologues,  égyptologues  et  éranistes,  pour  ne  parler  que  de  ceux-là, 
réclamera  l'envi,  en  faveur  de  ces  peuples  divers,  l'honneur  d'avoir 
modelé  à  leur  image  la  pensée  religieuse  d'Israël.  On  dirait  que  la 
seule  quantité  négligeable  en  tout  cela,  c'est  Israël  lui-même.  Et  puis, 
tant  de  prétentions  diverses  finissent  par  paraître  difficiles  à  concilier. 
Heureusement  que  le  Panbabylonisme  vient  tout  arranger  en  assurant 
qu'au  fond  ces  systèmes  religieux  ne  sont  que  les  formes  multiples 
d'une  doctrine  unique. 


II.   —    NOUVEAU    TESTAMENT 

Cette  fois  encore  il  semble  bien  que  l'activité  ait  été  moindre  dans  ce 
domaine  que  dans  celui  de  la  religion  israélite  et  juive.  L'on  n'a  guère 
abordé  que  des  problèmes  particuliers.  Naturellement  les  études  qui 
leur  ont  été  consacrées  ne  laissent  pas  que  d'être  fort  nombreuses.  Je 
devrai  me  borner  à  celles  qui,  pour  une  raison  ou  pour  une  autre, 
paraissent  offrir  un  intérêt  spécial. 

A.  Les  Évangiles  Synoptiques.  —  Le  livre,  d'ailleurs  intéressant,  de 
M.  A.  Harnack,  Spnïcke  und  Reden  Jesu.  Die  zireite  Quelle  des  Mat- 
thàus  und  Liikas  (1)  est  proprement  une  étude  de  critique  littéraire. 
Il  dépasse  donc  l'horizon  de  ce  bulletin.  Au  sentiment  de  M.  Harnack, 
le  recueil  de  Logia,  utilisé  comme  seconde  source  — -.  à  côté  de  Marc  — 
par  Matthieu  et  Luc,  est  indépendant  du  second  Évangile.  Il  lui  est, 
en  outre,  antérieur,  et  représente,  par  rapport  à  lui,  une  forme  pri- 
mitive, moins  élaborée  et  particulièrement  digne  de  foi,  de  la  tradition 
évangélique   (contre    Wellhausen).    Je   signalerai    le    ch.    VI   de   cet 


1.  In-8o  de   lV-220  p.  {Beitràge  zur  Einleitung  in  clas  Neue  Testament,   II) 
Leipzig,  Hinrichs,   1907. 


"170         REVUE   DES  SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

ouvrage   où  l'auteur  étudie  le  contenu   du  Recueil,    la  manière  dont  il 
représente  l'œuvre  de  Jésus  et  Jésus  lui-même.  En  voici  le  résumé. 

Les  commandements  de  Jésus  occupent  le  premier  plan.  Ils  s'adres- 
sent à  chacun  pris  individuellement.  Nulle  trace  d'organisation  ni 
d'Église.  Nulle  opposition  de  principe  au  Judaïsme.  Nul  sentiment 
d'une  Loi  nouvelle  se  substituant  à  l'ancienne  et  faisant  contraste  avec 
elle.  En  revanche,  l'altitude  de  Jésus  est  ouvertement  hostile  aux 
conceptions  et  aux  mœurs  religieuses  des  Juifs  contemporains,  et  sa 
sympalliie  pour  les  Gentils  très  marquée.  La  morale  qu'il  prêche  vise 
à  créer  des  dispositions  intérieures.  L'idée  de  royaume  de  Dieu  se 
rencontre  souvent.  Ce  royaume  est  tout  ensemble  présent  et  futur.  Le 
point  de  vue  eschalologique,  quoique  réel,  ne  doit  pas  être  exagéré. 
.  La  personne  de  Jésus,  malgré  que  peut-être  elle  demeure  au  second 
plan,  n'en  tient  pas  moins  dans  notre  recueil  et  dans  sa  conception  une 
place  importante.  La  passion  n'est  pas  mentionnée.  Le  baptême  est  conçu 
comme  l'onction  messianique  de  Jésus,  la  tentation  comme  une  épreuve 
messianique.  Dans  le  discours  sur  la  montagne,  Jésus  est  plus  que 
prophète.  L'expression  «  Fils  de  l'homme  jî>  est  un  titre  messianique. 
En  résumé,  nombreuses  affirmations  implicites  de  la  messianité  de 
Jésus,  pas  de  déclarations  expresses.  Le  recueil  de  Logia  est  visible- 
ment destiné  à  la  seule  communauté  chrétienne  qui  professe  déjà  que 
son  maître  est  le  Messie.  Toute  apologétique  était  donc  superflue. 

Cependant  si  l'on  croyait  ne  pas  devoir  faire  figurer  dans  notre 
recueil  les  récils  du  baptême  et  de  la  tentation  —  dont  la  présence 
n'est  pas  absolument  certaine  —  on  obtiendrait  un  tableau  tout  autre  : 
celui  de  Jésus  évitant  d'abord  de  prendre  et  même  d'accepter  le  titre  de 
Messie  et  ne  le  revendiquant  que  plus  lard  et  encore  dans  un  sens 
eschalologique,  c'est-à-dire  comme  désignation  d'un  office  et  d'une 
qualité  essentiellement  liés  à  la  Parousie  et  dont  il  ne  sera  investi 
qu'à  cette  date.  Pour  le  moment,  il  ne  serait  qu'un  envoyé  de  Dieu,  un 
prophète,  un  docteur.  C'est  la  conception  même  que  certains  critiques 
croient  découvrir  dans  Marc.  —  On  n'oubliera  pas  que  le  contenu  et 
l'existence  même  de  ce  Recueil  de  Logia,  tel  que  le  conçoit  M. 
Harnack,  appartiennent  au  domaine  de  la  conjecture. 

Les  Streitfragen  der  Geschichte  Jesu  {V,  de  M.  Fr.  Spitta  doivent  être 
mentionnées  ici  à  raison  des  sections  II.  III.    IV. 

Section  II  :  Conversation  de  Jésus  avec  ses  disciples  à  Belhsaïda  (pp. 
83-143).  Il  s'agit  de  ce  que  l'on  appelle  communément  la  Confession  de 
Pierre  à  Césarée  {Malt,  xvi,  13-22  ;  Marc,  vm,  27  33  ;  Luc  IX,  18-22). 
Le  mol  de  confession  paraît  tout  à  fait  inexact  à  M.  Spitta.  Cette  scène 
ne  représente,  ni  la  première  découverte  de  la  messianité  de  Jésus  par 
les  Douze,  ni  une  reconnaissance  solennelle  de  cette  messianité.  Il  y  a 
longtemps  que  les  Douze  ont  reconnu  en  Jésus  le  Messie.  C'est  bien  plus 
simple  et  bien  plus  modeste.  Les  Douze  viennent  d'achever  la  mission 
que  Jésus  leur  avait  confiée.  Le  Maître  leur  demande  ce  que  le  peuple 
dit  de  lui,  puis  ce  qu'eux-mêmes  en  disent,  viennent  d'en  dire.  «  Que 
tu  es  le  Christ  de   Dieu  »,  répond  Pierre,  d'après  I^uc   qui   a  le  texte 

1.  In-8o    de    VIII-230   p.,    Goettingue,    Vandenhoeck    et    Ruprecht,    1907. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  171 

primitif.  Jésus  leur  défend  de  dire  cela,  de  parler  de  lui  en  ces  termes. 
M.  Spitta  tient  que  la  réponse  de  Jésus  à  Pierre,  Matt.  xvi,  17-19  n'est 
pas  à  sa  place.  Ces  paroles  ont  été  prononcées  beaucoup  plus  tôt,  lors 
du  premier  appel  de  Pierre,  Cfr.  Jo.  1,  42.  La  scène  de  Bethsaïda  est 
loin  d'avoir  l'importance  qu'on  lui  attribue.  Elle  ne  marque  nullement 
un  «  tournant  »  dans  l'histoire  de  Jésus 

Section  III  :  Fils  de  David  et  Seigneur  de  David  (pp.  144-172).  Dans 
la  question  de  Jésus,  rapportée  J/a<<.,  xxii,  41-46;  Marc,  xii,  33-37; 
Luc,  XX,  41-44,  beaucoup  de  critiques  croient  apercevoir  l'intention 
de  protester  contre  la  conception  juive  qui  faisait  du  Messie  le  Fils 
de  David.  M.  Spitta  n'est  pas  de  cet  avis.  Prenant  Luc  pour  base,  il 
conjecture  que  le  récit  primitif  utilisé  par  les  Synoptiques  était  ainsi 
constitué  :  Ltic  XX,  27,  36,  41''-44,  39,  40,  La  question  des  relations 
du  Christ  avec  David  venait  comme  réponse  à  l'interrogation  des  Saddu- 
céens  touchant  la  résurrection.  Comme  exemple  delà  diversité  des  situa- 
tions dans  ce  siécle-ci  et  dans  l'autre,  Jésus  rappelle  le  cas  typique  du 
Messie,  fils  de  David  au  point  de  vue  du  siècle  présent,  Seigneur  de 
David  au  point  de  vue  du  siècle  à  venir.  Bien  loin  de  protester  contre 
ridée  courante  du  Christ  fils  de  David,  Jésus  la  suppose  fondée  et  en 
fait  la  base  de  son  argumentation.  Si,  d'autre  part,  on  admet,  ainsi 
qu'on  le  doit,  que  Jésus  se  croyait  le  Messie  et  se  donnait  comme  tel, 
il  en  résulte  que.  d'après  le  plus  ancien  document  qui  nous  soit  accessible 
{der  synoplische  Gruudsclirift),  il  se  tenait  pour  issu  de  David.  Il  est 
même  vraisemblable  que  cette  conviction  joua  un  rôle  dans  le  déve- 
loppement de  sa  conscience  messianique. 

Section  IV  :  Le  Christ  agneau  {pp.  172-224).  Que  signifie  au  juste 
ce  prédicat  symbolique  ?  Dans  l'Apocalypse  oii  le  terme  àoviov  (équi- 
valent de  l'inusité  àp/iv,  bélier)  apparaît  28  fois,  l'on  découvre  deux 
conceptions  qui  s'entrecroisent  :  celle  du  bélier,  symbole  de  chef  et 
celle  delà  brebis,  type  de  victime.  Dans  la  littérature  juive  tardive, 
le  Messie  se  trouve  parfois  représenté,  en  tant  que  défenseur  et  guide 
du  troupeau  d'Israël,  par  un  bélier  (àpvt'ov  et  quelquefois  àp^ô;)  cornu. 
Cfr.  Hénocit,  Testament  des  XII  Patriarches.  La  formule  du  Baptiste 
rapportée  par  le  IV*^  Évangile  et  qui  peut  fort  bien  être  historique  : 
«  Voici  l'agneau  de  Dieu  »,  se  rattache  au  symbolisme  du  bélier  con- 
ducteur et  protecteur  du  troupeau.  M.  Spitta  se  demande  si,  dès  le  temps 
de  Jésus,  on  n'interprétait  pas  déjà  Isaïe  xvi,  1  dans  le  sens  de  la 
Vulgale  :  Emitte  Agnum,  domine,  dominatorem  terrée.  Les  discours  de 
Jésus  trahissent  des  conceptions  et  un  symbolisme  apparentés  à  ces  idées. 
Par  contre,  en  dehors  de  ces  divers  documents,  les  écrits  du  N.  T.  ne 
connaissent  que  la  brebis  type  de  victime.  On  entrevoit  la  substitution 
de  cette  dernière  idée  à  la  première.  Cette  substitution  fut  l'œuvre  de 
la  réflexion  ciirétienne  excitée  et  orientée  par  certaines  données  d.ç. 
l'A.  T.  et  par  certains  aspects  de  la  vie  de  Jésus. 

Jésus  s'est-il  cru  le  Messie  ?  S'est-il  donné  comme  tel  ?  Cette  ques- 
tion demeure  à  l'ordre  du  jour.  M.  H.  J.  Holtz.mann  vient  de  lui  consa- 
crer sous  ce  titre  :  Das  messianische  Dewusstsein  Jesu.  Ein  Beitrag  zur 
Leben-Jesu   Forschung  (1),  un  livre  qu'il  appelle  «  l'œuvre   rétrograde 

1.  Grand    in-8o    de    VIMOO    p.,    Tubingue,    Molir,    1907. 


172         REVUE   DES   SCIE^•CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

d'un  théologien  vieillissant  ».  Nous  y  trouvons  d'abord  un  exposé  des 
derniers  travaux  sur  ce  sujet  et  des  tendances  diverses  qu'ils  mani- 
festent. Il  y  a  la  tendance  sceptique  et  négative  des  nombreux  critiques 
qui,  faisant  état  surtout  de  Marc  et  vidant  la  formule  «  Fils  de  l'homme  » 
de  tout  contenu  messianique,  nient  que  Jésus  se  soit  donné  comme 
Messie.  Les  critiques  moins  destructeurs  qui  entendent  maintenir  la 
réalité  historique  de  la  Messianité  de  Jésus,  conçoivent  de  manière 
fort  différente  cette  Messianité.  Directe  et  rigoureusement  juive  pour 
les  uns,  elle  n'est  pour  les  autres  qu'une  enveloppe,  un  vêtement  ;  c'est 
ce  qu'on  appelle  le  Messianisme  indirect.  Encore  partisans  du  Messia- 
nisme direct  ou  indirect  considèrent-ils  Jésus  comme  actuellement 
investi  de  la  qualité  de  Messie.  D'autres,  au  contraire,  estiment  qu'il 
n'est  Messie  que  par  anticipation  ;  en  réalité  il  n'apparaîtra  dans  ce  rôle 
qu'à  la  Parousie. 

M.  Holtzmann  explique  ensuite  quelle  est,  parmi  tant  d'opinions 
diverses,  sa  propre  position.  Jésus  s'est  donné  comme  Messie.  Certains 
faits  caractéristiques  de  sa  carrière  publique  :  le  voyage  à  Jérusalem,  la 
question  relative  à  la  filiation  davidique,  le  procès  final,  et,  aussi, 
tout  l'ensemble  de  ses  actes  et  de  ses  paroles,  son  attitude  générale,  ne 
laissent  vraiment  place  à  aucun  doute.  Ce  qui  est  plus  obscur,  c'est  la 
nature  de  la  Messianité  de  Jésus.  M.  Holtzmann  estime  que  seule  une 
application  raisonnable  de  la  méthode  psychokjgique  peut  éclaircir  ce 
problème.  Il  s'attache  très  spécialement  à  déterminer  le  sens  de  l'ex- 
pression :  Fils  de  l'homme.  A  partir  du  moins  de  la  confession  de  Pierre 
à  Césarée,  il  faut  dire  qu'elle  est,  dans  la  bouche  de  Jésus,  un  titre 
messianique  et  de  caractère  eschatologique.  Jésus  se  donne  comme 
Messie  au  sens  de  la  fameuse  vision  de  Daniel.  A-t-il  toujours  eu  cette 
conception  eschatologique  de  son  rôle  ?  Non,  il  est  entré  en  scène, 
comme  Fils  de  Dieu  ;  il  s'est  fait  d'abord  de  sa  qualité  et  de  son  rôle 
de  Messie  une  idée  toute  morale,  conforme  à  l'idéal  du  Deutero-Isaïe. 
La  conception  eschatologique  n'apparaît  qu'à  partir  de  la  confession 
de  Pierre.  Pourquoi,  parmi  les  divers  titres  messianiques,  a-t-il  choisi 
celui  de  Fils  de  l'homme  ?  Pour  dérouter  la  foule  juive  dont  les  rêves 
nationalistes  l'inquiétaient. 

Ces  deux  études  de  M.  Spitta  et  de  M.  H.  J.  Holtzmann  signifieraient- 
elles  que  l'épidémie  d'anti-messianisme  qui  sévit  depuis  une  dizaine 
d'années,  commence  à  décliner  ?  On  voudrait  l'espérer  (1). 

La  résurrection  de  Jésus,  par  contre,  continue  d'attirer  sur  elle 
l'attention  soupçonneuse  de  la  critique.  Après  M.  Arnold  Meyer  (2), 
voici  que  le  professeur  Kirsopp  Lake,  de  Leyde,  entreprend  d'établir 
que  nous  ne  pouvons  décidément  pas  admettre  le  fait  d'une  réanimation 
du  cadavre  de  Jésus.   Son  livre   porte   comme    titre  :    The  hislorical 


1.  Je  signalerai  une  fois  encore  comme  ouvrages  catholiques  récents  à 
lire  sur  ce  sujet  :  P.  Batiffol,  l.' Enseignement  de  Jésm,  l^e  éd.  1905;  M. 
Lepin,  Jésus  jSiessie  et  Fils  de  Dieu,  etc.,  S^  éd.  1907.  Le  premier  est  édité 
chez  Bloud,  le  second  chez  Letouzey,  Paris. 

2.  Die  Auferstehung  Christi  (dans  les  Lebensfragen  de  H.  Weixel).  In-8° 
de  VlII-368  p.,  Tubingue,  Mohr,   1905. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  173 

évidence  for  the  résurrection  of  Jésus  Chrisl  (1).  M.  Lake  déclare  ne 
pas  vouloir  envisager  l'aspect  psychologique  et  philosophique  du 
problème  ;  il  s'en  tient  à  son  aspect  historique.  Toute  la  question  est 
donc  de  décider  si  les  témoignages  historiques  qui  nous  affirment  la 
résurrection  de  Jésus,  la  réanimation  de  son  cadavre,  sont  recevables 
en  bonne  critique.  M.  Lake  étudie  successivement  les  récits  de  la  résur- 
rection :  dans  S.  Paul  ;  dans  Marc  ;  dans  Matthieu,  Luc  et  la  conclusion 
de  Marc  ;  dans  le  iv«  Évangile;  dans  les  Livres  apocryphes.  De  ces 
témoignages  divers,  il  extrait  ce  qu'il  estime  être  la  forme  primitive  de 
la  tradition  sur  ce  point.  L'on  se  trouve  finalement  en  face  de  cette 
triple  question  :  1°  L'expérience  des  femmes  suffit-elle  à  établir  que  le 
tombeau  était  vide  ?  2*^  Prouve-t-elle  que  la  résurrection  eut  lieu  le 
troisième  jour  ?  3°  Dans  quelle  mesure  le  fait  des  apparitions  justifie- 
t-il  la  croyance  à  la  résurrection.  La  réponse  négative  qu'y  donne 
M.  Lake  s'inspire  des  considérations  que  voici  :  «  Établir  la  tradition 
primitive,  ce  n'est  pas  tout  à  fait  la  même  chose  qu'établir  les  faits. 
Cette  tradition  primitive  n'est  proprement  que  le  jugement  des  premiers 
témoins.  Ce  jugement  peut  être  accepté  ou  contesté.  En  certains  cas,  il 
n'y  a  nulle  raison  d'hésiter  à  s'y  rallier.  Dans  le  domaine  de  la  recherche 
historique,  c'est  même  la  situation  ordinaire.  Mais  en  d'autres  occasions, 
il  est  nécessaire  d'examiner  dans  quelle  mesure  la  tradition,  dès  son 
origine,  a  pu  être  influencée,  non  seulement  par  ce  que  les  témoins  ont 
vu  de  leurs  yeux,  mais  par  leur  commune  foi  et  par  les  explications 
ajoutées  consciemment  et  sur  le  moment  même  à  leurs  observations.  » 
p.  240. 

Il  m'est  impossible  de  considérer  les  conclusions  du  professeur  Lake 
comme  justifiées.  Cela  ne  m'empêchera  pas  de  reconnaître  qu'il  pose  le 
problème  de  la  réalité  historique  de  la  résurrection  de  Jésus  en  des 
termes  plus  acceptables  qu'on  ne  le  fait  souvent.  A  ce  point  de  vue,  son 
traAail  marque  un  progrès  sur  le  livre  de  M.  A.  Meyer. 

M.  le  professeur  Ladeuze  vient  de  soumettre  les  arguments  de  ce 
dernier  à  une  pénétrante  et  souvent  décisive  critique  dans  sa  brochure 
intitulée  :  La  Résurrection  du  Christ  devant  la  critique  contemporaine 
(2).  Contre  le  professeur  de  Zurich,  il  y  fait  voir  :  1°  Que  S.  Paul  ne 
concevait  pas  la  résurrection  des  morts,  et  donc  celle  du  Christ, 
autrement  que  comme  une  réanimation  du  cadavre,  et  que  le  témoi- 
gnage rendu  par  lui  à  la  résurrection  de  Jésus  est  vraiment  de  tout 
premier  ordre  ;  2°  Que  les  contradictions  alléguées  entre  les  narrations 
évangéliques  ou  bien  n'existent  pas  ou  bien  ne  sauraient  infirmer  leur 
autorité  substantielle  ;  3°  Que  la  prétention  de  vouloir  reconstituer,  à 
l'aide  de  ces  soi-disant  contradictions,  les  étapes  successives  d'une 
évolution  qui  aurait  abouti  à  l'affirmation  de  la  résurrection  corporelle 
de  Jésus  est  absolument  chimérique. 

M.  G.  Herzog  a  étudié  dans  un  article  de    la  Revue  cV Histoire  et   de 


1.  In-16  de  YIII-291  p.  (Croicm  Theological  Library),  Londres,  Williams 
et   Norgale,    1907. 

2.  In-8o  de  32  p.,  Cli.  Peeters,  Louvain  1907.  Reproduction  d'une  con- 
férence donnée  le  19  sept,  devant  les  Anciens  Étudiants  de  Bonne-Espé- 
rance. 


"174         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Littérature  Religieuses  :  La  conception  virginale  du  Christ  (1).  La  concep- 
tion virginale  n'entrait  pas  dans  l'idée  messianique  du  peuple  juif.  Les 
généalogies  à  l'aide  desquelles,  au  lendemain  de  la  mort  de  Jésus,  l'on 
s'efforça  d'établir  sa  filiation  davidique  et  que  nous  ont  conservées 
Matthieu  et  Luc  impliquent  que  Jésus  est  fils  de  Joseph  et  n'ont  de 
valeur  probante  que  dans  cette  supposition.  S.  Paul  ne  fait  nulle 
mention  de  la  conception  virginale  du  Christ,  ce  qui  ne  s'explique  que 
s'il  ne  la  connaît  pas.  Cette  idée  apparaît  dans  Matt.,  i,  18-20  et  dans 
Luc,  I,  35,  dont  la  composition  nous  reporte  aux  environs  de  80.  Elle 
est  le  produit,  non  pas  de  l'église  judéo-chrétienne,  mais  de  l'esprit 
hellénique.  Elle  fut  suggérée  à  ces  croyants  d'origine  païenne  par  le 
titre  de  Fils  de  Dieu,  combiné  avec  leurs  souvenirs  mythologiques. 
Toutefois  elle  ne  prit  une  définitive  consistance  qu'après  qu'on  lui  eut 
trouvé  dans  l'Écriture  un  point  d'appui.  Ce  fut  la  prophétie  de  l'Emma- 
nuel lue  dans  la  traduction  des  Septante  et  quelques  autres  oracles 
prophétiques  relatifs  au  Messie.  Les  évangiles  mêmes  auxquels  nous 
devons  les  premières  attestations  de  la  naissance  virginale  nous  laissent 
voir  que  les  choses  se  sont  passées  de  la  manière  qui  vient  d'être  dite. 
Le  dogme  nouveau  se  heurtait  à  deux  objections  dont  l'une  avait  sa 
source  dans  un  texte  de  Marc,  m,  :21,  31  et  l'autre  dans  les  généalogies. 
Ne  pouvant  détruire  ces  témoignages  gênants  de  la  croyance  ancienne, 
ils  leur  firent  subir  une  mise  au  point  qui  leur  parut  suffire  à  les  rendre 
inoffensifs.  Bientôt  d'ailleurs,  celui  que  nous  appelons  S.  Jean,  puis  les 
Modalistes  suggéreront  d'autres  manières  d'expliquer  en  Jésus  la 
qualité  de  fils  de  Dieu.  Devenue  inutile,  ignorée  ou  même  niée  par  le 
iv^  Évangile,  la  théorie  de  la  conception  virginale,  qui  avait  jeté  de 
profondes  racines  dans  la  conscience  chrétienne,  n'en  garda  pas  moins 
sa  place  au  catalogue  des  dogmes. 

Je  ne  ferai  pas  à  M.  Herzog  l'injure  de  penser  qu'il  a  cru  dire  du 
nouveau.  La  thèse  qu'il  soutient  et  les  raisons  dont  il  l'appuie  étaient 
depuis  longtemps  familières  aux  biblistes.  A  ce  point  de  vue,  on  éprouve 
quelque  peine  à  s'expliquer  l'émotion  causée  par  cet  article  dans  la 
presse  catholique  de  France.  Nos  Revues  les  plus  estimées  ont  jugé 
nécessaire  d'en  réfuter  les  assertions  et  d'en  dénoncer  la  légèreté.  C'est 
qu'en  cette  affaire,  elles  ont  vu  autre  chose  qu'une  thèse  un  peu  vieille 
déjà,  appuyée  de  preuves  dont  aucune  n'est  proprement  nouvelle,  à 
savoir  un  défi  à  la  conscience  catholique  et  qui  venait  on  ne  sait  trop 
d'où.  La  Revue  Pratique  d'Apologétique  par  la  plume  de  M.  Camuset, 
(l"  sept.  1907,  pp.  701-701)  :  La  conception  virginale  du  Christ)  ;  les 
Études,  par  celle  de  M.  L.  de  Gramdmaison  (20  mai,  pp.  503-527  :  La 
conception  virginale  du  Christ.  A  propos  d'un  article  récent)  ;  la  Revue 
de  ilnslitut  calholique  de  Paris,  par  l'intermédiaire  de  M.  Mangenot 
(mai-juin,  pp.  197-2:30:  L/'  conception  virginale  de  Jésus);  la  Revue 
kt/_7".s/ii;?!'e/?»e  sous  la  signature  du  P.  Protin  (15  juillet,  pp.  5-27:  La 
conception  virginale  de  Jésus)  ;  la  Revue  du  Clergé  Français  sous  celle 
de  M.  Lesètre  (15  juillet,  pp.  113-130  :  La  Vierge- Mère)  ;  la  Revue 
Biblique  de  juillet  dans  son  Bulletin,  etc.,  se  sont  attachées  à   montrer 

1.  Mars-avril,  pp.   17-133. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE   BIBLIQUE  175 

que  les  raisonnements  de  M.  Herzog,  susceptibles  peut-être  d'impres- 
sionner le  grand  public,  sont  de  mince  valeur  aux  yeux  de  la  critique. 
L'on  n'attend  pas  de  moi  que  j'analyse  tous  ces  travaux.  Ils  ont  très 
suffisamment  mis  en  lumière  l'inefficacité  et  souvent  l'entière  inanité 
des  arguments  de  M.  Herzog.  Par  la  variélé  même  de  leurs  aperçus,  ils 
constituent  une  mine  très  ricbe  de  faits  et  de  considérations  oîi  devra 
puiser  quiconque  voudra  traiter  à  fond  et  d*une  matière  systématique 
ce  grave  sujet.  Cette  étude,  si  elle  reste  à  faire,  s'en  trouve  facilitée  (1). 
—  Il  peut  être  intéressant  de  noter  ici  un  récent  article  de  M.  Carr  : 
The  Virgin  Birih  in  St.  John  s  Gospels  (2).  L'expression  du  Prologue  : 
aovoy-vov;,  Traoà  TT^frpô;  doit  se  traduire  :  uniquement  engendré  du  Père. 
Elle  se  réfère  à  la  naissance  temporelle  et  inclut  l'idée  de  conception 
virginale.  —  Cette  fois-ci,  c'est  voir  la  naissance  virginale  oîi  elle  n'est 
pas. 

B.  Saint  Paul.  —  Le  R.  P.  Prat,  S.  J.,  vient  de  publier  la  première 
partie  de  sa  Théologie  de  saint  Paul  (3).  Il  expose  lui-même,  dans 
l'Introduction,  le  plan  général  de  son  œuvre  et  le  caractère  de  ce 
premier  volume.  «On  entrevoit  dès  lors  les  difficultés  de  notre  tâche. 
En  suivant  l'ordre  chronologique,  on  sépare  des  faits  unis  par  une 
causalité  commune  et  on  disloque  des  doctrines  dont  le  simple  rappro- 
chement serait  une  lumière  ;  en  «'attachant  de  préférence  à  l'ordre 
logique,  on  mêle  ensemble  des  enseignements  de  toutes  les  époques 
et  plusieurs  traits  contemplés  hors  de  leur  cadre  historique  se  présentent 
sous  un  faux  jour.  Nous  avons  cru  obvier  à  la  plupart  des  inconvé- 
nients en  divisant  ce  travail  en  deux  parties.  La  première  replacera 
les  enseignements  de  l'Apôtre  dans  leur  milieu  naturel  et,  saisissant 
sur  le  vif  le  progrès  de  ses  révélations,  s'efTorcera  de  mettre  en  relief 
l'évolution  ascendante  de  sa  pensée.  Ici  peut-être  tel  lecteur  sera-t-il 
lente  de  trouver  excessive  la  part  faite  à  l'histoire.  Il  aurait  raison  si  la 
pensée  d'un  homme  pouvait  bien  se  comprendre  indépendamment  des 
circonstances  historiques  qui  lui  donnent  l'essor,  ou  si  l'histoire  des 
apôtres  n'était  pas  par  elle-même  de  la  théologie...  Dans  la  seconde 
partie,  on  essayera  de  donner  une  vue  d'ensemble  de  la  théologie  du 
grand  Apôtre,  d'en  découvrir  l'idée  maîtresse,  d'en  marquer  l'enchaî- 
nement et  d'en  suivre  les  ramifications...  »  p.  3. 

De  ces  deux  parties,  la  première,  celle  que  nous  avons  sous  les  yeux, 
était  assui-ément  la  plus  facile  à  faire.  Il  n'en  est  pas  moins  agréable 
de  constater  qu'elle  est  digne  de  la  réputation  scientifique  de  son 
auteur.  Le  chapitre  d'introduction,  consacré  à  la  Genèse  de  la  pensée  de 
saint  Paul  est  particulièrement  intéressant.  Après  avoir  marqué  la 
soudaineté  de  la  conversion  de  Paul  et  l'importance  capitale  de  cet 
événement  pour  l'histoire  delà  pensée  de  l'Apôtre,  le  P.  Prat  écrit: 
«  Il  serait  toutefois  excessif  de  dériver  toute  la  théologie  de  saint  Paul 


1.  On    ne    manquera    pas    d'utiliser    aussi    le    travail    du    R.    P.    Durand  : 
L'Évangile  de  l'Enfance,  publié  dans  la  Revue  pr.  d'ApoL,  Juin-Juillet,   1907. 

2.  Expository    Times,    août.   pp.   521-522. 

3.  Grand  in-8o   de    11-604   p.    {Bibliothèque   de   Théologie  historique  etc).   Pa- 
ris,   Beauchesne,    1908. 


176         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

du  fait  de  la  conversion,  fécondé,  si  l'on  veut,  par  l'expérience  reli- 
gieuse... Ni  la  nature,  ni  la  grâce  ne  procèdent  par  bonds.  L'éducation 
religieuse  de  Paul,  pas  plus  que  celle  des  autres  apôtres,  ne  devait  se 
faire  en  un  jour.  Après  qu'une  crise  subite  en  a  marqué  les  débuts,  le 
développement  ultérieur  prend  un  cours  normal  et  progressif.  Si  la 
vision  de  Damas  fut  l'amorce  d'un  système  théologique,  le  système  lui- 
même  sera  le  fruit  d'une  révélation  lente  et  continue.  «  p.  50.  Cela  ne 
veut  pas  dire  qu'il  faille  rapporter  à  la  révélation  tout  ce  que  saint 
Paul  a  jamais  prêché,  même  ce  qu'il  pouvait  facilement  connaître  par 
d'autres  voies.  Quant  à  cette  révélation  même,  des  événements  provi- 
dentiels pouvaient  parfaitement  en  favoriser  l'éclosion  et  la  raison  inter- 
venir ensuite  pour  la  féconder.  L'esprit  de  saint  Paul  n'était  ni  passif 
ni  inerte. 

Le  corps  même  de  l'ouvrage  comprend  sept  Livres  dont  voici  les 
titres:  L'Apôtre  des  Gentils  ;  L'Eglise  de  Corinthe  ;  Galates  et  Jiomains  ; 
La  Captivité  ;  Les  Pastorales  ;  L'EpUre  aux  Hébreux.  Les  Analyses  des 
épîtres  suivent  en  appendice.  On  remarquera  que  la  lettre  aux  Galates 
est  rapprochée  de  l'épître  aux  Romains  et  datée  de  la  même  année. 
L'épître  aux  Hébreux  est  mise  à  part  ;  saint  Paul,  s'il  en  est  l'auteur,  n'en 
est  pas  le  rédacteur. 

Dans  les  documents  qu'il  analyse,  dans  les  situations  qu  il  étudie,  le 
P.  Prat  s'attache  aux  seuls  éléments  théologiques,  aux  doctrines  et 
aux  institutions.  Des  lettres  aux  Thessaloniciens,  par  exemple,  il  ne 
retient  que  les  idées  eschatologiques.  Les  épîtres  de  la  Captivité  four- 
nissent matière  à  trois  chapitres  :  sur  la  Prééminence  du  Christ,  sur 
VÉglise  corps  mystique  du  Christ,  sur  la  Christologie  de  VÉpîlre  aux 
Philippiens.  Malgré  la  part  plus  large  faite  à  l'histoire  pure  à  propos 
de  certaines  épîtres,  celles  au  Corinthiens  en  particulier,  malgré  le 
grand  nombre  des  Notes  philologiques  et  exégétiques,  intéressantes 
d'ailleurs,  ce  livre  est  vraiment  ce  qu'il  veut  et  doit  être,  non  pas  une 
biographie  de  saint  Paul,  ni  un  commentaire  déguisé  de  ses  épîtres, 
mais  un  exposé  analytique  et  chronologique  des  enseignements  de 
l'Apôtre.  —  Souhaitons  la  prompte  publication  de  la  seconde  partie. 

La  thèse  de  doctorat  en  théologie,  présentée  par  M.  l'abbé  A.  Royet 
aux  Facultés  Catholiques  de  Lyon  :  i^tude  sur  la  Christologie  des  L  pitres 
de  saint  Paul  (i)  ne  saurait  évidemment  être  mise  sur  le  même  rang 
que  l'œuvre  magistrale  du  R.  P.  Prat.  Elle  n'en  a  pas  moins  son  mérite, 
que  j'ai  plaisir  à  signaler.  Si  le  sujet  est  plus  restreint,  la  méthode  est 
la  même.  M.  Royet  s'attache,  lui  aussi,  à  suivre,  d'aussi  près  que 
possible,  le  développement  des  doctrines  de  saint  Paul  dans  le 
domaine  de  la  Christologie.  Il  distingue  trois  groupes  successifs  d'épî- 
tres  :  Thessaloniciens;  Galates,  Corinthiens,  Romains;  Éphésiens, 
Colossiens,  Philippiens.  Le  deuxième  groupe  lui  fournit  des  ren- 
seignements sur  :  Le  Christ  principe  de  vie  ;  Le  Christ  Seigneur; 
La  divinité  du  Christ.  Les  épîtres  de  la  Captivité  donnent  lieu  aux 
paragraphes  suivants  :  Le  Christ  et  VÉglise;  Le  Christ  et  le  inonde 
/Transcendance)  ;  Le  Christ-Dieu.  Voici  quelques  extraits  de  la  conclu- 

1.  In-16    de    120   p.   Lyon,,   E.    Vitte,    1907. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE  BIBLIQUE  177 

sion  :  «  De  celte  étude...  deux  conclusions  surtout  semblent  se  déga- 
ger :  Le  Christ  est  la  source  de  toute  vie  ;  le  Christ  est  Dieu.  La 
première  de  ces  propositions  est  exprimée  par  saint  Paul  avec  la  plus 
grande  clarté...  La  seconde  semble  appeler  plus  de  réserves.  Certes  on 
ne  saurait  nier  que,  pour  saint  Paul,  le  Christ  n'ait  une  nature  divine 
en  même  temps  qu'une  nature  humaine  ..  Mais  dès  qu'il  faut  définir 
ce  terme  (0îô;),  l'exposé  de  TApùtre  s'embarrasse,  et  l'on  a  peine  à 
reconnaître  sous  ses  formules  l'absolue  divinité  qui  est  celle  du  Père. 
La  subordination  du  Christ  médiateur  et  juge  au  Père  semble  augmen 
ter  encore  la  confusion.  Aussi  le  semi-arianisme  s'est-il  appuyé  sur  plus 
d'un  passage  des  épitres.  Il  faut  dire  cependant  que  saint  Paul  ne  se 
prête  aucunement  à  pareille  interprétation.  Si  les  termes  dont  il  dispose 
ne  sont  pas  assez  précis,  s'il  ne  s'applique  pas  à  distinguer  dans  le 
Christ  les  deux  natures  pour  donner  à  chacune  ce  qui  lui  revient,  si  en 
un  mot  il  ne  fait  pas  de  métaphysique,  il  a  posé  les  bases  des  défini- 
tions ecclésiastiques  postérieures.  Logiquement  sa  doctrine  aboutit  au 
dogme  catholique  et  ne  peut  aboutir  que  là.  »  pp.  118-119.  La  doc- 
trine christologique  de  saint  Paul  et  celle  de  saint  Jean  sont,  sur 
plusieurs  points,  toutes  voisines,  sauf  qu'avec  saint  Jean  le  travail  de 
traduction  de  la  révélation  en  langage  philosophique  est  déjà  commencé. 
Cependant  le  IV*  Évangile  ne  dépend  pas  des  Épîtres. 

Par  une  brochure  intitulée  :  Die  Grundgedanken  der  paulinischen 
Théologie  (1),  le  D""  Carl  Clemen  s'est  proposé  de  prendre  position  dans 
un  débat  qui  divise,  depuis  des  années  déjà,  les  théologiens  luthériens 
d'Allemagne.  Il  s'agit  de  savoir  quelle  est  l'idée  centrale  de  la  théologie 
paulinienne.  Jusqu'ici  les  théologiens  protestants  d'Allemagne  disaient, 
après  Luther,  que  c'est  la  doctrine  de  la  justification  par  la  foi  au  sang 
de  Jésus.  Maintenant  bon  nombre  d'entre  eux,  et  tout  récemmeni 
Weizsàcker,  Kaftan,  AVrede,  prétendent  que  ce  rôle  revient  à  une 
certaine  conception  éthico-mystique  de  la  rédemption,  d'après  laquelle 
ceux  qui  appartiennent  au  Christ  seraient  sanctifiés  d'une  manière 
immédiate  par  sa  mort  et  sa  résurrection  (2).  M.  Clemen,  lui,  croit 
devoir  maintenir  l'ancienne  opinion.  Seule  la  doctrine  paulinienne  de 
la  justification  par  la  foi  au  sang  du  Christ  répond  aux  doutes  dont 
souffrait  Saul;  elle  doit  donc  occuper  la  place  centrale  dans  la  théologie 
et  dans  l'expérience  religieuse  de  Paul.  De  plus  les  épîtres  ne  connais- 
sent même  pas  celte  prétendue  conception  d'une  efficacité  immédiate 
de  la  mort  et  de  la  résurrection  du  Christ.  —  Personne  ne  se  demande 
si  les  deux  points  de  vue  ne  peuvent  se  concilier. 

M.  Mangenot  a  exposé  les  enseignements  des  Actes  sur  :  Jésus  Messie 
et  Fils  de  Dieu,  dans  un  article  très  solide  de  la  Revue  de  VInstilut 
Catholique  de  Paris  (3).  Voici  la  conclusion  de  la  seconde  partie  de  son 
travail,  qui  est  naturellement  la  plus  importante  :  «  Il  ressort  de  toutes 

1.  In-8'J  de  24  p.,  Tubingue,  Mohr,  1907.  Comme  sous-titre  :  Mit  beson- 
dercr  Bilcksicht  aiif  Kaftan  und  Wredc  untersuoht. 

2.  Cfr.  Weizsaecker,  Das  apostoUsche  Zeitalter  der  christlichen  Klrclic,  3® 
éd.  1902,  p.  133  et  ss.  —  Kaftan,  Jésus  und  Paulus,  1906,  p.  33  et  ss. 
—  Wrede,  Paulus,  1905,  p.  56  et  ss. 

3.  Nov-Déc.  1907,  p.  385-423. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  — -  N°  i.  12 


178         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

ces  constatations  que  le  Christ  des  Actes  est  bien  le  Christ  Dieu  et  Fils 
de  Dieu,  participant  intimement  aux  pouvoirs  et  aux  privilèges  de  Dieu. 
Même  en  n'envisageant  que  les  premiers  chapitres- du  livre,  Stevens 
reconnaît  que  les  descriptions  qu'ils  donnent  du  caractère  et  de 
l'œuvre  absolument  uniques  du  Christ  lui  paraissent  tout  à  fait  incon- 
ciliables avec  l'hypothèse  d'une  personne  purement  humaine...  Les 
apôtres  se  bornent  à  prêcher  que  Jésus  était  Dieu  et  Fils  de  Dieu  ;  et 
c'est  tout;  ils  ne  disent  pas  comment  il  est  Fils  de  Dieu  et  Dieu  lui- 
même.  La  doctrine  de  l'Incarnation  n'est  donc  qu'implicite  dans  les 
Actes  et  Rackham  a  pu  dire  que  «  les  apôtres  eux-mêmes  ne  réalisaient 
pas  entièrement  au  commencement  ce  qui  était  intellectuellement  contenu 
dans  leur  attitude  envers  leur  Seigneur.  Mais  ils  vivaient  par  leur  foi 
en  lui  »  et  leur  foi  s'est  graduellement  .développée  dans  leur  intelli- 
gence consciente.  »p.  122. 

C.  Écrits  Johanniques.  —  L'étude  de  M.  E.  F.  Scott  :  1  he  Fourth 
Gospel,  its  Piu'pose  and  Theologij  (1)  est  assurément  l'une  des  plus 
importantes  qui  aient  paru  depuis  nombre  d'années  sur  ce  sujet.  Elle 
compte  douze  chapitres  :  Caractère  et  but  ;  Sources  et  influences  ;  Pré- 
occupations polémiques  ;  Préoccupations  ecclésiastiques;  La  doctrine  du 
Loqos  •  «  Le  Christ,  le  Fils  de  Dieu  »  ;  Vœuvre  du  Christ  ;  Vie  ;  La 
communication  de  la  vie  ;  Le  retour  du  Christ  ;  Le  Saint-Esprit  ;  Bésum.é 
et  conclusion.  M.  Scott,  dans  les  questions  d'auteur,  de  date,  de  valeur 
historique,  préfère  à  l'opinion  traditionnelle  dont  MM.  J.  Drummond, 
Sanday,  Stanlon  se  sont  constitués,  en  Angleterre,  les  apologistes,  ce 
qu'il  appelle  «la  commune  opinion  des  savants  du  Continent.»  Le 
IV«  Évangile  est  l'œuvre  d'un  auteur  inconnu,  écrivant  entre  100  et  120, 
et  qui  ne  représente  aucune  tradition  historique  indépendante  des 
Svnoptiques  ;2). 

M.  Scott  considère  le  lY*  Évangile  comme  étant  essentiellement  une 
réinterprétation  du  message  chrétien,  destinée  à  le  rendre  intelligible 
à  l'esprit  grec.  Cette  union  de  l'ancien  et  du  nouveau  se  trahit  par  un 
dualisme  très  marqué.  Le  IV^  Évangile  est  tout  ensemble  juif  et  grec, 
chrétien  et  alexandrin,  particulariste  et  individualiste. 

Trois  idées  constituent  toute  l'essence  de  la  théologie  johannique. 
1°  Jésus-Christ  est  en  lui-même,  et  non  seulement  par  ses  actes  et  ses 
paroles,  la  révélation  de  Dieu.  2°  L'œuvre  propre  de  Jésus-Christ  a 
été  de  communiquer  la  vie.  3°  Cette  vie  se  puise  dans  l'union,  l'incorpo- 
ration mvslique  au  Christ.  Chacune  de  ses  idées  se  présente  sous  une 
double  forme,  mystique  et  philosophique,  comme  la  traduction  d'une 
expérience  intime  et  en  qualité  de  théorie  métaphysique.  Sous  leur 
aspect  mystique,  elles  ont  leur  source  dans  une  révélation  du  Christ 
à  l'auteur,  dans  une  expérience  personnelle  de  ce  qu'est  le  Christ. 
Sous  leur  aspect  philosophique,  elles  sont  un  emprunt  à  la  philosophie 

1.  In-So    de   VII-379   p.,    Édimbourç,    Claxk,    1906. 

2.  Le  meilleur  travail  catholique  que  l'on  puisse  lire  sur  L'origine  du 
JTFe  Evangile  est,  sans  contredit,  le  récent  ouvrage  de  M.  Lepin  publié 
sous   ce  titre  même;   ia-16   de   VII-508  p.   Paris,   Letouzey,   1907.   On  y  verra 

Îue  les   présuppositions  littéraire^  de  M.   Scott  ne  répondent   pas   aux  faits, 
oute  la  savante  architecture  eségétique  qu'il  édifie  sur  elles  devient,  du  même 
coup,  vacillante. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    BIBLIQUE  179 

alexandrine  qui  constitue  l'atmosphère  intellectuelle  de  révangéliste. 
Les  jugements  religieux,  les  expériences  religieuses  du  IV*  Évangile 
gardent  une  valeur  durable  ;  les  conceptions  métaphysiques  à  l'aide 
desquelles  il  s'est  efforcé,  avec  un  succès  d'ailleurs  imparfait,  de  les 
traduire,  ont  eu  leur  utilité  mais  sont  maintenant  périmées. 

La  brochure  de  M.  le  pasteur  0.  Bertling  ;  Der  Johatineische  Logos 
(1)  est  beaucoup  plus  sage.  L'auteur  défend  résolument  et  parfois 
avec  bonheur,  la  composition  du  1V«  Évangile  par  un  disciple  immé- 
diat de  Jésus,  Jean  le  presbytre,  son  accord  essentiel  avec  les  Synop- 
tiques, et  la  valeur  historique  tant  des  récits  que  des  discours  qu'il 
rapporte.  Jean  a  emprunté  à  Philon,  sans  doute  par  des  intermédiaires, 
le  mot  et  le  concept  de  Logos,  Mais  c'était  pour  rendre  une  idée  qu'il 
ne  devait  nullement  au  philosophe,  à  savoir  que  Jésus  était,  en  sa 
propre  personne  et  dans  son  être  même,  la  révélation  de  Dieu.  N'est-ce 
point  à  la  parole,  au  verbe  que,  dans  l'homme,  appartient  cet  office? 
Le  Dr.  Bertling  précise  ensuite  les  détails  de  la  doctrine  du  Logos  dans 
le  iV  Évangile  et  signale  ses  conséquences  pour  la  Christologie.  — Étude 
de  caractère  apologétique  et  pratique,  bien  intentionnée,  mais  allant 
rarement  jusqu'au  bout  des  intuitions  johanniques. 

11  ne  me  reste  plus  à  mentionner  qu'un  exposé  synthétique  de  M.  le 
professeur  G.  Hoennicke  intitulé  :  Die  neutestamenlliche  Weissngnng 
vom  Ende  (2).  Dans  un  premier  chapitre,  l'auteur  traite  des  antécédents 
divers  par  lesquels  se  trouvent  conditionnées  les  prophéties  néo-testa- 
mentaires de  la  Fin.  Ce  sont  :  le  rôle  attribué  à  l'Esprit  dans  les  com- 
munautés chrétiennes  primitives,  l'œuvre  du  Christ  et  l'ancien 
Testament.  11  considère  comme  authentique,  le  fond  du  grand  discours 
eschatologique  des  Synoptiques. 'Jésus,  à  son  sens,  n'a  pas  annoncé 
l'imminence  ou  même  la  proximité  de  la  fin.  Le  second  chapitre  est 
consacré  au  contenu  des  prophéties  eschatologiques  du  N.  T.  Le 
lecteur  y  trouve  un  résumé  très  succinct  des  prédictions  de  S.  Paul, 
de  laSecunda  Pétri,  de  l'Apocalypse  de  Jean.  Dans  un  troisième  chapitre 
et  sous  ce  titre  :  Der  zeitgeschithtUche  Charakter  der  neutestamenllichen 
J^eissagung  vom  Ende,  M,  Hoennicke  étudie  l'eschatologie  juive 
et  les  grands  faits  de  l'histoire  au  l*'^  siècle.  Les  prophéties  eschato- 
logiques du  N.  T.  ont  un  étroit  rapport  avec  l'apocalyptique  judaïque 
et  avec  l'histoire  contemporaine.  Jean  connaît  et  s'approprie  la  croyance 
populaire  au  retour  de  Néron.  Le  portrait  de  l'antéchrist  par  S.  Paul 
est  tracé  d'après  Caligula  et  laisse  reconnaître  non  pas  un  Pseudo- 
Messie  juif  mais  un  païen  impie.  Le  chapitre  quatrième  et  dernier 
précisela  signification  des  prophéties  eschatologiques  du  N.  T.,  c'est-à- 
dire  les  idées  essentielles  qui  s'y  trouvent  impliquées,  —  Cette  étude  est 
conduite  selon  la  manière  prudente  et  réservée  qui  caractérise  la 
collection  de  M.  Kropatscheck  et  l'on  ne  peut  que  gagner  à  entendre 
sur  ce  sujet  un  savant  de  compétence  reconnue  comme  M.  Hoen- 
nicke. 

Kain.  A.  Lemonnyer,  0.  P. 

1.  In-12   de  VII-72   p.   Leipzig,   Hinrichs,   1907. 

2.  In-12  de  51  p.  (dans  les  Blblischen  Zeit-  und  Streitfragen  de  Kropatscheck, 
III,   6).  E.   Runge,   Gr.  Lichterfelde-Berlin. 


CHRONIQUE 


ALLEMAGNE.  —  Publications  nouvelles.  —  Les  Biblische  Sludien 
de  Mgr  Bardenhewer  ne  suffisent  plus  à  l'activité  biblique  des  catholi- 
ques de  langue  allemande.  Pour  faciliter  la  publication  des  travaux  qui 
affluent, les  professeurs  Bludau  de  Munster  et  Nikel  de  Breslau  prennent 
la  direction,  le  premier  de  NeuteslamentUche  Abliandlungen,  le  second 
dWlltsstamentliche  Abliandlungen  qu'éditera,  à  partir  de  1908,  lalibrairie 
Âschendorff  de  Munster.  Ces  deux  nouvelles  collections  paraissent  à 
dates  indéterminées  et  par  fascicules  d'importance  diverse,  destinés  à 
former  des  volumes.  Seront  publiés  dès  le  début  de  Tannée,  dans  les  Neu- 
teslamentliche  Abliandlungen  :  D""  Meinertz,  Jésus  und  die  ffeidenmission 
(Fascicule  1  et  2,  environ  15  feuilles)  ;  D""  Steinmann,  Der  Leserkreis  des 
Galaterbriefes  (Fasc.  3  et  4,  environ  16  feuilles);  dans  les  Allieslament- 
liche  Abliandlungen  :  D''  P.  Heinisch,  Der  Einfluss  Philos  auf  die  àlteste 
christliche  Exégèse. 

—  Les  professeurs  E.  Drerup  de  Munich,  H.  Grimme  et  J.  P.  Kirsch 
de  Fribourg  en  Suisse,  ont  commencé  de  publier  chez  F.  Schoningh, 
le  grand  libraire  catholique  de  Paderborn,  des  Sludien  zur  Geschichle 
und  Kultur  des  Altertums.  Im  Auflrage  und  mil  Unlerslùtzung  der 
Gbrresgesellschaft.  Deux  fascicules  sont  en  vente.  Du  professeur  H. 
Grimme,  nous  avons  une  belle  étude  sur  Bas  israelilisclie  Pfingslfest  und 
der  Plejadenkuh  ;  du  D''  Th.  A.  Abele  :  Der  Sénat  unter  Auguslus.  Le 
travail  annoncé  de  M.  H.  Francotte,  professeur  à  l'université  de  Liège: 
La  Polis  grecque,  a  sans  doute  déjà  paru. 

Pour  1908  on  annonce  :  Drerup,  Ein  polilisches  Pamphlet  aus  Alhen 
404  V.  Christus,  E.  Martini  (Leipzig),  Zur  indireklen  Ueberlieferung 
des  Laertios  Diogenes-;  J.  P.  Kirsch,  Orient  und  Abendland  in  der  Kunst- 
entîoicklung  des  christ.  Allerlums. 

—  Les  PP.  de  LoË  et  Reicuert  viennent  de  prendre  l'initiative  d'une 
nouvelle  collection  ayant  pour  but  d'étudier  l'histoire  des  Dominicains 
en  Allemagne.  Elle  s'intitule  Quellen  und  forschungen  zur  Geschichle 
des  Dominikanerordens  in  Deutschland  et  paraît  à  la  librairie  Otto  Har- 
rassowitz  à  Leipzig,  par  fascicules  indépendants  (2  ou  3  par  an)  de 
format  et  de  prix  variés.  Dans  son  objet  rentreront,  outre  les  questions 
d'histoire  générale,  l'étude  de  la  théologie  et  de  la  mystique  représentées 
par  des  personnalités  comme  Albert  le  Grand,  Eckhart,  Tauler,  Henri 
Suso,  Jacques  Sprenger,  Jean  Nieder,  Jacques  de  Hochstraten,  etc.  On 
annonce  comme  prochaines  des  biographies  de  maître  Eckhart  et 
d'Albert  le  Grand.  Le  premier  fascicule  est  déjà  paru.  (P.  von  LoË,  Sta- 
tistiches  ûber  die  Ordensprovinz  Teulonia,  in-S'',  52  pp.,  2  M.) 

—  Le  R.  P.  A.  Leumkuhl  vient  de  donner  une  cinquième  édition  de 
son  Compendium  theologiae  moralis  (Fribourg  en  B.,  Herder,  1907  ;  in- 
8°,XXIV  — 110  pages). C'est  un  excellent  manuel,  destiné  à  en  remplacer 
d'autres  du  même  genre  qui  désormais  sont  incomplets.  C'est  certaine- 


CHRONIQUE  181 

ment  un  des  premiers  qui  contienne  les  derniers  décrets  du  S. -Siège 
et  qui  indique  les  modifications  introduites  par  eux  dans  la  discipline 
de  l'Église.  Il  est  inutile  de  relever  dans  cette  cinquième  édition  les 
qualités  de  logique,  de  clarté  et  de  précision  signalées  déjà  dans  les 
éditions  antérieures.  J.  n. 

—  Au  cours  de  l'hiver  dernier,  une  mission  scientifique  allemande, 
concurremment  avec  la  mission  française  dirigée  par  M.  Clermont- 
Ganneau,  a  fait  procéder  à  des  fouilles  dans  Tîle  d'Éléphantine  (Haute- 
Egypte).  Elle  a  mis  au  jour  de  nouveaux  papyrus  araméens  dont  l'étude 
fut  aussitôt  confiée  au  professeur  K.  E.  Sachau  de  l'université  de  Berlin. 
Celui-ci  vient  de  consacrer  à  quelques-uns  d'entre  eux  un  travail  intitu- 
lé :  Drei  aramàische  Papyrusurkunden  aus  Elephanline  dans  les 
Abhandlungen  der  Koenigl.  Preussischen  Akademie  der  Wissenschaflen 
vom  Jahre  1907 ,  (46  pages  in-4).  De  ces  trois  documents,  uu  surtout 
offre  un  exceptionnel  intérêt.  C'est  une  requête  adressée  par  les  prêtres 
de  la  colonie  juive  d'Éléphantine,  l'an  17  du  règne  de  Daris  (408  av. 
J.-C.)  au  gouverneur  perse  de  Judée,  Bagohi,  pour  obtenir  la  permission 
de  reconstruire  le  temple  de  Jahvé  à  Éléphantine  détruit  par  les  prêtres 
égyptiens  du  dieu  Khnoum. 

Les  deux  missions  française  et  allemande  viennent  de  reprendre  ces 
fouilles  que  le  monde  savant  suit  avec  une  attention  passionnée. 
M.  Clermont-Ganneau  a  écrit  dans  Le  Temps  du  29  octobre  :  «  Nous 
avons  aujourd'hui  la  certitude  que  le  temple  de  Jéhovah  s'élevait  bien, 
comme  je  l'avais  soutenu,  dans  l'île  même  d'Éléphantine, et,  selon  toute 
probabilité,  dans  le  quartier  juif  dont  nos  ostraca  caractéristiques  nous 
ont,  d'autre  part,  révélé  l'emplacement.  Quelques  coups  de  pioche 
encore,  et  nous  pouvons  en  mettre  au  jour  les  ruines  vénérables  et  qui 
sait?  y  découvrir  enfin,  dormant  dans  quelque  geniza  secrète,  un  exem- 
plaire du  livre  sacré  qui  servait  aux  cérémonies  du  culte,  une  Bible 
antérieure  de  cinq  siècles  à  Jésus-Christ...» 

Nominations.  —  La  direction  du  Zeitschrift  fur  rvissenschaftlicJie 
Théologie,  vacante,  par  suite  du  décès  d'Adolphe  Hilgenfeld,  a  été 
confiée  au  D""  F.  Nippold,  professeur  ordinaire  d'Histoire  de  l'Église  à 
l'Université    d'Iéna. 

—  Le  D''  B.  Heigl,  privat-docent  pour  l'exégèse  du  Nouveau  Testament 
à  l'Université  de  Munich,  a  été  nommé  professeur  extraordinaire  au 
Lycée  royal  de  Freising,  en  remplacement  du  D''  Michel  Seisenberger, 
professeur  ordinaire,  qui  a  pris  sa  retraite. 

—  Le  D'"  Max  Meinertz,  privat-docent  à  la  Faculté  de  Théologie 
catholique  de  Bonn,  a  été  nommé  professeur  extraordinaire  d'exégèse 
du  Nouveau  Testament  au  Lycée  Hosianum  (Braunsberg),  en  rempla- 
cement du   D''  H.  Weiss,  professeur  ordinaire. 

Décès.  —  La  mort  de  M.  Jacob  Fueudenthal,  professeur  de  philoso- 
phie à  l'Université  de  Breslau,  survenue  en  juillet  dernier,  n'est  déjà 
plus  un  fait  récent.  Le  D'^  Freudenthal  était  né  en  1839.  Après  avoir 
étudié  aux  Universités  de  Breslau  et  de  Gœttingue,  il  enseigna  d'abord 
les  langues  classiques  et  la  philosophie  au  Séminaire  juif  de  Breslau. 
S'étant  ensuite  habilité  à  l'Université  de  cette  ville  pour  l'enseignement 


182         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET   THÉOLOGIQUES 

de  la  philosophie  (1873),    il  y  fut  nommé    successivement    professeur 
extraordinaire  (1878)  et  professeur  ordinaire  (1888). 

Pendant  la  première  partie  de  sa  carrière,  il  s'adonna  surtout  à  l'étude 
de  la  philosophie  grecque  ;  pendant  la  dernière,  Spinoza  et  le  Spinozisme 
absorbèrent  le  meilleur  de  son  activité.  Citons  ses  études  sur  Âristote  : 
Ueber  den  Begriff  des  Wovles  tpav-acta  bei  Aristoleles  ;  Ueber  die  parva 
naluralia  des  Arisloteles  ;  Ueber  die  Ideenassocialion  bei  Aristoteles;  etc., 
l8o3  et  ss.  ;  ses  travaux  sur  la  Philosophie  alexandrine,  en  particulier  ses 
Hellenistische Sludie.n  (3  fascicules),  1879  ;  enfin  ses  publications  relatives 
à  Spinoza,  entre  autres  son  classique  Spinoza,  Leben  und  Lehre,  dont  le 
premier  volume  seul  a  paru  (1898),  et  cette  étude  sur  les  origines  de  la 
tenninoloi;ie  métaphysique  de  Spinoza:  Spinoza  und  die  Scholasl  ik 
qu"il  donna  en  l'honneur  du  jubilé  doctoral  de  Zeller  en  1887. 

—  Le  D"^  L.  Busse,  professeur  de  philosophie  à  l'Université  de  Halle,  est 
mort  le  12  septembre,  en  pleine  maturité.  Il  était  né  en  1862.  Docteur 
en  philosophie  en  1883,  il  fut  appelé  à  enseigner  cette  science  à  l'Uni- 
versité impériale  de  Tokio  (1886).  Revenu  en  Allemagne,  il  débuta 
comme  privat-docent  à  Marbourg  (1894),  fut  nommé  professeur  ordi- 
naire à  Rostock  (1896),  à  Kœnigsberg  (1898),  à  Munster  (1904),  et  enfin 
à  Halle  (1906),  où  il  succédait  au  D"^  Vaihinger  contraint  à  la  retraite 
par  une  maladie  d'yeux. 

Ouvrages  principaux  :  Beilràge  zur  Fnlicickeîungsgeschichte  Spinozas, 
1883  ;  Streifzûge  durch  die  japanische  elhische  Lileralur  der  Gegenioart, 
1892;  Philoso])hie  und  Erkennlnislheorie,  1894;  Die  Wechsehuirkung 
zwischen  Leib  und  Seele,  und  die  Geselz  der  Erhallung  der  Energie^ 
1^00  ;  Geist  und  Kôrper,  Seele  und  Leib,  i903  ;  Die  Weltanschauungen 
der  grossen  Philosophen  der  \euzeit,  2*=  éd.  1903,  etc. 

Le  D"^  Busse  dirigeait  depuis  1902  la  Zeilschrift  fur  Philosophie  und 
Philosophische  Krilik.  C'est  le  D""  H.  Schwarz,  professeur  extraordinaire 
de  philosophie  à  Halle,  qui  lui   succède  en  cette  qualité. 

—  On  annonce  la  mort  du  D''  Karl  Ruckert,  professeur  ordinaire  de 
littérature  du  Nouveau  Testament  à  l'Université  de  Fribourg  en  Brisgau. 
n  était  né  en  1840.  H  a  publié:  Die  Quellen  der Aposlelgeschichle,  1863  ; 
A^ach  Palaestina  und  ueber  das  Libanon,  1881  ;  Der  Lage  des  Berges 
Sion,  1898,  etc. 

ANGLETERRE.  —  Publications  nouvelles.  —  La  librairie  Clark 
d'Edimbourg  édite  une  nouvelle  collection  intitulée  :  The  Lileralure  and 
Religion  of  Israël.  «  Une  série  de  volumes  est  sur  le  point  d'être 
publiée  qui,  évitant  les  discussions  inutiles,  décrira  le  développement 
des  idées  religieuses  d'Israël  depuis  les  tout  premiers  temps  jusqu'à 
J.-C...  La  littérature  a  été  divisée  en  groupes  et  chaque  groupe  confié  à 
un  savant  qui  exposera  succinctement  l'origine  des  livres  eux-mêmes, 
dressera  le  tableau  des  idées  religieuses  qui  s'y  trouvent  exprimées  et 
enfin  marquera  la  place  de  ces  idées  dans  l'ensemble  de  l'évolution 
religieuse  d'Israël.  » 

Voici  la  liste  des  ouvrages  projetés  et  de  leurs  auteurs  :  Morris  Jas- 
TRow,  de  l'Université  de  Pensylvanie,  Les  Origines;  A.  R.  S.  Kennedy, 
de  l'Université  dÉdimbourg,  Institutions  et  Législation  ;  H.  W.  Hogg, 


CHRONIQUE  183 

de  rUniversilé  de  Manchester,  Histoire  ;  B.  Gray,  Mansfield  Collège, 
Oxford,  Psaumes  ;  R.  H.  Kennett,  de  l'Université  de  Cambridge, 
Prophètes  pré-exiliens;  W.  H.  Bennett,  New  Collège,  London,  Pro- 
phètes post-exiliens  ;  J.  Skninner,  Westminster  Collège,  Cambridge, 
Livres  sapientiaux  ;  J.  Moffatt,  Broughty  Ferry,  Apologues  historiques; 
R.  H.  Charles,  de  l'Université  d'Oxford,  Littérature  apocalyptique  (2  v.). 

L'ouvrage  de  M.  Bennett,  The  Religion  of  the  Post-Exilk  Prophets, 
vient  de  paraître. 

—  Depuis  juillet  dernier,  la  librairie  Archibald  Constable,  de  Londres, 
publie  :  llie  Oxford  and  Cambridge  Review.  Le  nouveau  périodique 
doit  servir  de  lien  entre  les  deux  grandes  Universités.  Il  paraît  trois  fois 
par  an  :  en  juillet,  octobre  et  mars.  Le  prix  de  chaque  fascicule  est  de 
2sh.  6  d. 

Voici  le  sommaire  du  n°  2  (Michaelmas  Term)  :  Colonel  G.  Me  Cabe, 
Caplain  J.  Smith's  Travels  ;  'J.  B.  Burke,  Haeckel  and  Haeckelism  ; 
Canon  the  Hon.  E.  Lyttelton,  More  ahoul  Biometry  ;  F.  C.  S.  Souiller, 
Freedom  and  Responsihility  ;  «  Jam  Senior  »,  Oxford' s  anliquated 
Machinery  ;  J,  Stuart  Mill,  On  social  Freedom  (suite,  inédit)  ;  J.  Pol- 
LOCK,  The  Laiv's  .  Delays  ;  W.  H.  Beveridge,  Settlements  and  social 
Reform  ;  V.  H.  Walsh,  Dévolution  in  Aiish-ia-Bungary  ;  L.  B.  J.  Sollas, 
Neglect  of  Education  for  Women  ;  H.  Belloc,  The  Priest. 

Congrès.  —  Le  S""*^  Congrès  International  d'Histoire  des  Religions  se 
tiendra  à  Oxford  du  15  au  18  septembre  prochain.  Comme  les  précé- 
dents, ce  Congrès  comportera  des  Réunions  plénières  et  des  Réunions 
de  Section.  Les  Sections  seront  au  nombre  de  huit  :  1°^  Religions 
des  civilisations  inférieures,  y  compris  le  Mexique  et  le  Pérou  : 
2°  Religions  des  Chinois  et  des  Japonais  ;  3°  Religion  des  Égyptiens  ; 
4°  Religions  des  Sémites;  5"  Religions  de  l'Inde  et  de  la  Perse  ;  6°  Reli- 
gions des  Grecs  et  des  Romains  ;  7°  Religions  des  Germains,  des  Celles 
et  des  Slaves  ;  8'^  Religion  Chrétienne. 

Le  prix  des  billets  de  membres,  donnant  droit  d'entrée  aux  réunions 
et  réceptions  et  à  recevoir  un  exemplaire  des  Actes  du  Congrès,  est  d'une 
livre  st..  Celui  des  billets  de  dames,  donnant  simplement  accès  aux 
réunions  et  réceptions,  est  de  10  sh.  Les  demandes  doivent  être  adres- 
sées à  MM.  J.  E.  Carpenter,  109,  Banbury  Road  et  L.  R.  Farneli,  101, 
Woodstock  Road,  Oxford,  secrétaires.  Il  en  est  de  même  pour  les 
travaux  destinés  à  être  lus  et  qui  doivent  être  envoyés  pour  le  1  août 
au  plus  tard.  De  plus,  les  membres  qui  ont  dessein  de  lire  quelque 
travail  sont  priés  d'en  donner  avis  avant  le  31  mai. 

Jubilé.  —  Le  2  octobre  dernier,  M.  Ed.  Burnett  Tylor,  le  célèbre 
anthropologiste  anglais,  professeur  d'anthropologie  à  l'université 
d'Oxford,  président  de  l'Institut  Royal  d'Anthropologie,  a  célébré  le 
75™^  anniversaire  de  sa  naissance.  A  cette  occasion,  un  groupe  d'anthro- 
pologistes  anglais  lui  a  offert  un  beau  recueil  de  travaux  édité  par  la 
Clarendon  Press  sous  ce  titre  :  Anthropological  Essays  presented  to 
E.  B.  T.  etc.  On  y  relève  des  études  signées  de  MM.  A.  Lang,  J.  Rhys, 
J.  G.  Frazer,  D.  j.  Cunningham,  etc.,  etc.  L'étude  consacrée  par  M.  Lang 
à  la  carrière  scientifique  de  Tylor  et  la  bibliographie    de   ses   travaux 


184         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

dressée  par  Miss  B.  W.  Freire-Marreco  sont  particulièrement  pré- 
cieuses. 

L'Institut  royal  d'Anthropologie  a  offert  à  M.  Tylor,  le  o  novembre, 
une  médaille  commémorative.  Le  volume  en  cours  de  publication  du 
Journal  of  the  Royal  Anthropological  Inslitute  lui  a  été,  en  outre, 
dédié. 

Signalons  à  cette  occasion  la  récente  création  à  l'université  d'Oxford 
d'un  diplôme  spécial  d'anthropologie.  Le  Board  of  Ânlhopological 
Studies  de  l'université  de  Cambridge  réclame  l'institution  d'un  diplôme 
semblable. 

Nomination.  —  M.  J.  G.  Frazer  vient  d'être  nommé  titulaire  de  la 
chaire  d'anthropologie  créée  tout  récemment  à  l'université  de  Liverpool. 
Il  y  a  quelques  mois,  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  de 
Paris  le  choisissait  comme  correspondant  étranger. 

Décès.  -7-  On  annonce  la  mort  de  Sir  William  Thomson,  lord  Kelvin, 
décédé  à  Belfast  dans  sa  quatre-vingt-troisième  année.  L'illustre  physi- 
cien était  chancelier  de  l'université  de  Glasgow,  associé  étranger  de 
l'Académie  des  Sciences  de  Paris,  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin 
et  de  Munich,  président  de  la  Société  royale  d'Edimbourg,  de  la  Faraday 
Society  de  Londres,  etc.  Son  œuvre  scientifique  est  de  tout  premier 
ordre,  mais  échappe  à  notre  compétence.  De  1846  à  1899,  lord  Kelvin 
fut  titulaire  de  la  chaire  de  Philosophie  naturelle  à  l'université  de 
Glasgow.  Il  a  publié  en  collaboration  avec  le  prof.  P.  G.  Tait  :  A  Trea- 
tise  on  Nalural  Philosopluj. 

BELGIQUE.  —  Académie.  —  La  Section  des  Sciences  morales  et 
politiques  de  l'Académie  de  Belgique  a  élu  récemment  membre  corres- 
pondant M.  le  professeur  De  Wulf,  de  l'université  de  Louvain,  le 
savant  historien  de  la  philosophie  médiévale.  Signalons  à  cette  occa- 
sion la  traduction  anglaise  de  son  Infroducliun  à  la  philosophie  néo- 
scolastique,  1904,  que  vient  de  publier  M.  P.  Coffey,  professeur  de  philo- 
sophie à  Maynooth  Collège,  Irlande,  sous  ce  titre  :  Scholasticism  old  and 
neic.  An  introduction  to  scholastic  philosophy  médiéval  and  modem, 
Dublin,  1907.  Le  traducteur  a  ajouté  un  chapitre  :  Philosophy  and  the 
sciences  at  Louvain, 

—  Parmi  les  sujets  mis  au  concours  par  l'Académie  royale  de  Belgique, 
Section  des  Sciences  morales  et  politiques,  signalons,  pour  1909  :  Une 
étude  critique  sur  la  philosophie  de  Guyau  et  ses  applications.  Un  prix 
de  600  francs  sera  décerné  au -meilleur  travail.  Les  Mémoires  doivent 
parvenir  au  secrétariat  de  l'Académie  avant  le  1  novembre  1908. 

Nominations.  —  M.  N.  Baltuasar  a  été  nommé  chargé  de  cours  à 
l'Institut  supérieur  de  Philosophie  de  Louvain,  avec  mission  d'enseigner 
la  Théodicée. 

—  A  l'université  libre  de  Bruxelles,  M.  Dupréel  remplace,  comme  titu- 
laire des  cours  de  Logique  et  de  Métaphysique,  M.  René  Berthelot  qui 
donne  un  cours  libre  en  Sorbonne. 

Décès.  —  Mgr  Thomas  Lamy,  professeur  honoraire   de  la    Faculté  de 


CHRONIQUE  185 

théologie  de  l'université  de  Louvain,  est^décédé  le  30  Juillet  à  Tâge  de 
quatre-vingts  ans. 

Après  avoir  conquis  son  doctorat  avec  une  thèse  intitulée  :  De  Syro- 
rum  fide  et  disciplina  in  re  eucharislica,  1859,  Mgr  Lamy  fut  appelé  à 
enseigner  l'Écriture  Sainte  à  l'université  de  Louvain,  d'abord  à  la 
«  schola  minor  »,  puis  au  cours  supérieur,  où  il  remplaça  Mgr  Beelen. 
Il  garda  ces  fonctions  jusqu'en  1900.  En  même  temps  que  l'Écriture 
Sainte,  Mgr  Lamy  enseignait  l'hébreu  et  le  syriaque.  Il  était  consulteur 
de  la  Commission  biblique  et  membre  de  l'Académie  de  Belgique. 

Son  œuvre  scientifique  est  considérable  et,  dans  le  domaine  de  la 
littérature  syriaque  surtout,  de  très  haute  valeur.  Citons  :  Concilium 
Seleuciae  et  CtesipJionti  hahitum  anno  4/0,  1868  ;  Gregorii  Barhebraei 
CJironicon,  3  vol.^  1872-1877  ;  Acta  beati  Abrahae  Kidunaiae  monachi, 
1891  ;  Sancli  Epliraem  Syri  hymni  et  sermones,  4  vol.,  1882-1902.  Dans 
le  domaine  scripturaire,  signalons  les  publications  où  il  critiqua  les 
idées  de  Renan  :  Examen  critique  de  la  Vie  de  Jésus  de  M.  E .  Renan, 
1863  ;  Les  Apôtres  par  Ernest  Renan,  1866  ;  L Antéchrist  de  M.  Renan, 
1873  ;  M.  Renan,  la  révélation  et  les  langues  sémitiques,  1858  ;  plusieurs 
commentaires  et  études  exégétiques  :  Commentarium  in  Genesim,  2  vol., 
±^  édv  1883-1884.  Il  collaborait  à  de  nombreuses  Revues  catholiques. 

ESPAGNE.  —  Universités  et  Séminaires.  —  L'enseignement  des 
diverses  branches  de  la  Sociologie  prend  en  Espagne  des  développe- 
ments extraordinaires.  C'est  là  certainement  l'un  des  faits  caractéristi- 
ques de  lavie  intellectuelle  de  l'autre  côté  des  Pyrénées.  Bon  nombre  de 
Séminaires  ont  inscrit  un  cours  de  sociologie  dans  leur  programme.  On 
cite  en  particulier  ceux  d'Astorga,  Jaca,  Jaen,  Madrid,  Orense,  Palencia, 
Pampelune,  Salamanque,  Santander,  Séville,  Valence,  Valladolid. 

Dans  plusieurs  discours  prononcés  à  l'occasion  de  la  reprise  des 
cours  universitaires,  des  sujets  ressortissant  à  la  Sociologie  ont  été 
traités,  A  Valence  le  professeur  J.  A.  Bernabé  y  Herrero  a  parlé  de  la 
question  agraire  en  Espagne  ;  à  Salamanque  le  professeur  N.  Sanchez 
y  Mata,  a  pris  pour  thème  :  Le  socialisme  et  la  Démocratie  chrétienne  ; 
à  Barcelone,  le  professeur  J.  Estanyol  y  Colom  a  proposé  :  Quelques 
réflexions  sur  le  droit  d'association. 

—  Le  discours  de  réouverture  à  l'Université  de  Madrid  a  été  prononcé 
par  le  professeur  B.  Bonet  y  Bonet.  Le  thème  choisi  était  :  L'organisa- 
tion de  l'enseignement.  Celte  organisation  parait  défectueuse  à  l'orateur 
qui  réclame  diverses  réformes  :  l'institution  d'un  examen  d'entrée,  la 
refonte  du  système  d'examens  et  la  substitution  d'examens  de  grades 
aux  épreuves  indépendantes  sur  chaque  matière  ;  la  réorganisation 
des  bourses  d'études  à  l'étranger,  etc. 

ÉTATS-UNIS.  —  Universités. —  Nous  empruntons  au  Journal  of  Psy- 
chology  les  renseignements  suivants.  La  Philosophical  Union  de 
l'université  de  Californie  annonce  comme  sujet  d'étude  pour  19.07-1908  : 
La  Finalité  de  la  religion  chrétienne^  L'ouvrage  publié  sous  ce  titre 
même  par  le  professeur  G.  Burman  Poster,  de  l'université  de  Chicago, 
a  été  choisi  comme   texte.    La  dissertation   inaugurale  a  été  lue  le  27 


186         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

septembre  par  le  professeur  Ch.  H.  Rieber,  de  l'université  de  Californie, 
sur  :  Le  problème  moderne  de  la  Finalité  de  la  religion  chrétienne.  Ont 
été  ensuite  traitées  :  La  formation  delà  religion  d'autorité  (23  octobre)  ; 
La  dissolution  de  la  religion  d'autorité  (22  novembre)  ;  La  conception 
nouvelle  du  monde  et  de  la  vie  (13  décembre).  Seront  étudiées  ulté- 
rieurement :  La  conception  naturaliste  et  la  conception  religieuse  du 
monde  (31  janvier)  ;  L'essence  du  Christianisme  :  la  question  de 
méthode  (28  février)  ;  L'essence  du  Christianisme  :  les  sources  de  la 
vie  de  Jésus  (27  mars)  ;  L'essence  du  Christianisme  :  Jésus  (24  avril)  ; 
La  finalité  de  la  religion  clirétienne  (8   mars). 

—  M.  0.  Pfleiderer,  professeur  à  l'université  de  Berlin,  a  donné  à 
l'université  Harvard,  pendant  le  mois  d'octobre,  une  série  de  con- 
férences en  allemand  sur  La  Philosophie  de  la  religion. 

—  M.  le  professeur  W.  Batesox,  de  l'université  de  Cambridge 
(Angleterre),  a  donné  en  octobre  et  novembre  au  Peabody  Muséum  de 
l'université  de  Yale  les  Selliman  Lectures.  Le  sujet  choisi  était  :  7'he 
Problem  of  Genelics. 

—  L'université  Harvard  se  propose  d'entreprendre  des  fouilles 
à  Sebastije,  l'ancienne  Samarie,  en  Palestine.  Des  démarches  ont  été 
faites  pour  obtenir  de  la  Porte  le  fîrman  nécessaire. 

Nominations  —  M.  E.  Abbre,  professeur  adjoint  de  philosophie  à 
l'université  Cornell,  Ithaca,  New-York,    est  nommé  pi-ofesseur  titulaire. 

—  M.  C.  W.  E.  Withney,  de  Bryn  Mawr  Collège,  Bryn  MavvT,  Pen- 
sylvanie,  devient  inslriictor  de  philosophie  à  l'université  Princeton. 

—  M.  L.  E.  Emerson,  docteur  en  philosophie  de  l'université  Harvard, 
est  nommé  instructor  de  philosophie  à  l'université  Michigan,  Ann 
Arbor,  Michigan. 

—  M.  D.  E.  Starch,  instructor  de  psychologie  à  l'université  de  Jowa, 
est  attaché  au  laboratoire  de  psychologie  de  l'université  Harvard  et 
nommé  inslnictor  de  psychologie  expérimentale  au  Wellesley  Collège, 
Wellesley,  Massachusetts. 

—  M.  G.  Santayana,  professeur  adjoint  de  philosophie  à  l'université 
Harvard,  devient  professeur  titulaire. 

—  M.  J.  H.  Breasted,  l'éminent  égyptologue,  professeur  à  l'université 
de  Chicago,  a  été  élu  membre  correspondant  de  l'Académie  des 
Sciences  de  Berlin. 

FRANCE.  —  La  deuxième  partie  du  Tome  I  de  VHisloire  des  Conciles, 
de  Hefele,  traduite  par  un  religieux  bénédictin  (Paris,  Lelouzey  et  Ané, 
1907  ;  gr.  in-8°,  p.  633-1239)  vient  d'être  livrée  au  public.  On  y  retrouve 
la  même  érudition  que  nous  avons  déjà  notée  à  propos  de  la  première 
partie  (cf.  Rev.  des  Se.  Ph.  et  Th.,  i  ;19071,  p.  819).  Réparons  un  oubli 
en  signalant  un  nouvel  avantage  de  ce  travail.  En  marge  du  texte,  a  été 
insérée  la  pagination  Je  la  deuxième  édition  allemande.  On  peut  par  là 
retrouver  sans  peine  les  références  données  d'après  celle-ci.  Dans  ce 
second  volume,  il  faut  faire  une  mention  spéciale  des  neuf  appendices 
ajoutés  par  Dom  H.  Leclercq  à  la  traduction.  Ils  traitent  les  sujets 
suivants  :  1°  Le  concile  apostolique  de  Jérusalem  ;  2°  Le  concile  apos- 
tolique d'Antioche  ;  3**  Chronologie   des  conciles   de  Carthage   depuis 


CHRONIQUE  187 

l'an  251  jusqu'à  l'an  256  ;  4°  Un  concile  tenu  à  Séleucie-Ctésiphon 
avant  323  ;  5°  Les  fragments  coptes  relatifs  au  concile  de  Nicée  ;  G** 
Les  diverses  rédactions  du  concile  de  Nicée  dans  les  collections  occiden- 
tales ;  7°  De  la  composition  des  conciles  provinciaux  ;  8°  Observations  sur 
le  6^  Canon  du  concile  de  Nicée.  Les  sièges  suffragants  d'Alexandrie, 
d'Ântioche,  de  Rome  et  de  Carthage  ;  9**  Les  Canons  dits  apostoliques. 
Une  table  analytique  permet,  dès  maintenant,  l'utilisation  facile  de 
ce  tome  L 

—  C'est  une  vraie  nouveauté  que  nous  présente  DomH.  Lecleecq 
avec  son  Manuel  d'ArcJiéologie  chrétienne  depuis  les  origines  jusqu'au 
viii^  siècle.  (Paris,  Letouzey  et  Ané,  1907  ;  2  vol.  in-8%  591-681  pages). 
Par  l'ampleur  de  la  matière  traitée,  la  richesse  de  l'érudition,  aussi  bien 
que  par  les  conclusions  qu'il  propose,  cet  ouvrage  tianclie  absolument 
sur  tous  les  manuels  similaires,  dont  quelques-uns  pourtant  n'étaient 
pas  sans  mérite.  C'est  le  guide  nécessaire  à  l'intelligence  des  monogra- 
phies qui  forment  le  Diciionnaire  d'Archéologie,  et  son  complément 
obligé.  Une  partie  préliminaire  traite  l'histoire,  la  chronologie,  la 
topologie,  les  sources  littéraires,  les  définitions  et  la  bibliographie  de 
l'archéologie  chrétienne.  Vient  ensuite  un  remarquable  chapitre  sur  les 
influences  (juive,  mithriaque,  classique,  chrétienne)  qui  ont  pu  agir 
sur  les  artistes.  Abordant  plus  directement  la  matière,  l'auteur  étudie 
les  catacombes  et  les  cimetières,  puis  les  édifices  chrétiens  avant  la  paix 
de  l'Église.  Trois  copieux  appendices  terminent  le  premier  volume  : 
i°  Essai  de  classement  des  principaux  monuments  ;  2"  L'art  et  les 
cimetières  juifs  ;  3°  Essai  de  classement  des  fresques  des  catacombes  de 
Rome  et  de  Naples. 

Le  second  volume  est  plus  technique  et  comprend  les  chapitres  sui- 
vants :  méthodes  de  constructions,  l'architecture,  la  peinture,  la  mosaï- 
que, statuaire  et  polychromie,  le  bas-relief,  les  ivoires,  la  glyptique, 
orfèvrerie  et  émaillerie,  la  verrerie,  la  terre  cuite,  la  fonte,  la  numisma- 
tique, les  tissages,  les  miniatures,  artes  minores.  Cette  minutieuse 
étude  aboutit  à  la  conclusion  que  l'auteur  formule  en  ces  termes  : 
«  S'il  fallait,  à  tout  prix,  conclure:  nous  dirions  que  nous  sommes, 
pour  notre  part,  disposés  à  chercher  sur  la  côte  d'Asie-Mineure  et  en 
Egypte  les  origines  de  l'art  chrétien  et  les  formes  primitives  qui  se  sont 
développées  à  Constantinople  et  en  Occident  à  partir  du  i\*  siècle.  » 

Nous  ne  pouvons  examiner  ici  le  côté  technique  de  l'ouvrage  :  il  est 
trop  étranger  aux  préoccupations  de  cette  revue  et  dépasse,  d'ailleurs, 
notre  compétence.  Nous  serons  mieux  dans  notre  rôle  en  signalant  le 
profit  que  l'historien  des  doctrines  peut  tirer  de  ce  manuel.  Il  lui  per- 
mettra d'abord  de  s'orienter  facilement  et  sûrement  à  travers  les  sources 
monumentales  de  la  primitive  église  ;  il  lui  fournira  surtout  quelques 
principes  de  critique  dont  il  devra  tenir  compte  dans  l'interprétation. 
Ainsi,  par  exemple,  Dom  Leclercq  proteste  contre  l'exagération  de 
certains  critiques,  qui  veulent  trouver  partout  ou  un  symbolisme 
chrétien  ou  une  démonstration  Ihéologique  (I,  p.  182).  A  ce  point  de 
vue  le  chapitre  sur  les  influences  est  du  plus. grand  intérêt. 

Il  est  encore  un  mérite  de  cet  ouvrage  qu'il  faut  relever  ;  c'est 
l'aisance  et  le  charme  de  la  rédaction.  Sans  doute  on  rencontre  de  ci 


188         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  là  quelques  formules  exagérées,  mais  malgré  son  érudition  le  livre 
n'a  rien  d'aride  et  se  lit  même  avec  plaisir.  L'impression  est  parfaite, 
rillustralion  très  riche,  bien  choisie  et  bien  rendue.  Une  table  très 
complète  permet  d'utiliser  facilement  les  nombreux  renseignements 
contenus  dans  ces  deux  forts  volumes. 

—  MM.  Bros  et  Habeet  ont  entrepris  la  publication,  chez  Lethielleux, 
à  Paris,  d'une  Bibliothèque  (T Histoire  des  Religions.  Ils  exposent  en  ces 
termes  leur  dessein  :  «  Nous  nous  proposons  dans  celte  collection  de 
présenter  au  public  cultivé  l'histoire  des  diverses  religions.  Nos  mono- 
graphies ne  seront  pas  des  œuvres  de  pure  érudition,  mais  un  exposé 
du  développement  de  ces  religions,  conçu  d'après  les  meilleurs  travaux 
et  en  faisant  appel  aux  lois  psychologiques  et  sociales...  » 

A  déjà  paru  :  A.  Bros,  La  religion  des  peuples  non  civilisés  (1907). 
Sont  annoncés  :  0.  Habert,  La  Religion  de  la  Grèce  antique  ;  M.  Louis, 
Doctrines  religieuses  des  philosophes  grecs. 

—  M.  l'abbé  B.  Gaudeau  va  faire  paraître  le  15  janvier  prochain,  chez 
Lethielleux,  à  Paris,  le  premier  fascicule  d'une  nouvelle  revue  mensuelle, 
intitulée  :  La  Foi  Catholique.  Revue  critique,  anti-kantiste  des  questions 
qui  touchent  à  la  notion  de  la  Foi.  Comme  principaux  articles  de  ce 
numéro,  l'éditeur  signale  :  Caractéristiques  de  cette  publication  :  son 
objet,  son  esprit,  son  plan.  —  B.  Gaudeau,  L'Encyclique  "  Pascendi  " 
est-elle  un  document  infaillible  ?  —  Le  même,  Erreurs  modernistes  sur 
le  magistère  de  V Eglise  et  la  liberté  de  la  critique.  —  Le  même.  Les  diffi- 
cultés du  traité  théologique  de  la  Foi.  Suivent  :  Sotes  bibliographiques 
et  :  Publications  modernistes  en  Italie.  Cette  revue  publiera  les  confé- 
rences d'apologétique  que  M.  Gaudeau  donne  en  ce  moment  à  l'Institut 
catholique  de  Paris  sur  le  Syllabus  et  l'Encyclique  relatives  au 
modernisme. 

La  Foi  Catholique  paraîtra  le  13  de  chaque  mois,  sauf  août  et 
septembre,  par  fascicules  de  96  pages.  L'abonnement  est  de  10  francs 
par  an  pour  la  France  et  de  12  pour  les  autres  pays  de  l'Union  postale. 

Universités  et  Académies.  —  Les  conférences  d'Histoire  des  Reli- 
gions, récemment  établies  à  l'Institut  Catholique  de  Paris,  ont  été 
ouvertes  par  Mgr  Le  Roy  à  qui  le  premier  trimestre  a  été  réservé. 
Il  traite,  en  huit  leçons,  de  La  Religion  des  Primitifs  (samedi  21 
décembre  —  samedi  22  février)  :  1°  Introduction  générale  ;  2°  La  Dog- 
matique des  Primitifs  ;  3°  La  Dogmatique  des  Primitifs  (suite)  ;  4'-'  Le 
Culte  des  Primitifs;  o°  La  Mora  e  des  Primitifs  ;  6°  La  Magie;  7°  Les 
Religions  comparées  des  Primitifs  ;  8°  Conclusions  générales. 

Pendant  le  deuxième  trimestre,  M.  le  baron  Carra  de  Vaux  exposera 
La  doctrine  de  rislam,e[,  pendant  le  troisième,  M.  de  La  Vallée-Poussin 
étudiera  Le  Bouddhisme  de  Vlnde. 

—  L'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques,  sur  le  rapport  de 
M.  Bergson,  dans  sa  séance  du  26  octobre,  a  ainsi  afTecté  le  prix  Le 
Dissez  de  Penanrun  (2000  fr.)  :  une  somme  de  1300  fr.  à  M.  J.  Evellin, 
inspecteur  général  honoraire  de  l'Instruction  publique,  pour  son  ou- 
vrage :  La  raison  pure  et  les  antinomies;  une  somme  de  500  fr.  à 
M.  G.  Belot,  professeur  de  philosophie  au  Lycée  Louis-le-Grand,  pour 
son  ouvrage  :  Etudes  de  morale  positive. 


CHROMQUE  189 

—  M.  le  duc  de  Loubat  a  été  élu  associé  étranger  de  rAcadémie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres,  en  remplacement  du  professeur  Sophus 
BuGGE,  de  l'Université  de  Christiania,  l'éminent  historien  des  mythes  et 
légendes  Scandinaves,  qui  est  mort  il  y  a  quelques  mois.  C'est  aux  géné- 
reuses subventions  du  duc  de  Loubat  que  l'Ecole  Française  d'Athènes 
doit  d'avoir  pu  poursuivre  les  fouilles  de  Delphes  et  de  Délos. 

Retraites  et  Nominations.  —  M.  Heuzey,  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  conservateur  du  département  des  antiquités 
orientales  et  de  la  céramique  antique  au  Musée  du  Louvre  et  professeur 
h  l'École  du  Louvre,  vient  de  prendre  sa  retraite.  Il  reçoit  le  titre  de 
directeur  honoraire  des  Musées  nationaux.  Il  est  en  outre  chargé  des 
relations  du  Musée  du  Louvre  avec  la  mission  française  de  Chaldée 
dont  les  travaux  sont  placés  sous  sa  direction,  ainsi  que  les  négocia- 
tions et  les  publications  qui  s'y  rapportent. 

—  M.  E.  BouTROux  ayant  pris  sa  retraite,  la  chaire  d'Histoire  de  la 
philosophie  moderne  en  Sorbonne  a  été  attribuée  à  M.  Lévy-Bruhl, 
précédemment  professeur  adjoint. 

Décès.  —  M.  Victor  Brochard  est  mort  à  Paris  le  23  novembre.  Il 
était  né  dans  le  département  du  Nord  en  1848.  Successivement  profes- 
seur en  divers  Lycées,  maître  de  Conférences  à  l'École  normale  supé- 
rieure, titulaire  delà  chaire  d'Histoire  de  la  philosophie  ancienne,  1894, 
M.  Brochard  se  révéla  à  toutes  ces  étapes  de  sa  carrière  comme  un 
maître  de  premier  ordre.  L'honneur  lui  appartient  aussi  d'avoir  effica- 
cement contribué  à  acclimater  dans  l'enseignement  supérieur  de  l'his- 
toire de  la  philosophie  le  point  de  vue  et  les  méthodes  rigoureuses  de 
l'histoire  véritable,  en  même  temps  que  d'avoir  maintenu  et  ravivé, 
parmi  des  courants  d'idées  tout  autres,  l'intelligence  et  l'estime  de  la 
philosophie  rationnelle  des  Grecs. 

Principaux  travaux:  L'Erreur  et  De  Assensione  Stoici  quid  senserint 
(thèses  de  doctorat),  1879  ;  Les  Sceptiques  Grecs,  1887  ;  Zenon  dÉlée. 
Ses  arguments  contre  le  mouvement,  1888  ;  Descartes  stoïcien  {Revue 
Philosophique,  ix,  p.  48  et  ss.)  ;  La  loi  de  similarité  dans  Vassociation 
des  idées  (ibidem,  ix,  p.  237  et  ss.)  ;  La  Logigue  de  Stuarl  Mill  {ibidem, 
\u,  p.  449  et  ss.)  ;  De  la  croyance  {ibidem,  xviii,  p.  1  et  ss.)  ;  Pyrrhon 
et  le  scepticisme  primitif  [ibidem,  xix,  p.  317  et  ss.)  ;  La  méthode  expéri- 
mentale chez  les  Anciens  {ibidem,  xxiii,  p.  37  et  ss.)  ;  La  philosophie  de 
Bacon  (ibidem,  1891,  I,  p,  368  et  ss.)  ;  La  morale  ancienne  et  la  morale 
moderne  (ibidem,  1901,  L  p.  1  et  ss.)  ;  La  morale  éclectique  (ibidem 
1902,  I,  p.  113  et  ss.)  ;  Sur  le  Banquet  de  Platon  [Année  Philosophique 
de  PiLLON.  I!I06)  ;  La  morale  de  Platon  [ibidem,  1905)  ;  Les  a  Lois  »  de 
Platon  et  la  théorie  des  idées  [ibidem,  1902);  Les  Mythes  dans  la  philo- 
sophie de  Platon  (ibidem,  1900). 

M.  Brochard  appartenait  à  l'Académie  des  sciences  morales  et  politi- 
ques depuis  1900. 

—  M*""^  Camille  Bos,  docteur  en  philosophie  de  l'Université  de  Berne 
y  et  collaboratrice    habituelle   de  la  Revue   Philosophique,  est  décédée  à 

Paris,  le    1  novembre,    dans  sa  trente-neuvième  année.   Elle  a  publié, 
outre  sa  thèse  de  doctorat  :  La  P.^ychologie  de  la  croyance,  2*^  éd.  1908, 


•190  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

et:  Pessimisme,  Féminisme,  Moralisme,  1908,  une  traduction  de  l'ou- 
vrage de  Haeckel  :  i^nigmes  de  l'Univers,  dont  les  idées  exerçaient  une 
vive  séduction  sur  son  esprit. 

ITALIE.    —    Motu    proprio    sanctissimi    D.    N.    Pii    PP.    X.    de 

sententiis  Pontifîcalis  Conoilii  rei  Biblicae  provehendae  praepositi 
ac  de  censuris  et  poenis  in  eos  qui  praescripta  adversics  modernistarum 
errores  neglexerint. 

Praestantia  Scripturae  Sacrae  enarrata,  ejusqiie  commendato  studio,  Litteris 
Encyclicis  Providentissimus  Deus,  datis  XIV  calendas  décembres  a.  MDCCC 
LXXXXIII,  Léo  XIII,  Noster  iinmortalis  memoriae  Decessor,  leges  des- 
cripsit  quibus  Sacroruni  Bibliorum  studia  ratione  proba  regerentur;  Librisque 
divinis  contra  eiTores  calumnias  cpie  Rationalistaium  assertis,  simul  et  ab  opi- 
nionibus  vindicavit  falsae  doctrinae,  qpiae  critica  sublimior  audit;  quas  quidem 
opiniones  nihil  esse  aliud  palam  est,  nisi  Rationalismi  commenta,  quemadmodum 
sapientissime   scribebat   Pontifex,    e  philologia   et   finitimis   discipïinis  detorta. 

Ingravescenti  autem  in  dies  periculo  prospecturus,  qiiod  inconsultarum  de- 
viarumque  sententiarum  propagatione  parabatur,  Litteris  Apostolicis  Vigi- 
lantiae  studnquc  memores,  tertio  calendas  novembres  a.  MDCCCCII  datis^ 
Decessor  idem  Noster  Pontificale  Consiliom  seu  Commissionem  de  re  Biblica 
condidit,  aliquot  doctrina  et  prudentia  claros  S.  R.  E.  Cardinales  com- 
plexam,  qiiibus,  Consnltomm  nomine,  complures  e  sacro  ordine  adjec- 
ti  suni  viri,  e  doctis  scientia  Ibeologiac  Biblioramqne  Sacrorum  delecti 
natione  varii,  studiorum  exegeticorum  methodo  atque  opinamentis  dis- 
similes.  Scilicet  id  cormnodum  Pontifex,  aptissimimi  studiis  et  aetati, 
animo  spectabat,  fieri  in  Consilio  locum  sententiis  quibusvis  libertate 
omnimodo  proponendis,  expendendis  disceptandisqiie;  neque  ante,  secundum  eas 
Litteras,  certa  aliqua  in  sententia  debere  Purpuratos  Patres  consistera,  quam 
qnum  cognita  prius  et  in  iitramque  partem  examinata  rerum  argumenta  forent, 
nihilqne  esset  postbabitum,  quod  posset  clarissimo  collocare  in  lumine  verum 
sincerumque  propositarum  de  re  Biblica  quaestionum  statum  :  hoc  demum 
emenso  cursu,  debere  sententias  Pontifici  Summo  subjici  probandas,  ac  deinde 
pervulgari. 

Post  diuturna  rerum  judicia  consultationesque  diligentissimas,  quaedam  félici- 
ter a  Pontificio  de  re  Biblica  Consilio  emissae  sententiae  sunt,  provehen- 
dis  germane  biblicis  studiis,  iisdemque  certa  norma  dirigendis  perutiles. 
At  vero  minime  déesse  conspicimus  qui,  plus  nimio  ad  opiniones  me- 
tbodosque  proni  perniciosis  novitatibus  affectas,  studioque  praeter  modum 
abrepti  falsae  libertatis,  quae  sane  est  licentia  intemperans,  probatque  se 
in  doctrinis  sacris  equidem  insidiosissimam  maxiraorumque  malorum  con- 
tra fidei  puritatem  fecundam,  non  eo,  quo  par  est,  obsequio  sententias 
ejusmodi,    quamquam    a  Pontifice    probatas,    exceperint    aut    excipiant. 

Quapropter  declarandum  lUud  praecipiendumque  videmus,  quemadmodum 
declaramus  in  praesens  expresseque  praecipimus,  universos  omnes  conscien- 
tiae  obstringi  officio  sententiis  Pontificalis  Consilii  de  re  Biblica,  ad  doctrinam 
pertinentibus,  sive  quae  adliuc  sunt  emissae  sive  quae  posthac  edentur, 
perinde  ac  Decretis  Sacrarum  Congregationum  a  Pontifice  probatis,  se 
subjiciendi:  nec  posse  notam  tum  detrectatae  obedientiae  tum  temeritatis 
de\'itare  aut  culpa  propterea  vacari  gravi  quotquot  verbis  scriptisve  sen- 
tentias bas  taies  impugnent;  idque  praeter  scandalum,  quo  offendant  ce- 
teraque  quibus  in  causa  esse  coram  Deo  possint,  aliis,  ut  plurimum,  temere 
in  bis  errateque  pronunciatis. 

Ad  baec,  audentiores  quotidie  spiritus  complurium  modernistarum  repressuri, 
qui  sophismatis  artificiisque  omne  genus  vim  efficacitatemque  nituntur  adimere 
non  Decreto  solum  Lamentabili  sane  exitu,  'quoi  V  nonas  Julias  anni  ver- 
tentis  S.  R.  et  U.  Inquisitio,  Nobis  jubentibus,  edidit,  verum  etiara  Litteris 
Encyclicis  Nostris  Fascendi  Dominici  grcgis,  datis  die  VIII  mensis  Septembria 


CHRONIQUE  191 

istius  ejusdem  anni,  Auctoritate  Nostra  Apostolica  iteramus  confirmamusqiie 
tum  Decretum  illud  Congregationis  Sacrae  Supremae,  tum  Litteras  eas  Nos- 
tras  Encyclicas,  addita  excommunieationis  poena  adversus  contradictores;  illud- 
que  declaramus  ac  decernimus,  si  quis,  quod  Deus  avertat,  eo  audaciae 
progrediatur  ut  quamlibet  e  propositionibus,  opiaionibus  doctrinisque  in  al- 
terutro  documento,  quod  supra  diximus,  impiobatis  tueatur,  censura  ipso 
facto  plecti  Capite  Bocentes  Constitutionis  Apostolicae  Sedis  irrogata,  qxiae 
prima  est  in  excommunicationibus  latae  sententiae  Roraano  Ponti.'i^!  simpliciter 
reservatis.  Haec  autem  excommunicatio  salvis  poenis  est  intelligenda,  in 
quas.  qui  contra  memorata  documenta  quidpiam  commiserint,  possint,  uti 
propagatores  defensoresque  haeresum,  incurrere,  si  quando  eorura  proposi- 
tiones,  opiniones  doctrinaeve  haereticae  sint,  quod  qmdem  de  utriusqiie  illius 
documenti  adversariis  plus  semel  usuvenit,  tum  vero  maxime  quum  moder- 
nistanim  errores,  id  est  omnium  haereseon  collectum,  propugnant. 

His  constitutis/Ordinariis  dioecesum  et  Moderatoribus  Religio-^arum  Conso- 
Ciationimi  denuo  vebementerque  commendamus,  A-elint  pervigiles  in  magis- 
tros  esse,  Seminariorum  in  primis,  repertosque  erroribus  modernistarum  im- 
butos,  novarum  nocentiumque  rerum  studiosos,  aut  minus  ad  praescripta 
Sedis  Apostolicae,  utcumque  édita,  dociles,  magisterio  prorsus  interdicant  : 
a  sacris  item  ordinibus  adolescentes  excludant,  qui  vel  minimum  dubita- 
tionis  injiciant  doctrinas  se  consectari  damnatas  novitatesque  maleficas.  Simul 
hortamur,  observare  studiose  ne  cessent  libros  aliaqxie  scripta,  nimium  qui- 
dem  peicrebrescentia,  qiiae  opiniones  proclivitatesque  gérant  taies,  ut  im- 
piobatis per  Encyclicas  Litteras  Decretumque  supra  dicta  consentiant  :  ea  sum- 
movenda  curent  ex  officinis  librariis  catholicis  multoqTie  magis  e  studiosae 
juventutis  Clerique  manibus.  Id  si  soliciter  accuraverint,  verae  etiam  soli- 
daegue  faverint  institutioni  mentium,  in  qua  maxime  débet  sacrorum  Prae- 
sulum  sollicitudo  versari. 

Haec  Nos  universa  rata  et  firma  consistere  auctoritate  Nostra  volumus  et 
jubemus,  contrariis  non  obstantibus  quibuscumque, 

Datum  Romae  apud  sanctum  Petrum  die  XVIII  mensis  Novembris,  9^ 
MDCCCVII,  Pontificatus  nostri  quinto. 

Plus   pp.  X. 

Commission  biblique.  —  Le  R'"*  Dom  Gasquet,  0.  S.  B.,  le  savant 
historien  de  la  Réforme  en  Angleterre,  a  été  désigné  comme  président 
de  la  Commission  Bénédictine  chargée  de  préparer  une  nouvelle  édition 
de  la  Vulgate  Hiéronymienne.  S.  S.  Pie  X  lui  a  adressé,  à  la  date  du  3 
décembre,  une  lettre  d'encouragement  oi^i  se  trouvent  décrits  les  travaux 
à  entreprendre. 

Publications  nouvelles.  —  La  librairie  Desclée  de  Rome  publie 
divers  ouvrages  traitant  de  questions  pratiques  intéressant  la  morale  et 
le  droit  canon.  Citons  du  cardinal  Gennari  Quest'wni  teologico-morali 
di  materie  riguardanti  specialmente  i  tempi  noslri,  (2*  Éd.,  1907  ; 
gr.  in-8°  de  XXXI-931.)  Dans  ce  volume  sont  traitées,  sans  ordre 
logique,  677  questions  théologico-morales,  d'une  valeur  inégale.  Leur 
intérêt  tient  à  ce  que  ce  sont  des  questions  pleines  d'actualité,  se  rap- 
portant aux  sujets  les  plus  variés  et  qui  n'ont  guère  été  étudiées  parles 
auteurs  anciens.  Une  table  alphabétique  assez  détaillée  supplée  au 
défaut  d'ordre  logique  dans  les  matières.  Il  ne  nous  appartient  pas  de 
formuler  une  appréciation  quelconque  sur  l'œuvre  de  l'Éminentissime 
Cardinal.  Il  nous  suflit  de  faire  remarquer  que  cette  seconde  édition  des 
Questions  théologico-morales  a  succédé  rapidement  à  la  première,  ce 
qui  est  une  preuve  incontestable  de  l'utilité  de  ce  livre,  surtout  pour  le 
clergé  italien. 


192         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

L'ouvrage  du  R.  P.  Dom  P.  Bastie:^,  0.  S.  B,,  De  frequeuti  quolidia- 
naque  covimunione  ad  normam  decreti  «  Sacra  Tridenlina  Synodiis  » 
(in-8,  XIII-240,  Rome  1907,  Desclée),  forme  un  excellent  traité  sur  la 
communion  fréquente.  Une  première  partie  expose  l'historique  de  la 
question.  La  seconde  est  un  commentaire  doctrinal  et  pratique  du  décret 
6'acra  Tridentina  Synodus  promulgué  par  Pie  X  le  20  décembre  1905. 
21  appendices  rapportent  les  documents  publiés  par  le  S. -Siège  depuis 
le  concile  de  Trente  et  relatifs  à  la  communion  fréquente.  L'érudition 
de  l'auteur  ne  nuit  pas  à  sa  piété.  Son  livre  contribuera  à  répandre 
parmi  les  fidèles  l'exercice  de  la  communion  fréquente.  j.  n. 

Revues.  —  On  annonce  la  disparition  de  deux  Revues  italiennes,  les 
Miscellanea  di  storia  e  cultura  ecclesiastica,  que  dirigeait  Mgr  U.  Benigni, 
(Rome),  et  les  Sludi  Religiosi,  de  M.  S.  Mmoccui  (Florence).  La  pre- 
mière existait  depuis  cinq  ans  et  n'avait  jamais  eu  qu'une  vitalité  mé- 
diocre. La  seconde  comptait  sept  années  d'existence,  au  cours  desquel- 
les elle  avait  tenu  une  place  importante  dans  le  mouvement  intellectuel 
des  catholiques  italiens. 

Plusieurs  anciens  collaborateurs  des  Sludi,  «  persuadés  que  la  totale 
disparition  du  mouvement  d'idées,  représenté  jusqu'à  ce  jour  et  promu 
en  Italie  par  les  Sludi  Religiosi,  constituerait  un  grave  dommage  scien- 
tifique et  moral  pour  le  catholicisme  italien,» ont  décidé  d'entreprendre 
la  publication  d'une  nouvelle  Revue  :  La  vila  religiosa,  Rivisla  Cattolica. 
Ce  périodique  paraîtra  chaque  mois,  à  partir  de  janvier  19o8,  par  fasci- 
cules in-S"  d'environ  70  pages,  à  la  librairie  Enrico  Ariani,  via  Ghibel- 
lina,  53-55,  Florence.  L'abonnement  est  de  8  fr.  pour  l'Italie  et  de  10  fr. 
pour  l'Étranger. 

Sociétés  savantes.  —  Le  D'  L.  Pastor,  l'éminent  auteur  de  la  Ges- 
chichle  der  Pcïpsle,  jadis  professeur  à  l'université  d'Inspruck,  et  main- 
tenant directeur  de  l'Institut  autrichien  de  Rome,  a  été  nommé  prési- 
dent de  l'Association  catholique  internationale  pour  le  progrès  des  scien- 
ces. Cf.  Rev.  des  Se.  Ph,  et  Th.  I,  p.  826  et  ss. 

Congrès.  —  Le  Congrès  annuel  delà  société  italienne  de  philosophie, 
tenu  à  Parme,  en  septembre  dernier,  est  un  témoignage  nouveau  des 
progrès  de  la  culture  philosophique  en  Italie.  Le  discours  d'ouverture 
fut  prononcé  par  le  professeur  Enriquez.  Parmi  les  travaux  particulière- 
ment intéressants  qui  furent  lus  devant  le  Congrès,  citons  les  études  de 
M.  G.  Villa  (Pavie),  sur  VlnleUectualisme  dans  la  philosophie  conlem- 
pomÏJîe,  de  M.  B.  Varisco  (Pavie),  sur  Les  conséquences  psychologiques 
de  la  logique  mathématique,  de  M.  Enriques,  sur  La  valeur  de  la  science, 
etc. 


RECENSION  DES  REVUES 


ANNALES  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE.  Oct.  —  La  Rédaction, 
L^ Enci/clique  '<  Pascendi  Dominici  gvegis  ».  («  L'Encyclique  blâme  ceux 
qui  usent  de  la  métliode  d'immanence  en  apologétique  «  avec  si  peu  de 
retenue  qu'ils  paraissent  admettre  dans  la  nature  humaine, au  regard  de 
l'ordre  surnaturel,  non  pas  seulementune  capacité  et  une  convenance..., 
mais  une  vraie  et  rigoureuse  exigence  ».  Si  quelqu'un  parmi  nous  a  paru 
tomber  dans  cette  erreur,  ou  si  des  assertions  insuffisantes  et  vagues 
ont  permis  une  telle  interprétation,  nous  le  regrettons  profondément  ; 
nous  désavouons  formellement,  sans  réticence  aucune,  toute  parole  qui 
aurait  pu  encourager  cette  méprise.  »)  p.  1-10.  —  Laberthonnière. 
Dogme  et  théologie.  II.  (Montre  en  quel  labyrinthe  de  difficultés  insolu- 
bles s'est  engagé  M.  Le  Roy.  «  La  connaissance  pratique  à  laquelle  il  est 
réduit  après  avoir  établi  l'inconnaissabilité  du  dogme  est  sans  issue... 
Par  elle  nous  ne  sortons  point  de  l'agnosticisme...  On  peut  bien  dire 
encore  que  la  formule  dogmatique  exprime  une  vérité,  mais  c'est  une 
vérité  qui  reste  pour  nous  totalement  et  irrémédiablement  étrangère. 
Et  si  on  transforme  le  dogme  en  commandement,  nous  ne  pouvons 
toujours  que  le  subir,  sans  être  jamais  sur  qu'un  commandement  diff'é- 
rent  ne  vaudrait  pas  mieux  ou  au  moins  tout  autant...  A  quelqu'un  qui 
viendra  nous  proposer  une  autre  recette,  nous  ne  pourrons  rien  répon- 
dre avant  de  l'avoir  également  essayée  et  ainsi  indéfiniment.  »  —  C'est 
pour  sortir  de  cette  impasse  que  M.  Le  Roy  revient  finalement  à  une 
spéculation  directe  sur  le  dogme,  spéculation  très  inférieure  à  celle  des 
grands  docteurs,  spéculation  qui  ne  corrige  en  rien  l'agnosticisme  du 
premier  moment, sorte  de  concordisme  «  provisoire  et  toujours  renouve- 
lable »,  qui  fait  perdre  de  vue  la  vérité  religieuse  et  nous  ramène  «  au 
laboratoire  ».)  pp.  10-65.  —  F.  GALTBERT.^a  foi  du  Nègre.  (L'auteur,  qui 
a  été  appelé  à  vivre  au  milieu  des  peuplades  de  l'Afrique,  veut  montrer 
par  l'étude  de  l'âme  du  nègre,  que  la  foi  suppose  un  mouvement  parlant 
des  profondeurs  de  l'âme  humaine,  et  qu'elle  a  pour  caractère  d'être  un 
dogmatisme  vivant  et  non  un  dogmatisme  abstrait.  Ce  qui  se  retrouve 
chez  le  nègre,  d'une  façon  plus  particulièrement  frappante  à  cause  de 
son  état  primitif,  c'est  l'inquiétude,  l'attente  d'une  délivrance  définitive 
et  d'une  plénRude  qui  ne  laisse  rien  à  désirer.)  pp.  66-80.  —  H.  Bré- 
MOND.    Le   dernier   des    Coiisiniens.    (A   propos    d'un    livre    récent    de 

1.  Tous  ces  périodiques  appartienaent  au  quatrième  trimestre  de  1907.  Seuls 
les  articles  ayant  im  rapport  plus  direct  avec  la  matière  propre  de  la  Re\T.ie 
ont  été  résumés.  On  s'est  attaché  à  rendre,  aussi  exactement  et  brièvement 
que  possible,  la  pensée  des  auteurs  en  s'abstenant  de  toute  appréciation.  — 
La  Recension  des  Re\T.ies  p,  été  faite  par  les  RR.  PP.  Allô,  (Fribourg), 
Blanche  (Paris),  Garcia  (Salamanque),  Gillet,  Tuyaerts  (Louvain),  Martin 
(Huy),  Garrigou-Lagrange,  .Jacquin,  Lemonnyer.  Mainage,  Noble,  de  Poll- 
PiQUET,    Roland-Gosselin    (Kain),    lecteurs    en    Théologie. 

2'  Année.  —  Kevue  des  Sciences.  —  N»  i  i-i 


194         REVUE    DES   SCIE.N'CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

M.  C.  Lalreille,  Francisque  Bouillier,  le  dernier  des  Cartésiens,  avec 
lettres  inédites  de  Victor  Cousi!».«  Tout  le  monde  saura  gré  à  M.I.atreille 
de  ramener  ainsi  la  littérature  philosophique  à  cette  brillante  simplicité 
qu'elle  a  désapprise  depuis  plus  de  vingt  ans.  Il  n'est  que  temps  d'en 
revenir  à  ces  beaux  livres  cousiniens  aussi  faciles  que  graves  et 
qu'on  peut  lire  en  chemin  de  fer.  »)  p.  80-90.  —  Correspondance.  (Pro- 
testation de  M.  G.  Bertrin  à  qui  M.  l'abbé  Dimnet  reproche  d'avoir  attri- 
bué au  cardinal  Dechamps  des  idées  qu'il  aurait  au  contraire  com- 
battues.) —  Une  page  du  cardinal  Wechamps.  («  L'homme,  pris  tel  qu'il 
est,  dans  l'état  réel  de  sa  nature,  est  une  vraie  pierre  d'attente  de  la 
révélation  chrétienne,  et  celle-ci  s'y  adapte  avec  une  si  divine  harmonie 
que  toute  âme  sincère  semble  se  retrouver  elle-même  en  la  rencon- 
trant. »)  =  Nov.  —  .1.  Martin.  Saint  Epiphane.  (Retrace  la  vie  de  saint 
Épiphane,  plus  particulièrement  la  lutte  contre  l'Origénisme.)  pp.  1]4- 
150.  —  Ch.  Calippe.  Za  destination  et  l'usage  des  biens  naturels,  d'après 
saint  Thomas  d'Aquin.  («  Le  propriétaire  de  ces  biens  naturels  n'est  en 
somme  qu'un  administrateur,  un  régisseur,  un  intendant  des  domaines 
du  maître  souverain,  un  délégué  de  l'unique  et  suprême  propriétaire.  Le 
propriétaire  est  le  fondé  de  pouvoir  de  Dieu  «.L'auteur  examine  les  trois 
raisons  que  fait  valoir  saint  Thomas  en  faveur  de  l'appropriation 
privée.)  pp.  151-167.  —  G.  Loumyer.  Les  sciences  occultes  au  moyen  âge. 
(Montre  les  origines  de  l'alchimie  dans  les  systèmes  philosophiques 
dérivés  du  panthéisme  oriental,  tels  que  les  théories  égyptiennes  ou 
chaldéennes  sur  la  nature  du  monde  et  des  dieux,  le  néo-platonisme  et 
la  cabbale  hébraïque.  Ptetrace  l'histoire  de  l'alchimie  et  de  la  magie,  du 
commencement  du  moyen  âge  au  XIV^  siècle.)  pp.  168-180.  =  Dec.  — 
L.  LELEU.La  mystique  et  ses  attaches  ontologiques.  II.  (L'ontologie  dont  il 
s'agit  ici  n'est  pas  la  métaphysique  dont  on  fait  remonter  la  création  à 
Âristote,  «  et  qui  tourne  à  vide  la  roue  décevante  des  spéculations 
nébuleuses  et  stériles  sur  l'essence  même  des  choses  »  ;  il  s'agit  «  de 
l'antique  sagesse  des  antiques  sanctuaires,  science  des  rapports  har- 
monieux de  toute  la  sphère  vivante  de  l'existence,  science  des  manifes- 
tations complètes  de  lÈtre  dans  la  vie,  vraie  science  religieuse  descen- 
due d'en  haut  »,  qui  est  non  seulement  ontologie,  mais  ontosophie. 
Elle  n'est  un  mystère  que  pour  les  aveugles  volontaires  qui  ont  fondé 
leur  espérance  sur  l'injustice,  selon  ce  que  dit  saint  Paul  aux  Romains, 
I.  4-5.)  pp.  225-248. —  Cn.  Huit.  Le  platonisme  en  France  au  A]  III'  siè- 
cle. (A  aucune  époque  la  civilisation  antique  n'a  été  si  mal  comprise  et 
si  peu  goûtée.  Platon  est  en  butte  à  l'ironie  de  Fontenelle,  à  l'indifférence 
voulue  de  Bayle.  Cependant,  ce  qui  reste  d'esprits  sérieux  en  France  est 
d'un  autre  sentiment,  tels  d'Aguesseau  et  Montesquieu.  De  modestes 
érudits  abordent  quelques  points  de  détail  du  Platonisme.)  pp.  279-21).'). 

ANTHROPOS.  4-5.  —  A.  Bourlet,  d.  M.  É.  Les  Thay.  (Suite  et  à 
suivre.)  (Traite  dans  le  paragraphe  III  de  la  vie  religieuse  du  Thay,  qui 
consiste  dans  un  culte  des  esprits  et  dans  un  culte  des  morts.  Il  y  a 
des  esprits  célestes  et  des  esprits  terrestres  innombrables.  Les  âmes 
des  morts  habitent  l'empyrée.  Le  Dieu  suprême  est  P6  Then,  le  père  de 
i'empyrée,  avec  une  divinité,  Mé   Buii,  pour    épouse.  Personnes  consa- 


RECENSION     DES     REVUES  193 

crées,  rites  et  coutumes  religieuses.  La  vie  du  Thay  est  réglée  jusqu'en 
ses  moindres  détails  par  la  coutume  basée  sur  sa  croyance  aux  esprits.) 
pp.  613-632.  —  Fr.  Mayr.  The  Zulu  Kafir  of  Natal.  (Suite  et  à  suivre.) 
(Étudie  le  vêtement,  la  parure  des  Zulus  du  Natal.    Nombreuses   illus- 
trations. Parmi  les  mutilations  usitées  jusqu'à  ces  dernières  années,  si- 
gnale la  pratique  de  la  circoncision  sur  les  jeunes  hommes  de  25  ans.) 
pp.  633-643.  — J.  Meier.  Mythen  und  Sagen  der   Admiralitàtsinsulaner 
(à  suivre).  (Donne,  précédés  d'une   introduction    critique,  le   texte   et 
la   traduction   de    18   récits  mythiques  répandus  parmi  les  habitants 
de    l'archipel   polynésien    de   l'Amirauté.)    pp.    646-667.    —   A.  M.  de 
S'  Élie,  0.    Carm.   Les   Racusiens,   Ci/riens,   Maronites  ou  Monotliélxtes. 
(Se  demande  quelle  est  cette  secte  chrétienne  dont  parlent  les   anciens 
auteurs  arabes  et  qu'ils  nomment  Rakusiyyeh  ?  Ce  mot  est  dérivé  du 
nom   du   patriarche   monothélite   d'Alexandrie    fVIIP    siècle),    Cyrus, 
devenu  en  arabe  Qurus,  puis  Racus.  C'est  donc  une  secte  monothélite. 
Le  poète  Al-'Ahtal,  le  chantre  immortel   des  Ommiades,   semble   avoir 
été  Racusien.)  pp.  668-674.   —   Brun,   des  PP.    Blancs.  Notes   sur  les 
Croyances  et  les  Pratiques  religieuses  des  Malinkés  fétichistes  (à  suivre.) 
(Ces   Malinkés,   de   la   famille  Mandingue,    sont    des   indigènes  de  la 
Province  de  Kita,  Afrique  occidentale  française.  L'auteur   n'estime  pas 
possible  de   fournir  une   définition   du  Fétichisme   qui   embrasse  tout 
l'ensemble   des  pratiques  religieuses  que   l'on   qualifie  de   fétichistes. 
Mieux  vaut  décrire  et  analyser  ces  pratiques.  Traite,  en  ce  qui  concerne 
les  Malinkés  actuels  :  I.  Du  Culte  des  Morts  :  A.  Croyances  au  sujet  des 
morts  ;  B.  En  quoi  consiste  le   culte   des  morts  :  Sacrifices,   Libations, 
Offrandes.  II.  De  la  Croyance  aux  esprits  et  du  Culte  qu'on  leur  rend.) 
pp.  722-729.  —   F.  Reiter,  S.  M.    Traditions    Tonguiennes.  ^Suite  et   à 
suivre.)  (Donne  le   texte,  traduction   et  commentaire  d'un  récit  relatif 
à  la  production  d'Ena,  île  située  à  l'est  de  Tonga.)  pp.  743-734.  ::=  6.  — 
A.  BouRLET,  de  la  S.  d.  M.  É.  Les  Thay  (fin).  (Légendes  Thay  relatives 
à  un  déluge,  aux  origines  de   l'humanité  actuelle  et  de  la  civilisation  ) 
pp.  921-932.  — J.  Meier,  M.  S   C.  Mythen  und  Sagen  der  Admiralitàtsin- 
sulaner (suite).   (Texte   et  traduction  de  légendes   relatives  :  1°  à  une 
confusion  des  langues  ;  2'^  au  ciel,  au  soleil  et  à  la  lune.)  pp.  933-941.  — 
J.  Brun,  des  Pères  Blancs.  Notes  sur  les  Croyances  et  les  Pratiques  reli- 
gieuses des  Malinkés  fétichistes  (fin).  (Expose  l'origine,  toute  récente,  du 
culte  du  Namaaupays  de  Kita,  l'organisation  de  ses  affiliés  en  confrérie 
religieuse,  les   rites  d'initiation,  les  sacrifices,  la   sortie    nocturne   du 
Nama,   ses   victimes.     Ce   Nama   est  un  esprit  bon,   distinct  de  Dieu, 
protecteur  contre  les  esprits  malfaisants,    représenté  par  une    statue 
grotesque   en    bois.    Le  culte  qu'on  lui  rend  a  un  caractère  fétichiste 
prononcé. Traite  ensuite  de  l'idée  de  Dieu  chez  les  Noirs  et  du  culte  qu'on 
lui  rend.  Les  Malinkés  fétichistes  reconnaissent  un  Dieu  unique,  créa- 
teur et  souverain  maître  de  tout.  Le  nom  qu'ils  lui  donnent  Alla,  Ngala 
est  d'origine  musulmane,  mais  pas  la  croyance  elle-même,  semble-t-il. 
Le  culte  rendu  à  Dieu  est  fort  réduit.)  pp.  942-934.  —  L.  Cadière,  de  la 
S.  d.  M.  É.    Philosophie  populaire  annamite   (suite).   (Étudie  les  idées 
relatives  aux  Thàn  ou  génies,  aux  Ma  ou  esprits,  aux  Qui  ou  démons,  à 
rOng  bà  ou  àme  des  ancêtres.  Les  Annamites,  primitivement,  croyaient 


196  REVUE   DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

à  deux  catégories  d'esprits:  esprits  bienfaisants,  personnification  des 
forces  l)onnes  de  la  nature  ou  âmes  humaines  investies  de  puissance 
surnaturelle;  esprits  malfaisants,  personnification  des  forces  hostiles 
de  la  nature  et  surtout  âmes  humaines  perverties  Cet  élément  originel 
a  été  recouvert  par  des  apports  d'esprits  taoiques,  confucéens  et  boud- 
dhiques qu'on  a  identifiés  aux  précédents.  La  vie  annamite  est  dominée 
par  cette  croyance  aux  esprits.  Illustrations.)  pp.  955-969.  —  L.  Besse. 
Un  ancien  document  inédit  sur  les  Todus.  (Donne  le  texte  de  deux 
relations  de  voyage  chez  les  Todas  de  l'Inde,  la  l"^"  de  1602,  la  2« 
de  1604.)  pp.  970  975.  —  R.  A.  Dlrand.  Christian  Influence  on  African 
Folk-Lore.  (Signale  dans  le  folklore  de  l'Afrique  orientale  et  méridio- 
nale certaines  survivances  d'idéeset  de  pratiques  chrétiennes  introduites 
par  l'apostolat  Dominicain  au  temps  de  la  conquête  Portugaise.)  pp.  976- 
980  —  F.  Camboué,  s.  J.  Notes  sur  quelques  mœurs  et  coutumes  Malgaches 
(à  suivre).  (Étudie  surtout  les  habitants  de  l'Imérina.  Dans  ce  premier 
article  relève  les  usages  relatifs  à  l'enfant.)  pp.  981-989.  —  E.  Kougier. 
Maladies  et  Médecines  à  Fiji  autrefois  et  aujourd'hui  (fin).  (Pratiques 
concernant  les  éléments,  l'agriculture,  la  pêche,  la  santé.  Médecines  et 
opérations  chirurgicales.)  pp.  994-1008.  —  W.  Schmidt,  S.  V.  D.  Die 
geh<nm,e  Jùngli/hju'eihe  der  Karesau-Insulaner  ( Deutsch-Neuguinea). 
(Traite,  d'après  des  renseignements  fournis  par  un  habitant  des  îles 
Karesau,  Bonifaz-Tamataï  Prilak,  des  rites  et  chants  de  l'initiation  (cir- 
concision) des  jeunes  garçons.)  pp.  1029-1056. 

ARCHIVES  DE  PSYCHOLOGIE.  Cet.—  Iy^.Vlom^^ox. Automatisme  téléo- 
gique  antisuicide.  (Étudiant  deux  cas  d'automatisme  antisuicide,  l'auteur 
dégage  les  conditions  suivantes  de  l'hallucination  antisuicide.  Il  faut  pour 
le  développement  de  celle-ci  :  1°  une  constitution  quelque  peu  névropa- 
thique,  très  Imaginative,  susceptible  de  dissociations  passagères  ;  '2°  un 
tempérament  suffisamment  optimiste  ;  3"  un  ensemble  de  circonstances 
psychiquement  assez  déprimantes  pour  faire  jaillir  des  idées  noires ', 
4"  l'isolement  moral.)  pp.  ll3-lo7. —  Bernard  Leroy.  Escroquerie  et 
hi/pnose.  (Étude  expérimentale  d'escroqueries  qui  se  prolongèrent 
pendant  plusieur.s  mois  à  l'aide  de  manœuvres  hypnotiques  pratiquées 
sur  une  des  victimes.)  pp.  138-151.  —  M"^  M.  Métral.  Expériences  sco- 
laires sur  la  mémoire  de  Vorthographe.  (Aperçu  historique  de  pareilles 
expériences,  et  exposé  des  résultats  d'expériences  pratiquées  par  l'au- 
teur.) pp.  lo:i-l59.  —  G.  G.  JuxG.  Associations  d'idées  favxiliales.  (Étude 
expérimentale  de  classification  et  de  psycho-métrie  d'associations 
d'idées  observées  chez  des  sujets  appartenant  à  la  même  famille.)  pp. 
160-168. 

BIBLISCHE  ZSITSCHRIFT.  4.  —  P.  M.  Baumgarjex.  Das  Original  der 
Konstitution  «  l-Jlcrnus  ille  cœlestium  »  von  I  Miirz  1 590.  (Entre  le 
texte  original  de  la  Bulle  Elernus  ille  cœlestium  (Arch.  Secret.  Yatic.) 
et  ses  reproductions  par  l'imprimerie,  il  existe  un  nombre  assez  considé- 
rable de  variantes.  On  les  explique  en  reconstituant  le  processus 
matériel  de  la  publication  des  Bulles  tel  qu'il  était  en  usage  au  XVP 
siècle),  p.  337-351.  —  J.  Doller.  Die  Entblossung  des  Volkes  Israël  am 


RECENSION     DES     REVUES  197 

Sinai(Ex.  XXXII,  25).  (Le  verbe  yns  doit  se  traduire  «être  nu». 
Cette  interprétation  s'appuie  sur  le  sens  du  même  mot  dansles  passages 
parallèles.  Elle  se  rattache  à  un  usage  religieux  dont  on  retrouve  la 
trace  chez  les  peuples  de  l'Orient  ancien  et  moderne.)  p.  352-358.  — 
G.  ÂicuER.  Zum  Gloria  ( Lk  II,  14).  (Le  cantique  des  Anges  suppose  un 
texte  hébreu,  d'origine  judéo-chrétienne,  dont  le  grec  serait  la  traduc- 
tion littérale.  La  partie  la  plus  obscure  «  pax  hominibus  bonae  volun- 
tatis  »  doit  être  reconstituée  «  |i^;-i*^n'?  di^'l:*  »,  et  se  traduire  «  Paix  aux 
hommes  du  bon  plaisir  »  (den  Wohlgefallenden).  L'expression  a  un 
sens  particulariste  et  désigne  les  Juifs.)  p.  381-391.  —  M,  Meinertz. 
Afcj.  XV,  34  iind  die  iVoglichkeit  des  antiochenischen  Slreilfalles  (Gai. 
Il,  i  I  sv.j  nach  dem  Apostelkonzil.  (L'épître  aux  Galales  est  postérieure 
au  concile  de  Jérusalem.  On  le  prouve  en  établissant  que  le  conflit 
raconté  par  Paul  {Gai.  II.  11  sv.)  est  lui-même  postérieur  à  cette  réunion: 
Ad.  XV,  34  est  une  glose.  Luc  a  présenté  la  suite  des  faits  en  raccourci  : 
(36-40).  Silas  est  bien  retourné  à  Jérusalem  (v.  33),  puis  revenu  (v.  40). 
Cet  espace  de  temps  a  suffi  pour  permettre  entre  Pierre  et  Paul  la 
rencontre  et  le  conflit  d'Antioche.)  p.  392-402. 

BULLETIN  DE  LITTÉRATURE  ECCLÉSIASTIQUE.  Nov.  —  J.  Baylac. 

Autour  de  V Encyclique  (à  suivre).  (A  propos  d'une  comparaison  de 
M.  F.  Charmes  {Revue  des  D.  M.,  1  oct.)  entre  la  condamnation  du 
modernisme  et  celle  d'Aristote  au  XIII"'  s.,  montre  les  différences  entre 
ces  deux  faits.  «  Nous  voyons  comment,  par  une  mesure  disciplinaire 
et  de  sa  nature  transitoire,  l'enseignement  de  la  philosophie  d'Aristote 
a  pu  être  interdit  dans  une  Université  ;  nous  voyons  aussi  comment, 
sans  contradictions,  cette  même  philosophie,  ou  plutôt  cette  philosophie 
corrigée,  a  pu  devenir  dans  la  suite  la  philosophie  presque  officielle  de 
la  science  sacrée.  »j  p.  241-252.  —  Le  traité  des  Auges  de  S.  Thomas, 
thèse  de  M.  Costes.  (Soutenance  du  22  juin  1907.  D'une  comparaison 
détaillée  et  minutieuse  entre  S.  Thomas  et  les  auteurs  qui  l'ont  précédé 
ou  suivi,  tant  au  point  de  vue  de  la  philosophie  que  de  la  théologie  et  des 
méthodes  employées,  l'auteur  conclut  à  la  supériorité  du  traité  des 
Anges  de  S.  Thomas.)  pp.  253-260. 

CIUDAD  DE  DIOS  (LA).  20  oct.  —  L.  Conde.  Liga  sécréta  interna- 
cional  en  contra  del  Indice  g  en  favor  de  la  cullura  (suite).  (Analyse  les 
affinités  entre  la  supplique  et  le  modernisme.)  pp.  278-290.  —  M. 
Gutiérrez.  Sobre  lafilosofia  de  Fr.  Luis  de  Léon,  (suite).  (Expose  les  idées 
de  Fr.  Louis  de  Léon  sur  la  matière  et  la  forme,  l'habitus  et  la  priva- 
tion, l'union,  la  composition,  l'individuation,  la  génération  et  la 
corruption,  la  mutation  et  l'altération.)  pp.  303-314  =  5  nov.—  L.  Conke. 
Liga  sécréta  (fin).  (Montre  que  le  Saint-Office  a  eu  des  motifs  sérieux 
pour  condamner  quelques  œuvres  de  Scliell.  Donne  copie  des  deux 
protocoles  du  procès  instruit  par  l'évéque  de  Wurzbourg  contre  ce  pro- 
fesseur.) pp.  371-381.  =  20  nov.  —  M.  Gutiérrez.  Sobre  la  filosofia  de 
Fr.  Luis  de  Léon  (suite).  (Louis  de  Léon  divise  les  êtres  en  inorgani- 
ques, organisés  artificiellement,  organisés  naturellement  et  immatériels. 


198         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Parmi  les  êtres  organisés  nalurellement,  il  énunière  les  cieux  el  parmi 
les  immatériels  des  mentes  aethereae  distincts  des  astres,  des  anges  et 
des  âmes  humaine.  Qu'entend-il  par  ces  cieux  organisés  et  ces  mentes 
aethereae  ?  il  ne  le  dit  pas  clairement.)  pp.  487-496. 

CIVILTA  CATTOLICA  (LA).  19  cet.  —  E.  Rosa.  //  inodernismo  e  il 
vecchio  naturalismo.  (Le  modernisme  condamné  par  Pie  X  est  un 
semi-rationalisme  se  rapprochant  du  naturalisme  condamné  par  Pie  JX. 
Il  est  même  plus  dangereux,  objectivement  considéré,  que  ce  dernier  et 
c'est  pourquoi  l'encyclique  en  a  fait  l'exposé  pour  le  condamner.)  pp. 
129-141.  r=  2  nov.  —  E.  Rosa.  //  modernismo  filosofico.  (La  philosophie 
moderniste  est  un  phénoménisme  agnostique  qui  ne  renseigne  pas  sur 
un  Dieu  réel,  mais  sur  une  idée  subjective  de  Dieu.  Celle-ci  s'exprime 
sous  l'action  d'un  besoin  existant  dans  notre  subconscience  par  des 
formules  plus  rafTinées,  par  des  dogmes.  La  religion  n'est  que  la  pro- 
jection extrinsèque  de  ce  labeur  intérieur,  ce  n'est  pas  une  connais- 
sance, mais  un  besoin  du  cœur,  une  expression  changeante  de  l'incon- 
naissable.) pp.  257-269.  —  A.  Ferretti.  //  Gur/au  e  una  morale  senza 
obbligazione  e  sanzione.  (En  morale,  les  faits  de  conscience  prouvent  à 
eux  seuls  l'existence  de  l'obligation  mystique  et  de  la  sanction  reli- 
gieuse.) pp.  270-281.  :=  16  nov.  —  E.  Rosa.  Jl  programma  dei  moder- 
nisli  ribelli.  (Signale  et  réprouve  l'ouvrage  intitulé  :  //  programma  dei 
modernisti.  Riposta  airenciclica  di  Pio  A  «  Pascendi  Dominici  gregis.  » 
Relève  les  principaux  points  du  système  moderniste  présenté  dans  ces 
pages;  comme  ils  prétendent,  la  critique  est  à  la  base  de  ce  système, 
celle-ci  suppose  déjà  une  philosophie  naturaliste.)  pp.  385-404.  = 
7  déc.  —  G.  Zoccni.  .S.  Giovanni  Grisostomo  nel  XV  centenario  délia 
sua  morte  (407-1 907).  (Retrace  à  grands  traits  la  jeunesse  de  S.  Jean 
Chrysostome  et  sa  formation,  caractérise  son  éloquence.)  pp.  519-537. 
—  E.  Rosa.  //  modernismo  filosofico.  (La  philosophie  nouvelle  (agnos- 
ticisme et  immanentisme)  ne  mérite  même  pas  le  nom  de  philosophie  ; 
elle  ruine  la  logique,  la  psychologie,  la  métaphysique  et  même  les 
sciences-mathématique  et  physique.)  pp.  538  558.  =  21  déc.  — 
A.  Ferretti.  Il  Nietzsche  e  Vimmoralismo.  (Nietzche  nie  Dieu,  l'immor- 
talité de  l'âme,  et  toute  sanction  dans  une  autre  vie  ;  condamne  les 
vertus  chez  le  surhomme,  exalte  la  force,  la  dureté  et  les  aspirations  de  la 
nature.)  pp.  651-664. 

CULTURA  ESPANOLA.  août. —  M.  ârnaiz.  Pragmatismo  y  humanismo. 
(suite).  (L'humanisme  est  la  transposition  psychologique  de  la  théorie 
logique  du  Kantisme.  Il  est  essentiellement  relativiste  et  sceptique.  Il 
s'oppose  au  sens  commun.)  pp.  855-867.  =  nov.  —  A.  G.  Izouierdo.  Un 
filôsofo  catalan  (Antonio  Comellas  y  Cluet).  (fin).  (Résume  les  idées 
méthodologiques  et  critiques  développées  par  Comellas  dans  son  livre 
Introduction  à  la  philosophie.)  pp.  1099-1115. 

ÉCHOS  DORIENT.  Sept.  —  M.  Jugie.  Le  canon  de  V  Ancien  Testament 
dans  l'Église  russe  depuis   le   A  VHP  siècle.   (Le  premier  qui  exclut  du 


RECENSION     DES     REVUES  199 

canon  les  deulérocanoniques,    pour  s'en   tenir   aux   livi-es   du   canon 
hébreu,  fut  Théofane  Prokopovitch,  théologien  favori  de  Pierre  le  Grand. 
Son  enseignement,  d'abord  isolé,  se  propagea  durant  la  fin  rinKYriFs. 
AuXlX'',  les  catéchismes  approuvés  par  le  Saint-Synode,  aussi  bien  que 
les  ouvrages  d'exégèse,  le  reproduisent  universellement.)  pp.  203-274. — 
S.  \.\iu\È..Origines  de  l'Eglise  de  Conslantiuople.  («  La  première  pénétra- 
tion connue  du  Christianisme  à  Byzance   doit]  se  placer  vers  la  fin  du 
II''  s.  Quant  au  premier  évêque  byzantin,  il  est  venu  au  plus  tôt  dans  les 
premières  années  du  III«  s.,  au  plus  tard  dans  les  premières  années  du 
IV«.  »)   pp.  287-295.  =  Nov.  —  Pl.  De  Meesteh.   L'office  décrit  dans  ht 
Règle  bénédictine  et  ï office  grec.    (Relève  les  nombreuses  ressemblances 
entre  ces  deux  offices.)  pp.  330-344.  —  M.  Jugie.    Les  deulérocanoniques 
dans  r Eglise  grecque  depuis    le  XVIII"  siècle.  (Par  des  traductions  des 
ouvrages  russes,  par  l'enseignement  de  quelques  théologiens,  par  l'inco- 
hérence des   décisions  du  synode  d'Athènes,   la  doctrine  contraire  aux 
deutérocanoniques  s'est  insinuée  jusque  dans  le  peuple.  Le  patriarcat 
œcuménique  n'a   pas  jusqu'ici    approuvé    d'ouvrages   soutenant   celte 
doctrine,  mais  il  n"a  rien  fait  pratiquement  pour  en  arrêter  la  diffusion.) 
pp.  344-337. 

ÉTUDES.  20  Oct.  —  Stéph.  Harent.  Expérience  et  Eoi.  (Retrace 
l'origine  de  la  théorie  moderniste  qui  transforme  la  foi  du  chrétien  en 
expérience  religieuse,  montre  que  les  écrivains  catholiques  chez  qui 
elle  apparaît, la  doivent  à  des  influences  étrangères,  à  des  erreurs  déjà 
vieilles,  à  un  mysticisme  plus  que  suspect.)  pp.  221-230.  =  b  Nov.  — 
F.  Prat.  La  théologie  de  saint  Paul.  (Examine  les  éléments  constitutifs 
de  la  pensée  de  saint  Paul  :  d'abord  l'apport  humain  fourni  par  sa  riche 
nature  sous  l'influence,  complémentaire  en  même  temps  que  contradic- 
toire, de  sa  double  éducation  helléniste  et  judaïque  ;  ensuite  l'apport 
divin  qui  transforme  l'autre  sans  l'absorber  :  la  grande  révélation  du 
chemin  de  Damas  et  la  série  des  révélations  successives  dont  le  cours 
ne  s'arrête  qu'au  martyre.)  pp.  333-383.  =  20  Nov.  —  J.  Lebreton. 
L'Encgclique  et  la  Théologie  moderniste.  (Oppose  la  conception  moder- 
niste et  la  conception  catholique  du  Christianisme  sur  la  connaissance 
religieuse  considérée  dans  son  origine  :  la  révélation  ;  dans  son 
expression:  le  dogme  ;  dans  sa  règle:  l'autorité  de  la  conscience  et 
l'autorité  de  l'Église.)  pp.  497-324.  =:  20  Dec.  —  L.  Roure.  Testament 
philosophique  de  Sulhj-Prudhomme.  (Mathématicien,  raisonneur,  poète, 
tels  sont  les  principaux  traits  qui  caractérisent  sa  physionomie  intellec- 
tuelle.) pp.   783-801. 

EXPOSITOR  (THE).  Oct.  —  A.  Déissmann.  The  Philology  of  the  Greek 
5i/y/^.  (Importance  historique  de  la  traduction  des  LXX  particulièrement 
au  point  de  vue  delà  formation  du  Canon  total,  ancien  et  nouveau  Testa- 
ment. Découvertes  archéologiques  qui  permettent  de  replacer  le  grec 
populaire  des  LXX  dans  leur  véritable  milieu  :  ce  sont  surtout  les  textes 
non  littéraires,  inscriptions  privées,  papyrus,  ostraca.)  pp.  289-:302.  — 
W.  Ramsay.  a  Christian  City  in  the  Byzantine  Age.  (Cet  article  con- 
tient la  traduction  et  l'interprétation  de  plusieurs  groupes  d'inscriptions 


200         REVUE   DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

découvertes  dans  les  églises  de  Barata.)  pp.  302-824.  —  W.  Bacon.  Thé 
Disciple  irhom  Jésus  loved.  (De  tous  les  textes  dont  on  se  sert  ordinai- 
rement pour  identifier  «  le  disciple  que  Jésus  aimait  »  trois  seulement 
sont  à  retenir:  Jo.  xiii,  1-30;  xix,  25-27;  xx.  La  comparaison  de  ces 
passages  avec  les  synoptiques,  le  caractère  général  du  quatrième  Évangile 
conduisent  à  une  identification  de  personnage  à  la  fois  idéale  et  réelle. 
Il  symbolise  d'abord  le  disciple  uni  à  la  vie  du  Christ  ;  et  concrètement 
il  désigne  l'auteur,  mais  surtout  Paul  «  crucifié  avec  le  Christ.  »  [Gai. 
II,  20.)  pp.  ?>24:-339.  —  A.  Cakr.  The  Authentkitij  and  Originalily  ofthe 
First  Gospel.  (L'authenticité  du  premier  Évangile  est  conciliable  avec 
les  données  de  la  tradition  et  les  résultats  de  la  recherche  scientifique. 
L'originalité  de  S.  Matthieu  consiste  dans  le  but  qu'il  poursuit  et  la 
manière  de  grouper  les  matériaux  en  vue  de  ce  but.)  pp.  339-349.  — 
R.  Mackintosh.  Marriage  Problems  at  Corinth.  (Il  existe  à  Corinthe  deux, 
partis  extrêmes  sur  la  question  du  mariage.  Les  uns  veulent  le  rendre 
obligatoire  pour  tous,  les  autres  le  rejettent  absolument.  Saint  Paul 
(/.  Cor.  vu)  répond  à  ces  deux  partis.  Le  v.  7  et  la  manière  dont  Saint 
Paul  parle  des  vierges  s'expliquent  par  l'idée  de  l'apôtre  sur  la  proxi- 
mité de  la  Parousie.  La  solution  paulinienne  du  mariage  est  ensuite 
envisagée  au  point  de  vue  contemporain  et  protestant.)  pp.  349-363.  — 
G.  Wynne.  Jhe  Problem  of  the  Epistles  to  the  Thessalonians.  (Malgré 
leur  caractère  d'indiscutable  authenticité,  les  épîtres  aux  Thessaloniciens 
soulèvent  une  double  question  :  Comment  cette  église  a-t-elle  pu  être 
fondée  si  rapidement?  Comment,  à  peine  âgée  d'un  an,  a-t-elle  pu 
mériter  déjà  les  éloges  que  Paul  lui  décerne  ?  La  part  faite  aux  circons- 
tances, il  reste  que,  pour  expliquer  ces  difficultés,  il  faut  recourir  à 
l'action  de  l'Esprit  qui  «  souffle  où  il  veut  ».)  pp.  364-372.  — D.  M'Intyre. 
The  Cloud  of  Unknoiring.  (Analyse  d'un  manuscrit  anglais  écrit  au 
milieu  du  xiv^  siècle.  C'est  un  traité  de  contemplation  mystique  appa- 
renté aux  doctrines  d'Eckhart  et  à  celles  de  Denys  l'Aréopagite.) 
pp.  373-384.  =  Nov.  —  A.  Garvie.  The  Restatement  ofthe  Gospel  for 
To-Daij.  (Comment  l'Évangile  doit-il  s'adapter  aux  conditions  qui  lui 
sont  faites  aujourd'hui  sur  le  terrain  spéculatif  et  pratique  ?  Spécula- 
tivement  il  lui  faut  compter  avec  la  méthode  critique,  dégager  son 
propre  point  de  vue  de  celui  de  la  science,  ne  se  point  solidariser  trop 
étroitement  avec  telle  philosophie.  Pratiquement,  à  l'extérieur,  ses 
missionnaires  ont  à  présenter  les  trois  grandes  idées  qu'il  contient  : 
Dieu  personnel,  réalité  du  péché,  nécessité  de  la  pénitence.  A  l'intérieur, 
pour  faire  face  au  problème  social,  ses  prédications  doivent  chercher 
leur  inspiration,  leur  méthode  et  leur  but  dans  la  Croix,  c'est-à-dire  le 
Sacrifice.)  pp.  385-406.  —  W.  Ramsay.  Notes  on  Christian  Historg  in 
Asia  Minor.  (Notes  relatives  aux  sujets  suivants  :  Persécutions  de  Saint 
Paul  à  Iconium  et  à  Antioche  de  Pisidie.  Les  cultes  chrétiens  d'Iconium. 
Attitude  de  Paul  vis-à-vis  des  empereurs.  Renseignements  complémen- 
taires sur  l'ancienne  Barata.)  pp.  406-424.  — A.  Deissmann.  J'he  Problem 
of  «  Biblical  »  Greek.  (Le  pioblèiue  se  pose  ainsi  :  le  grec  biblique  est- 
il  une  langue  isolée,  ou  bien  se  rattache-t-il  étroitement  au  grec  tel 
qu'on  le  parlait  à  l'époque  des  LXX  ou  du  N.  T.  ?  La  seconde  hypothèse 
es!  la  seule  historiquement  vraie.  Elle  se  confirme  par  toutes  les  décou- 


RECENSION     DES    REVUES  201 

vertes  récentes.  Beaucoup  de  sémitismes  même,  bien  loin  d'être  particu- 
liers à  la  Bible,  appartiennent  à  la  langue  générale  et  vulgaire  de  ce 
temps.;  pp.  423-435.  —  E.  Curtius.  St  Paul  in  Alhens.  (Lorsque  saint 
Paul  est  appelé  à  prendre  la  parole  sur  le  «  marché  »  d'Athènes,  en 
vertu  de  son  éducation  grecque,  il  sut  apprécier  finement  le  caractère 
religieux  de  l'ancienne  cité.  Mais  le  sémite  n'était  pas  chez  lui  absorbé 
par  le  grec,  et  ce  dernier  fait  donne  sa  pleine  signification  au  séjour  de 
l'apôtre  à  Athènes.)  pp.  436-455.  —  T.  Zahn.  Missionary  Methods  in  the 
Times  of  the  Aposlles.  (La  méthode  de  saint  Paul  (plus  spécialement 
étudiée),  consiste  à  fonder  des  communautés  surtout  dans  les  grands 
centres  de  l'empire  romain,  d'où  la  semence  chrétienne  pourra  se 
répandre  ensuite  aux  alentours.  Paul  a  voulu  évangéliser  toutes  les 
nations,  et  il  l'a  fait,  y  compris  l'Espagne.  Pour  réaliser  ce  plan 
immense,  il  s'aide  de  plusieurs  collaborateurs.)  pp.  466-472.  =  Dec.  — 
D.  Margoliouth.  J'he  New  Papyri  of  Elephautine.  (Traduction  et  com- 
mentaire historique  du  premier  des  trois  papyrus  découverts  à  Éléphan- 
tine  et  publiés  par  E.  Sachau  (Ablunidlungen  der  preussichen  Akademie 
der  Wissenschaften,  1907).  Il  contient  une  pétition  adressée  par  les  Juifs 
d'Éléphantine  à  leur  gouverneur  Bagoas  pour  demander  la  permission 
de  reconstruire  le  temple  de  lahu,  pillé  et  détruit  trois  ans  auparavant. 
En  rapprochant  ce  fait  des  événements  racontés  par  Josèphe  (.!»/.  xi,  7) 
et  Diodore  de  Sicile  (xvii,  5,  3)  on  conclut  que  le  document  araméen 
aurait  été  écrit  vers  840  et  serait  presque  contemporain  de  Néhémie.  A 
cette  époque  les  juifs  auraient  donc  possédé  dans  la  Haute-Egypte  un 
temple  organisé  sur  le  même  plan  que  celui  de  Jérusalem.)  pp.  481-494. 
—  F.  Griffitu.  Note  on  Elephantine  Papyri.  (11  est  difficile  de  dater  les 
papyrus  de  la  17*  année  de  Darius  II  (408-407,  A.  C).  La  signification 
de  quelques  mots  est  fixée  d'après  l'égyptien.)  pp.  494-496.  —  S.  Cook. 
The  Jeivish  Temple  of  lahu,  God  of  tlie  Heavens,  at  Syene.  (Le  temple 
de  Syène  n'était  pas  un  édifice  mesquin.  Il  y  avait  là  des  prêtres,  des 
offrandes,  des  vases  sacrés  ;  on  peut  induire  qu'il  s'y  trouvait  un  service 
régulièrement  organisé,  et  peut-être  une  littérature.  On  ne  voit  pas 
même  pourquoi  Syène  n'aurait  pas  eu  des  prophètes  durant  les  jours 
mauvais.)  pp.  497-505.  —  A.  Deissmann.  Septuagint  Philoloyy.  (Expose 
l'état  actuel  de  la  philologie  des  Septante  ;  Concordances,  textes,  dic- 
tionnaires, grammaires  et  enfin  exégèse  de  la  Bible  grecque.)  pp.  506- 
520.  —  J,  Denney.  Speaking  Against  the  Son  of  Man  and  Blaspheming 
the  Spirit.  (Le  péché  contre  le  Fils  de  l'homme  consiste  dans  la  manière 
libre,  désobligeante,  irréfiécliie  aussi,  dont  la  foule  s'exprime  au  sujet 
de  Jésus,  quand  par  exemple,  elle  dit  de  lui  :  «  Il  est  hors  de  ses  sens.  » 
{Cf.  Me.  III,  21).  Le  blasphème  contre  le  Saint-Esprit  est  le  péché  des 
pharisiens  qui  après  avoir  constaté  les  effets  du  pouvoir  divin  de  Jésus 
le  traitent  de  Béelzébub  :  c'est  le  péché  même  d'endurcissement  : 
aussi  ne  sera-t-il  point  pardonné.)  pp.  321-532.  —  T.  Barns.  A  Studg  in 
St  John  AAf.  (Le  ch.  xxi  du  quatrième  Évangile  n"est  pas  l'œuvre  de 
Saint  Jean,  mais  un  écrit  de  provenance  montaniste.)  pp.  333-542.  — 
F.  MoNTGOMERY  HiTCHCOCK.  J'he  Buptist  and  the  Fourlh  Gospel.  (Le  qua- 
trième Évangile,  œuvre  d'un  disciple  du  Baptiste,  est  particulièrement 
autorisé  à  mettre  en  pleine  lumière  le  témoignage  rendu  par  le  Précur- 


202         REVUE   DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

seur  à  Jésus.  Il  rend  également  compte  des  vacillations  que  semble 
avoir  subi  sa  foi  messianique,  d'après  les  Synoptiques.)  pp.  543-553. — 
W.  Ramsay.  D''  Sandœfs  Criticism  of  Heceut  lîesearcli.  (Appréciation  du 
dernier  ouvrage  publié  par  le  savant  anglais  :  La  vie  du  Christ  dans  la 
recherche  récente.  Le  chapitre  sur  le  .symbolisme  dans  la  Bible  fait 
l'objet  d'un  examen  spécial.  La  méthode  du  D"^  Sanday  est  ensuite 
caractérisée  comme  aussi  son  attitude  intellectuelle  vis-à-vis  des  pro- 
blèmes historiques  et  des  savants  qui  les  abordent.)  pp.  oo4-36-2. 

EXPOSITORY  TIMES  (THE).  Oct.  —  J.  H.  Moulton.  St   Luke  and  the 
Census.  (Attire   l'attention  sur  un  papyrus  grec  de  104  ap.  J.-C,  récem- 
ment  publié  par    Kenyon.    Il  contient   le  texte  d'un   rescrit  du  préfet 
d'Egypte  ordonnant   à   toute  personne  résidant  en  dehors  de  son  nome 
d'y  rentrer  en  vue  d'un  recensement.  Éclaire  le  passage  similaire  de  Luc 
II.  1-8.)  pp.  40-41.  — J.  H.  MouLTON.  A  Jewish  Proseucha  and  ils  Water- 
rate.  (Signale,  dans  un  compte  de  commissaires  préposés  au  service  des 
eaux,    peut-être   à  Hermopolis,  et  daté  de  113  ap.  J  -C,  le  terme  zb-/zlo-j 
à  côté  de  Tzooaevyr,  et  souhaite  qu'on    en  précise   le  sens.   Texte  publié 
par  Kenyon.)  p.  41.  —  A.  Souter.  An  Interprétation  of  Eph.  i,  i 5.  (Ex- 
clut  la  leçon  rriv  y.yy.UT\v  et  traduit  :  «  La  foi  qui  est   parmi  vous  et  (la 
foi  qui  est)  parmi  tous  les  saints.  »)  p.  44.  =  Nov.  —  Ch.  S.  Macalpine. 
The  sanctification   of  Christ.   (Élude  sur /o.  x,  o6  et  xvn,   19.    Dans   le 
premier  cas  àyta^w   désigne   la  députation,  la  consécration  du  Christ  à 
l'œuvre  du  salut,   par  Dieu  ;  dans  le  second,   l'acte   par  lequel  le  Christ 
se  voue,  se  consacre   lui-même   à  la  croix.)  pp.    58-60 — W.  F.    Lof- 
THOUSE.    The   Old  Testament  Books  and   their  redactors.    (Apologie  des 
résultats  de  la  critique  littéraire   appliquée  aux  livres  de  l'A.  T.  Estime 
toutefois  qu'elle  a  donné  à  peu  près  ce  qu'elle   pouvait  donner  et  qu'il 
faut  demander  un   surcroît   de   lumière  à  l'histoire  et  à  l'archéologie.) 
pp.  63-67.  —  D.  Smith.  «  Things  New  and  Old  ».  (Les  choses  anciennes, 
c'est  la   Loi   et  les  nouvelles  l'Évangile.   Traduit   un  sentiment  profond 
«  de  la  continuité  de  l'ancien  et  du  nouveau,    du   passé  et  du   présent, 
et  de  l'insufFisance  de  chacun  d'eux  pris  en  lui-même  ».)  pp.  67-69.  — 
V.  Me.  Nabb,  0.  P.  A   Moot-Point  of  Pauline   Christolog)/.  (Groupe  les 
expressions  à   l'aide  desquelles  S.  Paul  s'essaye  à  définir    la    nature 
intime  du  Christ  et  montre  le  travail  d'approximation    croissante   que 
révèle   l'élude  de  I  et  II  Cor.,  de  Col.,   de  Ph.,  et  d'Heh.)  pp.   92-93.  = 
Dec.  —  A.  H.  Sayce.  The  Archaeology  of  the  Book  of  Genesis.  (Compare 
Gen.  1, 1-3  et  le  Poème  babylonien  de  la  Création.)  pp.  137-139.  — A.  Smith 
Lewis.    The   Star  of  BetÙehem.  ^Propose  pour  iMalt.    ii,  2,  cette  tra- 
duction :  «  Car,  étant  en  Orient,  nous  avons  vu  son  étoile  ».)pp.  139-140. 
—  M.    D.   GiBSON.  Folk-lore  in  the    Old  Testament.  (Critique  une  étude 
publiée  sous  ce  titre  par   J.  G.  Frazer,  et  conteste  les  explications  qu'il 
propose  sur  le  signe  de  Caïn,  Jacob  luttant   avec  l'ange,   la  défense  de 
cuire  un  chevreau  dans  le  lait  de  sa  mère.)  pp.  140-141. 

IRISH  THEOLOGICAL  QUARTERLY  (THE  ).  Oct.  —  J.  O'Neill.  Kant 
as  apologist  of  Theism.  (En  séparant  d'une  manière  absolue  la  vérité 
religieuse  et   la  vérité  scientifique,   en  prétendant  unir   au  scepticisme 


RECENSION     DES    REVUES  203 

intellectuel  vis-à-vis  du  monde  invisible  la  croyance  pratique  à  sa  réalité, 
Kant  a  été  dupe  de  sa  propre  subtilité  et  il  a  tenté  une  entreprise  inipos- 
sible.)  pp.  411-424.  — J.  M.  Harty.  The  Living  Wage  :  Ils  elhical  con- 
ditions. (Examen  des  problèmes  moraux  que  soulève  l'application  du 
salaire  sulfisant  pour  vivre  et  solution  de  ces  problèmes.)  pp.  425-437. 
—  H.  Pope,  0.  P.  Literary  criticism  oftlie  Gospel  narratives.  (Dans  les 
limites  tracées  par  les  enseignements  de  l'Église  touchant  l'Écriture,  la 
critique  littéraire  peut  être  appliquée  à  l'étude  des  Livres  inspirés  et 
certaines  difficultés  paraissent  insolubles  sans  son  secours.  Le  montre 
par  un  exemple  pris  dans  les  Évangiles  :  Matthieu,  xxi  et  récits  parallèles 
de  Marc,  Luc  et  Jean.)  pp.  438-457.  —  J.  J.  Toohey,  S.  J.  The  «  Gram- 
mar  of  assent  »  and  the  old  philosophg.  (Proteste  contre  l'interprétation 
qu'wune  nouvelle  école  de  philosophie  »  donne  de  la  pensée  de  Newman. 
Conclut:  «...  les  lignes  générales  de  l'enseignement  de  Newman,  les 
doctrines  qu'il  développe  avec  prédilection  et  qui  forcent  l'attention  du 
lecteur  sont  toutes  en  accord  avec  la  scolastique  ».)  pp.  466-487.  — 
W.  Me  Donald.  The  proof  of  infallibilitg.  (Critique,  comme  peu  con- 
cluantes, les  quatre  preuves  apportées  par  le  cardinal  Mazella  en  faveur 
de  l'infaillibilité  de  l'Église.  Estime  qu'on  peut  établir  une  preuve  effi- 
cace en  montrant  que  l'infaillibilité  est  postulée  par  la  coexistence  de 
ces  deux  caractères  de  l'Église  :  catholicité  et  unité.)  pp.  485-498. 

JAHRBUCH  FUR  PHILOSOPHIE  UND  SPEKULATIVE  THEOLOGIE. 
XXII,  2.  —  P.  G.  voN  HoLTUM,  0.  s.  B.  Der  Akt  des  Glaubens.  (Remar- 
ques critiques  au  sujet  de  l'analyse  qu'a  fait  de  l'acte  de  foi  leD'Scheeben, 
Handhuch  des  kath.  Dogmatik,  1  Ed.,  II  theil,  6  hauptst.,  I.  C'est  à  tort 
que  Scheeben  ne  voit  le  caractère  de  science  vraie  et  parfaite  que  dans 
la  connaissance  basée  sur  l'évidence,  soit  l'évidence  immédiate,  soit 
l'évidence  réflexe  et  distincte. Dans  l'analyse  de  l'acte  de  foi  proprement 
dite,  il  donne  trop  d'importance  à  l'élément  moral,  soit  qu'il  considère 
les  dispositions  subjectives  du  croyant,  soit  la  raison  formelle  objective 
de  la  foi.  Un  attrait  intérieur  pour  la  vérité  à  croire  ou  la  personne  qui 
nous  parle  n'est  pas  absolument  requis  ;  de  même  l'autorité  qui  nous 
détermine  à  croire  n'est  pas  principalement  constituée  par  la  force 
morale  et  la  dignité  de  la  personne  que  nous  croyons.)  pp.  171-189.  — ■ 
P.  H.  Kirfel,  C.  SS.  R.  Der  H.  Auf/f/stiims  imd  das  Dogma  der  imiefleclcten 
Empfangnis  Mariens.  (Â  propos  d'un  livre  récent  :  Die  Mariologie  des  hl. 
Angustinus,  par  le  D''  Phil.  Friedrich.  Conclusions  :  1.  Le  texte  De  nat. 
et  graf.,  c.36,  prouve  que  saint  Augustin  a  maintenu  pour  Marie  l'immu- 
nité du  péché  originel;  le  contexte  n'est  pas  contraire  à  celte  explica- 
tion ;  le  saint  Docteur  peut  donc  être  invoqué  à  bon  droit  comme 
témoin  de  ce  dogme.  2.  De  l'immunité  de  Marie  de  tout  péché  person- 
nel saint  Augustin  a  conclu  à  l'Immaculée  Conception  de  la  Vierge.  Le 
D"^  Friedrich  n'est  pas  parvenu  à  établir  le  contraire.  3.  Le  texte  de 
ÏOpi/s  linperf.  contra  Jut.,  1.  4,  c.  122,  ne  prouve  guère  davantage  que 
St.  Augustin  ait  été  l'adversaire  de  l'Immaculée  Conception.  Réponses 
aux  difficultés  que  présentent  certains  passages  de  l'illustre  Docteur.) 
pp.  241-268 


204         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

JOURNAL  (THE)  OF  PHILOSOPHY,  PSYCHOLOGY  AND  SCIENTIFIC 
METHODS.  12  Sept.  —  G.  Stuart  Flllerton.  The  Doctrine  oftheEject.  (Le 
solipsisme  n'est  pas  une  conception  naturelle  à  l'esprit  humain.  La 
vraie  question  est  de  savoir  comment  nous  arrivons  à  affirmer  l'exis- 
tence d'autres  esprits  ;  à  cet  égard,  l'argument  unique  est  l'argument 
par  analogie  du  sens  commun  et  de  la  plupart  des  psychologues.)  pp. 
oOo-olO. —  F.  Lyman  Wells.  Standard  tests  ofarithmetical  Associations.  (Étude 
sur  la  valeur  comparée  de  certains  «  tests  »  destinés  à  mesurer  la 
rapidité  d'associations  arithmétiques.)  pp.  510-512.  —  Discussion.  G.  T. 
ÏAWNEY.  Professor  FUe  on  the  Exafigeration  of  the  Social.  (Tout  en  se 
gardant  du  «  sophisme  du  sociologue  »,  il  faut  reconnaître  que  le 
contact  d'êtres  semblables  à  eux  et  l'imitation  réciproque  ont  été 
nécessaires  aux  hommes  pour  s'élever  au  degré  de  connaissance 
réfléchie  qu'ils  possèdent.)  pp.  512-515.  ^=  26  Sept.  —  J.  E.  Boodin. 
The  New  Reulism.  (Ces  deux  affirmations  :  le  semblable  seul  peut 
agir  sur  le  semblable,  et  ce  qui  n'est  pas  matériel  n'est  pas  réel,  consli- 
tuentdeux  sopliismes.  Le  réel  n'est  pas  l'immédiat,  mais  l'intelligible 
ou  le  nouménal  découvert  au  moyen  d'intentions  créatrices  et  de 
constructions  conceptuelles.)  pp.583-oi2.  —  E.  A.  Kirkpatrick.  A  Broader 
Ba sis  for  PsychoJogy  Necessàry.  (Il  semble  nécessaire  d'élargir  certains 
points  de  vue  et,  par  suite,  le  sens  de  certains  termes  déjà  employés 
en  psychologie,  comme  intelligence,  mémoire,  perception,  de  manière 
à  ce  qu'ils  s'appliquent  aussi  bien  aux  faits  inconscients  qu'aux 
phénomènes  conscients,  ou  bien  il  faut  désigner  l'aspect  commun  de 
ces  phénomènes  par  des  vocables  nouveaux.)  pp.  5-42-546.  —  Dis- 
cussion. W.  James.  The  Absolute  and  the  Strenuous  Life.  (Si  James  a 
insisté  sur  le  caractère  apaisant  de  l'Absolu  c'est  que  lui  seul  peut  pro- 
curer le  calme  complet  de  l'âme  ;  il  ne  nie  pas  que  l'Absolu  ne  puisse  en 
certains  cas  exalter  l'activité  humaine.)  pp.  546-548. 

JOURNAL  DE  PSYCHOLOGIE  NORMALE  ET  PATHOLOGIQUE.  Nov- 
déc.  —  D''  Grasset.  La  Responsabilité  des  criminels  devant  le  Coagrès 
des  aliénistes  et  neurologisles  de  Genève.  (L'auteur  répond  aux  critiques 
formulées  contre  sa  théorie  de  la  responsabilité  médicale.  On  sait  que, 
pour  le  D'^  Grasset,  la  responsabilité  au  sens  médical  est  fonction  de  la 
normalité  des  neurones  psychiques.  «  Est  responsable  médicalement 
celui  dont  les  neurones  psychiques  fonctionnaient  normalement  au 
moment  de  la  bataille  prévolitive  qui  a  précédé  l'acte  incriminé.  Est 
irresponsable  celui  dont  les  neurones  psychiques  étaient  complètement 
altérés  au  même  moment.  A  une  responsabilité  atténuée  celui  dont  les 
neurones  psychiques  étaient  partiellement  ou  incomplètement  altérés.  ») 
pp.  481-516.  —  Revaut  d'Allonnes  L'explication  phijsiologique  de 
l'émotion.  (Critique  de  la  théorie  de  M.  Pieron,  partisan  du  «  siège  sous- 
cortical  »  de  l'émotion  ;  réponse  aux  objections  de  M.  Pieron  contre 
la  «  théorie  viscérale  »  proposée  par  M.  Revaut  d'Allonnes.)  pp.  517- 
524.  —  Société  dk  Psychologie,  (Séance  du  5  Juillet  1907.)  Trois 
communications  :  M.  Kostyleff  :  Les  contradictions  dans  V étude  des  per- 
ceptions risuetles.  pp.  525-53?>. —  M.  Bernard-Leroy  :  Remarques  sur  le  dia- 
(jnostic  de  certaineshalluci/iationsobsédantes-  iip.  534-547  ;  —  MM.  Marie  et 


RECENSION     DES     REVUES  205 

Meunier  :  Note   sur  quelques   enreyistrements  ijrapliiques  dans  la  maladie  de 
Parliinson.  pp.  oJ:7-oo3. 

KATHOLIEK  (DE).  Dec.  —  J.  Th.  Bi^yssen.  Ocertuigingslrmchf  der 
(iotlsbeu-ijzen.  (Les  preuves  de  Texistence  de  Dieu  peuvent  être  connues 
sans  engendrer  la  certitude.  La  raison  en  est  que  l'évidence  de  la  raison 
démontrée  peut  être  obscurcie  par  des  influences  venues  de  la  volonté. 
Celles-ci  cependant  ne  peuvent,  à  elles  seules,  comme  le  veulent 
quelques  modernes,  imposer  la  certitude  à  rinlelligence,  mais  elles 
peuvent  d'une  part  proposer  leurs  raisons  à  lintelligence  et  d'autre 
part  diriger  son  activité  sur  tel  objet  ou  l'écarter  de  tel  autre.)  pp. 
421 -Mo. 

MONTH  (THE)  Oct.  —  B.  C.  A.  Windle.  Scientific  facts  and  scientific 
hijpotheses.  (11  faut  soigneusement  distinguer  entre  faits  scientifiques 
et  hypothèses  scientifiques.  Les  premiers,  quand  ce  sont  vraiment  des 
faits  scientifiques  et  non  des  hypothèses  déguisées,  sont  certains  ;  les 
secondes  sont  nécessaires,  mais  bien  peu  arrivent  à  la  dignité  de 
vérité  démontrée  ;  la  plupart  n'ont  d'autre  valeur  scientifique  que  les 
services  qu'elles  rendent.  L'auteur  indique  l'attitude  que  doit  prendre 
le  croyant  vis-à-vis  des  hypothèses  scientifiques.)  pp.  337-345.  =  Nov. 
—  The  Editor.  Science  and  its  counlerfeit.  (La  science  est,  de  notre 
temps,  une  réalité  mais  aussi  un  grand  mot.  Beaucoup  se  laissent 
fasciner  par  ce  mot  et  absorbent,  sans  critique  et  sans  le  moindre 
soupçon  de  ce  qu'est  la  science  et  ses  méthodes,  tout  ce  qui  se  présente 
à  eux  sous  ce  pavillon.  Met  en  garde  contre  les  vulgarisateurs  de  toute 
forme  et  contre  leurs  afïirmations  tranchées.)  pp.  477-487.  =  Dec.  — 
S.  F.  Smith.  The  revision  of  the  Vulgate.  (Histoire  de  l'édition  Clémentine 
de  la  Vulgate,  puis  exposé  des  principales  opérations  critiques  que 
demandera  la  revision  de  la  Vulgate  confiée  aux  Bénédictins.)  pp. 
561-  575.  —  H.  Thurston.  71ie  Blessed  Sacrament  and  the  hoir/  Grail. 
(Résume  d'abord  les  conclusions  des  divers  articles  qu'il  a  consacrés 
à  l'histoire  du  culte  eucharistique.  Le  culte,  sous  la  forme  où  nous  le 
connaissons,  semble  faire  son  apparition  dans  les  premières  années 
du  XIII^  siècle.  Or  c'est  vers  la  même  époque  et  plutôt  un  peu  avant  que 
se  manifeste  l'étonnant  mouvement  littéraire  dont  le  centre  et  l'objet 
est  le  Saint-Graal,  et  où  nous  voyons  prônées  une  attitude  et  des 
cérémonies  semblables  à  celles  qui  constituent  le  culte  eucharistique.) 
pp.  617-632. 

MUSÉON  (LE).  3-4. —  L.  de  La  Vallée.  Poussin.  Madhi/ama/,-avatara  (à 
suivre).  (Traduction  du  Madhyamakavatara,  œuvre  de  Candrakirti,  boud- 
dhiste de  l'école  Madhyamika  (fin  duVI^  ou  début  duVIP  siècle).  «Ce  n'est 
pas  essentiellement  une  œuvre  de  polémique,  mais  vraiment  une  intro- 
duction, et  qui  initie  le  lecteur,  non  seulement  aux  thèses  dialectiques 
et  métaphysiques  des  Madhyamikas,  mais  encore,  dans  le  sens  le  plus 
large,  au  Grand  Véhicule  et  à  la  doctrine  du  Bodhisattva.  »  L'auteur 
de   ce  traité  en  a  fait  lui-même  un  commentaire  dont   la  traduction-est 


206         REVUi:    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

également  donnée.)  pp.  249-317.  —  E.  Blochet.  Etude  sur  VEsotérisme 
musulman,  (suite).  (Le  Soufi  qui  veut  s'initier  à  la  vie  mystique  et 
entrer  en  communion  avec  l'Êlre  Unique  doit  quitter  le  monde  pour  la 
solitude.  La  retraite  do  quarante  jours  est  plus  spécialement  méritoire. 
Elle  exige  la  réclusion  absolue,  le  silence  complet  de  la  langue  et  du 
cœur,  un  jeûne  rigoureux,  avec  les  conseils  et  sous  la  surveillance 
d'un  directeur  spirituel.)  pp.  318-342.  —  A.  Roussel.  Les  idées  religieuses 
et  sociales  du  Mahabliaratn  (suite).  (Idées  de  l'Adisparvan  sur  la  mort  et 
le  Destin.  Le  Destin,  «  c'est  Brahme  lui-même  qui  agit,  non  pas  aveuglé- 
ment, comme  la  Fatalité  antique,  la  rJ//;  des  Grecs,  mais  irrésisti- 
blement, comme  elle,  bien  qu'avec  intelligence  et  préméditation.  C'est 
plutôt  la  Providence.  »)  pp.  343-360. 

NEW-YORK  REVIEW  (The).  Sept.-Oct.—  C.Delisle  BuRxs.TAe  Catho- 
liciziiiy  of  Phi\o80iihtj.  (Les  progrès  accomplis  par  les  sciences  naturelles 
et  historiques  imposent  d'éditler  une  nouvelle  synthèse  philosophique. 
Celte  œuvre  ne  saurait  se  réaliser  sans  la  métapyhsique.  Elle  devra 
aussi  tenir  compte  de  l'expérience  accumulée  par  l'iiisloire  des  systè- 
mes philosophiques.)  pp.  111-128.  —  M.  J.  Lagrange,  0.  P.  The  Jetrish 
MilHari/  Coloiuj  of  Elephantine  Umler  the  Persians.  (Situation  de  Tile 
d'Éléphantine.  Documents  qui  nous  font  connaître  la  colonie  juive  : 
papyrus  de  Strasbourg  et  papyrus  d'Assouan.  Les  Juifs  liabitent  l'île 
même;  ce  ne  sont  pas  des  soldats  en  activité  de  service, mais  plutôt  des 
troupes  de  réserve.  Ils  n'ont  pas  de  tribunaux  à  eux,  mais  en  revanche 
ils  possèdent  un  temple  dédié  à  Jahu.  Quelques  faits  accusent  chez  ces 
Juifs  delà  dispersion  un  esprit  qui  tend  à  les  distinguer  de  leurs  frères 
hiérosolymitains.)  pp.  129-144.  —  C.  Pilater,  S.  J.  ^4  Sfarfing-Poi)if  in 
EtJtics.  (L'Éthique  offre  un  terrain  sur  lequel  l'apologète  a  le  plus  de 
chance  d'atteindre  les  non-croyants.  Aces  derniers  toutefois,  il  convient 
de  présenter  la  morale  sous  son  aspect  eudémoniste  avant  de  la  leur 
imposer  comme  une  source  d'obligation.  La  méthode  préconisée  est 
celle  d'Aristote,  reprise  par  saint  Thomas  et  qu'il  faut  se  garder  de 
confondre  avec  l'utilitarisme  d'un  Stuart  Mill.)  pp.  145-162.  —  Fr.  Mari. 
Assyro-Bahylonian  Eléments  in  the  Biblical  Account  of  the  Fall.  (On  recon- 
naît, dans  le  récit  de  la  chute,  la  présence  d'éléments  assyro-babylo- 
niens  :  le  jardin  des  dieux;  le  mythe  d'Adapa  ;  la  légende  de  l'arbre  de 
vie...  Tous  ces  traits,  en  passant  de  la  religion  polythéiste  à  la  religion 
monothéiste,  ont  subi  une  transformation  radicale  :  mais  leur  emploi 
parles  écrivains  hébreux  était  une  nécessité  historique.)  pp.  163-180. — 
F.  Gigot.  Studies  on  the  Synoptic  Gospels.  (L'analyse  littéraire  de  Me  i, 
21-22,  Mt.  VII,  28b,  29  et  Le.  iv,  31-32  montre  que  les  trois  évangélistes 
reflètent  fidèlement  le  témoignage  delà  tradition  chrétienne  relative  au 
fait  que  N.-S.  enseignait  comme  ayant  autorité  ;  elle  confirme  en  outre 
que  les  trois  premiers  évangiles  n'ont  pas  été  composés  par  des  auteurs 
absolument  indépendants.  Marc  a  écrit  le  premier  et  son  œuvre  a  été 
utilisée  par  Matthieu,  puis  par  Luc.  Enfin,  malgré  certaines  différences, 
les  synoptiques  offrent  un  caractère  de  ressemblance  substantielle.) 
pp.  181-200. 


RECENSION     DES     REVUES  207 

RAZON  Y  FE.  Oct.  —  P.  Villada.  El  décréta  «  Lamentabili  sane  exitu  » 
1/  el  SHabus  de  Pio  A  :  su  valor  juridico.  (Le  décret  est  une  loi  doctrinale, 
universelle,  obligeant  au  for  interne.  L'acte  de  condamnation  dn  Saint- 
Office  n'est  pas  infaillible,  mais  on  peut  soutenir  l'opinion  que  l'acte  du 
Pape  l'est.  Toutes  les  propositions  condamnées  ne  sont  pas  hérétiques.) 
pp.  155-165.  =  Nov.  —  E.  Ugarte  de  Ergilla.  Mensurabilidad  de  las 
sensaciones.  (Exposé  des  doctrines  courantes  sur  la  mensurabililé  des 
sensations.)  pp.  303-320.  ==  Dec.  —  L.  Murillo.  La  Enciclica  «  Pas- 
cendi  domimci  gregis  »  sobre  el  modernismo  (à  suivre).  (Commente  la 
partie  doctrinale  de  l'Encyclique.)  pp.  445-448. 

REVUE  AUGUSTINIENNE.  15  Oct  —  Livinief.  La  Vie  chrétienne.  A 
propos  d'un  livre  sur  la  Russie.  (Examen  critique  de  l'ouvrage  de  M.  Wil- 
bois  :  L'Avenir  de  VrL'glise  russe.  (Paris,  Blond.)  pp.  468-479.=  15  Nov. — 
G.  Beauquier.  Le  signe  de  V Emmanuel.  (Place  cette  prophétie  dans  son 
cadre  historique,  analyse  son  caractère  messianique,  montre  sa  réalisa- 
tion historique.)  pp.  529-561.  —  Sy.  Créteur.  Entre  le  relativisme  et 
Pontologisme.  (La  thèse  scolastique  de  la  connaissance,  acceptée  dans 
son  intégrité,  est,  aujourd'hui  encore,  seule  capable  de  préserver  des 
erreurs  qui  sont  la  conséquence  logique  des  théories  modernes  plus  ou 
moins  entachées  de  relativisme  ou  d'ontologisme.)  pp.  562-577.  — 
J.  Deligny.  Les  cloches.  (Sacrée  par  son  origine,  sa  mission,  sa  bénédic- 
tion, la  cloche  appartient  à  l'Église.)  pp.  578-585.^  15  Dec. —  R.  deChef- 
di!;bien.  Maître  Philippe  de  Grève  et  laxhancellerie  de  Paris  au  X IIP  siècle. 
^Retrace  l'histoire  de  sa  vie,  de  ses  œuvres,  de  ses  démêlés  avec  l'Univer- 
sité.)pp.  657-684.  —  Fl.Anciaux.  La  cause  exemplaire.  Notionde  cette  cause 
et  nature  de  sa  causalité.  (La  cause  exemplaire  est  une  forme  idéale  que 
toute  cause  intelligente  cherche  à  reproduire  au  dehors  aussi  fidèlement 
que  possible.  La  cause  exemplaire  a  une  influence  passive  ;  elle  est 
dans  l'agent,  mais  dans  l'agent  elle  ne  produit  pas,  elle  se  tient  à  l'état 
de  modèle.  Elle  se  ramène  à  la  cause  formelle,  mais  c'est  une  cause  for- 
melle extrinsèque.)  pp.  685-704.  —  A.  âlvéry.  Mariologie  Augustinienne. 
(Les  auteurs  invoquent  deux  textes  de  S.  Augustin  pour  ou  contre  le 
dogme  de  l'Immaculée  Conception  a  savoir  :  1*^  De  Nat.  et  Grat.  c.xxxvi. 
n.  42  ;  2°  (7;j.  imp.  c.  Julian.  iv.  c.  cxxii.  Aucun  de  ces  textes  ne  possède 
une  valeur  démonstrative.  Le  premier  ne  semble  même  pas  laisser 
soupçonner  cette  doctrine  dans  la  pensée  de  S.  Augustin.  Le  second  est 
très  obscur.)  pp.  705-719. 

REVUE  BÉNÉDICTINE.  Oct.  —  D.  G.  Morin.  Le  Liber  dogmatum  de 
Gennade  de  Marseille  et  les  problèmes  qui  s'y  rattachent.  («  Le  Liber  eccle- 
siasticorum  dogmatum  est  vraiment  l'œuvre  de  Gennade  de  Marseille, 
et  plus  encore  l'édition  anonyme  originale  que  la  recension  mise  en  cir- 
culation sous  son  nom  dès  les  environs  de  l'an  500  ;  —  Il  est  possible, 
probable  même,  que  trois  ou  quatre  des  chapitres  additionnels  de  Vlndi- 
cnlus  de  hivresiblis  soi-disant  hiéronymien  sont,  eux  aussi,  véritablement 
de  Gennade  ;  —  Enfin  les  deiix  passages  du  Liber  dogmatum  qu'on  a  cru 
récemment   impliquer  le  rejet  de   r.\pocalypse  signifient,  en  effet,  tout 


208         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

autre  chose  :  la  réprobation  des  théories  déduites  indûment  du  livre 
sacré  par  l'écrivain  Nepos.  »)  pp.  44o-4o5.  —  D.  P.  de  Meesïer.  Eludes 
sur  la  théologie  orthodoxe.lil.  (La  création  est  lacté  par  lequel  Dieu  tire 
Télre  du  néant  ;  elle  est  l'œiivre  des  trois  Personnes  ;  tout  a  été  créé 
immédiatement  par  Dieu,  dans  le  temps  ou  plutôt  avec  le  temps.  Le  but 
de  Dieu  dans  la  création,  c'est  d'abord  de  procurer  sa  gloire,  puis  le 
bonheur  de  la  créature.  —  Les  anges  :  l'Écriture  prouve  leur  existence  ; 
ils  sont  esprits,  leur  nombre  est  incalculable.  Confirmés  en  grâce,  ils 
louent  Dieu  et  sont  ses  ministres  vis-à-vis  du  monde.  Il  y  a  de  mauvais 
anges.)  pp.  510-52.5.  —  D.  de  Bruyne.  Un  petit  apocryphe  biblique  dû  à 
Winilhaire  de  Sainl-Gall.  (Une  série  de  généalogies  de  Dieu  à  Abraham 
placée  en  tête  de  l'Évangile  de  St  Matthieu.)  pp.  526-529.  —  D.  G.  Mori.n. 
Sermo  de  Dominicse  observaiione.  Une  ancienne  adaptation  latine  d'un 
sermon  attribué  à  Eusèbe  d'Alexandrie.  (Texte  de  ce  sermon.  Il  montre 
que,  dès  le  VU"  s.,  «  les  homélies  de  l'énigmatique  Eusèbe  d'Alexandrie 
étaient  connues  et  utilisées  en  Occident.  »  Il  y  a  des  traces  antérieures.) 
pp.  530-534. 

REVUE  BIBLIQUE.  Oct.  —  M.  J.Lagrange.  La  Crète  ancienne  (suite). 
(Continue  l'étude  de  la  religion.  Subdivisions  :  b)  Statuettes.  4.  Les  Sym- 
boles, a)  La  double  hache  ou  bipenne  ;b)  Protomes  de  taureau,  cornes 
de  consécration  ;  c)  La  croix  (signe  abrégé  de  l'étoile)  ;  d)  Sphinx  ;  e) 
Pierres  sacrées;  f)  Arbres  sacrés  ;  g)  Divers.)  pp.  489-514. —  H.  Vincent. 
La  description  du  J'emple  de  Salomon.  Notes  exégétiques  sur  I  Rois  VI. 
(Propose  et  motive  un  certain  nombre  de  corrections  au  texte  de  ce  ch., 
traduit  le  texte  ainsi  corrigé  et  l'éclaircit  i)ar  des  notes  destinées  à  pré- 
ciser l'agencement  général  du  Temple  et  la  valeur  des  expressions  tech- 
niques relatives  à  sa  structure  et  à  sa  décoration.)  pp.  515-542,  — 
M.  J.  Lagrange.  Le  Décret  «  Lamentabili  sane  exitu  »  et  la  critique  histo- 
rique.{Commenle  les  propositions  qui, dans  ce  Décret, concernent  l'appli- 
cation de  la  critique  historique  à  l'étude  du  Clirist  et  de  l'Évangile, 
s'attache  à  montrer  que  si  le  Décret  répudie  justement  des  erreurs  avan- 
cées au  nom  de  la  critique  et  de  l'histoire,  c'est  sans  porter  la  moindre 
atteinte  à  la  juste  liberté  de  la  critique  historique.)  pp.  543-554.  — 
H.  Pognon.  Lettre  au  P.  Lagrange...  (Fournit  quelques  renseignements 
sur  une  inscription  araméenne  trouvée  par  lui  en  Syrie.  Elle  est  d'un 
certain  Zakir  ou  Zakar,roi  de  Hamat  et  de  Laache  (VIII^  siècle  av.  J.-C.) 
et  contient  un  récit  de  la  victoire  que  ce  personnage  a  remportée  sur 
Bar-Hadad,  roi  d'Aram,et  six  autres  rois  ses  alliés.  La  stèle  est  dédiée 
à  une  divinité  nommée  Alour.)  p.  555-557. —  A.Mallon,  S.J.  Un  manuscrit 
du  Psautier  Copte-Bohairique.  (Ce  manuscrit,  conservé  au  scolasticat 
d'Ore,  Hastings,  provient  d'une  bibliothèque  de  Lyon.  Il  date  très  pro- 
bablement de  1459.  En  plus  des  150  ps. ,  il  contient  dix  pièces  dont  on 
donne  l'énumération.)  pp.  557-559.  —  P.LADELZE.Z'oj'/^î/je  du  quatrième 
Évangile.  A  propos  du  livre  de  M.  Lepin.  (Expose  l'argumentation  de 
Lepin  en  faveur  de  l'attribution  du  IV*^  Évangile  à  l'apôtre  Jean,  y  ajoute 
des  éléments  nouveaux,  faits  ou  observations,  en  souligne  la  force  pro- 
bante. Remarque  toutefois  que  certaines  particularités  du  texte  et  de  la 
tradition  n'ont  pas  reçu  toute  l'attention  qu'elles  méritent  et  regrette  que 


RECENSION     DES     REVUES  209 

Lepin  n'ait  pas  examiné  l'hypothèse,  suggérée  par  ces  particularités, 
d'une  rédaction  de  l'Évangile  par  un  disciple,  à  tendances  spéciales,  de 
l'apôtre  Jean,  au  nom  de  ce  dernier,  sous  ses  yeux  et  son  inspiration.) 
pp.  539-585. 

REVUE  CATHOLIQUE  DES  ÉGLISES.  Oct.  — .(.  Baruzi.  Leib^iiz  et  l'idée 
de  Schisme,  d'après  des  document&  inédits.  (Pour  Leibniz  le  schisme  est 
un  mal.  Il  cherche  à  le  supprimer  en  réunissant  les  Églises.  Il  ne  croit 
pas  cependant  à  l'unité  possible  des  Églises  :  aucune  n'atteint  la  vérité 
absolue  ;  mais  dans  Tordre  de  vie,  une  vérité  est  incluse  en  l'union  et 
en  l'amour  ;  c'est  donc  vers  cet  amour  et  cette  union  qu'il  faut  tendre. 
«  Nulle  part  l'Église  ne  sera  mieux  réalisée  que  dans  l'eiïort  que  nous 
instaurerons  pour  la  créer,  et  par  là  même  se  trouve  définitivement 
niée  la  légitimité  du  «  schisme  ».)  pp.  453-474.  =  Nov.  —  A.  Villien. 
Les  travaux  français  de  droit  canonique  et  de  Liturgie.  (Énumère  et 
apprécie  les  principales  œuvres  parues  en  France  sur  ces  matières, 
durant  les  dernières  années.  «  Secours  demandés  à  l'histoire  pour 
expliquer  la  discipline,  documentation  plus  abondante,  critique  plus 
sévère,  telles  sont  les  caractéristiques  d'un  nombre  toujours  plus  grand 
d'études  canoniques.  »)  pp.  5:59-550.  :=  Dec.  —  F.  W.  Puller.  La 
communion  anglicane  dans  ses  rapports  avec  les  parties  qui  la  constituent. 
(La  communion  anglicane  comprend  10  Églises  nationales  aulocéphales. 
Il  y  aurait  avantage  à  mieux  relier  entre  elles  ces  Églises,  afin  que  le 
«  tout  »  agît  sur  chacune.  On  le  peut  par  des  conférences  en  temps 
ordinaire,  par  des  synodes  dans  des  circonstances  plus  importantes.) 
pp.  597-605. 

REVUE  DU  CLERGÉ  FRANÇAIS.  1^'  Oct.  —  Ch.  Bujon.  Le  Purga- 
toire. (Énumère  les  difterents  moyens  à  l'aide  desquels  le  péché  véniel 
peut  être  expié  ici-bas  et  conclut  que  tous  ceux  qui  meurent  en  état  de 
grâce  ne  passent  point  forcément  par  les  flammes  du  Purgatoire.)  pp. 
43-50^  =^  15  Oct.  -  J.  Bricout.  Ce  gui  n'est  pas  du  modernisme.  (Dis- 
tingue le  modernisme  de  ce  qui  ne  l'est  pas^  en  philosophie,  en  théologie, 
en  apologétique,  en  histoire.)  pp.  129-145.  —  E.  Vacandard.  La  prière 
pour  les  trépassés  dans  les  quatre  premiers  siècles.  (Reproduction  d'un 
article  du  R.  D'' Swete.  [Journal  of  theolog'ical  studies,  1"  Juillet  1907J. 
Conclusions  :  1"  Il  n'y  a  pas  de  preuves  que  les  morts  aient  été  commé- 
morés par  leurs  noms  dans  i'agape  eucharistique  dès  l'âge  apostolique 
ou  dans  la  période  subapostolique.  De  telles  commémorations  ont  pro- 
bablement commencé  au  second  siècle.  Avant  la  fin  du  troisième  siècle, 
l'intercession  pour  les  morts  paraît  avoir  été  un  trait  commun  à  toutes 
les  liturgies.  Au  quatrième  siècle,  l'usage  d'offrir  des  prières,  le  sacrifice 
eucharistique  et  des  aumônes  pour  les  morts,  s'établit  désormais  comme 
un  important  facteur  de  la  vie  chrétienne,  tant  en  Orient  qu'en  Occident. 
2°  Il  peut  se  faire  qu'à  l'origine  on  n'ait  pas  analysé  le  caractère  de  ces 
prières  et  de  ces  oblations.)  pp.  146-161.  =-;  1'''^  Nov.  —  H.  Lesètre. 
Jésus  ressuscité.  (Réfute  les  principales  objections  piiilosophiques, 
liistoriques,  exégétiques,  élevées  contre  le  fait  de  la  résurrection.)  pp. 

2*^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  i.  14 


210         REVUL    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

241-263.  —  A.  D.  Seriillanges.  Morale  et  Religion.  (Trois  propositions 
résument  les  rapports  précis  de  la  religion  et  de  la  morale.  I.  En  un 
sens,  la  vie  religieuse  est  contenue  dans  la  vie  morale.  Les  devoirs 
envers  Dieu  et  la  vertu  de  religion  concourent  à  intégrer  la  justice. 
Leur  rôle  est  de  rendre  honneur  à  Dieu  en  tant  que  principe,  loi,  fin 
dernière  de  tout  ce  qui  est.  II.  La  morale  est  une  partie  de  la  religion 
eu  tant  que  celle-ci  est  une  attitude  générale  à  l'égard  du  divin.  III.  La 
religion  se  présente  comme  la  condition,  sinon  de  l'existence,  du  moins 
de  l'extension  et  de  l'efTicacité  de  l'idée  morale  dans  le  monde.)  pp.  264- 
2^^4.  =  15  Nov.  —  G.  MiCHELET.  JS expérience  religieuse  d'après  W.  James. 
III.  Les  faits  religieux  et  la  théorie  de  la  subconscience.  (Esquisse 
d'abord  la  théorie  de  la  subconscience,  indique  quelques-uns  des  cas 
dont  elle  prétend  fournir  l'explication,  puis  énumère  en  les  critiquant 
les  trois  principales  théories  sur  la  nature  des  faits  subsconcients.  I.  La 
théorie  physiologique  des  faits  inconscients  est  en  contradiction  avec 
les  faits.  II.  La  théorie  des  phénomènes  psychologiques  sous-conscients, 
au  lieu  de  confirmer  la  théorie  de  la  multiplicité  des  consciences, 
témoigne  en  faveur  de  l'unité  réelle  et  persistante  de  la  personne 
humaine.  III.  La  théorie  animiste  des  faits  psychologiques  inconscients, 
bien  que  niée  par  certains  philosophes  spiritualistes  est  scientifiquement 
fondée  et  s'accorde  avec  la  doctrine  de  l'École.)  pp.  879-410.  =  l^""  Dec 
—  M.  Lepin.  La  résurrection  de  Lazare.  (L'élude  minutieuse  du  texte 
apporte  un  démenti  formel  à  l'hypothèse  qui  voit  dans  la  résurrection 
de  Lazare  un  simple  tableau  allégorique.  Les  traits  d'invraisemblance 
objectés  à  rhisloricité  du  récit  johannique  ne  paraissent  pas  plus  signi- 
ficatifs que  les  indices  qu'on  prétend  y  trouver  de  composition  artifi- 
cielle.) pp.  467-496.  —  L.  Maisonneuve.  La  notion  du  miracle.  (Critique 
la  conception  que  M.  Le  Roy  se  fait  du  miracle.  M.  Le  Roy  confond  la 
cause  formelle  et  la  cause  finale  du  miracle.  L'idéalisme  de  M.  Le  Roy 
s'appuie  sur  les  théories  du  inorcelage,  du  déterminisme  conventionnel, 
du  subjectivisme  des  sensations  ;  mais  aucune  de  ces  théories  n'est 
fondée.  Le  miracle  n'est  pas  le  produit  de  la  foi,  l'allirmer,  c'est  détruire 
les  bases  mêmes  de  la  foi.  C'est  l'aspect  préternaturel  d'un  fait  qui 
détermine  la  conviction  de  ceux  qui  en  sont  témoins.)  pp.  497-518.  = 
15  Dec.  —  E.  Vacandard.  Les  fêtes  de  Noël  et  de  l'Epiphanie.  (En  plein 
iv«^  siècle,  voire  en  336,  Rome  célébrait  la  solennité  de  Noël  le  25  décem- 
bre. L'église  occidentale  imposa  à  l'Orient  la  fêle  de  Noël;  en  retour 
l'Église  grecque  fit  pénétrer  dans  l'Église  latine,  la  fête  de  l'Epiphanie.) 
pp.  593-615.  —  E.  Mangenot.  Le  livre  d'Bénoch.  (Analyse  d'après  l'in- 
troduction de  l'ouvrage  de  M.  Martin.  Le  livre  d'Hénoch  traduit  sur  le 
texte  éthiopien,  Paris,  Letouzey].  1"  Le  texte  original  et  les  versions 
anciennes.  2'' Le  problème  littéraire  de  la  composition  du  livre.  3°  Les 
dates  et  auteurs.  4"  L'histoire  littéraire  du  livre  d'IIénoch.)  pp.  616-629. 

REVUE  D'HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE.  Oct.  —  J.  Mahé,  S.  J. 
V Eucharistie  d'après  saint  Cyrille  d'Alexandrie.  (S.  Cyrille  enseigne 
que  les  fidèles  sont  vivifiés  par  la  réception  de  l'Eucharistie  ;  elle  les 
unit,  par  une  participation  physique,   au  Christ,  et  aussi   entre  eux.   Il 


RECENSION     DES     REVUES  2ll 

professe  la  présence  réelle  du  corps  historique  du  Christ  dans  l'Eiicha- 
ristie.)  pp.  677-696.  —  P.  Doncceur,  S.  .1.  Les  premières  interventions  du 
Saint-Siège  relatives  à  r Immaculée  Conception  [XII'^-XIV'^  siècle) 
(suite,  à  suivre).  (La  fête  de  la  Conception  de  la  Sainte  Vierge  fut 
adoptée  par  la  cour  papale,  dans  le  second  quart  du  XIV«=  siècle.  Mais 
l'objet  de  celte  fête  était  assez  indéterminé  pour  se  prêter  à  tous  les 
partis  théologiques,  la  cour  romaine  n'en  professant  aucun  de  préfé- 
rence aux  autres.)  pp.  697-715.  —  D.  R.  Ancel,  0.  S.  B.  Pnul  IV  et  le 
Concile.  (Le  Pape  était  peu  favorable  à  la  reprise  du  concile.  Il  jugea 
plus  pratique  d'établir  diverses  Commissions  en  vue  d'obtenir  la 
réforme,  et  prit  des  mesures  souvent  énergiques,  pour  en  commencer 
l'exécution.)  pp.  716-741. 

REVUE  DE  L'HISTOIRE  DES  RELIGIONS.  —  Sept.-Oct.  —  J.  Réville. 

Les  Origines  de  t Eucharistie  ("2.^  ■av\.,  à  suivre)  (9.  Le  4^  Evangile,  au 
chap.  6,  fournit  un  témoignage  de  premier  ordre,  non  sur  l'institution 
de  l'Eucharistie  par  Jésus,  mais  sur  la  valeur  qu'on  lui  accordait  dans 
«  la  petite  élite  des  chrétiens  mystiques  d'Asie  qui  ont  fondu  la  tradition 
évangélique  dans  la  tradition  judéo-hellénique  de  leur  temps  >>.  Il  n'y  a 
pour  eux  dans  l'Euchar.  ni  actions  de  grâces,  ni  témoignage  de  la  soli- 
darité chrétienne,  ni  sacrifice,  ni  relation  à  la  mort  du  Christ,  mais 
l'équation  pain  =  chair,  vin  =^  sang  du  Christ  est  déjà  établie  parmi  eux, 
quoique  non  universellement  admise  ;  le  pain  et  le  vin  sont  tels  en  tant 
qu'instruments  de  la  communication  de  la  vie  du  Verbe,  et  procurent  la 
vie  éternelle  à  ceux  qui  ont  la  foi,  en  scellant  leur  union  mystique  avec 
le  Christ  vivant.  Ce  discours  du  chap.  6,  qui  a  conservé  une  note  escha- 
tologique,  rattache  l'Eucharistie  au  souvenir  d'un  repas  oîi  les  disciples 
de  Jésus  ont  mangé  du  pain  et  des  poissons.  —  10.  Dans  l'Ep.  aux 
Hébreux,  XIII,  10  sv.,  il  n'y  a  à  chercher  aucune  mention  de  l'Eucha- 
ristie. —  11.  Le  plus  ancien  témoignage  est  celui  de  V Apôtre  Paul, 
I.  Cor.  v,  6-8  ;  x,  14-22  ;  xi,  17-34.  R.  examine  :  1'^  la  nature  de  la  céré- 
monie de  Corinthe.  C'est  un  repas  collectif  non  quotidien,  qui  doit  être 
sobre  et  dont  les  éléments  essentiels  sont  le  pain  et  le  vin  ;  il  exprime 
la  communion  des  fidèles  entre  eux  et  avec  le  Christ,  il  faut  s'y  préparer 
individuellement  et  intérieurement,  mais  ne  contient  pas  trace  de  sacri- 
fice, ni  d'oblation,  ni  de  sacrement.  2"^.  La  signification  de  ce  repas  pour 
l'Ap.  Paul.  Ce  repas  a  été  institué  par  Jésus  lui-même  en  souvenir  de 
lui.  C'est  une  commémoration  de  sa  mort,  et  il  conserve  aussi  un  carac- 
tère eschatologique.  11  effectue  la  communion  au  «  corps  du  Christ  »  par 
la  communion  à  la  société  mystique  de  tous  les  disciples  du  Christ  avec 
le  Christ,  et  la  «  communion  au  sang  du  Christ  »,  c'est  la  participation 
à  la  nouvelle  alliance  consacrée  par  son  sang.  Réville,  qui  juge  impos- 
ble  et  «  monstrueux  »  que  le  Christ  ait  voulu  parler  de  son  corps  maté- 
riel, interprète  le  zo  ÙTrsp  ij^{;yj  de  xi,  24,  en  ce  sens  :  mon  corps 
mystique,  qui  est  pour  votre  bien,  pour  votre  salut.  Pour  lui,  «ne  pas 
discerner  le  corps  du  Christ  »  (xi,  29),  cela  veut  dire  :  ne  pas  compren- 
dre ses  devoirs  envers  le  corps  mystique.  3°  La  valeur  historique  du 
témoignage  paulinien.  La  donnée  traditionnelle,  extra-paulinienne, 
pain  :^  corps,  vin  =  sang,  a  été  interprétée  par  Paul,  en  suite  de  rêvé- 


212         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

lations  du  Christ  glorieux  ;  son  commentaire  (rb  ûttèo  ùlkmv,  le  cnlice  de 
la  nouvelle  alliance),  il  Ta  introduit  dans  le  texte.  —  12.  Là  fraction  du 
pain  des  Actes  des  Apôtres  signifie  un  repas  religieux  chrétien,  d'abord 
privé,  quotidien,  non  cultuel,  puis  devenant  public  et  dominical.  C'est 
tout.  —  18.  A  propos  de  VEv.  de  Luc,  xxii,  14-23,  l'auteur  se  prononce 
pour  l'authenticité  des  codex  orientaux  et  de  la  Vulgate,  les  autres  textes 
n'étant  que  des  corrections  destinées  àsupprimer  l'une  des  deux  coupes. 
Ce  texte  authentique  est  une  combinaison  de  la  tradition  de  Marc  et  de 
celle  de  Paul.  La  Cène  est  un  repas  pascal  où  l'«  Eucharistie  »  est  une 
prière  d'actions  de  grâces  instituée  par  Jésus,  de  signification  eschatolo- 
gique,  mais  n'ayant  rien  de  sacrificiel;  le  pain  est  «  assimilé  »  au  corps 
du  Christ  donné  pour  les  Apôtres  (au  reste  on  ne  peut  trop  savoir  en 
quel  sens  l'auteur  du  3^  évangile  l'a  pris),  et  la  coupe  est  la  nouvelle 
alliance.  —  14.  Les  récits  parallèles  de  3Iallhieu,xx\'î,  17-30,  et  de  Marc, 
XVI,  12-26  représentent  la  Cène  comme  un  repas  pascal,  à  la  fin  duquel 
on  chante  des  hymnes  ;  c'est  un  repas  de  communion  ;  mais  aucune 
institution  perpétuelle  n'y  est  mentionnée;  il  sert  d'atïirmation  sensible 
à  l'alliance  de  Jésus  avec  ses  disciples,  consacrée  par  le  sang  du  Christ, 
en  vue  de  leur  réunion  ultérieure  dans  le  royaume  de  Dieu  ;  le  pain  est 
le  corps  du  Christ,  le  vin  est  son  sang  répandu  en  faveur  de  beaucoup, 
sans  autre  détermination,  ce  qui  n'est  du  reste  pas,  selon  Réville, 
susceptible  d'une  interprétation  réaliste.)  pp.  142-196. —  G.  Ferrand. 
Textes  magiques  malgaches  (Textes  musulmans  du  Sud-Est  de  Madagas- 
car, d'après  les  mss.  o  et  8  de  la  Bibl.  nat.  L'un  aurait  été  apporté  en 
France  en  1742,  l'autre  vient  de  l'ancien  couvent  de  Saint-Germain-des- 
Prés.  L  Conjuration  de  divers  djinn, qui  ont  enseigné  à  Salomon  celle  qui 
convenait  à  chacun  d'eux.  II.  Invocations  magiques.  III.  Anges  protec- 
teurs des  différentes  parties  du  corps, de  la  tête  aux  doigts  de  pied, cha- 
cun avec  son  nom.  Texte  et  traduction. "i  pp.   197-218. 

REVUE    DE  LINSTITUT    CATHOLIQUE    DE   PARIS.  Nov.-Déc.   — 

E.  Mangenot.  Jésus  Messie  et  Fils  de  Dieu  d'après  les  Actes  des  Apôtres. 
(Étude  de  la  théologie  du  livre  même  des  Actes  et  non  de  ses  sources. 
1°  Jésus  messie,  a)  Les  premiers  prédicateurs  chrétiens  sont  cons- 
tants et  unanimes  à  présenter  Jésus  comme  messie  aux  juifs  et  aux 
païens,  b)  Ils  prouvent  la  messianité  de  Jésus  par  ses  miracles  et  les  leurs, 
par  sa  mort  sur  la  croix,  par  sa  résurrection  et  sa  glorification,  c)  Le 
messie  prêché  par  eux  a  pour  mission  de  fonder  sur  terre  le  règne 
spirituel  de  Dieu.  —  2°  Jésus  Fils  de  Dieu,  o)  Textes  explicites  en  faveur 
de  la  filiation  divine,  b)  Enseignement  implicite  du  livre  entier.  —  «  Le 
Christ  des  Actes  est  bien  le  Christ  Dieu,  et  Fils  de  Dieu,  participant  inti- 
mement aux  pouvoirs  et  aux  privilèges  de  Dieu  >>.)  pp.  385-423. 

REVUE  DE  MÉTAPHYSIQUE  ET  DE  MORALE.  Nov.—  A.  Job.  L'œuvre 
de  Berthelot  elles  théories  chimiques,  (Développement  et  tendance  géné- 
rale des  travaux  du  grand  chimiste.  «  Il  montre  que  la  matière  minérale 
et  la  matière  organique  se  transforment  suivant  Ips  mêmes  lois  et  sont 
Soumises  aux   mêmes  forces  ;  que  dans  les  deux  domaines  la  synthèse 


RECENSIOX     DES     REVUES  îll'i 

est  possible  par  les  mêmes  moyens  »,  «  il  établit  plus  de  liens  entre  la 
chimie  et  les  autres  sciences.  »  La  caractéristique  de  son  talent  est 
«  l'extraordinaire  finesse  de  tact  avec  laquelle  il  pénètre  le  jeu  des 
allinités  et  des  forces.»)  pp.  699-720. —  H.Delacroix.  Anahjse  du 
inijsticisme  de  Mme  Guyon.  (Extrait  d'un  ouvrage  sur  l'Histoire  et  la 
'psychologie  du  nii/slicisme,  qui  paraîtra  au  début  de  1908.  —  Caractères 
des  trois  périodes  successives,  chronologiquement  et  logiquement 
distinctes,  qu'une  étude  historique  (faite  dans  le  chapitre  précédent)  a 
révélées  dans  la  formation  des  états  mystiques  chez  Mme  Guyon.) 
pp.  721-746.  —  E.  BoREL.  L'évolution  de  Vintelligence  géométrique. 
(Lidée  que  M.  Bergson  se  fait  de  l'intelligence  géométrique  est  adéquate 
à  lintelligence  géométrique  des  Grecs,  mais  l'intelligence  géométrique 
a  évolué  et  actuellement  elle  est  beaucoup  moins  rigide  et  beaucoup 
plus  vivante.  —  Nouveaux  exemples  sur  l'intuition  en  mathématique. — 
Importance  de  la  notion  de  mouvement  dans  la  géométrie  moderne.) 
pp.  7-47-754.  —  E.  Mallieux.  Le  rôle  de  Vexpérience  dans  les  raisonne- 
ments des  jurisconsultes.  (Examine  (f  les  difficultés  principales  que 
peuvent  faire  naître  la  lecture  et  la  confrontation  des  articles  d'un  code  » 
et  cherche  à  établir  que  «les  formules  de  nos  codes,  fruits  de  la  vie, 
n'acquièrent  une  portée  que  par  un  appel  à  l'expérience,  au  bon  sens,  à 
la  conscience  morale  et  à  la  science  des  sociétés.»)  pp.  755-796.  — 
E.  Chartier.  Essai  sur  les  éléments  principaux  de  la  représentation,  par 
Hamelin.  (Étude  critique.)  pp.  797-820. 

REVUE  NÉO  SCOLASTIQUE.  Nov.  —  N.  Balthasar.  Le  problème  d 
Dieu  d'après  la  philosophie  nouvelle.  (Réponse  aux  critiques  que  M.  Le 
Roy  adresse  aux  quatre  premières  preuves  thomistes  de  l'existence  de 
Dieu.  Conclusion  :  «  Constamment  ou  a  vu  se  poser  ce  dilemme  :  ou 
admettre  un  acte  pur.  Cause  incausée,  Être  en  soi,  perfection  subsis- 
tante et  par  conséquent  Infini  ;  ou  avec  Heraclite,  Hegel  et  les  nomina- 
listes  modernes,  affirmer  comme  Absolu  un  devenir  sans  lois,  principe 
de  création  incompréhensible  et  contradictoire  dès  que  nous  voulons  le 
penser.  M.  Le  Roy  choisit  cette  dernière  alternative,  espérant  d'ailleurs 
pouvoir  remplacer  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  par  son  expérience 
vécue.  »)  pp.  449-489.  —  M.  De  Wulf.  Première  leçon  d'esthétique. 
(Définit  ce  qu'il  faut  entendre  par  jouissance  d'art,  critique  artistique, 
histoire  de  l'art,  esthétique  ;  prouve  que  l'esthétique  est  une  science 
d'ordre  philosophique  ;  détermine  la  place  de  l'esthétique  néo-scolasti- 
que  dans  l'histoire  générale  des  idées  esthétiques  ;  énumère  les  princi- 
paux caractères  de  l'esthétique  scolastique.)  pp.  490-506.  —  A.Michotte. 
A  propos  de  la  «  Méthode  d'introspection  »  dans  la  psychologie  expérimen- 
tale. (La  méthode  indirecte,  c'est-à-dire  celle  oii  l'on  observe  un  phéno- 
mène psychique  provoqué  par  la  perception  de  l'excitant,  est  réalisée 
suivant  le  schéma  de  mesures  de  temps  de  réaction.  Cette  méthode  est 
susceptible  de  recevoir  des  développements  considérables,  tout  en 
conservant  son  caractère  et  sa  valeur  scientifique.)  pp.  507-532.  — 
P.  Mandonnet,  0.  P.  Le  traité  «  De  erroribus  Philosophorum».  (Le  traité 
De  erroribus  Philosophorum  présente  une  collection  d'erreurs  tirées  des 
écrits  d'Arislote,  d'Averroès,  d'Avicenne,d'Algazel,  d'Alkindi  et  de  Moïse 


2-14         PEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Maimonide.  Il  se  fait  remarquer  par  l'étendue  de  l'information  et  l'in- 
telligence des  doctrines.  Selon  toute  probabilité,  l'auteur  de  ce  traité 
appartient  à  l'école  dominicaine  espagnole.)  pp.  o33-o52. 

REVUE  DE  L'ORIENT  CHRÉTIEN.  3.  —  F.  Nau.  Une  didascaVie  de 
iXotre-Seigneur  Jésus-Chnst  ( iutroductio/i,  texte  grec  et  traduction). 
(Cette  didascalie  est  le  récit  apocryphe  d'un  entretien  de  Jésus  avec  les 
apôtres,  dans  la  vallée  de  Josaphat,  après  l'Ascension.  On  y  place  dans 
la  bouche  du  Christ  et  pour  leur  donner  plus  d'autoi'ité  des  préceptes 
ecclésiastiques  et  des  révélations  sur  différents  mystères.  La  date  de 
l'écrit  ne  peut  être  précisée  (entre  le  IV"  et  le  XP  siècle,  plus  probable- 
ment à  la  fin  du  VII*^.  Le  texte  grec  est  reconstitué  d'après  deux  ma- 
nuscrits, Frt/ic.  et  Paris.)  pp.  225-254. —  J.  Bousquet.  Récit  de  Sergia  sur 
Objmpias  (introduction  et  traduction  d'un  récit  légendaire).  (Traduction 
d'après  un  manuscrit  grec  (Bibliot.  nat.  1453)  relatif  à  sainte  Olympias, 
diaconesse  qui  vivait  à  l'époque  de  Justinien.  La  relation  a  été  écrite 
vers  630,  en  un  style  prolixe,  par  Sergia,  supérieure  du  monastère  con- 
sacré à  la  Sainte  en  Chalcédoine.)  255-268.  —  S.  Grkbaut.  Littérature 
éthiopienne  pseudo-Clémentine  (texte  éthiopien  et  traduction  du  mgstére 
du  jugement  des  pécheurs)  {h  suiwre).  (Ceile  partie  contient  principale- 
ment une  longue  louange  adressée  à  Notre-Seigneur.  L'Introduction 
philologique  renferme  de  brèves  remarques  sur  la  langue  obscure  et  la 
syntaxe  peu  classique  de  l'original  éthiopien.)  pp.  285-297.  — S.  Vailhé. 
Saint  f'Juthgme  le  Grand,  moine  [de  Palestine  (o76-473).  (à  suivre).  (Le 
biographe  de  saint  Eulhyme,  Cyrille  de  Scythopolis,  est  d'abord 
présenté  en  quelques  pages.  Suit  le  premier  chapitre  de  la  vie  du  grand 
réformateur  Palestinien.  Il  offre  un  tableau  d'ensemble  du  monachisme 
en  Palestine  au  IV*^  siècle.)  pp.  298-312. 

RE"VUE  DE  PHILOSOPHIE.  Oct.  —  .1.  Gardaih.  L infinité  divine.  (Tout 
en  proclamant  Dieu  éminemment  actuel  et  parfait,  sans  possibilité,  en 
lui-même,  de  développement  interminable,  il  faut  reconnaître  en  lui  le 
principe  souverain  dune  mulliplicalion  interminable  de  réalités  possi- 
bles.)pp. 310-335. —  A.JousSAi.\./vrt  Genèse  de  la  notion  du  droit  dans  Vàme 
individuelle.  (Recherche  les  conditions  psychologiques  de  l'apparition 
de  la  notion  du  droit  :  le  sentiment  <lu  droit  personnel  n'est  que  le 
sentiment  du  vouloir-vivre  aspirant  à  se  développer  sans  entraves, 
et  s'aftlrmant  explicitement  dès  qu'il  rencontre  des  obstacles  contraires 
à  son  attente.  La  notion  du  droit  d'autrui  iiail  d'abord  en  nous  du 
sentiment  de  la  justice  qui  nous  est  due;  puis  nous  substituons  un 
point  de  vue  rationnel  au  point  de  vue  de  notre  intérêt  individuel,  en 
égalant  le  droit  d'autrui  au  nôtre.)  pp.  336-316.  —  P.  Dl'hem.  Le 
mouvement  absolu  et  le  mouvement  relu tif( suite).  (L'auteur  continue  son 
étude  historique  des  problèmes  discutés  par  les  philosophes  touchant 
la  nature  et  l'immobilité  du  lieu.  Dans  cet  article  il  analyse  les  idées 
des  philosophes  grecs  posl-;iristotéiiciens  qui  sont  demeurés  attachés 
à  la  notion  du  lieu  selon  le  Stagyrite,  puis  les  idées  de  ceux  qui  ont 
substitué  une  autre  théorie  surpassant  celle  d'Âristote.)    pp.  347-362  := 


RECENSTON     DES     REVUES  2lo 

Nov.  —  X.  MoiSANT.  I.p  problème  du  mnl.  (Le  problème  da  mal  englobe 
trois  sortes  de  recherches  :  Le  mal  sollicite  notre  volonté  à  le  combattre, 
d'où  la  question  pratique  :  comment  en  triompher  ?  Le  mal  fait  échec 
à  nos  eflbrls  et  à  notre  volonté  :  Comment  la  Providence  peut-elle 
réparer  ces  défaites  partielles  du  bien  et  les  faire  servir  au  triomphe 
final  de  celui-ci  ?  —  Si  cette  dernière  question  comporte  une  solution, 
celle  qui  demanderait  pourquoi  Dieu  n'a  pas  créé  un  monde  meilleur, 
n'en  comporte  pas;  il  est  vrai  que  ce  problème  n'exprime  pas  uneréelle 
anxiété  de  notre  àme  :  nous  ne  désirons  pas  en  effet  un  autre  ordre  de 
chosps  que  celui  oîi  trouve  place  notre  personnalité  ;  on  peut 
même  douter  que  les  termes  du  prol)lème  soient  suffisamment  précis  et 
qu'il  donne  une  prise  ferme  à  un  examen  rationnel.)  pp.  429-446, 
C.  Sentroul  et  A  Farges.  Le  Siihjectivisme  kantien.  (Discussion;, 
pp.  447-480. 

REVUE  PHILOSOPHIQUE.  Oct.  —  J.  de  Gaultier.  La  dépendance  de 
la  morale  et  l'indépendance  des  mœurs.  (Les  phénomènes  appelés  mo- 
raux doivent  être  placés  sur  le  même  plan  de  connaissance  que  tous 
les  autres  ;  il  faut  rétablir  à  leur  endroit  la  relation  d'antériorité  du 
phénomène  par  rapport  à  la  loi  ;  en  effet,  les  phénomènes  relatifs  à  la 
conduite  sont  donnés  dans  l'expérience  comme  les  autres  phénomènes, 
en  sorte  que  les  lois  dites  morales  sont  une  dépendance  des  mœurs  ; 
celles-ci  à  leur  tour  sont  «  indépendantes  de  la  logique  »,  c'esl-à-dire 
qu'«  elles  échappent  à  tant  d'effort  de  déduction,  en  vue  de  déterminer 
quelles  elles  doivent  être,  en  sorte  qu'il  n'est  pas  plus  possible  de  les 
déduire  de  l'ensemble  de  l'expérience  qu'il  n'est  possible  de  les  déduire 
d'un  à  priori  dogmatique.  »)  pp.  337-364.  —  L.  Dugas.  La  définition 
de  la  mémoire.  (Le  problème  de  la  mémoire  est  celui  du  rapport  de 
la  connaissance  au  moi.  Ce  n'est  pas  la  persistance  du  souvenir,  son 
aptitude  à  renaître,  mais  c'est  sa  subjectivité,  sa  relation  à  la  personna- 
lité qui  le  constitue  ce  qu'il  est  ;  et  cela  est  aussi  vrai  pour  la  mémoire 
intellectuelle  que  pour  la  mémoire  affective.)  pp.  365-382.  —  D.  Parodi. 
Morale  et  raison.  (.\pprécialion  critique  de  l'ouvrage  de  M.  Gust.  Belot  : 
Éludes  de  morale  positive.)  pp.  383-411.  =  Nov. —  A.  Fouillée.  Doit-on 
fonder  la  science  morale,  et  comment?  (Pages  extraites  de  l'Introduction 
de  l'ouvrage  de  M.  Fouillée  qui  va  paraître  sous  le  titre  de  Morale  des 
Idées-Forces.  Pour  M.  F.,  la  morale  doit  être  «  fondée»  ;  elle  exige  des 
principes  immanents  qui  lui  permettent,  en  tant  que  science,  de  se 
suffire  à  elle-même  et  d'être  vraiment  indépendante.  Vue  d'ensemble 
sur  la  méthode,  les  fondements  logiques,  psychologiques,  sociologiques, 
cosmologiques  et  êpistémologiquès  de  la  morale  des  idées-forces.) 
pp.  449-475.  —  E.  de  Roberty.  Le  rôle  civilisateur  des  abstractions  :  du 
totémisme  au  socialisme.  (Joui  concept  vaut  par  l'expérience  qu'il  repré- 
sente; l'abstraction  synthétise  ainsi  l'expérience  collective  du  passé  et 
suggère,  par  sa  valeur  hypoUiélique,  les  conjectures  de  l'avenir  rela- 
tives au  progrès  social.  L'auteur  étudie  sous  cet  angle  la  plus  ancienne 
des  généralisations,  «  l'abslraction-ancêtre  »  du  totémisme,  puis  l'abs- 
traction  du  socialisme  actuel,  sorte  de   totémisme  moderne,  tendant, 


2-16         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÈOLOGIQUES 

par  la  connaissance  (la  généralisation  et  l'abstraction),  à  départiculariser 
la  classe  économique.)  pp.  476-494.  —  A,  Rev.   L'énergétique  et  le  méca- 
nisme au  point  de  vue  des  conditions  de    la  connaissance.  (La  théorie 
physique  ou  énergétique,  étant  purement  conceptuelle  et  n'envisageant 
que  nos  perceptions  actuelles,  peut  être  un  excellent  moyen  descriptif 
pour  résumer  ce  que  nous  savons  —  mais  elle  est  sans  vertu  inventive 
dans   le   domaine    physico-chimique   ;    car   une    hypothèse     vraiment 
féconde  doit  être   nécessairement  une  hypothèse  imaginable,  construite 
en  termes  de  perception  et  en  langage  sensible,  offrant,  en  même  temps 
qu'un  procédé  de   systématisation,   un   procédé   de  découverte  :  c'est 
précisément  ce  que  réalise  le  mécanisme.)  pp.  495-517.  —  D""  Dromard. 
Delà   n  plasticité  y>  dans  Vassocialion  des  idées.   (Les   conditions  de  la 
plasticité  maxima  correspondent  au  relâchement  de  la  synthèse  men- 
tale,   lequel  se   traduit  lui-même  par  une  prépondérance   des  facultés 
imaginatives  sur  les  attentives.  Les  conditions  de  plasticité  minima  sont 
réalisées  dans  les  circonstances  inverses,  oii  les  facultés  attentives  sont 
prépondérantes  par  rapport  aux  pouvoirsjmaginatifs.)  pp.  ol8-o38.  = 
Dec.  —  J.-J.  VAN  Biervliet.   La  Psycliologie  quantitative.  IIL  Psycholo- 
gie expérimentale.  (Après  une   brève  histoire  de  la  Psychologie  expéri- 
mentale contemporaine,    l'auteur  entreprend   de   passer   en  revue   les 
procédés  de  plus  en  plus  parfaits   de   cette  méthode.   Dans  ce  premier 
article  il  examine  les  enquêtes  et  questionnaires,  puis  les  expériences 
sur  les  masses,  et  fait  voir  les    avantages    et   les  désavantages  de  ces 
procédés      d'analyse     psychologique     quantitative.)    pp.    561-587.    — 
Th.  Ribot.  La    mémoire  affective.  Nouvelles  remarques.   (^Établit  par  de 
nouvelles   preuves  l'existence   de  cette  forme    de  mémoire   qu'est   la 
mémoire  affective  ;  preuves  directes  tirées   de  certains  faits  psycholo- 
giques, physiologiques,   pathologiques.  Preuves  indirectes  tirées  de  la 
stabilité  de  certaines  dispositions  qui  ne  s'expliquentquepar  la  mémoire 
affective.)  pp.  588-613. 

REVUE  PRATIQUE  DAPOLOGÉTIQUE.  1«'  Oct.  —  Dom  Cabhol. 
L'Idolâtrie  dans  V  ftglise.  (Critique  de  louvrage  de  P.  Saintyves  :  Essais 
de  mythologie  chrétienne.  Les  Saints,  successeurs  des  dieux.  (Paris. 
Noiirry.  1907.)  pp.  36-46.  :=  15  Oct.  —  Mgr  P.  Batiffol.  L'idée  de  Vi^glise 
chez  les  précurseurs  et  les  contemporains  de  saint  /renée.  (Conclusion  : 
le  christianisme  est  considéré  comme  une  collectivité  réelle,  visible, 
répandue  sur  toute  la  terre  ;  entre  tous  les  groupes  qui  la  composent,  il 
y  a  un  lien  interecclésiastique  sensible  à  tous.  La  conformité  des  Églises 
dans  la  foi  tient  à  ce  que  la  foi  est  considérée  comme  une  doctrine 
divine  une  fois  reçue  et  ensuite  transmise  comme  un  dépôt.  Rome  est 
pour  tous  les  fidèles  du  monde  un  centre.)  pp.  107-121  et  161-172.  = 
l'^'"  Nov.  —  M.  Lepin.  Lliistoricité  de  l'Evangile  de  saint  Jean  d'après  le 
récit  de  la  multiplication  des  pains.  (Le  quatrième  évangéliste  retient, 
pour  son  préambule,  des  traits  synoptiques  dépourvus  de  signification 
et  en  ajoute  d'autres  qui  ne  sont  pas  davantage  expressifs;  d'autre  part, 
il  néglige,  dans  la  narration  de  ses  devanciers,  les  détails  les  plus 
susceptibles  d'enricliir  son  symbole.  Sous  la  diversité   de   la    forme,  la 


RECENSION     DES    REVUES  217 

première  partie  du  dialogue  johannique  n'a  donc  pas  une  portée  autre 
que  celle  du  dialogue  synoptique,  au  point  de  vue  du  symbolisme  sup- 
posé ;  le  reste  du  dialogue  se  montre  aussi  réfractaire  à  l'interprétation 
de  M.  Loisy.)  pp.  173-186.  —  J.  Touzard.  Sur  l'Élude  des  prophètes  de 
V Ancien  Testament.  (Pour  comprendre  les  prophètes  de  l'ancien  Testa- 
ment, l'historien  doit  étudier  le  milieu  dans  lequel  ils  ont  vécu,  leur 
caractère  particulier,  leur  activité,  leur  influence  posthume.)  pp.  ,186- 
200.  =  15  Nov.  —  M.  Lepin.  Uhistoricité  de  VEvangile  de  saint 
Jean  d'après  le  récit  de  la  multiplication  des  pains.  (La  relation 
johannique  du  dialogue  coïncide  d'une  façon  exacte,  pour  la 
physionomie  d'ensemble,  avec  les  trois  relations  synoptiques.  Le  récit 
du  miracle  ne  trouve  pas  son  explication  dans  la  préoccupation 
symbolique  et  l'épilogue  est  bien  dans  la  vraisemblance  historique.) 
pp.  236-252.  =  1"^'  Dec.  —  J.  Lebreton.  L'étude  des  Origines 
chrétiennes.  (Ces  questions  d'exégèse  ou  d'histoire  qui  s'agitent  autour 
de  ses  origines  ne  peuvent  laisser  l'Église  indifférente  ;  ce  sont  ses  titres 
que  l'on  discute,  et  elle  prétend  pouvoir  en  établir  la  légitimité.  On  peut 
tout  en  restant  chrétien,  fidèle  à  la  foi  et  à  l'Église,  étudier  loyalement 
et  scientifiquement  l'histoire  des  origines  chrétiennes.)  pp.  297-311.  — 
J.  Touzard.  Le  prophète  Amos.  (Étudie  le  milieu  et  la  personne  du  pro- 
phète Amos.)  pp.  315-333.  =  15  Dec.  —  J.  Guibert.  Zes  commencements. 
(Le  fait  de  la  dégradation  de  l'énergie  et  l'origine  de  la  vie  prouvent  la 
nécessité  d'un  créateur.)  pp.  361-378.  —  J.  Touzard.  Le  prophète  Amos. 
(Svntlièse  des  enseignements  d'Âmos  sur  Dieu  et  ses  rapports  avec 
Israël.)  pp.  378-398. 

REVUE  DES  SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES  ET  LA  SCIENCE  CATHO- 
LIQUE. Sept,  et  Oct.  —  M.CoMBAULD.  Le  sentiment  religieux  et  lapsgcho- 
physiologie.  (Avant-propos  d'une  étude  où  l'auteur  traitera,  dans  une 
première  partie,  des  états  mystiques  étudiés  du  point  de  vue  psycholo- 
gique, dans  une  seconde,  des  phénomènes  extraordinaires  qui  s'y  ren- 
contrent souvent  et  servent  de  prétexte  aux  objections  de  la  thèse 
naturaliste.)  pp.  913-919.  —  J.-B.  Ayrolles.  La  vénérable Fucelle  victo- 
rieuse de  la  science.  («  L'inspiration  est  manifeste  quand  on  étudie  de 
près  le  procès  tout  entier.  Parmi  tant  de  questions  disparates,  ardues, 
posées  avec  l'intention  d'arracher  à  l'incriminée  une  parole  malson- 
nante, sur  laquelle  put  être  étayée  une  condamnation  déjà  arrêtée, 
pas  un  mot  qui  donne  prise.  »)  pp.  948-973.  —  M.  Daux.  Un  scolas- 
tique  du  XII^  siècle  trop  oublié  ;  Honoré  d'Autun.  (Analyse  ses  ouvrages 
d'enseignement  classique,  puis  ses  œuvres  exégétiques,  liturgiques, 
dogmatiques  et  ascétiques.)  pp.  858-88-4  et  974-1002. 

REVUE  THOMISTE.  Sept.-Oct.—  R.  P.  A.  Mercier.  Le  miracle,  phéno- 
mène surnaturel.  (Le  miracle  est  l'œuvre  de  Dieu,  mais  de  Dieu  se 
rapprochant  librement  de  l'humanité,  se  mêlant  anx  choses  humaines. 
Il  implique  nécessairement  un  certain  anthropomorphisme  de  Dieu. 
C'est  Dieu  descendant  au  niveau  de  l'homme,  s'identifiant  par  mode 
d'union  avec  les  diverses  causes  dont  l'influence  se  fait  sentir  dans 
l'existence  humaine.)  pp.  456-467.  —  R.  P.  Pèguks.  5?  le  mot  i^Verbe»,  en 


2-18         BEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Dieu,  est  un  nom  personnel.  (Commentaire  de  l'a.  I.  P  P.  Q.  XXXIV. 
Extrait  du  troisième  volume  actuellement  sous  presse  du  Commentaire 
français  littéral  de  la  Somme  théologique  de  St  Thomas  d'Aquin.  par  le 
R.  P.  Pègues.)  pp.  488-487.  —  C.  Sentroll.  Le  subjectivisme  Kantien, 
réponse  à  M.  l'abbé  Farges.  (Aux  critiques  formulées  par  M.  Farges 
{Revue  Thomiste,  Juillet-Âoùt  1907.  Comment  il  faut  réfuter  Kant), 
l'auteur  répond  :  P  Qu'il  est  nécessaire,  pour  se  placer  sur  le  terrain 
de  Kant.  de  commencer  par  l'examen  des  propositions  d'ordre  idéal 
plutôt  que  par  l'examen  de  l'objectivité  de  la  perception  sensible  ; 
2"  que  cet  examen  n'exclut  pas  le  second  ;  3°  que  sa  démonstration  de 
la  vérité  objective  des  propositions  d'ordre  idéal,  reste  valide.) 
pp.  488-oll.  =  Nov.-Déc.  —  G.  Bareille.  Saint  Jean  Chrysostome, 
docteur  de  VhJgiise.  (Retrace  les  principaux  épisodes  de  sa  vie). 
pp.  .559-583.  —  DoM.  P.  de  Puniet,  0.  S.  B.  Za  promesse  de  l'Eucha- 
charistie  (Jean,  v\)  interprétée  par  saint  Jean  Chrgsostome.  (Pour  saint 
Jean  Chrysostome,  saint  .lean  a  relaté  les  choses  telles  qu'elles  se  sont 
passées  dans  la  réalité.  Son  récit  forme  un  tout  homogène,  dont  les 
différentes  parties  se  groupent  autour  d'une  pensée  dominante  : 
l'annonce  du  dogme  eucharistique.)  pp.  ;)84-6l2  —  R.  P.  Garrigou- 
Lagrange.  Le  l^anthéisme  de  la  «  Philosophie  nouvelle  »  et  la  preuve  de  la 
transcendance  divine.  (Chez  M.  Bergson,  l'idéalisme  empiriste  de  la 
pensée-action  part  du  principe  nominaliste  :  «  il  y  a  plus  dans  le  mou- 
vement que  dans  l'immobile  »,  en  vient  à  regarder  le  devenir  comme 
la  réalité  fondamentale  et  définit  Dieu  «  une  continuité  de  jaillissement  », 
une  réalité  qui  se  fait.  Choses  créées  et  chose  qui  crée  sont  autant  de 
réifications  opérées  par  notre  intelligence  sur  le  devenir.  —  M.  Le  Roy 
reproduit  exactement  cette  doctrine  absolument  inconciliable  avec  le 
Concile  du  Vatican  ;  la  théorie  métaphysique  par  laquelle  il  pense 
philosophiquement  sa  foi  pratique  à  la  personnalité  de  Dieu,  détruit 
manifestement  cette  personnalité  au  lieu  de  l'expliquer  ;  Dieu  ne  se 
conçoit  plus  sans  le  monde.  —  La  preuve  de  la  transcendance  divine  est 
solidaire  du  principe  d'identité  :  si  le  principe  d'identité  est  loi  fonda- 
mentale de  la  pensée  et  du  réel,  la  réalité  fondamentale  doit  être  à 
l'être  comme  A  est  A,  Ipsum  esse.  Acte  pur.)  pp.  G12-642.  —  R.  P.  Bon- 
homme. —  Le  texte  biblique  du  théologien.  (Détermine  l'usage  que  peut 
faire  un  théologien  des  textes  de  la  Vulgate  conformes  et  des  textes 
non  conformes  aux  originaux.)  pp.  (31:5-662. 

RIVISTADI  SCIENZA.  3.  —  P.  Enrioues.  La  morte.  (D'une  analyse  de 
la  mort,  lauteuc  conclut  qu'il  n'est  pas  démontré  que  la  mort  soit  une 
conséquence  nécessaire  de  la  vie  ;  —  que  la  nécessité  de  mourir,  surtout 
dans  le  règne  animal,  se  répartit  d'après  les  différences  morphologiques 
et  la  diminution  du  pouvoir  d'assimilation  ;  —  que  la  diminution  de  ce 
pouvoir  s'afïirme  depuis  la  naissance  de  l'individu  jusqu'à  sa  mort.  Il 
suit  de  tout  cela  que  la  mort  n'est  que  la  rupture  brusque  d'un  équilibre 
dans  un  système  dynamique,  où  la  faculté  d'assimiler  était  en  diminu- 
tion progressive  et  continue.)  pp.  106-120  —  El).  Claparède.  La  Fonc- 
tion du  Sommeil.  (Trois  questions  à  résoudre  au  sujet  du  sommeil  : 
1°  Le  sommeil  est-il  un  phénomène  accidentel,   accessoire,  secondaire, 


RECENSION     DES     REVUES  2l9 

un  «  Nebeneftekt  »  de  la  vie  organique,  ou  en  est-il  une  condition,  une 
fonction?  ^^  Si!  est  une  fonction,  cette  fonction  est-elle  passive  ou 
active  ?  S'il  est  une  fonction  active,  quel  est  son  mécanisme  a)  consti- 
tutif, h)  déclancheur,  c)  final?  D'après  l'auteur,  qui  étudie  le  sommeil 
comme  un  phénomène  biologique,  ce  phénomène  est  une  fonclion  ;  il 
est  utile  comme  tel  à  la  vie  ;  c'est  une  fonction  active.  Le  mécanisme  du 
sommeil  est  plus  difficile  à  préciser.  Le  sommeil  est  de  nature  réflexe, 
un  instinct.  Ce  n'est  pas  parce  que  nous  sommes  intoxiqués  ou  épuisés 
que  nous  dormons,  mais  nous  dormons  pour  ne  pas  l'être.)  pp.  141-138. 

RIVISTA  STORICO-GRITICA  BELLE  SCIENZE  TEOLOGICHE.  Oct.  — 

V.  Ermoni.  La  Teologia  di  san  Paolo  (suite  à  suivre).  (Les  moyens  par 
lesquels  l'homme  entre  en  communication  avec  la  justice  intérieure 
méritée  par  le  Christ,  sont  de  deux  sortes  :  extérieurs  (sacrements)  ; 
intérieurs  (dispositions  morales  de  l'àme).  On  trouve  dans  saint  Paul 
des  textes  relatifs  a)  au  Baptême,  initiation  à  la  vie  du  Christ  et  rite 
purificateur  qui  ne  doit  rien  à  l'influence  des  religions  orientales;  b)  à 
la  Confirmation,  qui  était  administrée  à  peu  près  comme  aujourd'hui  ; 
c)  à  la  Pénitence,  pour  autant  qu'elle  est  une  conversion  du  cœur  avec 
la  douleur  du  péché  commis  ;  d)  à  l'Eucharistie,  dont  N.-S.  a  vraiment 
ordonné  la  continuation  après  sa  mort  ;  e)  au  Mariage  enfin,  auquel 
l'apôtre  assigne  pour  fin  l'union  du  Christ  et  de  l'Église.)  pp.  721-738, 
—  F.  Lanzoni.  Le  origini  del cristianesimo  e  delV  episcopato  nelV  Umbria 
Romana.  Note  critiche  (à  suivre).  (L'existence  du  Christianisme  et  d'un 
épiscopat  en  Ombrie  ne  peut  être  attestée  par  des  monuments  contem- 
porains des  premiers  siècles.  Parmi  les  documents,  le  premier  et  le  plus 
ancien  est  le  martyrologe  faussement  attribué  à  saint  Jérôme  (V*^  siècle). 
Il  permet  de  conclure  que  le  Christianisme  en  Ombrie  est  antérieur  à 
305;  un  autre  témoignage,  emprunté  à  d'anciens  bréviaires,  rend  pro- 
bable l'existence  d'un  épiscopat  ombrien  à  la  même  époque.)  pp.  739- 
7,56.  =  Nov.  —  F.  Lanzoni.  Le  origini  del  cristianesimo  e  delV  episcopato 
neW  Umbria  Romana.  Note  critiche  (suite).  (Les  passions  des  martyrs, 
bien  que,  dans  l'ensemble,  dépourvues  d'autorité,  ont  cependant  une 
valeur  documentaire  parce  qu'elles  supposent  et  respectent  les  listes  ou 
dyptiques  des  évêques.  Avec  leur  témoignage,  on  peut  suivre  la  trace  du 
Christianisme  ombrien  jusqu'à  la  fin  du  second  siècle.  L'origine  aposto- 
lique de  cette  église  repose  sur  une  légende  accréditée  principalement 
aux  XVP  et  XVlh  siècles.)  pp.  821-834.  —  G.  Nicolo  Sola.  //  teslo 
greco  inédite  délia  leggenda  di  Teofilo  di  Adana.  (Texte  et  traduction 
de  deux  nouveaux  manuscrits  contenant  en  grec  la  légende  de  l'Éco- 
nome Théophile,  personnage  populaire  en  Europe,  et  qui  vécut  en  Orient 
entre  538  et  610.  Le  présent  article  édile  le  premier  de  ces  textes, 
découvert  à  la  bibliothèque  de  Saint-Marc.)  pp.  8oo-848.  =  Dec  — 
A.  Manucci.  Su  le  recenti  teorie  circa  V evoluzione  storica  dei  Sacramenti 
(suite-à  suivre).  (Le  Concile  de  Trente  fut  amené  à  examiner  le  problème 
de  l'institution  des  sacrements  par  le  Christ,  à  propos  de  la  Confirma- 
tion et  de  l'Extrême-Onction.  Sa  décision  fut  préparée  par  un  raisonne- 
ment d'ordre  théologique.  Par  le  fait  qu'ils  procurent  la  grâce  et  consé- 
queinment  remettent   les  péchés,   les    sacrements   ne    peuvent    avoir 


.220         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

élé  institués  en  dehors  de  la  volonté  du  Christ.  Toutefois,  Dieu  peut 
conserver  par  devers  Lui  le  décret  d'institution  sans  le  révéler  ;  il 
suffit  que  Lui-même  le  fasse  promulguer  par  les  apôtres  ou  les  pasteurs 
de  l'Église.)  pp.  901-922. 

SCUOLA  CATTOLICA  (LA).  Oct.  —G.  Nogara.  Venciclka.  (Le  moder- 
nisme est  l'erreur  la  plus  périlleuse  de  ce  temps,  malgré  la  bonne  foi 
possible  de  certains  de  ses  propagateurs.  Le  pape  recommande  le 
retour  à  la  scolastique  :  celle-ci  n'est  pas  ennemie  du  progrès.)  pp.  377- 
387. —  A.  Cellini.  La  questione  porusiaca  (suite-à  suivre).  (Examine  le 
texte  de  Matt.  XXYI,  64.  Donne  les  diverses  interprétations  du  mot 
videbitis^a  dopte  la  signification  de  «  voir  »  dans  le  sens  le  plus  commun 
de  vision  organique  et  matérielle,  à  condition  pourtant  que  celle-ci  soit 
considérée  comme  symbole  d'une  intellection  inorganique  et  immaté- 
rielle.) pp.  41  4-425.  —  B.  Ricci.  Giove,  lahve,  Crislo  (suite-à  suivre). 
(Contre  Delitzsch,  prétendant  que  la  loi  mosaïque  était  inférieure  aux 
lois  païennes,  montre  que  le  code  de  Moïse,  dégagé  des  interprétations 
pharisiennes,  était  éminemment  moral  et  sage.)  pp.  439-432.  — 
E.  Love.  Galileo  e  V Inquisizione.  (A  propos  de  l'ouvrage  de  A.  Favaro 
portant  ce  titre  (Florence,  1907).  Étude  la  plus  complète  sur  ce  sujet 
d'après  les  documents  du  Saint-Office  et  des  archives  secrètes  du  Vati- 
can. Expose,  d'après  lui,  les  débuts  de  la  polémique  contre  Galilée.) 
pp.  4.33-409.  =  Nov.  —  Card.  A.  Ferrari.  Le  teorie  dei  modernisti. 
(Discours.  La  doctrine  moderniste  contient  des  erreurs  sur  la  foi  en 
elle-même,  dans  ses  rapports  avec  la  science,  dans  son  progrès  et  dans 
sa  défense  ;  sur  les  livres  saints  ;  sur  l'Église  en  elle-même,  dans  ses 
rapports  avec  l'État  ;  sur  les  sacrements  et  les  dogmes,  c'est  pourquoi 
elle  est  «  la  synthèse  de  toutes  les  hérésies  ».  Les  causes  de  ces  erreurs 
sont  la  curiosité  et  l'orgueil.)  pp.  .506-517.  —  F.  S.  Appunli  di  critica 
hiblica  (à  suivre).  (Contre  Gutope,  soutient  que  l'Évangile  de  saint  Marc 
n'est  pas  le  premier  en  date.)  pp.  318-526.  —  A.  Cellini.  La  questione 
parusiaca  (suite-à  suivre).  (Jean,  V,  23  :  le  contexte  montre  qu'il  s'agit 
là  plutôt  de  la  résurrection  spirituelle  que  de  la  résurrection  corporelle. 
Jean,  XXI,  22-23  :  penche  à  entendre  le  donec  vnniam  de  la  ruine  de 
Jérusalem.)  pp.  527-545.— D.  Berga^siascrï.  L' inquisizione  et  gli  eretici  a 
Cremona  (suite).  (Cite  quelques  luthériens  ou  anabaptistes  condamnés 
au  cours  du  XVI»  siècle  par  l'inquisition  de  Crémone.  Établit  le  lieu  du 
procès,  des  exécutions,  le  mode  de  sépulture  des  condamnés.  L'inquisi- 
tion disparut  en  1773-1783.)  pp.  554-565.  —  B.  Riccl  Giove,  lahve, 
Cristo.  (suite-à  suivTc).  (Comparée  aux  religions  païennes,  la  religion 
hébraïque  apparaît  bien  supérieure.^  pp.  565-571.  —  E.  Love.  Galileo  e 
l'Lvjuisiziune  (suite  à  suivre). (Reproduit  les  principaux  documents  cités 
par  Favaro  :  la  lettre  par  laquelle  le  P.  Lorini,  0.  P.  dénonce  Galilée, 
une  lettre  de  Galilée  au  bénédictin  Castelli,  divers  passages  de  l'inter- 
rogatoire, etc.)  pp.  579-589.  =  Dec.  —  G.  Ballerini.  I  miracoli  di  Cristo 
e  la  crilica  storica.  (Les  rationalistes  nient  le  miracle  au  nom  de  l'histoire, 
parce  qu'il  n'est  jamais  arrivé.  Ils  l'écartenl,  non  pour  des  motifs 
historiques,  mais  à  cause  de  leur  préjugés  rationalistes.)  pp.  633-654. 
—  A.  Cellini.  La  questione  porusiaca  (fin).  (Tire  quelques  corollaires,  et 


RECENSION     DES     REVUES  'i2l 

donne  quelques  preuves  confirmatives  de  son  explication  du  discours 
communément  appelé  eschatologique.)  pp.  670-686.  —  E.  Love.  GaliJeo  e 
rinqid.'^izio/ie  (fin).  (Expose  le  procès  de  1633  en  reproduisant  de  nom- 
breux documents  publiés  par  Favaro.)  pp.  705-724.  — B.  Ricci.  Giore, 
Ifdve,  Cristo  (suite).  (Dans  le  monde  païen,  grec  et  romain  surtout,  la 
tendance  vers  un  système  unitaire,  dirigé  par  un  être  suprême,  fut  un 
acheminement  vers  le  Christianisme.  Le  Judaïsme  fut  un  rudiment  de 
la  religion  chrétienne.)  pp.  725-730. 

SLAVORUM  LITTER^  THEOLOGIC^.  4.  —  Ad.  Spaldak.  De  sacra- 
mento  pcenilentue,  Thesis  IV.  (La  contrition  procédant  d'un  motif  de 
charité,  par  laquelle  la  bonté  divine  considérée  soit  absolument,  soit 
vis-à-vis  de  nous,  est  aimée  pour  elle-même  super  omnia  appretialive 
justifie  toujours,  avant  la  soumission  actuelle  au  pouvoir  des  clefs.) 
pp. 332-364. 

STUDIRELIGIOSI.  Juillet-Août.  —  A.  Palmiiîri,  La  FiJosofia  religiosa 
ciel  principe  Truhetzlcoi  (à  suivre).  (Retrace  la  carrière  du  philosophe 
russe,  ami  et  disciple  de  Soloviev,  le  prince  S.  N.  Trubetzkoi  décédé 
en  1905.  Trubetzkoi  et  Soloviev  ont  subi  profondément  l'influence  de 
l'école  des  Russes  slavophiles,  Kirieevsky,  Khomiakov,  Aksakov.  Un 
autre  point  à  considérer  pour  comprendre  la  philosophie  de  Trubetzkoi 
c'est  le  dédain  de  la  théologie  orthodoxe  pour  la  spéculation  rationnelle 
qui,  par  suite,  est  totalement  abandonnée  à  elle-même.) pp.  427-442.  = 
Sept. -Dec.  —  A.  Palmier:.  La  Filosofia  religiosa  del principe  Truletzlcoi 
(fin).  (Résume  les  idées  de  Trubetzkoi  sur  la  métaphysique  et  l'épisté- 
mologie,  sa  théorie  du  Logos,  sa  pliilosophie  religieuse.  Signale  ce  que 
Trubetzkoi  doit  à  Kant,  au  philosophe  bavarois,  F.  von  Baader  (y  1841), 
et  la  parenté  de  sa  philosophie  religieuse  avec  l'apologétique  deBlondel, 
Laberthonnière, Tyrrell.)  pp.  602-670.  —  F.  Mari.  Mazdeismo  e  Giudaismo. 
(Tableau  des  données  les  plus  assurées  touchant  l'origine  et  l'évolution 
du  Zoroastrisme  ;  comparaison  entre  ce  système  religieux  et  le  Judaïs- 
me. Sur  ce  dernier  point,  conclut  à  une  influence  modérée  du  Parsisme 
sur  le  Judaïsme.  Celui-ci  trouva  dans  le  Parsisme  de  quoi  développer 
certaines  idées  qu'il  possédait  en  germe.)  pp.  671-709. 

TEYLER'S  THEOLOGISCH  TIJDSCHRIFT.  4.  —  A.  Bruining.  De 
roomsche  leer  van  het  donum  superadditum.  (Rectifie  quelques  fausses 
interprétations  de  ses  coreligionnaires  protestants  au  sujet  de  l'ensei- 
gnement catholique  sur  les  rapports  de  la  nature  humaine  avec  les  dons 
surnaturels.  De  ce  que,  d'après  la  doctrine  catholique,  le  péché  originel 
n'a  pas  corrompu  radicalement  la  nature  humaine,  mais  lui  a  seulement 
enlevé  les  dons  surnaturels  en  infligeant  une  blessure  accidentelle,  les 
protestants  concluent  à  tort  que,  pour  les  catholiques  :  1°  la  nature 
humaine  serait,  par  elle-même,  incapable  de  connaissance  et  de  pratique 
religieuses  ;  2°  la  grâce  sanctifiante  serait  un  ornement  tout  extérieur, 
sans  aucun  point  d'attache  avec  la  nature.  —  Les  motifs  qui  ont  poussé 
l'Ëglise    catholique    à  définir  dans  le   sens  susdit  les  effets    du  péché 


222         HEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

originel  sont  :  1°  l'impossibilité  réelle  d'une  corruption  totale  de  la 
nature  ;  2°  la  doctrine  que  l'homme  ne  peut,  par  les  seules  forces  de  la 
nature,  parvenir  à  sa  plus  haute  perfection  possible.  —  Enfin,  l'affir- 
mation catholique  de  la  suffisance  de  lattrition  pour  la  réception  du 
sacrement  de  pénitence,  affirmation  mal  comprise  chez  les  protestants, 
n'a  pas  sa  source  dans  la  doctrine  sur  les  effets  du  péché  originel.) 
pp.  564-597. 

ZEITSCHRIFT  FUR  ALTTESTAMENTLICHE  WISSENSCHAFT.  2.  — 
H.  H  Spoer.  Versuch  einer  Erklàriniy  von  Psalm  JS.  (L'auteur,  après 
Graetz  et  autres  commentateurs,  traite  de  l'unité  de  ce  psaume  qu'il 
estime  post-exilique,  notamment  d'après  des  particularités  linguistiques, 
en  plus  de  ses  rapports  avec  le  Deutéronome,  etc.  Il  n'est  pas  un  ;  le 
«  Je  »  représente  tantôt  la  communauté,  tantôt  un  individu.  Ce  Psaume 
semble  composé  de  deux  poèmes  et  d'un  fragment  :  1°  1  —  7  -j-  li-j- 
17  —  29  -|-  31,  (Ps.  A)  où  la  figure  de  Dieu  est  avant  tout  éthique,  et 
celui  qui  parle  un  persécuté  pour  la  justice  ;  2°  30  -f-  32  —  51  (Ps.  B), 
chant  guerrier  oii  un  héros  célèbre  le  dieu  des  batailles.  Ce  Psaume  B 
seraitconsacré  à  la  louange  de  Jean  Hyrcan  (135-104  av.  J.  C.)  et  posté- 
rieur à  l'an  129.  Les  «  pieux  »  l'auraient  uni  plus  tard  au  Ps.  A  pour 
donner  au  tout  une  couleur  de  messianisme  plus  spirituel  ;  3°  enfin,  le 
fragment  8  —  13  -(-  15  —  16,  théophaniequi  offre  un  bon  parallèle  avec 
la  lutte  de  Mardouk  et  de  Tiâmat.  Remarques  critiques  sur  le  texte.) 
pp.  Ii.j-l6l.  —  W.  Caspari.  Ueber  semasiologische  Unlersuchungen 
am  hebraischen  Worlerbuche.  (Par  de  nombreux  exemples,  après 
avoir  rappelé  les  relations  des  Israélites  avec  les  Cananéens,  Phéniciens, 
Araméens,  etc.,  l'auteur  fait  ressortir  la  grande  importance  de  la  «  Wort- 
forschung  »  étymologique,  qui  pourrait  s'appeler  psychologique 
comme  les  recherches  sur  la  synonymie,  pour  nous  faire  entrer  dans 
l'âme  d'Israël,  en  nous  faisant  voir  de  quelles  représentations  sensibles, 
correspondant  à  quels  sentiments,  ce  peuple  est  parti  pour  se  repré- 
senter les  réalités  non  sensibles.)  pp.  162-261.  —  M.  L.  Margolis.  Slu- 
dien  im  griechischen  alten  Testament.  ^Observations  très  nombreuses  et 
méthodiques  sur  le  grec  lui-même  de  l'A.  T.,  la  manière  de  traduire,  les 
connaissances  linguistiques  et  l'exégèse  des  traducteurs,  etc.)  pp.  2l2- 
270.  —  R.  Smend.  Nachlràgliches  zur  Textûberlieferung  des  Si/rischen 
Sirach.  pp.  271-275.  —  Margolis.  Zu  Seile  142  des  vorigen  Jnhrgangs. 
(Discussion  de  détail  contre  Isr.  Lévi.)  pp. 276-277.  —  Ed.  Kunig,  W.  Bâche, 
S.  Krausz  et  A.  Marmorsteix.  Zu  den  hehrO-ischen  Finalbuchslaben.  Sur 
les  lettres  '•  vsjds  ''  •)  pp.  278-284.  —  Miscellen.  (Bâche,  Krausz, 
Nestlé.)  pp.  285-303. 

ZEITSCHRIFT  FUR  KATHOLISCME  THEOLOGIE.  4.  —  Joh.  Stufler, 
S.J.  Die  BehandluHfi  der  GefaUenen  zur  Zeif  der  decischen  VerfoJgunq.  (Des 
lettres  de  Cyprien  et  du  clergé  de  Rome,  il  appert  qu'à  Rome,  comme  à 
Carthage,  tous  les  lapsi  pouvaient,  déjà  avant  le  milieu  du  III«  siècle,  en 
cas  de  sincère  pénitence,  obtenir  l'absolution  sacramentelle.  Cette 
pratique  ne  fut  pas  d'abord  introduite  sous  la  persécution  de  Dèce,  par 


RECENSION    DES     REVUES  22;'> 

la  force  des  circoQslances,  mais  repose  sur  la  tradition  ancienne.  11 
n'existe  pas  même  de  mémoire  d'une  pratique  contraire,  d'un  refus 
d'absolution.  Thèse  dirigée  contre  Harnack.  {ReaJencyld.  fiir  pro/esf. 
TIteol.  V.  Hauck^  Bd.  14.  Art.  :  «Novatian»  p.  '2-29  svv.),  Funk,  {Kirchen- 
gesch.  Aihandlungen  u.  Uiifersuchungen.l,  1o8.),Batiffol,  {Etudes  dlnsfoire 
çt  de  théologie  positive,  \\  107).  Examen  des  arguments  de  Harnack.)  pp. 
r)77-6l8.  —  D'"  Jou.  Ernst.  Dis  Tauftekre  des  «  Liber  de  rebaptismate  ». 
(L'auteur  maintient  l'interprétation  donnée  par  lui  de  ce  traité  pseudo- 
cyprianique  et  la  défend  contre  le  sens  qu'ont  prêté  à  cet  écrit  le 
D'  Â.  Beck  {Der  Katholik,  1900,  pp.  40-64.  Kirchliche  Studien  u. 
Quetlen,  1903,  pp.  1-57)  et  le  Prof.  Hugues  Kocu  {SonderabdrucJc  ans  deni 
Vorhsimgsverzeirhnis  des  Icgl.  Lyceum  Hosianimi,  Braunsberg,  Grimme, 
1907).  Thèses  fondamentales  du  D'"  Ernst  :  l'auteur  du  traité  distingue 
un  baptême  d'eau  et  un  baptême  du  Saint-Esprit.  Le  baptême  d'eau  ne 
confère  pas  par  lui-même  la  grâce,  mais  seulement  un  droit  à  son  ob- 
tention. La  rémission  des  péchés  et  la  grâce  sont  l'efTet  du  baptême  du 
Saint-Esprit, et, pour  l'ordinaire,  ce  baptême  est  identique  avec  l'imposi- 
tion des  mains, la  confirmation.)  pp.  648-699.  — Aiialekten.  J.  G.  Hagen, 
S.  J.  Astronomische  <c  Irrtiimer  »  in  der  Bihel.  (Quelques  idées  venues  à 
l'auteur  après  lecture  de  l'article  du  P.  Fonck,  S.  J.  :  Die  )iaturirissen- 
sdtaftlidiea  Schivierigkeiten  in  der  Bibel  (même  Revue,  1907,  n.3,  pp.  401- 
432.)  Les  expressions  astronomiques  de  la  Bible  sont-elles  fausses?  Le 
principe  d'où  l'on  part  pour  l'affirmer  est  le  suivant  :  les  expressions 
bibliques  sont  fausses,  quand,  bien  qu'elles  s'adaptent  aux  apparences 
extérieures,  elles  contredisent  néanmoins  le  fond  réel  des  choses.  Mais 
à  ce  compte,  non  seulement  le  langage  vulgaire,  mais  encore  le  langage 
technique  fourmille  d'erreurs  astronomiques.  Ce  qui  est  faux,  ce  ne 
sont  pas  les  expressions  bibliques,  mais  ce  principe  même.)  pp.  750- 
755.  —  D""  K.  Fruustorfer.  Ein  assyrisch-bahyJonisches  Gedirht  und  das 
iibtisrhe  BucJi  Job.  (Il  s'agit  d'un  texte  d'écriture  cunéiforme  traduit  par 
Zimmern  dans  la  revue  «Âlte  Orient»  Ann.  7,  n.  3,  pp.  28  svv.  L'auteur 
reproduit  le  texte,  l'analyse,  et  établit  le  parallèle  que  présente  cet  écrit 
avec  le  Livre  de  Job.)  pp.  755-763. 

ZEITSCHRIFT  FUR  DIE  NEUTESTAMENTLICHE  WISSENSGHAFT.  4. 

—  K.  SciiÛTZ.  Zion  ersfen.  Teil  des  Johannesevanyeliunt.  (Signale  dans  les 
six  premiers  chapitres  du  IV^  Évangile  tel  que  nous  l'avons,  certaines 
diflicultés  d'ordre  interne,  en  matière  surtout  d'indications  de  lieu  et 
de  temps,  qui  tendent  à  établir  que  le  texte  primitif  de  cet  Évangile  a 
subi  d'importants  remaniements.)  pp.  243-255.  —  E.  Wendling.  Synop- 
tische  Studien.  \.  Die  Versuchungsgeschichte.  (Soutient,  contre  Harnack,  que 
lerécit  de  la  tentation  J/r^//.  iv,l-ll  dépend  de  Marc  comme  source, et  sous 
sa  forme  spéciale  est  l'œuvre  non  de  Q.,  mais  du  Proto-Malthieu. 
Luc  a  combiné  Marc  et  le  Proto-Matthieu.)  pp.  256-273.  —  P.  Glaue. 
Ziir  Erhtheit  von  Cyprians  3.  Buch  der  Testinionia.  (Maintient  contre 
Haussleiter  et  Harnack  la  non-authenticité  du  Livre  m  des  Testimonia 
attribués  à  saint  Cyprien.  Suggère  comme  auteur  Commodien.)  pp.  274- 
289.  —  M.   W.   MuELLER.   Die  apolcatypiisrhen    Reiter.  (Les  cavaliers  de 


224  REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

l'Apocalypse  n'ont  rien  à  voir  avec  les  mythes  Babyloniens  relatifs  aux 
sept  planètes.  Ils  sont,  originairement, l'expression  mythique  des  phases 
quotidiennes  et  annuelles  du  soleil,  comme  en  témoigne  le  folk-Iore 
d'un  grand  nombre  de  peuples.)  pp.  290-316.  —  0.  Holtzmann.  Die 
Kilrzungen  des  Xoinens  Jahve.  (Maintient  contre  Schlirer  qu'il  était  licite 
aux  Juifs  de  prononcer  les  formes  abrégées  du  nom  de  Jahvé.)  pp. 
317-318. 


Le  fjérant  :  G.  Stoffel. 


Super iorum  permissu. 


De  Ucentia   Ordinarii. 


IMP.  DESCLÉE,  DE  BROITWER  ET  C'e,  LILXE.  —   4. 022. 


La  nature  de  rémotion 
selon  les  modernes 
et  selon  Saint  Thomas 


D\NS  le  Bulletin  de  Psychologie  paru,  en  avril  dernier,  dans 
la  Revue  des  Sciences  philosophiques  et  théologiques  (1)  nous 
avons  eu  l'occasion  de  parler  des  deux  théories  modernes  anta- 
gonistes sur  la  nature  de  l'émotion  :  théorie  pJiysiologique  et 
théorie  intellectualiste.  Après  les  avoir  brièvement  résumées,  nous 
avons  esquissé,  en  regard  d'elles,  la  théorie  de  saint  Thomas, 
dont  nous  avons  dit  l'originalité  et  dont  nous  avons  laissé  entre- 
voir l'adaptation  possible  aux  données  expérimentales  de  la  psy- 
chologie d'aujourd'hui. 

Nous  voudrions  reprendre  avec  plus  d'ampleur  cette  compa- 
raison, c'est-à-dire  étudier  avec  plus  de  détails  la  position  et  les 
arguments  tant  de  la  théorie  physiologique  que  de  la  théorie 
intellectualiste,  puis  exposer  la  théorie  de  saint  Thomas  et  mon- 
trer que  si  elle  se  sépare  nettement  des  deux  précédentes,  elle 
est  cependant  assez  compréhensive  pour  adopter,  à  son  profit, 
la  part  de  vérité  qu'elles  renferment. 

Dans  les  pages  qui  vont  suivre,  et  particulièrement  dans  celles 
qui  contiendront  l'exposé  de  la  théorie  thomiste,  nous  emploie- 
rons indifféremment  et  comme  synonymes  le  mot  d'  «  émotion  » 
et  celui  de  «  passion  ».  Sans  doute  quelques  psychologues  con- 
temporains établissent  une  distinction  entre  l'émotion  et  la  pas- 
sion (2).  Ce  n'est  pas  le  lieu  d'examiner  si  cette  distinction  est 
justifiée  (3).  Le  serait-elle,  que  cela  importerait  peu  dans  l'étude 
présente,  pour  la  raison  toute  simple  que  le  fait  analysé  par  les 
modernes  et  qu'ils  nomment  «  émotion  »  est  absolument  le  même 
que  le  fait  analysé  par  saint  Thomas  et  qu'il  nomme  «  passion  ». 


1.  Tome   I,   année   1907,   p.   312  et   suiv. 

2.  C'est  l'opinion  de  M.  Ribot,  Essai  sur  les  passions.   Paris,  Alcan,   1907, 

3.  Cf.  Rev.  des  Se  Phil   et   Theol,   loc.   cit.,   p.   326, 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  2.  15 


226         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

Nous  verrons  donc  :  1°  les  théories  modernes  de  rémotion, 
c'est-à-dire  la  théorie  physiologique  et  la  théorie  intellectualiste; 
2"  la  théorie  de  V émotion  selon  saint  Thomas. 


LES    THÉORIES    MODERNES    DE    L'ÉMOTION 


1.  —  Théorie  Physiologique. 

On  pourrait  déjcà  trouver  les  lignes  générales  de  cette  théorie 
chez  les  mécanicistes  français  du  XVIP  siècle.  ]\Iais  nous  n'avons 
pas  à  faire  ici  l'histoire  de  la  tliéorie.  Nous  nous  contenterons  de 
l'exposer  d'après  ses  défenseurs  contemporains  les  plus  attitrés, 
savoir  :  le  Docteur  Lange,  psychologue  danois  (1),  et  le  Profes- 
seur américain  William  James  (2)  qui,  tous  deux,  dans  des  tra- 
vaux indépendants,  aboutirent  aux  mêmes  conclusions. 

Lange  et  James  sont  d'accord  sur  la  méthode  à  employer  dans 
l'étude  des  émotions.  Pour  eux  l'analyse  subjective,  introspec- 
tive,  est  à  rejeter  :  elle  est  trop  confuse,  disent-ils,  et  présente 
des  caractères  individuels  trop  variables,  pour  qu'on  paisse  faire 
sortir  d'elle  une  tliéorie  générale  sur  la  nature  de  l'émotion. 
Avant  tout,  ce  sont  les  caractères  objectifs  de  l'émotion,  qu'il 
importe  de  dégager  ;  et  c'est  d'autant  plus  facile,  écrit  Lange, 
que  «  quand  un  honmie  est  triste  ou  gai,  angoissé  ou  irritéi,  il 
n'est  pas  seulement  atteint  dans  sa  sensibilité  personnelle  et 
subjective  ;  —  en  général,  il  laisse  voir  son  état  à  ceux  qui  l'en- 
tourent par  toutes  sortes  d'expressions  physiques  involontai- 
res.... »  (3)  «  Ces  expressions  corporelles,  continue  le  même  au- 
teur, offrent  un  point  de  départ,  le  seul  assurément  scientifique, 
mais  on  ne  s'est  pas  préoccupé  jusqu'à  présent  de  l'y  cher- 
cher (4).  » 

Une  fois  prise  cette  attitude  méthodique  d'observation  tout 
objective  et  impersonnelle,  on  nous  décrit,  par  leurs  manifestations 


1.  Mind,  IX,  1884.  What  is  an  Emotion?;  —  The  Principles  of  Psychology, 
ch.  XXIV,  New-York,  1890.  —  Le  Dr  G.  Dumas  a  traduit  eu  français 
les  écrits  de  Janies  sur  l'émotion,  sous  le  titre  :  La  théorie  des  émotions, 
Paris,  Alcan,  1903. 

2.  IJéber  Geviiithbewegungcn,  Leipzig,  1887  (trad.  du  danois);  Les  Émo- 
tions, Paris,  Alcan,   1895  (Trad.   de  l'allemand,    par  le  Dr  G.  Dumas). 

3.  Les  Émotions,  p.  28. 
1  Ibid. 


l'émotion    selon    les    .VODERNES    et    s.    THOMAS  227 

extérieures,  les  émotions  les  mieux  caractérisées  :  la  joie,  la 
tristesse,  la  colère,  la  peur,  etc.  James  s'en  remet  à  Lange  pour 
cette  description  ;  car,  pour  lui,  «  cette  littérature  purement  des- 
criptive est  une  des  parties  les  plus  ennuyeuses  de  la  psycho- 
logie. »  (1)  Nous  retiendrons  l'avertissement  du  professeur  amé- 
ricain, et  nous  ne  prendrons  au  psychologue  danois  qu'un  très 
bref  résumé  de  ses  prolixes  développements. 

Soit,  par  exemple,  l'émotion  de  tristesse.  Le  trait  caractéris- 
tique de  sa  physiologie  et  par  suite  de  sa  physionomie  extérieure, 
est  l'action  paralysante  qu'elle  exerce  sur  les  muscles  volontaires. 
Regardons  un  homme  triste  :  il  va  lentement,  les  bras  ballants  ; 
sa  voix  est  faible  ;  volontiers  il  s'arrête,  s'affaisse,  se  laisse 
tomber  ;  son  visage  s'effile  ;  ses  joues  pâlissent,  s'étirent  et 
pendent  ;  ses  yeux  paraissent  grands,  la  paupière  supérieure 
ayant  de  la  peine  à  se  relever  ;  ses  mouvements  sont  paresseux, 
fatigués  :  il  est  anéanti.  Tous  les  muscles  volontaires  semblent 
ainsi  borner  leur  axtion  au  minimum  ;  les  muscles  involontaires 
se  détendent  eux  aussi,  particulièrement  ceux  des  tuniques  ar- 
térielles, dont  le  rôle  normal  est  d'amoindrir  par  leur  oonslric- 
tion  le  calibre  des  vaisseaux  ;  de  la  sorte  le  sang  est  exprimé 
des  petites  veines  :  d'où  l'anémie  des  tissus,  la  pâleur,  le  col- 
lapsus  des  chairs,  puis  conséquemment,  les  frissons,  le  tremble- 
ment, etc.  —  L'émotion  contraire  à  la  tristesse,  la  joie,  a  une 
physionomie  extérieure  qu'on  pourrait  ainsi  résumer  :  la  sur- 
activité de  l'appareil  moteur  volontaire  et  une  dilatation  des 
vaisseaux  les  plus  fins.  L'homme  joyeux  agit  avec  célérité  ;  son 
activité  semble  décuplée  ;  il  a  besoin  de  se  remuer,  de  gesti- 
culer largement,  de  parler  fort  et  beaucoup,  de  crier,  de  chanter  ; 
son  visage  s'épanouit,  s'élargit,  devient  rond  ;  ses  yeux  brillent, 
étincellent  ;  tous  les  muscles  sont  en  agitation  ;  tous  les  petits 
vaisseaux  ont  augmenté  leur  afflux  sanguin  :  les  joues  se  co- 
lorent, rougissent  et  brûlent  ;  etc.  —  Inutile  de  poursuivre  la 
description  détaillée  soit  des  émotions  de  joie  et  de  tristesse  et 
de  leurs  variétés,  soit  des  autres  émotions  de  peur,  de  colère, 
qui  elles  aussi  ont  leur  aspect  physiologique  propre.  Ce  qui  nous 
importe  ici,  ce  ne  sont  pas  ces  faits,  que  personne  n'a  jamais 
contestés,  mais  les  théories  greffées  sur  eux. 

De  quelle  nature  est  donc,  selon  la  théorie  physiologique,  le 
rapport  qui  unit  les  émotions  à  leurs  expressions  organiques  ? 
La  psychologie  traditionnelle,  nous  dit-on,  fait  des  émotions  «  des 

1.  La  théorie  de  l'émotion,  p.  57. 


-228         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

forces,  des  substances,  des  démons  (1)  »,  bref  des  sortes  d'en- 
tités métaphysiques.  Mais  ce  n'est  là  que  de  la  métaphore.  La 
chose  est  bien  plus  simple.  Les   causes   de  l'émotion  ne   sont 
point  psychiques,  mais  selon  Lange  et  James,  indubitablement 
physiologiques.    La    psychologie    courante  pense    généralement 
qu'une  perception  mentale  d'un  fait  provoque  un  état  psychique 
affectif  que  l'on  appelle  émotion,  et  que  ce  dernier  état  psychique 
provoque  à  son  tour  l'expression  corporelle.  «  Ma  tliéorie,  écrit 
James,  soutient  au  contraire  que  les  changements  corporels  sui- 
vent immédiatement  la  perception  du  fait  excitant  et  que  le  sen- 
timent que  nous  avons  de  ces  changements,  à  mesure  qu'ils  se 
produisent,  c'est  l'émotion.  Le  sens  commun  dit  :  Nous  perdons 
notre  fortune  :  nous   sommes   affligés  et  nous  pleurons  ;   nous 
rencontrons  un  ours  :  nous  avons  peur  et  nous  nous  enfuyons  ; 
un   rival  nous   insulte  :  nous  nous  mettons  en   colère   et  nous 
frappons.  L'hypothèse  que  nous  défendons  (c'est  toujours  James 
qui  parle)   est  que  cet  ordre  de  succession   est  inexact,  qu'un 
état  mental  n'est  pas  immédiatement  amené  par  l'autre,  que  les 
manifestations  corporelles  doivent  d'abord  s'interposer  entre  eux 
et  que  la  formule  la  plus  rationnelle  consiste  à  dire  :  nous  som- 
mes affligés,  parce  que  nous,  pleurons  ;  irrités,  parce  que  nous 
frappons  ;  effrayés,  parce  que  nous  fuyons,  et  non  pas  :  nous 
pleurons,  frappons  et  tremblons,  parce  que  nous  sommes  affligés, 
irrités  ou  effrayés  selon  les  cas.  »  (2)  ' —  «  Si  je  tremble,  dit  à 
son  tour  Lange,   en  voyant  un  pistolet  braqué   sur  moi,  est-ce 
qu'il  se  produit  d'abord  un  état  purement  psychique,  une  an- 
goisse qui  détermine  mon  tremblement,  mes  palpitations  de  cœur, 
et  l'égarement  de   ma  pensée  ;   ou  bien   ces   phénomènes  phy- 
siques sont  ils  directement  produits  par  la  cause  effrayante,  et 
l'émotion  provient-elle  exclusivement  des   troubles  fonctionnels 
de  mon  corps?  »  (3)  Pour  lui,  comme  pour  James,  l'état  affectif 
psychique   qui,    selon   la  psychologie  ordinaire,   précéderait  et 
provoquerait  les  mouvements  organiques  passionnels,  n'est  rien, 
n'existe  pas  ;  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  le  poser  comme  l'émo- 
tion elle-même  j  celle-ci  n'est  pas  autre  chose  que  la  sensation, 
le  sentiment,  la  cénesthésie  de  ces  mêmes  mouvements  organiques. 
Ainsi  formulée,  la  théorie  physiologique  de  l'émotion  semble 
bien  paradoxale.  Afin  de  ne  pas  la  trop  mal  juger  par  ce  premier 


1.  Ouv.  cit.,  p.  96. 

2.  Ouû.  cit.,  p.  60. 

3.  Ouv.  cit.,  p.  98. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    TIIOlStAS  229 

coup  cl'œil,  il  nous  faut  voir  les  preuves  sur  lesquelles  elle  cnoil 
pouvoir  s'appuyer, 

La  preuve  invoquée  par  Lange  est  celle-ci  :  «  Si  les  expres- 
sions physiques  des  émotions  peuvent  se  produire  par  tine  voie 
purement  physique...  l'hypothèse  psychique  ne  sera  plus  néces- 
saire. »  Or  il  est  facile  de  montrer,  d'après  des  expériences  quo- 
tidiennes, que  «  les  émotions  peuvent  être  produites  par  beau- 
coup de  causes  qui  n'ont  rien  à  faire  avec  les  mouvements  de 
l'âme,  et  que,  d'autre  part,  elles  peuvent  également  être  répri- 
mées et  domptées  par  des  moyens  physiques.  »  Ainsi  le  vin  et 
les  boissons  spiritueuses  combattent  la  tristesse  et  la  crainte  ; 
certains  champignons,  en  particulier  les  agarics,  peuvent  pro- 
voquer des  accès  de  violence  et  de  rage  ;  le  haschich  détermine 
un  état  joyeux,  une  gaieté  qui  va  jusqu'à  l'exubérance  désor- 
donnée ;  les  douches  froides,  les  bains,  calment  les  états  de  colère 
et  la  violence,  etc.  (1) 

Enfin,  dit  Lange,  «  si  quelque  chose  peut  démontrer  d'une 
façon  évidente  l'inutilité  de  l'h^rpotlièse  d'une  émotion  purement 
psychique,  c'est  assurément  le  fait  suivant  :  les  émotions  peu- 
vent se  produire,  sans  être  provoquées  par  aucune  impression 
extérieure,  aucun  accident  qui  puisse  agir  sur  notre  vie  mentale, 
aucun  souvenir,  aucune  association  d'idées  ;  elles  se  produisent 
m  optimo  forma  et  souvent  avec  la  plus  grande  intensité  dans 
certains  états  morbides  acquis  par  l'organisme  ou  transmis  par 
les  parents.  »  (2) 

James  voulant  établir  le  bien  fondé  de  la  tliéorie  physiolo- 
gique est  bien  moins  hardi  et  plus  habile  que  Lange  dans  son 
procédé.  Il  avance  une  présomption  a  priori  en  faveur  de  la 
théorie,  lui  ajoute  quelques  traits  confirmateurs,  enfin  s'attache 
à  écarter  les  objections  qu'on  pourrait  soulever.  Suivons-le  dans 
cette  marche  progressive.  Tout  d'abord  il  commence  par  poser 
comme  certains  et  au-dessus  de  toute  contestation,  ces  deux  faits  : 
1°  tout  changement  corporel,  quel  qu'il  soit,  est  senti,  d'une  ma- 
nière vive  ou  d'une  manière  obscure,  au  moment  même  où  il  se 
produit;  2°  une  émotion  humaine,  sans  aucun  lien  avec  le  corps, 
ne  saurait  exister. 

Ceci  admis,  James  avance  cette  présomption  en  faveur  de  sa 
théorie  :  Une  émotion  étant  supposée  exister  dans  sa  plénitude, 
essayons  par  un  effort  spéculatif  (James  sait  fort  bien  que  con- 


1.  P.   102  et  suiv. 

2.  p.    109-110. 


230         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

crètement  la  dissociation  qu'il  demande  est  irréalisable)  de  re- 
trancher les  éléments  de  sensation  de  cet  état  émoti'Onnel,  et  de 
dire  ensuite  quels  en  sont  les  éléments  résiduels.  Demandons- 
nous  ce  qui  demeure  de  l'émotion,  après  cette  ablation  mentale  ? 
«  Quelle  espèce  d'émotion  de  peur  resterait-il,  s'il  n'y  avait  ni 
sensation  de  battements  de  cœur  ou  de  respiration  peu  profonde, 
ni  sensation  de  chair  de  poule  ou  d'agitations  viscérales  ?  Il  m'est 
absolument  impossible,  dit  James,  de  le  concevoir.  Peut-on  se 
figurer  l'état  de  rage  sans  le  bouillonnement  intérieur,  la  colo- 
lation  du  visage,  la  dilatation  des  narines,  le  grincement  des 
dents,  l'impulsion  à  une  action  vigoureuse  ?...  De  même  pour  le 
chagrin  :  que  serait-il,  sans  ses  larmes,  ses  sanglots,  son  op- 
pression du  cœur,  son  angoisse  dans  le  sternum?  »  (1)  A  la  place 
de  la  peur,  de  la  colère,  de  la  tristesse,  il  ne  restera  plus  qu'une 
perception  cognoscitive  pâle  et  décolorée,  un  jugement  abstrait 
d'après  lequel  tel  objet  sera  froidement  constaté  comme  dange- 
reux, regrettable,  affligeant.  —  Ainsi  l'émotion,  apparaît  à  la  ré- 
flexion, comme  constituée  seulement  par  la  sensation  des  mouve- 
ments et  variations  organiques. 

Mais  cette  conception  de  James  n'est,  jusqu'ici  qu'une  hypo- 
thèse. «  Elle  peut  être  vraie,  dit-il,  mais  rien  de  plus,  et  il  s'en 
faut  de  beaucoup  que  la  preuve  définitive  en  soit  faite.  Le  seul 
moyen  de  montrer  qu'elle  est  fausse  serait  de  prendre  une  émo- 
tion et  d'y  faire  voir  des  qualités  de  sensation  purement  spiri- 
tuelles dont  on  prouverait  qu'elles  s'ajoutent  à  toutes  celles  qui 
peuvent  provenir  des  organes  affectés  au  même  moment.  »  (2) 

—  «  D'autre  part  nous  obtiendrions  une  preuve  positive  de  la 
théorie  si  nous  pouvions  trouver  un  sujet  absolument  anesthésié, 
intérieurement  et  extérieurement,  mais  non  pas  paralytique,  de 
telle  sorte  que  les  objets  capables  de  provoquer  l'émotion  puis- 
sent susciter  de  sa  part  les  expressions  corporelles  ordinaires,  et 
qui,  interrogé,  affirmerait  qu'il  n'a  ressenti  aucune  affection  émo- 
tionnelle subjective.  »  (3)  Cette  expérience,  dite  «  cruciale  »  est 
d'ailleurs  impossible  à  trouver,  puisqu'une  anestliésie  complète 
supprimerait  les  réflexes  et  la  \'ie  (-4).  James  cite  pourtant  trois 
cas  d'anesthésie  presque  complète,  où  malheureusement  pour  son 
interprétation  —  on  a  le  droit  de  s'étonner  qu'il  invoque  ces  cas 

—  des  états  émotionnels  se  sont  manifestés  malgré  l'anesthésie. 


1.  Ouv.  cit.,  p.  64-65. 

2.  Ibid..    p.    70. 

3.  Ibid,   p.    71. 

4.  G.   Dumas.   Intmrluction  à  La  théorie  des  émotions  de  Lange,  p.  10. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  231 

A  défaut  de  preuve  positive,  James  avance,  en  faveur  de  la 
théorie,  des  probabilités  qu'il  fait  valoir  en  réfutant  les  princi- 
pales objections   que  cette  théorie  soulève  (1). 

Vous  n'avez,  lui  dira-t-on,  aucune  preuve  évidente  à  l'app^ii 
de  ce  postulat  que  des  perceptions  particulières  produisent  effec- 
tivement des  effets  corporels  très  étendus  par  une  SDrte  d'in- 
fluence immédiate,  antérieure  à  l'apparition  d'une  émotion  'OU 
d'une  idée  émotionnelle.  —  Au  contraire,  répond  James,  les  cas 
sont  fréquents  où  les  mouvements  et  réflexes  physiques  suivent 
immédiatement  la  perception,  sans  aucun  intermédiaire  :  la  nar- 
ration d'un  fait  héroïque  nous  envahit  d'émotion  comme  une 
vague  soudaine  ;  une  forme  noire  se  mouvant  dans  l'ombre  nous 
fait  brusquement  trembler  ;  tel  enfant  en  bas  âge  s'évanouit  en 
voyant  un  cheval  saigner  ;  telle  personne  ne  peut  rester  sans 
frayeur  près  d'un  canon  qu'on  tire,  tout  en  sachant  fort  bien  qu'il 
n'y  a  aucun  danger  pour  elle.  Enfin  la  pathologie  mentale  — 
c'est  le  même  argument  que  celui  de  Lange  —  nous  offre  des 
cas  de  phobies,  d'accès  de  fureur,  de  joies  délirantes,  etc.,  dans 
lesquels  l'émotion  n'a  pas  d'objet. 

Si  votre  théorie  est  vraie,   objectera-t-ion  encore  à  James,  on 
devrait  éprouver  toutes  les  émotions  dont  on  imite  l'expression 
physiologique  ;  or  ce  n'est  pas  le  cas,  puisqu'un  acteur  peut  fort 
bien  simuler  une  émotion,  tout  en  ne  l'éprouvant  d'aucune  façon 
cà  l'intérieur.  —  James  répond  que  la  plupart  des  émotions  sont 
inimitables  complètement,  car  elles  possèdent  des  manifestations 
physiques  se  produisant  dans  des  organes  que  la  volonté  ne  peut 
aucunement  influencer.  Mais  dans  la  mesure  où  l'expérience  est 
possible,  elle  paraît  plutôt  confirmer  la  thèse.  En  effet  la  fuite 
aggrave  une  panique  ;  chaque  accès  de  sanglots  rend  le  chagrin 
plus  intense;   dans  la  colère,   nous   nous   «  montons  »  jusqu'au 
paroxysme  par  des  explosions  répétées  d'expressions.  Refusez- 
vous  à  exprimer  une  passion,  elle  meurt  ;  comptez  jusqu'à  dix 
avant  de  donner  libre  cours  à  votre  colère,  et  ce  que  vous  allez 
faire  vous  semblera  ridicule.  Sifflez  en  passant  dans  un  bois  et 
votre  courage  reviendra.  D'autre  part,  enfermez-vous  dans  votre 
chambre,  restez  assis  dans  une  attitude  languissante,  apitoyez- 
vous  sur  les  hommes  et  les  choses,  répondez  à  tout  d'une  voix 
dolente,  et  votre  mélancolie  s'accentuera.  Au  contraire,  voulez- 
vous   chasser  celle-ci  :  «  Prenez   un  air  réjoui,   donnez  une  ex- 
pression  vive   à  votre  œil,   tenez-vous   droit  plutôt   que   courbé, 

1.  Ouv.   cil.,  p.   74  et  suiv. 


232         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

parlez  sur  un  mode  majeur,  faites  des  compliments  enjoués,  et  il 
faudra  que  votre  cœur  soit  vraiment  de  glace,  s'il  n'arrive  pas  à 
îse  fondre  peu  à  peu.  »  Quant  aux  acteurs,  c'est  une  opinion  ré- 
pandue qu'ils  n'éprouvent  pas  les  émotions  qu'ils  imitent  ;  mais 
James  cite  des  témoignages  contraires.  Coquelin  reste  froid,  c'est 
entendu  ;  mais  «  le  titanique  Edwn  Forest  a  assuré  que  le  rôle 
d'Othello  le  terrassait  toujours.  »  La  contradiction  peut  da  reste 
avoir  une  explication,  et  celle  ci  tourne  à  l'avantage  de  la  théorie. 
«  La  partie  viscérale  organique  de  l'expression  peut  se  supprimer 
chez  certains  hommes,  mais  non  pas  chez  d'autres,  et  c'est  de  là 
que  dépend  probablement  la  partie  essentielle  de  l'émotion  res 
sentie.  » 

En  résumé,  les  preuves  positives  apportées  par  la  théorie  phy- 
siologique pour  exclure  du  constitutif  de  l'émotion  tout  élément 
psychique  spécifique  se  ramènent  à  ceci  :  une  émotion  peut  être 
provoquée,  in  forma  compléta,  par  la  seule  mise  en  jeu  des  phé- 
nomènes physiologiques,  que  ceux-ci  se  déploient  par  l'interven- 
tion immédiate  de  la  représentation,  par  action  directe  sur  eux, 
ou  par  un  mécanisme  prédisposé  et  héréditaire.  Et  l'on  tire  cette 
conclusion  :  Vémotion  n'est  pas  autre  chose  que  la  conscience,  la 
cénesthésie  des  réflexes  et  autres  mouvements  somatiques. 

En  ne  séparant  pas  James  de  Lange  dans  cet  exposé  de  la 
théorie  physiologique  de  l'émotion,  nous  n'oublions  point  pour 
cela  leurs  divergences,  pas  plus  que  celles  d'autres  partisans  de 
la  même  théorie  :  MM.  Sergi,  Sollier,  Revaut  d'Allonnes,  etc. 
Mais  ces  divergences  sont  accidentelles  vis-à-vis  de  la  théorie 
générale.  Elles  portent  seulement  sur  la  question  de  savoir  quels 
sont,  parmi  les  phénomènes  physiologiques,  ceux  qui  sont  pre- 
miers et  déterminatifs  des  autres,  indispensables  et  même  spéci- 
fiques dans  leur  ordre  (1).  Notons  seulement  au  passage  que, 
pour  Lange,  les  divers  réflexes  qui  sont  les  facteurs  de  l'émotion 
dépendent  principalement  de  l'appareil  circulatoire  :  si  une  re- 
présentation, ou  même  une  prédisposition  héréditaire,  provoque 
des  réflexes  vaso-moteurs,  c'est-à-dire  un  rythme  anormal  du 
cœur,  modifiant  l'irrigation  sanguine  du  cerveau,  des  viscères, 
de  la  peau,  il  s'en  suit  des  modifications  dans  l'activité  fonc- 
tionnelle des   organes,   et  l'ensemble  des  sensations  qui   en  ré- 


1.  Cf.  Rev.  des  S'j.  Phil.  et  theol.  Bulletin  de  Psychologi-i,  loo.  cH.  où  nous 
ayons  résumé  les  principales  divergences  entre  partisans  de  la  théorie  phy- 
siologique, ri 'après  un  article  de  M.  Eevaut  d'Allonnes,  paru  dans  le  Journal 
de  Psychologie  normale  et  palholopique  :  L'explication  phi/siolojique  de  l'émo- 
tion;   janvier-février   1906,   p.    14-25;   mars-avril,   p.    132-157. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  233 

sultent  constitue  l'émotion.  Bien  que  saint  Thomas  soutienne 
une  théorie  générale  tout  autre  que  celle  de  Lange,  néanmoins 
il  est  d'accord  avec  lui  —  nous  le  verrons  —  sur  la  physiologie 
même  de  l'émotion. 

2.  —"^Théorie  INTELLECTUALISTE. 

Au  dire  de  M.  Ribot,  «  la  théorie  intellectualiste,  qui  est  de 
vieille  date,  a  trouvé  sa  plus  complète  expression  dans  Herbart 
et  son  école  ».  (1) 

On  sait  en  effet  que  la  psychologie  d'Herbart  a  ceci  de  parti- 
culier qu'elle  prétend  expliquer  tous  les  phénomènes  psycholo- 
giques par  les  seuls  éléments  de  la  connaissance  (2),  Entraîné 
par  le  désir  de  faire  de  la  psychologie  une  science  exacte,  à  expres- 
sion mathématique,  ce  philosophe  s'efforce  de  ramener  toute 
pluralité  apparente  des  événements  de  conscience  à  ane  unité 
réelle  qui  les  explique,  et  cette  unité  en  laquelle  tout  se  résume, 
c'est  la  représentation.  C'est  ainsi  que  la  volonté  et  le  sentiment 
ne  sont  que  des  résultantes  d'idées  en  conflit.  «  Pour  Herbart,  tout 
état  affectif  n'existe  que  par  le  rapport  réciproque  des  représen- 
tations ;  tout  sentiment  résulte  de  la  coexistence  dans  l'esprit 
d'idées  qui  se  conviennent  ou  se  combattent  ;  il  est  la  conscience 
immédiate  de  l'élévation  ou  de  la  dépression  momentanée  de  l'ac- 
tivité psychique,  d'un  état  de  tension  libre  ou  entravé,  mais  il  n'est 
pas  par  lui-même  ;  il  ressemble  aux  accords  musicaux  et  disso- 
nances qui  diffèrent  des  sons  élémentaires,  bien  qu'ils  n'exis- 
tent que  par  eux.  Supprimez  tout  état  intellectuel,  le  sentiment 
s'évanouit  :  il  n'a  qu'une  vie  d'emprunt,  celle  d'un  parasite.  »  (3) 

Herbart  est  amené  à  cette  conclusion  parce  qu'il  conçoit  les 
représentations  comme  des  forces,  dont  l'entrejeu  se  règle  selon 
des  rapports  mécaniques  :  heurt,  équilibre,  arrêt,  accélération. 
«  Lorsqu'une  représentation  franchit  le  seuil  de  la  conscience  et 
s'élève,  il  se  produit  un  état  qui,  dans  la  langae  commune  des 
psychologues,  s'appelle  un  acte  intellectuel.  Si,  aa  contraire,  la 

1.  La  Psychologie  des  sentimerits  (Préface,  p.  IX).  Paris,  Alcan.  —  On  trou- 
vera une  très  bonne  exposition  de  la  théorie  intellectualiste  dans  l'Intro- 
duction du  Dr  G.  Dumas  à  La  théorie  de  l'émotion,  par  W.  James,  ouv. 
cit.  1  I.  '     - 

2.  PsycholoçjiP  als  Wissenschaff,  neu  gegriindet  auf  Erfàhrung,  Metaphysik 
und  Mathemafil-.  Tome  VI  des  œuvres  complètes,  édit.  Harstentein.  —  Con- 
sulter sur  la  philosophie  d'Herbart  :  Th.  Ribot,  La  Psychologie  allemande 
contemporaine,  Paris,  Alcan,  1879;  —  H.  Hôffdixg.  Histoire  de  la  philosophie 
moderne.  Tome  II.  Paris,  Alcan,  1906. 

3.  Ribot.  La  Psychologie  des  sentiments.   Préface,   p.   IX. 


■234         REVUE   DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

somme  d'arrêt  s'accroît,  la  représentation  est  refoulée  au-dessous 
du  seuil  ;  l'acte  intellectuel  cesse.  Mais  il  peut  se  présenter  un 
autre  cas  :  supposons  qu'une  représentation  existe  dans  la  cons- 
cience ;  si  deux  autres  représentations  de  force  égale  et  con- 
traires tendent  l'une  à  la  refouler,  l'autre  à  l'élever,  il  se  pro- 
duit un  état  d'équilibre.  Cet  état,  qui  résulte,  on  le  voit,  d'un 
rapport  entre  les  représentations,  produit  un  sentiment  »  (1).  Voilà 
pourquoi  Herbart  peut  dire  :  «  Le  sentiment  (Gefilhl)  se  produit 
lorsqu'une  représentation  reste  dans  la  conscience  par  suite  d'un 
écjuilibre  entre  les  forces  qui  l'arrêtent  et  celles  qui  tendent  à 
l'élever.  »  (2)  Et  Linder,  fervent  herbariien,  donne  cet  exemple  : 
«  Si  nous  prenons  un  sentiment  tel  que  l'affliction  causée  par  la 
perte  d'un  ami,  l'idée  de  cet  ami  est  prise  comme  dans  un  étau 
entre  deux  idées  :  celle  de  sa  mort  qui  tend  à  produire  un  arrêt, 
celle  de  ses  bienfaits  qui  tend  à  un  effet  contraire.  »  (3) 

Le  psychologue  autrichien  Nahlowsky  a  exposé  avec  beaucotip 
do  talent  la  théorie  intellectualiste  de  l'émotion  et  s'en  est  fait 
l'ardent  défenseur  (4). 

Il  commence  par  éliminer  de  son  explication  tout  ce  qui,  dans 
l'affectivité,  n'est  pas  réductible  à  des  rapports  de  représenta- 
tions :  la  fatigue,  la  faim,  la  soif,  en  un  mot  toutes  les  impressions 
de  la  sensibilité  organique.  Il  élimine  encore  certains  états  pro- 
venant de  la  distraction,  de  l'amusement  qui,  eux  aussi,  ne  s'ex- 
pliqTieraient  point  par  l'action  réciproque  des  représentations, 
mais  par  des  causes  différentes,  comme  l'action  du  monde  exté- 
rieur sur  les  représentations.  Quant  aux  véritables  sentiments, 
il  les  explique  en  disant  qu'ils  ne  sont  pas,  à  proprement  parler, 
quelque  chose  de  réel  (etivas),  mais  une  simple  manière  d'être, 
agréable  ou  pénible,  résultant  de  la  coexistence  et  de  l'interac- 
tion, dans  l'esprit,  des  représentations  qui  s'accordent  ou  ne  s'ac- 
coident  pas.  L'hypothèse  fondamentale  de  la  psychologie  d'Her- 
bart,  que  les  représentations  sont  des  forces  qui  luttent  entre 
elles,  devient,  chez  Nahlowsky,  le  principe  fondamental  de  sa 
théorie  de  l'affectivité.  «  Les  réactions  récipioques  des  représen- 
tations, dit  il,  se  rangent  sous  deux  chefs,  et  sont  on  des  arrêts 
réciproques  ou  des  accélérations  réciproques...;  or,  le  sentiment 


1.  Cité  dans  Ribot.  La  l'sych.  allemande,  p.  22. 

2.  Ibid. 

3.  Lehrbuch  der  empirischen  Psychologie,  p.  117. 

4.  Nahlowsky.    Das   Gefilhlslehen   in   seinem    wesentUchsten   Erscheinungen 
und  Bezugen,  Leipzig,  2e  édit.,   1884. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  23o 

est  toujours  la  conséquence  de  ces  arrêts  ou  de  ces  accéléra.- 

tjons.  »    (1)  I    I 

^  ■'  I    i 

On  se  dira  peut-être,  ajoute-t-il,  «  que  l'arrêt  ou  l'accélératiDn 
réciproque  des  représentations  ne  peuvent  pas  suffire  à  eux 
seuls  pour  expliquer  le  sentiment  ;  en  effet,  si  chaque  arrêt  ou 
accélération  avait  un  sentiment  pour  conséquence,  l'homme  se- 
rait sans  cesse  agité  par  des  sentiments,  étant  donné  qu'à  aucun 
moment  l'âme  n'est  en  état  de  complet  repos...  Il  doit  donc  y 
avoir  un  facteur  plus  profond,  une  autre  cause,  d'où  il  résulte 
que  tantôt  le  sentiment  se  joigne  à  une  accélération  ou  à  "an 
arrêt,  et  que  tantôt  il  ne  s'y  joigne  pas.  Quel  est  ce  facteur  ?... 
Si  l'arrêt  ou  l'accélération  des  représentations  s'opère  norma- 
lement, et  par  suite  sans  entraves  spéciales,  il  nous  reste  ina- 
perçu, parce  cju'il  s'opère  dans  un  temps  infiniment  court,  non 
mesurable  pour  nous.  Les  représentations  s'élèvent  ou  s'abaissent, 
deviennent  plus  fortes  ou  plus  faibles,  et  à  la  vérité  si  vite  que 
nous  ne  nous  en  apercevons  pas  (2).  »  Si  alors  il  arrive  que 
l'arrêt  ou  l'accélération  des  représentations  ne  s'opère  plus  de 
façon  automatique,  cette  modalité  dans  l'état  général  de  l'àme 
est  perçue  par  nous,  et  prend  ce  caractère  que  nous  appelons  un 
sentiment.  «  Par  suite,  dit  Nahlowsky,  on  peut  définir  le  senti- 
ment comme  la  perception  immédiate  de  l'arrêt  ou  de  l'accélé- 
ration entre  les  représentations  actuellement  présentes  dans  la 
conscience.  »  (3) 

Quant  à  l'influence  des  phénomènes  physiologiques  et  phy- 
siques sur  les  sentiments,  Nahlowsky  ne  la  nie  point,  mais  il  nie 
sa  prépondérance  et  l'explique  en  fonction  de  sa  propre  théorie, 
disant  que  ces  diverses  modifications  organiques  doivent  d'a- 
bord agir  sur  le  système  nerveux  et  les  représentations  avant 
d'agir  sur  les  sentiments.  «  Tous  les  changements  fonctiomiels, 
écrit-il  (nutrition,  circulation,  respiration)  doivent  nécessairement 
produire  des  modifications  trophiques  et  fonctionnelles  des  nerfs, 
et  postérieurement  aussi  une  modification  de  l'état  du  système 
ners^eux  cérébral.  Comme,  d'autre  part,  tout  état  cérébral  est 
accompagné  d'états  psychiques  correspondants,  ainsi  toute  cette 
suite  de  changements  physiques  doit  en  même  temps  modifier 
essentiellement  le  cours  des  représentations,  de  telle  sorte  que 


1.  Ibid.,  p.  42. 

2.  Ibid.,   p.   40. 

3.  Ibid.,   p.    44. 


23G         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

les  états  affectifs  soient  modifiés  aussi,  puisqu'ils  reposent  sar 
des  représentations.  »    • 

Les  phénomènes  organjqnes  n'ont  donc  qu'une  influence  tout 
indirecte  sur  le  sentiment  ;  celui-ci  reste  bien  dans  sa  nature 
tout  intellectuel  :  il  n'est  par  lui-même  q'u'un  mode  de  la  repré- 
sentation et  rien  que  cela. 

La  théorie  physiologiqtue  et  la  théorie  intellectualiste  semblent, 
de  prime  abord,  radicalement  divergentes.  Pour  la  première,  l'é- 
motion est  tout  entière  en  fonction  des  modifications  somati- 
ques  dont  elle  est  la  conscience  conséquente  et  pas  autre  chose. 
Pour  la  seconde,  l'émotion  est  préalable  h,  ces  mêmes  modifi- 
cations organiques,  elle  n'est  qu'un  mode  de  la  représentati'on 
qui  les  provoque  et  elle  est  complètement  constituée  elle-même 
avant  eux.  Pourtant,  à  y  regarder  de  près,  les  deux  théories  se 
rencontrent  en  un  point  commun  que  nous  nous  plaisons  à  rele- 
ver, afiii  de  faire  mieux  saisir  l'originalité  de  la  théorie  thomiste 
que  nous  esquisserons  tout  à  l'heure.  La  théorie  physiologique 
et  la  théorie  intellectualiste  en  effet  se  rejoignent  en  ceci  que 
toutes  deux  ramènent  l'émotion  à  n'être  qu'un  phénomène  de 
représentation  :  conscience  représentatrice  de  mouvements  ou 
troubles  organiques  (périphériques,  cérébraux,  viscéraux  ou  au- 
tres) ;  ou  bien,  conscience  représentatrice  de  l'interaction  har- 
monieuse ou  désordonnée  des  représentations  elles-mêmes  :  des 
deux  côtés,  l'émotion  n'est  point  un  fait  psychologique  spéci- 
fique, mais  relatif,  ou,  si  l'on  veut  relationnel.  Pour  les  intellec- 
tualistes, la  donnée  émotionnelle,  c'est  la  représentation  elle- 
même,  mais  modifiée  dans  son  intérieur  par  son  propre  entre- 
jeu  ;  pour  les  physiologistes,  c'est  la  conscience  représentative 
consécutive  à  telle  ou  telle  variation  organique.  Chez  les  uns  et 
chez  les  autres,  l'émotion  n'est  donc  qu'une  représentation  parmi 

les  autres  représentations  :  représentation  affectée  de  tel  mode 
que   l'on   voudra   (1),    consécutive   à  tel   mouvement   somatique 


1.  Dans  son  livre  :  De  la  Méthode  dans  la  Psychologie  des  Sentiments, 
Paris,  Alcan,  1899,  p.  176,  M.  Rauh.  exposant  la  théorie  intellectualisto 
d'Herbart,  ne  veut  pas  qu'on  reproche  à  oelui-ci  d'avoir  identifié  qualita- 
tivevient  le  fait  de  conscience-connaissance,  et  le  fait-sentiment.  —  Sans 
doute,  dirons-nous,  Herbart  a  distingué  entre  le  fait  de  la  connaissance  brute, 
et  celui  des  complexus  de  représentations,  affectés  du  ton-sentiment.  Mais 
s'il  y  a  distinction,  ce  n'est  qu'une  distinction  modale.  Il  reste  que  pour 
Herbart  et  les  intellectualistes,  le  sentiment  est  bien  dans  Vordre  spécifique 
do  la  représentation,  dont  il  n'est  qu'une  modalité  :  l'en  distinguer  spécifi- 
quement serait  atténuer,  sinon  contredire,  semble-t-il,  l'originalité  même  de 
la  position  intellectualiste. 


l'émotion    selon    les    modernes   et    s.    THOMAS  237 

que  roii  voudra,  mais,   en  fin   de   compte,   représentation,  tou- 
jours. 

Cette  coïncidence  inattendue  entre  les  deux  théories  ferait  vo- 
lontiers présumer  la  position  incomplète  que  l'une  et  l'autre  ont 
prise  dans  la  question.   Celle-ci,  en  effet,  ne  serait-elle  pas  de 
déteiTniner  la  nature  de  l'émotion,  de  se  demander  ce  qu'elle  est, 
quels  sont  ses  caractères  propres  dans  l'ensemble  des  faits  psy- 
chologiques, et  non  point  ce  qui  est  senti,  éprouvé,  ce  qui  se  pré- 
sente dans  la  conscience,  quand  l'événement  émotionnel  se  pro- 
duit ?  —  Mais,  dirat-on,  à  supposer  que  la  question  de  la  nature 
de  l'émotion  ne  soit  pas  assez  nettement  posée,  aussi  bien  par  la 
théorie  physiologique  quo  par  la  théorie  intellectualiste,  il  reste 
néanmoins  que  l'une  et  l'autre  l'ont  définitivement  résolue,  cha- 
cune en  leur  sens  :  l'émotion  n'est  pas  un  phénomène  psycho- 
logique spécifique,  mais  relatif  à  la  représentation  :  mode  de  la 
représentation  pour  les   intellectualistes,    sensations   représenta- 
tives de  tel  ou  tel  mouvement  organique  pour  les  physiologistes. 
Or  nous  ne  croyons  pas  ces  solutions  définitivement  établies 
dans  ce  qu'elles  ont  d'exclusif.  Nous  pensons,  au  contraire,  que 
leurs  résultats,  d'ailleurs  si  considérables  et  si  savamment  acquis, 
ne  servent  qu'à  renforcer  la  position  d'une  troisième  théorie,  — 
celle  de  saint  Thomas  —  qui,  d'une  part,  a  la  prétention  de  se 
distinguer  nettement  des  deux  précédentes,  car  elle  affirme  la 
spécificité  du  fait  émotionnel,  mais  qui,  d'autre  part,  ne  répugne 
pas  le  moins  du  monde  à  admettre,  au  profit  de  sa  propre  explica- 
tion, et  à  leur  place  respective  dans  celle-ci,  les  analyses  et  les 
expériences  fournies  par  la  théorie  intellectualiste  et  par  la  théorie 
physiologique. 

II 

LA  THÉORIE  DE  L'ÊMOTION    SELON    SAINT   THOMAS 

Méthode  d'investigation   :  Introspection  et  analyse  objective. 

Avant  d'exposer  la  théorie  de  saint  Thomas  sur  la  nature  de 
l'émotion,  une  question  préliminaire  se  pose  :  A  quel  point  de  vue 
se  place-t-il,  quelle  méthode  d'investigation  emploie-t-il,  dans  son 
étude  des  phénomènes  émotionnels  ? 

Part-il   d'un   a  priori,   ou   bien  d'une   induction   3.  base   expé- 


^38         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

rimentale  ?  —  La  réponse  n'est  point  douteuse  pour  quiconque 
voudra  lire,  sans  idée  préconçue  et  scolastico-phobe,  le  Traité 
des  Fassions  de  la  Somme  Théologique.  On  y  verra  —  et  la 
suite  de  ce  travail  le  montrera  —  que  l'observation  objective, 
dont  il  fait  son  point  de  départ,  est  suffisamment  vaste  et  com- 
plète. 

Mais  l'observation  elle-même  peut  être  exclusive.  Et  quand  il 
s'agit  d'un  phénomène  mixte,  comme  celui  de  l'émotion,  qui  peut 
s'envisager  d'un  point  de  vue  psychologique  et  d'un  point  de  vue 
physiologique,  il  y  a  lieu  de  voir  lequel  prévaudra  et  s'il  faut 
s'en  tenir,  pour  découvrir  la  nature  de  ce  fait  complexe,  à  la 
seule  donnée  physiologique,  comme  font  les  modernes  partisans 
de  la  thèse  physiologique,  ou  à  la  seule  donnée  psychologique 
comme  inclinent  à  le  faire  de  préférence  les  intellectualites,  ou 
bien  enfin  s'il  ne  vaut  pas  mieux  qu'à  la  complexité  du  fait  ré- 
ponde la  complexité  de  l'analyse  et  de  l'observation. 

Ici  encore  la  réponse  n'est  pas  douteuse.  Saint  Thomas  envi- 
sage parallèlement  les  deux  côtés  du  j^roblème  et  les  fait  con- 
courir à  son  explication,  sans  exclusivisme  aprioristique.  D'ail- 
leurs, en  cela,  il  ne  fait  que  reprendre  à  son  compte  la  méthode 
d'Aristote. 

Celui-ci,  au  début  du  chapitre  premier  du  hepi  >J'ïxh2,  —  si 
suggestif  au  point  de  vue  de  la  méthode  en  psychologie  —  tranche 
résolument  la  question.  Après  avoir  énuméré  toutes  les  difficul- 
tés d'une  étude  de  l'âme,^  celles  surtout  qui  ont  trait  aux  pas- 
sions, cfui  n'appaiiiennent  pas  à  l'àme  seule,  mais  au  composé,  et 
qu'il  nomme,  à  cause  de  cela,  des  lôyoi  h-Aol,  des  formes  réa- 
lisées dans  la  matière,  après  avoir  dit  qu'en  raison  de  cet  aspect 
matériel  c'est  au  physicien  qu'il  appartient  d'étudier  ces  affections 
de  l'àme,  Aristote  se  demande  quel  est  le  véritable  physicien. 
«  Est-ce  celui,  dit-il,  qui  ne  s'attache  qu'à  la  matière  et  qui  ignore 
la  forme,  ou  celui  qui  ne  considère  que  la  forme  ?  Ou  plutôt  ne 
faut-il  pas  penser  que  c'est  celui  qui  fait  entrer  l'mie  et  l'autre 
[dans  sa  définition]  ?  »  (1)  Pour  Aristote.  comme  nour  saint 
Thomas  qui,  dans  son  commentaire,  approuve  le  Stagyrite,  c'est 
cette  dernière  alternative  qui  est  la  seule  vraie  et  légitime.  De 
sorte,  disent-ils  d'un  commun  accord,  que  les  définitions  qui 
concernent  les  passions  devront  être  telles  qu'elles  renferment 


1.  tîs   ovv  0  (pvatKàs   toôtwv  ;   wÔTepov  o  irepl  Trjv  vXrji'.   tov  de  \ôyov  àyvoûii',  rj  o  nepl  rbv 
\byov  /làvov  ;  i}  fiâWov  à  e't  àfi<poïv.  çKelvuiv  ôè  ôi]  ris  éKàrepos  ;  A,  1,  403  b..  7-9. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  239 

les  deux  éléments,  l'élément  formel  ou  psychique  et  l'élément 
matériel  ou  physiologique  (1). 

Mais  si  Aristote  et  saint  Thomas  considèrent  la  définition 
d'une  chose  comme  l'expression  formulée  de  sa  nature  intime 
et  l'aboutissant  d'une  induction  qui,  partant  des  propriétés  ma- 
nifestées d'une  nature,  conclut  à  cette  nature  même  ;  si,  d'autre 
part,  dans  le  cas  présent,  la  définition  adéqtiate  de  l'émotion  ou 
passion  doit  comprendre  les  deux  aspects  inséparables,  psy- 
chique et  physiologique,  qu'elle  renferme,  il  est  hors  de  doute 
que  l'induction  préalable  devra  se  baser  sur  ime  étude  parallèle 
de  ces  deux  aspects. 

Nous  dirions  aujourd'hui  :  pour  saisir  dans  sa  complexité  ce 
donné  mi-psychique,  mi-organique,  qu'est  l'état  émotif,  il  faut 
que  l'observation  introspective  ou  subjective,  et  robservation 
objective  ou  physiologique  se  combinent  et  s'harmonisent  ;  il 
faut  que  l'aspect  psychique  ne  soit  point  éliminé  de  la  considé- 
ration au  profit  de  l'aspect  physiologique  et  vice  versa.  Tout  ex- 
clusivisme sur  ce  point  est  un  vice  radical  de  méUiode. 

U Kinotion  et  les  autres  pliénomènes  psychologiques. 
Rôle  de  la  connaissance  dans  le  cycle  émotionnel. 

Maintenant  que  nous  connaissons  la  position  scientifique  prise 
par  saint  Thomas  en  face  du  problème  de  l'émotion,  voyons 
comment  il  entreprend  de  le  résoudre. 

Quel  que  soit  le  point  de  vue  où  l'on  se  place  pour  étudier  I0 
phénomène  émotif,  qu'on  l'observe  du  dehors  ou  du  dedans,  ou 
ce  qui  vaut  mieux,  des  deux  côtés  à  la  fois,  il  apparaît  a,vec 
des  caractères  propres  qui  l'isolent  et  le  distinguent  de  tous  les 
autres  phénomènes  psychologiques. 

On  sait  que  ceux-ci,  pour  saint  Thomas,  se  rangent  en  un  cer- 
tain nombre  de  groupes  irréductibles.  Les  phénomènes  psycho- 
logiques sont  ou  bien  des  phénomènes  de  connaissance  ou  bien 
des  phénomènes  d'appétition.  Cette  distinction  est  motivée  par 
le  caractère  centripète  des  premiers  (dans  la  représentation  les 
choses  viennent  dans  l'âme,  qui  dans  son  rapport  avec  celles-ci 
est  particulièrement  passive),  s'opposant  au  caractère  centrifuge 
des  seconds  (dans  l'appétition  l'àme  tend  vers  les  choses  d'une 


1.   Aristote   :   f'  S'ourois   t'xei,    ^T]Kov  ôtl  rà  Trdd'ri  \6yoi  ëvvXoi  eiaiv.  ioare  oi  opoi  tolovtol... 

(A,  1,  403a,  24-20);  et  S.  Thomas  :...  illa  (definitio'  passioiiis)  quae  ex 
utrisque  est,  s^ilicet  ex  materia  et  forma,  est  magis  naturalis.  (De  anima, 
Lib.   I,  Lect.  2). 


240         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

façon  particulièrement  active).  Ces  deux  classes  de  faits  irréduc- 
tibles se  divisent  à  leur  tour  en  raison  de  leur  objet  radicalement 
distinct  :  abstrait  et  universel  d'une  part,  concret  et  particulier 
d'autre  part.  Il  y  a  donc  ainsi  quatre  groupes  de  faits  dans  la 
psychologie  humaine  :  les  faits  de  représentation  intellectuelle 
et  ceux  d'appétition  motrice  de  même  ordre  ;  leur  sujet  est  l'âme 
seule  qui  les  exerce  indépendamment  de  l'organisme  ;  —  puis 
les  faits  de  représentation  sensible,  et  ceux  d'appétition  motrice 
du  même  ordre  ;  leur  sujet  est  mixte,  c'est  le  composé  :  l'or- 
gane animé  dans  la  sensation,  l'appétit  moteur  toujours  accom- 
pagné d'une  altération  corporelle  dans  l'appétition.  Nous  sup- 
posons prouvée  cette  classification  (1).  On  ne  saurait  en  effet  nous 
demander  d'engager  la  démonstration  de  toute  la  psychologie 
thomiste  à  propos  d'une  question  aussi  spéciale  que  celle  de 
l'émotion. 

Dès  lors  le  problème  qui  se  pose  est  celui  de  savoir  à  laquelle 
de  ces  quatre  classes  de  phénomènes  psychologiques  saint  Tho- 
mas rattache  l'émotion.  Est-elle  un  fait  de  connaissance  ou  un 
fait  d'appétition  ?  Et  si  elle  est  un  fait  d'appétition,  est-ce  d'ap- 
pétition intellectuelle  ou  seulement  sensible  ?  Suivons  saint  Tho- 
mas dans  son  procédé  pour  l'établir. 

L'émotion,  nous  dit-il,  n'appartient  pas  aux  facultés  de  con- 
naissance mais  aux  facultés  appétitives.  Il  en  donne  plusieurs 
raisons.  Retenons-en  la  plus  immédiatement  saisissable,  parce 
que  la  plus  expérimentale.  L'émotion  ou  passion  a  cela  de  carac- 
téristique qu'elle  se  présente  toujours  accompagnée  de  mouve- 
ments organiques  et  corporels  —  saint  Thomas  déterminera  en 
détail  le  rôle  exact  de  ceux-ci  dans  les  divers  états  émotifs  ; 
dans  cet  argmnent  d'ensemble  il  les  constate  seulement  comme 
intégrant  toute  émotion.  —  Or  des  mouvements  organiques  et  cor- 
porels ne  peuvent  être  que  par  l'appétit,  seule  faculté  motrice, 
et  si  la  connaissance  semble  exciter  pareils  mouvements,  ce  ne 
peut  être  que  par  l'entremise  de  l'appétit.  La  passion  appartient 
donc  à  la  classe  des  phénomènes  appétitifs  et  non  pas  à  celle  des 
phénomènes  de  connaissance  (2). 


1.  Voir  Sum.  TJieol,  I*  P.,  qu.  LXXIX,  art.  1. 

2.  «  Passio  animalis,  cum  per  eam  ex  operatione  animae,  transmutetur 
corpus,  in  illa  potentia  esse  débet  quae  organo  corporali  adjungitur,  et  cujus 
est  corpus  transmutare;  et  ideo  hujusmodi  passio  uoti  est  in  parte 
intellectiva,  quae  non  est  alicujus  organi  corporalis  actus  ;  nec  iterum 
est  in  apprehensiva  sensitiva,  quia  ex  apprehensione  sensus  non  se- 
quitur    motus    in    corpore    nisi    mediante    appetitiva,    quae    est    immediatum 


L. 'ÉMOTION    SELON    LES    MODERNES    ET    S.    THOMAS  241 

Mais  si  la  passion  est  proprement  un  phénomène  appétitif, 
cela  ne  veut  point  dire  q;ue,  pour  saint  Thomas,  l'appréhension 
OU  connaissance  ne  joue  un  rôle  dans  l'ensemble  du  cycle  émo- 
tionnel. Ce  rôle  est  au  contraire  prépondérant  et  indispensable, 
bien  que  la  connaissance,  en  tant  que  telle,  n'entre  point  dans  le 
constitutif  même  de  l'émotion.  Avant  d'aller  plus  loin  dans  l'a- 
nalyse de  celle-ci,  il  nous  faut,  avec  saint  Thomas,  préciser  l'in- 
ter\'ention  de  la  connaissance  dans  l'état  émotif  ;  ce  sera  d'ailleurs 
une  façon  indirecte  et  négative  de  corroborer  cette  première  af- 
firmation :  l'émotion  ou  passion  n'est  pas  un  phénomène  de  re- 
présentation, mais  un  phénomène  appétitif. 

Quel  est  donc  au  juste  le  rôle  de  la  connaissance  dans  la 
passion  ? 

A  priori,  comme  a  posteriori,  il  faut  convenir  tout  d'abord 
que  si  la  connaissance  intervient,  il  ne  saurait  être  question  de 
la  connaissance  spéculative  ou  théorétique,  mais  seulement  de 
la  connaissance  pratique,  ordonnée  immédiatement  à  l'action, 
pour  laquelle  elle  fournit  des  motifs  de  convenance  ou  de  discon- 
venance vis-à-vis  du  bien  ou  du  mal  du  sujet.  Pour  saint  Thomas, 
il  n'y  a  pas,  à  strictement  parler,  de  passions  intellectuelles.  Le 
spéculatif  pur  peut  être  un  passionné,  tel  le  métaphysicien  qui 
se  fâche  parce  qu'on  récuse  ses  conclusions  ;  mais  il  est  clair 
qu'il  se  fâche  non  pas  à  cause  des  idées  discutées,  mais  seule- 
ment à  cause  des  raisons  pratiques  de  faire  adopter  sa  spécula- 
tion. La  connaissance  théorétique  ou  spéculative,  en  tant  que 
telle,  ne  fait  donc  point  partie  du  cycle  émotionnel.  Celui-ci  ne 
comprend  que  la  connaissance  pratique,  c'est-à-dire  présentant 
des  motifs  de  bien  ou  de  mal  pour  le  sujet  qui  connaît. 

^lais  quel  est  le  rôle  de  cette  connaissance,  ainsi  précisée,  dans 
l'état  émotif  ?  Le  voici  :  elle  est  à  la  fois  antécédente  et  paral- 
lèle à  l'émotion. 

Tout  d'abord  elle  est  antécédente,  parce  que  c'est  elle  qui  dé- 
tennine  et  provoque  l'émotion.  Mais  ici  il  y  a  lieu  de  distinguer, 
nous  dit  saint  Thomas,  entre  la  passion  dite  passion  psycholo' 
giqxie  et  la  passion  dite  passion  corporelle,  par  exemple  entre  la 
tristesse  et  la  douleur  physique  (1).  Dans  la  passion  psycholo^ 


moyens.  »  De  veritate,  qu.  XXVI,  art.  III.  —  Voir  encore  Summa  Theol., 
T*  1I^^  qu.  XXII;  art.  II;  —  III  6'e»^.  dist  XV,  qu.  II,  art.  I,  qu.  2; 
—  De  Div.  Nom.,  Cap.  II,  lect.  IV;  —  II  Ethic,  lect.  V. 

1.  Pour  la  distinction  entre  la  «  passio  animalis  »  ou  «  passio  animae  » 
et  la  «  passio  corporalis  »  voir  De  Veritate,  qu.  XXV,  art.  IX,  et  qu.  XXV^T, 
art.   II,   III,   IX. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  2.  16 


242         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

gique  (celle  préàsément  dont  nous  essayons,  avec  saint  Thomas, 
de  recliercher  la  nature  dans  cette  étude),  la  connaissance  ou  re- 
présentation présente  les  raisons  de  bien  ou  de  mal,  auxquelles 
suivent  immédiatement  le  mouvement  appétitif  et  conjointement 
le  mouvement  organique,  tous  deux  caractéristiques  de  l'émotion, 
comme  nous  le  verrons.  Par  exemple,  la  joie  ou  la  tristesse  sont 
provoquées  par  une  représentation  directe  ou  une  imagination 
ou  un  souvenir  ;  à  cette  présentation  succède  immédiatement  une 
estimation  de  convenance  ou  de  disoonvenance,  d'avantages  ou 
de  dangers,  et  le  phénomène  émotiomiel  se  déclare  (1).  Dans  la 
passion  corporelle,  la  connaissance  joue  encore  le  rôle  de  cause 
déterminante  et  provocatrice,  mais,  cette  fois,  elle  n'est  pas  en 
première  ligne.  Soit  par  exemple  le  plaisir  physique  éprouvé  quand 
après  un  refroidissement  le  corps  se  réchauffe  devant  le  feu  et 
revient  à  sa  température  normale,  ou  encore  la  douleur  physique 
qui  accompagne  une  lésion  organique.  Dans  ce  cas  l'appréhen- 
sion est  encore  déterminante,  mais  elle  n'est  pas  en  première 
ligne  ;  ce  qui  est  au  commencement  c'est  la  lésion  organique  ou 
le  phénomène  thermique,  appréhendés  par  le  sens  du  tact  (2). 
Cette  sensation  agréable  ou  douloureuse  peut  d'ailleurs  provo- 
quer à  son  tour  une  véritable  passion  psychologique,  joie  ou 
tristesse,  en  faisant  surgir,  par  association,  une  connaissance 
estimative  de  bien  ou  de  mal,  d'avantages  ou  de  désavantages 
pour  le  sujet;  alors  le  choc  appétitif  et  le  mouvement  sjmatique 
caractéristiques  de  l'une  ou  l'autre  émotion  se  déclarent.  Ainsi 
donc,  dans  la  genèse  de  l'émotion,  que  la  connaissance  ou  repré- 
sentation soit  à  la  première  ou  à  la  seconde  étape,  elle  est  tou- 
jours cause  antécédente  et  déterminante. 

Mais  de  plus,  avons-nous  dit,  la  connaissance  est  parallèle  et 
concomitante  à  l'émotion  ;  et  ceci  ne  souffre  aucune  difficulté. 
Si,  comme  nous  l'avons  préjugé,  en  nous  réservant  de  le  déclarer 
plus  explicitement  tout  à  l'heure  avec  saint  Thomas,  la  passion 

1.  «  ...  passio  (animalis)  sicut  in  proprio  subjecto  est  in  appetitiva  sensuali, 
sed  est  in  apprehensiva  quasi  causaliter,  in  quantum  ex  objecto  apprehenso 
motus  passionis  in  appetitiva  consurgit.  »  De  Vrrit.,  qu.  XXVI,  art.  IX,  ad  5.  — 
Cf.  Summa  TheoL,  I  11^%  qu.  XXXV,  art.  1.  —  qu.  XLI,  art.  III;  — 
qu.   XLV,  art.   III  et  IV;   —   qu.  XLVIII,  art.  II. 

2.  «  ...  tristitia  et  dolor  hoc  modo  differunt  :  quod  tristitia  est  quaedam 
passio  animalis,  incipiens  scilicet  in  apprehensione  nocumenti,  et  terminatur 
in  operatione  appetitus  et  ulterius  in  transmutatione  corporis:  sel  dolor  est 
secundum  passionem  corporalem,  unde  Augustinus  dicit  (XIV  De  Civitate 
Dei,  cap.  VII,  in  fin.)  quod  dolor  usitatius  in  corporibus  dicitur;  et  ideo 
incipit  a  laesione  corporis,  et  terminatur  in  apprehensione  seiisus  tactus,  prop- 
ter  quod  dolor  est  in  sensu  tactus  ut  in  apprehendente,  ut  dictum  est  in 
corp.  art.  »  De  Verit.,  qu.  XXVI,  art.   III.  ad  9. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  243 

est  un  acte  de  l'appétit,  accompagné  de  modifications  organiques, 
il  est  clair  que  ce  phénomène  appétitif  est  connu  dans  la  cons- 
cience avec  sa  modalité  et  qualité  propres,  de  même  que  les  va- 
riations somatiques  externes  ou  internes  sont  perçues,  éprouvées, 
senties,  connues  par  le  sens  du  tact  ;  car  on  sait  qae  pour  saint 
Thomas  le  tact  n'est  pas  seulement  périphérique,  mais  encore 
interne  et  musculaire. 

Ce  rôle  de  la  représentation  dans  l'émotion  est  très  important 
à  remarquer.  En  effet,  si  la  passion  proprement  dite  peut  être  pro- 
voquée non  seulement  par  une  connaissance  interne  ou  externe 
mais  encore  par  une  irritation  organique,  avec,  comme  intermé- 
diaire, l'appréhension  tactile  de  celle-ci  ;  si,  d'autre  part,  comme 
nous  le  verrons,  toute  passion  véritable  s'accompagne  nécessai- 
rement de  mutation  corporelle,  laquelle  est  sentie  et  éprouvée 
dans  la  conscience,  toutes  les  expériences  et  observations  des 
physiologistes  modernes  trouvent  leur  explication.  On  a  raison 
de  dire  qu'une  émotion  peut,  dans  certains  cas,  se  déclarer,  dès 
que  l'on  provoque  artificiellement  des  modifications  organiques, 
et  saint  Thomas  n'y  contredit  pas.  Par  ailleurs,  il  y  a  loin  de  ce 
fait  à  une  théorie  qui  restreindrait  l'émotion  à  n'être  qae  la  con- 
science des  réflexes  organiques.  Mais  n'anticipons  pas. 

L'émotio7i,  phénomène  appétitif,  mi-psychique,  mi-organiqtie. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  représentation  ou  connais- 
sance est,  selon  saint  Thomas,  un  facteur  important  du  cycle 
émotionnel  :  elle  est  déterminatrice  et  antérieure,  concomitante 
et  parallèle  à  l'émotion  ;  mais  il  résulte  aussi  qu'elle  n'entre  pas 
dans  son  constitutif;  elle  lui  est  nécessaire,  mais  reste  en  dehors 
d'elle  :  Vémotion  n'est  formellement  qu'un  phénomène  appétitif. 

Mais  encore  il  y  a  lieu  de  restreindre  dans  les  facultés  appé- 
titives  le  champ  de  l'émotion.  On  sait  que  saint  Thomas  distingae 
deux  facultés  appétitives  :  l'appétit  intellectuel  ou  volonté  et 
l'appétit  sensible.  Or,  pour  saint  Thomas,  il  n'y  a  véritable  pas- 
sion que  dans  l'appétit  sensible,  celui-ci  seulement  pouvant  s'ac- 
compagner de  mouvements  organiques,  caractéristiques  de  la 
passion.  Si  donc  on  parle  de  passions  dans  la  volonté,  comme  le 
fait  le  langage  courant,  c'est  par  analogie,  en  raison  de  la  ressem- 
blance des  effets  ;  ainsi  nous  appellerons  colère  le  vouloir  de  la 
vengeance,  haine,  le  vouloir  du  mal  en  autrui  ;  mais  tous  ces 
vouloirs  ne  sont  pas  des  passions  proprement  dites,  mais  des  vou- 


244         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

loirs  tout  net  (1).  Sans  doute,  un  entre-jeu  peut  exister  et  existe 
entre  l'appétit  rationnel  et  l'appétit  sensible  ;  ils  peuvent,  dans  le 
même  individu,  se  provoquer  réciproquement  ou  se  prolonger  l'un 
l'autre,  et  plus  ou  moins,  selon  les  tempéraments  natifs  et  les 
habitudes  acquises,  car  ils  sont  les  facultés  d'une  seule  et  même 
âme,  dans  l'unité  du  même  composé.  On  peut  vouloir  le  bien 
moial  rationnel  avec  un  tel  enthousiasme,  que  l'on  vibre  tout  en- 
tier, secoué  d'une  profonde  émotion.  La  charité  pour  Dieu  la  plus 
spiritualisée  épanouit  de  ravissante  joie  le  visage  des  saints  et 
leur  fait  verser  des  larmes  de  bonheur.  Mais  il  est  clair  que  dans 
ces  cas  l'appétit  supérieur  n'est  moteur  de  l'organisme  qrie  par 
Tentremise  de  l'appétit  sensitif,  facteur  immédiat  de  toute  modi- 
fication corporelle  (2). 

C'est  donc  dans  les  limites  de  l'appétit  sensitif,  seul  capable  de 
provoquer  un  mouvement  organique,  qu'évolue  le  phénomène 
émotionnel. 

Maintenant  que  nous  avons  restreint  le  domaine  de  l'émotion 
en  l'isolant  des  faits  de  représentation  et  des  vouloirs  intellec- 
tuels, il  reste  à  voir  ce  que  saint  Thomas  pense  de  sa  nature 
intime.  Après  avoir  montré  ce  quelle  n'est  pas,  il  faut  montrer 
ce  qu'elle  est. 

A  vrai  dire,  nous  l'avons  déjà  établi  indirectement  par  les  éli- 
minations précédentes,  et  il  suffira  de  l'expliciter. 


1.  «  Passio  proprie  invenitur  ubi  est  transmutatio  corporalis.  Quae  (luidem 
invenitur  in  actibus  appetitus  seasitivi;  et  nou  solum  spiritualis,  sicut  est  in 
appreheusione  sensitiva,  sed  etiam  naturalis.  In  actu  autem  appetitus  in- 
tellectivi  non  requiritur  aliqua  transmutatio  corporalis  :  quia  hujusmodi  ap- 
petitus non  est  virtus  alicujus  organi.  Unde  patet  quod  ratio  passionis  magis 
proprie  invenitur  in  actu  appetitus  sensiti\'i  quam  intellectivi.  »  Summa  theol., 
la  II ae  q^^  XXII,  art.  III;  —  «  Amor  et  gaudium  et  alia  hujusmodi,  cum 
attribuuntur  Deo,  vel  angelis,  aut  hominibus  secundum  appetitum  intellec- 
tivum,  significant  simplicem  actum  voluntatis,  cum  similitudine  effectus,  abs- 
que  passione.  »  ibid.,  ad  3.  —  Cf.  qu.  XLI,  art.  I;  —  De  Verit.,  qu.  XXVI, 
art.    IIÏ. 

Il  va  sans  dire  qu'en  excluant  la  passion-émotion  de  l'appétit  supérieur 
ou  volontaire,  saint  Thomas  ne  nie  pas  en  celui-ci  le  sentiment,  c'est-à-dire 
la  frnitio  ou  délectation  supérieure  qui  suit  dans  la  volonté  l'exercice  par- 
fait des  facultés  intellectuelles.  Pour  saint  Thomas  l'affectivité  déborde  la 
sensibilité  et  peut  se  rencontrer  dans  toute  l'échelle  des  actes  psychologiques. 
Et  c'est  là  un  autre  point  de  divergence  entre  saint  Thomas  et  les  modernes. 
Tandis  que  ceux-ci,  tout  en  ne  posant  leur  théorie  que  comme  une  explication 
des  émotions  dites  grossières,  ne  désespèrent  pas  d'expliquer  un  jour  de  la 
même  façon  les  sentiments  dits  suvérieurs,  saint  Thomas,  au  contraire,  refuse 
d'identifier  les  émotions-passions  et  les  sentiments  supérieurs  :  ceux-ci  sont 
dans  un  ordre  distinct  de  l'ordre  de  celles-là. 

2.  «  Sicut  in  nobis  ratio  universalis  movet  mediante  ratione  particulari, 
ut  dicitur  in  III  de  Anima,  ita  appetitus  intellertivus,  qui  dicitur  voluntas, 
movet  in  nobis  mediante  appetitu  sensitivo.  Unde  proximum  motivum  cor- 
poris  in  nobis  est  appetitus  sensiti\'us.  »  Summa  theol.,  I^  P-,  c[a-  XX,  art. 
I,  ad    1. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  245 

Pour  saint  Thomas,  l'émotion  ou  passion  est  un  phénomène 
psychologique  spécifique,  c'est  à-dire  ayant  des  caractères  pro- 
pres qui  le  distinguent  de  tout  autre  phénomène  psychologique. 

D'autre  part,  ce  fait  spécifique  est  un  fait  complexe,  mi-psy- 
chique, mi-organique  et  plus  précisément  un  acte  de  l'appétit 
sensible  toujours  et  essentiellement  accompagné  de  modifications 
corporelles.  Un  acte  de  l'appétit  sensible  qui,  —  si  c'était  pos- 
sible —  ne  serait  pas  accompagné  d'une  altération  physiologi- 
que, ne  serait  pas  une  véritable  émotion,  et  réciproquement.  Bien 
plus,  c'est  en  raison  seulement  de  ces  modifications  et  altérations 
corporelles  qu'un  acte  de  l'appétit  sensible  mérite  le  nom  de  pas- 
sion. «  Passio...  animalis,  cum  per  eam  ex  operatione  transmuta- 
tur  corpus,  in  illa  potentia  esse  débet  quae  organo  corporali  ad- 
jungitur,  et  cujus  est  corpus  transmutari  »  (1).  Saint  Thomas 
l'affirme  en  maints  endroits,  trop  nombreux  pour  être  cités,  soit 
en  le  disant  de  la  théorie  générale  de  la  passion,  soit  de  chacune 
des  passions  étudiées  en  particulier,  par  exemple  :  «  delectatio 
habet  rationem  passionis,  proprie  loquendo,  in  quantum  est  cum 
aliquâ  transmutatione  corporali  »  i2 1.  Cajetan  résumant  la  théo- 
rie générale  de  saint  Thomas  dit  :  «  Actus  appetitus  habent  ra- 
tionem passionis,  secundum  quod  intervenit  in  eis  aliqaa  trans- 
mutatio  corporalis,  et  hujusmodi  est  annexa  motui  animae.  »  (3). 

La  passion  est  donc  un  fait  spécifique,  et,  comme  telle,  elle  est 
un  fait  viixte  ayant  un  aspect  psychologique  et  un  aspect  physio- 
logique. C'est  pourquoi  on  ne  peut  comprendre  positivement  la 
nature  de  la  passion  dans  sa  complexité,  qu'en  dissociant  tout 
d'abord  ces  deux  aspects  pour  les  analyser  tour  à  tour,  sauf  à 
les  réunir  ensuite  dans  leur  unité  foncière  et  vivante,  en  marquant 
leurs  relations  nécessaires  et  réciproques. 

Nous  nous  appliqpierons  à  cette  analyse  à  la  suite  de  saint 
Thomas.  On  verra  comment  celui-ci  sait  user  alternativement  de 
l'observation  introspective  et  de  l'observation  objective  et  com- 
ment les  résultats  qu'il  obtient  peuvent  aisément  s'harmoniser 
avec  les  résultats  que  les  physiologistes  et  les  intellectualistes 
modernes  invoquent  pour  leur  théorie  respective.  (A  suivre). 
Kain.  H.-D.  Noble,  0.  P. 


1.  De  Verit.,  qu.  XXVI,  art.  III;  —  v;  Actus  appetitus  sensitivi,  inquan- 
tuin  habent  transmutationem  corporalem  annexam  passiones  dicuntur.  »  Sum- 
ma  theol,  l^  P..  qu.  XX.  art.  I.  al  1;  —  Cf.  I^  TI  c ,  qu.  XXII,  art.  1:  ihid., 
qu.  XLI,  art.  III;  qu.  XLV,  art.  III,  etc.,  etc. 

2.  Summa  theol.,   I^  TI^<^,   qu.   XXXI,   art.   IV,  ad  2. 

3.  Comment,  in  I^  ll^^    gy   XXII,  art    I. 


La  notion  du  Lieu 

théologique 

SUITE   (l) 

III 

LES     QUESTIONS    THÉOLOGIQUES. 

S'il  y  a  parallélisme,  il  ne  saurait  y  avoir  conformité  absolue 
entre  la  théorie  des  Lieux  dialectiques  et  celle  des  Lieux  théolo- 
giques. Les  Topiques  sont  un  traité  de  logique  dont  les  ques- 
ticns,  comme  les  solutions,  relèvent  de  l'analyse  des  termes 
comme  tels,  de  leurs  propriétés  et  de  leurs  relations  les  plus 
dégagées  de  toute  matière.  Les  Topiques  théologiques  sont  un 
traité  de  logique  spéciale,  puisque  la  Théologie  a  une  matière 
déterminée  par  le  point  de  départ  de  ses  argumentations,  à 
savoir  les  vérités  7-évélées  par  Dieu.  Melchior  Cano  l'a  bien  mar- 
qué dans  le  texte  qui  sert  d'épigraphe  à  ce  travail  :  Quemadmodum 
Aristoteles  in  Topicis  proposuit  communes  locos...  sic  nos  pecu- 
liares  quosdam  Theologiae  locos  proponimus...  L'application  à 
la  Théologie  des  données  qui  constituent  la  théorie  topique 
d'Aristote,  doit  donc  tenir  compte  de  la  matière  spécifique  de 
la  Théologie.  Le  parallélisme,  si  effectif  qu'il  doive  tout  à  l'heure 
nous  apparaître,  ne  comporte  qu'une  ressemblance  proportion- 
nelle, analogique,  entre  les  deux  méthodes.  C'est  ce  que  nous 
allons  vérifier  immédiatement  à  propos  des  Questions  théologi- 
ques (2). 


1.  Cf.  Rev.  des  Se.  FMI.  et  théol.,  Janvier  1908,  p.  51  sv. 

2.  Faut-il  dire  :  Prohlèmps  ou  Questions  théologiques?  En  Topique,  le  mot 
Problème  ne  fait  pas  difficulté.  Le  doute  méthodique  absolu,  dont  il  éveille 
l'idép,  convient  à  une  dialectique  universelle.  Les  seules  limites,  à  pren- 
dre les  choses  en  soi,   que  comportent  ses  points   d'interrogation  sont  prises 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  24" 


La  Question  théologique  fondamentale,  nous  l'avons  déjà  établi, 
est,  en  définitive,  celle-ci  :  Telle  énonciation  est-elle  révélée  ?  La 
point  de  vue  formel  de  la  révélation  est  sous-entendu  sous 
les  formules  en  apparences  directes  des  diverses  questions  théo- 
logiques,  et  en  constitue  le  prédicat,  unique  et  essentiel.  Il  suffit, 
pour  le  manifester,  de  faire  subir  à  renonciation  interrogative 
une  modification  analogue  à  celle  dont  la  Logiqne  établit  la 
légitimité  pour  la  transformation  des  propositions  modales  de 
re  en  propositions  de  dicto.  Par  exemple,  demander  en  Théologie 
si  rame  humaine  est  immor'telle,  ou  si  le  Christ  a  deux  volontés, 
c'est  demander  si  Vimmortalité  de  l'âme  ou  les  deux  volontés 
du  Christ  sont  révélées  par  dieu. 

Nous  avons  vu  plus  haut  (1)  Aristote  précisant  à  priori  la  ques- 
tion da  prédicat,  question  fondamentale  de  la  Dialectique,  par 
la  détermination  des  quatre  manières  dont  un  prédicat  peut  con- 
vem'r  à  un  sujet.  Ne  pourrions-nous  pas  diviser  la  question  théo- 
logiqpie  fondamentale  d'après  les  manières  dont,  à  priori,  le  prédi- 
cat révélé  peut  convenir  à  une  assertion  donnée? 

Le  prédicat  révélé  peut  être  considéré  de  deux  manières  :  1° 
dans  sa  nature  générale  de  prédicat  dialectique  2°  dans  sa  nature 
de  prédicat  dialectique  spécial.  Au  premier  titre,  d'après  ce  que 
nous  avons  longuement  exposé  dans  la  première  section  de  ce  tra- 
vail, il  possède  deux  propriétés  :  1°  il  désigne  une  qualité  du 
sujet.  Seule,  en  effet,  la  question  de  la  qualité  relève  de  la  (dialec- 
tique (2).  2°  c'est  un  prédicat  commun,  extrinsèque  à  la  nature 
du  sujet,  relevant  de  ce  moyen  banal  de  prouver  qu'est  l'appro- 


de  l'absurdité,  de  la  vanité  des  questions.  Cependant,  si  l'on  tient  compte 
des  positions  acquises  situées  au  voisinage  de  la  dialectique,  on_  rencontre  déjà 
certaines  limites  extrinsèques  qui  défendent  de  soulever  certaines  questions, 
par  exeniple  celles  c£ui  sont  de  nature  à  mettre  en  doute  la  morale  ou  la 
religion.  Cette  pensée  d'Aristote,  Topic,  1.  1,  c.  IX,  n.  9,  édit.  Didot,  p.  179, 
a  été  reprise  et  retournée  sous  tous  ses  aspects  par  San  Severino,  De  itsu 
duhitationis  in  scientiis,  dans  Philos,  cliristiana  ciun  antiquâ  et  nova  conipa,- 
rata,  vol.  III,  a.  III-VI,  p.  199-227.  En  Théologie,  bien  des  solutions  sont 
fixées  d'avance  pour  la  foi,  ou  du  moins  pour  la  prudence  chrétienne  du 
croyant.  Le  mot  utrum,  dès  lors,  ne  va  pas  sans  certaines  réserves.  Cf. 
Cappom,  in  Summam  theol.  D.  Thom.  Aq.,  1*  P.,  Q.  I,  a.  1.  Aussi  l'appel- 
lation de  Questions  théologiques,  dont  l'assonance  est  moins  libertiste  que 
celle  de  Problème,  a-t-elle  prévalu.  Ce  qui  n'empêche  pas  qu'on  ne  rencontre, 
même  en  Théologie,  ce  que  l'auteur  des  Concordantiae  attribuées  ta  saint  Tho- 
mas, nomme  un  prohlema  neutncm.  Opusc.  LXV  (edit.  Rom.  LXXII),  Opéra 
S.   Thom.  Aq.  Parma,   1864,  t.  XVII,  p.  4U. 

1.  P.    62. 

2.  Cf.    p.    56    et   59. 


248         rtEVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

bâti  on  de  l'opinion,  ici  du  témoignage  (1).  Essayons  de  déduire  de 
ces  trois  aspects  les  différentes  questions  théologigues  communé- 
ment énumérées  par  les  théologiens. 

I.  —  Questions  naturelles  et  Questions  surnaturelles. 

Considérons  d'abord  le  prédicat  révélé  comme  Qualité,  c'est- 
à-dire  comme  destiné  à  affecter  le  Sujet  de  la  question  dont  il 
est  le  prédicat,  d'un  mode  spécialisé.  Le  Sujet  de  la  Question 
théologique  fondamentale  est,  nous  l'avons  dit,  une  proposition. 
Le  Christ  a  deux  volontés,  Dieu  existe  ;  et  cette  question  elle-même 
demande  si  ces  propositions  sont  révélées.  Or,  la  qualité  d'une  pro- 
position, comme  telle,  c'est  sa  vérité.  Demander  si  une  proposition 
est  révélée  on  n'est  pas  révélée,  c'est,  en  somme,  demander  si  elle 
est  vraie  ou  fausse,  de  ce  genre  de  vérité  que  procure  à  une  énon- 
ciation  le  témoignage  divin. 

Mais,  les  propositions  soumises  à  cette  question  peuvent  être 
de  deux  sortes.  Tantôt  elles  possèdent,  antérieurement  à  la  ques- 
tion, une  vérité  naturelle  obtenue  par  la  démonstration  scien- 
tifique ou  un  argument  rationnel  probable,  tantôt  elles  deman- 
dent à  la  révélation  leur  première  qualification  dans  l'ordre  du 
vrai.  Dan^  le  premier  cas,  la  révélation  ne  saurait  affecter 
qu'accidentellement  la  vérité  des  propositions  qu'elle  garantit  : 
dans  le  second  cas,  au  contraire,  elle  peut  avoir  avec  cette  même 
vérité  un  rapport  nécessaire  et  essentiel.  Les  questions  théologi- 
ques qui  visent  à  obtenir  pour  des  propositions,  déjà  naturelle- 
ment démontrées  ou  connues,  le  bénéfice  de  la  vérité  acciden- 
telle que  peut  leur  conférer  la  révélation,  sont  nommées  par  les 
théologiens  questions  naturelles,  en  raison  de  la  main-mise  pre- 
mière qu'a  sur  elles  la  raison  naturelle  (2).  Les  questions  théolo- 


1.  Cf.   p.    58. 

2.  A  leur  sujet,  une  explication,  est  nécessaire.  On  pourrait,  en  effet, 
penser  que  ces  questions  naturelles  ne  sont  théologiques  que  lorsque,  abstrac- 
tion faite  des  preuves  rationnelles  qni  les  appuient,  on  cherche  à  les  résoudre 
par  la  révélation.  C'est  là  une  erreur.  Elles  demeurent  qiiestions  théologiqi;es 
alors  même  qu'elles  demandent  leur  solution  à  la  raison.  Comment  cela?  Le 
voici.  Si,  en  suivant  ce  que  nous  avons  nommé  l'ordre  naturel  des  réalités,  la 
raison  passe  avant  la  révélation,  il  n'en  est  pas  de  même  au  point  de  vue  de 
sa  valeur  comme  critère  de  vérité.  Ici,  la  révélation,  manifestation  directe  de 
la  connaissance  divine,  règle  de  la  nôtre,  prime  naturellement  la  raison.  Lors 
donc  qu'il  y  aura  communauté  d'objet,  une  même  question  relevant  des  moyens 
de  preuv(>  de  l'une  et  de  l'autre,  la  connaissance  rationnelle  ne  saurait  en 
aborder  la  solution  qu'en  tenant  compte  de  la  valeur  supérieure  de  la 
révélation  et  en  se  réglant  sur  elle.  La  Raison  n'est  plus  en  ce  cas  rai- 
son pure,  mais  raison  théologique,  c'est-à-dire,  raison  gouvernée  et  au  be- 
soin corrigée  par  les  enseignements  de  la  révélation.  C'est  ainsi  qu'une  ques- 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  249 

giques  qui  tendent  à  obtenir  pour  des  propositions,  non  accessi- 
bles à  la  raison,  le  bénéfice  du  genre  de  vérité,  essentiel  pour 
elles,  qui  ressortit  à  la  révélation,  sont  nommées  par  les  théo- 
logiens, ([uestions  surnaturelles  (1). 

II.  —  Questions  topiques  et  Questions  scientifiques. 

Considérons  maintenant  le  prédicat  révélé  dans  le  second  de 
ses  caractères  dialectiques,  qui  est  d'être  un  prédicat  commun 
et  extrinsèque  à  la  nature  intime  du  sujet.  S'il  est  un  cas  où 
ce  caractère  doive  être  accusé,  c'est,  à  coup  sûr,  le  cas  où  la  pro- 
position qui  sert  de  sujet  à  la  question,  prétend  exprimer  le 
Mystère  divin  en  lui-même. 

La  note  qualitative  dont  un  prédicat  commun  et  extrinsèque 
est  susceptible  d'enrichir  un  sujet,  est,  nous  l'avons  dit,  la  proha- 
bilité entendue  dans  le  sens  large  de  vérité  essentiellement  relative 
à  l'approbation  que  lui  donne  un  témoignage  extérieur  autorisé. 
Mais,  la  probabilité,  si  elle  n'exclut  pas  la  certitude  absolue,  qui 
est  située  à  sa  limite  supérieure,  ne  l'implique  en  aucune  manière. 
Les  questions  théologiques  qui  demandent  à  la  révélation,  prédi- 
cat commun  et  extrinsèque,  de  qualifier  certaines  propositions 
comme  vraies,  n'ont  pas  moins  de  droit  à  être  comptées  parmi  les 
questions  théologiqiies  lorsqu'elles  visent  à  obtenir  pour  ces  propo- 
sitions une  certitude  relative,  que  lorsqu'elles  ont  en  vue  .me  cer- 
titude absolue.  C'est  là  une  conséquence  de  la  nature  dialectique 
de  lat  héologie  (2).  De  là  résulte  à  priori  ime  nouvelle  division  des 
questions  théologiques,  importante  surtout  pour  les  questions 
surnaturelles,  en  Questions  qui  peuvent  prétendre  à  obtenir  une 
solution  probable  absolument  certaine  et  en  Questions  qui  se 
contentent  d'une  solution  simplement  probable.  Et  cette  dernière 
perspective,  là  où  la  certitude  n'est  pas  de  mise,  n'est  pas 
à  négliger  en  Théologie,  si  tant  est  que,  selon  le  mot  d'Aris- 
tote  rapporté  par  saint  Thomas,  cum  de  corporïbus  coeles- 
tlhiis  quaestioîies  possint  solvi  parvâ  et  topicâ  solutione,  contin- 


tion.  philosophique  au  premier  chef,  comme  l'existence  de  Dieu,  devient,  alors 
même  qxi'elle  attend  sa  solution  d'arguments  rationnels,  une  question  vrai- 
ment théologique.  Et  c'est  là  ce  qui  explique  et  justifie  la  présence,  dans  des 
traités  de  pure  théologie,  de  questions  en  soi  philosophiques,  comme  celle  de 
l'existence  de  Dieu,  à  l'article  III  de  la  question  II  de  la  Somme  Ihéologique, 
dont  les  moyens  de  solution,  empruntés  à  Aristote,  mais  dominés  et  conduits 
par  le  mot  de  l'Exode  rappelé  dans  le  sed  contra,  sont  de  ce  fait  des  moyens 
de  solution  théologiques. 

1,  Cano.  De  Locis,  I.  XII,  c.  V. 

2.  Cf.  p.   60-61. 


230         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUEy 

git  aiiditori  ut  vehemens  sit  gaudium  ejus  (1).  Or,  en  Théologie, 
il  s'agit  de  bien  autre  chose  que  de  corps  célestes.  Ecce  plus 
quam  Salomon  hic  !  Nous  pourrons  donc,  de  ce  chef,  di\dser  les 
questions  théologiques,  en  questions  topiques  et  en  questions 
scientifiques,  prenant  ici  le  mot  Science  dans  son  sens  large 
de  connaissance  absolument  certaine,  encore  qu'elle  ne  soit  pas 
jjer  causas. 

III.  —  Questions  de  principes  et  Questions  de  conséquences. 

Comme  prédicat  dialectique  spécial,  la  Révélation  a  cela 
de  propre  qu'elle  est  l'effet  d'un  témoignage  divin.  Ce  témoignage 
se  réalise  dans  un  certain  nombre  de  propositions  garanties  par 
Dieu,  et  qui  reçoivent  le  nom  de  Dépôt  de  la  Révélation.  C'est  à 
ce  Dépôt  divin  que  viennent  puiser  tous  les  arguments  théologi- 
ques qui  ser\^ent  de  réponse  aux  questions  théologiques,  lesquelles 
doivent  ce  nom  de  questions  théologiques  précisément  à  ce 
qu'elles  ne  demandent  leur  réponse,  en  dernière  analyse,  qu'à  ces 
divins    lôyoï. 

Or,  la  réponse  aux  questions  théologiques,  renfermée  dans 
ce  Dépôt  divin  de  la  Révélation  n'est  pas  nécessairement  uni- 
forme. Il  peut  arriver,  en  effet,  que  la  proposition  même  qui  sert 
de  sujet  à  la  question  se  retrouve  formellement  énoncée  dans  le 
Dépôt  de  la  Révélation,  qu'elle  soit  donc  formellement  révélée. 
En  ce  cas  la  question  n'a  pas  d'autre  sens  que  celui  d'une  mise 
à  l'épreuve  des  principes  mêmes  de  la  théologie.  C'est  la  ques- 
tion dont  Cano  donne  un  exemple  dans  le  chapitre  XII  de  son  XII^ 
livre  De  Locis,  qpi'il  intitule  ainsi  :  Exemphim  primum,  uhi 
principiiim  theologiae  in  quaestionem  vertitur.  ]\Iais  il  peut  arri- 
ver aussi  que  la  proposition  qui  fait  l'objet  de  la  question  ne  se 
trouve  pas  formellement  énoncée  dans  le  Dépôt  de  la  Révélation, 
bien  qu'on  puisse  l'en  dégager  à  l'aide  d'un  raisonnement.  On 
dit,  en  ce  cas,  que  la  révélation  de  la  vérité  en  cause  est  vir- 
tuelle. Cano  consacre  à  un  exemple  de  ce  genre  de  questions 
le  chapitre  XIII  de  son  XII^  livre,  intitulé  :  Exemplum  secimdum, 
uhi  Theologiae  conclusio  in  quaestionem  vertitur.  Ainsi  se  trouve 
justifiée  à  priori,  la  distinction  de  deux  sortes  de  questions 
surnaturelles,  les  unes  tendant  à  faire  qualifier  comme  immé- 
diatement révélée  la  proposition  qui  sert  de  sujet  à  la  question 
théologique,  grâce  à  cette  proposition  elle-même  retrouvée  au  sein 


1.  Contra  Goites,  I.  I,  c.  V. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  251 

du  Dépôt  de  la  Révélation,  les  autres  tendant  à  la  faire  qualifier 
comme  conséquence  légitime  de  la  vérité  formellement  révélée  (1). 
Avec  cette  distinction  nous  avons  épuisé  toutes  les  manières 
dont  le  prédicat  révélé  peut  être  considéré  dans  la  question 
théologique  fondamentale  et  dont,  par  conséquent,  les  ques- 
tions théologiques  peuvent  être  partagées  à  'priori  par  une 
méthode  analogue  à  celle  que  suit  Aristote  dans  la  déduc- 
tion qu'il  fait  des  quatre  grandes  questions  dialectiques.  Nous 
aboutissons  ainsi  à  la  reconnaissance  du  partage  de  la  question 
fondamentale  de  la  Théologie  en  questions  théologiques  formelle- 

1.  Nous  n'avons  pas  ici  à  insister  sur  les  modalités  des  questions  théologiqnes 
de  principes  et  de  conséquences.  Il  n'est  pas  cependant  tout  à  fait  inutile  d'en 
dire  deux  mots,  ne  serait-ce  que  pour  offrir  une  doctrine  d'ensemble.  En  ce 
qui  concerne  les  questions  qui  mettent  en  cause  une  vérité  formellement  ré- 
vélée, notons  deux  cas  :  lo  le  dictiim  mis  en  cause  est  révélé  non  seule- 
ment formellement,  mais  explicitement,  et  alors  il  n'y  a  pas,  à  proprement  par- 
ler, de  question  théologique  le  concernant.  Les  principes  de  la  foi,  qui  sont  les 
éléments  générateurs  des  solutions  théologiques,  ne  sauraient  faire  question  en 
Théologie.  Les  questions  qui  les  mettraient  en  discussion  seraient  aux  véritables 
questions  tliéologiques  ce  que  sont  aux  thèses  légitimes  des  sciences  ces  po- 
sitions qui  ne  tiennent  pas  compte  de  leur  donné  objectif,  et  que  saint 
Thomas  nomme,  après  Aristote,  des  positlones  extraneae.  Cependant,  en  rai- 
son de  l'ignorance  des  fidèles  ou  de  l'hostilité  des  hérétiques,  elles  ne  laissent 
pas  d'être  posées  en  fait,  et,  pour  ce  motif  accidentel,  leur  annexion  aux 
questions  théologiques  s'impose.  C'est,  en  effet,  selon  les  principes  chers  à 
saint  Thomas,  l'une  des  fonctions  de  la  théologie,  cette  métaphysique  sur- 
naturelle, de  défendre  ses  principes  contre  leurs  adversaires,  soit  en  argu- 
mentant, à  partir  des  principes  de  foi  qu'ils  conservent,  pour  leur  faire  admettre 
ceux  qu'ils  révoquent  en  doute,  soit,  s'ils  n'accordent  rien,  en  manifestant  la 
fragilité  de  leurs  objections  (1).  Et  c'est  par  cette  nécessité  de  réfuter  les 
hérétiques  que  Cano  se  disculpe  de  mettre  en  discussion,  «  contra  institutum 
meiim  »,  dit-il  (2)  un  principe  de  théologie  qui  ne  devrait  pas  faire  question. 
2°  Il  est  cependant  un  cas  où  une  véritable  question  théologique  concerne  les 
vérités  formellement  révélées.  C'est  lorsque  celles-ci  ne  sont  pas  révélées  expli- 
citement, c'est-à-dire  dans  les  termes  mêmes  où  les  énonce  la  question,  mais 
seulement  dans  des  termes  équivalents,  dont  il  est  nécessaire,  par  des  explica- 
tions, d'établir  l'équivaLence  (3)  ?  En  ce  cas,  il  y  a  vraiment  matière  à 
question,  au  point  de  vue  théologique,  les  vérités  implicitement  révélées 
n'étant  pas  au  point  pour  déterminer  la  foi  explicite  à  leur  contenu,  —  il  y  a 
question  théologique. 

—  Mais  les  questions  théologiques  par  excellence  sont  celles  où  le  dictum 
qui  fait  le  sujet  de  la  question  n'est  pas  formellement  dans  le  Dépôt  de  la 
révélation;  lorsqu'il  est  nécessaire  de  recourir,  pour  l'en  dégager,  non  plus  à 
une  explication,  mais  à  iin  raisonnement  formel,  c'est-à-dire  dans  lequel  la 
conclusion  sort  des  prémisses,"  non  par  désenveloppement  de  l'implicite^  comme 
dans  le  cas  précédent,  mais  par  une  véritable  transition  de  la  cause  à  l'effet. 
Ce  sont  les  questions  de  conséquences  et  non  plus  de  principes.  Les  théologiens 
en  énumèrent  de  deux  sortes  :  selon  qu'elles  demandent  leurs  solutions  à  des 
prémisses  formellement  révélées,  ou  à  des  prémisses  dont  l'une  est  révélée,  l'au- 
tre rationnelle  (approuvée  d'ailleurs  par  la  foi  comme  tout  ce  qui  entre  en  théo- 
logie. Cf.  plus  haut,  p.  248  note  2).  Dans  le  premier  cas,  la  question  théologique 
bien  que,  logiquement  parlant,  elle  vise  une  conséquence,  peut  être  regardée,  au 
point  de  vue  de  la  spécification,  comme  relevant  des  questions  que  soulèvent 
les  principes  formellement  révélés.  Dans  le  second  cas,  au  contraire,  elle  est 
au  premier  chef  une  question  relative  aux  conséquences  de  la  révélation,  et 
le  genre  de  vérité  qu'elle  vise  est  celui  de  la  révélation  virtuelle.  C'est  elle 
que  Cano  nomme  qiiaestio  mixta,  1.  XII<^,  c.  V.   Cf.  p.  271-272,  Règle  X. 

1.  Summa  theol.  I.  P.,  Q.  L,  a.  8. 

2.  De  lacis,  1.  XII,  c.  XIU,  au  début.  Cf.  1.  II,  c.  IV,  vers  la  fin. 

3.  Cf.  BiLLUAiiT.  Dissert,  proœm.  de  Theol.,  a.  VII. 


252         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

ment  distinctes,   irréductibles   et   désormais   classées,   à  savoir  : 
.  1°  les  questions  naturelles  et  les  questions  surnaturelles 
2"  les   questions  topiques  et  les   questions  scientifiques 
3"  les  questions  de  principes  et  les  questions  de  conséquen- 
ces. 


Avajit  de  passer  aux  Instruments  d'invention  des  Lieux  théo- 
logiques, comme  la  suite  de  la  Dialectique  d'Aristote  nous  y  in- 
vite (1),  il  ne  sera  pas  inutile  de  recueillir  les  conséquences  de 
cette  division  des  diverses  espèces  de  questions  tbéologiques  pour 
la  détermination  a  priori  des  titres  généraux  de  l'argumenta- 
tion théologique  ou  Lieux  communs  théologiques,  qui  doivent 
leur  correspondre  comme  les  quatre  lieux  suprêmes  de  la  Topique 
correspondent  aux  quatre  grandes  questions  dialectiques  (2). 
Cette  détermination  est  même  nécessaire  pour  qxie  les  Instruments 
puissent  faire  leur  œuvre,  si  tant  est  que  les  Instruments  soient 
destinés,  en  Théologie  comme  en  dialectique,  à  découvrir  :  hca 
'particularia  uniuscu jusque  quaesiti  locorum    universalium. 

Pour  déterminer  les  Lieux  communs  majeurs  de  la  Dialectique, 
Aristote  a  retourné,  pour  ainsi  parler,  les  questions  dialectiques 
suprêmes,  et  fait,  de  ce  qui  était  un  intitulé  de  problème,  un 
chef  de  solution.  C'est  ainsi  que  les  problèmes  du  Genre,  de  la 
Définition,  du  Propre  et  de  l'Accident,  se  sont  transformés  en 
Lieux  du  Genre,  de  la  Définition,  du  Propre  et  de  l'Accident.  Il 
a  suffi  d'expliciter  dans  des  propositions  les  caractéristiqaes  dif- 
férentielles de  chacun  de  ces  problèmes  (3),  pour  formuler  des 
lieux  communs  suprêmes,  desquels  les  instruments  d'invention 
ont  dégagé  les  lieux  dialectiques  proprement  dits.  C'est  une  opéra- 
tion analogue  qu'il  s'agit  de  faire  sur  les  Questions  fhéologiques. 

Mais  auparavant,  il  est  nécessaire  de  réviser  leur  nomencla- 
ture en  vue  de  cet  usage.  Parmi  les  trois  groupes  dichotomiques 
do  questions  théologiques  que  nous  venons  d'énumérer,  il  en 
est  un,  le  troisième,  qui  tire  sa  raison  d'être  de  la  forme  lo- 
gique de  l'argumentation  qui  lui  répond,  ne  procédant  aucune- 
ment d'une  caractéristique  matérielle  spéciale.  Qu'une  question, 
en  effet,  ait  pour  objet  un  principe  de  foi  ou  une  conséquence  de 
ce  principe,  la  matière  de  la  solution  reste  la  même,  à  savoir 


1.  P.   73,   note. 

2.  Cf.    p.    64. 

3.  Exemple  :    Les    Loci   a   defniiione   s'explicitant    dans    le    lieu   commun  : 
Défini  et  définition  s'équivalent.  Cf.  p.  69. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  2o3 

la  révélation  toute  seule  pour  la  première,  la  révélation  et,  dans 
le  cas  des  questions  mixtes,  la  raison  naturelle  théologique  pour 
la  seconde.  Or,  ce  sont  là  les  chefs  de  solution  des  questions 
de  la  première  dichotomie  :  questions  naturelles  et  questions 
surnaturelles.  La  distinction  des  questions  de  principes  et  des 
questions  dérivées  ne  donne  donc  pas  lieu  à  la  reconnaissance  de 
lieux  communs  théologiques  distincts  de  ceux  des  deux  pre- 
mières questions.  Quant  aux  questions  topiques  et  aux  questions 
scientifiques,  qui  constituent  le  second  groupe,  elles  ne  supposent^ 
elles  aussi,  aucun  élément  matériel  spécial  et  doivent  être  re- 
gardées comme  des  modalités  différenciant  les  questions  de  la 
première  dichotomie;  en  sorte  que  nous  sommes  définitivement  en 
présence  :  1°  des  questions  théologiques  naturelles  topiques  et 
scientifiques;  2°  des  questions  théologiques  surnaturelles  topi- 
ques et  scientifiques,  soit  quatre  genres  de  questions  au  lieu  de  six. 

Appliquons  à  ces  questions  le  procédé  aristotélicien  de  trans- 
formation de  l'intitulé  de  la  question  en  chef  de  solution,  nous 
obtiendrons  les  quatre  grands  titres  généraux  de  l'argumenta- 
tion théologique  :  1°  la  raison  théologique  probable  2°  la  raison 
théologique  scientifique;  3°  la  révélation  probable;  4°  la  ré- 
vélation certaine.  Il  suffira  d'expliciter  ces  caractéristiques  dif- 
férentielles en  propositions  pour  obtenir  quatre  grands  lieux  com- 
muns théologiques,  qui  pourront  servir  de  point  de  départ  au 
travail  des  Instruments  d'Invention  des  Lieux  théologiques  pro- 
prement dits. 

En  regard  des  questions   théologiques  surnaturelles  il  vient: 

1.  Ce  qui  fait  certainement  imrtie  du  Dépôt  de  la  Bévélation 
offre  aux  questions  théologiques  surnaturelles  un  principe  de  solu- 
tion efficace  et  nécessaire. 

2.  Ce  qui  fait  probablement  partie  du  Dépôt  de  la  Bévélation 
offre  aux  questions  théologiques  surnaturelles  un  principe  de  solu- 
tion probable. 

En  regard  des  questions  théologiques  naturelles  il  vient  : 

3.  Ce  que  la  raison  naturelle,  approuvée  par  la  Révélation,  dé- 
montre ajwdictiqviement,  offre  aux  questions  théologiques  natu- 
relles ou  mixtes  un  principe  de  solution  certaine. 

4.  Ce  que  la  raison  naturelle,  approuvée  par  la  Révélation,  éta- 
blit par  des  arguments  probables,  offre  aux  questions  théolo- 
giques naturelles   ou  mixtes   un   principe   de  solution  probable. 

Ces  lieux  commmis  sont  sans  doute  bien  généraux,  bien  abs- 
traits.  Ce   sont  des   cadres   qu'il  va  falloir  remplir.    Déjà  nous 


254         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

entrevoyons  ce  qui  est  apte  immédiatement  à  les  étoffer,  à  savoir 
quelque  chose  cormiie  les  dix  lieax  théologiqaes  de  Melchior 
Cano  qui  sont  dans  toutes  les  mémoires.  Le  lieu  commun  de 
la  révélation  certaine  se  concrétisera  dans  les  lieux  théologiques 
de  l'Écriture  sainte,  de  la  Tradition,  de  l'autorité  de  l'Église 
Catholique,  des  Conciles  et  des  Souverains  Pontifes;  le  lieu 
commun  de  la  révélation  probable  dans  les  lieux  théologiques  de 
l'autorité  des  Saints-Pères,  des  Théologiens  et  des  Caiionistes  ; 
le  lieu  commun  tiré  des  certitudes  rationnelles  dans  le  lieu  théo- 
logique de  la  raison  naturelle;  le  lien  commun  tiré  des  pro- 
babilités rationnelles  dans  les  lieux  théologiques  de  l'histoire  et 
de  l'autorité  des  philosophes.  Mais  nous  n'avons  pas  encore  le 
droit  d'affirmer  toutes  ces  déterminations.  La  déduction  à  priori 
que  nous  venons  d'opérer,  en  harmonie  avec  celle  d'Aristote,  ne 
nous  donne  que  les  quatre  lieux  cominuns  théologiques  suprê- 
mes. Pousser  plus  loin,  choisir  déjà  des  propositions  matériel- 
lement déterminées,  c'est  empiéter  sur  la  tâche  des  Instruments 
d'invention  des  Lieux  théologiques  dont  le  rôle  propre,  en  Théo- 
logie comme  en  topique,  est  de  faire  sortir  de  la  virtualité 
puissante  mais  vague  des  Lieux  communs  la  multitude  ordonnée 
des  Lieux  spéciaux,  capables  d'amorcer  immédiatement  des  ré- 
ponses topiques  à  toutes  les  modalités  des  questions. 

IV 

LES   INSTRUMENTS   d'INVENTION   DES   LIEUX   THÉOLOGIQUES. 

Albert  le  Grand  nomme  Ars  generalis  la  partie  centrale  de 
la  Dialectique  aristotélicienne,  consacrée  aux  Instruments  d'in- 
vention des  Lieux  dialectiques.  Il  réserve  la  dénomination  d'Ars 
specialis  à  la  dernière  partie,  contenant  l'invention  même  de 
ces  Lieux  (1).  On  ne  saurait  mieux  caractériser  ces  deux  mo- 
ments de  la  Théorie.  La  Doctrine  des  Instruments,  en  effet, 
édicté  les  règles  ou  préceptes  pratiques  qui  dirigent  de  haut 
l'argmnentation  dialectique  en  permettant  d'en  formuler  les  prin- 
cipes immédiats  ;  l'Invention  des  Lieux  applique  ces  règles  ou 
préceptes  au  donné  dialectique  qui,  sous  leur  direction,  passe  de 
l'état  brut  de  collection  d'opinions  probables  à  l'état  d'ensemble 
différencié  et  organisé  de  principes  adaptés  à  la  solution  des 
questions. 

1.  In   Topica,  1.  I,  tr.  I,  c.  I;   Opéra,  Paris.   1890,  t.  II. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  255 

La  remarque  générale  faite  précédemment  (1)  touchant  le  pa- 
rallélisme des  différents  moments  de  la  Dialectique  théologigiie 
avec  les  moments  correspondants  de  la  Dialectique  aristotéli- 
cienne se  vérifie  pour  VArs  generalis  que  nous  abordons  pré- 
sentement. Entre  VArs  generalis  des  Topiques  et  la  Doctrine 
des  Instrmnents  théologiques,  il  y  aura  seulement  proportion 
analogique.  Sans  doute,  les  dénominations  générales  des  quatre 
instruments  dialectiques,  le  recensement  des  propositions,  la  dis- 
tinction des  ambiguïtés,  le  collationnement  des  différences  et  l'exa- 
men des  similitudes  (2),  se  retrouveront  dans  la  Dialectique 
théologique,  mais  les  règles  ou  préceptes  qui  armeront  intérieu- 
rement ces  instruments  offriront  un  contenu  bien  différent.  Cela 
vient,  ici  encore  (3),  de  ce  que  le  prédicat  7-évélé  désigne  une  ma- 
tière très  spéciale,  tandis  que  le  prédicat  purement  logique  de 
la  question  dialectique  fondamentale  exclut  toute  détermination 
purement  matérielle.  Les  règles  ou  piéceptes  destinés  à  décou- 
vrir les  lieux  dialectiques  développent,  en  conséquence,  les 
propriétés  des  termes  comme  tels  ;  la  formulation  des  règles 
touchant  la  distinction  des  homonymes,  par  exemple,  to  Troca/w; 
E/.ao-rov  ÀÉ'/ôTat  dvyy.<j9a.i  dultlv,  trouve  son  justificatif  adéquat 
dans  un  on-dit,  liytry.L.  Au  contraire  les  règles  ou  les  pré- 
ceptes destinés  à  fournir  des  lieux  théologiques  se  formulent  en 
regard  des  propriétés  de  la  Révélation  divine,  doiuiée  absolu- 
ment étrangère  à  l'analyse  des  termes,  et  dont  les  exigences  ne 
nous  sont  même  pas  connues  par  une  science  rationnelle,  étant 
établies  par  la  foi  divine  dont  la  Révélation  représente  l'objet. 
Il  est  vrai  que  certaines  sciences  rationnelles  sont  mises  à  con- 
tribution pour  formuler  dans  le  détail  les  instruments  d'inven- 
tion des  Lieux  tliéologiques  ;  mais  les  données  qu'elles  four- 
nissent ne  sont  admises  qu'à  titre  d'information,  comme  le 
sont  les  outils  indispensables  pour  construire  les  organes,  les 
pièces  d'un  instrument.  C'est  aux  seules  exigences  du  Donné 
révélé  que  les  règles  ou  préceptes  d'invention  des  Lieux  théolo- 
giques demandent  leur  force  directrice  et  régulatrice,  qu'il  s'a- 
gisse de  recenser  les  propositions,  d'en  distinguer  les  ambi- 
guïtés, ou  encore  de  les  multiplier  par  la  découverte  de  leurs 
différences  et  de  leurs  similitudes  (4). 


1.  P.   246. 

2.  Cf.    p.    66. 

3.  Cf.   p.   246. 

4.  Comme   nous   n'avons   pas    l'intention   de   rédiger   un   nouveau    Traité  de 
Lieux    théologiques,    on    nous    permettra    de    faire    état    des    Traités    existants. 


256         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Les  traités  modernes  de  Lieux  théologiques,  en  dépit  de  leur 
titre,  ne  contiennent  que  la  partie  de  la  Dialectique  théologique 
correspondant  à  YArs  generalis,  c'est-à-dire  à  cette  théorie  des 
Instruments  qae  nous  devons  maintenant  construire,  et  ainsi, 
phénomène  paradoxal,  on  ne  rencontre  pas  de  Lieux  théologi- 
ques proprement  dits  dans  la  plupart  des  traités  de  Lieux  théo- 
logiques, mais  seulement  des  préceptes  sur  la  manière  d'en  faire 
ou  d'en  découvrir  (1). 


La  théorie  des  Instruments  d'invention  des  Lieux  théologiques 
comprend  deux  moments. 

I.  Dans  le  premier  on  passe  des  quatre  Lieux  théologiques  su- 
prêmes, abstraits  et  à  priori  (2),  à  des  lieux  communs  concrets 
et  à  posteriori,  du  type  des  dix  lieux  théologiques  généraux  de 
Melchior  Cano  (3). 

II.  Dans  le  second,  on  détermine,  d'après  les  exigences  supé- 
rieures de  l'objet  de  foi,  base  de  la  Théologie,  les  instraments 
d'invention  qui  amèneront  les  Lieux  communs  concrets  et  à 
posteriori  du  type  des  dix  lieux  de  ^lelchior  Cano,  à  l'état  de 
lieux  théologiques  proprement  dits,  c'est-à-dire  de  propositions 
prêtes  à  entrer  dans  les  argumentations  qui  donnent  la  solution 
des  questions  théologiques  spéciales  et  de  leurs  modalités. 


spécialement  de  ceux  qui  sont  davantage  conçus  selon  le  véritable  esprit 
de  la  Topique  théologique.  Au  premier  rang,  le  De  Lacis  de  Cano,  le  travail 
consciencietix  de  Perrone,  De  locis  Theologicis,  p.  II;  la  profonde  Inlrodnctio 
in  S.  Theologiam  de  Schaezler,  la  partie  de  la  Summa  apoLogctica  de  Ecclesia 
du  Père  De  Groot  qui  nous  concerne,  enfin,  le  De  Locis  du  Père  Jioa,chi;m 
Berthier,  Turin  1888,  qui  a  codifié  et  rendu  maniable  le  chef-d'œuvre  un 
peu  exubérant  de  Cano,  en  le  complétant  et  le  modernisant  avec  un  sens 
de  dialecticien  de  la  Théologie  très  averti. 

1.  Cependant  Cano,  dans  son  Xlle  livre,  qui  devait  être  suivi  de  deux 
autres,  a  esquissé  l'idée  de  VArs  specialis  théologique.  Mais  l'infinité  de  la 
tâche  l'a  détourné  de  l'entreprendre  intégralement,  comme  Aristote  l'avait  fait 
pour  les  Lieux  dialectiques,  dans  les  livres  II  à  VII  da  ses  Topiques.  C'était 
là,  selon  Cano,  une  œuvre  personnelle  aux  théologiens.  (Cf.  De  Locis, 
1.  XII,  c.  XI).  Aussi  s'est-il  contenté  de  les  mettre  sur  la  voie  en  donnant 
quelques  exemples  typiques  du  travail  qui  incombait  à  chacun.  (Cf.  De  Locis, 
1.  XII,  c.  XII-XIV). 

2.  Cf.   p.   253. 

3.  Locorum  ergo  theologicorum  elencliuni  denario  ?ios  quidem  numéro  complecti- 
mur,  non  iguari  futuros  aliquos,  qui  eosdcin  hos  locos  i)i  ininorcm  7iumerum  redigaiit, 
alios,  qui  velint  esse  majorem.  :  sed  de  eiiumerationis  figura  nihil  morandum  est  ; 
viodo  nulhcs  omnino  locus  vel  superfi.uus  }iunieret>a\  rel  praetermiltatur  necessarius. 
De  Locis,  1.  I,  c.  III  —  On  voit  que  le  promoteur  des  Lieux  théologiques 
ne  songe  guère  à  faire  du  chiffre  dix  un  nombre  sacré  et  symbolique,  en 
harmonie  avec  celui  dos  Dix  pirédicaments  d'Aristote.  Il  est  entendu,  une 
fois  pour  toutes,  que  c'est  dans  ce  même  esprit  que,  durant  tout  ce  travail, 
nous  parlerons  de   dix  Lieux  théologiques.. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  257 

I.    —   Passage   des   quatre   Lieux  communs  théologiques   à   priori 
aux  Dix  Lieux  communs  et  à  posteriori  de  Melchior  Cano. 

Le  Donné  révélé  ne  s'invente  pas.  Il  se  constate.  C'est  d'ail- 
leurs dans  ce  sens  large  que,  même  en  Dialectique,  on  parle  d'ins- 
truments d'invention.  En  Dialectique,  le  premier  Instrument,  nous 
l'avons  vu,  a  pour  principal  objet  de  collectionner  des  proposi- 
tions probables,  en  les  cherchant  là  où  elles  se  trouvent,  à  savoir 
dans  les  opinions  du  vulgaire  ou  des  sages,  dans  les  documents 
scientifiques,  historiques,  etc.  (1).  Transposé  en  théologie,  cet 
instrument  fondamental  de  la  découverte  des  Lieux,  ne  change 
pas  de  procédé.  Seul  le  critère  qui  dirige  ses  recherches  diffère. 
Ce  n'est  plus  l'approbation  humaine,  c'est  la  Révélation  di- 
vine ou,  parfois,  l'approbation  de  certains  dires  humains  par 
cette  révélation.  J\Iais  la  révélation,  objet  propre  de  la  foi,  elle- 
même  génératrice  de  la  Théologie,  possède  à  son  tour  un  cri- 
tère nécessaire,  critère  du  même  ordre  divin  que  la  foi  à  la- 
quelle il  est  coordonné  et  qu'il  dirige.  Ce  critère  c'est  le  magis- 
tère dt!  l'Église  catholique.  Le  dialecticien  de  la  Théologie  n'est 
donc  ,pas  livré,  comme  le  dialecticien  d'Aristote,  aux  aléas  de 
l'investigation  personnelle,  à  ces  à  peu  près  des  réussites,  qui, 
au  sorijr  de  son  enthousiaste  labeur,  arrachent  au  Stagyrite, 
conscient  de  l'inachevé  de  ses  résultats  en  face  de  l'immensité 
du  domaine  du  probable,  cet  aveu  mélancolique  :  Les  voici  donc 
presque  suffisamment  énumérés,  ces  Lieux,  qui  nous  fourni- 
ront en  regard  de  chacun  des  problèmes,  d'abondantes  ressour- 
ces de  solution!  (2)  L'Église  lui  garantit  par  avance  la  possibi- 
lité d'une  réussite  inlégrale  :  Haec  porro  siipernaturalis  revelatio 
seaindum  iiniversaiis  Ecclesiae  fidem,  a  Saiictâ  Tridentinâ  Synodo 
dedaratam,  continetur  in  libris  scripiis  et  sine  scripto  traditionibus, 
quae  ipsius  CJiristi  ore  ah  apostolis  acceptae,  aut  ah  ipsis  apostolis 
Spiritû  sanrlo  dictante  quasi  per  mayius  traditae,  ad  nos  usque 
perveneriint  (3). 

Du  coup,  voilà  circonscrit  jusqu'à  son  extrême  et  définitix^e 
limite,  le  champ  d'investigation  du  dialecticien  de  la  Théologie, 
voilà   son   premier   instrument  de   découverte  orienté,   fixé.   En 


1.  Cf.  p    66-67. 

2.  0;  tt.kv  ol'v  TJTTOi  8l  'wv  evrrop-qcroix'-iv  Trpn  eKacrra  tJjv  irpo^\T)p.iTij}v  èiriXiLpùv,  axeSàv 
iKavQs  i^-qpid fievTaL.  Topicorion,  1.  VII,  c.  IV,  n.  18.  Opéra,  édit.  Didot,  t.  .', 
p.  260. 

3.  Constitution  Dei  Films,  c.   II,  Denziger,  Enchiridion,  n.   1633. 

2°  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  2.  17 


2q8         REVU2    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

ce  qui  concerne  la  matière  foncière  de  son  travail  il  n'a  plus  à 
choisir,  il  n'a  qu'à  prendre.  Et  dans  ce  qu'on  lui  offre,  il  trou- 
vera tout  l'essentiel.  Il  est  à  pied  d'œuvre. 

Cependant,  si  le  terrain  est  délimité,  il  faut  avouer  qu'il  est 
immense,  vague  et  comme  en  friche.  Avant  de  se  mettre  à  l'œu- 
vre, il  ne  sera  pas  superflu  de  s'entretenir  des  moyens,  s'il  en 
existe,  qui  le  rendront  plus  abordable,  plus  praticable,  plus  ex- 
ploitable, si  l'on  peut  ainsi  dire. 

Le  magistère  de  l'Église  s'offre  une  deuxième  fois  au  Théo- 
logien. Il  se  désigne  lui-même,  avec  toute  l'autorité  qu'il  a  pour 
la  foi,  comme  le  critère  indispensable  et  authentique,  parce  qu'il 
est  divin,  de  l'Écriture  et  de  la  Tradition.  Porro  fide  divinâ  et  ca- 
tholicâ  ea  omnia  credenda  sunt  quae  in  verbo  Dei  scripto  vel 
tradito  continentur,  et  ah  Ecclesiâ  sive  solemni  judicio  sive  ordi- 
nario  et  universali  magisterio  tanqiiam  divinitûs  revelata  credenda 
propoyiuntur  (1). 

Ainsi,  aux  deux  dépôts  concrets,  absolument  certains  et  offi- 
ciels, mais  figés,  de  la  Révélation  divine,  se  superpose  une  source 
vivante  de  renseignements  non  moins  officiels,  l'enseignement 
du  jMagistère  ecclésiastique.  Celui-ci  dénonce  d'ailleurs  lui-même 
ses  organes  authentiques,  autorité  enseignante  de  l'Église  uni- 
verselle. Conciles  œcuméniques,  enseignement  du  Souverain  Pon- 
tife   (2)- 

Désormais  l'entreprise  du  Dialecticien  de  la  Théologie  n'offre 
plus  rien  d'impossible.  Mais  ce  n'est  pas  assez  pour  satisfaire 
sa  curiosité  scientifique.  Tout  n'est  pas  dit  par  l'Église.  Le  théo- 
logien sait  que,  collatéralement  à  ce  magistère  officiel,  des  Saints 
et  des  Théologiens  travaillent  à  défricher  le  champ  du  Père  de 
famille.  Certains  d'entre  eux  ont  eu  l'incomparable  avantage 
de  vivre  dans  un  milieu  encore  pénétré  des  influences  primitives 
et  ajoutent  ainsi  à  la  valeur  du  saint  qui  vit  de  la  révélation  et 
du  savant  qui  l'interprète,  le  mérite  du  témoin  qui  en  a  cons- 
taté l'objective  réalité.  A  mesure  que  s'éloignent  ces  temps  de 
la  révélation  originelle,  d'innombrables  travailleurs,  Docteurs  de 
lÉglise,  Théologiens  de  l'École,  Canonistes  même  s'efforcent 
sous  la  direction  de  l'Église,  de  pénétrer  le  sens  et  les  virtua- 
lités de  l'enseignement  révélé,  et  il  est  impossible  que  cet  im- 
mense labeur,  effectué  par  des  spécialistes,  ne  conlienne  pour  une 
bonne  part,  une  illustration  pénétrante  de  la  Révélation.  Si  Aristo- 


1.  Constitution  Bd  Films,  c.  III.  Denziger,  Enchiridion,  n.  1641. 

2.  Constitution  Tater  aeternus,  passim.  Denziger,  Enchiridion,  n.  1667  ssg. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOttlQUE  259 

te  conseille  justement  à  son  dialecticien  de  recueillir  les  dires  des 
Sages,  même  parfois  d'un  seul  sage  de  grande  valeur  (Aristote  pro- 
nonce le  nom  d'Empédocle)  (1),  n'est-il  pas  d'un  bon  dialecticien 
de  la  Théologie  de  recueillir,  non  certes  absolument  comme 
parole  d'Évangile,  mais  comme  témoignage  ou  explication  au- 
torisée du  Dépôt  de  la  Révélation,  le  témoignage  des  Pères^ 
l'enseignement  des  Théologiens,  voire  même  des  Canonistes? 
L  Église  elle-même  approuve  et  conseille  ce  recours  à  la  Sagesse 
chrétienne  (2).  De  ce  fait,  voici  annexé  an  Donné  révélé  un  com- 
mentaire perpétuel  qui,  par  l'esprit  de  foi  qui  l'inspire,  lui  est 
en  quelque  sorte  homogène  et  en  donne  l'interprétation  sinon 
officielle  toujours,  du  moins  souvent  officieuse.  La  providence 
spéciale  que  Dieu  ne  peut  manquer  d'exercer  sur  le  développe- 
ment de  sa  parole  révélée  en  garantit  la  vérité  d'ensemble. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  travail  des  Docteurs  et  des  Théologiens 
ne  s'opère  la  plupart  du  temps  qu'en  faisant  appel  à  la  raison 
naturelle,  et,  non  pas  seulement  aux  lois  formelles  de  la  logique^ 
mais  aux  vérités  qui  sont  le  fruit  naturel  du  travail  de  l'esprit 
humain,  aux  faits  qu'il  garantit  par  son  témoignage.  Or,  d'une 
part  la  raison  naturelle  est,  dans  son  ordre,  la  participation  de 
la  lumière  de  Dieu,  comme  la  révélation  dans  le  sien  ;  d'autre 
part,  cette  sorte  de  compagnonnage  de  la  raison  et  de  la  Révéla- 
tion dans  l'esprit  et  dans  les  œuvres  des  théologiens  fidèles  n'a 
pu  so  perpétuer,  comme  il  l'a  fait,  à  travers  les  siècles,  sans 
que  fussent  jugées  et  rejetées  les  déviations  de  la  raison  natu- 
relle ennemies  de  la  révélation,  sans  qu'au  contraire  l'étincelle 
divine  de  vérité  qu'elle  renferme  se  trouvât  dégagée  par  cette 
sorte  d'approbation,  relative  il  est  vrai  (3),  que  communique  à 
une  vérité  naturelle  le  fait  de  servir  efficacement,  à  prouver",  à 
développer,  à  faire  mieux  saisir  la  vérité  révélée,  supposée  ab- 
solument hors  de  conteste.  L'Église,  d'ailleurs,  intervient,  ici 
encore,  poui  nous  encourager  à  utiliser  ce  prolongement  du  Dé- 
pôt révélé  dans  la  Raison  naturelle  (4). 

Cane,  attentif  à  recueillir  toutes  les  modalités  de  la  Révélation, 
quitte  ici  le  premier  instrument  dialectique,  qui  seul  lui  a  servi  à 


1.  Topic,  I.  I,  c.  XII,  n.  4,  édit.  Didot,  t.  I,  p.  180. 

2.  Cf.   Constitution  Dei  Filius,  c.  11,  in  calce  ;  cf.  Syllabus,  prop.  Xlll. 

3.  Relative,  en  ce  sens,  cpi'elle  ne  remplace  pas  une  bonne  démonstration 
naturelle.  Elle  suppose  la  vérité  établie  par  ses  moyens  naturels  et  n'en 
juge  qu'au  point  de  vue  de  son  harmonie  avec  le  révélé.  Cf.  S.Thomas, 
Sunima  theol.,  1,  q.   I,  a.  6,  ad  2. 

4.  Constitution  Dei  Films,  c.  IV".  Denziger,    Enchiridion,  n.   1644-46. 


'2G0         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÊOLOGIOUES 

trouver  tout  ce  qui  précède,  et  utilise  le  troisième,  la  considération 
des  différences,  pour  distinguer  deux  aspects  de  la  raison  natu- 
relle. Elle  peut,  en  effet,  être  considérée  en  soi  et  dans  sa  va- 
leur abstraite,  ou  dans  le  témoignage  autorisé  des  savants.  Dans 
le  premier  cas,  elle  donnera  sur  l'objet  révélé  non  seulement 
des  probabilités  mais  des  certitudes  absolues  dans  leur  ordre, 
comme  celles  qui  ressortissent  aux  preuves  de  l'existence  de 
Dieu.  Dans  le  second,  si  le  témoignage  concerne  des  doctrinesy 
nous  aurons  l'autorité  des  grands  philosophes,  s'il  concerne  des 
faits  nous  aurons  l'autorité  de  l'Histoire.  Mais,  qu'on  le  remarque 
une  fois  de  plus,  abstraite  ou  concrétisée  dans  le  témoignage 
humain,  la  raison  ne  prouve  en  théologie  qu'en  vertu  de  l'appro- 
bation, ou  du  laissez-passer  tout  au  moins,  que  lui  donne  la 
Révélation.  Ce  n'est  plus  la  Raison  pure;  c'est,  nous  l'avons 
dit  déjà,  la  Baison  théologique. 


Nous  voici  donc  en  possession  de  toutes  les  grandes  différen- 
ciations du  Donné  révélé  réel,  concret,  de  ce  donné  qui,  nous 
l'avons  dit,  doit  être  capable  de  résoudre  les  questions  théologi- 
ques sans  distinction,  toutes,  à  un  titre  ou  à  un  autre,  abou- 
tissant finalement  à  demander  pour  leur  sujet  le  bénéfice  de 
la  révélation  (1).  Déjà,  nous  avons  fixé  les  quatre  formules  géné- 
rales do  réponse  aux  quatre  questions  théologiques  suprêmes  (2j. 
Le  moment  est  venu  de  remplir  ces  lieux  communs  à  priori,  par 
les  données  concrètes  et  à  posteriori  que  nous  venons  de  recon- 
naître. Il  suffit  d'un  coup  d'œil  en  arrière,  sur  les  caractéris- 
tiques différentielles  de  celles-ci,  pour  les  voir  se  classer  d'elles- 
mêmes  sous  les  quatre  lieux  communs  suprêmes  de  la  Théologie. 


H         -t 

(  ^■ 

Apodictiques. 

Donné  révélé     - 

1.  Écriture  sainte. 

2.  Traditions  divines  et  apostoliques. 

~    -r.    ° 

^    f    ^ 

"  £  H 

3      -^ 

Critère   officiel    ' 

,     3.  Autorité  de  l'Église. 
Magistère  de 

4.  Conciles. 
l'Eglise 

'^     .j.  Magistère  du  Souverain  Pontife 

.  u 

Probables. 

6.  Témoius  de  la  tradition  :  Saint.^  Pères. 

7.   Interprètes    du 
Canonistes. 

Donné    révélé,    Docteurs,    Théologiens    scolastiques, 

1.  Cf.   p.  58,  59,  247. 

2.  Cf.    p.    253. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  561 

.S       -•    r  ^^^'  Apo'^i<"tiq"es.  ]      8.  Raison  naturelle. 

s  §  -S' il  o    I  r     9-  Autorité  des  Philosophes  (et  des  Juristes). 

.ÎJ   I   =   o  o  S  1 


.§   5   s    o   o  A 

"g      "^    V  IT.  Probables.         l 


10.  Autorité  de  l'Histoire. 


Ce    tableau    est   rédigé   conformément  à  la  conception   cicéro- 
nienne  qui  énumère  les  Lieux  en  fonction  des  termes  qui  dé- 
signent leurs  caractéristiques  différentielles  (2).  Mais,  nous  avons 
dit   pourquoi    et   comment,    ces   termes   peuvent   être   explicités 
dans   des  propositions   et  revêtir  ainsi  la  forme  d'énonciations 
qui   en  fera   des   Lieux   d'argumentation   (3).   Déjà,   à  la  fin  de 
la  précédente  section  nous  avons  donné  les  propositions  qui  déve- 
loppent les  quatre  grandes  différentielles  à  priori  des  Lieux  théo- 
logiques (4).  Pour  compléter  cette  tcàche,  il  nous  reste  à  faire  su- 
bir la  même  transformation  aux  différentielles  des  Lieux  théo- 
logiques que  nous  venons  de  découvrir,  en  les  rangeant  sous  ces 
quatre   grands   Lieux   communs   théologiques   dont  ils   sont  les 
déterminations  concrètes  et  à  posteriori.  Il  vient  : 

A.  Eu  regard  des  questions  théologiques  naturelles. 

Lieu  commun  suprême  I  :  Ce  qui  fait  certaine?nent  partie  du 
Dépôt  de  la  Révélation  oifre  aux  questions  théologiques  surnatu- 
relles un  principe  de  solution  efficace  et  nécessaire  (5). 

Lieux   communs   concrets   dérivés  : 

1 .  L'Écriture  Sainte  est  un  principe  de  solution  efficace  et 
nécessaire. 

2.  Les   Traditions    divines    et   apostoliques,    etc. 

3.  L'autorité  de  l'Église,  etc. 

4.  L'Enseignement   des   Conciles,    etc. 

5.  Le  magistère  du  Souverain  pontife,  etc. 

Lieu  commun  suprême  II  :  Ce  qui  fait  prohahlenunt  partie 
du  Dépôt  de  la  Révélation  offre  aux  questions  théologiques  surna- 
turelles un  principe  de  solution  probable  (6). 

Lieux  communs  concrets  dérivés  : 

6.  Le  témoignage  des  Saints  Pères  est  un  principe  de  solu- 
tion probable. 


1.  Apodictiques  dans  l'ordre  rationnel,  probables,  au  sens  large  du  mot,  en 
regard  du  donné  révélé  en  tant  qu'objet  de  foi,  d'où  saint  Thomas  a  pu  dire  : 
Sacra  doctrina  hujasmodi  auctoritatibus  utitur  quasi  extraneis  argumentis  et 
PROBABiLiBus,  Summa  theol.,  1  P.,  Q.  1,  a.  8,  ad  2um. 

2.  P.    70. 

3.  P.    68,    2.52. 

4.  5  et  6.    P.   253. 


262         REVUE    DES   SCIEACES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

7.  La  Doctrine  des  Docteurs  de  l'Église,  des  Théologiens  sco- 
lastiques,  des  Canonistes  est  on  principe  de  solution  probable. 

B.  En  regard  des  questions  théologiques  naturelles  ou  mixtes. 

Lieu  commun  suprême  III  :  Ce  que  la  raison  naturelle  ap- 
prouvée par  la  Révélation  démontre  apodictiquement  est  pour  les 
questions  théologiqiies  naturelles  ou  mixtes  u?i  principe  de  solution 
certain  (1). 

Lieu   commun    concret   dérivé   : 

8.  La  démonstration  philosophique,  sous  le  contrôle  de  la 
Foi,  est  un  élément  de  solution  certain. 

Lieu  commun  suprême  IV  :  Ce  qite  la  raison  naturelle  ap- 
prouvée par  la  Révélation  établit  par  des  arguments  probables 
ojfre  aux  questions  théologiques  naturelles  ou  mixtes  un  principe 
de  solution  probable  (2). 

Lieux  communs  concrets  dérivés   : 

9.  L'autorité  des  Philosophes  (et  des  Juristes)  est  un  élément 
de  solution  probable, 

10.  L'autorité  de  l'Histoire  des  Dogmes  et  des  Institutions  ecclé- 
siastiques (3)  est  \m.  élément  de  solution  probable. 

Avec  cette  classification  d'ensemble  s'achève  le  passage  des 
quatre  Lieux  communs  tbéologiques  à  priori  aux  dix  Lieux  com- 
muns  à  posteriori    de   Melchior   Cano. 

IL  —  Détermination  des  Instruments   d'invention 
des  Lieux  théologiques  proprement  dits. 

Les  règles  ou  préceptes  qui  constituent  les  Instruments  d'in- 
vention des  Lieux  théologiques  sont  l'expression  des  droits 
de  la  Foi  divine  (et,  partant,  de  la  Théologie),  sur  le  Donné 
révélé  qui  est  son  objet  d'attribution.  Les  exigences  de  la  foi 
sont  uniformes,  mais  la  nature  et  les  propriétés  du  Donné  ré- 
vélé  diffèrent  en  raison  des   différentes  parties   qui   l'intègrent. 


1  et  2.    P.    253.- 

3.  En  désignant,  comme  Cano,  par  les  épithètes  de  probables  et  certains 
les  Lieux  théologiqnes,  nous  entendons  faire  nôtre  l'observation  de  cet 
auteur  au  sujet  de  ces  qualifications  :  Nolim  enhn  qtiispiam  Jioc  ducatur  errore^ 
ut  si  lociisfirmus  est.  omnia  argumenta  inde  ducta  firma  arbitretur:  aut  si  è  contrario 
infirmns  est  locus.  omnia  ex  eo  accepta  infirma  esse.  E  sacris  quippe  litteris  interdum 
argumenta  probabilia  ducuntur...  Atque,  è  diverso,  historiae  humanae  auctoritas, 
imhecilla  ipsa  cum  sit,  certa  aliquando  argumenta  suppeditat.  De  loris,  l.  xii,  c.  xi. 
Les  Instruments  d'invention  ont  précisément  cette  utilité  de  distinguer  les 
conditions  où  un  Lieu  théologique  certain  donne  toute  sa  mesure  de  celles 
où   il  tempère  son  efficacité. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  263 

Autres  sont  les  propriétés  de  l'Écriture  Sainte,  autres  celles  du 
Témoignage  des  Saints  Pères,  et  ainsi  de  suite.  Pour  s'appli- 
quer aux  différents  domaines  du  Donné  révélé,  les  exigences 
de  la  foi  devront  tenir  compte  de  leur  nature  et  de  leurs  pro- 
priétés; celles-ci  fourniront  la  matière  différenciée  des  règles 
ou  préceptes,  auxquels  les  droits  de  la  foi  communiquent  la 
vertu  régulatrice  et  obligatoire.  Nous  devrons  donc  faire  pré- 
céder la  détermination  de  ces  règles  ou  préceptes  de  la  déter- 
mination de  la  nature  et  des  propriétés  des  différentes  parties  du 
Dépôt. 

Les  propriétés  de  chacim  des  dix  lieux  théologiques  sont  mul- 
tiples ;  multiples,  en  conséquence,  les  règles  ou  préceptes  qui 
s'y  rattachent,  car  il  y  a  souvent  plusieurs  préceptes  pour  une 
seule  propriété.  Nous  ne  pouvons,  ni  ne  devons,  dans  cet  ar- 
ticle d'Introduction  méthodologique,  suivre  dans  son  détail  la  con- 
fection de  chacun  des  Instruments  destinés  à  aménager  pour 
l'usage  théologique  nos  Dix  Lieux  communs.  La  chose  est  faite 
d'ailleurs  équivalemment  dans  les  traités  que  nous  avons  cités 
et  auxquels  on  pourra  recourir.  Notre  tâche  propre  n'est  pas, 
répétonsle,  de  faire  un  Traité  de  Lieux  théologiques,  mais  de 
marquer  la  juste  idée  et  l'exacte  signification,  au  point  de  vue 
de  la  méthode,  du  travail  que  représentent  les  bons  traités  de 
Lieux  théologiques  existants,  de  rendre  évidente,  grâce  au  lapis 
lydius  de  la  partie  correspondante  de  la  Dialectique  d'Aristote, 
la  nature  précise  de  l'ouvrage  qui  s'y  accomplit,  de  situer  défi- 
nitivement ce  traité  dans  l'ensemble  de  la  méthodologie  théo- 
logique. 

Aussi  concentrons-nous  notre  effort  sur  un  seul  des  Dix  Lieux 
thf';Ctlo[^^i"ores  sur  le  premier  que  nous  rencontr-ins,  lÉcriture 
Sainte,  puisqu'aussi  bien  il  faut  choisir.  Qu'il  soit  entendu  que 
l'Écriture  Sainte  n'intervient  ici  qu'à  titre  d'exemple,  d'illustra- 
tion concrète  d^une  doctrine  méthodologique,  et  qu'en  consé- 
quence, même  en  ce  qui  la  concerne,  nous  ne  donnons  pas  un  tra- 
vail complet  et  définitif  (1). 

Nous  partagerons   en  deux  paragraphes  cette  étude  du  Lieu 


1.  En.  particulier,  pour  le  recensement  des  Instruments,  nous  aurons  davan- 
tage en  vue  les  règles  ou  préceptes  essentiels  gui  se  trouvent  dans  tous 
les  manuels,  que  certaines  règles  délicates  et  longues  à  expliquer,  qui 
gouvernent  certaines  questions  scripturaires  particulières  récemment  soule- 
vées. Cf.  J-R.  Bonhomme,  Le  Texte  hihliqiie  du  Théologien,  Bévue  thomiste,  hoaî 
1907.  Nou?i  ambitiO'nnons  avant  tout  de  nous  faire  comprendre,  et  il  serait, 
par  suite,  inopportun  de  prendre  pour  exemple,  au  lieu  de  ce  qui  est  acquisi, 
ce  qui  est  encore  à  l'étude. 


264         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

commun  théologiqae  de  rÉcritare  Sainte  :  1°  Détermination, 
par  l'analyse  des  propriétés  de  la  Sainte  Écriture,  de  quatre 
sortes  d'instruments  d'invention  appropriés  ;  2°  Détermination 
des  règles  ou  préceptes  qui  constituent  organiquement  chacun 
des  quatre  instruments  d'invention  des  Lieux  théologiques  scrip- 
turaires. 

1°  Les  quatre  instruments  d'invention  des  Lieux  théologiques 
scripturaires. 

Un  coup  d'œil  sur  la  table  des  matières  des  traités  de  Lieux 
théologiques  existants  nous  fera  constater  que  tous  les  préceptes 
relatifs  au  Lieu  commun  théologique  de  l'Écriture  Sainte  se 
groupent,  d'après  ces  trois  considérations  :  nature,  propriétés, 
analogues  de  l'Écriture  Sainte. 

A.  Sa  nature.  —  C'est  d'être  l'œuvre  littéraire  de  Dieu,  agis- 
sant par  mode  d'inspiration  surnaturelle  et  efficace  sur  le  juge- 
ment intellectuel  et  la  volonté  d'un  écrivain  pour  lui  faire  conce- 
voir, rendre  littérairement,  vouloir  écrire,  et  finalement  écrire  ce 
que  Dieu  veut  être  écrit,  cela  seul,  et  en  la  manière  que  l'au- 
teur divin  entend  qu'il  soit  écrit.  Cette  définilion  descriptive  n'est 
que  l'explication,  authentiquée  par  des  déclarations  officielles  et  ad 
mise  aujourd'hui  par  tous  les  théologiens,  de  la  donnée  de  foi  : 
Dieu  est  Vauteur  de  VÉcriture  Sainte.  Deux  corollaires  de  por- 
tée immédiatement  méthodologique  s'y  rattachent,  le  premier 
concernant  la  nomenclature  des  livres  saints  reconnus  par  l'É- 
glise catholique  comme  inspirés,  le  second  concernant  l'étendue 
de  l'inspiration  divine  à  ce  que  l'on  appelle  les  parties  du  texte 
inspiré.  Ces  deux  corollaires  donneront  lieu  à  des  préceptes  et 
à  des  règles,  touchant  soit  la  canonicité  de  ces  recueils  de  pro- 
positions révélées  ou  lieux  théologiques  immédiats,  que  sont 
tous  et  chacun  des  Saints  Livres,  soit  la  valeur,  au  point  de 
vue  de  l'autorité  divine,  de  toutes  et  chacune  de  ces  mêmes 
propositions.  Ces  préceptes  et  ces  règles  constitueront  l'Instru- 
ment fondamental  d'invention  des  Lieux  théologiques  apparte- 
nant à  l'Écriture  Sainte,  à  savoir  la  recension  de  ces  proposi- 
tions, transposée  du  rô   izoorkazic,   Ix^jCiv  d'Aristote. 

B.  Ses  propriétés.  —  L'Écriture  Sainte  a  des  propriétés  de 
deux  sortes  :  les  unes  ressortissent  à  sa  nature  générique  de 
d'ccument  écrit,  d'écriture;  les  autres  à  sa  nature  propre  d'Écri- 
ture inspirée. 

a)  La  propriété  du  document  écrit,  par  opposition  à  la  parole 
non  écrite,  est  un  certain  mode  spécial  de  conservation.  Verha 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  263 

volant,  scripta  manent.  Cette  conservation  s'effectue  tantôt  par 
la  persistance  dans  son  intégrité  primitive  du  texte  original,  tan- 
tôt SOUS  le  couvert  de  versions  et  traductions  dans  d'autres 
langues.  De  là,  deux  modalités  de  la  propriété  d'intégrité  des 
documents  écrits.  C'est  un  fait  historique  que  l'Écriture  Sainte 
s'est  conservée  sous  ces  deux  modalités.  Le  dialecticien  de  la 
Théologie  devra  en  tenir  compte  pour  l'établissement  des  instru- 
ments théologiques  ressortissant  à  l'Écriture  Sainte,  si  tant  est 
que  l'un  des  quatre  instruments  d'invention  des  lieux  soit  le 
collationnement  des  Différences  rà;  oiy.'i.o^'y-i  tlonv-  Il  appli- 
quera aux  différenciations  du  texte  sacré,  original,  traductions, 
éditions,  les  principes  qui  ressortent  des  droits  de  la  foi  sur  son 
objet,  et  de  là  naîtront  des  règles  ou  préceptes  qui  seront  pour 
l'invention  des  lieux  théologiques  le  pendant  du  troisième  instra- 
ment  dialectique. 

h)  La  propriété  de  l'Écriture  Sainte  comme  telle  est  la  plura- 
lité des  sens  qu'elle  peut  receler  sous  un  seul  énoncé.  Écou- 
tons saint  Thomas  :  «  Hoc  specialiter  est  in  sacra  scriptiirâ,  et 
non  iti  aliis,  cum  ejus  auctor  sit  Deiis,  in  cujiis  potestate  est, 
quod  non  soluvi  voces  ad  desigtiandiini  accommodet,  qnod  etiam 
honio  facere  potest,  sed  etiatn  res  ipsas.  Et  ideo  in  aliis  scientiis 
ah  hoinine  traditis,  in  quitus  no7i  possnnt  accommodari  ad  signifi- 
candiun  nisi  tantutn  verba,  voces  sohnn  significant.  Sed  hoc  est 
proprium  in  ista  scientia  ut  voces  et  ipsae  res  significatae  per  eas 
significent.  »   (1). 

D'où  la  distinction  de  deux  sens  principaux  de  l'Écriture 
Sainte,  le  sens  littéral  qui  est  perpétuel,  et  le  sens  spirituel  ou 
mystique  qui  intervient  toutes  les  fois  que  l'auteur  divin  l'a  eu 
en  vue  (2).  Le  sens  littéral  comporte  à  son  tour,  d'après  les  don- 
nées admises  commmiément  en  Herméneutique,  deux  modalités 
selon  qu'il  est  rendu  par  des  mots  pris  dans  leur  acception 
propre  ou  métaphorique  ;  le  sens  spirituel  est  allégorique,  moral 
ou  anagogique  CS).  Le  sens  d'un  texte,  en  général,  est  d'ailleurs 

1.  In  Epist.  ad  Gai.,  c.  Y^ ,  lect.  7a.  Cf.  Summa  theol.,  h^  P.,  Q.  1,  a.  IQ- 

2.  Cf.   Berthier    Tract,   de   locis   theol.,  n.   174. 

3.  r^ous  ne  voulons  pas  toucher,  dans  cette  étude  de  principes,  aux  ques- 
tions controversées  comme  celles  de  la  pluralité  de  sens  littéral  sur  une 
seule  lettre  :  «  Si  l'on  entend  par  sens  littéral,  dit  saint  Thomas,  celui  que 
l'auteur  a  en  ^•ne,  comme  l'iauteur  de  l'Écriture  sainte  est  le  Dieu  qTii 
comprend  toutes  choses  d'un  seul  regard,  il  n'y  a  pas  d'inconvénient  à 
dire,  avec  saint  Augustin,  dans  le  livre  XI  des  Confessions  que,  même 
selon  le  sens  littéral,  dans  un  seul  et  même  texte  de  l'Ecriture  se  trouvent 
plusieurs  sens.  »  Cf.  Zapletal,  Hermeneufica,  c.  III;  A.  Blanche,  Le  Sens 
littéral  des  Écritures,  d'après  Saint  Thomas  d'Aquin,  Revue  thomiste,  1906. 
p.  192.  Pour  l'interprétation  de  ce  texte  de  saint  Thomas,  cf.  Berthier,  p. 
161,    note    5. 


266         REVUE    DES   SCIEAXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

dit  explicite  s'il  ressort  des  mots  sans  qu'il  soit  besoin  d'expli- 
cation, implicite  lorsqu'il  suffit  d'une  simple  explication  de  ter- 
mes pour  le  rendre  manifeste,  conséquent  lorsqu'il  est  néces- 
saire, pour  le  tirer  du  texte,  de  faire  appel  à  un  raisonnement 
ou  à  des  procédés  extensifs  plus  larges  encore. 

La  conséquence  de  cette  pluralité  des  sens  de  l'Écriture  est  de 
rendre  ambigus  les  termes  et  les  énoncés  qui  constituent  son 
texte,  et  de  la  rendre  inutilisable  de  plain-pied  pour  l'usage 
théologique.  Il  est  nécessaire  de  trouver  un  moyen  autorisé  de 
faire  disparaître  cette  ambiguïté.  Ce  moyen,  le  parallélisme  de 
nos  deux  dialecticpies  ne  nous  le  laissera  pas  ignorer.  Le  second 
des  instruments  topiques  a  précisément  pour  but  de  distinguer 
les  ambiguïtés  des  termes  et  de  multiplier,  grâce  à  cette  distinc- 
tion, les  lieux  dialectiques  probables.  En  faisant  rayonner  les  exi- 
gences de  la  foi  et  de  la  théologie  issue  de  la  foi,  siu'  ]es  par- 
ticularités de  l'Écriture  qui  ressortissent  à  la  pluralité  de  ses 
sens,  le  dialecticien  de  la  théologie  formulera  des  règles  ou 
préceptes  d'interprétation  qui  permettront  d'amener  les  divers 
sens  de  la  lettre  au  point  de  \'ision  distincte,  de  les  rendre 
aptes  à  fournir  des  lieux  théologiques  précis.  Ainsi  se  trouve  cons- 
titué un  troisième  instrmnent  d'invention  des  Lieux  théologi- 
ques. 

C.  Ses  analogues.  —  ^'ous  excluons  de  cette  dénomination 
les  «  Livres  sacrés  de  toutes  les  religions  sauf  la  Bible  »,  dont 
l'intérêt,  très  grand  pour  la  Science,  est  nul  pour  la  Théologie, 
si,  du  moins,  l'on  prend  ces  livres  en  tant  que  religieux  et 
sacrés.  L'analogie  d'un  texte  avec  l'Écriture  Sainte  peut  être 
envisagée  au  quadruple  point  de  vue  de  l'inspiration,  de  la 
canonicité,  des  versions  et  éditions,  de  l'interprétation.  A.M  point 
de  vue  de  l'inspiration,  on  peut  citer  les  sources  documentaires 
de  l'Écriture,  les  livres  inspirés  perdus;  au  point  de  vue  de  la 
canonicité,  les  apocryphes  ;  au  troisième  point  de  vue,  les  ver- 
sions et  éditions  hérétiques,  hypescritiques  ou  en  langue  yvI- 
gaire;  au  point  de  \iie  de  l'interprétation,  le  sens  accommoda- 
tice.  C'est  là  une  matière  prédestinée  pour  l'emploi  d'un  instru- 
ment d'invention  des  Lieux  théologiques,  correspondant  à  Vexa- 
men  des  similitudes,  h  tov  àu.oîo-j  o-xi']/t;,  d'Aristote,  qui  for- 
mulera, d'après  les  exigences  de  l'objet  de  foi,  des  règles  et 
préceptes,  soit  pour  interdire,  soit  pour  régler  l'usage  de  ces 
documents  pour  la  solution  des  questions  théologiques. 

Il  résulte  de  ces  considérations  que  le  dialecticien  de  la  Théo- 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  267 

logie  dispose,  pour  résoudre  les  questions  solubles  par  cette 
partie  du  donné  révélé  que  contient  l'Écriture  sainte,  de  quatre 
instruments  d'invention  appropriés,  dont  il  nous  faut  mainte- 
nant décrire  l'organisation  interne  en  règles  et  préceptes  immé- 
diats  de   détermination   des   lieux   théologiques   scripturaires. 

2°  Les  règles  ou  préceptes  qui  constituent  l'organisme  interne  des 
Instruments  d'Invention  des  Lieux  théologiques  scripturaires. 

Premier   instrument.  —  La   Recension   des   propositions. 

A.  En   regard   de   la  propriété   de   Canonicité. 

Principe  justificatif  :  La  canonicité  d'un  livre  n'étant  autre 
chose  que  l'habilitation  du  contenu  de  ce  livre  à  devenir  offi- 
ciellement règle  de  foi  et,  par  là,  principe  de  la  Théologie  (ce  qui 
implique  le  fait  de  son  inspiration  divine),  ne  peut  résulter  adé- 
quatement que  de  la  sentence  d'une  autorité  divine  comme  est 
l'autorité  de  l'Église.  Ce  corollaire  est  évident  pour  qui  se  rend 
compte  que  la  canonicité  des  livres  saints  est  intermédiaire 
entre  l'Inspiration  de  l'Écriture  Sainte  et  l'assentiment  de  la 
foi  divine  (1).  Médium  non  exit  ah  extremis  suis.  Laisser  la 
reconnaissance  de  la  canonicité  à  la  merci  d'un  moyen  de  trans- 
mission de  certitude  inférieure  à  la  divine,  serait  infirmer,  de- 
vant la  foi  et  la  théologie,  l'autorité  absolue  que  l'Écriture 
Sainte  doit  à  l'Inspiration  du  Saint  Esprit.  La  sentence  authen- 
tique concernant  la  Canonicité  a  d'ailleurs  été  rendue  à  plusieurs 
reprises  et  définitivement  par  l'Église  (2). 

RÈGLE  UNIQUE  :  Toics  Ics  iieux  thêologiques  scripturaires  sont 
renfermés  dans  les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 
déclarés  canoniques  par  l' Eglise,  spécialement  par  le  Concile  de 
Trente,  Session  IV. 

B.  En  regard  de  VÉtendue  de  V Inspiration. 

Principes  justificatifs:  De  la  doctrine  de  l'Inspiration  di- 
vine de  l'Écriture  se  déduit  immédiatement  le  corollaire  de  son 
inerrance  absolue,  si,  du  moins,  on  la  prend  au  sortir  des  mairie 
de  l'auteur    inspiré.    Or,    la    vérité    et    l'erreur    se    rencontrent 


1.  Cf.  ScHAEzLER,  Introduclio  in  S.  Theol,  c.  III,  sect.  I,  Q.  I,  a.  3,  dont 
nous  détachons  cette  pensée  fondamentale  :  «.  Onmis  asse^isus^  alium  suppoiiens 
assensum  ut  fundamentum  suum,  necessario  ejusdeni  firmitatis  est  atque  hic,  non  ma- 
joris.  Ut  igitur  veritas  divina  per  sacras  Litteras  manifestata  suscipiatur  fide  divinâ 
ad  hoc  necessarium  esi^  ut  etiam  ipsu/n  factarn  inspirationis  divina  fide  suscipiatur 
adev que  pr opter  testimonium  Dei.  » 

2.  Ct.  Denziger,  Enchiridion,  n.  49,  59,  112,  125,  1399,  600,  666,  1636, 
1656. 


2G8         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÊOLOGIQUES 

1)1  intellectû  componente  et  dividente  (1),  c'est-à-dire  toutes  les 
fois  que  l'on  affirme  ou  que  l'on  nie,  ce  qui  a  lieu  chaque  fois 
que  l'on  énonce  un  jugement.  Il  résulte  que  l'Inspiration  di- 
vine doit  s'étendre  jusqu'à  toutes  et  chacune  des  propos iti on f3 
ou  parties  de  propositions  oontenues  dans  l'Écriture  Sainte. 

Ce  corollaire  doit  s'entendre  sous  le  bénéfice  des  remarques 
suivantes   : 

1)  Les  propositions  ne  doivent  pas  être  séparées  du  con 
texte  inspiré  ni  celui-ci  de  l'idée,  de  l'intention,  du  genre  lit- 
téraire que  l'auteur  divin  a  eus  en  vue. 

2)  Les  mots  qui  constituent  la  proposition,  bien  qu'ils  ne 
donnent  pas  prise  à  la  vérité  et  à  l'erreur  si  on  les  considère 
isolément,  c'est-à-dire  comme  objet  de  simple  appréhension,  une 
fois  entrés  dans  une  proposition  de  l'Écriture,  et  devenus  dans 
une  certaine  mesure  solidaires  de  sa  signification,  participent 
au  charisme  de  l'Inspiration,  en  sorte  qu'on  ne  saurait  les  chan- 
ger sans  altérer  la  vérité  de  l'Écriture,  bien  qu'on  puisse  leur 
substituer  des  équivalents.  C'est  leur  signification  i7i  ordine  ad 
propositiojwm,  non  ce  qu'il  y  a  de  particulier  dans  le  mot  qui 
est  inspirée  (2). 

3)  Dans  certains  cas,  principalement  si  une  révélation  objec- 
tive est  conjointe  à  l'inspiration  (cas  des  dictées,  de  certaines 
prophéties,  de  certaines  paroles  du  Christ)  les  mots  matériel- 
lement considérés  peuvent  avoir  {per  accidens  donc)  une  valeur 
d'inspiration  absolue. 

4.  En  regard  de  la  foi,  et  par  suite  de  la  Théologie,  l'Écri- 
ture Sainte  contient  des  vérités  divinement  garanties  par  l'ins- 
piration, de  deux  degrés  :  les  unes  per  se  intenta,  correspondant 
à  l'objet  nécessaire  de  la  foi,  à  savoir  id  per  quod  honio  beatus 
efficitur  (3),  qiiae  videnda  speramus  in  patria  (4),  d'un  mot,  les 
articles  de  foi  ;  les  autres,  non  qiiasi  principaliter  intenta  scd 
ad  praedictorum  manifestationem  (5),  ou  encore,  ex  quibiis  (ne- 
gaiis)   consequitur  aliquid   contrarium  fidei   (6),   à  savoir   quae 

1.  C'est  oe  que  l'on  exprime  imparfaitement  en  disant  qu'elle  s'étend  usque 
ad  res  et  sententias,  si  l'on  prétend  par  là  exclure  de  l'inspiration  propre- 
ment dite  (pour  le  soumettre  à  une  autre  loi  de  préservation  assez  vague 
que  l'on  dénomme  assistance,)  le  choix  des  mots  el  des  expressions,  qui 
sont  les  composants  essentiels,  quoique  ad  placihim  dans  une  certaine  me- 
sure, de  toute  proposition. 

2.  Cf.,  pour  cette  distinction,  A.  Gardeil.  La  Rdativité  des  formules  dog- 
matiques, n.  11  ssq.  Revue  thomiste,  janvier  1903,  t.  XI,  p.  645  ssq. 

3.  Svmma    theol,    11^  Il^e;,    Q.    Il,    a.  V,  c. 

4.  Ibidem,  Q.  I,  a.  VI,  ad  lum;  cf.  a.  VIII. 

5.  Ihidem. 

6.  Ibidem.   I.   P.   Q.   XXXII,   a.   IV. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  269 

per  accidens,  aiit  secundario  (1),  aut  indirecte  (2)  ad  fidem  per- 
tinent (3). 

RÈGLr  I.  —  Toutes  et  chacune  des  propositions  contenues 
dans  la  Sainte  Écriture,  telle  qu'elle  est  sortie  des  mains  de 
l'auteur  inspiré,  sont  susceptibles,  en  soi,  de  constituer  des  lieux 
théologiques   scripturaires. 

RÈGLE  II.  —  Ces  propositions,  pour  constituer  des  lieux  théo- 
logiques, doivent  être  rattachées  au  contexte  inspiré,  an  genre  lit- 
téraire que  l'auteur  divin  a  eu  en  vue,  à  l'intention  générale  qu'il 
s'est   proposée. 

RÈGLE  III.  —  Parmi  ces  propositions,  celles  qui  expriment 
explicitement  des  articles  de  foi,  exigeant  eux-mêmes  de  tous 
la  foi  explicite  (4),  constituent  des  lieux  théologiques  scrip- 
turaires absolument  certains,  infaillibles  ;  celles,  au  contraire, 
qui  expriment  des  vérités  n'appartenant  à  la  foi  que  secunda- 
rio, per  aecidens,  indirecte,  ne  constituent  des  lieux  théologiques 
scripturaires  certains,  que  quatido  hoc  constiterit  (aliciii)  in  doc- 
trina  fidei  contineri  {à),  ce  qui  n'a  lieu,  sauf  le  cas  d'évidence, 
qu'après  détermination  de  l'Église,  ou  encore,  posiquam  mani- 
festuin  est,  et  praecipue  si  sit  per  Ecclesiam  determinatum,  quod 
ex  hoc  sequitur  aliquid  contrarium  fidei  (6). 

RÈGLE  IV.  —  La  détermination  de  l'Église  n'est  pas  néces- 
saire pour  qu'une  proposition  ou  un  ensemble  de  propositions 
scripturaires,  contenant  imjylicitement  un  article  de  foi  ou  une 
vérité  définie,  puissent  être  reçus  comme  lieu  théologique  certain; 
mais  elle  est  souvent  utile  à  cause  du  manque  d'évidence  des 
explications  par  lesquelles  on  passe  de  l'implicite  à  l'explicite; 
elle  est  nécessaire  pour  garantir  l'inspiration  matériellement  ver- 
bale du  texte  sacré  lorsque  les  mots  eux-mêmes  sont  indispen- 
sables pour  maintenir  l'objectivité  des  articles  de  foi  (7). 

1.  Ibidem,   IIMlae,   Q.   n^  a.  V. 

2.  Ibidem,    I.  P.,    Q.    XXXII,    a.    IV. 

3.  Exemples  :  Quod  Abraham  hahuii  duos  filios  ;  quod  ad  tactiim  ossium  Elisaei 
suscitatus  est  mortuus  ;  quod  Dacld  fuit  filius  Isai  ;  Samuel  fuisse  fillum  Helcartae, 
omnia  (hujusmodi)  quae  iii  sacra  scripturâ  divinitus  tradita  continentur.  Ibidem^ 
locis  cit. 

4.  Cf.  Summa  theol,  11^  P.,    Q.    H,    a.    V-VIII. 

5.  Summa  theol. ,  P  II*',  q.  II,  a.  V. 

6.  Ibidem,  I  P.,  q.  XXXII,  a.  IV.  Cette  différence  dans  la  manière  d'arriver  h. 
la  reconnaissance  de  la  certitude  divine  nécessaire  au  lieu  théolooique  seripturaire, 
n'infirme  en  rien  cette  certitude  une  fois  qu'elle  est  avérée  :  Haec  vero  tametsi  non 
fidei  sint,  nec  Theologiae  pj'aecz'pua  capita,  sed  his  e.v  accidenti  conjuncta  et  quasi 
principia  secundaria,  accipit  tamen  ea  Theologus,  non  aliter  ac  philosophas pritwipia 
per  se  nota,  sine  medio  et  ratione,  perinde  ut  articulo'i  fidei  acceperat.  Cano,  De  Locis, 
1.  xu,  G.  m,  circafi)iem. 

7.  On  cite  comme  exemple  le  mot  est  dans  la  formule  eucharistique  de  la  Cène. 


270  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Deuxième    instrument.  —  La  distinction  des  ambiguïtés. 

Princi'pes  justificatifs.  —  L'instrument  judicatoire  des  divers 
sens  de  la  Sainte  Écriture  susceptibles  de  fonder  la  théologie  doit 
être  d'ordre  divin  comme  la  foi.  Le  raisonnement  que  nous  avons 
fait  pour  prouver  que  le  critère  de  la  canonicité  des  livres  saints 
est  d'ordre  divin  suffit  à  établir  cette  conclusion.  Dès  lors  le  ma- 
gistère de  l'Église  s'impose  au  premier  chef  comme  règle  d'inter- 
prétation. Aussi  le  Concile  du  Vatican,  déclarant  la  pensée  du  Con- 
cile de  Trente  dans  un  décret  sur  le  même  sujet,  a-t-il  prononcé 
que  :  ÎJi  rebtis  fidei  et  inoriim,  ad  aedificationeni  doctrinae  chris- 
tianae  pertinentium,  is  pro  vero  sensu  Sacrae  Scripturae  habendus 
sit  quein  teniiit  ac  tenet  Sancta  ATater  Ecclesia,  citjiis  est  jiidicare 
de  vero  sensu  et  interpretatione  Scriptnrariim  sanctariim. 

Les  premiers  mots  :  in  rébus  fidei,  etc.,  manifestent  avec  pré- 
cision que  le  droit  dont  il  s'agit  vise  premièrement  et  direc- 
tement le  sens  de  l'Écriture  qui  nous  concerne,  puisque  c'est 
lui  qui  contient  des  lieux  théologiques.  A  ce  critère  principal,  le 
même  concile  en  ajoute  un  second  en  prohibant  d'interpréter 
l'Écriture  contra  imanimem  consensum  patrum.  Enfin  le  pape 
Léon  XIII  dans  l'Encyclique  Providentissiinus  indique  une  troi 
sième  norme  :  In  ceteris  analogia  fidei  sequenda  est. 

RÈGLE  L  —  Les  propositions  de  l'Écriture  canonique  dont  le 
sens  littéral  explicite  ne  fait  aucun  doute  sont  aptes,  par  elles- 
mêmes  et  sans  déclaration  de  l'Église,  à  fournir  des  lieux  théo- 
logiques très-certains  et  très-efficaces  (1). 

RÈGLE  II,  —  Le  sens  littéral  implicite  est  apte  de  soi  à  four- 
nir des  lieux  théologiques  absolument  certains  et  efficaces.  En 
pratique,  comme  une  explication  de  termes  est  nécessaire  pour 
passer  du  sens  implicite  au  sens  explicite,  une  vérité  qui  n'est 
qu'implicitement  contenue  dans  l'Écriture,  n'est  jamais,  sauf  dé- 
claration de  l'Église,  l'équivalent  d'un  principe  de  foi  (2). 

RÈGLE  III.  —  Le  sens  littéral,  explicite  ou  implicite,  dont  l'exis- 
tence n'est  pas  absolument  certaine  ne  peut  donner  que  des  lieux 
théolcgiques  probables  (3). 

RÈGLE  IV.  —  Les  propositions  de  l'Écriture  dont  l'Église  a 
défini  le  sens  littéral  (4)  (qae  ce  sens  soit  explicite  ou  implicite 


1.  Cf.    Berthier,   De  Locis,   édit.   cit.,   p.  214. 

2.  Cf.   Berthier,   ibid.,   p.  219. 

3.  Cf.   Berthier,   ibid.,   p.  215-216. 

4.  On  trouvera  des  listes  de  ces  propositions  dans  le  De  Locis  de  .1.  Ber- 
thier,   n.  208,    p.  180,    et    dans    VHer mènent ica   biblica   de    Zapletal,    c.  XI. 


LA   NOTION    DU   LIEU   THÉOLOGIQUE  271 

dans  le  texte),  lou  même  le  sens  spirituel  (1),  constituent,  enten- 
dues en  ce  sens,  des  principes  de  foi  qu'il  serait  hérétique  (2)  de 
contredire  (3),  et  donc  des  lieux  théologiques  de  toute  certitude, 
infaillibles. 

RÈGLE  V.  —  Les  propositions  de  l'Écriture  que  l'Église  em- 
ploie à  l'appui  de  ses  définitions,  mais  sans  définir  que  le  sens 
dans  lequel  elle  les  prend  est  leur  vrai  sens,  soit  littéral,  soit 
mystique,  constituent,  prises  dans  cette  acception,  des  Lieux 
Lhéologiques  très  certains,  mais  non  infaillibles,  auxquels  il  serait 
téméraire  mais  non  hérétique  de  contredire  (4). 

RÈGLE  VI.  —  Les  interprétations  de  l'Écriture,  usitées  par  les 
Pères,  les  Docteurs  ou  les  Théologiens,  qui  sont  rapportées  à  l'ap- 
pui d'ime  définition,  non  ex  sententiâ  Ecclesiae,  sed  ex  sententiâ 
aucforum  (c'est  le  cas  de  la  Bulle  IneffahiUs)  constituent  en 
faveur  du  dogme  défini  des  lieux  théologiques  certains  mais  non 
infaillibles   (5). 

RÈGLE  VII.  —  Dans  les  choses  concernant  la  foi  et  les  mœurs 
(et  donc  du  ressort  de  la  théologie),  le  sens  d'un  texte  scriptu- 
raire  qui  a  pour  lui  «  le  consentement  unanime  des  Saints  Pè- 
res »  constitue  un  lieu  très  certain  auquel  il  serait  téméraire  de 
contredire    (6). 

RÈGLE  VIII.  —  Les  propositions  de  l'Écriture  qui  renferment 
un  sens  spirituel  voulu  par  l'Auteur  divin  constituent,  prises  en 
ce  sens,  un  lieu  tliéologique  certain  et  efficace,  mais  qui,  réduit 
à  ses  propres  moyens,  est  inutilisable  en  pratique  (7). 

RÈGLE  IX,  —  Les  propositions  de  l'Écriture  qui  renferment 
un  sens  spirituel  attesté  par  un  auteur  sacré,  par  l'Église  ou  la 
Tradition,  constituent,  prises  en  ce  sens,  du  fait  de  cette  décla- 
ration authentique,  des  lieux  théologiques  certains  ou  probables 
selon  le  degré  des  garanties  (8). 

RÈGLE  X.  —  Le  sens  conséquent,  c'est-à-dire  celui  qui  se  dé- 

1.  Pour  le  sens  spirituel  défini,  cf.  Z.vpletal,  loe.  cit.,  qui  donne  comme 
exemple  :  Ecce  virgo  concipiet,  Is.  VII,   1-4,  appliqué  à  la  Sainte  Vierge. 

2.  Nous  utilisons  ici  le  lieu  théologique  de  l'autorité  de  l'Église  dont  relève 
la    qualification   des   propositions    avec    ses    règles    et   préceptes. 

3.  Contredire  n'est  pas  ajouter  au  sens  défini  par  l'Église,  ni  développer 
des  conséquences  du  texte  qui  sont  cà  côté  du  sens  défini.  Cf.  J.  Berthier, 
De  Locis.  P.  I,  1.  I,  a.  II,  §  2,  sect.   1,  n.  209,  sq.  p.  181. 

4.  Cf.  Berthier,  ibid.,  p.  180,  214. 

5.  Cf.   Berthier,   ihid.,  p.  181. 

6.  Cf.   Berthier,    ihid.,  p.  182. 

7.  Non  propter  defectum  anetoritatis  sed  ex  ipsâ  naturâ  simiUtudi)i>s  inqiiâfundatur. 
Umi  enim  res  plurihus  similis  esse  potest...  etc.  Saint  Thomas,  Quodlibet  vu,  a.  xiv 
ac?  4""\  Cf.  Berthier,  op.  cit.  p.  216. 

8.  Cf.   Berthier,   ihid.,  p.   217-219. 


272         REVUE    DES   SCIE.N-CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

duit  d'un  texte  scripturaire  par  un  véritable  raisonnement,  donne 
aux  propositions  qui  l'énoncent  une  autorité  certaine.  Si  le  sens 
littéral  du  texte  est  explicite  ou  défini,  le  sens  conséquent  con- 
titue  un  lieu  théologique  certain,  auquel  il  serait  erroné  de  con- 
tredire. Si  le  sens  conséquent  résulte  du  rapprochement  de  deux 
textes  scripturaires,  sa  certitude  est  majeure,  comme  celle  des 
conclusions  théologiques  du  même  genre;  elle  serait  inférieure 
si  le  principe  universel,  qui  fait  la  force  de  tout  raisonnement, 
était  un  principe  rationnel,  la  mineure  seule  étant  scripturaire! ; 
moyenne,  si  ce  principe  était  une  proposition  de  l'Écriture,  la 
mineure  demeurant  rationnelle  (1). 

RÈGLE  XL  —  Si  le  sens  d'une  proposition  scripturaire  op- 
posé à  Vanalogie  avec  la  foi  est  toujours  faux,  il  ne  suit  pas  que 
le  sens  conforme  à  cette  analogie  soit  toujours  le  vrai  sens  du 
texte  (2)  et  qu€,  pris  en  ce  sens,  il  constitue  un  lieu  théologique 
scripturaire. 

RÈGLE  XII.  —  Éclairés  par  leur  rapprochement  avec  les  doc- 
tiines  authentiquement  formulées  et  définies  de  la  foi,  certaines 
picipositions  de  l'Écriture,  plus  ou  moins  obscures,  par  exem- 
ple celles  qui  concernent  les  deux  concessions,  à  Pierre  et  aux 
apôtres,  du  pouvoir  de  lier  et  de  délier,  s'éclairent,  comme  les 
parties  en  face  du  tout,  et  deviennent  par  contre-coup  des  lieux 
théologiques  scripturaires  manifestes  pour  ces  vérités  de  foi. 

Troisième  instrument.  —  La  recherche  des  Différences. 

Principes  justificatifs  :  L'Introduction  à  l'Écriture  Sainte  re- 
cense, sous  le  nom  d'éditions  du  texte  primitif  ou  de  traductions 
en  langues  autres  que  celles  de  l'original,  les  différenciations 
qui,  de  fait,  et  conformément  aux  lois  qui  régissent  la  vie  des 
documents  écrits,  modifient  le  texte  de  l'Écriture  Sainte.  Les  ori- 
ginaux de  ce  texte  étant  perdus,  c'est  par  ces  éditions  et  traduc- 
tions que  la  Théologie  sera  en  rapport  avec  l'Écriture  inspirée. 
Dès  lors,  la  nécessité  s'impose  pour  la  Théologie  d'exercer  sur 
elles  un  contrôle,  en  se  plaçant  au  point  de  vue  des  exigences  de 
la  foi,  principe  de  la  Théologie.  La  raison  de  cette  nécessité,  à 
savoir  qu'im  assentiment  comme  celui  de  la  foi,  point  de  départ 
de  la  Théologie,  ne  peut,  sans  perdre  de  son  absolu,  dépendre 
d'une  règle  de  certitude  inférieure  à  la  divine,  vaut  pour  les  édi- 
tions et  traductions,  aussi  bien  que  pour  le  fait  de  l'inspiration 
et  l'interprétation  (3).   Ici  encore  il  faudra  recourir  à  l'autorité 

1.  Cf.  Vacant.  Etudes  sur  la  Constitution  «  Dei  Filins  ».  T.  Il,  p.  29.3. 

2.  Cl.  Zapletal,  Hcrmeneutica,  §  -!7,  n.  2,  a,. 

3.  Cf.  p.  267  et  p.  270. 


LA   NOTION    DU   LIEU   THÉOLOGIQUE  273 

de  l'Église,  critère  divin  du  texte  inspiré.  Le  sentiment  de  l'Église 
résulte  soit  de  l'usage  qu'elle  fait  de  certaines  éditions  ou  traduc- 
tions, soit  de  la  sentence  que  portent  sur  elles  les  Pères,  les  Doc- 
teurs, le  consentement  des  Théologiens,  soit  enfin  d'une  appro- 
bation ou  même  d'un  jugement  officiel  de  caractère  dogmatique 
comme  celui  que  les  Conciles  de  Trente  et  du  Vatican  ont  rendu 
en  faveur  de  la  Vulgate. 

RÈGLE  I.  —  Il  est  certain,  de  foi  catholique,  que  des  textes 
passés  dans  l'usage  de  l'Église  universelle,  comme  les  Septante 
et  le  texte  grec  du  Nouveau  Testament  (1),  sont  aptes  à  fournir 
des  lieux  théologiques  scripturaires  certains.  On  peut  adjoindre 
à  cette  classe  de  textes,  mais  dans  un  degré  de  certitude  infé- 
rieur, des  textes  reçus  dans  des  Églises  particulières,  versions  sy- 
riaque, copte,  italique,  avec  l'approbation  de  l'Église. 

RÈGLE  II.  —  Le  texte  de  la  Vulgate,  le  seul  qui  ait  été  déclaré 
authentique  par  un  jugement  dogmatique  solennel  de  l'Église,  a 
la  valeur  du  texte  inspiré  primitif  (2)  pour  tout  ce  qui  regarde  la 
foi  et  la  règle  des  mœurs;  et  donc  les  propositions  de  cette  nature 
qui  s'y  trouvent  contenues  constituent,  à  l'égal  de  l'original  (3), 
des  lieux  théologiques  certains. 

RÈGLE  III.  —  Les  éditions  actuelles  du  texte  hébreu  de  l'An- 
cien Testament  offrent,  au  témoignage  des  Pères,  des  Docteurs  et 
des  Savants  catholiques  une  conformité  avec  les  textes  primi- 
tifs (4)  suffisante  pour  que  l'on  puisse  faire  appel  à  l'autorité 
de  leurs  leçons  pour  déterminer  dans  certains  cas  d'une  manière 
nrobable,  en  vue  de  l'usage  théologique,  le  texte  des  propositions 
de  la  Sainte  Écriture  (5). 

RÈGLE  IV.  —  Les  textes  hébreu  et  grec  offrent  de  nombreu- 
ses utilités  (6)  pour  la  juste  intelligence  et  la  formulation  véri- 
dique  de  nombreux  lieux  théologiques  scripturaires. 

1.  Cf.  J.   Berthier,  De  Locis,  édit.  Turin,   1SS8,  p.   120-133,   139. 

2.  Dans  les  limites  où  le  texte  ne  contient  pas  per  accidens  d'incorrections 
d'interpolations,  etc.;  voir  sur  ce  sujet  les  spécialistes.  Cf.  aussi  Berthier, 
loc.  cit.,  p.  144,  sq.  De  Groot,  op.  cit.,  q.  XVI,  a.  V",  n.  V,  VI;  Bon- 
homme,  art.   cit. 

3.  et.    p.    269. 

4.  Cf.  l'argumentation  de  J.  Berthier,  De  Locis,  n.  134  ssq. 

5.  Cano  refuse  au  texte  hébreu  toute  autorité  doctrinale.  De  Locis,  1.  II, 
c.  XIII,  concl.  3  et  4.  Il  ne  concède  aux  éditions  du  texte  original  qu'ime 
valeur  d'utilité  secondaire  et  accidentelle,  c.  XV.  Mais  les  exemples  qu'il 
donne  pour  justifier  cette  valeur  d'utilité  sont  bien  près  de  leur  conférer 
une  valeur  doctrinale  probable.  Cano  semble  s'être  exagéré  la  corruption 
du  texte  révisé  par  les  Masisorètes  et  surtout  la  portée  du  décret  du  Concile 
de  Trente  sur  la  Vulgate.   Cf.  J.  Berthier,  De  Locis,  p.  118,   144  sq. 

6.  Cf.  Cano,  De  Locis,  I.  XII,  c.  XV. 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  2.  18 


274  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Quatrième  instrument.  —  L'examen  des  Similitudes. 

A.  Sources  docmnentaires  et  livres  perdus. 

La  question  des  sources  documentaires  de  certaines  parties  de 
l'Écriture  est  à  l'étude  et  le  sera  sans  doute  toujours.  Aux  sour- 
ces documentaires  se  rattachent  les  monuments  archéologirpies 
et  les  inscriptions,  enfin  les  livres  perdus  mentionnés  dans  la  Bible, 
parfois  comme  faisant  autorité.  En  l'absence  de  toute  garantie 
d'inspiration,  ces  documents  relèvent  des  investigations  scien- 
tifigues.  Cependant,  comme  leur  rapprochement  avec  les  écrits 
inspirés  peut  être  pour  ceux-ci  tantôt  une  cause  d'obscurcisse- 
ment, de  difficultés,  d'objections,  tantôt  au  contraire  une  con- 
tribution utile  à  leur  intelligence,  ils  méritent  la  considération 
du  Théologien,  qui  d'après  la  règle  générale  tirée  des  exigences 
de  l'objet  de  foi,  devra  fixer  les  conditions  d'admission  de  ces 
données  parmi  les  lieux  théologiques  extrinsèques  et  auxiliai- 
res ressortissant  au  quatrième  titre  général  des  Lieux  théolo- 
giques,  l'autorité  de  l'Histoire  et  des  Philosophes.  Les  livres 
perdus,  auxquels  renvoie  l'Écriture  rentrent  dans  cette  catégo- 
rie à  moins  qu'elle  ne  les  mentionne  comme  inspirés,  car  dans 
ce  cas  il  y  a  lieu  de  leur  donner  une  note  à  part. 

RÈGLE  I.  —  Toute  théorie  documentaire  est  somnise  au  ju- 
gement de  l'Église  et  doit  être  rejetée  par  le  Théologien  même  anté- 
cédemment  à  ce  jugement  si  elle  est  en  désaccord  avec  les  règles 
concernant  l'inspiration,  la  canonicité,  l'interprétation,  l'authentici- 
té du  texte  qui  constituent  les  trois  premiers  instruments  d'inven- 
tion des  lieux  théologiques  (1).  Elle  peut  être  admise,  et  les  docu- 
ments authentiques  dont  elle  excipe  peuvent  servir  à  déterminer 
avec  probabilité  le  sens  des  lieux  théologiques  scripturaires,  si  elle 
est  en  règle  avec  ces  préceptes  (2). 

RÈGLE  II.  —  Les  livres  perdus  simplement  mentionnés  par  la 
Bible  doivent  être  considérés  comme  des  documents  humains  et, 
s'ils  \'iennent  à  être  retrouvés,  traités  au  jpoint  de  vue  de  l'usage 
théologique  conformément  à  la  règle  précédente. 

RÈGLE  III.  —  Les  Livres  perdus  mentionnés  dans  l'Écriture 
Saijite  comme  l'œuvre  d'un  prophète  ou  d'un  Voyant,  ou  attri- 
bués à  des  auteurs  comme  Isaïe  ou  saint  Paul  (3j,  qui  ont  d'ail- 
leurs participé  au  charisme  de  l'inspiration,   sont,   à  les   consi- 

1.  Par  exemple  la  théorie  de  F.  Leuormant,  cf.  C.  Pesch,  De  inspiratione 
S.  Scriptiirae,   n.  338. 

2.  Cf.  Goinmunication  de  la  Commission  pontificale  pour  les  Études  biblicfues, 
•27   juin   1906. 

3.  Cl.   J.   Berthier.  p.  222. 


LA   NOTION    DU   LIEU   THÉOLOGIOUE  ^75 

dérer  en  soi,  probablement  susceptibles  de  fournir  des  \lë\ix  théo- 
logiques scripturaires.  La  déclaration  de  leur  canonicité  par 
l'Église  serait  nécessaire  pour  les  habiliter.  Autrement  ils  de- 
meureraient, comme  leurs  analogues  des  écrits  apocryphes,  dotés 
d'une  autorité  probable  ressortissant  à  la  Tradition  ou  aux  Saints 
Pères. 
B.Les  livres  apocryphes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament. 
Les  uns  sont  conservés  dans  les  éditions  de  la  Bible,  d'autres 
sont  mentionnés  comme  faisant  autorité  par  la  Bible  ou  par  divers 
auteurs.  Dans  le  N.  T.,  on  distingue  des  Évangiles,  des  Actes,  des 
Épîtres  et  des  Apocalypses  apocryphes.  Quoi  qu'il  en  soit  de  leurs 
origines  très  diverses,  ces  documents  ont  ce  caractère  commun 
que,  se  donnant  comme  inspirés,  ou  présentant  certains  signes 
d'inspiration,  ils  ont  été  exclus  soit  positivement,  soit  négati- 
vement par  l'Église  du  Canon  des  Écritures.  Dès  lors,  ils  n'ont 
pratiquement  par  eux-mêmes  qu'une  valeur  de  document  humain. 
Pour  l'usage  théologique,  l'on  devra  donc  les  examiner  tant  au 
point  de  vue  de  la  coïncidence  de  leur  contenu  avec  l'Écriture 
inspirée  qu'au  point  de  vue  des  exigences  de  la  foi  catholique. 
C'est  la.  seule  règle  générale  que  l'on  puisse  donner,  la  situation 
de  ces  livres  étant  très  différente,  puisqu'ils  s'étagent  du  IIP 
hvre  d'Esdras,  qui  n'est  dans  sa  majeure  partie  qu'une  repro- 
duction des  deux  premiers  livres  et  des  Paralipomènes,  aux 
rêveries   des    gnostiques. 

C.  Les  éditions  critiques  et  les  éditions  et  versions  des  héré- 
tiques en  langue  vulgaire. 

RÈGLE  I.  —  Les  textes  critiques  et  les  versions  savantes  des 
originaux  peuvent  fournir  des  lieux  théologiques  de  même  autorité 
que  les  textes  dont  ils  sont  l'exacte  reproduction,  sous  la  réserve 
du  jugement  de  l'Église  et  de  Vanalogia  fidei. 

RÈGLE  II.  —  Les  éditions  et  versions  des  hérétiques,  si  elles 
sont  destinées  à  propager  l'hérésie  doivent  être  rejetées  :  si 
elles  ont  une  valeur  critique,  ou  de  fidélité  textuelle,  elles  peuvent 
rendre  certains  services,  après  avoir  été  examinées  et  corrigées 
par  l'autorité  compétente  ou  par  les  théologiens  qui  les  utilisent. 

D.  Le  sens  accommodatice. 

C'est  un  sens  qui  n'est  pas  de  l'intention  de  l'auteur  divin  ; 
celui  qui  l'emploie  se  sert  d'une  proposition  de  l'Écriture  p'our 
exprimer  sa  propre  pensée,  qu'il  lui  plaît  de  voir  dans  le  texte, 
mais  qui  n'y  est  pas. 

Règle  I.  —  Le  sens  accommodatice  n'a  par  lui-même  au- 
cune valeur  pour  la  théologie. 


•276         REVUE    D^S   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

RÈGLE  II.  —  Les  propositions  de  l'Écriture  entendues  au  sens 
accommodatice  peuvent  avoir  pour  la  théologie  la  valeur  de  l'au- 
torité dont  elles  représentent  l'enseignement  oii  la  pensée,  ma- 
gistère de  l'Église,  Pères,  usage  liturgique,  théologien.  Par  acci- 
dent donc,  le  sens  accommodatice  peut  fournir  des  Lieux  théo- 
logiques certains  :  quelquefois,  il  n'aura  qu'une  autorité  pro- 
bable, la  plupart  du  temps  cette  autorité  sera  nulle,  sinon  pour 
l'édification   subjective,    du  moins  pour  la   science  théologique. 


Telles  sont  les  principales  règles  qui  développent  organique- 
ment et  d'une  manière  appropriée  à  leur  but  les  quatre  instru- 
ments d'invention  des  lieux  théologiques  scripturaires.  Il  n'y 
auiait  aucune  difficulté,  avec  les  matériau?:  que  nous  offrent  les 
Traités  de  Lieux  tliéologiques  existants,  à  rédiger  un  appara- 
tus  semblablement  ordonné  pour  les  autres  Lieux  communs  con- 
crets. Nous  l'avons  fait,  pour  notre  propre  compte,  et  sans  à 
coup,  pour  la  Tradition,  matière  délicate  entre  toutes.  Pour  le 
magistère  de  l'Église  il' y  a  fort  à  faire  pour  dégager  la  partie 
critériologique  du  traité  de  sa  gangue  ontologique.  Berthier  sem- 
ble y  avoir  réussi.  Chose  singulière,  à  partir  des  Lieux  théolo- 
giques probables,  les  Traités  de  Lieux  théologiques  les  plus 
touffus  comme  ontologie  se  ressouviennent  qu'ils  sont  des  trai- 
tés de  méthodologie  et  formulent  des  conclusions  immédiate- 
ment convertibles  en  règles  d'invention,  ce  qui  simplifie  beau- 
coup la  tâche.  Supposonsla  achevée,  et  chacun  des  Lieax  com- 
muns généraux  munis  d'instruments  appropriés  à  sa  nature,  de 
règles  et  préceptes  tout  prêts  à  diriger  le  travail  du  théologien, 
l'invention  intégrale  des  lieux  théologiques  n'est  plus  qu'une 
question  de  mise  en  œuvre,  dans  laquelle  rien  ne  sera  laissé  au 
hasard.  Sans  doute  l'œil  du  Maître,  le  regard  aux  aguets  de 
l'aitiste  qui  veille  àu  bon  fonctionnement  de  ses  instruments 
sera  toujours  nécessaire;  VArs  generalis  que  nous  venons  d'es- 
quisser ne  donne  que  des  procédés,  des  recettes  presque  méca- 
niques; mais  c'est  déjà  quelque  chose,  si  l'on  songe  que  faute 
de  procédés  et  de  recettes,  les  créations  du  génie  humain  lui-même 
restent  le  plus  souvent  à  l'état  de  projet  ou  d'ébauche. 

(A  suivre.) 

Kain.  Fr.  A.  Gardeil,  0.  P... 


La  création  en  sept  jours, 
d'après  les  Apocryphes 

de  FAncien  Testament 


LES  Apocryphes  juifs  de  l'Ancien  Testament  donnent  volon- 
tiers à  Dieu  le  titre  de  Créateur,  parce  qu'il  a  l'avantage, 
apprécié  surtout  en  ce  temps,  d'éveiller  directement  dans  l'es- 
prit du  lecteur  le  souvenir  de  la  domination  primordiale  de  Dieu 
sur  toute  créature,  en  même  temps  qu'en  son  cœur  le  sentiment 
de  sa  transcendance  incontestée  sur  le  monde,  et  l'on  sait  déjà 
que  le  récit  de  la  Genèse  est  l'une  des  sources,  ou,  plus  juste- 
ment, la  seule  source  où  le  Juif  de  cette  période  puise  sa  con- 
naissance de  Dieu  ^.  Après  avoir  signalé  ce  fait,  en  utilisant 
pour  l'illustrer  les  textes  que  nos  Apocryphes  présentent  épars, 
il  convient  d'y  revenir  encore,  en  étudiant,  cette  fois,  exclusi- 
vement, les  documents  plus  étendus  qui  montrent  Dieu  s'ac- 
quittant  pendant  sept  jours  de  son  œuvre  créatrice.  Ces  nou- 
velles éditions  de  Gcn.  I-II,  4,  se  permettront  de  modifier  leur 
prototype  sur  plus  d'un  point,  et,  en  notant,  au  cours  des  récits 
ces  modifications  diverses,  l'on  pourra  atteindre,  en  quelque 
manière,  les  préoccupations  théologiques  qui  s'imposent  aux  écri- 
vains, deviner  peut-être  aussi  les  idées  religieuses  étrangères 
qui,  soit  directement,  soit  plutôt  après  maint  intermédiaire,  ont 
vraisemblablement  exercé  sur  eux  quelque  influence,  constater 
enfin  —  et  ceci  est  le  point  le  plus  intéressant  —  comment  ils 
savent  maintenir  en  tous  cas  transcendante  et  pure  la  person 
nalité  de  Dieu. 

Les  documents  qui  viennent  ici  en  question  sont  les  saivants, 
Jubilés  II,  W  Esdras  VI  38-55,  et  Hénoch  slave  XXIV-XXXL  Ce 
dernier  récit  apportant  des  détails  tout  nouveaux,  et  dérangeant 
d'ailleurs  sur  quelque  point  l'agencement  traditionnel  des  sept 
jours,  devra  être  étudié  avec  plus  de  longueur  :  je  le  mets  donc 


1.  Cf.   Revue  des  Se.  Ph.   et  Th.   I,  (1907),  pp.  45  et  suiv. 


.278         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

à  part,  et  joins  pour  l'instant  l'une  à  l'autre,  nonobstant  la  dif- 
férence des  livres  qui  les  contiennent,  les  deux  narrations  des 
Jubilés  et  d'Esdras  qui  s'entendent  assez,  même  dans  les  détails, 
et,  en  tous  cas,  en  prennent  moins  à  leur  aise  avec  le  texte 
sacré. 

Dans  la  lecture  des  deux  documents  qui  viennent  d'être  nom- 
més, une  chose  frappe  tout  d'abord,  c'est  le  soin  qu'ils  prennent 
l'un  et  l'autre  de  faire  rentrer  dans  les  six  jours  primordiaux 
l'œuvre  tout  entière  de  la  création.  Le  temps  est  strictement  déli- 
mité pendant  lequel  Dieu  travaille,  et  rien  n'a  dû  se  passer  en 
dehors  de  cette  période.  Au  commencement.  Dieu  avait  créé  le 
ciel  et  la  terre,  et  c'était  seulement  après  l'apparition  de  la  lamière 
qu'il  avait  compté  le  premier  jour.  Voilà  ce  qu'on  lisait  dans  les 
livres  de  Moïse,  lesquels,  sans  doute,  ne  visaient  pas  à  une  exac- 
titude trop  grande  :  mais,  fallait-il  entendre  par  là  que  le  ciel  et 
la  terre  avaient  été  faits  en  dehors  de  la  semaine  primitive  ?  Non 
assurément,  et  il  était  prudent   de  le  dire.  «  Au  'premier  jour, 
(Dieu)  fit  le  ciel  d'en-haut  et  la  terre...  »,  précise  l'auteur  des 
Jubilés,  et  celui  d'Esdras,  plus  attaché  à  la  lettre  sacrée,  et  n'en 
voulant  point  perdre  quel  détail  que  ce  soit,  «  loquens  locutus  es 
al)  initio  creaturae  tuae  in  primo  die,  dicens  :  Fiat  coelum  et 
terra  ».   Dès   lors,    toute   possibilité    d'erreur   est  écartée  :   tout 
le  monde  comprendra  que  le   n"'c."S-i3   génésiaque  ne  désigne  point 
le  commencement  des  temps,  quelque  période  vague  et  indéter- 
minée, mais  bien  le  commencement  de  la  création,  c'est-à-dire, 
le  premier  jour.  —  Après  avoir  enregistré  tout  le  développement 
de  l'apparition  des  êtres  en  ce  monde,  et  avant  de  noter  le  repDS 
auquel   Dieu   s'astreignit   au    sabbat  primitif,    quelle   distraction 
était  donc  survenue  à  Moïse  pour  qu'il  écrivît  :  «  (Dieu)  acheva 
au   septième  jour  son   œuvre   qu'il   avait  faite  »   {Gen.,   II,   2)  ? 
Le   septième  jour  étaitil   donc   commencé,    quand    le    Créateur 
interrompit  son  travail,  et  le  repos  du  premier  sabbat  n'aurait- 
il  point   été   absolu  ?    Ce   serait   une   grande  erreur  que   de   le 
croire.  «  (Dieu)  finit  tous  ses  travaux  le  sixième  jour^,  tout  ce 
qui  existe  dans  le  ciel  et  sur  la  terre...»  (Jub.,  16).  Ces  recti- 
fications suggestives  dénotent  chez  nos  auteurs  un  souci  assez 
vif  de  maintenir  l'institution   sacrée  de  la  semaine,   et  d'affir- 
mer,   sans   erreur   possible,    la  nécessité    du   repos   sabbatique, 
repos  entier,  absolu,  tel  que  le  commande  la  Loi.  En  ce  qui  con- 
cerne Esdras,  il  faut  ajouter  une  autre  remarque  encore. 


1.  Le  samaritain  et  les  Septante  ont  rléjà  la  correction. 


LA  CRÉATION  EN  SEPT  JOURS  279 

On  a  va  que  le  premier  Fiat  créateur  était  transporté  chez 
lui  en  tête  de  sa  narration,  au  moment  où  s'exerce  pour  la  pre- 
mière fois  l'action  divine  :  le  ciel  et  la  terre  se  sont  faits  alors 
subitement,  et  voici  qu'il  y  a  encore  «  un  Esprit  et  des  ténè- 
bres »  qui  planent^,  non  point  précisément  au-dessus  des  eaux 
chaotiques  qu'on  ne  mentionne  pas  -,  mais  vraisemblablement 
au-dessus  des  éléments  même  qui  viennent  d'être  créés.  Le  texte 
continue  alors  :  «  tune  dixisti  de  tliesauris  tuis  proferri  lumen  lu- 
mînosum  quo  appareret  opus  tiium  »;  et  les  meilleures  versions 
s'accordent  ici  en  substance  -^  L'auteur  se  sert  du  style  indirect, 
et  il  affirme  que  la  lumière  a  été  tirée  par  Dieu  de  ses  trésors 
célestes.  Elle  ne  fut  donc  point  créée  en  ce  moment  même,  mais 
existait  déjà,  avant  que  s'exerçât  pour  la  première  fois  l'action, 
divine,  dans  les  trésors  de  Dieu.  Si  Esdras  recule  le  Fiat  créa- 
teur au  moment  même  de  la  formation  du  ciel  et  de  la  terre, 
c'est  donc  encore  qu'il  ne  voulait  point  le  laisser  en  la  place 
qu'il  tient  dans  la  Genèse,  et,  de  fait,  on  eût  été  surpris  de  l'y 
rencontrer  à  nouveau,  si  l'effet  s'était  déjà  produit  par' avance 
et  indépendamment  de  l'ordre  divin.  L'Ancien  Testament  avait 
jadis  rapproché  la  Imnière  de  la  persomie  même  de  Dieu*, 
et  les  Targums,  continuant  dans  le  même  sens,  en  viendront 
à  remplacer  le  nom  divin  par  la  périphrase  ""n  xip^  ^.  Il  en  va 
d'autre  sorte  en  notre  texte  :  on  ne  nous  propose  point  pré- 
cisément quelque  identification  de  l'aspect  extérieur  de  Dieu 
avec  la  lumière  ^,   mais   on   affirme  qu'avant  la  création  la  In 


1.  Hilgenfeld    traduit    le    passage:   rjv  rôre  irveOfia   éiri<p€ pofievov  Kui   (TKÔTO 

irepiecpépeTo.  Si  l'original  portait  quelque  chose  de  ce  genre,  la  conjecture 
est  permise  que  l'auteur  avait  pu  s'appuyer  sur  les  Septante,  et  donner 
deux  sujets  au  verbe  èincpé pero,  justement  les  deux  substantifs  cfui  pré' 
cèdent. 

2.  Du  moins,  dans  les  vers,  lat.,  syr.  et  éth.  —  Ar''-  :  Et  spiritus  venit 
super  aquas  . —  Ar^  :  Et  Spiritus  et  Verbum  super  aquas  yolitabant.  — 
Quant  à  la  version  armén.,  elle  juge  d'autant  plus  nécessaire  de  parler 
avec  longueur  des  eaux  primitives,  qne  les  meilleures  versions  n'en  di- 
saient   mot. 

3.  Syr.  :...  de  thesauris  tuis  proferri  splendorem  luminis,  ut  apparerent  opéra 
tua. 

Aeth.:  ...Mi  veniat   lumen  ex   cubili   tuo   et   videatur   opus   tuum. 

Ar^.:  Dixisti  :   Fiant  lumina,  ut  lucem  dent  super  creaturam   quam  fecisti. 

Ar^.  :  Et  imperasti,  et  lux  ex  promptuariis  tuis  exiit,  ut  quae  creaveris 
manifestarentur  et  qnae  effeceris  palam  fièrent. 

Arm.  :  (arrangement  tout  différent),   tu  jussisti  splendere  lumen. 

La  première  version  arabe  est  donc  seule  à  mentionner  ici  le  Fiaf  de  la 
Genèse,   et  la   création  proprement  dite  de  la  lumière. 

4.  Cf.  mon  article,  The  iclea  of  Liglit  in  The  0.  T.  dans  la  New-York 
Reoiew.  II  (july  1906),  p.  70. 

5.  Cf.  Weber,  p.   165. 

6.  Contre  Gunkel  (dans  Kautzsch,  p.  367,  note  e)  qui  conclut  :  «  ûas 
Licht   gehôrt   zu    Gottes    Wesen  ». 


280         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

mière  existait  auprès  de  Dieu,  il  faut  le  remarquer,  du  reste, 
SOUS  la  dépendance  complète  de  Dieu.  L'idée  est  assez  nou- 
velle, et  il  me  paraît  qu'elle  peut  s'expliquer  par  cette  con- 
ception, que  Dieu  devait  avoir  sa  résidence,  ses  trésors,  ses 
promptuaria,  déjà  constitués  avant  la  création  :  avant  que  tou- 
tes choses  existassent,  il  fallait  bien  que  Dieu  eût  sa  demeure 
pour  qu'il  y  habitât  i.  La  chose  paraît  assez  importante  à  Esdras, 
pour  qu'il  modifiât  en  conséquence  le  récit  traditionnel  de  la 
Genèse  II  se  peut  donc  que  telle  ait  été  la  représentation  de 
plusieurs  à  cette  époque,  représentation  populaire  assurément, 
et  qui  rappelle  en  quelque  manière  celle  que  nous  présentent 
les  documents  babyloniens  :  Anû,  «  le  père  des  dieux  »,  rési- 
dait, lui  aussi,  dans  un  ciel  tout  inondé  de  lumière.  —  Sur 
l'ordre  de  Dieu,  la  lumière  primordiale  va  projeter  son  éclat 
hors  du  monde  suprasensible,  et  éclairer  le  ciel  et  la  terre 
nouvellement  créés,  jusqu'alors  plongés  dans  les  ténèbres.  La 
fin  du  développement  d'Esdras,  qui  rappelle  en  quelque  ma- 
nière les  dires  de  Josèphe^,  a  été  conçue  pour  faire  le  pen- 
dant de  Gen.,   2  (ap.  LXX),  ri  dï  y^  r,v  ahoy-o^. 

S'il  faut  en  croire  l'auteur  des  Jubilés,  l'action  de  Dieu  amena, 
le  premier  jour,  sept  créatures  à  l'existence  :  quatre  d'entre 
elles  sont  expressément  nommées,  les  cieux  d'en-haut,  la  terre, 
les  eaux,  les  esprits  ;  et,  dans  l'énumération  qui  suit,  on  nous 
laisse  le  soin  de  distinguer  les  trois  qui  manquent  encore.  D'a- 
piès  Rônsch  ^,  ces  trois  éléments  seraient  les  abîmes,  l'obscurité 
et  la  lumière;  Littmann*  pense  plutôt  aux  anges  de  la  nature, 
aux  anges  des  saisons  (divisions  de  l'année),  aux  anges  de  la 
lumière  et  des  ténèbres  (divisions  du  jour).  Le  sentiment  du 
premier  critique  peut  s'appuyer  sur  le  rapprochement  qui  se 
fait  de  lui-même  entre  «  tous  les  esprits  qui  servent  devant 
(Dieu)...  »  et  «  tous  les  esprits  de  ses  œuvres  »  :  mais,  si  l'on 
peut  en  rester  à  notre  texte  actuel,  cette  dernière  incise  n'est  pas 
complète,  et  il  faut  la  donner  dans  toute  sa  longueur,  «  tous 
les  esprits  de  ses  œuvres  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  et  dans 


1.  L'on  peut  dire  aussi  —  et  je  crois  la  chose  assez  probable  —  que 
l'auteur  a  été  influencé  par  la  traduction  des  Septante  à  Jerem.  X,  14  : 
e^riyayi  <f>û>s  èK  drjcravpûjv  avroO.  Les  traducteurs  çrecs  avaient  trouvé  dans  leurs 
mss.,  ou,  du  moins  avaient  lu,  au  lieu  du  texte  Massor.,  vmvXO  nn  XW 
ce  qai  suit  "O  miX  XVV  (cf.   DuHM,   102). 

2.  Taùrrjs  (r.  7^5)  d'ùrràipiv  ovk  êpxofJ.éfris.  àWà  fiadd  fièv  KprirTOfiév-q^  (TKÔTei...  A.  J.  l.  1. 

3.  Das  Buch  der  Jubilàen,  p.  260,  Leipzig,  1874. 

4.  Dans  les  Pseudepigraphen  de  K.a.utzsch,  p.  42,  note  a. 


LA  CRÉATION  EN  SEPT  JOURS  281 

tous  les  abîmes  ».  Et  alors  s'évanouit  la  cinquième  des  œuvres 
distinctes  que  Rônsch  avait  énumérées.  Cette  même  incise  vient 
aussi  se  jeter  entre  les  sixième  et  septième  œuvres  mention- 
nées par  Littmann,  ce  qui  rend  par  suite  caduc  tout  son  sys- 
tème de  division.  —  Une  chose  ressort  clairement  de  notre  texte, 
c'est  que  l'auteur  des  Jubilés  s'est  essayé  à  une  classification 
d'anges.  Les  anges  de  la  Face  et  ceux  de  Sainteté  ^  forment 
deux  groupes  distincts  en  cette  classification,  puisque  d'autres 
passages  du  livre  les  signalent  comme  étant  d'espèces  différentes 
(II  18,  XV  27,  etc.);  quant  à  tous  les  autres  qui  sont  ici  mention- 
nés et  qui  président  au  vent,  aux  nuages  sombres,  à  la  neige,  etc., 
ils  ne  peuvent  que  former  une  classe  à  part,  ce  sont  les  anges 
des  éléments.  Nous  avons  donc  affaire  à  une  division  tripartite 
des  esprits  créés  au  premier  jour  2.  Il  est  vrai  que  cela  ne  nous 
avance  en  rien,  car  il  demeure  au  moins  très  probable  que  toutes 
ces  catégories  rentrent  dans  la  dénomination  générale  qui  pré- 
cède, «  tous  les  esprits....,  tous  les  esprits  de  ses  œuvres  ». 
Les  trois  créatures  qui  nous  manquent  ne  doivent  rentrer  en 
aucune  manière  dans  les  quatre  premiers  groupes  qu'on  a  dis- 
tingués avec  toute  la  clarté  possible  :  leur  mention  est  donc 
à  chercher  dans  cette  fin  de  phrase  qui  malheureusement  pré- 
sente un  texte  fort  corrompu.  Par  bonheur,  nous  n'en  sommes 
point  réduits  ici  à  la  seule  version  éthiopienne,  et  le  De  men- 
suris  et  ponderihus  (chap.  XXII)  de  saint  Épiphane  est  an  témoin 
précieux  du  texte  qu'il  nous  faut  interroger.  Or,  dans  ce  travail, 
la  phrase  se  poursuit  en  cette  manière  :  «  les  œuvres  de  Dieu 
dans  les  deux  et  sur  la  terre,    rà;    à.^'Jaaovç,    zr,v   ze    ÙTroxàrco    ry}^ 

Ti  Kc.l  opBpov  3.  »  Dans  cette  fin  d'énumération,  l'on  peut  distin- 
guer sans  grande  difficulté  les  trois  choses  qui,  elles  aussi, 
furent  créées  par  Dieu  en  ce  premier  jour,  et  ce  sont,  les  abîmes 
qui    s'ouvrent   au-dessous   de  la  terre  et  du   chaos,   c'est-àrdire 


1.  On  de  «  Louange  »,  si,  avec  Praetorius,  on  admet  une  confusion  entre 
OP^Ù,  et   *^rL. 

2.  Ronsch  exprime  aussi  cet  avis  en  quelque  autre  endroit  fp.  101). 

3.  Cf.  P.  G.  XLIII,  276.  Ce  texte  est,  dans  une  certaine  mesure,  garanti 
par  la_  vieille  version  latine,  qui  lit  :  «  ad  haec,  abyssos  ac  voragines  creavit 
quae  intra  terrain  sunt  ac  chaos,  et  tenebras;  seciita  est  vespera,  oiox,  diei 
lux,  ac  diluculi  ».  Une  autre  lecture,  celle  qu'adopte  Rônsch  (p.  259),  pré- 
sente le  texte  :...  Kal  tov  xdons  rà  ctkôtos...  Quant  au  Cod.  Marcian.,  il  glose  assu- 
rément ici  :  Tas  Te  èv  à^vaaoïs,  rrjv  re  VTroKaru  ttjs  à^vaaov  tQv  îiôàruv  twv  t€  èir&vw 
Trts  yrjs,  é^  06  vwèp  (tkotos  éari,  Kai  aKÔros...  Ces  diversités  de  lecture  prouvent 
incontestablement  que  le  texte,  ici  non  plus,  n'est  point  assuré. 


28:2         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

des  eaux  primitives  déjà  existantes  ^  ;  l'obscurité  du  soir  et  de 
la  nuit,  la  lumière  de  l'aurore  et  du  jour  2.  Sur  ces  trois  choses, 
'deux  sont  mentionnées  au  second  verset  de  la  Genèse  sans 
qu'on  sache  comment,  depuis  quand,  par  qui  elles  furent  cons- 
tituées, les  ténèbres  et  l'abîme.  Ceci  ne  correspondrait-il  pas  à 
l'original,  et  n'aurions-nous  point  trouvé  là  les  éléments  que  nous 
cherchions  encore?  L'auteur  des  Jubilés  aurait  écrit  avec  un  souci 
constanr  d'affirmer  que  Dieu  a  créé  toutes  choses  :  tout  ce  que 
Moïse  mentionnait  en  son  récit  avant  qu'il  ne  fût  question  du  soir 
du  premier  jour,  tout  cela^  sans  aucune  exception,  avait  été  fait 
ce  premier  jour.  Alors  étaient  venus  à  l'existence,  1)  le  ciel,  — 
2)  la  terre,  —  3)  les  eaux,  —  4)  les  esprits  angéliques  nn 
D'nVs  2,  —  5)  les  abîmes,  —  6)  les  ténèbres  primitives,  analogues 
à  celles  qui  obscurcissent  tout  le  soir  et  dans  la  nait,  —  7)  la 
lumière  primordiale  enfin,  qui  est  celle  dont  nous  jouissons  en- 
core à  l'aurore  et  pendant  le  jour.  Les  anges  prennent  la  place  de 
l'Esprit  de  Dieu  *,  et  ainsi  tous  les  êtres  mentionnés  dans  les  4  pre- 
miers versets  de  la  Genèse  sont  affirmés  explicitement  créatures  de 
Dieu.  On  les  a  comptés  un  à  un,  il  y  en  a  sept  :  dès  le  prin- 
cipe, le  nombre  fatidique  affirme  donc  son  caractère  mystérieux 
et  sacré. 

Ce  qui  fut  créé  au  premier  jour  est,  sans  doute,  un  monde 
supérieur,  en  tout  cas,  un  monde  non  développé,  des  cieux  et 
peut-être  une  terre  d'en-haut,  roj;  àywrÉoow»;  oipâvoi;;  :  la  terre  que 
nous  foulons  fut  constituée  seulement  le  3'^  jour  dans  l'état  où 
elle  se  trouve  aujourd'hui.  Dans  l'intervalle  avait  été  fait  le  firma- 
ment qui  devait  servir  de  cloison  entre  les  eaux  supérieures  et 
les  inférieures   :  firmament  qui,  dans  l'estimation  d'Esdras,  n'est 


1.  L'axiteur  parle  des  abîmes  au  pluriel,  et  mentionne  celui  qui  est  au-dessous 
de  la  terre,  et  celui  q^^ii  est  au-dessous  du  chaos.  Il  distingue  donc  entièrement, 
au  second  verset  de  la  Genèse,  la  terre  restant  informe  et  vide,  et  les  eaux  : 
Vahvne  qni,  dans  le  texte  sacré,  est  cité  entre  les  deux,  se  place  en  réalitéi 
au-dessous  de  l'une  et   au-dessous   des   autres. 

2.  En  dernière  analyse,  Ronsch  a  donc  eu  raison  de  distinguer  comme  il 
l'a   fait   les   trois    derniers   êtres    créés   par   Dieu   en   ce   jour. 

3.  L'auteur  n'aura  voulu  tenir  compte  qne  du  second  mot  :  du  reste,  Joh, 
XXXVIII,  7,  a  pu  être  considéré  comme  une  preuve  manifeste  que  les  anges 
furent  créés  avant  la  formation  de  la  terre,  donc  aussi  au  premier  jour. 
Plus  tard,  Beresch.  rab.,  viendra  combattre  cette  opinion,  pour  couper  court 
à  quelque    difficulté    théologique. 

4.  Ils  ne  prennent  pas  la  place  de  la  lumière,  selon  que  le  croyait 
saint  Isidore  de  Séville  (Orig.  I,  20),  lequel  se  reportait  vraisemblable- 
ment à  notre  livre  des  Jubilés  :  «  Primo  die,  Deus  in  lucis  nomine  con- 
didit  angelos  ».  Cette  dernière  conception  rappellerait  plutôt  les  écrits  rab- 
biniqnes  qui  considèrent  les  anges  comme  des  êtres  de  feu.  (Cf.  Weber, 
p.  166). 


LA     CRÉATION     EX     SEPT     JOURS  "283 

point  une  créature  brute,  mais  plutôt  mi  être  spirituel,  Spi- 
ritum  firmamenti'^.  Puis  les  eaux  inférieures  se  sont  rassem- 
blées en  un  même  lieu,  et  la  terre  présente  est  apparue.  Cela 
ne  satisfait  point  entièrement  l'auteur  des  Jubilés  :  est-ce  que 
la  mer  a  été  créée  par  Dieu  indirectement,  parce  qu'il  fallait 
bien  que  les  eaux  allassent  quelque  part,  alors  qu'elles  s'écar- 
taient de  l'aride  ?  Non,  l'intervention  du  Créateur  fut  directe. 
«  Et  il  créa  pour  (les  eaux  primitives  inférieures),  toutes  les 
mers,  chacune  selon  ses  réservoirs,  et  tous  les  fleuves,  et  tous 
les  réservoirs  des  eaux  sur  les  montagnes  et  sur  toute  la  terre, 
et  tous  les  étangs,  et  toute  la  rosée  de  la  terre  ».  La  mention  de 
l'eau  iiienfaisante  et  qui  féconde  le  sol  amène  la  mention  des 
plantes  et  des  arbustes  qui  ne  manquent  pas  d'y  croître  ;  la 
mention  des  arbustes  et  de  la  végétation  si  appréciée  en  ces 
pays  d'Orient  attire,  à  son  tour,  celle  «  du  jardin  Eden  en 
Eden  ».  Lui  aussi  fut  créé  en  ce  jour,  qui  était  le  troisième. 

Dans  le  passage  correspondant  de  son  livre,  Esdras  prend 
soin  de  dire  que  la  création  fut  bien  ordonnée,  car  la  mer  occupa 
le  septième  de  l'espace,  les  six  autres  parties  étant  réservées  à 
la  terre.  Puis  il  continue  :  «  Conservasti  (sex  partes  aridas), 
ut  ex  his  sint  coram  te  minisirmitia  seminata  adeo  et  culta  ». 
Cet  adeo  parfaitement  inexplicable  dans  une  phrase  assez  mys- 
térieuse est  lâché  par  les  versions  syr.,  éth.,  et  ar.,  et  il  paraît 
bien  qu'on  doive  le  couper  en  deux  et  lire  la  fin  du  texte,  «  se- 
minata a  Deo  et  culta  »,  suivant  l'hypothèse  depuis  longtemps 
proposée.  Quant  au  terme  ministrantia,  le  syriaque  le  rend  de 
telle  sorte  qu'on  puisse  supposer  un  original  ipyoQôatvoi',  l'éthio- 
pien, qui  nous  domie  la  lecture  ^rhCfr,  a  dû  trouver  quelque 


1.  Gunkel  fait  ici  la  remarque  que  «  l'esprit  dxi  firmament  »  jiùf  correspond 
à  un  «  dieu  du  ciel  païen  »  (Anû,  Baal  samajim,  etc.)  Le  rapprochement, 
quoique  fondé,  n'est  pas  vrai  sous  tout  rapport  :  les  Ba'alim  n'étaient  point 
chargés  de  séparer  en  deux  les  eaux  primitives,  et  il  en  faut  dire  autant 
d'Ajiû,  le  abu  ilâni,  dieu  suprême,  qu'on  ne  saurait  confondre  avec  ce 
Spiritus  firmamenti,  être  céleste  subordonné.  S'il  fallait  trouver  dans  l'his- 
toire des  religions  quelque  parallèle  à  cet  Esprit  du  firmament,  j'aimerais 
mieux  alléguer  les  dieux  égyptiens  Shu  ou  Bes  qui  s'interposent  entre 
le  Ciel  et  la  Terre,  les  arrêtent  dans  leur  embrassement,  et,  empêchant 
par  la  suite  tout  rapport  intime  entre  eux,  gardent  la  Terre  sous  leurs 
pieds,  tandis  qu'ils  soulèvent  le  Ciel  au-dessus.  Étant  donné  le  récit  génésiaque, 
les  Eaux  chaotiques  prennent  ici  la  place  du  couple  primitif  :  elles  sont,  on 
le  sait,  des  deux  sexes,  et  maintenant,  depuis  le  temps  de  la  création  lec 
l'intervention  de  ce  Spiritus  firmamenti.  elles  sont  écartées  de  deux  côtés, 
leur  mélange  fécond  est  empêché,  et  les  eaux  du  sexe  masculin  sont  retenues 
au  ciel,  tandis  que  celles  du  sexe  féminin  demeurent  ici-bas.  [Hen.  eth. 
LIV,  8).  —  On  remarquera  cependant  que,  dans  les  livres  juifs,  le  monothéisme 
et  la  souveraineté  suprême  du  Dieu  unique  sont  soigneusement  mainte- 
nus. 


284  REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

chose  de  pareil  dans  son  texte  et  l'a  rendn  assez  clairement. 
IM'ous  en  venons  donc  ainsi  à  la  traduction  suivante  :  «  Voas 
avez  séché  et  gardé  six  parties*  de  la  terre,  afin  que,  parmi  elles, 
il  y  en  ait  (?  une)  gue,  devant  vous,  ils  travaillent,  laquelle 
avait  été  ensemencée  par  Dieu  et  plantée  ».  C'est  encore  d'Eden 
qu'il  est  question,  et  la  description  poétique  qui  suit  notre  texte 
s'y  applique  au  mieux.  Ainsi,  Esdras,  d'un  côté,  ne  contredit 
point  le  renseignement  de  Gen.  II,  que  la  plantation  d'Eden 
s'était  faite  après  la  création  de  l'homme,  et,  de  l'autre,  de- 
meure d'accord  avec  l'auteur  des  Jubilés,  que  le  jardin  de  déli- 
ces avait  dû  être  créé  ^  le  troisième  jour. 

Puis  la  semaine  primordiale  se  continue  et  voici  qu'appa- 
raissent de  nouvelles  œuvres.  C'est  le  soleil,  la  lune  et  les 
étoiles  qui  reçoivent  déjà  l'ordre  de  servir  l'homme  (ZF  Esclr.), 
et  ceci  montrera  toute  la  folie  des  idolâtres  qui,  adorant  les 
astres,  se  prosternent  tout  simplement  devant  leurs  propres  ser- 
viteurs. Puis  ce  sont  les  créatures  animées,  les  monstres  géants 
en  premier  lieu,  qui  sortent  des  mains  créatrices  :  Dieu  crée 
lui-même  les  poissons  et  les  oiseaux,  les  animaux  de  la  terre  et 
le  gros  bétail  (Jubil.).  Son  action  s'exerce  sans  intermédiaire, 
et  point  n'est  besoin  que  les  eaux,  que  la  terre  reçoivent  l'ordre 
de  produire  des  êtres  vivants  {Gen.  I,  20,  24).  Tout  être  dépend 
directement  de  Dieu  2,  car  il  a  été  produit  par  lui  seul,  et  profite 
sous  l'action  du  soleil  que  Dieu  a  créé.  —  Sur  ce  point,  le  quatriè- 
me livre  d'Esdras  est  d'un  sentiment  tout  opposé.  Les  eaux  furent 
mises  dans  l'obligation  de  produire  Behemoth  et  Leviathan,  les 
volatiles  et  les  poissons;  la  terre  dut  donner  naissance  aux  bes- 
tiaux, aux  animaux  sauvages,  à  ceux  qui  rampent  :  et  tout  se 
fit  suivant  l'ordre  reçu.  Cette  disposition  des  choses  n'est-elle  pas 


1.  Les  anthropomorphismes  de  J  sont  plus  respectés  par  Esdras  qfue 
par  l'auteur  des  Jubilés  :  ce  n'est  point  directement  la  création  du  iardin 
d'Eden  qu'on  nous  fait  connaître,  mais  bien  la  conservation  d'un  coin 
de  terre  seminata  a  Deo  et  cidfa. 

2.  L'homme  aussi  dépend  directement  de  Dieu.  Alors  gu'il  apparaît  en  ce 
monde  sur  l'ordre  du  Créateur,  était-il  androgyne,  comme  Ronsch  (p.  261, 
note)  l'a  pensé?  Je  ne  le  suppose  pas,  et  il  me  semble  que  Jiib.  II,  14,  est 
tout  simplement  une  trajiscription  de  Gen.,  I,  28  :  ce  qui  gêne  en  ce 
contexte,  est  la  suppression  du  «  Crescite  et  multiplicamini  »,  qui,  dans 
le  livre  canonique,  légitimait  la  mention  de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  Mais 
ceci  même  n'a-t-il  point  été  omis  à  dessiein,  pour  que  rien  ne  semblât 
laissé  à  la  libre  discrétion  de  l'homme,  et  que  celui-ci  en  toutes  choses 
parût  sous  la  dépendance  directe  du  Créateur?  Ce  serait  un  sentiment  du 
même  genre  qui  aurait  porté  plus  loin  encore  à  une  modification  du  texte 
sacré  :  «  Dieu  leur  dit:  Remplissez  la  terre  et  assujeltissez-la.,  dominez...  » 
écrivait  l'auteur  de  la  Genèse,  et  celui  des  Jubilés  transcrit  :  «  Dieu  fit 
l'homme    maître    de    tout    ce    qnii   est   sur   la   terre...  » 


LA  CRÉATION  EX  SEPT  JOURS  285 

plus  admirable,  et  l'hommage  plus  éclatant,  qui  est  rendu  à  la 
puissance  infinie  du  Créateur  ?  «  Et  il  arriva  que  les  eaux  muet- 
tes et  sans  âme  donnèrent  le  jour  à  des  êtres  qui  ont  une  âme, 
afin  qu'à  cause  de  cela  les  nations  racontent  vos  merveilles  ».  Que 
la  création  soit  médiate  ou  immédiate,  il  importe  peu  :  l'essen- 
tiel 6st  que  la  grandeur  de  Dieu,  sa  suprématie  sur  toute  créature 
soient  hautement  proclamées  !  Le  point  de  vue  peut  varier  d'un 
auteur  à  l'autre  :  l'intérêt  théologique  reste  le  même  qui  les  guide 
dans  la  disposition  de  leur  récit. 

Après  Dieu,  le  peuple  d'Israël  est  l'objet  de  toutes  les  préoc- 
cupations de  nos  deux  écrivains  :  les  récits  qu'ils  nous  donnent 
ont-ils  d'autre  but  que  de  rappeler  la  place  toute  spéciale  occupée 
dans  la  création  par  le  peuple  auquel  ils  appartiennent?  «  Haec 
omnia  dixi  coram  te,  domine,  quoniam  dixisti  quia  propter  nos 
creastl  saecuïum  »  (Esdr.).  Le  premier  homme  était  à  peine  créé 
—  on  ne  dit  plus  «  à  l'image  et  à  la  ressemblance  de  Dieu  »,  car 
il  est  manifeste  que  Dieu  ne  peut  se  refléter  dans  tme  image  et 
montrer  quelque  ressemblance  avec  un  habitant  de  ce  monde,  — 
et  déjà  le  Créateur  annonçait  aux  anges  qu'il  allait  faire  un  peuple 
qui  lui  serait  consacré  (J^^6.).  Cette  idée  même  l'a  inspiré  pendant 
toute  son  œuvre  :  dans  ses  six  jours  de  labeur,  vingt-deux  créa- 
tures sortirent  de  ses  mains,  et  voici  que  Jacob  marquera  la 
vingt  deuxième  génération  sortie  des  lombes  d'Adam  ^  ;  le  sep- 
tième jour  qui  vient  à  la  fin  de  la  semaine  créatrice  est  sanctifié 
par  Dieu,  et  il  en  va  tout  de  même  de  Jacob  succédant  aux  hom- 
mes d'avant  lui  :  l'un  est  sanctifié  en  même  temps  que  l'autre, 
l'un  est  sanctifié  parce  que  l'autre  le  doit  être.  Les  nations  ne 
comptent  point,  disait  le  Pseudo-Esdras,  et  l'auteur  des  Jubilés 
déclare  qu'Israël  seul  fut  choisi  pour  faire  ici-bas  ce  que  Dieu 
et  ses  anges  font  au  ciel,  observer  le  sabbat  et  son  repos  sacré. 

Que  nos  deux  Apocryphes  trahissent  ainsi  les  préoccupations 
diverses  d'une  théologie  juive  correcte,  on  n'en  saurait  être  sur- 
pris :  leurs  auteurs,  des  Palestiniens,  sans  refuser  d'admettre 
telle  tradition  d'origine  douteuse,  ne  restent  point,  pour  autant 
qu'il  semble,  sous  l'influence  directe  des  idées  religieuses  étran- 
gères, et,  malgré  certaines  retouches  intentionnelles  du  texte 
sacré,  visent  à  nous  donner  une  reproduction  exacte  de  la  Genèse. 
La  situation  est  tout  autre  pour  celui  qui  écrivit  le  livre  slave 


1.  Les  22  œuvres  de  la  création  seront  comparées  plus  tard  aux  22  lettres 
de  l'alphabet  hébreu,  ou  aux  22  livres  de  la  Bible  :  mais  ceci  ne  présente 
point   un    tel    intérêt. 


286         REVUF    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

d'Hénoch   :  ses    préoccupations    furent-elles    aussi    toutes     diffé- 
rentes,  voilà   ce   qu'il   faut  maintenant  rechercher. 

Le  nouveau  récit  de  la  création  est  fait  par  Dieu  même.  On 
n'aura  plus  affaire  ici  à  un  être  céleste  subalterne,  pareil  à  ceux 
qu'on  introduit  d'ordinaire  dans  les  Apocalypses  pour  qu'ils  don 
nent  les  explications  nécessaires  ;  quelque  nouvel  ange  de  la  Face 
ne  viendra  point  entretenir  Hénoch  comme  son  consort  entrete- 
nait Moïse  (Jub.)  :  c'est  le  Créateur  qui  parle,  et  il  est  le  seul  qui 
puisse  parler  sur  ce  sujet  avec  compétence.  «  Même  pas  à  mes 
anges  je  n'ai  conté  mes  secrets,  et  je  ne  les  ai  point  informés  de 
leur  origine,  et  ils  n'ont  point  compris  ma  création  infinie  que  je  te 
conterai,  à  toi,  en  ce  jour  ».  Nous  allons  entendre  une  doctrine 
secrète,  et,  si  l'on  fait  intervenir  Dieu  même  pour  la  garantir, 
c'est  qu'on  a  l'impression  qu'elle  a  besoin  d'une  garantie  sé- 
rieuse, que  son  énoncé  enfin  différera  beaucoup  des  récits  tra- 
ditionnels, suffisamment  garantis  déjà  et,  sans  discussion,  accep- 
tés  de   tous. 

Toutes  les  choses  qu'Hénoch  a  sous  les  yeux  —  il  se  trouve 
pour  lors  au  ciel,  à  la  gauche  du  Tout-Puissant  —  tout  cela 
fut  complété  par  Dieu.  Est-ce  à  dire  qu'il  y  eût  des  êtres,  des 
êtres  célestes,  qui  aient  existé  à  côté  de  Dieu,  avant  toute  créa- 
tion ?  On  n'en  dit  rien  explicitement.  On  dit  même  le  contraire, 
et,  en  XXIV  2,  la  création  ex  nihilo  est  formellement  affirmée, 
mais  il  se  peut  que  l'on  doive  s'entendre  sur  les  termes,  et 
qu'il  s'agisse  là  tout  simplement  d'une  sortie  soudaine  de  l'être 
hors  d'un  monde  supérieur,  et  d'un  développement  méthodique 
des  choses  sur  l'ordre  de  Dieu  (comparez  verset  5).  En  tous  cas 
la  personnalité  de  Dieu  et  un  certain  monde  invisible  parais- 
sent tout  d'abord  coexistants  :  la  pensée  de  l'auteur  n'est 
point  allée  à  chercher  ce  qu'il  y  avait  antérieurement,  et  si  ce 
monde  invisible  devait  son  existence  à  l'intervention  d'un  Créa- 
teur. La  chose  paraît  d'autant  plus  surprenante,  que  l'invisible 
dont  il  est  fait  mention  correspond  très  exactement  au  ciel  et  à 
la  terre  de  Gen.  I  1,  lesquels,  d'après  Moïse,  avaient  été  créés 
au  commencement.  Dans  ce  monde  suprasensible.  Dieu  semetit 
d'un  mouvement  régulier,  tout  comme  la  nn  génésiaqne  au- 
dessus  des  eaux  chaotiques.  Ce  mouvement  se  dirige  de  l'est  à 
l'ouest  et  retour,  comme  celui  du  soleil,  mais  lui,  en  revanche, 
est  im'nterrompu  :  sous  l'influence  de  ce  mouvement  tous  les 
êtres  seront  créés.  Cette  comparaison  du  soleil  et  de  Dieu  hâ- 
tant par  son  mouvement  supérieur  Téclosion   des  choses  \àsi- 


LA  CRÉATION  EN  SEPT  JOURS  287 

bles  au  sein  de  l'invisible,  est  à  rapprocher,  en  quelque  maniè- 
re, de  Jubilés  II  11-12  :  on  se  rappelle  qu'en  ce  passage,  l'or- 
dre donné  aux  animaux  de  croître  et  de  se  multiplier,  avait 
été  omis,  et  qu'au  lieu  de  cela,  on  mentionnait  ici  l'action  évidem- 
ment fécondante  et  avantageuse  du  soleil  sur  les  animaux  comme 
sur  les  plantes,  ce  qui  était  montrer  l'exécution  providentielle 
de  l'ordre  donné. 

Voici  donc  venu  le  premier  moment  de  la  création.  Dieu  com- 
mande dans  les  profondeurs  {Gen.  2,  «  à  la  surface  de  l'abîme  »), 
et  ordonne  que  les  choses  visibles  sortent  de  l'invisible  où  elles 
se  trouvaient  par  avance,  et  où  elles  se  sont  développées  jus- 
qu'à maturité.  Ce  qui  sortit  fut  Adoil,  créature  très  grande,  de 
couleur  rouge,  très  brillante.  «  Et  je  lui  dis  :  Éclate  en  deux, 
Adoil,  et  laisse  être  visible  ce  qui  sort  de  toi.  Et  il  éclata  en 
deux,  et  il  sortit  une  grande  lumière  ».  Singulier  récit  1  Qu'est- 
ce  bien  que  cet  Adoil,  et  que  faut-il  penser  de  son  nom  ? 
Charles  ^  suggère  l'étymologie  *?«  i'  .  Mais  quelles  transforma- 
tions ont  pu  changer  "px  n^  en  Adoil  ?  Et,  d'un  autre  côté,  que 
la  main  de  Dieu  éclate  tout-à-coup  et  qu'il  en  sorte  une  grande 
lumière,  dépasse  tout  de  même  trop  les  limites  mêmes  du  fan- 
tastique. Une  chose  est  sûre,  et  c'est  que  Adoil  doit  correspon- 
dre à  un  groupe  de  mots  sémitiques  :  le  nom  divin  forme,  sans 
errem-  possible,  le  dernier  élément  du  mot-,  et  se  recomiaît  aussi 
facilement  ici  que  dans  les  autres  dénominations  de  ce  même 
livre,  Satanail,  Samuil,  Ragnil,  etc.  Il  n'en  faut  point  rester  là. 
—  Les  chapitres  XXXV  et  XXXVI  d'Hénoch  sont  taillés  sur  un 
même  patron,  et  la  suite  de  l'histoire  fait  apparaître  encore  une 
personnalité  mystérieuse  qui  sort  de  l'invisible  :  entre  Arl-Jias 
et  AdoiL  il  doit  y  avoir  nécessairement  quelque  rapport,  et  l'éty 
mologie  de  l'un  de  ces  noms  fera  trouver  l'étymologie  de  l'autre. 
D'après  Charles,  il  serait  possible  qu'Arkhas  correspondît  ààp/y-, 
et  j'avoue  que  ceci  pourrait  se  baser  sur  une  exégèse  fantaisiste 
de  Gen.,  I  :1  (d'après  le  grec)  :  «  dans  la  Arkhé,  Dieu  créa  le  ciel 
et  la  terre».  La  création  première  aurait  été  supposée  médiate, 
et  Dieu  aurait  été  censé  créant  seulement  un  œuf  quelconque. 


1.  The  Secrets  of  Enoch,  p.   32,  n.   1.  Oxford,   1896. 

2.  Il  m'est  difficile  de  comprendre  pourquoi  Loisy  (Z7n  nouveau  livre 
d'Hénoch,  dans  Revive  d'hist.  et  litt,  rel.,  I,  42^  n'a  point  remarqTié  la 
chose.  Entre  Adoil  et  Satanail,  il  y  a  ime  ressemblance  de  finale  qui  n'est 
point  le  fait  du  hasard  et  ne  comporte  pas  deux  explications.  Et  l'auteur 
de  II  Hen.  sait  bien  à  quoi  s'en  tenir  sur  le  sens  du  dernier  élément 
qxii  entre  dans  la  formation  de  ces  mots.  «  Le  diable  devint  Satan  après 
cfu'il  eut  quitté  les  cieux;  son  nom'  était  auparavant  Satana-il  »  (XXXI,  4). 


288         BEVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

Arkhé,  lequel  aurait  contenu  en  germe  le  ciel  et  la  terre.  Mais  il 
y  a  bien  à  cela  quelques  difficultés,  et  d'abord  celle-ci,  que  les 
deux  noms  mystérieux  n'auraient  point  la  même  origine  et  n'ap- 
partiendraient point  par  leur  étymologie  à  la  même  langue.  Et 
puis,  nous  n'en  sommes  plus  au  commencement,  puisque  le  pre- 
mier jour  de  la  création  a  commencé,  et  ceci  est  décisif.  Loisy 
estime  qu'Arkhé  «  est  plutôt  l'hébreu  y'yi^r\,  la  terre,  altéré  dans 
sa  transcription,  et  retenu  par  l'auteur,  comme  Adoil,  pour  ne 
pas  employer  les  mots  communs  ».  Certes  l'altération  serait  assez 
grande,  puisqu'elle  porterait  à  la  fois  sur  les  deux  premières 
radicales  contractées  en  un  même  son,  et  la  dernière  lue  r\  -.  la 
chose  est-elle  si  vraisemblable?  Je  remarquerai  plutôt  que  l'un  des 
ms.  d'Hénoch  apporte,  au  lieu  d'Arkhas,  la  lecture  suggestive,  Taz- 
his,  ce  qui  en  vieux  slave  signifie  poids,  et  que  cette  même  qualité 
de  pesanteur  et  de  solidité  est  d'ailleurs  expressément  attribuée 
à  l'être  mystérieux,,  «  la  chose  solide...,  Arkhas  sortit  solide  et 
lourd  »  (vers.  1).  D'un  autre  côté,  il  me  paraît  intéressant  de 
noter  qu'au  chapitre  XXVII  le  firmament  génésiaque  n'est  point 
nommé  en  la  place  qui  lui  revient,  et  qu'il  est  remplacé  là  même 
par  la  locution,  une  substance  épaisse,  ce  qui  ne  rend  point  net- 
tement l'idée  de  solidité  inhérente  au  mot  employé  par  les  Sep- 
tante (TTîpÉcoua  ;  de  plus,  on  voudra  bien  remarquer  que  les  œu- 
vres des  deux  premiers  jours  génésiaques  furent,  au  sentiment 
de  notre  Apocryphe,  accomplies  en  un  même  jour  qui  est  le  pre- 
mier (XXVII,  4),  ce  qui  n'empêche  pas,  du  reste,  que  l'auteur 
n'ait,  en  contant  la  création  de  ce  premier  jour,  jeté  à  deux  re- 
prises différentes,  après  l'apparition  d'Adoil  d'abord  (XXV  3), 
après  l'apparition  d'Arkhas  et  la  formation  de  la  «  substance 
épaisse  »  ensuite  (XXVII  3),  le  petit  refrain.  Et  Dieu  vit  que 
ceci  était  bon,  qui  indique  dans  la  Genèse  la  fin  du  travail  quo- 
tidien du  Créateur.  De  tout  ceci,  ie  conclus,  et  il  me  semble  qu'on 
peut  le  faire  avec  sécurité,  que  notre  Apocryphe  a  dédoablé  le 
firmament  biblique,  —  dans  quel  but,  nous  le  chercherons  bien- 
tôt, —  et  que  le  mot  mystérieux,  Arkhas,  est  tout  justement  i;^p"in^ 
du  texte  sacré.  On  ne  saurait  trouver  invraisemblable  que  ie  fir- 
mament soit  ainsi  placé  comme  base  des  choses  inférieures  (Loisy), 
car  l'auteur  n'envisage  pas  le  firmament  lui-même  ;  mais,  ayant  à 
exprimer  l'idée  d'une  chose  «solide  et  lourde»,  qui  puisse,  dès 
lors,  rester  tout  en  bas  du  m'onde  pour  en  être  le  plancher  inférieur, 
se  jugeant  d'ailleurs  obligé  d'emprunter  ses  expressions  au  texte 


1 .  Kt  non  pas  l'inarticulé  l'^pi  (Charles). 


LA  CRÉATION  EN  SEPT  JOURS  289 

sacré,  il  tire  parti  du  mot  r''p-in  que  les  LXX  avaient  rendu 
précisément  aTîc-é«|y.a.  Peut-être  faut-il  reconnaître  enfin  que  ce 
pouvait  être  «  pour  ne  point  employer  les  m'ots  communs  »,  que, 
dans  sa  transcription,  il  laissa  tomber  tout  juste  la  syllabe  ac- 
centuée, et  ne  nous  donna  point  un  'Ap/îaç,  comrie  on  l'aurait 
attendu. 

S'il  faut  reconnaître  dans  ArJchas,  le  firmament  créé  ou  ame- 
né par  Dieu  en  ce  monde  visible,  Adoil  qui  fut  créé  antérieure- 
ment et  reconnu  déjà  comme  bon  par  le  Créateur  ne  peut  être  que 
la  lumière.  Ceci  s'accorde  au  mieux  avec  notre  texte  :  «  sa  couleur 
(celle  d'Adoil)  était  rouge,  d'une  grande  splendeur  »,  et  c'est  l'éclat 
même  de  la  lumière.  Enfin  ceci  rend  clair  le  texte  qui  suit,  et  l'ex- 
plication s'impose  :  «  la  lumière  sortait  de  la  lumière  »  (XXV  3). 
Adoil  est  donc  bs*  iix.  Pour  quelque  motif  que  ce  soit,  peut-être 
encore  pour  donner  au  mot  une  tournure  mystérieuse,  peut-être 
plutôt  pour  qu'on  ne  confondit  point  cette  première  créature  de 
Dieu  avec  l'ange  bien  connu  'Uri'el^,  l'auteur  de  l'Apocalypse 
changea  dans  le  mot  l'ordre  des  radicales,  "pNns,  et  une  confu- 
sion entre  les  lettres  n  et  nous  donna  enfin  la  lecture  que 
nous   avons   aujourd'hui. 

Adoil  est  donc  la  lumière,  ou,  ce  qui  est  plus  exact,  un  objet 
(être)  lumineux  (XXV  1),  contenant  en  soi  la  lumière  même,  la- 
quelle déjà,  sous  l'action  de  Dieu,  en  est  arrivée  au  dernier  période 
de  sa  formation.  L'éclosion  va  avoir  lieu  et  Dieu  commande  :  alors 
Adoil  éclate,  et  la  lumière  diffuse  paraît  et  remplit  le  monde.  Dieu 
en  personne  s'en  trouve  tout  enveloppé,  et  c'est  alors  qu'il  se  fait  à 
lui-même  un  trône,  le  trône  de  la  magnificence  divine  dont  par- 
lent les  théologiens,  et  sur  lequel  repose  la  nin*»  nna .  «  Et  je 
dis  à  la.  lumière  :  Va  t'en  en  haut,  et  établis-toi  au-dessus  de 
mon  trône,  et  sois  le  fondement  des  choses  par  en  haut  ».  Dieu 
s'était  préoccupé  de  poser  des  fondations  au  monde  qu'il  voulait 
créer  (XXIV,  5)  :  voici  maintenant  que  le  plancher  supérieur  est 
en  sa  place  ;  reste  à  faire  et  à  disposer  le  plancher  inférieur. 
Dieu  renouvelle  son  ordre  dans  les  profondeurs  et  appelle  hors 
de  l'invisible  «  la  chose  solide  »  qui  s'y  trouve.  Arkhas  paraît 
puis  éclate  à  son  tour  ;  et  c'est  le  monde  grand  et  noir  qui  sort 
de  son  enveloppe,  grande  et  noire-,  elle  aussi,  comme  la  lumière 


1.  D'après  11  Hen.,  XXIX,  les  anges  furent  créés  à  un  autre  moment,  qui 
peut  bien  n'être  plus  compris  dans  ce  premier  jour. 

2.  La  lecture  très  rouge,  présentée  par  qq.  mss.  en  XXVI,  1,  est  assurémeat 
défectueuse,  et  provient  de  l'influence  de  XXV,  1  sur  un  rédacteur  aui  ne 
comprenait   pas    le   sens  du   récit. 

2"  Année.  —  Revue  des  Sciences. —  N"  2,  lO 


290         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

et  le  monde  supérieur  tout  brillant  étaient  sortis  tout  à  l'heure 
d'une  enveloppe  rouge  et  brillante.  C'est  qu'en  effet  l'élément 
supérieur  portait  en  soi  le  gemie  de  la  création  supérieure  (XXV 
1);  l'élément  inférieur,  de  son  côté,  est  gros  déjà  de  toutes  les 
choses  qui  se  développeront  par  en  bas  (XXVI  3).  Mais  comme  la 
lumière,  après  avoir  enveloppé  le  trône  de  Dieu,  était  placée  au 
dessus  pour  faire  le  plafond  du  monde,  le  (rzipirùay.  inférieur 
doit  descendre  constituer  la  base  des  choses.  «  Et  je  lui  dis  : 
Va  t'en  en  bas,  et  établis-toi,  et  sois  le  fondement  des  choses  par 
en-bas  ».  Dieu  a  accompli  son  dessein  :  avant  de  faire  le  monde, 
il  en  fallait  tracer  les  limites,  et  voici  que  se  tiennent  fermement 
établis  le  dessus  et  le  dessous. 

Nous  voilà  loin  de  la  Genèse,  bien  que  les  éléments  du  récit 
sacré  puissent  se  reconnaître  ici  ou  là,  sous  une  forme  altérée 
à  la  suite  d'influences  étrangères.  Il  y  a  bien  des  chances  pour 
que  la  mythologie  égyptienne  ait  inspiré  plusieurs  détails  de 
notre  récit.  Les  choses  invisibles  au  milieu  desquelles  évolue 
le  Créateur  ressemblent  assez  au  Nu  primitif,  près  duquel  et  sur 
lequel  agissait  le  dieu.  Cet  Adoil  qui  éclate  doit  être  comparé  à 
l'œuf  du  soleil  :  on  sait  qu'au  Livre  des  Morts,  l'astre  du  jour 
est  appelé  «  Vœuf  que  le  dieu  Séb  fait  toiïiber  sur  la  terre...,  Vœuf 
de  la  grande  caqueteuse  »,  et  cette  dernière  périphrase  revient 
plusieurs  fois  dans  la  littérature  sacrée  d'Egypte.  Ici,  la  lumière 
a  pris  la  place  du  soleil,  et  il  le  fallait  bien  d'après  le  récit  de 
Moïse  ;  l'œuf,  ou  plutôt  la  forme  primitive  de  l'être  créé,  ne  pro- 
cède plus  personnellement  de  Dieu  :  c'eût  été  concevoir  la  divi- 
nité comme  un  homme  et  admettre  dans  la  créature  quelque  chose 
de  divin  !  Cette  créature  reste  plutôt  sous  la  dépendance  de  Dieu  : 
si  le  monde  invisible  produit  Adoil  et  Arkhas,  c'est  que  l'action  du 
Créateur,  comparable  à  l'action  du  soleil  ici  bas,  lui  avait  départi 
la  fécondHé  nécessaire  ;  si,  à  l'heure  convenable,  le  monde  invi- 
sible amène  au  jour  les  éléments  dans  leur  état  premier,  si  la 
chrysalide  se  brise  à  son  tour,  quand  il  le  faut,  pour  laisser 
sortir  ces  mêmes  éléments  constitués  dans  leur  état  parfait  et 
final,  c'est  que  Dieu  a  parlé  et  donné  un  ordre  auquel  tout  obéit. 
Enlevez  Dieu  «  créant  toutes  choses  »  (XXIV  5)  :  que  restera- 
t-il  ?  Peut-être  ce  monde  invisible,  mais  condamné  dès  lors  à 
une  stérilité  perpétuelle,  ne  pouvant  rien  produire  qui,  à  son 
tour,  dépose  en  lui-même,  puis  développe  en  son  sein,  le  germe 
initial  d'où,  en  leur  temps,  sortiront  les  êtres.  Et  encore  cela 
même  ne  subsistera  point  selon  toute  vraisemblance  :  les  choses 


LA  CRÉATION  EN  SEPT  JOURS  291 

invisibles  sont  l'espace  dans  lequel  Dieu  s'agite  ;  leur  existence, 
dès  lors,  paraît  liée  à  celle  même  de  Dieu,  et  il  se  pourrait  qu'el- 
les fussent,  comme  les  trésors  lumineux  d'Esdras,  l'habitation 
première  censée  nécessaire  à  la  divinité.  Alors  la  théologie  de- 
meure substantiellement  la  même,  et  sous  une  forme  touîe  nou- 
velle, sous  un  vêtement  de  taille  et  de  fabrique  sûrement  étran- 
gères, 1©  fond  ne  diffère  point  tant  de  ce  que  nous  connais- 
sons déjà.  Les  eaux  et  la  terre  avaient  dû,  sur  l'ordre  de  Dieu, 
amener  à  l'existence,  monstres  marins,  oiseaux,  poissons,  rep- 
tiles :  voilà  ce  qu'affirmait  Esdras  qui  voulait  suivre  de  près 
le  récit  de  Moïse  ;  la  lumière  elle-même,  et  les  deux  fondements 
de  l'univers  sont  sortis  médiatement  du  monde  invisible,  sur 
l'ordre  de  Dieu  :  et  c'est  l'enseignement  d'Hénoch  qui  ne  se 
tient  point  pour  obligé  de  suivre  d'aussi  près  le  texte  sacré. 

Le  Créateur  a  donc  établi,  en  leurs  places  respectives  les 
bases  opposées  de  l'univers,  et,  dans  l'espace  qu'elles  enserrent 
se  superposent,  la  lumière  qui  occupe  l'hémisphère  supérieur, 
les  ténèbres  épaisses  qui  demeurent  en-dessous  :  au-delà  de  ces 
limites  {Prov.  IX  29),  on  aurait  tort  de  chercher  quelle  chose  que 
ce  soit.  «  Rien  n'est  plus  haut  que  la  Imnière  (XXV  4),....  et  il 
n'y  a  pas  autre  chose  au-dessous  des  ténèbres  (XXVI  3)  ».  Reste 
à  faire  une  cloison  transversale  qui  sépare  les  deux  parties  exis- 
tantes du  monde  :  Dieu  parle,  et  voici  que  se  crée  une  subs- 
tance épaisse  ;  c'est  de  l'eau  ^,  qui  nécessairement  doit  devenir 
«  ferme  »  pour  se  maintenir  de  la  sorte  en  équilibre,  au-dessus 
des  ténèbres,  au-dessous  de  la  lumière.  Cette  cloison  humide  est 
elle-même  entourée  de  lumière  par  Dieu  :  dès  lors,  on  ne  sera 
point  surpris,  que  les  sept  couches  circulaires  {Frov.  IX  27)  su 
perposées  que  le  Créateur  va  distinguer  maintenant,  présentent 
une  partie  sèche  et  une  autre  qui  ne  le  soit  pas,  celles  qui  cor- 
respondent respectivement  à  l'élément  lumineux  et  à  l'eau  soli- 
difiée. Les  cieux  qui  semblent  de  cristal  {Ezech.  I  22)  sont  en 
mouvement,  et  ils  connaissent  les  sentiers  que  Dieu  leur  a  fixés  : 
plus  tard,  il^  seront  le  séjour  des  sept  étoiles,  les  planètes  Kro- 
nos,  Aphrodite,  Ares,  le  Soleil,  Zeus,  Hermès  et  la  Lune,  que 
Dieu  créera  au  quatrième  jour  (XXX  2-7)  2.  Pour  l'instant,  notre 

1.  Ce  sont  les  eaux  chaotiques  {Gen.  2),  que  l'auteur  jusqu'ici  n'avait 
point  encore  utilisées.  La  chose  est  garantie  par  ce  fait,  que  le  texte 
présente  ici  une  assimilation  tout  à  fait  déconcertante.  —  «  C'est  ainsi  que 
je  fis  les  eaux,  c  est-à-dire  les  abîmes  »,  —  assimilation  qui  ne  peut  s'ex 
pliquer  que  par  une  référence  à  Gen.  2  (à  la  surface  de  l'abîme  =  au-dessus 
des    eaux). 

2.  Il  est  inutil©  de  faire  remarquer  que  ces  étoiles  sont  vraisemblablemont 


292         REVUE    DES    SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

auteur  n'a  point  à  s'étendre  davantage,  et  il  lui  faut  plutôt  se 
résumer,  en  rejoignant  le  texte  de  la  Genèse,  et  harmonisant 
tant  bien  que  mal  son  propre  récit  :  «  Je  fis  une  séparation 
entre  la  lumière  et  les  ténèbres  (cf.  Gen.  4),  c'est-à-dire  (!)  entre 
les  eaux  d'ici  et  de  là  {Gen.  7)....,  et  le  soir  et  le  matin  mar- 
quèrent le  premier  jour  ». 

Ce  dérangement  obligatoire  de  l'ordre  traditionnel  ayant  pro- 
duit un  certain  désaccord  entre  notre  Pseudépigraphe  et  les  textes 
bibliques,  il  en  résulte  tout  un  désarroi  dans  la  suite  du  récit, 
et  on  éprouvera  d'autant  plus  de  peine  à  y  retrouver  l'ordre  his- 
torique des  événements,  que  notre  auteur  semble  avoir  voulu 
se  reprendre,  et  s'attacher,  fermement  cette  fois,  à  l'ordonnance 
du  texte  sacré  (XXXVIII  4,  5)  i.  Les  eaux  inférieures  dessèchent 
leurs  flots,  sur  l'ordre  de  Dieu,  et  le  Créateur  en  fait  de  grandes 
pierres  solides  ;  ces  pierres  sont  réunies  en  un  amas  ferme,  et 
voilà  la  terre  qui  existe.  De  la  pierre,  Dieu  tire  un  feu  puissant, 
et  avec  le  feu  il  fait  les  bataillons  des  saints  anges.  C'est  tou- 
jours le  même  procédé  :  la  création  immédiate  et  momentanée 
n'est  point  reçue,  et  elle  se  trouve  remplacée  par  une  produc- 
tion en  deux  temps  qui  s'effectue  sur  l'ordre  et  par  l'entremise 
de  Dieu.  Comme  au  livre  d'Esdras,  la  terre  reçoit  l'ordre  de 
faire  pousser  des  arbres  ;  la  mer,  celui  d'amener  à  l'existence, 
poissons,  oiseaux,  reptiles,  voire  même  tout  quadrupède  qui  a 
souffle  de  vie  ^  ;  la  sagesse  divine  ici  personnifiée,  celui  de  réu- 
nir les  sept  substances  qui  doivent  entrer  dans  la  composition 
de  l'homme  ^.  Les  grands  luminaires  se  forment  aussi  sur  l'ordre 
divin,  et  Dieu  ne  doit  intervenir  en  personne  que  pour  les  mettre 
en  place.  Après  que  la  terre  a  fait  sortir  de  son  sein  les  arbres, 
à  fruits  et  les  plantes,  Dieu  peut  planter  le  Paradis  ^  au  froi- 
des dieux  dégradés  de  l'antiquité,  soumis  plus  tard  en  tout  point  à  l'au- 
torité du  Dieu  unique,  créateur,  et  gouvernant  tous  les  êtres  :  ceci  a  été 
écrit   suffisamment,    et  II   Hen.   ne  présente   aucune   nouveauté   sur  ce  point. 

1.  Nous  n'avons  point  à  entrer  ici  dans  tous  ces  détails.  Ce  serait  même 
sortir  de  la  guestion  qui  nous  occupe  que  de  rechercher  avec  les  criti- 
ques, si,  au  sentiment  d'Hénoch,  la  création  des  anges  tomba  le  premier 
iour,  comme  l'enseignaient  les  Jubilés,  ou  si  elle  eut  lieu  le  second,  ainsi 
qu'il   paraît  assez  que   ce   soit  le  cas. 

2.  La  dignité  de  l'homme  exige,  sans  doute,  que  le  sixième  jour  soit  en- 
tièrement   réservé    à  sa    création. 

3.  On  remarquera  qu'ici,  non  plus,  l'homme  n'est  point  fait  «  à  l'image 
et  à  la  ressemblance  de  Dieu.  »  Dans  ses  sept  parties  constituantes,  il  y  a 
pourtant  quelque  chose  qui  le  rapproche  de  son  Créateur,  et  c'est  son 
esprit,  lequel  procède  «  de  l'Esprit  (de  Dieu)  et  du  vent  ».  Hénoch  sent 
le  besoin  de  distinguer  les  deux  UvOfia.,  celui  cfui  appartient  à  l'être 
même  de  Dieu,  et  l'autre  qui  souffle  en  ce  monde. 

4.  Du  reste,  la  Genèse  est  formelle  sur  ce  point  :  le  paradis  fut  planté 
par   Dieu     (II,    8). 


LA  CRÉATION  EX  SEPT  JOURS  293 

sième  jour.  Mais  notre  auteur  qui  s'iuspirait  ici  du  texte  des 
Jubilés  ^  s'arrête  à  temps  et  se  garde  bien  de  transcrire  ce  qu'il 
y  voyait,  que  Dieu  créa  Eden  :  Dieu  crée  toutes  choses  (XXIV  b, 
XXX  1),  mais  ceci  revient  à  dire  qu'il  ordonne  à  un  élément 
préexistant  d'amener  à  son  tour  quelque  chose  en  l'existence, 
tandis  qu'il  se  réserve  d'intervenir  lui-même  en  second  lieu  pour 
mettre  en  sa  place  ou  compléter  (XXIV  2)  l'œuvre  nouvelle. 

Trois  Pseudépigraphes  bien  différents  ont  été,  dans  cette  étude, 
mis  en  parallèle  sur  un  même  point.  Leurs  auteurs  vivaient  à 
des  époques  assurément  diverses  de  notre  période  ;  les  préoc- 
cupations qui  les  agitaient,  eux  et  leurs  lecteurs,  ne  se  ressem- 
blaient guère.  Si  deux  d'entre  eux  restaient  profondément  péné- 
trés de  l'esprit  juif,  n'acceptant  en  général,  à  côté  des  récits 
des  Saints  Livres,  que  des  traditions  acclimatées  déjà  par  avance 
dans  leur  patrie,  le  troisième  n'avait  point  trop  de  scrupule  à 
s'approprier  les  dires  merveilleux  et  les  légendes  sacrées  d'autres 
peuples.  Malgré  des  divergences  aussi  complètes,  une  préoccupa- 
tion identique  est  à  remarquer  chez  eux  tous  :  ils  tiennent  à  main- 
tenir intègre  la  transcendance  et  la  sublimité  du  Dieu  unique  créa- 
teur. Tout  ce  qui  est  mentionné  aux  premiers  versets  de  la  Genèse 
doit  être,  coûte  que  coûte,  placé  sous  la  dépendance  directe  de 
Dieu  :  s'il  est  question  au  livre  de  ^loïse,  de  terre  et  de  cieux,  de 
ténèbres  et  d'abîme,  d'esprit  en  mouvement  et  d'eaux  primitives, 
c'est  que  tout  cela  fut  formé  par  le  Créateur.  Comment  se  fit  cette 
formation  ?  JN^os  documents  là-dessus  ne  sont  point  d'accord. 
Peut-être  l'apparition  des  êtres  en  ce  monde  se  produisit-elle  immé- 
diatement, sur  l'ordre  d'En-Haut;  peut-être  les  choses  sont-elles 
sorties  d'autres  créatures  préexistantes,  d'après  le  commande- 
ment divin.  Peu  importe,  au  fond  :  la  grandeur  de  Dieu  demeure 
tout  aussi  manifeste  dans  une  hypothèse  que  dans  l'autre.  j\Iettez 
la  création  immédiate,  il  en  faudra  conclure  que  toutes  choses 
dépendent  directement  du  Créateur;  qu'elle  se  soit  produite  en 
double  jeu,  et  on  devra  reconnaître  que  Dieu  est  infiniment 
puissant  sur  les  créatures,  pour  avoir  pu  tirer  ainsi  une  nouvelle 
existence  d'un  milieu  qui,  en  principe,  ne  la  contenait  pas. 

Fribourg   (Suisse).  Léon  Gry. 


1.  •       Juh.  Il,  7.  I  II  Hen.  x.xx.  1. 

C)  rà  ^iJXa  rà  Kapiriuà  Te  Kai  âKapira.  I      a)  rà  ^v\a  rà  KapTrifid  Kai  rà  6pea  (erreur 


h)  tout  ce   qui  pousse. 

a)  la  semence   qui  est  semée. 


de  lecture). 
h)  toute    sorte    d'herbe. 
c)  et   toute    semence    qui   est   semée. 


Théologie  Brahmanique 
d'après  le  Bhâgavata  purâna 


SUITE    (l). 


TRINITE 


APRÈS  avoir  étudié  l'essence  et  l'unité  divine,  d'après  le  Bhâ- 
gavata Purâna,  nous  examinerons  les  traces  qu'on  y  découvre 
des  dogmes  de  la  Trinité,  de  l'Incarnation  et  de  la  Rédemption 
que  Paul  Janct  prenait,  il  y  a  quelque  vingt  ans,  pour  sujets 
des  conférences  philosophiques  données  par  lui  à  la  Sorbonne, 
devant  'un  auditoire  étonné  d'entendre  ce  dernier  survivant  de 
l'école  de  Cousin  conduire  ainsi  la  philosophie  jusqu'au  cœur 
du  catholicisme  dont  il  évoquait  souvent  l'autorité,  ce  qui  faisait 
dire  à  l'un  de  ses  auditeurs  les  plus'  anciens  et  les  plus  assi- 
dus :  «  IV!.  Janet  a  changé  son  fusil  d'épaule  ».  C'est  à  moi-même 
qu'il  parlait  ainsi.  J'aurais  pu  répondre  :  «  Non,  M.  Janet  ne 
fait  que  nous  redire,  au  nom  de  la  seule  philosophie,  ce  que,  bien 
des  siècles  avant  lui,  avait  proclamé  la  philosophie  hindoue^ 
mais  en  d'autres  termes,   et  sous  une  inspiration  différente.  » 

Brahmâ,  le  dieu  Brahmâ,  s'exprimait,  un  jour,  en  ces  termes, 
à  ce  sujet,  et  certes,  il  devait  savoir  à  quoi  s'en  tenir  là-dessus: 

«  La  Bonté,  la  Passion,  les  Ténèbres,  ce  sont  là  les  trois  qua- 
lités de  l'être  qui  n'a  réellement  pas  de  qualité,  mais  qui  en 
revêt,  à  l'aide  de  sa  Mâyâ,  pour  créer,  conserver  et  détruire 
l'Univers    (2).  » 

Les  qualités  de  l'être  qui  n'a  pas  de  qualité,  ou  en  d'autres 
termes,  les  déterminations  d'un  être  qui  n'a  ni  terme,  ni  li- 
mite, car  c'est  là  le  sens  de  cette  expression  en  apparence  contra - 


1.  Cf.    Bev.    d.    Se.    Phil.    et    Théol,    I    (1997),    pp.    266-280    et    68G-702. 

2.  2.    V.    18. 


THÉOLOGIE     BRAHMANIQUE  293 

dictoire,  composent  ce  qu'on  appelle  le  Triyuna,  ou  triple  lien, 
et  rappellent  la  Trimûrti  ou  la  triple  forme,  la  triple  manifes- 
tation de  Brahme,  sous  les  noms  de  Brahmà,  de  Vishnu  et  de 
Ci  va. 

Brahmà  crée,  ou  plus  exactement  émet  l'Univers,  l'expres- 
sion, surtout  l'idée  de  création  étant  aussi  étrangère  à  la  philoso- 
phie hindoue  qu'à  la  philosophie  grecque;  il  s\a,git  d'émanation 
comme  nous  le  verrons.  Vishnu  conserve  l'œuvre  de  Brahmà^ 
durant  chaque  période  cosmique.  Celle-ci  terminée,  le  rôle 
de  Çiva  commence,  le  rôle  de  destructeur. 

Les  trois  chefs  du  panthéon  brahmanique  sont  Brahmà,  Vis- 
hnu et  Çiva,  dans  l'ordre  où  on  les  énumère  toujours.  ^Mais  il  est 
arrivé  que  le  premier  des  trois  est  précisément  celui  qui  occupe 
le  moins  de  place  dans  la  religion  pratique  de  l'Inde.  Le  Brah- 
manisme, aujourd'hui  encore,  se  partage  en  adorateurs  de  Vishnu 
et  en  adorateurs  de  Çiva;  et  tandis  que  cette  religion  couvre 
l'Inde  de  temples  en  l'honneur  de  ces  derniers,  elle  n'en  a  érigé 
qu'un,  un  seul,  à  celui  dont  pourtant  elle  semble  emprunter  le 
nom  (1). 

On  pourrait  remarquer  aussi  qu'iui  très  grand  nombre  de 
nos  églises  sont  dédiées  au  Verbe  incarné,  tantôt  sous  un  vocable, 
tantôt  sous  un  autre,  plusieurs  au  Saint-Esprit,  point  ou  fort  peu 
à  Dieu  le  Père,  simple  mais  curieuse  coïncidence. 

Le  plus  clair  du  culte  rendu  à  Brahmâ  consiste  à  placer  son 
nom  en  tète  de  la  triade  hindoue.  Serait-ce  que  leur  ayant  donné 
l'existence,  les  Hindous  l'estiment  incapable  de  la  leur  conser- 
ver ou  de  la  leur  retirer,  et  que,  par  suite,  ils  n'attendent  plus 
de  lui  ni  bien,  ni  mal?  C'est  possible,  la  prière  ayant  pour  ob- 
jet, le  plus  souvent,  une  faveur  qu'il  s'agit  d'acquérir  ou  un 
châtiment,  un  fléau  que  l'on  désire  éviter,  la  reconnaissance  en- 
vers la  TDivinité  arrivant  en  dernier  lieu,   quand  elle  arrive. 

Je  viens  d'écrire  le  mot  de  triade.  Il  est  certains  chiffres  qui 
sont  réputés  sacrés  chez  tous  les  peuples  de  l'antiquité,  comme 
ceux  de  trois,  sept,  neuf  et  douze.  Dans  l'Inde,  celui  qui  semble 
avoir  joiué  de  tout  temps  le  rôle  principal,  c'est  le  chiffre  trois.  C'est 
ainsi  qu'il  y  a  la  trimûrti  dont  nous  nous  occupons  présente- 
ment, le  triguna  déjà  mentionné,  c'est-à-dire  la  Bonté,  la  Passion, 
les  Ténèbres  (Sattva,  Rajas,  Tamas),  le  trivarga,  c'est-à-dire,  le  De- 
voir, l'Intérêt,  le  Plaisir  (Dharma,  Artha,  Kâma),  ou,  en  d'autres 


1.  RoussELOT,   L'Inde  des  Rajahs,  p.   258  :  «  Pochkar  a  l'honneur  de  pos- 
séder le   seul   temple   gui   soit  consacré   à  Brahmà.   dans   toute  l'Inde.  » 


296         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

termes,  ce  qtii  s'impose,  ce  qui  sert,  ce  qui  charme.  Chemin 
faisant,  nous  trouverons  d'autres  groupes  de  trois,  et  d'abord 
dans  ces  paroles  qu'ajoute  Brahmâ  immédiatement  après  celles 
qu'il  nous  faisait  entendre  tout  à  l'heure  : 

«  Ces  qualités,  dit-il  au  sujet  de  Triguna,  en  devenant  l'ori- 
gine de  la  matière,  de  la  connaissance  et  de  l'acte,  enchaînent, 
quoiqu'il  n'en  reste  pas  moins  toujours  affranchi,  l'Esprit  -.'nvelop- 
pé  par  Màyà,  (et  réduit  par  elle)  à  la  condition  d'effet,  de  cause 
et  d'agent.  »  (1) 

Ainsi  donc,  à  la  'matière,  la  connaissance  et  l'acte  correspon- 
dent l'effet,  la  cause  et  l'agent;  ou,  si  l'on  veut  rétablir  l'ordre 
Logique  :  l'agent,  se  déterminant  avec  connaissance  de  cause, 
produit  l'effet,  c'est-à-dire  la  matière.  C'est  l'Esprit,  l'Etre  su- 
prême qui,  dans  son  intelligence  et  sa  volonté,  se  détermine 
librement  à  émettre  le  monde  extérieur,  à  le  conserver,  puis 
à  le  détruire,  cela  sous  trois  noms  différents  qui  sont  plutôt 
des  noms  de  fonctions  que  des  noms  de  personnes. 

J'ai  dit  que  l'Esprit  se  détermine  lihreuient,  et  pourtant  Brahmâ 
qui  préside  lui-même,  ne  l'oublions  pas,  à  la  création,  le  donne 
pour  enchaîné  par  la  Mâyâ  dont  il  est  comme  enveloppé.  C'est 
qu'un  enchaînement  qui  est  l'effet  de  l'Illusion,  de  la  Magie, 
ne  peut  être  qu'illusoire,  et  dès  lors  on  comprend  fort  bien  que 
cet  esprit,  enchaîné  par  des  liens  factices,  n'en  reste  pas  moins 
libre,  de  la  même  façon  qu'il  peut  avoir  des  qualités  et  cepen- 
dant n'en  pas  avoir,  comme  on  l'a  vu  plus  haut. 

Voilà  comment  aussi  se  justifie  l'épithète  d'immuable,  acyuta, 
appliquée  si  fréquemment  à  Vishnu,  personnifiant  non  plus  seule- 
ment le  dieu  conservateur,  mais  Bralime  ou  la  Divinité  entière. 
Dieu  est  immuable,  en  ce  sens  qu'il  ne  gagne  ni  ne  perd  rien  au 
triple  jeu  de  sa  Mâyâ,  c'est-à-dire  lorsque,  sous  les  trois  noms 
que  l'on  sait,  il  crée,  conserve  et  détruit  le  monde,  lequel  au  de- 
meurant n'est  qu'une  illusion. 

DanB  le  même  passage  du  Bhâgavata,  Brahmâ  dit  encore, 
en  parlant  de  son  collègue  Vishnu  : 

«  C'est  lui,  c'est  Bhagavat  avec  ses  trois  attributs,  c'est  Adho- 
kshaja  (2)  dont  la  voie  échappe  complètement  au  regard  qui 
est,  ô  Brahmane,  mon  Seigneur  et  celui  de  tous  les  êtres  (3)  ». 


1.  2,  V.   19. 

2.  Né  sous  l'essieu,  ou  si  l'on  écrit  :  Adho'   Icsaja,  né   sous   les  sens,  c'est- 
à-dire  devenu  accessible  aux  sens. 

3.  2,    V.    20. 


THÉOLOGIE    BRAHMANIQUE  297 

Saint  Paul,  lui  aussi,  déclare  les  voies  de  Dieu  incompréhensi- 
bles :  Investigabiles  viae  ejus  (1).  Il  va  sans  dire  qu'il  n'y  a  rien 
à  conclure  de  ce  rapprochement,  quelque  remarquable  que  soit 
l'expression. 

La  triple  fonction  de  créateur,  conservateur  et  destructeur  des 
êtres  dont  il  demeure  dès  lors  le  souverain  Maître  est  attribuée 
par  Brahmâ  au  seul  Vishnu  qui  n'est  autre  ici  que  Brahme. 
Il  en  résulte  que  la  Trimiîrti  n'est  que  sa  triple  manifestation. 
C'est  ce  que  nous  verrons  de  plus  en  plus  clairement,  au  fur  et  à 
mesure  que  nous  avancerons  dans  la  lecture  du  Bhâgavata: 
un  seul  Dieu  en  trois  personnes. 

Brahmà  dit  encore  :  «  Le  ^Maître  de  ]Màyà,  désireux  d'exister 
sous  des  formes  multiples,  revêt  par  la  puissance  d'Illusion 
qui  est  sienne  le  temps,  l'action  et  la  condition  (2)  ». 

C'est  toujours  par  trois  que  procède  Bhagavat;  le  rythme  ter- 
naire est  celui  qu'il  adopte  de  préférence.  On  devine  sous  cette 
phraséologie  la  préoccupation  de  notre  poète,  à  la  fois  théolo- 
gien et  philosophe  :  ramener  tout  à  trois  et  trois  à  un. 

Le  sohtaire  Uddhava  définissait  Bhagavat  avec  lequel  il  avait 
longtemps  vécu,  durant  son  vingtième  et  dernier  avatar,  c'est- 
à-dire  lorsque  ce  Dieu,  qui  n'est  autre  que  Vishnu,  s'était  in- 
camé une  dernière  fois  dans  la  personne  de  Krishna  :  «  Le 
souverain  Maître  des  trois  qualités  qui  n'a  point  d'égal,  loin 
d'avoir  un  supérieur,  et  qui  trouve,  dans  sa  propre  splendeur,  et 
dans  sa  perfection,  la  satisfaction  de  tous  ses  désirs  (3)  ».  Bha- 
gavat n'ayant  ni  supérieur,  ni  égal,  est  au-dessus  de  tous  les 
êtres,  qu'il  s'agisse  des  Dieux  ou  des  hommes.  Ici,  on  le  con- 
sidère, moins  comme  faisant  partie  de  la  Trimûrti,  que  comme 
planant  au-dessus  d'elle;  et,  s'il  s'agit  toujours  cependant  de 
Vishnu,  c'est  en  sa  qualité  de  Brahme,  ou  de  Turîija,  de  Qua- 
trihne,  comme  on  dit  encore  en  parlant  de  ce  concept  de  la  Di- 
vinité. La  Trimûrti  est,  en  fin  de  compte,  assez  peu  de  chose^ 
si  on  l'isole  de  Bhagavat,  mais  précisément  on  ne  l'en  saurait 
isoler,  puisque  Bhagavat  n'est  autre  que  Vishnu,  ce  même  Vishnu 
à  qui  Brahmâ,  dans  un  hymne  débordant  de  lyrisme,  adresse  ces 
paroles  qui  nous  semblent  assez  étranges  dans  la  bouche  de  la 
première  personne  de  cette  Trinité  : 

«  Enfin,  après  un  si  long  temps,  tu  m'es  connu  aujourd'hui; 


1.  Eom.  XI,  33. 

2.  2,    V.    21. 

3.  3,    11,    21. 


298         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

mais  c'est  la  faute  des  hommes  s'ils  ignorent  la  nature  de  Bhaga- 
vat,  car  il  n'existe,  ô  Bhagavat,  rien  autre  chose  que  toi;  ce 
qui  semble  exister  n'est  pas  réel,  puisque  ce  n'est  que  par  les 
transformations  des  qualités  de  Mâyâ  que  tu  parais  multiple  (1).  » 

Brahmâ  est  assez  peu  fondé  à  nous  reprocher  à  nous,  pau- 
vres mortels,  notre  ignorance  au  sujet  de  son  collègue  que  lui- 
même  a  si  longtemps  ignoré,  d'autant  plus  qu'il  le  contemple  à 
découvert,  tandis  que  les  hommes  ne  le  peuvent  apercevoir  qu'à 
travers  les  apparences  multiples  qu'il  revêt  précisément  pour 
les  tromper. 

Lorsque  Brahmâ  lui  parlait  ainsi,  Vishnu,  après  l'une  de  ces 
périodes  cosmiques  dont  j'ai  déjà  dit  un  mot,  et  sur  lesquelles 
j'aurai  peut-être  l'occasion  de  revenir  plus  tard,  était  étendu  sur 
le  serpent  Ç-esha,  flottant  sur  les  eaux,  qui  n'était  lui-même 
que  l'un  de  ses  propres  avatars.  Du  sein  de  Vishnu  endormi 
sortait  un  lotus  entre  les  pétales  duquel  émergeait  Brahmâ  qui 
s'apprêtait  à  créer   mie  (nouvelle   terre   et   de   nouveaux   cieux. 

Dans  ce  même  hymne  de  reconnaissance  et  d'amour,  Brahmâ 
disait  encore  :  «  Adoration  à  celui  qui  anéantit  incessamment 
l'erreur  de  la  distinction  par  la  majesté  de  sa  propre  forme;,.,  à 
l'Être  supérieur,  à  celui  qui  aime  à  se  jouer  avec  ce  qui  pro- 
duit l'émanation,  la  conservation  et  la  destruction  du  monde  (2)  ». 

C'est  avec  la  Trimûrti  que  Bhagavat  se  joue  ainsi,  supposé 
môme  qu'il  ne  se  joue  pas  d'elle,  au  moins  dans  la  personne  de 
Brahmâ  et  de  Çiva,  qui  pourraient  se  croire  quelque  chose  en 
dehors  de  lui,  lorsqu'ils  ne  sont  que  ses  manifestations  comme 
Dieu  créateur  et  comme  Dieu  destructeur.  Une  fois  de  plus,  l'auteur 
du  Bhâgavata  nous  prêche  l'unité  de  l'essence  divine  dans  cette 
triphcité  de  persormes.  Nous  sommes  bien  obligés  de  le  sui- 
vre daiioî  toutes  ses  apparentes  divagations,  mais  il  aura  tou- 
jours soin,  avant  de  nous  engager  à  sa  suite  dans  ce  dédale 
de  formules  et  d'images,  de  nous  mettre  en  main  un  fil  con- 
ducteur qui  nous  permettra  de  le  traverser  sans  courir  le  ris- 
que de  nous  égarer. 

Après  avoir  parlé  comme  nous  venons  de  le  voir,  Brahmâ 
ajoute   aussitôt  : 

«  Je  me  réfugie  auprès  de  cet  Être  incréé  (3)  dont,  au  moment 
de  quitter  la  vie,  les  hommes  privés  d'espoir  n'ont  qu'à  pronon- 


1.  3.   IX,   1. 

2.  Ibid.,   14. 

3.  Le  mot  sanscrit  est  a-ja,  qui  n'est  pas  né,  qui  est  sans  commencement. 


THÉOLOGIE  BRAHMANIQUE  299 

cer  les  noms,  ces  noms  qui  désignent  les  incarnations,  les  qua- 
lités, les  actions  sous  lesquelles  il  se  cache,  pour  aller  aussitôt, 
affranchis  des  souillures  de  nombreuses  naissances,  voir  la  vé- 
rité à  découvert  (1)  ». 

Toujours  le  rytlime  ternaire,  on  le  voit. 

Les  diverses,  les  multiples  appellations  de  Vishnu  ont  une 
vertu  de  sanctification  absolument  irrésistible,  témoin  l'histoire 
d'Ajâmila  que  le  poète  raconte  plus  loin.  La  voici  en  quelques 
mots.  Ajâmila  était  un  grand  pécheur.  Tout  Brahmane  qu'il  fût, 
il  s'était  rendu  coupable  des  crimes  les  plus  énormes  et  il  affi- 
chait l'impiété  la  plus  scandaleuse.  Il  était  sur  le  point  de  mourir, 
lorsque,  désirant  quelque  soulagement  à  ses  souffrances,  il  ap- 
pela son  fils  qui  accourut  à  son  chevet.  L'enfant  se  nommait 
Nàrâyana.  En  prononçant  ce  mot,  le  coupable  endurci  ne  son- 
geait à  rien  moins  qu'à  Vishnu  dont  c'est  aussi  l'un  des  noms. 
Les  messagers  de  Yama,  le  dieu  des  morts,  lâchèrent  soudain 
l'agonisant  qu'ils  tenaient  déjà  dans  leur  filet.  Ces  syllabes  sa- 
crosaintes  rendirent  aussitôt  la  vie  du  corps  au  vieux  pécheur  et 
de  plus  celle  de  l'àme,  car,  à  partir  de  ce  jour,  il  se  montra 
aussi  édifiant  qu'il  l'avait  été  peu  jusqu'alors.  Le  nom  de  Dieu 
auquel  il  ne  pensait  pas  l'avait  sauvé  par  sa  vertu;  il  lui  avait 
suffi,  pour  ainsi  dire,  de  l'épeler  matériellement. 

L'Être  se  voile,  non  seulement  sous  les  apparences  qu'il  revêt 
dans  ses  divers  avatars,  mais  encore  dans  ses  actes,  lorsqu'il 
s'agit  do  créer,  de  conserver,  ou  de  détruire  l'univers,  et  alors 
Brahmâ,  Vishnu  et  Çiva  ne  sont  plus  que  le  triple  masque,  pour 
ainsi  dire,  de  la  Divinité  unique  et  suprême.  Cette  vérité  que 
l'Élu  contemple  à  nu  dans  le  monde  supérieur  mais  qu'il  a  tant  de 
peine  a  entrevoir  dans  celui-ci,  Brahmâ  nous  la  révèle  en  ces 
termes  : 

«  Adoration  à  Bhagavat,  l'arbre  du  monde  qui,  après  avoir  di- 
visé sa  propre  racine,  poussant  trois  troncs,  moi,  Giriça  et  Vi- 
bhu  (2)  lui-même,  pour  créer,  conserver  et  détruire  l'univers, 
s'est  développé,  toujours  unique,  en  rameaux  infinis  »  (3). 

L'importance  de  cette  parole,  mise  par  le  poète  dans  la  bouche 
de  Brahmâ,  n'échappera  pas  au  lecteur.  Nous  y  trouvons  une 
profession  de  foi  en  un  Dieu  triple  et  un  qui  ne  laisse  rien  à 
désirer. 


1.  3,  IX,  15. 

2.  Autres  noms  d-e  Çiva  et  de  Vishnu. 

3.  3,    IX,    16. 


HOO         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

Ici  Bhagavat  n'est  pas  plus  Vishnu  en  particulier  que  Ci  va 
ni  Brahmâ;  il  est  à  la  fois  ces  trois  dieux,  bien  qu'unique; 
il  est  la  racine  qui  pousse  un  triple  tronc,  lequel  se  ramifie  à 
l'infini.  Ces  rameaux  sans  nombre,  ce  sont  les  créatures.  La 
même  sève  circule  dans  cet  ai'bre  de  \ie  :  les  Dieux  et  les  hom- 
mes, sans  parler  des  animaux  et  des  plantes,  y  puisent  en  commun 
leur  alimentation.  Cette  image  identifie,  dans  la  plus  large  me- 
sure, les  uns  et  les  .ajutres;  mais  la  sève  est  transmise  par  la 
racine  au  triple  tronc  et  par  celui-ci  aux  branches.  De  plus,  sans 
parler  de  la  succession  des  feuilles  de  cet  arbre,  si  un  rameau 
disparaît,  il  en  pousse  un  autre  aussitôt,  tandis  que  les  troncs  de- 
meurent toujours  les  mêmes,  comme  aussi  et  surtout  la  ra- 
cine que  l'on  pourrait  à  la  rigueur  supposer  existante,  sans 
la  tige  de  l'arbre,  alors  que  cette  dernière,  dans  aucune  hypo- 
thèse, ne  saurait  vivre  un  instant  sans  la  racine.  De  même,  l'exis- 
tence des  rameaux  dépend  de  celle  de  la  tige.  Et  maintenant, 
si  nous  écartons •  cette  figure,  employée  par  Brahmâ,  pour  n'en 
garder  que  l'idée,  la  réalité,  nous  arrivons  à  cette  doctrine  que 
tout  s'appuie  sur  l'Être  Suprême,  les  Dieux  aussi  bien  que  les 
hommes  et  les  autres  créatures.  On  peut  émonder  l'arbre  sans 
en  ébranler  le  tronc,  couper  celui-ci,  sans  que  la  racine  soit  arra- 
chée, mais  que  l'on  extirpe  cette  dernière,  tronc  et  branches, 
tout,  du  même  coup,  s'écroule  et  s'ensevelit  dans  une  même 
ruine. 

Le  poète,  à  ce  propos,  raconte  par  la  bouche  de  Maitreya  l'his- 
toire de  l'ascète  Atri,  le  premier  de  ceux  qui  co)inaissent  le 
Veda  (1),  observe-t-il.  Désireux  d'avoir  un  fils,  Atri  s'adonnait 
dans  ce  but  aux  mortifications  les  plus  rigoureuses,  vivant  re- 
tiré  avec   son  épouse   au  milieu   des   monts  Rikshas. 

«  Là,  au  milieu  d'une  forêt  d'Açokas  et  de  Palâças  fleuris,  où 
le  bruit  des  eaux  de  la  Nirvindhyâ  se  faisait  entendre  de  tous 
côtés,  le  solitaire,  s'étant  rendu  maître  de  son  cœur,  en  retenant 
sa  respiration,  se  tint  pendant  cent  ans  sur  un  pied,  insensi- 
ble aux  impressions  agréables  ou  désagréables,  et  ne  se  nour- 
rissant que  d'air.  Je  cherche  un  mile  auprès  de  Celui  qui  est 
le  Seigneur  mêtne  de  VTJnivers  ;  puisse-t-il  m'accorder  des  en- 
fants, semhlables  à  moi  !  Tel  était  l'objet  de  ses  méditations. 

»  Cependant,  voyant  les  trois  mondes  consumés  par  le  feu 
qui   sortait  de  la  tête  du  solitaire,  et  dont  l'ahment  était  l'em- 

1.  4,   1,    17. 


THÉOLOGIE    BRAHMANIQUE  301 

pire  que  le  sage  exerçait  sur  sa  respiration,  les  trois  Dieux  dont 
la  gloire  est  célébrée  au  loin  par  les  Apsaras,  les  Solitaires^ 
les  iGandharvas,  les  Siddhas,  les  Vidyâdharas  et  les  Uragas,  se  ren- 
dirent à  son  ermitage.  Le  sage  qui  se  tenait  debout  sur  un  pied^ 
l'esprit  illuminé  par  la  présence  de  cette  apparition,  vit  les  chefs 
des  Dieux  (1)  ». 

Atri  s'étonna,  lorsqu'il  n'implorait  qu'un  Dieu,  d'en  voir  trois 
répondre  à  son  appel  et  se  présenter  devant  lui. 

«  C'est  Bhagavat  seul,  le  premier  des  Dieux,  que,  désireux 
d'avoir  un  fils,  j'ai  pris  pour  l'objet  de  ma  pensée.  Comment 
se  fait-il  donc  que  vous  soyez  venus  ici,  vous  qui  êtes  si  loin 
môme  de  la  pensée  des  êtres  corporels  ?  Répondez-moi  bien- 
veillamment,  car  ma  surprise  est  extrême, 

»  Maitreya  dit  (à  Vidura)  :  Après  avoir  entendu  ces  paroles^ 
les  trois  chefs  des  Dieux,  ô  guerrier,  répondirent  d'une  voix 
douce  au  Rishi,  en  souriant  : 

»  Les  Devas  dirent  :  Oui,  elle  est  conforme  à  la  vérité,  l'idée 
que  tu  t'es  faite  (de  nous);  la  réalité  n'est  pas  autre.  Brahmane, 
ô  toi  qui  as  conçu  une  bonne  pensée.  Cet  être  (unique),  objet 
de  ta  méditation,  c'est  nous-mêmes  qui  sommes  devant  toi  (2).  » 

J'ai  tenu  à  citer  ce  passage  en  entier,  malgré  sa  longueur;  vu 
son  importance;  j'aime  à  penser  que  le  lecteur  ne  m'en  saura 
pas  mauvais  gré. 

Si  les  Hindous  ont  eu  la  notion  d'un  Dieu  en  trois  personnes, 
là  s'arrête  l'analogie  de  leur  symbole  avec  le  nôtre,  et  l'idée  de 
procession  leur  demeura  toujours  inconnue,  qu'il  s'agisse  de 
filiation  ou  de  spiration.  Mais,  en  dehors  du  christianisme,  nulle 
religion  n'a  connu  Dieu  comme  celle  des  Hindous,  surtout  si 
l'on  attache  à  Dieu  le  Père,  l'idée  de  puissance  ou  d'être,  à  Dieu 
le  Fils  l'idée  de  science  ou  d'intelligence,  et  à  Dieu  le  Saint- 
Esprit  celle  de  bonheur  ou  d'amour.  Où  trouver  ailleurs,  en  effet, 
une  expression  analogue  à  celle,  par  exemple,  que  nous  four- 
nit la  glose  du  Vishnu-Purâna  :  Sac  —  cid  —  ananda  ;  Brahma, 
c'est-à-dire  Être  —  Intelligence  —  Bonheur  :  c'est  Brahme,  c'est 
Dieu.  Notons  que  la  doctrine  de  ce  Purâna  est  la  même  que 
celle  du  Bhâgavata  et  que  ces  deux  poèmes  qui  ont  pour  objet 
le  même  Vishnu  sont  aussi  à  peu  près  de  la  même  époq^ue. 
L'expression  :  Cet  être,  c'est  nous  est  particulièrement  remar- 


1.  Ihid.,  18,  23. 

2.  4,    1,    28-30.    Cf.    Bhagavadgîtâ,    XI,    15    et    secf.  :    Arjuna   voit    tous    les 
Dieux  dans  la  personne  de  Krïjhna. 


302         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

quable.   Ce  sont  les  passages  de  ce  genre  que  l'on  y  rencontre 
assez  fréquemment  qui  ont  valu  à  ce  poème,   depuis   de  longs 
siècles  déjà,   et  qui  lui   gardent  encore  sa  valeur,   son  intérêt, 
Moins  que  jamais,  nous  n'avons  le  droit  de  nous  désintéresser 
des  problèmes  que  soulève  l'étude  de  ces  anciens  cultes,  sur- 
tout lorsqu'on  vient  à  réfléchir  que  les  religions  de  l'Inde  d'au- 
trefois,   comme   aussi    ses    spéculations    philosophiques,   lui    ont 
été   empruntées   par  l'Orient  tout  entier,   moins,   peut-être,   les 
peuples  sémitiques,  et  encore  les  Assyriens,  les  plus  puissants 
parmi  ces  derniers,  comme  aussi  les  plus  civilisés,  les  fouilles  pra- 
tiquées sur  l'emplacement  de  Ninive  et  de  Babylone  en  fournissent 
la  preuve,  ont-ils  été,  sous  le  double  rapport  religieux  et  philosophi- 
que tributaires  de  la  Bactriane,  c'est-à-dire  du  Mazdéisme,  du  Zend- 
Avesta.  Or  si  le  Mazdéisme  n'est  pas  lui-même  l'obligé  du  Védisme 
et  par  conséquent  de  l'Inde,  comme  on  l'a  professé  longtemps^ 
comme  d'assez  nombreux  Indianistes  le  croient  encore,  du  moins 
les  deux  doctrines  ont-elles  beaucoup  de  parité,  et  remontent- elles 
à  une  commune  origine,  celle  de  la  famille  indo-iranienne.  D'au- 
tre part,  nous  n'avons  plus  de  l'Avesta  et  de  sa  doctrine  que 
des  fragments  plus  ou  moins  informes,  tandis  que  les  documents 
védiques    et    védantiques    nous    sont    parvenus    en    très    grand 
nombre  et  nous  permettent  d'avoir  une  idée  exacte  de  ces  vieilles 
spéculations  philosophiques  et  religieuses.  On  peut  consulter,  à 
ce  sujet,  Eugène  Burnouf  dans  son  magistral  Commentaire  sur 
le  Yaçna,  paru  en  1833,  et  dans  ses  belles  études  sur  la  langue 
et  les  textes  de  l'Avesta.  L'œuvre  de  ce  maître  n'a  pas  viedlli. 

Poursuivons  notre  lecture  du  Bhâgavata  et  voyons  ce  qu'il  dit 
«acore   du    dogme  trinitaire. 

Bhavânî  ou  Satî,  fille  de  Daksha  et  femme  de  Çiva,  s'étant  pré- 
sentée devant  son  père,  pendant  qu'il  sacrifiait  aux  Devas,  celui- 
ci  ne  fit  aucune  attention  à  elle,  non  plus  que  les  assistants,  tant 
ils  étaient  absorbés  tous  par  la  cérémonie  que  du  reste  la  moindre 
distraction  eût  rendue  vaine.  Furieuse  de  ce  qu'elle  prenait  pour 
un  manque  d'égards,  la  jeune  déesse  accabla  Daksha  de  re- 
proches et  se  laissa  mourir  en  retenant  ses  souffles.  Se  laisser 
mourir,  soit  de  faim,  soit  en  retenant  sa  respiration,  comme  ici, 
ou  de  toute  autre  façon,  c'est  le  grand  argument  employé  par  les 
Hindous,  aujourd'hui  encore,  paraît-il,  quand  il  s'agit  pour  eux 
de  se  faire  rendre  justice.  Un  créancier,  par  exemple,  menacera, 
son  débiteur,  volontairement  insolvable,  de  se  laisser  périr  d'ina- 
nition ou  de  se  tuer  à  sa  porte,  s'il  s'obstine  à  ne  pas  le  rem- 


THÉOLOGIE    BRAHMANIQUE  303 

bourser.  Il  est  rare  que  le  délinquant  résiste  à  un  pareil  ar- 
gument, tant  il  redoute  la  malédiction  que  cette  mort  attirerait 
sur  sa  tête  et  celle  de  sa  famille. 

Çiva,  cependant,  quand  il  apprit  la  mort  de  son  épouse,  fit 
sortir  de  sa  chevelure  un  géant  qui  lui  demanda  aussitôt  :  «  Que 
me  faut-il  faire?  »  Çiva  lui  dit  :  «  Détruis  Daksha  et  son  sa- 
crifice. Tu  es  le  chef  de  mes  braves,  une  portion  de  moi-mê- 
me (1)  ».  Le  géant  partit  à  la  tête  des  Rudras,  guerriers  à  la 
solde  de  Çiva,  surnommé  Rudra,  lui  aussi,  c'est-à-dire  celui 
qui  pleure  et  surtout  celui  qui  fait  pleurer  les  autres.  Avec  leur 
aide,  il  détruisit  le  sacrifice  et  coupa  la  tète  cà  Daksha. 

Çiva  finit  par  s'apaiser.  Il  rétablit  le  sacrifice  de  Daksha  qu'il 
ressuscita,  mais  en  substituant  une  tête  de  bélier  à  la  sienne. 
Plein  de  reconnaissance  pour  Rhagavat  à  qui  il  attribuait  cette 
double  grâce,  Daksha  célébra  les  louanges  du  Dieu  qui  lui  parla 
en   ces   termes  : 

V.  Je  suis  Brahniâ,  Çarva  (2),  la  Cause  première  de  l'Univers^ 
l'Esprit,  le  Seigneur  et  le  Témoin  (universel);  celui  qui  est  intel- 
hgent  par  lui-même  et  qui  n'a  pas  d'attributs.  M'unissant,  ô 
Brahmane,  avec  la  Mâyâ  dont  je  dispose  et  que  constituent  les 
qualités  de  créateur,  conservateur  et  destructeur  de  l'Univers^ 
je  prends  des  noms  conformes  à  mes  œuvres.  Au  sein  de  cet 
Esprit  Suprême  qui  est  l'unique  et  absolu  Brahme,  l'homme 
ignorant  distingue  Bralimâ,  Rudra  et  les  créatures  (3)  ». 

Ainsi  donc  Rrahme,  la'vec  lequel  Vishnu  s'identifie,  seul  exis- 
te. C'est  lui  et  lui  seul  qui,  sous  le  triple  nom  de  Brahmâ,^  ,de 
Vishnu  et  de  Çiva,  crée,  conserve  et  détruit  les  mondes,  en  em- 
ployant sa  Mâyà,  cette  puissance  d'illusion  qui  donne  le  chan- 
ge à  l'ignorant,  et  le  persuade,  qu'en  dehors  de  Brahme-Vishnu, 
il  y  a  encore  Brahmâ,  Çiva  et  les  créatures,  tandis  qu'en  réa- 
lité il  n'y  a  qu'un  être,  et  que  cet  être,  c'est  lui,  Vishnu,  lui^ 
Brahme,  lui,  le  Turîya. 

Vishnu,  s'adressant  toujours  à  Daksha,  conclut  : 

«  Celui  qui  ne  distingue  pas  l'un  de  l'autre  les  trois  Dieux 
qui  n'ont  qu'une  même  nature  et  qui  sont  l'âme  de  tous  les 
êtres,  celui-là  obtient  le  repos  (4).  » 

Ce  repos,  c'est  la  délivrance,  c'est  le  Salut.  Donc,  pour  être 


1.  4,    V.    4. 

2.  Autre   nom   de    Çiva. 

3.  4,    VII,    60-52. 

4.  Ibid.,   54. 


504         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

sauvé,  il  faut  croire  à  un  Dieu  unique  en  trois  personnes.  Trois 
relations,  une  seule  nature,  une  seule  âme  répandue  dans  tous 
les  êtres  qu'elle  vivifie  :  tel  est  ce  que  je  pourrais  appeler  le 
bilan  des  croyances  hindoues,  d'après  le  Bhâgavata.  En  dépit 
de  divagations  plus  folles  les  unes  que  les  autres,  à  travers  les 
symboles  les  plus  fantaisistes,  on  retrouve  toujours  ce  dogme 
fondamental  qui  est  comme  le  tuf  sur  lequel  repose  cette  phi- 
losophie brahmanique,  inspirée  du  Védantisme.  Les  traditions 
anciennes,  renfermées  dans  ce  Purâna,  convergent  toutes  vers 
le  dogme  d'un  Dieu  en  trois  personnes  qui  vit  dans  tous  les 
êtres,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  dans  lequel  vivent  tous 
les  êtres,  puisqu'ils  émanent  de  lui  et  qu'ils  ne  sont  que  des 
parcelles,  en  nombre  infini,  de  son  infinie  nature.  Nous  ne  sommes 
plus  en  face  de  croyances  incertaines,  flottantes,  mais  d'une  foi 
absolue  et  ferme. 

Toutefois,  n'oublions  pas  qu'il  s'agit  de  trois  personnes  inéga- 
les erî  toutes  choses,  qui,  étudiées  et  vues  de  près,  se  résolvent 
en  trois  fonctions  du  même  principe.  Encorie  une  fois,  il  ne  faut  pas 
qtie  les  mots  nous  en  imposent. 

J'ai  déjà  parlé  du  Turîya,  du  Quatrime.  Bhava  rendant  hommage 
à  Vishnu,  sous  cette  quatrième  forme  du  quadruple  Mahâpurusha, 
forme  obscure,  nommée  SamJcarshana,  (1)  s'exprime  ainsi  : 

«  Adoration  à  Celui  dont  la  première  forme  qu'il  ait  revêtue, 
à  l'aide  des  qualités  (de  sa  jMàyâ),  fut  l'intelligence  qui  est 
Brahmâ  incréé,  Brahmâ  dont  la  sagesse  est  l'asile,  et  de  la  triple 
splendeur  duquel  je  suis  sorti  moi-même,  pour  créer  les  êtres 
qui  participent  des  qualités  de  la  Bonté,  de  l'Obscurité,  de  la 
Passion  (2).  ;> 

Ce  Samkarshana,  ainsi  nommé  parce  qu'il  fut  arraché  du  sein  de 
sa  mère,  et  qtd  s'appelait  aussi  Rama,  parce  qu'il  devait  faire 
la  joie  des  mondes,  et  BaJa  vu  sa  puissance  et  sa  force  (3),  c'était 
encore  Krishna,  c'est-à-dire  le  Noir,  à  cause  de  son  teint,  le  héros 
du  Bhâgavata,  Vishnu  incarné.  Il  est  le  Quatrième,  si  on  le  con- 
sidère comme  distinct  de  la  Trimûrti,  et  au-dessus  d'elle  (4). 
Dans  un  autre  passage,  le  poète,  parlant  de  cette  Trimûrti  qu'il 
assimile  aux  trois  états  de  veille,  de  rêve  et  de  sommeil  sans 
rêve,  d'après  une  spéculation  chère  aux  philosophes  védantiques, 

1.  5,  XVII,   16. 

2.  Ibid.,    22. 

3.  10.    XI.    13. 

4.  11,    XV,    16;    12,    XI,   22. 


THÉOLOGIE     BRAHMANIQUE  305 

mais  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici,  dit  formeilement  : 
«  Tuiîya  domine  les  Trois  (1)  »  c'est-à-dire  les  trois  états  et 
par   conséquent  les   trois   personnes   de  la   Trimûrti. 

Vishna  est  donc,  à  la  fois,  la  seconde  personne  de  cette  Tri- 
mûrti et  Turîya,  l'Être  qui  est  au-dessus  de  tous  les  autres  et 
qui  les  renferme  tous.  Ce  terme  de  Turîya,  entendu  de  la  sorte^ 
et  c'est  ainsi  qu'il  doit  l'être,  ne  dérange  nullement  ce  que  j'appel- 
lerais volontiers  l'économie  de  la  Trinité  hindoue,  puisque  nous 
savons  que  celle-ci  se  résout  dans  l'unique  Brahme,  considéré 
sous  trois  aspects  différents,  dans  son  triple  rôle  de  Créateur, 
de  Conservateur  et  de  Destructeur. 

C'est  bien  ainsi  que  l'entendait  le  même  Çiva,  lorsqu'il  disait 
encore  à  Vishnu,  à  Bhagavat  : 

«  Dieu  des  Dieux,  toi  qui  remplis  le  monde,  souverain  de  l'Uni- 
vers qui  n'est  autre  que  toi,  tu  es  Yâme,  la  cause  et  le  Seigneur 
de  tous  les  êtres.  Tu  es  la  cause  du  commencement,  de  la  durée 
de  la  fin  de  l'Univers,  tu  es  le  monde  visible  différent  de  cette 
cause  en  dehors  de  laquelle  il  existe,  tu  es  la  Personnalité,  tu  es 
Brahme,  Vérité  et  Intelligence,  car  tout  changement  est  étranger 
à  l'Être  immuable  (2)  ». 

Comment,  en  effet,  éprouverait-il  quelque  changement,  celui 
qui  est  à  la  fois  tous  les  êtres  dans  tous  leurs  états,  toutes  leurs 
modifications?  Vishnu  qui  est  Brahme  est  tout;  les  noms  sous 
lesquels  on  le  désigne  peuvent  varier,  mais  lui  ne  varie  pas,  il 
ne  change  pas,  il  est  immuable;  ses  appellations  sont  innom- 
brables, lui  est  un  en  trois  personnes.  Et  ces  trois  personnes, 
nous  ne  sommes  plus  à  l'apprendre,  n'ont  pas  de  raison  d'être 
subjective  :  elles  n'existent  qu'objectivement,  c'est-à-dire  par  rap- 
port aux  créatures,  lorsqu'il  s'agit  de  leur  donner,  conserver  ou 
enlever  l'existence.  Ainsi  donc,  plus  nous  avancions  dans  l'étude 
de  cette  fameuse  Trimûrti,  plus  nous  avons  pu  nous  convaincre 
qu'elle  n'a  guère  que  le  nom  de  commun  avec  la  Trinité  chré- 
tienne. Et  encore  ce  nom  n'est-il  pas  le  même  et  n'a-t-il  pas 
le  même  sens  :  d'un  côté,  il  s'agit  d'une  triple  transformation 
essentiellement  transitoire  de  Dieu;  de  l'autre,  d'un  Dieu  en 
trois  personnes   substantielles   et  infinies. 

Mais  n'est-ce  pas  déjà  quelque  chose  que  ce  que  j'appelle  plus 
haut  le  rythme  ternaire,  tel  que  l'entend  le  Bhàgavata? 

Précédemment,  nous  avons  vu  Bhava  ou  Çiva  se  déclarer  issu 


1.  11,   XXV,   20. 

2.  8,  XII,   4  et  5. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  2. 


300         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET    THÉOLOGIQUES 

de  Brahmâ  et  s'attribuer  le  rôle  de  créateur,  qui  appartient  en 
propre  à  celui-ci.  C'est  là  un  double  accroc  à  l'économie  du 
poème  et  je  ne  sais  comment  il  a  pu  être  ainsi  donné  à  son 
œu^Te  par  l'auteur  lui-même,  car  rien  ne  prouve  qu'il  s'agis- 
se d'une  interpolation.  C'est  probablement  l'une  de  ces  hautes  fan- 
taisies familières  au  génie  hindou.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  Trinité, 
telle  qu'on  vient  de  l'expliquer,  n'en  demeure  pas  moins  un  dog- 
me bien  établi  du  Brahmanisme,  quel  que  soit  le  rôle  départi  à 
chacune  des  personnes  divines. 

Le  fameux  Asura  Hiranyakaçipu  voulait  contraindre  Prahrâda, 
son  vertueux  fils,  à  déserter  le  culte  de  Vishnu,  et  sur  son  re- 
fus il  lui  demanda  :  «  Qui  donc,  ô  insensé,  t'a  donné  l'audace 
de  transgresser,  comme  si  tu  n'avais  rien  à  craindre,  les  ordres 
d'un  père  dont  le  courroux  fait  trembler  les  trois  mondes  avec 
leurs  souverains?  » 

Prahrâda  répondait  noblement  :  «  C'est  Celui  qui  n'est  pas 
seulement  ma  force,  mais  qui  est  aussi  la  tienne,  ô  roi,  et  celle 
des  autres  êtres  doués  de  force;  celle  de  Brahmâ  et  des  êtres 
élevés  et  inférieurs,  mobiles  et  immobiles  qui  lui  sont  soumis. 
Il  est  le  Maître,  il  est  le  Temps  à  la  marche  rapide;  il  est 
l'énergie,  la  vigueur,  l'existence,  la  force,  les  sens.  Souverain 
des  trois  quahtés,  cet  Être  supérieur  crée,  conserve  et  détruit  seul 
l'Univers  à  l'aide  de  ses  énergies  (1)  ». 

Voilà  Brahmâ  et  Çiva  réduits  à  ne  plus  être  tout  au  plus 
que  des  instruments  aux  mains  de  Vishnu,  puisqu'on  attribue  à 
celui-ci,  et  à  lui  seul,  la  création  et  la  destruction  des  mondes^ 
de  même  que  leur  conservation.  Tous  deux,  nous  l'avons  vu,  pro- 
clament du  reste  bien  haut  la  supériorité  de  leur  collègue.  L'au- 
teur du  Bhâgavata  qui  est  Vishnouite  se  plaît  à  mettre  dans  la 
bouche  même  de  l'un  et  de  l'autre  cet  aveu  d'une  supériorité 
que  seuls  ils  auraient  pu  contester,  si  elle  n'avait  été  incon- 
testable. 

Pendant  que  Vishnu  était  encore  enfermé  dans  le  sein  de 
Devakî  où  il  s'était  incarné  sous  la  forme  de  Krishna,  Brahmâ 
et  Çiva  lui  dirent  : 

<i  Tu  es  vrai  dans  tes  desseins,  vrai  dans  les  actes  qui  les 
suivent,  trois  fois  vrai;  tu  es  la  matrice  du  vrai  et  tu  résides 
dans  le  vrai  ;  tu  es  le  vrai  du  vrai,  le  régulateur  de  l'ordre  et  du 
vrai  ;  tu  es  l'essence  du  vrai.  Nous  venons  à  toi  comme  à  notre 
refuge.  Toi  seul  tu  es  Vorigine,  le  réceptacle,  le  soutien  de  ce  qui 

1.  7,  vin,  7  :). 


THÉOLOGIE     BRAHMANIQUE  307 

est;  ceux-là  de  qui  ton  pouvoir  magique  voile  l'intelligence  t'aper- 
çoivent multiple,  mais  non  les  sages  (1)  ». 

On  ne  peut  avouer  plus  explicitement  que  Vishnu  est  non 
seulement  au-dessus  de  tous  les  êtres,  mais  qu'il  les  contient 
tous,  ou  mieux,  qu'ils  ne  sont  que  ses  manifestations  infinies. 
Brahmâ  et  Çiva  n'exceptent  pas  les  Dieux;  ils  ne  s'exceptent 
pas  eux-mêmes. 

Ce  texte,  et  c'est  pour  cela  que  je  le  cite  le  dernier,  se  rapporte 
aux  trois  dogmes  principaux  de  la  théologie  hindoue,  savoir 
l'Essence  unique  de  Dieu  nettement  proclamée,  la  Trimûrti,  puis- 
que nous  y  voyons  Brahmâ,  Vishnu  et  Çiva,  enfin  l'Incarnation^ 
ces  paroles  s'adressant  à  Dieu  fait  homme  et  descendu  dans  le 
sein  de  la  femme  qu'il  s'est  choisie  pour  mère. 

Or,  n'oublions  pas  que  dans  le  Bhâgavata  où  nous  trouvons 
cette  doctrine  remarquable,  ignorée  de  toutes  les  autres  reli- 
gions naturelles,  indiquée  seulement  dans  le  Mosaïsme,  il  ne 
s'agit  point  de  spéculations  purement  théoriques,  mais  de  croyan- 
ces largement  populaires. 

L'exclamation  sacro-sainte,  om  (pour  a,  u,  m),  jaillit  à  chaque 
instant  des  lèvres  du  peuple  hindou;  c'est  une  sorte  d'oraison 
jaculatoire,  c'est  un  cri  d'amour  lancé  vers  le  Dieu  Un  et  Trine. 
Suivant  le  Çahdakalpadruma,  dictionnaire  publié  par  le  Pandit 
Râdhâkântadeva,  au  commencement  du  siècle  dernier,  et  ce  fut 
d'ailleurs  toujours  l'opinion  commune.  Va  symbolise  Vishnu,  Vu 
Çiva  et  Vm  Brahmâ.  Cette  pieuse  interjection  se  rencontre  déjà 
dans  les  Upanishads.  Les  Hindous  ne  se  lassent  pas  de  répéter  ce 
cri  de  confiance  et  d'amour;  ils  le  regardent  comme  une  sauve- 
garde dans  le  péril;  c'est  l'appel  pressant  adressé  à  leur  Père 
céleste  par  ses  fils,  et  ils  ne  do'utent  pas  qu'il  soit  entendu. 
De  plus,  c'est  une  affirmation  perpétuelle,  bien  que  souvent  in- 
consciente, de  leur  foi  dans  un  seul  Dieu  en  trois  personnes^ 
quelle  que  soit  la  nature  attribuée  à  celles-ci. 

Fri bourg  (Suisse).  A'.  Roussel. 


1.  10,    II,    26,    28. 


Notes 


I 

Le   "  Ménon  "  et   le   "  Gorgias  " 

LA  connaissance  exacte  de  la  formation  et  du  développement 
de  la  pensée  platonicienne  est  dépendante,  on  le  sait,  du 
degré  de  précision  avec  lequel  on  aura  su  fixer  l'ordre  chronolo- 
gique des  dialogues.  Il  n'est  donc  jamais  inutile  de  revenir  sur 
l'un  ou  l'autre  détail  de  ce  dernier  problème,  surtout  si  pour  le 
résoudre  on  est  obligé  d'avoir  recours  —  comme  c'est  le  cas  pour 
les  rapports  du  Ménon  et  du  Gorgias  —  à  une  étude  plus  appro- 
fondie de  la  manière  littéraire,  polémique  et  dialectique  de  Pla- 
ton :  à  y  réussir  le  profit  serait  double.  Mais,  par  un  tel  moyen, 
peut-on  même  espérer  le  succès  ?  La  difficulté  n'est-elle  pas  insur- 
montable, vu  la  diversité,  l'alternance  inattendue  e!  compliquée  des 
intentions  et  des  points  de  vue,  les  subtilités  logiques  où  se  plaît 
l'esprit  chercheur,  mobile  et  caustique  de  Platon  ?  Si  au  cours  d'un 
même  dialogue  il  faut  souvent  faire  effort,  et  parfois  en  vain,  pour 
suivre  au  travers  de  leur  trame  complexe  la  continuité  de  chaque 
discussion,  aurons-nous  encore  quelque  chance  de  la  reconnaître 
d'un  dialogue  à  l'autre  ? 

Un  principe  au  moins  paraît  sûr  :  c'est  qu'il  faut  en  première 
ligne  déterminer  le  sujet  philosophiq'ue  principal  des  dialogues  et 
considérer  d'abord  à  ce  point  de  vue  quelles  relations  chronolo- 
giques ils  supportent  ;  les  exigences  logiques  ou  seulement  psy- 
chologiques d'une  évolution  intellectuelle  en  manifestent  le  sens 
avec  une  précision  suffisante,  tandis  que  les  intentions  secondai- 
res, surtout  polémiques,  dépendent  plus  des  circonstances,  et,  dans 
leur  ordre  de  succession,  peuvent  se  renverser  avec  moins  d'in- 
convénient et  plus  de  vraisemblance  ;  les  indications  qu'elles  peu- 
vent donner  ne  viennent  donc  qu'au  second  rang. 

Or,  précisément,  l'opinion  de  Th.  Gomperz  (1),  reprise  naguère 
par  August  Ritter  von  Kleemann  (2),  sur  la  priorité  du  Gorgias 

1.  Les   Penseurs   de   la   Grèce,    11,   trad.    fr.,    p.    390   ss.,   Pans,    1905. 

2.  Flatonische   IJntersuchungen,    II,    Menon.    —   Arch.    f.    Gesch.  d.   Phil.   N. 
F.,   XIV,    1.   —   oct.   1907,   p.  50  ss. 


NOTES  309 

vis-à-vis  du  Ménon,  repose  en  grande  partie  (1)  snr  l'importance 
attribuée  aux  éléments  secondaires  de  ces  dialogues. 

Je  voudrais  montrer  que,  même  à  ce  point  de  vue,  la  priorité 
du  Ménon  demeure  très  compréhensible,  et  qu'elle  s'impose,  à 
comparer  l'enseignement  philosophique  du  Ménon  et  du  Gorgias. 

La  priorité  du  Gorgias,  pense  Th.  Gomperz,  est  la  seule  expli- 
cation possible  de  l'appréciation  indulgente  portée  dans  le  Ménon 
sur  les  hommes  d'état  athéniens,  indulgence  qui  fait  contraste 
«  avec  les  amers  sarcasmes  dont  les  abreuve  le  Gorgias  ».  Il 
conjecture  même  que  cette  «  réhabilitation  »  constitue  «  l'ori- 
gine et  la  raison  d'être  du  Ménon  »  (2).  Von  Kleemann  a  relevé 
l'exagération  évidente  de  cette  dernière  hypothèse  (3).  La  première 
est-elle  beaucoup  mieux  fondée  ? 

Là  première  allusion  aux  politiques  d'Athènes  se  trouve  dans  le 
Protagoras  (319  E  ss.),  amenée  par  la  thèse  socratique  sur  l'en- 
seignement de  la  vertu.  La  vertu  peut-elle  être  enseignée?  Il 
ne  le  paraît  pas,  dit  Platon,  puisque  tant  de  grands  citoyens, 
bons  et  vertueux,  n'ont  pas  été  capables  de  rendre  meilleurs 
leurs  propres  enfants.  Et  il  cite  en  exemple  Périclès.  Ici  pas  un 
mot  de  blâme.  Bien  au  contraire  c'est  la  supériorité,  reconnue 
par  tous,  de  ces  grands  hommes  qui  fait  douter  Platon  de  la 
doctrine  de  son  maître.  Ce  doute  le  travaille,  puisqu'il  apporte 
une  preuve,  jusque-là  inédite,  de  la  définition  de  la  vertu  par  la 
science  (357  B).  Il  essaie  visiblement  de  fortifier  ce  point  fonda- 
mental de  la  morale  socratique  qui  est  toute  la  raison  d'être 
du  précédent,  comme  lui-même  le  remarque  (361  A).  On  peut 
même  voir,  dans  cette  tentative,  le  but  premier  du  Frotagoras. 
Le  point  d'interrogation  final  confirme  cette  manière  de  voir 
et  montre  que  l'objection  demeure  dans  l'esprit  de  Platon,  malgré 
la  vigueur  avec  laquelle  il  vient  de  mettre  en  lumière  l'unité 
de  l'enseignement  de  Socrate. 

Voyons  maintenant  le  Gorgias.  Le  prétexte  qui  motive  la  di- 
gression sur  la  valeur  de  Thémistocle,  Cicéron,  Miltiade  et  Pé- 
riclès, est  la  question  de  savoir  quel  genre  d'éloquence  ils  ont 
pratiqué  :  celle  qui  a  pour  but  de  flatter  le  peuple  ou  celle 
qui  le  rend  meilleur  (503  A  ss.).  Ce  n'est  certes  pas  le  dernier 
genre,  car  il  est  avéré  que  tous  à  la  fin  de  leur  carrière  furent 

1.  Von  Kleemann  en  particulier  présente  d'autres  argumen  s  as^^ez  peu  dé- 
cisifs. 

2.  0.  c,    pp.  390,  391. 

3.  0.   c,   p.    53. 


.310         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

maltraités  par  les  Athéniens  (515  D  ss.).  Ceux-ci  ne  s'étaient 
donc  guère  améliorés.  Mais  cela  même  est  un  signe  que  ces 
orateurs  n'étaient  pas  de  bons  chefs.  Un  éleveur  n'est  pas  bon 
qui  forme  des  animaux  vicieux  (516  B).  Leur  aptitude  aux  af- 
faires était  réelle  (517  B),  mais  ils  n'ont  pas  su  former  des 
citoyens  justes,  ce  qui  est  pourtant  la  raison  d'être  d'un  chef 
d'État  (516  C).  Par  suite,  il  faut  le  dire,  ils  furent  de  mauvais 
politiques,  de  mauvais  citoyens.  Exception  n'est  faite  que  pour 
Aristide,  mais  plus  loin  et  comme  en  cachette,  dans  le  mythe 
qui  termine  le  dialogue  (526  B). 

Dans  le  Ménon  réapparaît  l'opposition  entre  la  doctrine  de 
la  vertu-science  qui  peut  être  enseignée,  et  le  cas  des  grands 
hommes,  Théniistocle,  Périclès,  Thucydide  et  Aristide  (ces  deux 
derniers  remplaçant  Cimon  et  Miltiade)  (1),  qui  ont  manqué  l'édu- 
cation de  leurs  fils  (93  C  ss.).  Mais  ici  la  philosophie  de  Socrate 
est  bravement  sacrifiée  :  on  ne  peut  dire  de  tels  hommes  qu'ils 
furent  méprisables,  il  vaut  mieux  concéder  qu'il  y  a  une  vertu 
inférieure  fondée  non  plus  sur  la  science  mais  sur  1'  «  opinion 
droite  »  (96  E  ss.).  Telle  fut  la  vertu  de  ces  grands  citoyens. 
Ils  la  tenaient  de  la  divinité  elle-même  (100  B). 

L'appréciation  du  Ménon  diffère  donc  sensiblement  de  celle 
du  Gorgias.  «  Que  devons-nous,  écrit  Gomperz,  considérer  comme 
le  plus  probable?  Que  Platon  s'est  appliqué,  de  propos  délibéré, 
à  mettre  en  évidence  son  passage  d'un  paradoxe  modéré  à  un 
paradoxe  sans  mesure,  l'abandon  de  la  théorie  soigneusement 
pesée  et  fondée  sur  laquelle  reposait  le  premier?  Ou  bien  qu'il 
a  voulu  faire  entendre  assez  clairement  au  lecteur  qu'il  a  en- 
fin appris  à  modérer  et  à  limiter  une  opinion  outrée,  qui  blessait 
profondément  les   sentiments   les   plus   ^àfs    de   ses    compatrio- 
tes?  Assurément  cette  seconde  alternative   (2)  ».   C'est  un   bon 
sentiment,  et  M.  Th.  Gomperz  ne  pouvait  faire  valoir  le  détail 
de  sa  preuve  avec  plus  de  pénétration  et  d'habileté.  Mais  l'in- 
convénient des  dilemmes  est  parfois  de  simplifier,  plus  que  de 
raison,  les  problèmes.  N'est-ce  pas  ici  le  cas? 

Supposons  le  Ménon  antérieur  au  Gorgias  :  au  début  de  la 
discussion  finale,  le  jugement  de  Platon  sur  les  hommes  d'État 
reproduit  celui  du  Protagoras,  c'est-à-dire  en  somme  l'opinion 


1.  Sans  doute  pour  la  raison  indiquée  par  Gomperz  (o.  c,  p.  392)  :  Mil- 
tiade était  le  père  de  Cimon.  —  Mais  dans  l'hypothèse  qu'il  soutient,  Platon 
aurait  dû  mientionner   cette  exception   à  la  fin   du  Ménon   (100  A). 

2.  n.  r..  p.  391. 


NOTES  3 1 1 

courante  (1).  Mais  sous  l'influence  de  la  même  difficulté  soulevée 
déjà  clans  le  premier  dialogue,  il  modifie  à  la  fois  et  sa  manière 
de  voir  sur  les  politiciens  d'Athènes  et  sa  confiance  dans  la 
théorie  de  la  vertu-science.  Jusqu'ici,  estimant  bons  et  vertueux 
Périclès,  Thémistocle,  etc.,  il  leur  attribuait  implicitement  la 
science  qui  définit  la  vertu,  c'est-ià-dire  l'intelligence,  la  con- 
naissance raisonnée  du  bien  et  du  mal.  Dès  lors  qu'il  n'admet 
plus  l'universalité  de  sa  définition,  et  malgré  que  ce  soit  pour  ne 
pas  médire  de  ses  illustres  concitoyens,  il  doit  leur  attribuer  un 
degré  de  vertu  inférieur  ;  il  les  fait  descendre  au  rang  des  devins, 
de  ces  hommes  inspirés  q;ui  ne  savent  rien  de  ce  qu'ils  disent 
(uLYidhj  tl^ÔTz;  côv  Ikyo-j'ji.  —  99  D),  qui  agissent  bien,  sans  intelligence 
(otTtvï;  voCv  y.yj  lyovTic,  noWx  y.où  ^j.zyyXxvM.rori^O'javj  r<yj  î:oxTTt}V(n. — 99  C), 
qui  sont  conduits  par  1'  «  opinion  droite  ».  Il  concède  sans  res- 
triction leur  impuissance   à  enseigner  la  vertu   (98   E). 

La  continuité  de  ce  point  de  vue  avec  celui  du  Frotagoras  est 
hors  de  question  et  il  s'explique  sans  effort  par  le  doute  persis- 
tant provoqué  chez  Platon  par  la  contradiction  aperçue  entre  la 
théorie  de  Socrate  et  un  fait  d'expérience  flagrant  (2). 

Est-il  invraisemblable  que  ce  pessimisme  se  soit  aggravé?  Non^ 
si  de  nouveaux  motifs  sont  intervenus.  Or  c'est  le  cas  du  Gorgias. 
—  Platon  ne  vient-il  pas  de  découvrir  la  différence  entre  le  plaisir 
et  le  vrai  bien  de  l'homme?  ne  l'a-t-il  pas  démontrée  par  «  des 
raisons  de  fer  et  de  diamant  »  (509  A)  ?  Après  cela,  il  ne  peut 
faire  la  moindre  concession  sur  la  raison  d'être  des  chefs  d'État: 
ceux-ci  doivent  procurer  aux  hommes,  aux  sociétés,  le  bien  vé- 
ritable, la  vertu  (515  B.  C).  Et  Platon  maintiendra  cette  idée  dans 
la  République  et  jusque  dans  les  Lois  (I.  630  C).  Par  suite,  d'après 
la  méthode  socratique  qui  assimile  la  morale  aux  arts,  un  chef  de 
gouvernement  n'ayant  pas  atteint  ce  but  est  un  mauvais  ouvrier, 
quelles  que  soient,  par  ailleurs,  sa  vogue  et  la  sympathie  igno- 
rante des  foules  (459  C). 

Remarquons  à  quel  point  le  débat  s'est  élargi.  Le  Ménon  de- 
mandait si  Thémistocle  ou  Périclès  avaient  été,  vis-à-vis  de  leurs 
fils,  de  bons  maîtres  de  vertu;  il  s'agit  maintenant  de  l'éducation 
du  peuple.  Dans  le  Ménon,  Platon  leur  reconnaît,  malgré  tout^ 


1.  W.    LuTOSLAWSKi.    The    origin    and    groivth    of    Plato's    Logic,    p.    214. 
Longmans,    Green     and    0°,    London,    1905. 

2.  Une  suite  aussi  naturelle  serait  loin  d'exister  du  Frotagoras  au  Gorgias. 
Cf.  les  explications  de  Th.   Gomperz,   o.   c,   p.   360. 


312  REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

une  vertu  inférieure,  capable,  par  hasard  (1),  de  grandes  actions; 
d'après  le  Gorgias,  leur  supériorité  n'est  admise  que  dans  nn  ordre 
tout  matériel  (517  B);  ils  ont  failli  à  leur  mission  la  plus  haute. 
—  La  progression  est  très  normale.  Et  le  dernier  jugement  est 
sans  rémission  (2),  comme  il  est  visible  aux  ¥«=  et  VIP  livres 
de  la  Bépiihlique  où  les  philosophes  seuls  sont  déclarés  vrais 
gardiens  de  l'État.  A  quoi  bon  alors  la  prétendue  «  réhabilita- 
tion »  du  Ménon  dont  le  plus  clair  serait  après  tout  de  montrer 
que  ces  mauvais  politiques  n'ont  même  pas  su  être  de  bons  pères 
de   famille?  , 

Mais  l'antériorité  du  Ménon  est  bien  plus  encore  exigée  par 
l'enseignement  de  l'un  et  l'autre  dialogue  sur  la  vertu. 

Revenons,  en  effet,  au  Protagoras.  Comme  tous  les  dialogues 
qui  le  précèdent  il  ne  connaît  d'autre  définition  de  la  vertu  que 
celle  de  Socrate  :  la  vertu  est  une  science.  Nous  l'avons  même  re- 
marqué, il  en  apporte  une  justification  nouvelle  :  la  vertu  doit 
être  une  mesure,  un  calcul  des  jouissances  et  des  inconvénients  de 
chacun  de  nos  actes. 

(Jr  cette  définition  est  partout  supposée  par  le  Ménon  qui  se 
termine  en  la  déclarant  trop  étroite,  sans  pour  cela  la  rempla- 
cer {?>).  Car,  sans  doute,  VbrM,  dôlx  ne  prétend  pas  être  adéquate 
à  l;i  verlu.  Et  il  est  signifié  formellement  aux  dernières  lignes 
du  dialogue  qu'une  nouvelle  étude  s'impose  pour  savoir  ce  qu'est 
la  vertu  en  elle-même  (100  B).  Affirmation  qui  n'est  pas  ironique, 
pour  cette  raison  que  la  première  partie  du  dialogue  (71  D  —  79  E) 
est  consacrée  à  déterminer  les  conditions  d'universalité  d'une 
bomie  définition,  de  manière  à  préparer  le  rejet  de  celle  adoptée 
jusqu'alors  (97  B  C). 

Dans  ces  conditions  serait-il  admissible  que  le  Gorgias  ait  été 
composé  avant  le  Ménon,  s'il  donne  de  la  vertu  une  définition 
toute  nouvelle,  conservée  dans  les  dialogues  postérieurs?  Évidem- 
ment non.  Il  y  aurait  là  tout  au  contraire  une  réponse  directe  à 
la  question  finale  du  Ménon.  C'est  ce  qu'il  reste  à  établir. 

L'objet  principal  du  Gorgias  est  de  distinguer  le  bien  du  dé- 
lectable, de  montrer,  à  l'encontre  du  Protagoras,  que  la  fin 
dernière  de  l'activité  humaine  est  le  bien  et  non  la  jouissance; 


i.  Qeia  noïfxi,    au    sens    où    l'entend    Zeller.    Die    Philos,    der   Griechen,    III*. 
p.   594*. 

2.  L'exception   même    faite,    dans    le    mythe    final,    en    faveur    d'Aristide,    le 
prouve.   C'est  un  moyen   détourné,   et  le  seul,   de  le   sauver  de  la  débâcle. 

3.  L'opinion  de  von  Kleemann  (Archiv,  1.  c,  p.  62)  est  trop  visiblement  ins- 
pirée par  le   souci   de  reculer  le  Ménon  jusqu'après  le  Banquet. 


NOTES  .'^13 

c'est  une  réfutation  de  l'hédonisme;  mais  il  détermine  aussi 
quel  est  ce  bien,  fin  de  l'homme  :  c'est  son  bien  propre,  la  belle 
oîdonnance,  l'harmonie  qui  convient  à  sa  nature;  ainsi  harmo- 
nisé l'homme  est  bon;  or  tout  être  est  bon  par  la  présence 
d'une  vertu  spéciale;  cette  harmonie  de  tout  lui-même  est  donc  la 
vertu  de  l'homme  par  excellence,  la  <y(xiQ^po'jxjvf\  ,  qui  d'elle- 
même  assure  la  piété,  la  justice  et  la  force  (506  D  —  507  C). 
Nous  sommes  bien  loin  de  Socrate.  La  vertu  n'est  plus  essen- 
tiellement une  connaissance,  mais  un  état.  Le  vertueux  n'est 
plus  comparé  à  l'artiste  qui  sait  son  art,  mais  à  Vœuvre  d'art 
(503  E  ss.).  L'unité  de  la  vertu  n'est  plus  l'unité  de  la  science, 
mais  elle  suit  au  bon  ordre  de  l'âme  (507  A,  B). 

C'est  la  doctrine  même  longuement  développée  dans  la 
Eéjjuhliquc  (1).  Tout  être  possède,  pour  bien  agir,  une  vertu  qui 
lui  est  propre.  Celle  de  l'âme  est  la  justice  (IV.  353  A  —  3&4 
A).  Sa  présence  a  pour  effet  l'ordre  et  l'harmonie  (IV.  443  D  ss.)_, 
elle  est  la  santé,  la  beauté,  la  vigueur  de  l'âme  (IV.  444  E). 
La  science  et  la  sagesse  n'en  sont  plus  que  l'élément  princi- 
pal (id.  et  IX.  586  E).  Même  si  la  contemplation  des  Idées  et 
du  Bien  prend  une  place  de  plus  en  plus  grande  (2),  la  concep- 
tion du  Gorgias  demeure.  Elle  est  rappelée  dans  le  Phédon 
(93  C  ss.),  dans  le  Philèhe  (64  E)  et  dans  les^Lois  (III.  689  D). 

La  continuité  du  Gorgias  et  de  la  République  paraît  donc  bien 
manifeste,  comme  celle  du  Gorgias  avec  le  Ménon,  du  Ménon 
avec  le  Frotagoras.  Séparer  ces  deux  derniers  dialogues  par 
le  Gorgias  est  introduire  dans  l'évolution  de  Platon  un  retour 
et  ime  complication  inutiles  et  invraisemblables. 

Kain  i\l.-D.  Roland-Gosselin,   0.  P. 


II 

La  Variabilité  des  Symboles  dans  l'Apocalypse 

NOTRE  formation  littéraire^  renouvelée  ou  continuée  des  Grecs^ 
nous  met  souvent  mal  à  l'aise   devant  les  productions  de 
l'esprit  oriental.  Nous  ne  savons  même  pas  trop  bien  comment 


1.  Cf.  Brochard.  La  morale  de  Platon.  Année  philosophique.   16'  an.,   1903, 
p.   5   ss. 

2.  Id.,  p.   J3  ss. 


314         REVUE    DES    SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

les  anciens  Orientaux  composaient  un  livre,  ni  quelle  idée  ils 
se  faisaient  d'un  livre,  ni  ce  que  signifiait  pour  eux  l'attribution 
à  tel  ou  tel  auteur.  Quand  il  s'agit  d'œuvres  symboliques,  nos 
difficultés  vont  s'aggravant.  L'Apocalypse,  qui  est  l'écrit  le  plus 
mystérieux  et  le  plus  oriental  du  Nouveau  Testament,  a  souffert 
d'une  manière  inouïe,  chez  les  critiques  protestants,  de  ces  exi- 
gences de  l'esprit  humaniste,  sur  les  lits  de  Procuste  où  les 
«  Literarkritiker  »  l'ont  dépecée  à  l'envi,  sans  arriver  à  en  fa- 
ciliter beaucoup  l'intelligence. 

De  fait  —  à  moins  que  nous  n'appartenions  à  certaines  écoles 
ultra-modernes,  plus  musicales  que  littéraires,  qui  usent  de  pro- 
cédés avec  lesquels  la  majorité  des  critiques  bibliques  n'ont 
pas  l'air  d'être  familiers  —  notre  culte  de  la  précision,  nos  idées 
sur  la  correspondance  du  signe  au  signifié,  nous  portent  à  nous 
astreindre,  nous,  aux  conditions  qui  suivent,  même  dans  le  genre 
littéraire  de  l'allure  la  plus  libre,  dans  l'allégorie. 

Soit  une  série  de  réalités  ou  de  pensées  que  nous  entreprenons 
de  représenter  allégoriquement.  Je  les  désigne  par  A,  B,  C,...  etc. 
Nous  leur  attacherons  à  chacune  leur  symbole,  qui  leur  demeurera 
fixé  indissolublement,  ime  fois  pour  toutes,  dans  le  cours  de 
l'œuvre  :  soit  «,  (3,  y,...  etc.  Une  fois  constitués  les  groupes  aussi 
naturels  et  logiques  que  possible,  A-a,  B-/3,  C-y,...  etc.,  nous 
n'irons  pas  introduire  ex  abrupto  un  groupe  A-^,  ou  B-a,  quand 
même  A  et  B,  a  et  /3  seraient  des  idées  assez  voisines,  ou  des 
signes  assez  voisins.  Il  serait  malséant,  suivant  notre  commune 
manière  de  voir,  d'ouvrir  cette  porte  aux  confusions. 

^lais  certainement  l'auteur  de  l'Apocalypse  avait  d'autres 
mœurs  littéraires,  voulues  ou  non.  Impossible,  tant  qu'on  ne  les 
a  pas  comprises,  d'apprécier  critiquement  et  scientifiquement  son 
œuvre. 

Reprenons  nos  deux  séries  A,  B,  C,...  et  a,  /3,  y,...  Suppo- 
sons les  réalités  A  et  B  liées  entre  elles  par  quelque  analogie,  de 
fond  ou  de  surface,  qui,  dans  tel  cas,  peut  se  réduire  à  la  com- 
munauté d'un  seul  détail.  Non  seulement  nous  trouverons  chez 
l'Apocalyptique  les  groupes  quasi-naturels  A-.a  et  B-|3,  mais  toutes 
les  combinaisons  que  voici  : 

A-  a  A<^  A  — /3, 

ou  encore 

a  — A  ^<^  a  — B. 

B 


NOTES  315 

Parfois,  vouions-nous  dire,  une  seule  et  même  réalité,  signi- 
fiée déjà  par  son  propre  symbole,  s'en  détachera  pour  s'intro- 
duire momentanément  sous  le  symbole  d'une  réalité  voisine; 
ou  bien,  inversement  un  seul  et  même  symbole  servira  successi- 
vement à  représenter  deux  ou  plusieurs  réalités,  reliées  par  quel- 
que association  d'idées  qui  peut  être  lointaine.  Ces  extensions 
et  ces  échanges  ne  paraissent  soumis  à  aucune  règle  détermina- 
ble.  Ce  n'est  pourtant  point  de  la  pure  fantaisie;  il  se  peut  qu'une 
logique  profonde  rythme  ces  ondulations  ;  pourtant,  un  observateur 
pressé  jugera  ce  symbolisme,  par  endroits,  flottant  comme  les 
attributions  qti'on  fait  aux  personnages  des  drames  qui  se  jouent 
en  rêve. 

Voilà  une  première  remarque.  Je  la  justifie  par  quelques  ex^ 
emples   frappants. 

D'abord  une  seule  et  même  réalité  représentée,  en  raison  de 
ses  différents  aspects,  par  différents  symboles,  dans  des  vi- 
sions  simultanées,   ou   du  moins  étroitement  connexes. 

Aux  premiers  chapitres,  nous  avons  vu  Jésus  apparaître  en 
«  Fils  d'homme  »  porteur  d'emblèmes  divins,  et  donner  au  voyant 
le  message  pour  les  sept  églises.  Au  chap.  IV,  une  voix,  sa 
voix  (IV,  1,  cfr.  I,  10)  appelle  le  prophète  à  une  vision  du 
ciel.  Là  se  déroule  la  scène  sublime  de  la  grande  liturgie  autour 
du  trône  de  Dieu.  Jésus  n'y  est  point  d'abord  visible;  le  «  Fils 
d'homme  »  ne  reparaîtra  que  dans  un  fragment  du  chap.  XIV. 
Mais  quand  il  s'agit  d'ouvrir  le  livre  aux  sept  sceaux,  le  Sau- 
veur surgit  sous  la  forme  toute  différente  de  l'Agneau  «  comme 
mimolé  »,  aux  sept  cornes  et  aux  sept  yeux.  Le  Fils  de  l'Homme 
est-il  encore  dans  le  fond  du  tableau?  —  Ce  n'est  pas  tout.  Quand 
l'Agneau  a  rompu  le  premier  sceau  du  livre,  apparaît  un  cavalier 
au  cheval  blanc,  avec  son  arc  et  sa  couronne.  Il  y  a  d'excellentes 
raisons  de  croire,  avec  de  bons  exégètes,  que  ce  cavalier  est 
le  même  que  celui  du  chapitre  XIX,  c'est-à-dire  le  Verbe  ide 
Dieu,  encore  Jésus  (1).  Ainsi  voilà  une  persorme  unique,  Jésus, 
apparaissant  simultanément  sous  trois  formes  qui  semblent  ab- 
solument indépendantes  et  irréductibles.  La  première,  il  est  vrai, 
(le  Fils  d'homme)  s'efface  momentanément  dans  la  pénombre; 
une  autre,  l'Agneau  immolé,  occupe  le  centre  du  tableau;  la 
troisième,  l'Archer  royal,  se  dresse  devant  l'Agneau  et  le  Voyant 
à  la  fois.  Ainsi  une  réalité  indivisible,  mais  multiple  d'aspects, 
la  divine  personne  du  Sauveur,  se  présente  à  nous  sous  le  voile 

1.  J'essaierai  d'en  faire  la  preuve  dans  une  autre  note. 


310         REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOSIQUES 

d'un  tiiplo  symbolisme,  suivant  qu'il  est  le  Révélateur  divin,  le 
Rédempteur  divin  ou  le  Triomphateur  divin. 

Voyons  la  contre-partie,  c'est-à-dire  des  symboles  distincts, 
mais  connexes,  qui  alternent  entre  eux  pour  la  représentation 
des  mêmes  réalités,  chaque  réalité  pourtant  ayant  eu  originaire- 
ment son  symbole  propre. 

Aux  chap.  XIII  et  XVII,  la  Bête  qui  monte  de  la  mer,  avec  ses  sept 
têtes  et  ses  dix  cornes,  représente  l'empire  païen  de  Rome  (1).  Les 
têtes  sont  primo  et  per  se,  des  empereurs.  Cependant,  au  chapitre 

XVII,  ce  seront  «  des  collines  aussi.  »    a  <„.     Cette  dualité  de 

signification  mettra  mieux  en  relief  l'union  étroite  de  la  Bête 
maudite  avec  la  courtisane  Babel,  la  Rome  des  sept  collines. 
Mais  le  lien  des  rois  et  des  collines  est  on  ne  peut  plus  acciden- 
tel. 

Les  têtes,  disons-nous,  représentent  respectivement  des  empe- 
reurs. Mais,  parmi  les  empereurs,  Néron  a  paru  comme  une 
incarnation  véritable  de  l'essence  diabolique  du  monstre  aux 
sept  têtes.  Il  résulte  de  cela  une  continuelle  alternative  entre  le 
symbole  de  Néron  et  le  symbole  de  l'empire-païen. 

Ainsi  : 

au  c.  XIII,  la  tête  a  été  blessée  à  mort,  puis  guérie; 

au  c.  XVII,  c'est  la  Bête  elle-même  qui  est  ressuscitée  (XVII^ 
8.) 

La  Bête  a  un  nom,  exprimé  par  le  chiffre  666.  Ce  nombre, 
suivant  la  seule  interprétation  plausible,  s'écrit  en  lettres  pJ  "iDp, 
Néron  César.  Ainsi  Néron  n'est  qu'une  tête  de  la  Bête,  et  pour- 
tant la  Bête  tout  entière,  qui  est  l'empire,  et  autre  chose  encore, 
s'appellera  Néron  de  son  nom  propre.  Néron  est  en  partie  le 
Néron  historique,  en  partie  un  Néron  typique;  l'historique  n'in- 
tervient que  parce  qu'il  pouvait  servir  de  type  (2).  De  la  sorte, 
un  membre  du  corps,  une  tête,  devient  le  type  de  tout  le  corps, 
et  de  ce  qui  est  symbolisé  par  le  corps.  Cette  tête  a  d'abord  sym- 
bolisé directement  un  empereur;  mais  comme  cet  empereur  re- 
présente éminemment  ce  qu'il  y  a  d'horrible  dans  le  corps  entier, 


1.  Selon  moi,  elle  est  d'une  signification  encore  bien  plus  étendue,  et  je 
le  démontrerai  ailleurs.  Mais  l'empire  romain  est  au  moins  le  «  primum 
analogatum  ». 

2.  C'est  un  des  points  où  Bousset  n'a  pas  vu  clair,  dans  son  commentaire 
si  remarquable.  Je  pourrais  montrer  aussi  comment  le  huitième  roi  (toujours 
le  Néron  typique)  est  le  même  que  «  les  dix  rois  »  symbolisés  par  les  dix 
cornes. 


NOTES  317 

son  symbole,  la  tête,  représente  aussi  le  corps  entier  et  Jes 
attributions  symboliques  de  la  tête  passeront  au  corps,  celles 
du  corps  à  la  tête,  indifféremment.  Parce  que  c'est  la  même  réa- 
lité foncière  que  corps  et  tête  représentent,  la  domination  poli- 
tique du  Dragon,  qui  ne  sera  anéantie  qu'à  la  grande  victoire 
du  Verbe. 

Ceci  nous  amène  à  une  deuxième  remarque.  La  confusion  de  Né- 
ron et  de  l'empire,  de  la  Bête  et  d'une  de  ses  têtes,  nous  offre  un 
bel  exemple  de  symboles  qui  ne  sont  pas  seulement  flottants,  mais 
qui  se  symbolisent  les  uns  les  autres,  d'un  symbolisme  à  plusieurs 
étages,  pour  ainsi  parler  (1).  On  trouvera  le  même  phénomène  dès 
les  premières  pages  du  livre.  Il  s'agit  des  Anges  des  sept  églises. 

Jésus  commande  à  Jean  d'écrire  à  ces  sept  Anges  qui,  dans 
la  vision  d'introduction,  sont  dits  représentés  par  les  sept  étoiles 
que  le  Fils  de  l'Homme  tient  en  sa  main.  —  Remarquer  que,  au 
tîours  de  la  même  vision  (III,  1,  cfr.  I,  20.)  ces  sept  étoiles  si- 
gnifient les  sept  «  esprits  de  Dieu  »,  lesquels  sont  probablement 

tout  autre  chose  que  des  Anges.  C'est  une  combinaison  du  type 
A 

Des  esprits  bienheureux  ne  peuvent  guère  être  l'objet  des  re- 
proches, parfois  assez  véhéments,  et  des  menaces  que  le  Voyant, 
au  noni  de  Jésus,  adresse  à  ces  Anges.  Il  serait  en  effet  gratuit 
d'attribuer  à  l'auteur  de  l'Apocalypse  les  mêmes  idées  qu'à  l'au- 
teur du  Livre  des  Songes  d'Hénoch  sur  la  responsabilité  des 
Anges  préposés  par  Dieu  à  la  garde  des  hommes.  Tout  au  plus 
a-ton  le  droit  de  croire  que  les  «  soixante-dix  pasteurs  »  de  cet 
apocryphe  et  les  «  sept  Anges  »  du  livre  inspiré  ressortissent 
du  même  symbolisme.  Dans  l'Apocalypse,  ces  Anges  sont  donc 
la  figure  de  quelque  chose  ou  de  quelqu'un;  il  s'agissait  pour 
l'auteur  d'exhorter  des  frères,  et  non  de  spéculer  sur  les  fautes 
des  êtres  célestes,  comme  l'a  fait  l'apocryphe,  pour  rejeter  sur 
leur  dos  une  partie  de  la  responsabilité  des  fautes  et  des  malheurs 
humains.  Aussi  'voit-'on  souvent  dans  ces  Anges  les  «  chefs  » 
des  Églises.  Pourtant  le  ton  et  la  teneur  des  louanges  et  des  re- 
proches, des  menaces  et  des  promesses  convient  bien  mieux  si 
tous  ces  avertissements  sont  adressés  à  des  collectivités  que 
s'ils  l'étaient  à  des  individus,  car  un  prélat,  en  bonne  justice,  ne 
peut  être   que  par  une   fiction  littéraire   tenu   pour  strictement 


1.  11  serait  intéressant  de   noter   des  exemples   du  même  fait   dans    le   Qua- 
trième Évangile. 


318         PEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

responsable  de  tout  ce  qui  se  passe  dans  son  église.  Les  prélats, 
si  prélats  il  y  a,  sont  donc  identifiés  à  la  communauté;  si  le 
Voyant  leur  parle,  c'est  pour  que  la  communauté  entende.  Nous 
trouvons  donc  un  symbolisme  qui  descend  ainsi  par  degrés  suc- 
cessifs. 

Etoiles  —  AXGES 
I 
Prélats 
.     I 
EGLISES. 


En  fin  de  compte,  les  étoiles  représentent,  au  ciel  les  «  esprits 
de  Dieu  »,  sur  terre  les  sept  églises  d'Asie. 

Ce  manque  de  fixité  et  û.' immédiation  dans  les  symboles  crée, 
à  coup  sûr,  de  multiples  difficultés  d'exégèse.  Il  ne  faut  pas 
s'étonner  si  des  esprits  trop  géométriques  ont  de  la  peine  à  s'y 
reconnaître. 

C'est  en  cela  que  les  «  critiques  littéraires  »  trouvent  leur 
grand  argument  pour  soutenir  que  l'Apocalypse  Johannique  est 
une  compilation,  à  peu  près  comme  le  livre  d'Hénoch;  compila- 
tion (faite  avec  impéritie,  il  faut  bien  le  dire,j  d'éléments  déjà 
cristallisés  qu'un  «  rédacteur  »  aurait  collectionnés  partout;  puis 
il  eût  cherché  à  y  mettre  mécaniquement  une  espèce  d'unité, 
en  les  agglutinant  au  moyen  de  quelques  gloses  ou  notes  rédac- 
tionnelles. L'exécution,  du  reste,  eût  trahi  l'intention,  car  foutes 
ces  retouches  ou  ligatures  n'arriveraient  qu'à  donner  l'impression 
d'une  plus  grande  hétérogénéité  et  d'un  plus  grand  désordre. 
Faut-il  entrer  dans  les  sentiers,  très  peu  convergents  d'ailleurs, 
que  ces  critiques  nous  ont  tracés? 

Non,  pour  la  raison  très  suffisante  que  la  théorie  de  la  com- 
pilation ne  fournit  du  genre  de  fluctuations  ci-dessus  analysé 
aucune  explication  qui  puisse  nous  satisfaire.  D'abord  il  n'y  a  pas, 
bien  entendu,  à  tenir  compte  de  l'opinion  de  ces  philologues 
qu'une  certaine  matérialité  de  vues  ou  de  culture,  jointe  à  la  ma- 
nie du  découpage,  empêche  de  remarquer  l'unité  d'inspiration,  de 
doctrine,  de  langue  et  de  cadres,  de  «  scénario  »,  qui  s'affirme 
à  travers  les  vingt-deux  chapitres  du  livre.  Même  dans  l'hypo- 
thèse —  sur  laquelle  nous  faisons  d'ores  et  déjà  toutes  nos  réser- 
ves, —  où  l'auteur  aurait  continuellement  utilisé  des  sources,  il 
faudrait  reconnaître  qu'il  les  a  élaborées,  et  élaborées  profon- 
dément, pour  les  faire  servir  au  but  de  son  enseignement  bien 


NOTES  319 

un  et  bien  défini  (1).  C'est  un  auteur,  pas  un  rédacteur.  Il  se 
montrait  parfaitement  capable  d'unifier  tout  ce  que,  dans  l'hy- 
pothèse, il  aurait  emprunté.  Mais  s'il  n'a  pas  voulu  mettre  plus 
d'unité  entre  les  éléments  qu'il  aurait  groupés  ainsi,  cela  révèle 
chez  lui  une  trempe  d'esprit  toute  particulière  (2).  Or,  quand 
un  homme  sait  faire  de  l'unité,  et  que  pourtant  il  a  eu  si  peu 
cure  d'en  mettre  une  parfaite  dans  le  détail  de  son  symbolisme, 
sera-t-il  invraisemblable  de  supposer  que  cette  variabilité  est 
bien  conforme  aux  tendances  naturelles  de  son  esprit  et  qu'elle 
s'introduira  spontanément  dans  ce  qu'il  aura  imaginé,  ou  aperçu 
en  vision,  le  détail  matériel  des  visions,  même  divines,  dépen- 
dant naturellement  des  habitudes  imaginatives  de  celui  qui  les 
éprouve?  Ainsi  il  n'y  aurait  nul  besoin  de  recourir,  pour  expli- 
quer certaines  «  incohérences  »  du  symbolisme,  à  l'hypothèse  qu'il 
a  juxtaposé  péniblement  des  sources  disparates. 

Mais  ceci  n'est  qu'un  argument  ad  liominem.  Car  nous  estimons 
qu'il  ne  faudrait  pas  tant  parler  de  1'  «  incohérence  »  de  ces 
images  apocalyptiques.  Un  prophète  chrétien  du  P""  siècle,  de 
culture  exclusivement  juive,  aurait-il  dû  partager  les  goûts  et 
les  répugnances  dont  nous  a  doués  la  culture  humaniste?  Les 
visions,  puisqu'en  réalité  c'est  de  visions  qu'il  s'agit,  doivent-elles 
se  plier  à  la  régularité  logique  de  notre  esthétique?  Il  serait 
audacreux  de  poser  ces  postulats.  En  fait,  il  y  a  toujours,  sous 
les  symboles  les  plus  changeants  qui  se  présentent  à  son  esprit 
et  S0U3  |Sa  plume,  une  réalité  foncière  qui  établit  une  affinité 
entre  tputes  ces  figures,  dont  chacune  la  représente  sous 
un  aspect  spécial.  Cet  ultimum  quid  est  un  «  tout  poten- 
tiel »,  comme  un  scolastique  dirait.  Dans  les  exemples  ci-dessus 
analysés,  c'est  Jésus,  roi  de  l'Univers,  ou  bien  le  Pouvoir  ter- 
restre et  diabolique. 


1.  C'est  ce  qui  a  été  démointré  sans  réplique  par  Bousset,  une  autorité 
à  laquelle  il  serait  peut-être  téméraire  de  préférer  celles  de  Spitta,  de 
Volter  ou  d'Erbes.  —  Même  la  récente  théorie  de  Jean  Weiss  n'affaiblira  pas 
cette  ferme  coinclusion. 

2.  0]i  pourrait  objecter  que  IV  Esdras  est  aussi  une  œuvre  une  et  person- 
nelle, de  l'avis  de  critiques  comme  Schtirer,  Gunkel  et  autres,  qui  nous 
sembleait  avoir  parfaitement  raison,  et  cei>endant  cette  belle  Apocalypse  reste 
pleine  d'incobérences,  même  doctrinales.  Oui,  mais  son  auteur,  à  la  diffé- 
rence de  Jean,  n'a  guère  montré  d'intention  d''unifier  les  diverses  tradi- 
tions qu'il  trouvait  dans  ses  sources.  Son  respect  de  la  tradition  l'a  empêché 
de  faire  autre  chose  que  les  «  enchâsser  »  dans  son  œuvre  propre,  comme 
dans  une  monture  beaucoup  plus  précieuse,  en  fait,  que  les  pierreries  dont 
il  l'ornait.  Pour  Jean,  c'est  autre  chos(e;  il  avait  sa  doctrine  et  entendait  bien 
y  ramener  tout  ce   qu'il   a  pu  emprunter   ailleurs. 


320         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

On  peut,  insister,  et  déclarer  que  pourtant  cette  liberté  un  peu 
fantaisiste  dans  l'usage  des  symboles  est  quelque  chose  de  rare, 
de  peu  naturel.  Je  consens  à  n'y  voir  pas  uniquement  un  trait 
de  race  (quoique  dans  les  prophètes,  notamment  dans  le  second 
Isaïe,  on  ptit  relever  des  phénomènes  analogues),  mais  la  note 
d'un  esprit  individuel.  jNIais  le  cas  de  cet  auteur,  ainsi  exposé, 
serait-il  tellement  artificiel,  tellement  unique  en  son  genre,  qu'on 
dût  n'y  voir  que  la  «  construction  »  d'une  exégèse  trop  complai- 
sante pour  la  tradition? 

Je  ne  le  pense  pas,  car  ailleurs,  dans  le  Nouveau  Testament, 
on  trouve  des  exemples  presque  aussi  frappants  de  virtualisme 
de  style.  Et  c'est  dans  un  livre  dont  on  ne  peut  sérieusement 
contester  l'unité,  à  aucun  point  de  vue.  Je  veux  dire  le  Qua- 
trième  Évangile. 

Ouvrons-le  au  chapitre  VI.  On  peut  tenir  pour  démontré,  avec 
le  plus  grand  nombre  des  critiques  modernes,  contre  quelques 
exégètes  anciens,  qu'en  tout  le  discours  du  Seigneur  (VI,  26-59) 
il  s'agit  de  l'Eucharistie.  L'idée  de  l'Eucharistie  sacramentelle, 
du  pai7i  du  ciel,  commande  le  choix  de  toutes  les  images,  les  allu- 
sions à  la  manne,  les  expressions  fortes  et  réalistes  telles  que 
(xâol,  rpwycov  ;  c'est  une  àXy;Ôy;;  /5p^Ô(7t:,  une  x/:r,Sri;  7z67lz  .  Pas 
mi  seul  instant  l'idée  de  repas  eucharistique  ne  sort  du  champ 
de  la  pensée.  Seulement,  la  «  res  sacramenti  »,  comme  aujour- 
d'hui nous  dirions,  étant  l'union  spirituelle  au  Christ  et  à  son 
Père,  le  chapitre  développera,  sous  divers  aspects,  la  théorie 
de  cette  union,  acquise  comme  un  effet  de  l'Incarnation  et  de  la 
Passion,  que  l'Eucharistie  présuppose.  Aucun  procédé  scolastique, 
pas  même  de  progression  logique  et  régulière;  mais  une  logi- 
que réelle  commande  tous  les  développements  en  volutes  de 
l'enseignement  du  Seigneur  en  ce  beau  discours.  Sans  perdre  un 
seul  instant  de  vue  l'idée  de  la  communion  réelle,  par  mandu- 
cation,  par  mode  de  boisson,  au  corps  et  au  sang  du  Christ, 
l'Évangéliste  passe  du  tout  aux  parties  potentielles,  du  général 
au  particulier,  de  la  grâce  invisible  au  sensible  sacramentel,  de 
la  fin  au  moyen,  de  l'effet  à  l'instrument  ou  à  la  cause;  et 
inversement.  jNIais  chaque  aspect  implique  tous  les  autres,  et 
tout  so  rattache  au  pain  eucharistique,  dont  la  manne  et  les 
pains  multipliés  au  désert  furent  une  figure. 

Je  laisse  faire  au  lecteur  lui-même  le  rapprochement  naturel 
avec  les  exemples  d'un  virtualisme  analogue  ci-dessus  relevés 
dans  l'Apocalypse,  ce  livre  d'un  ton.  d'un  but  et  d'une  matière  si 


NOTES  321 

différents.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'insister  sur  la  portée  que 
pourraient  prendre  de  telles  comparaisons,  menées  avec  vigueur 
dans  une  étude  générale  de  la  question  johannique.  Il  me  suffit 
d'avoir  montré  que  cette  variabilité  presque  déconcertante  du 
symbolisme  de  l'Apocalypse  se  trouve  des  analogies  en  un  des 
livres  canoniques  dont  les  critiques  songeraient  le  moins  à  con- 
tester l'unité  d'inspiration  et  de  composition. 

Fribourg  (Suisse).  E.  Bernard  Allô.  0.  P. 


2*  Année.  —  Revue  des  Sciences. 


Bulletin  de  Philosophie 

III 

PSYCHOLOGIE 

I.  —  Ouvrages  Généraux 

Dans  son  ouvrage  :  Idées  générales  de  Psychologie  (1),  M.  G.  H.  Luquet  a 
pour  dessein  avoué  d'iniroduire  dans  l'enseignement  les  idées  philo- 
sophiques de  M.Bergson.  Son  vœu  le  plus  cher,  nous  dit-il,  «  serait  d'être 
considéré  pour  ce  livre,  par  le  public  et  par  M.  Bergson  lui-même, 
comme  étant  avec  lui  dans  un  rapport  analogue  à  celui  de  Wolff  à 
Leibniz.  »  Son  procédé  est  exclusivement  dogmatique.  11  ne  s'attarde 
donc  pas  à  réfuter  les  théories  contraires  aux  siennes,  d'abord  parce 
qu'il  y  voit  un  grand  inconvénient  pédagogique,  et  ensuite  surtout 
parce  que  les  théories  générales  de  M.  Bergson  et  de  M.  Luquet  étant 
les  seules  qui  soient  pleinement  d'accord  avec  l'expérience,  l'exposé 
de  ces  dernières  contient  implicitement  la  critique  des  autres. 

Il  faut  reconnaître  que  cet  exposé  de  la  psychologie  bergsonienne  est 
merveilleusement  clair,  plus  clair  que  chez  le  maître,  le  style  en  étant 
plus  sobre  et  moins  enguirlandé  de  métaphores. 

Le  point  de  départ  de  cette  philosophie  est  que  la  science  psycholo- 
gique est  distincte,  par  sa  méthode  et  son  objet,  de  toute  autre  science. 
La  vie  psychique  est  une  réalité  sui  generis.  En  elle,  des  caractères  qui 
semblent  contradictoires  pour  la  logique  habituelle,  fondée  sur  les 
habitudes  d'un  esprit  qui  jusque-là  s'est  occupé  exclusivement  du 
monde  extérieur,  non  seulement  ne  s'excluent  pas  mais  s'appellent. 
Elle  a  une  logique  à  part,  régie  par  le  «  principe  de  continuité  »  et  ainsi, 
a  tandis  que  dans  les  autres  domaines  un  fait  ou  un  objet  est  ce  qu'il 
est  et  n'est  pas  ce  qu'il  n'est  pas,  en  psychologie  il  est  en  un  sens  ce 
qu'il  n'est  pas  et  n'est  pas  absolument  ce  qu'il  est.  »  C'est  la  conscience 
spontanée  qui  nous  montre  en  elle  cette  fusion  de  l'identité  et  du  chan- 
gement, du  passé  et  du  présent  ;  elle  saisit  le  <>  moi  »  dans  sa  «  durée  >% 
c'est-à-dire  dans  son  état  actuel,  qui  est  fusion  et  synthèse,  résumant  la 
conscience  passée  et  gros  déjà  des  états  de  conscience  futurs.  Cette 
connaissance  de  la  vie  psychique  par  la  conscience  spontanée  est  sans 
doute  naturelle  et  légitime  :  elle  nous  révèle  en  bloc  la  totalité  de  notre 
état  de  conscience  actuel.  Mais  quel  que  soit  le  caractère  de  continu  et 
de  synthèse  de  celui-ci,  il  est  des  éléments  qui  lui  échappent  ;  tout  notre 
moi  ne  se  révèle  pas,  mais  seulement  une  partie  ;  car  on  doit  admettre 


1.  In-8",  Paris,  Alcan,  1906. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  323 

l'existence  de  l'inconscient.  Dès  lors  il  faut  la  conscience  réfléchie, 
pour  analyser  plus  en  détail  Tunité  confuse  que  donne  seulement  la 
conscience  spontanée,  pour  classifier  les  phénomènes  psychiques  et 
établir  les  relations  qu'ils  ont  entre  eux.  Et  l'auteur  procède  à  cette  clas- 
sification, sur  la  valeur  scientifique  de  laquelle  il  nous  dit  ne  se  faire 
aucune  illusion  ;  il  s'agit  en  effet  d'une  classification  artificielle  et  plutôt 
symbolique,  destinée  surtout  à  établir  un  vocabulaire  et  une  termino- 
logie des  faits  psychologiques,  commode  et  facile  à  retenir. 

Mais  la  conscience  réfléchie  est-elle  le  seul  moyen  de  perfectionner  la 
connaissance  que  nous  avons  de  nous-mêmes  par  la  conscience  spon- 
tanée? L'ancienne  psychologie  opposait  à  la  réflexion  l'introspection. 
«  Il  y  a  lieu  de  conserver  cette  opposition,  mais  en  l'interprétant  dans 
un  sens  exclusivement  empirique.  »  Jadis,  la  psychologie  était  calquée 
sur  la  biologie.  Elle  était  donc  amenée  surtout,  comme  celle-ci,  à  se 
donner  comme  tâche  une  simple  classification  des  faits  psychiques.  Et 
à  cela  s'employait  spécialement  la  réflexion.  Mais  la  biologie  a  évolué; 
de  nos  jours,  elle  ne  se  sert  plus  de  la  classification  que  comme  d'un 
moyen  pour  déterminer  les  lois  générales  de  la  vie,  de  même  la  psycho- 
logie doit  se  transformer  parallèlement  et  substituer  à  la  classification 
des  phénomènes  psychologiques  l'étude  de  leurs  relations. 

Ce  progrès  d'ailleurs  est  encore  insuffisant.  La  réflexion  en  effet  est  à 
la  conscience  spontanée  ce  que  la  connaissance  scientifique  est  à  la 
connaissance  vulgaire.  Or  la  science  est  avant  tout  utilitaire.  Aux 
«  images  fuyantes  »  que  les  sens  nous  donnent  de  la  nature,  le  savant 
«  substitue  des  points  matériels,  des  molécules,  des  forces  d'attraction 
et  de  répulsion,  etc.,  en  un  mot  des  symboles  purement  hypothétiques, 
dont  l'unique  rôle  est  de  servir  de  support  Imaginatif  aux  relations 
quantitatives  que  la  science  vise  à  établir  entre  les  phénomènes  et  qui 
sont  pour  elle  l'essentiel,  parce  que  c'est  par  elle  que  nous  pouvons, 
dans  une  certaine  mesure,  prévoir  les  phénomènes  de  la  nature... 
en  faciliter  la  production.  »  Au  contraire  de  la  science,  l'art  n'est 
plus  utilitaire  mais  positif;  il  s'occupe,  non  pas  des  rapports  des 
choses  et  de  leur  utilité,  mais  de  leur  individualité  et  de  leur  réalKé  en 
tant  que  connue  de  façon  désintéressée.  Cet  art  d'atteindre  la  réalité 
psychique  par  une  connaissance  exacte,  sans  préoccupations  pratiques 
intéressées,  c'est  l'introspection.  «  Au  lieu  de  viser  à  saisir,  comme  la 
réflexion,  le  semblable  sous  le  divers,  l'introspection  cherche  à  retrou- 
ver les  différences  sous  les  caractères  communs  ;  elle  est  la  réflexion  du 
psychologue  et  non  plus  de  l'homme  d'action  sur  la  conscience  réfléchie 
aussi  bien  que  sur  la  conscience  spontanée;  à  l'égard  de  toutes  deux  elle 
fait  machine  en  arrière.  Par  opposition  au  point  de  vue  utilitaire  de  la 
conscience  réfléchie  comme  de  la  conscience  spontanée,  c'est  une  sorte 
de  dilettantisme,  c'est  presque  de  la  conscience  de  rêve  ;  elle  a  un 
caractère  non  scientifique,  mais  esthétique.  Elle  veut,  sous  la  conscience 
réfléchie  et  même  sous  la  conscience  spontanée,  sous  la  couche  rigide 
produite  par  l'influence  congelante  de  l'action,  atteindre  l'eau  courante 
du  stream  of  ihought,  des  données  immédiates  de  la  conscience.  » 

C'est  donc  à  l'introspection  que  l'auteur  fera  surtout  appel  dans  la 
suite  de  son  ouvrage,  «  faisant  machine   en   arrière  par  rapport  à  la 


3:24  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUFS 

réflexion,  sans  jamais  d'ailleurs  en  perdre  de  vue  les  résullals  et  en  les 
prenant  pour  point  de  départ.  »  Étudier  de  la  sorte  la  réalité  des  faits 
psycliiques,  c'est  surtout  étudier  les  relations  qui  existent  entre  eux  : 
leur  succession,  \e\iT  solidarité,  leur  continuité. 

Quand  on  parle  de  la  succession  des  états  de  conscience,  on  veut  dire 
qu'ils  se  conditionnent,  se  pénètrent,  se  fusionnent,  et  non  pas  qu'ils  se 
succèdent  par  pluralité  numérique.  «  Il  n'y  a  jamais  modification  totale 
de  la  conscience;  tout  état  de  conscience  participe  de  l'état  immédiate- 
ment antérieur  ;...  une  rupture  apparente  du  cours  de  la  conscience,  n'est 
en  réalité  qu'une  nuance  plus  forte,  une  couleur  plus  vive,  se  détachant 
sur  la  trame  ininterrompue  de  la  vie  psychique.  Dans  la  conscience  il 
n'y  a  jamais  de  révolutions,  mais  une  perpétuelle  évolution.  » 

JjCs  états  de  conscience  sont  de  plus  liés  par  une  étroite  solidarité, 
c'est-à-dire  que  chacun  d'eux  est  à  la  fois  un  et  multiple,  qu'il  n'y 
a  pas  d'états  purs  distincts  entre  eux.  et  provenant  de  facultés  dis- 
tinctes. Celles-ci  «  ne  sont  que  des  abstractions.  »  «  D'une  manière 
générale,  tout  état  de  conscience  est  à  la  fois  affectif,  intellectuel  et 
actif  :  il  n'y  a  qu'une  difTérence  de  dosage  dans  les  proportions  relatives 
de  ces  éléments;  chaque  état  de  conscience  comprend,  outre  le  phéno- 
mène affectif  ou  représentatif  ou  aciif  qui  est  au  premier  plan,  des  élé- 
ments psychiques  appartenant  aux  deux  autres  classes,  plus  reculés  et 
moins    visibles,     mais    qui     ne   sont    pas   moins    toujours   présents.  » 

Le  caractère  souple  et  fuyant  des  opérations  psychiques  manifeste 
encore  leur  conlinnilé.  Elles  ont  entre  elles  une  parenté  d'essence  et  ne 
difTèrent  pas  en  nature,  mais  seulement  en  degré;  c'est  ainsi  que  l'au- 
tomatisme sort  de  la  volonté  et  que  la  volonté  retourne  à  l'automatisme, 
que  le  concept  ne  diffère  pas  de  l'image,  que  le  concept  et  l'image  ne 
diffèrent  pas  de  l'affirmation,  du  jugement,  que  la  consécution  empi- 
rique ne  diffère  pas  de  la  raison,  que  l'égoïsme  confine  à  l'altruisme 
et  engendre  la  justice,  etc.  Les  premiers  principes  d'identité  et  de 
causalité  n'ont  pas  de  valeur  objective,  mais  ne  sont  que  des 
croyances  sous  forme  vécue  plutôt  que  pensée.  Le  principe  d'identiié 
énonce  une  confiance  toute  subjective  dans  la  constance  des  lois  de 
l'esprit  à  travers  l'écoulement  de  la  vie  consciente,  analogue  à  la  con- 
fiance dans  la  constance  des  lois  de  la  nature  à  travers  le  temps  qui 
constitue  le  principe  de  causalité  ;  et  cette  confiance  est,  dans  les  deux 
■;as,  aussi  spontanée  et  aussi  peu  justifiée  sous  sa  forme  primitive.  Les 
lois  de  la  nature  ne  sont  en  effet  que  des  approximations,  ou  mieux  des 
conventions  utilitaires,  et  dans  la  vie  consciente  il  n'y  a  pas  deux  états 
identiques. 

Quant  au  caractère  fondamental  de  l'activité  de  l'esprit,  il  consiste 
dans  un  choix,  une  sélection  constante  opérée  dans  le  donné  externe  ou 
interne.  L'expérience  n'est  pas  ce  qui  s'imprime  automatiquement  en 
nous;  alors  que  nous  croyons  saisir  la  réalité  telle  qu'elle  est,  nous  ne 
laissons  pas  de  la  construire  par  la  sélection.  Celle-ci  joue  dans  toutes 
nos  opérations  psychiques  un  rôle  analogue  à  celui  des  résonnateurs  en 
acoustique,  qui  isolent  un  son  en  le  captant  de  préférence  ;  et  c'est  ainsi 
que  la  perception  est  une  sélection  entre  les  sensations  présentes  ;  la 
mémoire,  entre  les  sensations  passées,  etc.  Toutes  les  opérations  psy- 


BULLETIN    DE   PHILOSOPHIE  325 

chiques impliquenL  donc  sélection  ou  allenlion;  la  conscience  en  général 
ayant  déjà  pour  rôle  fondamental  d'opérer  celle  sélection  dans  le  donné 
interne,  de  choisir  les  étals  clairs  qu'elle  retient  dans  le  tlol  indistinct 
de  son  écoulemenl.  Et  c'est  ainsi  que  par  ce  choix  entre  les  données  de 
l'expérience,  noire  esprit  construit  non  seulement  l'art,  mais  la  science, 
la  morale,  etc. 

La  sélection  constatée  comme  un  fait,  il  faut  l'expliquer.  Or  tonte 
explication  psychologique  est  téléologique  ;  en  d'autres  termes,  expli- 
quer un  pliénomène  psychologique,  c'est  dire  à  quoi  il  sert,  c'est 
rendre  compte  de  son  intérêt  pratique  ou  théorique,  et  l'un  revient . 
à  l'autre.  Si  nous  nous  représentons  nos  étals  internes  à  la  manière 
d'objets  extérieurs,  c'est  que  le  monde  extérieur  nous  apparaît  comme 
le  seul  théâtre  possible  de  notre  action.  Si  nous  solidifions  et  hyposta- 
sions  des  étals  subjectifs  affectifs  comme  le  plaisir  et  la  douleur,  si  nous 
généralisons  les  images  concrètes  pour  les  réduire  à  des  concepts,  si 
nous  réunissons  ceux-ci  en  jugements,  et  ceux-ci  encore  en  raison- 
nements, c'est  toujours  pour  le  même  motif  :  l'intérêt,  la  facilité  de 
l'action. 

—  Telles  sont  donc,  dépouillées  de  leur  présentation  souple  et  vivante, 
les  principales  idées  de  la  psychologie  de  M.  Luquet  ou  de  son  maître 
M.  Bergson.  Nous  ne  pouvons  songer  à  les  discuter  les  unes  après  les 
autres  ;  chacune  d'ailleurs  se  colore  de  nuances  infinies  où  la  part  du 
vrai  se  mêle  à  la  part  de  l'inadmissible  selon  nous.  Disons  un  mot  seu- 
lement des  a  priori  métaphysiques,  qui  commandent  toute  celte  psycho- 
logie. Le  principal,  c'est  la  négation  du  principe  de  contradiction  comme 
régissant  la  réalité  psychique  ;  celle-ci  est  l'union  de  l'identique  et  du 
changement,  de  l'un  et  du  divers,  de  la  permanence  et  du  flux  mobile 
incessant;  le  fait  de  conscience  «  est  en  un  sens  ce  qu'il  n'est  paset  n'est 
pas  absolument  ce  qu'il  est  ».  «  En  un  sens  »,  oui,  sans  doute,  dans  l'ap- 
parence de  l'expérience  interne  ou  externe,  et  M.  Luquet  a  fort  bien 
reconstitué  cette  donnée  immédiate  de  l'expérience  psychologique  :  suc- 
cession, solidarité,  continuité  des  phénomènes  de  conscience.  Mais  il  y  a 
longtemps  déjà  que  l'on  a  été  tenté  de  nier  le  principe  de  contradiction  à 
cause  des  apparences  sensibles.  Âristole  nous  dit  que  les  Sophistes  ont 
été  amenés  par  là  à  contester  les  premiers  principes  de  la  raison.  En 
effet  la  première  constatation  empirique  se  heurte  au  devenir,  et  le 
devenir,  à  la  fois,  d'une  certaine  façon  est  et  nest  pas.  Ne  serait-ce  pas 
toujours  chez  M,  Luquet  celle  même  apparence  immédiate  de  la  réalité 
psychique,  vue  comme  un  devenir,  c'est-à-dire  comme  quelque  chose 
qui  à  la  fois  est  et  n'est  pas,  qui  l'induirait  à  nier  l'application  du  prin- 
cipe de  contradiction  au  devenir  psychique  de  la  conscience  mouvante, 
àrestreindre  cette  application  au  réel  conçu  comme  solide  etslatique,  et 
finalement  à  ne  donner  au  principe  de  contradiction  qu'une  portée  toute 
quantitative  et  spatiale  ? 

Mais  il  est  faux  que  ce  principe  ne  soit  qu'une  vue  de  l'esprit  quan- 
titative et  spatiale  :  il  est  impliqué  immédiatement  dans  la  toute  pre- 
mière notion  du  réel  ou  de  lôtre,  avant  que  celte  notion  même  se  pré- 
cise ou  se  particularise  en  réel  quantitatif  et  statique  ou  en  réel  quali- 
tatif et  dynamique,  —  et  le  devenir  lui-même,  qui  implique  composition 


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et  union  du  divers,  ne  peut  avoir  en  lui  sa  raison  d'être  et  demande  à  être 
expliqué  par  autre  chose  que  lui,  par  ce  qui  par  soi  est  être. 

Et  voilà  pourquoi  ce  flux  mouvant  du  devenir  de  la  conscience, 
reconstitué  par  l'introspection,  loin  d'être  le  point  d'arrivée  de  la 
science  psychologique  comme  le  veut  M.  Luquet,  n'en  est  au  contraire 
que  le  point  initial,  la  base  d'expérience  agrandie,  merveilleusement 
détaillée,  si  l'on  veut,  par  l'analyse  bergsonienne,  mais  enfin  base  d'ex- 
périence seulement,  d'où  partira  la  raison^  régie  par  le  principe  d'iden- 
tité et  son  dérivé,  le  principe  de  causalité,  à  valeur  absolue  et  non  seule- 
ment empirique,  pour  édifier  la  systématisation  philosophique. 

Comme  l'intelligence  ne  peut  se  passer  de  principe  premier, M.  Luquet, 
éludant  le  principe  d'identité  pour  rendre  compte  de  la  réalité  psy- 
chique, est  obligé  d'invoquer  le  principe  de  finalité  :  «Expliquer  un 
phénomène  psychologique,  c'est  dire  h  quoi  il  sert»,  c'est  en  faire  une 
utilité  pour  l'action.  Mais  comment,  avec  les  négations  précédentes, 
fonder  la  vérité  de  ce  principe  de  finalité?  Celui-ci  indique  que  la  raison 
d'être  du  moyen  est  dans  une  fin.  Et  comment  cela  serait-il  perçu  par  la 
simple  expérience  qui  n'atteint  que  les  faits  et  non  pas  leur  raison 
d'être  ? 

Philosophiquement,  la  doctrine  exposée  et  défendue  par  M.  Luquet  se 
réduit  donc  à  un  empirisme  utilitaire,  comme  le  marquent  d'ailleurs  ces 
lignes  décevantes  par  lesquelles  il  termine  son  ouvrage  :  «  C'est  pai" 
l'utilité  vitale,  par  une  finalité  immanente  qui  d'ailleurs  n'implique  nulle- 
ment une  intelligence  directrice,  Providence  ou  nature, et  peut  fort  bien 
se  concilier  avec  le  mécanisme,  que  s'expliquent  en  dernière  analyse 
l'existence  de  la  conscience,  ses  modalités  et  son  développement,  ses 
caractères  réels  et  les  caractères  apparents  qu'elle  présente  à  une  obser- 
vation superficielle.  » 

M.  Paulin  Mal.\pert  consacre  le  P*^  volume  de  ses  Leçons  de  Philoso- 
phie à  la  Psychologie  (1).  Cet  ouvrage  n'est  ni  un  cours,  ni  un  manuel  à 
proprement  parler, mais  un  exposé  des  grands  problèmes  psychologiques, 
où  les  écoliers  et  aussi  les  philosophes  trouveront  le  plus  grand  profit. 
L'auteur  s'est  efforcé,  dit-il,  «  de  poser  les  questions  avec  autant  de 
précision  que  possible,  de  rassembler  les  principales  données  de  fait  les 
mieux  établies,  d'indiquer  les  diverses  hypothèses  explicatives  qui  en 
ont  été  proposées,  surtout  pour  dégager  la  part  de  vérité  que  chacune 
contient.  »  M.  Malapert  remplit  fidèlement  ce  programme,  et  son 
ouvrage  est  remarquable  de  précision,  de  réserve  et  de  prudence  dans 
l'affirmation,  d'abondante  érudition  dans  l'exposé  des  faits  et  des  hypo- 
thèses, de  clarté  et  de  fermeté  dans  l'argumentation. 

Nous  ne  pouvons  songera  analyser  les  questions  traitées  par  l'auteur 
puisqu'elles  embrassent  toute  la  psychologie,  ni  même  à  signaler  ses 
vues  personnelles  d'ordinaire  très  nuancées  et  inclinant  de  préférence 
aux  solutions  de  juste  milieu.  Indépendamment  de  quelques  critiques 
de  détail  qu'appelleraient  certaines  solutions,  nous  devons  faire  des 
réserves  sur   la  conception  générale  de  la  science  psychologique  selon 


1.   hi-8o.  Pans,  Juven,  1907. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  327 

M.  Malapert.  Sa  psychologie  ne  veut  être  qu'expérimentale  et  positive, 
et  par  conséquent  «  distincte  de  toute  spéculation  métaphysique,  s'inter- 
disant  toute  incursion  dans  le  domaine  des  essences»  ;  car  «  la  question 
des  rapports  de  Tàme  et  du  corps,  du  psychique  et  du  biologique,  ne 
saurait  recevoir  une  solution  scientifique  pas  plus  dans  un  sens  que 
dans  l'autre  ».  C'est  donc  la  conception  positiviste  de^  la  science  que 
M.  Malapert  met  à  la  base  de  ses  études  psychologiques;  d'où  la  consé- 
quence forcée  de  rejeter  —  cela  va  de  soi  —  la  théorie  des  facultés,  puis 
aussi  d'admettre,  pour  l'examen  des  faits  psychologiques,  le  point  de  vue 
du  parallélisme  :  «hypothèse  la  plus  commode  en  ce  sens  qu'elle  permet 
d'éliminer  tout  sous-entendu  métaphysique  et  de  se  placer  exclusive- 
ment en  face  des  données  de  fait,  et  aussi  qu'elle  maintient  l'origina- 
lité, incontestable,  des  deux  ordres  de  phénomènes.»  Inutile  de  dire  que 
nous  n'acceptons  pas  cette  conception  minimiste  de  la  science  psycho- 
logique. Cette  réserve  faite,  il  convient  de  louer,  dans  l'intéressant  et 
suggestif  ouvrage  de  M.  Malapert,  un  exposé  d'ensemble,  condensé, 
sagement  critique,  clairement  ordonné,  des  faits  que  nous  révèlent 
l'expérience  et  l'analyse  psychologique. 

La  psychologie  moderne,  nous  répète-t-on,  est  une  «psychologie  sans 
âme  ».  Mais  il  ne  suffit  pas  de  supprimer  l'âme,  il  faut  arriver  à  la 
remplacer.  M.  X.  Kostyleff  s'y  essaie  dans  son  livre  :  Les  subsliiuts  de 
Vdmc  dans  la  philosophie  moderne  (1).  «  La  notion  des  phénomènes 
psychiques,  nous  dit-il,  est  tout  à  fait  hétérogène  à  celle  du  substratura 
psychique  de  la  vie. On  croit  facilement  saisir  l'essence  même  d'un  phéno- 
mène psychique  en  poursuivant  les  excitations  nerveuses  dans  leur  pro- 
cessus de  pénétration,  jusqu'au  moment  où  elles  deviennent  conscientes  ; 
on  cherche  au  bout  de  ce  processus  les  substituts  physiques  de  l'âme, 
mais  on  est  forcé  d'avouer  que  les  données  psychologiques  —  les  images 
mentales,  les  souvenirs,  les  idées  —  y  restent  tout  à  fait  étrangères.  » 
Comment  donc  arriver  à  une  conception  générale  de  la  vie  mentale 
sans  «  la  grande  entité  et  les  petites  entités»  :  l'âme  et  ses  qualités? 
Ce  n'est  pas  facile  :  l'examen  critique  fait  par  M.  Kostyleff  des  théories 
proposées  nous  en  persuade  ;  et  la  théorie  particulière  du  même  auteur, 
et  qui  n'est  pas  si  neuve  qu'il  semble  le  penser,  nous  maintient  dans  la 
même  conviction. 

M.  Kostyleff  divise  son  ouvrage  en  quatre  parties.  Dans  la  première  il 
étudiela  conception  chimique  de  la  vie  d'après  Le  Dantec;  dansia  seconde, 
la  conception  mécanique  de  la  vie  d'après  Zehnder  ;  dans  la  troisième, 
la  critique  des  données  psychologiques  en  particulier  d'après  les  théories 
de  Mach.  Dans  la  quatrième  partie  de  son  étude,  Kostyleff,  adoptant  les 
théories  de  Mach,  les  perfectionne^  substituant  aux  unités  psycholo- 
giques un  groupement  de  réflexes.  Pour  lui,  la  vie  mentale  sera  parfai- 
tement et  scientifiquement  comprise  si,  à  l'idée  d'âme,  on  substitue 
l'idée  d'un  groupement  de  réflexes.  «  Il  suffit  de  remplacer  le  mot 
images  par  le  mot  réflexes  pour  que  la  loi  de  l'assimilation  fonction- 
nelle nous  explique,  d'une  manière  tout  à   fait  précise,  comment  ces 


1.  In-8o,  Paris,  Alcan,   1906. 


"328         REVUIC    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

derniers  peuvent  êlre  renforcés,  restaurés,  étayés,  etc.  Par  exemple,  un 
enfant  ayant  un  nombre  très  limité  de  réflexes,  ne  pourra  percevoir 
des  images  très  complexes.  Un  adulte  au  contraire  possédant  déjà  toute 
une  collection  de  réflexes  aura  des  images  plus  compliquées.  La  forma- 
lion  des  idées  abstraites,  des  jugements  s'expliquera  de  la  même  façon. 
Voilà  donc  scientifiquement  établie  l'unification  de  notre  savoir  tou- 
chant la  vie  psychique.  Ce  qui  au  «  profane  »  se  révèle  subjectivement 
comme  une  «  mosaïque  de  sensations  »,  n'est  objectivement,  et  pour  le 
savant,  que  l'ensemble  de  réflexes  périphériques  et  internes  qui  attei- 
gnent les  centres  corticaux.  »  Et  cela  même  est  le  véritable  substitut 
de  l'âme,  sa  seule  réalité. 

Véiilablement,  M.  KostylefT  se  contente  à  bon  compte.  Nous  le 
laisserons  à  sa  fragile  sécurité.  Son  livre,  d'ailleurs  très  ériidit  et  inté- 
ressant par  les  matériaux  scientifiques  qu'il  met  en  œuvre  et  la  critique 
des  conceptions  chimique  et  mécanique  de  la  vie,  ne  nous  apparaît  pas 
moins,  dans  ses  conclusions  positives,  comme  un  nouvel  exemple  des 
tentatives  infructueuses  de  «  la  psychologie  sans  âme  ». 

Le  D""  Rudolf  Eisler,  dans  son  livre  :  Leib  und  Seele  (1),  oîi  il  expose 
et  critique  les  théories  récentes  sur  les  rapports  du  physique  et  du 
mental,  fait  plus  de  cas  que  l'auteur  précédent  d'une  explication  psy- 
chique des  faits  psychologiques.  Partisan  d'un  parallélisme,  au  moins 
méthodique,  il  veut  qu'on  considère  les  faits  biologiquesd'unepart  et  les 
faits  de  conscience  d'autre  part, comme  une  série  causale  parallèle  à  une 
autre  série  causale,  chacune  formant  un  «  système  clos  ».  Pas  d'inter- 
action de  Tune  à  l'autre.  Une  pensée  ou  un  sentiment  fait  naître,  non  un 
mouvement,  mais  une  image  kinesthésique,  une  «  représentation  de 
mouvement  »,  à  laquelle  correspond,  mais  comme  extériorisation 
seulement,  la  modification  biologique.  Les  dispositions  organiques 
constituent  la  condition  nécessaire,  mais  non  suffisante,  des  faits  psy- 
chiques. Ce  principe  des  causations  distinctes  et  fermées  les  unes  les 
autres  devient  ainsi  une  règle  méthodologique  caractérisée  par  la  difTé- 
rence  des  recherches  psychologiques  et  des  recherches  biologiques. 

Ce  même  principe  des  causations  distinctes  permet  d'écarter  l'objection 
lirée  du  principe  de  la  conservation  de  l'énergie  ;  l'énergie  psychique 
n'ayant  rien  de  commun  avec  cette  énergie  physique  ou  biologique, 
tributaire,  selon  la  science,  du  principe  de  conservation.  Le  parallé- 
lisme permet  ainsi  de  concevoir  une  conservation  de  l'énergie  psychique 
totale,  parallèle  à  la  conservation  de  l'énergie  physique  totale. 

Mais  ce  parallélisme  ne  vaut  que  comme  méthode.  Il  se  résout 
philosophiquement,  selon  le  D""  Eisler,  en  un  monisme  idéaliste.  Le 
fait  physique  ou  biologique  n'est  qu'une  abstraction,  due  exclusivement 
à  la  considération  de  l'extériorisation  du  psychique.  D'autre  part  il 
faut  entendre  ce  monisme  idéaliste  comme  phénoméniste  et  non  subs- 
lantialiste,  le  substantialisme  soit  dualiste,  soit  monadiste  ne  reposant 
sur  aucune  donnée  de  l'expérience.  Et  le  D""  Eisler  fonde  son  opinion 
sur  une  théorie  de  la  connaissance  entendue  à  la  manière  du  criticisme 


1.  ln-8^',   Leipzis.   Barth. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  329 

pliénoméiiisle.  Une  des  conséquences  de  celle  posilion  est  ia  négation 
de  l'immorlalité  individuelle  :  s'il  n'y  a  que  des  états  du  moi,  et  non  un 
moi  substantiel,  ce  moi  empirique  devra  se  dissoudre  après  la  dissolu- 
tion du  vivant.  On  peut  admettre  en  revanche  une  immortalité  «supra- 
personnelle  »  de  Fâme,  par  limmortalité  des  oeuvres,  des  actions 
réciproques  des  individus,  de  l'humanité  au  sens  positiviste  du  mol. 

Il  faut  faire  deux  parts  dans  ces  conclusions  que  le  D"^  Eisler  prétend 
fondées  uniquement  sur  l'e.xpérience.  Celles  qui  contredisent  le  «  maté- 
rialisme psycho-physique  »  et  le  substanlialisme  dualiste  cartésien  sont 
acceptables  de  ce  chef.  Celles  qui  al»outissent  au  phénoménisme  idéa- 
liste et  à  sa  conséquence,  la  négation  de  l'immortalité,  sont  moins 
l'expression  de  l'expérience  que  l'interprétation  apriorislique  de 
celle-ci,  au  nom  du  criticisme  phénoménisle.  Et  à  cause  de  cela  même 
nous  ne  les  admettons  pas. 

La  thèse  subslantialisle  de  l'âme,  entendue  au  sens  thomiste,  vient 
d'être  défendue  avec  une  singulière  vigueur  par  M.  Ca.  A.  Dubray,  de 
l'Université  catholique  de  Washington,  dans  son  livre  :  The  Iheory 
of  psycJiical  dispositions  (1).  A  propos  de  la  question  spéciale  des 
dispositions  psychiques,  constatées  comme /a//s  dans  l'habitude  et  la 
mémoire,  l'auteur  établit  que,  pour  en  rendre  raison,  il  faut  admet- 
tre une  âme  substantielle,  forme  d'un  composé. 

L'auteur  commence  par  constater  les  faits:  notre  expérience  passée 
n'est  pas  complètement  disparue  ;  si  elle  peut  redevenir  présente,  c'est 
que,  dans  l'inlervalle,  quelque  chose  de  l'expérience  passée  est 
demeuré. 

Vient  ensuite  l'exposé  historique  du  problème.  Il  est  particulièrement 
remarquable  par  l'abondante  information  dont  il  témoigne.  Les  théories 
anciennes  sont  rangées  en  deux  groupes,  selon  que  le  fait  de  la 
rétention  est  attribué  à  l'âme  (Platon,  saint  Augustin,  Leibnilz,  l'École 
Ëf'ossaise,  etc.),  ou  plus  spécialement  attribué  au  corps  (Descartes, 
.Malebranche,  Locke,  Condillac,  etc.)  Les  théories  modernes  sont 
distribuées  en  trois  classes  :  celles  qui  admettent  la  nature  psychique 
des  dispositions  (Lolze,  Lipps,  etc.)  ;  celles  qui  proposent  une  explica- 
tion psycho-physique  (Ebbinghaus,  Hoffding,  Wundt,  James,  Baldwin, 
etc.);  celles  enfin  qui  donnent  une  explication  purement  physique 
i^Maudsley,  Ribot,  Richet,  Sollier,  etc.). 

Après  cet  exposé  historique,  l'auteur  examine  la  nature  des  disposi- 
tions psychiques.  Tout  le  monde  doit  reconnaître  que  la  disposition 
implique  deux  choses  :  un  état  actuel,  une  tendance  à  reproduire  un 
fait  de  conscience  passé.  La  disposition  passe  de  la  puissance  à  l'acte 
par  l'effet  d'une  excitation.  Inconsciente  par  nature  et  inexpérimentable 
directement,  elle  est  connue  par  ses  effets,  dont  le  principal  est  de 
faciliter  la  répétition  des  actes.  Voici  d'ailleurs  ses  principaux  carac- 
tères :  1°  Toute  disposition  est  une  modification  produite  par  un  état 
précédent  et  y  correspond  ;  elle  est  ce  qui  demeure  d'un  état  de 
conscience    ou   d'une  série   d'états  ;   2^  Elle  est   permanente  ;  elle   est 


1.  In-8o,  New-\ork,  Macmillan  and  Co. 


330         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

l'étape  enlre  deux  états  de  conscience  transitoires  ;  3°  Elle  est  latente, 
inconsciente,  connaissable  indirectement  par  ses  effets  ;  A"  Elle  se 
fortifie  parla  répétition  et  s'affaiblit  quand  celle-ci  fait  défaut  ;  5°  Sa 
direction  peut  changer,  par  exemple  dans  l'association  des  idées. 

Les  dispositions  psychiques  étant  conclues  comme  des  faits,  il  faut 
en  rendre  compte.  L'auteurexpose  et  rejette  successivement  les  théories 
modernes  deTépiphénoménisme,  du  parallélisme  psychophysique,  du 
monisme,  comme  incapables  de  justifier  ces  faits.  A  ce  même  point  de 
vue,  il  critique  la  théorie  du  «  courant  de  la  pensée  »  de  James  ;  — 
celle  de  Hume  :  le  moi,  faisceau  de  perceptions  successives  ;  — celle  de 
Stuart  Mill  :  la  série  des  états  de  conscience  se  connaissant  elle-même 
comme  série  ;  —  celle  de  Taine  :  le  moi,  tissu  continu  d'événements  ; 
—  celle  de  Bradley,  pour  qui  les  dispositions  ne  sont  pas  des  phéno- 
mènes, mais  des  fictions  légitimes  pour  expliquer  l'apparition  des  phé- 
nomènes, etc. 

Ces  théories  étant  éliminées,  M.  Dubray  établit  que  l'existence  des  dispo- 
sitions nous  force  à  admettre  un  être  permanent  (permanent  being)  qui 
conserve  les  dispositions  et  en  maintient  l'unité.  «La  conception  scolas- 
tique  de  l'âme  semble  remplir  les  conditions  requises  pour  une  théorie 
des  dispositions  psychiques.  Elle  ne  nous  fait  pas  connaître  ces  disposi- 
tions directement  et  immédiatement,  mais  elle  rend  leur  existence  pos- 
sible. Nous  avons  ainsi  un  sujet  permanent  et  identique,  qui  est  modi- 
fié dans  ses  diverses  facultés  par  les  dispositions  qu'il  reçoit,  un  sujet 
dont  les  opérations  sont  facilitées,  qui  peut  posséder  réellement  son 
passé,  le  conserver,  le  reconnaître  comme  tel...  Mais,  en  même  temps 
qu'elle  explique  la  possibilité  des  dispositions  purement  psychiques,  la 
théorie  ne  néglige  pas  néanmoins  les  dispositions  physiques.  »  Le 
corps  entier,  jusque  dans  ses  plus  petites  fibres,  est  pénétré  par  l'âme, 
et  tire  d'elle  toute  son  activité  ;  il  concourt  aux  fonctions  psychiques  en 
conservant  les  dispositions  nécessairement  psychopliysiques.  «  Ainsi, 
toutes  les  facultés,  dispositions  et  habitudes,  les  séries  organiques  et 
mentales,  le  corps  et  l'âme,  sont  combinés  en  une  harmonieuse  unité 
qui  fonde  la  réciprocité  de  leur  influence.  La  théorie  aristotélicienne  et 
scolastique  est  ainsi  moyen  terme  entre  le  dualisme  cartésien  et  le 
monisme  spinozisfe.  »  Elle  est  la  réponse  la  plus  satisfaisante  en  ce  qui 
concerne  l'explication  des  dispositions  psychiques. 

Acceptant  de  tous  points  cette  conclusion,  nous  ne  pouvons  que  féli- 
citer M.  Dubray  d'y  avoir  abouti  avec  autant  de  modération  que  de 
fermeté  et  le  louer  de  la  critique  érudite  et  objective  qu'il  a  faite  des 
théories  opposées  à  la  théorie  aristotélicienne. 

En  terminant  cette  revue  des  ouvrages  généraux  de  psychologie, 
signalons  le  livre  du  D"^  Grasset  ;  Introduction  physiologique  à  Vétudede 
la  Philosophie  (1)  qui  réunit  une  série  de  conférences  faites  à  la  Faculté 
des  Lettres  de  Montpellier  sur  la  physiologie  du  système  nerveux  de 
l'homme.  Ce  livre  <■  n'a  la  prétention  ni  d'enseigner  la  physiologie  du 
système  nerveux  aux  étudiants  en    sciences  et  en  médecine,  ni  de  rem- 


1.   hi-8"   avec  -47  figures  dans  le   texte;  Paris,  Alcan,   1908. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  331 

placer  renseignement  de  la  psychologie  aux  élèves  en  lettres  ;  il  n'a 
qu'un  but  :  essayer  de  fournir  aux  élèves  en  philosophie  de  la  Faculté 
des  lettres  une  introduction  physiologique  nécessaire  à  leurs  études 
philosophiques  ultérieures.  »  Personne  ne  pouvait  mieux  remplir  ce  but 
que  le  D""  Grasset,  physiologiste,  clinicien  renommé  et  averti  de  tous 
les  problèmes  psychologiques.  D'ailleurs,  les  conclusions  originales  de 
ses  ouvrages  antérieurs  se  retrouvent  dans  celui-ci:  distinction  du  système 
nerveux  d'avec  la  psychologie,  indépendance  delà  biologie  et  des  doc- 
trines philosophiques  ou  religieuses,  et  même  localisation  cérébrale 
distincte  des  deux  psychismes,  que  le  D'^  Grasset  maintient  toujours 
malgré  l'assaut  des  contradictions  retentissantes  que  cette  hypothèse 
lui  a  attirées.  A  remarquer  comme  très  suggestif  le  chapitre  sur  Vémolion 
et  la  mimique,  dans  lequel  l'auteur  se  prononce,  du  point  de  vue  phy- 
siologique, contre  la  théorie  physiologiste  et  la  théorie  intellectualiste  de 
l'émotion.  Pour  lui  l'émotion  est  un  processus  psychique  actif  spécial 
formé  de  deux  ordres  d'éléments,  également  constitutifs  de  l'émolion  : 
les  éléments  psychologiques  et  les  éléments  physiologiques. 

II.   —   MÉTHODES   PSYGHOX-OGIQUES. 

M.  Vax  Biervliet,  dans  une  série  darticles  parus  dans  la  Revue 
philosophique  (1),  a  fait  l'histoire  des  méthodes  de  la  psychologie 
moderne,  dite  scientifique.  Il  divise  cette  histoire  en  trois  périodes  : 
celle  de  la  psychopl)ysique  (Fechner),  celle  de  la  psychophysiologie 
(Wundt),  et  enfin  celle  de  la  psychologie  expérimentale  qui  dure  encore 
et  à  laquelle  —  selon  M.  Van  Biervliet  —  l'avenir  appartient.  Cette 
élude  dépasse  le  point  de  vue  historique  :  analytique  et  théorique,  elle 
nous  montre  la  genèse  des  méthodes  psychologiques  et  en  critique  les 
résultats.   Relevons-en  les  principales  conclusions. 

La  psijchophijsique.  —  La  question  posée  par  l'auteur  dans  cette 
première  étude  est  celle-ci  :  La  base  expérimentale  de  la  psychophy- 
sique est-elle  solide  ?  La  réponse  est  négative. 

Fechner,  considérant  l'homme  comme  une  machine  construite  d'après 
une  formule  mathématique  stéréotypée,  résolut  de  plier  aux  méthodes 
de  numérations  les  sciences  psychologiques,  et  ainsi  de  mesurer  les 
rapports  exacts  entre  l'âme  et  le  corps.  On  connaît  la  loi  qu'il  formula 
comme  résultat  de  ses  recherches  :  La  sensation  croit  (en  intensité) 
comme  le  logarithme  de  C excitation  qui  la  fait  naître  —  ou  plus  sim- 
plement :  Vexcitalion  croissant  en  proportion  géométrique  (telle  que  1,  2, 
4,  8,  16,  etc.),  les  sensations  correspondantes  croissent  seulement  en  pro- 
gression arithmétique  (telle  que  1,2,  3,  4,  5,  etc).  —  La  base  expérimen- 
tale sur  laquelle  Fechner  s'appuie  est  triple  :  les  travaux  de  Weber  et 
la  loi  qu'il  crut  en  pouvoir  déduire  ;  les  observations  et  les  recher- 
ches éparses  recueillies  dans  les  ouvrages  de  savants  qui  n'étaient  ni 
psychologues  ni  même  physiologistes  ;  enfin  les  recherches  systéma- 
tiques  de  Fechner  lui-même.  Cette    triple   base   était  insuffisante.  — 

1.  Janvier  1907,  pp.  1-32;  février,  p.  140-175;  juin,  pp.  561-592;  décembre. 
pp.  561-587;  janvier  1908,  pp.  48-70. 


332  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    TIIÉOLOGIQUES 

Weber,  à  la  suite  d'expériences,  avait  formulé  cette  loi  :  La  pluspelile 
différence  perceptible  entre  deux  excitations  de  même  nature  est  toujours 
due  à  une  différence  réelle  qui  croit  proportionnellement  avec  ces  excita- 
tions mêmes.  Or,  si  l'on  peut  admettre  sans  peine  que  des  différences 
perceptibles  sont  dues  à  des  différences  réelles  de  l'excitation,  et  encore 
que,  si  ces  excitations  croissent^  la  sensation  croît  en  même  temps,  il 
est  impossible  d'admettre  que  ces  deux  accroissements  soient  rigou- 
reusement proportionnels  suivant  une  valeur  mathématique  ;  et  ce  ne 
sont  pas  les  expériences  de  Weber  qui  pourraient  là-dessus  nous 
convaincre.  En  effet,  les  chiffres  exprimant  la  sensibilité  tactile  des 
diverses  régions  du  corps  ne  sont  nullement  constants,  les  hommes 
n'étant  pas,  comme  le  croyait  Weber,  des  macliines  vivantes  toutes 
semblables.  De  plus,  dans  ses  recherches  sur  la  sensibilité  à  la  pesan- 
teur, ses  expériences  ont  porté  sur  un  nombre  insuftisant  de  sujets  ; 
il  n'a  pas  tenu  compte  des  variations  moyennes  entre  les  différents 
résultats  obtenus  ;  enfin  la  valeur  des  fraction's  qui  expriment  les  diffé- 
rences de  poids  perçus  est  trop  approximative  pour  permettre  l'interpré- 
tation qu'il  en  propose.  —  La  deuxième  base  de  la  loi  de  Fechner  est 
elle-même  peu  solide  :  les  recherches  diverses  faites  par  des  mathémati- 
ciens comme  Bernouilli,  par  des  physiciens  comme  Bouguer,  Masson, 
n'avaient  pas  une  valeur  objective  sutfisante,  appuyées  qu'elles  étaient 
sur  des  expériences  peu  appropriées.  —  Les  recherches  de  Fechner  lui- 
même,  entreprises  pour  vérifier  la  loi  de  Weber,  sont  sujettes  à  caution  : 
il  n'a  expérimenté  que  sur  un  nombre  insuffisant  de  sujets  (sur  nu 
seul  pour  les  sensations  de  poids)  ;  le  dispositif  des  expériences 
laissait  grandement  à  désirer;  enfin  il  n'a  pas  tenu  comple  de  l'état 
psychologique  des  sujets  ni  surtout  de  leur  attention.  De  plus,  —  chose 
curieuse  —  tous  les  résultats  obtenus  par  Fechner,  dans  de  pareilles 
conditions,  sont  en  somme  contraires  à  la  loi  de  Weber, 

L'œuvre  de  Fechner  a  été  critiquée  par  Hering  et  Delbeuf  qui  en  ont 
montré  l'insuffisance  expérimentale  et  surtout  ont  réduit  la  portée  de  la 
loi  psychophysique.  «  Celle-ci,  a  pu  dire  Delbeuf,  sauf  pour  les  sensa- 
tions de  lumière  et  de  son,  est  une  fantasmagorie.  »  —  Si  Hering  et 
Delbeuf  ont  considérablement  ébranlé  l'œuvre  de  Fechner,  ils  n'ont 
pourtant  pas  nié  la  possibilité  de  faire  une  psychophysique,  et  avec  eux 
d'autres  savants  (Helmhollz,  Plateau,  Wundt,  Merkel,  Ebbiughaus, 
Stumpf,  Miinsterberg,  Féré)  ont  tenté  d'améliorer  la  loi  de  Fechner,  de 
perfectionner  sa  technique  expérimentale,  ou  bien  encore,  sa  formule 
même,  la  loi  logarithmique  et  les  diverses  expressions  mathématiques 
de  l'œuvre  du  physicien  de  Leipzig. 

Mais  tous  les  psychophysiciens  ont  commis  cette  erreur  fondamen- 
tale de  considérer  la  sensation  comme  un  phénomène  simple  et  élémen- 
taire. A  priori,  sans  doute,  on  peut  croire  possible  de  mesurer  la  sensa- 
tion ;  mais  concrètement  celle-ci  est  engagée,  selon  les  individus  et  les 
divers  états  d'un  même  individu,  dans  un  remous  de  sensations  conco- 
mitantes, de  souvenirs,  d'émotions,  et  la  réaction  ne  pourra  jamais 
être  prévue  selon  une  loi  absolument  fixe.  D'autre  part,  les  psychophy- 
siciens, hantés  par  la  conception  de  l'homme-machine  et,  par  suite, 
préoccupés  d'aboutir  à  une  formule  mathématique  uniforme,  n'ont  été 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  333 

altenlifs  qii'.mx  condilions  matérielles  de  leurs  expériences  et  ont 
négligé  les  précautions  qui  assui-ent  l'égalité  des  condilions  morales,  des 
dispositions  subjectives  des  sujets  observés.  De  là  la  médiocrité  des 
résultats  de  la  psychologie  quantitative  dans  sa  première  phase. 

La psrjchophiisiologie.  —  «  Tout  phénomène  conscient,  dit  Van  Bervliet, 
a  commencé  par  être  un  mouvement  extérieur,  lequel  est  lui-même 
devenu  courant  nerveux,  modification  des  centres  inférieurs  et  supé- 
rieurs ;  et  tout  phénomène  conscient  finit  par  une  modification  centrale 
motrice,  un  courant  nerveux  moteur  et  une  contraction  musculaire;... 
si  l'on  admet  que  la  phase  consciente  est  fonction  de  la  sensation, 
et  le  mouvement  fonction  de  la  phase  consciente,  il  semble  facile  de 
déterminer  et  de  mesurer  cette  phase  par  ses  deux  bouts  accessibles.  » 
C'est  ce  que  Wundt,  le  fondateur  de  la  psychophysiologie,  a  tenté  de 
faire,  en  mesurant  les  phénomènes  extérieurs  qui  précèdent  et  suivent 
les  processus  psychiques. 

Les  travaux  de  Wundt  et  de  ses  élèves  pour  mesurer  la  durée  des 
phénomènes  conscients  ont  donné  «  des  indications  plutôt  que  des 
résultats.  »  Le  temps  de  réaction,  le  plus  accessible  des  phénomènes 
psychiques  mesurés,  est  loin  d'être  fixé.  Toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
ce  temps  varie  considérablement  d'un  sujet  à  l'autre,  et,  chez  un 
même  sujet,  d'un  jour  à  l'autre,  voire  d'un  moment  à  l'autre.  Les 
recherches  sur  la  durée  des  phénomènes  conscients  plus  complexes, 
tels  que  le  choix,  les  représentations  simultanées  multiples,  les  asso- 
ciations, les  jugements,  aboutissent  à  des  résultats  encore  moins  appro- 
ximatifs que  pour  la  durée  du  temps  de  réaction.  «  Aussi  voyons-nous, 
dit  Van  Biervliet,  que  les  temps  de  réaction  simple  varient  du  simple 
au  double  pour  les  stimulations  de  son  ;  tandis  qu'ils  varient  du  simple 
au  quintuple  pour  la  durée  d'association,  et  cela,  chez  un  même  sujet.  » 

La  psychologie  expérimentale.  —  Les  psychophysiciens  trahissent 
encore,  dans  leurs  travaux,  des  préoccupations  métaphysiques.  AVundt, 
par  exemple,  voulait  surtout,  en  psychologie,  aider  l'introspection  en  y 
ajoutant  l'expérimentation  physiologique.  La  psychologie  scientifique, 
sous  sa  troisième  forme,  c'est-à-dire  la  psychologie  expérimentale, 
étudie  les  phénomènes  conscients  en  dehors  de  toute  préoccupation 
métaphysique,  et  seulement  comme  faits  mesurables  et  observables. 
Elle  est  née,  en  dehors  de  la  philosophie  proprement  dite,  de  la  mise 
en  commun  des  travaux  des  aliénistes,  neuropathologistes,  cliniciens, 
anthropologisles,  embryologistes,  psychologues  de  profession,  péda- 
gogues. En  plus  du  dessein  d'pcarter  de  ses  recherches  toute  préoccu- 
pation métaphysique,  la  psychologie  expérimentale  a  celui  de  rem- 
placer l'introspection  par  l'examen  objectif  du  plus  grand  nombre 
possible  de  sujets  variés.  Au  début  du  mouvement  de  cette  nouvelle 
psychologie  quantitative,  nous  voyons  préconiser  la  méthode  des 
questionnaires  qui  ont  pour  but  de  substituer  à  l'examen  subjectif 
privé  un  examen  public  portant  sur  des  centaines,  et  même  des 
milliers  de  personnes.  Puis  on  remplaça  le  questionnaire  écrit  par  le 
questionnaire  oral,  et  on  imagina  le  procédé  d'enquête  objective 
au  moyen  de  «  tests  »  ;  enfin,  dans  des  laboratoires  spéciaux,  on  insti- 
tua les  mêmes   expériences   successivement  sur  le  plus    grand  nombre 


334         BEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de   sujets,    marquant   avec   précision    les   variations   et   dressant    des 
moyennes. 

Aous  ne  suivrons  pas  M.  Van  Biervliet  dans  son  analyse  des  avan- 
tages et  des  désavantages  de  ces  méthodes  successives.  Notons  seule- 
ment avec  lui  que  celles-ci  sont  impuissantes,  quel  que  soit  leur  désir, 
à  éliminer  l'introspection,  car  ces  expériences  de  laboratoire  prétendues 
si  objectives,  c'est  encore  «  de  l'introspection  interprétée  deux  fois,  par 
le  sujet  d'abord,  par  l'expérimentateur  ensuite.  »  Disons  enfin  que 
nous  ne  partageons  nullement  la  confiance  exagérée  de  M.  Van  Biervliet 
en  l'avenir  de  la  psychologie  expérimentale  telle  qu'il  nous  la  décrit, 
et  telle  qu'il  la  vante,  comme  seule  scientifique.  Certes,  il  n'est  que  trop 
vrai  que  cette  psychologie,  qui  veut  obstinément  rester  quantative,  n'a 
rien  à  voir  avec  les  problèmes  transcendants  de  l'àme,  de  la  liberté, 
etc.  Aussi  bien,  on  ne  lui  demande  pas  son  intervention  dans  ces  pro- 
blèmes :  ses  résultats,  appréciables  dans  leur  ordre,  ne  vont  pas 
jusque-là.  Mais  est-ce  un  motif  pour  croire  que  ces  résultats,  très 
médiocres  à  l'heure  actuelle  mais  qu'on  escompte  pour  l'avenir,  sont 
appelés  à  devenir  la  seule  base  de  la  psychologie  complète  ?  Est-on 
vraiment  autorisé,  en  face  du  peu  que  l'on  a  obtenu,  à  garder  le 
naïf  optimisme  qui  fait  écrire  à  M.  Van  Biervliet  :  «  Actuellement  l'être 
humain  n'apparaît  plus  comme  une  entité  mystérieusement  formée 
sous  l'influence  des  causes  inaccessibles  »,  ou  encore  :  «  La  mentalité 
de  l'artiste  se  décompose  en  éléments  mesurables.  L'homme  le  plus 
intelligent,  le  plus  esthète,  le  plus  moral,  est  le  produit  de  la  culture 
de  certains  centres  particulièrement  développés  sous  l'action  du 
milieu,  renforcée  par  celle  de  l'hérédité.  »  De  telles  affirmations  sont 
bien  faites  pour  nous  persuader  que  la  psychologie  expérimentale,  telle 
qu'elle  est  pratiquée  la  plupart  du  temps,  reste  infidèle  à  son  point  de 
vue  de  se  départir  des  préoccupations  métaphysiques.  Tant  qu'elle  ne 
s'interdira  pas,  non  seulement  dans  l'intention,  mais  réellement  et 
pratiquement,  d'absorber  toute  la  psychologie  ;  tant  qu'elle  n'évitera 
pas  d'adjoindre  à  ses  recherches  des  préoccupations  aprioristiques  à 
couleur  matérialiste,  elle  compromettra  d'autant  la  portée  scientifique 
de  ses  résultats. 

Dans  un  article  de  la  Revue  Néo-Scolastique  intitulé  :  A  propos  de  la 
a  Méthode  d'introspection  »  dans  la  ps'jchologie  expérimentale  (1),  M- 
MiCHOTTE  étudie  quelques-unes  des  conditions  que  doit  avoir  la  «  méthode 
d'introspection  »  pour  devenir  une  méthode  expérimentale  véritable  et 
fournir  des  résultats  scientifiques.  Ses  considérations  portent  spécia- 
lement sur  la  'ï  méthode  indirecte  »,  dans  laquelle  «  l'excitation  produit 
indirectement  le  phénomène  »  et  dans  laquelle  aussi  «  l'observation  se 
fait  indirectement,  grâce  à  la  mémoire  immédiate.  »  Wundt  admet 
que  la  méthode  indirecte  peut  avoir  une  valeur  scientifique,  mais  à 
condition  seulement  que  les  événements  à  observer  soient  simples  et  de 
constitution  élémentaire.  Le  but  de  M.  Michotte  est  de  montrer  que  cette 
méthode  est  susceptible  de  se  développer,  qu'il  est  possible  de  l'em- 
ployer d'une  manière  vraiment  scientifique,  tout  en  la  faisant  porter  sur 

1.  Nov.  1907,  pp.  507-532. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  335 

les  phénomènes  plus  compliqués  des  activités  psychiques  supérieures. 
Et  l'auteur  répond  à  toutes  les  objections,  en  particulier  à  celles  élevées 
par  Wundt  contre  la  possibilité  de  l'application  de  la  méthode  indi- 
recte dans  le  domaine  indiqué.  «  Est-ce  à  dire,  écrit-il,  que  celle-ci 
pourra  à  elle  seule  aboutir  à  la  solution  de  tous  les  problèmes  psy- 
chiques élevés  ?  Il  serait  sot  de  le  prétendre.  Tel  n'est  pas  notre  point 
de  vue,  mais  il  nous  paraît  du  moins  que  la  méthode  doit  être  épuisée, 
qu'il  faut  tacher  de  lui  faire  donner  ce  qu'elle  peut.  »  Cette  étude  du 
professeur  de  l'Institut  de  philosophie  de  Louvain  se  recommande  par  sa 
clarté,   son  objectivité,   sa   technique  précise  et  sa  juste  modération. 

C'est  à  l'initiative  de  S.  É.  le  cardinal  Mercier,  alors  qu'il  dirigeait  ce 
même  Institut  de  Louvain,  que  le  R.  P.  A.  Gemelli,  0.  M.,  dans  sa  bro- 
chure :  Del  valore  dell  esperimento  m  psicologia  (1),  rapporte  l'intro- 
duction de  la  méthode  expérimentale  dans  les  études  psychologiques, 
chez  les  philosophes  catholiques.  A  son  tour,  le  R.  P.  vient  plaider,  à 
juste  titre,  la  nécessité  et  l'urgence  de  ces  recherches  expérimentales. 
Son  travail  comprend  l'histoire  rapide  de  la  méthode  expérimentale,  la 
mise  en  valeur  et  la  limitation  de  sa  portée  scientifique,  enfin  la  réfu- 
tation des  objections  de  quelques  pliilosophes  spiritualistes  en  défiance 
vis-à-vis  de  cette  même  méthode.  —  Notons  seulement,  dans  cet  inté- 
ressant travail,  l'accueil  bienveillant  que  fait  l'auteur  aux  données 
expérimentales,  mais  en  même  temps  les  sages  limites  qu'il  leur  impose, 
dans  les  services  qu'elles  peuvent  rendre  à  la  psychologie  complète, 
c'est-à-dire  à  la  science  de  l'âme.  Le  phénomène  psychique  étant  irré- 
ductible au  phénomène  physiologique,  l'étude  de  celui-ci  pourra  bien 
nous  renseigner  efficacement  sur  la  manifestation  extérieure  du  phéno- 
mène total,  sur  sa  genèse,  son  développement,  sa  durée,  ses  variations 
selon  les  individus  ;  elle  pourra  bien  compléter  l'observation  interne, 
mais  elle  ne  saurait  découvrir  les  lois  psychiques  dans  les  lois  de 
l'activité  somatique,  et,  à  plus  forte  raison,  aboutir  à  une  explication  sur 
la  nature  de  l'âme,  son  origine,  ses  rapports  avec  le  corps.  Le  R.  P, 
montre  la  médiocre  valeur  psychologique  des  découvertes  de  la  psycho- 
logie nerveuse,  signale  les  excès  de  l'expérimentation,  spécialement  en 
psychiatrie,  et  dans  l'étude  quantitative  des  processus  des  phénomènes 
supérieurs.  Ces  réserves  faites,  l'expérience,  en  psychologie,  se  présente 
comme  légitime,  scientifique  dans  son  ordre,  c'est-à-dire  soumise  à  des 
lois  rigoureuses,  celles  bien  connues  posées  par  Wundt  et  que  le  R.  P. 
approuve  pleinement.  Au  reste,  la  psychologie  aristotélicienne,  avec  sa 
doctrine  foncière  du  composé  humain,  restera  dans  la  ligne  de  son 
système,  en  adoptant  l'expérience  psychologique,  contenue  dans  de 
sages  limites. 

(Euvre  de  vulgarisation  plutôt  qu'étude  technique,  le  travail  du  R.  P, 
Gemelli  témoigne  néanmoins  d'une  solide  connaissance  de  la  psycho- 
logie contemporaine  et  des  principaux  résultats  de  ses  travaux.  En 
accueillant  ceux-ci  et  en  modérant  leurs  prétentions,  le  R.  P.  vise  à  la 
conciliation  entre  la  psychologie  traditionnelle  et  la  psychologie  nouvelle: 

1.  64  pages.   Milan,  La  Scuola  cattoiica. 


330         PEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

disons  qu'il  réussit  pleinement  à  nous  convaincre  de  la  légitimité   et  de 
la  nécessité  de  cet  accord, 

III.  —  Questions  Spéciales. 

I.  Le  Subconscient 

Le  problème  du  «  subconscient  »  ou  «.  inconscient  »  ou  «  subliminal  » 
reste  à  l'ordre  du  jour,  depuis  surtout  que  W.  James  a  cru  voir  dans  le 
subconscient  «  un  chaînon  médiateur  entre  le  divin  et  l'humain  »  et 
une  base  d'explication  psychologique  de  certains  faits  religieux,  comme 
celui  de  la  conversion.  Plusieurs  travaux  récents  ont  combattu  cette 
interprétation  «  mystique  »  du  subconscient,  niant  le  rôle  quasi  drama- 
tique que  certains  psychologues  lui  attribuent,  s'efTorçant  de  ramener 
aux  faits  connus  les  faits  extraordinaires  dont  on  prétend  qu'il  serait 
la  cause  mystérieuse, 

M,  A.  H,  Peirce,  dans  son  mémoire  :  An  appeal  f'rom  ihe  prevailing 
doctrine  of  a  delached  consciousness  (1),  attaque  avec  vigueur  la  théorie 
qui  vient  d'être  indiquée.  Ne  pas  faire  d'hypothèses  inutiles,  choisir 
l'explication  la  plus  simple,  se  régler  sur  la  loi  de  parcimonie  en  psycho- 
logie comme  dans  les  autres  sciences  :  tel  est  l'excellent  principe  qui 
commande  toute  la  critique  de  Peirce. 

Celui-ci  rappelle  d'abord  les  preuves  invoquées  pour  affirmer  l'exis- 
tence du  subconscient  ;  1°  faits  pathologiques  :  amnésie,  anesthésie, 
aboulie  des  hystériques,  retour  de  langues  oubliées,  souvenirs  que  le 
moi  normal  ne  reconnaît  pas  ;  2°  faits  normaux,  mais  inaccoutumés  : 
écriture  automatique,  vision  dans  le  cristal,  créations  du  génie,  etc. 
Tous  ces  cas  sont  explicables,  selon  Peirce,  non  par  le  subconscient 
entendu  à  la  manière  de  Myers  ou  de  James,  mais  seulement  par  des 
particularités  ei  dispositions  cérébrales.  Ainsi,  lécriture  automatique 
est  ramenée  à  des  désordres  cérébraux  comme  ceux  qui  rendent  raison 
de  la  chorée,  de  l'alaxie  locomotrice,  de  la  paralysie  générale;  la  vision 
dans  le  cristal,  aux  processus  nerveux  qui  résultent  dune  forte  atten- 
tion ;  les  troubles  de  la  personnalité,  à  une  irritation  permanente  due 
à  un  choc  antérieur  d'une  région  corticale  étendant  son  influence  à 
d'autres  régions  adjacentes  ;  et  ainsi  des  autres  faits  invoqués  :  élabo- 
ration du  génie,  souvenirs  renaissants  dans  le  rêve,  dans  l'hypnose, 
sous  l'influence  de  stimulants  et  de  narcotiques  :  les  conditions  suffi- 
santes de  tous  ces  faits  «  sont  cérébrales  et  seulement  cérébrales.  »' 

Deux  parts  sont  à  faire  dans  cette  critique  de  la  théorie  subliminale. 
On  peut  approuver  les  reproches  faits  à  celle-ci  d'avoir  invoqué,  pour 
rendre  compte  des  faits  dits  subconscients,  une  sorte  d'entité  mysté- 
rieuse à  laquelle  on  attribue,  dans  le  psychisme,  un  rôle  extraordinaire, 
et  que  l'on  décrit  par  des  métaphores  beaucoup  plus  qu'on  ne  l'explique 
véritablement.  Mais  est-ce  à  dire  que  la  théorie  cérébralisle  proposée 
par  Peirce  suffise  à  interpréter  ces  faits?  Mous  ne  le  pensons  pas  et 
nous  verrons  tout  à  l'heure  les  critiques  qu'on  peut  soulever  contre 
cette  théorie. 

1.  In-8o  36  p.;   Boston  et  New-York,   Hougtou  et   C». 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  337 

M.  Joseph  Jastrow,  dans  son  livre  The  Subconscious  {1),  réagit  égale- 
ment contre  la  théorie  de  ce  moi  subliminal,  dans  lequel  certains  voient 
un  double  du  moi  conscient,  un  facteur  spécial  dont  l'influence,  explo- 
sant en  des  circonstances  exceptionnelles,  mettrait  en  déroute  notre 
conscience  ordinaire  en  la  réduisant  au  silence.  Et  l'auteur  reprend 
tous  les  faits  mis  en  avant,  les  analyse,  les  précise,  expose  le  rôle  du 
subconscient.  De  cet  exposé  découle  cette  idée  générale  qu'il  n'y  a 
pas  en  nous  deux  activités  psychiques  indépendantes,  que  s'il  faut 
admettre  le  subconscient,  c'est  comme  une  fonction  naturelle  en 
rapports  intimes  avec  la  conscience,  sujette  avec  elle  aux  mêmes  influen- 
ces, partie  avec  elle  d'une  commune  synthèse.  Quant  aux  formes  anor- 
males de  la  vie  mentale,  bien  loin  de  s'associer  aux  facultés  les  plus 
hautes,  elles  se  manifestent  bien  plutôt  comme  des  défaillances  et  des 
perles.  Malheureusement,  les  conclusions  de  M.  Jastrow,  si  elles  ont  ce 
bon  résultat  de  contredire  le  rôle  exagéré  prêté  au  subconscient  par 
la  théorie  du  moi  subliminal,  s'appuient  sur  des  preuves  commandées 
par  des  à  priori  évolutionnistes.  D'autre  part,  la  nature  du  subconscient 
selon  M.  Jastrow  reste  imprécise.  On  ne  sait  s'il  opte  pour  la  théorie 
physiologique  selon  laquelle  l'inconscient  est  cérébral  et  ne  devient 
psychique  qu'en  cessant  d'être  inconscient,  —  ou  bien  pour  la  théorie 
qui  conserve  à  l'inconscient  des  caractères  psychiques,  mais  atténués  et 
réduits  à  l'extrême  limite. 

Dans  notre  précédent  Bulletin  de  Psychologie  nous  avons  eu  l'occa- 
sion d'analyser  l'ouvrage  de  W.  James  sur  V Expérience  religieuse  (2) 
et  d'exposer  les  critiques  qui  lui  ont  été  faites  par  M.  G.  Michelet  dans 
une  série  d'articles  en  cours  de  publication  dans  la  Revue  du  Clergé 
français.  M.  Michelet  vient  d'achever  l'examen  du  livre  de  James  et 
d'apprécier  l'application  de  la  théorie  de  la  subconscience  faite  par 
le  psychologue  américain  dans  le  but  d'expliquer  certains  phénomènes 
mystérieux  de  la  vie  religieuse,  comme  les  conversions.  Dans  les  deux 
derniers  et  remarquables  articles  (3)  de  M.  le  Professeur  de  l'Institut 
catholique  de  Toulouse,  relevons  spécialement  ce  qui  a  trait  à  la  théorie 
du  subconscient. 

Après  avoir  brièvement  esquissé  l'histoire  de  cette  théorie,  rappelé 
les  faits  normaux  et  pathologiques  dont  elle  veut  rendre  compte,  et  les 
applications  qu'on  a  été  amené  à  en  faire  dans  la  psychologie  reli- 
gieuse, l'auteur  examine  tour  à  tour  les  différentes  interprétations 
qu'on  a  données  ou  qu'on  peut  donner  sur  la  nature  de  ces  faits.  Les 
théories  qu'on  a  proposées  sont  ainsi  énumérées  :  1°  théorie  physiolo- 
gique des  faits  inconscients  ;  'i"  théorie  des  phénomènes  psychologiques 
sous-conscients  ;  3'^  théorie  animiste  de  faits  psychologiques  entière- 
ment inconscients. 

1°  Théorie  physiologique  des  [ails  inconscients.  —  D'après  cette  pre- 

1.  London,    Con&table:    Boston,    Hougton   in-12;   XI-549   pp. 

2.  Bev.  des  Se.  Ph.  et   Th.,   1907,  p.   326-334. 

3.  Rev.  du  Clergé  Français;  111  Les  faits  religieux  et  la  théorie  de  la 
subconscience,  15  nov.  1907,  pp.  379-410;  IV.  La  théorie  de  in  subconscience 
et  la  variété  des  expériences  religieuses,   l"-'''  janv.  1908,  pp.  2.5-47. 

2^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  2.  22 


338         RLVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

mière conception,"  tous  les  faits  inconscients  dont  il  est  question  doivent 
s"entendre  de  phénomènes  organiques  auxquels  la  conscience  peut 
s'ajouter  comme  un  luxe,  mais  qui  n'en  sont  pas  modifiés  dans  leur 
nature.  L'inconscient  existe,  mais  il  ne  peut  être  que  d'ordre  physiolo- 
gique. »  On  le  voit,  c'est  la  théorie  de  la  conscience  reflet,  de  la  cons- 
cience épiphénomène  (Huxley,  Maudsley,  Carpenter,  Ribot)  qui  est  à  la 
base  de  cette  explication  (1).  Si  les  faits  de  conscience  sont  essentielle- 
ment des  faits  physiologiques  qui  ne  deviennent  conscients  qu'acci- 
dentellement, par  épiphénomème,  par  éclairement  intérieur,  le  problème 
de  l'inconscient  n'offre  plus  de  difficulté.  L'inconscient  constitue  l'état 
premier  de  tous  les  faits  psychologiques  ;  tous  les  phénomènes  delà  vie 
normale  l'impliquent.  Quant  aux  phénomènes  anormaux,  ils  ne  font  que 
l'accuser  de  façon  plus  frappante  ;  et,  au  nom  de  la  loi  de  parcimonie,  on 
s'efforce  de  les  ramener  aux  faits  connus,  c'est-à-dire  de  se  servir  vis-à- 
vis  d'eux  de  l'explication  physiologique  ou  cérébrale. 

Pour  M.  Michelet,  «  certains  phénomènes  normaux  ou  anormaux 
contredisent  ouvertement  cette  interprétation  cérébraliste  »,  et  il  est 
impossible  de  revendiquer,  en  faveur  de  celle-ci,  la  loi  d'économie  dont 
elle  se  réclame.  Et  tout  d'abord  l'hypothèse  physiologique  n'est  nulle- 
ment simple.  La  nature  des  phénomènes  cérébraux  étant  loin  de  nous 
être  parfaitement  connue,  l'école  expérimentale  est  obligée  de  faire  inter- 
venir des  métaphores  à  la  place  des  explications.  De  plus,  l'hypothèse 
cérébraliste  est  en  désaccord  avec  la  méthode  scientifique.  Ainsi,  l'écri- 
ture automatique  ne  saurait  être  seulement  le  résultat  d'une  activité 
réflexe,  comme  la  chorée  ou  l'ataxie  locomotrice  ;  elle  témoigne  d'une 
intelligence  qui  connaît,  dirige,  discute.  De  même,  les  faits  de  somnam- 
bulisme spontané  ne  peuvent  se  ramener  à  un  pur  automatisme,  car  ils 
révèlent  nettement  une  intelligence  dans  la  coordination  des  actes, 
leur  adaptation  à  une  fin,  leur  modification  en  cours  d'exécution.  De 
même  encore,  les  dédoublements  de  la  personnalité  ne  sauraient  être 
la  conséquence  des  seules  lésions  corticales  :  il  faudrait  que  ces  lésions 
disparaissent  périodiquement  pour  expliquer  le  passage  ou  le  retour 
dune  personnalité  à  l'autre.  De  même  enfin,  les  phénomènes  de  céré- 
bration  inconsciente,  dont  il  faut  d'ailleurs  reconnaître  l'existence,  ne 
sauraient  se  résoudre  en  un  automatisme  cérébral  :  ce  serait  «  accorder 
à  la  cérébration  une  valeur  bien  supérieure  à  celle  de  1  intelligence 
ordinaire,  puisque  c'est  à  elle  que  l'on  rapporte  même  les  manifesta- 
tions du  génie.  » 

2°  Théorie  des  phénomènes  psychologiques  sous-conscients.  «  A  l'opposé 
des  philosophes  de  la  conscience  épiphénomène  qui  tendaient  à  réduire 
le  coté  psychologique,  les  partisans  de  la  seconde  interprétation  rappro- 
chent, jusqu'à  presque  les  identifier,    la  conscience   et  la  vie...  Loin 

1.  Signalons  avec  M.  Michelet,  le  remarquable  article  du  R.  P.  AIgntagne 
0.  P.  {Revue  thomiste,  mai  1907)  sur  l'exposé  d'ensemble  de  la  théorie  de 
.l'automatisme  conscient.  Le  R.  P.  montre  les  applications  qui  ont  été  faites 
de  cette  hypothèse  dans  les  théories  des  mouvements  automatiques,  des  émo- 
tions (Lange,  James),  et  dans  l'explication  des  diverses  formes  de  la  con- 
naissance. Nous  aurons  à  cœur  de  donner  un  compte  rendu  plus  détaillé 
de    cette   intéressante   étude,    quand   elle    sera   terminôo. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  339 

d'être  un  luxe,  la  conscience  leur  paraît  inhérente  à  toute  manifes- 
tation psychologique,  sinon  organique...  Il  faut  admettre  dans  l'homme 
une  multiplicité  de  centres  de  conscience.  A  l'arrière-plan  de  la  cons- 
cience principale,  vivent  dans  l'ombre  les  souvenirs,  les  images,  reliés 
en  synthèses  plus  ou  moins  cohérentes,  mais  accompagnés  d'une  véri- 
table conscience  ;...  leur  position  en  dehors  du  champ  ordinaire  d'aper- 
ception  nous  les  laisse  habituellement  ignorer  ;  mais  cette  inconscience 
n'est  que  relative,  et  seulement  vis-à-vis  du  moi  prédominant.  Ces  syn- 
thèses ont  leur  vie  propre,  leur  lumière  propre,  leur  action  propre... 
C'est  à  cette  manière  d'être  qu'il  convient,  nous  dit-on,  de  réserver 
proprement  le  nom  d'état  subconscient.  » 

Bien  qu'opposées  sur  la  nature  du  subconscient,  la  théorie  cérébra- 
liste  et  celle  des  sous-consciences  s'accordent  en  ces  points  :  toutes  deux 
nient  l'existence  et  la  distinction  des  facultés  de  l'âme,  le  moi  n'est 
qu'une  somme,  une  coordination,  une  continuité  d'états  psychologiques 
et  physiologiques;  toutes  deux  atïirment  l'impossibilité  de  phénomènes 
psychologiques  dépourvus  de  toute  conscience. 

L'hypothèse  de  la  multiplicité  des  consciences  est  acceptée  par  Colse- 
net,  Binet,  Pierre  Janet,  Flournoy,  Delacroix,  Myers,  Prince,  James, 
mais  avec  des  interprétations  différentes  sur  la  nature  et  l'origine  du 
subconcient.  Binet,  Pierre  Janet,  Delacroix,  Flournoy,  se  tenant  à  une 
explication  psychologique,  estiment  que  l'unité  de  conscience  est  le  fait 
primitif  ;  c'est  seulement  par  l'efTet  de  certaines  conditions  que  les  syn- 
thèses psychologiques  se  dissocient,  s'émiettent  :  la  multiplicité  en 
consciences  secondaires  n'est  donc  que  le  produit  d'une  scission  dans 
l'agrégat  primitif.  Pour  James  et  Myers,  qui  ajoutent  à  la  théorie  psy- 
chologique une  surcroyance  métaphysique,  «  ce  qu'il  y  a  de  primitif, 
c'est  le  subconscient,  ce  qu'il  y  a  de  secondaire,  de  dérivé,  c'est  la  cons- 
cience du  moi  ou  conscience  dominante,  résultat  d'une  adaptation  aux 
besoins  pratiques.  «  Cette  subconscience  non  exprimée,  primitive  et 
souterraine,  c'est  le  7noi  subliminal. 

Dans  la  discussion  de  l'hypothèse  de  la  sous-conscience,  M.  Michelet 
distingue  lui  aussi  l'explication  psychologique  et  la  surcroyance  méta- 
physique. Et  vis-à-vis  de  la  première,  il  marque  sa  position  dans  les 
trois  propositions  suivantes  :  1°  Il  existe  réellement  des  synlhèses  psy- 
chologiques, constitutives  de  l'idée  du  moi,  non  de  la  personnalité, 
réalité  métaphysique  supposée  par  ces  synthèses  ;  2°  Dans  les  synthèses 
s'effectuent  des  scissions,  des  désagrégations  ;  3°  Les  désagrégations 
n'entraînent  nullement  des  multiplications  ou  des  divisions  de  cons- 
cience. L'auteur  estime  que  la  doctrine  spiritualiste  sur  les  deux  pre- 
miers points  «  a  été  trop  nettement  présentée  »  par  M.  Piat  (La  personne 
humaine)  «  pour  qu'il  y  ait  rien  à  ajouter.  »  Il  s'applique  donc  exclu- 
sivement à  l'examen  de  la  troisième. 

La  théorie  de  la  multiplicité  des  consciences,  antérieure  à  toute  unité 
psychologique  et  à  ses  divisions  subséquentes,  est  éliminée  au  nom  de 
la  loi  de  parcimonie  :  no)i  sunt  entia  multiplicanda  sine  necessitale.  Rien 
ne  justifie,  sinon  des  vues  aprioristiques,  cette  floraison  de  petites  indi- 
vidualités de  conscience.  Quant  à  l'hypothèse  de  la  multiplication  des 
consciences  à  partir  de  l'agrégat  primitif,  elle  méconnaît  le  rôle  synthé- 


^40         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

tique  de  la  conscience.  «  Pourquoi  la  dissociation  des  synthèses  psycho- 
logiques, dit  M.  Michelet,  entraînerait-elle  l'émiettement  des  conscien- 
ces ?  Cette  conscience  n'est-elle  pas  un  éclairement  immatériel  qui  ne 
peut  être  découpé  en  parties?  Elle  constitue  une  aperceplion  simultanée 
par  le  sujet  des  pliénomènes  qui  sont  produits  en  lui  et  par  lui  ;  elle  est 
une,  en  vertu  même  de  l'unité  de  l'êlre  qu'elle  reflète  et  qu'elle  exprime. 
Supprimez  cette  unité  fondamentale  et  vous  supprimerez  à  la  fois,  et  la 
possibilité  des  synthèses  psychologiques,  et  la  saisie  par  l'esprit  de 
leur  association.  Il  n'y  a  de  coordination  possible  ([ue  par  une  unité 
antérieure,  bien  loin  que  la  coordination  puisse  créer  cette  unité.  Or, 
l'existence  même  de  cette  synthèse  et  le  fait  primitif  de  l'unité  de  cons- 
cience, cette  théorie  associationniste  est  dans  l'impossibilité  de  les  justi- 
fier. En  réalité,  elle  ne  peut  parler  d'émiettement  que  parce  qu'elle 
supposait  implicitement  que  chaque  fait  psychologique  était  accompagné 
de  sa  lumière  propre  et  qu'à  côté  du  faisceau  des  phénomènes  groupés 
momentanément,  il  y  avait  le  faisceau  de  leurs  clartés  :  d'où  facilité 
pour  rompre  celte  unité  factice.  »  Et  passant  à  un  bref  examen  des  faits 
pathologiques  sur  lesquels  la  théorie  de  la  multiplicité  des  consciences 
s'appuie  de  préférence,  l'auteur  montre  que  leur  analyse  témoigne  en 
faveur  de  l'unité  réelle  de  la  personne  humaine.  Les  scissions  produites 
dans  la  série  psychologique  «  ne  sont  jamais  complètes,  soit  parce 
qu'entre  les  groupes  il  y  a  des  points  de  contact,  des  tangences  et  même 
des  compénétrations,  soit  parce  que,  sous  la  multiplicité  phénoménale 
apparente,  l'unité  substantielle  persiste.  » 

3°  Théorie  animiste  des  faits  psi/clwlogiques  inconscients.  —  Cette 
position  se  distingue  à  la  fois  de  la  thèse  cérébraliste  et  du  système  de 
la  sous-conscience.  Elle  peut  sembler  se  rapprocher  de  la  premièi-e,  en 
ce  sens  qu'elle  admet,  comme  celle-ci,  que  la  conscience  n'est  pas  essen- 
tielle à  tous  les  phénomènes  psychiques,  et  que,  pour  elle,  le  subcons- 
cient doit  s'interpréter  dans  le  sens  rigoureux  d'inconscient  absolu  et 
non  pas  relatif,  comme  dans  la  théorie  de  la  sons-conscience.  Mais  ce 
n'est  là  qu'une  ressemblance  de  surface  ;  pour  le  cérébraliste,  «  sensa- 
tions, images,  mémoire  appartiennent  à  l'ordre  des  faits  physiologi- 
ques et  demeurent  tels  lorsque,  accidentellement,  ils  deviennent  cons- 
cients »  ;  pour  l'animiste  au  contraire,  ces  mêmes  faits  «  ont  des  condi- 
tions organiques,  mais  n'existent  que  comme  réalités  d'un  ordre  supé- 
rieur. »  De  plus,  pour  les  théoriciens  de  la  cérébration  inconsciente, 
il  y  a  des  jugements,  des  raisonnements,  des  volitions  véritablement 
inconscients;  pour  l'animiste,  la  possibilité  de  l'inconscience  est  restreinte 
aux  phénomènes  de  la  vie  sensible  :  sans  doute,  les  faits  intellectuels 
sont  plus  ou  moins  attentifs,  et  par  suite  plus  ou  moins  conscients  ; 
sans  doute  encore,  la  volonté  est  concrètement  influencée  par  des  ten- 
dances habituelles  ;  mais  cette  influence  n'est  pas  déterminisme,  et  dans 
les  faits  intellectuels,  pensée  est  inséparable  de  conscience. 

Certains  spiritualistes  ont  nié  à  priori  la  possibilité  de  phénomènes 
psychologiques  inconscients.  Mais  chez  eux  la  contradiction  témoigne 
de  la  persistance  des  postulats  cartésiens  de  la  pensée  essence  de  l'âme, 
et  par  suite  de  la  pensée  essentiellement  consciente,  de  la  confusion  entre 
l'ordre  de  la  vie  sensible  et  celui   de  la  vie  intellectuelle.  —  Quant  aux 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  341 

preuves  de  la  possibilité  de  l'inconscient  dans  le  domaine  restreint  de  la 
vie  sensible,  l'auteur  les  trouve  dans  les  différents  faits  normaux  et 
pathologiques  invoqués  par  les  deux  théories  précédentes  pour  soute- 
nir leur  hypothèse  respective.  Il  termine  en  invoquant  l'autorité  des 
philosophes  spiritualistes  (le  cardinal  Mercier,  MM.  Domet  de  Vorges, 
Farges,  Blanc)  qui  ne  trouvent  pas  impossible  de  concilier  la  psycholo- 
gie aristotélicienne  avec  l'interprétation  donnée  de  l'inconscient.  Celle- 
ci  s'accorde  avec  lu  théorie  générale  de  l'acte  et  de  la  puissance,  puisque 
les  faits  psychologiques  inconscients  demeurent  aptes  à  être  perçus  du 
sujet,  si  certaines  conditions  se  réalisent  ;  elle  cadre  particulièrement 
avec  la  théorie  thomiste  du  «  sensus  commuais  »  «  a  quo  percipiantur 
actiones  sensuum,  sicut  cum  aliquis  videt  se  videre.  » 

Nous  avons  suivi  avec  complaisance  M.  Michelet  dans  son  exposé 
critique  des  diverses  théories  sur  l'inconscient,  admirant  l'abondance 
de  son  information,  la  précision  de  ses  analyses,  la  fermeté  de  son 
argumentation,  la  souplesse  et  même  l'élégance  de  sa  langue  philoso- 
phique. Quelques  points  de  détail  auraient  pu  être  poussés  davantage, 
en  particulier  dans  l'exposé  de  la  théorie  animiste  ;  mais  la  vue  d'en- 
semble du  problème  de  l'inconscient,  dans  son  histoire,  son  exposé,  sa 
critique  des  diverses  hypothèses  (et  cette  appréciation  d'ensemble  était 
surtout  le  but  de  l'auteur)  nous  paraît  excellente  et  recommandable  au 
premier  chef.  Ces  mérites  d'ailleurs  doivent  être  relevés  à  l'endroit  de 
tout  le  travail  de  M.  Michelet  sur  L'expérience  religieuse  de  W.  James(l). 

2.  La  perception   extérieure. 

M.  H.  Dehove,  dans  une  série  d'articles  parus  dans  la  Revue  de 
Philosophie  (i)  »\ir  La  Perception  extérieure,  vient  de  tenter  la  «réhabili- 
tation »  du   perceptionisme,  ce  «  scandale  de  la  psychologie  actuelle  » 


1.  Le  cadre  du  présent  Bulletin  ne  nous  permet  pas  de  suivre  en  détail 
M.  Michelet  dans  sa  critique  de  l'application  de  l'hypothèse  du  subconscient 
à  l'explication  des  faits  religieux  des  conversions.  Disons-en  cependant  quel- 
ques mots.  On  a  vu  ce  qu'il  fallait  penser  de  l'iiypothèse  de  la  subconscience 
selon  James  :  elle  reste,  au  point  de  vue  psychologique,  une  hypothèse  gra- 
tuite et  non  proiivée  scientifiquement.  On  pourrait  déjà,  à  ce  titre,  récuser 
son  application  aux  phénomènes  religieux.  Mais  pour  mieux  établir  son 
insuffisance,  M.  Michelet  se  demande  :  A  supposer  qu'il  existât,  le  subcons- 
cient, à  la  manière  de  James,  pourrait-il  rendre  compte  de  l'origine  et  du 
caractère  des  faits  religieux?  et  il  répond  :  l'explication  de  l'origine  de  la 
religion  par  le  subconscient  ne  rend  pas  compte  de  la  spécificité  même 
du  fait  religieux;  les  conversions  lentes  s'expliquent  par  une  conviction 
raisonnée  et  non  par  la  poussée  du  subconscient;  dans  les  conversions  sou- 
daines obtenues  dans  l'Église  catholique,  les  circonstances  qui  les  précè- 
dent, les  accompagnent  ou  les  suivent,  sont  d'une  autre  nature  que  dans 
les  conversions  citées  par  James;  les  extases  diffèrent  des  autres  phéno- 
mènes psychologiques  par  leurs  causes,  leur  mode  de  connaissance,  et  leur 
mode  d'action  consécutif;  l'interprétation  métaphysique  du  subconscient,  don- 
née par  James,  ne  satisfait  ni  le  psychologue,  ni  le  théologien,  ni  le  mé- 
taphysicien. 

2.  L'enseignement  philosophicpe  :  Sur   la  inrception  extérieure;   octobre  et 
novembre    1906;    janvier    et   février   1907. 


•342         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

dont  la  seule  proposilion  «  est  décidément  offensive  des  oreilles 
modernes  ».  Cette  réhabilitation  est  fondée  :  1°  sur  la  critique  des 
théories  adverses  —  théorie  de  rilhision  et  théorie  de  l'inférence  ;  — 
2°  sur  l'examen  des  difficultés  que  l'idée  de  perception  directe  soulève 
et  qui  pourraient  bien  ne  pas  être  aussi  décisives  qu'on  le  prétend 
d'habitude.  Cette  étude  critique  est  très  finement  menée  par  M.  Dehove, 
avec  modération  et  avec  fermeté  tout  à  la  fois,  dans  un  slyle  un  peu 
abrupt,  mais  dont  la  rudesse  se  fait  oublier  en  raison  des  idées  origi- 
nales qu'il  enserre.  De  ces  idées  relevons  les  principales,  en  suivant  la 
marche  même  de  l'auteur. 

Le  problème  que  les  théories  de  la  perception  extérieure  veulent 
résoudre  est  celui  de  l'origine  de  l'idée  du  monde  extérieur.  Ce  pro- 
blème se  dédouble  ainsi  :  1"  il  s"agil  de  rendre  compte  de  l'idée  d'exis- 
tence distincte  en  général,  de  non-moi,  d'objet  indéterminé  ;  2°  il  faut 
montrer  comment  cette  idée  se  détermine,  se  remplit  pour  ainsi  dire  et 
devient  la  représentation  concrète  du  monde  extérieur.  C'est  sur  le  pre- 
mier point  que  le  perceptionisme  garde  une  position  très  forte,  selon 
M.  Dehove.  Et  c'est  en  regard  de  ce  premier  aspect  de  la  question,  qu'il 
va  critiquer  successivement  la  théorie  de  l'illusion  et  celle  de  l'infé- 
rence. 

1.  Critique  de  Tillusionisme.  —Si  l'illusionisme  explique  à  merveille 
comment,  une  fois  acquise  notre  première  idée  d'existence  distincte, 
nous  formons,  grâce  à  un  processus  d'associations  multipliées,  notre 
représentation  concrète  actuelle  du  monde  extérieur,  la  même  théorie 
est  incapable,  sans  pétition  de  principe,  d'expliquer  V acquisition  de 
notre  première  idée  d'existence  distincte. 

Pour  rilhisionisme,  toutes  nos  sensations  sont  d'abord  données 
comme  inhérentes  aux  organes  et  comme  faisant  partie  du  moi.  Com- 
ment donc  arrivent-elles  à  se  détacher  des  organes  et,  en  s'extériorisant, 
à  nous  apparaître  comme  un  non-moi  ?  Cette  projection,  selon  Rabier 
et  Taine,  a  lieu,  grâce  à  Tassocialion  de  ces  impressions  avec  l'idée  d'un 
mouvement  accompli,  c'est-à-dire  d'une  distance  parcourue.  C'est  ainsi 
que  la  première  association  entre  les  sensations  tactiles  et  visuelles  et 
l'idée  des  organes  où  se  rencontrent  leurs  conditions  immédiates  est 
vaincue  dans  le  sens  de  l'objectivité  par  une  seconde  association  entre 
les  mêmes  sensations  et  l'idée  du  mouvement,  c'est-à-dire  de  distance. 
Et  pourquoi  le  triomphe  de  cette  dernière  association?  Parce  que,  dit 
Taine,  notre  attention  se  portant  de  préférence  sur  l'association  qui 
nous  est  utile  et  non  sur  l'association  qui  ne  présente  pas  d'intérêt  pour 
nous,  il  arrive  que  l'association  entre  la  sensation  et  l'idée  de  l'organe 
s'efface  comme  inutile  tandis  que  l'association  de  la  sensation  et  de  ses 
conditions  extérieures  devient  prépondérante,  les  associations  intéres- 
santes et  profitables  au  sujet  tendant  à  subsister  seules  ;  et  ainsi,  à 
chaque  sensation  tactile  et  visuelle,  est  inséparablement  associée  l'idée 
d'un  objet. 

M,  Dehove  ne  trouve  pas,  et  ajuste  titre,  cette  explication  suffisante. 
Elle  échoue  dans  son  efTort  principal  qui  est  de  montrer  comment  l'idée 
du  non-moi.  de  l'objet,  naît  dans  notre  esprit.  Si  à  l'origine  mes  sensa- 
tions ne  sont  que  subjectives,   comment   revêtiraient-elles  l'apparence 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  343 

illusoire  d'objels?  Mon  propre  phénomène  ne  peut  m'apparaîire  comme 
un  objet,  si  je  ne  sais,  par  ailleurs,  ce  que  c'est  qu'objet;  je  ne  puis  le 
projeter  hors  de  moi,  si  je  ne  sais  auparavant  que  mon  moi  a  un 
dehors.  L'illusionisme  prend  donc,  à  un  certain  point  de  son  explica- 
tion, pour  accordé  ce  qui  est  en  question  et  fait  ainsi  une  pétition  de 
principe. 

Mais,  diront  les  illusionistes,  il  ne  s'agit  pas  d'associer  certaines  sen- 
sations privilégiées  à  l'idée  d'un  objet  extérieur,  d'un  non-moi,  mais 
simplement  à  l'idée  de  distance,  de  mouvement.  M.  Dehove  montre 
très  bien  que  cette  réserve  ne  se  maintient  pas  dans  les  explications 
données  par  les  psychologues  qu'il  combat  ;  ceux-ci  sont  peu  à  peu 
amenés  à  glisser  plus  loin  que  la  seule  idée  de  distinction  de  l'organe 
affecté  ;  ils  font  porter  l'association  sur  les  conditions  extérieures 
de  la  sensation,  par  conséquent  sur  l'objet,  le  non-moi,  et  ainsi  abou- 
tissent toujours  à  la  pétition  de  principe. 

L'association  n'explique  donc  pas  l'idée  d'objet  ;  elle  ne  fait  que  la 
postuler,  et  c'est  dire  qu'elle  ne  peut  en  rendre  compte.  Mais  l'illusio- 
nisme ne  se  tient  pas  pour  battu.  Avec  Taine,  il  revêt  un  aspect  nou- 
veau qui  semble  éviter  le  reproche  de  pétition  de  principe  qu'on  lui 
oppose  d'ordinaire.  Selon  la  théorie  ainsi  modifiée,  l'idée  d'objet  n'est 
pas  du  tout  arbitrairement  postulée,  pour  la  raison  fort  simple  que 
toute  sensation  est,  de  soi  et  par  nature,  objectivée  spontanément. 
Toute  sensation  est  essentiellement  hallucinatoire  ;  elle  ne  cesse  de 
l'être,  c'est-à-dire  de  s'objectiver,  qu'en  raison  de  représentations  con- 
currentes plus  fortes,  d'ordinaire  des  sensations  contradictoires  (réduc- 
teurs antagonistes)  qui  la  réduisent  à  l'état  de  pure  conception  subjec- 
tive, et  cela  en  vertu  d'un  mécanisme  psychologigue  que  Taine  appelle 
la  rectification.  Du  moment  que  la  représentation  n'est  pas  «  réduite  », 
elle  entraîne  par  soi  l'affirmation  de  sa  propre  objectivité  ;  qu'à  cette 
objectivité  corresponde  ou  non  un  réel  objectif,  peu  importe  à  la  ques- 
tion. Dès  lors,  le  problème  est  déplacé  et  transposé,  puisqu'il  s'agit  moins 
de  faire  comprendre  pourquoi  certaines  représentations  sensibles  s'ob- 
jectivent que  de  faire  comprendre  pourquoi  toutes  ne  s'objectivent  pas. 
Mais  pour  être  retourné  ce  problème  n'est  point  pour  cela  prouvé,  dit 
M.  Dehove.  Taine  ne  fait  reposer  sa  solution  que  sur  un  postulat  non 
démontré  :  l'objectivation  spontanée  des  images,  et  il  ne  nous  en  donne 
pas  la  preuve  dans  le  fait  que,  dans  l'hallucination  in  sensu  vnlgari,  oii 
il  n'y  a  certainement  qu'une  image,  le  jugement  d'extériorité  est 
impliqué. 

En  effet,  une  explication  ne  peut  s'affirmer  comme  la  seule  vraie  que 
si  elle  est  la  seule  manière  plausible  d'expliquer  les  faits  dont  elle  pré- 
tend rendre  compte.  Or  précisément  l'hypothèse  proposée  par  Taine 
n'est  pas  la  seule  manière  d'expliquer  les  faits  dont  il  s'agit,  et  l'on  n'a 
pas  démontré  que  la  liaison  de  l'image  à  la  perception  ne  puisse  pas 
représenter  un  rapport  de  dépendance  causale,  non  pas  de  la  perception  à 
l'image,  mais  de  toutes  deux  ensemble  à  une  cause  commune  qu'il  resterait 
à  déterminer.  En  d'autres  termes,  l'objectivation  spontanée  des  images  ne 
serait  point  innée,  mais  acquise.  Celle  seconde  hypothèse  est  aussi  plau- 
sible que  celle  de  Taine.  Mais  entre  les  deux  qui  décidera?  M.  Dehove 


;{44  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUKS 

croit  à  "  l'incontestable  supériorité  de  la  seconde  hypothèse  ».  i^a  pre- 
mière en  effet  tourne  dans  un  cercle  vicieux  :  «car  enfin  ces  réducteurs 
antagonistes  qui  refoulent  l'image  à  l'arrière-plan,  dans  la  sphère  des 
pures  conceptions,  pourquoi  et  comment  se  sont-ils  eux-mêmes  objec- 
livés?  Est-ce  en  vertu  de  la  même  illusion  foncière  et  originelle  ?  Mais 
alors  de  quel  droit  leur  accorder  la  primauté  ?  De  quel  droit  les  considé- 
rer comme  seuls  valai)les  à  l'exclusion  d'autres  images  qui  ont  exacte- 
tement  les  mêmes  titres  qu'eux,  à  se  faire  accepter  comme  objectives?... 
Avec  une  tendance  acquise  au  contraire,  les  réducteurs  antagonistes 
conservent  toute  valeur,  et  tout  danger  de  scepticisme  —  car  c'est  là 
qu'on  serait  finalement  acculé  — est  à  jamais  écarté.  » 

En  dehors  des  considérations  d'ordre  critique  qu'on  pourrait 
apporter  pour  rejeter  l'hypothèse  de  l'objectivation  spontanée,  il  reste 
un  (ail  d'expérience  inconciliable  avec  celle-ci,  le  fait  que  les  perceptions 
hallucinatoires  ne  renferment  aucun  élément  originel,  mais  qu'elles 
empruntent  tout  leur  contenu  aux  perceptions  vraies.  L'aveugle-né  n'a 
pas  d'hallucinations  visuelles:  le  sourd  de  naissance  n'a  pas  d'halluci- 
nations auditives.  Les  perceptions  vraies  ne  sont  donc  pas  explicables 
par  les  perceptions  hallucinatoires,  puisque  l'objectivité  fictive  et  ima- 
ginaire de  celles-ci  ne  se  comprend  que  par  l'objectivité  réelle  de 
celles-là. 

2.  Critique  de  la  théorie  de  iinférence.  —  Selon  cette  théorie  nous  ne 
percevons  originellement  que  les  états  du  moi,  nos  impressions  subjec- 
tives; mais  remarquant  que,  parmi  ces  états,  il  en  est  dont  nous  ne 
sommes  pas  maîtres  et  que  nous  ne  pouvons  modifier,  nous  sommes 
amenés,  par  application  du  principe  de  causalité  et  du  principe  de  subs- 
tance, à  aliéner,  puis  à  extérioriser  la  cause  de  ces  états.  Et  ainsi  naîtrait 
en  nous,  par  voie  d'inférence,  l'idée  d'objet,  de  non-moi. 

Abordant  la  critique  de  la  théorie  de  l'inférence,  M.  Dehove  refuse 
tout  d'abord  d'admettre  comme  décisive  l'objection  qu'on  oppose 
d'ordinaire  à  cette  même  tliéorie  :  les  animaux,  les  enfants  nouveau- 
nés,  incapables  de  raisonnement,  ont  pourtant,  malgré  cela,  l'idée 
d'objet  extérieur.  —  «  Il  n'y  a  aucune  nécessité,  réplique  l'auteur,  de 
supposer,  pour  expliquer  leur  conduite,  qu'ils  se  distinguent  nettement 
du  monde  extérieur  à  eux...  Il  est  probable  que  l'animal  ne  voit  pas 
les  choses  hors  de  lui,  pas  plus  d'ailleurs  qu'en  lui...;  il  n'a  sans  doute 
pas  plus  l'idée  du  monde  extérieur  que  de  son  propre  moi.  » 

Mais,  en  restant  sur  le  terrain  des  faits,  une  objection  plus  forte  se 
présente  contre  la  théorie  de  l'inférence:  il  y  a  des  phénomènes  inté- 
rieurs qui  en  nous  se  produisent  ou  disparaissent,  indépendamment  de 
notre  volonté,  «  qui  sont  en  nous  sans  nous  et  même  parfois,  malgré 
nous  »,  et  pourtant  nous  ne  les  aliénons  pas,  nous  ne  les  extériorisons 
pas,  par  exemple,  les  plaisirs,  les  douleurs.  —  Répondra-t-on  que  la  diffé- 
rence tient  à  ce  que  ces  derniers  états  sont  affectifs,  tandis  que  ceux 
queje  puis  aliéner  sont  représentatifs.  Mais  alors,  «ce  n'est  plus  parce  que 
ces  états  psychologiques  sont  indépendants  de  ma  volonté,  que  je  les 
extériorise,  mais  parce  qu'ils  sont  représentatifs  ;  tout  au  moins,  est-il 
nécessaire,  pour  que  l'extériorisation  ait  réellement  lieu,  que  ce  caractère 
représentatif  s'ajoute  à  la  simple  indépendance  par  rapport  au  moi.  Or 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  345 

voici  l'inconvénient,  semble-t-il:  comme  représentatif  équivaut  à  objectif, 
et  comme,  d'autre  part,  s'extérioriser  et  s'objectiver  c'est  tout  un,  cela  ne 
revient-il  pas  à  dire  que  ces  états  s'objectivent  parce  qu'ils  sont  objec- 
tifs, parce  qu'ils  s'objectivent?  »  C'est  donc  toujours  la  pétition  de  prin- 
cipe, le  même  naïf  appel  au  fait  de  l'objectivation  comme  donné,  quand 
il  faudrait  l'expliquer. 

Si  M.  Dehove  rejette  la  théorie  de  l'illusion  et  celle  de  l'inférencedans 
leur  explication  psychologique  du  passage  du  moi  au  non  moi,  il  recon- 
naît, de  bonne  grâce,  l'intervention  de  l'association,  de  l'illusion,  du 
raisonnement,  dans  le  mécanisme  de  la  perception,  même  normale. 
Mais  ce  rôle  ne  va  jamais  qu'à  «  intégrer  »  ou  à  corriger  la  perception, 
par  ailleurs  objective. 

3.  Critique  du  perce plionisme.  — «  C'est  dans  la  première  sensation  de 
résistance,  ou  plutôt  dans  la  première  rencontre  d'un  obstacle  extérieur 
faisant  échec  au  développement  spontané  de  notre  activité,  que  nous 
atteignons  le  non-moi  par  une  appréhension  immédiate,  par  une  per- 
ception directe  en  un  mot.  «  C'est  ainsi  que  M.  Dehove  définit  le  percep- 
tionisme,  et  il  le  défend  en  critiquant  les  objections  qu'on  lui  oppose. 

La  première  objection  est  d'ordre  scientifique  :  les  qualités  secondes 
^couleur,  son,  odeur,  etc.)  n'existeraient  pas  objectivement  ;  dans  la 
réalité  elles  se  réduiraient  à  des  vibrations,  à  des  mouvements.  — 
Réponse:  L'affirmation  scientifique,  à  supposer  qu'elle  soit  péremptoi- 
rement établie,  revient  uniquement  à  ceci,  que  les  qualités  secondes  ont 
pour  condition  des  mouvements,  ni  plus  ni  moins.  Elle  ne  peut  rien  dire 
de  plus,  à  moins  de  dépasser  son  point  de  vue  et,  au  nom  du  mécanisme 
métaphysique,  de  réduire  la  qualité  à  la  quantité.  —  Quant  aux  qualités 
premières  (étendue,  résistance)  il  est  bien  évident  que  l'objection  scienti- 
fique ne  saurait  les  atteindre,  puisque  c'est  justement  à  elles  que  les 
physiciens  mécanicistes  prétendent  ramener  toutes  les  autres,  dans  le 
monde  objectif. 

La  deuxième  objection  est  d'ordre  philosophique.  On  pourrait  aussi 
l'appeler  psychologique,  fondée  qu'elle  est  sur  l'impénétrabilité  de  la 
conscience.  Elle  ne  met  plus  seulement  en  question  la  réalité  du  fait  de 
la  perception  immédiate  des  objets  extérieurs,  mais  sa  propre  possi- 
bilité. La  conscience,  dit-on,  enfermée  en  elle-même,  ne  peut  pénétrer 
dans  les  objets,  ni  les  objets  en  elle.  Si  l'objet  pénètre  dans  la  conscience, 
ce  ne  peut  être  que  par  procuration,  en  se  faisant  image,  sensation. 
Or  la  sensation  est  un  état  du  moi  et  ne  peut  envelopper  une  existence 
distincte.  Il  est  donc  contradictoire  qu'une  réalité  étrangère,  par  hypo- 
thèse, à  la  sensation,  puisse  être  appréhendée  dans  la  sensation  elle- 
même.  —  Réponse  :  Cet  argument  est  un  cercle  vicieux  ;  toute  la  question 
est  précisément  de  savoir  si  la  sensation  n'est  que  subjective,  si  tout  ce 
que  nous  connaissons  ce  sont  nos  sensations  ;  présupposer  cela  comme 
établi,  c'est  démontrer  la  conclusion  par  elle-même.  Et  M.  Dehove  met 
en  lumière  le  malentendu  qui  se  trouve  derrière  celte  objection  et  qui 
réside  en  une  perpétuelle  confusion  entre  la  conscience  primitive,  spon- 
tanée, et  la  conscience  réfléchie.  11  est  clair  que  celle-ci  se  prend  elle- 
même  et  ses  propres  états  pour  objet.  Mais  la  conscience  réfléchie 
suppose  de   toute   nécessité  la  conscience  spontanée,    parce  qu'on  ne 


346         REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

commence  p;is  à  réfléchir,  parce  qu'on  ne  réfléchit  pas  en  l'air  et  à  vide, 
parce  que,  avant  de  réfléchir,  il  faut  qu'il  y  ait  quelque  chose  à  quoi 
puisse  s'appliquer  la  réflexion  et  que  la  réflexion  ne  peut  conséquemment 
pas  faire  naître  :  et  ce  quelque  chose  est  le  fait  psychologique  primitif, 
tel  que  l'accuse  la  conscience  spontanée  et  directe. 

Dans  la  dernière  partie  de  son  étude,  M.  Dehove  insiste  sur  l'abus  fait 
du  cogito  de  Descartespar  les  psychologues  idéalistes,  ceux-ci  ayant  vu 
dans  ce  cogito  une  première  donnée  représentative,  alors  que  pour 
Descartes,  c'était  là,  avant  tout,  une  fiction  critique,  un  point  de  départ 
critériologique.  —  Le  même  auteur  invoque  ensuite  en  faveur  du 
perceptionisme  l'autorité  de  Spencer,  de  Fouillée,  de  Bergson.  —  Enfin, 
il  termine  son  intéressante  étude  en  disant  que  si  le  perceptionisme 
consacre,  dans  une  certaine  mesure,  l'afïirmation  du  sens  commun,  du 
moins  il  ne  prend  point  celui-ci  pour  point  de  départ,  mais  y  aboutit,  ce 
qui  est  différent  et  ne  saurait  d'ailleurs  gêner  un  philosophe. 

Dans  la  même  i?euî<e  rfe  Philosophie  (1),  M.  P.  Charles,  après  avoir 
félicité  M.  Dehove  «  de  son  étude  approfondie,  impartiale  et  sagement 
modérée  »  conteste  plusieurs  de  ses  arguments.  Il  ne  veut  pas  que 
Spencer,  Fouillée  et  Bergson  soient  comptés  parmi  les  partisans  du 
perceptionisme,  et  il  nous  semble  avoir  raison,  au  moins  en  ce  qui  con- 
cerne les  deux  derniers.  Avec  raison  aussi,  il  reproche  à  M.  Dehove  de 
n'avoir  pas  solutionné  les  objections  métaphysiques  faites  à  la  thèse  tra- 
ditionnelle. iXous  exprimerons,  à  notre  tour,  le  regret  que  le  distingué 
professeur  de  la  Faculté  catholique  de  Lille  n'ait  donné  que  des  preuves 
négatives  du  bien-fondé  du  perceptionisme,  c'est-à-dire  les  raisons  cri- 
tiques de  rejeter  les  autres  théories  et  les  objections  principales  qu'on 
lui  oppose  —  et  à  ce  point  de  vue  son  étude  est  de  première  valeur.  — 
Mais  une  explication  détaillée  et  positive  du  mécanisme  psychologique 
du  perceptionisme  en  eût  complété  la  défense,  en  précisant  la  théorie, 
en  marquant,  par  exemple,  la  part  delà  relativité  possible  de  la  percep- 
tion directe,  même  vis-à-vis  de  son  objet  propre  ;  et  ainsi,  pensons-nous, 
auraient  été  solutionnées  d'avance  les  quelques  objections  de  détail 
apportées  par  M.  Charles,  et  sur  lesquelles  nous  n'insisterons  pas. 

Signalons  quelques  études  intéressantes  sur  les  modalités  ou  les  alté- 
rations de  la  perception  : 

Dans  la //(?yM(?  Philosophique  {"i),  M.  B.  Bourdon  (La  perception  du 
temps)  étudie  les  conditions  de  la  perception  proprement  dite  du  temps. 
Tout  phénomène  psychologique  est  susceptible  de  s'accompagner  d'une 
perception  de  durée.  Cette  perception  directe  n'a  lieu  que  dans  les 
courtes  durées  ne  dépassant  pas  quelques  secondes.  L'appréciation  du 
temps  se  fait  par  des  moyens  indirects  quand  il  s'agit  de  longues 
durées.  Bien  que  le  temps  et  l'espace  soient  très  souvent  associés  dans 
notre  expérience,  il  n'y  a  cependant  pas  ressemblance  de  nature  entre 
les  deux. 

Indiquons  encore,  dans  la  même  Revue,  l'article  de  E. -Bernard  Leroy: 


1.  Juin    1907.    L'ienseignement    philosophique.    Le    perceptionisme,    p.    632. 

2.  Mai    1907.    p.    449    et   suiv. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  347 

yalure  des  hallucinations  (1),  et  celui  de  M.  L.  Dupuis  :  L hallucination 
au  point  de  vue  psychologique  (2).  Selou  E. -Bernard  Leroy,  ni  l'intensité 
des  représentations,  ni  leur  localisation  dans  l'espace,  ni  la  richesse  des 
détails  imaginés,  ni  l'exagération  de  l'attention,  ne  sulfisent  à  caracté- 
riser ou  à  expliquer  l'hallucination  ;  mais  deux  conditions  paraissent 
nécessaires  pour  la  rendre  parfaite  :  1°  un  mode  de  succession  parti- 
culier des  groupes  d'images  ;  au  lieu  de  se  succéder  selon  les  lois 
psychologiques  normales  de  l'association  des  images  et  en  même  temps 
de  se  modifier,  au  gré  du  sujet,  sous  les  efforts  d'attention  volontaire, 
ces  groupes  d'images  apparaissent  comme  plus  ou  moins  indépendants 
de  ces  lois  ;  2°  une  sorte  de  déclanchement  spontané  de  l'attention 
automatique.  Ces  deux  conditions  ont  une  source  unique  :  l'exagération 
de  l'attention  automatique,  corporelle,  avec  diminution  de  l'attention 
volontaire.  —  M.  L.  Dupuis  critique  successivement  les  diverses  théories 
de  l'hallucination  ;  il  caractérise  celle-ci  comme  une  désagrégation 
spécifique  de  la  conscience  personnelle.  L'esprit  humain  n'a  que  deux 
façons  essentielles  d'être  halluciné,  parce  qu'il  n'y  a  en  lui,  comme 
possibles,  que  deux  diathèses  morbides  principales,  correspondant  à 
ces  deux  aspects  de  l'activité  psychologique  que  Janet  a  appelés  la  syn- 
thèse mentale  et  la  fonction  du  réel.  Parmi  les  hallucinations,  les  unes 
sont  caractérisées  par  la  tendance  à  sortir  du  moi  et  à  réaliser  la  cons- 
cience monoïdéique,  les  autres  se  forment  au  centre  du  moi  et  doivent 
être  considérées  conmie  des  efïlorescences  tardives  du  sentiment 
d'incomplétude,  comme  Tune  des  phases  embryogéniques  de  la  person- 
nalité délirante. 

Dans  le /ow/'?ifl/ f/e  Psychologie  normale  et  pathologique,  le  Docteur 
Waybaum  étudie  Les  caractères  affectifs  de  la  perception  (3).  Une 
grande  partie  de  nos  perceptions  sont  purement  représentatives,  tandis 
que  d'autres  ont  des  propriétés  affectives,  c'est-à-dire  aboutissent  à 
provoquer  une  émotion.  Parmi  celles-ci,  l'auteur  distingue  deux  grandes 
espèces  qu'il  examine  en  détail.  Dans  une  première  espèce  importante, 
la  perception  devient  affective,  parce  que  la  masse  de  stimulants  ou  de 
sensations  quelle  apporte  dépasse  notre  état  intellectuel  habituel,  ou  se 
trouve  en  contradiction  avec  lui.  Dans  une  seconde  catégorie  de  cas  non 
moins  fréquents,  la  perception  possède  le  ton  affectif  parce  quelle  ne 
fait  que  transmettre  l'état  affectif  venant  du  dehors. 

3.  L'attention. 

L'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques  avait  mis  au  concours 
pour  l'année  1905  le  sujet  de  VAttenlion.  Deux  mémoires  ont  été  récom- 
pensés, celui  de  M.  J.  P.  Nayrac  et  celui  de  M.  E.  Rœhrich.  Ils  ont  été 
publiés,  le  premier  sous  le  titre  :  Physiologie  et  Psychologie  de  V atten- 
tion (4)  ;  et  le  second  sous  celui  de  :  L'attention  spontanée  et  volontaire, 


1.  Juin    1907,  p.   593  et  suiv. 

2.  Ibid.,  p.   620  et  suiv. 

3.  Juillet-août    1907,    p.    289   et    suiv. 

4.  1  vol.   iii-8,  Paris,   Alcan,   1906,   223  p. 


348         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

son  fonclionnement,  ses  lois,  son  emploi  dans  la  vie  pratique  {i).  Ces 
deux  ouvrages  se  complètent  réciproquement  et  leurs  différents  points 
de  vue  en  se  prolongeant  Tua  l'autre  aboutissent  à  une  revue  générale 
et  à  une  mise  au  point  du  problème  psychologique  de  Yattention. 

Comme  le  dit  M.  Ribot  dans  sa  Préface  au  livre  de  M.  Xayrac,  celui- 
ci  a  voulu  «  établir  le  bilan  consciencieux  et  complet  des  études 
récentes  sur  l'attention  »  ;  pourtant  il  a  réussi  à  faire  plus  qu'une 
«  remémoration  »  :  prenant  part  lui-même  au  débat,  donnant  des 
conclusions  et  le  résultat  de  ses  recherches  personnelles. 

L'auteur  délimite  d'abord  sa  méthode,  puis  son  sujet.  Sa  méthode  ne 
sera  pas  purement  introspective,  «  la  psychologie  idéaliste  ayant  fait 
son  temps  »,  mais  elle  sera  principalement  «  extrospective  »  et  atten- 
tive surtout  aux  expériences  de  laboratoire  ;  ainsi  le  veut  le  courant 
de  la  psychologie  contemporaine.  Comment  d'ailleurs  M.  Nayrac  ne 
suivrait-il  pas  ce  courant,  puisqu'il  est  moniste  matérialiste,  —  tout 
son  ouvrage  le  prouve  —  l'idéation  n'étant  pour  lui  que  le  résultat  delà 
structure  fine  du  cortex  psychique,  c'est-à-dire  du  cerveau  tout  simple- 
ment. Par  suite,  l'histoire  de  la  question  de  l'attention  dans  la  psycho- 
logie ancienne  ne  l'intéresse  pas  :  «  le  passé  ne  peut  nous  éclairer 
intelligemment  sur  les  conditions  actuelles  de  notre  problème.  »  Abor- 
dant donc  lui-même  «  de  façon  intelligente  »  ce  problème,  il  étudie 
d'abord  la  physiologie  et  la  psychologie  normales,  puis  la  physiologie  et 
la  psychologie  pathologiques  de  l'attention,  ensuite  la  rééducation  et 
l'éducation  de  l'attention. 

L'attention  s'accompagne  de  réactions  organiques  et  le  chap.  II, 
Physiologie  de  l'alteniion,  les  passe  en  revue,  avec  abondance,  préci- 
sion et  clarté  :  immobilité  relative  et  tension  volontaire  des  muscles, 
augmentation  de  l'acuité  des  sens  externes,  accélérations  ou  inhibitions 
respiratoires  et  circulatoires,  vaso-dilatation  cérébrale,  modifications 
thermiques,  variations  de  la  pression  sanguine,  de  l'hypoglobulie, 
perturbations  viscérales  diverses,  modifications  chimiques  variées, 
phénomènes  de  fatigue  physique  et  psychique.  Après  avoir  parlé  de 
l'influence  des  toniques  du  système  nerveux  sur  l'attention,  l'auteur 
parle  des  oscillations  indispensables  qui  l'accompagnent,  de  sa  persis- 
tance atténuée,  mais  non  éteinte,  durant  le  sommeil.  Examinant  ensuite 
le  problème  de  l'origine  centrale  ou  périphérique  de  l'attention,  il  se 
prononce  pour  la  théorie  de  l'origine  centrale,  se  séparant  ainsi  de 
M.  Ribot.  Tout  acte  d'attention  provoque  immédiatement  des  phéno- 
mènes physiologiques  centraux,  lesquels  se  trouvent  accompagnés, 
mais  par  voie  de  conséquence  seulement,  de  phénomènes  périphé- 
riques. 

hdi  psychologie  de  l'allention  est  moins  étudiée  et  moins  clairement 
décrite,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  psychologie  philosophique  de 
l'attention.  Celle-ci  ne  saurait  constituer  une  faculté  spécifique,  circons- 
crite. —  Et,  pour  le  dire  en  passant,  M.  Nayrac  a  une  véritable  phobie 
des  facultés  «  à  cloisons   étanches  »  ;  il  en  exagère  à  plaisir  la  signifi- 

1.  1   vol.  in-16,  Paris,  Alcan,   1907,   174  p. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  349 

calion  (parlant  par  ex.  de  celte  volonté,  sorte  de  «  déité  égarée  dans  le 
corps  de  Thomme  »)  sans  doute  pour  se  donner  raison  de  les  redouter, 
comme  si  jamais  l'ancienne  psychologie,  en  posant  les  facultés,  avait 
pensé  briser  par  là  l'unité  de  l'activité  psychique  !  —  L'attention  n'est 
donc  pas  une  faculté,  elle  ne  se  confond  pas  non  plus  avec  la  volonté; 
mais  avec  celle-ci  et  avec  l'efTort  psychique  elle  constitue  le  groupe  de 
«  l'adaptation  menlale  »  dont  elle  est  le  moment  intermédiaire.  Cette 
adaptation  mentale  est  donc  un  même  phénomène  à  triple  face,  un 
tout  à  trois  attributs  :  effort,  attention,  volonté.  Tout  cela  reste  bien 
vague,  aussi  approuvons-nous  pleinement  cette  critique  qui  a  été  faite 
de  la  position  de  M.  Nayrac  :  «  L'adaptation  mentale  est  plutôt  un  efTet 
de  l'attention  ;  même  en  certains  cas,  celle  adaptation  dérive  de  l'ins- 
tinct, parfois  de  l'habitude,  sans  qu'on  puisse  l'altribuer  en  propre  à 
l'attention .  F'aire  de  l'elTort,  de  l'attention,  de  la  volonté,  les  trois 
moments  d'un  même  phénomène,  c'est  préjuger  la  nature  intime  de  ce 
phénomène,  que  d'ailleurs  M.  Nayrac  pose  comme  organique  en  fait; 
c'est  formuler  une  distinction  inadéquate,  puisque  M.  Nayrac  distingue 
l'attention  spontanée  et  l'attention  volontaire  ;  c'est  formuler  une  dis- 
tinction inintelligible,  puisque  M.  Nayrac  nie  le  libre  arbitre,  et  ainsi 
on  ne  voit  plus  en  quoi  la  volonté  diffère  de  l'effort  et  de  l'attention  (1)  » 

L'auteur  continue  la  psychologie  de  l'allenlion  en  nous  parlant  de 
ses  degrés,  de  ses  objets,  de  ses  formes.  L'attention  est  susceptible 
d'une  infinité  de  degrés  qu'il  est  bien  difficile  de  saisir  avec  netteté, 
car  «  elle  est  subordonnée,  dans  son  intensité,  à  la  qualité  de  l'obser- 
vateur, à  la  nature  de  l'objet  et  à  toute  autre  condition  physique  et  psy- 
chique. »  «  Elle  peut  se  manifester  sous  la  forme  spontanée  ou  volon- 
taire, parce  qu'elle  correspond  ainsi  à  ses  deux  objets  principaux  : 
1°  l'objet  sensoriel  ;  2°  l'objet  intellectuel.  L'attention  spontanée  est  le 
plus  souvent  en  rapport  avec  la  qualité,  la  spécificité  de  chacun.  L'atten- 
tion volontaire  est  la  création  même  de  l'homme,  elle  constitue  son 
meilleur  instrument  d'investigation  scientifique  ;  elle  crée  en  outre 
«  l'attention  habituelle  »  qui  a  pour  but  d'économiser  noire  effort  et 
qui  nous  permet  d'employer  ailleurs  notre  activité.  »  En  résumé, 
rattention  apparaît,  «  comme  un  phénomène  général  à  mécanisme 
actif  qui  se  caractérise  par  la  concentration  volontaire  ou  involontaire 
de  notre  activité  psychique  ou  organique,  au  profit  d'une  idée  ou  d'un 
groupe  d'idées.  »  Et  ces  dernières  lignes  contiennent  la  définition  la 
plus  claire  de  l'attention  que  nous  ayons  trouvée  dans  ce  chapitre  de  la 
Psychologie  de  l'attention;  mais  enfin  nous  sommes  peu  renseignés 
sur  la  nature  même  de  ce  «  phénomène  général  à  mécanisme  actif  », 
les  explications  proposées  ne  nous  satisfaisant  pas,  pour  les  raisons 
susdites. 

Après  avoir  étudié  la  physiologie  et  la  psychologie  normales  de  l'atten- 
tion, M.  Nayrac  en  examine  la  physiologie  et  la  psychologie  patholo- 
giques, c'est-à-dire  sa  dissolution  progressive  dans  certains  états 
morbides. 

Les  facultés  psychiques  étant  sous   la   gouverne   de   l'attention,  dès 


1.  Lucien   Roure.   BuUefin    de   Psychologie,   p.   338.    Étndef!,   20  oct.    1907. 


350  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

que  celle-ci  disparait,  celles-là  disparaissent  à  leur  tour.  Et  l'organisme 
traduit  une  désagrégation  analogue.  Les  mélancoliques,  excités, 
maniaques,  délirants,  etc.,  qui  sont  gravement  atteints  dans  leurs  fonc- 
tions physiologiques,  sont  précisément   les   plus   pauvres  en  attention. 

L'auteur  détaille  les  divers  troubles  présentés  au  cours  des  maladies 
mentales  par  les  sens  extérieurs,  la  respiration,  la  circulation,  les  fonc- 
tions digeslives,  etc. 

Au  point  de  vue  psychologique,  il  indique  cinq  grandes  étapes  de  la 
dissolution  de  l'attention,  correspondant  à  cinq  groupes  correspondants 
de  maladies.  La  première  série  de  malades  mentaux  (psychasténiques, 
hystériques,  persécutés,  etc.)  se  caractérise  par  l'existence  encore 
presque  intacte  de  l'attention  spontanée,  mais  avec  abolition  presque 
complète  de  l'attention  volontaire  et  permanence  toutefois  de  l'atten- 
tion affective.  La  deuxième  (paralytiques  généraux,  déments  simples 
et  crétiniques)  comporte  une  diminution  très  sensible  de  l'attention 
spontanée  et  de  l'attention  sentiment.  Dans  la  troisième  (hypocon- 
driaques, déments  avancés,  excités  maniaques,  etc.),  la  désagrégation  de 
l'attention  volontaire  se  révèle  nettement  avec  l'idée  fixe,  l'obsession, 
le  monoïdéisme  involontaire,  ou  bien  les  malades  ne  vivent  psychique- 
ment  que  par  la  spontanéité  et  l'impulsivité.  Dans  la  quatrième  (persé- 
cutés typiques,  mélancoliques  anxieux)  l'attention  se  désagrège  de  plus 
en  plus.  Dans  la  cinquième  (idiots,  aphasiques,  etc.)  l'attention  propre- 
ment dite  disparaît  (1). 

Dans  un  dernier  chapitre  l'auteur  traite  de  la  rééducation  de  l'atten- 
tion, exposant  les  moyens  de  refaire  plus  ou  moins  le  pouvoir  d'atten- 
Ijon  ;  —  enfin  il  indique  les  règles  psycho-pédagogiques  qui  doivent 
présider  à  l'éducation  de  l'attention. 

En  résumé  l'ouvrage  de  M.  Nayrac  nous  laisse  l'impression  d'un  très 
sérieux  travail  d'érudition,    dont  le  plus  grand  intérêt  est   dans   l'ex- 


1.  Il  est  inadmissible  —  en  se  plaçant  au  strict  point  de  vue  psychologique 
—  de  ranger  les  mystiques,  comme  le  fait  M.  Nayrac,  sous  la  même  rubrique 
qne  les  idiots  et  les  aphasiques  au  psychisme  le  plus  appauvri.  Qu'il  y 
ait  des  psychasténiques  et  des  déments  à  obsession  mystique,  nul  ne  le 
nie;  mais  que  tout  mysticisme  soit  un  état  morbide,  voilà  qui  est  niable 
tout  simplement.  Il  suffit  du  reste  de  citer  certaines  assertions  de  M.  Nayrac 
pour  en  faire  apprécier  l'esprit  estra-scieutifique  :  «  Le  mystique  qui  pour- 
suit avec  acharnement  le  monoïdéisme  mental  ou  la  vision  en  Dieu,  qui  est 
impatient  de  réaliser  l'unité  de  son  être  avec  la  personnalité  du  Créateur, 
en  arrive  rapidement,  quoique  progressivement,  à  l'anesthésie  et  à  la  dis- 
location générale  de  son  inteUigence.  Au  lieu  d'élargir  le  champ  de  son  action, 
il  le  limite  à  un  tel  point,  qu'il  fiait  par  glisser  lourdement  dans  un  monde 
infini  et  sans  issue  »  (p.  Iô8\  et  plus  loin  :  «  entre  le  mystique  en  extase 
et  l'idiot  qui  contemple  béatement  un  troupeau  qui  passe,  il  n'y  a  aucune 
différence;...  le  mystique  en  extase  a  une  attention  aussi  vague  que  celle 
qui  caractérise  le  dégénéré  commun  »  (p.  177).  —  La  différence,  au  contraire, 
est  totale,  et  même  elle  ne  saurait  être  plus  radicale  :  si  le  monoïdéisme  du 
béat  stupide  est  l'absence  même  de  toute  attention  volontaire,  celle-ci  n'ayant 
pas  de  quoi  s'appliquer,  le  monoïdéisme  d'une  saint©  Thérèse  en  extase  est 
précisément  conditionné  par  l'attention  volontaire  la  plus  concentrée  qui  se 
puisse  imaginer.  Si,  chez  la  sainte,  la  distraction  et  l'inattention  existent  vis- 
à-vis  de  ce  qui  n'est  pas  la  réalité  divine  qu'elle  contemple  et  vers  laquelle 
toute  son  affectivité  est  tendue,  ce  n'est  là,  précisément,  que  la  conséquence 
de   cette   concentration   d'attention   vers   l'objet   supérieur   qui  la  captive. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  351 

posé  d'ensemble  de  la  situation  actuelle  de  la  question  de  l'attention, 
au  point  de  vue  surtout  des  expériences  qu'elle  a  provoquées  et  dont 
l'auteur  établit  le  bilan  et  les  résultats  acquis.  Le  point  de  vue  psycho- 
logique estécourlé,  et  les  conclusions  sur  la  nature  même  de  l'attention 
restent  vagues.  Enfin  des  préoccupations  aprioristiques  de  système 
viennent  parfois,  dans  le  cours  du  livre,  influencer  les  explications  et 
les  faire  dévier  de  la  stricte  rigueur  scientifique; 

L'ouvrage  de  M.  Rœhrich  sur  l'attention  offre  plus  d'intérêt  psycho- 
logique que  le  précédent,  bien  qu'il  n'égale  pas  celui-ci  en  fait  d'éru- 
dition et  de  renseignements  touchant  l'aspect  physiologique  et  les 
formes  pathologiques  de  l'attention.  M.  Rœhrich  s'est  proposé  d'étudier 
les  phénomènes  de  l'attention  tels  qu'ils  se  présentent  à  l'observation 
psychologique,  sans  se  préoccuper  «  des  problèmes  métaphysiques  qui 
peuvent  surgir  à  ce  sujet  »,  sans  prendre  parti  dans  le  débat  entre 
monistes  idéalistes  et  dualistes,  entre  phénoménistes  kantiens  et  réa- 
listes. »  Parmi  ceux-ci,  en  efTet,  les  uns,  renonçant  à  connaître  la  chose 
en  soi,  doivent  conclure  que  l'attention  est  une  activité  qu'on  ne  peut 
définir  :  ce  qui  est  «  se  contenter  à  bon  compte  »  ;  les  autres  ramenant 
lout  à  des  facteurs  d'ordre  sensible,  en  appellent  aux  progrès  futurs  de 
la  physiologie  pour  éclaircir  les  derniers  mystères,  inexpliqués  aujour- 
d'hui :  ce  qui  est  «  se  faire  de  singulières  illusions  ».  Se  gardant  de 
pareilles  aventures,  M.  Rœhrich  déclare  s'en  tenir,  dans  son  étude  de 
l'attention,  au  «  réalisme  naïf,  consistant  dans  une  description  des 
données  immédiates  de  l'expérience,  sans  aucune  ingérence  des  opi- 
nions philosophiques  de  l'observateur,  ou  d'une  théorie  quelconque  sur 
la  relation  du  psychique  et  du  physique,  »  Incomplète,  à  notre  avis, 
comme  méthode  de  psychologie  générale  philosophique,  ce  point  de  vue 
restreint  a  pourtant  ses  avantages  dans  l'étude  spéciale  d'un  phénomène 
aussi  complexe  que  l'attention. 

L'auteur  part  d'une  définition  usuelle  de  l'attention  :  «  l'état  psy- 
chique d'unepersonne  consciente,  qui,  spontanément  ou  volontairement, 
fait  un  elîort  pour  connaître  un  ou  plusieurs  objets  sensibles,  une  ou 
plusieurs  idées,  à  l'exclusion  d'autres  objets  ou  d'autres  idées.  »  D'après 
cette  définition,  l'attention  est  spontanée  ou  volontaire.  Dans  l'attention 
spontanée,  «l'initiative  ne  vient  jamais  du  moi,  mais  toujours  d'une 
cause  extérieure  qui  surprend  ou  sollicite  le  moi.  »  Dans  l'attention 
volontaire,  «  l'initiative  vient  du  moi  qui  se  propose  de  mieux  con- 
naître. » 

Sur  cette  définition  et  cette  division,  de  sens  commun,  dirions-nous, 
se  fonde  la  division  de  l'ouvrage.  La  première  traite,  en  cinq  chapitres, 
de  l'attention  spontanée  ou  involontaire  ;  la  seconde  partie,  en  deux 
chapitres,  de  l'altention  volontaire,  de  ses  caractères  et  de  son  fonction- 
nement. 

Vattention  spontanée  peut  revêtir  deux  formes  :  être  primitive  ou 
aperceptive.  L'attention  primitive,  c'est  «  l'état  psychique  du  moi  qui 
après  avoir  subi  le  choc  d'une  impression  sufTisamment  vive,  cherche 
à  connaître  l'objet  ou  le  fait  d'oii  lui  est  venue  cette  impression.  »  «  Elle 
se  manifeste  sous  la  forme  d'une   simple  réaction   sensorielle   accom- 


352         REVUE    DES   SCIEN'CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

pagnée  ou  suivie  d'un  jugement  élémentaire,  car  elle  a  toujours  pour 
fin  un  acte  de  connaissance.  »  Elle  résulte  directement  de  la  tension 
musculaire  qui  caractérise  l'adaptation  sensorielle  ;  car  elle  s'exerce 
surtout  dans  le  domaine  des  cinq  sens  ;  quand  l'attention  dépasse  ce 
domaine,  elle  prend  une  autre  forme. 

L'attention  primitive  joue  un  grand  nMe  dans  la  vie  pratique  :  elle  est  à 
la  base  de  tout  travail  scientifique  ;  provoquée  par  des  moyens  métho- 
diques (metteurs  en  scène,  réclamistes,  charlatans  de  toutes  sortes),  elle 
excite  l'intérêt  du  public  ;  elle  est  obligatoire  dans  l'éducation  des 
jeunes  enfants  ;  l'art  lui-même  vise  à  frapper  l'attention  primitive.  Il  y 
a  des  lois  de  l'attention  primitive  concertée  ;  en  voici  quelques-unes  : 
elle  ne  dépend  pas  du  degréd'intensité  du  stimulant  objectif,  mais  de  son 
degré  de  vivacité  ;  pour  qu'elle  se  produise,  il  faut  que  l'adaptation  de 
l'organe  sensoriel  au  stimulant  objectif  aboutisse  à  un  jugement  ou  à 
une  interprétation  quelconque  vraie  ou  fausse,  exacte  ou  approxi- 
mative ;  -  la  mesure  du  temps  qui  s'écoule  entre  l'impression  objective 
etla  réaction  du  sujet  sous  forme  de  jugement  est  plus  longue  dans  le 
cas  d'une  surprise  que  si  l'impression  est  attendue,  etc.  11  y  a  aussi  des 
règles  pratiques  de  provoquer  méthodiquement  l'attention  primitive  :  il 
faut  prendre  soin  que  les  impressions  successives  aillent  en  progressant, 
soit  en  intensité,  soit  en  vivacité  ;  —  il  faut  veiller  à  ce  que  chaque 
impression  isolée  soit  bien  nette,  etc. 

L'attention  par  aperceplion  est  une  forme  particulière  de  l'attention 
spontanée  :  u  c'est  l'état  d'un  homme  dont  l'attention  est  éveillée  par 
l'apparition  d'une  impression  ou  d'une  notion  nouvelle  parmi  les  im- 
pressions et  les  notions  préalablement  accumulées  dans  le  cerveau.  » 
Tandis  que,  dans  l'attention  primitive,  la  réaction  consistait  en  un  étal 
avant  tout  physiologique,  une  tension  musculaire  de  l'organe  sensoriel, 
suivie  et  complétée  par  un  jugement  élémentaire,  dans  l'attention  aper- 
ceptive,  nous  nous  trouvons  en  face  d'une  fonction  d'ordre  intellectuel 
qui  a  pour  but  d'absorber  une  représentation  ou  une  idée  nouvelle  dans  la 
masse  des  idées  existant  dans  l'esprit.  Voici  le  mécanisme  de  l'attention 
aperceptive  :  1.  A  un  moment  donné  il  existe  dans  l'appareil  mental  des 
masses  associées  de  notions  et  d'impressions  ;  2.  Le  choc  d'une  impres- 
sion nouvelle  a  pour  etfet  de  tirer  de  l'état  d'inconscience  un  ou  plu- 
sieurs groupes  de  notions  analogues  d'entre  celles  qui  sont  accumulées 
dans  la  mémoire,  et  de  les  ramener  à  l'état  de  conscience  ;  3.  A  ce  mo- 
ment il  se  forme  un  état  de  tension  sous  forme  de  curiosité,  d'attente, 
d'intérêt  ;  4.  Enfin  il  se  fait  une  absorption  de  la  notion  nouvelle  dans  la 
musse  des  notions  préexistantes.  Cette  dernière  opération,  qui  est  l'aper- 
ception  proprement  dite,  constitue  ou  ébauche  un  acte  de  connaissance. 

L'attention  aperceptive,  comme  l'attention  primitive,  peut  être  con- 
certée, c'est-à-dire  provoquée  méthodiquement,  dans  l'art  oratoire  et 
l'art  dramatique,  dans  la  littérature,  dans  la  pédagogie  surtout.  En  voici 
les  règles  :  «  Pour  qu'il  y  ait  aperception,  il  ne  suffit  pas  qu'une  notion 
soit  nouvelle,  il  faut  qu'elle  semble  nouvelle  ;  »  —  «  pour  faciliter l'aper- 
ception,  il  faut  que  la  notion  nouvelle  soit  semblable,  mais  non  pas  iden- 
tique aux  notions  acquises  ;  »  —  «  les  notions  nouvelles  doivent  se 
relier   aux   notions  anciennes    au    moyen  de  transitions   consistant  en 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  3o3 

notions  intermédiaires  procurant  une  série  ascendante  d'éclaircissements 
successifs  ;» —  entre  deux  points  culminants  de  l'attention  aperceptive, 
il  faut  ménager  un  temps  d'arrêt.  . 

La  seconde  partie  de  l'ouvrage  de  M.  Rœhrich  traite  de  l'attention 
volontaire.  Celle-ci  a  pour  élément  essentieWe/y'or/  voulu.  Mais  cela  ne 
suffît  pas,  car  TefTort  voulu  intervient  dans  une  foule  d'actes  qui  n'ont 
rien  de  commun  avec  l'attention.  Il  faut  y  adjoindre  deux  autres  élé- 
ments distincts  :  Vanticipation  d'un  but,  c'est-à-dire  la  représentation 
au  moins  approximative  de  la  chose  f[u'on  veut  mieux  connaître,  puis  le 
choix,  c'esl-à-dire  la  détermination  élective,  entre  plusieurs  objets  ou 
entre  plusieurs  idées,  de  l'objet  ou  de  l'idée  que  l'attention  veut  mieux 
connaître.  Après  avoir  étudié  les  ditïérents  aspects  de  ces  éléments  dis- 
tinclifs  de  l'attention  volontaire,  l'auteur  décrit  le  fonctionnement  de 
celle-ci,  ses  rapports  avec  la  mémoire,  l'aperception,  l'observation,  dis- 
tingue l'attention  directe  de  l'attention  indirecte,  l'attention  fixée  sur  un 
objet  de  l'attention  partagée  ou  distributive,  c'est-à-dire  se  dirigeant 
sur  plusieurs  objets  sans  rien  perdre  de  son  énergie. 

En  terminant,  M.  Rœhrich  indique  le  lien  réel  et  intime  entre  toutes 
ces  formes  de  l'attention  :  elles  contiennent  toutes  une  parcelle,  si 
petite  qu'elle  soit,  de  tension  d'effort  ou  de  volition  et  elles  aboutissent 
toutes  à  des  jugements  ou  à  des  actes  de  connaissance. 

L'ouvrage  dont  nousvenons  de  suivre  les  principales  idées  est  certai- 
nement très  riche  en  analyses  psychologiques.  Le  chapitre  sur  l'atten- 
tion aperceptive  est,  à  ce  point  de  vue,  particulièrement  remarquable. 
Et  pourtant  une  obscurité  demeure  sur  la  nature  même  de  l'attention. 
M.  Rœhrich,  comme  tout  à  l'heure  M.  Nayrac,  ont  contribué,  chacun  à 
leur  manière,  à  nous  montrer  la  complexité  même  de  ce  phénomène 
psychologique,  à  en  détailler  les  divers  éléments  composants  et  les  diffé- 
rents aspects  ;  mais  leurs  intéressants  travaux  laissent  subsister  entière 
la  solution  de  l'ancienne  psychologie  :  Vétat  d'attention  n'est  pas  le  fait 
d'une  faculté  spéciale,  c'est  seulement  un  mode  intensif  de  la  représen- 
tation, conditionné  soit  par  l'intensité  ou  par  la  nouveauté  de  l'objet, 
comme  dans  l'attention  spontanée  primitive  ou  aperceptive,  soit  par  une 
détermination  volontaire  élective,  dans  un  but  de  connaissance  plus 
informée,  comme  dans  l'attention  volontaire  (1). 

4.  L'Association  psychologique. 

On  sait  le  rôle  exagéré  donné  à  l'association  dans  l'école  phénomé- 
niste  et  positiviste  :  tous  les  phénomènes  psychologiques  doivent 
trouver  leur  explication  dernière  dans  l'association  ;  celle-ci  est  l'anté- 
cédent premier,  l'élément  psychologique  le  plus  simple,  dont  tous  les 
autres  phénomènes  seraient  des  complications  dérivées.  M.  SoLLiER,dans 

L  Le  professeur  Pillsbury  a  écrit  récerameat  un  ouvrage  sur  L'Atten- 
tion (in-12,  Paris,  Douin),  gui  ne  manque  pas  d'intérêt  :  recension  d'une 
multitude  de  faits,  critique  des  théories  qui  prétendent  expliquer  le  phéno- 
mène d'attention.  Toutefois  la  théorie  fiersonnelle  du  professeur  Pillsbury 
reste  imprécise.  Faut-il  croire  qu'il  la  résume  complètement  quand  il  dit  : 
l'attention  «  n'est  rien  de  plus  que  l'action  réciprocpie  des  différentes  cellules 
nerveuses?  »  Cela  n'est  vraiment  pas  suffisant. 

26  Année.  —  Revue  des  .Sciences.  —  N"  2.  25 


354  REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

SOQ  livre:  Essai  critique  et  théorique  sur  lassociation  en  psychologie  {i), 
vient  de  reprendre  ce  problème  de  l'association,  dans  le  but  de  subs- 
tituer une  théorie  nouvelle  aux  théories  anciennes  qu'il  croit  défec- 
tueuses. 

Deux  parties  peuvent  être  distinguées  dans  cet  ouvrage:  une  étude 
critique  du  phénomène  de  l'association  et  des  théories  proposées  pour 
l'expliquer,  puis  l'exposé  de  la  solution  particulière  de  l'auteur, 
appliquée  aux  différents  aspects  de  la  question. 

Un  premier  reproche  que  l'on  doit  faire,  selon  M.  Sollier,  aux  asso- 
ciatiouistes  est  d'avoir  restreint  outre  mesure  les  phénomènes  de  l'acti- 
vité psychique  capables  d'être  soumis  aux  lois  de  l'association.  On  a 
restreint  celles-ci  arbitrairement  et  par  une  erreur  de  méthode  fonda- 
mentale, à  l'association  des  idées,  des  représentations,  tandis  qu'il 
importe  d'examiner  avec  autant  de  soin  l'association  des  mouvements, 
celle  des  sensations,  tant  avec  des  sensations  de  même  ordre  ou  d'ordre 
différent  qu'avec  des  images  et  des  représentations,  celle  des  sentiments 
et  celle  des  états  affectifs  ou  émotionnels,  comme  celle  des  états  cénes- 
thésiques.  —  Cette  restriction  du  champ  de  l'association  s'applique  égale- 
ment à  l'étude  d'ensemble  de  ce  phénomène.  Les  associationistes  n'ont 
guère  considéré  que  la  «  reviviscence  »  des  étals  de  conscience,  ou  l'évo- 
cation des  idées  et  représentations,  tandis  qu'ils  passaient  sous  silence 
les  phases  de  la  création,  de  la  conservation,  de  l'évolution,  qui  sont 
pourtant  des  plus  importantes  et  exigent  une  étude  spéciale  et  attentive. 
: — Quant  aux  définitions  qui  ont  été  données  de  l'association  elles  pèchent 
toutes  par  quelque  endroit.  On  ne  doit,  selonM.  Sollier,  considérer  comme 
phénomène  d'association  que  celui,  «  où  deux  (ou  plusieurs)  événements 
psychiques  (cérébraux),  conscients  ou  inconscients,  surgissent  toujours 
simultanément  ou  dans  un  ordre  de  succession  nécessaire  et  invaiiable, 
réversible  ou  non.  » 

L'auteur  établit  ensuite  le  bilan  des  recherches  faites  jusqu'à  ce  jour 
touchant  l'association.  Les  points  admis  se  résument  à  bien  peu  de 
chose,  en  dehors  de  simples  constatations  de  la  façon  dontse  présentent 
les  associations.  Les  psychologues  ne  s'accordent  que  sur  la  nécessité 
de  ramener  à  l'unité  les  lois  de  l'association,  encore  voyons-nous  autant 
de  modes  proposés  de  réduction  que  d'auteurs.  Ils  s'accordent  encore 
quand  il  s'agit  d'étudier  expérimentalement  les  conditions  qui  favorisent 
ou  entravent  le  développement,  la  force,  la  vitesse  des  associations,  la  fré- 
quence relative  de  leurs  diverses  formes  ;  mais,  au  reste,  les  expériences 
de  psychométrie  entreprises  dans  ce  but  ne  font  guère  que  confirmer 
ce  que  déjà  nous  donnait  l'observation  vulgaire.  —  Quant  aux  points 
controversés  entre  psychologues,  on  peut  signaler  l'existence  des  asso- 
ciations médiates,  celle  des  représentations  libres,  celle  surtout  des  lois 
mêmes  de  l'association,  c  Les  lois  qu'on  a  données  de  l'association  des 
idées  et  au  nom  desquelles  on  prétendait  expliquer  très  simplement  le 
mécanisme  de  la  pensée,  sont  non  seulement  contestées  et  contestables, 
mais  ne  présentent  même  aucun  des  caractères  inhérents  à  une  loi. 
Ce  ne  sont  que  de   simples  formules,   inexactes  souvent,   insuffisantes 

1.  Paaris,  Alcan,  1907.  (Leçons  faites  à  l'Université  Nouvelle  de  Bruxel- 
les pendant  le  semestre  d'liiv«r  1904-1905.) 


BULLETIN"    DE    PHILOSOPHIE  355 

toujours,  des  formes  sous  lesquelles  nous  apparaît  rassocialion.  Elles  ne 
sont  en  aucune  façon  explicatives  du  phénomène  associatif,  ni  même 
des  associations  d'idées  qu'elles  visent  seules.  La  loi  de  contiguilé, 
dernier  rempart  de  l'association  psychologique,  est  elle-même  battue 
en  brèche,  car  la  contiguïté  n'explique  pas  plus  pourquoi  et  comment 
une  association  s'établit  et  se  reproduit,  que  la  ressemblance,  la  succes- 
sion ouïe  contraste,  sans  compter  les  représentations  libres.  Ces  soi- 
disant  lois  sont  surtout  très  incomplètes,  car  elles  laissent  de  côté  un 
nombre  considérable  de  facteurs  de  Tassociation.  »  M.  SoUier  passe 
ensuite  en  revue  un  certain  nombre  de  contradictions,  non  entre  les 
auteurs,  mais  chez  tel  ou  tel  auteur  se  servant  tour  à  tour  d'assertions 
contradictoires.  —  Il  signale  enfin  les /acM/res  dans  les  divers  travaux 
sur  l'association  :  celle  des  recherches  sur  Tassociation  des  sentiments, 
des  états  affectifs  et  cénesthésiques,  des  mouvements,  soit  entre  eux, 
soit  avec  les  autres  modes  d'activité  psychique  ;  celle  des  rapports  de 
l'association  avec  la  psychologie  individuelle,  avec  la  personnalité  ; 
celle  enfin  des  phases  de  conservation,  d'organisation,  de  systémati- 
sation des  associations.  Toutes  ces  recherches  spéciales  ont  été  presque 
entièrement  omises  par  les  associalionistes. 

Après  la  critique  des  résultats,  celle  des  théories.  On  peut  ramener  à 
quatre  les  conceptions  qui  peuvent  être  proposées  pour  expliquer  le 
phénomène  de  l'association  :  1°  Conceptions  psi/ckologiques  ;  2°  Concep- 
tion anatomique  ;  3°  Conceptions  physiologiques  ;  4"  Conception 
dynamique.  L'auteur  élimine  comme  insuffisantes  les  trois  premières, 
avant  de  faire  valoir  la  quatrième  qui  est  la  sienne  propre. 

1°  Les  théories  psychologiques,  dans  les  diverses  explications  qu'elles 
proposent,  font  de  l'association  le  résultat  d'affinités  s'exerçant  entre 
les  états  de  conscience.  Cette  affinité  restant  inexpliquée  ne  saurait 
expliquer  l'association  elle-même. 

2°  La  théorie  anatomique  est  plus  satisfaisante  ;  elle  ne  suffit  cependant 
pas.  Elle  se  ramène  à  faire  de  chaque  cellule  le  siège  d'une  représentation, 
ce  qui  semble  contredit  par  les  découvertes  récentes  de  l'histologie. 

3°  La,  lhéor\e  physiologique  se  rapproche  davantage  des  faits;  mais 
il  est  une  question  que  ses  partisans  laissent  dans  l'ombre  et  qui  est 
cependant  essentielle  ;  c'est  celle  de  l'aiguillage  du  courant  nerveux. 
Qu'un  même  centre  soit  relié  à  un  grand  nombre  d'autres,  c'est  très 
bien  ,•  mais  pourquoi  le  courant  nerveux  se  tlirige-t-il  vers  tel  centre 
de  représentation  plutôt  que  vers  tel  autre  ?  De  cela  la  théorie  physio- 
logique ne  formule  même  pas  d'hypothèses,  mais  donne  seulement  des 
lois  à  priori. 

4"  La.  Ihéoùe  di/namique,  celle  de  M.  SoUier,  reste  donc  seule  en 
cause.  Elle  est,  d'après  son  défenseur,  «  la  seule  qui  puisse  concilier 
les  conditions  complexes  dans  lesquelles  se  présente  l'association.. »  Au 
point  de  vue  dynamique,  le  courant  nerveux  apparaît  «  comme  une 
modification  d'ordre  moléculaire,  se  poursuivant  dans  une  série  d'élé- 
ments et  s'accompagnant,  dans  chacun  d'eux,  d'une  décharge  d'énergie.  » 
«  IL  suffit  dès  lors  d'admettre  qu'à  tout  état  psychique  correspond  un 
état  dynamique  spécial...  pour  comprendre  que  chaque  fois  que  cet 
étal,cérél»ral  se  rei>Poduira,  le  même  état  psychique  se  reproduira  aussi.» 


;io6         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Mais  commeat  se  reproduira-t-il?  Comment  se  fera  l'aiguillage  du 
courant  nerveux  qui  ira  pour  ainsi  dire  le  revivifier?  La  réponse  est 
simple  :  «  11  n'y  a  pas  d'aiguillage  ».  Il  y  a  seulement,  entre  les  diffé- 
rents centres,  des  phénomènes  de  résonance  nerveuse,  comparables  à  la 
résonance  électrique  ou  acoustique. 

La  conception  dynamique  ainsi  entendue  explique  les  diverses  phases 
de  l'association,  dont  les  autres  théories  omettent  de  rendre  compte. 
Elle  explique  en  particulier  comment  l'association  se  crée  :  «  pour  que 
deux  impressions...  puisent  s'associer,  il  est  nécessaire  et  suffisant 
qu'elles  correspondent  à  un  même  étal  dynamique  cérébral  ou  à  deux 
états  dynamiques  assez  voisins  pour  que  la  vibration  de  lun  puisse 
gagner  l'autre  et  le  faire  vibrer  à  l'unisson  »  ;  comment  elle  se  conserve  :  ce 
qui  persiste,  «  c'est  la  tendance  de  l'état  dynamique  du  centre  aperceptif, 
correspondant  à  une  impression,  à  se  reproduire  et  à  provoquer  dans 
le  centre  récepteur  une  représentation  de  cette  impression  »  ;  — 
comment  elle  se  reproduit,  et  c'est  toujours  par  résonance  nerveuse. 

L'ouvrage  de  M.  Sollier  n'est  pas  sans  mérites  :  il  faut  les  reconnaître 
très  grands  en  ce  qui  concerne  la  mise  au  point  du  problème  de  l'asso- 
ciation, la  réduction  des  prétentions  outrées  de  l'école  associa- 
tioniste,  la  critique  de  certaines  lois  à  priori  et  de  certaines  théories  de 
l'association  vraiment  insuffisantes,  l'essai  de  précision  de  l'aspect 
physiologique  de  l'association.  Quant  à  la  théorie  même  que  met  en 
avant  cet  auteur,  elle  appelle  d'importantes  réserves.  Elle  présume  trop 
d'elle-même  en  s'affirmant  comme  explicative  de  tout  le  phénomène  de 
l'association.  11  est  vrai  que  M.  Sollier  est  moniste,  comme  il  nous  en 
prévient,  et  moniste  matérialiste,  comme  tout  son  livre  nous  en  per- 
suade, et  qu'ainsi  l'association  lui  paraît  expliquée  suffisamment  par  un 
mécanisme  cérébral  de  résonance  nerveuse.  Mais  il  est  clair  que  cette 
affirmation  ne  saurait  avoir  une  portée  d'explication  définitive  que  par 
l'adjonction  de  l'a  priori  moniste,  lequel  est  discutable  et  que  nous 
n'admettons  aucunement.  >'ous  ne  faisons  d'ailleurs  aucune  difficulté 
de  poser  une  base  d'ordre  physique  pour  l'association  des  images 
sensibles,  quelle  que  soit  d'ailleurs  cette  base.  Mais  cela  même  ne 
suffit  pas  à  rendre  complètement  compte  de  l'association  élective  des 
images  sensibles,  ni  surtout  de  l'association  des  idées  vraiment  intel- 
lectuelles ;  il  y  faut  l'intervention  d'un  principe  aperceptif  actif,  indé- 
pendant de  l'ordre  physique  matériel  dans  l'association  des  idées, 
irréductible  complètement  à  ce  même  ordre  physique  dans  l'association 
élective  des  images.  Au  reste,  cette  «  résonance  nerveuse  »  —  qui,  en 
soi,  ne  serait  pas  inadmissible,  si  elle  ne  voulait  être  qu'une  interpré- 
tation de  l'aspect  physiologique  de  l'association,  et  non  pas  son  expli- 
cation adéquate  —  n'est  fondée  que  sur  l'analogie  de  la  résonance  électri- 
que,qui  estelle-même  fondée  sur  l'analogie  de  la  résonance  acoustique.  A 
superposer  ainsi  des  analogies,  on  ne  peut  guère  aboutir  qu'à  des  méta- 
phores. Aussi  la  théorie  de  M.  Sollier  reste-t-elle  plus  ingénieuse  que 
probante.  Elle  est  moins  une  explication  qu'une  traduction,  en  termes 
physiologico-dynamiques,  d'ailleurs  hypothétiques,  des  faits  d'associa- 
tion que  nous  révèle  l'observation  psychologique. 

Kain.  H.-D.  Noble,  0.  P. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  337 

IV 

LOGIQUE. 

LA  renaissance  des  études  logiques  est  un  fait  qui  attire  dès  main- 
tenant l'attention.  En  dehors  de  la  voie  traditionnelle,  se  des- 
sinent des  directions  très  diverses.  Toutefois,  c'est  sur  le  terrain  de  la 
Logique  Symbolique  ou  Logistique  que  l'activité  semble  se  concentrer. 
Aussi,  tenant  compte  des  étroites  limites  où  doit  s'enfermer  ce  travail, 
je  consacrerai  une  section  spéciale  à  cette  nouvelle  discipline,  me  con- 
tentant de  signaler  sous  des  désignations  plus  générales  quelques 
travaux  récents  qui  offrent  d'autres  tendances. 

I.  —  Logistique. 

Bien  qu'elle  soit  en  pleine  formation  (certains  disent  même  qu'elle  en 
est  encore  aux  essais),  la  Logique  Symbolique  a  déjà  tout  un  passé.  C'est 
ce  passé  que  M.  A.  T.  Suearman  a  voulu  retracer  dans  son  livre  :  The 
Development  of  Symbolic  Logic.  (1)  L'analyse  de  l'ouvrage  fournira  une 
introduction  toute  naturelle  aux  questions  dont  s'occupe  cette  science 
et  permettra  de  suivre  avec  plus  de  facilité  les  discussions  dont  je 
parlerai  plus  loin.  Le  sous-titre  nous  avertit  de  ne  pas  considérer  ce 
travail  comme  purement  historique  ;  et,  en  effet,  ce  n'est  d'un  bout  à 
l'autre  qu'un  minutieux  examen  des  diverses  théories,  destiné  à  mettre 
en  lumière  la  thèse  qu'adopte  l'auteur.  D'après  M.  Shearman,  les  sys- 
tèmes proposés  n'offrent  pas  de  divergences  fondamentales,  ils  ne 
diffèrent  qu'en  apparence.  En  réalité,  il  y  a  un  Calcul  Logique  qui  se 
développe  depuis  l'origine  et  auquel  les  auteurs  de  Symboliques  ont 
apporté  successivement  leur  contribution.  Boole  est  regardé  comme  le 
véritable  initiateur  du  mouvement  bien  que  précédemment  Lambert, 
Pioucquet  et  Holland,  s'inspirant  des  idées  de  Leibnilz  et  de  Wolf  eussent 
déjà  tenté  quelques  efforts  dans  cette  direction. 

(Ch.  i).  —  La  question  qui  se  présente  en  premier  lieu  est  celle  de  sa- 
voir à  quels  objets  doivent  s'appliquer  les  symboles.  On  trouve  à  cet 
égard  trois  conceptions  différentes.  1*^)  Les  symboles  peuvent,  dans 
certaines  conditions,  représenter  les  termes,  dans  d'autres,  les  propo- 
sitions. 2°)  Il  est  indifférent  d'user  des  symboles  pour  les  termes  ou  pour 
les  propositions.  3°)  Les  symboles  ne  doivent  exprimer  que  l'une  de  ces 
deux  espèces  d'éléments  logiques  et,  alors,  généralement,  l'on  estime 
qu'il  faut  les  restreindre  aux  propositions.  iM.  Shearman  adoptant  les 
vues  de  Boole,  Yenn  et  Schrôder,  pense  que  les  lettres  peuvent  repré- 
senter des  classes  ou  des  propositions,  mais  qu'il  faut  observer  que  les 
règles  ne  sont  pas  les  mêmes  dans  les  deux  cas.  Lavariété  des  symboles 
employés  par  les  différents   logiciens   n'est  pas  le    signe  d'oppositions 

1.  The  Development  of  Symbolic  Logic.  A  Crifical-Hiatorical  Sludy  of 
thc  Logical  Calculus.  1  vol.  Ia-12  de  XI-272  p.  London.  Williams  and  Nor 
gâte.    1906. 


358         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

réelles  entre  leurs  principes,  elle  tient  simplement  à  ce  que  presque  tous 
ignoraient  les  travaux  de  leurs  prédécesseurs.  Quant  aux  propositions 
dont  s'occupe  le  symboliste,  elles  sont  assertoriques  de  leur  nature  ;  si 
cependant  l'on  veut  tenir  compte  des  modalités,  (possibilité,  fausseté, 
vérité,  etc.),  comme  le  fait  M.  MacColl,  il  faut  alors  introduire  de  nou- 
veaux termes  et  les  propositions  dénoteront  ainsi  le  rapport  du  sujet 
pensant   avec  chaque  implication. 

(Ch.  II).  —  Les  symboles  désignant  les  termes  ou  les  propositions 
peuvent  être  reliés  entre  eux  par  d'autres  signes  exprimant  certaines 
relations  que  l'on  appelle  opérations  logiques.  Ces  symboles  d'opérations 
ne  sont  pas  indispensables,  comme  on  l'a  cru  longtemps.  L'œuvre  de 
Keynesen  fait  foi  ;  il  arésolu  sans  leur  aide  des  pi-oblèmes  très  com- 
pliqués. Si  l'emploi  des  signes  mathématiques  a  l'avantage  de  mettre 
en  relief  l'analogie  des  opérations  logiques  avec  celles  dont  se  servent 
les  mathématiques,  les  longues  discussions  au  sujet  de  la  légitimité  d'un 
tel  emploi  ont  relardé  le  développement  de  la  Logique  Symbolique. 
Après  ces  considérations  générales  sur  les  symboles  d'opérations, 
M.  Shearman  examine  et  discute  les  divers  sens  attribués  aux  signes  +  , 
— ,  -^  ,  ^  et  quelques  autres;  il  fait  ensuite  de  brèves  remarques  sur 
la  manière  dont  on  a  symbolisé  les  propositions  particulières  et  montre 
que  les  hypothétiques  ne  peuvent  être  traitées  de  façon  adéquate  que 
si  l'on  applique  les  symboles  aux  propositions  et  non  aux  classes. 

(Ch.  m). —  En  ce  qui  concerne  la  manière  de  résoudre  les  problèmes, 
une  comparaison  est  établie  entre  les  procédés  de  Boole,  Yenn,  Keynes 
et  Schrôder.  La  méthode  de  Venn  marque  un  progrès  sur  celle  de  Boole, 
elle  facilite  le  traitement  des  propositions  universelles  et  met  en  plein 
relief  la  force  des  propositions  particulières.  Schrôder  se  distingue  par 
une  brièveté  relative  et  par  le  soin  qu'il  prend  de  rendre  directement 
intelligibles  toutes  les  formes  intermédiaires  d'une  solution.  Quant  aux 
méthodes  de  Keynes  qui  ont  beaucoup  d'affinité  avec  celles  de  Schrôder, 
elles  sont  la  simplicité  même.  Boole  n'a  jamais  fait  usage  de  diagrammes; 
Keynes,  après  avoir  montré  l'insuffisance  des  figures  d'Euler,  en  a  ima- 
giné de  nouvelles,  plus  exactes,  mais  compliquées.  Venn  et  le  Docteur 
Warquand  en  ont  également  construit  qui  peuvent  s'appliquer  à  un 
nombre  de  termes  plus  ou  moins  grand.  L'utilité  des  diagrammes  est 
assez  restreinte  et,  la  plupart  du  temps,  ils  sont  avantageusemeot  rem- 
placés par  les  méthodes  littérales. 

(Ch.  iv).  —  La  plupart  des  logisticiens  se  sont  placés  au  point  de  vue 
de  l'extension  des  concepts  pour  établir  leurs  systèmes  de  symi»olique  ; 
toutefois,  quelques  tentatives  se  sont  produites  en  vue  de  baser  un 
calcul  sur  la  compréhension  ou  intension.  L'essai  le  plus  remarquable 
en  ce  genre  est  celui  de  Castillon.  Ses  efforts  n'ont  pas  été  heureux  et 
ont  abouti  à  des  résultats  inacceptables.  Dans  son  système,  les  notions 
d'universel  et  de  particulier  ne  peuvent  être  obtenues  que  par  une  péti- 
tion de  principe,  la  conversion  des  universelles  négatives  est  impossible, 
la  conversion  d'une  particulière  affirmative  conduit  à  une  universelle 
affirmative,  le  mot  «  quelque  »  y  est  employé  sans  précision  et  l'on  ne 
peut  arriver  à  un  traitement  consistant  des  propositions  hypothétiques. 
Le  seul   moyen    d'établir    une  «  Logique  Intensive  »  serait,   comme   l'a 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  359 

indiqué  Venn,  de  «  prendre  tous  les  attributs  qui  sont  communs  aux 
membres  d'une  classe  ».  Mais  on  adopterait  ainsi  un  procédé  long  et 
artificiel,  si  on  le  compare  à  celui  qui  est  basé  sur  les  classes  et  les 
propositions. 

(Ch.  v).  —  Bien  que  .levons  et  M.  MacColl  se  soient  fondés  sur  l'ex- 
tension dans  les  recherches  auxquelles  ils  se  sont  livrés,  ils  sont  cepen- 
dant tombés  dans  de  graves  erreurs.  Ni  l'un  ni  l'autre,  malgré  leur 
talent,  n'ont  contribué  d'une  manière  notable  au  développement  de  la 
Logique  Symbolique.  M.  MacColl  a  confondu  les  fonctions  proposition- 
nelles  avec  les  propositions  et  il  s'abuse  quand  il  prétend  être  le  seul  à 
tenir  compte  des  modalités  de  l'assertion.  Il  n'en  est  aucune  qui  ne 
puisse  être  traitée  suivant  les  règles  de  la  Logique  Symbolique  ordinaire. 
Sa  thèse  des  deux  univers  du  discours,  l'un  renfermant  les  objets  réels, 
l'autre  les  irréels,  est  insoutenable  et  contradictoire;  il  suffît  de  regarder 
le  réel  et  l'irréel  comme  deux  compartiments  d'un  seul  et  même  univers 
du  discours. 

(Ch.  vi).  —  MM.  Peirce,  Mitcliell  et  Johnson  ont  développé  la  théorie 
de  la  quantification  simple  en  celle  de  la  quantification  multiple  par  la 
synthèse  de  propositions  avec  deux  agrégats  de  sujets  ou  davantage. 
Les  recherches  dans  cette  direction  ont  été  substituées  à  celles  qui 
concernaient  le  traitement  général  des  copules,  problème  qui  apparaît 
comme  insoluble.  Il  faudrait  en  effet,  dans  chaque  cas,  quelque  donnée 
supplémentaire  en  dehors  de  celles  que  présentent  les  prémisses  et 
aussi  des  axiomes  particuliers  analogues  au  «  dictum  de  omni  »  pour  le 
syllogisme  ordinaire.  Le  dernier  progrès  réalisé  en  Logistique  a  été  la 
réduction  du  raisonnement  mathématique  au  raisonnement  logique  par 
MM.  Peano  et  Russell.  Auparavant,  l'on  estimait  que  la  déduction  change 
de  nature  suivant  qu'elle  s'applique  à  des  éléments  qualitatifs  ou  à  des 
éléments  quantitatifs.  Par  l'analyse  des  idées  mathématiques,  ces 
auteurs  sont  arrivés  à  découvrir  des  notions  générales  qui,  exprimées 
au  moyen  de  variables  et  de  constantes  logiques,  définies  elles-mêmes 
par  un  nombre  déterminé  d'indéfinissables,  peuvent  être  soumises  aux 
règles  ordinaires  de  la  Logique  Symbolique.  Celle-ci  s'est  donc  identi- 
fiée par  là  même  avec  le  raisonnement  déductif. 

(Ch.  vu).  —  Le  chapitre  final  contient  des  considérations  sur  l'utilité 
de  la  Logique  Symbolique.  Au  point  de  vue  de  l'éducation  de  l'esprit, 
sa  valeur  ne  saurait  être  estimée  trop  haut.  Les  services  qu'elle  est 
capable  de  rendre  aux  sciences  naturelles  ne  peuvent  être  qu'indirects. 
Il  en  est  de  même  pour  la  vie  pratique.  Toutefois  cela  ne  veut  pas  dire 
qu'elle  ne  puisse  conduire  à  la  découverte  de  vérités  nouvelles,  si  l'on 
entend  par  là  des  combinaisons  justifiées  de  sujets  et  de  prédicats 
formées  pour  la  première  fois  ou,  pour  la  première  fois,  saisies  dans 
toute  leur  force.  En  philosophie,  la  Logistique  amène  à  concevoir  dans 
l'univers  une  dualité  irréductible. 

L'ouvrage  de  M.  Shearman  témoigne  d'une  parfaite  connaissance  des 
matières  dont  il  traite,  mais  les  idées  préconçues  qui  l'ont  empêché  de 
faire  une  véritable  histoire  de  la  Logique  Symbolique,  la  manière 
obscure  dont  il  fait  allusion  à  des  théories  qu'il  suppose  connues,  la 
brusque    introduction  de  formules  à   l'intelligence   desquelles   rien  n'a 


360  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

préparé,  en  rendent  la  lecture  extrêmement  pénible  et  font  qu'on  ne 
peut  l'utiliser  autant  qu'on  le  souhaiterait. 

Si  l'on  veut  trouver  un  exposé  complet  des  principes  de  la  Logistique 
actuelle,  il  faut  recourir  à  l'ouvrage  de  M.  Peano  :  Le  Formulaire  M alhé- 
malique,  et  à  celui  de  M.  Russell  :  J'Iit  Principles  of  Malhemalics. 
M.  CouTURAT  a  donné  de  ce  dernier  travail  une  analyse  très  étendue 
dans  la  Revue  de  Mélaphysique  et  de  Morale  (1).  Ne  pouvant  songer  à 
fournir  un  aperçu,  même  sommaire,  des  théories  contenues  dans  ces 
ouvrages,  je  me  bornerai  à  signaler  ici  brièvement  les  controverses 
qu'elles   ont  suscitées. 

Les  efforts  des  logisticienspour  absorber  les  mathématiques  dans  la 
logique  provoquèrent  les  critiques  de  M.  Poincaré  (2).  Dans  un  long 
article,  il  essaya  de  montrer  pourquoi  il  ne  pouvait  admettre,  comme 
M.  Couturat,  que  les  plus  récents  travaux  eussent  prouvé  qu'il  n'y  a 
pas  de  jugements  synthétiques  à  priori,  que  l'on  peut  réduire  à  la 
logique  l'ensemble  des  mathématiques  et  que  l'intuition  ne  doit  y  jouer 
aucun  rôle.  Reprochant  à  la  Logistique  d'être  une  science  purement 
formelle  oi^i  l'on  n'a  pas  besoin  de  comprendre  ce  que  l'on  fait,  il 
affirme  que  l'intuition  apparaît  dès  le  début  dans  le  choix  des  postulats. 
Mais,  ce  choix  une  fois  fait,  elle  intervient  encore,  puisque  l'on  ne 
saurait  se  passer  en  mathématiques  du  principe  d'induction  complète  (3) 
et  de  beaucoup  d'autres  de  nature  semblable.  II  est  vrai  que  les  logis- 
ticiens  font  de  ce  principe  une  définition,  c'est-à-dire  une  convention, 
mais  ils  n'ont  pas  prouvé  l'existence  logique  de  l'objet  détini.  Deux 
conditions  étaient  nécessaires  :  montrer  que  les  postulats  d'où  dérive 
la  définition  ne  sont  pas  contradictoires,  et  ensuite,  si  l'on  modifie  la 
forme  de  la  définition,  établir  qu'elle  s'applique  au  même  objet,  comme 
auparavant.  Ils  n'ont  rempli  ni  l'une  ni  l'autre.  La  notation  symbo- 
lique ou  pasigraphie  n'a  pas  l'impoitance  qu'on  lui  attribue  et  peut 
dissimuler  des  appels  subreptices  à  l'intuition.  M.  Hussell  a  introduit 
dans  la  logique  un  certain  nombre  d'innovations  heureuses,  comme 
la  fonction  propositionnelle,  mais  les  principes  qu'il  prend  comme 
point  de  départ  ne  sauraient  être  considérés  comme  des  définitions  que 
si  l'on  peut  montrer  qu'ils  n'impliquent  pas  contradiction  ;  or,  il 
faudrait  recourir  pour  cela  au  principe  d'induction  complète  supposé 
encore  inconnu.  M.  Russell  n'a  pas  donné  de  démonstration  de  l'exis- 
tence des  nombres  entiers.  La  seconde  partie  de  l'article  est  consacrée 
à  l'analyse  d'un  travail  de  M.  Hilbert,  puis  à  établir  la  nécessité  du  prin- 
cipe d'induction  pour  la  théorie  des  nombres  transfinis  et  aussi  pour  la 
géométrie.    La    conclusion   est  que  «    le  principe  d'induction  ne  peut 


1.  Les  Principes  des  Mathématiques.  Janvier,  mars,  juillet,  septembre  1904. 
Janvier    100.5. 

2.  Les  Mathématiques  et  la  Logique.  B.  de  Met.  et  de  Mor.  Nov.  1905  ci 
ianvier  1906,   pp.   815-835  et   17-34. 

3.  M.  PoLncaré  donne  cette  formule  du  principe  d'induction  complète  : 
«  Si  une  propriété  est  vraie  da  nombre  1  et  si  l'on  établit  qxi'elle  est  vraie 
ie  n  +  1  pour\Ti  qu'elle  le  soit  de  n,  elle  sera  vraie  de  tous  les  nombres 
entiers.  »  p.   818. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  361 

pas  être  regardé  comme   la  définition   déguisée  du  nombre  entier  ([)  )). 

M.  Couturat  prit  la  défense  de  M.  Russell  (2)  et  reprocha  tout  d'abord 
à  M.  Poincaré  d'avoir  basé  ses  critiques  sur  une  simple  analyse,  au  lieu 
de  se  reporter  à  l'original,  et  d'avoir  assimilé  aux  travaux  du  logicien 
anglais  ceux  de  M.  Hilbert  où  Ton  ne  trouve  pas  trace  de  calcul  logique. 
Puis,  après  avoir  discuté  les  assertions  de  M.  Poincaré  louchant  le 
manque  d'infaillibilité  de  la  Logistique,  les  obstacles  qu'elle  apporte  à 
l'invention,  les  différences  qui  la  distinguent  de  l'ancienne  Logique,  il 
s'efTorça  de  répondre  aux  attaques  dirigées  contre  certaines  thèses 
particulières.  Les  cercles  vicieux  qu'on  peut  relever  dans  les  expres- 
sions du  langage  ordinaire  traduisant  les  formules  symboliques 
n'existent  pas  dans  celles-ci.  La  contradiction  signalée  par  M.  Burali- 
Forti  dans  la  théorie  des  nombres  ordinaux  transfinis  ne  tient  pas  à 
l'emploi  des  symboles,  elle  provient  des  principes  de  la  logique  des 
classes.  La  définition  mathématique  ne  suppose  pas  nécessairement 
l'existence  de  l'objet  défini.  L'existence  logique  ne  consiste  pas  dans 
l'absence  de  contradiction,  mais  dans  le  fait  qu'une  classe  n'est  pas 
vide.  Ce  qu'il  importe  de  démontrer,  c'est  l'existence  de  la  classe,  et  non 
celle  de  l'individu  comme  tel.  Voici  quels  sont  les  rapports  réciproques 
entre  l'absence  de  contradiction  et  l'existence  d'une  classe  :  «  ...  Si  une 
définition  est  contradictoire,  aucun  individu  n'en  remplit  les  conditions, 
et  par  conséquent  la  classe  correspondante  n'existe  pas...  Et  récipro- 
quement, si  une  classe  existe,  c'est-à-dire  contient  quelque  élément, 
on  pourra  en  conclure,  comme  dit  M.  Poincaré,  que  sa  définition  n'est 
pas  contradictoire.  L'existence  apparaît  ainsi  comme  le  critérium  de 
la  non-contradiction  (3)  ».  La  méthode  proposée  par  M.  Poincaré  pour 
prouver  qu'un  système  de  postulats  n'est  pas  contradictoire,  est  une 
méthode  inapplicable  et  logiquement  illégitime.  Contrairement  à  ce 
qu'aflirme  ce  savant,  M.  Russell  a  bien  donné  une  démonstration  de 
l'existence  des  nombres  entiers  et  s'attache  tout  particulièrement  à 
établir  les  théorèmes  d'existence.  C'est  aussi  sans  fondement  que  les 
logisticiens  sont  accusés  de  changer  subrepticement  la  définition  du 
nombre  au  cours  de  leurs  raisonnements.  Les  deux  définitions  dont  il 
est  question,  si  on  les  exprime  symboliquement,  peuvent  se  déduire 
l'une   de   l'autre  par    une   transformation  purement  logique. 

En  même  temps  que  la  réponse  de  M.  Couturat,  paraissait  une  étude 
de  M.  Mario  Pieri  sur  un  point  auquel  il  vient  d'être  touché,  la  non- 
contradiction  d'un  système  de  postulats  (4).  Pour  être  sûr  qu'un 
ensemble  de  postulats  est  compatible,  il  suffit  de  trouver  un  exemple 
pour  lequel  les  propositions  soient  toutes  vraies.  Mais,  pour  démontrer 
la  compatibilité,  il  faut  prouver  Vexistence  rationnelle  d'un  élément  qui 
vérifie  à  la  fois  toutes  les  propositions,  pourvu  qu'on  raisonne  dans 
l'enceinte  d'un  système  déductif  dans  lequel  aucune  des   propositions 


1.  P.  31,  souligné  dans  le  texte. 

2.  Pour  la  Logistique.  R.  de  Met.  et  de  Mor.,  Mars   190G,  pp.  208-230. 

3.  P.  234.  Les  mots  sont  souligaés  dans  le  texte. 

4.  Sur  la  Compatibilité  des  Axiomes  de  V Arithmétique.  B.de  Met.  et  de  Mor. 
Mars  1906,  pp.  196-207. 


.362         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

en  question  ne  figure  comme  prémisse,  et  dont  les  propres  prémisses 
soient  déjà  reconnues  ou  acceptées  à  priori  comme  compatibles.  La 
preuve  directe  et  absolue  de  la  compatibilité  des  axiomes  arithmétiques 
ne  peut  se  rencontrer  dans  le  domaine  de  l'arithmétique,  mais  il  est 
possible  qu'on  la  trouve  dans  celui  de  la  logique  pure.  Les  mots  «  un  », 
«  chaque  »,  «  quelque  »  appartiennent  au  discours  et  par  là  même  à  la 
logique  avant  d'appartenir  à  l'arithmétique,  et  s'ils  contiennent  des  frag- 
ments de  l'idée  générale  de  nombre,  aucun  d'eux  n'exprime  la  notion 
tout  entière  ;  cela  suffît  à  éviter  la  pétition  de  principe.  Se  fondant  sur 
ces  considérations,  M.  Pieri  établit  ensuite  la  compatibilité  des  axiomes 
arithmétiques  de  Dedeklnd  et  Peano  dans  un  domaine  A  de  logique 
pure. 

Dans  sa  réplique  à  M.  Couturat  (l),  M.  Poincarélui  accorde  un  certain 
nombre  de  points  qu'il  regarde  comme  secondaires,  mais  il  revient  sur 
les  deux  questions  de  l'infaillibilité  de  la  Logistique  et  de  la  possibilité 
d'une  démonstration  du  principe  d'induction  complète.  La  Logistique 
doit  être  infaillible  sous  peine  de  n'être  pas  et  l'on  ne  peut  répondre 
que  l'erreur  se  produit  ici  comme  en  arithmétique,  faute  d'appliquer  les 
règles  ;  c'est  au  contraire  en  s'y  conformant  que  l'on  est  tombé  dans  la 
contradiction  et  M.  Russell,  pour  y  échapper,  s'apprête  à  rejeter  certains 
principes  du  système  de  M.  Peano.  L'absence  de  contradiction  est  bien 
le  critérium  de  l'existence  logique  ;  en  effet,  pour  prouver  l'existence 
de  l'individu  dans  une  classe,  il  faudra  montrer  que  l'atlirmation 
qui  place  l'individu  dans  la  classe  n'impHque  pas  contradiction. 
M.  Pieri  a  bien  aperçu  cette  nécessité  et  il  admet  que  la  compatibilité 
des  principes  fondamentaux  de  la  logique  est  un  postulat.  Une  démons- 
tration de  la  compatibilité  d'un  système  de  postulats  mathématiques 
est  nécessaire  ;  elle  ne  peut  se  faire  que  par  récurrence,  ce  qui  suppose 
le  principe  d'induction  complète.  Celui-ci  doit  être  alors  considéré,  non 
comme  une  définition,  mais  comme  un  jugement  synthétique. 

M.  Poincaré  passe  ensuite  à  l'examen  d'un  mémoire  de  M.  Russell  (2) 
écrit  en  vue  de  résoudre  les  antinomies  qui  se  sont  produites  dans  le 
domaine  de  la  Science  de  l'Infini  créée  par  Cantor.  Pour  arriver  à  une 
solution,  M.  Russell  a  ébauché  successivement  trois  théories  :  la  «  Zigzag 
Theory  »,  la  «  Theory  of  limitation  of  size  »  et  la  «  no  classes  Theory  »  ; 
il  se  rallie  finalement  à  cette  dernière.  <•  Quoi  qu'il  en  soit,  conclut 
M.  Poincaré,  la  Logistique  est  à  refaire  et  on  ne  sait  trop  ce  qu'on  en 
pourra  sauver  »  (3).  Aucune  des  démonstrations  tentées  du  principe 
d'induction  complète  n'est  exempte  de  cercle  vicieux.  A  moins  que  l'in- 
tuition n'y  intervienne,  la  Logistique  n'est  pas  seulement  stérile,  «  elle 
engendre  l'antinomie  »  [A).  La  croyance  à  l'existence  de  l'infini  actuel 


1.  Les  Mathématiques  et  la  Logique.  R.  de  Met.  et  de  Mor.,  ^lai  1906,  pp. 
294-317. 

2.  On  somes  difficulties  in  the  theory  of  Transfinite  Numbers  and  Order 
Types;  Proceedings  of  the  London  Mathematical  Society,  7  mars  1906,  p. 
29-53. 

3.  Page   307. 

4.  Ihid.,   p.   316. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  363 

uboutilà  la  contradiction  et  cette  croyance  est  essentielle  à  la  logistique 
de  M.  Russell. 

Ces  attaques  assez  vives  amenèrent  une  réplique  du  logisticien 
anglais  (1).  Les  changements  qu'il  propose  ne  sont  pas  si  profonds  que 
l'imagine  M.  Poincaré  et  n'ont  pas  pour  effet  de  bouleverser  l'oeuvre  de 
M.  Peano.  La  théorie  «  pas  de  classes  »  ne  diffère  pas  tant  de  celle  que 
présentent  les  u  Principles  of  Malhemalics  ».  Que  la  Logistique  dut  être 
infaillible,  c'est  ce  que  M.  Russell  a  cru  quelque  temps,  mais  il  reconnaît 
maintenant  que  sur  ce  point,  elle  est  dans  les  mêmes  conditions  que 
toute  autre  science  ;  l'intuition  y  est  indispensable,  mais  elle  en  règle  et 
surveille  l'emploi.  S'il  faut  appliquer  «  aveuglément  »  les  principes  de 
cette  discipline,  c'est  en  ce  sens  qu'on  ne  doit  pas  chercher  à  éviter  les 
obstacles  auxquels  ils  peuvent  se  heurter.  Il  importe  au  contraire  de 
préférer,  à  titre  d'épreuve,  les  cas  où  ils  pourraient  se  trouver  en  défaut. 
Le  cercle  vicieux  n'est  pas  une  particularité  des  collections  infinies, 
mais,  «  la  clef  des  paradoxes  doit  se  trouver  dans  l'idée  du  cercle  vicieux  » 
et  il  est  vrai  «  que  tout  ce  qui  concerne  d'une  manière  quelconque  tout 
ou  quelque  ou  un  quelconque  des  membres  d'une  classe  ne  doit  pas  être 
uîembre  d'une  classe  «  (2).  Ceci  peut  s'exprimer  encore  par  cette  formule 
que  M.  Russell  appelle  principe  du  cercle  vicieux  :  «  Tout  ce  qui  contient 
une  variable  apparente,  doit  être  exclu  des  valeurs  possibles  de  cette 
variable  »  (3).  La  théorie  «  pas  de  classes  »  arrive  à  résoudre  les  anti- 
nomies auxquelles  donnent  lieu  les  nombres  transfinis.  Une  doctrine 
analogue  peut  s'appliquer  au  cas  du  sophisme  de  l'Épiménide. 

Comme  conclusion  provisoire  à  cette  controverse,  M.  Poincaré  se  con- 
tenta de  prendre  note  des  concessions  de  M.  Russell  sur  la  nécessité  de 
l'intuition  en  logistique  et  sur  le  rôle  du  cercle  vicieux  comme  source 
des  paradoxes  de  cette  science.  Remettant  la  critique  de  la  théorie  «  pas 
de  classes  »  au  moment  où  elle  serait  suffisamment  développée,  il 
revenait  sur  le  principe  d'induction  complète  dont  il  proposait  cette  for- 
mule :  «Tout  nombre  fini  est  inductif»,  formule  qui  n'est,  dans  sa 
pensée,  ni  une  définition,  ni  une  proposition  démontrable,  et  maintenait 
que  la  croyance  à  l'infini  actuel  est  une  cause  de  contradictions  insur- 
montables. 

Je  ne  puis  que  signaler  ici  l'article  de  M.  Whiïehead  :  Introduction 
logique  à  la  géométrie  (i),  où  il  fait  intervenir  la  notion  de  fonction  pro- 
positionnelle  dans  la  définition  de  cette  science,  et  celui  de  M.  Winter 
Sur  rintroduction  logique  à  la  théoHe  des  fonctions  (5),  qui  contient  un 
essai  très  intéressant  de  délimitation  du  domaine  de  la  Logistique.  Men- 
tionnons enfin  les  articles  sous  forme  de  lettres  de  M.  C.  Lucas  de 
Peslouan  qui  présentent  une  critique  si  piquante  et  d'ailleurs  exagérée 
de  la  logique  mathématique  (6). 

1.  B.  Russell.  Les  paradoxes  de  La  Logique.  E.  de  Met.  et  de  Mor..  Sept. 
1906,  pp.  627-650. 

2.  P.    634,   les  mots  sont  soulignés   dans   le  texte. 

3.  Ihid. 

4.  IL    de    Met.    et    de    M,or.,    janvier    1907,    pp.    34-39. 

5.  Jbid.,  mars  1907,  pp.  186-216. 

6.  Sur  les  fondements  de  l'arithmétique.  Revue  de  Philosophie,  avril,  mai, 
jum  1907,  pp.  372-397,  489.509,  568-593. 


364         REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

II.  —  Études  logiques  Diverses 
I.  Ouvrages   généraux. 

Sous  le  liLre  de  N^ueoas  Direcciones  de  la  Logica  (1),  M.  Alberto 
GoMEz  IzQUiERDO,  pi'ofesseuF  de  Logique  à  l'université  de  Grenade, 
nous  présente  l'exposé  et  la  critique  d'orientations  logiques  qui 
ne  sont  pas  toutes  aussi  nouvelles  que  ce  litre  le  ferait  croire.  Il 
y  a  déjà  quelque  temps,  par  exemple,  que  la  logique  de  Hegel,  ainsi 
que  celle  d'Hamilton  et  de  Stuart  Mill,  sont  connues  des  pliilosophes 
et  quelques  autres  encore.  En  se  bornant  aux  doctrines  qui  gardent 
encore  toute  leur  fraîcheur,  l'auteur  aurait  pu  leur  donner  un  plus  grand 
développement  et  l'ouvrage  y  aurait  gagné  en  clarté  et  en  intérêt.  Tou- 
tefois, tel  qu'il  est,  le  livre  ofîre  une  réelle  valeur  et  si  l'on  regrette 
de  constater  assez  souvent  une  érudition  de  seconde  main,  certains 
chapitres  témoignent  d'une  sérieuse  étude  des  sources  et  d'une  connais- 
sance directe  du  sujet.  La  critique  des  systèmes  s'inspire  de  vues  assez 
larges. 

Une  courte  introduction  nous  fait  connaître  le  plan  de  l'ouvrage  et  la 
méthode  suivie  par  l'auteur.  M.  Izquierdo  répartit  en  cinq  classes  les 
tendancesqu'il  se  propose  d'étudier  :  Logique  Idéaliste,  Logique  Posi- 
tiviste, Logique  des  Sciences,  Logique  Extra-Rationnelle  ou  des  sen- 
timents, Logique  Traditionnelle.  Le  dernier  chapitre  présente  ses  con- 
clusions. Sans  descendre  dans  les  détails,  il  se  borne  à  mettre  en  relief 
les  traits  saillants  de  chaque  doctrine  et,  pour  éviler  les  inexactitudes  et 
les  réfutations  trop  faciles,  au  lieu  d'examiner  des  systèmes  imper- 
sonnels, il  s'attache  aux  idées  des  représentants  les  plus  autorisés  de 
chaque  école.  Il  a  pris  soin  également,  pour  empêcher  toute  confusion, 
de  séparer  nettement  l'exposé  de  la  critique. 

Logique  Idéaliste.  —  Passant  très  rapidement  sur  les  idées  de  Fichte 
et  de  Schelling  auxquels  il  reproche  de  substituer  à  la  logique  comme 
discipline  de  la  raison  une  systématisation  capricieuse,  M.  Izquierdo 
s'jittarde  un  peu  plus  à  Hegel  dont  il  caractérise  ainsi  la  doctrine 
logique.  L'idée  pure  est  l'essence  de  l'absolu  et  de  l'univers.  Les  choses 
sont  produites  par  l'évolution  de  l'idée,  évolution  dont  le  ressort  est  la 
contradiction.  Au  premier  moment,  l'idée  se  pose,  puis  fait  surgir  sa 
négation  et  un  troisième  concept  opère  la  conciliation  ou  synthèse  La 
notion,  divisée  dans  le  jugement  qui  exprime  l'identité  entre  l'indivi- 
duel (sujet)  et  l'universel  (prédicat),  est  reconstituée  au  moyen  du 
syllogisme  qui  en  réunit  de  nouveau  les  éléments  en  une  synthèse  supé- 
rieure. —  Ces  conceptions  se  heurtent  à  plusieurs  difïicultés.  Comment 
concevoir  que  l'absolu  puisse  sortir  de  l'idée  pure  la  plus  imparfaite  et 
la  plus  indéterminée?  Comment  comprendre  que  l'être  engendre  "sa 
propre  négation  ?  D'autre  part,  considérer  le  jugement  comme  affirmant 
l'identité  de  l'individuel  et  de  l'universel,  c'est  en  avoir  une  idée  incom- 
plète ;  renonciation  attribuant  à  un  sujet  un  prédicat  accidentel  est  ua 
véritable  jugement. 

1.  1  vol.    in-12    de    279    pages,    iladrid,    Victorian    Suarez,    1907. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  365 

Schleiermacher,  sans  aller,  comme  Hegel,  jusqu'à  identifier  l'être  et 
ridée  a  pourtant  exagéré  le  parallélisme  des  formes  de  l'un  et  de  l'autre. 
Le  jugement  doit  sans  doute  représenter  les  objets  réels  et  leurs  rela- 
tions, mais  il  n'est  pas  nécessaire  que  les  actes  de  l'intelligence  aient 
en  eux-mêmes  les  caractères  de  ces  objets.  Krause  fait  un  pas  de  plus 
vers  la  séparation  de  la  logique  et  de  la  métaphysique,  en  mettant  le 
point  de  départ  de  la  connaissance  scientifique  dans  l'analyse  de  la 
conscience  et  de  ses  relations  avec  le  monde  extérieur  ;  mais  comme  il 
maintient  d'autre  part  l'unité  de  principe  de  la  réalité  et  de  la  science 
humaine,  il  ne  peut  échapper  à  la  contradiction.  Les  additions  qu'il  a 
faites  à  la  logique  traditionnelle,  en  y  introduisant  par  exemple  la  psy- 
chologie, au  lieu  de  constituer  un  progrès,  ne  font  qu'y  apporter  de  la 
confusion. 

Logique  Formelle.  —  Adoptant  la  distinction  kantienne  de  la  matière 
et  de  la  forme,  Ilamilton  réduit  la  logique  à  n'être  que  l'étude  de  la 
conséquence  et  le  seul  but  qu'il  lui  assigne  est  d'écarter  les  contradic- 
tions ;  la  vérité  d'un  jugement  ne  la  concerne  en  rien.  Il  n'aperçoit 
dans  l'idée  que  l'aspect  quantitatif  et  cherchant  à  l'approfondir,  il  ima- 
gine la  théorie  de  la  quantification  du  prédicat.  Les  rapports  entre  les 
idées  deviennent  des  relations  de  contenant  à  contenu  et  c'est  sur  ces 
relations  que  le  syllogisme  est  fondé.  —  Le  point  de  vue  de  Hamilton 
abstrait  artificiellement  de  la  véritable  fin  de  la  logique  qui  est  d'attein- 
dre la  vérité  à  laquelle  tendent  naturellem.ent  les  procédés  qu'elle  étu- 
die. C'est  à  tort  qu'il  donne  à  l'extension  des  concepts  un  rôle  prépon- 
dérant ;  celle-ci  n'est  que  la  conséquence  de  la  compréhension  ;  en 
outre,  la  quantification  du  prédicat,  loin  d'augmenter  la  clarté  du  rai- 
sonnement, ne  fait  que  l'encombrer  et  l'obscurcir. 

La.logique  algorithmique  ou  symbolique  est  traitée  fort  brièvement 
par  M.  Izquierdo  et  n'a  pas  reçu  de  lui  l'attention  qu'elle  mérite.  11  se 
contente  de  signaler  qu'elle  se  base  sur  les  analogies  qui  existent  entre 
les  opérations  logiques  et  les  opérations  algébriques  et  que  la  déduction 
s'y  ramène  à  la  substitution  comme  dans  la  solution  d'un  système  d'é- 
quations. Il  lui  paraît  d'ailleurs  impossible  de  remplacer  les  mots  par 
des  symboles  dans  l'expression  des  actes  de  la  pensée,  à  cause  du 
manque  de  souplesse  de  cette  notation.  La  logique  algorithmique  est 
donc  destinée  à  rester  une  curiosité  scientifique. 

La  logique  formelle  déduite  des  modèles  mécaniques  telle  que  l'a 
exposée  A.  Pastore,  est  appréciée  avec  plus  d'indulgence.  La  thèse  fonda- 
mentale de  ce  logicien  consiste  a  affirmer  l'équivalence  des  idées  pri- 
mitives des  sciences.  De  même  qu'en  physique  pour  représenter  certains 
ordres  de  faits,  on  se  sert  de  modèles  mécaniques,  ainsi  pourra-t-on 
procéder  en  logique.  Et  M.  Pastore  a  imaginé  tout  un  ensemble  de 
roues  reliées  par  des  courroies  de  transmission  au  moyen  duquel  il 
arrive  à  symboliser  tous  les  rapports  logiques,  et  dont  il  prétend  faire 
un  instrument  de  découvertes. 

M.  Izquierdo  reconnaît  que  les  modèles  mécaniques  peuvent  rendre 
d'utiles  services  quand  il  ne  s'agit  que  d'exposer  des  théories,  mais  qu'il 
faut  renoncer  à  y   voir  un  moyen    d'investigation.  La  tendance  à  l'uni- 


366         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

fication  des  sciences  doit  être  maintenue  dans  certaines  limites,  sons 
peine  d'en  appauvrir  le  contenu. 

Logique  Inductive.  —  Les  idées  de  Stuart  Mill,  qui  est  le  principal 
représentant  de  cette  école,  sont  exposées  avec  exactitude  et  avec  une 
suffisante  ampleur.  Elles  sont  si  connues  qu'il  nous  paraît  inutile 
d'y  insister  :  Conception  tout  empirique  de  la  science,  l'induction  érigée 
en  méthode  principale  dont  la  déduction  n'est  que  l'auxiliaire,  critique 
du  syllogisme  auquel  est  substituée  l'inférence  du  particulier  au  parti- 
culier, seul  raisonnement  valable,  méthodes  de  recherche  expérimentale, 
etc.  Bain  a  développé  les  doctrines  de  St. Mill  et  les  différences  qu'on 
peut  relever  entre  eux  ne  portent  guère  que  sur  la  méthode  et  le  plan 
d'exposition.  Spencer  a  introduit  des  modifications  plus  importantes. 
Pour  lui,  la  logique  est  une  science  purement  objective  qui  s'occupe  des 
relations  existant  entre  les  choses  et  non  des  lois  de  la  pensée.  —  La 
logique  empirique  a  rendu  de  grands  services  en  énonçant  les  conditions 
de  la  recherche  des  lois  de  la  nature,  mais  en  supprimant  les  principes 
universels,  elle  a  fait  disparaître  les  facteurs  nécessaires  de  la  science  ; 
la  science,  en  effet,  est  une  interprétation  de  la  réalité  et  cette  interpré- 
tation repose  sur  les  principes  de  la  raison. 

Logique  des  Sciences.  —  Systématiser  les  méthodes  et  procédés  expéri- 
mentaux et  mettre  en  lumière  la  contexture  intime  de  toutes  les  sciences, 
tel  fut  le  but  des  initiateurs  de  ce  mouvement,  Sigwart  et  Wundt.  Ni  l'un 
ni  l'autre  n'acceptent  les  doctrines  kantiennes,  ni  ne  tombent  dans  les 
exagérations  de  l'empirisme.  La  connaissance  est  considérée  comme  le 
produit  commun  des  lois  de  l'esprit  et  des  données  sensibles.  Sigwart 
assigne  à  la  logique  un  rôle  purement  formel,  l'estimant  incapable 
d'atteindre  la  vérité  proprement  dite  et  lui  demandant  seulement  d'arri- 
ver à  des  propositions  universellement  valables.  Son  œuvre  se  divise  en 
deux  parties  :  l'Analytique  et  la  Technique  :  la  première  cherche 
quelles  conditions  doit  réunir  toute  connaissance  pour  être  logiquement 
parfaite  ;  la  seconde  montre  jusqu'à  quel  point  la  conformité  peut 
s'établir  entre  nos  jugements  et  les  choses  pour  que  ces  jugements 
hoient  universellement  valables.  —  Bien  que  Sigwart  ait  voulu  éviter  les 
écueils  de  l'idéalisme  et  de  l'empirisme,  il  accorde  encore  trop  au 
premier  en  considérant  l'existence  du  monde  extérieur  comme  un 
postulat,  en  maintenant  la  logique  dans  Tordre  des  considérations 
formelles  et  en  assignant  comme  critérium  suprême  l'évidence  subjective 
de  la  proposition  nécessaire. 

Wundt  fait  de  la  logique  une  science  normative  qui  a  pour  fonction 
de  rechercher  quelles  sont,  parmi  nos  idées,  celles  qui  ont  une  valeur 
législative  (gesetzgebende)  pour  l'organisation  de  notre  savoir.  Aussi 
commence-t-il  par  une  tliéorie  de  la  connaissance  qui  s'inspire  de 
l'hypothèse  évolutionniste.  Le  concept  y  est  défini  comme  la  synthèse 
d'une  représentation  individuelle  prédominante  accompagnée  d'une 
série  de  représentations  connexes  vérifiées  par  l'aperception 
active.  Celte  synthèse  est  d'abord  décomposée  par  le  jugement  qui 
établit  ensuite  une  relation  nouvelle  entre  ses  éléments.  Le  raisonne- 
ment n'est  qu'une  extension  du  processus  du  jugement.  L'œuvre  de 
Wundt  s'achève  par  la  Méthodologie.  Traitant  assez  brièvement  de  la 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  367 

méthode  en  général,  il  en  répartit  les  procédés  en  trois  groupes  : 
analyse  et  synthèse,  abstraction  et  détermination,  induction  et  déduction; 
il  a  donné  de  grands  développements  à  la  méthodologie  spéciale.  —  On 
peut  s'étonner  que  Wundt,  qui  voit  dans  l'idée  et  dans  le  raisonnement 
des  faits  d'oi'dre  supérieur  aux  représentations  sensibles,  ait  eu  recours 
à  la  méthode  évolutionniste  qui  ne  pouvait  aboutir  dans  ces  conditions. 
D'ailleurs,  ce  n'est  pas  dans  des  germes  obscurs, mais  dans  des  principes 
évidents  qu'il  faut  chercher  le  fondement  des  sciences.  La  théorie  du 
jugement  est  insuffisante  ;  si  nous  procédions  toujours  par  décomposi- 
tion d'une  représentation  en  ses  éléments,  les  jugements  négatifs  ne 
s'expliqueraient  pas. 

Logique  Extra- Rationnelle.  —  Trois  tentatives  pour  faire  rentrer 
des  phénomènes  distincts  des  faits  de  connaissance  dans  le  domaine  de 
la  logique  sont  ici  brièvement  retracées  et  examinées.  M.  Lapie  s'est 
basé  sur  le  parallélisme  rigoureux  qui  lui  semble  exister  entre  l'intelli- 
gence et  la  volonlé  et  sur  la  possibilité  d'expliquer  les  caractères  des 
phénomènes  volontaires  par  ceux  des  phénomènes  intellectuels  pour 
construire  une  logique  de  la  volonté.  L'acte  volontaire  est  la  conclusion 
d'un  syllogisme  dont  les  jugements  sur  la  fin  et  sur  les  moyens  consti- 
tuent les  prémisses.  La  quantité  n'a  aucune  influence  dans  ce  raisonne- 
ment, mais  seulement  la  qualité  et  la  modalité.  Celle-ci  se  présente  sous 
deux  formes  :  possibilité  et  justice  d'une  action.  11  n'y  a  de  conclusion 
qu'avec  des  prémisses  aftirmatives.  —  Cette  réduction  des  phénomènes 
volontaires  aux  faits  intellectuels  est  sans  doute  très  séduisante  pour  la 
raison,  mais  n'y  a-t-il  pas  là  une  simplification  illusoire?  L'automatisme 
a  bien  plus  de  part  à  nos  résolutions  que  M.  Lapie  ne  le  suppose  et  la 
volition  telle  qu'il  la  décrit  ne  peut  èlre  qu'une  volition  idéale.  11  a  aussi 
le  tort  de  confondre  la  relation  physique  entre  une  cause  et  son  effet  avec 
la  relation  morale  entre  un  acte  et  sa  sanction,  et  de  ne  pas  tenir 
compte  de  l'élément  irréductible  de  l'impulsion  volontaire. 

M.  Rauh  s'est  appliqué  à  mettre  en  lumière  l'intervention  de  la 
logique  dans  la  morale.  Être  logique  dans  sa  conduile,  c'est  ne  pas 
changer  de  principe  tant  qu'il  n'y  a  pour  cela  d'autres  motifs  que 
l'égoïsnie  ou  linlérét.  Cette  contradiction  avec  soi-même  est  assez  facile 
à  éviter,  car  les  lois  morales  ne  sont  pas  absolues  et  par  ailleurs,  il  ne 
faut  pas  confondre  le  défaut  d'extension  ou  la  limitation  d'une  maxime 
avec  la  contradiction.  —  Cette  théorie  constitue  un  paradoxe  inexpli- 
cable :  si  les  lois  morales  n'ont  rien  d'absolu,  comment  la  contradiction 
serait-elle  possible? 

Dans  la  logique  des  sentiments  telle  que  la  conçoit  M.  Ribot,  il  ne 
s'agit  pas  d'étudier  l'influence  des  sentiments  sur  le  raisonnement,  mais 
bien  d'établir  la  logique  spéciale  aux  sentiments  en  tant  qu'elle  s'oppose 
à  la  logique  rationnelle.  Tandis  que  dans  celle-ci  la  conclusion  dépend 
tout  entière  des  prémisses,  dans  l'autre,  la  fin  à  laquelle  tend  l'émotion 
est  antérieure  aux  prémisses  et  les  conditionne.  Dans  ce  domaine,  le 
principe  de  contradiction  n'a  pas  d'application.  —  Il  semble  qu'on  abuse 
ici  d'une  métaphore  ;  la  logique  des  sentiments  ne  peut  se  distinguer 
complètement  de  la  logique  rationnelle.  Les  valeurs  morales  et  émotion- 
nelles ne  sont  pas  exclues  de  la  considération  de  cette  dernière  et  le 


•368         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

raisonnement  intellectuel  peut  tendre  à  une  fin  pratique.  La  contra- 
diction dans  le  domaine  des  sentiments  n'est  qu'upparente  et  tient  à  la 
mobililé  extrême  de  ces  phénomènes. 

Logique  Traditionnelle.  —  Avant  la  difîusion  des  doctrines  de  Kant, 
les  scolastiques  s'en  tenaient  aux  questions  classiques.  Dans  le  but  de 
défendre  contre  le  criticisme  l'objectivilé  de  la  connaissance,  ils  ajou- 
tèrent à  la  logique  une  partie  où  ils  étudiaient  les  sources  de  nos 
idées,  la  nature  du  critérium  suprême  et  indiquaient  le  point  de  vue 
initial  auquel  il  faut  se  placer  pour  ces  recherches.  Ils  nommèrent  cette 
partie  la  logique  critique.  Après  une  brève  esquisse  des  théories  de 
Balmès  et  de  Tongiorgi  sur  ce  sujet,  M.  Izquierdo  donne  une  analyse 
détaillée  de  deux  ouvrages  espagnols  :  la  Logique  Fondamenlale  de 
M.  Lofez  y  Maktino,  professeur  à  l'université  de  Valence,  et  les 
Principes  de  Logique  Fondamentale  de  M.  Fajarnes,  professeur  à  l'uni- 
versité de  Madrid.  Il  présente  le  premier  travail  comme  un  mélange 
bizarre  et  sans  valeur  de  krausisme  espagnol  et  de  scolastique.  Tout 
autre  lui  apparaît  l'œuvre  de  M.  Fajarnes  qui,  en  restant  attaché  aux 
conceptions  traditionnelles,  a  su  les  rajeunir  par  la  manière  nouvelle 
dont  il  les  expose  et  surtout  par  l'originalité  avec  laquelle  il  traite  le 
problème  critique.  C'est  une  des  meilleures  justifications  du  dogmatisme 
qu'un  scolastique  ait  écrite. 

Conclusions.  —  Une  brève  synthèse  présente  en  raccourci  les  princi- 
pales orientations  logiques  exposées  dans  l'ouvrage,  puis  l'auteur 
développe  trois  conclusions  :  1°  Il  serait  très  utile  de  consacrer  une 
étude  spéciale  aux  connaissances  immédiates  ou  qui  paraissent  telles, 
car  les  erreurs  y  sont  fréquentes  et  pourtant  plus  faciles  à  éviter  que 
les  fautes  de  raisonnement.  2"  On  a  eu  tort  de  vouloir  étendre  la  Logi- 
que en  y  ajoutant  la  logique  des  sciences  et  les  recherches  critiques 
sur  la  valeur  de  la  connaissance  et  sur  le  critérium  suprême.  En  effet, 
c'est  à  chaque  science  à  tracer  ses  procédés  et  à  traiter  de  sa  méthode  ; 
quant  au  problème  critique,  il  relève  de  la  métaphysique.  3°  Enfin,  la 
logique  n'a  qu'une  valeur  éducative  très  médiocre  et  n'est  d'aucun 
secours  pour  le  travail  scientifique.  Celte  dernière  conclusion  qui  paraît 
due  aune  réaction  contre  l'importance  exagérée  attribuée  en  Espagne 
aux  études  logiques  par  les  programmes  ofliciels,  me  semble  trop 
pessimiste  et  d'un  scepticisme  assez  superficiel.  Si  la  logique  est  d'une 
utilité  restreinte  pour  l'invention,  elle  n'en  reste  pas  moins  finstrument 
de  contrôle  indispensable  et  rien  n'est  considéré  comme  détinitivement 
acquis  avant  d'avoir  satisfait  entièrement  à  ses  exigences. 

M.  Savio  a  fait  paraître  en  1907  une  troisième  édition  de  son  ouvrage: 
Logica  Raziocinativa  e  Indultiva{i).  Parmi  les  nombreuses  additions 
qu'on  y  remarque,  la  plus  importante  est  une  histoire  de  la  logique 
qui,  sous  une  forme  abrégée,  présente  un  ensemble  très  complet  On  y 
voit  même  figurer  la  dialectique  hindoue  et  celle  des  rabbins.  Les 
questions  traditionnelles  sont  exposées  avec  une  grande  clarté  ;  il  ne 
semble  pas  que  des  vues  bien  définies  aient  présidé  à  la  rédaction 
de  la  partie  critique  où  l'on  rencontre  des  éléments  assez  disparates. 


1.  1  vol.   in-8o   de   381   p.   Ronia,   Francesco   Ferrari. 


BULLETIN    DE   PHILOSOPHIE  369 

Quant  à  la  logique  induclive,  elle  est  traitée  avec  tous  les  développe- 
ments désirables  et  les  étudiants  pourront  y  puiser  une  connaissance 
exacte  du  sujet. 

2.    Monographies. 

Citons  d'abord  l'article  si  remarquable  de  M.  Couturat  :  La 
Logique  et  la  Philosophie  Conlemporaine  (1),  où  sont  passées  en 
revue  les  principales  tendances  qui  s'opposent  actuellement  au  déve- 
loppement de  la  logique  ou  en  méconnaissent  la  nature.  Le  psycholo- 
gisme  qui  la  ramène  à  la  psychologie  et  à  la  morale,  le  sociologisme  qui 
en  fait  un  produit  de  la  vie  en  société,  le  moralisme  qui  lui  substitue 
l'intuition,  le  pragmatisme  enfin  qui  confond  le  vrai  avec  ses  consé- 
quences pratiques. 

Sous  ce  titre:  Le  Mouvement  Logique  (2),  M.  Lalande,  après  avoir 
signalé  le  réveil  des  études  de  logique  et  sommairement  décrit  les 
directions  très  diverses,  incohérentes  même,  qu'elles  prennent,  examine 
en  détail  cinq  ouvrages  :  la  Logique  du  R.  P.  Hugon,  0.  P.  (3),  les 
travaux  de  M.  M.  Wolf  (4),  Suearman  (o),  A.  Pastore  (6)  etB.  Croce  (7)' 
et  termine  par  l'analyse  d'un  article  de   M.  Vailati(8). 

iM.  Lachelier  a  publié  un  article  fort  intéressant  sur  La  Proposition  et 
le  Syllogisme  (9).  Il  établit  une  distinction  entre  les  propositions  d'inhé- 
rence comme  :  Tout  homme  est  mortel,  et  celles  qu'on  pourrait  appeler 
propositions  de  relation.  Ex.  :  Fontainebleau  est  moins  grand  que 
Versailles.  Les  propositions  d'inhérence  sont  subdivisées  en  cinq 
classes  :  propositions  singulières,  collectives  déterminées,  collectives 
indéterminées,  universelles  et  particulières.  Cette  classification  entraine 
des  conséquences  importantes  pour  le  syllogisme.  Les  trois  figures  du 
syllogisme  ont  chacune  leur  rôle  propre  et  aboutissent  à  une  conclusion 
de  nature  spéciale.  Quand  on  les  compare  entre  elles,  la  première  seule 
garde  toujours  un  caractère  positif,  les  deux  autres  ont  vis-à-vis  d'elle 
et  vis-à-vis  d'elle  seule  un  rôle  négatif  consistant,  pour  la  seconde,  à 
renverser  la  mineure  et  pour  la  troisième,  à  renverser  la  majeure  du 
syllogisme  de  première  figure. 

Logic  and  Ldentitg  in  Différence  {10)  e&l  le  titre  d'une  étude  où  Miss 
Constance  Jones  s'applique  à  définir  la  notion  de  l'unité  dans  la  diffé- 


1.  R.  de  Met.  et  de  2Ior.,  ^lai  1906,   pp.  .318-3-41. 

2.  Rev.   Philosophique,   Mars   1907,   pp.   256-288. 

3.  1  vol.    in-12    de    VIII-508    p.    Paris,    Lethielleux. 

4.  The  Existential  Import  of  Categorical  Prédication.  1  vol.  in-12,  XII-264  p. 
Cambridge,    University    Press.  1905. 

5.  Cf.  p.   357. 

6.  Logica  Formate,  dedotta  dalla  considerazione  di  modelli  meccaiiici.  1  vol. 
in-12  de  23-258  p.  Torino,  Fr.  Bocca,  1906. 

7.  Lineamenti  di   una  Logica,   corne  scienza  del  concetto   puro.   1  vol,   in-4o 
de  140  p.  Naples,  Giaruiii  e  F^li,  1905. 

8.  Pragmatism  and  Mathematical  Logic.  The  Monist,  oct.  1906,  p.  481-491. 

9.  R.  de  Met.   et  de  Mor.,  Mars   1906,   pp.  135-164. 

10.  Proceedings  of  The  Arisiotelian  Society,  pp.  81-92.  London,  Williams  and 
Norgate,    1907. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  2.  24 


•  370         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

rence.  Elle  en  reconnaît  deux  types  principaux  :  l'identité  dans  la 
diversité  ou  identité  numérique  et  la  ressemblance  dans  la  différence 
ou  identité  qualitative.  L'identité  dans  la  diversité  est  indispensable  à 
l'inférence  sous  toutes  ses  formes  aussi  bien  qu'à  l'atTirmation.  Le 
rapport  de  ressemblance  dans  la  différence  est  à  la  base  de  la  classifi- 
cation et  rend  possible  le  raisonnement  inductif. 

Sur  le  sujet  connexe  des  distinctions,  M.  Vailati  a  écrit  quelques 
pages  du  plus  haut  intérêt  (1).  Il  montre  comment  les  philosophes 
essayant  de  supprimer  les  distinctions  et  les  oppositions  pour  atteindre 
l'unité  complète,  n'ont  abouti  qu'à  les  consolider  ou  à  les  déplacer  et 
même  à  en  augmenter  le  nombre. 

Paris.  F. -A.  Blanche. 

V 
OUVRAGES    GÉNÉRAUX   DE    PHILOSOPHIE. 

LE  R.  P.  HuGON,  0.  p.,  a  entrepris  la  publication,  en  latin,  d'un 
Cours  de  philosophie  thomiste,  dont  quatre  volumes  sont  déjà 
parus  :  Logica  minoret  major  (2)  ;  —  Philosophianaturalis.  Prima  Pars  : 
Cosmologia  (3)  ;  —  Philosophia  naluralis.  Secunda  Pars  :  Biologia  et 
Psychologia  (4)  ;  —  Metaphysica.  Frima  Pars  :  Metaphysica  Psycho- 
logica  (5).  Viendront  prochainement,  en  deux  volumes  subséquents, 
la  V^  partie  de  la  Métaphysique  ontologique  :  l'être  et  ses  pro- 
pi-iétés,  —  enfin  la  2°'«  partie  de  la  Métaphysique  ontologique  : 
divisions  de  l'être.  Dans  la  préface  de  son  ouvrage,  l'auteur  nous  aver- 
tit qu'il  omettra  volontairement  l'Éthique  et  la  Théodicée  :  en  effet,  cet 
ouvrage  n'est  dans  sa  pensée  qu'une  introduction,  une  «  propédeutique  » 
à  la  théologie  de  saint  Thomas,  et  l'on  sait  que  dans  la  Somme  Théolo- 
gique le  point  de  vue  philosophique  du  traité  de  Dieu  et  de  la  morale 
est  représenté  à  l'état  complet. 

On  voit  par  ces  seules  indications  qu'il  ne  s'agit  point  ici  d'un  manuel 
étriqué  et  de  courte  haleine,  mais  d'un  véritable  cours  de  philosophie, 
exposant  et  élucidant  les  questions  d'une  façon  large  et  copieuse.  Ces 
questions,  nous  ne  voulons  pas  les  analyser  :  elles,  sont  celles  de  la 
philosophie  spiritualiste  traditionnelle,  résolues  du  point  de  vue  du  plus 
pur  thomisme.  Le  contact  immédiat  avec  la  pensée  du  Docteur  angé- 
îique,  avec  celle  aussi  de  ses  commentateurs  attitrés,  en  particulier  de 
Jean  de  Saint-Thomas,  a  permis  au  R.  P.  Hugon  de  s'assimiler,  au 
cours  de  longues  années  de  professorat,  la  doctrine  philosophique  de 
l'école  dominicaine  et  de  la  rendre,  non  par  juxtapositon  de  textes 
alignés,  —  comme  on  le  fait  souvent,  —  mais  d'une  manière  toute  per- 

1.  The  Attack  on  Distinctions.  Journ.  of.  Phil.  Fsijch.  and  Se.  Methods. 
19  déc.  1907,  pp.  101-109. 

2.  Paris,  Lethielleux,  s.   d.,   1  vol.  iii-8o  carré,  508  p. 

3.  Paris,  Lettiielleux  ,s.   d.,  1  vol.  in-8o  c-arré,  326  p. 

4.  Paris,  Lethielleux,  s.  d.,  1  vol.  in-8o  carré,  342  p. 

5.  Paris,    Lethielleux,    s.    d.,    1  vol.    in-8o    carré,    256    p. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  371 

sonnelle,  en  la  synthétisant  à  nouveau,  sans  que  cela  nuise  en  rien  à  la 
fermeté  des  développements  et  à  l'exactitude  des  conclusions.  En 
tablant  ainsi  sur  cette  base  traditionnelle,  l'auteur  n'a  pourtant  rien 
négligé  des  ressources  d'information  de  la  science  d'aujourd'hui  : 
c'est  ainsi,  par  exemple,  que  la  Cosmologie  a  sa  thèse  foncière,  l'hylé- 
morphisme,  très  bien  illustrée  et  défendue  par  les  progrès  de  la  chimie; 
de  même  la  Psychologie  fait  constamment  appel  aux  données  des 
sciences  biologiques. 

En  faisatit  grand  honneur  à  l'érudition  du  R.  P.  Hugon,  cet  ouvrage 
de  pensée  mûrie  contribuera  avec  succès  à  la  diffusion  delà  doctrine 
philosophique  de  saintThomas.  Les  professeurs  des  grands  séminaires, 
pour  lesquels  une  étude  textuelle  et  directe  de  saint  Thomas  et  de  ses 
commentateurs  est  souvent  —  faute  de  temps  —  fort  difficile,  trouve- 
ront dans  ces  volumes  un  exposé  ample  et  clair  de  la  philosophie 
thomiste,  en  même  temps  qu'un  heureux  essai  d'harmonisation  de  cette 
doctrine  avec  les  conclusions  scientifiques  les  mieux  établies  de  notre 
époque. 

De  moindre  importance  et  de  moindre  envergure  que  le  précédent, 
le  cours  de  philosophie  scolastique  :  Elementa  philosophiie  scholas- 
ticse{l),  du  D"^  Leb.  Reinstadler,  mérite  cependant,  par  ses  sérieuses 
qualités,  d'attirer  l'attention.  Il  s'agit  cette  fois  d'un  manuel,  où  les 
questions  sont  brièvement  traitées,  avec  la  rigidité  forcément  imposée 
aux  ouvrages  élémentaires.  Il  est  spécialement  destiné  aux  élèves,  et 
l'auteur  s'en  remet  au  professeur  pour  développer  les  thèses  succincte- 
ment proposées  ;  ces  développements  étant  d'ailleurs  facilités  par  de 
nombreuses  références  et  d'abondantes  citations.  Il  ne  faudrait  pas 
croire  pourtant  que  les  thèses  ne  soient  qu'ébauchées  ;  car  elles  sont 
traitées  de  façon  assez  complète  et  satisfaisante.  L'auteur  déclare 
vouloir  s'inspirer  de  la  doctrine  de  saintThomas  :  il  s'en  inspire  surtout 
à  travers  la  Philosophia  Lacensis  des  PP.  Jésuites,  le  Cours  de  philoso- 
phie de  Mgr  Mercier  et  les  écrits  et  enseignements  du  P.  Lepidi.  Un 
certain  flottement  se  révèle  dans  sa  pensée,  quand  il  rencontre  les 
thèses  foncières  caractéristiques  de  la  philosophie  thomiste,  dont  les 
conséquences,  pour  l'ensemble  du  système,  ne  semblent  pas  avoir  été 
sutrisamment  entrevues.  Sur  les  questions  controversées,  le  D''  Rein- 
stadler  est  donc  volontiers  conciliateur,  par  exemple  sur  la  question 
de  la  distinction  réelle  entre  l'essence  et  l'existence,  sur  celle 
du  concours  divin  :  les  opinions  de  l'école  thomiste  lui  semblent 
d'ordinaire  plus  logiques  et  même  «plus  vraies»,  mais  il  ajoute: 
«  quse  (sententia)  magis  placuerit  illam  bona  cum  pace  quisque 
teneat.  »  En  Critériologie,  en  Psychologie,  en  Cosmologie,  parties  de 
son  ouvrage  plus  particulièrement  développées,  l'auteur  s'inspire 
immédiatement  de  l'école  néo-scolastique  de  Louvain.  Et  nous  ne  l'en 
blâmons  pas.  En  fin  de  compte,  nous  pensons  que  cet  ouvrage,  étant 
donné  son  esprit  général  et  la  clarté  de  son  exposition,  réalise  fort  bien 


1.  Fribourg  en  Brisgau,   Ilerder,    1907;   2  vol.  in  1-2   XXVIIl-466  p.;   XVIII- 
487    p. 


372         REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

le  but  qu'il  se  propose:  être  un  manuel  destiné  aux  débutants  en  philo- 
sophie scolastique,  particulièrement  aux  élèves  des  séminaires.  Il  les 
préparera  solidement  à  la  théologie  en  leur  donnant  goût  aux  études 
philosophiques. 

La  sixième  édition  de  la  Philosophia  moralis  du  R.  P.  Victor  Cathrein, 
S.  J.,  vient  de  paraître  (1).  Les  mérites  de  cet  ouvrage  sont  trop  connus 
pour  que  nous  y  insistions.  Il  fait  partie,  on  le  sait,  du  Cursus  philoso- 
phicus  in  usum  scfiolarum  auctoribus  pluribus  pliilosopJdce  professoribus 
in  collegiis  Valkenburgensi  et  Stonyhurstensi,  S.  J..  On  sait  également 
que  ces  auteurs  soutiennent  en  métaphysique  et  en  morale,  les  doctrines 
traditionnelles  dans  l'école  jésuite  :  non-distinction  réelle  entre 
l'essence  et  l'existence,  probabilisme,  etc. 

M.  l'abbé  Dagneaux,  avantageusement  connu  déjà  par  ses  Leçons 
de  métaphysique  (2)  et  son  Histoire  de  la  philosophie  (3),  vient  de 
publier  un  Cours  de  philosophie  (4),  dont  le  mérite  ne  le  cède  en  rien 
à  celui  de  ses  ouvrages  précédents.  Professeur  de  philosophie  depuis 
vingt-sept  ans,  l'auteur  avait  toute  compétence  pour  écrire  un  manuel 
traitant  brièvement  de  l'ensemble  des  questions  philosophiques. 
S'adressant  à  des  débutants,  l'auteur  évite  de  les  accabler  de  détails 
trop  techniques;  il  procède  toujours  par  les  divisions  les  plus  simples, 
les  plus  classiques,  soucieux  de  clarté  dans  l'exposé  des  diverses  opi- 
nions, de  précision  dans  les  raisons  qu'il  fait  valoir.  C'est  à  l'ensei- 
gnement de  saint  Thomas  que  cet  ouvrage  emprunte  le  sens  de  ses 
principales  conclusions  ;  rien  n'y  est  négligé  pourtant  des  informa- 
lions  nécessaires,  prises  à  la  philosophie  moderne. 

Les  mêmes  qualités  d'ordre  et  de  méthode,  de  précision  et  de  clarté, 
le  même  souci  d'information,  —  mais  avec  un  exposé  plus  abondant  — 
se  retrouvent  dans  la  huitième  édition,  récemment  parue,  du  Cours  de 
Philosophie  [o,  du  R.  P.  Cu.  Laur,  S.  J,.  Cet  ouvrage  n'est  pas  un  traité 
de  philosopljie  scolastique,  mais  un  cours  spécialement  destiné  aux 
candidats  au  baccalauréat  es  lettres  et  rédigé  conformément  au  pro- 
gramme officiel.  La  marche  du  traité  suit  scrupuleusement  l'ordre  même 
du  programme,  non  pas  que  l'auteur  estime  cet  ordre  le  meilleur,  —  il 
nous  en  avertit  —  et  qu'il  veuille  par  là  enciiaîner  la  liberté  du  profes- 
seur ;  mais  «  uniquement  afin  que  professeurs  et  élèves  sachent  oîi 
trouver  ce  qu'ils  cherchent.  »  Le  succès  de  librairie  de  ce  livre  indique 
assez  la  valeur  de  l'enseignement  philosophique  qu'il  renferme.  Remar- 
quons comme  particulièrement  excellents  les  Appendices  qui,  après 
chaque  question,  précisent  des  points  particuliers,  déterminent  les 
conséquences  théoriques  et  surtout  pratiques  des  doctrines  proposées. 

1.  Fribourg  en  Brisgau,  Herder,   1907;   1  vol.  in-8o  XVIII-562  p. 

2.  Paris,  Lethielleux,  s.  d.,  1  vol.  in-S»  carré. 

3.  Paris,   Lethielleux,   s.   d.,    1  vol.   in-8o   carré. 

4.  L  Psychologie;  =—  IL  Logiqiie,  Morale,  Métaphysique,  Esthétique,  Paris, 
Lethielleux,    s.    d.,    2  vol  iû-12. 

5.  Psychologie,  Logique;  —  IL  Morale,  Métaphysique,  Histoire  de  la 
philosophie;  Paris,  Beauchesne  et  C^e,   1908;  2  vol.   in-8o,  553  et  560  pages. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  373 

M.  l'abbé  Élie  Blanc  vient  de  publier  un  Diclionnaire  de  Philoso- 
phie (1),  à  la  fois  bibliographique,  historique  et  dogmatique.  Dans  une 
intéressante  Préface,  l'auteur  passe  en  revue,  analyse  et  critique  les 
différentes  œuvres  lexicographiques  qui  ont  précédé  la  sienne.  Certaine- 
ment ce  nouveau  Dictionnaire  rendra  de  notables  services.  L'histoire 
de  la  philosophie  ancienne  y  a  sa  place,  mais  moins  prépondérante  que 
celle  de  la  philosophie  moderne.  Sans  rien  omettre  des  indications 
nécessaires  sur  la  vie,  les  œuvres,  les  doctrines  des  philosophes 
d'autrefois,  l'auteur  accorde  cependant  plus  d'attention  aux  philosophes 
contemporains, surtout  aux  philosophes  français  et  aux  ouvrages  publiés 
ou  traduits  en  notre  langue.  Les  renseignements  bibliographiques, 
malgré  quelques  lacunes  (très  pardonnables,  étant  donné  la  recension 
immense  que  suppose  une  pareille  œuvre)  sont  des  plus  précieux.  Mais 
ce  Dictionnaire  est  avant  tout  doctrinal  et  nettement  dogmatique. 
M.  Blanc  dit  avec  raison:  «un  dictionnaire  de  philosophie,  ne  fùt-il 
qu'un  simple  lexique,  est  nécessairement  doctrinal  ;  il  est  forcément 
l'expression  d'un  système,  d'une  école,  d'un  groupe,  tout  au  moins 
d'une  tendance,  sous  peine  d'enregistrer  simplement  les  opinions  de 
tout  le  monde  et  de  perdre  tout  caractère.  »  (Préface,  p.  vu.)  Ce  dogma- 
tisme qui,  chez  M.  Blanc,  s'inspire  de  la  philosophie  spiritualiste,  est, 
d'ordinaire,  d'allure  modérée  ;  les  opinions  des  adversaires  ne  sont 
pas  ignorées,  mais  elles  sont  exposées  et  discutées  consciencieusement. 
Le  volume  qui  contient  environ  4. 000  articles,  disposés  par  ordre  alpha- 
bétique, est  complété  par  deux  tables  méthodiques  dressées,  l'une 
selon  l'ordre  logique,  l'autre  selon  l'ordre  historique. 

Kain.  H.  D.  Noble,  0.  P. 


1.  Paris,   Lethielleux,   s.   d.,    1  vol.    grand  in-8o   carré,    1247  pages. 


Bulletin  d'histoire  des  doctrines 
chrétiennes. 


I.  —  Ouvrages  Généraux. 

M.  0.  Pfleiderkr  vient  de  réunir  en  volume,  sous  le  titre  de  «  Déve- 
loppement du  Christianisme  »,  une  série  de  conférences  données  devant 
le  grand  public  (1).  Dans  son  intention,  elles  forment  avec  celles  qu'il  a 
déjà  publiées  précédemment  :  «  La  Religion  et  les  Religions  »,  «  Les 
origines  du  Christianisme  »,  une  sorte  de  trilogie  que  domine  une  même 
idée  et  dont  le  but  est  de  fournir  un  coup  d'œil  d'ensemble  sur  la  vie  reli- 
gieuse de  Thiimanité,  depuis  ses  débuts  à  notre  époque.  Dans  le  présent 
travail,  M.  Pfleiderer  montre  comment  le  christianisme  a  évolué  du  pre- 
mier siècle  à  l'époque  de  la  Réforme,  et  au  sein  même  de  celle-ci.  La  pre- 
mière partie,  la  seule  qui  rentre  dans  le  champ  de  ce  Bulletin,  comprend 
les  chapitres  suivants:  4.  Paul  et  Jean,  Apologistes  et  Aniignostiques  ; 
2.  Les  Alexandrins  Clément  et  Origène  ;  3.  Dogme  et  morale  ;  4.  Culte  et 
institutions  ;  5.  Aurelius  Augustinus  ;  6.  L'Église  romaine-germanique  ; 
7.  Scolastique  et  Mystique  ;  8.  Fin  du  moyen-âge.  Il  ne  faut  pas  chercher 
dans  cet  exposé  rapide  la  rigueur  scientifique  ou  même  le  récit  continu 
des  faits  :  l'auteur  marque  les  grandes  lignes  sans  sarrêter  au  détail, 
mais  il  se  montre  conférencier  habile  et  avisé  dans  le  choix  des  sujets, 
tous  significatifs,  et  dans  la  forme  agréable  qu'il  donne  à  sa  parole. 

Quant  aux  idées,  lui-même  les  caractérise  dans  une  introduction,  en  les 
rattachant  à  celles  de  Baur  et  de  l'école  de  Tubingue.  En  conséquence  il 
s'oppose  nettement  aux  tendances  manifestées  par  Ritschl  et  Harnack. 
Ni  le  travail  théologique  de  saint  Paul,  ni  les  influences  de  la  pensée 
grecque,  ne  lui  semblent  une  corruption  du  Christianisme.  C'en  est  le 
développement,  c'est-à-dire  «  un  devenir  normal  et  finaliste  dans  lequel 
tout  est  fruit  et  semence,  chaque  manifestation  étant  conditionnée  par 
celles  qui  précèdent  et  conditionnant  celles  qui  suivent.  »  Il  est  vrai  que 
M.  Pfleiderer  entend  par  là  une  évolution  allant  jusqu'à  transformer  la 
substance  même  du  christianisme.  Finalement  celui-ci  n'est,  pour  lui, 
qu'une  forme  nécessaire  peut-être,  mais  en  tout  cas  passagère,  de  la  vie 
religieuse  de  l'humanité. 

Je  ne  puis  que  signaler  ici  la  réédition  faite  par  M.  R.  Seeberg  de  son 
Lehrbuch  der  Dogmengeschichte.  T.  I.  (Leipzig,  Deichert,  1908).  N'ayant 
pas  cet  ouvrage  sous  la  main,  il  m'est  impossible  de  signaler  les  amélio- 
rations apportées  par  l'auteur. 


1.  Die    Entwicklung    des    Christentums.    Munich,    J.    Lehinann,    1907;    iii-8, 
VIII-270   pp. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  375 


II.   —    MONOGRAPHIES  DE   DOCTRINES. 

La  Sainte  Vierge.  —  Dans  la  Revue  d'histoire  et  de  littérature  reli- 
gieuses (1),  M.  G.  Herzog  a  donné  un  complément  à  son  article  sur 
La  Conception  Virginale.  Cette  nouvelle  étude  s'intitule  :Za  Sain/e  Vierge 
dans  l'histoire,  avec,  en  sous-titre,  l'indication  des  chapitres  suivants  : 
1.  La  virginité  «  in  partu  »  ;  2.  Débuts  de  la  croyance  à  la  sainteté,  de 
Marie  ;  3.  Progrès  de  la  sainteté  de  Marie  ;  4.  Nouveau  progrès  de  la 
sainteté  de  Marie  ;  5.  La  conception  de  Marie  de  S.  Augustin  à  S.  Bernard  ; 

6.  La   conception    de    Marie    depuis   S.  Bernard  jusqu'à   Duns  Scot  ; 

7.  L'immaculée  Conception.  —  Plus  encore  que  dans  le  précédent 
travail  la  méthode  de  l'auteur  décèle  une  fantaisie  incompatible  avec 
l'histoire,  et  on  aurait  tort  de  se  fier  au  semblant  d'érudition  qui  s'étale 
au  bas  des  pages.  Enumération  incomplète  des  documents,  traductions 
tendancieuses,  inexactitudes  de  détail  facilitent  la  tâche  de  démolition 
que  semble  s'être  assignée  l'auteur. 

Dans  un  article  récent  (2),  M.  A.  d'AiÈs  a  critiqué  les  premières  pages 
de  celte  étude  et  mis  à  nu  les  vices  de  méthode  qui  larendent  caduque  (3). 

Mais  la  meilleure  et  la  plus  efficace  réfutation  de  pareilles  thèses  se 
fera  toujours  par  la  composition  de  monographies  sérieuses  et  objectives. 
Or  voici  que  précisément  deux  excellentes  études  viennent  fournir  une 
réponse  aux  difficultés  soulevées,  après  d'autres,  par  M.  G.  Herzog. 
De  toutes  deux  on  peut  dire  en  vérité  qu'elles  comblent  une  lacune  dans 
l'historiographie  catholique. 

La  première  due  à  M.  E.  Neubert  (4),  est  une  thèse  présentée  à  l'uni- 
versité de  Fribourg  (Suisse)  pour  l'obtention  du  doctorat  en  théologie. 
Elle  traite  de  la  période  anlénicéenne  et  comprend  deux  pai-ties  :  1. 
Marie  dans  le  dogme  ;  2.  Marie  dans  la  piété.  La  première  «  comprend 
les  affirmations  dogmatiques  que  les  discussions  christologiques  des 
trois  premiers  siècles  ont  fait  porter  sur  Marie,  à  savoir  sa  maternité 
humaine,  sa  virginité  dans  la  conception  de  Jésus  et  sa  maternité 
divine,  ainsi  qu'une  étude  sur  les  origines  de  l'article  du  symbole 
«  natus  ex  Maria  virgine  »  ;  la  seconde  partie  traite  des  questions  dans 
lesquelles  Marie  a,  dans  une  certaine  mesure,  attiré  pour  elle-même 
l'allention  pieuse  des  fidèles,  c'est-à-dire  de  sa  virginité  perpétuelle,  de 
sa  sainteté,  de  sa  coopération  à  la  Rédemption,  et  du  culte  de  véné- 
ration et  d'invocation  dont  elle  a  été  l'objet.  » 

D'une  étude  minutieuse  et  purement  historique  des  sources  primitives, 
autres  que  les  écrits  inspirés,  se  dégagent  les  conclusions  suivantes. 

1.  Septembre-décembre    1907;    pp.    483-607. 

2.  Pour   l'honneur  de  Notre-Dame   dans   Études,   20  fév.    1908,   pp.   453-472. 

3.  Depuis,  M.  L.  Saltet  a  montré  dans  le  Bulletin  de  Littérature  ecclésias- 
tique (mars  1908)  que  cette  soi-disant  étude  critique  était  «  le  travail  d'un 
éJionté  plagiaire...  Herzog,  sans  le  dire,  a  tout  simplement  démarqué  et 
tourné  contre  nous  certains  chapitres  de  VHistoire  de  la  théologie  positive  die 
M.    Turmel.  » 

4.  Marie  dans  l'Église  anténicéenne  (Bibliothèque  théologique).  Paris,  J.  Ga- 
balda,  1908;  in-12,  xvi-203  pp. 


376         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Dès  l'origine,  le  chrislianisme  dut  se  défendre  contre  le  docétisme  qui 
ruinait  l'Incarnation.  Il  le  fit  en  affirmant  contre  lui  que  Jésus  est  réelle- 
ment né  de  Marie.  «  La  lutte  contre  les  négateurs  de  la  naissance  véri- 
table, assez  énergique  dès  les  débuts,  fut  particulièrement  vive  à  partir 
du  milieu  du  11*^  siècle.  Elle  a  trouvé  son  expression  la  plus  parfaite  dans 
Tertullien,  et  tout  en  perdant  de  son  importance  après  lui,  elle  s'est 
poursuivie  jusqu'à  la  fin  delà  période  anlénicéenne. 

»  En  même  temps  que  la  maternité  humaine,  la  conception  virginale 
devenait  un  des  grands  dogmes  du  christianisme  primitif.  Cette  croyance 
qui,  dès  sa  fixation  dans  les  Évangiles,  semble  avoir  été  acceptée  sans 
contestations  par  les  différentes  Églises,  fut  mise  en  plein  relief:  1°  par 
la  lutte  contre  les  Juifs  et  les  Païens  qui  la  niaient  ou  la  travestissaient; 
2'^  par  la  lutte  contre  les  hérétiques  dont  les  uns  la  rejetaient,  et  dont 
les  autres  en  méconnaissaient  la  signification  ou  en  faisaient  un  argument 
contre  la  vérité  de  la  maternité.  »  S.  Justin  insiste  tout  spécialement  sur 
ce  point. 

«  La  maternité  divine  de  Marie  dut  aussi  être  affirmée,  du  moins  quant 
au  contenu  de  la  croyance,  dans  la  lutte  contre  les  hérétiques,  qui  tous 
refusaient  de  reconnaître  l'union  en  un  seul  être  des  natures  divine  et 
humaine.  Cependant  la  manière  dont  la  question  était  posée  n'exigeait 
pas  l'emploi  de  l'expression  «  Mère  de  Dieu  »  :  mais  on  trouve  des 
expressions  équivalentes  chez  tous  les  Pères  anténicéens...  Peut-être 
Origène  a-t-il  déjà  prononcé  le  mot  Gîoro/.oç.  Mais  on  ne  peut  citer 
aucun  Père  anténicéen  qui  s'en  soit  certainement  servi,  quoiqu'il  ait  cer- 
tainement existé  avant  la  lutte  arienne. 

»  Les  affirmations  relatives  à  Marie,  à  cause  de  la  corrélation  intime 
qui  les  unissait  aux  affirmations  christologiques,  servaient  aussi  à 
garantir  la  saine  doctrine  sur  le  Christ.  »  Aussi  l'article  :  «  Né  du  Saint- 
Esprit  et  de  la  Vierge  Marie  »,  fit-il  partie  du  premier  symbole  connu, 
le  symbole  i-omaiu,  qui  allait  servir  de  base  à  tous  les  symboles  posté- 
rieurs ;  et  là  où  il  n'existait  pas  encore  le  contenu  de  cet  article  était 
au  nombre  des  vérités  que  tout  fidèle  devait  connaître. 

«  La  question  de  la  virginité  in  parlu,  dès  qu'elle  s'est  posée  explici- 
tement, a  été  partout  résolue  affirmativement,  sauf  par  Tertullien...  Il 
en  est  à  peu  près  de  même  delà  question  de  la  virginité /?os/  partum... 
A  partir  d'Origène,  nous  ne  rencontrons  plus  que  des  hérétiques  pour 
rejeter  cette  croyance.  »  —  «  La  sainteté  de  Marie,  déjà  nettement  carac- 
térisée par  saint  Luc,  est  constamment  affirmée  durant  la  période 
anténicéenne.  La  piété  des  fidèles  a  essayé  de  compléter  les  traits  évan- 
géliques  de  la  physionomie  religieuse  de  la  Vierge.  L'exemption  de  toute 
faute  en  Marie  est  supposée  par  la  façon  de  parler  de  tous  ceux  qui  ont 
fait  allusion  à  ce  point,  sauf  par  Tertullien  qui  n'a  guère  vu  en  Marie 
qu'une  femme  ordinaire  et  par  Origène,  qui,  pour  des  raisons  théolo- 
giques et  exégétiques,  attribue  à  Marie  une  infidélité  passagère.  Cette 
sainteté  de  Marie  a  pour  principe  sa  qualité  de  Mère  du  Sauveur,  et  elle 
est  d'ordinaire  mentionnée  à  propos  de  sa  virginité.  Marie  apparaît 
comme  un  idéal  de  vertu...  Elle  domine  les  autres  saints,  quoique  non 
encore  aussi  ostensiblement  que  dans  la  suite. —  En  même  temps  qu'on 
considérait  les  rapports   religieux  qui  unissaient  Marie  à  son  Fils  d'une 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRETIENNES  377 

façon  spéciale,  on  s'aperçut  aussi  qu'elle  devait  lui  être  associée  d'une 
manière  particulière  dans  l'œuvre  même  qu'il  était  venu  accomplir...  Le 
côté  actif  de  cette  coopération,  déjà  marqué  par  S.  Justin,  a  été  mis  en 
relief  surtout  par .  S.  Irénée,  dont  la  doctrine  sera  acceptée  par  les  géné- 
rations suivantes.  —  Marie  ne  semble  pas  avoir  été  honorée  d'un  culte 
liturgique  pendant  les  trois  premiers  siècles,  ce  qui  n'est  pas  fait  pour 
nous  étonner  si  Ton  se  reporte  à  la  conception  liturgique  des  premiers 
temps  ;  mais  elle  fut  certainement  un  objet  de  vénération  pour  les  fidèles. 
Cette  vénération  s'est  traduite  dans  les  récits  sur  la  conception  et  l'enfan- 
tement virginal,  dans  l'art  des  catacombes,  dans  les  homélies  des  Pères 
et  surtout  dans  ce  travail  de  glorification  qui  a  fait  d'elle  un  personnage 
à  part  à  côté  de  Jésus.  On  ne  peut  citer  aucun  témoignage  certain 
établissant  qu'on  ait  prié  la  Mère  de  Dieu  dès  cette  époque,  mais  le 
silence  des  documents  s'explique  aisément,  et  la  comparaison  avec  les 
autres  bienheureux  qu'on  invoquait  au  moins  à  partir  de  la  moitié  du 
11^  siècle,  ainsi  que  le  pouvoir  spécial  d'intercession  attribué  à  Marie  ne 
permettent  pas  de  douter  qu'à  elle  aussi  aient  été  dès  lors  adressées 
les  prières  des  fidèles.  » 

Un  autre  travail  du  D""  Piiii.  Friedrich  s'occupe  spécialement  de  St  Au- 
gustin et  de  sa  théologie  delà  Vierge  (1).  Là,  comme  dans  la  plupart  des 
questions,  le  docteur  africain  a  une  importance  spéciale  :  il  résume  la 
tradition  théologique  antérieure  et  prépare  la  science  de  l'avenir.  Son 
témoignage  est  donc  particulièrement  significatif  et  il  y  avait  avantage 
à  le  formuler.  Le  D'  Friedrich  s'y  est  appliqué  d'une  façon  complète  et 
méthodique,  distribuant  la  matière  en  une  série  de  chapitres  qui  épui- 
sent le  sujet  :  origine  de  Marie,  sa  virginité,  sa  maternité  divine,  grâces 
et  vertus,  impeccabilité,  sa  place  dans  le  plan  divin,  sa  dignité  et  son 
culte. 

Avant  de  commencer  l'analyse  des  textes,  l'auteur,  en  quelques  mots, 
rappelle  l'état  de  la  théologie  au  moment  où  commence  l'activité  litté- 
raire de  S.  Augustin.  Descendant  de  David,  Marie,  sans  le  concours 
d'aucun  homme,  a  conçu  dansson  chaste  sein  le  Sauveur  et  l'a  engendré 
sans  perdre  sa  virginité.  De  plus,  malgré  son  mariage,  elle  a  gardé  celle- 
ci  intacte  après  la  naissance  de  son  fils.  Elle  est  Mère  de  Dieu.  Par  suite 
d'une  spéciale  élection  elle  a  reçu  des  grâces  de  choix,  auxquelles  elle  fut 
fidèle.  La  question  de  son  impeccabilité  est  encore  ouverte. 

S.  Augustin  a  accepté  ce  legs  de  l'antiquité  chrétienne  et  l'a  encore 
développé.  Au  dire  du  D"-  Friedrich  (p.  273),  la  Mariologieaugustinienne 
se  caractérise  par  la  mise  en  lumière  de  quatre  propriétés  de  la  Vierge  : 
virginilas  in  partu,  vœu  de  virginité,  maternité  spirituelle  et  immunité 
de  tout  péché  personnel. 

La  descendance  davidique  de  Marie  a  une  grande  importance  pour  la 
mtssianité  de  Jésus;  aussi  S.  Augustin,  en  se  basant  sur  l'Écriture,  la 
soutient  contre  le  manichéen  Fauste.  —  Il  professe  très  nettement  la 
virginité  de  Marie  ante  partum,  in  parlu,  post  partum,  et  il  regarde,  l'une 
des  deux  premières   au  moins,    comme  vérité  de  foi.  H    explique    la 


1.  Die   Mariolof/ie  des  hl.  Auguslinus.   Cologne,   J.   P.   Bachem,   1907;   ia-S", 
280    p. 


378       revul:  des  sciences  philosophiques  et  théologiques 

seconde  par  un  miracle.  Quant  à  la  troisième  il  nie  l'existence  de  rap- 
ports conjugaux  entre  Marie  et  Joseph  après  la  naissance  du  Sauveur  ; 
ceux  qu'on  appelle  les  frères  de  Jésus  sont  en  réalité  ses  cousins.  Bien 
plus,  il  affirme  que  Marie,  dès  avant  la  conception  du  Sauveur,  avait  fait 
vœu  de  chasteté,  et  en  même  temps  il  soutient  avec  non  moins  de  rigueur 
l'existence  du  mariage  entre  Marie  et  Joseph. 

L'explication  qu'il  donne  de  la  maternité  divine  repose  sur  sa  doctrine 
christologique.  Marie  est  vraiment  Mère  de  Dieu,  parce  qu'elle  a 
réellement  concouru  à  la  conception  du  Christ  et  que  le  moment  même 
de  la  conception  fut  celui  de  l'union  hypostatique  ;  il  n'y  eut  donc  jamais 
dans  le  sein  de  la  Vierge  que  la  personne  du  Verbe. 

S.  Augustin  a-t-il  tenu  la  doctrine  de  l'Immaculée  conception  ?  On  a 
beaucoup  discuté  et  depuis  fort  longtemps  sur  ce  sujet.  L'examen  établi 
sur  ce  sujet  par  le  D''  Friedrich  est  particulièrement  remarquable.  Il  est 
conduit  avec  une  méthode  rigoureuse  qui,  tenant  compte  de  la  chrono- 
logie, des  circonstances,  du  contexte,  s'interdit  toute  conclusion  hâtive. 
L'opinion  de  l'auteur  est  que  les  deux  textes  invoqués  pour  faire  de  S. 
Augustin  un  tenant  de  l'Immaculée  conception  sont  insuffisants.  L'un 
{De  natura  elgratia,  c.  xxxvi,  n.  42)  ne  parle  que  des  péchés  personnels, 
l'autre  {Opits  imperf.  c.  Julianum,  iv,  c.  122)  demeure  beaucoup  trop 
vague  pour  qu'on  puisse  rien  en  tirer.  Il  est  même  possible  que  la  pensée 
d'Augustin  sur  ce  point  n'était  pas  nette,  surtout  au  moment  où  il  devait 
lutter  contre  les  Pélagiens. 

Ces  conclusions  ont  été  combattues  par  le  P.  H.  Kirfel,  c.  ss.  r.  (1) 
qui  veut  faire  de  St  Augustin  un  témoin  du  dogme  de  l'Immaculée  Con- 
ception. Il  soutient  que  le  D""  Friedrich  n'est  pas  parvenu  à  établir  le 
contraire,  mais  on  peut,  avec  non  moins  de  raison,  se  demander  si  lui- 
même  est  arrivé  à  faire  la  preuve  de  ce  qu'il  avance.  —  La  même 
position  est  défendue  par  le  P.  H.  Morilla  (2). 

Par  contre,  dans  la  Revue  Augustinienne  (3),  le  P.  Auguste  Alvéry  ne 
fait  guère  que  reproduire  l'argumentation  du  D"^  Friedrich  et,  somme 
toute,  se  rallie  à  son  sentiment.  11  ajoute  :  «  Sans  doute  nous  pouvons 
nous  étonner  que  le  sublime  génie  d'Augustin  ne  se  soit  pas  élevé 
jusqu'à  la  hauteur  de  cette  doctrine,  alors  surtout  qu'en  fondant  l'immu- 
nité de  Marie  de  tout  péché  personnel  sur  sa  plénitude  de  grâce  et 
l'honneur  du  Christ,  il  en  avait  en  quelque  sorte  établi  les  fondements. 
Mais  il  ne  nous  est  pas  permis  d'enseigner  qu'il  lui  a  été  hostile.  S'il  n'a 
pas  tiré  la  conclusion  si  facile  de  ses  propres  prémisses,  c'est  que,  dans 
l'ardeur  de  sa  lutte  contre  le  Pélagianisme  négateur  du  péché  originel, 
cette  vérité  ne  s'est  pas  présentée  à  ses  yeux.  Au  reste  il  possède  une 
gloire  relativement  plus  belle,  c'est  de  n'avoir  rien  écrit  de  positif  contre 
le  futur  dogme,  malgré  les  innombrables  occasions  qu'il  en  eut...  » 

Le  P.  L.  DoNCŒUR  a  commencé  à  étudier  Les  premières  interventions 

1.  Der  H.  Augustinus  und  das  Dogma  der  u7iheflechten  Empfdngnis  J^Jariens  dans 
Jahrbuch  fur  Philosophie  und  spelidative  Iheologie  (xiii,  2),  pp.  241-268. 

2.  San  Augustin  defensor  de  la  Concepciôn  Immaculada  de  Maria,  dans  La 
Ciudad  de  Dios,  5  Mars  1908,  pp.  385-391. 

3.  1.5  déc.  1907.  Mariologie  augustinienne,  pp.  705-719. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  379 

dti Saint-Siège  relatives  à  V Immaculée  Conception  (XII^-XI\^  siècles)  (1). 
C'est  une  histoire  assez  obscure.  Au  XIP  siècle,  le  Saint-Siège,  sans 
donner  positivement  son  adhésion  à  la  fête  de  la  Conception  de  la  sainte 
Vierge  «  ne  lui  ménage  plus  les  marques  d'une  significative  tolérance.  » 
Il  semble  pourtant  plus  probable  «  que  jusqu'en  1315  ou  1320,  la  fête  ne 
parutpas  dans  les  usages  liturgiques  dits  romains,  approuvés  par  le 
pape.  »  Dans  le  second  quart  du  XIV^  s.  elle  fut  adoptée  par  la  cour 
papale.  Mais  l'objet  de  cette  fête  était  assez  indéterminé  pour  se  prêtera 
tous  les  partis  théologiques,  la  cour  romaine  n'en  professant  aucun. 

Le  Baptême. —  L'ouvrage  du  D""  H.  Alberts  C^),  malgré  son  titre,  n'est 
pas  à  proprement  parler  un  ouvrage  d'histoire,  bien  qu'on  y  rencontre 
des  données  qui  s'inspirent  des  faits  primitifs.  C'est  bien  plutôt  un 
ouvrage  de  propagande,  à  tendances  mystiques,  en  faveur  de  la  doctrine 
anabaptiste.  Le  baptême  d'eau  n'est  que  la  préparation  du  baptême  de 
l'Esprit,  qui  amène  un  changement  dans  les  mœurs  ;  seuls  les  adulles 
sont  à  même  de  le  recevoir.  Chemin  faisant,  l'auteur  nie  la  Trinité  qui, 
selon  lui,  n'est  pas  mentionnée  dans  l'Écriture. 

C'est  surtout  sur  la  controverse  baptismale,  dont  S.  Cyprien  d'une  part 
('lie  pape  S.  Etienne  d'autre  part  furent  lesprotagonistes,que  s'est  portée, 
en  ces  derniers  temps,  l'altention  des  historiens.  Le  problème  était 
celui-ci  :  quand  des  hérétiques  se  présentaient  pour  entrer  dans  l'Église 
Catholique,  devait-on  accueillir  ces  transfuges  comme  de  vrais  chrétiens, 
dûment  baptisés  dans  l'hérésie,  ou  bien  considérant  ce  baptême  comme 
nul,  les  obligerait-on  à  recevoir  le  baptême  de  l'Église  ?  «  La  tradition 
romaine  était  ferme  dans  le  premier  sens  ;  sur  d'autres  points  de  la 
chrétienté,  on  hésitait.  »  Ainsi  en  était-il  en  Afrique  et  dans  plusieurs 
régions  de  l'Asie  Mineure. 

M.  A.  d'ALÈs  a  refait,  après  d'autres,  l'histoire  des  débats  durant  les 
années  2oo-2o7  (3).  Sa  critique  des  documents,  l'interprétation  qu'il  en 
donne,  tout  en  demeurant  personnelle,  utilise  largement  les  travaux  du 
D'^  Ernst  sur  ce  sujet.  Le  point  précis  du  débat  était  en  ceci  que  S.  Cyprien 
requérait  pour  la  validité  du  sacrement  conféré  selon  le  rite  chrétien,  au 
nom  de  laTrinité,  l'orthodoxie  du  ministre,  tandis  que  le  pape  ne  la  récla- 
mait pas.  Celui-ci  s'appuvait  sur  la  tradition  catholique  contre  laquelle 
S  Cyprien  ne  pouvait  o[)poser  que  de  mauvaises  raisons.  La  théologie 
sacramentaire  de  Tévêque  de  Carthage  était  encore  loin  de  la  précision 
voulue.  «  Avec  sa  manière  concrète  d'entendre  toutes  choses,  il  consi- 
dérait la  personne  du  ministre  un  peu  comme  le  vaisseau  d'où  la  grâce 
doit  s'épancher  sur  les  âmes.  Dès  lors  comment  imaginer  que  la  grâce 
découle  d'une  âme  qu'elle  n'a  pas  remplie  ?  Sa  sévérité  pour  les  ministres 
indignes  des  sacrements,  quels  qu'ils  fussent,  est  une  conséquence 
logique  de  ce  principe...  Il  restait  à  élaborer  toute  une  métaphysique  du 
sacrement,  qui,  en  montrant  dans  le  rite  de  l'Église  une  action  accomplie 

1.  Bévue  d'histoire  ecclésiastique,  Juillet,  Avril  et  Octobre   1907. 

2.  Die  Geistestaufe  im  Vrchristentum.  Berlin,  chez  l'auteur,  1907;  iu-S» 
175   pa^es. 

3.  La  (Question  baptismale  au  temps  de  S.  Cyprien  dans  Bévue  des  Questions 
historiques,   avril   1907,   p.  .353-400. 


380         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

au  nom  du  Christ,  élèvera  refficacité  du  ministère  au-dessus  des  acci- 
dents de  personne,  » 

Parmi  les  ouvrages  que  suscita  cette  querelle,  le  Liber  de  rebaplismafe 
est  un  des  plus  curieux.  L'auteur,  un  Africain  sans  doute,  dont  le  nom 
n"est  pas  connu,  y  soutient  les  idées  romaines.  On  ne  s'accorde  pas  sur 
la  date  de  sa  composition  :  le  D"^  Ernst  la  place  un  peu  avant  septembre 
2o6.  Récemment,  le  D"^  H.  Koce  (1)  l'a  reportée  un  peu  plus  tard.  Il  fau- 
drait la  chercher  dans  l'espace  de  temps  qui  va  de  septembre  236  au 
début  de  la  persécution  de  Valérien,  257. 

Mais  c'est  son  contenu  qui  suscita  le  plus  de  discussions.  Il  y  a  une 
dizaine  d'années  déjà,  le  D"^  Ernst  posa  comme  suit  la  théorie  baptismale 
de  l'anonyme.  «  Au  dire  de  S.  Cyprien  et  de  ses  partisans,  le  Saint-Esprit 
et  la  grâce  ne  sont  que  dans  l'Église.  Mais  le  baptême  d'eau  des  chrétiens 
n'a  pas  pour  mission  de  conférer  de  soi  la  grâce  du  Saint-Esprit.  Il  ne 
donne  qu'un  droit  à  la  communication  future  du  Sainl-Esprit  et  de  sa 
grâce.  Même  régulièrement  administré  dans  l'Église,  le  baptême  (d'eau) 
ne  confère  pas  de  soi  la  grâce  salutaire.  Rémission  des  péchés  et  grâce 
sont  l'œuvre  du  baptême  de  l'Esprit,  et  celui-ci,  dans  le  cours  ordinaire 
des  choses,  est  identique  avec  l'imposition  des  mains,  la  confirmation, 
qui,  d'après  la  pratique  habituelle  de  l'ancienne  Église,  était  conférée  en 
même  temps  que  le  baptême  d'eau,  mais  pouvait  aussi,  lorsque  celui-ci 
avait  précédé,  être  administré  à  part.  Et  donc,  dans  de  nombreux  cas, 
le  baptême  de  l'Esprit  est,  extraordinairement,  conféré  sans  sacrement, 
sans  imposition  des  mains,  même  sans  baptême  d'eau  précédant  »  (2). 
Ainsi  donc,  d'après  Ernst,  l'anonyme  se  serait  séparé  de  l'opinion  com- 
mune de  son  temps  en  soutenant  que  le  baptême  ne  confère  pas  la  grâce, 
et  qu'il  n'est  pas  un  sacrement  complet  :  le  baptême  et  la  confirmation 
n'auraient  formé  qu'un  seul  sacrement. 

Cette  interprétation  fut  attaquée,  avec  plus  ou  moins  d'à  propos,  par 
divers  auteurs.  Le  savant  professeur  de  Braunsberg,  D""  Hugo  Kocu, 
vient,  à  son  tour,  de  reprendre  l'étude  du  problème  dans  une  brochure 
intitulée  :  Lie  Tauflehre  des  Liber  derehaptismale  (3).  Ilrejette  les  conclu- 
sions fondamentales  du  D"^  Ernst,  sans  toutefois  se  rallier  complètement 
à  aucune  des  opinions  opposées.  Selon  lui,«  l'auteur  du  Liber  de  rebap- 
tismate  s'en  tient,  au  sujet  de  l'efficacité  du  baptême,  au  point  de  vue  de 
l'Église  et  se  meut  dans  les  voies  tracées  par  les  autres  écrivains 
ecclésiastiques. 

»  Dans  le  baptême  d'eau  des  chrétiens,  par  la  foi  et  en  vertu  de  l'effi- 
cacité spéciale  du  nom  de  Jésus  qu'on  invoque,  les  péchés  sont  remis, 
les  âmes  purifiées...  Le  baptême  forme  le  commencement  delà  vie  de  la 
foi  et  de  la  grâce.  Ce  baptême  d'eau  est  une  sorte  de  baptême  de  l'Esprit 
dans  le  Nouveau  Testament,   non  pas  comme  s'il  conférait  le    Saint- 


1.   Zeii    und   He'imat   des   Liber   de   rehaptismate,    dans    Zeitschrift   fiir   die 
tieutestainentliche    Wissenschaff,    1907,    3,    pp.    190-220. 

2-    Die    Tauflehre   des   Liber   de   rebapfismate,    dans   Zeitschrift   fiir   Katho- 
lische   Théologie,   1907,   4,  p.  648-649. 

3.  Braunsberg,  H.  Grimme,   1907;   ia-8o,  62  p. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  381 

Esprit  lui-même,  mais  en  tant  qu'il  en  prépare  la  communication  et  que 
déjà  en  lui  le  Saint-Esprit  opère.  La  collation  du  Saint-Esprit,  de 
façon  normale,  suit  immédiatement  le  baptême  par  l'imposition  des 
mains  (la  confirmation),  de  façon  extraordinaire,  par  Dieu  lui-même. 
Si  ce  n'est  pas  un  évêque  qui  a  conféré  le  baptême,  l'imposition  des 
mains  doit  être  suppléée.  Par  là  le  baptême  est  complété;  néanmoins, 
pour  obtenir  le  salut,  il  suiïit  à  lui  seul...  Si  le  baptême  et  la  confir- 
mation sont  conférés  ensemble,  comme  c'est  la  règle,  ils  forment  cepen- 
dant non  lin  seul,  mais  deux  sacrements  qui,  même  séparés,  sont  com- 
plets en  eux-mêmes. 

»  L'auteur  du  Liber  de  rebaptismate  ne  conteste  pas  la  valeur  du  bap- 
tême des  hérétiques.  Pour  lui,  elle  repose  dans  le  pouvoir  du  nom  de 
Jésus  et  le  caractère  objectif  de  l'invocation  de  ce  nom  dans  le  baptême. 
Évidemment  ce  baptême  n'est  pas  utile  au  salut,  car  son  action  inté- 
rieure est  empêchée  par  la  fausseté  de  la  foi.  C'est  une  forme  vide 
qui  n'obtiendra  son  contenu  et  son  opération  salutaire  que  par  la 
pénitence  et  la  conversion  de  ceux  qui  errent  dans  la  foi...  Le  converti 
sera  reçu  dans  l'Église  par  la  confirmation...  L'anonyme  ne  distin- 
gue pas  au  sujet  de  la  valeur  du  sacrement  entre  les  différents  héré- 
tiques... » 

Le  D""  Ernst,  dans  une  réplique  (1),  a  examiné  les  arguments  du  D'' 
Koch.U  ne  peut  être  question  de  présenter  ici  le  détail  de  la  discussion, il 
faut  noter  que  l'auteur  de  ce  travail  conclut  en  affirmant  que,  «  sur  la 
question  capitale,  il  regarde  sa  position  comme  absolument   indemne.  » 

Eucharistie.  —  M.  le  D''  K.  G.  Goetz,  privat-docent  à  Bâle,  vient  de 
donner  une  seconde  édition  de  son  travail  sur  la  question  eucharistique. 
Il  n'a  fait  que  modifier  légèrement  le  titre  (2)  et  ajouter  une  triple  table. 
L'ouvrage  se  divise  en  trois  parties  d'inégale  longueur.  Les  deux  pre- 
mières exposent  les  controverses  eucharistiques  :  1°  au  moyen  âge,  2°  à 
l'époque  de  la  Réforme.  La  troisième,  de  beaucoup  la  plus  importante 
dans  la  pensée  de  l'auteur,  se  rapporte  aux  discussions  soulevées  durant 
le  XIX*  siècle  sur  ce  sujet.  En  réalité  elle  forme  une  étude  sur  le  fond 
même  de  la  question. 

On  sait  les  opinions  de  l'auteur.  Pour  lui,  l'Écriture  seule  peut  nous 
dire  ce  qu'est  l'Eucharistie,  et  encore  la  tliéologie  ancienne,  y  compris 
celle  de  la  Réforme,  a  eu  le  tort  de  croire  que  le  Nouveau  Testament, 
dans  ses  divers  livres,  offrait  une  même  notion  de  ce  fait.  D'après 
M,  Goetz,  il  n'en  est  rien,  et  de  toute  nécessité  il  faut  distinguer  les 
actes  de  Jésus  des  interprétations  qu'en  ont  données  les  écrivains 
primitifs.  Voici,  pour  autant  qu'on  peut  s'en  rendre  compte,  comment 
la  scène  se  passa.  Jésus,  à  son  dernier  repas,  dans  la  nuit  oii  il  fut  livré, 
a  dû  vraisemblablement  entretenir  ses  disciples  de  la  prochaine  sépara- 


1.  Loc.  cit.,  p.  699. 

2.  Die  heutige  Ahendmahhfracje iiiihrer  geschichtUchen  Ento-icJdung,  ein  Versuck 
zur  Lôswiij.  (Leipzig,  Hinrichs,  1907;  in-8°,  viii-328  pp.)  au  Uea  de  Die  Ahend- 
inahlsfrage  in  ihrer  geschichtlichen  EntiricJdung.  Ein  Versiich  ihrer  LOsuiig,  que 
portait  l'édition  de  1904. 


382         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

lion  et  ensuite  de  leur  réunion  future.  A  la  fin  du  repas,  il  a  encore 
rompu  le  pain  pour  ses  disciples  et  leur  a  tendu  la  coupe,  formant  ainsi 
pour  eux.  une  image  sensible  de  lui-même,  grâce  aux  paroles  qu'il 
ajoute  :  Ceci  est  ma  chair  et  mon  sang.  De  sorte  qu'après  sa  mort,  ils  se 
le  représenteront  par  ce  signe  :  ce  que  sont  pour  leur  corps  la  nourriture 
et  le  breuvage,  Jésus  l'est  pour  leur  âme.  Saint  Paul,  et  par  lui  saint 
Luc  et  les  deux  autres  synoptiques,  trouvèrent  ce  fait  trop  simple  et  le 
proposèrent  autrement  aux  fidèles.  Du  simple  geste  testamentaire  de 
Jésus,  ils  firent  une  Pâque  nouvelle,  abrogeant  l'ancienne. 

Ces  théories,  ainsi  que  leur  critique,  relèvent  du  Bulletin  de  théologie 
biblique,  oîi  elles  trouveront  place  (1).  Il  fallait  cependant  les  mentionner 
ici,  car  elles  forment  le  point  de  départ  des  idées  de  M.  Goelz  sur  la 
tradition  qui  traite  de  l'Eucharistie.  Les  écrivains  ecclésiastiques  n'ont 
fait,  au  cours  des  âges,  qu'augmenter  le  contre-sens  primitif  de  saint 
Paul,  et  de  développement  en  développement  ils  en  sont  arrivés  à  matéria- 
liser de  plus  en  plus  ce  signe,  et  à  professer  au  moyen  âge  cette  double 
affirmation  :  que  dans  la  communion  on  reçoit  réellement,  matérielle- 
ment, dit  l'auteur,  la  chair  et  le  sang  de  Jésus,  et  que  la  messe  est  la 
reproduction  réelle  du  sacrifice  de  Jésus  sur  la  croix. 

Comme  ces  théories  sont,  aux  yeux  de  M.  Goetz,  radicalement  fausses, 
il  ne  leur  prête  d'attention  qu'autant  qu'elles  présentent  un  essai  d'ex- 
plication des  textes  scripturaires.  Pour  le  reste,  il  n'éprouve  pas  vis-à- 
vis  d'elles  l'embarras  de  quelques-uns  de  ses  coreligionnaires  et  ne  cher- 
che pas  à  les  interpréter  dans  un  sens  favorable  aux  doctrines  protes- 
tantes. Si  l'analyse  qu'il  fait  des  œuvres  de  Paschase  Radbert  et  de 
Ralramne,  par  exemple,  est  contestable  sur  certains  points,  il  n'hésite 
pas  cependant,  pour  ce  qui  regarde  le  dernier,  à  se  rallier  aux  conclu- 
sions du  catholique  Naegle  et  pense  qu'on  ne  peut  trouver,  chez  lui, 
un  exposé  du  pur  symbolisme. 

Mais  tous  les  protestants  ne  professent  pas  vis-à-vis  de  la  tradition 
des  opinions  aussi  dédaigneuses,  et  plus  d'un  même  essaie  de  trouver, 
pour  ses  idées  personnelles,  un  point  d'appui  chez  les  écrivains  ecclé- 
siastiques les  plus  anciens  et  les  plus  autorisés.  Parmi  ceux-ci  il  faut 
ranger  saint  Cyrille  d'Alexandrie  et  surtout  saint  Augustin. 

Tout  récemment,  le  P.  Maiié,  S.  J.,  a  consacré  au  premier  une  étude 
sérieusement  documentée  (2),  oîi,  à  l'enconlre  des  prétentions  de  Steilz, 
Harnack  et  Michaud,  il  montre  par  de  nombreux  textes  que  saint 
Cyrille  professe  la  présence  réelle  du  corps  historique  du  Christ  dans 
l'Eucharistie. 

M.  0.  Blank  apporte  sur  saint  Augustin  et  l'Eucharistie  une  bonne 
monographie  (3).  Ses  conclusions  n'ajoutent  rien  de  bien  nouveau  à 


1.  Eii  attendant  on  peut  voir  la  très  judicieuse  réfutation  présentée  par 
M.  P.  Ladeuze  :  Les  controverses  récentes  sur  la  Genèse  du  dogme  eucharistique 
(La  Bévue  d'Apologétique,   16  nov.  1906). 

2.  L'Eucharistie,  d'après  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  daus  Revue  d'histoire  ecclé- 
siastique, octobre  1907,  pp.  677-696. 

3.  Die  Lehre  des  hl.  Augustin  vom  Salcramente  der  Eucharistie.  Dogmengeschicht- 
lirhe  Stiulie.  Paderborn,  F.  Schôningh,  1907  ;  in-8°,  iv-136  pp. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  383 

celles  qu'avait  déjà  présentées  Schanz,  mais  son  étude  néanmoins 
dépasse  celle  de  son  prédécesseur  par  son  caractère  exhaustif  :  tous  les 
textes  où  le  saint  Docteur  traite  de  l'Eucharistie,  ont  été  examinés  et 
critiqués.  La  méthode  suivie  est  excellente.  Parmi  les  écrivains  ecclésias- 
tiques, nul  plus  que  saint  Augustin  ne  doit  être  lu  en  fonction  des 
circonstances  dans  lesquellesil  écrit.  Une  grande  partie  de  ses  traités 
sont  des  ouvrages  polémiques  ;  il  faut  donc,  dans  l'interprétation,  tou- 
jours tenir  compte  du  point  de  vue  auquel  il  se  place,  d'autant  plus  que 
le  bouillant  Africain  a,  dans  son  langage,  une  tendance  aux  extrêmes. 
M.  Blank  a  donc  bien  fait  de  grouper  les  traités  par  ordre  de  temps  et 
de  matière.  Vis-à-vis  des  Manichéens,  des  Donatistes  et  des  Pélagiens, 
l'aspect  de  la  question  varie  ;  il  n'est  pas  le  même  non  plus  dans  des 
sermons  adressés  au  peuple  fidèle  ou  dans  des  écrits  à  tendances  apolo- 
gétiques comme  le  De  civitale  Dei.  Enfin  il  faut  noter  que  jamais  l'évê- 
que  d'Hippone  n'a  traité  spécialement  de  l'Eucharistie  et  que  souvent, 
lorsqu'il  en  parle,  il  se  réfugie  dans  le  vague  imposé  par  la  discipline 
du  secret. 

Voici  les  principaux  résultats  de  cette  enquête.  Aucun  des  textes  invo- 
qués contre  la  présence  réelle  n'exclut  nécessairement  celle-ci,  bien 
qu'on  doive  concéder  que  quelques-uns  d'entre  eux  puissent  facilement 
être  mal  compris,  si  on  abstrait  du  contexte  et  des  passages  évidem- 
ment favorables  à  la  présence  réelle.  —  Saint  Augustin  a  spécialement 
affirmé  la  signification  spirituelle  de  l'Eucharistie  et  la  valeur  morale  de 
sa  réception.  C'est  là  son  rôle  propre  dans  le  développement  théologi- 
que de  cette  doctrine.  Mais  il  l'a  fait  en  des  termes  tels  qu'ils  semblent 
parfois  difficilement  cadrer  avec  les  manières  de  parler  usitées  aujour- 
d'hui parmi  les  théologiens.  11  est  important,  pour  les  interpréter,  de 
saisir  la  pensée  directrice  de  l'auteur.  S'il  nomme,  par  exemple,  l'Eucha- 
ristie une  figure,  un  symbole,  un  signe  du  corps  du  Christ,  il  faut 
considérer  que  celui-ci,  sous  le  voile  des  accidents  du  pain,  n'est  pas,  ù 
proprement  parler,  le  corps  du  Christ  sous  ses  propres  apparences  ; 
c'est  le  sacrement  du  corps  du  Christ.  De  plus,  tout  en  étant  le  corps  réel 
du  Christ,  l'Eucharistie  est  le  symbole  de  son  corps  mi/slique.  Idéechère 
à  saint  Augustin.  —  Quant  aux  passages  oii  l'évêque  d'Hippone  semble 
nier  qu'on  reçoive  réellement  le  corps  du  Christ,  il  exclut  seulement 
l'idée  «rossière  des  Capharnaïtes.  —  Si  enfin  la  réception  spirituelle  est 
affirmée  être  la  chose  principale,  cette  opinion  est  vraie  à  condition  de 
n'être  pas  exclusive,  car  la  réception  physique  sans  l'autre,  ne  saurait 
procurer  la  vie  éternelle. 

Pénitence.  —  Comme  il  fallait  s'y  attendre,  la  controverse  engagée 
autour  de  l'édit  de  Calliste  et  dont  il  a  été  fait  mention  dans  le  précédent 
bulletin,  a  continué.  M.  Vacandard  (1),  le  premier,  a  repris  la  plume  à  la 
suite  d'une  recension  dans  laquelle  M.  Lebreton  se  ralliait  à  l'opinion  de 
MM.Esser  et  d'Alès  et  jugeait  la  théorie  adverse  ^(  trop  facilement  accep- 
tée. »  Il  terminait  son  article  par  ces  lignes  oîi  il  a  voulu  «  résumer  et 
préciser  son  opinion.  »  «  D'après  TertuUien,  il  y  a  trois  péchés  propre- 

1,  TertuUien  et  les  trois  péchés  irrémissibles  à  propos  d'une  récente  controverse 
dans  Revue  du  Clergé  français,  1^^   avril    1907. 


?84         REVU?:    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    TIIÉOLOGIQUES 

ment  mortels  que  l'Église  —  c'est-à-dire  pour  lui  l'Église  de  Rome  et 
l'Église  d'Afrique  et  par  induction  toutes  les  Églises  —  refuse  de  remettre 
aux  fidèles  baptisés  :  Ce  sont  Timpudicité,  l'homicide  et  l'idolâtrie. 

»  Calliste  est  le  premier  pape  qui  ait  fait  une  brèche  à  cette  disci- 
pline en  proclamant  qu'il  était  tout  disposé  à  réconcilier  les  adultères, 
comme  il  en  avait  le  droit  et  le  pouvoir.  La  réalité  de  ce  fait  est  attestée 
par  saint  Hippolyte  aussi  bien  que  par  TertuUien. 

»  On  n'a  pas  de  preuve  que  l'Église  romaine  ait,  avant  Callisle,  admis 
les  adultères  à  la  réconciliation.  Le  Pasteur  d'Hermas,  vers  le  milieu  du 
IP  siècle,  préconisait  cette  indulgence.  Mais  nous  ignorons  si  sa  voix  fut 
entendue. 

»  La  sévérité  de  cette  discipline  pénitentielle  forme-t-elle  une  tradi- 
tion qui  remonterait  aux  apôtres  ?  Il  nous  semble  téméraire  de  l'affir- 
mer absolument,  mais  on  n'a  pas  non  plus  de  motif  de  le  nier. 

»  Kmbrassait-elle  toutes  les  Églises?  C'est  ce  qu'on  ne  peut  dire  avec 
certitude.  Le  principe  posé  par  saint  Denys  de  Corinthe  en  faveur  de 
l'indulgence  était-il  une  brèche  déjà  faite  vers  170  à  la  discipline  exis- 
tante ou  bien  confirmait-il  l'usage  de  son  Église  ?  Nous  l'ignorons... 

»  Calliste  remit-il  les  péchés  d'homicide  et  d'apostasie  comme  il  fai- 
sait pour  l'impudicité  ?  Gela  ne  nous  parait  pas  probable.  En  tout  cas,  on 
n'aperçoit  pas  nettement  de  cas  de  réconciliation  des  apostats  avant  le 
pape  Corneille  et  saint  Cyprien,  c'est-à-dire  avant  les  environs  de 
230.  Un  peu  plus  tard  l'homicide  fut  lui-même  rayé  du  nombre  des  pé- 
chés irrémissibles.  »  (1). 

Au  fond  le  nœud  delà  question  et  l'objetprincipal  de  la  controverse 
sont  dans  l'interprétation  des  textes  du  De  Pœnilenlia  et  du  De  Piidi- 
citia  de  TertuUien.  Si  l'on  est  à  peu  près  d'accord  pour  ce  qui  regarde 
le  second,  pris  absolument,  il  n'en  va  pas  de  même  vis-à-vis  du  premier. 
TertuUien  y  enseignait-il  l'universalité  de  la  réconciliation  ecclésias- 
tique ?  M.  d'ALÈs,  dans  une  réponse  à  M.  Vacandard  (2),  soutient  l'affir- 
mative. «  En  somme,  dit-il,  ce  que  le  De  Pudicitia  dénie  à  trois  sortes 
de  pécheurs,  c'est  la  réconciliation  ecclésiastique,  et  ce  que  le  De  Pœni- 
tentia  offrait  à  tous  les  pécheurs  sans  distinction,  c'était  la  réconciliation 
ecclésiastique  ))(3).  S'il  y  achangement,  c'est  donc  chez  TertuUien  devenu 
montaniste  et  non  dans  la  pratique  de  l'Église  romaine.  Les  témoi- 
gnages, même  réunis,  de  TertuUien  et  d'Hippolyte,  ne  sont  pas  suffisants 
pour  faire  admettre  que  Calliste  a  innové  :  «  car  deux  hommes  en  colère 
peuvent,  sans  s'être  donné  le  mot,  faire  séparément  écho  à  une  même 
calomnie.  Que  tel  soit  précisément  le  cas  de  TertuUien  et  d'Hippolyte, 
nous  avons  de  bonnes  raisons  de  le  penser,  et  ces  raisons  nous  sont 
fournies  par  eux-mêmes  »  (4). 

Même  après  cette  démonstration,  M.  Vaca.ndard  maintient  sa  pre- 
mière conclusion  à  laquelle  il  ne  voit  rien,  «  absolument  rien  à   chan- 

1.  L.  c,  p.  129-131. 

2.  La  réserve  des  trois  cas  et  Védit  de  Calliste,  suite  d'une  controverse,  dans 
Revm  du  Clergé  français,  1^»-  mai   1907,  p.  337-365. 

3.  L.    c,   p.    354. 

4.  L.   c,   p.    357. 


BULLETIN    D  HISTOIRE    DES    DOCTRINES    CHRETIENNES  385 

ger.  »  (1)  D'après  lui,  «  dans  le  De  Pœnitentia,  Tertullien  enseigne  que 
le  pardon  est  accordé  à  tous  les  péchés,  mais  il  n'indique  pas  si  tous  les 
péchés  sont  pardonnes  par  le  tribunal  ecclésiastique.  Dans  le  De  Pudi- 
citia,  il  enseigne  pareillement  que  le  pardon  est  accordé  à  tous  les 
péchés,  mais  il  ajoute  que  certains  péchés  seulement  sont  remis  par  le 
tribunal  ecclésiastique  et  que  d'autres  sont  réservés  à  Dieu.  » 

Tandis  que  la  question  était  ainsi  débattue  en  France,  en  Autriche,  le  P. 
Stufler,  d'Inspruck,  soutenait  vigom-eusement,  contre  leD""  Funk,  l'opi- 
nion de  M.  Esser  (2),  dans  une  série  d'articles  publiés  par  le  Zeitschrift 
fur  katholische  Théologie.  Le  dernier  (3)  vient  même  de  déplacer  quel- 
que peu  le  terrain  de  la  discussion.  Tandis  que  les  deux  partis  admet- 
taient que  dans  ce  contlit  aucun  principe  dogmatique  n'était  engagé, 
le  P.  Stuller  affirme  le  contraire  (4).  Tous  les  catholiques,  selon  lui, 
avant  comme  après  l'édit  de  Calliste,  le  Tertullien  du  De  Pœnitentia 
comme  les  autres,  professent  que  Dieu  accorde  en  cette  vie  le  pardon  à 
tous  les  pécheurs  pénitents,  même  aux  impudiques,  et  qu'en  consé- 
quence l'Église  rfoji  de  son  côté  les  recevoir.  Par  contre  Tertullien,  dans 
le  De  Pudicilia  et  les  Montanistes  nient  que  Dieu  fasse  miséricorde  en 
cette  vie  à  ceux  qui  se  sontrendus  coupables  descrimes'capitaux,  quoique 
après  la  mort  ils  puissent  rentrer  en  grâce.  Le  point  fondamental 
de  la  discussion  n'est  donc  pas  de  savoir  si  l'Église,  en  vertu  de  déci- 
sions disciplinaires,  acceptait  ou  non  àla  pénitence  les  grands  pécheurs, 
mais  d'établir  si  Dieu  lui-même  leur  accorde  le  pardon. 

La  thèse  soutenue  par  MM.  Esser  etd'xMès  recevrait  un  sérieux  appui 
si  l'on  constatait  dans  l'Église,  avant  l'édit  de  Calliste,  la  rémission  des 
trois  fautes  réputées  capitales.  Le  P.  Stufler  a  pris  à  tâche  d'en  montrer 
l'existence  (5)  même  en  Occident.  Pour  faire  la  preuve,  il  invoque  des 
faits  et  des  doctrines.  Parmi  les  premiers,  voici  ceux  qui  sont  relevés. 
Saint  Irénée  raconte  que  le  gnostique  Cerdon  fut  de  nouveau  admis  dans 
la  Communauté  chrétienne  après  sa  chute,  Marcion,  si  l'on  en  croit  saint 
Épiphane,  aurait  pu  être  absous  du  crime  d'impudicité.  Saint  Polycarpe, 
de  passage  à  Rome,  y  réconcilia  avec  l'Église  plusieurs  hérétiques.  Par 
l'intermédiaire  des  martyrs  de  Lyon,  quelques  lapsi  obtinrent  la  même 
faveur.  Eusèbe  raconte  que  sous  le  prédéce^sseur  immédiat  de  Calliste, 
Zéphyrin,  un  certain  Natalis  fut  réintégré  dans  la  communauté  chré- 
tienne. Ces  faits  ainsi  rapportés,  le  P  Stufler  conclut  que  l'Église  occi- 
dentale, durant  le  second  siècle,  non  seulement  connaissait  une 
pénitence  post-baptismale,  par  laquelle  on  pouvait  obtenir  le  pardon 
divin,    mais  même   admettait,    pour    tous  les   pécheurs  pénitents  sans 

1.  Ibid.,  p.  365-367. 

2.  M.  Esser  a  mainteau,  lui  aus(si,  son  opinion  clans  i>lusieurs  articles 
publiés  par  le  KathoUk  (1907,  II,  pp.  184  sv.  et  297  sv;  1908,  I,  p. 
12   sv.,   isv.). 

3.  Zur  Kontroverse  ilher  das  Indulgenzedild  des  Papstes  KalUstua,  janvier  1908, 
p.    1-42. 

4.  «  Der  Streit  zwisclien  beiden  Parteien  berûhrte  also  niclit  eine  bloss 
disziplinâre   Massregel,    sondern   war   durchaus   dogmatiscJier   Natiir.  »    P.    21. 

5.  Die  BussdiszipUn  der  abendlnndisrhen  Kirche  bis  KalUstus,  dans  Zeitschrift 
fiir  latholisclie  Théologie,  juil.    1907. 

2e  .\nnée. —  Revue  des  Sciences.  —  No  2,  ,- 


386         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

èxcepLion,  hérétiques,  lapsi,  impudiques,  la  réconciliation  ecclésiastique. 
La  même  doctrine  ressort  des  enseignements  de  deux  auteurs  romains, 
Clément  et  Hermas.  Ce  dernier  surtout  est  très  significatif  ;  sa  doctrine 
pénitentielle  peut  se  résumer  dans  les  propositions  suivantes  :  1.  Tous 
les  péchés  commis  après  le  baptême,  même  les  plus  graves,  peuvent 
être  remis.  2.  Il  faut  entendre  par  là,  non  seulement  le  pardon  divin, 
mais  encore  la  réconciliation  ecclésiastique.  3.  Avant  le  Pasteur  il  y 
avait  déjà  une  seconde  pénitence. 

Dans  l'Église  orientale  on  ne  trouve  pas  trace  d'un  rigorisme  pareil 
à  celui  que  préconisent  TertuUien  elles  Montanistes.  Seul,  un  passage 
d'Ov\gène  (De  Orat.,  28)  pourrait  faire  difficulté.  C'est  pourquoi  le  P. 
Slufler  lui  a  consacré  un  article  spécial  (1).  Il  y  soutient  que,  ni  l'en- 
semble de  la  doctrine  d'Origène  sur  la  pénitence,  ni  le  contexte  immédiat 
n'autorisent  uneinterprétation  rigoriste.  Le  docteur  alexandrin  professe 
seulement  que  les  évêqaes  doivent  traiter  les  péchés  d'idolâtrie,  d'adul- 
tère et  d'impureté  autrement  que  les  autres.  Il  ne  faut  pas  les  remettre 
«  par  la  seule  prière  »,  mais  au  préalable  le  coupable  devra  être  exclu 
temporairement  de  la  communauté  ecclésiastique  et  subir  une  pénitence 
publique. 

Enfin  le  même  auteur  recherche  si  la  décision  prise  en  251  par  les 
Synodes  carthaginois  et  romain  de  recevoir  les /a/js/  après  pénitence 
fut  une  nouveauté  dans  la  discipline  pénitentielle  (2).  De  l'examen  des 
lettres  de  S.  Cyprien  et  d'autres  documents  de  cette  époque  il  conclut 
que,  dès  avant  le  milieu  du  III^  siècle,  les  idolâtres  étaient,  comme  tous 
les  autres  pécheurs,  réintégrés  dans  l'Église,  dès  qu'ils  avaient  satisfait 
aux  conditions  imposées.  Ce  ne  fut  pas  la  persécution  de  Dèce  qui,  par 
la  force  des  circonstances,  à  cause  du  grand  nombre  des  lapsi,  amena 
cette  pratique  ;  celle-ci  repose  sur  une  tradition  plus  ancienne. 

Tout  récemment  le  D"^  H.  Koch  (3),  remplaçant  dans  la  discussion  son 
maître  Funk,  si  malheureusement  enlevé  à  la  science,  soumit  à  un 
examen  approfondi  plusieurs  textes  de  S.  Irénée.  Tous  manifestent, 
selon  lui,  que  dans  l'opinion  de  l'évêque  de  Lyon  il  n'y  avait  pas  de 
réconciliation  ecclésiastique  après  le  baptême.  L'un  d'eux  {Adv.  haer., 
IV,  27)  est  particulièrement  intéressant,  Irénée  invoquant  en  celte 
matière  l'autorité  de  ses  maîtres,  les  presbylres  asiates.  El  ainsi,  au 
jugement  de  M.  Koch,  les  églises  d'Asie  elles-mêmes  n'auraient  pas 
uniformément  tenu  et  enseigné  la  doctrine  de  la  réconciliation. 

La  thèse  doctorale  du  Rév.  M.  J.  0'  Donnell  est,  comme  son  titre  l'in- 
dique, d'un  intérêt  plus  général  (4).  Elle  envisage  les  divers  aspects  de 
la  pénitence  durant  les  premiers  siècles.  L'auteur,  tout  en  restant 
fidèle  à  la  méthode  historique,  vise  à  présenter  une  réfutation  du  célèbre 
ouvrage  du  D""  Lea,  A  history  of  Auriculai-  Confession   and   Indulgences 

\.  Die  Silndenmnjelung  hei  Origenes,  ibid   avril    1907,    p.    193-228. 

2.  Die  Behandlung  der  GefaUenen  zur  Zeit  der  desischen  Verfoljuiig  ;  ibid.,  oct. 
1907,  p.  577-618. 

3.  Die  Siindenvergebung  bei  Irenûus  dans  Zeitschrift  fur  die  neutestamentliche 
Wisse?ischaft,  1908,  I,  p.  35-4G. 

4.  Penance  in  the  Earhj  Ckurch  ivith  a  shoii  Slelch  of  subséquent  Developement 
Dublin,  M.  II.  Gill  and  Son,  1907  ;  in-12,  VII  [-151  pp. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  387 

(Philadelphie  el  Londres,  189G).  11  comble  ainsi  une  lacune  de  la  litté- 
rature historique  chez  les  catholiques  de  langue  anglaise.  Son  étude 
est  limitée  aux  deux  premiers  siècles  de  l'histoire  de  l'Église.  Le  dépouil- 
lementdes  sources  a  été  fait  d'une  façon  consciencieuse  et  les  principaux 
problèmes  abordés  avec  méthode.  L'interprétation  est  parfois  un  peu 
optimiste,  mais  l'ensemble  demeure  solide. 

Voici  les  principales  conclusions  :  Dès  l'origine,  l'Église  se  reconnaît 
le  droit  de  remettre  les  péchés  commis  après  le  baptême.  —  De  fait, 
remettait-elle  tous  les  péchés  ou,  pour  des  motifs  d'ordre  disciplinaire, 
en  réservait-elle  quelques-uns,  plus  graves,  au  pardon  divin  ?  L'auteur 
admet  que,  même  avant  Calliste,  cette  réserve  n'existait  pas  et  le  prouve 
par  des  textes  impliquant  l'idée  d'un  pardon  universel.  Sur  ce  point 
l'auteur  se  rattache  donc  à  l'opinion  professée  par  MM.  Esser  et 
d' Aies,  dont  il  semble  pourtant  ignorer  les  travaux.  — Il  y  avait  une 
pénitence  et  une  absolution  publiques  pour  les  péchés  très  graves.  — 
Tous  les  péchés  graves  devaient  être  confessés,  publiquement  parfois, 
habituellement  en  secret  ;  les  péchés  véniels,  en  général,  ne  l'étaient 
pas.  —  L'absolution  était  donnée  par  les  évêques  ou  les  prêtres  spécia- 
lement délégués  à  cet  effet.  Plus  probablement  elle  était  donnée  après 
l'accomplissement  de  la  pénitence.  Il  est  difficile  de  déterminer  sa 
forme;  c'était,  semble-t-il,  une  formule  déprécatoire,  avec  imposition  des 
mains.  —  En  dehors  de  l'absolution  au  lit  de  la  mort,  on  ne  remettait 
pas  une  seconde  fois  les  fautes  graves  pour  lesquelles  on  avait  subi  la 
pénitence  publique.    > 

Il  y  a  longtemps  déjà  que  l'on  discute  les  témoignages  de  S.  Jean 
Chrysostome  sur  la  Confession.  Depuis  quelque  temps,  certains  histo- 
riens catholiques  (1)  renoncent  à  retrouver  chez  lui  des  traces  de  la  con- 
fession auriculaire.  M.  Turmel  (2)  vient  de  se  rallier  à  cette  opinion, 
après  examen  des  textes.  Voici  d'ailleurs  ses  conclusions  :  «  1,  S.Jean 
Chrysostome  ne  mentionne  jamais  la  confession  auriculaire  ;  2.  il  s'est 
efforcé  de  maintenir  en  vigueur  la  discipline  de  la  pénitence  publique 
à  laquelle  étaient  soumis  les  grands  pécheurs,  et  qui  comportait  des 
œuvres  de  pénitence  jointes  à  la  pratique  des  vertus  chrétiennes,  l'ex- 
clusion delà  table  sainte,  la  sortie  de  l'église  après  la  première  partie 
de  la  messe  ;  3.  en  moraliste  sévère  qu'il  était,  il  a  astreint  (ou  en  tout 
cas  menacé  d'astreindre)  à  cette  discipline  des  gens,  comme  les  jureurs, 
qui  jusque-là  avaient  été  exempts  ;  4.  surtout  il  a  refusé  l'Eucharistie 
à  tous  les  pécheurs  qui,  sans  avoir  rien  fait  pour  prouver  leur  conver- 
sion, se  présentaient  à  la  table  sainte  ;5.  il  a  donc  reconnu  au  prêtre  le 
pouvoir  d'excommunier  le  pécheur  el  de  le  réconcilier  avec  l'Église  ; 
6.  il  a  demandé  au  prêtre  de  travailler  par  de  saintes  industries  à 
éveiller  dans  lame  du  pécheur  le  sentiment  du  repentir  et  il  a  expliqué 
dans  le  De  sacerdolio  que  le  prêtre  remet  ainsi  les  péchés  commis  après 
le  baptême  ;  7.  sur  tous  les  points  que  nous  venons  d'énumérer,  il  est 
le  témoin  de  l'usage  d'Antioclie  et  ne  doit  rien  à  Nectaire.  » 

1.  Cf.  Rauschen.  Éléments  de  patrologie  et  d'histoire  des  dogmes.  Trad, 
Ricard,  p.   192.  Paris,   1908. 

2.  S.  Jean  Chrysostome  et  la  Confesùon,  dans  Revue  du  Clergé  français,  l'"'  janvier 
1907,  pp.  234  308. 


388  REVUE    DES    SCIE^■CES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 


III.—  MONOGRAPHIES    D'AUTEURS. 

Pères  apostoliques.  —  La  collection  des  Textes  et  documents  publiée 
par  MM.  H.  Hemmer  et  P.  Lejay,  vient  de  donner  une  excellente  édition 
de  la  «  Doctrine  des  Apôtres  »  et  de  l'Épître  de  Barnabe,  avec  une 
élégante  et  exacte  traduction  due  à  M.  A.  Laurent  (1).  Le  texte  est  celui 
de  Funk,  avec  des  notes  critiques  très  soignées  ;  on  y  a  ajouté,  pour  le 
premier  de  ces  ouvrages,  l'ancienne  version  latine,  qui  ne  comprend  que 
la  première  partie,  dite  des  Deux  voies. 

Une  copieuse  introduction  rédigée  par  M.  Hemmer  traite  les  questions 
d'histoire  littéraire  afférentes  à  la  «  Doctrine  des  Apôtres  »,  et  relève  les 
éléments  qu'elle  fournit  pour  l'histoire  des  doctrines  et  des  institutions 
ecclésiastiques.  Pour  en  apprécier  la  valeur,  il  importe  d'être  fixé  au 
moins  sur  la  date  et  le  pays  d'origine.  ^L  Hemmer  incline  à  en  placer  la 
composition  vers  8o  et  à  en  chercher  l'auteur  en  Syrie,  ou  en  Asie 
Mineure.  «  Elle  nous  apporte  des  enseignements  souvent  uniques  sur  la 
pratique  des  premières  communautés,  sur  le  baptême,  les  jeûnes,  les 
temps  de  la  prière,  l'eucharistie,  le  ministère  delà  parole,  la  hiérarchie, 
la  pénitence.  »  Il  importe,  avant  tout,  de  signaler  les  passages  qui  nous 
décrivent  l'organisation  de  la  communauté.  Il  y  a  d'obord,  suivant  la 
Didachè,\es  ministres  delà  parole.  Ils  sont  de  trois  sortes  qui  répondent 
exactement  aux  trois  catégories  énumérées  par  St  Paul  (/  Cor.,  xii,  28), 
apôtres,  prophètes  et  docteurs.  «  La  caractéristique  générale  de  ces 
prédicateurs,  c'est  qu'ils  sont  itinérants.  —  Ils  circulent  de  ville  en  ville, 
n'ayant  charge  d'aucune  communauté,  mais  de  l'Église  entière...  Ils  sont 
parmi  les  Églises  un  lien  vivant,  qui  supplée  à  ce  qui  peut  leur 
manquer  de  cohésion  en  l'absence  d'une  hiérarchie  solidement  consti- 
tuée. Leur  autonomie  est  complète.  Aucun  supérieur  ne  les  envoie  : 
L'exercice  de  leurs  charismes  ou  dons  spirituels,  suffit  à  les  accréditer 
comme  envoyés  de  Dieu...  La  hiérarchie  sédentaire  et  locale  est  loin  de 
tenir  dans  la  Didachr  et  dans  la  pensée  de  l'auteur  la  place  que  tiennent 
les  prophètes  et  les  autres  ministres  de  la  parole.  »  Les  membres  en  sont 
choisis,  par  voie  d'élection,  pour  une  communauté  dont  ils  font  partie. 
«  Ils  sont  subordonnés  aux  ministres  de  la  parole  dont  ils  semblent  être 
simplement  les  substituts...  La  Didachè  ne  mentionne  pas  les  presbytres 
et  ne  donne  aucune  indication  sur  les  droits  respectifs  des  évêques  et 
des  diacres.  » 

S.  Ignace. —  L'évêque  d'Antioche,  quelques  années  plus  tard,  présente 
la  hiérarchie  ecclésiastique  à  un  autre  stade  de  son  développement.  Ses 
lettres  fournissent  sur  l'état  de  l'Église  à  son  époque  des  renseignements 
très  précieux.  Dans  une  thèse  fort  bien  agencée  (:2),  M.  H.  de  Gexouillac 
les  a  recueillis  et  en  a  fait  un  vivant  exposé.    Voici  son  plan  :  1.  Étude 


1.  H.  Hemmer,  G.  Oger  et  A.  Laurent.  Les  Pères  Apostoliques,  I.  (Textes 
et  documents  pour  l'étude  historique  du  christianisme,  publiés  sous  la  direc- 
tion de  H.  Hemmer  et  P.  Lejay.)  Paris,  Picard,  1907;  in-12,  cxvi-122  pp. 

2.  L'Eglise  chrétienne  au  temps  de  S.  Ignace  d'Antioche.  Paris,  G.  Beauchesne, 
1907;  iii-8o,  xii-258  p. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  389 

du  milieu  ;  2.  Le  ciiristianisme  au  temps  d'Ignace  ;  3.  Le  corps  de 
l'Église  ;  4.  L'église  mystique  ;  5.  Les  églises  ;  6.  Les  hérétiques. 

Le  milieu  politique  et  religieux  a-t-il  exercé  une  influence  sur  le 
christianisme  et  son  organisation?  La  réponse  de  l'auteur  est  discrète 
et  judicieuse.  On  ne  peut  nier  cette  action,  mais  elle  fut  surtout  indi- 
recte. «  Qu'il  y  ait  eu  une  influence  des  institutions  de  la  religion  impé- 
riale sur  l'organisation  de  l'Eglise  chrétienne,  on  l'accordera  bien,  mais 
on  ne  peut  pas  y  voir,  avec  M.  Monceaux,  le  décalque  de  la  hiérarchie 
ecclésiastique  sur  les  cadres  de  l'organisation  romaine...  Il  n'y  eut  donc 
pas  d'imitation  consciente  et  systématique,  mais  des  coïncidences  ;  le 
culte  impérial,  comme  le  christianisme,  utilisa  des  cadres  préexistants, 
déjà  éprouvés  par  le  temps.  » 

Les  chapitres  III  et  l'V  sont  particulièrement  importants  :  on  y  trouve 
l'exposé  des  doctrines  de  S.  Ignace  Bur  la  hiérarchie.  «  La  systémati- 
sation abstraite  des  idées  n'est  pas  son  fait.  Ce  qu'il  envisage  c'est  la 
réalité  concrète,  les  communautés  existantes  en  Asie  Mineure.  »  Elles 
s'appellent  è>cx.À/;(7Îat,  ont  une  hiérarchie  à  trois  degrés,  évêques,  prêtres 
et  diacres.  Les  dignitaires,  à  ce  qu'il  semble,  sont  élus  dans  une 
assemblée  des  fidèles.  Leurs  pouvoirs  sont  de  droit  divin.  Et  tout  cet 
organisme  est  présenté  non  comme  une  nouveauté,  une  institution  en 
voie  de  formation,  mais  comme  un  fait  déjà  ancien.  L'épiscopat  monar- 
chique existe  sans  conteste  et  il  semble  qu'aux  yeux  de  S.  Ignace  toutes 
les  Églises  en  jouissaient. 

«  Il  est  sûr  que  non  seulement  chacun  des  presbytres  était  subor- 
donné à  l'évêque,  mais  encore  que  le  Conseil  même  des  anciens  ou 
presbyterion  ne  devait  avoir  comme  tel  qu'un  rôle  presque  honorifique 
et  laissant  intègre  l'indépendance  d'action  de  l'évêque...  (Celui-ci) 
est  le  chef  du  culte,  à  lui  incombe  la  garde  de  la  doctrine  et  le  soin  des 
âmes.  »  —  Les  prêtres  forment  une  collectivité,  «  leur  rôle  est  exacte- 
ment celui  d'un  Conseil,  analogue  à  nos  Chapitres...  Au  point  de  vue 
liturgique,  l'évêque  peut  déléguer  à  quelqu'un  d'eux  le  pouvoir  de 
célébrer  l'eucharistie,  et  probablement  aussi  l'agape  et  le  baptême,  »  — 
Les  diacres  font  partie  intégrante  de  la  hiérarchie  ;  ils  sont  les  instru- 
ments dévoués  de  l'évêque.  Jl  est  possible  que  les  diacres  fussent  déjà  au- 
tour de  lui  les  messagers  de  l'eucharistie,  et  qu'ils  aient  une  part  dans  la 
prédication.  En  tout  cas,  ils  sont  souvent  chargés  de  missions  de 
confiance  et  vont  comme  ambassadeurs  d'Église  à  Église.  —  En  dehors 
de  ces  trois  degrés,  saint  Ignace  mentionne  «  les  vierges  qu'on  appelle 
veuves».  Elles  représentent  probablement  les  premiers  essais  du  mona- 
chisme  dans  l'Église. 

En  plus  d'un  endroit,  saint  Ignace  insiste  sur  l'union  mystique  du 
Christ  avec  son  Église.  Il  en  est  la  vie.  «  Il  est  notre  vie  dans  le  mystère 
de  sa  passion  et  de  sa  résurrection  ;  il  devient  notre  vie  par  la  foi  et 
par  l'amour  ;  il  est  tout  spécialement  notre  vie  dans  l'eucharistie.  » 

Le  Gnosticisme.  —  Il  y  a  deux  manières  d'envisager  le  Gnosticisme, 
Les  uns  l'étudient  de  préférence  dans  ses  manifestations  du  II'  siècle  et 
pensent  que  la  forme  sons  laquelle  il  apparut  alors  marque  son  apogée. 
Pour  d'autres  au    contraire,    celle-ci  n'est  qu'une    corruption   du  vrai 


390  REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

gnosticisme  sous  Tinnuence  des  doctrines  juive  et  chrélienne,  avec 
lesquelles  il  entra  en  contact.  Aussi,  ils  s'essaient  à  retrouver  à  travers 
le  gnosticisme  chrétien  la  forme  primitive  qu'il  suppose.  Des  deux 
ouvrages  qu'il  convient  de  signaler  sur  ce  sujet,  celui  de  M.  E.  Buo- 
NAïUTi  (1)  représente  la  première  de  ces  conceptions,  un  autre,  de 
M.  W.  BoussET,  (2)  se  rattaclie  à  la  seconde. 

Le  professeur  italien  a  pour  but  de  situer  la  gnose  dans  son  milieu 
historique,  d'indiquer  les  sources  qui  nous  la  font  connaître,  d'exposer 
ses  principales  manifestations  (les  gnostiques  de  la  légende,  —  les 
grands  maîtres  de  la  gnose,  —  les  épigones  du  gnosticisme),  enfin  de 
marquer  son  caractère  doctrinal,  ses  rapports  avec  l'Église  et  la 
société.  Grâce  à  une  profonde  connaissance  des  sources,  l'auteur  a  pu 
présenter  sur  ce  sujet  des  vues  originales,  exposées  dans  une  rédaction 
aisée.  Trop  volontiers  cependant  il  recherche  les  comparaisons  aven- 
turées, et  une  certaine  redondance  du  style  nuit  parfois  à  la  précision 
que  réclame  l'histoire. 

A  prendre  la  gnose  telle  qu'elle  se  présente  au  Il<=  et  au  III*  siècles,  il 
croit  pouvoir  y  distinguer  un  double  contenu,  l'un  «  social  et  anthropo- 
logique »,  l'autre  «  théologique  et  métaphysique  »,  dérivé  très  probable- 
ment de  courants  de  pensée  antérieurs  au  christianisme.  En  elle-même, 
elle  est  un  phénomène  d'ordre  religieux  qui  se  manifeste  dans  les 
grands  centres  et  demeure  l'apanage  d'une  élite.  Elle  forme  une  sorte 
de  réaction  aristocratique  contre  le  christianisme  répandu  parmi  le 
peuple,  et  c'est  Alexandrie,  son  principal  foyer,  qui  lui  donna  ce  carac- 
tère intellectualiste.  Tandis  que  les  masses  rêvaient  d'un  millénarisme 
glorieux,  d'une  terre  regorgeant  de  fruits,  où  les  corps  mêmes  des  élus 
seraient  comblés  de  jouissances,  le  gnosticisme  professe  le  mépris  de 
la  chair  ;  à  l'attente  d'une  récompense  il  oppose  la  confiance  en  une 
participation  à  la  nature  du  plérôme  ;  à  la  foi  en  l'égalité  par  la  vertu 
et  le  baptême,  il  oppose  la  distinction  entre  les  matériels  et  les  spirituels. 

Quant  à  la  doctrine  gnoslique,  ses  postulats  fondamentaux  sont  : 
1°  la  transcendance  absolue  du  divin,  et,  en  conséquence,  2°  l'existence 
d'une  série  intermédiaire  d'êtres,  de  perfection  diverse,  s'étageant  entre 
l'infini  et  le  monde  ;  enfin  3°  la  rédemption  considérée  comme  l'élimi- 
nation progressive  de  la  matière,  l'existence  de  celle-ci  étant  le  résultat 
d'une  faute. 

Contre  M.  Harnack,  M.  Buonaiuti  remarque  fort  justement  que  ni 
l'établissement  de  la  hiérarchie  dans  l'Église,  ni  ce  qu'on  appelle  son 
hellénisation  ne  dépendent  de  la  gnose,  puisque  ces  deux  faits  sont 
antérieurs  au  premier  contact  qui  se  produisit  entre  elle  et  le  christia- 
nisme. L'auteur  cependant  ne  nie  pas  toute  influence  soit  dans  l'ordre 
intellectuel,  soit  dans  l'ordre  liturgique. 

Tandis  que  M.  Buonaiuti  juge  presque  oiseuse  la  recherche  des   ori- 


1.  Lo  Gnosticismo.  Storia  di  antichc  lotte  religiose.  Rome,  Ferraxi,  1907; 
ia-12,   288   pp. 

2.  Hauptprohlemc  der  Gnosis.  (ForscMingen  ziir  Religion  und  Literatur  des 
Alicn  und  Neucn  Testaments,  lirsg.  von.  W.  Bousset  und  H.  Gunkel,  H.  lO.j 
Gœttingue,  Vaudenhoeck  et  Ruprecht,  1907;  in-8o,  vi-398  pp. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  ^91 

gines  lointaines  de  ce  nmouvement  vu  le  peu  de  solidité  des  conjectures 
qu'on  peut  émettre,  M.  Bousset  n'a  pas  craint  de  consacrer  un  gros  volume 
à  ce  travail.  Et  cela  s'explique  car,  je  l'ai  déjà  marqué  plus  haut,  les  deux 
auteurs  ont  une  idée  différente  de  la  gnose.  M.  Buonaiuti  la  trouve  au 
IP  siècle,  le  professeur  de  Gœttingue  la  cherche  plus  loin  dans  le  passé. 
Pour  lui  la  gnose  du  II*  siècle  n'est  pas  «  une  puissante  manifestation 
intellectuelle,  ni  une  marche  en  avant,  mais  bien  plutôt  un  recul,  une 
réaction  de  l'ancien  syncrétisme  contre  les  tendances  à  l'universalisme 
religieux.  Mémo  ces  chefs  d'école  qui,  plus  tard,  reçurent  les  illuminations 
de  l'esprit  grec,  ne  sont  pas  les  hommes  de  l'avenir  mais  les  représen- 
tants du  passé  qui.  par  des  compromis  laborieux,  mais  intéressants  au 
point  de  vue  intellectuel,  cherchaient  à  sauver  encore  une  cause 
perdue.  »  C'est  pour  tenter  la  reconstitution  dun  mouvement  religieux 
n'ayant  de  soi  rien  avoir  avec  le  christianisme,  que  M.  Bousset  établit 
ses  minutieuses  analyses. 

Il  les  poursuit  durant  sept  chapitres  qu'il  est  à  peu  près  impossible  de 
résumer,  vu  l'abondance  des  détails.  En  voici  les  titres  :  1.  Les  «  Sept  » 
et  la  Mr-Tip  ;  2.  La  «  Mère  »  et  le  «  Père  inconnu  »  ;  3.  Le  dualisme 
de  la  gnose;  4.  L'homme  primitif  (Urmensch)  ;  5.  «éléments  et 
Hypostases  «  ;  6.  Le  Sauveur  gnostique  ;  7.  Les  mystères. 

Le  but  de  l'auteur  a  été  d'amasser  une  somme  considérable  et  variée 
de  doctiines,  de  pratiques  appartenant  à  la  gnose  et  de  les  comparer 
aux  autres  manifestations  religieuses  de  l'antiquité.  Et  cette  idée  a 
commandé  la  méthode  de  son  travail  qui  se  réduit  à  peu  près  à  ces 
deux  points,  dépouillement  très  copieux  des  sources  et  comparaison 
des  résultats  avec  les  idées  et  pratiques  des  religions  connexes. 

Les  conclusions  sont  présentées  dans  un  dernier  chapitre.  En 
comparant  les  sectes  gnostiques  les  plus  anciennes,  Ophites  (Irénée), 
Nicolaïtes  (Hippolyte  et  Épiphane),  Archontiques  (Épiphane),  on  peut 
arriver  à  une  idée  de  la  gnose  primitive.  En  voici  les  grandes  lignes  :  «  Un 
dieu  suprême,  inconnu  et  innommé,  dont  l'essence  est  la  lumière  ;  près 
de  lui  la  Mv;-yîp  et,  au-dessous  de  ce  monde  supérieur,  les  êtres  demi- 
dieux,  demi-démons,  les  sept  princes  des  planètes...  A  la  tête  des  sept  — 
du  moinsdans  la  forme  primitive  —  Jaldabaoth,  à  tête  de  lion,  ([ui  paraît 
identifié  avec  le  Dieu  de  lÂncien  Testament;  c'est  de  là  qu'en  partie  vient  à 
celui-ci  le  nom  de  Sabaoth.  Un  mythe  de  la  création  de  l'homme  parles 
sept  enseigna  que  les  hommes,  ou  du  moins  quelques-uns  d'entre  eux, 
dès  l'origine  portaient  en  eux  un  élément  supérieur,  provenant  du  monde 
de  la  lumière  et  en  vertu  duquel  ils  pouvaient  s'élever  au-dessus  du 
monde  des  sept  jusqu'au  monde  suprême  de  la  lumière,  du  Père  inconnu 
et  de  la  Mère  céleste.  Dans  leurs  mystères,  les  Gnostiques  apprenaient 
avant  tout  la  manière  dont  leur  âme,  après  la  mort,  pourrait  s'élever  à 
travers  le  mond<^  des  archontes.  »  Quant  aux  origines  de  ces  idées,  «  la 
doctrine  fondamentale  d'un  Dieu  suprême  inconnu  et  des  Sept  qui  lui 
sont  soumis  est  sortie  du  choc  des  idées  religieuses  de  la  Perse  et  de  la 
Babylonie.  Dans  l'idée  de  l'origine  céleste  de  l'âme  humaine  et  de  sou 
retour  au  lieu  d'où  elle  est  sortie  par  la  pratique  d'exercices  de  piété,  on 
peut  voira  la  fois  des  influences  grecques  et  orientales.  La  question  de 
la  M/'ryio  est  plus  compliquée  et  sa  genèse  moins  facile  à  saisir  ». 


392         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Il  y  a  dans  l'ouvrage  de  M.  Bousset  des  comparaisons  hâtives,  des  con- 
clusions forcées  :  toute  similitude  n'implique  pas  dépendance  ;  mais, 
il  demeure  précieux  à  cause  des  nombreux  matériaux  qui  y  ont  été 
accumulés. 

Apologistes.  —  En  faisant  connaître  aux  lecteurs  de  la  collection  La 
Pensée  Chrétienne  les  idées  principales  des  Apologistes  du  11*^  siècle  (1), 
M.  J.  Rivière  les  a  considérées  comme  formant  un  même  bloc  oîi  la  per- 
sonnalité des  auteurs  particuliers  disparaît.  Le  procédé,  au  premier  abord 
peut  sembler  étrange  ;  mais,  comme  le  remarque  justement  Mgr  Batiftbl 
dans  la  pénétrante  introduction  qu'il  a  placée  en  tète  de  l'ouvrage  «  autant 
s'efface  l'individualité  de  ces  apologies,  autant  s'accuse  la  physionomie 
du  groupe  :  l'œuvre  des  Apologistes  est  une...  C'est  chez  tous,  ou  bien 
peu  s'en  faut,  avec  une  attitude  unique  d'esprit,  un  petit  nombre  d'idées 
communes  qui  peuvent,  sans  trop  d'injustice,  donner  l'illusion  dun 
système.  » 

Ils  sont  d'abord,  et  cela  va  de  soi,  apologistes  ;  ils  défendent  le  chris- 
tianisme contre  les  accusations  portées  par  les  païens,  et  même,  pour  le 
faire  plus  sûrement,  attaquent  à  leur  tour  le  paganisme.  Mais  ils  ont  fait 
plus,  en  étudiant  le  contenu  de  la  doctrine  chrétienne.  Pour  la  présenter 
sous  la  forme  la  plus  acceptable  aux  hommes  du  dehors,  ils  en  ont  fait 
une  philosophie.  Il  est  incontestable  qu'en  agissant  de  la  sorte  ils  ont 
quelque  peu  exténué  le  christianisme.  Mais  cela  tient  à  la  position  qu'ils 
prenaient.  «  On  ne  peut  oublier  que  nos  Apologistes  ont  écrit  pour 
(.(  ceux  du  dehors  »,  pour  les  non-chrétiens  et  avec  le  dessein  de  concilier 
au  christianisme  leur  attention,  leur  sympathie  :  l'apologétique  tient 
toujours  des  défauts  de  l'exorde  insinuant.  On  s'explique  ainsi  que,  sur 
les  questions  de  doctrine,  ils  se  contententde  généralités.  On  manquerait 
de  sens  historique,  si  on  faisait  aujourd'hui  de  leurs  réticences  des 
négations,  ou  si,  à  la  moindre  de  leurs  affirmations,  on  donnait  une 
valeur  dogmatique.  »  Pourtant,  S.  Justin  fait  exception  et  sa  théologie 
est  plus  riche  que  celle  des  autres  .\pologistes. 

Tout  cela,  M.  Rivière  l'a  rendu  sensible  dans  son  livre  par  le  choix 
heureux  et  l'agencement  des  textes. 

S.  Irénée. —  La  Bibliotheca Sanctorum  P atrum  el  Scriplorum  ecclesiasti- 
co;'M?n, publiée  à  Rome,  a  déjà  donné  quelques  bonnes  éditions  des  Pères  : 
celle  du  Contra  Hxreses  de  S.  Irénée  due  à  M.U.  Mannucci,  et  dont  les 
deux  premiers  livres  ont  déjà  paru,  comptera  parmi  les  meilleures  (2).  Le 
texte  a  été  sérieusement  revu  et  collationné  sur  quatre  mss.  du 
'Vatican  ;  des  notes  explicatives  et  critiques  très  copieuses  facilitent  l'in- 
telligence du  texte  ;  une  introduction  enfin  présente  sous  une  forme 
concise  les  données  afférentes  à  la  vie,  aux  œuvres  et  au  rôle  théolo- 
gique de  l'évéque  de  Lyon.   L'auteur   signale  avec  raison  l'importance 


1.  Saint  Justin  et  les  Apologistes  du  second  siècle.  (La  Pensée  chrétienne). 
Paris,  Blond,  1907;  in-16,  xxxvi-346  pp. 

2.  Irenaei  Adversus  ha"reses  libri  qiiinque.  P.  1-IL  (Bibliotheca  Sanctorum 
Patrum  et  Scriftorum  cc-^lcsiasticorum).  Rome,  Direction  de  la  Bibliotheca 
13-15  via  dei   Crescenzi,   1907;  in-S»,  476  pp. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  393 

d'Irénée  comme  adversaire  du  gnosticisme.  Il  en  demeure  aussi  le  témoin, 
car  il  nous  a  fait  de  plusieurs  écrits  gnostiquès  un  résumé,  dont 
les  découvertes  récentes  ont  permis  de  contrôler  l'exactitude.  Comme 
théologien,  il  marque  une  époque.  A  proprement  parler,  il  est  même  le 
premier  théologien  dans  l'Église,  et  les  écrivains  postérieurs  lui  sont 
largement  redevables.  Il  est  des  points  qu'il  a  spécialement  mis  en 
lumière  et  qui, depuis,  sont  demeurés  acquis,  p.  ex.  l'importance  doc- 
trinale de  la  tradition  et  du  magistère  ecclésiastiques. 

Tertullien.  — L'ouvrage  de  M.  K.  Adam  étudie,  comme  son  titre  l'in- 
dique (1),  le  concept  d'Église  chez  Tertullien.  Mais  en  réalité  il  est  d'un 
intérêt  plus  général,  car,  à  propos  de  ce  point  particulier,  il  permet  de 
saisir  l'évolution  intellectuelle  du  célèbre  Africain.  Le  montanisme  sépare 
en  deux  périodes  la  vie  littéraire  de  Tertullien  et  M.  Adam  a  raison  de  les 
étudier  séparément.  Pourtant,  à  y  regarder  de  plus  près,  on  constate  que 
le  Tertullien  catholique  avait  déjà  dans  ses  idées  certaines  tendances  qui 
le  disposaient  à  devenir  l'adepte  du  montanisme.  C'est  ce  que  fait  bien 
voir   l'auteur. 

Mais  peut-on  parler,  à  propos  de  l'apologiste  africain,  d'une  doctrine 
sur  l'Église  '?  A  vrai  dire,  il  ne  l'a  jamais  nettement. définie,  il  semble 
même  que  ses  conceptions  eschatologiques  l'empêchaient  de  le  faire. 
Croyant  à  la  fin  prochaine  du  monde,  il  ne  jugeait  pas  l'Église  une  ins- 
titution durable.  Il  n'insiste  que  sur  un  point,  la  nécessité  pour  les 
fidèles  d'être  des  saints  dans  l'attente  du  jugement  final. 

Néanmoins  Tertullien,  au  début  de  sa  carrière  du  moins,  était  encore 
trop  sous  l'influence  de  l'organisation  ecclésiastique  traditionnelle  pour 
que  son  intelligence  y  échappât  complètement.  Il  formule  donc,  de-ci 
de-là,  quelques  idées  qu'il  y  a  avantage  à  grouper.  Elles  se  ramènent  à 
trois  points  :  règle  de  foi,  discipline,  sanctification. 

L'Église,  pour  lui,  est  avant  tout  un  organe  doctrinal.  La  règle  de 
foi  ne  consiste  pas  dans  l'Écriture,  mais  dans  l'enseignement  concor- 
dant des  Églises,  sous  la  direction  de  i'Esprit-Saint.  Les  évêques  en 
sont  les  témoins  qualifiés,  mais  témoins  purement  humains,  n'ayant 
qu'une  autorité  disciplinaire.  D'ailleurs,  pour  Tertullien  le  dogme  est 
un  capital  mort  que  l'on  conserve,  mais  qui  n'est  pas  susceptible  de 
nouveaux  développements.  En  conséquence  de  ses  idées  sur  le  pouvoir 
doctrinal  des  évêques,  Tertullien  ne  pouvait  accorder  au  siège  de 
Rome  l'infaillibilité  proprement  dite  ;  il  lui  reconnaissait  cependant  une 
autorité  spéciale,  fondée,  non  sur  la  primauté  de  saint  Pierre,  mais  sur 
ce  fait  que  trois  apôtres  ont  concouru  à  la  fondation  de  cette  Église  et 
lui  ont  par  là  conféré  une  autorité  spéciale. 

La  discipline  a  pour  objet  tout  ce  qui  tend  à  la  pratique.  C'est  le 
second  lien  qui,  avec  la  règle  de  foi,  retient  les  chrétiens.  L'évêque  est 
chargé  de  l'appliquer.  Il  est  le  chef  absolu,  devant  lui  les  prêtres  et  les 
diacres  ont  un  rôle  très  effacé.  A  côté  d'eux,  dans  l'Église,  les  veuves  et 
les   martyrs  ont  une  place   à   part.    Ces  derniers  interviennent,  comme 


1.  Der  Kirchenhegriff  TertidUans.  (Forschiingen  zur  christlichen  Llicrutur- 
und  Dogmengeschichte  hrsg.  Von  Dr  A.  Ehrhard  xind  Dr  J.  P.  Kirsch,  VI,  4). 
Paderborn,  F.  Schôningh,  1907;  in-8o,  viii-229  pp. 


394         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

inlercesseurs,dans  l'administration  delà  pénitence  conférée  par  l'évêque. 

L'Église,  enfin,  détient  et  confère  la  grâce  qui  vient  du  Christ.  Les 
sacrements  sont  le  trésor  oii  celle-ci  repose.  Dans  la  pensée  de  Tertul- 
lien,  le  vrai  sacrement  c'est  le  baptême  ;  il  opère  sans  le  concours  des 
hommes  qui  le  confèrent.  Â  côté  de  lui  l'Eucharistie  qui  nourrit  «  par 
le  pain  sacré  dans  lequel  le  Christ  est  présent.  »  Tant  qu'il  demeura 
catholique,  Tertullien  admit  la  pénitence  après  le  baptême,  et  pour 
toutes  les  fautes  même  capitales.  Le  Dr  Adam  se  rallie  donc  par  cette 
iuierprétation  à  l'opinion  soutenue  par  MM.  Esser  et  d'Alès.  Le  pouvoir 
sanctificateur  s'exerce  par  le  sacerdos,  l'évêque  surtout. 

Une  seconde  partie  présente  les  idées  de  Tertullien  devenu  montaniste. 
Ainsi  qu'il  a  été  noté  plus  haut,  il  ne  faut  pas  chercher  une  brusque 
scis.sion  dans  les  doctrines  de  l'ardent  catholique  devenu  fervent  disci- 
ple de  Montan.  Il  suffit  pour  s'en  convaincre  de  lire  les  chapitres  consa- 
crés à  ce  sujet  par  M.  Adam  (pp.  121-151).  S'il  faisait  déjà  une  part 
considérable  à  TEsprit  durant  la  première  période,  pendant  la  seconde 
elle  devient  absolument  prépondérante.  Désormais  Tertullien  professe 
que  le  Paraclet  est  venu  accomplir,  terminer  ce  que  le  Christ  et  les 
Apôtres  avaient  laissé  in;ichevé.  C'est  lui  le  vrai  chef  :  en  conséquence 
l'autorité  des  évêques,  celui  de  Rome  y  compris,  est  diminuée  sur  le 
triple  terrain  doctrinal,  disciplinaire  et  sacramentel. 

M.  P.  de  Labriolle  a  examiné  Un  épisode  de  lliistoire  de  la  Morale 
chrétienne,  La  lutte  de  Tertullien  contre  les  secondes  noces  (1).  Il  montre 
la  progression  rigoriste  s'atfirmnnt  dans  les  traités  Ad  iixorem.  De 
Exhorlalione  caslitatis  et  De  Monogamia.  C'est  la  condamnation  absolue 
des  secondes  noces  ;  si  finalement  Tertullien  n"a  pas  rejeté  le  mariage 
lui-même,  c'est  probablement  par  crainte  de  tomber  dans  les  erreurs 
gnostiques  qu'il  combattait,  même  comme  montaniste. 

Hermias.  —  L'importance  doctrinale  de  VIrrisio  philosophorum, 
œuvre  d'un  certain  Hermias  qu'il  est  impossible  pour  l'instant  de 
déterminer,  n'est  pas  très  considérable.  L'auteur  cherche  moins  à  donner 
une  réfutation  logiquement  ordonnée  des  philosophes  païens  qu'à  les 
tourner  en  ridicule.  De  plus  on  peut  difficilement  utiliser  cet  ouvrage  à 
cause  de  l'incertitude  qui  règne  non  seulement  sur  son  auteur,  mais 
même  sur  la  date  de  sa  composition,  qui,  suivant  les  diverses  opinions, 
varie  du  II"  au  VP  siècle.  Aussi  c'est  ce  point  qu'on  tente  en  premier 
lieu  d'éclaircir.  A.  Freiherr  von  Di  Pauli  vient  de  s'y  essayer  à  son 
tour  (2).  Il  conclut  en  plaçant  cet  ouvrage  avant  220.  Les  raisons  sur 
lesquelles  il  se  base  sont  celles-ci  :  1.  LIrrisio  a  été  utilisée  par  la 
Cohortatio  ad  gentiles  composée  vers  220  ;  2.  Le  titre  indique  une  haute 
antiquité  ;  3.  De  même  le  récit  de  la  chute  des  anges  ;  4.  Le  néo  plato- 
nisme n'est  pas  mentionné. 

Il  est  juste   d'ajouter  que  M.  J.  Draeseke  (3)    tente  une  réfutation  de 

1.  Annales  de  Philosophie  chrétienne,  juillet   1907;   pp.   362-388. 

2.  Die  Trrisio  des  Hermias.  ( Foi-schuiif/en  zur  christlichen  Literatur-  und Dngmeii- 
geschichte  bps^r.  von  D""  A.  Eiirhard  und  D""  J.  P.  KiRSCH,  vu,  2)  ;  Paderborn,  F. 
Schôningl),  1907  ;  in-8°,  53  pp. 

3.  Theologische  Literaturzeitung ,  15  fév.  1908,  pp.  111-113. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  395 

tous  ces  arguments  et  maintient  complètement  l'opinion  qu'il  avait 
émise  sur  ce  sujet  en  plaçant  la  composition  de  VLrisio,  au  plus  tôt,  à 
la  fin  du  IV*  siècle. 

Saint  Athanase.  —  En  1896,  dans  le  Zeilschrift  fur  Kirchengeschichle, 
Seeck  soutint  des  conclusions  qui  renversaient  toute  l'histoire  des  débuts 
de  l'arianisme.  Mais  les  hypothèses  critiques  émises  sur  la  valeur  des 
documents  qui  en  forment  la  base,  l'appréciation  portée  sur  les  divers 
personnages  qui  y  prirent  part,  étaient  trop  opposées  à  ce  qu'on  avait 
regardé  jusque-là  comme  acquis  pour  qu'elles  fussent  acceptées  sans 
contrôle.  Son  effort  avait  porté  spécialement  contre  saint  Athanase. 
L'Évéque  d'Alexandrie  aurait,  selon  lui,  dissimulé  certains  faits  dans 
l'histoire  des  origines  de  l'arianisme  ;  il  serait  l'inventeur  de  la  légende 
sur  la  mort  d'Arius;  enfin  il  aurait  falsifié  deux  lettres  impériales.  Pour 
ce  qui  est  de  quatre  autres  documents  falsifiés,  certainement  falsifiés, 
Seeck  hésitait  à  retrouver  là  encore  la  main  d'Athanase.  Ce  sont  ces 
conclusions  que  le  Dr  SiG.  Rogala  vient  de  soumettre  à  un  examen 
approfondi  (1).  Il  suit  pas  à  pas  son  devancier  et  si  son  travail  perd  un 
peu,  pour  ce  motif,  en  ampleur  et  en  intérêt,  la  démonstration  n'en  est 
que  plus  rigoureuse.  Il  établit  à  l'opposé  des  affirmations  de  Seeck  la 
véridicité  et  l'autorité  historique  d'Athanase.  Sans  doute,  remarque-t-il, 
il  faut  reconnaître  qu'il  était  intéressé  dans  les  événements  racontés 
par  lui  ;  sans  doute  aussi  on  retrouve  dans  ses  écrits  les  restes  de  la  cha- 
leur du  combat  ;  mais  lorsqu'il  rapporte  un  fait  historique  nous  pouvons 
lui  accorder  toute  confiance,  même  lorsqu'il  uest  pas  complèlementdéga- 
gé  d'un  certain  subjectivisme  dans  sesjugements  sur  les  personnes  et  les 
événements.  Le  Dr  Rogala  en  fait  la  preuve  par  des  arguments  qui 
relèvent  plus  de  l'histoire  littéraire  que  de  l'histoire  des  doctrines  :  il 
n'y  a  donc  pas  lieu  d'y  insister  ici. 

M.  F.  Cavallera,  dans  l'ouvrage  qu'il  consacre  à  saint  Athanase  (2), 
est  du  même  avis  sur  ce  point  (p.  19).  Mais  ce  qu'il  met  en  relief  avant 
tout  c'est  la  place  de  l'évêque  d'Alexandrie  dans  l'histoire  de  la  théolo- 
gie trinitaire.  Il  forme  avec  quelques  autres  la  seconde  génération  de 
ceux  qui  furent  mêlés  aux  longues  querelles  dogmatiques  suscitées  par 
Arius  et  ses  partisans.  Plus  jeune  que  les  Pères  de  Nicée,  il  appartient 
à  un  milieu  antérieur  à  celui  dont  Basile  et  les  deux  Grégoire  furent  les 
plus  illustres  représentants.  Cette  simple  position  chronologique  expli- 
que la  plupart  des  divergences  qu'on  a  relevées  contre  ceux  qui  le  pré- 
cèdent et  ceux  qui  le  suivent.  Il  y  a  distinction,  non  opposition.  «  Saint 
Athanase  n'est  pas  un  théologien  dans  le  sens  technique  du  mot.  C'est 
un  docteur  qui  commente  le  dogme,  tel  que  la  tradition  et  l'Écriture  le 
lui  transmettent.  Faisant  face  à  des  ennemis  qui  portent  la  lutte  au 
point  vital,  il  n'a  pas  le  temps  de  spéculer  sur  les  idées  ;  il  commettrait 
même  parfois  une  faute  de  tactique  à  essayer  de  bâtir  une  théorie  pour 


1.  Di'  Anfange  des  arianisehen  Streites  (Forschungen  zur  Literalur-  ïind 
Dogmeri(j'.schichte  hrsg.  voa  Dr  A.  Ehrhard  und  Dr  J.  P.  Kirsch,  VII,  1). 
Paderborn,    F.    Schôningh,    1907;    in-S»,    iv-115    pp. 

2.  Saint  Athanase  (295-373).  {La  Pensée  chrétienne.)  Paris,  Blond,  1908; 
in-lG,  xvi-352  pp. 


396         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

mieux  faire  accepter  sa  doctrine.  On  peut  scruter  les  œuvres  trinitaires 
de  saint  Athanase,  on  n'y  trouvera  point  les  éléments  de  ce  qu'on  est 
convenu  d'appeler  un  système.  » 

«  Si  au  point  de  vue  de  la  spéculation  théologique  sa  valeur  est  peut- 
on  dire  nulle,  au  point  de  vue  dogmatique,  elle  est  incomparable. 
Nul  au  IV^  siècle  ne  me  parait  le  surpasser  pour  Fampleur  dans  le 
développement  de  la  doctrine,  la  richesse  de  l'information  scripturaire 
et,  en  dépit  des  défauts  qui  lui  sont  communs  avec  son  temps,  l'à-propos 
de  ses  citations  bibliques  ;  surtout  par  la  profondeur  de  sens  chrétien 
qui  lui  fait  conime  naturellement  chercher,  en  toute  doctrine,  le  côté 
par  où  elle  pénètre  jusqu'au  plus  intime  de  l'àme  pour  la  vivifier,  l'exci- 
ter, rénover  en  elle  la  vie  spirituelle  et  l'énergie  pour  le  bien.  » 

S.  Ambroise.  —  Le  D""  Joii.  Ev.  Niederhubf.r,  à  qui  l'on  doit  déjà  une 
étude  sur  la  doctrine  sotériologique  de  S.  Ambroise  (1),  vient  de  publier 
sur  l'eschatologie  du  même  docteur  un  nouveau  travail  qui  se  recom- 
mande par  l'abondance  de  l'information,  l'heureuse  distribution  des 
matières  et  la  clarté  de  l'exposition  (2).  Si  une  plus  large  place  avait  été 
faite  à  l'étude  comparative  des  doctrines,  afin  qu'on  put  mieux  saisir 
l'originalité  de  S.  Ambroise  vis-à-vis  de  ses  prédécesseurs,  cette  œuvre 
serait  de  tous  points  excellente. 

Deux  grandes  parties  divisent  cette  monographie  :  1.  Fins  dernières 
de  l'individu  :  2.  Fins  dernières  de  la  race  humaine  et  de  l'univers. 

I.  Individu.  —  La  mort  est  la  séparation  du  corps  d'avec  l'àme,  celle-ci 
demeurant  immortelle.  Tous  les  hommes  sont  soumis  à  la  mort  ;  S.  Am- 
broise pourtant  relève  quelques  exceptions  mentionnées  par  r.\ncien 
Testament  ;  il  ne  dit  pas  si  plus  tard  ces  quelques  privilégiés  devront 
subir  le  sort  commun.  En  soi  la  mort  est  un  mal,  mais  elle  est  cepen- 
dant la  délivrance  de  bien  des  maux  d'ordre  physique  et  moral.  L'àme 
délivrée  du  corps  est  plus  active  dans  ses  fonctions. 

Après  la  mort,  tous  les  hommes  doivent  passer  par  le  feu,  c'est-à-dire 
le  jugement.  11  n'est  pas  le  même  pour  tous  :  les  justes  le  traversent  pour 
aller  directement  au  paradis,  les  infidèles  et  ceux  qui  ont  des  péchés 
graves  restent  dans  le  feu  qui  devient  un  feu  vengeur  ;  ceux  enfin  qui 
n'ont  que  des  fautes  légères  traversent  le  feu,  mais  non  sans  être  restés 
quelque  temps  soumis  à  ses  atteintes,  c'est  un  feu  purificateur  et 
douloureux  dans  ses  effets.  Le  jugement  définitif  pour  les  pécheurs  ne 
se  fera  qu'au  jugement  dernier. 

S.  Ambroise  admet  certainement  les  suffrages  pour  les  morts.  Parmi 
eux  il  range  les  prières  privées,  le  sacrifice  de  la  messe,  l'aumône, 
l'invocation  des  martyrs  et  des  apôtres.  Leur  but  est  de  recommander 
les  âmes  à  Dieu,  afin  qu'elles  obtiennent  le  repos  parfait. 

Quant  au  bonheur  céleste,  S.  Ambroise  le  représente  comme  une 
béatitude  parfaite,  consistant,  d'une  part,  dans  l'absence  de  toute  peine,  et 

1.  Die  Lehre  des  hl.  Ambrosius  vom  Reiche  Gottes  aiif  Erden.  [lors- 
chungen  zur  christlichen  Literatur-  und  Dogmengeschichte  hrsg.  von  Dr  A. 
Ehrhard  xmd  J.   P.   Kirsch,   IV^   3-4).   Mayence,   Kirchheim,   1904. 

2.  Die  Eschatologie  des  heiligen  Ambrosius.  {Forschungen...  VI,  3).  Padcrljorn, 
F.  Schoningh,  1907,  in-8o,  XI 1-274  pp. 


BULLETIN    d'histoire    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  397 

dautre  part  dans  Tuaion  avec  Dieu,  la  participation  à  sa  gloire,  la  vision 
sans  ombre  de  sa  face.  Parmi  les  biens  accidentels,  il  compte  ce  qu'il 
appelle  res  habilationis,  c'est-à-dire  les  charmes  de  la  demeure  céleste 
et  la  société  des  anges  et  des  saints.  Celte  béatitude  est  une  récompense 
subjectivement  variable  selon  les  mérites  et  causant  une  différence  de 
gloire  au  ciel. 

La  damnation  est  infligée  aux  démons,  aux  impies,  aux  infidèles  et 
aux  pécheurs  coupables  de  fautes  graves.  Elle  consiste  d'abord  dans 
l'exclusion  du  royaume  de  Dieu  et  des  biens  qu'il  comporte,  en  consé- 
quence, dans  la  séparation  d'avec  Dieu  et  les  saints.  A  ce  châtiment 
s'ajoutent  des  peines  positives  ;  elles  sont  liées  avec  le  lieu  de  séjour  des 
damnés,  l'enfer.  S.  Ambroise  le  place  dans  les  régions  inférieures  et  se 
le  représente  comme  un  lac  de  feu,  matériel,  semble-t-il.  Les  damnés 
sont  punis  aussitôt  après  leur  mort  et  leur  châtiment  est  éternel. 

II.  Univers.  —  Le  second  avènement  du  Christ  aura  lieu  à  la  fin  du 
monde.  Le  saint  docteur  ne  détermine  pas  l'époque  d'une  façon  plus 
précise.  Personnellement  il  le  croit  prochain.  Certains  signes  précé- 
deront sa  venue.  Et  d'abord,  lapparition  de  l'Antéchrist.  Celui-ci  sera  un 
individu  sortant  de  la  tribu  de  Dan.  S.  Ambroise  le  distingue  du  démon  ; 
il  lui  assigne  des  avant-coureurs  en  la  personne  de  quelques  hérési- 
arques. Quant  à  son  œuvre,  c'est  l'opposition  à  Dieu  lui-même,  et  la 
séduction  des  hommes.  Les  jours  de  l'avènement  du  Christ  seront 
marqués  par  d'autres  signes,  malheurs  dans  l'ordre  physique,  chutes 
morales.  Enfin,  parmi  les  signes  immédiats,  S.  Ambroise  range  :  l'évan- 
gélisation  du  monde  entier,  la  conversion  du  peuple  juif  et  le  retour 
d'Élie. 

Les  corps  ressusciteront:  lévèque  de  Milan  le  prouve  par  des  raisons 
de  convenance,  par  des  textes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  ; 
enfin  par  un  argument  qui  lui  paraît  évident.  Il  est  basé  sur  la  justice 
divine  :  le  corps  de  l'homme  a  eu  part  au  bien  ou  au  mal,  il  doit  être,  lui 
aussi,  puni  ou  récompensé.  La  résurrection  est  l'œuvre  propre  de  Dieu, 
à  l'exclusion  de  tout  agent  intermédiaire.  Le  Christ  en  est  la  cause 
exemplaire  et  méritoire.  Tous  les  hommes,  justes  et  pécheurs,  ressusci- 
teront. Contre  la  doctrine  de  la  métempsycose,  S.  Ambroise  affirme  qu'ils 
retrouveront  leurs  corps  individuellement  identiques.  Tous  seront 
immortels,  mais  tous  n'auront  pas  les  mêmes  qualités.  Seuls  les  corps 
des  justes  auront  :  la  clarté,  l'incorruptibilité,  la  subtilité.  —  D'après  le 
D'  Niederbuber,  S.  Ambroise  n'a  pas  enseigné  le  millénarisme. 

Le  saint  docteur  regarde  comme  un  fait  admis  de  tous  qu'il  y  aura 
un  jugement  final,  il  coïncidera  avec  la  venue  du  Christ  et  la  résurrection. 
Le  juge  est  Dieu,  mais  il  a  confié  son  pouvoir  au  Christ.  Avec  celui-ci, 
siégeront  les  apôtres,  les  justes,  les  anges  mêmes.  Le  démon  jouera  le 
rôle  d'accusateur.  Ce  sera  un  jugement  vengeur,  s'exerçant  vis-à-vis  de 
tous,  justes  et  pécheurs,  et  portant  sur  tous  les  actes  du  corps  et  de  l'âme. 
S.  Ambroise  semble  admettre  que  certains  damnés  seront  pardonnes. 
11  faut  voir  là  une  intluence  de  l'Origénisme  dont  les  traces  se  retrouvent 
en  plus  d'un  endroit  de  ses  œuvres. 

Le  monde,  unique  selon  l'évêque  de  Milan,  doit  avoir  une  fin  comme 


398         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

il  a  eu  lin  commencement.  Pourtant  cette  fin  ne  sera  pas  une  annihila- 
tion, mais  un  renouvellement. 

S.  Augustin.  —  Il  faut  mentionner  ici,  bien  que  le  sujet  dont  il  traite 
ne  rentre  pas  directement  dans  l'histoire  des  doctrines  chrétiennes, 
Touvrage  du  D""  F.  X.  Eggersdorfer  (1)  sur  la  pédagogie  de  S.  Augustin. 
C'est  un  travail  fort  remarquable  et  qui  ne  peut  qu'aider  à  mieux  com- 
prendre les  doctrines  et  l'influence  de  l'évêque  d'Hippone.  Chez  lui,  en 
effet,  philosophie  et  théologie  ne  se  séparent  pas  des  théories  sur  l'ins- 
truction et  l'éducation.  Celles-ci  ne  sont  que  la  conséquence  de  celles-là  : 
M.  Eggersdorfer  le  fait  bien  voir. 

Voici  les  grandes  lignes  de  son  travail.  Une  introduction  expose  l'édu- 
cation romaine  telle  qu'Augustin  dut  la  recevoir  dans  sa  jeunesse. 
Quant  à  ses  idées  personnelles,  on  peut  en  distinguer  une  double  mani- 
festation correspondant  à  deux  périodes  de  sa  vie.  La  première  va  jus- 
qu'à son  épiscopat,  et  se  caractérise  par  l'application  de  la  philosophie 
et  du  mysticisme  néo-platonicien  à  l'éducation.  L'auteur  expose  les  prin- 
cipes, le  but  et  les  moyens  scientifiques  pour  y  arriver.  Il  retrace 
ensuite  la  réalisation  de  ce  programme  dans  l'école  de  Cassiacum. 
Durant  la  seconde  période,  S.  Augustin  est  avant  tout  évêque,  il  vise  à 
former  des  catécliumènes  et  des  clercs.  Un  chapitre  expose  la  part  qu'il 
laisse  à  la  culture  païenne.  Enfin  une  conclusion  suit  à  grands  traits 
les  traces  de  son  influence  durant  le  moyen  âge  et  jusqu'à  la  Renaissance. 

L'ouvrage  de  M.  le  pasteur  0.  Zaenrer  traitant  du  «  Primat  de  la  vo- 
lonté sur  l'intelligence  dans  S.  Augustin  »  (2)  n'est  pas,  comme  le  titre 
pourrait  le  faire  supposer,  de  caractère  philosophique.  La  façon  dont 
l'auteur  envisage  le  problème  est  avant  tout  théologique  etcela  tient  à  la 
conception  même  de  S.  Augustin,  qui  ne  distingue  pas  en  pratique  les 
deux  aspects.  Si  l'on  peut  faire  des  réserves  sur  certaines  interprétations 
de  détail,  constater  que  l'auteur  diminue  plus  qu'il  ne  convient  le  rôle 
de  l'intelligence  dans  la  notion  augustinienne  de  la  foi,  et  trouver  enfin 
qu'il  écarte  trop  facilement  l'influence  néo-platonicienne  sur  les  œuvres 
de  l'épiscopat,  il  reste  cependant  que  le  sens  général  de  la  thèse  est 
vrai.  Toutefois  les  conclusions  de  M.  Zànker  ne  sont  peut-être  pas  aussi 
nouvelles  qu'il  semble  le  croire.  S'il  avait  consulté  davantage  les  auteurs 
catholiques,  il  les  élit  trouvées  énoncées  déjà,  par  exemple,  dans  le 
remarquable  article  consacré  à  S.  Augustin  par  M.  Portalié.  (Diction- 
naire de  Théologie  catholique,  t.  I,  c.  2332-2333.) 

C'est  avec  raison  que  l'auteur  met  à  la  base  du  problème  la  notion 
augustinienne  de  Dieu.  Il  est  la  vérité  que  cherche  l'homme,  mais 
celui-ci  ne  l'atteindra  jamais  sans  certaines  qualités  du  cœur.  La  mau- 
vaise volonté  nous  écarte  de  la  vérité.   La  possession  de  celle-ci  sera  la 


1.  Der  heilîge  Angustinus  als  Pàdagoge  und  seine  Bedeutung  fur  die 
Geschichte  der  Bildung.  [Strassburger  theologische  Studien  hrsg.  von  Dr  A. 
Ehrhard  Tind  Dr  E.  Muller,  Vlll,  34).  Fribourg  en  Brisgan,  B.  Herder, 
1907;   in-8o   XIV-238  pp. 

2.  Der  Frimât  des  Willens  vor  dem  Intellekt  hei  Augustin.  [Beitrâge  zur 
Forderung  christlicher  Théologie  hrsg.  von  Dr  A.  Schlatter  und  Dr  W. 
LùTGERT,   XI,    1).   Gûtersloh,    E.    Bertelsman_.    1907;   m-8o,    150  pp. 


BLLLETIN    d'hiSTOIRE    DES    DOCTRINES    CHRÉTIENNES  399 

récompense  de  la  vertu,  pailiculièrement  de  rimmilité.  Ainsi  donc  dans 
la  foi  la  volonté  joue  le  premier  rôle.  Il  en  sera  de  même  dans  la  béati- 
tude. 

Vincent  de  Lérins.  —  J'ai  déjà  eu  occasion  de  signaler  les  divergences 
d'opinion  au  sujet  du  semi-pélagianisme  attribué  à  Vincent  de  Lérins. 
L'affirmative  me  semblait  plus  probable.  M.  Hugo  Koch  vient  de  la  lor- 
tifîer  encore  (1)  :  il  a  fait  la  démonstration  quasi  matérielle  du  semi-péla- 
gianisme de  Vincent  de  Lérins,  en  montrant  les  rapports  intimes  exis- 
tant entre  les  Objectiones  Vincentiame  réfutées  par  S.  Prosper  et  le 
Cummonilorium.  Ce  dernier  ouvrage,  au  dire  de  M.  Koch,  est  une  réplique 
aux  Responsiones  de  S.  Prosper.  «  Il  est  la  protestation  d'un  homme  déjà 
en  face  de  la  mort  contre  les  «  nouveautés  »  africaines,  le  testament 
d'un  semi-pélagien  décidé,  l'inquiet  Caveant  consules  d'un  fidèle  attaché 
à  son  Église  par  un  amour  ardent  et  enthousiaste.  Vincent  de  Lérins 
quitta  cette  terre  en  adversaire  irréconciliable  de  l'Auguslinisme.  » 

Léonce  de  Byzance.  —  On  pouvait  croire  qu'après  les  travaux  de 
[jOûfs,  de  Riigamer  et  d'Ermoni,  les  œuvres  et  la  doctrine  de  Léonce  de 
Byzance  étaient  complètement  connues.  (2)  Le  D''  J.  P.  Junglas  vient  de 
prouver  le  contraire  par  une  récente  étude  sur  ce  sujet.  Elle  apporte 
en  effet  plus  d'un  élément  nouveau  et  déplace  des  conclusions  commu- 
nément admises. 

L'auteur,  par  exemple,  montre  que  l'hypothèse  de  Loofs,  d'après 
Inquelle  Léonce  aurait  composé  un  ouvrage  important,  dont  le  titre  aussi 
bien  que  le  contenu  sont  aujourd'hui  perdus,  n'est  pas  admissible  La 
question  des  sources  est  traitée  plus  complètement  qu'on  ne  l'avait  fait 
jusqu'ici.  Il  ressort  de  cette  enquête  que  Léonce  de  Byzance  a  extrait  la 
plus  grande  partie  de  ses  Florilèges  des  œuvres  d'Ephrem  d'Anlioche 
et  de  Pamphile  de  Jérusalem,  à  qui  il  est  redevable  pour  beaucoup  dans 
ses  connaissances  lliéologiques.  En  dehors  d'eux,  il  a  surtout  utilisé 
S.  Basile  et  S.  Grégoire  de  JNazianze.  Il  n'est  pas,  comme  l'a  soutenu 
M.  Ermoni,  le  premier  aristotélicien  parmi  les  écrivains  ecclésiastiques  ; 
à  proprement  parler,  il  n'est  même  pas  aristotélicien,  mais  néo-plato- 
nicien ;  il  doit  à  Porphyre  l'aristotélisme  qu'on  retrouve  dans  ses  œuvres. 

Sa  doctrine  est  à  peu  près  exclusivement  christologique,  il  traite 
spécialement  du  mode  d'union  des  natures  dans  le  Christ.  Il  ne  fait  pas 
que  suivre  S.  Cyrille  d'Alexandrie  :  on  constate  même  entre  eux  des 
différences  assez  notables.  Tandis  que  l'évêque  d'Alexandrie,  par 
exemple,  regarde  le  nom  du  Christ  comme  désignant  le  terme  d'un 
acte,  l'onction,  Léonce,  avec  le.s  théologiens  de  l'école  d'Antioche,  le 
prend  comme  désignant  toute  la  personne.  Si  pour  le  fond  des  idées 
ils  sont  d'accord,  la  terminologie  de    Léonce  est  beaucoup  plus  précise, 

1.  Vincenzvon  Lerin  und  Gennadius.  (Texte  und  XJntersuchungen  zur  Ges- 
cJiichte  der  altchristlichen  Literatur,  3e  série,  I,  2).  Leipzig,  Hinrichs,  1907, 
in-So,  p.   37-58. 

2.  Leontius  von  Byzanz,  Studien  zii  seinen  Schriften,  Quellen  und  Anschauun- 
gen.  (Forschungen  zur  christlichen  Literatur-  und  Dogmengeschichte  hrsg.  von 
Dr  Ehrhard  und   Dr  J.  P.   Kirsch,  Vil,   3).   Paderborn,   F.   Schoningh,   1908  •■ 
iii-8o,  XII-166  pp. 


400         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

il  traduit  S.  Cyrille  en  formules  conformes  au  concile  de  Chalcédoine. 
Léonce  se  sert  couramment  contre  les  Monophysites  de  Texpression 
èvjTroT-a-ov  pour  exprimer  le  mystère  de  l'k'voTt;  v.xb'  ■j-ôiTy.nvj.  Le  D"" 
Junglas  en  recherche  les  origines.  D'après  lui.  elle  est  bien  antérieure  à 
Léonce  (contre  Bardenhewer)  et  a  ses  origines  non  dans  la  logique  aris- 
totélicienne (contre  Loofs  et  Harnack),  mais  dans  la  psychologie  néo- 
platonicienne. 

Alexandre  de  Haies.  -  Il  est  bien  difficile  de  donner  la  pensée 
exacte  d'Alexandre  de  Haies  et  surtout  de  marquer  sa  vraie  place  dans 
le  mouvement  intellectuel  de  son  époque,  tant  qu'on  n'aura  pas  une 
édition  critique  de  son  œuvre  déjà  fort  discutée  au  xiii"^  siècle,  et  que 
les  ouvrages  de  quelques-uns  de  ses  contemporains  n'auront  pas  été  mis 
au  jour.  Pourtant  le  D''  K.  Heiji  s'est  attaché  à  étudier  sa  doctrine  sur 
la  grâce  (1).  Pour  lui,  Alexandre  de  Haies  forme  l'intermédiaire  entre  le 
pur  augustinisme  professé  encore  par  Pierre  Lombard,  et  ce  qu'il  appelle 
le  néo-semipélagianisme  ecclésiastique.  La  naissance  de  celui-ci  aurait 
coïncidé  avec  l'introduction  de  l'aristotélisme  dans  la  théologie,  et  c'est 
ce  dernier  qui  peut  en  fournir  l'explication.  Grâce  à  la  notion  aristoté- 
licienne des  causes,  le  concept  de  la  grâce  est  précisé.  Elle  devient  une 
forme  accidentelle  de  l'âme,  et  comme  pour  l'introduction  de  toute 
forme  il  faut  une  préparation  de  la  matière,  on  arrive  à  expliquer  philo- 
sophiquement l'axiome  des  anciens  :  «  facienti  quod  in  se  est  Deus 
non  denegat  gratiam  ».  Et  de  ce  chef  la  rigidité  de  la  prédestination 
s'atténue. 

Dans  son  ouvrage,  M.  Heim  examine  la  réalisation  de  ce  thème  chez 
Alexandre  de  Haies.  11  traite  du  concept  de  grâce  chez  le  docteur  fran- 
ciscain, de  ses  relations  avec  la  psychologie  humaine,  dans  la  prépara- 
lion,  la  coopération,  enfin  de  ses  rapports  avec  prédestination.  Son  étude, 
un  peu  compacte,  est  suffisamment  objective  :  il  cite  de  nombreux  textes 
et,  sauf  quelques  cas,  les  interprète  exactement.  Pour  la  prédestination 
il  restreint  trop,  semble-t-il,  les  idées  d'Alexandre  de  Haies  en  les  limi- 
tant à  la  prédestination  à  la  gloire,  exclusive  de  la  prédestination  à  la 
grâce.  Je  n'ai  pas  vu  qu'il  citât  un  texte  curieux  et  difficile  à  expliquer 
en  un  sens  orthodoxe:  «  nam  collationis  ;;rfl/?ceet  gloriae  potest  esse 
ratio  prsescientia  meritorum.  »  (I.  P.,  Q.  xxviii,  M.  m,  a.  3,  éd.  Venise, 
1375.}  11  y  aurait  des  réserves  à  faire  sur  ce  qu'il  nomme  le  néo-semi- 
pélagianisme et  sur  le  rôle  qu'il  attribue  à  l'aristotélisme. 

Kain,  M.  Jacquin,  0.  P. 


1.  Das  ^^'escn  der  Gnade  und  ihr  Verhdltnis  zu  den  nntiirlichen  FunMionen 
des  Menschen  hei  Alexander  Hahsius.  Leipzig,  M.  Heinsius,  1907;  ia-S», 
152    pp. 


CHRONIQUE 


ALLEMAGNE.  —  Congrès.  —  M.  le  professeur  Windelband,  prési- 
dent, et  M.  le  professeur  Elsenhans,  vice-président  du  Comité  d'orga- 
sation,  annoncent  que  le  3*  Congrès  international  de  philosophie  se 
tiendra  à  Heidelberg,  du  l^""  au  3  septembre  1908.  Le  programme 
comprend  4  séances  générales  et  les  réunions  de  Sections.  Ces  Sections 
seront  au  nombre  de  7  :  Histoire  delà  philosophie  ;  Pliilosophie  géné- 
rale, métaphysique  et  philosophie  de  la  nature  ;  Psychologie;  Logique 
et  théorie  de  la  connaissance  ;  Morale  ;  Esthétique  ;  Philosophie  reli- 
gieuse. 

Le  prix  des  cartes  de  membres  est  fixé  à  20  marks,  celui  des  cartes 
de  dames  à  10.  Langues  ofTicielles  :  français,  allemand,  anglais  et 
italien.  Adresser  toutes  demandes  et  communications  à  M.  le  professeur 
Th.  Elsenhans,  Plock,  79,  Heidelberg. 

Nominations.  —  Le  D"^  Simon  Weber,  professeur  extraordinaire 
d'apologétique  à  la  Faculté  de  Théologie  de  l'Université  de  Fribourg  en 
Brisgau,  a  été  nommé  professeur  ordinaire  de  la  Littérature  du  N.  T.  et 
d'apologétique. 

—  M.  Alf.  Seeberg,  professeur  ordinaire  d'exégèse  du  N.  T.  à 
l'Université  de  Dorpat,  a  été  appelé  en  la  même  qualité  à  celle  de 
Rostock. 

—  Le  D"^  Gressmann,  privat-docent  à  Kiel,  a  été  nommé  professeur 
extraordinaire  de  théologie  de  l'A.  T.  à  l'Université  de  Berlin. 

—  Le  D""  C.  Steuernagel,  privat-docent  d'exégèse  de  l'A.  T.  à  l'Uni- 
versité de  Halle,  devient  professeur  extraordinaire. 

—  M.  M.  Lidzbarski,  l'éminent  épigraphiste,  privat-docent  de  philo- 
logie sémitique  à  l'université  de  Kiel,  a  été  nommé  professeur  ordinaire 
à  l'Université  prussienne  de  Greifswald. 

Décès.  —  Le  D'^  Fr.  Schneider,  professeur  ordinaire  d'exégèse  du 
X.  T.  au  Lycée  royal  de  Regensburg,  est  décédé  dans  les  premiers  jours 
de  février. 

—  M.  Edouard  Zeller,  l'illustre  historien  de  la  philosophie  grecque, 
est  mort  à  Stuttgart  le  jeudi  19  mars  à  l'âge  de  94  ans.  Il  était  né  en 
1814  à  Kleinbottwar  dans  le  Wurtemberg.  Il  étudia  successivement  à 
l'Université  de  Tubingue,  puis,  en  1836,  à  celle  de  Berlin.  Répétiteur 
à  Tubingue  en  18:39,  privat-docent  en  181:0,  il  fut  appelé  comme  profes- 
seur de  théologie  à  Berne  en  1847,  puis  à  Marbourg  en  1834.  En  1862,  il 
fut  nommé  professeur  extraordinaire  de  philosophie  à  Heidelberg  et  en 
1872  il  passa  en  qualité  de  professeur  ordinaire  à  l'Université  de  Berlin. 
Il  avait  pris  sa  retraite  en  1894  et  s'était  retiré  à  Stuttgart.  Il  y  célébrait 
en  1906  le  jubilé  de  ses  70  ans  de  doctorat. 

Ouvrages   principaux  :  Platonische  Sdidien,   1889  ;  Die   Philosophie 

2'  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  2  26 


402         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

der  Grirchen  in  ihrer  geschichtlichen  FiUwicklung,  3  Bande,  1844-1852, 
(Bd.  1,  5»  édition  1892,  Bd.  2,  4«  éd.  1889,  Bd.  3,  4«  éd.  1902);  Grundriss 
der  Geschichle  der  griechischen  Philosophie,  S^  éd.  1907  ;  Platos  Gastmahl 
ueberselzl  und  erlàuterl^  1857  ;  De  Hennodoro  Ephesio  et  Hermodoro  Plo- 
tonico,  1859  ;  Vortr'àge  und  Abhandlungen,  Band  1,  1865  (2''  éd.  1875), 
Band  2.  1877,  Band  3,  1884;  Geschichte  der  deutschen  Philosophie  seit 
Leibnilz,  1873.  —  Bas  theologische  System  Zwinglis,  1853  ;  Die  Aposlel- 
geschichfe  nach  ihren  bihalt  und  Ursprung^  1854;  Staat  und  Kirche, 
1873,  etc. 

M.  E.  Zeller  était  membre  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin, 
de  l'Académie  des  Sciences  de  Munich,  etc.  Rappelons  enfin  qu'il  avait 
fondé  en  1842,  avec  le  concours  de  nombreux  savants,  le  Theologisches 
Jahrbuch. 

ANGLETERRE.  —  Publication  nouvelle.  —  Le  mois  de  Janvier  a  vu 
paraître  à  Dublin  le  premier  fascicule  d'une  nouvelle  revue  théolo- 
gique :  The  Irish  Church  Quarterb/.  Elle  a  pour  directeur  M.  Hugh 
J.  Lawlor,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'Université  de  Dublin 
(Trinity  Collège). 

Voici  le  sommaire  du  n°  paru  :  A.  Trail,  Irish  Church  Finance  since 
DisestabUshemenl  ;  Rt  Rd  J.  Dowden.  A  Contribution  toivards  the  Study 
of  the  Prayer  of  Humble  Access;  AV.  Sherlock.  The  Imitation  of  Christ  ; 
L.  A.  PoOTER,  Edward  Hincks,  D.  D.,  Egyptologist  and  Assyriologist  ; 
.1.  H.  Bernard,  The  Traditions  as  lo  the  Death  of  John  the  Son  of  Zebedee  ; 
C.  B.  Price,  Rome  and  Modernism.   —  Le  prix  d'abonnement  est  de6sh. 

Congrès.  —  A  Londres  se  tiendra,  du  23  au  26  septembre  prochain, 
le  1^''  Congrès  interyiational  d' Education  morale  et  sociale.  M.  L.  Bour- 
geois est  président  du  Comité  général.  L'anglais,  le  français  et  l'alle- 
mand seront  admis  pour  les  communications. 

Anniversaires.  —  Le  Conseil  du  Sénat  de  l'Université  de  Cambridge 
a  adopté  une  motion  tendant  à  la  célébration  par  l'Université  de  fêtes  en 
l'honneur  de  Ch.  Darwin  dont  le  centenaire  tombe  l'an  prochain.  Le 
savant  naturaliste  est  né  en  1809.  Ces  solennités  marqueraient  en  même 
temps  le  cinquantenaire  du  célèbre  ouvrage  de  Darwin  :  Eorigine  des 
espèces,  qui  fut  publié  en  1859.  La  semaine  du  20  juin  1909  est  indiquée 
comme  date  à  choisir.  Des  invitations  seraient  adressées  aux  autres 
Universités  anglaises  et  aux  principales  Universités  étrangères. 

Nominations.  —  Lord  Rosebery  a  été  choisi  comme  chancelier  de 
l'Université  de  Glasgow  en  remplacement  de  lord  Kelvin  décédé.  Il  avait 
été  recteur  de  cette  Université  en  1899,  de  celle  d'Edimbourg  en  1882  et 
1883,  de  celle  d'Aberdeen  de  1878  à  1881. 

—  M.  W.  UiDGEWAY,  professeur  d'archéologie  à  l'Université  de  Cam- 
bridge, a  été  élu  président  du  Royal  Anthropological  Institute  de 
Londres.  Il  succède  à  M.  D.J.  Cunninghnm. 

Décès.  —  Le  duc  de  Devonshire  est  mort  à  Cannes  le  24  mars.  Il  était 
chancelier  des  Universités  de  Cambridge  el  de  Manchester,  En  1877,  il 
avait  été  élu  recteur  de  l'Université  de  Glasgow. 


CHRONIQUE  403 

AUTRICHE.  —  Congrès.  —  Les  Actes  du  premier  Congrès  de  Veleh- 
rud  (cfr.  //.  des  Se.  Ph.  et  Th.  I,  p.  861  el  sq.)  viennent  d'être  publiés  en 
une  brochure  in-S*^  de  114  pp.  On  les  trouve  à  la  librairie  Rohlicek  et 
Sievers  de  Prague.  Ils  contiennent,  outre  le  compte  rendu  des  séances 
du  Congrès  et  le  catalogue  des  livres  déjà  réunis  à  l'abbaye  de  Veleh- 
rad  et  qui  constituent  le  premier  fonds  de  la  bibliothèque  Cyrillo-Métho- 
dienne,  le  texte  des  Mémoires  lus  devant  les  congressistes  assemblés. 
Voici  la  liste  de  ces  intéressantes  études:  J.  Urbain,  De  iis,  quse  theologi 
Calholici  praestare  possint  et  debeant  erga  ecclesiam  russicam  ;  A.  Pal- 
MiERi,  De  tendentiis  catkolicis  in  Iheologia  Russica  ;  Fr.  Grivec,  De  unio- 
???'s  cum  Russia  conatibus  :  M.Haluscynskyj,  De  nova  illustratione  epi- 
cleseos  ex  liturgia  ecclesiae  orientaîis  pelila  ;  A.  Spaldak,  De  Russorum 
débita  relalione  ad  ecclesiam  catholicavi  ;  F.  Snopek,  Melhodiuni 
orlhodoxiim  fuisse. 

Universités.  —  Le  6«  Congrès  des  catlioliques  autrichiens,  qui  s'est 
tenu  à  Vienne  en  novembre  dernier,  a  approuvé  le  projet  de  créer  une 
Université  catholique  à  Salsbourg.  Le  cardinal-archevêque  de  cette  ville 
a  fait  connaître  qu'il  espérait  pouvoir  ouvrir,  dès  l'automne  prochain, 
une  ou  deux  Facultés.  Cinq  millions  de  francs  environ  ont  déjà  été 
réunis  pour  cette  grande  entreprise. 

Nominations.  —  M.  Th.  Moldecke,  professeur  honoraire  de  philologie 
sémitique  à  l'Université  de  Strasbourg,  a  été  élu  membre  d'honneur 
de  l'Académie  des  Sciences  de  Vienne. 

—  M.  R.  KiNOPF,  de  l'Université  de  Marbourg,  a  été  nommé  professeur 
ordinaire  d'exégèse  du  N.  T.  à  la  Faculté  de  théologie  évangélique  de 
Vienne. 

BELGIQUE.  —  Publications  nouvelles.  —  Le  Rapport  sur  les  travaux 
du  Séminairp  historique  de  l'Université  de  Louvain  (1906-1907)  est,  comme 
d'habitude,  très  riche.  Des  trois  sections  dirigées  par  M.  le  chanoine 
Cauchie  la  première  nous  intéresse  davantage.  Nous  aurons  montré 
l'importance  et  la  variété  des  travaux  qui  s'y  traitent  en  signalant  quel- 
ques titres  :  J.  Bogaert,  L'exégèse  juive  au  moyen  âge  ;  J.  Lebon,  Un 
professeur  d'Ecriture  Sainte  au  IX^  siècle,  Christian  de  Slavelot  ;  J. 
Lecouvet.  Rupert  de  Deutz  ;  J.  Lottin.  Cajelan  et  les  études  bibliques  au 
commencement  du  A  F/®  s«èc/e  ;  E.  Van  Cauvvelaert.  Le  <<  De  Bepublica 
ecclesiastica  »  de  Marc  Antoine  de  Dominis  ;  A.  Vander  Heeren,  L'Insti- 
tution des  Sacrements  ;  G.  Denteneer,  Introduction  générale  à  l'histoire 
des  religions.  Il  est  à  souhaiter  que  quelques  unes  de  ces  études  abou- 
tissent à  des  publications. 

—  Il  est  trop  tard  pour  annoncer  l'ouvrage  de  M.  le  D''  F.  Desmons, 
Gilbert  de  Choiseul,  évèqiie  de  Tournai ( 1 67  l~l 689).  (Tournai,  Caster- 
man,  l9o7  ;  in-8°  XVI-622  pp.)  Nous  tenons  néanmoins  à  le  signaler  à 
ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  des  idées  religieuses  en  France  au 
XVII^  siècle.  L'importance  du  personnage  dépasse  de  beaucoup  les 
limites  d'un  diocèse  e\  la  sagace  érudition  de  son  biographe,  en  mettant 
au  jour  de  nombreuses  pièces  inédites,  a  su  lui  donner  tout  son  relief. 
Dans  ce  livre  plein  de  choses  il  convient  de  faire  ici  spéciale  mention  du 
chapitre  V  :  L'œuvre  doctrinale  de  Choiseul, 


404         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

ESPAGNE.  —  Publications  nouvelles.  —  Le  P.  L.  G.  A.  Getlno,  0. 
P.,  déjà  avantageusement  connu  par  ses  travaux  historiques,  vient  de 
consacrer  un  important  volume  au  fameux  Augustin  Fr.  Louis  de  Léon, 
célèbre  à  la  fois  par  sa  science,  l'élégance  de  son  style  et  ses  démêlés 
avec  l'Inquisition,  [Vida  y  Procesos  del  Maestro  Fr.  Luis  de  Léon,  Sala- 
manque,  imp.  de  Calatrava;  in-16,  xvi-o76  pp.)  La  première  partie  de 
son  travail  est  consacrée  à  la  biographie,  la  seconde  étudie  plus  spécia- 
lement les  procès.  Le  sujet  était  difficile  à  traiter  :  bien  des  légendes 
l'ont  déjà  envahi  et  la  passion  contre  l'inquisition  a  troublé  plus  d'un 
jugement.  Le  P.  Getino  a  tenté  de  donner  une  histoire  véridique  en 
s'appuyant  sur  de  nombreux  documents  dont  beaucoup  étaient  encore 
inédits. 

Nous  apprenons  que  le  savant  dominicain  a  commencé  la  publication 
du  Cartulaire  de  l'Université  de  Salamanque.  Nous  souhaitons  le 
meilleur  succès  à  cette  entreprise. 

Universités.  —  L'évêque  de  Madrid-Alcala,  qui  naguère  annexait  à 
son  Séminaire  une  Faculté  d'Écriture  Sainte,  vient  de  créer  pour  les 
étudiants  de  théologie  une  chaire  de  philosophie  supérieure.  Il  y  a 
nommé  comme  premier  titulaire  Don  Juan  Zaragûeta,  ancien  élève  de 
l'Institut  Supérieur  de  Philosophie  à  l'Université  de  Louvain. 

Sociétés  savantes.  —  La  Cultura  Bspa/lola  publie  l'information 
suivante  :  Sous  le  patronage  de  la  Députation  provinciale  de  Barcelone, 
vient  de  se  fonder  en  cette  ville  un  Institut  d'Études  Catalanes.  Il  a 
pour  objet  de  procéder  à  des  recherches  scientifiques  sur  tous  les  élé- 
ments de  la  civilisation  catalane.  Il  comprend  quatre  sections  :  Histoire, 
Archéologie,  Littérature  et  Droit.  Il  publiera  des  Textes,  Mémoires, 
Monographies,  Collections.  On  annonce  la  publication  prochaine  par  le 
professeur  A.  Rubid  y  Lluch  d'un  volume  de  Bocumenls  para  rhisloria 
de  la  cultura  cataiana.  L'Institut  compte  actuellement  huit  membres  : 
J.  Masso  y  Torrents,  A.  Rubio  y  Lluch,  M.  de  los  Santos  Oliver,  J.  Miret 
y  Sans,  J.  Puig  y  Cadafalch,  G.  M.  de  Brocâ,  P.  Corominas,  J.  Pijoan. 

ÉTATS-UNIS.  —  Découverte.  —  M.  Gaston  Migeon,  professeur  à 
l'École  du  Louvre  à  Paris,  a  publié  dans  le  Journal  des  Débats  du  18 
février,  la  note  suivante  : 

«  Au  mois  de  janvier  1907,  M.  Charles  Freer,  le  grand  industriel  de 
Détroit  (Michigaai,  États-Unis),  me  rejoignait  au  Caire,  et  nous  eûmes  du  plaisir 
à  visiter  ensemble  les  marchands.  II  en  est  un  bien  curieux,  qui  occupe  à 
Ghizeh  plusieurs  maisons  bondées  des  choses  les  plus  hétéroclites  amon- 
celées sous  une  épaisse  poussière.  Après  d'interminables  palabres  et  de 
mystérieuses  négociations,  M.  Ch.  Freer  parvint  à  se  rendre  possesseur 
de  plusieurs  manuscrits  découverts  dans  les  ruines  d'Akmin,  dans  la  Haute- 
Egypte. 

»  Il  ignorait  totalement  qiuelle  en  pouvait  être  la  valeur  archéologique; 
seules  la  beauté  ou  la  grâce  des  enluminures  encore  fraîches  sur  les  parche- 
luins,  la  conservation  des  couvertures  où  pendaient  encore  des  débris  de 
chaînettes  de  suspension,  l'avaient  enchanté.  Grâce  à  d'astucieuses  dissimu- 
lations, il  put  sortir  ces  manuscrits  d'Egypte,  et  quelques  semaines  après 
il  les  examinait  plus  attentivement  en  Amérique,  dans  son  cabinet  de  tra- 
vail, où  fee  trouvaient  réunis  les  plus  éminents  professeurs  des  Universités 
américaines. 


CHRONIQUE  403 

»  Leur  avis  réfléchi  fut  qu'ils  se  trouvaient  là  devant  des  manuscrits 
originaux  de  la  Bible,  que  le  docteur  H.-A.  Sanders  déclara  même  pouvoir 
dater  du  cjaiatrième  au  sixième  siècle  de  l'ère  chrétiemie,  et  qui  purent 
fort  bien  avoir  été  sauvés  de  la  Bibliothèque  d'Alexandrie  avant  que  les 
armées   du   calife    Omar  ne   l'eussent  dévastée. 

»  Le  premier  manuscrit  contient  le  Deutéronome  et  Josué.  Le  second 
contient  les  Psaumes,  semble  bien  plus  complet  cfue  celui  du  Vatican,  et  doit 
être  le  plus  ancien  manuscrit  de  la  série.  Le  troisième  renferme  les  quatre 
Évangiles  en  entier,  probablement  écrits  au  cinquième  ou  sixième  siècle.  Le 
quatrième,  en  très  mauvais  état,  contient  les  Actes  et  les  Épîtres. 

»  Deux   des   manuscrits   sont  écrits    en   grand©  onciale,    et   deux   en   petite. 

»  La  comparaison  avec  les  fameux  manuscrits  alexandrins  de  la  Bible 
conservés  au  British  Muséum  est  instructive.  D'un  côté  comme  de  l'autre, 
quatre  volumes,  parchemin  de  même  espèce,  tous  les  mots  se  suivant  sans 
être  espacés  jusqu'à  la  fin  du  paragraphe,  les  manuscrits  de  M.  Freer  étant 
un  peu   plus  grands   de  format. 

»  On  sait  que  les  manuscrits  alexandrins  du  British  Muséum  furent  offerts 
par  l'entremise  de  son  ambassa.deur  au  roi  Charles  1er,  en  1628,  par  Cyril- 
lus  Lucaris,  patriarche  de  Constantinople. 

»  Mais  ce  qui  fait  le  très  grand  intérêt  de  la  découverte  de  M.  Ch.  Freer, 
c'est  que  ses  manuscrits  compléteront  considérablement  les  manuscrits  du 
British  Muséum  où  beaucoup  de  mots  manquent,  où  des  fragments  de  texte 
souvent  assez  considérables  font  défaut.  Ils  peuvent  donc  être  le  point  de 
départ  d'une  revision  littérale  de  la  Bible.  t 

»  La  noble  générosité  de  M.  Charles  Freer,  son  complet  désintéressement 
ne  permettent  pas  de  douter  un  seul  instant  que  ces  manuscrits  ne  pren- 
nent le  chemin  d'ujie  des  plus  grandes  Biblioithèques  de  son  pays.  II 
se  donnera  la  satisfaction  d'en  assurer  préalablement  la  publication  qu'il 
offrira  au  monde  savant.  » 

Universités.  —  L'Union  des  Universités  américaines  a  tenu  son 
assemblée  annuelle,  les  9  et  10  janvier,  à  TUniversité  de  Michigan, 
Ann  Ârbor,  Michigan.  Quatorze  Universités  étaient  représentées. 
Diverses  questions  intéressantes  furent  mises  en  discussion  :  L'objet 
de  l'Union;  les  possibilités  de  coopération  intellectuelle  entre  les  Étals- 
Unis  et  l'Amérique  latine  ;  la  dissertation  doctorale,  etc.  L'Université 
catholique  de  Washington  était  représentée  par  le  Dr.  Pace,  doyen  de  la 
Facullé  de  Philosophie.  (The  Ccilholic  Universili/  Bulletin ). 

Société  savante.  —  La  3*  assemblée  annuelle  de  la  Soulhern  Sociel;/ 
for  Philosopluj  and  Psycliology,  s'est  tenue  à  Washington  les  26  et  27  fév. 
Plusieurs  mémoires  intéressants  ont  été  lus  :  Elmer  E.  Jokes.  Psychic 
Effecls  of  Aneslhetics ;  R.  M.  Ogden.  The  Pictorir/l  Représentation  of 
Distance  ; i.  W.  Baird. /In  Expérimental  ,Studi/  of  Ihe  Effcienci/  and  the 
Développement  of  Memory  /«  Children  ;  H.  J.  Pearce.  A  Télépathie 
Experiment  ;  J.  F.  Messenger.  Universal  Imperatives  ;  E.  H.  Griffin. 
A  comparison  of  Spitioza''s  «  Ethics»  and  Spencer  s  «  First  Principles  »  ; 
G.  L.  Raymond.  Inspiration  from  the  Point  of  View  of  Psychology  ; 
E,  E.RiCHARDSON.  The  Teleological  Judgement  ;  W.  D,  FuRRY.7'/«e  Esthetic 
Expérience  :  Its  Nature  and  Function  in  Epistemology.  Signalons  encore 
une  discussion  introduite  par  le  professeur  J.  M.  Baldwin  sur:  The 
Présent  Status  of  Logical  Theory.  f  Journal  of  Philosophy,  Psychology 
and  Scienti/ic  Methods  du  12  marsy. 

Nominations.   —  Les  RR.  PP.  W.  D.  Noon  et  J.  R.  Yolz,  0.  P.,   pro- 


406         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

fesseurs    au    Collège    Ihéologique     des     Dominicains    à  AVasIiinglon, 
ont  été  nomm 'S  à  FUniversité  Saint-Thomas  de  Manille,  Philippines. 

—  Le  D''  W.  A.  Hammond,  professeur  adjoint  de  philosophie  grecque 
et  (le  philosophie  du  Moyen-Age  à  la  Cornell  University,  Ithaca,  New- 
York,  a  été  élu  «Sage  professor  »  de  philosophie  ancienne  à  la  même 
Université. 

—  Le  D.  G.  M.  Sthatton,  professeur  de  psychologie  expérimentale 
à  la  John  Hopkins  University,  Baltimore,  et  directeur  du  Laboratoire 
de  psychologie,  passe  à  l'Université  de  Californie,  en  qualité  de  profes- 
seur de  psycholo;;ie. 

FRANCE.  —  Publications  nouvelles.  —  Le  commentaire  des  deux 
Livres  des  Macchabées  que  le  R.  P.  Knabenbauer,  S.  J.,  a  publié  récem- 
ment dans  le  Cursus  Scriplurse  Sacrœ  (un  vol,  gr.  in-8°  de  440  pages), 
est  à  ranger  parmi  les  meilleurs  de  cette  collection.  Tout  le  monde  sait 
que  les  Livres  des  Macchabées,  considérés  isolément  ou  bien  au  point 
de  vue  de  leur  accord,  présentent  de  très  spéciales  difficultés.  Ces  diffi- 
cultés, le  savant  Jésuite  les  a  reconnues,  examinées  avec  beaucoup 
d'objectivité  et  si  Ton  ne  peut  dire  qu'il  les  a  toutes  résolues  d'une 
manière  définitive, il  convient  dereconnaître  qu'il  a  apporté  un  précieux 
appoint  à  leur  éclaircissement.  Parmi  les  principes  de  solution  auxquels 
il  fait  appel,  il  en  est  deux  qui  méritent  une  mention  spéciale.  Le 
premier  est  formulé  à  la  page  29  en  ces  termes  :  «  Nam  nemo  potesl 
auctori  vitio  vertere  vel  eum  reprehendere,  si  opiniones  popularium 
fideliter  narrât...  Nemopostulabit  ab  auctore  sacro,  ut  ejusmodi  opinio- 
nes refutet,  corrigat  vel  eas  ut  partim  falsas  partim  exaggeratas  tradu- 
cat.  Undenam  id  prfesfare  posset  ?  »  Le  second  est  formulé  dans  l'In- 
troduction au  deuxième  livre  qu'il  vise  exclusivement  :  «  Ante  omnia 
advertendum  est  ipsum  auctorém  clare  et  aperte  profiter!  se  epitomen 
fecisse  ex  majore  opère  Jasonis  (2,  26  seq.)  ;  unde  si  quid  minus  accu- 
rale  narratum  est,  non  epitomatoris  culpa  est.  »  L'auteur  estime 
d'ailleurs  qu'il  est  peu  nécessaire  de  faire  appel  à  cette  donnée,  attendu 
qu'il  n'est  pas  manifeste  que  le  second  Livre  des  Macchabées  contienne 
des  inexactitudes.  Le  premier  Livre  se  trouve  dans  une  situation  moins 
avantageuse  et  dans  certains  cas  le  recours  au  premier  principe  énoncé 
s'impose.  Pour  la  composition  du  premier  Livre,  le  R.  P.  propose  une 
date  postérieure  à  105  av.  J.-C,  pour  celle  du  second,  l'année  12o  au 
plus  tard  et  pour  l'ouvrage  de  Jason,  l'année  162  environ. 

—  M.  le  Chanoine  E.  Panmer,  Doyen  de  la  Faculté  de  Théologie  de 
Lille  et  Professeur  d'Écriture  Sainte,  publie  Les  Psaumes  d'après  r  hébreu 
(un  vol.  gr.  in-8°,  xxviii-422  p.  ;  Lille,  Giard,  1908).  La  suscription 
latine  qui  précède  le  titre  :  Psallerium  juxla  hebraicavi  veritatem,  pour- 
rait éveiller  de  prime-abord  l'idée  de  cette  confiance  quelque  peu  exces- 
sive que  saint  Jérôme  lui-même  en  son  temps  accordait  au  texte  hébreu 
tel  qu'il  l'avait  sous  les  yeux.  H  n'en  est  rien.  L'auteur  est  trop  bien 
informé  sur  les  questions  délicates  de  critique  textuelle  que  soulève 
principalement  le  psautier  pour  accepter  sans  discussion  le  texte  masso- 
rélique,  lequel  «  bénéficie  d'une  unité  factice,  les  éditeurs  Juifs  ayant 
négligé  ou  supprimé  impitoyablement  toutes  les  divergences  des  manus- 


CHRONIQUE  407 

crits.  »  La  Vérité  Hébraïque  est  donc  celle  qni  est  au  terme  d'une  ('lude 
critique  approfondie,  éloignée  d'ailleurs  de  toute  tendance  systématique 
et  de  toute  construction  fantaisiste. 

Préoccupé  de  faire  passer  dans  la  traduction  toutes  les  nuances  de 
l'original,  M.  Pannier  a  pris  le  parti  d'exécuter  une  double  version  : 
l'une  en  latin  «  oîi  l'élégance  a  été  entièrement  sacrifiée  à  la  littéra- 
lité  et  à  la  précision  »,  l'autre  en  français,  oîi  l'élégance,  si  délibérément 
immolée  précédemment,  reparaît  avec  bonheur.  Une  disposition  typo- 
graphique heureuse  permet  d'embrasser  d'un  même  coup  d'œil  la 
Vulgate  (psalterium-gallicanum)  et  ces  deux  nouvelles  traductions.  Un 
prologue  ordinairement  très  succinct  précise  le  contenu  de  chaque 
psaume  et,  dans  la  mesure  du  possible,  les  questions  de  date,  de  pro- 
venance et  de  métrique. 

Très  substantielle  également  l'introduction  générale.  L'auteur  y 
présente  les  résultats  généraux  de  son  enquête  sur  l'origine  littéraire, 
la  métrique  et  le  texte  du  Psautier.  On  a  déjà  parlé  du  texte.  Au  point 
de  vue  métrique,  M.  Pannier  se  garde  de  vouloir  faire  rentrer  tous  les 
psaumes  dans  un  même  moule,  opération  qui  «  suppose  trop  d'altéra- 
tions ou  exige  de  trop  fréquents  remaniements  du  texte.  »  La  division 
en  deux  strophes  «  est  plus  fréquente  ».  «  La  strophe  la  plus  commune 
est  celle  de  deux  stiques.  »  Mais  ces  règles  générales  soufîi-ent  de  très 
notables  exceptions.  Même  variété  dans  la  répartition  des  accents. 

H  est  impossible  de  rendre  un  compte  détaillé  des  opinions  de  l'auteur 
relativement  à  l'origine  et  à  la  date  des  psaumes.  Il  suffira  de  signaler 
que  pour  lui  la  composition  des  trois  premiers  livres  est  antérieure  à 
la  première  destruction  de  Jérusalem,  tandis  qu'au  contraire  les  deux 
derniers  livres  sont  «  d'une  composition  ou  d'une  compilation  plus 
tardive».  En  tous  cas,  le  recueil  total  semble  avoir  été  clos  vers  le 
lll*^  siècle.  L'existence  de  psaumes  macchabéens  n'est  donc  pas  probable 
La  raison  que  M.  Pannier  fait  valoir  en  faveur  de  l'authenticité  davidi- 
que  de  quelques  pièces  ou  fragments  (d'ailleurs  peu  aisés  à  identifier) 
mérite  d'être  signalée  :  «  ...il  est  certain  que  le  culte  se  développa  en 
même  temps  que  la  royauté,  sous  David  et  Salomon,  et  aussi  sous 
l'influence  extérieure  égyptienne  et  phénicienne,  peut-être  même  dès 
lors  assyrienne  ou  babylonienne  :  il  dut  donc  y  avoir  dès  lors  égale- 
ment des  chants  religieux  analogues  à  ceux  de  l'Egypte  et  de  l'Assyrie  ; 
or  il  n'est  pas  vraisemblable  qu'on  les  ait  laissés  de  côté  plus  tard,  pour 
y  substituer  des  poèmes  plus  récents.  » 

En  résumé,  une  critique  éclairée  et  en  même  temps  modérée,  l'exac- 
titude si  patiemment  recherchée  dans  la  traduction  du  texte  original, 
assurent  au  livre  de  M.  Pannier  une  place  très  honorable  parmi  les 
travaux  français  d'exégèse.  T.  M. 

—  Le  dernier  volume  paru  des  Textes  et  docianents  pour  l'étude  histo- 
rique du  Christianisme,  publiés  sous  la  direction  de  M.  Hemmer  et  P.  Le- 
.i\Y  (Paris, Picard,  1908),  est  consacré  à ^'/'e^o/re  de  Nazianze.  M.  Fernand 
BouLKNGER  y  douue  le  texte  grec  et  la  traduction  française  des  Discours 
fnnehres  en  Vhonneur  de  son  frère  Oésaire  et  de  Basile  de  Césarée.  Le  texte 
des  Bénédictins  a  été  de  nouveau  coUationné,  et  non  sans  profit,  sur 
les  deux   manuscrits  de  la  Nationale.  Une   bonne    introduction,    outre 


408         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

de  copieuses  notes  critiques  et  explicatives,  fournit  une  courte  notice 
biographique  de  saint  Grégoire,  et  des  études  littéraire  et  historique 
sur  les  deux  discours  publiés.  Ce  volume  continue  dignement  une  Col- 
lection déjà  très  appréciée. 

—  Dom  H.  Quentin,  0.  S.  B.  vient  de  faire  paraître  dans  la  collection 
Études  d'histoire  des  dogmes  et  d'ancienne  littérature  ecclésiastique,  un 
ouvrage  du  plus  haut  intérêt.  Il  est  intitulé  :  Les  martyrologes  historiques 
du  moyen  âge,  élude  sur  la  formation  du  martyrologe  romain.  (Paris, 
J.  Gabalda  et  Cie,  1908,  in-8°,  xiv-7-4o  pages).  L'auteur  y  étudie  les 
divers  martyrologes,  de  celui  de  Bède  à  celui  d'Âdon  de  Vienne,  dont 
le  texte  abrégé  par  Usuard  a  servi  de  base  au  martyrologe  romain 
actuel.  Il  traite  les  problèmes  soulevés  par  la  succession  de  ces  diverses 
œuvres  et  apporte  sur  ce  sujet  des  conclusions  nouvelles.  Ainsi,  grâce  à 
une  étude  comparative  des  manuscrits,  il  est  parvenu  à  identifier  le 
martyrologe  de  Florus  de  Lyon,  utilisé  par  Adon  devienne.  Pour  chacun 
d'eux,  il  recense  et  examine  les  manuscrits,  donne  le  texte,  recherche 
ses  sources  et  parvient  à  établir  la  valeur  historique  des  petites  notices 
consacrées  à  chaque  personnage.  Au  passage,  il  découvre  les  erreurs  et 
signale  les  fautes.  C'est  un  travail  de  premier  ordre,  nécessaire  à  quicon- 
que s'occupe  d'hagiographie,  il  ne  saurait  laisser  indifférents  les  théolo- 
giens. Il  touche,  en  efîet,  accidentellement  à  des  questions  qui  relèvent 
de  leur  compétence.  En  montrant,  par  exemple  que  tous  ces  martyrologes 
sont  des  compilations  privées, il  limite  et  précise  la  portée  de  l'approba- 
tion ecclésiastique  accordée  au  martyrologe  romain  qui  en  dépend. 
Des  tables  excellentes  (manuscrits,  noms  de  saints,  noms  et  matières 
principales)  permettent  d'utiliser  facilement  ce  vaste  répertoire. 

—  M.  A.  BouDiNuoN  a  réuni  en  volume  ses  articles  sur  Le  Mariage  et  les 
Fiançailles.  Nouvelle  législation  canonique,  (in-8  carré  de  106  p.,  Paris, 
Lelhielleux.)  —  C'est  le  commentaire  du  décret  du  2  août  1907,  ÎV'e  temere 
destiné  à  remplacer  le  fameux  décret  Tametsi  du  concile  de  Trente  et 
relatif  à  l'intervention  du  prêtre  dans  la  célébration  du  mariage.  Le 
distingué  professeur  de  droit  canonique  à  l'Institut  catholique  de  Paris, 
était  tout  désigné  pour  donner  au  clergé  français  une  explication  simple 
et  pratique  du  nouveau  décret.  Son  commentaire  suit  pas  à  pas  le  texte 
et  ne  mentionne  que  les  modifications  introduites  dans  la  législation 
canonique  relative  à  la  célébration  des  Fiançailles  et  du  Mariage.  Curés 
et  professeurs  de  droit  canonique  le  consulteront  avec  empressement  et 
avec  fruit.  Cependant  son  interprétation  concernant  les  mariages  mixtes 
dans  les  pays  où  le  Saint-Siège  les  avait  considérés  comme  valides, 
demande  à  être  modifiée.  D'après  une  déclaration  de  la  Congrégation 
du  Concile,  du  25  janvier  dernier,  ils  ne  sont  valides  qu'en  Allemagne. 
La  déclaration  de  Benoît  XIV  au  sujet  des  mariages  mixtes  est  suppri- 
mée; mais  le  Saint-Siège  semble  se  montrer  disposé  à  étendre  la 
Constitution  Provida  à  laquelle  fait  allusion  le  décret  Ne  temere  à 
d'autres  pays  où  les  mariages  mixtes  malheureusement  sont  fréquents. 

J.  In. 
—  Sous  la  Direction   de  MM.   Quilliet  et  Chollet,   professeurs  à  la 
Faculté  de  Théologie  de  l'Institut  catholique  de  Lille,  une  nouvelle  revue 
théologique  paraît  depuis  janvier  sous  ce  titre  ;  Les  Questions  Ecclésias- 


CHRONIQUE  409 

liques.EWe  se  propose  principalement  de  combattre  les  erreurs  modernes, 
que  le  décret  Lamentahili  et  l'encyclique /*asce/?t//  ont  réprouvées,  et  de 
mieux  faire  comprendre  les  vérités  que  ces  erreurs  attaquent.  Elle 
souhaite  de  faire  connaître  et  aimer  la  forte  et  saine  théologie  de  l'Église 
catholique  romaine,  et  promet  de  tenir  ses  lecteurs  au  courant  des 
progrès  de  la  science  ecclésiastique.  La  plupart  des  anciens  collabora- 
teurs de  la  Reoue  des  Sciences  ecclésiastiques  lui  ont  engagé  leur 
concours. 

Les  Quesliotn  Ecclésiastiques  paraissent  le  10  de  chaque  mois  en  un 
fascicule  in-8  d'au  moins  96  pages.  Prix  d'abonnement  :  France,  12 
francs;  Europe,  13,50;  hors  d'Europe,  13.  Administration  :  lo,  rue 
d'Angleterre,  Lille. 

Universités.  —  M.  Ch.  Virolleaud,  l'assyriologue  connu,  maitre  de 
conférences  d'assyriologie  à  l'Université  de  Lyon,  a  été  chargé  du  cours 
nouveau  d'histoire  des  religions  à  la  même  Université.  Sa  leçon  d'ou- 
verture n'a  que  trop  justifié  les  craintes  que  nous  exprimions  dans  notre 
.Numéro  de  Juillet  dernier  (Cfr.  I{.  d.  Se.  Ph.  et  Th.  I.  p.  601). 

Congrès.  —  Le  IH"^  Congrès  des  neurologistes  et  aliénisles  français 
se  tiendra  à  Dijon  du  3  au  9  aoi!it  prochain.  Parmi  les  questions  mises 
à  l'ordre  du  jour  et  qui  sont  de  nature  à  intéresser  les  psychologues, 
citons  :  Les  enfants  anormaux  (Rapporteur  :  D'  Charon)  ;  Troubles 
mentaux  par  anomalies  des  glandes  à  sécrétion  interne  (Rapporteur  : 
D""  Laignel-Lavastine).  —  Secrétaire  :  D'' Garnier,  directeur  de  l'Asile 
des  aliénés  de  Dijon. 

Académies.  —  M.  Henri  Poincaré  a  été  élu  membre  de  l'Académie 
Française  en  remplacement  de  M.  Sully-Prudhomme.  Ancien  élève  de 
TÉcole  Polytechnique,  docteur  es  sciences,  M.  H.  Poincaré  a  été  suc- 
cessivement chargé  de  cours  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Caen,  puis  en 
Sorbonne  oîi  il  est  présentement  professeur  d'astronomie  mathéma- 
tique. Il  enseigne  également  l'astronomie  à  l'École  Polytechnique.  Il 
est  membre  de  l'Académie  des  Sciences  et  docteur  honoris  causa  des 
universités  d'Oxford,  de  Cambridge  et  de  Glasgow,  membre  corres- 
pondant d'Académies  de  Londres,  Berlin,  St-Pétersbouig,  Vienne, 
Rome,  Amsterdam,  Copenhague,  Stockholm,  Munich,  Washington,  etc. 

A  côté  d'ouvrages  spéciaux  d'autorité  exceptionnelle,  il  a  publié  deux 
livres  que  tout  le  monde  a  lus  :  >S'c2>?îce  e/ ////po//«ès(?,  et  La  Valeur  de 
la  Science. 

—  L'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques,  dans  sa  séance  du 
•2i  mars,  a  élu  membres  correspondants  de  la  Section  de  morale 
MM.  G.  Bonet-Maury,  professeur  d'Histoire  ecclésiastique  à  la  Faculté 
libre  de  théologie  protestante  de  Paris,  et  A.  J.  Balfol'R.  ancien  premier 
ministre  d'Angleterre,  chancelier  de  l'Université  d'Edimbourg,  membre 
de  l'Académie  Britannique. 

—  M.  EvELLiN,  inspecteur  général  honoraire  de  l'Instruction  publique, 
a  été  élu  par  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques,  à  la  séance 
du  28  mars,  membre  titulaire  de  la  section  de  philosophie,  en  rempla- 
cement de  M.  V.  Brochard. 


410  BEVUr    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

—  L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles  Letttres  a  élu  correspon- 
dants étrangers  :  M.  Max  Van  Berchem,  le  savant  épigraphisteet  archéo- 
logue auquel  on  doit  le  Corpus  inscriptionum  Arabicarum  paru  dans 
les  Mémoires  publiés  par  les  membres  de  la  Mission  archéologique  fran- 
çaise du  Caire,  Tome  xix  ;  M.  Coxze,  membre  de  la  Direction  générale 
de  rinstitut  impérial  allemand  d'Archéologie  et  de  l'Académie  des 
Sciences  de  Berlin,  membre  étranger  de  l'Académie  des  Sciences  de 
Munich  ;  le  E.  P.  Ehrle,  S.  J.  préfet  de  la  Yaticane. 

Retraites  et  Nominations.  —  M.  Rubens  Dlval,  professeur  au 
Collège  de  France,  a  donné  sa  démission.  Il  a  reçu  le  titre  de  professeur 
honoraire  du  même  Institut.  La  chaire  de  langue  et  littérature  ara- 
méennes  qu'il  occupait  a  été  transformée  par  décret  ministériel  en 
chaire  de  numismatique  de  l'antiquité  et  du  moyen-âge. 

—  MM.  PiERRET,  conservateur  des  Antiquités  égyptiennes  au  musée 
du  Louvre  et  professeur  d'archéologie  égyptienne  à  l'école  du  Louvre, 
et  E.  Revillout,  conservateur-adjoint  du  même  département  et  profes- 
seur de  démotique,  de  copte  et  de  droit  égyptien  à  la  même  école,  ont 
été  admis  à  la  retraite  et  nommés  Conservateurs  honoraires  des 
musées  nationaux. 

—  Ont  été  nommés  au  musée  du  Louvre:  conservateur  des  antiquités 
égyptiennes  en  remplacement  de  M.  Pierret,  M.  G.  Bénédite  précé- 
demment conservateur  adjoint  ;  conservateur  des  antiquités  orientales 
et  de  la  céramique  antique,  en  remplacement  de  M.  Heuzey, 
M.  Ledrain,  précédemment  conservateur-adjoint  ;  conservateur-adjoint 
des  antiquités  orientales,  M.  F.  T^UREAL•-DA^GI^^  attaché  au  même 
département  ;  conservateur  adjoint  des  antiquités  grecques  et  romaines, 
M.  de  RiDDER.  précédemment  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de 
l'Université  d'Aix. 

M.  PoTTiER,  membre  de  l'Institut,  conservateur  adjoint  des  antiquités 
orientales  et  de  la  céramique  antique,  remplace  à  l'École  du  Louvre 
M.  L.  Heuzey  comme  professeur  d'archéologie  orientale  et  de  céramique 
antique.  M.  G.  Bénédite  succède  à  M.  Pierret  en  qualité  de  professeur 
d'archéologie  égyptienne  à  la  même  École. 

—  M.  E.  Revillout  a  été  appelé  à  continuer  à  l'Institut  catholique 
de  Paris,  l'enseignement  qu'il  donnait  jusqu'ici,  avec  tant  d'autorité, 
h  l'École  du  Louvre. 

—  M.  Cl.  E.  Maître,  agrégé  de  l'Université  et  ancien  élève  de  l'École 
normale  Supérieure,  professeur  de  japonais  à  l'École  française 
d'Extrême-Orient,  à  Hanoï,  a  été  nommé  directeur  de  cet  établissement 
scientifique  pour  une  période  de  six  années,  en  remplacement  de 
M.  A.  Foucher  appelé  à  d'autres  fonctions. 

Décès.  —  On  annonce  la  mort  de  M.  A.  Barbier  de  Meynard, 
membre  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  professeur 
de  langue  et  littérature  arabes  au  Collège  de  France^  administrateur 
de  l'École  spéciale  des  langues  orientales  vivantes,  etc.  Il  était  âgé  de 
84  ans.  Parmi  les  nombreux  ouvrages  relatifs  à  la  littérature  et  à 
l'histoire  arabes,  persanes,  turques  etc.,  nous  citerons  :  la  traduction 
du    traité    d'Al    Gliazzali,    Le    Préservatif  de   Verreur,   1877  ;    celle    de 


CHRONIQUE  411 

l'ouvrnge  de  Maçoudi,  Les  Prairies  d'or  (avec  le  texte  arabe)  1801-1867  ; 
Le  Dictionnaire  géographique,  historique  et  littéraire  de  la  Perse,  extrait 
de  Jagout,  1861  ;  la  première  traduction  française  du  Boustan  de  Sadi, 
1880;  une  Notice  sur  T Arabie  méridionale  d'après  un  document  turc, 
1883  ;  etc. 

ÎTALÎE.  —  Publications  nouvelles.  —  Suhnmila  Theologiie  moralis. 
Auclore  J.  d'Annibale,  S.  Uoiiiance  Ecclesiœ  Cardinali.  Edilio  quinta. 
3  Vol.  in-8°,  vm-loOO  p.  Romœ.  Desclée.  19U8.  —  C'est  le  titre  modeste 
d'un  ouvrage  qui  se  dislingue  des  autres  traités  de  Morale  d'abord  par 
son  plan.  Il  comprend' trois  parties  :  Dans  la  première  sont  exposés  les 
Prolégomènes  ou  Traités  généraux  de  la  théologie  morale  :  De  Personis, 
de  Actibus  humanis,  etc.  ;  dans  la  seconde  les  devoirs  de  droit  naturel, 
communs  à  tous  les  hommes  ;  la  troisième  traite  des  devoirs  particuliers 
aux  chrétiens  touchxant  les  choses  saintes  et  religieuses.  Ce  n'est  pas  le 
plan  généralement  adopté  dans  les  manuels  de  ce  genre.  L'autre  carac- 
tère, c'est  que  les  développements  et  les  controverses  se  trouvent  en 
bas  des  pages,  et  avec  une  telle  profusion,  que  parfois  ils  en  occupent 
plus  des  deux  tiers.  Plusieurs  questions  y  sont  traitées,  alors  qu'elles 
devraient  être  mentionnées  dans  les  chapitres  où  on  les  cherche  natu- 
rellement, V.  g.  la  4*  excommunication  réservée  aux  Ordinaires.  La  5* 
édition  de  ce  manuel,  œuvre  du  cardinal  J.  d'Annibale,  alors  qu'il  était 
professeur  au  séminaire  de  Rieti,  a  été  revue  et  complétée,  sans  doute 
par  un  de  ses  disciples.  Les  opinions  soutenues  par  l'auteur  et  les 
solutions  données  à  certaines  questions  examinées  sous  des  aspects 
nouveaux,  ont  acquis  d'autant  plus  de  valeur  et  d'autorité  que  Léon 
XIII  l'avait  revêtu  de  la  pourpre  cardinalice  et  qu'il  comptait  utiliser  sa 
science  pour  le  bien  commun  de  l'Église.  J.  N. 

—  Les  PP.  Franciscains  de  Quaracchi  près  Florence,  qui  ont  déjà  bien 
mérité  des  études  tliéologiques  par  leur  belle  édition  des  Œuvres  de 
S.  Bonaventure,  entreprennent  de  publier  un  nouveau  périodique 
entièrement  consacré  à  l'histoire  de  l'Ordre  des  Mineurs.  Il  a  pour  titre  : 
Archivum  Franciscanum  ffistoricum.  La  direction  en  a  été  confiée  au  P. 
G.  GoLUBOViTCH,  le  palt^stinologue  connu,  assisté  du  P.  M.  Bihl.  Habi- 
tuellement rédigé  en  iatin,  V Archivum  admettra  cependant  à  l'occasion 
le  français,  l'italien,  l'espagnol,  l'anglais  et  l'allemand.  Chaque  fascicule 
comportera  six  Sections:  articles  de  fond,  textes  inédits,  codicographie, 
bibliographie,  extraits  de  Revues,  chronique.  Publication  trimestrielle, 
en  cahiers  in-8°  de  130  pages.  Prix  d'abonnement  :  12  fr.  pour  l'Italie, 
14  pour  l'Étranger. 

Le  premier  Numéro-,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  est  extrêmement 
fourni  et  d'une  excellente  tenue  scientifique.  Nous  ne  doutons  pas  que 
cette  publication  n'apporte,  en  particulier,  de  précieuses  contributions 
à  l'histoire  de  la  philosophie  et  de  la  théologie  de  l'École  franciscaine. 

—  Le  Comité  qui  s'est  constitué  à  Rome  sous  la  présidence  d'honneur 
du  cardinal  V.  Vannutelli  et  la  présidence  effective  du  R.  P.  Gaïsser, 
recteur  du  Collège  pontifical  grec,  en  vue  de  célébrer  le  XV^ anniversaire 
de  la  mort  de  S.  Jean  Chrysostome,  a  décidé  de  publier  un  recueil 
d'études  se  rapportant  à  la  vie    et,   aux    œuvres  du  grand   Docteur   de 


412         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

l'Église  grecque.  Ce  recueil  comprendra  24  mémoires,  rédigés  respec- 
livemenl  en  latin,  italien,  français,  allemand,  anglais  et  groupés  sous 
le  titre  général  de  Chrysoslomica.  Studi  et  ricerche  inlorno  a  S.  Giovanni 
Chrisoslomo.  Les  savants,  eux  aussi  au  nombre  de  24,  auxquels  ces 
mémoires  ont  été  demandés,  sont  parmi  les  plus  compétents  en  ces 
matières.  Tout  permet  donc  de  penser  que  ce  recueil  sera  digne  de  la 
grande  mémoire  que  Ion  veut  honorer.  Il  paraîtra  en  trois  fascicules  à 
la  librairie  Pustet  de  Rome.  Le  prix  de  souscription  est  fixé  à  10  francs. 

Commission  biblique.  —  La  6"  session  d'examens  pour  la  licence  en 
Écriture  Sainte  s'est  tenue  au  Vatican  à  la  mi-novembre.  Les  sujets 
suivants  ont  été  proposés  pour  l'examen  écrit  :  I.  Exégèse.  1°  Exégèse 
du  discours  de  N. -S.  aux  bons  et  aux  méchants  au  jugement  dernier, 
Mallh.,  XXV,  31-46  ;  2°  Exégèse  du  récit  de  la  résurrection  de  la  fille  de 
Jaïre  dans  les  trois  synoptiques  :  Jfatth.,  ix,  18-19,  23-25;  Marc,  v, 
21-24,  35-43  ;  Luc,  vn,  40-42,  49-.")6  ;  3''  Exégèse  de  la  parabole  du  bon 
Samaritain  :  Luc,  x,  25-37.  (Un  des  trois  sujets  au  choix). 

II.  Histoire.  Ce  qu'étaient  les  procurateurs  romains  en  Palestine  et  leur 
rôle  dans  l'histoire  évangélique  et  apostolique. 

III.  Inlroduclion.   Introduction    spéciale  à  l'Évangile  de  saint   Marc. 
Ont   subi  avec  succès  l'épreuve  écrite  et  l'épreuve  orale:    M.  l'abbé   J. 

Cascua,  du  diocèse  de  Bayonne,  M.  l'abbé  L.  Gontard,  du  diocèse  de 
Grenoble,  le  R.  P.  G.  Mezzacasa,  Salésien. 

Congrès.  —  Le  4«  Congrès  international  de  mathématiques  va  se 
réunir  à  Rome  dans  quelques  jours.  L'ouverture  en  est  fixée  au  4  avril 
et  la  clôture  au  11.  Parmi  les  quatre  sections  qu'il  comporte,  la  der- 
nière offre  un  intérêt  plus  direct  pour  nous.  Elle  groupe  les  questions 
philosophiques,  historiques  et  didactiques  relatives  aux  mathématiques. 
Les  introducteurs  sont  pour  cette  Section,  les  professeurs  Eneiques, 
LoRiA,  Yailati. 

Toutes  les  séances  de  travail  se  tiennent  dans  les  salles  de  l'Académie 
des  Lincei.  Les  conférences  et  communications  faites  au  Congrès  seront 
réunies  en  un  volume  dont  la  préparation  est  confiée  au  «  Circolo  Mate- 
matico  >;  de  Palerme. 

—  Nous  lisons  dans  la  Bivisla  Filosoficd  de  janvier-février  ;  Le  profes- 
seur Fr.  Cosenlini,  au  nom  du  Circolo  di  CuUura  de  Naples,  annonce  la 
réunion  dans  celte  ville,  du  27  avril  au  3  mai  prochain,  d'un  Congrès 
Positiviste  international.  Le  programme,  qui  est  immense,  comprend  : 
I.  Partie  générale.  Le  positivisme  et  le  mouvement  scientifique  contem- 
porain ;  Les  exigences  du  positivisme  ;  Métaphysique  et  science;  Doc- 
trine de  la  Connaissance,  méthode.  La  théorie  de  l'évolution  et  les 
données  nouvelles  de  la  science  ;  L'histoire  du  positivisme.  II.  Partie 
spéciale.  Applications  :  Psychologie,  Morale,  Pédagogie,  Science  des 
Religions,  Philosophie  du  droit.  Sociologie,  Philosophie  de  l'histoire, 
Anthropologie  générale,  Anlhroposociologie.  Anthropologie  et  Socio- 
logie criminelles.  Économie  sociale,  Science  politique. 

—  Le  7*  Congrès  international  d'anthropologie  criminelle  s'ouvrira  à 
Tuiiti    le    28    avril    prochain.    Il    sera   présidé  par    le    professeur  C. 

LOMBKOSO. 


CHRONIQUE  413 

Décès.  —  Le  R.P.  G.  Franco,  S.  J.,  collaborateur  ordinaire  de  la  Civilta 
Cattolica  depuis  plus  de  40  ans,  est  mort  le  15  janvier.  Il  était  né 
en    1824. 

Le  P.  Franco  laisse  une  œuvre  littéraire  considérable.  Nous  signale- 
rons seulement  parmi  ses  écrits  ceux  qui  ont  trait  à  l'hypnotisme  et  au 
spiritisme  :  Lo  Spiritismo,  4«  éd.  1907  ;  Jdea  chiara  dello  spirilismo  (bro- 
chure), 1885  ;  Stalo  dello  spirilismo  nelVanno  1892  (brochure),  1892  ; 
ISuove  bugie  sullo  spirilismo  (brochure),  1890  ;  Lipnotismo  lornalo  di 
mada.  Sloria  e  disquisizione  scienlifica  (son  œuvre  principale)  4«  éd. 
1899  ;  Un  quesito  dlpnotismo,  1894  ;  L'ipnolismo  e  i  suoi  fenomeni 
volf/ari,  medii,  supei-io/i,  iS9H;  FicJcmafi  e Lombroso  a  Torino  ossia  VipnoUsmo 
chiaroveggente,  1890;  Presentimenti  e  felepatie,  2"  éd.  1900;  La  nuova  teoria 
délie  suggestioni  deslinala  a  spiegare  Vipnolismo. 

ORIENT.  —  Congrès.  —  Le  2"'^  Congrès  international  d'Archéologie 
se  tiendra  au  Caire  à  Pâques  de  1909. 

Sociétés  savantes.  —  Le  Gouvernement  allemand  vient  de  fonder 
au  Caire  un  «  Institut  impérial  allemand  pour  l'archéologie  égyptienne  ». 
Le  D'  BoRcnARDT,  précédemment  attaché  scientifique  au  consulat 
général  d'Allemagne  du  Caire,  en  a  été  nommé  premier  directeur. 
M.  Borchardt  poursuit  depuis  quelque  temps  déjà  aux  Pyramides 
d'Abousir  des  fouilles  qui  ont  donné  des  résultats  importants  pour 
l'histoire  de  la  5®  dynastie.  La  «  Deutsche  Orient-Gesellschaft  » 
annonce  l'intention,  lorsque  ces  recherches  seront  achevées,  d'en 
entreprendre  de  nouvelles  à  Tell  El-Amarna. 

—  Au  cours  de  sa  réunion  plénière  annuelle  tenue  à  Paderborn  en 
novembre  dernier,  la  Goerresgesellschaft  a  décidé  la  création  à  Jérusa- 
lem d'un  Institut  catholique  allemand  d'archéologie  orientale.  On  sait 
qu'il  existe  dans  la  même  ville  depuis  1903  un  «  Deutsche  evangelische 
Institut  fiir  Altertumsforschung  des  hl.  Landes  »  dont  le  D"^  G.  Dalman 
est  Directeur. 

Fouilles.  —  Sous  les  auspices  du  Gouvernement  anglais  du  Soudan, 
le  R.  P.  A.  Deiber,  0.  P.,  notre  savant  collaborateur,  a  entrepris  des 
recherches  sur  l'emplacement  de  Napata,  la  capitale  de  l'antique 
royaume  de  Kousch. 

SUISSE.  —  Publication  nouvelle.  —  Le  R.  P.  Zapletal,  professeur 
d'exégèse  de  l'A.  T.  à  l'université  de  Fribourg,  a  publié  récemment  un 
travail  très  intéressant  sur  le  Cantique  des  Cantiques  :  Bas  Holtelied 
(In-8''  de  vni  et  120  pp.,  Fribourg,  0.  Gschwend,  1907).  L'Introduction, 
qui  forme  la  moitié  du  volume,  étudie,  d'une  manière  extrêmement 
positive  et  précise,  les  questions  suivantes  :  le  nom  du  Livre,  ses  divi- 
sions, son  unité,  sa  teneur  matérielle,  son  interprétation. allégorique, 
son  interprétation  mythique,  son  auteur  et  sa  place  dans  le  canon 
hébreu.  Nous  avons  ensuite,  formant  le  corps  de  l'ouvrage,  une  édition 
critique  du  texte  massorétique  distribué  en  poèmes,  strophes,  vers  et 
sliques,  un  commentaire  philologique  et  une  traduction. 

S'autorisant  de  l'exemple  de  plusieurs  exégètes  catholiques  et  en 


■414         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

particulier  de  celui,  tout  récent,  du  très  estimé  P.  HonLlieim,  S.  J.,  le 
P.  Zapletal  s'attache  exclusivement  à  éclaircir  le  sens  umtériel  du 
Cantique.  La  signification  plus  haute  qu'il  revêt  dans  la  pensée  et 
l'intention  de  l'auteur  sacré  et  qui  constitue  plus  probablement  son 
sens  littéral  comme  écrit  inspiré,  ne  saurait  être  pleinement  comprise 
et  goûtée,  si  l'on  n'a  pas  au  préalable  déterminé  avec  précision  le 
caractère  et  la  nature  de  cet  ensemble  de  figures  qui  lui  servent  de 
base  et  de  moyens  d'expression.  Le  savant  exégète  se  refuse  avec  raison 
à  voir  dans  le  Cantique  un  drame  ;  c'est  un  recueil  de  poèmes  indépen- 
dants qui  n'ont  entre  eux  d'autre  lien  que  la  parenté  des  thèmes  qu'ils 
développent.  Il  estime  qu'on  n'est  pas  davantage  fondé  à  y  voir  une 
sorte  de  recueil  officiel  des  pièces  qui  se  récitaient  au  cours  des  noces, 
encore  que  plusieurs  poèmes  se  réfèrent  aux  cérémonies  et  réjouis- 
sances des  fêtes  nuptiales.  Les  héros  de  ces  idylles  sont  le  plus  souvent 
des  fiancés  mais  parfois,  semble-t-il,  de  jeunes  époux.  Et  en  somme 
ce  n'est  pas  se  tromper  que  d'y  voir  avec  les  anciens  un  carmen  epitha- 
laiidum.  Les  métaphores,  descriptions,  situations  qui  forment  la  trame 
matérielle  du  Cantique  et  la  mentalité  qu'elles  supposent  sont  illustrées 
et  éclaircies  par  de  très  nombreuses  données  parallèles  empruntées  à  la 
poésie  égyptienne  et  arabe  et  aux  usages  orientaux.  L'Ancien  Testa- 
ment lui-même  fournit  des  éléments  de  comparaison  très  significatifs 
et  il  en  ressort  que  le  Cantique,  soit  dans  sa  teneur  matérielle,  soit 
dans  sa  signification  symbolique,  ne  saurait  être  considéré  comme  un 
phénomène  isolé  dans  la  littérature  religieuse  d'Israël.  Cette  étude 
soignée  projette  sur  le  Cantique  une  lumière  parfaitement  noble  en 
même  temps  que  précise. 

Congrès.  —  M.  M.  Th.  Flournoy,  président,  et  P.  Ladame,  vice-prési- 
dent du  Comité  d'organisation  du  G'^  Congrès  internationnal  de  Psycho- 
logie, annoncent,  dans  les  Archives  de  Psychologie  de  février,  que  cette 
assemblée  se  tiendra  à  Genève  du  31  août  au  4  septembre  1909. 
Rappelant  certaines  observations  formulées  par  le  professeur  Ferrari 
de  Bologne,  secrétaire  du  dernier  Congrès  qui  s'est  tenu  à  Rome,  ils 
suggèrent  quelques  modifications  opportunes  à  l'organisation  tradition- 
nelle. Il  conviendrait  de  limiter  l'étude  et  la  discussion  à  un  nombre 
restreint  de  questions  particulières  et  d'une  spéciale  actualité.  Des 
rapports  et  contre-rapports  les  concernant  devraient  être  publiés 
d'avance,  de  manière  que  les  membres  puissent  préparer  objections  ou 
communications.  Une  exposition  d'appareils  avec  examen  et  démons- 
tration rendrait  les  plus  grands  services.  Les  mémoires  imprimés  ne 
sauraient,  en  ces  matières,  valoir  l'examen  direct  et  les  explications 
verbales.  Il  serait  opportun  de  mettre  à  l'ordre  du  jour  l'étude  d'une 
terminologie  psychologique,  c'est-à-dire  la  détermination  de  termes 
équivalents  dans  les  principales  langues  européennes,  en  matière  sur- 
tout de  dispositifs  expérimentaux. 

Les  organisateurs  sollicitent  relativement  à  ces  trois  points  l'avis  des 
personnes  compétentes  et  d'autres  suggestions  de  même  nature.  L'on 
ne  peut  qu'applaudir  à  ces  efforts  tendant  à  une  organisation  plus 
rationnelle  et  plus  pratique  de  ces  sortes  d'assemblées. 


CHRONIQUE  415 

Universités.  —  Le  R,  P.  Allô,  professeur  d'exégèse  du  N.  T.  à  l'uni- 
versité de  Fribourg,  a  inauguré  cette  année  des  conférences  sur  les 
Religions  du  monde  gréco-romain  à  l'époque  du  Nouveau  Testament.  Pen- 
dant le  semestre  qui  vient  de  s'achever,  il  a  traité,  en  guise  d'introduc- 
tion, des  Cultes  publics  de  l'ancienne  Grèce.  Ces  conférences,  qui  sont 
fort  suivies,  prendront  toute  l'année  scolaire  et  au  delà. 

Mentionnons  à  cette  occasion  les  autres  cours  intéressant  l'Histoire 
des  Religions  qui  se  donnent  à  l'université  de  Fribourg.  Le  R.  P. 
Zapletal  a  choisi  comme  sujet  d'études  pratiques  pour  son  séminaire  le 
Livre  des  Juges,  qu'il  explique  spécialement  en  fonction  de  l'histoire 
des  religions.  M.  le  professeur  Roussel  donne  à  la  Faculté  des  Lettres 
des  conférences  sur  Les  Religions  védiques  et  M.  le  professeur  Zeiller 
étudie,  à  la  même  Faculté,  Les  Religions  du  monde  romain  à  l'époque 
du  Ras-Em,pire. 

Nomination.  —  M.  le  Pasteur  P.  Comtesse  remplace  M.  G.  Godet, 
décédé,  comme  professeur  d'exégèse  du  N.  T.  à  la  Faculté  de  théologie 
de  l'Église  libre  de  Neuchâtel. 

Décès.  —  M.  le  Dr.  Paul  Christ,  professeur  de  théologie  systématique 
et  pratique  à  l'université  de  Zurich,  est  décédé  le  14  janvier.  Il  était  né 
en  1836.  De  1900  à  1902  il  avait  exercé  les  hautes  fonctions  de  recteur. 
On  cite  parmi  ses  ouvrages  :  Christliche  Religionslehre,  1897  ;  Religiose 
Betrachtungen,  1881;  Pessimismus  und  Sitlenlehre,  1882;  Lehre  vom 
Gebetin  dem  N.  T.,  1886  ;  Die  sittliche  Weltordnung,  1894  ;  Grundriss 
der  Ethik,  1905. 

—  On  annonce  également  la  mort  de  M.  A.  De  Loes,  professeur  de 
théologie  pastorale  et  recteur  de  l'université  de  Lausanne. 


RECENSION  DES  REVUES 


(I) 


ANNALES  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE.  Janv.  —  II.  Brémond. 
Autour  de  IVewman.  (A  propos  du  livre  de  M.  Prezzolini  :  //  callolicismo 
rosso.  Pour  M.  Prezzolini,  hier  pragmalisLe  et  aujourd'hui  sous  l'in- 
fluence de  Hegel,  le  catholicisme  rouge  ou  néo-catholicisme  a  pour  chef 
Newman.  Les  catholiques  rouges  lui  apparaissent  comme  d'intrépides 
chirurgiens  accourus,  in  extremis,  au  secours  de  l'Église  moribonde. 
Les  uns  (philosophes  immanentistes)  taillent  dans  l'ossature  du  dogme, 
les  autres  (critiques)  dans  les  chairs  vives  de  l'histoire.  Mais  la  mou- 
rante est  aussi  une  autorité,  et  comme  telle,  elle  congédie  les  critiques 
et  les  philosophes  qui  s'étaient  flattés  de  l'espoir  de  la  sauver,  bien 
inspirée  d'ailleurs  de  ne  pas  vouloir  de  leurs  services,  car  les  uns  et  les 
autres  ne  pourraient  la  ranimer  sans  détruire  ses  organes  essentiels.) 
pp.  337-369.  —  Ed.  Schiffmacher.  La  limite  de  Vlnfini.  (Entreprend 
d'établir  que,  grâce  au  concept  de  relation,  «  le  panthéisme  et  le  mono- 
théisme peuvent  se  concilier  sous  les  formules  de  la  métaphysique 
chrétienne.  Un  seul  Dieu  en  trois  personnes,  voilà  la  conception  fonda- 
mentale de  la  métaphysique  chrétienne  ;  elle  part  donc  de  l'idée  d'une 
relation  telle  qu'elle  laisse  la  distinction  la  plus  parfaite  se  poser,  sans 
détruire  l'unité  la  plus  absolue...  N'est-il  pas  possible  de  concevoir  le 
Cosmos  de  la  même  manière  que  le  christianisme  conçoit  Dieu  :  c'est- 
à-dire  comme  une  relation  de  telle  nature  que  la  distinction  la  plus 
entière,  celle  du  Créateur  et  de  la  créature,  par  exemple,  s'y  rencontre 
avec  l'unité  la  plus  une,  celle  de  la  substance  infinie  ?  On  aboutit  ainsi 
à  une  idée  de  Dieu  en  rapport  avec  la  notion  que  les  découvertes 
scientifiques  nous  donnent  du  Cosmos.  »)  pp.  370-402.  =  Fév.  —  Chr. 
Maréchal.  Sénancour.  (A  propos  du  livre  récent  de  M.  J.  Merlanl, 
Sénaticour  {ll~0-iS't6) poète,  penseur  religieux  etpubliciste.  Sa  vie,  son 
œuvre,  son  influence.  Dans  «  ce  malade  de  la  lignée  de  Rousseau  »  M. 
Maréchal  voit  «  un  chrétien  impuissant  à  s'avouer  tel,  un  chrétien 
honteux  et  tremblant  »,  dont  l'intelligence  pervertie  par  les  Encyclo- 
pédistes repousse  le  christianisme,  tout  en  en  reconnaissant  la  fécondité 
aux  heures  où  il  est  sincère.)  pp.  449-470,— Al.  Leclère.  Simple  Exégèse. 
Quelques  considérations  sur  les  quatre  Évangiles  et  les  Épîtres  de 
StPaul.  St  Paul,  qui  est  formel  sur  la  divinité  de  Jésus,  a  écrit  la  plus 
grande  partie  de  ses  lettres  avant  que  les  évangiles  synoptiques  fussent 
composés.  Et  tout  nous  porte  à  croire  que  le  fond  le  plus  transcendant 

1.  Tons  ces  périodiqiies  appartiennent  au  premier  trimestre  de  1908.  Seuls 
les  articles  ayant  un  rapport  plus  direct  avec  la  matière  propre  de  la  Re\Tie 
ont  été  résumés.  On  s'est  attaché  à  rendre,  aussi  exactement  et  brièvement 
que  possible,  la  pensée  des  auteurs  en  s'abstenant  de  toute  appréciation.  — 
La  Recension  des  Revoies  tv.  été  faite  par  les  RR.  PP.  Allô,  (Fribourg), 
Blanche  (Paris),  GarcL'V  (Salamangue),  Gillet,  Tuyaerts  (Louvain),  Martln 
CHuy),  Garrigou-Laghange,  .Iacqui.n,  Lemoxxyeh.  Mainage,  Noble,  de  Poul- 
PIQUET,    RoLAND-GossELiN    (Kain),    lecteurs    en    Théologie. 


RECENSION     DES     REVUES  417 

de  l'évangile  johannique  était  en  l'âme  des  synoptiques,  puisqu'il  était 
déjà,  dans  l'enseignement  de  St  Paul,  connu  et  certainement  approuvé 
par  les  synoptiques.)  pp.  471-478. —  L.  Labehtuonnière.  Dogme  et  Théo- 
logie. III.  (En  quoi  s'opposent  la  thèse  de  M.  Le  Roy  et  celle  de 
M.  Lebreton.  Pour  M.  Le  Roy  une  chose  est  d'abord  intangible  :  l'auto- 
nomie de  l'esprit  ;  c'est  pour  lui  une  idée  claire  qu'il  ne  songe  pas  un 
seul  instant  à  critiquer.  Ce  qu'il  soumet  à  la  critique,  c'est  uniquement 
la  notion  de  dogme  :  que  doit  être  le  dogme  pour  être  compatible  avec 
l'autonomie  de  l'esprit?  Il  doit  nous  définir  la  réalité  divine  par  l'atti- 
tude et  la  conduite  qu'elle  exige  de  nous.  —  La  marche  suivie  par 
M.  Lebreton  est  exactement  inverse  :  il  commence  par  affirmer  au  nom 
de  l'orthodoxie  que  le  dogme  est  essentiellement  et  primordialement 
d'ordre  spéculatif,  pour  reconnaître  ensuite  que  «la  formule  dogmatique 
ne  livre  son  sens  plein  qu'à  l'âme  qui  en  vit.  »  «  Mais,  tandis  que 
M.  Le  Roy  accomplit  sa  marche  en  pleine  lumière  »,  sans  pourtant  par- 
venir à  donner  de  la  cohérence  à  l'ensemble  de  ses  idées,  «  M.  Lebreton 
accomplit  la  sienne,  si  j'ose  dire,  en  pleine  confusion.  »)  pp.  479-o:il. 
=  Mars.  —  V.  Ermom.  Les  formes  religieuses  et  la  clnssificalion  des 
religions.  (La  complexité  du  phénomène  religieux  rend  difficile  la  classifi- 
cation des  religions.  L'auteur  signale  l'imperfection  des  classifications 
données  jusqu'ici  et  propose  une  division  générale  basée  sur  «  l'obser- 
vation psychologique  et  les  attestations  historiques  »>  qui  distinguerait 
les  religions  «  en  relatives  ou  imparfaites  et  absolues  ou  parfaites.  » 
«  Toutes  les  religions  autres  que  le  Christianisme  sont  relatives  et 
imparfaites...  L'analyse  scientifique  a  fini  par  découvrir  les  lacunes  et 
les  vides  des  autres  religions  ;  le  progrès  les  a  éliminées  comme  ne 
répondant  plus  à  l'état  actuel  de  l'humanité  civilisée.  »)  pp.  561-590.  — 
P.  DE  Labriolle.  Saint  Ambroise  et  l'exégèse  allégorique.  (En  faisant 
usage  de  l'exégèse  allégorique,  saint  Ambroise  «  a  obéi  beaucoup  moins 
à  des  scrupules  d'ordre  intellectuel,  du  genre  de  ceux  dont  Origène 
s'était  inspiré,  qu'à  des  préoccupations  pastorales  et  pratiques.  »  Signale 
en  terminant  que,  si  l'exégèse  allégorique  a  rendu  des  services  à  la  science 
ecclésiastique,  elle  a  toujours  éveillé  la  défiance  dans  les  milieux  chré- 
tiens.) pp.  591-603.  —  J.  Martin.  Saint  hpiphane.  La  connaissance  reli- 
gieuse. (Expose  la  doctrine  de  saint  Épiphane  sur  la  connaissance  reli- 
gieuse :  tandis  que  l'hérétique  n'écoute  que  sa  propre  sagesse,  l'ortho- 
doxe aborde  l'Écriture  et  le  dogme  en  s'appuvant  sur  la  tradition  et  sur 
l'Église,  pp.  604-618.) 

ANTHROPOS.  1.  —  P.  LouPiAS.  Tradition  et  légende  des  Batutsi. 
(Traditions  recueillies  au  Ruanda,  Afrique  orientale,  et  relatives  à  la 
création,  à  un  paradis  céleste  primitif,  à  une  faute  suivie  d'expulsion 
sur  la  terre,  à  un  médiateur  d'origine  céleste.  L'auteur  insiste  sur  la 
ressemblance  de  ces  traditions  avec  les  récits  bibliques.)  pp.  1-13.  — 
F.  Dahmen,  s.  J.  The  Paliyans,  a  Hill-Tribe  of  tlie  Palni  Hills,  South 
India  (Origine,  langue,  organisation  sociale,  coutumes,  rites  religieux 
de  ce  clan  montagnard  et  nomade  du  Sud  de  l'Inde,  en  qui  l'on  recon- 
naît un  reste  des  races  primitives  du  pays.)  pp.  19-31.  —  W.  Scumidt. 
Les  origines  de  l'idée  de  Dieu.  Etude  historico-critique  et  positive  (à  s.}. 

2^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  Nu  2.  27 


41S         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

(Début  d'une  élude  d'histoire  comparée  des  religions  touchant  l'origine 
de  la  religion  et  du  concept  de  Dieu.  Définit  au  préalable  la  religion  : 
la  reconnaissance  d'un  ou  de  plusieurs  êtres  personnels  qui  s'élèvent 
au-dessus  des  conditions  terrestres  et  temporelles,  et  le  sentiment  de 
dépendance  vis-à-vis  d'eux.  Il  est  requis  que  ce  sentiment  de  dépen- 
dance se  traduise  par  des  actes  extérieurs.  La  magie  constitue  le  con- 
traste le  plus  prononcé  avec  la  religion.  Expose  ensuite  la  succession  et 
les  caractéristiques  des  diverses  écoles  de  science  comparée  des  reli- 
gions et  de  leurs  principaux  représentants,  depuis  le  début  du  XIX*  s., 
en  Europe  et  en  Amérique.  Signale  l'école  philologique  ou  naturaliste, 
puis  l'école  anthropologique  et  son  système  préféré,  l'animisme,  qui  a 
tout  envahi.  Un  retour  offensif  de  l'ancienne  école  mythologique  natu- 
raliste, mais  modifiée,  se  dessine  sur  le  terrain  sémitique  avec  le 
Panbabylonisme,  et  même  par  delà  ces  limites  avec  Stucken.  D'ailleurs, 
celte  école  elle-même,  sous  sa  forme  originelle,  maintient  encore  son 
existence  et  ses  prétentions  (E.  Siecke).  La  doctrine  évolutionniste 
inspire  toutes  ces  tendances  diverses.)  pp.  125-102. 

ARCHIV    FUR    GESCHIGHTE    DER    PHILOSOPHIE.    Jauv.    —   Max 

Leopold.  Leihnizens  Lehre  von  der  Kurperwelt  ah  Kernpunkl  des  Sys- 
tems (fin).  (II.  Le  monde  des  corps  et  le  monde  des  esprits  ;  a)  harmo- 
nie du  devenir,  causalité  et  téléologie  ;  b)  le  principe  du  parallélisme 
psycho-physique  ;  c)  le  monde  des  corps,  phénomène  «  bien  fondé  ». — 
III.  —  L'organisation  et  révolution  du  monde.  —  Conclusion  :  le  point 
central  du  système  de  Leibnilz  est  sa  théorie  du  monde  des  corps.  La 
négation  de  relations  spatiales  réelles  entre  les  forces  l'oblige  à  trans- 
poser le  dynamisme  mécanique  en  un  dynamisme  métaphysique.  H 
trouve  le  principe  qui  assure  la  ressemblance  et  l'unité  des  monades  de 
l'organistue  et  de  l'univers,  dans  la  distinction  de  la  force  en  active  el 
passive.  Le  monde  entier  est  soumis  à  la  loi  de  l'évolution  ;  en  tant  que 
phénomène  il  est  corporel.  La  causalité  devient  téléologie.)  pp.  145-165. 
—  Antoniades.  Die  Slaatslehre  des  Mariana.  (Étude  historique  des  théo- 
ries politiques  et  sociales  du  jésuite  Mariana.  —  Fait  suite  à  l'ouvrage 
du  même  auteur  :  Die  Slaatslehre  des  Thomas  ah  Aquino.  Leipzig, 
Robolsky,  1890,  couronné  par  l'université  de  Heidelberg  en  1881.) 
pp.  166-195.  —  ScHWARZ.  Beilrâge  zur  Kantkriiik.  (Critique  des  princi- 
pales conclusions  de  Kant  concernant,  le  problème  de  la  connaissance. 
Ses  préjugés  rationalistes  devaient  l'empêcher  d'eu  donner  une  solution 
satisfaisante.)  pp.  196-217. —  A.  Mïjller.  Die  Religionsphilosophie  Teich- 
miillers.  (La  religion,  d'après  TeichmuUer,  est  le  sentiment  qui  suit  en 
nous  à  la  conscience  de  Dieu  et  s'exprime  au  moyen  de  l'union  organi- 
sée des  activités  de  connaissance,  de  sensibilité  et  d'action.  Elle  se 
divise  suivant  la  nature  de  cette  conscience.  Élude  de  ses  difïérentes 
formes  et  de  leurs  rapports.)  pp.  218-239.  —  W.  Schultz.  IlYBArOPAI. 
(Essai  d'interprétation,  légitimé  par  d'autres  exemples,  du  sens  secret 
de  nrevTOPAS  et  de  son  rapport  avec  la  mystérieuse  XEiPAKirs,  par  la 
méthode  du  symbolisme  arithmétique  en  usage  chez  les  Pythagoriciens.) 
pp.  240-252.  —  Elsenhans.  Berichl  ûber  die  deutsche  Litteratur  zur 
vorkantischen  deutschen  Philosophie  des  18.  Jahrhunderls.  pp.  255-284. 


RECENSION    DES     REVUES  419 

ARCHIV    FUR    RELIGIONSWISSENSCHAFT.     13    Dec.   —    A.    van 

GnNNEP.  Le  Rite  du  refus.  (Dans  le  refus  si  fréquent  que  les  personnages 
élevés  aux  hautes  dignités  de  l'Église,  aux  premiers  siècles,  opposaient 
ù  leur  élection,  en  alléguant  leur  indignité,  ainsi  que  plusieurs  califes, 
et  tout  récemment  encore,  les  chefs  du  Nyab,  ainsi  qu'autrefois  une 
foule  d'im<âms  de  sectes  berbères,  p.  ex.  des  ibadhites,  van  Gennep 
voit,  à  côté  de  l'action  des  sentiments  personnels,  des  survivances 
d'un  ancien  «  rite  du  refus  »  qui  seraient  demeurées  dans  le  Christia- 
nisme et  l'Islam,  et  dont  l'origine  s'expliquerait  très  naturellement  par 
le  désir  d'échapper  aux  tabous  multi  pies  qu'entraîne  la  fonction  des  chefs 
chez  les  primitifs  :  ainsi,  de  nos  jours  encore,  chez  les  roitelets  du 
Loango,  qui  sont  chargés  à  la  lettre  de  faire  la  pluie  et  le  beau  temps. 
Exemple  très  caractéristique  (en  note  additionnelle)  d'un  rite  du  refus 
contemporain,  chez  les  Habbés,  population  non-miusulmane  du  plateau 
central  nigérien.)  pp.  2-10.  —  L.  Radekmacher.  Schellen  und  Fluchen. 
(Étudie  une  scène  de  l'Oreste  d'Euripide,  oîi,  dans  l'invocation  au  tom- 
beau d'Agamemnon,  le  mot  o^ziàn,  avec  le  défunt  roi  pour  objet, 
apparaît  dans  un  passage  d'authenticité  d'ailleurs  douteuse  (vv.  1227- 
1230).  Est-ce  qu'on  grondait,  invectivait  les  morts  pour  obtenir  leur 
appui,  comme  on  en  usait  avec  les  démons?  Le  mot  àpào-Qat,  qui  sert 
parfois  à  rendre  l'idée  de  «prier»  (ào/jcrîr'  ''Eoivùc,  Odyss.  ii,  136),  signi- 
fiait originairement  «maudire»,  comme,  dans  un  ordre  d'idées  tout 
voisin,  zvyjfjOyL  signifiait  «  faire  une  promesse  »  ou  «  se  vanter  »  d'un 
service  rendu.  Ces  termes  indiquent  donc,  par  opposition  à  At'a-a-îo-Qai, 
«  supplier  humblement  »,  qu'on  prend  l'être  que  l'on  prie  par  l'amour- 
propre,  l'intérêt  ou  la  reconnaissance.  Il  a  donc  bien  pu  exister  parallè- 
lement des  «invectives  aux  morts  »^  comme  aux  Euménides,  etc.,  et 
ce  n'est  que  dans  un  sens  dérivé  que  àoàc-Qat,  avec  les  Erinyes 
comme  régime,  a  signifié  les  évoquer  comme  instruments  de  la  ma- 
lédiction à  exécuter  contre  un  tiers.)  pp.  11-22.  —  A.  Nagel.  Der 
chinesische  Kûchengotl  ( Tsau-Ky un ).(Dains  la  religion  chinoise  des  temps 
antérieurs  au  bouddhisme,  ce  «  dieu  de  la  cuisine  »,  c'était  tout  simple- 
ment Vesprit  du  foyer  ou  les  mânes  des  cuisinières,  et,  étant  le  protec- 
teur du  foyer,  il  le  devenait,  par  extension,  de  la  famille.  Les  légendes 
bouddhistes,  sous  diverses  formes,  l'évhémérisent  ;  mais  c'est  toujours 
un  esprit  qui  tient  une  grande  place  dans  le  culte  familial,  parce  qu'il 
est  le  ministre  de  la  grande  divinité  du  bouddhisme  chinois,  r«  Empe- 
reur du  Ciel  »  ou  «  Empereur  des  peiles».  Sa  signification  religieuse 
en  Chine.  Lieux  et  temps  réservés  à  son  culte.  Les  diverses  fêtes,  dont 
la  plus  importante  est  celle  qui  se  célèbre  dans  chaque  maison  le 
2-iejour  du  12^  mois,  jour  oii  il  monte  du  foyer  vers  l'Empereur  du  Ciel 
pour  lui  faire  un  rapport  détaillé,  comme  surveillant  et  gardien,  de  ce  qui 
s'est  passé  dans  la  famille. —  Rapprochements  avec  d'autres  divinités  du 
feu,  en  particulier  Agni.)  pp.  23-43. —  R.  Osteoff.  Etymologische  Beilrage 
zur  Mythologie  und  Religionsgeschichte .  (3.  '^Iptç.  En  faisant  de  cette  déesse 
«  la  rapide  »,  de  la  même  racine  que  Ïzij.cci,  «je  me  presse  »,  on  est 
obligé  de  séparer  tout  rapport  primitif  entre  Iris  et  l'arc-en-ciel  qui 
porte  le  même  nom.  O.  rétablit  ainsi  le  lien.  De  même  que  la  Voie  Lactée, 
l'arc-en-ciel  a  été  considéré  comme   la  voie   des  dieux,  un  chemin  vers 


420         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

le  ciel.'Ioti^Ft-o',-;  signifie  «  bande  »  ou  «  chemin  »  ;  la  signification  de 
«  cercle  coloré  »  est  post-homérique.  Par  une  métonymie  qui  n'est 
pas  rare,  la  déesse  messagère  des  dieuK  s'appelait,  de  son  côlé,  "lot;  " 
via=viatrix.  D'ailleurs,  Iris  est  peut-être  une  forme  abrégée  de 
quelque  chose  comme  Ftpi-Tiopo;.  Elle  n'a  pas  encore  de  signification 
naturiste  chez  Homère,  mais  il  était  inévitable  qu'elle  devînt  la  déesse 
de  l'Iris  arc-en-ciel.)  pp.  24-74.  —  R.  Hirzel.  Der  Selbslmord[dL  suivre). 
(On  ne  voit  pas  qu'au  temps  d'Homère  il  s'attache  aucune  prohibition 
religieuse  ou  aucune  flétrissure  au  suicide.  De  même  chez  les  vieux 
Germains.  Chez  les  peuples  du  Nord,  on  peut  y  élre  poussé  par  des 
causes  locales  et  temporaires  ;  mais  les  anciens  Grecs,  amoureux  de  la 
lumière  du  soleil,  n'en  usaient  pas  beaucoup.  Toutefois,  après  Hésiode 
et  les  poètes  gnomiques,  les  troubles  sociaux,  ceux  des  guerres  médi- 
qiies,  le  pessimisme  qui  va  toujours  se  développani,  rendent  le  suicide 
assez  ordinaire.  L'art  et  la  littérature  y  contribuent,  jusqu'à  la  comédie, 
qui  y  fait  souvent  allusion.)  pp.  7.'5-104.  —  II.  Berichle.  I.  Friedrich 
Kaufmann.  Allgennanische  Religion.  (Kaufmann,  en  critiquant  les  plus 
récents  écrits  sur  la  religion  des  Germains,  touche  à  plusieurs  points 
de  principe  et  de  méthode  sur  la  science  des  religions.)  pp.  105-126.  — 
II.  W.  Caland.  Indisclip  Religion.  (Sur  les  travaux  parus  de  1004  à 
1906.)  pp.  127-141.  — m.  Milleilungen  und  Himveise.  pp.  142-160. 

BIBLISCHEZEITSCHRIFT.  1.— P.  J.Hontheim,  S.  LSludienzu  Ct.2,  8 

—  o,  5.  (Ce  passage  du  Cantique  forme  un  lied  complet.  L'action  se 
déroule  en  une  journée.  Le  matin,  le  fiancé  cherche  la  fiancée  (II  8-17)  ; 
le  soir,  la  fiancée  cherche  le  fiancé  (III  1-5).  Au  point  de  vue  métrique, 
la  première  partie  comprend  trois  strophes  (II  8-10  ;  11-13  ;  14-17)  ;  la 
seconde,  deux  strophes  (III  1-3  ;  4-5.)  pp.  1-14. — P.  F.  Zorell,  S.  J. 
.Zu  Thr.  I .  {Déïend  le  chapitre  premier  des  Lamentations  contre  une 
critique  qui  tend  à  modifier  en  beaucoup  d'endroits,  non  seulement  les 
xoyelles  mais  encore  les  consonnes  du  texte  massurétique.)  pp.  15-24. 

—  A.  Steinmann.  Jenisalem  und  Antiochien.  (Le  concile  de  Jérusalem 
déclare  que  la  loi  mosaïque  n'est  pas  obligatoire  pour  les  chrétiens 
d'origine  païenne.  Mais  il  ne  définit  pas  l'attitude  que  doivent  prendre, 
vis-à-vis  de  cette  même  loi,  les  chrétiens  d'origine  juive.  Cette  nature 
du  décret  apostolique  a  pour  conséquence  immédiate  le  conflit  d'An- 
tioche.)  pp.  30-48. 

BULLETIN  DE  LITTÉRATURE  ECCLÉSIASTIQUE.  Janv.—  J.  Baylac. 

Autour  de  l EncgcUque.  («  La  philosophie  des  modernistes  est  d'origine 
et  d'inspiration  kantiennes.  ...La  philosophie  kantienne  aboutit  à  Vag- 
nosticisme  et  à  Yimmanenlisme  condamnés  par  l'Encyclique  Pascendi.  » 
L'attitude  des  modernistes  est  contradictoire,  «  il  y  a  confiit  entre  leur 
philosophie  et  leur  foi  ».)  pp.  1-23. —  R.  Hourcade.  Essence  et  existence,  à 
propos  d'un  livre  récent  (v.  plus  bas),  pp.  24-33.=  Fév.  —  R.  Hourcade. 
Essence  et  existence...  (v.  plus  bas),  pp.  59-69.  =  Mars.  —  L.  Saltet. 
Un  insigne  plagiat  :  «  La  Sainte  Vierge  dans  l'histoire  »,  par  G.  Herzog. 
(«  Herzog,  sans  le  dire,  a  tout  simplement  démarqué  et  tourné  contre 
nous  certains  chapitres  de  l'Histoire  de  la  théologie  positive  de  M.  Tur- 


RECENSIOX     DES     REVUES  421 

mel.  y>)  pp.  73-89.  —  R.  Hourcade.  Essence  et  existence...  (Défend  la 
thèse  de  la  distinction  réelle  intégrale,  contre  le  R.  P.  Piccirelli,  S.  J  , 
et  montre  que  la  distinction  réelle  s'impose,  soit  que  l'on  envisage  le 
rapport  de  l'essence  à  l'actualilé,  soit  que  l'on  confronte  l'actualité  avec 
la  raison  de  nécessité  qui  est  l'attribut  transcendantal  de  l'essence.  Il 
signale  ensuite  les  erreurs  commises  par  le  P.  Piccirelli  dans  son  inter- 
prétation des  textes  de  saint  Thomas.)  pp.  90-99. 

CIUDAD  DE  BIOS  (LA).  20  Dec.  —  P.  M.  Gctiérrez.  Sobre  la  fîlosofia 
de  Fr.  Luis  de  Leôn.  (Expose  les  idées  de  Fr.  Louis  de  Léon  sur  l'homme, 
sur  l'union  de  l'àme  et  du  corps  et  leur  influence  réciproque,  sur  la 
connaissance.)  pp.  628-G43.  =^  5  Janv.  —  P.  M.  Gutiérrez.  Sobre  la  fîlo- 
sofia... (Idées  de  Fr.  Louis  sur  l'appétit  et  l'immortalité  de  l'àme.) 
pp.  34-47.  =  20  Janv.  —  P.  M.  Gutiérrez.  Sobre  la  fîlosofia...  (Idées  de 
Fr.  Louis  sur  la  connaissance  humaine  de  Dieu.)  pp.  215-221.  =  5  Mars. 
—  P.  H.  MoRiLLA.  San  Agustin  defensor  de  la  concepciôn  Immaculada 
de  Maria.  (Soutient  avec  le  P.  del  Val  que  saint  Augustin  a  enseigné 
l'Immaculée  Conception  de  la  Vierge.)  p.  38.5-391. 

CIVILTA  CATTOLIGA  (LA).  18  Janv.  —  E.  Rosa.  //  modernismo  teolo- 
gico.  (Le  type  du  croyant  tel  qu'il  est  présenté  par  l'Encyclique  Pascendi 
n'est  pas  un  être  de  raison.  On  en  a  la  preuve  dans  un  ouvrage  publié 
sous  le  nom  du  D''  Sostene  Gelli  {Psicologia  délia  Religione,  Rome, 
1905),  qui  fait  de  la  foi  une  intuition  d'ordre  sentimental.  Cette  doctrine 
se  rapproche  des  anciennes  erreurs  condamnées  par  le  concile  du  Vati- 
can.) pp.  146-160.  =  15  Fév.  —  E.  Rosa.  //  modernismo  teologico.  (Le 
modernisme  théologique  dérive  du  kantisme  et  du  mysticisme  de 
Schleiermacher  et  de  Ritschl;  il  aboutit  à  la  négation  du  Christianisme.) 
pp.  385-399.  — C.  Fërretti.  Lo  Schopenhauer  e  la  morale  pessimista. 
(La  morale  pour  Schopenhauer  exclut  toute  loi  et  toute  obligation. 
Selon  lui,  la  volonté  est  la  seule  chose  en  soi,  l'intelligence  n'étant 
qu'une  faculté  secondaire:  «  par  elle  toutefois,  la  volonté  inconsciente 
devient  consciente,  et  reconnaissant  alors  qu'elle  n'est  au  fond  que 
désir,  par  conséquent  besoin,  par  conséquent  douleur,  elle  ne  trouve 
d'autre  idéal  de  la  vie  que  de  se  nier  elle-même  ».  Schopenhauer  con- 
damne le  suicide  comme  inutile,  la  libération  se  fait  par  la  chasteté 
absolue  empêchant  la  propagation  de  la  souffrance,  l'ascétisme  et  le 
nirvana.)  pp.  400-411.  =r^  21  Mars.  —  E.  Rosa.  //  modernismo  teologico  e 
il  concilio  Vaticano.  (Les  définitions  du  concile  du  Vatican  (De  revela- 
tione,  de  Fide,  de  Fide  e^  m/io»g)  atteignent  les  modernistes  avec  leur 
subjectivisme,  immanentisme  et  naturalisme.)  pp.  662-680. 

CULTURA  ESPANOLA.  Fév.  —  E.  Dl'prat.  Estudios  de  fîlosofia  con- 
temporànea.  La  fîlosofia  de  M.  H.  Bergson  (à  suivre).  (Analyse  de  \  In- 
troduction à  la  Métaphi/sique  et  de  l'Essai  sur  les  données  immédiates  de 
la  conscience  de  M.  Bergson.)  pp.  185-202. 

ÉCHOS  D'ORIENT.  Janv.  —  M.  Jlgie.  Saint  Jean  Chrysostome  et  la 
primauté  de  saint  Pierre.  (Saint  Jean  Chrysostome  a  enseigné  que  saint 


422         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUKS 

Pierre  est  venu  à  Rome   et  y  est  mort;    il  lui  reconnaît  une  primauté 
de  juridiction.)  pp.  5-15. 

ÉTUDES.  5  Janv.  —  J.  Brucker.  VFglise  et  la  critique  biblique.  (Le 
principe  général  de  la  critique  n'est  point,  par  lui-même,  en  opposition 
avec  la  foi  ou  avec  l'Église.  Le  préjugé  rationaliste  est  la  vraie  cause  du 
conflit  entre  l'Église  et  la  critique.)  pp.  5-19.  =  20  Janv.  —  L.  Baille. 
Philosophia  perennis.  (Quand  l'Encyclique  impose  la  philosophie  di^ 
saint  Thomas,  elle  n'édicte  pas  une  simple  mesure  disciplinaire,  elle 
exige  que  nous  donnions  à  la  scolastique  du  chef  de  l'École  l'assen- 
timent intérieur  de  l'esprit.)  pp.  l4o-lt)6.  =  5  Fév.  —  L.  Roure.  Scolns- 
iiques  et  Modernistes.  (L'esprit  scolastique,  qui  est  un  esprit  sagement 
rationnel,  est  aussi  un  esprit  éminemment  religieux.  L'esprit  moderniste 
déforme  le  rôle  de  la  raison,  ôte  à  la  religion  son  fondement  en  même 
temps  qu'il  la  découronne  de  son  action  sur  la  pensée  humaine.  Finale- 
ment le  modernisme  est  antireligieux.)  pp.  289-307.  =  20  Fév.  —  A. 
Eymieu.  Le  rôle  de  lliabilude  dans  le  gouvernement  de  soî-m^n?^  (voir  plus 
bas).  — A.  d'Alès.  Pour  V honneur  de  Notre-Dame.  (Réfutation  de  l'article 
de  M.  Herzog,  La  Sainte  Vierge  dans  l'histoire  (Rev.  dliist.  et  de  litt. 
relig.  sept.-déc.  1907).  «  A  vouloir  relever  toutes  les  assertions  gratuites, 
toutes  les  omissions,  toutes  les  références  fausses,  tous  les  paralogismes 
de  l'auteur,  on  aurait  vite  fait  d'écrire  un  volume  ».)  pp.  45?)-472.  ■= 
5  Mars.  —  J.  de  Tonouédec  Comment  interpréter  Vordre  du  monde? 
(Examine  les  raisons  que  M.  Bergson  oppose  à  ce  qu'il  appelle  le  fi na- 
lisme  radical.  Un  ceitain  finalisme,  objecte  M.Bergson,  n'échatppe  pas  au 
reproche  d'anthropomorphisme,  mais  le  finalisme  en  Dieu  est  analo- 
gique. L'objection  des  désordres  partiels  atteint  plutôt  certaines  idées 
accessoires  au  finalisme  que  le  principe  même  de  la  doctrine.  Enfin, 
l'ordre  vital  ne  supprime  pas  la  nécessité  d'une  pensée  ordonnatrice,  la 
vie  suppose  des  fins  cherchées  et  des  moyens  choisis.)  pp.  577-597.  — 
A.  Eymieu.  Le  rôle  de  l'habitude  dans  le  go\ivernement  de  soi-même.  (Les 
faits  prouvent  que  l'habitude  lait  disparaître  les  difficultés  du  commen- 
cement. Ces  difficultés  viennent  de  l'organisme,  de  son  inertie  malé- 
rielle  qui  résiste  au  changement  et  de  son  activité  vitale  qui  subit  le  con- 
trecoup des  idées  contraires  ;  elles  viennent  de  l'esprit,  du  choix  à  faire 
pour  décider,  et  de  l'attention  à  fournir  pour  exécuter.  L'habitude  fait 
l'acte  plus  facile,  plus  précis,  plus  fort  et  plus  rapide  dans  l'exécution, 
plus  achevé  dans  l'intention.  Il  est  néeessaire  de  se  faire  des  habitudes 
Lien  choisies,  autrement  l'instinct  choisira  pour  nous  et  choisira  mal. 
Les  trois  facteurs  de  l'habitude  sont  l'intensité,  la  multitude  et  la  fré- 
quence.) pp.  443-452  et  617-636.  =:=  20  Mars.  —  J.  Lebreton.  La  révé- 
lation du  Fils  de  Dieu.  (Étudie  l'état  d'esprit  des  auditeurs  du  Christ, 
la  conception  qu'ils  se  faisaient  du  Messie,  explique  la  lenteur  du 
Christ  à  se  révéler.  Les  miracles  sont  des  preuves  décisives  de  sa  mis- 
sion ;  ils  ne  sont  qu'une  manifestation  imparfaite  de  sa  nature.  Ses 
paroles  permettent  de  la  pénétrer  plus  intimement.)  pp.  722-749.  —  L. 
Roure.  Scolasliques  et  Modernistes.  (Expose  la  doctrine  scolastique  sur 
Id  vérité  ontologique  et  la  vérité  logique  et  montre  que  l'opposition  enlie 


RECENSION     DES     REVUES  42H 

les  scolasliques  et  les  modernistes  n'est  pas  autre  chose  que  l'opposi- 
tion  entre  le  dcfi^matisme  modéré  et  le  scepticisme.)  pp.  767-789. 

ÉTUDES  FRANCISGiMNES.  Mars.  —  P.  René.  Des  dons  surnalurels  qui 
accompagnent  la  grâce  sanctifîanle  (à  suivre).  (L'auteur  explique,  à  la 
suite  de  saint  Thomas,  dont  il  préfère  sur  ce  point  la  doctrine  à  celle 
de  Scot,  la  nature  et  la  raison  d'être  des  vertus  surnaturelles,  des  dons, 
des  béatitudes  et  fruits  du  Saint-Esprit.)  pp.  227-236. 

EXPOSITOR  (THE).  Janv.  —  W.  Ramsay.  The  Moming  Slar  and  t lie 
Chronologii  ofthe  Life  of  Christ.  (Essai  sur  la  chronologie  de  la  vie  du 
Christ  basée  sur  ce  principe  :  Tous  ceux  qui  vivent  en  plein  air  et  tirent 
leurs  comparaisons  des  phénomènes  de  la  nature  doivent  être  le  plus 
souvent  inspirés  dans  leur  choix  par  l'observation  immédiate  des  temps 
et  des  lieux  où  ils  parlent.  La  portée  de  cette  loi  étant  délimitée,  on 
l'applique  auxrécits  évangéliques.)pp.  1-21.  — J.  Orr.  71ie  Résurrection 
of  Jésus.  I .  The  présent  State  of  the  Question.  (Les  principaux  arguments 
que  Ion  fait  valoir  actuellement  contre  la  réalité  de  la  Résurrection  sont  : 
l'impossibilité  à  priori  du  miracle  ;  les  conclusions  de  la  critique  textuelle 
et  littéraire  ;  l'étude  comparée  des  religions  ;  le  principe  que  l'idée  et  la 
vertu  spirituelle  du  Christ  ne  sont  pas  solidaires  de  sa  Résurrection  ; 
enfin  pour  admettre  la  réalité  d'apparitions  physiques  il  faudrait  que  la 
psychophysiologie  eût  d'abord  établi  scientifiquement  la  possibilité  des 
manifestations  d'Oulre-Tombe.)  pp.  35-51.  —  J.  Moulton  et  G.  Milligan. 
Lexical  Notes  front  Papyri.  (Publie,  par  ordre  alphabétique,  la  liste  des 
mots  grecs  des  papyri  et  ostraca,  découverts  jusqu'à  maintenant,  que 
l'on  retrouve  dans  les  livres  canoniques  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament.  Celle  première  partie  va  de  à^ap-/;;  à  àr,dioc.)  pp.  51-60.  — 
A.  Deissmann.  New  Testament  Philology.  (Passe  en  revue  les  grands 
travaux  relatifs  à  la  Philologie  du  N.  T.  :  Concordances,  grammaires 
générales  et  spéciales,  dictionnaires,  études  lexicographiques.)  pp.  61- 
75.  —  S.  CooK.  Supplemenlary  Notes  on  the  Neiv  Aramaic  Papyri.  (Ces 
notes  concernent  des  détails  de  traduction  ;  la  relation  possible  des 
papyri  avec  le  livre  d'Esdras,  entin  les  conditions  religieuses  de  la 
colonie  juive  d'Éléphantine.)  pp.  87-96.  =  Fév.  —  R.  Stbacuan.  The 
Personality  of  the  Fourlk  Evangelist.  (L'auteur  du  quatrième  évangile 
est  un  personnage  «  de  chair  et  de  sang  »,  qu'une  élude  objective  de 
l'œuvre  permet  d'isoler  et  de  caractériser.  Il  a  été  témoin  oculaire  des 
faits  qu'il  rapporte.  Rien  ne  prouve  absolument  qu'il  n'ait  pu  appar- 
tenir au  groupe  des  apôtres.)  pp.  97-117.  —  D.  Margoliouth.  Ecclesiasies 
and  Ecclesiaslicus.  (La  Sagesse  de  Ben  Sira  connaît  et  utilise  le  Kohelelh. 
Il  y  a  entre  les  deux  auteurs  la  différence  qui  sépare  le  penseur  audacieux 
et  original  d'un  paraphraseur  de  textes  empruntés  aux  livres  sacrés.) 
pp.  118-126.  —  J.  Rendel  Harris.  D'  Gregory  on  the  Canon  and  Texl  of 
the  New  Testament.  (Compte  rendu  critique  du  récent  ouvrage  publié 
par  le  D''  Gregory  sur  l'histoire  du  Canon  et  du  Texte  du  Nouveau 
Testament.)  pp.  127-141.  — J.  Orr.  The  Résurrection  of  Jésus.  2.  Ils 
nature  as  Miracle.  (L'accord  est  unanime  sur  le  fait  que  les  apôtres  ont 
cru  à  la  Résurrection   du   Christ.   Or  tous  les   documents  attestent   que 


424         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

celte  foi  a  eu  un  objet  réel,  concret.  Il  faut  donc,  ou  bien  se  ranger  à 
l'hypothèse  inadmissible  de  ceux  qui  veulent  que  le  Christ  ne  soit  pas 
mort,  ou  bien  reconnaître  dans  la  Résurrection  un  fait  miraculeux.  La 
possibilité  du  miracle  ne  saurait  d'ailleurs  être  philosophiquement 
rejetée.)  pp.  142-157.  —  G.  Findlay.  The  Parable  oflhe  Pearl-Merclianl. 
(Le  marchand  de  perles  dont  il  est  question  Ml  XIII  45-46  est  le  Christ 
lui-même  en  quête  des  âmes.  Toutefois  les  qualités  que  le  récit  attribue 
au  divin  négociant  (jugement  et  décision)  doivent  être  celles  de  tous 
ceux  qui  appartiennent  au  corps  du  Christ.)  pp.  158-17Ô  —  J.  Moulton. 
Lexical  Xotes  from  the  Papyri  (suite-à  suivre.)  (cr.QxvxfjLx  -  àvy.yyi/jM.) 
pp.  170-185.  =  Mars. —  A.  Gakvie.  Studies  in  the  Pauline  Theology.  2  The 
Expérience  of  Paul  ià  suivre). (Entre  l'enseignement  de  Jésus  et  la 
doctrine  de  Paul  il  n'y  a  pas  d'antinomies  :  Paul  continue  le  ministère 
du  Christ.  Pour  l'établir,  l'auteur  commence  par  étudier  l'expérience 
religieuse  que  l'apôtre  des  Gentils  a  eue  du  Christ,  car  celte  expérience 
a  élé  la  source  première  de  la  théologie  paulinienne.  Histoire  psycholo- 
gique de  Paul  jusqu'à  sa  conversion.)  pp.  193-207.  —  J.  Harris.  The 
présent  Slale  of  ihe  Controverse  over  Ihe  Place  and  Time  of  the  Dirlh 
of  Christ.  (Le  récit  de  la  naissance  du  Christ  d'après  Luc  est  confirmé 
par  les  renseignements  que  fournissent  les  papyrus  égyptiens.)  pp.  208- 
223. —  J.  MoFFATT.  77ie  i\eic  Schàrer.  (Signale  les  améliorations  réalisées 
par  le  savant  Allemand  dans  la  nouvelle  édition  (Leipzig,  1907)  du 
second  volume  de  la  Geschichte  des  Jùdischen  Volkes  im  Zeilalter  Jesu 
Christi.)  pp.  223-233.  — J.  Orr.  l^he  Résurrection  of  Jésus.  3  The  Gospel 
Narratives  and  Critical  Solvents  (suite-à  suivre).  (Il  y  a  une  certaine 
dépendance  de  Matthieu  et  de  Luc  vis-à-vis  de  Marc.  Mais  cette  dépen- 
dance est  loin  d'être  exclusive,  témoin  le  récit  de  la  Résurrection  où 
l'autonomie  de  chaque  évangéliste  se  révèle  très  nettement.  On  ne  peut 
donc  discréditer  l'une  ou  l'autre  de  ces  narrations  en  invoquant  le 
principe  de  leurs  mutuelles  relations.)  pp.  233-249.  —  J.  de  Zwaan. 
Shaking  ouf  the  Lap.  (Secouer  son  manteau  est  une  espèce  de  malé- 
diction encore  en  usage  aujourd'hui  chez  les  Orientaux.)  pp.  249-252. — 
A.  Eagar.  St  Luke's  Account  of  the  Last  Supper  :  a  Critical  Note  on  the 
Second  Sacrement.  (Avec  plusieurs  autres  critiques,  l'auteur  se  pose  la 
question  de  savoir  si  les  paroles  du  récit  de  St  Luc  :  «  faites  ceci  en 
mémoire  de  moi  »  et  tout  le  verset  2Ô du  ch.  XXII  appartiennent  au  texte 
primitif  de  l'Évangile.)  pp.  252-264.  —  J.  Moultox  and  G.  Milligan. 
Lexical  Notes  from  the  Papyri  (à  suivre),   (à/ô/oo;  -  avw.)  pp.  262-277. 

EXPOSITORY  TIMES  (THE).  Janv.  —  C.  T.  P.  Grierson.  The  Last 
Darj.  (Étudie  l'ensemble  des  passages  du  X.  T.  relatifs  au  Dernier 
Jour.  Dans  le  discours  eschatologique  des  Synoptiques,  Jésus  parle, 
non  seulement  de  la  Parousie,  mais  d'avènements  historiques.  Ainsi 
s'explique  Luc,  xxi,  32.  Le  règne  millénaire  de  l'Apocalypse  doit  s'en- 
tendre d'un  règne  et  d'un  avènement  spirituels.  Il  s'agit  d'une  ère  de 
prospérité,  encore  à  venir,  pour  l'Église.  If  Thess.  ii,  1  et  ss.  corres- 
pond à  Apocalypse  xx,  7-10.  Les  descriptions  des  «  signes  »  de  la  Parou- 
sie et  de  la  Parousie  elle-même  sont  pour  une  grande  part  symboliques.) 
pp.  162-167.  —  A.  H.    Savce.  The  Archaeoloyy   of  the  Book  of  Genesis. 


RECENSION     DES     REVUES  425 

(Éclaircissements  relatifs  à  Genèse  i,  4-12,  tirés  des  documents  assy- 
riens. C'est  une  mise  au  point,  une  édition  nouvelle,  du  commentaire 
archéologique  jadis  publié  par  l'auteur  dans  cette  même  Revue.)  pp.  176- 
178.  —  A.  G.  RoBiNSON.  Lord  of  Hosts.  (Signale  que  l'expression  «  Jahvé 
des  armées  »  ne  se  trouve  pas  une  seule  fois  dans  le  Pentateuque, 
tandis  qu'elle  est  familière  aux  Prophètes,  aux  Livres  historiques,  aux 
Psaumes.  Si  la  composition  du  Pentateuque  s'est  effectuée  en  la  manière 
que  disent  les  critiques  modernes,  comment  expliquer  cette  abstention 
concordante  de  tous  les  écrivains  qui  sont  censés  avoir  collaboré  au 
Pentateuque  relativement  à  celte  formule  familière  à  leurs  contempo- 
rains ?)  pp.  188-189.  —  E.  Nestlé.  A  Neic  Testimony  for  Codex  Bezae. 
{Le  Codex  Bezae  emploie  l'abréviation  ancienne  pour  le  nom  de  J. -G., 
tandis  que  le  Vaticanus,  le  Sinaiticus  et  VAlexandrinus  ont  générale- 
ment une  forme  plus  récente.)  p.  189.  =  Fév.  — X.  Lord  of  Hosts. 
(Complète  et  corrige  les  assertions  de  A.  G.  Robinson  (voir  plus  haut). 
Bon  nombre  de  livres  historiques,  prophétiques,  sapientiaux  n'ont  pas 
«  Jahvé  des  armées  ».  S'attache  à  expliquer  son  absence  dans  le  Penta- 
teuque.) pp.  235-236.  —  Agnes  S.  Lewis.  iVath.  ii,  2.  (L'auteur  avait 
proposé  de  lire  ce  passage  :  «  Nous  avons  vu  en  Orient  son  étoile.  » 
L'Archevêque  du  Sinaï,  Dr.  Porphyrios  Logothetes,  l'informe  que 
l'Église  grecque  orthodoxe  l'entend  ainsi.)  p.  237.  =  Mars.  St 
Langdon.  Buhijlonian  Lllerary  Rédaction. —  (A  propos  de  deux  psaumes, 
l'un  adressé  à  Enlil  et  remontant  au  3*  millénaire  avant  Jésus-Christ, 
l'autre  adressé  à  Ninib,  filsd'Enlil,  VP-V^  siècle  avant  Jésus-Christ,  dont 
il  donne  la  traduction,  étudie  les  procédés  de  composition  et,  par  la 
même  occasion,  ceux  de  l'évolution  théologique  en  Assyro-Babylonie.  Le 
second  psaume  est  une  application  et  une  adaptation  à  Ninib  du  poème 
en  l'honneur  dEnlil.)  pp.  254-257.  —  A.  H.  Sayce.  The  Archaeology  of 
the  Book  of  Genesis  (suite).  (Éclrcissements  relatifs  à  6^en.  I,  14-20, 
tirés  des  documents  Âssyro-Babyloniens.)  pp.  260-26:3.  —  A.  II.  Sayce. 
Was  TidaJ,  King  of  Nations,  a  Hittite  F  (Le  roi  Héthéen  qui  a  conclu 
avec  Ramsès  II  le  traité  récemment  découvert  par  Winkler  à  Boghaz 
Keuï  s'appelle  Dud-Khaliya.  Sur  les  inscriptions  égyptiennes  son  nom 
est  écrit  Tidal,  Todal.  D'autre  part  Dud-Khaliya  rappelle  Tudghula, 
équivalent  cunéiforme  de  la  forme  biblique  Tid'al.  Ne  s'agirait-il  pas  du 
même  personnage?  Signale  quelques  données  historiques  qui  encou- 
ragent à  voir  dans  l'allié  biblique  de  Chedorlaomer  un  roi  hélhéen.) 
p.  283. 

HARVARD  THEOLOGICAL  REVIEW.  Janvier.  —  F.  G.  Peabody.  The 
Call  to  Iheolocjy.  (Signale  et  blâme  l'indifférence  à  l'endroit  de  la  théo- 
logie qui  existe  spécialement  dans  les  diverses  dénominations  proles- 
tantes aux  États-Unis.  L'éducation  théologiqne  des  ministres  eux-mêmes 
est  plus  que  médiocre  :  on  leur  impose  de  consacrer  un  temps  consi- 
dérable à  l'étude  de  l'hébreu,  par  exemple,  alors  qu'au  terme  de  leurs 
années  de  formation,  il  n'en  est  peut-être  pas  un  sur  dix  qui  soit  en  état 
de  s'en  servir  pratiquement.  S'ils  étudient,  ce  sont  les  sciences  sociales 
qui  ne  sont  pas  leur  affaire  et  oii  ils  n'auront  jamais  la  compétence  et 
l'autorité  d'un  laïque.  Plus  tard  ils  s'adonnent  exclusivement  à  l'admi- 


420         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUtS 

nislratioQ  religieuse  de  leur  Congrégation  et  aux  œuvres  de  charité  et 
de  philanthropie.  Pourtant  «  l'avenir  de  la  religion  organisée  dépendra 

—  non  pas  uniquement  de  la  création  de  nouvelles  formes  de  piété  et 
des  progrès  du  culte  et  de  l'action  extérieure  —  mais,  dans  une  mesure 
sans  précédents,  d'un  renouveau,  parmi  ceux  qui  représentent  la  reli- 
gion, d'autorité  et  d'influence  intellectuelles.  »  Expose  quelques  raisons 
positives  de  cultiver  la  théologie.)  pp.  1-9.  —  A.  C.  Me.  Giffert.  Modem 
Ideas  of  God.  (Dans  les  conceptions  modernes  de  Dieu  distingue  deux 
tendances.  L'une,  que  représentent  Hegel,  Schleiermacher,  Herder,  se 
rattache  au  monisme  de  Spinoza.  L'autre,  qui  est  celle  de  Ritschl,  Jacobi, 
Fichte,  perpétue  le  moralisme  et  le  pragmatisme  de  Kant.)  pp.  10-27. 

—  W.  A.  Brown.  h  our  Proleslantism  still  Protestant?  (Avec  Harnack 
contre  A.  Sabatier  répond  affirmativement,  mais  justifie  cette  réponse 
en  proposant  une  classification  et  une  définition  des  formes  historiques 
du  Christianisme,  qui  s'écartent  de  celles  de  Harnack.  Il  voit  dans  la 
définition  de  l'infaillibilité  papale  «  la  déclaration  publique  de  l'éman- 
cipation de  l'Église  de  la  tyrannie  du  passé  >>,  un  acte  qui,  d'une  certaine 
manière,  atténue  les  différences  entre  Catholicisme  et  Protestantisme.) 
pp.  28-47.  —  B.  W.  Bacon,  .4  Turning  Point  in  Synoplic  Criticism. 
(Expose  les  résultats  auxquels  ont  abouti,  en  matière  de  critique  litté- 
raire, les  travaux  consacrés  depuis  cinquante  ans  aux  Synoptiques. 
Considère  comme  acquise  la  priorité  de  Marc  sur  Matthieu-Luc,  qui  l'ont 
utilisé  comme  source  en  même  temps  qu'un  recueil  de  discours  du 
Seigneur,  Q.  Signale  ensuite  les  diverses  tendances  en  matière  de 
critique  historique  des  Synoptiques  et  répudie  énergiquement  l'inter- 
prétation purement  eschatologique  de  Schweitzer.)  pp.  48-69.  — D.  G, 
L\oîi.  Récent  Excavations  in  Palestine.  (Expose  l'histoire  et  les  résultats, 
d'importance  plutôt  indirecte  pour  la  période  hébraï(iue,  des  fouilles  de 
FI.  Pétrie  à  Tell  el-Hesy  (189u),  du  D^  Bliss  au  même  endroit  (1891-92). 
du  D"-  Bliss  et  de  R.  A.  St.  Macalister  dans  la  Cheplielah  (1898-1900). 
de  Macalister  à  Gezer  (1902  et  ss.),  de  Sellin  à  Ta'anach  (1902-05),  du 
D^  Schumacher  à  Tell  Mutesellim  (1903-0.-)),  de  Sellin  à  Jéricho  (1907). 
Recommande  «  le  livre  admirable  du  P.  H.  Vincent  de  l'École  Domini- 
caine de  Jérusalem  »  Canaan  d'après  l'exploration  récente,  Paris,  1907.) 
pp.  70-96.  — Th.  N.  Carver.  The  Economie  Basis  of  the  Problemof  Evil. 
(Cherche  l'origine  du  mal  moral  dans  le  mal  physique  ou  plus  précisé- 
ment dans  le  manque  d'harmonie  entre  l'homme  et  la  nature,  qui  est 
une  donnée  économique.  )  pp.  97-111,  —  Ch.  F.  Dole.  The  divine  /*/"o- 
vît/ence.  (S'attache  à  concilier  l'existence  d'une  Providence  et  la  réalité 
du  mal,  en  insistant  sur  la  valeur  éducatrice  de  la  souffrance.  «Dieu 
lui-même  ne  peut  obtenir  de  valeurs  humaines  sans  souffrances 
humaines.  «  Mais  il  sympathise  à  nos  souffrances,  il  les  partage.) 
pp.  112-125. 

HIBBERT  JOURNAL  (THE).  Janv.  —  Sir  0.  Lodge.  The  Immortality 
of  the  Soûl.  l.  The  Transitonj  and  the  Permanent.  (La  réalité  ne  com- 
porte ni  création  ni  destruction,  mais  seulement  des  changements. 
L'immortalité  de  l'âme  n'est  qu'un  cas  particulier  de  cette  loi  univer- 
selle.) pp.  2î)i-304.  —  N.  ScHMiDT,  The  «  Jerahmeel  »  Theory  and  the  fUs- 


RECENSION     DES    REVUES  -427 

toric  Importance  of  Ihe  Negeb.  (Fournit  quelques  renseignements  sur  le 
Negeb  obtenus  au  cours  de  voyages  d'exploration,  esquisse  l'histoire  de 
cette  région  considérée  par  l'auteur  comme  le  berceau  des  légendes 
patriarcales,  du  Mosaïsme,  du  Jahvisme,  du  royaume  Davidique,  etc.) 
pp.  322-342. 

INTERPRETER  (THE).  Janv.  —  H.  E.  Ryle,   Bishop  of  Winchester. 

The  Wisdom  Littérature  ofthe  Bible.  (Première  conférence  sur  les  Livres 
Sapientiaux  donnée  par  le  Dr  Ryle  et  recueillie  par  H.  E.  Winton. 
L'évèque  de  Winchester  y  retrace  successivement  l'histoire  des  «  Sages  » 
en  Israël  et  de  la  «  Sagesse  »  Israélite.  Classification  des  domaines 
divers  de  cette  Sagesse  etdes  écrits  où  elle  s'est  exprimée.)  pp.  129-137. 
—  H.  B.  SwETE.  The  Gospels  in  the  Second  Centunj.  (Décrit  le  mouve- 
ment qui,  dans  la  seconde  moitié  du  deuxième  siècle,  aboutit  à  la  cano- 
nisation de  nos  quatre  Évangiles  et  d'eux  seuls,  précise  l'état  du  texte  à 
cette  époque,  et  expose  les  premiers  essais  qui  furent  faits  de  les  tra- 
duire en  d'autres  langues  que  le  grec.)  pp.  138-155.  —  C.  F.  Burney. 
The  Rise  of  a  Helief  in  a  Future  Life  in  IsraeL  IV.  71ie  Apocahjptic 
Littérature.  (Caractérise  la  littérature  apocalyptique  et  marque  ses  rap- 
ports avec  la  littérature  prophétique.  Étudie  haïe  xxiv-xxvii  (attente 
d'une  résurrection  des  Israélites  pieux)  ;  Daniel  (résurrection  plus  éten- 
due et  dont  bénéficient  même  les  méchants)  ;  Hénoch  éthiopien  et  ses 
conceptions  messianiques.)  pp.  156-174.  —  W.  J.  Davies.  War  Jésus  a 
Disciple  of  John  the  Baptist  ?  (Plus  grand  que  Jean,  Jésus  est  cependant 
son  disciple  et  le  mouvement  auquel  il  a  donné  impulsion,  plus  large 
et  plus  profond  que  celui  de  Jean,  se  rattache  pourtant  à  ce  dernier, 
l'absorbe  et  le  développe.  La  conscience  messianique  de  Jésus,  quoique 
existant  déjà  sous  forme  de  pressentiment,  reçut  afîermissement  des 
actes  et  déclarations  de  Jean.)  pp.  175-186.  —  T.  W.  Crafeh.  The  Conne- 
xion between  St.  Jude  and  i/<e  iya(;/?///cfli.  (Signale  le  parallélisme  entre 
le  début  du  Magnificat,  Luc  i,  46,  47,  49'',  51,  et  l'épitre  de  saint  Jude, 
24-25  ;  il  l'explique  par  une  réminiscence  de  la  part  de  saint  Jude  qui 
aurait  connu  le  cantique  de  la  Mère  de  Jésus.)  pp.  187-191.  —  B.  Weld, 
0.  S.  B.  «  The  Bridge  of  Asia  ».  (Il  s'agit  de  la  Palestine  ou  plus  préci- 
sément de  la  plaine  de  Saron.  Montre  par  un  sommaire  exposé  de  l'his- 
toire des  guerres  anciennes  dans  l'Asie  antérieure  que  la  plaine  de 
Saron  vit  en  effet  passer  toutes  les  expéditions  militaires  des  grands 
empires  et  leur  servit  de  route.)  pp.  202-212. 

IRISH  THEOLOGICAL  QUARTERLY  (THE).  Janv.  —  J.  Shine.  The 
Place  of  Modernism  as  a  Philosophy  of  Religion.  (Comme  philosophie 
religieuse,  le  Modernisme  exposé  dans  la  récente  Encyclique  offre  quatre 
caractéristiques  principales  :  substitution  du  sentiment  à  la  connais- 
sance, participation  de  toute  l'âme  à  chacun  de  nos  actes,  volontarisme, 
conception  évolutionniste  de  la  vérité.  L'auteur  situe  ces  théories  dans 
l'ensemble  de  la  spéculation  philosophique  récente  à  laquelle  il  montre 
que  Kant  surtout  a  donné  le  branle.)  pp.  22-31.  —  J.  Me.  Rory  llie  Au- 
Ihorship  of  the  Fourlh  Gospel  (.Nouvel  exposé  des  témoignagnes  histori- 
ques en  faveur  de  l'attribution  du  IV«  Évangile  à  Jean  l'Apôtre  qui  en  est 


428         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

tout  ensemble  l'auleiir  et  le  rédacteur.)  pp  50-72.  —  "\V.  Me  Donald.  The 
Livinrj  Wage.  (Admet  le  droit  de  l'ouvrier  au  salaire  suffisant  pour  vivre, 
mais  critique  quelques  unes  des  bases  morales  que  le  Dr  Harty  assigne 
à  ce  droit.  Relient  uniquement  le  principe  du  juste  prix  et  expose  la 
manière  dont  il  le  conçoit.  N'admet  pas  que  «  l'acheteur  soit  obligé  de 
payer  un  prix  qui  permette  à  l'employeur  de  donner  à  ses  ouvriers  le 
salaire  suffisant  pour  vivre  »)  pp.  73-82.  —  .1.  Me.  Caffrey.  The  Origin 
and  Développement  of  Calhedral  and  Collégiale  Chapters  in  the  Irish 
Chnrch  (à  suivre).  (Les  Chapitres  de  chanoines  séculiers  n'apparaissent 
en  Irlande  qu'à  la  fin  du  XII''  siècle.  iN'y  a-t-il  pas  eu  avant  cette  date 
de  vie  canoniale  ?  L'organisation  ecclésiastique  d'Irlande  était-elle,  à  la 
période  celtique,  purement  monastique  ?  L'auteur,  après  avoir  esquissé 
l'histoire  de  la  vie  canoniale  sur  le  continent,  montre  que  saint  Patrice 
a  introduit  en  Irlande,  non  pas  un  régime  purement  monastique,  mais, 
en  même  temps  que  des  groupements  de  moines  et  de  vierges,  des 
organisations  ecclésiastiques  mi-monastiques  et  mi-séculières  analogues 
à  celles  qu'il  avait  pu  voir  dans  le  midi  de  la  Gaule.  Le  monasticisme 
de  l'Église  irlandaise  n'a  jamais  existé.)  pp.  83-94. 

JAHRBUCH  FUR  PHILOSOPHIE  UND  SPEKULATIVE  THEOLOGIE. 
XXII,  3.  —  P.  Jos.  Leumssa,  0.  M.  Cap.  Zur  Konlemplation.  ^Quelques 
remarques  au  sujet  de  l'article  du  P.  Joseph  du  Saint-Esprit,  même 
revue,  XXII,  p.  436  svv.:  Das  Wesen  der  konlemplation. h'3i\ileuv  y  reven- 
dique une  place  pour  saint  François  de  Sales  dont  il  résume  la  doctrine 
sur  la  matière,  et  donne,  d'après  l'original  français  des  œuvres  de 
l'abbé  Saudreau,  la  notion  de  contemplation  exposée  par  ce  dernier.  A 
rencontre  du  P.  Joseph  du  Saint-Esprit,  il  la  croit  conforme  à  l'exposé 
des  anciens  maîtres,  et  maintient  la  distinction  de  contemplation  ordi- 
naire et  extraordinaire,  telle  que  l'explique  Saudreau.)  pp.  276-284.  — 
P.  DoM.  M.  PRiJMMER,  0.  Pr.  Bilderverehning  und  Kreuzesanbelung 
nach  dem  NI.  Thomas  von  Aquin.  ^Commentaire  de  la  qu.  25  de  la 
IIP  Partie  de  la  Somme  Ihéologique  à  l'efTet  de  trancher  un  débat  mené 
dans  le  Tablel  (n"*  de  Juin  à  Septembre.  Trois  principes  résument  la 
doctrine  de  saint  Thomas  sur  ce  point:  1.  Dieu  seul  peut  être  adoré 
par  un  culte  de  latrie.  C'est  de  foi.  2.  La  vénération  que  l'on  porte  à 
l'image  s'adresse  directement  au  prototype,  à  la  personne  représentée 
par  l'image.  3.  Les  choses  inanimées  ne  sont  pas  de  soi  susceptibles  de 
vénération  ;  il  faut  toujours  qu'elles  soient  mises  en  rapport  avec  un 
être  raisonnable.  Saint  Thomas  n'a  absolument  rien  enseigné,  qui  soit 
contraire  aux  Conciles  de  Xicée  ou  de  Trente),  pp.  284-305.  —  Fr.  W. 
SeuLossiNGER,  0.  Pr.  Die  Erkenntnis  der  Engel.  {l"  avl'icle)  Des  Pr^eain- 
bula  traitent  de  l'existence  et  de  la  nature  des  anges. L'existence  des  anges 
nous  est  clairement  prouvée  par  l'Écriture.  Il  est  de  foi  que  ce  sont  des 
êtres  raisonnables,  personnels,  doués  de  liberté  et  spécifiquement  dis- 
tincts de  l'homme.  La  spiritualité  des  substances  angéliiiues  n'est  pas 
objet  de  foi,  mais  un  point  de  doctrine  proximum  fidei.  —  Connais- 
sance des  anges.  La  réalité  de  leur  connaissance  est  mise  hors  de 
doute  par  la  sainte  Écriture,  les  Pères  et  le  magistère  ecclésiastique. 
Examen  delà  connaissance  naturelle  desanges.  1.  Leur  faculté  cognas- 


RECENSION     DES     REVUES  429 

citive:  ce  n'est  pas  leur  essence,  mais  une  puissance  distincte  de  l'es- 
sence. Cependant,  il  n'y  a  en  eux  ni  intellect  possible,  ni  intellect  agent, 
au  sens  strict  de  ces  mots;  mais  tout  simplement  une  intelligence. 
2.  Les  formes  de  ^intellect  angéliqiie  :  Il  n'a  pas  besoin  de  formes  pour 
connaître  sa  propre  substance;  des  formes  lui  sont  nécessaires  pour  la 
connaissance  des  choses  extérieures  à  son  essence,  non  pas  pour  les 
connaître  secundum  rationemcommunem  —  son  essence  lui  suffit  pour 
cela — ,  mais  pour  les  connaître  secundum  sua  propria.)  pp.  325-3i9.  — 
Pf.  0.  WiTZ.  Zum  Begri/fder  Apologetik.)  Réponse  aux  remarques  faites 
par  le  Prof.  Weber  touchant  la  notion  d'apologétique,  défendue  par 
l'auteur  (Schill,    Jlieologische  Prinzipienlehre-,  2'So.)  pp.   3.50-333. 

JOURNAL  (THE)  OF  PHILOSOPHY,  PSYCHOLOGY  AND  SCIENTIFIC 
METHODS.  10  Oct.  —G.  Stuart  Flllertgn.  The  Dociiine  of  the  Eject. 
II.  (Après  avoir  essayé  de  fonder  sur  une  connaissance  immédiate  la 
croyance  à  d'autres  esprits  semblables  aux  nôtres,  M.  Taylor  a  dû 
revenir  à  la  preuve  du  sens  commun  ou  argument  par  analogie  qu'il 
avait  d'abord  regardée  comme  insuffisante.)  pp.  o61-o67.  —  Discussion. 
A.  Vt,\  MooRE.  Professor  Per^nj  on  Pragmatism.  (Bien  que  M.  Perry  ait 
été  plus  exact  que  beaucoup  d'autres  dans  son  exposé  du  pragmatisme, 
il  a  cependant  commis  quelques  erreurs.  Il  a  eu  tort  de  lui  attribuer  la 
distinction  du  sujet  et  des  idées  dans  le  processus  logique  et  la  concep- 
tion d'une  réalité  inaltérable  comme  point  de  départ  delà  connaissance, 
La  vérité  ne  consiste  pas  plus  dans  l'identité  de  l'idée  avec  le  réel  que 
dans  leur  correspondance.)  pp.  567-377.  =  24  Oct.  E.  Bradley  Me 
GiLVARY.  71ie  Physiologicai  Argument  against  Bealism.  (L'argument 
physiologique  impuissant  contre  le  réalisme  se  retourne  contre  l'idéa- 
lisme. Ou  bien,  en  effet,  les  modifications  cérébrales  n'existent  que 
lorsqu'elles  sont  perçues  et  elles  ne  peuvent  être,  en  ce  cas,  des  condi- 
tions de  la  perception,  ou  bien  elles  existent  sans  être  perçues  et  alors 
le  principe  de  l'idéalisme  est  ruiné.)  pp.  .389-601.  —  Rowland  Haynes. 
Allention  Fatigue  and  the  Concept  of  Infinitg.  (L'épuisement  de  l'atten- 
tion provenant  de  la  considération  d'éléments  indifférenciés  dans  cer- 
taines images  est  la  condition  psychologique  essentielle  de  la  conception 
d'infini.)  pp.  601-606.  =  7  Nov.  —  G.  Stuart  Fullerton.  7'he  Doctrine 
of  the  Eject.  III.  (Bien  que  l'inférence  par  laquelle  nous  affirmons  l'exis- 
tence d'autres  esprits  ne  soit  pas  susceptible  d'être  vérifiée  dans  les 
mêmes  conditions  que  les  hypothèses  des  sciences  de  la  nature,  elle 
n'en  est  pas  moins  rationnelle  et  il  est  inutile  pour  la  justifier  de  recou- 
rir à  l'instinct  comme  le  fait  M.  Strong.)  pp.  617-623.  —  Percy  Hugues. 
Concrète  Conceptual  Sgnthesis.  (Ce  n'est  pas  dans  le  sens  d'une  généra- 
lisation de  plus  en  plus  haute,  mais  dans  celui  d'une  synthèse  concep- 
tuelle concrète  toujours  plus  riche  que  doivent  s'orienter  l'histoire  et  la 
géographie.  Dans  l'enseignement  de  ces  sciences,  il  faut  faire  ressortir 
la  différence  radicale  de  ces  deux  procédés.)  pp.  623-630.  —  Bermard 
C.  Ewer,  7'he  Anti-Realistic  «  Bow  ?  ».  (Si  la  conception  réaliste  de  la 
connaissance  est  sujette  à  de  nombreuses  objections,  l'affirmation  de  la 
transcendance  qui  est  un  fait  primitif  et  irréductible  ne  doit  pas  être 
regardée  comme  une  véritable  difficulté.)  pp.  630-633.  =  21  Nov.  —  .\. 


430         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Ek.nest  Davies.  Imagination  and  Thought  in  Human  Knowledge.  {Le  rôle 
de  l'imaginafion  dans  la  connaissance  a  été  jusqu'ici  négligé  en  épisté- 
mologie  ;  il  est  cependant  possible  de  concevoir  l'imagination  de  telle 
sorte  qu'elle  serve  comme  instrument  de  vérité.)  pp.  645-655.  —  S.  Ivory 
Fkanz.  Psycliology  ai  livo  International  Scientific  Congresses.  (Compte 
rendu  des  travaux  de  psychologie  présentés  au  7«  congrès  international 
des  physiologistes  de  Heidelberg  [Août  1907]  et  au  1"  congrès  inter- 
national de  psychiatrie,  neurologie  et  psychologie  d'Amsterdam  [Sep- 
tembre 1907].)  pp.  655-639.  —  Wendel  T.  Bush.  Sub  Specie  jEternilalis. 
(Il  importe  de  distinguer  en  métaphysique  les  «  problèmes  principaux  » 
qui  surgissent  de  la  condition  actuelle  du  monde  des  «  problèmes  secon- 
daires »  constitués  par  des  contradictions  entre  des  conceptions  tradi- 
tionnelles ou  entre  celles-ci  et  l'expérience  contemporaine.)  pp.  659-673. 
=^  5  Dec.  —  Mary  Whiton  Calkins.  Psychology  :  What  is  it  about?  (La 
définition  et  la  classification,  en  dépit  de  la  méfiance  dont  elles  sont 
l'objet,  doivent  jouer  en  psychologie  un  rôle  important  sinon  primordial. 
Représenter  la  psychologie  comme  la  science  des  idées  (états  de  con- 
science) ou  comme  la  science  des  fonctions  mentales,  c'est  en  donner 
une  définition  inadéquate  ;  elle  est,  en  réalité,  la  science  du  moi  qui 
possède  ces  idées,  qui  accomplit  ces  fonctions.)  pp.  673-683.  —  E. 
Bradley  Me  GiLVARY.  Realisiii  and  Ihe  Physical  World.  (Le  dilemme  où 
l'on  prétend  enfermer  le  réalisme  —  ou  toutes  les  qualités  perçues  sont 
identiques  aux  qualités  réelles,  ou  aucune  ne  l'est,  —  laisse  place  a  une 
troisième  alternative  :  l'identité  existe  en  certains  cas,  en  d'autres  elle 
est  absente.  Énumération  des  critères  au  moyen  desquels  nous  pouvons 
distinguer  les  premiers  des  seconds.)  pp.  688-682.  =  19  Dec.  —  G.  Yai- 
LATi.  J'he  Altack  on  Distinctions.  (Les  efforts  tentés  par  la  critique 
philosophique  pour  abolir  les  distinctions  communément  admises, 
n'aboutissent  qu'à  introduire  de  nouvelles  distinctions  presque  toujours 
plus  nombreuses  et  plus  importantes  que  les  premières.)  pp.  701-709. 
—  Discussion.  S.  Edward  Lang.  Logic  and  Educational  Theory.  (Réponse 
aux  critiques  élevées,  par  le  Prof.  Hibben,  dans  sa  recension  del'ouvrage 
de  l'auteur  :  A  Primer  of  General  Melhod,  contre  le  point  de  vue  prag- 
matiste  de  ce  livre.)  pp.  709-713.  =  2  Janv.  —  Arthur  0.  Lovejoy.  The 
Thirteen  Pragmatisms.  I.  (\\  faut  distinguer  soigneusement  dans  le  prag- 
matisme la  théorie  de  la  signification  des  propositions  de  celle  du 
critérium  qui  permet  d'en  établir  la  légitimité.  Il  faut  distinguer  aussi 
les  conséquences  pratiques  impliquées  dans  une  proposition,  qu'on  y 
adhère  ou  non,  de  celles  qui  dépendent  de  l'adhésion  qu'on  y  donne.) 
pp.  3-12.  —  Mary  W.  Calkins.  Psychology  as  Science  of  Self.  I.  Is  the 
Self  Body  or  Bas  it  Body?  (Le  moi  n'inclut  ni  n'exclut  le  corps;  le  moi 
a  un  corps  dont  il  est  distinct  bien  qu'en  relation  étroite  avec  lui.  La 
fonrtion  propre  de  la  psychologie  est  de  décrire  les  faits  de  conscience  ; 
les  explications  empruntées  à  la  physique,  à  la  physiologie  et  même  à  la 
biologie,  fussent-elles  complètes  et  vérifiées,  ne  peuvent  être  considérées 
que  comme  un  supplément  à  cette  œuvre  fondamentale.)  pp.  12-20. 

JOURNAL  DE  PSYCHOLOGIE  NORMALE  ET  PATHOLOGIQUE.  Janv.- 

Fév. —  G.  Dumas.  Qu'est-ce  que  la  psychologie  pathologique  ?  (La  psycho- 


RECENSION     DES     REVUES  431 

logie  y)Mlliologique  a  pour  objet  d'établir  les  lois  psychologiques  de  nos 
états  morbides  et  de  conclure,  si  possible,  aux  lois  psychologiques  de  nos 
étals  normaux.  L'auteur  étudie  en  particulier  comment  laméthode  princi- 
palement unalytique  de  la  psychologie  pathologique  doit  se  distinguer  de 
la  méthode  synthétique  employée  par  le  médecin  aliéniste  en  vue  du 
traitement  des  affections  mentales.  Un  principe  important  qui  doit  gou- 
verner la  psychologie  pathologique  dans  son  étude,  c'est  qu'il  faut 
moins  s'attacher  au  contenu  logique  de  l'esprit  de  l'aliéné  observé,  que 
chercher  à  découvrir  les  lois  biologiques,  ou  les  lois  psychologiques 
élémentaires  qui  régissent  son  automatisme  inconscient.)  pp.  10-22. 
=  Mars-Avril.  --  H.  Piron.  La  question  du  siège  des  émotions  et  la 
théorie  périphérique.  (Répond  aux  critiques  et  difficultés  soulevées  par 
M.  Revaut  d'Allonnes  touchant  l'hypothèse  de  la  localisation  corticale 
de  l'émotion.)  pp.  J6(!-lfi8. 

NEW-YORK  REVIEW  (THE).  Nov-Déc.  -  Th.  Gerhard.  Divine 
Personality.  (Notion  de  la  personnalité  d'après  saint  Thomas  et  la  philo- 
sophie moderne.  De  quelle  manière  les  éléments  essentiels  de  la  person- 
nalité se  trouvent  réalisés  en  Dieu.')  pp.  243-2.57.  —  D.  Barry.  7 he  True 
Funclion  of  Expérience  in  Belief.  (L'expérience  des  œuvres  de  la  grâce 
divine  dans  nos  âmes  et  la  valeur  que  possèdent  certaines  doctrines  au 
point  de  vue  de  la  vie  spirituelle  concourent,  avec  l'autorité  de  Dieu, 
à  convaincre  l'intelligence  de  la  vérité  religieuse  et  à  édifier  la  vertu 
dans  les  cœurs.)  pp.  2.')8-267.  —  F.  Duffy.  The  Current  Science-Philoso- 
phy.  (Le  philosophe  ne  saurait  ignorer  les  résultats  positifs  de  la 
science.  Mais  la  science  ne  peut  prétendre  se  substituera  la  philosophie. 
L'impuissance  du  monisme  à  expliquer  les  rapports  de  la  matière  et  de 
l'esprit  en  est  une  preuve.)  pp.  268-291.  —  A.  Roussel.  A  Sludy  in 
Buddhism  (à  suivre).  (L'auteur  aborde  une  série  d'études  sur  le 
bouddhisme.  La  première  est  consacrée  à  la  persoime  même  du  Boud- 
dha: «  Nous  nous  efforcerons  de  distinguer,  dans  la  vie  du  Bouddha, 
les  éléments  historiques  et  les  éléments  légendaires,  en  examinant,  au 
point  de  vue  critique,  ce  qui  est  connu  ou  tout  au  moins  affirmé  sur  sa 
jeunesse,  les  commencements  et  la  durée  de  sa  prédication  et  sur  sa 
mort.  ))^  pp.  292-312.  —  G.  Oussani.  The  Virgin  Birlh  of  Christ  and 
modem  Criticism  (à  suivre).  (Après  avoir  résumé  l'histoire  de  la  contro- 
verse relative  au  dogme  qui  affirme  la  naissance  virginale  du  Christ, 
l'auteur  établit  que  ce  dogme  est  en  même  temps  un  fait  historique 
inattaquable  et  qu'il  n'a  pu  être  le  résultat  d'un  simple  développement 
théologique.)  pp.  313-341. 

MIND.  Janv.  —  IIurert  Foston.  ISon-PhenomenaUly  and  Otherness. 
(Il  faut  chercher  le  fondement  assuré  de  notre  croyance  à  des  êtres 
distincts  de  nous  dans  la  conscience  de  notre  activité  en  tant  qu'elle 
s'oppose  à  la  conscience  de  nos  sensations  et  aussi  dans  le  sentiment. 
On  trouve  là  de  part  et  d'autre  des  éléments  qui  dépassent  le  plan  des 
phénomènes.)  pp.  1-19.  —  The  Editor.  Immediacy,  Mediacy  and  Cohé- 
rence. (11  existe  des  connaissances  immédiates,  données  sensibles  ou 
principes  évidents  par  eux-mêmes.  La  cohérence  prise  en  elle-même  ne 


432         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

peut  pas  être  le  critérium  unique  de  la  vérité  ;  elle  doit,  en  dernière 
analyse,  avoir  pour  fondement  quelque  connaissance  immédiate. Examen 
de  quelques  objections.)  pp.  20-47.  —  Mary  II.  Wood.  IHalo's  Psycholo- 
gy  in  its  bearing  on  the  Development  of  Will  (à  suivre).  (Platon  a  consi- 
déré l'esprit  comme  un  tout  et  ne  l'a  pas  divisé  en  facultés.  Étude  du 
développement  de  Tesprit  dans  sa  philosophie,  de  ses  idées  sur  l'appé- 
tit et  l'émotion.)  pp.  iS-TS. — Ç,\^\En\W.E\X).  A  Poxthumous  Chapler 
hy  J.  S.  Mill.  (L'écrit  posthume  de  Mill  intitulé  :  On  social  Freedom, 
dénote  un  changement  d'opinion  sur  le  rôle  des  motifs  en  morale  et 
achève  de  mettre  en  lumière  la  ressemblance  de  son  éthique  avec  celle 
de  Hutcheson.)  pp.  74-78. 

QUESTIONS  ECCLÉSIASTIQUES  (LES).  Janv.  —  J.  Â.  Chollet.  La 
morale  modernisle.  (Il  y  a  une  morale  moderniste,  elle  est  évolutionniste 
et  subjective.  Par  là  elle  s'oppose  à  la  morale  catholique  qui  ne  peut 
s'accommoder  de  l'évolution,  est  avant  tout  objective  et  en  conséquence 
immuable  dans  ses  préceptes.)  pp.  13-24.  —  J.  Pra,  S.  J.  htude  ihéolo- 
gique  sur  V Eucharislie.  (Les  scolastiques  modernes,  qui  ne  s'accordent 
pas  entre  eux.  difTèrent  des  anciens  scolastiques  sur  la  transsubstan- 
tiation et  le  mode  sacramentel  de  présence  du  Sauveur  dans  l'Eucha- 
ristie.) pp.  38-52.  =  Fév.  —  J.  A.  Chollet.  La  morale  moderniste 
(2^  art.).  (Le  modernisme,  ayant  vidé  de  son  contenu  l'idée  d'un  Dieu 
personnel,  ayant  supprimé  les  fondements  objectifs  de  l'action  morale, 
s'est  réfugié  dans  la  conscience,  et  dans  la  conscience  commune^  pour  y 
trouver  la  source  de  nos  obligations.  Mais  la  conscience  commune  ne 
peut  éclairer  l'action  humaine,  car  elle  n'existe  pas  toujours  ;  elle  ne 
peut  avoir  force  obligatoire,  car  elle  n'a  pas  plus  de  force  obligatoire 
que  les  consciences  individuelles  dont  elle  est  formée  ;  enfin  elle  est 
impuissante  à  fournir  des  sanctions  proportionnées  et  suffisantes.) 
pp.  97-107.  —  J.  Pra,  S.  J.  Elude  Ihéologique  sur  V Eucharistie  (2^  art.). 
(A  rencontre  de  quelques  théologiens  modernes,  l'auteur  établit  théolo- 
giquement  l'opinion  des  théologiens  scolastiques,  reprise  par  le  R.  P. 
Billot,  selon  laquelle  le  corps  du  Christ  a  par  concomitance  dansl'Eucha- 
ristie  ses  dimensions,  sa  stature,  sa  figure,  ses  qualités  naturelles,  la 
transsubstantiation  ne  modifiant  rien  en  lui.)  pp. 122-134. —  H.  Qlilliet. 
Eévolution  et  le  modernisme.  (L'évolution  est  posée  à  la  base  de  toute 
la  théorie  moderniste.  Voulant  critiquer  celle-ci,  l'auteur  envisage 
d'abord  l'évolution  vitale  appliquée  au  dogme.  Dans  ce  premier  article 
il  détermine  l'idée  catholique  du  dogme  et  de  son  développement.  Les 
deux  éléments  objectifs  qui  constituent  l'essence  même  du  dogme  sont 
la  révélation  de  Dieu  et  la  proposition  de  l'Église  ;  quant  au  développe- 
ment dogmatique,  il  est  ainsi  circonscrit  :  l'identité  substantielle  des 
concepts  révélés  doit  se  retrouver  sans  autre  changement  qu'un  change- 
ment modal,  passage  de  l'état  confus  à  l'état  défini,  de  l'implicite  à 
l'explicite.)  pp.  1.35-148.  =  Mars.  —  T.  Thamiry.  Science  et  Foi.  (Entre 
la  science  et  la  foi  il  y  a  la  métaphysique  et  c'est  sur  le  terrain  de  cette 
dernière  seulement  que  les  conflits  sont  possibles.  Les  dogmes  étendent 
le  champ  de  notre  vision  intellectuelle  sans  violer  l'immanence  de  notre 
vie  rationnelle.  L'homme  n'est  pas  condamné   au  nominalisme  scienti- 


RECENSIOX     DES     REVUES  433 

fique  et  à  l'agnosticisme  religieux.)  pp.  193-204.  —  H.  Quilliet.  L'évolu- 
tion el  le  modernisme.  Ch.  I.  L'évolution  vitale  et  le  dogme.  (Expose 
l'idée  moderniste  de  la  foi,  du  dogme  et  de  leur  développement,  d'après 
les  actes  du  Saint-Siège.)  pp.  219-244. 

RAZON  Y  FE.  Janv.  —  L.  Murillo.  La  enciclica  Pascendi  dominici 
gregis  sobre  el  modernismo.  (Repousse,  au  point  de  vue  tliéologique,  les 
conséquences  déduite;  de  Vimmanentisme,  surtout  en  ce  qui  regarde 
les  Sacrements,  l'Écriture  Sainte  et  l'Église.  Examine  ensuite  la  valeur 
philosophique,  logique,  critique  du  système  moderniste.)  pp.  24-39.  — 
E.  Ugarte  de  Ercilla.  Derechos  armônicos  y  exclusivos  de  la  fîlosofia 
escolàstica  à  la  psicologla  expérimental.  (Seule  la  philosophie  scolastique 
peut  présenter  un  système,  des  théories,  des  titres  ou  documents  pour 
donner  une  valeur  aux  travaux  de  psychologie  expérimentale,  parce 
que  seule  elle  peut  justifier  ces  trois  faits  indiscutables  :  l'irréductibilité 
des  phénomènes  psychiques  aux  phénomènes  physiologiques,  leur 
corrélation  mutuelle  et  une  certaine  hégémonie  des  uns  sur  les  autres. 
Prouve  cette  affirmation  en  réfutant  le  monisme  matérialiste,  le  pan- 
psychisme  moniste,  le  parallélisme,  le  dualisme  cartésien  et  celui  de 
l'influxus  physique  et  en  défendant  le  dualisme  scolastique.)  pp.  61-75. 
=^  Fév.  —  A.  M.  DE  Elorriaga.  £1  magisterio  de  la  Iglesia  segiïn  el  mo- 
dernismo (à  suivre).  (Expose  les  affirmations  des  modernistes  sur  le 
magistère  de  l'Église,  recherche  leur  fondement,  établit  leurs  relations 
avec  le  nouveau  Syllabus.)  pp.  160-170. =  Mars.  —  A.  M.  de  Elorriaga. 
El  magisterio...  (Réfute  les  affirmations  des  modernistes  sur  le  magi- 
stère de  l'Église  par  la  Constitution  Pastor  yElernus  du  concile  du 
Vatican.)  pp.  339-352. 

REVUE  AUGUSTINIENNE.  15  Janv.  —  L.  Talmont.  Philonel  la  pensée 
chrétienne  primitive.  (Il  y  a  deux  hommes  en  Philon  :  le  Juif  à  l'ortho- 
doxie rigide, à  la  piété  profonde,  qui  s'inspire  et  se  nourrit  de  l'Écriture  ; 
l'helléniste  que  séduisent  la  philosophie  et  la  littérature  grecques.) 
pp.  5-20.  —  Tu.  RÉTAUD.  Neivman  et  le  Neivmanisme.  La  psychologie  de 
la  foi.  (Newmian  a  eu  tort  de  croire  qu'on  peut  se  passer  de  la  philosophie 
pour  étudier  la  foi  et  d'affirmer  que  la  raison  n'arrive  jamais  qu'à  des 
probabilités.)  pp.  21-36.  —  J.  Derambure.  Melchisédech,  type  du  Messie. 
(Royauté,  sacerdoce,  nom,  condition  biblique,  altitude,  tout  converge 
autour  de  la  royauté  et  du  sacerdoce  messianiques.)  pp.  37-62.  — 
J.  Grillon.  Qu'est-ce  que  V habitude  ?  (U h dihiinde  est  une  qualité  spéciale. 
En  elle-même,  l'habitude  est  un  phénomène  stable,  la  disposition  un 
phénomène  instable.)  pp.  63-70.  =  15  Fév.  —  S.  Protin.  La  théologie 
de  saint  Paul.  Genèse  de  la  pensée  de  saint  Paul.  (Pour  saisir  la  genèse 
de  la  théologie  de  saint  Paul,  il  faut  en  rechercher  les  éléments,  et  du 
côté  de  sariche  nature,  et  du  côté  des  révélations  de  Jésus.  Si  loin  que 
s'étende  l'influence  religieuse  et  doctrinale  de  la  première  apparition 
du  Christ,  il  ne  faut  pas  y  chercher  toute  la  théologie  de  saint  Paul.  Son 
élaboration  se  poursuit  pendant  les  trois  années  de  retraite  en  Arabie 
et  celles  qu'il  passa  dans  la  demi-obscurité  de  Tarse.)  pp.  162-185.  — 
A.  UiNTERLEiDNER.  L'effet  immédiat  des  Sacrements.  (L'effet  immédiat  des 

2^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  2.  28  • 


434         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Sacrements  serait  la  grâce  sacramentelle,  mais  la  grâce  sacramentelle 
considérée  au  sens  large,  c'est-à-dire  la  grâce  sanctifiante  ou  grâce 
des  vertus  et  des  dons,  accrue  des  fruits  accessoires  spéciaux  à  chacun 
d'eux.)  pp.  186-194.  =  15  Mars.  —  J.  Deligny.  La  bénédiction  de  la  fin 
de  la  messe.  (La  coutume  de  faire  suivre  Vite  missa  est  de  la  bénédiction 
est  empruntée  aux  usages  romains.  Les  évêques  durent  insensiblement 
usurper  ce  rite  d'abord  réservé  au  Pape.  Celte  bénédiction  ne  fut  per- 
mise au.K  prêtres  que  vers  le  XI^  siècle.)  pp.  31G-321. 

REVUE  BÉNÉDICTINE.  Janv.  —  D.  G.  Morix.  Les  «  Dicta  »  d'Hériger 
sur  C Eucharistie.  («  L'opuscule  sur  l'Eucharistie  attribué  à  Hériger  par 
Sigebert  et  le  catalogue  de  Lobbes  de  1049  est  bien  véritablement  cette 
petite  collection  de  textes,  de  tout  point  impersonnelle,  que  contiennent 
les  trois  mss.  de  Gand,  de  Bruxelles  et  de  Liège.  —  Mais  rien  n'empê- 
che que  le  traité  de  l'anonyme  de  Cellot,  autrement  dit  le  Dicta  abbatis 
Herigeri,  ne  soit  également  l'œuvre  de  l'abbé  de  Lobbes,  comme  l'avait 
cru  Mabillon;  au  contraire,  la  comparaison  des  Dicta  avec  YExaggeratio 
induit  naturellement  à  admettre  l'identité  d'auteur.  L'attribution  à  Ger- 
bert  doit,  décidément,  être  abandonnée.  —  Mabillon  a  encore  deviné 
juste  quand  il  a  proposé  d'identifier  le  Dicta  rujusdam  sapientis  du 
recueil  de  Gembloux  avec  la  lettre  perdue  de  liaban  Maur  à  Eigil  de 
Priim  ;  mais  il  ne  s'est  pas  aperçu  que  la  seconde  moitié  de  cette  lettre 
était  dirigée  contre  un  adversaire  autre  et  plus  haut  placé  que  Pascase 
•Radbert...  »)  pp.  1-18.  — D.  P.  De  Meester.  études  sur  la  théologie 
orthodoxe  (Suite).  (3.  Le  monde  matériel.  La  cosmogonie  de  la  Genèse 
(attribuée  à  Moïse)  est  vraie.  Une  double  création  :  tirer  du  néant  la 
matière  puis  l'organiser.  Il  faut  rejeter  tout  transformisme.  4.  L'homme. 
Origine  :  récit  de  la  Genèse.  Nature  :  composé  de  corps  et  d'âme,  non 
de  corps,  âme  et  esprit.  Peu  de  spéculation  sur  la  nature  de  l'âme.  Ori- 
gine de  l'âme  :  quelques  théologiens  soutiennent  le  traditionisme,  d'au- 
tres le  créationisme,  médiat  ou  immédiat.)  pp.  72-82.  —  D.  G.  Morin. 
Le  commentaire  inédit  sur  les  LAX  Psaumes  du  ms.  18  d' Einsiedeln. 
(Date  probablement  du  YIII^  s.,  et  fut  composé  soit  dans  la  région  de 
Home,  soit  en  Germanie.  L'auteur,  un  certain  Adelbert  pourrait  être, 
ou  le  premier  abbé  de  Pfavers  (Fabariae),  ou  le  B.  Ambroise  Autpert, 
abbé  de  Saint-Vincent  au  Vulturne  (2'^  moitié  du  YIII«  s.),  pp.  88-94. 

REVUE  BIBLIQUE.  Janv.  —  A.  Durand.  Les  frères  du  Seigneur. 
(L'exégèse  qui  fait  de  ces  personnages  des  frères  de  Jésus,  nés  de  la 
même  mère,  est  incompatible  avec  le  dogme  de  la  perpétuelle  virginité 
de  Marie.  Au  sujet  de  leur  degré  de  parenté  avec  Jésus,  il  n'existe 
aucune  donnée  dogmatique  proprement  dite.  L'on  tend  présentement  à 
les  considérer  comme  des  cousins  paternels  de  Jésus  et  à  les  diviser  en 
deux  groupes  issus,  le  premier  de  Clopas,  frère  de  Joseph,  et  le  second 
de  Marie,  femme  d'Alphée,  sœur  de  Joseph.)  pp.  9-35. —  M.  J.  Lagr.^xge, 
Le  règne  de  Dieu  dans  l'Ancien  Testavient.  (Dans  l'A.  T.  le  règne  de 
Dieu  s'entendait  de  trois  manières  :  Dieu  était  roi  d'Israël,  roi  du  monde 
et  roi  des  élus.  Ce  dernier  titre  se  référait  à  l'eschatologie  particulière. 
II  apparaît  seulement  dans  les  livres  grecs  de  l'A.  T.  La  conception 


RECENSION     DES     REVUES  435 

«  roi  d'Israël  »  est  plus  ancienne  que  celle  de  «  roi  du  monde  »,  formu- 
lée en  termes  catégoriques  pour  la  première  fois  dans  Daniel.  Mais  ce 
ne  sont  point  des  idées  tellement  distinctes  que  Tune  ait  supplanté 
l'autre  ;  c'^st  toujours  le  même  Dieu  et  le  même  Roi.)  pp.  36-61.  — 
P.  Dhorme.  L Élégie  de  David  sur  Saïil  et  Jonathan.  (Traduction  et 
exégèse  du  morceau  connu  sous  le  nom,  injustifié,  de  «  Chant  de  l'arc  », 
//.  Sam.,  i,  17-27.)  pp.  62-74.—  D.  De  Bruyne.  Une  concordance  biblique 
d'origine  pélagienne.  (Il  s'agit  d'une  Concordia  epistolarum  Pauli,  qui 
existe  en  deux  recensions,  l'une  plus  brève  et  que  l'auteur  tient  pour 
primitive,  l'autre  plus  longue  et  représentant  une  amplification  tardive 
de  la  première.  La  recension  brève  et  primitive  ofïre  quelques  particu- 
larités en  petit  nombre  qui  sont  signalées.)  pp.  75-83.  —  M.  Lepin.  A 
propos  de  l'origine  du  Quatrième  Evangile.  (Prenant  occasion  d'une  cri- 
tique de  M.  Ladeuze  expose  les  raisons  qui  le  portent  à  affirmer  la  com- 
position directe,  et  pas  seulement  médiate,  de  l'Évangile  par  le  fils  de 
Zébédée)  pp.  84-102.  —  M.  J.  Lagrange.  Za  Revision  de  la  Vulgate. 
(Signale  quelques-unes  des  questions  qui  se  posent  à  l'occasion  de  la 
mission  confiée  aux  Bénédictins  de  réunir  les  matériaux  d'une  nouvelle 
édition  de  la  Vulgate  latine,  et  qui  s'étaient  déjà  posées  à  l'époque  du 
Concile  de  Trente.  Faut-il  se  borner  à  donner  une  édition  critique  de 
l'œuvre  de  saint  Jérôme  ou  entreprendre  de  critiquer  cette  œuvre  et  d'y 
faire  des  corrections  ou  même  d'essayer  une  nouvelle  traduction  ?) 
pp.  102-113. 

REVUE  CATHOLIQUE  DES  ÉGLISES.  Janv.  et  Févr.  —  L.  Venard. 
Les  r.  tildes  bibliques  en  France,  depuis  15  ans.  (Revue  des  principales 
publications  scripturaires,  et  indication  de  leurs  tendances.  «  La 
science  biblique  a  fait  chez  les  catholiques  de  très  notable  progrès- 
...  Il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'y  ait  en  exégèse  un  sage  progressisme 
que  le  Souverain  Pontife  encourage...  L'écueil  serait  de  vouloir  élever 
trop  tôt  de  vastes  synthèses  qui  risqueraient  de  reposer  sur  des  données 
insuffisamment  établies.  L'œuvre  est  aux  patientes- analyses,  aux  études 
de  détail  »).  pp.  3-17  ;  69-87. 

REVUE  DU  CLERGÉ  FRANÇAIS,  l^-"  Janv.  —  E.  Vacandard.  Les 
fêtes  de  Noël  et  de  V Epiphanie.  (Décrit  la  manière  dont  se  célébrait, 
au  cours  des  siècles,  leur  solennité.)  pp.  5-24.  —  G.  Michelet.  L'expé- 
rience religieuse  d'après  M.  William  James.  (L'explication  de  l'origine 
de  la  religion  par  le  subconscient  est  une  fantaisie  psychologique  et  ne 
rend  pas  compte  de  la  spécificité  du  fait  religieux.  Les  conversions 
lentes  s'expliquent  par  une  conviction  raisonnée  et  non  par  la  poussée 
du  subconscient.  Dans  les  conversions  soudaines  obtenues  dans  l'Église 
catholique,  les  circonstances  qui  les  précèdent,  les  accompagnent  ou 
les  suivent,  sont  d'une  autre  nature  que  dans  les  conversions  citées 
par  James.  Les  extases  diffèrent  des  autres  phénomènes  pathologiques 
par  leurs  causes,  leur  mode  de  connaissance,  et  leur  mode  d'action 
consécutif.  L'interprétation  métaphysique  du  subconscient,  donnée  par 
James,  ne  satisfait  ni  le  psychologue,  ni  le  théologien,  ni  le  métaphy- 
sicien.) pp.  25-47.  =  15  Janv.  —  M.  Lepin.  La  résurrection  de  Lazare 


436         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

(Le  récit  de  la  résurrection  de  Lazare  s'iiarmonise    siifïisamment   avec 
Je  cadre  général  et  les  données  particulières  de  la  tradition  synoptique. 
Les  premiers  Évangiles  gardent  le  silence    sur   cet   épisode   important, 
mais  on  y  rencontre  des  omissions  pareilles  à  celle  qui  est  en  question. 
Les  renseignements  que  Tévangéliste  nous  fournit  sur  ces  personnages, 
ne  sont  pas  dérivés  des  textes  synoptiques  :  ils    ne    peuvent  venir  que 
d'une    information     indépendante   et  personnelle.)    pp.     129-155.    = 
1*''  Fév.  —  F.  Mallet.  L'unité  complexe  du  'problème  de  la  foi.  Méprises 
et  éclaircissements.  (Réponse  aux  critiques  formulées  contre  son    étude 
sur  la  Foi  et  la  Science  [Revue  du  Clergé  français,  l®""  et  15  Août  19061. 
Montre  qu'on  a  méconnu  complètement  le  problème  qu'il  s'était  proposé 
en  parlant  des  motifs  de  la  volonté,  des  idées  nées  de  l'action  droite  et 
bonne,  des  dispositions  morales  qui  sont   une  condition   de  l'efTicacité 
des  motifs  de  crédibilité  ;  signale  l'inconvénient   de    distinctions,  qui. 
commodes  pour  l'analyse  spéculative,    sont   fausses  dès  qu'on  prétend 
y  assujettir  la  réalité  même  ;  expose  l'unité    du  problème  de  la  foi  en 
décrivant  les  relations  réciproques  des  motifs  de  crédibilité,  de  l'inter- 
vention   de  la  volonté,  de   la   grâce.)  pp.    257-285.   =   45   Févr.   — 
E.  Mangenot.  Les  Evangiles  synoptiques.   (Analyse  critique   de  l'Intro- 
duction du  récent  ouvrage  de  M.  Loisy  [Les  Evangiles  synoptiques.  2  vol. 
in-8,  chez    l'auteur,  à  CefTonds,    près    Montier-en-Der  (Haute-Marne)  ]. 
Caractérise  la  méthode  suivie  dans  le  commentaire.)  pp.    390-416.  — 
E.  BouRGiNE.  Jésus  et  l'idéal  des  pacifistes.  (Ce  n'est  pas  le  vague  huma- 
nitarisme, qui  facilitera  la  marche  ascendante  des  pacifistes  vers  l'idéal, 
mais  le  christianisme.  Seule,  par  les  principes  qu'elle    proclame  et  par 
l'action  qu'elle  exerce,    la  doctrine  de  Jésus  peut  faire  régner  intégra- 
lement, dans  le  cœur  des  hommes,  la  justice,   la  charité,  la  fraternité, 
et,    par-dessus  tout,    cette    bonne   volonté   sans   laquelle  il  ne  saurait 
exister  de  paix  durable.)    pp.  417-427.  =  l*""  Mars.  —  L.    Désers.    La 
crise   religieuse  au  point  de  vue  intellectuel.  (Réfutation  des  objections 
courantes  contre  Dieu,  le  miracle,  la  Bible.)    pp.    513-541.  =  15  Mars. 
—  E.  HuGUENY,  0.  P.  Imperfection  et  péché  véniel.  (L'imperfection  n'est 
qu'un   nom.  L'omission    délibérée    de   l'œuvre  de   conseil  est  toujours, 
dans  le  juste,  ou  mérite,   ou  péché  véniel.)  pp.  641-660.  —  J.  Tirmel. 
La  Sainte  Vierge  dans   l'histoire.    (Résume   la  brochure  de  M.  Herzog 
[La  Sainte   Vierge   dans   l'histoire.    Paris.    Nourry]  ;  expose  l'interpré- 
tation de  Suarez,  Cano,  Petau  sur  le  témoignage  de  la  tradition   relati- 
vement à  l'Immaculée  Conception,  à  l'impeccabilité  de  la  Sainte  Vierge, 
à  sa  virginité  in  parla  el  post  parlum.)  pp.  661-670. 

REVUE  D'HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE.  Janv.  —  E.  Tobac.  La  diy.y.to- 
aûvri  Qeov  dans  saint  Paul.  (Par  justice  de  Dieu,  S.  Paul  exprime  ce  concept 
avant  tout  eschalologique  de  la  volonté  salvi tique  commeattribut  divin.) 
pp.  5-18  —  F.  CuMONT.  Une  inscription  manichéenne  de  Salone.  (Publiée 
par  Mgr  Bulic  (  Bulle  tin  o  di  archeologia  Dalmata,  t.  xxix  (1906),  p.  134.) 
Fait  mention  d'une  vierge  manichéenne.  M.  F.  C.  la  croit  de  l'époque  de 
Julien  ou  de  Constantin.  Probablement  première  inscription  de  ce  genre 
trouvée  dans  l'empire  romain.)  pp.  19-20. 


RECENSION     DES     REVUES  437 

REVUE    DE  LINSTITUT  CATHOLIQUE   DE  PARIS.  Janv.-Févr.  — 

L.  Clotet.  La  Papauté  depuis  l'avènement  de  Grégoire  le  Grand  jusqu'en 
Van  SOO.  (Événements  et  caractères  généraux  de  celte  période,  u  L'his- 
toire de  la  Papauté  aux  vu*' et  viii*  siècles  contient  une  étape  de  cette 
marche  générale  du  monde  chrétien  qui  n'a  de  spécial  à  cette  époque 
que  les  conditions  où  elle  a  eu  l'occasion  de  s'accomplir.  »j  pp.  22-39.  — 
J.  GuiBERT.  Le  Déterminisme.  («Pour  porter  à  la  notion  de  liberté  un 
coup  mortel,  les  matérialistes  ont  tenté  de  réduire  l'univers,  y  compris 
les  pensées  et  les  actes  volontaires  de  l'homme,  à  un  déterminisme 
rigide.  Or,  le  déterminisme  très  réel,  établi  par  Dieu  même  pour  assurer 
l'ordre  dans  l'univers,  n'est  pas  si  rigide  que  l'homme  et  Dieu  ne 
puissent  y  introduire  des  actions  volontaires.  »)  pp.  60-86. 

REVUE  DE  MÉTAPHYSIQUE  ET  DE  MORALE.  Janv.  —  É.  Boutrolx. 
William  James  et  l'expérience  religieuse.  (Analyse  la  doctrine  de  \V. 
James:  détermination  de  l'élément  religieux  —  sa  valeur —  ses  rapports 
avec  la  science.  On  a  contesté,  sans  raison  décisive,  que  l'expérience 
religieuse  dont  parle  James  fût  une  véritable  expérience  :  ce  qui  est 
vrai,  c'est  que  cette  expérience  est  mélangée  de  foi,  comme,  dans  la 
pensée  de  James,  toute  autre  connaissance.  On  s'est  demandé  plus 
justement  jusqu'à  quel  point  elle  méritait  d'être  appelée  religieuse:  la 
foi  renferme  des  éléments  intellectuels,  extérieurs  et  traditionnels,  qui 
lui  paraissent  indispensables.  James  néglige  aussi,  à  tort,  le  caractère 
social  de  la  religion,  qui  peut  avoir  en  lui-même  une  valeur  religieuse ~' 
et  constitue,  de  toute  façon,  l'une  des  parties  essentielles  de  la  religion 
même  personnelle.)  pp.  1-27. —  H.Bergson.  A  propos  de  l\<.  Évolution. 
de  iintelligence  géométrique  ».  (Réponse  aux  observations  de  M.  Borel. 
Celui-ci  s'est  mépris  sur  la  pensée  de  l'auteur  de  V Évolution  créatrice.) 
pp.  28-33.  —  H.  BouASSE.  Évolution  de  la  matière  et  physique  des  corps 
solides.  (Â  propos  de  l'ouvrage  de  M,  G.  Le  Bon.  «  On  ne  révolutionne 
pas  la  Science  :  les  physiciens  n'ont  pas  à  craindre  de  voir  réduire  à 
néant  leurs  résultats  expérimentaux  et  leurs  théories,  en  raison  même 
de  la  nature  de  la  certitude  de  ces  résultats  et  de  ces  théories.  Corré- 
lativement, la  Science  progresse  sans  se  perfectionner  :  ...  Ses  procédés 
logiques  sont  restés  identiquement  les  mêmes  depuis  les  premiers  temps 
de  son  existence  plus  ou  moins  consciente.  —  Le  progrès  de  la  Science 
consiste  à  appliquerlesméthodes  toujours  les  mêmes  à  des  sujets  de 
plus  en  plus  nombreux  ».)  pp.  'ài-ôi.  —  G.  Dwelsiiauvers.  De  l'intuition 
dans  l'acte  de  Tesprit.  (Extrait  d'un  livre  qui  paraîtra  prochainement 
sous  ce  titre  :  la  Synthèse  mentale,  ch.  I,  §3,  fin.  «  C'est  de  l'intuition 
que  part  l'analyse  et  c'est  à  elle  qu'elle  aboutit.  »  Distincte  du  savoir 
réfléchi  et  objectif,  elle  «  explique  la  croyance  au  monde  extérieur  et 
imprime  le  mouvement  à  toute  notre  activité  synthétique  ».)  pp.  oo- 
63.  — G.Cantecor.  Étude  de  morale  positive,  par  i]L  Belot.  (Analyse  la 
doctrine  de  M.  Belot  :  critique  des  méthodes,  —  détermination  critique 
des  vraies  conditions  du  problème  moral,  —  détermination  systéma- 
tique du  contenu  et  de  l'esprit  de  la  vraie  morale.  Le  point  de  départ  de 
M.  Belot  est  contestable  :  il  laisse  indéterminé  le  sens  précis  et  spéci- 
fique du  terme  «  moral.  »  —  La  méthode  expérimentale   ne   suffit  pas  à 


438         REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

expliquer  pourquoi  l'homme  est  moral  et  s'impose  certaines  règles,  ni 
pourquoi  l'ulililé  sociale  serait  une  fin  absolue  et  obligatoire.)  pp.  66- 
9:2.  —  De  Parodi.  Le  Pragmalisme,  d'après  MM.  W.  James  et  Schiller, 
(Analyse  et  critique.  Sources  '<  multiples,  lointaines  et  profondes  »  ; 
équivoques  el  ambiguïté  du  pragmatisme  ;  il  est  pragmatiquement 
impossible  de  s'y  tenir.)  pp.  93-112. — M.  Winter.  Sur  la  logique  du 
Droit.  (Réponse  à  M  Mallieux.  —  «  La  logique  fixe  les  conditions  géné- 
rales nécessaires  que  doivent  vérifier  les  raisonnements  des  juristes, 
elle  ne  détermine  pas  toutes  les  conditions  suffisantes  du  discours 
juridique.  »)  pp.  113-117. 

REVUE  NÉO-SCOLASTIQUE.  Févr.  —  C.  Sentroul.  La  vérité  dans 
l'art.  (Délimite  d'abord  la  question,  en  établissant  :  1"  que  certaines 
œuvres  d'art  ne  sont  pas  susceptibles  de  vérité  ;  2°  que  certaines 
œuvres  intellectuelles  tiennent  un  caractère  artistique  de  la  mise  en 
évidence  de  la  vérité  même  ;  montre  ensuite  que  Tart  n'est  pas  propre- 
ment une  imitation  réaliste.  L'œuvre  d'art  d'imitation  est  belle  fonda- 
mentalement à  raison  du  réel  imité,  donc  à  raison  de  la  vérité  ;  elle  ne 
diffère  en  beauté  d'avec  le  réel  qu'à  raison  de  ce  qu'elle  ne  représente 
pas  ou  de  ce  qu'elle  refuse  aux  sentiments  qui  gêneraient  le  plaisir 
esthétique.)  pp.  5-47.  —  J.  Lottin.  La  statistique  morale  et  le  déter- 
minisme. (Analyse  la  nature  des  régularités  ou  lois  statistiques,  déter- 
mine le  rapport  qu'il  y  a  entre  les  lois  statistiques  et  les  questions 
relatives  au  déterminisme  individuel  et  au  déterminisme  social.  I.  Les 
résultats  de  la  statistique  morale  sont  explicables  par  la  seule  influence 
des  motifs  d'action,  supposés  déterminants.  II.  Les  régularités  statis- 
tiques n'offrent  aucune  preuve  du  déterminisme  qui  régirait  les  phéno- 
mènes moraux.  III.  Les  régularités  statistiques  permettent,  dans  une 
certaine  mesure,  les  inductions  sociologiques.)  pp.  48-89.  —  N.  Bal- 
THASAR.  Le  problème  de  Bien  d'après  la  philosophie  nouvelle.  (La  philo- 
sophie nouvelle  est  un  édifice  harmonieux  ;  une  seule  chose  lui  manque, 
m.iis  elle  est  fondamentale  :  c'est  une  base  solide.  Le  devenir  en  effet 
ne  peut  être  le  fond  de  l'être  que  si  l'on  nie  la  portée  des  principes 
d'identité  et  de  causalité.  Ce  sont  ces  mêmes  principes  qui  font  la  force 
el  la  fécondité  de  la  philosophie  de  l'être.)  pp.  90-124. 

REVUE  DE  L'ORIENT  CHRÉTIEN.  4.  —  S.  Vailhé.  Saint  Euthyme  le 
Grand,  moine  de  Palestine  (suite-à  suivre).  (Chapitre  II.  Saint  Eutliyme 
et  saint  Théodiste.)  pp.  337-355.  —  Fr.  M.  J.  Lagrange.  Le  sanctuaire 
de  la  Lapidation  de  Saint  Etienne  à  Jérusalem  (à  suivre).  (Réponse  au 
R.  P.  Siméon  Vailhé  qui,  après  avoir  autrefois  fermement  placé  le  sanc- 
tuaire de  la  Lapidation  au  nord  de  Jérusalem,  le  transporte  aujourd'hui 
à  l'est,  dans  la  vallée  du  Cédron.  Or,  1*^  l'inscription  trouvée  dans  la 
vallée  du  Cédron  en  1904  a  été  rapportée  à  Jérusalem  de  Bersabée,  son 
vrai  lieu  d'origine  ;  2°  les  difficultés  de  critique  textuelle  qu'on  oppose 
au  témoignage  de  Théodosius  (Breviarius  de  Bierosoh/ma,  vers  630) 
et  à  la  lettre  du  prêtre  Lucien,  ne  résistent  pas  à  un  examen  appro- 
fondi.) pp.  414-428. 


RECENSION     DES    REVUES  439 

REVUE  DE  PHILOSOPHIE.  Janv.  —  D^  G.  Dromard.  Les  éléments 
violeurs  de  rémolio»  esthétique.  (Le  plaisir  de  Fémolion  esthétique  vient 
de  Tactivité  qu'elle  suppose  pour  reconstituer  et  amplifier  par  nos 
impressions  personnelles  l'idéal  exprimé  et  suggéré  par  l'œuvre  d'art.) 
pp.  0-16.  —  E.  Peillaube.  V organisation  de  la  mémoire  (suite).  (II.  La 
vie  latente  des  souvenirs.  §  I.  L'action  du  temps  sur  l'évolution  des 
souvenirs.)  pp.  17-26.  —  J.  Martin.  Une  histoire  des  idées  esthétiques. 
(Analyse  de  VHistoria  de  las  Ideas  Estelicas  en  Espaùa,  por  el  Doctor 
D.  M.  Menendez  y  Pelayo,  de  las  Reaies  academias  Espaiiola  y  de  la 
historia,  caledrâtico  de  la  Universidad  de  Madrid.  —  7  vol.,  Madrid, 
Ferez  Dubrull  1883,  et  suiv.)  pp.  27-55.  =  Fév.  —  G.  de  Beaupuy. 
L'argument  de  saint  Anselme  est  «  a  posteriori  >>.  («  L'argument 
ontologique,  attribué  à  saint  Anselme,  ne  lui  appartient  pas;  sa  preuve, 
à  lui,  de  l'existence  de  Dieu,  telle  qu'il  l'a  conçue  et  exposée,  s'appuie 
tout  entière  sur  la  révélation,  ou  sur  une  démonstration  a  posteriori.  ») 
pp.  120-133.  —  P.  DuHEM.  Le  mouvement  absolu  et  le  mouvement  relatif 
(à  suivre)  (viii,  Jean  Duns  Scol.  ix.  L'école  scotisle.  — Jean  le  chanoine) 
pp.  134-150.  —  Et.  Rome.  Le  «  dualisme  pascalien.  »  (Étude  critique  de 
l'ouvrage  de  E.  Janssens  :  Jm  Philosophie  et  l'Apologétique  de  Pascal. 
Alcan,  1906.  )  pp.  152-170.  =3  Mars.  —  A.-D.  Sertillanges.  Lame  et  la 
vie  selon  saint  Thomas  d'Aquin.  (La  méthode  de  S.  Thomas  en  psycho- 
logie est  physique  et  objective  ;  rarement  il  se  sert  de  l'introspection. — 
L'être  vivant  est  celui  <•  qui  se  meut  lui-même  »,  par  opposition  au  non- 
vivant  dont  le  mouvement  naturel  est  donné  par  l'engendrant  comme 
un  complément  de  sa  nature.  La  formation,  la  conservation  et  l'évolu- 
tion générale  du  vivant  s'expliquent  par  la  théorie  des  formes,  des 
«  idées  directrices  ^)  immanentes.  La  forme  du  vivant  s'appelle  âme.  La 
direction  et  l'action  de  l'àme,  à  l'intérieur  du  composé,  doivent  donc 
être  compris  comme  la  direction  et  laction  d'une  forme,  c'est-à-dire 
d'un  principe  déterminant  mais  partiel,  qui  ne  détruit  pas  à  son  profit 
l'unité  parfaite  d'existence,  de  vie  el  d'opération,  attribut  essentiel  du 
seul  composé.)  pp.  217-231.  —  P.  Duiiem.  Le  mouvement  absolu  el  le 
mouvement  relatif  [h.  suivre.)  (\.  Guillaume  d'Occam.  xi.Walter  Burley.) 
pp.  246-265.  —  F.  Warralv.  La  Raison  pure  et  les  Antinomies.  (Étude 
critique  de  l'ouvrage  de  F.  Evellin,  Alcan,  1907.)  pp.  266-274. 

REVUE  PHILOSOPHIQUE.  Janv.  —  A.  Lalande.  Pragmatisme,  huma- 
nisme, vérité.  (Analyse  critique  de  deux  ouvrages  récents,  le  Pragma- 
tisme de  W.  James  et  les  Sludies  in  Humanism  de  M.  F.  C.  S.  Schiller.) 
pp.  1-26.  —  F.  Paulhan.  La  contradiction  de  Vhomme.  (Naturellement 
la  morale  sociale  s'oppose  à  la  morale  individuelle  et  s'accorde  en 
même  temps  avec  elle,  q.omme  la  vie  de  l'individu  et  la  vie  de  la  société, 
dont  ces  morales  sont  l'expression  idéalisée,  s'accordent  et  s'opposent. 
Cest  de  cette  situation  troublée  et  de  ce  mélange  d'accords  et  d'oppo- 
sitions que  naît  toute  notre  morale.  Description  des  illusions  créées  par 
les  conventions  du  milieu  social  pour  diriger  et  orienter  la  morale  indi- 
viduelle.) pp.  27-47.  — J.  J.  van  Biervliet.  La  psychologie  quantitative 
(fin.)  (Étudie  les  procédés  des  expériences  de  laboratoire  de  la  psycho- 
logie expérimentale,   signale   les   défauts   des   recherches   entreprises 


440         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

jusqu'à  ce  jour  et  l'idéal  de  précision  vers  lequel  elles  doivent  tendre. 
Conclusion  de  toute  l'étude  de  l'auteur  sur  la  psychologie  quantitative  : 
la  psychologie  expérimentale,  malgré  le  peu  d'importance  de  ses  résul- 
tats jusqu'alors,  est  la  véritable  psychologie  scientifique  de  l'avenir.) 
pp.  48-70.  =  Fév.  —  M.  Milliold.  Essai  sur  Vhistoire  valurelle  des  idées. 
(Par  où,  comment  et  pourquoi  certaines  idées  réussissent-elles  à  s'établir 
en  nous,  à  nous  mouvoir  avec  la  force  du  préjugé  et  même  avec  la 
persistance  de  l'instinct,  tandis  que  d'autres  échouent?  Aperçu  des 
diverses  formes  de  réduction,  d'action,  d'évanescence,  forme  person- 
nelle, forme  fictive,  qu'une  idée  peut  prendre  dans  un  esprit.)  pp.  113- 
144.  —  F.  Pauluan.  La  contradiclion  de  lliomme  (fin).  (Un  des  premiers 
moyens  de  l'instinct  social  pour  séduire  et  dompter  l'instinct 
individuel,  c'est  la  théorie  du  devoir.  Le  devoir  est  essentiellement 
conditionnel  et  hypothétique;  en  l'imposant,  le  sens  social  veut  faire 
triompher  le  principe  d'autorité.  Le  devoir  est  impératif,  son  autorité 
est  extérieure,  abstraite  et  anonyme.  Mais  en  même  temps  l'autorité  du 
devoir  est  illusoire  et  menteuse,  en  ce  qu'elle  masque  son  caractère 
tout  relatif  et  ses  origines  extérieures,  en  se  faisant  passer  pour  un 
absolu  inconditionné.  L'obligation  morale  prend  l'apparence  de  l'auto- 
rité, précisément  parce  qu'elle  n'a  pas  de  raison  assez  forte,  pour  se 
faire  légitimement  obéir.)  pp.l4o-168.=^  Mars. —  P.Gavltier.  L'indépen- 
dance de  la  morale.  (La  science  objective  ne  peut  servir  à  édifier  une 
morale  parce  qu'elle  n'atteint  que  l'extérieur  des  choses,  alors  que  la 
morale  est  tout  intérieure,  objet  et  œuvre  de  conscience.  De  plus  la 
science  objective  ne  peut  constater  que  le  fait,  non  régler  le  droit,  et 
par  suite  l'idéal,  le  devoir  et  l'obligation  pratique.  Appuyer  la  morale 
sur  la  science,  c'est  l'obliger  à  devenir  une  «  science  des  mœurs  »,  c'est- 
à-dire  une  science  d'observations  purement  historiques  et  sociales  ; 
mais  ainsi  comprise,  la  morale  scientifique  travaille  à  faire  descendre 
l'amoralisme  dans  la  conduite  ;  si  la  loi  morale  n'est  fondée  sur  rien, 
il  est  loisible  et  juste  de  s'y  soustraire  quand  elle  contrarie  nos  appétits.) 
pp.  236-273. 

REVUE  PRATIQUE  D'APOLOGÉTIQUE,  l"^-^  Janvier.  —  Mgr  Le  Roy. 

hnroduclion  générale  à  i histoire  de  la  religion  des  Primitifs.  (Leçon 
d'ouverture  du  cours  d'Histoire  des  Religions,  donnée  à  l'Institut 
catholique  de  Paris.  Mgr  Le  Roy  se  propose  d'exposer  l'ensemble  des 
croyances,  de  la  morale  et  du  culte  chez  les  Négrilles  et  les  Bantous.) 
pp.  441-461. —  M.  Lepin.  Lliistoricité  de  l'Evangile  de  saint  Jean  d'après 
le  récit  de  la  marche  sur  les  eaux.  (L'exactitude  des  détails,  la  façon  dont 
ils  sont  présentés  au  fur  et  à  mesure  du  récit  donnent  l'impression  d'un 
écrivain  personnellement  renseigné  et  sans  autre  préoccupation  que 
celle  de  la  réalité.)  pp.  462-476.  =  15  Janv  —  L.  de  Grandmaison.  Le 
développement  du  Dogme  chrétien.  (Précise  les  notions  générales  préli- 
minaires à  la  question  et  en  retrace  l'histoire  jusqu'au  XIX*  siècle.) 
pp.  o21-.342.  —  H.  LiGEARD.  Le  rapport  de  la  nature  et  du  surnaturel.^ 
d'après  les  théologiens  scolasliques  du  YlfJ'  au  XVIII^  siècle.  (Expose 
les  rapports  de  la  nature  et  du  surnaturel  d'après  l'école  thomiste.) 
pp.  o43-oo2.  =:  1""  Fév.  —  J.  Guibert.  Les  Origines  de   l'homme.  (Après 


RECENSION     DES     REVUES  441 

avoir  exposé  les  raisonnements  des  évolutionnistes,  l'auteur  montre 
1"  que  l'évolution  n'est  pas  la  cause  universelle,  2°  que  l'homme  est  plus 
qu'un  animal,  3°  que  l'histoire  de  l'homme  n'est  pas  celle  d'un  animal 
qui  progresse.)  pp.  600-620.  —  H.  Ligeard.  Le  rapport  de  la  nature  et  du 
surnaturel,  d'après  les  théologiens  scolastiques  du  XIIl^  au  XVflP 
siècle.  (  Selon  la  théorie  thomiste,  le  surnaturel  est  le  terme  idéal  auquel 
peut  aboutir  l'activité  humaine  ;  le  don  gratuit  qui  lui  en  est  fait  met 
ainsi  le  comble  à  tous  ses  désirs.  La  relation  unissant  la  nature  au  sur- 
naturel n'est  qu'un  pur  rapport  d'harmonie  et  de  convenance,  à  aucun 
titre  elle  ne  crée  dans  la  nature  un  droit  strict  au  surnaturel.  L'école 
scotisle  fait  du  surnaturel  une  entité  créée  et  extérieure  à  la  nature, 
et  admet  que  la  nature  est  portée  vers  le  surnaturel  par  un  appélit  inné.) 
pp.  621-G40.  =  i5  Fév.  —  A.  Crosnier.  Les  convertis  d'hier.  (Examine 
les  motifs  de  la  conversion  de  :  Brunelière,  Bourget,  Huysmans,  Coppée, 
Relté.)  pp.  695-716.  =  l^""  Mars.  —  J.  Touzard.  L'argument  prophétique. 
(Définit  la  manière  traditionnelle  d'exposer  l'argument  de  la  prophétie, 
expose  les  critiques  actuelles  dont  elle  est  l'objet,  se  propose  d'y 
répondre  en  montrant  la  nécessité  de  lui  rendre  son  ampleur  primitive.) 
pp.  757-772.  —  H.  Ligeard.  Le  rapport  de  la  nature  et  du  surnaturel 
d'après  les  théologiens  scolastiques  du  XIIl"  au  XVIII'^  siècle.  (Expose  la 
théorie  de  l'école  augustinienne.  D'après  elle,  l'état  de  nature  pure  est 
impossible,  non  pas  sans  doute  absolument  et  pris  en  lui-même,  du 
point  de  vue  de  la  toute-puissance  divine,  mais  du  point  de  vue  de  la 
convenance  morale,  en  tant  qu'il  s'harmonise  moins  à  l'infinie  bonté  de 
Dieu,  à  sa  justice,  à  sa  sagesse.)  pp.  773-784.  —  A  Crosnier.  Les  conver- 
tis d'hier.  (Réfute  les  critiques  de  M.  Sageret  (Les  grands  convertis),  et 
montre  que  leur  conversion,  loin  d'avoir  diminué  leur  talent  littéraire, 
l'a  augmenté.)  pp.  785-800.  =  15  Mars.  —  J.  Touzard.  M.  Guignebert 
et  l'Ancien  Testament.  (Relève  les  erreurs  de  fait  commises  par  M.  Gui- 
gnebert relativement  à  la  notion  catholique  d'inspiration,  de  révélation, 
ainsi  qu'à  l'histoire  du  canon  de  l'ancien  et  du  nouveau  Testament.) 
pp.  837-860.  —  H.  Ligeard,  Les  rapports  de  la  nature  et  du  surnaturel 
d'après  les  théologiens  scolastiques  du  XIII''  au  XVIII^  siècle.  (Expose 
l'utilisation  apologétique  de  la  théorie  scolastique.  Entre  le  problème  tel 
aue  l'a  posé  la  théologie  scolastique  et  la  question  telle  que  l'a  rendue 
nécessaire  l'état  actuel  des  esprits,  il  va  de  singulières  ressemblances. 
En  face  de  la  tendance  philosophique  actuelle,  qui  fait  du  contenu 
même  de  la  vie  de  l'âme  la.  base  et  le  fondement  de  toute  vie  religieuse, 
il  n'est  d'autre  procédé  à  c^'^ployer  que  de  montrer  à  l'homme  qu'il  ne 
peut  se  limitera  son  activîcé  subjective  ;  sortant-de  lui-même,  il  doit 
attendre  du  dehors  la  solution  du  problème  de  sa  vie  et  de  sa  destinée; 
ensuite  viendront  les  preuves  qui  montreront  qu'en  fait,  le  catholicisme 
est  bien  la  révélation  à  laquelle  il  doit  adhérer.)  pp.  861-877. 

REVUE  DES  SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES  ET  LA  SCIENCE  CATHO- 
LIQUE. Janv-  —  M.  Go.MBAULT.  Le  sentiment  religieux  et  la  psycho-phy- 
siologie. (Étudie  r  «  idée  confuse  »  chez  les  Mystiques.  Pour  le 
contemplatif  chrétien,  ce  Dieu  perçu  sans  forme,  in  confuso,  mais  sans 
-confusion,  peut  bien  être  et  est  en  réalité  l'Inexprimable,  il  n'est  jamais 


442         REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

rinconnu).  pp.  97-106.  —  M.  Levriek.  Dale  légale  de  la  Pàque  Juive 
(Conclusion  :  «  La  Pàque  a  lieu  le  XIV  Nisan.  Le  feslin  pascal  se  célèbre 
dans  la  nuit  de  ce  même  quatorzième  jour.  Les  jours  Juifs  commencent 
par  le  soir  ou  la  nuit;  donc  la  Pâque  se  célèbre  leXIV"  jour,  puisque  le 
soir  ou  la  nuit  du  festin  appartient  à  ce  quatorzième  jour.)  pp.  132-150. 
::=  Févr.  —  M.  GoMBAULT.  Le  sentiment  religieux  et  la  psijcho-pJnjsio- 
logie.  (Sainte  Thérèse  n'apparaîtra  à  personne  comme  suggestionnable. 
Les  faits  démontrent  aussi  qu'elle  ne  fut  pas  suggestionnée.)  pp.  213- 
224.  —  M.  Lévrier.  Date  légale  de  la  Pàque  Juive.  (La  fêle  de  Pâques  et 
la  fêle  solennelle  des  Azymes  constituent  deux  fêtes  absolument  diffé- 
rentes, bien  que  liées  ensemble  et  consécutives.)  pp.  247-259. 

REVUE  THOMISTE.  Janv.-Fév.  —  R.  P.  A.  Mercier.  Le  Prêter nalurel. 
(Le  royaume  de  Satan  est  le  royaume  du  mal  au  sens  relatif,  signifiant 
l'absence,  la  perle,  la  privation  des  biens  surnaturels,  y  compris  le  Rien 
infini,  qui  est  Dieu  en  lui-même;  mais  il  n'est  pas  le  royaume  du  mal 
absolu  signifiant  l'absence  de  tous  les  biens  naturels,  soit  dans  le 
domaine  de  l'être,  soit  dans  celui  des  opérations.)  pp.  701-727.  -  G. 
Rareille.  Saint  Jean  Chrysostoine,  docteur  de  VEglise.  (Justifie  par 
l'histoire  son  titre  de  docteur  en  montrant  comment,  dans  les  contro- 
verses doctrinales  qui  eurent  lieu  en  Orient,  les  vrais  représentants  de  la 
foi  utilisèrent  ses  œuvres.  Saint  Augustin  fit  également  pénétrer  son 
nom  et  sa  doctrine  dans  l'Église  latine.)  pp.  728-752.  —  R.  P.  IIugon. 
Les  notions  de  «  nature  »,  «  substance  »,  «  personne  ».  (La  substance  est 
une  essence  qui  peut  exister  en  soi;  la  nature  est  cette  même  réalité  en 
tant  qu'elle  désigne  la  source  première  d'où  jaillit  l'opération  spontanée; 
la  personne  esl  une  substance  individuelle^  complète,  incommunicable.) 
pp.  753-759.  —  T. RiciiARïi. Actualité  de  la  méthode  scolaslique  (La  méthode 
scolastique  est  un  remède  au  subjeclivisme,  à  l'anarchie  intellectuelle,  au 
péril  littéraire;  elle  est  surtout  d'une  frappante  actualité  comme  méthode 
de  formation  et  comme  principe  de  classification  et  de  synthèse.) 
pp.  770-785. 

RIVISTAFILOSOFIC A.  Janv.-Fév.  —  N.  Fornelu.  Il  nuovo  individua- 
lismo  religioso  (à  suivre).  (Tandis  que  dans  l'ordre  économique  et 
politique  il  y  a  une  tendance  à  la  socialisation,  dans  l'ordre  des  croyan- 
ces religieuses  il  y  a  un  retour  à  l'i-ndividualisme.  Ce  mouvement, 
commencé  par  la  laïcisation  des  lois,  doit  s'étendre  à  d'autres  domaines 
de  la  vie  sociale  et  se  conformer  non  seulement  aux  exigencesabstraites 
du  progrès  scientifique,  mais  à  l'esprit  du  v.emps.)  pp.  2-27.  —  A.  Faggi. 
La  Coscienza  negli  animali.  (Le  physiologiste  américain  Loeb  ne  voit 
dans  les  instincts  et  les  réflexes  compliqués  qu'une  somme  de  réflexes 
élémentaires,  et  ceux-ci  seraient  dus  non  aux  nerfs,  mais  à  l'irritabilité 
spécifique  des  divers  éléments  de  la  superficie  du  corps.  Il  n'admet  la 
conscience  que  là  oîi  il  y  a  mémoire  associative.  Cette  théorie  est  trop 
mécanique  ;  si  la  conscience  est  un  concept  de  peu  d'utilité  pour  la 
science,  elle  n'est  cependant  pas  une  expression  métaphysique.)  pp.  28- 
51.  — A.  Levi.  La  psicologia  délia  esperienza  indifferenziata  di  James 
Wnrd  (à  suivre).  (Exposé  des  idées  de  Ward  sur  la  conscience  en  géné> 


RECENSION     DES     REVUES  443 

rai  et  ses  éléments  ultimes  et  de  sa  théorie  de  la  présentation.)  pp.  52- 
83.  —  L.  SuALi.  Un  tratlalo  elementare  di  fîlosofîa  indiana  (à  suivre). 
(Traduction  d'un  traité  élémentaire  de  philosophie  indienne,  laTarkâm- 
rita,  composé  par  Jagadiçâ,  qui  vivait  entre  la  fin  du  XVI'^  et  le  com- 
mencement du  XViP  siècle.  Ce  traité  combine  les  principes  des  deux 
grandes  écoles,  Yvàya  et  Vaiçeshika.)  pp.  84-109.  —  E.  Morselli.  Vita 
morale  e  vita  sociale  (suite  et  fin).  (L'étude  de  l'évolution  des  sociétés 
humaines  a  mis  en  relief  l'action  des  individus  et  de  l'aclivilé  consciente. 
Otrelle  considère  la  société  sous  l'aspect  historique  ou  sous  l'aspect 
statique,  la  sociologie,  si  elle  arrive  à  nous  en  fournir  une  connaissance 
exacte,  ne  peut  cependant  dicter  les  règles  de  l'action  huiriaine.) 
pp.  110-128. —  L.  MoNDOLFO.  La  doltrina  délia  proprielà  nel  Montes- 
quieu. (D'après  Montesquieu,  lÉtat  doit  procurer  du  travail  à  chaque 
citoyen  et  chaque  citoyen  a  le  droit  de  posséder  les  fruits  de  son  travail. 
C'est  en  cela  que  consiste  la  véritable  propriété.)  pp.  129-135. 

RIVISTA  DI  SCIENZA.  4.  —  E.  Rignano.  —  Qu'est-ce  que  la  cons- 
cience "!  {La.  conscience  n'est  pas  une  propriété  intrinsèque  ou  absolue 
des  états  psychiques  ;  mais  une  propriété  qui  leur  est  extrinsèque  et 
relative,  et  qui  accompagne  certaines  modalités  de  référence  que  ces 
états  psychiques  ont  entre  eux.  Il  semble  en  effet  qu'on  ne  puisse  parler 
de  la  «  conscience  »  d'un  état  psychique  par  lui-même,  mais  seulement 
de  la  «  conscience  »  qu'un  état  psychique  actuel  a  d'un  état  psychique 
passé  ;  et  que  ce  caractère  «  conscient  »  d'un  état  psychique  passé, 
actuellement  évoqué,  par  rapport  à  un  autre  actuel,  se  rencontre  toutes 
les  fois  qu'on  a  la  coexistence,  pendant  un  certain  temps  au  moins,  du 
premier  avec  le  second,  et  la  superposition  ou  fusion  partielle  de  l'un 
avec  l'autre.)  pp.  305--318.  —  B.  Kidd.  The  tivo  principal  laws  ofsociology. 
(Voici  l'énoncé  de  la  première  de  ces  lois  :  Les  qualités  que  développe 
premièrement  chez  iindividu  le  processus  social  ne  sont  pas  d'ordre 
individuel,  mais  d'ordre  social;  c'est-à-dire  qu'en  vertu  de  ce  processus 
social,  l'individu  n'est  pas  lui-même  perfectionné  comme  tel,  mais  bien 
là  société  dans  sa  lutte  pour  un  état  organique  plus  parfait.  Application 
de  cette  loi  à  la  morale,  à  la  psychologie,  à  l'histoire  et  à  l'économique.) 
pp.  338-353.  —  E.  Westermarck.  The  origin  of  religions  celibocg.  (  Le 
célibat  religieux,  serait  le  résultat  logique  de  l'évolution.  On  en  trouve 
une  première  idée  chez  les  païens,  puis  chez  les  Esséniens,  puis  chez 
les  chrétiens.  Parmi  les  chrétiens,  le  témoignage  de  St  Paul,  la  naissance 
virginale  du  Seigneur,  la  virginité  des  grands  saints,  la  promesse  du 
ciel  aux  eunuques,  l'usage  restreint  du  mariage  même,  toutes  ces  choses 
ont  préparé  la  voie  au  célibat  obligatoire  du  clergé.)  pp.  354-365. 

RIVISTA  STORIGO-CRITIGA  DELLE  SGIENZE  TEOLOGICHE.  Janv.  — 

U.  Mannucci.  Su  le  recenti  teorie  circa  Vevoluzione  slorica  del  Sacramenti 
(suite  et  fin).  (Conclusion.  Le  Christ  a  eu  une  volonté  vraie  et  déterminée 
d'instituer  tous  les  sacrements.  Mais  ni  les  textes  scripturaires  ni  l'his- 
toire des  premiers  siècles  de  l'Église  ne  permettent  d'établir  que  les 
rites  sacramentels  aient  été  définitivement  fixés  du  premier  coup.  Cette 
conclusion  n'est  pas  contraire  à  la  définition  du  Concile  de  Trente.  Enfin 


444  REVUK   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

les  objections  élevées  par  les  théories  récentes  (Harnack,  Loisy)  contre 
l'institution  divine  des  sacrements  ont  peu  de  poids,  surtout  si  on  lès 
met  en  regard  de  la  tradition,  dont  la  valeur  s'impose,  même  au  point 
de  vue  historique.)  pp.  1-14.  —  L.  Cuiesa.  Il  parallelismo  psicofisico  e  le 
sue  Inlerprelazioni  nelJe  diverse  scuole  filosofîche  (Suite-à  suivre).  (Réfu- 
tations des  théories  intellectualistes,  principalement  par  l'argument 
aO  absurdo)  pp.  25-56.  =Fév.  —  L.  Pizzi.  La  Grande  Conlesa.  (La  grande 
lutte  est  celle  qui  a  été  engagée,  depuis  la  plus  haute  antiquité,  entre 
«  l'esprit  sémitique,  rigide,  uniforme,  immobile,  et  l'esprit  aryen  ou  indo- 
européen,  flexible,  varié,  multiforme  et  versatile,  mais  aussi  plus  vaste, 
plus  ample,  et  plus  compréliensif.»)  pp.  93-106.  — Y.  Ermom.  La  Teolo- 
r/ia  di  S.  J'aolo.  (suite-à  suivre).  (La  doctrine  de  S.  Paul  sur  la  justifi- 
cation se  tient  à  égale  distance  des  Pélagiens  et  des  Protestants,  a)  Pour 
S.  Paul,  le  S.-Esprit  est,  d'une  manière  spéciale,  présent  dans  l'âme  du 
juste  ;il  y  agit,  et  par  elle  l'activité  humaine  produit  des  actes  de  vertu  ; 

b)  La  Grâce  est  une  réalité  surnaturelle,  un  don  gratuit  mais  nécessaire, 

c)  Le  Péché  a  pour  siège  la  chair.  Cette  conception  ne  vient  pas  de 
Philon,  mais  Pliilon  et  saint  Paul  sont  tous  les  deux  tributaires  de  l'An- 
cien Testament.)  pp.  107-121.  —  E.  Buo.naiuti.  Attraverso  l'Epistolario 
di  S.  Basilio.  (Relève,  à  travers  la  correspondance  de  saint  Basile,  des 
indications  relitives  à  l'état  de  la  vie  chrétienne  et  politique  en  Asie- 
Mineure  et  en  Cappadoce  à  l'époque  de  ce  saint.)  pp.  122-132.  =  Mars. 
(V.  Ermom.  La  teologiadisan  Paolo  (.suite  et  fin). —  l.Wngélologieà.eià\i\\. 
Paul  est  concise,  un  peu  confuse,  et  reflète,  tout  en  restant  originale  et 
personnelle,  les  idées  qui  avaient  cours  au  temps  de  l'apôtre.  L'Escha- 
tologie se  ramène  aux  trois  points  suivants  :  la  Résurrection  des  corps, 
le  Jugement  final  et  universel,  et  la  Parousie  dont  saint  Paul  n'a  pas 
déterminé  l'époque  ;  la  Morale  a  pour  principe  suprême  dans  l'ordre 
spéculatif  la  loi  naturelle  connue  par  la  raison.  Le  terme  de  loi  se  trouve 
d'ailleurs  appliqué  à  plusieurs  concepts  distincts.)  pp.  173-194.  — 
E,  BuoNAïUTi.  Un  Lilosofo  délia  conlingenzanel  secolo  XI.  Roscellino  di 
Compiègne.    (A  la  lumière  des  documents,  l'auteur  cherche  à  élucider  : 

a)  la  position  prise  par  Roscelin  dans  le  problème  de  la  connaissance  : 

b)  sa  doctrine  sur  la  Trinité,  doctrine  contraire  au  dogme  catholique,  et 
logiquement  déduite  de  la  théorie  qu'il  professe  au  sujet  des  rapports 
à  établir  entre  la  connaissance  rationnelle  et  la  foi  ;  c)  enfin  sou  alti- 
tude dans  la  lutte  entre  le  Sacerdoce  et  l'Empire  ;  dans  la  controverse 
relative  à  l'entrée  des  époux  en  religion,  et  dans  la  polémique  contre 
Abélard,  son  ancien  disciple.)  pp.  195-212. 

SCUOLA  CATTOLICA  (LA).Janv.  —G.  Ballerinl  Val  di  là  nella  dot- 
Irina  delV  iminanenza  vitale  o  psicologica.  (Les  immanentisles  affirment 
que  nous  avons  l'expérience  du  divin.  Or,  la  conscience  sensible  ne 
l'atteint  pas,  car  il  n'est  pas  de  son  domaine;  la  conscience  psycholo- 
gique ne  peut  y  arriver  sans  un  raisonnement;  la  conscience  morale 
suppose  prouvée  l'existence  du  législateur  suprême,  lorsqu'elle  constate 
des  lois  obligatoires.  Si  l'on  veut  prouver  l'au-delà  par  la  méthode 
d'immanence,  logiquement  on  en  arrive  à  regarder  le  surnaturel  comme 
une  évolution  du  sentiment  religieux.  La  source  de  ces  théories  est  le 
Kantisme  et  le  Néo-Kantisme.)  pp.  30-56. 


RECENSION     DES     REVUES  445 

SLAVORUM  LITIERE  THEOLOGIC^.  1.  -  0.  Zidek.  De  ecclesiae 
calholicitale.  (Les  livres  de  l'A.  T.,  surtout  les  Psaumes  et  les  Prophètes, 
les  Symboles  et  figures  montrent  le  royaume  messianique  comme  devant 
s'étendre  à  toutes  les  nations,  et  devant  durer  jusqu'à  la  fin  des  siècles.) 
pp.  41-48.  —  De  sacramento  poenitenliae.  (V.  Tout  acte  de  charité 
appretialive  siimma  suffît  à  la  justification,  mais  l'obligation  d'une 
contrition  formelle  demeure.  —  VI.  Pour  que  la  contrition  ou  la  charité 
justifient,  ne  sont  requis,  ni  un  degré  supérieur  d'intensité,  ni  une 
durée  déterminée,   ni  un  rappel  distinct  de  tous  les  péchés.)    pp.    49-71. 


TEYLERS  THEOLOGISCH  TIJDSGHRIFT.  1908,1.  —  A.  Bruining. 
De  7'oekomst  onzer  Théologie.  (Les  modernes  s'étant  habitués  à  regarder 
le  progrès  des  connaissances  religieuses  comme  produit,  non  par  des 
révélations  faites  du  dehors  par  Dieu  à  l'homme,  mais  par  le  développe- 
ment de  la  vie  religieuse  intime  des  individus  humains,  il  faut  que 
l'ancienne  théologie,  qui  se  bornait  à  étudier  les  vérités  considérées 
comme  révélées,  soit  remplacée  parla  science  des  religions.  Celle-ci  ne 
peut  pas  se  borner  à  étudier  et  à  classifier  les  formes  extérieures  des 
diverses  religions,  pour  en  arrivera  déterminer  la  nature  et  l'origine 
de  la  religion  en  général.  Elle  doit,  avant  tout,  étudier  la  vie  religieuse 
comme  fait  psychologique,  en  commençant  "par  la  vie  religieuse  chré- 
tienne qui  est  le  mieux  à  notre  portée,  et  en  s'aidant  ensuite  des  données 
fournies  par  cette  même  vie  dans  les  autres  cultes.  Elle  doit  ensuite 
discuter  la  valeur  des  idées  métaphysiques  contenues  dans  les  diverses 
religions,  et  déterminer  celles  qui  doivent  régir  la  religion  vraie. —  Les 
programmes  des  Facultés  de  théologie  dans  les  Universités  doivent  être 
modifiés  en  ce  sens.)  pp.    1-40. 


THEOLOGISCHE  QUARTALSCHRIFT.  1.  —A.  Eberharter.  Kritische 
Bemerkungen  zum  hebraischen  Texte  des  Bûches  Ekkli.  (Critique  tex- 
tuelle des  passages  suivants  du  texte  hébreu  de  l'Ecclésiastique  (cités 
d'après  l'édition  Peters,  1905)  :  31,  2  II  et  II  b  ;  36,  29  I,  II  ;  43,  4  IV.) 
pp.  1-7.  —  W.  KocH.  Die  allkivchliche  Apologetik  des  Christenlums. 
(L'apologétique  des  premiers  Pères  n'est  ni  organisée,  ni  originale.  Les 
principaux  chefs  de  preuve  sont  les  prophéties,  les  miracles  (celui-ci, 
négligé  à  l'origine,  ne  prit  de  l'importance  qu'à  partir  d'Origène),  la 
haute  moralité  du  Christianisme,  le  caractère  et  la  vie  de  Jésus,  le 
besoin  subjectif  du  Christianisme.  Pour  une  apologétique,  il  faut  le 
concours  réuni  des  preuves  historiques  et  des  preuves  psychologiques.) 
pp.  7-35.  —  J.  Ernst.  Goltesliebe  nnd  Silllichkeit.  (L'auteur  établit  la 
thèse  suivante  :  Tout  acte  bon  moralement  est  en  relation  nécessaire 
avec  Dieu,  de  telle  sorte  que  l'amour  de  Dieu  en  constitue  le  motif  au 
moins  implicite,  amour  naturel  chez  les  non-justifiés,  charité  chez  les 
justifiés.)  pp.  34-88.  —  H.  Muller.  Zum  Paslor  Hermae.  (Explication  de 
Vis.  II,  1,  4.  Hermas,  homme  peu  instruit,  avait  probablement  à  déchif- 
frer un  manuscrit  en  écriture  cursive  avec  abréviations,  ce  qui  explique 
qu'il  mit  quinze  jours  à  le  comprendre.)  pp.  89-94. 


-446  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

ZEITSCHRIFT  FUR  DIE  ALTTESTAMENTLICHE  WISSENSCHAFT.  1. 

—  JoH.  Dahse,  Textkritische  Studien,  I.  (1.  État  des  sources  de  II.  Ch. 
XXXII,  30  el  XXXIII,  14,  d'après  les  lxx.  Sur  la  situation  du  Gihon  infé- 
rieur et  de  la  «  cité  de  David  ».  —  2.  Les  oiseaux  lâchés,  Geti.  viii,  6-12. 
Certaines  fluctuations  du  texte,  et  le  rapprochement  avec  le  parallèle 
babylonien,  autorisent  à  penser  qu'il  y  en  avait  trois,  corbeau,  hiron- 
delle, colombe.  — 3.  La  durée  du  déluge.  —  4.  L'ordre  des  10  comman- 
dements. —  5.  Les  recensions  de  la  Genèse  grecque,  étude  basée  sur 
les  variantes  du  ch.  xlii.)  pp.  1-21.  —  Eb.  Baumann.  yn"  inid  seine  Deri- 
vate  (eine  sprachlich-exegetische  Studie)  (à  suivre).  (Ce  mot  souvent 
employé  avec  lahwé  ou  Elohim  comme  objet,  dans  Osée,  Isaïe, 
.lérémie,  Deutéro-Isaïe,  demande,  pour  être  bien  compris,  une  étude 
plus  systématique  que  celles  qui  ont  été  faites  jusqu'à  présent. 
I.  Recherches  préliminaires.  Â.  î?T  en  général.  Avec  une  proposition 
comme  objet  :  connaître,  vérifier  que,  etc.  Avec  un  substantif  comme 
régime,  il  a  plus  rarement  un  sens  purement  intellectuel,  mais  signifie 
plutôt  sentir,  éprouver,  se  préoccuper  de.  Avec  un  nom  de  personne,  ce 
sens  d'«  intérêt  »  domine,  aussi  rapports  sexuels,  etc.  B.  Entre  Dieu 
et  l'homme.  Avec  Dieu  comme  sujet  :  choisir,  s'approprier,  soigner, 
colère.  Avec  Dieu  comme  objet  :  rencontrer,  éprouver,  avoir  affaire  à, 
honorer  Dieu,  lui  rendre  un  culte.  Sur  le  terrain  éthique,  s'occuper  de 
Dieu.  Le  sens  personnel  et  moral  domine  donc.)  pp.  22-41.  —  F.  Kiicn- 
LER.  Der  Gedanhe  des  Eifers  Jahwes  im  Alten  leslament.  (Il  faut 
renoncer  à  chercher  l'étymologie  de  ce  mot  i^*??P,  mais  en  établir  la 
signification  d'après  Vusus  loquendi  hébraïque.  Sens  primitif  :  jalousie 
dans  l'amour  des  sexes,  dans  le  mariage.  Ce  sens  s'étend  :  effort  pour 
posséder  ce  qui  est  objet  d'envie  ;  toute  affection  qui  fait  entreprendre 
quelque  chose  en  faveur  d'une  tierce  personne  ;  quand  cette  tierce  per- 
sonne est  Dieu,  sens  religieux.  C'est  le  prophète  Osée  qui  a  introduit 
l'idée  du  mariage  de  Jahwé  avec  Israël;  il  faut  donc  dater  d'après  lui 
les  passages  bibliques  où  il  est  question  de  cette  jalousie  de  Dieu,  les 
regarder  comme  postérieurs  au  dernier  tiers  du  VIII"  siècle.  Il  n'a  du 
reste  pas  employé  ce  terme  de  «jalousie»  ;  Jérémie  non  plus,  sans 
doute  parce  que  cet  anthropomorphisme  ne  leur  paraissait  pas  assez 
divin  ;  les  élaborateurs  postérieurs  des  lois  et  des  traditions  ne  se  sont 
pas  laissé  arrêter  par  ce  scrupule.  —  Ezéchiel  use  de  cette  expression 
dans  l'ancien  sens  jusqu'au  moment  de  la  ruine  de  Jérusalem;  à  partir 
de  ce  moment,  la  «  J.  nx^p  se  tourne  contre  les  ennemis  du  peuple  de 
Dieu.  Dans  la  prophétie  sur  Gog,  ainsi  qu'en  des  passages  analogues  de 
Joël,  de  Sophonie,  la  «  jalousie  de  J.»  est  prise  en  un  sens  eschatolo- 
gique  qu'elle  ne  quittera  plus.)  pp.  42-52. — J.  Boehmer.£'j»  alphabetisch- 
akrostichisches  Ràlsel  und  ein  Versuch  es  zu  lôsen.  (Il  s'agit  de  la  succes- 
sion anormale  S.y  dans  Thrènes,  2-4.  Comp.  Ps.  34  et  Prov.  31.)  pp.  53- 
57.  —  A.  Bertuolet.  Eine  Crux  interprelum.  Ps.  II,  11  sv.  (L'auleur, 
en  comparant  ce  passage  avec  un  hymne  à  Mardouk,  cité  par  Jastrow 
{Die  Religion  Babyloniens  und  Assi/riens,  I,  514),  propose  de  lire  : 

Servez  J.  avec  crainte 

Et  embrassez  ses  pieds  avec  tremblement. 


RECENSION     DES     REVUES  4i7 

(my-13  vhi^2  )p'Cf:).)  pp.  o8-o9.  —  A.  Rahlfs.  Nachîcirkungen  der 
Chrunik  des  Eusebhis  in  Septuaginla-Handschrifleu.  pp.  60-02.  — 
A.  Hadlfs.  ikber  das  Fehlen  der  Makkabàerbûcher  in  der  àthiopischen 
Bibelûbersetzung.  (Absence  intentionnelle,  comme  le  prouve  la  compa- 
raison avec  le  Valicanus,  auquel  la  version  élliiopienne  est  apparentée. 
Influence  de  la  tradition  d'Alhanase.)  pp.  63-64.  —  H.  H.  Spoer.  Psahn 
J5L  (Spoer  compare  deux  textes  s.yriaques,  avec  traductions  arabes, 
de  ce  poème,  dont  l'un  a  été  découvert  par  lui,  avec  le  texte  syrien, 
plus  récent,  publié  par  Wright  en  1887.)  pp.  6.J-68.  —  Nestlé.  Miscelle, 
Hosiouna,  p.  69.  —  Bibliographie,  pp.  70-80. 

ZEITSGHRIFT  FUR  KATHOLISGHE  THEOLOGIE.  I.  -  John  Stufler,S.J. 
— Ziir  Kontroverse  ùber  das  Indulgenzedikl  des  Papsles  Kallislus.  (L'édit 
de  Callixte  n'a  pas  été  conservé,  en  reconstruire  le  texte  est  impossible  ; 
même  la  tentative  de  Rolffs  a  échoué.  Pour  résoudre  la  question,  il  faut 
s'en  tenir  aux  deux  ouvrages  de  ïertullien,  De  poenitentia  et  Depudi- 
citia.  Un  parallèle  quelque  peu  soutenu  de  ces  deux  écrits  de  TertuUien 
nous  oblige  à  conclure  que  Callixte,  en  promulguant  son  édit,  n'a  pas 
introduit  de  nouveauté  dans  le  régime  pénitenliel.  Les  motifs  qui  l'ont 
guidé  ne  sont  pas  des  motifs  d'opportunité,  des  considérations  d'ordre 
pratique  auxquelles  poussait  le  changement  des  temps  et  des  circons- 
tances. Le  motif  qui  inspira  Callixte  se  trouve  dans  la  miséricorde 
divine.  Dieu  pardonne,  dès  cette  vie,  tous  les  péchés  ;  l'Église  n'a  pas  le 
droit  de  réserver  des  péchés  alors  que  Dieu  absout.  Terlullien  et  les 
Montanistes  nient  cette  miséricorde  divine.  Cependant,  du  temps  qu'il 
fut  catholique,  TertuUien  défendit  la  même  doctrine  que  Callixte.  La 
nouveauté  n'est  donc  pas  du  côté  de  Callixte,  mais  du  côté  de  TertuUien. 
Avant  comme  après  Callixte,  l'Église  était  pour  les  pécheurs  «  la  misé- 
ricordieuse Église  du  Dieu  des  miséricordes.  »)  pp.  1-42.  —  Dh  Fr. 
ScHMii).  Die  Gewalt  der  Kirclie  bezùglich  der  Sakramente.  (1"  art.)  (Le 
Christ,  il  est  vrai,  a  déterminé  d'une  manière  positive  ce  qui  est  requis 
pour  la  validité  des  divers  Sacrements,  mais  cette  détermination  est-elle 
si  exclusive,  qu'on  ne  puisse  exiger  pour  la  validité  du  Sacrement  rien 
de  plus  que  ce  que  lui-même  a  établi?  Pour  résoudre  celte  question,  il 
faut  envisager  dabord  la  personne  et  les  qualités  de  celui  qui  administre 
le  Sacrement.  Or,  eu  égard  à  cette  personne,  à  ses  qualités  et  à  leur 
influence  sur  la  validité  ou  non  -validité  du  Sacrement,  le  Christ  n'a  nulle- 
ment déterminé  positivement  et  exclusivement  pour  tous  les  Sacre- 
ments, jusqu'aux  moindres  détails  requis:  mais  l'homme-Dieu  a  concédé 
de  fait  à  son  Église  un  pouvoir  tel,  que  dans  une  certaine  limite  les  dis- 
positions qu'elle  prend  décident  de  la  validité  ou  de  la  non-validité  du 
Sacrement.)  pp.  43-57.  —  Analeklen.  H.  Wiesmann,  S.  J.  /.  Sam.  1,  2-9. 
(Ce  texte,  dans  sa  forme  traditionnelle,  présente  plus  d'une  difficulté. 
L'auteur  propose,  à  l'aide  d'inversions,  un  nouvel  arrangement,  qui 
met  de  Tordre  dans  la  suite  des  idées  et  donne  une  construction  facile 
et  conforme  aux  exigences  de  la  grammaire.)  pp.  l87-i90. 

ZEITSGHRIFT  FUR    DIE   NEUTESTAMENTLICHE   WISSENSCHAFT. 

1.   —  E.   Preuschen.  Das  neue   Evangelien fragment  von   Oxyrhgnchos. 


4i8         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

(Le  fragment  d'Ëvangile  trouvé  en  1906  ù  Oxyrhynchospar  MM.  Grenfoll 
et  IIiinL  et  qu'ils  viennent  de  publier  (Jésus  dans  l'Hagnoulerion)  est 
renoaiquable  par  la  connaissance  du  temple  dont  il  témoigne  ;  sa  langue 
est  apparentée  à  celle  des  LXX  et  du  Nouveau  Testauu-nt.  Peut-être 
faut-il  y  voir  un  reste  de  cette  source  hiérosolymitaine  que  l'on  suppose 
avoir  été  utilisée  par  le  IV"  Évangile.}  pp.  1-11  —  I'h.  Spitta.  Jeau 
H  eigerunrj,  sich  als  «  gui  »  Ijezeichnen  lassen.  (Accepte  pour  àyaGô;  le 
sens  de  bienveillant,  pi-opice.  Puis  s'attaclianl  à  la  receiision  de  Auc  xviii, 
18-27  qu'il  incline  à  considérer,  ici  et  d'une  manière  générale,  comme 
représentant  une  forme  plus  ancienne,  Spitta  interprète  la  parole  de 
Jésus  comme  réponse  à  une  captalio  benevolentiae.  Jésus  repousse Tappel 
à  sa  bienveillance  que  lui  adresse  ce  riche.  Rien  de  spécial  à  tirer  de  cette 
réponse  pour  la  Cliristologie.)  pp.  12-20.  —  Dom  J.  Ciiai'Man,  On  ihe 
claie  of  the  Ckmenlincs.  (Les  Récognitions  semblent  avoir  été  éditées 
entre  .'{70  et  400.  L'Écrit  primitif  qui  a  servi  de  base  aux  Récognitions  et 
aux  Homélies  est  postérieur  au  Concile  de  Nicée  et  a  été  composé  vers 
330.  Comme  lieu  d'origine,  la  Palestine  et  la  Syrie  sont  suggérées  parles 
citations  anciennes;  les  Clémenlinessont  le  produit  d'un  milieu  arien.) 
pp.  21-34.  —  li.Kocii.  Die  Sûndenverçjehunrj  hei  /rendus.  (Contre  Stufler 
montre  que  l'opinion  d'après  laquelle  les  péchés  capitaux  n'étaierttpas 
i-émissibles  par  l'Église  fut  soutenue  non  seulement  par  des  schisma- 
tiques,  mais  par  un  écrivain  très  orthodoxe,  S.  Irénée.  Les  textes  qu'on 
lui  emprunte  (Adv.  haer.,  i,  0,  3,  i,  13,  Fi;  i,  13,  7;  iv,  40,  1;  m,  23,3,) 
pour  prouver  le  contraire  ne  signifient  pas  cela.  Un  texte  non  encore 
utilisé  (Adv.  haer.,  iv,  27)  montre  qvi'il  n'admettait  pas  la  réconciliation 
ecclésiastique  pour  certains  péchés  et  qu'il  prétendait  tenir  cette  opinion 
des  Anciens  de  l'Église  d'Asie.)  pp.  35-4(i.  —  A.  Behendts,  Analecla  ziini 
slavischen  Josephus.  (Comparaison  entre  le  texte  slave  et  le  texte  grec  de 
la  Guerre  Juive  de  Josèphe,  liv.  i.  ch.  xxx  (fin)  et  xxxi.  Le  texte  slave 
représente  une  recension  spéciale  et  réfléchie,  une  correction  deJosèphe 
d'après  ses  Sources,  œuvre  d'un  Juif  et  qui  semble  remonter  à  une 
époque  où  l'impression  laissée  par  la  Guerre  était  encore  vivante.)  pp.  47- 
70.  —  L.  KoHLER.  Biblische  Spurcn  des  Gliiubens  an  die  Muller  Erde  ? 
(Voit  des  traces  de  cette  croyance  à  la  «  Terre  Mère  »  dans  le  mot  de 
Jean-Rapliste  rapporté  Mail.  3,  9;  Lur,  3,  8;  dans  le  Psaume,  87,  0-7 
(texte  corrigé  par  Dulim)  ;  dans  le  Ps.  90,  3,  "i;  dans  Jérémie,  2,27 
fLXX);  dans  l'expression  «  mechib  nèphech  »  de  Proverbes,  4,  15,  et 
dans  la  scène  racontée  liulh,  8,  0-14.)  pp.  77-80. 

Le  (jéraiil  :  (î.  SroKKKi,. 


Superiorinn  permissii. 


De  Ucentia   Ordinarii. 


IMP.  DESCLÉE,  DE  BROUWER  ET  c'e.  LILLE.  —  4.339. 


L'idée  générale  de  la  connaissance 
dans  S.  Thomas  d'Aquin 


L'idée  la  plus  générale  de  la  connaissance  consiste,  pour 
saint  Thomas,  dans  l'extension  d'un  être  an  delà  de  lui- 
même,  en  vue  de  participer  à  la  nature  d'autrui  et  de  la  vivre. 
«  Les  connaissants  se  distinguent  des  non-connaisisants  en  ce 
que  ceux-ci  n'ont  que  leur  forme  propre,  mais  le  connaissant 
est  capable  de  participer  à  la  forme  d'une  chose  étrangère;  d'où 
il  suit  que  la  nature  du  non-connaissant  est  plus  limitée,  plus 
restreinte;  la  nature  des  connaissants  est  plus  ample,  plus  éten- 
due, c'est  pourquoi  Aristote  a  dit  que  l'âme  est  d'une  certaine 
manière  toutes  choses  »  (1). 

Dès  le  début,  saint  Thomas  pose  ainsi  la  question  du  connaître 
sur  son  véritable  terrain,  qui  est  celui  de  Vêtre.  Mille  équivoques 
s'introduisent  dans  les  discussions  relatives  à  ce  problème  du 
fait  de  l'anthropomorphisme  enfantin  qui  ne  voit  ici  qu'un  apjya- 
raître,  comme  si  l'apparaître,  qu'on  en  situe  l'objet  au  dehors 
ou  au  dedans,  signifiait  quelque  chose  sans  l'être.  Juger  ainsi, 
c'est  se  donner  ce  qui  est  en  question.  L'objet  présent  et  comme 
posant,  au  dedans  ou  au  dehors,  devant  la  puissance  de  connaî- 
tre, cela  n'explique  rien  (2);  il  y  faut  une  entrée,  c'est-à-dire,  ici, 
une  synthèse  de  natures,  ainsi  que  les  Anciens  «  quasi  a  longe 
divinantes  »  l'avaient  compris  depuis  Empédocle  (3).  Le  con- 
naître est  un  mode  d'être.  Il  faut  que  le  connaissant  soit  d'abord 
pétrissablo  en  cette  forme;  ensuite  qu'il  soit  pétri.  Par  quoi? 
Évidemment  par  son  objet,  et  par  conséquent  selon  lui,  et  en 
ce  sens  à  sa  ressemblance.  «  L'âme  est  comme  transformée  en 
la  chose,  et  ce  par  communication  de  la  forme,  selon  laquelle 


1.  Summa  theolog .,  I*  pars,  q.  XIV,  art.  1. 

2.  De  verit.,  q.  VIII,  art.  6. 

3.  In  I  de  Anima,  lect.   4  iiiit.;  lect.   12,   init. 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  3. 


450         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

agit  tout  ce  cpii  agit  (Ij.  »  H  y  a  déjà  dans  cette  phrasa  tout© 
une  théorie  de  la  connaissance. 

Pour  saint  Thomas,  l'être  est  dynamogénique;  le  bien  est  «  dif- 
fusif  de  soi  »;  la  forme,  l'acte,  d'où  l'être  tire  sa  positivité  in- 
telligible, tend  à  se  communiquer,  de  même  que  la  puissance  tend 
à  recevoir,  et  ainsi  l'unité  dans  le  meilleur  tend  à  s'établir,  en 
raison  de  la  fraternité  universelle  née  de  cette  origination  com- 
mune :  la  participation  de  l'Acte  pur.  Telle  est  la  formule  la  plus 
générale  de  l'actiWté  réciproque  des  êtres.  Mais  à  l'invasion  de 
l'acte,  les  conditions  de  la  matière  imposent  des  exigences.  L'acte 
se  communique  ad  modum  recipienfis.  D'où  les  lois  diverses 
qui  règlent  l'assimilation  du  patient  à  l'agent  dans  tous  les  or- 
dres. Or.  il  est  des  cas  où  le  patient  est  à  l'acte  qu'il  s'agit 
de  communiquer  dans  la  même  proportion  que  l'agent  lui-même; 
alors  il  va  de  soi  que  l'acte  sera  reçu  dans  le  premier  tel  qu'il 
subsiste  dans  le  second,  tel,  dis-je,  soit  spécifiquement,  comme 
dans  les  actions  univoqiies,  soit  au  moins  génériqiiement,  comme 
dans  les  autres  actions  naturelles. 

La  matière  donne  le  genre  :  c'est  donc  matériellement  qu'en  ce 
dernier  cas  la  forme  sera  reçue;  elle  s'y  trouvera  liée  à  une 
matière  dont  elle  sera  l'acte  incommunicable,  comme  elle  l'était 
par  rapport  à  son  sujet  propre,  la  matière  étant  principe  d'in- 
di^^duation.  Et  en  tout  cela,  rien  ne  répond  aux  réquisits  de 
la  connaissance.  Celle-ci,  en  effet,  de  quelque  façon  qu'on  la 
conçoive,  doit  se  prêter  à  cette  condition  qu'un  être,  sans  cesser 
d'êtie  soi,  de\'ienne  pourtant  les  autres.  Or,  s'il  recevait  on  soi 
l'être  d'autrui  en  nature  propre,  il  en  perdrait  le  sien,  et  si 
c'était  un  être  matériel,  il  changerait  d'espèce;  si  c'était  un  être 
spirituel,  il  changerait  même  de  genre.  Pour  qu'il  y  ait  con- 
naissance et  non  pas  changement  substantiel,  il  faut  ds  toute 
nécessite  supposer  qu'il  y  a,  pour  l'acte  du  connu,  deux  façons 
de  se  communiquer,  et  corrélativement,  de  la  part  du  patient, 
deux  façons  de  recevoir  l'acte.  D'où  le  recours  imposé  à  une 
distinction  capitale  souvent  énoncée,  à  savoir  celle  qui  classe  en 
deux  ordres  à  part  Vactus  imperfecti,  c'est-à-dire  l'acte  qui  cons- 
titue le  sujet  en  sa  nature  propre,  et  Vactus  perfecti  qui  enrichit  le 
sujet  constitué,  par  l'adjonction  d'un  deuxième  degré  d'acte.  L'ac- 
te de  connaissance  est  actus  perfecti,  et  il  est  bien  évident  que 
l'exposant  ainsi  ajouté  au  radical  des  natures  connaissantes  cons- 


1.  De  Xatitra  Vcrbi  intelîectus:  Summa  theohg.,  1^   pars,  q.  LXXXV,  art.  2. 
Et  ideo  dicendum... 


LA    CONNAISSANCE    DANS    S.    THOMAS  451 

titue  un  ordre  nouveau,  analogue  à  ceux  que  crée  dans  la  quan- 
tité une  dimension  nouvelle.  Le  plan  est  transcendant  à  la  ligne 
et  le  solide  au  plan,  bien  qu'ils  procèdent  l'un  de  l'autre  :  ainsi 
l'être  de  connaissance  {esse  intentionale)  est  transcendant  à  l'être 
de  nature  {esse  naturale),  bien  qu'il  s'y  greffe  (1).  Nous  arri- 
vons ainsi  à  poser  un  mystère,  mais  on  ne  pourrait  le  fuir  qu'en 
refusant  les  données  du  problème  et  en  mutilant  l'homme. 

D'ailleurs  ce  mystère  en  se  rapprochant  d'un  autre  peut  y  trou- 
ver quelque  lumière.  Puisque  le  connaître  est  un  mode  d'être, 
son  éclosion  en  nous  doit  se  concevoir  à  la  façon  d'un  fieri, 
et  l'analyse  du  fieri  doit  lui  être  proportionnellement  applicable. 

La  puissance  et  l'acte,  la  matière  et  la  forme  feront  donc  ici 
retour.  Ce  qui  ne  connaissait  point  et  qui  connaît  passe  pour 
autant  de  la  puissance  à  l'acte,  et  une  puissance  de  connaître 
qui  passe  à  l'acte,  c'est  quelque  chose  d'analogue  à  une  matière 
qui  reçoit  une  forme.  De  même  que  la  matière  première  est  une 
pure  puissance,  définie  uniquement  comme  telle  et  sans  aucun 
acte,  afin  qu'elle  soit  apte  à  les  recevoir  tous,  ainsi,  avant  le 
connaître,  la  puissance  connaissante  est  comme  telle  tabula  rasa 
et  définie  uniquement  en  tant  que  puissance. 

La  différence,  c'est  que  cette  puissance  a  un  sujet,  au  lieu 
d'être  premier  sujet;  elle  est  potentia  j^erfecti  ad  optimum,  l'op 
limum  étant  ici  l'extension  d'être  réalisée  par  participation  à 
des  formes  d'abord  étrangères.  Quant  au  principe  déterminateur, 
c'est,  dans  le  cas  du  fieri,  la  forme  substantielle  ou  accidentelle  ; 
ici  ce  sera  la  forme  de  second  degré  appelée  species.  Toute  la 
difficulté  du  problème  de  la  connaissance  consiste  donc,  dans  ce 
système,  à  rapprocher  sans  les  confondre  la  réalité  extérieure 
qui  doit  entrer  en  nous  et  être  nous  sans  sortir  d'elle-même,  et 
la  représentation  intérieure  qui  doit  rester  en  nous  et  être  nous 
tout  en  nous  transportant  au  dehors.  En  d'autres  termes,  le  prin- 
cipe de  la  connaissance  doit  être  à  la  fois  sujet  et  objet,  syn- 
thétiser le  moi  et  le  non-moi,  faire  un  seul  tout  de  l'univers,  et 
de  l'homme  qui  le  contemple  ou  en  éprouve  les  passions,  sans 
que  d'ailleurs  la  synthèse  obtenue  aboutisse  à  une  sorte  de  com- 
posé qui  ne  serait  ni  le  connaissant  ni  le  connu,  ainsi  qu'il 
advient  par  l'union  de  la  matière  à  une  forme  dans  la  géné- 
ration corporelle.  La  matière  est  nulUus  ;  l'intellect  ou  le  sens 
sont  puissance  d'un  être  défini  et  constitué  :  c'est  celui-ci  qui 
doit  bénéficier  de  la  svnthèse.  L'intellect  ou  le  sens  devront  de- 


1.  Cf.   Il   de   Anima,   lect.  24. 


4o'2         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

venir  l'objet,  et  par  là  le  sujet  sera  connaissant,  sans  être  tenii 
de  devenir  l'objet.  Il  absorbera  et  ne  sera  point  absorbé;  il 
s'assiniile;ra  le  monde,  au  lieu  d'aller  s'y  perdre  en  se  quittant. 

Voici  un  passage  de  Fichts  qui  donne  un  sentiment  très  vif 
de  cette  condition  et  qui  par  Là  peut  servir  à  éclairer  la  thèse 
thomiste^  «  Comment  une  science  des  choses  peut-elle  être  pos- 
sible, du  moment  que  la  chose  s'ignore  elle-même  ?  Comment  moi 
qui  ne  suis  pas  du  tout  la  chose,  qui  ne  suis  pas  une  modifica- 
tion de  la  chose,  puisque  les  modifications  de  la  chose  ne  peu- 
vent apparaître  que  dans  le  cercle  même  de  l'existence  de  la 
chose  et  non  pas  dans  le  cercle  de  ma  propre  existence,  com- 
ment moi,  dis-je,  puis-je  avoir  conscience  de  la  chose?  Par  quel 
mcyen  la  chose  vient-elle  à  moi?  Où  est  le  lien  entre  moi,  le 
sujet  qui  sais,  ce  que  je  sais  et  la  chose  elle-même?  Quand,  je 
suis  moi-même  ce  que  je  sais,  il  n'y  a  pas  de  difficulté.  Je  me 
connais  simplement  parce  que  je  suis  un  être  intelligible.  Je 
sais  ce  que  je  suis  parce  que  je  le  suis...  Je  n'ai  aucun  besoin, 
d'un  lien  étranger  entre  le  sujet  et  l'objet  :  ma  propre  nature 
est  ce  lien;  c'est  moi  qui  suis  en  même  temps  le  sujet  et  l'objet. 
Or,  cette  subjectiWté  objective,  cette  objectivité  subjective,  cette 
identité  de  l'objet  de  la  science  avec  celui  qui  possède  la  science, 
c'est  précisément  cela  que  j'entends  signifier  par  cette  expres- 
sion vwi  (1).  » 

La  doctrine  thomiste  part  du  même  point  de  vue  que  Fichte 
en  oe  qu'elle  reconnaît  la  nécessité  de  rattacher  le  connaître  à 
l'être.  On  ne  connaît  que  ce  que  l'on  est  :  saint  Thomas  accepte 
pleinement  cet  axiome.  Il  s'agira  de  savoir  s'il  n'y  a  pas  plu- 
sieurs façons  d'être  quelque  chose.  Or,  le  fait  de  la  connaissance 
nous  révèle  précisément  une  multiplicité  dans  les  manifestations 
du  fond  de  l'être.  Le  fond  de  l'être  est  idée,  et  l'idée  peut 'se 
réahser  non  pas  seulement  dans  une  matière,  mais  aussi,  sous 
certaines  conditions,  dans  un  sujet  constitué,  et  précisément  la 
condition  fondamentale  de  cette  réalisation  au  deuxième  degré 
sera  l'immatérialité  aussi  grande  que  possible  du  sujet  que  l'on 
emàsage;  car  c'est  la  matière  qui  réduit  la  forme,  qui  la  finit, 
qui  l'indi^ddualise,  et  puisque  la  connaissance  consiste  dans  une 
extension  compréhensive  qui  fait  dépasser  à  l'individu  ce  que 
Fichte  appelle  son  «  cercle  d'existence  »,  il  faut  que  pour  autant 
le  pouvoir-limite  de  la  matière  s'écarte  (2).  A  cette  condition. 


1.  Destination  de  l'Homme.  Trad.  Barchûu  de  Pexhoëx,  p.  160. 

2.  Sumyna  theolog.,  I^    pars,  q.  XIV,  art.  1. 


LA  co^^\AISSA^■cE  dans  s.  thomas  453 

les  «  cercles  d'existence  »  pourront  arriver  à  coïncider  par  quel- 
que chose  d'eux-mêmes,  à  savoir  l'idée  participée  en  commun  : 
ici  sous  forme  naturelle  pour  constituer  un  être,  là  sous  forme 
intentionnelle  pour  le  recréer,  le  repétrir  à  l'image  d'autrui. 

Par  quel  moyen  la  chose  vient-elle  à  moi?  damandait  Fichte. 
Réponse  thomiste  :  Par  la  forme  id''ale  dont  elle  est  l'incarnation 
et  dont  sous  son  influence  je  deviendrai  le  sujet.  La  matière  de 
la  chose  est  en  acte  d'idée,  et  c'est  ce  qui  la  fait  êtro  oe^  qu'elle 
est.  Or,  la  chose  que  je  suis  et  qui  est  aussi  en  acte  d'idée  pour 
être,  est  de  plus  en  pouvoir  d'idée  pour  connaître,  c'est-à-dire 
pour  être  autrui  sans  cesser  d'être  'olle-m^me,  en  participant 
à  l'idéalité  incarnée  en  autrui. 

L'idéalisme  réaliste  de  saint  Thomas  se  découvre  ici  à  pleiii, 
et  l'on  voit  comment  dans  sa  pensée  se  réalise  sans  paradoxe 
l'objectivité  subjective  et  la  subjectivité  objective  de  Fichte.  Nous 
sommes  sujet  «  naturellement  »,  et  objet  «  intentionnellement  », 
c'est-à-dire  sujet  au  premier  degré  de  réalisation  de  l'idée-être; 
objet  au  deuxième  degré  de  cette  réalisation,  grâce  auquel  nous 
nous  étendons  au  delà  de  nous  {in-tenclere,  d'où  intentio  et  Inten- 
tionalis)  pour  participer  à  l'être  des  autres,  à  leur  être,  dis-je, 
iion  en  tant  qu'ils  sont  sujet,  ce  qui  serait  nous  confondre  avec 
eux,  mais  en  tant  qu'ils  sont  idâe,  et  que  tout  être  en'  pouvoir 
d'idée  peut  donc  les  recevoir  sous  ce  rapport  et  les  vivre  (1). 
Saint  Thomas  dit  sans  cesse  qu'il  y  a  quelque  chose  dans  les 
êtres  par  quoi  ils  nous  sont  connaissables,  à  savoir  une  frater- 
nité entre  eux  et  nous  en  tant  que  nous  sommes  connaissants. 
Il  en  conclut  hardiment  avec  Aristote  (2)  que  tout  ayant  ainsi 
naturellement  rapport  à  la  connaissance,  à  parler  universellement 
s'il  n'y  avait  pas  sujet,  il  n'y  aurait  pas  non  plus  objet.  Ces  deux 
termes  s'impliquent  comme  exprimant  deux  faces  d'une  mêniô 
réalité  transcendante.  La  cognoscibilité  de  toutes  choses  leur 
vient  de  ce  qu'elles  procèdent  du  Connaissant  suprême  et  qu'elles 
ne  sont  que  sa  pensée  posée  dans  l'être  (Scientia  Dei  est  causa 
rerum).  Elles  existent  par  leur  forme,  c'est-à-dire  par  une  idée 
qu'elles  sont  chargées  de  manifester.  Or,  à  cette  condition 
'd'être  issues  d'une  pensée  et  formées  non  seulement  par  elle, 
mais  d'elle  suit  leur  cognoscibilité  pour  nous  en  ce  que,  par 
un  contact  indicible,  par  une  synthèse  de  ces  idées-êtres,  le  sujet 
arrivera  à  connaître  l'objet  en  devenant  lui  et  soi  tout  ensemble. 


1.  Summa  theoïog.,  I^    pars,    q.  LXXXIV,  art.  1. 

2.  I7i  IV  Phys.,  lect.  23. 


454  REVUK   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   El'    THÉOLOGIQUES 

Ce  que  saint  Thomas  rejette,  c'est  la  nécessité  prétendue,  pour 
le  connaissant,  d'être  en  nature  propre  ce  qu'il  doit  connaître. 
La  puissance  et  l'acte  l'exonèrent  de  cette  supposition,  qui  a  jeté 
Fichte  dans  le  paradoxe  du  moi  absolu.  Il  la  conserve  d'ailleurs 
pour  un  cas,  à  savoir  celui  où  le  connaissant  étant  forme  pure, 
se  trouve  appartenir  à  l'ordre  idéal  par  lui-même  et  peut  donc 
se  connaître  immédiatement.  Un  tel  être  peut  dire  en  effet  : 
«  Je  sais  ce  cjne  je  suis  parce  que  je  le  suis  >>.  C'est  le  cas  des 
intelligences  séparées  (1);  c'est  à  fortiori  le  cas  d3  Dieu. 
Mais  hors  ce  cas  qui  n'est  pas  en  cause  pour  nous,  il  faut 
maintenir  la  distinction  foncière  des  sujets  et  des  objets,  ce  qui 
ne  nous  empêche  aucunement  de  les  mettre  en  synthèse  sous  un 
certain  rapport,  à  savoir  dans  cet  acte  second  par  lequel  le  con- 
naissant, tout  en  demeurant  soi,  participe  à  l'idée  incamée  dans 
un  autre.  C'est  en  ce  sens  que  saint  Thomas  dit  toujours  avec 
Aristote  :  Dans  le  fait  de  la  connaissajice,  le  sujet  en  acte  et 
l'objet  en  acte  sont  identiques.  Averroès  avait  insisté  en  disant 
qu'ils  sont  plus  un  que  la  matière  et  la  forme  dans  la  substance  (2). 
Saint  Thomas  y  applaudit,  car  la  matière  n'est  point  la  forme; 
elle  constitue  avec  elle  un  troisième,  tandis  que  la  puissance 
connaissante,  comme  telle,  devient  réellement  la  chose  en  tant 
que  celle-ci  est  connaissable,  c'est-à-dire  que  l'idée  de  réalisa- 
tion qui  est  incarnée  ici  est  participée  là.  Et  comme  l'être  est 
avant  tout  idée,  forme,  acte,  raison,  il  y  a  donc  là  unité  dans 
l'être  en  sa  plus  haute  acception,  (  béoycta  ,  .-rJo;  ),  eu  ne  ré- 
sen^ant  que  la  manière  d'être  (ro  etvat)  qui  tient  aux  conditions 
matérielles.  A  cause  de  cela,  en  Dieu  où  les  conditions  maté- 
rielles n'ont  plus  cours,  où  l'essence  et  son  acte  d'être  sont  iden- 
tiques, l'unité  du  sujet  et  de  l'objet  sera  parfaite.  Dieu  sera  sub- 
jectivement son  objet  total,  comme  il  sera  objectivement  son 
être  total  (3). 

Peut-on  opposer  à  ces  conceptions  quelque  difficulté  insurmon- 
table? Qu'est-ce  qui  peut  s'opposer  à  ce  qu'une  idée  réelle  de- 
vienne la  détermination  spécifique  d'une  puissance  appartenant 
à  un  être  déjà  constitué,  aussi  bien  qu'elle  devient  la  détermi- 
nation d'une  matière?  L'être  en  question  sera  matière  sous  ce 
rapport,  voilà  tout.  ^Matière  et  forme  ne  sont-ils  pas  des  termes  rela- 
tifs, en  même  temps  qu'ils  désignent,  aux  deux  bouts  des  rela- 


1.  Summa  theolog.,  h   pars,    q.  LYI,  art.  1. 

2.  In  III  de  Anima,  comment.  V. 

3.  Summa   Thcol.,   I^    pars,   q.   XIV,   art.  5. 


LA    CONNAISSANCE    DANS    S.    THOMAS  4oo 

tiens,  la  puissance  pure  et  l'acte  pur?  Pour  que  la  détermination 
dont  on  parle  soit  possible,  il  suffit  que  la  constitution  première 
de  l'être  en^isagé  ne  le  mure  pas  en  soi  en  épuisant  son  pouvoir 
d'idée  :  soit  qu'il  se  trouve  individualisé  à  outrance  par  la  domi- 
nation de  la  matière,  soit  qu'au  contraire  il  enveloppe  toute  idée 
et  ne  puisse  donc  rien  recevoir.  Ce  dernier  cas  est  celui  de  Dieu, 
dont  on  peut  dire  en  un  sens  supérieur  qui  était  déjà  peut-être 
celui  d'Aristote  :  Il  ne  connaît  que  soi.  Quant  à  l'autre  hypo- 
thèse, elle  nous  aide  à  comprendre  comment  les  êtres  inorgani- 
ques, ne  possédant  qu'un  minimum  d'acte,  un  minimum  d'intelli- 
gibilité propre,  n'arrivent  pas  à  se  procurer  le  luxe  ontologique 
d'une  participation  à  l'intelligibilité  ambiante.  Le  mot  de  l'Évan- 
gile s'applique  ici  :  Omni  hahenti  dahitur  ;  ei  autem  qui  non  liabet, 
et  quod  habet  auferetur  ah  eo.  ';' 

Par  où  l'on  voit  comment  se  retourne  en  louange  le  reproche 
adressé  par  quelques-uns  à  une  conception  qui,  prétend-on,  mé- 
connaîtrai!; l'autonomie  de  la  conscience,  en  l'identifiant  au  mon- 
de extérieur  (1).  Est-ce  méconnaître  la  conscience  que  de  la  mêler 
à  son  milieu  et  de  la  mettre  en  synthèse  avec  la  nature?  Nous 
sommes  nature  aussi,  nous;  par  notre  être  sensible,  d'où  toutç 
connaissance  nous  arrive,  nous  appartenons  à  cet  océan  qui,  sous 
le  vent  des  actions  \iitales,  élève  ses  flots  et  y  allume  la  sensa- 
tion en  aigrette  lumineuse.  Les  formes  naturelles  sont  donc  chez 
elles,  chez  nous.  Leur  existence  en  double  :  au  dehors  dans  la 
matière,  en  nous  qui  nous  faisons  matière  pour  les  recevoir, 
n'a  rien  do  tellement  insolite.  C'est  en  tout  cas  une  nécessité 
qu'impose  l'analyse.  La  critique  adressée  par  Aristote  à  Platon, 
k  savoir  qu'avec  les  idées  il  créait  un  double  inutile  de  la  nature, 
n'a  plus  cours  ici,  car  l'être  intentionnel  ne  double  pas  l'être 
naturel  sans  raison,  et  d'ailleurs,  au  point  de  vne  où  nous  som- 
mes pïésentement,  l'un  est  aussi  «  naturel  »  que  l'autre.  Toute 
chose  est  créée  deux  fois,  dit  saint  Augustin  :  une  fois  en  elle- 
même,  une  fois  dans  les  intelligences.  Sans  verser  aux  idées 
innées,  il  faut  reconnaître  le  bien  fondé  de  cette  remarque.  Ce 
qu'elle  contient  de  platonisme  nous  parait  rigoureusement  imposé 
par  les  données  du  problème  de  la  connaissance.  C'est  ce  qu'a 
pensé  le  plus  redoutable  emiemi  des  Idées,  quand  il  a  dit  tfua 
l'âme  peut  devenir  toutes  choses.  Aristote  ne  peut  échapper  à 
Platon,  et  ceux  qui  veulent  échapper  à  l'un  et  à  l'autre  s'éga- 
rent loin  de  l'expérience. 

1.  Renouvier,  Hist.  et  Solut.  des  probl.   mctaphys.,  p.   75. 


4o6         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Ce  qui  prouve  d'ailleurs  d'une  façon  assez  piquante  combien 
est  vain  ce  reproche  de  confusion  entre  la  conscience  et  la  nature, 
c'est  qu'il  laisse  place  au  reproche  contraire.  Certains  ont  vu  dans 
la  thèse  de  l'identité  formelle  du  connu  et  du  connaissant  non 
plus  la  confusion  dont  on  parle,  mais  un  emmurement  de  la 
conscience  en  soi  et  le  sûr  moyen  de  créer  entre  elle  et  la 
nature  un  hiatus  infranchissable.  Ces  critiques  contradictoires 
prouvent  mieux  que  toute  louange  avec  quelle  justesse  le  mi- 
lieu de  vérité  est  ici  atteint.  Comment  d'ailleurs  le  reproche 
d'emmurement  serait-il  plus  que  l'autre  acceptable?  Dire  que 
le  connaissant  et  le  connu  comme  tels  sont  identiques,  c'est 
dire  précisément  que  la  forme  par  laquelle  je  connais  n'est  pas 
seuJement  forme  du  connaissant,  mais  forme  du  connu;  qu'elle 
est  chose  de  nature,  et  qu'elle  fait  donc  le  lien  qu'on  lui  reproche 
de  briser. 

Bien  plus,  ce  n'est  pas  seulement  à  l'état  agissant,  c'est  d'une 
.certaine  manière  dans  sa  constitution  même  que  l'âme,  en  cette 
théorie,  se  trouve  mêlée  à  l'univers.  Car  le  connaître  est  l'acte 
dont  le  connaissant  comme  tel  est  la  puissance.  Si  donc  la  puis- 
sance et  l'acte  se  correspondent;  si  par  ailleurs  connaître  c'est 
devenir  un  autre  en  participant  au  même  acte,  cà  la  même  idée 
de  nature,  c'est  donc  que  l'âme  est  en  quelque  façon  tout  ce 
qu'elle  doit  ou  peut  connaître.  Comme  nous  disons  :  La  matière 
contient  en  puissance  toutes  les  formes  que  la  génération  en 
extrait,  ainsi  nous  pouvons  dire  :  L'âme  contient  en  puissance  les 
hatures  que  ses  conceptions  intellectuelles  successives  y  feront 
reconnaître.  Ce  que  l'âme  deviendra,  il  faut  qu'elle  le  soit  en 
pouvoir,  et  qui  la  connaîtrait  à  fond  y  pourrait  donc  trouver 
comme  en  creux  l'universalité  des  choses.  «  Elle  n'en  diffère, 
et  les  choses  ne  diffèrent  d'elle  que  selon  que  le  tout  est  en 
puissance  (1).  »  Saint  Thomas  donne  ainsi  uno  satisfaction  inat- 
tendue au  panthéisme  idéaliste  d'après  lequel  la  nature  prend 
elle-même,  dans  le  connaissant,  conscience  d'elle-même,  et  il  sug- 
gère, sans  nul  sacrifice  doctrinal,  une  grandiose  idée  de  l'unité 
relative  de  tout,  sous  les  auspices  de  l'absolue  unité  divine. 

Ce  qu'il  est  très  important  de  remarquer,  c'est  que  la  théorie 
de  la  connaissance  dont  nous  venons  de  marcpier  les  grandes 
lignes  n'est  pas  à  l'ontologie  thomiste  dans  le  rapport  de  la  con- 
séquence au  principe  :  c'est  elle  au  contraire  qui  est  principe.  Le 


1.  Summa  Theolog.,    I»    pars,   q.  XIV,  art.  2. 


LA    CONNAISSANCE    DANS    S.    THOMAS  4o  / 

procédé  synthétique  de  saint  Thomas  pourrait  faire  illusion  : 
constamment  jl  paraît  déduire;  mais  à  y  regarder  de  près,  on 
voit  que  son  système  clos  en  apparence  —  tel  un  anneau  hrisé  — 
a  pourtant  une  entrée,  et  que  cette  entrée  est  sa  thèse  sur  la  con- 
naissance. Au  fond,  cela  va  de  soi.  Se  demander  ce  qu'est  l'être, 
c'est  se  demander  :  Qu'est  ceci,  qui  nous  apparaît?  Et  comment 
répondre  sans  avoir  dit  d'abord  ce  que  c'est  qu'ajyparaître  ;  ce  que 
V apparence  confère  ou  ne  confère  pas  au  réel,  d3  telle  sorte  qu'on 
puisse  dire  :  Ceci  est  le  résidu  objectif;  ceci  est  l'être  en  soi,  et 
voici  ce  que  le  sujet  y  ajoute.  C'est  Platon  qui  avait  senti  le 
plus  ^'ivement,  dans  l'antiquité,  cette  dépendance  absolue  du  pro- 
blème ontologique  avec  le  problème  de  la  connaissance  (1).  Il 
avait  &é\ié  en  chemin,  mais  la  route  était  bonne.  Saint  Thomas 
la  reprend  avec  Aristote  pour  guide.  Il  note  sans  cesse  que  la 
réalité,  matière  ou  esprit,  ne  saurait  être  définie  en  termes  qui 
abstraient  de  la  connaissance,  sous  peine  de  rendre  celle-ci  inin- 
telligible. 

Nous  connaissons  :  donc  le  réel  est  connaissdble  :  donc  il  par- 
ticipe de  la  nature  du  connaissant  comme  tel,  autrement  il  lui 
serait  étranger  et  ne  pourrait  communiquer  avec  lui  dans  l'acte 
commun  qui  constitue  le  connaître.  L'aliment  ne  peut  être  étran- 
ger à  ce  qui  se  nourrit;  il  faut  qu'une  communauté  de  nature 
les  assemble.  U autre  se  fonde  sur  le  même,  comme  le  mouvement 
sur  l'immobile  et  le  multiple  sur  l'un.  Ce  qui  fait  l'intelligibilité 
doit  être  au  fond  ce  qui  fait  l'intelligence  ;  ce  qui  rend  le  sensible 
tel  doit  être  ce  qui  rend  le  sens  capable  d'y  boire.  L'analyse 
partant  de  là  poussera  ainsi  sa  pointe  :  Rien  ne  nous  est  donné 
que  dans  son  idée,  en  prenant  ce  mot  au  sens  le  plus  large 
(species).  Or,  le  sens  universel  nous  oblige  à  dire  et  tout  le  mou- 
vement de  la  rie  en  contient  l'affirmation  :  Nous  connaissons 
les  choses.  Quel  moyen  de  s'en  tirer  que  de  dire  :  La  chose  même 
est  idée,  et  par  l'idée,  l'intellect  ou  le  sens  pourront  donc  deve- 
nir chose.  On  pourra  dire  :  Intellectus  fit  omnia  parce  qu'on 
aura  pu  dire  d'abord  :  Ex  intelligibili  m  actu  et  intellectu  in 
actu  fit  unum,  et  cela  même  sera  vrai  parce  qu'il  est  vrai  qu'en 
puissance  du  moins,  intelligibile  et  intellectus  sunt  unum. 

L'idéalisme  platonicien  est  là,  mais  corrigé  ainsi  qu'on  l'a  vu 
déjà,  ainsi  qu'on  le  verra  davantage. 

On  peut  juger  maintenant  de  ce  que  devra  penser  saint  Tho- 


1.  Cf.  Summa  theolog.,   V"   pars,   q.  LXXXIV,  art.   1. 


458  REVU"    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

mas  soit  de  l'objectdvism'e  matérialiste,  soit  de  l'idéalisme  sub- 
jecti\dste  en  toutes  leurs  nuances.  Il  les  combat  en  tant  qu'exclu- 
sifs; il  les  absorbe  dans  sa  synthèse.  Il  lui  paraît  tout  à  lait 
insensé  de  vouloir,  avec  le  premier,  construire  le  sujet  avec  de 
l'objet,  la  conscience  avec  de  la  chose.  Il  lui  paraît  absurde  aussi 
de  chercher  à  absorber  l'objet  dans  le  sujet  à  tel  point  que  tout 
soit  oonscienoe  ou  état  de  conscience.  Par  ailleurs,  ayant  vu 
que  le  sujet  et  l'objet  ne  peuvent  être  étrangers  en  nature,  il  a 
introduit  dans  l'être  qui  leur  est  commun  de  quoi  faire  que  le 
sujet  devienne  objet  et  l'objet  sujet  sans  que  l'un  ou  l'autre 
abdique.  Sa  position  est  donc  moyenne,  et  du  point  central  où 
il  s'établit,  il  peut  juger  ses  adversaires. 

Le  matérialisme  était  représenté  pour  lui  par  les  anciens  natu- 
ralistes :  Empédocle,  Heraclite,  Diogène  d'Apollonie,  Hippo,  Cri- 
tias,  et  surtout  Démocrite.  Leur  point  de  départ  commun  était 
que  le  semblable  est  connu  par  le  semblable,  en  quoi  ils 
ne  se  trompaient  point  tout  à  fait,  ainsi  qu'on  l'a  vu;  mais 
ils  étaient  comme  des  hommes  que  la  vérité  poursuit  dans 
le  sommeil,  et  qui  l'habillent  de  songes  (1).  De  ce  que  l'ob- 
jet et  le  sujet  doivent  avoir  quelque  chose  de  commun,  ils  con- 
cluaient aussitôt  qu'ils  doivent  avoir  une  composition  iden- 
tique. Platon  même  raisonnait  ainsi;  seulement  ayant  recon- 
nu d'abord  l'idéalité  du  sujet,  il  avait  idéalisé  le  réel,  pour 
ne  pas  désidéaliser  l'âme.  Les  Physiciens,  au  contraire,  partant 
de  l'objet  matériel  et  le  comprenant  dans  le  sens  le  plus  empi- 
rique, en  composaient  le  sujet,  de  sorte  que  l'idéalité  de  la 
connaissance  était  sans  nulle  explication,  quoique  imposée  par 
l'expérience  la  plus  immédiate  du  moi  (2). 

Cette  opinion  n'est  pas  soutenable.  L'âme  ne  peut  pas  être 
un  composé  corporel;  elle  n'est  ni  une  harmonie  de  propriétés 
matérielles  comme  le  voulaient  Simmias,  Empédocle  et  Dinar- 
que  (3),  ni  une  complexion  d'organes  à  la  façon  de  Galien  (4), 
ni  à  plus  forte  raison  un  feu,  un  souffle,  une  vapeur,  comme 
«  l'imagination  grossière  »  d'un  Démocrite,  d'un  Diogène  ou  d'un 
Heraclite  le  put  croire.  L'âme  est  un  acte  intelligible,  une  forme, 
une  idée  réelle  sous  le  gouvernement  de  laquelle  les  propriétés 
matérielles  s'organisent  et  s'unissent,  mais  qui  par  cela  même 


1.  Ih  I  de  Anima,   lect.  4,  init. 

2.  Ibid.,  cire,  mcd.;  Summa  theolo(j.,  V  pars,  q.  LXXXIV,  art.  1  et  2. 

3.  Cf.  C.  Gentcs  II,   c.  LXIV;  1  dz  Anima,  lect.  9. 

4.  lUd.,    c.  LXIII. 


LA    CONNAISSANCE    DANS    S.    THOMAS  459 

les  dépasse.  La  simple  nutrition  le  prouve,  et  à  plus  forte  raison 
la  sensation  et  l'intellection  (1).  Ce  qui  a  trompé  ces  philoso- 
phes, c'est  le  rôle  é\'ident  que  jouent  dans  le  connaissant  les  pro- 
priétés corporelles.  Voyant  qu'on  pouvait  dire  :  Tel  corps,  telle 
âme;  telle  complexion,  telle  intelligence;  telles  humeurs,  telles 
passions,  ils  n'ont  pas  su  comprendre  qu'autre  est  la  relation 
qu'entretiemient  les  fonctions  de  connaissance  avec  les  proprié- 
tés corporelles,  autre  la  relation  qu'elles  entretiennent  avec  l'âme. 
Celle-ci  est  le  lien  des  autres  et  ne  peut  donc  les  rendre  inutiles. 
Les  propriétés  corporelles  ont  à  l'égard  de  l'àme  raison  de  dis- 
positions matérielles;  l'âme  elle-même  est  la  forme,  l'acte,  l'idée 
réelle  qui  régit  le  composé.  Sans  les  propriétés,  l'âme  ne  pour- 
rait rien  faire;  mais  sans  l'âme,  les  propriétés  ne  sauraient 
aboutir  à  la  connaissance,  attendu  que  celle-ci  les  dépasse,  qu'elle 
est  d'un  ordre  à  part,  et  qu'il  faut  donc  lui  assigner  un  principe 
de  son  ordre  (2).  Si  l'âme  connaissante  était  une  harmonie  de 
propriétés,  comme  il  faudrait  supposer  à  cette  harmonie  une  cause 
propre,  il  faudrait  donc  une  âme  de  l'âme  (3).  Qu'on  dise  donc 
dès  l'abord  que  l'âme  est  non  l'harmonie  même,  mais  son  prin- 
cipe; que  par  suite  elle  est  antérieure  logiquement  aux  éléments 
de  l'harmonie,  afin  de  les  contenir;  que  par  suite  elle  leur  est 
supérieure  (4).  D'ailleurs  si  l'on  comprend  que  la  beauté  soit  une 
harmonie  de  parties,  la  santé  une  harmonie  d'humeurs,  la  force 
des  membres  une  harmonie  de  nerfs  et  d'os,  etc.,  de  quoi  le 
sens  ou  l'intelligenoe  comme  tels  seraient-ils  l'harmonie?  Il  y 
a  là  une  réalité  à  part,  dont  la  raison  propre  (propria  ratio) 
n'est  pas  dans  l'organisme  (5).  Tout  au  plus  peut-on  dire,  s'il 
s'agit  de  la  sensation,  que  la  raison  propre  en  est  dans  le  corps 
\dvant,  mais  en  tant  qu'il  est  vivant  par  son  âme. 

]\Iais  le  matérialisme  ne  se  soutenant  pas,  faut-il  verser  dans 
l'idéalisme  ?  La  doctrine  du  Cogito  a  orienté  la  pensée  moderne 
vers  une  méthode  qtd  fait  des  phénomènes  de  conscience  le  pre- 
mier ou  l'unique  objet  de  l'investigation  philosophique,  tout  le 
reste  —  si  reste  il  y  a  —  ne  pouvant  être  conçu  ou  donné  que 
par  ou  à  travers  ce  premier  objet.  Cette  attitude  favorise  infi- 
niment, si  elle  ne  les  implique  point,  les  conclusions  idéalistes. 


1.  Q.  un,  de  Anima,  art.  1. 

2.  Ibid.,   loc.  cit.  et  c.  LXI;  In  I  de  Anima,  lect.  9. 

3.  Loc.  ult.  cit.,  cire.  med. 

4.  In  I  de  Ayiima,  lect.  XII.  Octavam  rationem... 
b,  II  C.  Gentes,  c.  LXIV. 


460         REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Or,  l'attitude  thomiste  est  toute  contraire.  Le  point  de  départ  est 
ici  l'intuition  objective.  Le  connaître  est  objet  avant  d'être  sujet; 
le  primum  cognitum,  ce  n'est  pas  le  connaissant  comme  tel,  c'est 
l'être.  Pour  la  puissance  pure  que  nous  sommes  au  point  de  vue 
du  connaître,  connaître  en  acte  c'est  devenir  autrui,  et  comme 
nous  ne  sommes  pour  nous  que  par  la  connaissance,  nous  ne 
sommes  pour  nous  que  par  autrui.  C'est  l'invasion  du  monde 
en  nous  qui  nous  éveille  à  nous.  L'homme  ne  se  connaît  que  dans 
l'acte  do  devenir  autre  :  Cognoscens  in  actu  est  cognitum  in  aetu, 
de  sorte  que  l'ordre  vrai  du  connaître  est  celui-ci  :  Premièrement 
l'objet,  deuxièmement  l'acte,  troisièmement  la  puissance  d'où  pro- 
cède cet  acte,  quatrièmement,  pour  finir,  le  sujet  (1).  On  voit 
combien  s'éloigne  un  tel  point  de  me  des  basées  du  subjecti- 
visme.  L'union  synergétique  du  connaissant  et  du  connu  fait  que 
l'âme  a  conscience  de  l'un  et  de  l'autre  en  son  acte,  mais  du 
connu  directement,  de  soi-même  indirectement,  en  tant  que  puis- 
sance de  l'acte  obtenu  par  la  connaissance.  La  réalité  de  l'objet 
est  donc  ici  donnée  avant  le  moi  :  comment  ensuite  la  méconnaître  ? 
Le  fait  premier  doit  être  laissé  à  sa  primauté  (2).  Il  est  plus 
certain  que  nous  connaissons  des  choses  qu'il  n'est  certain  que 
nous  connaissons  par  une  opération  immanente.  Mieux  vaudrait 
donc  nier  l'immanence  de  la  pensée  ou  de  la  sensation,  comme 
y  tend  le  matérialisme  empiriste,  que  d'en  nier  l'objectivité  au 
sens  le  plus  général  de  ce  terme.  Volontiers  saint  Thomas  dirait 
aux  subjectivistes  ce  que  disait  Cicéron  aux  Épicuriens  :  «  Cum 
perspicuis  dubia  debeatis  illustrare,  dubiis  perspicua  conamini 
toUere  (3).  »  Faire  dépendre  le  monde  extérieur  de  l'analyse  du 
moi,  ne  serait-ce  pas  vraiment  chercher  la  lumière  du  jour  dans 
les  caves? 

A  maintes  reprises  saint  Thomas  s'est  posé  cette  question  : 
Qu'est-ce  qui  est  vraiment  connu?  Est-ce  la  représentation,  est- 
ce  la  chose?  Est-ce  l'image  intelligible  ou  sensible,  est-ce  l'ob- 
jet? C'est  en  ces  termes  que  se  posait  de  son  temps  la  question 
du  subjectivisme. 

«  Certains  ont  posé,  dit-il,  que  les  puissances  cognitives,  en 
nous,  ne  connaissent  que  leurs  propres  passions,  à  savoir  que  le 

1.  De  verit.,  q.  X,  art.  VIII;  art.  IX;  Siivimn  theolog.,  I^  pars,  g. 
LXXXVII.  art  3;  art.  1,  ad  3°i;  In  II  de  Anima,  lect.  2,  mit.;  III,  lert.  9, 
mtd.;  In  Boet   de  Trinit.,  art.  3;  de  Principio  individuationis,  init. 

2.  In  IV  Iletapht/s.,  lect.   14,  in  fine. 

3.  De   finîbus,    IV,   24. 


LA    CONNAISSANCE    DANS    S.    THOMAS  461 

sens  ne  sent  autre  chose  que  l'altération  de  l'organe,  et  que  l'in- 
telligence ne  perçoit  que  l'image  intelligible  éveillée  en  elle.  Mais 
cette  opinion  apparaît  manifestement  fausse  (1).  »  Il  s'ensuivrait 
que  les  sciences  ne  seraient  point  relatives  aux  choses,  mais  seu- 
lement aux  états  du  moi,  de  la  même  manière  que  les  Plato- 
niciens ont  dit  :  Notre  science  est  relative  aux  Idées.  Seulement, 
dans  l'hypothèse  platonicienne,  les  Idées  étaient  un  en  soi  et 
comme  un  double  immobile  des  choses;  ici,  elles  sont  en  nous, 
et  toute  science  humaine  se  réduirait  ainsi  à  une  psychologie. 
De  fait,  cette  conséquence  a  été  acceptée  de  quelques  penseurs, 
et  remarquant  avec  raison  que  toute  réflexion  consiste  à  se  don- 
ner un  objet  intérieur,  à  penser  sa  pensée  comme  une  chose,  ils 
ont  avoué  que  leur  doctrine  générale  de  la  connaissance  doit  se 
pousser  jusque  là  et  que  l'on  doit  dire  :  Il  n'y  a  de  science  que 
la  psychologie  réelle,  c'est-à-dire  «  conscientielle  »,  c'est-à-dire  ir- 
réflécliie  et  qui  se  réduit  au  courant  non  jugé  de  l'âme.  Pour  fuir 
cette  conséquence  paradoxale,  il  faut  accorder  que  la  connaissance 
peut  avoir  un  donné  en  dehors  d'elle-même,  et  alors  au  nom 
de  quel  préjugé  assurer  que  ce  donné  est  création  de  l'esprit 
plutôt  que  création  d'autre  chose?  Une  fois  dans  Vautre,  on  a 
passé  le  pont  qu'on  disait  infranchissable  et  on  a  ruiné  ses  pro- 
pres objections.  On  a. donc,  pour  écarter  un  mystère,  avancé 
une  absurdité  qui  ne  supprime  pas  le  mystère. 

«  En  second  lieu,  il  suivrait  de  la  position  adoptée  l'erreur 
de  ces  Anciens  qui  disaient  :  Tout  ce  qui  apparaît  est  vrai,  même 
les  contradictoires.  Si,  en  effet,  la  puissance  cognitive  ne  connaît 
que  ses  propres  états,  elle  ne  peut  juger  que  de  cela  même,  et 
elle  n'en  peut  juger  que  selon  qu'elle  en  est  affectée.  Tout  juge- 
ment porté  par  elle  sur  cet  unique  objet  l'atteindra  donc  selon 
ce  qu'il  est,  et  ainsi  tout  jugement  sera  vrai,...  toutes  opinions 
seront  équivalentes,  tous  les  états  de  connaissance  se  vau- 
dront (2).  » 

Il  suffit  à  saint  Thomas  d'avoir  énoncé  ces  conséquences  pour 
se  croire  en  droit  de  rétrograder  vers  une  théorie  de  la  con- 
naissance qui  en  écarte.  Il  refuse  de  compter  avec  des  paradoxes 
antihumains,  et  quand  l'idéaliste  prétend  que  s'il  y  a  du  réel  hors 
la  connaissance,  la  connaissance  ne  saurait  l'atteindre  parce 
qu'elle  n'atteint  que  soi,  il  ne  voit  là  qu'une  pétition  de  principe. 
L'idéalisme   est  contraire   au  sens   univ^ersel  :   c'est  donc   à  lui 


1.  Summa   fJicoloi].,   'i^    pars,  q.  LXXXV,  art.  2. 

2.  Loc.    ult.    cit. 


-562         REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

de  se  prouver;  il  mène  aux  inoonvénients  qu'on  vient  de  dire  : 
toute  supposition  à  lui  oontraire  et  qui  saura  rendre  un  compte 
suffisant  des  phénomènes  de  connaissance  sera  donc  la  bienve- 
nue. Or,  c'est  ici  que  saint  Thomas  avance  sa  thèse.  Il  admet 
l'identité  nécessaire  du  sujet  et  de  l'objet;  mais  avant  la  con- 
naissance, cette  identité  n'est  que  potentielle  (1);  pendant,  elle 
est  actuelle,  mais  relative  seulement  à  la  forme  d'être,  non  à  la 
manière  d'être.  La  nécessité  posée  par  le  problème  de  la  con- 
naissance n'est-elle  pas  assez  pressante  pour  justifier  cette  sup- 
position d'une  essence  des  choses  participable,  c'est-à-dire  d'une 
constitution  du  réel  qui  lui  permette  d'être  en  nous  sans  cesser 
d'être  en  soi,  l'un  du  moins  de  ses  éléments  pouvant  être  vécu 
en  commun  par  le  sujet  et  par  l'objet,  tous  deux  authentiques  fils 
de  l'Être,  reliés  à  ce  sommet  par  la  même  idéale  Réalité  transcen- 
dante ? 

Quand  certains  disent  encore  que  le  réel,  s'il  existait  au  de- 
hors, ne  pourrait  être  comparé  à  la  connaissance  pour  voir  si 
elle  lui  est  identique,  ils  partent  du  même  postulat  injustifié,  à 
savoir  que  le  réel  comme  tel  est  inattingible.  Car  s'il  est  attin- 
giblc,  c'est  éWdemment  par  la  comiaissaiice,  et  ajors,  quelle 
étrange  prétention  que  de  demander,  sous  prétexte  de  vérifier  la 
valeur  de  la  connaissance,  qu'on  connaisse  un  objet  autrement 
que  par  elle  1  Cette  idée  d'une  comparaison  à  établir  indique 
d'ailleurs  un  faux  point  de  vue  qu'écarte  la  thèse  thomiste.  Con- 
naître, pour  saint  Thomas,  ce  n'est  pas  élaborer  au  dîdans  une 
idole;  la  species  intelligihiîis  vel  sensihilis  n'est  pas  un  double 
du  réel  habitant  dans  le  sujet,  et  qui  pourrait  ou  non  ressembler  : 
c'est,  par  rapport  au  sujet,  une  forme  d'être  surajoutée;  par  rap- 
port à  l'objet,  sa  propre  forme  participée  en  raison  d'une  sorte 
de  vie  commune,  d'unité  sui  generis  établie  entre  le  sujet  et  l'ob- 
jet par  la  connaissance.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  connaître, 
c'est  être;  pour  autant  que  nous  connaissons  l'objet,  nous  le 
sommes,  non  en  nature  et  en  positi\àté,  mais  selon  sa  forme 
participable  L'objection  cjn'on  nous  fait  s'adresserait  à  merveille 
aux  iid^jilx  y.y.l  y.Tzoppox;  de  Démocrite  (2);  elle  est  sans  force 
contre  une  conception  qui  fait  de  la  species  un  «  médium  quo  ipsa 
objecta  videntur  »,  médium  ontologique,  et  non  pas,  ainsi  qu'on 
le  suppose  anthropomorpliiquement,  simple  sosie  ou  toile  pein- 


1.  Cf.  II  de  Anima,  lect.   10,   in  fine. 

2.  De  Divinat.  per  somnum,   II,  4:64a,  5-6;  ap.   S.  Th.,  lect.  2. 


LA    COXXAISSANXE    DANS    S.    THOMAS  463 

te  (1).  Et  sans  doute  ce  n'est  là  qu'un  système,  une  interprétation 
rlu  réel,  mais  du  moins  celui-ci  est-il  respecté,  alors  que  l'idéa- 
lisme sacrifie  dans  le  problème  proposé  sa  donnée  la  plus  im- 
médiate et  défait  le  nœud  gordien  à  la  façon  d'Alexandre.  L'ex- 
istence du  monde  extérieur,  comme  celle  du  libre  arbitre,  comme 
celle  de  la  vérité,  est  possible  à  nier  logiquement,  mais  non  pas 
\-italement.  On  ne  peut  vivre  qu'en  affirmant  implicitement  l'ex- 
istence du  non-moi;  le  plus  sage  est  donc  d'accepter  ce  point  de 
départ  et  de  systématiser  en  conséquence. 

En.  résumé,  selon  saint  Thomas,  le  matérialisme  relatif  à  la 
connaissance  tient  à  ce  qu'on  part  de  l'objet  comme  donné  et 
qu'on  en  fait  le  sujet,  puis  l'acte  du  sujet,  comme  si  la  connais- 
sance avait  lieu  par  assimilation  ou  identité  en  nature  propre. 
Et  l'idéalisme  résulte  de  ce  qii'adoptant  le  même  principe  on 
l'applique  à  l'inverse.  Considérant  comme  donné  l'idéal  en  nous, 
on  en  compose  l'objet.  Dans  les  deux  cas  on  en  arrive  à  nier 
l'évidence,  soit  celle  relative  au  dedans,  qui  est  conscience,  soit 
celle  relative  au  dehors,  qui  est  chose.  La  voie  moyenne  con- 
siste à  poser  le  sujet  et  l'objet  comme  deux  données  corrélatives 
également  nécessaires,  et,  refusant  de  sacrifier  l'une  ou  l'autre, 
de  trouver  un  terme  commun  où  elles  puissent  s'unir.  On  a  ^'^l 
en  général  de  quelle  façon  sainl  Thomas  entend  établir  cette  syn- 
thèse; la  suite  de  sa  doctrine  précisera  en  distinguant  les  cas 
particuliers  de  connaissance  que  justifie  la  diversité  des  objets. 

Le  monde  comprend  matière  et  esprit,  singulier  et  universel  : 
les  puissances  de  connaître  se  diversifieront  de  même.  11  y  a  des 
puissances  dont  l'objet  propre  et  proportionné  est  l'immatériel: 
ce  sont  les  intelligences  pures;  des  puissances  dont  l'objet  pro- 
pre et  proportionné  est  le  monde  de  la  matière  :  de  ce  genre 
sont  les  facultés  humaines.  Parmi  celles-ci,  on  distinguera  en- 
suite les  puissances  sensitives,  affectées  au  singulier,  et  l'in- 
telligence, dont  l'objet  propre  est  ce  qui,  dans  les  réalités  singu- 
lières, les  dépasse  en  même  temps  qu'il  s'y  manifeste,  à  savoir 
les  essences. 

Si  l'on  s'en  tient  à  l'homme,  il  ira  de  soi  que  les  facultés  sen- 
sibles auront  pour  siège  le  sujet  en  tant  qu'il  est  lui-même  sen- 
sible, c'est-à-dire  le  composé  humain,  coips  et  âme,  le  premier 
étant  représenté  dans  chaque  cas  par  un  organe  approprié,  la 
seconde  par  une   de   ses   naissances.    Quant  aux  facultés  intel- 


1.  Cf.    Quodl.    VIII,    art.    22. 


464         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

lectuelles,  elles  auront  pour  siège  la  partie  de  l'àme  qui  ne  dé- 
pend point  de  la  matière,  ou  pour  mieux  dire  l'àme  en  tant  qu'elle 
dépasse  par  son  acte  la  potentialité  de  sa  matière.  Il  ne  faut 
pas  se  tromper,  en  effet,  sur  le  sens  des  expressions  parties  de 
l'âme  ou  puissances  de  l'àme.  Ces  mots  désignent  non  des  entités 
distinctes,  mais  des  virtualités  réellement  distinctes,  ce  qui  n'est 
pas  la  même  chose.  La  distinction  des  puissances  de  l'àme  entre 
elles  et  par  rapport  à  l'essence  est  fondée  sur  ceci  que  les  puis- 
sances diffèrent  comme  les  actes,  leur  étant  proportionnées  et 
relatives.  Or,  l'acte  de  l'essence,  c'est  l'être;  l'acte  de  la  puis- 
sance opérative  comme  telle,  c'est  l'opération.  D'autre  part,  ex- 
cepté en  Dieu,  l'être  et  l'opération  diffèrent;  car  opérer,  c'est 
deveni]',  et  ce  qui  est,  en  tant  qu'il  est,  ne  devient  pas.  Dans  tout 
être  qui  évolue,  il  y  a  donc  un  non-être  relatif,  ou  puissance,  qui 
ne  saurait  être  confondu  avec  son  acte.  Par  ailleurs  et  en  vertu 
du  même  principe,  une  évolution  en  divers  sens  impliquant  une 
diversité  d'actes  implique  corrélativement  une  diversité  de  pou- 
voirs. C'est  tout  ce  qu'il  faut  chercher  dans  la  classique  distinction 
des  puissances  de  l'àme.  Ceux  qui  voient  là  des  entités  autono- 
mes, communiquant  par  fil  spécial  pour  essayer  de  constituer  une 
unité  impossible,  ceux-là  transposent  en  valeurs  d'imagination 
des  données  toutes  métaphysiques;  ils  n'ont  pas  vu  que  l'acte 
et  la  puissance  divisent  l'être  en  tant  que  tel  et  sont  donc  trans- 
cendants aux  réalités  empiriques.  Une  maison  n'est  pas  faite  avec 
des  maisons,  ni  un  être  avec  d'autres  êtres.  L'être  et  l'un  se  con- 
fondent, et  il  faut  donc  comprendre  que  l'unité  de  l'homme  ne 
doit  pas  se  résoudre  en  morcelage  d'entités,  mais  seulement  en 
une  distinction  de  pouvoirs  que  révèlent  ses  réalisations  diver- 
gentes (1). 

Il  faut  avouer  que  même  les  penseurs  profonds  parmi  les 
scolastiques  ont  paru  quelquefois  opérer  une  anatomie  de  l'àmo 
qui  réduisait  le  sujet  un  en  une  pluralité  anthropomorphique  ou 
mécaniciste.  D'où  l'impression  de  sécheresse  qui  se  dégage  fort 
souvent  de  leurs  analyses.  Mais  ce  qui  prouve  leur  souci  de 
sauvegarder  l'unité  de  l'homme,  c'est  cette  thèse  constamment 
soutenue  que  l'àme  est  toute  dans  le  tout  et  dans  chaque  partie 
Au  corps,  ce  qui  ne  serait  point  s'il  y  avait  en  elle  entités  dis- 
tinctes. Ce  sont  ses  pouvoirs  seulement  qui  se  montrent  divers 
çn  divers  organes,  car  le  pouvoir  inclut  l'organe  et  ne  peut  donc 


].  Cf.    Summa    theoîog.,    l^    pars,    q.    LIV,    art.    3;    q.    LXXVI,    art,    1;  q. 
LXXIX,   art.    1;   De    Writ..   i|.   X,   art.   'J,   ad  S". 


LA    CONNAISSAN'CE    DANS    S.    THOMAS  405 

être  autre  sans  que  celui-ci  soit  autre,  ni  se  révéler  ici  quand, 
son  organe  est  là  :  «  l'art  d,e  construire  ne  se  loge  pas  dan.a 
les  flûtes.  »  Sous  ce  rapport  donc  (secundum  totalitatem  virtutis) 
on  ne  peut  plus  dire  que  l'âme  soit  toute  en  chaque  partie,  ni 
même  qu'elle  soit  toute  dans  le  tout,  puisque  la  vertu  de  l'âme 
dépasse  ontologiquement  et  fonctionnellemeiit  celle  du  corps  (1). 
Tel  est  le  cadre  général  de  la  psychologie  thomiste. 

Paris.  A.-D.  Sertillanges. 


1.  De   Spirit.   créât,    q.    I,    art.   4;   Sitm.    Theol,    1^    Pars,    q.   LXXVI,   art  8, 
corp.  et  ad  4m. 


2e  Aniice.  —  Revue  des  ScieIlce^.  —  N"  3. 


La  nature  de  l'émotion 
selon  les  modernes 
et  selon  Saint  Thomas 

SUITE    (l). 

II 

LA  THÉORIE  DE  L'ÉMOTION   SELON  S.   THOMAS    suilej 
L'aspect  psychique  de  V émotion. 

SI  l'on  veut  condenser  en  un  mot  l'idée  que  se  fait  saint  Tho- 
mas de  l'aspect  psycliique  de  l'émotion,  il  faut  dire  qu'il  con- 
çoit l'acte  de  l'appétit  sensitif,  qui  constitue  cet  aspect  psychique, 
comme  un  certain  mouvement  de  l'âme,  «  quidam  motus  ani- 
mae  »  (2). 

L'expression  est  analogique;  car  nous  exprimons  toutes  cho- 
ses, y  compris  les  .opérations  de  l'âme,  par  comparaison  aux 
opérations  des  êtres  matériels.  Voici  le  fondement  et  la  structure 
de  cette  analogie  :  De  même  que  les  êtres  de  la  nature  ont  un 
mouvement  propre,  déterminé  par  leurs  lois  spécifiques  cons- 
titutives, —  et  par  mouvement  il  faut  entendre  non  seulement 
le  mouvement  local,  mais  tout  passage  évolutif  de  puissance  à 
acte  caractérisant  toute  activité  — ;  de  même,  l'être  doué  de  con- 
naissance, en  plus  de  sa  tendance  native  à  se  consen^er  et  à  dé- 
A'elopper  ses  activités,  a  ceci  de  particulier  qu'un  nouvel  appétit, 
et  par  suite  de  nouvelles  tendances  d'action  surgissent  en  lui, 
du  fait  que  la  connaissance  lui  présente  de  nouveaux  objets  et 
de  nouvelles  fins  (3). 

1.  Cf.  Bev.  des  Se.  Phil.  et  Thcol,  avril  1908,  p.  223  sv. 

2.  Sum.  Thcol,    I^  11^^  qu    XXIII,  art.  2;  —  ibid.,  art.  4;  etc. 

3.  «  Motus  appetitus  animalis  hoc  modo  se  habet  in  operibus  animae,  sicut 
motus  naturalii  in,  rébus  naturalibus.  »  Ibid.,  qu.  XXXVI,  art.  1;  —  «  Motus 
appetitivus  habet  simiiitudiuem  appetitus  uaturalis.  »  Ibid.,  art   2. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  467 

L'appétit  sensitif  est  ainsi  calqué  sur  l'appétit  naturel  et  nous 
parlons  du  premier  par  analogie  a,ux;  effets  que  provoque  le  se- 
cond. Comme  le  mouvement  d'un  être  de  la  nature  —  ou,  si  l'on 
veut,  son  activité  —  est  tendance  d'un  terme  à  un  autre,  évolution 
d'un  état  imparfait  vers  un  état  plus  parfait;  ainsi,  nous  conce- 
vons l'acte  de  l'appétit  comme  une  tendance  évolutive,  comme  un 
mouvement.  Il  y  a  ressemblance;  car  de  part  et  d'autre  il  y  a  in- 
termédiaire tendantiel  entre  un  état  et  un  autre  état.  Mais  il  y  a 
différence  ;  car  ce  mouvement  de  l'àme  n'est  pas  un  véritable  mou- 
vement, ni  à  plus  forte  raison  un  mouvement  local  :  un  acte  im- 
manent, comme  l'acte  appétitif,  ne  pouvant  être  un  véritable  mou- 
vement. 

Ces  restrictions  faites,  et  cette  précision  donnée  à  la  significa- 
tion de  ce  «  certain  mouvement  de  l'âme  »,  saint  Thomas  en 
détaille  toui  à  tour  les  caractères  respectifs  dans  chacune  des 
différentes  passions.  Retenons-en  seulement  la  coupe  générale  : 
A  partir  d'un  désir,  suscité  par  un  attrait  de  bien  à  acquérir,  ou 
d'un  désir  contredit  par  un  motif  de  mal  ou  de  danger,  un  mou- 
vement de  l'appétit  se  déclare  et  se  développe  avec  plus  ou  moins 
d'amplitude,  d'expansion,  d'accélération,  de  contraction,  ou  de 
recul,  selon  les  différentes  passions,  jusqu'à  un  terme  de  repos, 
auquel  correspond  dans  l'appétit  un  sentiment  de  joie  ou  de  tris- 
tesse suivant  que  ce  mouvement  appétitif  a  un  résultat  bon  ou 
mauvais,  agréable  ou  désagréable,  pour  le  sujet.  Que  l'on  essaie 
d'analyser  ce  qui  se  passe  dans  la  conscience  au  cours  d'un  état 
émotionnel,  par  exemple,  dans  la  tristesse  ou  dans  la  peur.  N'est- 
il  pas  vrai  que  nous  avons  l'impression  d'une  tension,  d'un  mou- 
vement qui  débande  brusquement,  qui  s'arrête,  se  reprend,  s'apai- 
se ou  s'affole,  d'un  flux  et  d'un  reflux  de  tendances  qui  se  heur- 
tent, d'un  équilibre  rompu,  d'une  agitation  désordonnée?  Sans 
doute  alors  nous  éprouvons  en  même  temps  les  diverses  variations, 
organiques  :  nous  sentons  nos  membres  trembler,  notre  chair 
frémir,  notre  poitrine  s'angoisser,  notre  respiration  se  précipiter 
ou  se  raréfier,  notre  cœur  s'accélérer  ou  battre  péniblement.  Et 
nous  ne  refusons  pas  d'admettre  que  ces  sensations  —  nous  le 
veirons  —  ajoutent  à  l'intensité  de  l'émotion;  mais  il  reste  que, 
con&tatable  par  l'expérience  intime  et  sous-jacente<  à  l'agitation 
corporelle,  une  agitation  psychique  emplit  avec  celle-ci  tout  le 
champ  de  la  conscience.  Sans  doute  nous  ne  pouvons  positive- 
ment exprimer  ce  qu'elle  est,  et  nous  la  traduisons  en  termes 
analogiq-ies  de  mouvements;  mais  elle  n'en  constitue  pas  moins 


468         REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

un  événement  de  conscience  particulier,  un  état  spécial  manifes- 
tement éprouvé,  que  l'on  ne  peut  confondre  avec  les  autres  élé- 
ments de  sensations  renfermés  dans  l'émotion. 

Et  c'est  ici  que  doivent  s'intercaler  les  expériences  et  les  obser- 
vations de  la  théorie  intellectualiste.  Elles  contribuent  à  faire 
valoir  la  réalité  de  l'aspect  psychique  de  l'émotion. 

Ces  mouvements  de  l'àme  éprouvés  dans  l'état  passionnel  et 
concomitants  aux  mouvements  organiques,  sont  motivés  et  dé- 
terminés par  la  représentation.  La  même  harmonie  ou  le  même 
désaccord  sont,  à  la  fois  et  parallèlement,  dans  les  représentations 
et  dans  les  mouvements  appéti tifs.  «Dans  la  tristesse  causée  par 
la  mort  d'un  ami,  dit  l'intellectualiste  Linder,  l'idée  de  cet  ami 
est  prise  comme  dans  un  étau  entre  deux  idées,  celle  de  sa 
mort  qui  tend  à  produire  un  arrêt  des  représentations,  celle  de 
ses  bienfaits  qui  tend  à  un  effet  contraire.  »  C'est  vrai,  à  con- 
dition d'ajouter  que  l'arrêt  et  l'effet  contraire  ne  se  maintien- 
nent pas  seulement  dans  les  représentations,  mais  se  poursuivent 
et  s'établissent  surtout  dans  les  tendances  appétitives,  bien  qu'ils 
soient  immédiatement  motivés  par  la  contradiction  des  repré- 
sentations. L'expérience  interne,  dans  oe  complexus  de  l'état 
émotionnel,  saisit,  constate,  éprouve,  beaucoup  plus  qu'on  ne 
sauiait  l'analyser,  cet  entrejeu  des  tendances  appétitives  sous 
l'entre  jeu  des  représentations.  Mais  ce  «  ton  de  sentiment  »  et 
d'affectivité  reste  distinct  des  données  de  connaissance.  Celles- 
ci  peuvent  être  aussi  frappantes  dans  leur  contradiction  chez 
quelqu'un  qui  n'éprouve  pas  l'émotion,  chez  celui,  par  exemple, 
qui  connaît  parfaitement  le  malheur  qui  frappe  son  ami,  alors 
que  celui-ci  ne  fait  qu'en  soupçonner  l'étendue  et  pourtant  se  dé- 
sole :  le  premier  n'éprouve  pas  l'émotion  de  tristesse,  au  inoins 
dans  sa  plénitude,  bien  qu'il  connaisse  les  motifs  d'affliction;  le 
second  l'éprouve  tout  entière,  car  il  devine,  malgré  la  connais- 
sance imprécise  qu'il  en  a,  le  mal  qui  le  menace  directement,  et 
cette  perspective  suscite  immédiatement  le  jeu  des  tendances 
appétitives,  et  par  suite  l'émotion  elle-même  dans  ses  éléments 
essentiels. 

Cet  aspect  psychique  de  l'émotion  en  est  donc  un  élément  ca- 
ractéristique. Bien  mieux,  l'acte  appétitif,  dit  saint  Thomas,  cons- 
titue /('  forme  même  de  l'émotion,  c'est-à-dire  la  spécifie  comme 
telle  émotion  et  non  pas  telle  autre  (1). 


1.  Suvima   Thcol.,    l^  1I^«,  qii.  XXVIII,  art.  5;   —  qu.  XXVI,  art.  1,  ad  3; 
—    art.    4:    etc. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  469 

Ce  rôle  spécificateur  attribué  à  l'acte  de  l'appétit  est  très  im- 
portant à  remarquer,  et  sa  vérification  expérimentale  devient  une 
preuve  de  l'insuffisance  de  la  théorie  physiologique.  —  En  effet, 
d'après  celle-ci,  deux  émotions  ne  peuvent!  être  qualitativement 
hétérogènes,  qu'en  raison  de  l'hétérogénéité  des  variations  or- 
ganiques, motivant  l'hétérogénéité  des  sensations  consécutives, 
sensations  qui,  dans  la  théorie,  —  on  le  sait,  —  constituent  l'émo- 
tion. Or,  l'observation  la  plus  ordinaire  constate  des  émotions 
qualitativement  dissemblables,  alors  que  les  variations  organi- 
ques sont  manifestement  les  mêmes.  Qu'on  lise  par  exemple  les 
descriptions  faites  par  Lange  des  manifestations  corporelles  de 
la  joie  et  de  la  colère,  on  les  trouvera  étrangement  concordantes. 
Non  seulement  ces  réactions  se  présentent  extérieurement  iden- 
tiques, mais  encore  et  surtout,  elles  sont  éprouvées  comme  iden- 
tiques :  Dans  la  joie  exubérante  je  sens  les  joues  me  brûler  sous 
l'aiflux  sanguin,  je  sens  l'agitation  musculaire  de  mon  corps, 
etc.;  et  de  même  dans  la  colère.  Si  l'émotion  n'est  qu'un  ensem- 
ble de  sensations  organiques,  comment  expliquer  que  j'éprouve 
des  émotions  radicalement  distinctes,  alors  que  les  sensations 
qui  les  accompagnent  ne  se  distinguent  pas?  —  D'autre  part  une 
émotion  psychiquement  la  même  peut  se  manifester  corporelle- 
ment  différente  chez  deux  individus  à  base  de  tempérament  diffé- 
rent :  l'un  a  la  joie  exubérante  et  abondante,  l'autre,  muette  et 
silencieuse;  l'un  a  la  colère  violente  et  mouvementée,  l'autre 
sourde  et  contenue. 

Bien  plus,  chez  un  individu,  au  cours  d'un  état  émotionnel  iden- 
tique, les  événements  physiologiques  peuvent  varier,  en  s'am- 
plifiant  jusqu'à  devenir  désordonnés,  ou  en  s'atténuant  jusqu'à 
devenir  latents,  sans  que  pour  cela  l'émotion  varie  qualitative- 
ment; c'est  donc  que  l'émotion  elle-même  n'est  pas  réductible 
tout  entière  aux  sensations  organiques. 

Pour  que  la  théorie  physiologique,  qui  nie  l'aspect  psychi- 
que de  l'émotion,  puisse  se  vérifier,  il  faudrait  qu'il  existât  une 
série  de  types  spéciaux  de  phénomènes  physiologiques  corres- 
pondant, un  à  un,  aux  différents  types  spéciaux  d'émotion.  «  Or, 
dit  le  D^  Grasset,  des  phénomènes  physiologiques  banaux,  tou- 
jours les  mêmes,  expriment  des  émotions  très  diverses  :  le  fris- 
son et  la  chair  de  poule  expriment  la  peur,  l'horreur,  l'admiration 
intense.  On  rougit  et  on  pâlit,  le  cœur  se  précipite  pour  des  émo- 
tions absolument  opposées  »  (1). 

1.  Iniroduction  ph}/siologique  à  l'élude  de  la  philosophie;  p.  226  sv.  Alcan. 
Pails,    ICOS. 


470         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

L'expérience  externe,  scientifique,  vient  s'ajouter  à  l'expérience 
interne  pour  justifier  la  nécessité  et  l'existence  de  l'élément  psy- 
chique de  l'émotion,  affirmé  par  saint  Thomas.  «  En  pathologie, 
dit  encore  le  D''  Grasset,  ce  qui  fait  la  maladie  de  l'émotion,  ce 
n'est  pas  le  degré  plus  ou  moins  grand  des  phénomènes  physio- 
logiques, mais  le  degré  de  Vémotivité,  fonction  essentiellement 
psychique.  »  Et  le  même  auteur  rappelle  les  expériences  de  Fran- 
çois Franck,  de  Paul  Sollier,  de  Sherrigton,  dont  les  résultats 
contredisent  ouvertement  la  théorie  physiologique  (1). 

François  Franck  a  montré  que  les  événements  organiques  va- 
rient, non  suivant  la  qualité,  mais  uniquement  suivant  la  quan- 
tité des  émotions.  «  Il  détermine  expérimentalement  une  élévation 
de  pression  aortique  semblable  à  celle  que  peut  déterminer  une 
excitatior.  psychique  :  il  en  résulte  une  sensation  de  gêne,  de  plé- 
nitude circulatoire  mais  pas  une  émotion  vraie  de  colère  ou  au- 
tre. Le»  effets  de  l'émotion  sur  les  vaisseaux  sont  les  mêmes  que 
ceux  de  la  sensibilité  générale  ou  de  l'excitation  directe  de  cer- 
tains point.^  du  cerveau.  »  Ce  sont  des  effets  sans  caractère  émo- 
tif  spécifique    (2). 

On  se  sou\âent  que  James  rêvait  de  trouver  une  «  expérience 
cruciale  »  confirmant  sa  théorie,  dans  le  cas  d'un  sujet  anesthé- 
sique,  incapable  par  conséquent  de  sensations  somatiques,  et 
chez  lequel  ne  se  manifesterait  plus  aucune  émotion.  Or,  Paul 
Sollier,  qui  s'était  d'abord  rallié  à  ra\is  de  James,  conclut  main- 
tenant contre  lui,  après  avoir  étudié  des  hystériques  anesthési- 
ques  et  des  anesthésiques  par  suggestion.  Le  docteur  Grasset, 
il  est  vrai,  n'ajoute  pas  une  grande  importance  à  ces  observa- 
tions de  Paul  Sollier,  «  parce  que,  dans  ces  cas,  l'anesthésie 
s'accompagne  d'un  état  cérébral  psycliique  qui  explique  la  di- 
minution ou  l'absence  de  l'émotion,  en  dehors  du  trouble  péri- 
phéiique  de  la  sensibilité.  —  D'ailleurs  une  anesthésie  pure  avec 
intégrité  absolue  du  cen^eau  psychique  paraît  irréalisable  par 
l'expérimentation  ou  par  la  maladie.  »  Aussi  considère-t-il  com- 
me «  plus  importantes  les  expériences  de  Sherrigton,  qui  coupe 
la  moelle  à  des  chiens  dans  la  région  cen'icale  inférieure.  Toutes 

1.  Ihid. 

2.  Voir  les  recherches  de  François-Franck  :  Comptes  rendus  du  laboratoire 
de  Marey,  1876,  t.  Il;  —  Leçons  sur  l'expression  des  émotions.  Cours  du 
Collège  de  France,  2e  semestre  1900;  —  Critique  de  la  théorie  dite  phtjsio- 
logique  des  émotions;  XIII^  Congrès  international  de  médecine,  Paris,  1900, 
Sect.  de  physiologie,  physique  et  chimie  biologiqTies  ;  —  Les  expressions 
extérieures  et  profondes  des  émotions  chez  l'homme  et  les  animaux.  Bulletin 
de  l'Inst.  gén.  de  psych.,   1906,   t.   VI,  no  2.,   p.   83. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  471 

les  connexions  sont  rompues  entre  le  cerveau  et  les  \'iscères  tlio- 
raciques,  pelviens  et  abdominaux,  excepté  celles  qui  existent  par 
l'inteimédiaire  de  certains  nerfs  crâniens.  Ainsi  on  isole,  en  ou- 
tre, du  centre  vasomoteur  bulbaire,  tous  les  vaisseaux  sanguins, 
excepté  quelques  minimes  communications  par  la  voie  des  nerfs 
crâniens.  La  peau  et  les  organes  moteurs  sont,  depuis  les  extré- 
mités inférieures,  jusqu'à  l'épaule,  également  privés  de  toute 
communication  avec  le  cerveau.  Et  l'émotivité  persiste.  Un  trou- 
ble de  nature  émotionnelle  est  survenu  chez  un  animal  après  que 
toute  réaction  nerveuse  vasomotrice  a  été  rendue  impossible  et 
après  que  la  majeure  partie  des  réactions  viscérales  a  aussi  été 
empêchée»  (1).  Et  le  D''  Grasset  conclut  résolument:  «Tous  les 
physiologistes  sont  unanimes  pour  combattre  la  théorie  de  Lan- 
ge-James-Sergi,  qui  met  l'émotion  essentiellement  dans  les  phé- 
nomènes physiologiques  et  ne  voit  dans  les  phénomènes  psycho- 
logiques qu'une  conscience  de  ces  phénomènes  physiologi  - 
ques  »  (2). 

Ainsi  donc,  en  résumé,  l'émotion,  pour  saint  Thomas,  a  un  as- 
pect psyclnque.  Cet  aspect  psychique,  nous  le  traduisons  analogi- 
quement, dans  sa  coupe  générale,  en  disant  qu'il  est  un  mouve^ 
ment  de  l'âme.  Son  existence  et  ses  caractères  se  révèlent  à  l'ex- 
périence intime.  Celle-ci  est  corroborée  par  les  analyses  de  la 
théorie  intellectualiste;  mais  ce  que  cette  dernière  prend  pour 
un  mode  résultant  seulement  de  l'interaction  des  représentations 
est  surtout  une  interaction  de  tendances,  c'est-à-dire  de  mouve- 
ments appétitifs.  Enfin,  la  réalité  de  cet  aspect  psychique,  forme 
de  l'émotion,  est  également  prouvée  par  l'insuffisance  de  la  théo- 
rie physiologique  à  rendre  compte  de  la  spécificité  et  de  la  dif- 
férence qualitative  des  émotions  :  de  récentes  expériences  et  ob- 
servations manifestent  d'ailleurs,  plus  péremptoirement  encore, 
cette  insuffisance. 

L'aspect  physiologique  de  l'émotion. 

L'émotion  n'a  pas  seulement,  selon  saint  Thomas,  un  aspect 
psychique,  caractérisé  par  ce  «  certain  mouvement  de  l'àme  » 
que  nous  venons  d'analyser.  Celui-ci  a  un  corrélatif  physiologi- 


1.  Revault     d'Allonnes.      —       L'''xp^i ration   physiologique  des  éinot'ons. 
Jo\irnal  de  Psychologie   normale   et   pathologique,    1906,    p.   1.37. 

2.  Op.  cit.,  p.  229. 


472         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    f IIÉOLOGIQUES 

que  nécessaire  et  inséparable  :  un  mouvement  organique,  «  trans- 
muiaiio  corjjoralîs.  » 

Ce  mouvement  organique  est  variable  suivant  la  diversité  des 
passions  :  tremblement,  pâleur,  claquement  des  dents,  frisson, 
agitation  spasmodique,  sécrétions,  clameur  de  la  voix,  tacitur- 
nité,  etc.  (1),  en  un  mot  tous  les  phénomènes  musculaires,  vascu- 
laires,  ^iscéraux,  dont  Lange  nous  a  donné  la  description.  Il 
suffit  de  parcourir  le  Traité  des  Passions  poar  constater  que, 
sous  ce  rapport,  l'observ^ation  de  saint  Thomas  ne  le  cède  en 
rien,  et  dans  les  détails  les  plus  réalistes  (2),  à  celle  du  physiolo- 
giste danois - 

Mais  laissons  de  côté  cette  description  des  mouvements  et  ré- 
flexes périphériques  propres  à  chaque  passion;  car  aussi  bien 
ce  que  nous  cherchons  c'est  la  théorie  générale  de  l'émotion 
selon  saint  Thomas.  Or,  celui-ci  s'est  inquiété  de  savoir  quelle 
est  l'origine  interne  de  ces  mouvements  passionnels.  De  même 
que  les  partisans  de  la  théorie  physiologique  se  sont  demandé 
quel  est  le  facteur  physiologique  primaire  de  toute  émotion  —  et 
l'on  sait  que  leurs  solutions  sont  divergentes  —  de  même  saint 
Thomas  a  cherché  le  point  de  départ  central  des  diverses  mani- 
festations organiques  de  l'émotion.  Pour  lui,  ce  point  de  départ, 
c'est  U  mouvement  du  cœur.  Ici  encore  les  textes  sont  trop  abon- 
dants pour  que  nous  puissions  les  citer  tous.  En  voici  quelques- 
uns  :  «  Coi  est  instrumentum  jyassionum  animae  »  (3).  —  «  In  om- 
ni  passione  animae  additur  aliquid  vel  diminuitur  a  naturali  motu 
cordis,  inquantiun  cor  intensius  vel  remissius  movefur  secundmn 
systolem  aut  diastolem  »  (4).  —  «  Ratio  passionis  salvatur  secun- 
dmn quod  cor dilatatur  vel  accenditur,  vel  qualitercumque  dispo- 

nitur  aliter  quam  sit  ejus  communis  dispositio  »  (5).  D'autre  part, 
nous  savons  que,  pour  saint  Thomas,  le  cœur  est  l'organe  spé- 
cialement informé  par  l'àme  en  tant  que  motrice,  et  c'est  pour- 
quoi son  mouvement  est  le  principe  de  tous  les  autres  mouve- 
ments de  l'animal  :  «  motus  autem  cordis  principium  est  omnium 
motuum  qui  sunt  in  animali  »  (6).  Ainsi,  dans   toute  passion, 

1.  Snm.  Thcolorj.  la  IIa>.-,  qu.  XLIV,  art.  1.  c.  et  ad  1,  ad  2,  ad  3;  — 
ibid.,  art.  3;  —  qu.  XLVI,  art.  3,  ad  3;  —  ibid.,  art.  4,  c;  —  qu.  XLVIII, 
art.  2,  c;  —  ibid.,  art.  4,  c.  et  ad  1,  ad  2,  ad  3;  —  etc. 

2.  Op.  cit.,    la  Kae    q^.  XLVI,  art.  3,  ad  1. 

3.  Op.  cit..  la    lia.,  qu.  XLVIII.  art.  2. 

4.  Op.  cit..    la  Ipe     qu.  XXIV,  art.  2,  ad    2. 

5.  De  Veritate.  qu.  XXVI,  art.  8,  c. 

6.  Summa    Theoîog.,  passim.  Voir  eu  particulier  :    l*    nae    qu.  XVI  î,  art.  9. 


l'émotion  selon  les  modernes  et  s.  THO^L\s  473 

il  y  a  un  facteur  physiologique  primaire  et  spécifique  dans  son 
ordre  :  les  manifestations  organiques  externes  sont  engendrées 
par  le  mouvement  anormal  trop  rapide  ou  trop  lent  du  cœur. 

Mais  il  semble  qu'il  y  ait  uni  hiatus  entre  les  troubles  vaso- 
moteuis  et  les  mouvements  extravagants  de  la  périphérie.  Com- 
ment passer  des  uns  aux  autres?  Y  a-t-il  un  intermédiaire,  et  un 
intermédiaire  physiologique?  —  Oui,  il  y  en  a  un  :  c'est  le  pneu- 
ma  psychique,  «  sjnritus  animalis  ». 

Que  saint  Thomas  admette  cet  intermédiaire,  dans  sa  physiolo- 
gie passionnelle,  c'est  incontestable.  Citons  seulement  quelques 
textes  .  «  In  iratis...  interius  fit  spirituum  motus  db  inferiorïbus 
ad  superiora  ; ...  sed  in  timentibus  spiritus  moventur  a  superioribus 
ad  inferiora.  »  (1)  —  «  Motus  irae  est  causatlvus  cujusdam  fervo- 
ris  sanguinis  et  spirituum.  »  (2)  —  «  Juvenes...  habent  miiîtos 
spiritus,  et  ita  in  eis  cor  ampliatur.  Ex  ampUtudine  autem  cor- 
dis  est  quod  aliquis  ad  ardua  tendat.  Et  ideo  juvenes  sunt 
animosi  et  bonae  spei.  »  (3). 

Qu'est-ce  donc  que  ce  pneuma  psychique  et  quel  est  son  rôle 
dans  la  physiologie  passionnelle?  Ceci  nous  amène  à  dire  un 
mot  de  la  physiologie  de  saint  Thomas,  mais  un  mot  très  bref, 
pour  autant  qu'il  nous  servira  à  comprendre  l'aspect  physiolo- 
gique de  l'émotion  (4). 

Les  facultés  de  la  vie  sensitive  (fonctions  de  connaissance  et 
fonctions  de  motricité)  requièrent,  selon  saint  Thomas,  deux  sys- 
tèmes d'organes  :  les  organes  externes  (œil,  oreille,  etc.)  et  les 
organes  internes,  puis  deux  systèmes  de  nerfs  :  les  nerfs  sensi- 
tifs  et  les  nerfs  moteurs.  Les  organes  internes  des  fonctions  de 
connaissance  sont  localisés  dans  la  partie  antérieure  de  l'encé- 
phale et  sont  reliés  aux  organes  externes  par  les  nerfs  sensitifs. 
Les  organes  internes  de  la  motricité  sont  localisés  dans  la  partie 
postérieure  du  cerveau;  de  là  partent  les  nerfs  moteurs  qui  vont 
se  ramifier  multiplement  dans  tous  les  membres  et  régions  du 
corps.  Mais  ces  organes  internes  et  externes,  ces  nerfs  sensitifs 

pA  1.  arl  2.  ad  8:  —  ^hid..  qa.  XX,  art.  1,  ad  1;  —  gu.  XXXIII,  art.  1, 
-  qii.  XXÂVii,  u...  ^,  ..,  -  XXXVIII,  art.  4,  ad  3;  --  lU  Sent.,  Dist. 
XXXIV,  cfu.  II,  ajt.  1,  q.  1,  c. 

1.  Suni.  Theolog.,   I«   II^«.,  qu.  XL IV,  art.  1. 

2.  Ibid.,   qu.    XLVIII,    art.   2. 

3.  Ibid.,  qu.  XL,  art.  6. 

4.  Cf.  Note  pour  l'étude  de  la  psycJio physiologie  d'Albert  le  Grand  et 
de  saint  Thomas  (Revue  thomiste,  190.5,  p.  91  sv)  où  nous  avons  étudié 
avec  plus  de  détails  la  physiologie  de  la  sensation  et  du  mouvement,  d'après 
Albert  le  Grand  et  saint  Thomas  et  montré  la  conciliation  qu'ils  ont  tentée, 
sur  ce  point,  entre  les  théories  d'Aristote,  de  Galien,  et  des  médecins  arabes. 


4/4         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

et  moteurs  ont  besoin  pour  être  immédiatement  aptes  à  leurs 
fonctions  d'être  lubréfiés  par  le  pneuma  psychique.  Celui-ci  est, 
selon  saint  Thomas,  une  vapeur  coq^orelle,  très  subtile,  d'une 
matière  raréfiée  et  imisible.  Albert  le  Grand  disserte  longuement 
sur  sa  nature.  Pour  lui,  c'est  un  corps  subtil,  sui  generis,  ayant 
quelques  propriétés  des  divers  éléments  :  il  est  clair,  tenant  de 
l'eau,  du  feu,  et  surtout  de  l'air;  il  est  véhiculé  par  le  sang;  il  est 
formé  par  la  nourriture,  l'air  de  la  respiration,  le  tout  altéré  et 
modifié  sous  l'influence  de  la  chaleur  vitale.  Voici  au  juste  sa 
fonction  physiologique  :  Amené  par  le  sang  jusqu'au  cœur  il  est 
propulsé  par  le  mouvement  de  sistole  et  de  distole  dans  les  di- 
verses parties  du  corps.  Par\'enu  au  cerveau,  le  pneuma,  sous 
l'influence  fonctionnelle  de  celui-ci,  subit  une  altération  carac- 
téristique, par  laquelle  il  devient  proprement  «  psychique  »,  c'est- 
à-dire  approprié  aux  fonctions  de  sensibilité  dont  il  pénètre  les 
organes  internes.  Par  l'entremise  des  nerfs  sensitifs  et  des  nerfs 
moteurs,  qu'il  traverse  en  raison  de  sa  subtilité,  il  va  jusqu'aux 
organes  externes  et  aux  parties  périphériques,  les  adaptant  à 
leur  rôle  sensitif  ou  moteur.  Et  ainsi  —  pour  ne  parler  que  de 
la  motricité  qui  nous  occupe  surtout  —  les  mouvements  corporels 
seront  excités  ou  atténués,  selon  l'apport  plus  ou  moins  grand 
du  pneuma;  et  ce  plus  ou  moins  aura  son  point  de  départ  et  sa 
raison  dans  l'accélération  ou  le  ralentissement  du  cœur. 

Ces  notions  générales  suffisent  pour  nous  faire  comprendre 
le  mécanisme  physiologique  du  mouvement  émotionnel  selon  saint 
Thomas  :  Le  mouvement  appctitif  a  sa  répercussion  directe  sur 
le  mouvement  du  cœur;  celui-ci  variant  de  son  rythme  normal, 
au  delà  ou  en  deçà,  suivant  la  spécificité  de  l'acte  a,ppétitif,  les 
mouvements  corporels,  par  l'intermédiaire  que  nous  savons,  se- 
ront excités  ou  déprimés,  corrélativement  à  l'excitation  ou  à  la 
dépression  rythmique  du  cœur. 

Cette  physiologie  moyenâgeuse  de  l'émotion  paraîtra  bien  rudi- 
mentaire.  Pourtant,  si  on  en  élimine  les  notions  démodées  et  si 
on  en  considère  avec  bienveillance  les  lignes  générales,  on  remar- 
queia,  nor  sans  surprise,  qu'elle  coïncide  avec  la  physiologie  de 
l'émotion  telle  que  Lange  nous  l'a  décrite.  Pour  celui-ci  égale- 
ment, les  mouvements  périphériques,  accélérés  ou  ralentis,  sont 
en  corrélation  directe  avec  le  rythme  anormal  du  cœur.  De  ce 
trouble  cardiaque  provient  en  effet  l'irrigation  abondante  ou  l'ané- 
mie des  neurones  moteurs  :  d'où  l'innervation  trop  forte  ou  trop 
faible  des  nerfs  moteurs,  et,  par  suite,  l'incohérence  agitée  ou  la 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  473 

dépressior.  des  mouvements  corporels  ou  autres  manifestations 
périphériques.  Pour  saint  Thomas,  comme  pour  Lange,  le  fac- 
teur physiologique  primaire  de  l'émotion  est  donc  une  modifi- 
cation interne  vasculaire  ou  vasomotrice. 

Et  maintenant  que  faut-il  penser  de  cette  physiologie  de  l'émo- 
tion ? 

Il  faut  remarquer  tout  d'abord  —  et  cette  remarque  est  de 
première  importance  —  que  telle  ou  telle  explication  physiologique 
est  accidentelle  à  la  théorie  générale  de  l'émotion  d'après  saint 
Thomas  :  De  même  que  les  partisans  de  la  théorie  physiologique 
ne  s'accordent  pas  —  sans  que  leur  point  de  vue  général  en  soit 
modifié  —  sur  la  question  de  savoir  quel  est,  dans  le  processus 
émotionnel,  le  facteur  physiologique  qui  met  en  branle  tous  les 
autres,  de  même  il  est  indifférent  à  la  théorie  générale  de  saint 
Thomas  qu'il  ait  raison  ou  tort  dans  son  alfirmation  de  l'origine 
caidiaque  des  modifications  organiques.  Sa  théorie  générale  exige 
seulemeni  que  la  réaction  corporelle  soit  un  élément  intégrant  de 
l'émotion. 

Cela  dit,  il  faut  loyalement  reconnaître  que  saint  Thomas  s'est 
trompé  avec  tous  les  physiologistes  de  son  temps  —  et  qui  oserait 
s'en  étonner?  —  en  admettant  que  le  cœur  est  le  principe  de  la 
motiicité  et  par  suite  de  la  physiologie  de  l'émotion,  de  même  que 
Lange  s'esl  trompé,  au  dire  des  physiologistes  contemporains,, 
en  mettant  les  troubles  vasomoteurs  au,  début  du  processus  de 
l'émoUon.  Il  est  reconnu  aujourd'hui  que  les  variations  du  cœur 
n'influent  qu'indirectement  sur  la  motricité,  et  qu'elles  sont  préala- 
blement commandées  elles-mêmes  par  des  centres  cérébro-spinaux 
dont  la  localisation  précise  reste,  d'ailleurs,  soumise  à  la  discus- 
sion. Mais  il  est  sûr  qu'un  événement  cérébro-spinal  est  au  début 
du  cycle  physiologique  de  l'émotion. 

Toutefois  l'opinion  de  saint  Thomas  garde  une  part  de  vérité. 
Si  l'acte  appétitif  n'influe  pas  immédiatement  et  directement  sur 
les  perturbations  du  cœur,  il  reste  qu'il  a  toujours,  par  un  in- 
termédiaire cérébral  et  nerveux,  une  répercussion  indirecte  sur 
le  cœur  et  ses  mouvements  anormaux  (1).  Et  comme  de  tous 


1.  Les  physiologistes  distinguent  dans  le  cœur  son  mouvement,  son  rythme 
et  en  assignent  la  cause  physiologique  dans  les  ganglions  microscopiques  qui 
l'entourent  (le  cœur  d'un  animal  arraché  de  la  poitrine  peut  battre  encore 
un  certain  temps;  ;  mais  la  vitessr,  l'intensité,  la  régulari'é  des  contractions 
cardiaques  sont  continuellement  influencées  par  un  centre  cérébro-spinal; 
deux  faisceaux  de  fibres  appartenant  au  nerf  pneumogastrique  et  au  grand 
sympathiciiie  relient  le  cœur  au  centre  :  le  premier  ralentit,  le  second  accélère 
le  mouvement  du  cœuf.  '    '■  <    ] 


476         REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

les  phénomènes  physiologiques  du  processus  passionnel  ce  sont 
les  phénomènes  cardiaques  que  la  cénesthésie  sent  et  éprouve 
et  non  les  phénomènes  cérébraux  et  nen'eux,  le  sens  commun 
et  l'expérience  interne  immédiate  sont  portés  à  voir  dans  les 
troubles  du  cœur  l'événement  organique  prépondérant  et  carac- 
téristique. 

Ainsi,  en  résumé  :  l'opinion  de  saint  Thomas  sur  le  facteur 
physiologique  primaire  de  l'émotion  est  accidentelle  à  sa  théorie 
générale.  Cette  opinion  n'est  pas  vraie  en  ce  sens  que  le  mouve- 
ment du  cœur  serait  la  cause  originelle  des  mouvements  somati- 
ques.  ]\Iais  elle  reste  vraie  en  affirmant  que  le  cœur  est  intéressé 
—  bien  qu'indirectement  —  dans  toute  émotion;  et  elle  justifie 
par  là  l'expérience  intime  vulgaire  et  le  langage  du  sens  com- 
mun qui  voit  dans  le  cœur  le  symbole  des  différentes  passions. 

Intégration  et  réversibilité  de  Vaspect  psychique 
et  de  Vaspect  physiologique  de  Vémotion. 

Nous  avons  étudié  séparément  l'aspect  psyclùque  de  l'émotion 
«  quidam  motus  animae  »  et  son  aspect  physiologique  «  trans- 
mutatio  corporalis  »;  mais  cette  dissociation,  introduite  pour  plus 
de  clarté  dans  l'exposition,  ne  doit  pas  faire  illusion  sur  l'unité 
foncière  et  Wvante  du  fait  passionnel. 

Les  deux  éléments  qui  l'intègrent,  l'un  comme  forme,  l'autre 
comme  matière,  se  rejoignent  en  une  cohésion  tellement  absolue 
et  nécessaire  que  l'émotion  n'existerait  pas  si,  par  impossible,  l'as- 
pect psychique  pouvait  être  sans  l'aspect  physiologique,  ou  ré- 
ciproquement. De  même  que  le  phénomène  de  connaissance  sen- 
sible, spécifiquement  un,  relève  du  sens  animé,  de  même  le 
phénomène  émotionnel  n'est  pas  autre  chose  que  le  mouvement 
organique  animé,  pour  ainsi  dire,  par  le  mouvement  appétitif  de 
l'àme;  et,  pour  saint  Thomas,  ce  complexus  constitue  la  spécificité 
même  de  l'émotion  comme  phénomène  distinct  de  tous  les  autres 
phénomènes  de  canscience. 

Cette  intégration  de  l'élément  psychique  et  de  l'élément  phy- 
siologique, au  sein  d'une  même  unité  vivante,  telle  que  l'affirme 
saint  Thomas,  n'est  qu'une  application  de  sa  théorie  générale 
du  composé  humain,  de  l'àme  forme  du  corjjs.  ]\Iais  indépendam- 
ment de  cela,  l'essentielle  inter-dépendance  de  l'acte  appétitif 
et  du  mouvement  corporel   se   constate  expérimentalement  par 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  477 

un  fait  sur  lequel  il  faut  insister.  Il  s'agit  de  la  réversibilité  de 
Vétat  émotionnel. 

On  se  souvient  que  le  principal  argument  mis  en  arant  par  la 
théorie  physiologique  pour  éliminer  de  l'émotion  tout  élément 
psycliique  est  ce  fait  que  l'émotion  peut  surgir  par  la  seule  mise 
en  jeu  des  réactions  physiologiques,  par  absorption  d'excitants 
ou  de  calmants,  ou  encore,  chez  certains  dégénérés  héréditaires, 
sans  cause  apparente,  par  la  seule  prédisposition  morbide. 

Or,  saint  Thomas  accepte  d'emblée  ces  faits,  et  ceux  qu'il  relève 
sont  absolument  les  mêmes  que  ceux  décrits  par  Lange.  Que 
l'appareil  vasculaire  soit  dûment  dilaté  en  raison  de  la  complexion 
du  tempérament  héréditaire,  dit  saint  Thomas,  un  motif  insi- 
gnifiant suffira  à  déterminer  la  colère  :  «  Si  accendatur  ex  com- 
plexioiie,  corjms  a  valde  parvis  et  debilibus  înovetur  »  (1).  Et 
encore  :  «  Magis  est  in  promptu  nt  ille  qui  est  dispositus  secun- 
dum  naturalem  complexionem  irascatur,  qiiam  de  eo  qui  est 
dispositus  ad  concupiscendum  quod  concupiscat...  Et  propter  Jioc... 
ira  magis  traducitur  a  parentihus  in  fllios,  quam  concupiscen- 
tia  »  (2).  Saint  Thomas  va  jusqu'à  esquisser  une  di\àsion  des  états 
pathologiques  irascibles  :  ceux  de  la  colère  maniaque  ou  taci- 
turne, ceux  de  la  fureur  vindicative  et  agissante  (3).  —  Ce  qui 
est  vrai  de  la  colère  l'est  aussi  des  autres  passions,  de  la  peur, 
par  exemple.  Celle-ci  peut  être  constituée,  in  forma  compléta, 
sans  aucun  motif  apparent,  et  tout  à  fait  semblable  à  celle  que 
provoque  un  danger  imminent  :  «...  Yidemus  quod  eliamsi  nul- 
lurn  immineat  periculum,  fiant  in  aliqiiihiis  passiones  similes 
his  passionibus  quae  sunt  circa  animam,  ut  puta  melancoliôi. 
fréquenter^  si  nullum  periculum  immineat,  flunt  timentes  »  (4). 
Non  seulement  les  prédisposidors  pathologiques  héréditaires  peu- 
vent susciter,  comme  fatalement,  les  réflexes  organiques  et  ainsi 
déterminer  le  cycle  émotiomiel  correspondant  :  mais,  même  dans 
le  cas  de  tempérament  normal,  la  passion  peut  surgir  par  la  seule 
excitation,  ou  la  seule  atténuation  des  mouvements  corporels. 
Saint  Thomas  a  toute  une  question  de  la  Somme  Théologique 
intitulée  ;  Des  remèdes  à  la  tristesse  (5).  Parmi  ces  remèdes,  qu'il 
énumère  avec  complaisance  en  des  articles  distincts  :  contempla- 

1.  Iii  I  De  Anima,  Lect.    II.  ■    i 

2.  Sum.  Theol,  la  llae,  qu.  XLVI,  art.  5. 

3.  Ibid.,    art.    8. 

4.  In  I  De  Anima,  loc.  cit.  —  Ar'stote  avait  dit:  ij.7i0€i.bsyàp  ^o^epov  crv/j-^alucv- 
Tos  iv  Toîs  iràOeffi.  ylvovTai  roîs  tov  (po^ov/xevov.  IIEPI  4'TXH2  A,  1,  403  a  23-24. 

5.  Sum.    Thcol.,     3  II^^    qu.    XXXIII. 


4i8         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

tion  de  la  vérité,  commerce  de  l'amitié,  en  voici  d'autres  très 
singuliers  :  le  sommeil,  la  douche,  le  bain.  Il  va  même  jusqu'à 
dire  qu'il  est  très  bon  de  pleurer  au  sein  d'une  grande  douleur,  car 
les  larmes  soulagent.  —  Vis-à-vis  d'autres  états  émotionnels  saint 
Thomas  n'a  garde  d'oublier  l'argument  cher  aux  physiologistes  : 
la  provocation  de  l'émotion  par  absorption  de  spiritueux;  ainsi 
le  vin  est  un  des  meilleurs  excitants  à  l'audaca  et  au  courage, 
et  l'exemple  de  l'ivrogne  qui  provoque  témérairement  ceux  qu'il 
rencontre  et  n'a  aucun  souci  du  danger  revient  à  plusieurs  re- 
prises sous  sa  plume  comme  un  confirmatur  sans  réplique  (1). 

]Mais  tandis  que  les  partisans  de  la  théorie  physiologique  invo- 
quent ces  faits  pour  éliminer  l'élément  psychique  de  l'émotion 
et  établir  que  celle-ci  est  tout  entière  constituée  par  la  conscience 
des  réflexes  organiques,  saint  Thomas,  qui  est  observ^ateur  trop 
scmpuleux  pour  récuser  ces  mêmes  faits,  ne  voit  en  eux  qu'une 
preuve  expérimentale  mam'feste  de  la  connexion  intime  et  néces- 
saire de  l'aspect  physiologique  et  de  l'aspect  psychique,  tous 
deux  ensemble  constituant  l'émotion.  Loin  d'y  rencontrer  une 
contradiction,  il  n'y  trouve  au  contraire  qu^une  illustration  nou- 
velle de  sa  théorie. 

Voici  l'explication  qu'il  propose  des  différents  faits  cités  et 
que  nous  résumerons  ainsi  dans  sa  coupe  générale  :  Les  diffé- 
rentes parties  de  notre  organisme  physiologique  ont  entre  elles 
un  tel  rapport  d'adaptation  et  d'harmonie  que  la  modification 
de  l'une  de  ces  parties  entraîne  celle  de  tout  l'ensemble;  ainsi 
les  modifications  périphériques  retentissent  par  différents  inter- 
médiaires sur  les  organes  internes,  et  les  modifications  de  ceux-ci 
se  répercutent  à  leur  tour  sur  toutes  les  fonctions.  D'autre  part, 
dans  l'état  normal,  ce  rythme  général  a  une  allure  de  juste  mi- 
lieu auquel  est  adjoint,  dans  l'appétit,  un  sentiment  de  bien-être. 
Que  ce  rythme  vienne  à  être  modifié  par  un  excitant  externe  ou 
même  par  le  jeu  mécanique  du  tempérament  physiologique  ou  des 
prédispositions  héréditaires,  ce  renforcement  harmonique  ou  dés- 
harmonique  sera  éprouvé,  conscient,  du  fait  de  la  cénesthésie 
générale.  En  regard  de  cette  appréhension,  le  sentiment  se  colore 
de  plaisir  ou  de  malaise,  parfaitement  ressenti  dans  la  conscience. 
Que  cette  harmonie  ou  cette  désharmonie,"  et  aussi  le  sentiment 
paiallèle,  s'accentuent  encore,  l'appréhension,  renforcée  par  la 
mémoire,  l'association,  l'imagination  d'états  semblables  ou  ana- 
logues,  manifestera  Aite   des   motifs   immédiats   de   bien   ou   de 

1.  Jhid.,  qu.  XL,  art.  G. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  479 

mal  pour  le  sujet.  —  réels  ou  fictifs  — ;  dès  lors,  le  mouvement 
appétitif  déclanchera  entraînant  le  mouvement  organique  cor- 
respondant et  l'émotion  tout  entière  sera  constituée.  Elle  sem- 
blera n'avoir  eu  pour  cause  qu'une  modification  corporelle;  en 
réalité  celle-ci  aura  provoqué  tout  le  cycle  émotionnel  :  la  con- 
naissance ou  appréhension  pratique  antécédente,  puis  l'émotion 
elle-même,  avec  son  double  aspect  d©  mouvement  psychique  de 
l'appétit  et  de  mouvement  organique. 

C'est  de  cette  façon  que  peuvent  fort  bien  s'expliquer  les  faits 
invoqués  par  la  théorie  physiologique  pour  nier  l'élément  psy- 
cliique  de  l'émotion.  Ils  ne  prouvent  qu'une  chose,  savoir,  que 
les  phénomènes  physiologiques  sont  des  éléments  nécessaires, 
constitutifs  de  l'émotion;  mais  non  pas  qu'ils  soient  suffisants 
pour  constituer  l'émotion,  ni  surtout  qu'ils  soient  antérieurs  aux 
phénomènes  psychiques.  «  Si  je  rencontre  un  ours,  disait  James, 
j'ai  peur  uniquement  parce  que  je  m'enfuis  :  la  conscience  des 
mouvements  organiques  et  autres  réflexes  forme  seule  mon  émo- 
tion de  peur.  »  Une  telle  interprétation  est  manifestement  inexac- 
te. Je  ne  tremble  et  je  ne  fuis  que  parce  que  j'appréhende  le  dan- 
ger imminent  et  que  je  me  vois  sans  défense.  Si,  au  contraire,  je 
suis  armé,  si  je  suis  à  l'affût,  je  n'ai  plus  peur,  je  me  réjouis  du 
bon  coup  de  fusil  et  j'en  vibre  d'aise.  Ce  sont  bien  des  événements 
proprement  psycliiques  qui  sont  au  principe  de  l'émotion  et  qui 
en  déterminent  la  spécificité.  —  James  allègue  un  autre  exemple  : 
il  se  souvient  qu'étant  tout  jeune  enfant,  il  se  prit  à  pleurer  en 
voyant  saigner  un  cheval.  Mais,  outre  qu'il  est  impossible  à  James 
de  reconstituer  son  état  psychologique  complet  à  cette  époque 
de  sa  vie,  son  cas  s'explique  fort  bien  et  de  plusieurs  manières 
possibles  par  un  jeu  d'association  auquel  suivit  un  phénomène 
appétitif  correspondant.  L'enfant  associe  en  effet  l'idée  de  souf- 
france à  celle  du  sang  qui  coule  —  quand  il  s'est  égratigné  ou 
blessé,  il  a  souffert  et  il  a  pleuré  —  et,  par  l'entremise  de  cette 
suggestion,  une  émotion  pareille  aux  anciennes  peut  se  reproduire 
spontanément.  Même  interprétation  pour  le  cas  de  frayeur  irré- 
sistible près  du  canon  qu'on  tire  —  autre  exemple  de  James.  — 
Il  y  a  association  Imaginative  et  par  suite  déclanchement  presque 
automatique  de  l'émotion  complète. 

Quant  aux  cas  pathologiques,  invoqués  par  Lange,  et  dans  les- 
quels l'émotion  se  déclare  in  optiniâ  forma,  sans  cause  extérieure 
apparente,  ils  n'excluent  pas  pour  autant  l'élément  psychique. 
Celui-ci  est  déterminé  comme  fatalement  par  voie  d'association, 


480  REVUE   DES   SCIE^•CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

motivée  elle-même  par  l'état  morbide  de  l'organisme.  A  vrai  di- 
re, ces  derniers  faits  ne  pourraient  confirmer  la  théorie  phy- 
siologique que  s'il  était  prouvé  que  dans  la  ooiiscience  du  ma- 
lade émotif  il  n'y  a  pas  un  état  affectif  hallucinatoire,  mais  seu 
lement  la  sensation  des  modifications  organiques.  Or,  les  psy- 
chiatres reconnaissent  que  la  maladie  de  l'émotion  n©  provient 
pas  du  degré  plus  ou  moins  grand  des  phénomènes  physiologi- 
ques, mais  du  degré  de  l'émotivité,  fonction  essentiellement  psychi- 
que. L'exagération  du  fait  passionnel  a  donc  sa  cause  dans  l'élé- 
ment psycliique,  bien  et  dûment  existant,  et  concourant  av^ec  les 
réflexes  organiques  à  l'état  émotionnel  complet. 

Ainsi,  saint  Thomas  ne  voit  dans  la  réversibilité  de  l'émoHon, 
c'est-à-dire  dans  sa  provocation  possible  par  excitation  indirecte 
de  l'organisme,  qu'une  preuve  expérimentale  de  la  connexion  né- 
cessaire des  éléments  intégrant  toute  émotion  :  l'élément  phy- 
siologique et  l'élément  psychique.  Bien  loin  d'y  trouver  un  mo- 
tif d'éiiminer  celui-ci^  son  interprétation,  confirmée  par  l'analyse 
scientifique,  ne  va  qu'à  le  mettre  plus  en  valeur  et  à  montrer  par 
là  le  bien  fondé  de  sa  théorie  générale  de  l'émotion. 

Cela  dit,  saint  Thomas  serait  prêt  à  admettre  une  part  de  vé- 
rité dans  la  théorie  physiologique.  Il  concéderait  volontiers  que 
les  variations  organiques  contribuent  indirectement  à  renforcer 
l'intensité  de  l'émotion  et  que  l'on  peut  dire  avec  James  :  «  la 
fuite  aggrave  la  panique;  chaque  accès  de  sanglots  rend  le  cha- 
grin plus  intense;  dans  la  colère  nous  nous  montons  jusqu'au 
paroxysHKî  par  des  explosions  répétées  ».  Saint  Thomas  affirme 
expressément  que  la  délectation  corporelle  est  plus  «  véhémente  » 
que  celle  de  l'appéUt  supérieur,  en  raison  des  sensations  conco- 
mitantes provoquées  par  les  réactions  physiologiques  (1).  Mais, 
au  reste,  ce  renforcement  se  propage  jusqu'à  l'appétit  par  le  jeu 
d'association  que  nous  avons  décrit,  et  finalement  c'est  l'élément 
psychique  qui  s'accroît  en  intensité  et  par  lui  l'émotion  tout  en- 
tière. 

CONCLUSION. 

Résumons  toute  cette  étude  par  un  parallèle  plus  concis  entre  les 
théories  physiologique  et  intellectualiste  et  la  théorie  de  saint 
Thomas. 

Pour   les    physiologistes,    l'émotion   n'est   pas    un    phénomène 


1.  Ihid.,    qu.    XXI,    art.    5. 


l'émotion    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  481 

spécifique.  Elle  est  tout  entière  constituée»  par  la  sensation  ou 
conscience  des  modifications  organiques,  sans  qu'il  soit  besoin 
d'invoquer  aucun  élément  psychique  affectif.  Elle  n'est,  en  défini- 
tive, qu'une  représentation  spéciale,  dont  l'objet  précis  est  un 
complexus  de  mouvements  internes  et  externes.  L'essentiel  de 
la  théorie  est  le  rejet  de  l'élément  psychique  et  cette  affirmation 
conséquente  :  les  phénomènes  corporels  et  la,  sensation  qui  en 
est  éprouvée  constituent  l'émotion  tout  entière.  Si  les  divergen- 
ces apparaissent  chez  les  soutenants  de  cette  théorie,  elles  sont 
purement  accidentelles;  car  elles  portent  sur  la  question  de  savoir 
quel  est^  dans  l'ensemble  des  événements  physiologiques,  celui 
qui  est  primaire  et  propre  à  déterminer'  tous  les  autres.  Lange 
dit  :  ce  facteur  primaire,  c'est  le  cœur  et  les  troubles  vasomoteurs; 
d'autres  disent  :  le  cœur  est  secondaire  dans  la  physiologie  de 
l'émotion,  puisque  son  mouvement  lui-même  est  commandé  par 
des  manifestations  organiques  antérieures.  L'argument  principal, 
apporté  d'un  commun  accord,  pour  éliminer  tout  élément  psy- 
chique, est  ce  fait  expérimentai  incontestable  que  l'état  émo- 
tionnel peut  être  provoqué  in  forma  compléta  par  des  moyens  arti- 
ficiels ou  par  prédisposition  héréditaire. 

Pour  les  intellectualistes,  l'émotion  n'est  pas  non  plus  un  phé- 
nomène psychologique  spécifique,  mais  seulement  un  mode  de 
la  représentation,  résultat  de  l'interaction  harmonique  ou  déshar- 
monique  des  représentations  elles-mêmes.  L'essentiel  de  la  théo- 
rie est  également  la  négation  d'un  élément  affectif  propre,  distinct 
de  la  représentation.  Celle-ci,  modifiée  dansi  son  intérieur,  est 
toute  l'émotion.  Les  phénomènes  physiologiques  sont  acciden- 
tels et  parasitaires;  ils  n'entrent  dans  le  cycle  émotionnel  qu'in- 
directement par  l'influence  qu'ils  peuvent  avoir  sur  l'entrejeu 
des  représentations. 

Opposées  en  apparence,  les  deux  théories  se  rejoignent  dans 
leurs  affirmations  caractéristiqiies  :  négation  de  l'élément  psy- 
chique affectif  et  par  conséquent  négation  de  la  spécificité  du 
fait  émotionnel.  Qu'elle  soit  la  conscience  des  variations  organi- 
ques ou  la  conscience  des  modes  de  la  représentation,  l'émotion 
n'est  qu'un<    représentation. 

L'originalité  de  la  théorie  de  saint  Thomas  consiste  dans  l'af- 
firn>ation  de  l'élément  psychique  de  l'émotion,  et,  par  suite,  de 
la  spécificité  de  celle-ci  comme  fait  distinct  de  tout  autre  phéno- 
mène psychologique,  en  particulier  de  la  représentation. 

L'émotion  est  essentiellement  un  acte  da  l'appétit  sensitif  — 

26  .^nnée.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  3.  3' 


485         REVUS    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

et  c'est  là  son  aspect  formel  —  lié  toujours  à  une  modification 
corporelle,  —  et  c'est  là  son  aspect  matériel. 

Ce  n'est  pas  que  la  représentation  n'intervienne  en  aucune 
manière  dans  le  cycle  émotionnel  complet.  Elle  ne  constitue  pas 
intrinsèquement  l'émotion,  mais  elle  lui  est  indispensable.  Tout 
d'abord,  elle  la  provoque  et  ainsi  la  détermine  extrinsèquement  : 
l'acte  appétitif  affectif  ne  se  déclare  que  sur  la  présentation,  par 
les  facultés  cognoscitives,  de  motifs  d'attrait  ou  de  répulsion  pour 
le  sujet.  De  plus  la  connaissance  est  concomitante  et  parallèle  à 
l'émotion,  parce  que  l'on  doit  éprouver  et  ressentir  non  seulement 
le  mouvement  appétitif  dont  l'âme  est  agitée,  mais  encore  et 
également  la  commotion  oiganique  dont  le  corps  est  le  théâtre. 
Déterminatrice  extrinsèquement  et  antérieure,  concomitante  et 
parallèle,  la  représentation  enveloppe  toute  l'émotion  sans  pour- 
tant se  confondre  avec  elle. 

L'élément  psychique  de  l'émotion  est  décrit  analogiquement 
par  saint  Thomas  comme  «  un  certain  mouvement  de  l'âme  » 
variable  selon  les  diverses  passions.  Son  existence  se  révèle  à 
l'expérience  intime.  Les  analyses  de  la  théorie  intellectualiste  la 
confirment,  si  l'on  admet  que  l'entrejeu  des  représentations,  qui  est 
indéniable,  s'achève  dans  l'entrejeu  des  tendances  affectives.  En- 
fin, l'impossibilité  pour  la  théorie  physiologique  de  rendre  compte 
de  la  différence  qualitative  des  émotions  en  refusant  d'admettre 
l'aspect  psychique  affectif,  manifeste  la  nécessité  de  celui-ci,  com- 
me élément  intégrant  toute  émotion. 

L'aspect  physiologique  passionnel  est  le  même,  au  point  de 
vue  périphérique,  que  celui  mis  en  relief  par  les  physiologistes. 
Les  descriptions  qu'en  donnent  ces  derniers  n'ajoutent  que  des 
variantes  à  celles  de  saint  Thomas.  Cette  «  transmutation  corpo- 
relle »,  second  élément  nécessairement  requis  dans  toute  émo- 
tion, peut  d'ailleurs  en  renforcer  accidentellement  l'intensité  par 
répercussion  indirecte  sur  l'acte  appétitif. 

Mais  ces  deux  aspects  de  la  passion  ne  doivent  pas  faire  illu- 
sion sur  son  unité  foncière  :  mi-psychique,  mi-organique,  elle 
n'en  est  pas  moins  une  dans  sa  nature  constitutive,  unité  qui  se 
révèle  dans  l'expérience  interne  et  externe  et  qui  se  confirme  par 
ce  fait  incontestable  de  la  réversibilité  de  l'état  passionnel,  c'est- 
à-dire  de  sa  provocation  possible  par  la  seule  mise  en  jeu  des 
réactions  corporelles.  Loin  d'aboutir  à  la  conclusion  qu'en  tirent 
les  physiologistes,  ce  fait  ne  sert  qu'à  mettre  en  évidence  la  né 
cessité  de  l'élément  psychique. 


l'ÉMOTÎON    selon    les    modernes    et    s.    THOMAS  -483 

Ce  qui  reste  essentiel  dans  la  théorie  thomiste,  c'est  donc  que 
l'émotion  est  un  phénomène  spécifique,  intrinsèquement  consti- 
tué par  l'union  d'un  mouvement  appétitif  et  d'un  mouvement 
organique.  Ce  que  l'on  peut  considérer  comme  accidentel  c'est 
cette  opinion  que,  dans  le  processus  physiologique,  les  manifes- 
tations périphériques  ont  pour  facteur  primaire  le  mouvement 
anormal  du  cœur.  Il  semble  bien  établi  aujourd'hui,  contre  Lange 
et  par  conséquent  contre  saint  Thomas,  que  le  trouble  vasomoteur 
est  antérieurement  conditionné  par  une  innervation  spéciale  des 
centres  moteurs. 

Mais  c'est  là,  encore  une  fois,  un  détail  de  minime  importance. 
La  théorie  générale  de  l'émotion  selon  saint  Thomas  demeure  tout 
entière,  dans  ses  lignes  originales.  Et  puisqu'elle  apparaît,  ration- 
nellement et  expérimentalement,  mieux  établie  que  toute  autre, 
il  convient  de  lui  donner  la  plus  franche  adhésion. 

Kain.  H.-D.  Noble,  0.  P. 


La  notion  du  Lieu 

théologique 


SUITE   (l) 


LES  LIEUX  THEOLOGIQUES   IMMEDIATS. 

LA  partie  de  VArs  specialis,  qui  contient  le  dénombrement 
analytique  et  raisonné  des  lieux  dialectiques  ne  comprend 
pas  moins  de  six  livres  dans  les  Topicfues  aristotéliciennes.  C'iïst 
un  véritable  dictionnaire.  Et  cependant  le  nombre  des  lieux  dia- 
lectiques est  limité  par  la  nature  même  des  choses,  puisque  les 
termes  généraux  qui  les  constituent  et  les  propriétés  logiques  de 
ces  termes  sont  en  nombre  nécessairement  restreint.  Bien  plus 
considérable  encore  serait  un  Ars  specialis  tliéologique.  Ici,  plus 
de  limites  fixes;  l'approbation  de  la  Révélation  pouvant  toucher, 
en  plus  des  propositions  formellement  révélées,  uno  quantité 
indéfinie  de  dires  des  représentants  de  la  Tradition  et  de  la  Phi- 
losopliie.  C'est,  nous  l'avons  déjà  remarqué,  l'infinité  de  ce  la- 
beur qui  a  d,û  détourner  Melchior  Cano  d'entreprendre  dans  son 
détail  rénumération  des  Lieux  théologiques  proprement  dits  et 
l'a  fait  se  contenter  de  donner  quelques  spécimens  de  la  manière 
de  s'y  prendre  pour  les  découv^rir.  Les  bornes  restreintes  d'un 
article  et  le  but  d'initiation  méthodologique  que  nous  avons  présen- 
tement en  VMe,  nous  commandent  plus  de  résen^e  encore.  Du 
moins,  après  avoir  donné  des  exemples  typiques  de  la  mise  en 
œuvre  de  notre  théorie,  en  confectionnant  sous  les  yeux  du  lec- 
teur quelque^:  échantillons  de  lieux  théologiques  immédiats,  nous 


1.  Cf.    Rei:   des   Se.   Ph.   et    Th.,    1908,    jaav.,    p.    51    ssv.,    avril,  p.  246  sv. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  48o 

sera-t-il  permis  d'élargir  notre  horizon,  de  lever  les  yeux,  par 
delà  le  Pratique,  vers  l'Idéal,  et  de  concevoir  l'Idée  d'une  systé- 
matisation, générale  des  Lieux  théologiques  immédiats,  analo- 
gue à  celle  qu'Aristote  a  tenté  de  réaliser  pour  les  Topiques,  de 
rêver,  à  l'instar  de  Leibniz,  d'une  Caractéristique  théologique 
universelle  ? 

l.  —  Comment  on  confectionne  un  Lieu  théologique  immédiat. 

Dans  la  première  partie  de  cette  Section,  conformément  à  ce 
qu'annonce  son  titre,  nous  confectionnerons  quelques  principes 
immédiats  d'argumentation  théologique  en  détaillant  les  différents 
moments  du  procédé,  emprunté  à  VArs  generalis  théologique,  par 
lesquels  on  les  obtient.  Dans  une  deuxième  partie,  nous  éta- 
blirons cfue  c'est  bien  légitimement,  qu'en  dépit  de  certains  scru- 
pules que  pourraient  faire  naître  tant  un  certain  défaut  de  pa- 
rallélisme avec  les  lieux  dialectiques  que  le  langage  de  ]\Ielchior 
Cano,  les  principes  immédiats  d'argumentation  établis  ainsi  par 
nous  constituent  des  lieux  théologiques  proprement  dits,  vrai- 
ment analogues  aux  lieux  dialectiques  pToprement  dits  des  To- 
piques. 

7°  Confection  des  principes  immédiats  de  l'argumentation  théolo- 
gique par  la  méthode  de   l'Ars  generalis. 

Cette  méthode,  on  l'a  dit  déjà,  se  propose  de  faire  sortir  des 
dix  lieux  communs  concrets  de  ^lelchior  Cano,  et  cela  par  le 
moyen  des  instruments  théologiques  dont  nous  avons  donné  les 
types  scripturaires,  des  principes  immédiats  d'argumentation  théo- 
iogique.  L'opération  comprend  donc  trois  termes  :  le  lieu  commun 
oui  lui  sert  de  point  de  départ,  un  facteur  intermédiaire,  à  savoir 
l'instrument  d'invention,  enfin  le  principe  immédiat  qui  résulte 
à  son  issue.  Ceci  remémoré,  je  commence. 

Soit  la  première  des  questions  soulevées  à  titre  de  modèle 
de  discussion  par  Cano  :  Utrum  in  lege  nova  verè  nunc  et  -propriè 
sit  Sacrificium?  A  l'appui  de  sa  première  et  affirmative  conclu- 
sion, Cano  invoque  successivement  la  plupart  des  lieux  théolo- 
giques, l'Écriture,  la  Tradition,  l'Église  et  ses  divers  organes,  les 
Saints  Pères;  de  plus  il  entremêle  chacun  de  ces  chefs  princi- 
paux d'argumentation  d'appels  à  leurs  voisins  et  jusqu'à  celui 
de  l'autorité  des  Philosophes.  Bien  que  l'auteur,  en  cela  confor- 
me à  Aristote,  n'ait  pas  rappelé  explicitement  les  règles  ou  pré- 
ceptes qui  amènent  sur  le  terrain  ses  arguments,  il  est  facile 


486         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  suppléer,  et  nous  allons  nous  y  employer  pour  l'un  d'entre 
eux,  le  plus  efficace,  semble-t-il,  mettant  à  nu  l'armature  du  pro- 
cédé. 

Airêtons-nous  donc  au  second  argument  principal,  tiré  de  ce 
texte  de  saint  Luc  :  Accepto  pane,  gratias  egit  et  f régit  et  dédit 
eis,  dicens  :  Hoc  est  corpus  meum,  quod  pro  vobis  datur  :  hoc 
facile  in  meam  commemorationem.  Similiter  et  calicem  (hoc  est, 
accepit  et  gratias  egit)  dicens  :  Hic  est  calix  novnm  testamentum 
in  sanguine  meo,  qui  pro  vobis  fiDidetur.  Cano  déclare  que  ce 
texte  est  un  témoignage  évident,  apertissimum  testimonium,  en 
faveur  do  sa  thèse.  Il  le  regarde  donc  comme  immédiatement  du 
ressoii  de  la  règle  de  découverte  des  lieux  théologiques  qui  con- 
cerne le  sens  littéral  explicite.  Il  est  clair,  d'ailleurs,  qu'il  inté- 
resse aussi,  mais  d'une  manière  plus  éloignée,  les  règles  qui  con- 
cernent la  Canonicité  (1),  l'étendue  de  l'inspiration  (2),  l'auto- 
rité de  la  Vulgate  (3).  Supposons  que  celles-ci  ont  déjà  obtenu 
leur  effet,  et  tenons-nous-en,  pour  raison  de  clarté  et  de  brièveté, 
à  l'instrument  immédiat  de  confection  de  notre  lieu  théologique. 
Voici,  dans  toute  sa  membrure,  la  suite  de  l'opération  que  sup- 
pose l'argumentation  de   Cano. 

Majeure  :  Les  propositions  de  l'Écriture  canonique  dont  le 
sens  littéral  explicite  ne  fait  aucun  doute,  sont  aptes  par  elles- 
mêmes,  et  sans  déclaration  de  l'Église,  à  fournir  des  lieux  théo- 
logiques très  certains  et  très  efficaces  (4); 

Mineure  :  Or,  il  n'est  pas  douteux  que  le  texte  de  saint  Luc 
en  question,  ne  rapporte,  à  la  lettre  et  explicitement,  l'institution 
dans  la.  Loi  nouvelle  d'un  véritable  et  proprement  dit  sacrifice; 

Donc  ce  texte  est  apte  par  lui-même,  et  sans  déclaration  de 
l'Église  à  fournir  à  la  Thèse  de  l'existence  dans  la  Loi  nouvelle 
(f  un  vrai  et  proprement  dit  sacrifice,  un  lieu  théologique  très  cer- 
tain et  très  efficace,  apertissimum  testimonium. 

La  majeure  de  l'argument  n'est  autre  que  la  première  des 
règles  constituant  le  second  instrument,  relatif  à  la  distinction 
des  ambiguïtés.  Cet  instrument  n'a  pas  de  peine  à  s'appliquer  au 
lieu  commun  de  l'Écriture  Sainte  (5),  car  il  s'identifie  substan- 
tiellement avec  lui,  étant  son  expression  la  plus  formelle. 


1.  Cf.   p.   267. 
2    Cf.    p.    269. 

3.  P.  273. 

4.  Voir   p.   270,   Règle  I. 

5.  P.  261. 


LA   NOTION   DU  LIEU   THÉOLOGIQUE  487 

La  mineure  doit  être  prouvée,  et  Cano  ne  manque  pas  de  s'y 
employer.  Il  prélude  d'abord  par  des  arguments  extrinsèques 
tirés  do  l'Histoire  ecclésiastique,  de  témoignages  de  saint  Cyprien 
et  de  saint  Irénée,  puis  il  passe  à  l'argument  spécifique  en  la 
matière,  l'explication  littérale  du  texte.  Savoir  si  son  exégèse  est 
de  tous  points  exacte  n'est  pas  notre  affaire.  Il  nous  suffit  d'avoir 
démonté  le  mécanisme  par  lequel  il  cherche  à  consacrer  comme 
lieu  théologique,  très  certain  et  très  efficace  pour  la  question  visée, 
la  teneur  littérale  du  texte  cité  de  saint  Luc.  Ce  texte  sera  dé- 
sormais, à  son  point  de  vue  du  moins,  un  lieu,  théologique  classé 
pour  une  argumentation  scientifique  de  l'ordre  de  questions  sur- 
naturelles de  principes,  visant  la  matière  spéciale  du  Sacrifice 
de  la  Nouvelle  loi. 

Passons,  avec  le  second  modèle  fourni  par  Cano,  k  une  ques- 
tion surnaturelle,  non  plus  de  principes,  mais  de  conséquences. 
On  demande  si  le  Christ,  dès  l'instant  de  sa  conception,  a  eit 
la  Vision  béatifique.  Les  arguments  d'Écriture  Sainte  ne  manquent 
pas  qui,  par  le  moyen  d'une  exph cation  ou  d'un  raisonnement, 
établissent  l'affirmative  à  titre  de  conclusion  théologique.  Mais, 
l'argument  adéquat  en  la  matière,  ainsi  que  Cano  le  marque  au 
début  de  sa  Résolution,  semble  être  l'accord  des  Théologiens. 
Quac  conchisio,  licet  solâ  Theologorum  audoritate  probaretur,  satis 
firm.a  habenda  esset,  quemadmodum  lïbro  8°  constituimus  (1). 
Nous  voici  reportés  par  ce  renvoi  au  septième  lieu  théologique» 
commun,  à  savoir  :  La  doctrine  des  Théologiens  scolastiques  est 
un  principe  de  solution  probable  (2). 

Au  chapitre  IV  du  VIII  livre,  De  Locis,  auquel  se  réfère  Cano, 
nous  rencontrons  trois  règles  constituant  l'unique  instrument  de 
différenciation  de  ce  lieu  commun,  instrument  qui  relève,  soit 
dit  en  passant,  du  Collationnement  des  différences,  troisième 
instrument  dialectique  d'Aristote.  La  première  de  ces  règles  con- 
cerne le  cas  où  les  théologiens  ne  sont  pas  d'accord.  Il  n'est  pas 
applicable  à  la  solution  de  la  cpiestion  de  la  \àsion  béatifique 
dans  le  Christ,  puisque  tous  les  théologiens  de  l'École  s'enten- 
dent pour  la  résoudre  par  l'affirmative.  C'est  Cano  qui  vient  de 
nous  le  dire,  et  nous  ferons  bien  de  l'en  croire.  Les  deux  autres 
règles  concernent  le  cas  de  cet  accord,  mais  différemment;  car 


1.  De  locis,  1.  XII,   c.  XIII. 

2.  Cf.  p.   262,    et.  pour  le  sens   du  mot  probable,   la  note  qiii  se  trouve  au 
bas  de  cette  page.   Ici,  probable  =  preuve  solide,  satis  firma  (Cano). 


488         REVUE    DES   SCIENXES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

l'acoord  peut  porter  ou  bien  sur  une  chose  considérée  comme 
importante,  res  gravis;  ou  bien  sur  une  chose  intéressant  for- 
mellement la  foi  ou  les  mœurs.  Dans  le  premier  cas,  ex  aucto- 
rum  omnium  scolasticorum  communi  sententiâ  in  re  quidem  gravi, 
usque  adeo  prohabilia  sumnntur  argumenta,  ut  illis  refragari 
TEMERARiUM  siT.  Dans  le  second  cas,  sententiam  contradicere, 
si  haeresis  non  est,  at  haeresi  proximum  est. 

A  laquelle  de  ces  règles  devons-noas  présentement  faire  appel? 
Essayons  de  la  dernière  comme  majeure. 

Il  \'ient  : 

Majeure:  S'il  n'est  pas  hérétique,  il  est  tout  au  moins  proche 
de  l'hérésie  de  contredire  la  sentence  de  tous  les  théologiens  de 
l'École  touchant  la  foi  et  les  mœurs; 

Mineure  :  Or,  la  question  de  la  vision  béatifique  du  Christ 
intéresse  formellement  la  foi  et  est  résolue  dans  le  sens  de  l'affir- 
mative par  tous  les  théologiens  de  l'École; 

Donc  la  nier  est,  sinon  hérétique,  du  moins  proche  de  l'héré- 
sie. 

La  mineure  est-elle  de  mise  en  la  circonstance?  Nous  ne  le 
croyons  pas.  Aucune  décision  formelle  du  magistère  ecclésias- 
tiquo  n'affirme  sa  première  partie;  aucun  texte  d'Écriture  Sainte, 
aucune  Tradition  apostolique  ne  la  renferme  explicitement.  L'una- 
nimité du  verdict  affirmatif  des  théologiens  lui-même,  sententiâ 
concors,  porte  sur  la  solidité  et  la  vérité  de  la  conclusion  théo- 
logique qui  déduit  l'existence  de  la  \ision  béatifique  dans  le 
Christ;  elle  n'existe  plus  sur  le  point  de  savoir  si  cette  vérité 
est  de  foi.  En  la  niant  on  ne  s'oppose  donc  pas  à  une  sentence 
unanime  des  Théologiens  de  fide  et  moribus.  Et  donc  la  troisième 
règle  du  Lieu  commun  de  l'Autorité  des  Théologiens  de  l'École 
est  inapplicable. 

Essayons  donc  de  la  seconde.  Il  vient  : 

Majeure  :  De  l'accord  de  tous  les  auteurs  scolastiques  en  ma- 
tière grave,  on  peut  tirer  un  argument  tellement  probable  en  fa- 
veur d'une  conclusion,  que  s'y  opposer  soit  téméraire; 

Mineure:  Or,  sur  la  question  de  la  vision  béatifique  du  Christ, 
res  gravis,  l'unanimité  des  Théologiens  est  acquise  pour  l'affir- 
mative , 

Donc,  il  serait  téméraire  de  dire  que  le  Christ,  dès  l'instant  de 
sa  conception,  n'a  pas  eu  la  vision  béatifique. 

La  mineure  est,  cette  fois,  des  plus  vérifiables.  La  chose  dont 
il  s'agit  est  non  seulement  grave  en  elle-même,  comme  conclusion 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  4  SO 

théologique  nécessaire  ou  tout  au  moins  extrêmement  probable, 
tenant  donc  de  très  près  aux  principes  révélés,  dans  la  Sainte 
Écriture  en  particulier;  mais,  de  plus,  c'est  comme  telle,  comme 
res  gravis,  qu'elle  est  considérée  par  tous  les  théologiens  qui  la 
résolvent  dans  le  sens  de  l'affirmative.  Et  donc  l'ensemble  con- 
cordant de  tous,  les  témoignages  des  Théologiens  sur  cette  matière 
forme  un  lieu  théologique  décisif  en  l'espèce,  c'est-à-dire  pour 
une  question  appartenant  à  l'ordre  des  questions  sarnaturelles 
de  conséquences. 

On  vient  de  voir  une  seconde  fois  par  quelle  manœuvre  dialec- 
tique le  théologien  par\àent  à  s'assurer  d'un  lieu  théologique 
immédiat. 

Avec  CanO;  tentons  une  troisième  démonstration  du  même  ob- 
jet. Aussi  bien,  trinum  pcrfectum  !  Le  troisième  modèle  choisi 
par  le  maître  appartient  aux  questions  que  nous  avons  appelées 
questions  naturelles.  Il  s'agit  de  la  démonstrabilité  rationnelle  de 
l'immortalité  humaine.  Et  la  partie  qui  se  joue,  principalement 
entre  Henri  de  Gand,  Scot  et  Cano,  a  pour  enjeu  l'attribution  de . 
cette  question,  soit  aux  questions  surnaturelles  topiques^  soit 
aux  questions  surnaturelles  scientifiques  (1).  Scot,  en  particulier, 
tient  que  toutes  les  raisons  apportées  en  faveur  de  l'immortalité 
de  l'àme,  tout  en  ne  laissant  pas  que  de  persuader  celle-ci  avec 
probabilité,  ne  la  démontrent  pas.  Cano  lui  oppose  sur  ce  point 
cette  proposition  :  Periculosum  ac  temerarium  est,  ne  quid  am- 
plius  addam,  affirmare  quod  nidluni  argumentum  hactenûs  inven- 
tum  verè  dononstrat  animae  immortalitatem.  Mais,  à  quel  lieu 
théologique  recourir  pour  justifier  cette  note  sévère?  C'est  l'ef- 
ficacité des  preuves  existantes  qui  est  en  cause;  on  ne  peut 
alléguer  pour  la  soutenir  ces  preuves  elles-mêmes.  Cano  n'hésite 
cependant  pas  à  recourir  à  l'autorité  de  la  raison,  mais  enten- 
dons-nous, non  pas  de  la  raison  pure  qui  ne  saurait  qualifier 
ses  propres  opérations,  mais  de  la  raison  approuvée  par  la  Révé- 
lation, par  la  Théologie  dans  son  exercice  de  métaphysique  su- 
prême. Du  fait  de  cette  approbation,  en  effet,  la  Raison  a  droit 
à  être  conçue  comme  supérieure  à  soi-même,  comme  son  pro- 
pre juge,  son  critère,  son  lieu  théologique  immédiat.  C'est  de  la 
raison  ainsi  considérée  que  la  règle  utilisée  comme  majeur© 
par  Cano  affirme  : 

Il  est  périlleux  et  téméraire  de  nier  l'efficacité  de  la  démons- 


1.  Cf.  p.  249  et  252. 


490         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

tration  d'une  vérité  naturelle  concernant  Dieu,  lorsque  cette  dé- 
monstration est  universellement  reçue  comme  telle  dans  l'École; 

Sous  ce  lieu  spécialisé  die  l'autorité  de  la  raison  théologique 
Cano  subsume  cette  mineure; 

Or,  les  Théologiens,  avec  une  unanimité  morale,  concluent  l'im- 
moitalité  de  l'âme  par  des  preuves  dont  la  teneur  manifeste  l'in- 
tention démonstrative  (1)  ; 

Donc,  il  est  périlleux  et  téméraire  de  nier  la  valeur  démons- 
trative de  ces  arguments,  et  partant,  «  Syllogismi  igitur  isti  verae 
siint  demonstrationes.  » 

La  mineure  est  prouvée,  chez  Cano,  par  l'autorité  de  saint 
Jean  Chrysostome,  de  saint  Augustin,  de  saint  Thomas,  choisis, 
entre  beaucoup  d'autres,  comme  représentants  éminents  de  la 
sentence  commune.  A  l'instance  qu'on  lui  fait  :  «  Passe  que  ce 
soient  en  soi  des  démonstrations  !  en  tout  cas,  elles  ne  le  sont  pas 
pour  moi  »;  Cano  s'irrite,  et  répond  que  l'on  ne  doit  pas  mesurer 
ces  choses-là  d'après  sa  raison  individuelle  mais  d'après  l'auto- 
rité de  tous.  Il  ne  saurait  mieux  marquer  que  son  argumentation 
procède  de  la  seule  raison  théologique,  que  (;'est  elle,  et  non 
la  raison  tout  court,  le  lieu  théologique  immédiat  sous  lequel 
il  conclut. 

Ces  trois  exemples  suffiront,  je  l'espère,  pour  mettre  en  lu- 
mière le  travail  qui  s'effectue  dans  l'esprit  du  théologien,  lors- 
qu'à l'aide  des  règles  et  préceptes  qui  constituent  les  instruments 
de  l'invention  théologique,  il  confectionne  une  proposition  immé- 
diatement utilisable  pour  l'argumentation.  En  l'espèce,  nous  nous 
trouvons,  du  fait  des  trois  opérations  accomplies  sous  nos  yeux, 
en  possession  de  trois  données  :  la  première  est  constituée  par 
les  propositions  du  texte  de  saint  Luc  cité,  entendu  selon  son 
sens  littéral  ;  la  seconde  est  constituée  par  l'ensemble  concor- 
dant des  propositions  soutenues  par  les  théologiens  de  l'École 
touchant  la  vision  béatifiqtie  du  Christ;  la  troisième  est  constituée 
par  les  propositions  qui  intègrent  les  deux  syllogismes  par  les- 
quels on  conclut  d'ordinaire  à  l'immortalité  de  l'âme,  en  s'ap- 
puyant  sur  la  nature,  soit  de  l'opération  intellectuelle,  soit  de 
l'intellect  lui-même.  Ces  diverses  propositions,  dis-je,  sont  dé- 
sormais officiellement  reconnues  et  comme  consacrées  participan- 


1.  Argumentum  quod  sumilur  lx  operatione  propriâ,  vel  etiam  ex  potentiâ 
quae  substantiam  rei  necessaric  naturaliterque  consequitur,  verc  ostoidit  qua- 
lisne  sil  ejus  rei  natura  nique  suhstantia.  Theologi  vero  tum  rx  propriâ 
operatione,  tum  ex  propriâ  potentiâ,  inteîlectione  scilicet  et  intcUectû,  ani- 
mi  incorrnptioiK  m  argument antur. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  491 

tes  do  la  Révélation,  chacune  à  un  titre  différent,  absolu  ou  plus  ou 
moins  probable.  Chacune  d'elles  porte  désormais  avec  soi  la  mar- 
que testimoniale  de  l'approbation  spéciale  à  laquelle  elle  adroit  en 
théologie,  la  fiche  topique,  si  je  puis  ainsi  parler,  de  sa  valeur 
théologique  probante.  Cette  fiche  est  constituée  essentiellement 
par  la  relation,  dont  la  vérification  est  toujours  ouverte,  que  con- 
ser\^e  avec  le  lieu  commun  qui  lui  sert  comme  de  souche,  par  le 
moyen  des  règles  et  préceptes  constituant  son  instrument  spécial 
d'invention,  la  proposition  qui  en  a  été  tirée.  Il  en  serait  de  mémo 
pour  toutes  les  propositions  que  l'on  tirerait  des  Lieux  com- 
muns théologiques  par  les  mêmes  procédés.  Par  la  filière  :  ins- 
trument d'invention  propre,  lieu  commun  concret  d'origine,  tout 
principe  immédiat  d'argumentation  théologique,  rejoint  les  quatre 
lieux  communs  majeurs,  et  ultérieurement  le  lieu  commun  suprê- 
me de  la  Révélation,  duc[iiel  procède  toute  l'autorité  qui  fonde 
l'argumentation  théologique.  Par  cet  engrenage  dynamique  de 
lieux  organicfuement  ordonnés,  descend  vers  le  principe  prochain 
et  intrinsèque  du  raisonnement  théologique,  vers  le  lieu  théo- 
logique immédiat,  la  vigueur  probante  de  l'autorité  de  la  parole 
de  Dieu.  La  modalité  de  celle-ci  se  précise  à  mesure  qu'elle 
passe  parles  canaux  des  lieux  commuLS  d: rivés,  par  les  laminoirs, 
des  règles  et  préceptes  qui  constituent  les  instruments  de  décou- 
verte des  lieux.  C'est  sous  la  pression  de  ces  principes  générateurs 
propres  que  le  lieu  théologique  prouve,  c'est  avec  la  nuance  ca- 
ractérisée d'approbation  par  la  Parole  révélée  dont  ils  l'autori- 
sent à  se  prévaloir  qu'il  gouverne  de  sa  luirdère  les  syllogismes 
du  Théologien.  S'il  se  séparait  de  la  relation  vivante  qui  l'unit 
à  la  révélation,  le  lieu  théologique  immédiat  ne  serait  plus  qu'un 
argument  mort;  s'il  échappait  à  l'empire  de  l'un  des  rouages  crité- 
riologiques  qui  ont  ser\d  à  le  formuler,  il  n'aurait  plus  la  pré- 
cision mordante  qui  fait  de  la  vraie  Théologie  une  science  exacte. 

2°  En  quoi  les  principes  immédiats  d'argumentation  théologique 
diffèrent  des  lieux  dialectiques,  et  que  c'est  seulement  par  analogie 
qu'on    peut    les   nommer   des    lieux   proprement  dits. 

A.  —  La  logique  de  cette  étude  comparative  entre  le  De  Lacis 
et  les  Topiques  voudrait  que  les  Lieux  théologiques  proprement 
dits  fussent,  comme  les  lieux  dialectiques  proprement  dits,  non 
seulement  des  propositions  probables  triées  et  classées  d'après 
leur  degré  d'approbation,  mais  aussi  des  propositions  générales, 
capables,  en  vertu  de  leur  généralité,  d'amorcer  des  argumen- 
tations de  différentes  matières  et  de  leur  servir  de  lieu. 


492         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Or,  s'il  est  é\àdent  que  la  méthode  que  nous  venons  de  mettre  en 
œuvre  a  abouti  à  formuler  des  propositions  toutes  approuvées 
et  toutes  prêtes  à  entrer  dans  les  argumentations  théologiques, 
il  n'est  pas  moins  évident  que  beaucoup  de  ces  propositions  sont 
des  propositions  particulières,  non  nécessaires,  visant  un  fait 
plutôt  qu'un  droit.  Il  semble  donc  qu'il  leur  manque  l'une  des 
conditions  qui,  précisément  méritaient  aux  propositions  dialecti- 
ques la  dénomination  de  Lieux,  à  savoir  un  certain  dégagement 
vis-à-\às  d'une  matière  déterminée,  leur  permettant  de  prêter  leur 
appui  à  des  argumentations  de  toutes  matières  (1), 

Nous  ne  chercherons  pas  à  dissimuler  cette  divergence.  Aussi 
bien  avons-nous  pris  soin  d'avertir  par  deux  fois  (2)  que  nous 
ne  de\dons  pas  nous  attendre  à  rencontrer,  entre  la  dialectique  ra- 
tionnelle et  cette  dialectique  surnaturelle  que  constitue  la  Théo- 
logie, une  ressemblance  parfaite.  Leurs  matières  sont  trop  dis- 
semblables. Il  faut,  une  fois  de  plus,  eiï  cette  rencontre,  nous 
contenter  d'une  similitude  analogique.  La  correspondance  est  par- 
faite en  ce  qui  touche  la  nature  générique  des  principes  de  l'une 
et  l'autre  dialectique,  qui  est  d'être  des  propositions  probables 
au  sens  premier  du  mot  (3).  ayant  chacune  la  note  et  comme  la 
fiche  de  son  degré  de  probabilité,  aptes  par  conséquent  à  four- 
nir une  base  immédiate  et  appropriée  à  une  argumentation  dé- 
terminée. Cela  doit  être  considéré  comme  acquis,  et  ce  serait 
une  faute  de  revenir  là-dessus  pour  une  imperfection  partielle 
de  parallélisme.  D'autant  plus  que  ce  défaut  de  concordance  se 
justifio  par  la  diversité  des  matières  spéciales  à  chacune  des  deux 
disciplines  et  que,  de  plus,  il  n'est  pas  sans  palliatif,  comme  nous 
allons  le  faire  voir. 

a)  Il  se  justifie  par  la  différence  des  matières.  A  quoi  tient, 
en  effet,  l'approbation  universelle  que  rencontrent  les  principes 
de  la  dialectique  naturelle  ?  Incontestablement  à  ce  qu'ils  se  tien- 
nent dans  une  certaine  généralité  superficielle  qui  en  fait  un 
objet  de  constatation  commune.  Cette  généralité  à  son  tour  est 
due  au  caractère  abstrait,  logique,  des  termes  dans  lesquels  se 
maintient  le  principe  dialectique.  L'abstraction,  et  la  généralité 
qui  en  est  la  conséquence,  sont  donc  constitutives  des  principes 
dialectiques.  Chacun  de  ceux-ci,  individuellement,  doit  s'y  con- 
former sous  peine  de  ne  plus  rencontrer  l'approbation  qui  le  con- 


1.  Cf.   p.   65. 

2.  P.    246,   255. 

3.  Cf.    p.    55. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  493 

sacre  comme  principe  probable.  Du  coup,  c'est  en.  vertu  de  sa 
nature  intrinsèque,  per  se,  qu'il  rayonne,  qu'il  est  un  lieu  d'ar- 
gumentation. C'est  son  essence  même.  —  Les  principes  de  la 
Théologie,  au  contraire,  n'ont  rien  dans  leur  formulation,  ex- 
pressive du  mystère  divin,  qui  les  prédestine  à  s'imposer  comme 
tels  à  l'approbation  des  esprits.  Ils  doivent  uniquement  cette  puis- 
sance à  la  Révélation  divine.  Ils  peuvent  donc  être  en  eux-mêmes 
des  propositions  particulières.  Ils  ne  sont  pas  naturellement,  et 
par  une  vertu  intrinsèque,  des  lieux. 

b)  Mais,  cette  inaptitude  intrinsèque  et  individuelle  n'est  pas 
sans  remède.  La  liberté  que  nous  donne  l'analogie  va  nous  permet- 
tre de  les  envisager  comme  des  lieux  tliéologiques,  non  plus  par 
essence,  il  est  vrai,  mais  par  participation  in  solidum  de  l'essence 
universelle  du  Lieu  théologique  suprême  qu'est  la  Révélation. 
Chacune  des  propositions  de  l'Écriture  Sainte,  de  la  Tradition,  etc., 
prise  isolément,  est  spéciale,  et,  faute  de  généralité,  ne  saurait 
prétendre  à  la  qualité  de  lieu  (1),  d'accord!  Mais,  ce  qu'aucune 
d'elles  ne  possède  en  propre,  les  lieux  théologiques  communs 
dont  elles  sont  issues  l'ont  par  eux-mêmes.  Nous  avons  vu,  en 
effet,  que  ces  lieux  communs  peuvent  être  formulés  en  propo-^ 
silJons  générales.  Considérées  comme  des  parties,  des  expressions 
individuelles,  des  promotions  de  ces  lieux  communs,  comme  agis- 
sant sous  leur  influence,  les  propositions  particulières  dont  nous 
parlons  font  corps  avec  eux.  Ce  sont  des!  instruments  par  les- 
quels passe  la  vertu  probante  des  lieux  communs  majeurs,  pour 
entrer  dans  l'argumentation  et  la  gouverner.  Ce  sont  comme  les 
substituts  de  la  Révélation,  lieu  commun  suprême.  L'universa- 
hté  qui  fait  le  lieu  dialectique  ne  leur  esf  donc  pas  absolument 
étrangère.  Ils  ne  l'ont  pas  par  eux-mêmes  :  ils  l'ont  dans  la 
cause  commune  qui  agit  en  eux  et  par  eux  pour  fonder  la  théolo- 
gie (2).  C'en  est  assez  pour  que  les  principes  immédiats  de  l'ar- 
gumentation théologique  puissent  être  dits,  par  analogie,  lieux 
théologiques. 


1.  Nous  n'exceptons  même  pas  les  articles  de  foi,  car  si,  selon  la  concep- 
tion de  saint  Thomas,  ce  sont  des  vérités  qui  rayonnent  sur  les  autres, 
(cf.  Summa  tkeol,  11^  11=^,  q.  I,  a.  VI,  VlU;  q.  11,  a.  V;  cf.  supra,  p.  268)^ 
ils  n'ont,  pas,  la  plupart  du  temps,  une  teneur  uniA'erseile;  l'auraient-ils,  ce  ne 
serait  que  per  accidens,  et  il  faudrait  d'ailleurs  expliquer  comment  les  vé- 
rités suunciario  revelatae,  particulières  la  plupart  du  tcmi  s,  sont;  elles  aussi 
des  lieux  théologiques. 

2.  Eu  deux  mots,  et  pour  les  initiés,  l'univer.salité  logique  (luiiversale 
in  praedicando),  est  suppléée  in  casiî  par  lun^vez-salité  de  la  cause  de  tout  assen- 
timent  théoLogique,   à  savoix   la   Révélation,   universale   in   causando). 


494         REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGEQUES 

Cette  oonœption  n'est  pas  si  nouvelle  d'ailleurs  qu'elle  ne 
trouve  un  fondement  explicite  dans  la  dialectique  classique.  Nous 
avons  vu  plus  haut  (1)  que  c'est  une  propriété  des  lieux  communs 
dialectiques  de  diriger  l'argumentation  du  dehors,  de  haut,  sans 
se  mêler  à  sa  teneur,  encore  qu'ils  en  fassent  la  force.  Ils  sont  pré- 
sents dans  l'argumentation,  selon  le  mot  d'Averroès  renouvelé 
de  Thémistius,  non  secundum  se  sed  suâ  sententlâ  et  potestatet 
C'est  ici  la  formule  exacte  de  ce  que  nous  demandons  pour  les 
lieux  théologiques.  Dans  chacun  des  principes  immédiats  et  in- 
trinsèques de  l'argumentation  théologique,  texte  de  l'Écriture, 
définition  de  Concile,  sentence  d'un  Père,  proposition  de  la  phi- 
losophie naturelle,  un  lieu  théologique  majeur  est  sous-entendu. 
On  ne  le  voit  pas,  mais  il  n'en  est  pas  moins  là,  sententiâ  suâ  et 
fotestate,  par  l'arrêt  qu'il  prononce  et  l'influence  qu'il  exerce. 
Il  est  le  nerf  et  comme  l'àme  intérieure  du  principe  immédiat  et 
le  fait  participer  pour  sa  quote-part  à  l'universalité  de  sa  force 
probante  intrinsèque.  Cette  participation  à  l'universalité  du  prin- 
cipe premier  et  fondamental  de  l'argumentation  théologique  ne 
suffit-elle  pas  pour  que  l'on  soit  fonde  à  désigner,  dans  le  lan- 
gage courant,  par  le  nom  de  lieu  théologique  proprement  dit, 
toute  proposition  préparée  par  les  instruments  pour  l'usage  théo- 
logique ? 

B.  —  Au  reste,  peu  importe  que  l'on  nous  conteste  le  mot,  si 
l'on  nous  donne  la  chose,  h  savoir  que  ce  n'est  pas  comme  titres 
généraux  d'argumentation  que  l'Écriture  Sainte,  la  Tradition,  l'En- 
seignement de  l'Église,  etc.,  prennent  contact  avec  la  Théologie, 
mais  par  les  propositions  qu'ils  contiennent,  par  ces  proposi- 
tions, dis-je,  non  pas  frustes  et  comme  en  nature,  mais  élaborées, 
critiquées,  rendues  aptes  à  emmancher  immÉdiatemeiît  les  argu- 
mentations, grâce  à  la  préparation  ad  hoc  que  leur  font  subir 
les  règles  et  préceptes  théologiques,  analogues  aux  instruments 
dialectiques   de   la  Topique   aristotéliciemie. 

Et  c'est  cette  chose,  à  défaut  du  mot,  que  nous  donne  Cano. 
A  ce  dialecticien  si  averti  et  qui  avait  conçu  le  projet  d'organiser 
la  Méthodologie  théologique  en  regard  de  la  ^léthodologie  dia- 
lectique d'Aristote,  n'avait  sans  doute  pas  échappé  le  défaut  de 
païaJlélisme  existant  entre  les  principes  concrets  et  spéciaux 
de  la  théologie  et  les  principes  dégagés  de  matière  et  géné- 
raux de  la  Topique.  Aussi,  nulle  part,  ne  donne-t-il  le  nom  de 

1.  Cf.  p.  72 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  495 

lieux  aux  propositions  qui  serv^ent  de  principes  immédiats  aux 
argumentations  théologiques.  Il  nomme  ceux-ci  des  argumeyits, 
entendant  par  ce  mot  non  pas  l'argumentation  elle-même  mais, 
selon  l'interprétation  officielle  de  saint  Thomas,  ce  qui  en  fait 
la  force  ou  le  nerf,  à  savoir  le  médium  de  la  démonstration,  qui, 
explicité  dans  une  proposition,  devient  aussitôt  son  principe  gé- 
nérateur (1).  11  a  donc  réservé,  conformément  au  vocabulaire 
cicéronien  qu'il  affectionnait,  le  nom  de  Lieux  théologiques  aux 
titres  généraux  qui  se  partagent  la  révélation.  Écriture  Sainte,  Tra- 
dition, Autorité  de  l'Église,  des  Pères,  des  Théologiens,  Raison 
théologique  qui  restent  pour  lui  des  sedes  vel  domicilia  argumento- 
rum.  Mais  il  ne  s'est  pas  pipé,  conune  les  rhéteurs  (2),  à  ces  méta- 
phores ;  il  n'a  pas  conçu  les  Lieux  comme  des  endroits  ou  des  ca- 
dres vides,  mais  comme  des  ensembles  concrets,  différenciés, 
critiqués,  puissamment  organisés  dans  leur  détail  par  les  règles 
et  préceptes  dont  l'énumération  remplit  son  ouvrage.  Ce  n'est 
pas  par  son  titre  commun,  c'est  par  chacune  de  ses  pièces  soigneu- 
sement agencées  que,  selon  Cano,  le  lieu  théologique  est  agissant, 
qu'il  est  vraiment  et  efficacement  lieu  théologique.  Si  l'on  veut 
s'en  rendre  compte  ce  n'est  pas  son  livre  premier  qu'il  faut  lire. 
On  n'y  trouvera  qu'une  notion  superficielle,  le  quid  nominis  ([ui 
convient  à  une  préface.  Il  faut  lire  le  douzième  livre,  alors  que, 
les  dix  lieux  théologiques  étant  tous  et  chacun  munis  des  règles 
appropriées  qui  permettent  d'en  tirer  des  arguments  tout  prêts 
à  faire  face  aux  questions,  le  maître,  sur  le  point  de  passer  aax 
applications  et  de  nous  donner  des  modèles  de  leur  utilisation, 
nous  livre  l'idée  définitive  qu'il  s'en  fait  :  Theoloyus  haheat  oni- 
ues  theologiae  notas  et  tractatos  locos.  Notos,  inquam,  et  tractatos 
locos ,  7iec  enim  memoria  tenuisse  sat  est,  sed  paratos  et  expeditos 
hahere  oportet.  Frimihn  ergo  discatur  7iumerus  naturaque  locoruui, 
qui  sini,  quoi  sint,  quae  vis  cujusque  ac  proprietas...  Proximum  est 
locos  ipsos  lustrasse  ac  comprehendisse  universos.  Nam  qui  sacras 
litteras  non  léger it,  aut  minime  intellexerit,  is  quo  pacto  è  primo 
loco  argumentahitur?  Qui  traditiones  Christi  et  apostolorum  nus- 

1.  Argumentum  propriè  dicitur  processus  rationis  de  notis  ad  ignota,  se- 
cundum  quod  dicit  Boëtius  quod  est  ratio  rei  dubiae  faciens  fldem.  Et  quia 
iota  vis  argutnenti  consista  in  medio  termino,  ex  quo  ad  igriotorum  pro- 
baiionem  pruceditur,  ideo  dicitur  ipsum  médium  argumentum,  sive  sit  si- 
gnum,  sive  causa,  sive  effectus.  Et  quia  in  medio  termino,  vel  in  principio 
ex  quo  argumentando  proceditur,  continetur  virtute  totus  processus  argumenta- 
tionis,  ideo  tract um  est  vomen  argumenti  ad  hoc  quod  quaelibd  Ijrevis  prae- 
libatio  futurae  narrationis  dicatur  argumentum.  D.  Thomas,  in  III.  Sent., 
diist.  XXIII,  q.  II,  a.  1,  ad  4uiii. 

2.  Cf.   p.    71-72. 


49G         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOSIQUES 

quoTii  ouinino  ohservarit,  quo  hic  modo  è  secundo  loco  argumenta 
ducetî  Qui  7iec  in  Ecclesîae,  nec  in  Conciliorum,  nec  in  Fontificu^n 
doctrina  fuerit  assiduus,  quem  liuic  argumentandi  usum  loci 
ejusmodi  suppeditahunt  ?'  Quas  vero  argumentationes  è  sanctis 
auctoribus  ille  colliget,  qui  sanctorum  libros  ne  attigerit  quidem? 
Quam  autem  disserendi  facuUatem  è  Scholae  Theologis  habere 
poterit,  qui  nullo  tempore  in  Scholae  conflictationibus  exercuerit  ? 
An  è  Physicâ,  Metaphysicâ,  Astronomiâ,  Geometriâ  is  homo  ratio- 
cinahitur,  qui  humanam  rationem  his  nunquam  doctrinis  excolue- 
rii  !  Philosophi  demum  et  historici  ecqui  ei  emolumenti  afférent, 
qui  non  fuerit  in  illorum  lectione  versatus  ?  (1) 

Quiconque  réfléchira  sur  les  conditions  qu'impliquent  pour  les 
lieux  théologiques  ces  expressions  parlantes  :  Notos  et  tractatos 
locos,  et  encore,  paratos  et  expeditos  ;  locos  lustrasse  ac  compre- 
hendisse  omnes,  sur  l'insistance  ^le  met  Cano  à  ne  considérer  com- 
me efficaces  que  les  lieux  saisis  dans  tout  le  détail  de  leurs  par- 
ties constituantes,  nous  accordera  sans  doute  l'identité  substan- 
tielle de  sa  conception  avec  celle  cjne  nous  avons  rencontrée, 
en  poussant  plus  avant  et  d'une  manière  peut-être  plus  serrée 
que  lui,  le  parallélisme  des  deux  Topiques.  Si,  en  effet,  les 
Lieux  théologiques  généraux  de  Cano  ne  sont  vraiment  des  lieux, 
qu'au  moment  où  tractati,  parati,  expediti,  ils  sont  aptes  actuel- 
lement à  fonder  immédiatement  une  argumentation  théologique, 
la  réciproque  ne  s'impose-t-elle  pas,  à  savoir  que  les  arguments 
qui  fondent  actuellement  telle  ou  telle  argumentation  théologique, 
j'entends  les  propositions  qui  constituent  ses  prémisses,  incar- 
nent toute  l'essence  agissante  des  Lieux  théologiques  et  ont  droit 
à  en  porter  le  nom  ? 

II  —  De  ridée  d'une  systématisation  générale  des  Lieux  théologiques 
proprement  dits  ou  Caractéristique  théologique  universelle 

La  détermination  des  principes  immédiats  de  l'argumentation 
théologique,  ou  lieux  théologiques  proprement  dits,  était,  selon 
Melchior  Cano,  une  question  d'effort  personnel.  C'est  ce)  qui  ressort 
des  textes  que  nous  venons  de  citer,  et  d'autres  qui  leur  ressem- 
blent. A  chaque  théologien  de  se  créer,  par  ses  lectures  et  ses 
recherches,  un  fonds  de  documentation  théologique,  et  d'élabo- 
rer ce  donné  positif  à  l'aide  des  règles  et  des  préceptes  qui  cons- 
tituent les  instruments  de  la  méthode.  Il  se  trouvera  ainsi  muni 


1.  De    Locis,    1.  xii,  c.  XI. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  497 

d'un  bagage  de  îoci  tout  préparés,  tractât i,  yarati,  expediti,  possé- 
dant chacun  la  fiche  caractéristique  qui  permet  de  l'adapter  ins- 
tantanément à  une  question  posée,  de  la  solutionner  exactement, 
en  pleine  connaissance  de  la  valeur  précise  de  la  solution  et  de 
sa  preuve.  Suivant  que  c'e  travail  d'approvisionnement  aura  été 
poursuivi  d'une  manière  plus  ou  moins  complète,  poussé  plus  ou 
moins  à  fond,  nous  aurons,  toutes  choses  égales  d'ailleurs  du 
côté  des  facultés  dialectiques  et  du  sens  théologique  que  rien  ne 
supplée,  des  théologiens  de  plus  ou  moins  grande  portée.  Bien 
entendu,  à  cette  préparation  éloignée  se  super]DOse  la  prépara- 
tion prochaine  que  demande  la  solution  d'une  question  instante. 
Les  lieux  propres  ne  s'objectivent  avec  toute  leur  modalité  pré- 
cise, ils  n'acquièrent  toute  leur  topicité,  qu'en  présence  des  ques- 
tions. ]Mais  on  ne  peut  douter  que  celui  qui  disposera  habituel- 
lement d'une  abondante  fourniture  de  lieux  précis  bien  caracté- 
risés n'ait,  pour  cette  mise  en  ligne  définitive,  parmi  de  très  pré- 
cieux avantages,  une  avance  considérable  sur  ses  émules. 

Les  choses  étant  ainsi,  ne  serait-il  pas'  souhaitable,  au  point 
de  vue  de  la  perfection  de  la  Dialectique  théologique,  de  ne  pas 
abandonner  à  la  seule  initiative  individuelle  la  préparation  éloi- 
gnée des  principes  immédiats  de  l'argumentation  théologique, 
de  pousser  jusqu'au  bout  le  parallélisme  de  la  Dialectique  surna- 
turelle et  de  la  Dialectique  rationnelle,  d'entreprendre,  à  l'instar 
d'Aristote  aux  livres  II-VIl  des  Topiques,  un  recensement  offi- 
ciel, aussi  complet  cp.ie  la  matière  le  souffrira,  des  Lieux  théo- 
logiques proprement  dits?  Poser  la  question  c'est,  si  je  ne  me 
trompe,  la  résoudre.  Car,  outre  le  danger  des  préjugés  et  des  mé- 
connaissances auxquels  est  exposée  l'initiative  individuelle,  la 
pratique  qui  s'appuie  sur  celle-ci  a  ce  grave  inconvénient  d'exi- 
ger de  chaque  théologien  qu'il  recommence  pour  son  compte  et  à 
nouveaux  frais  l'inventaire  critique  des  lieux  théologiques  ap- 
propriés, qui,  pour  ses  devanciers,  était  déjà  un  acquis  classé. 
Sans  doute,  je  ne  voudrais  pas  remplacer  par  l'acquisition  mné- 
motechnique d'un  manuel,  analogue  airx  théories  de  nos  régi- 
ments, l'étude  directe  de  l'Écriture  Sainte,  des  monuments  de  la 
Tradition,  des  Pères,  des  Théologiens,  des  Philosophes,  de  l'His- 
toire. Celle-ci  sera  toujours  indispensable  au  théologien,  ne  se- 
rait-ce que  pour  lui  permettre  de  se  faire  une  juste  idée  de  la 
signification  des  arguments  théologiques  en  les  replaçant  dans 
leur  contexte  et  dans  les  conditions  littéraires,  sociales,  histori- 
ques et  autres  qui  les  ont  vu  naître.  Mais  cette  information  i)er- 

2'  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N^  3.  -2 


4'J8         REVUE   DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

sonnelle  sera  toujours  limitée,  pour  un  individu  donné,  par  les 
forces  humaines.  S'en  contenter,  ce  serait  se  condamner  à  se 
spécialiser  dans  l'une  des  branches  ou  l'une  des  cpiestions  de  la 
Théologie,  oe  qui  ne  va  pas  sans  détriment  pour  l'intelligence 
même  de  la  branche  choisie,  ce  qui  jure  avec  le  concept  du  Théo- 
logien, tel  du  moins  que  l'entend  saint  Thomas,  qui  n'est  rien 
moins  que  le  représentant  de  la  métaphysique  du  Révélé,  science 
forcément  universelle  dans  son  ordre  comme  la  métaphysique  l'est 
dans  l'ordre  des  connaissances  rationnelles.  Il  y  aurait  donc  avan- 
tage, pour  ne  pas  dire  plus,  à  ce  que  le  théologien  trouve  à  sa 
disposition,  en  abordant  le  labeur  théologique,  non  seulement 
VArs  generalis  du  De  Locis,  mais  une  Topique  théologique 
matérielle,  de  caractère  impersonnel  et  objectif,  où  seraient 
réunis,  catalogués,  caractérisés  par  leur  note  précise  d'appro- 
bation doctrinale,  tous  les  résultats  certains  et  acquis  de  l'élabo- 
ration des  sources  de  la  théologie  par  les  règles  et  préceptes 
qui  constituent  les  instruments  de  découverte  des  lieux  théolo- 
giques. 

La  réalisation  de  cette  topique  n'offre  d'ailleurs  rien  d'im- 
possible. D'une  part,  le  donné  formellement  révélé  est  tout  entier 
entre  nos  mains  ;  les  Conciles,  les  Pères,  les  décisions  pontificales, 
ont  viaisemblablement  donné  leur  plein:  il  suffirait  de  les  tenir 
à  jour  par  des  suppléments;  la  théologie  traditionnelle,  si  elle 
est  toujours  ouverte  à  de  nouveaux  progrès,  contient  une  part 
considérable  d'acquis  définitif;  il  faudra  toujours  y  avoir  égard 
pour  le  compléter;  la  philosophie  et  l'Histoire  ont  atteint  sur 
nombre  de  points,  et  des  plus  importants  pour  la  théologie,  la 
roche  vive,  ici  du  nécessaire,  là  du  constaté.  D'autre  part,  les 
instruments  d'élaboration  de  ce  donné  sont  construits  depuis 
Cano.  Les  plus  importants  ont  reçu  leur  expression  définitive. 
Il  est  facile  d'ailleurs  de  perfectionner  l'outillage  sur  les  points 
secondaires,  et  c'est  à  cela  que  tendent  les  précisions  que  nous 
avons  essayé  d'apporter  à  la  notion  des  instruments  d'inven- 
tion théologique  en  la  rapprochant  de  la  notion  correspondante 
de  la  Dialectique  aristotélicienne  qui  a  servi  de  thème  aux  Lieux 
théologiques  de  Cano.  L'œuvre  est  donc  possible  autant  qu'util? 
et  avantageuse,  pour  ne  pas  dire  nécessaire. 

Mais,  dira-t-on,  c'est  d'un  labeur  infini  I  et  l'infini  ne  se  traverse 
pas!  Cano,  l'audacieux  conquistador  de  ce  continent  nouveau 
qu'est  la  méthodologie  théologique,   a  dû   renoncer  à  l'explorer 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  499 

dans  son  intégrité,  il  s'est  contenté  d'en  délimiter  par  ses  règles 
comme  le  rivage,  les  sommets,  les  cours  d'eaux,  en  poussant 
trois  pointes  à  l'intérieur  —  trois  exactement  —  comme  pour 
montier  que  la  méthode  a  ses  limites  et,  qu'au  delà,  la  théologie 
est  affaire  d'effort  personnel.  —  Je  réponds  qu'avec  un  pareil 
raisonnement  on  soutiendrait  aussi  bien  qu'il  faut  renoncer  à 
construire  de  nouvelles  cartes  géographiques  et  nous  contenter 
de  celles  du  dix-septième  siècle  par  exemple,  sous  prétexte  que 
les  voyages  sont  affaire  d'effort  personnel.  Non  !  nous  ne  sommes 
plus  au  temps  de  Cano.  Il  a  été  permis  à  ce  grand  initiateur  de 
se  contenter  de  nous  orienter  par  ses  Lieux  théologiques.  Il  est, 
d'ailleurs,  mort  à  la  tâche  avant  de  les  avoir  terminés,  et,  si  l'on 
peut  ainsi  dire,  en  plein  voyage  d'exploration,  au  milieu  même 
de  la  mise  en  œuvre  de  son  troisième  type  d'application  des  lieux. 
Bien  loin  de  nous  détourner  d 'entreprendra  do  parachever  son 
ouvrage  il  me  semble  qu'il  nous  l'ordonnerait  si,  ressuscitant 
parmi  nous,  il  voyait  la  documentation  théologique  au  point  de 
maturation  objective  à  laquelle  elle  est  parvenue. 

Mais,  poui'  ne  pas  rester  dans  des  généralités,  et  mettre  en 
é"\ddence  la  possibilité  pratique  d'une  réalisation  immédiate,  tout 
au  moins  partielle  et  provisoire,  de  l'œuvre  que  no  as  poursui- 
vons, prenons  des  exemples  concrets. 

Tout  le  monde  connaît  VEncliiridio7i  de  Denziger.  Il  contient, 
réduits  aux  proportions  d'un  manuel,  les  textes  principaux  de 
l'Autorité  de  l'Église  sur  les  questions  dogmatiques.  Il  ne  repré- 
sente donc  que  la  matière  de  deux  lieux  théologiques  :  Conciles 
et  Souverains  Pontifes.  Voici  donc  sur  un  point  particulier  mais 
capital  du  donné  théologique  toute  la  documentation  essentielle 
effectivement  rassemblée.  Mais  elle  n'est  qu'à  l'état  de  matière 
brute.  Tout  au  plus  une  table  des  matières,  fort  bien  faite  d'ail- 
leurs, offre-t-elle  un  premier  classement  de  ce  donné  en  propo- 
sitions. La  critique  théologique  des  textes  reste  à  faire,  leur  dif- 
férenciation en  lieux  théologiques  préparés,  expediti,  est  aban- 
donnée par  l'auteur  à  la  sagacité  du  lecteur.  D'où  la  difficulté, 
parfois  même  le  danger,  que  peut  présenter  le  maniement  de  cette 
compilation  par  des  théologiens  insuffisamment  avertis.  Cet  in- 
convénient, n'existerait  pas  si  chaque  texte  se  trouvait  non  plus 
à  l'état  fruste  de  minerai,  mais  façonné,  selon  les  règles  et  pré- 
ceptes authentiques  des  lieux  théologiques,  en  propositions,  mu- 
nies chacune  de  sa  tiche  théologique  caractéristique.  Ce  serait,  à 
peu  de  frais,  on  voudra  bien  le  reconnaître,  toute  une  partie  de 


oOO         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

notre  inventaire  critique  réalisée.  Sans  doute,  une  t-elle  entre- 
prise serait  encore  pro\àsoire,  car,  malgré  les  perfectionnements 
qui  tiennent  d'être  apportés  à  VEnchiridion  dans  sa  deuxième  édi- 
tion, sa  qualité  de  manuel  empêche  de  le  considérer  comme  une 
œuvre  complète  et  scientifique  dans  toute  l'acception  du  mot  : 
mais  on  accordera  qu'il  constitue  pour  un  premier  essai  une  base 
sérieuse  et  pratique. 

Autre  exemple.  Tout  le  monde  connaît  V Histoire  de  la  Théo- 
logie pcsitive  de  M.  Turmel.  Elle  n'est  ni  complète,  ni  parfaite  de 
tous  points.  ]\I.  Turmel  est  le  premier  à  le  reconnaître.  Il  a  fait 
œuvre  d'initiateur  et  à  cause  de  cela  il  doit  lui  être  beaucoup 
pardonné.  Dans  cet  ouvrage  on  trouve  énumérées,  selon  l'ordre 
historique  de  leur  apparition,  les  principales  preuves  d'Écriture, 
de  Tradition,  et  même  de  raison  théologique,  qui  ont  été  pro- 
duites par  les  Théologiens  à  l'effet  de  résoudre  les  principales 
questions  dogmatiques  soulevées  au  cours  des  siècles.  Ce  travail, 
dont  la  matière  est  d'ailleurs  loin  de  coïncider  avec  celle  du 
livre  de  Denziger,  offre  une  base  d'information  plus  large  que 
VEnchiridion  et  a  de  plus  cet  avantage  de  présenter  souvent  une 
première  élaboration  du  document,  qui,  entreprise  au  point  de 
vue  de  la  science  historique,  ne  saurait,  sauf  maldonne^  en  altérer 
le  caractère  positif  (1).  A  moins  de  proclamer  vaine  l'œuvre  de 
toute  la  théologie  traditionnelle,  il  faut  recomiaître  dans  la  docu- 
mentation du  livre  de  M.  Turmel,  la  matière  essentielle  des  véri- 
tables lieux  théologiques  auxquels  les  questions  soulevées  par 
la  Théologie,  depuis  ses  origines  jusqu'à  nos  jours,  ont  demandé 
leur  solution.  Dès  lors,  ne  peut-on  pas,  sans  grand  travail,  tabler 
sur  elle  pour  dresser  un  catalogue  systématique,  où  tous  les  ar- 
guments invoqués  à  l'appui  des  solutions  orthodoxes,  au  lieu 
d'être  simplement  mentionnés  dans  leur  teneur  positive,  verraient 
leur  valeur  de  preuve  pour  la  théologie  explicitement  développée 
et  mise  au  jour  par  les  règles  et  préceptes  d'invention  des  lieux 
théologicjnes  auxquels  chacun  d'eux  se  réfère  et  par  l'intermé- 
diaire desquels  il  a  tiré  effectivement  de  la  Révélation  la  modalité 
de  sa  vigueur  probante  ?  Dans  cette  classification,  où  l'ordre  d'im- 
portance dogmatique  des  Lieux  théologiques  communs  serait  subs- 
titué à  l'ordre  historique,  chacune  des  propositions  auxquelles 
donnent  lieu  les  textes  cités  par  ]\I.  Turmel,  serait  munie  d'une 
fiche  criticfue,  qui  consisterait  essentiellement  dans  l'indication 


1.  On  a  fait,  et  i'ai  fait  moi-même  sur  certains  passages  relatifs  à  saint  Tho- 
mas, des  réserves  importantes.  Cf.  Revue  thomiste,  XII,  p.  207,  486,  58.3;  XIII,  194. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  501 

du  lien  oommuu  sous  lequel  conclut  l'argument  et  de  l'instrument 
qui  l'amène  sur  le  terrain.  Au  lieu  de  rester  dans  un  vague  dé- 
concertant (c'est  l'impression  que  fait  souvent  sur  les  théolo- 
giens curieux  d'exactitude  l'état  dans  lequel  M.  Turmel  nous 
livre,  avec  un  laconisme  cruel,  les  arguments  qui  ont  convaincu 
les  Théologiens  d'autrefois,  ou  même  décidé  des  questions  les 
plus  graves),  les  lieux  théologiques  immédiats  apparaîtraient  dans 
notre  répertoire,  taillés  à  remporte-pièce,  sans  bavure,  disant 
nettement  ce  à  quoi  ils  prétendent,  le  disant  tout  entier  et 
ne  disant  liien  de  plus.  Ce  serait  de  la  théologie  positive,  puis- 
qu'aussi  bien,  c'est  le  nom  que  l'on  donne  aux  traités  qui  se 
bornent  à  enregistrer  les  arguments  positifs,  mais  cette  théologie 
positive  ne  serait  plus  scellée,  énigmatique,  in  actu  primo  (les 
choses  de  l'École,  dirait  Cano,  amènent  les  mots  de  l'École), 
mais  claire,  patente,  in  actu  secundo,  toute  prête  à  servir  d'amorce 
à  la  théologie  systématique,  qui  pour  être  telle,  n'en  est  pas 
moins  positive  dans  sa  source.  Je  dirai  toute  ma  pensée,  ce 
serait  peut-être  (ici  la  véritable,  la  seule,  rauthenti([ue  théolo- 
gie positive,  si  tant  est  qu'une  théologie,  vraiment  digne  de  ce 
nom,  doive  parler  de  Dieu  dans  la  lumière  de  Dieu,  et  par  consé- 
quent doive  être  conçue,  non  seulement  comme  un  donné  litté- 
raire quelconque  concernant  Dieu  et  ses  œuvres,  mais  comme 
un  ensemble  d'assertions  actuellement  éclairées  par  la  lumière 
de  la  foi,  dont  les  règles  et  préceptes  de  lieux  théologiques  re- 
présentent l'irradiation  et  dictent  les  exigences  (1).  Je  le  demande 
une  fois  de  plus,  avec  une  base  comme  celle  de  {'Histoire  de  la 
Théologie  positive,  complétée,  si  l'on  veut,  et  corrigée,  quelle 
impossibilité  y  a-t-il  à  dresser  un  répertoire  des  principaux  et  au- 
thentiques lieux  théologiques  immédiats  visant  toutes  les  grandes 
questions  dogmatiques? 


Kous  sera-t-il  permis  de  regarder  plus  haut  encore  et  plus 
loin,  de  dépasser  la  région  du  pratique  et  de  tourner  nos  regards 
vers  l'Idéal?  Peut-être,  si  l'Idéal  a  cela  de  bon  de  donner  seul 
la  pleine  mesure  des  concepts,  et,  par  conséquent,  la  seule  juste 
et  définitive  notion  des  choses,  leur  idée  xar  'sEo/Tiv  ! 

1.  Jo  me  réfère,  pour  le  développement  de  ces  pensées,  aux  pages  lumineuses 
qu'a  données  le  P.  A.  Lemonnyer  dans  son  article  :  Théoloçjic  positive  et  his- 
torique, Revue  du  Clergé  français,  1er  mars  1903,  t.  XXXIV,  p.  8  ssv;  cf.  A. 
Gardeil,  La  place  de  saint  Thomas  d'Aquin  dans  la  Réforme  des  Êhides 
théologiques,  Revue  de  l'Institut  ratJioJiqiir  de  Paris,  1902  ;  —  Réponse  à 
M.  Turmel,  Revue  thomiste,  nov.  1904,  p.  591. 


50^         REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÈOLOGIQUES 

li  existe,  parmi  les  œuvres  de  Leibniz,  un  très  curieux  projet 
de  méthodologie  scientifique  connu  sous  le  nom  de  Carnctéristi- 
qiie  nniverselle.  Ce  fut  le  rêve  de  l'enthousiaste  et  génial  logicien 
de  donner  à  toutes  les  sciences,  particulièrement  aux  sciences 
abstraites  et  à  la  Métaphysique,  cette  rigueur  et  cette  certitude 
réputées  le  privilège  des  Mathématiques,  et  auxquelles  s'oppose 
l'imprécision  du  langage  vulgaire.  Il  conçut  donc  la  pensée  de 
noter,  avec  des  caractères  symboliques  fixes  et  en  petit  nombre, 
tous  les  concepts,  toutes  les  règles  d'attribution,  toute  la  matière 
et  toute  la  forme  de  la  science  de  manière  à  faire  de  la  déduction 
philosophique  et  iScientifique  une  sorte  de  calcul  universel  et 
infaillible,  qui  fût  dans  l'ordre  de  la  pensée  humaine,  ce  qu'est 
le  calcul  infinitésimal,  qu'il  considérait  comme  une  branche  faite 
de  sa  méthode,  dans  l'ordre  des  Mathématiques.  Nous  n'avons 
pas  l'intention,  de  décrire  ici  le  détail  de  cette  vaste  méthodologie. 
On  en  trouvera,  si  on  le  désire,  une  monographie  des  plus  inté- 
ressantes dans  le  chapitre  IV  de  la  Logique  de  Leibniz  de  M.  Cou- 
turat  (1).  Nous  n'avons  pas  non  plus  à  prononcer  si  les  causes  de 
l'échec  de  Leibniz  sont  accidentelles  ou  si  elles  ne  tiennent  pas 
à  la  nature  même  de  l 'œuvra  entreprise,  à  ce  que  l'on  pourrait 
appeler  la  complication  de  cette  simplification  qui  ne  vise  rien 
moins  qu'à  substituer  au  travail  vivant  et  souvent  synthétique 
de  l'esprit  un  procédé  analytique  rigide,  auquel  les  intuitions  et 
les  attributions  mentales  ont  quelque  peine  à  se  plier.  La  Carac- 
téristique universelle,  quoi  qu'il  en  soit  des  possibilités  de  sa 
réalisation,  n'en  demeure  pas  moins  le  projet  de  monument  le 
plus  grandiose  qu'un  génie  humain  ait  tenté  d'élever  à  l'Idéal 
de  la  Science  rationnelle  parfaite. 

C'est  un  semblable  idéal  que  nous  entrevoyons,  au  terme  de 
cette  étude,  pour  la  Topique  théologique,  et,  quoique  nous  esti- 
mions que  plusieurs  générations  de  théologiens  ne  seraient  pas 
de  trop  pour  en  dresser  en  pied  la  simple  maquette,  nous  la 
jugeons  d'une  réalisation  plus  facile,  parce  que  d'une  matière 
mieux  délimitée,  et  d'une  forme  plus  déterminée,  et  d'une  intention 
plus  circonscrite  que  le  projet  de  Leibniz.  Pour  commencer  par 
la  matière,  de  quoi  s'agit-il  en  effet?  De  dépouiller  méthodique- 
ment toutes  les  sources  de  la  théologie,  d'en  déterminer  le  con- 
tenu positif,  à  l'aide  des  diverses  sciences,  spécialement  des  scien- 
ces exégétiques   et  historiques,   agissant  sous  le  contrôle  et  la 


1.  La  Logique  de  Leibniz  d'après  des  documents  inédits.  Paris,  Alcan.  1901, 
p.    81    ssv. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  l'AVà 

direction  des  exigences  de  l'objet  de  foi,  de  classer  ce  contenu 
en  groupes  de  lieux  théologiques  gradués  selon  le  degré  de  v^a- 
leur  que  leur  confèrent  les  règles  et  préceptes  de  la  Méthodologie 
théologique,  de  les  ordonner  sous  les  Lieux  théologiques  communs 
dont  ils  relèvent,  de  donner  à  chacun  de  ces  groupes  une  caracté- 
ristique symbolique  formée  de  deux  ou  trois  sigles,  le  nombre  I 
par  exemple  désignant  le  lieu  théologique  commun  afférent,  met- 
tons l'Écriture  Sainte  ;  la  lettre  C  désignant  le  rapport  du  lieu  ob- 
tenu cà  l'un  de  ses  instruments  éloignés  d'invention,  l'autorité  de 
laVulgate,  je  suppose;  la  lettre  T marquant  son  rapport  à  l'instru- 
ment immédiat  qui  lui  donne  sa  nuance  spéciale,  par  exemple 
la  deuxième  règle  concernant  le  sens  accommodatice.  —  La  forme 
de  notre  Topique  ce  sont  précisément  ces  principes  organisateurs 
de  la  documentation  que  nous  venons  de  recenser,  les  quatre 
heux  communs  suprêmes,  les  dix  lieux  communs  concrets  ma- 
jeurs, les  règles  et  préceptes  de  critique  théologique  qui  ser- 
vent, d'un  côté,  à  attribuer  à  chaque  élément  distinct  du  donné 
théologique  la  part  de  vertu  probante  à  laquelle  il  a  droit,  de 
l'autre,  et  corrélativement,  cà  organiser  cette  matière  en  lieux 
théologiques  immédiats  et  dont  la  valeur  probante  soit  classée. 
—  Enfin,  l'intention  de  la  Topique  théologique  est  circonscrite 
aux  questions  que  suscite  le  donné  révélé.  Le  nombre  (le  oes 
questions  est  linnité;  les  plus  importantes  sont  résolues  définiti- 
vement, et  l'on  table  sur  du  travail  déjà  fait,  et  bien  fait.  Le 
dessin  du  canevas  du  dogme  est  assez  rempli  pour  que  l'ouvrier 
n'ait  plus  à  faire  passer  la  navette  qu'entre  des  points  assez 
circonscrits.  C'en  est  assez,  nous  semble-t-il,  pour  qu'une  carac- 
téristique théologique  universelle  ne  doive  pas  être  regardée  com- 
me d'une  réalisation  impossible. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  simple  conception  de  cet  idéal  d'une  docu- 
mentation théologique  parfaitement  critique,  je  veux  dire  qu'elle 
l'est  au  point  de  vue  théologique  comme  au  point  de  vue  scienti- 
fique, jette  un  jour  nouveau,  ce  nous  semble,  sur  l'œuvre  qui  est 
à  accomplii,  comme  aussi  sur  l'état  embryonnaire  où  se  trouve 
actuellement  cette  partie  de  la  méthodologie  théologique.  Sera- 
t-il  dit  que  la  Théologie  retardera  sur  toutes  ces  sciences  contem- 
poraines que  nous  voyons  si  fiévreusement!  occupées  à  dresser 
l'inventaire  critique  de  leur  donné,  en  vue  d'une  précision  plus 
glande  et  d'une  systématisation  plus  achevée?  Non  pas!  Que  les 
jeunes  théologiens  traditionnels  se  mettent  à  l'œuvre!  Ce  n'est 
pas  seulement  sur  le  terrain  de  l'iiistoire  de  la  théologie  qu'il 


504         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    EV    THÉOLOGIQUES 

se  rencontre  du  travail  pour  les  jeunes  (1).  Il  y  a  encore  de  beaux 
jouis  pour  r  «  Ecclesia  discens  »  dans  le  champ  de  la  méthodo- 
logie de  notre  \ieille  théologie.  Sous  l'égide  d'Aristote  et  de  Mel- 
chior  Cano,  mettons-nous  au  travail,  nous,  rappelant  cependant 
le  conseil  dont  s'avertissait  lui-même  l'initiateur,  à  la  langue 
enjouée  et  maligne,  auquel  nous  devons  l'austère  De  Locis  :  Si 
un  nain  perché  sur  les  épaules  d'un  géant  voit  plus  loin  qne  ce 
géant,  qu'il  se  somienne  de  n'en  pas  trop  prendre  gloire. 

CONCLUSION 

Si,  comme  nous  le  croyons,  le  caractère  méthodologique  du 
De  Locis  theologicis  ressort  avec  é^^dence  de  cette  étude,  nous 
pouvons  désormais  marquer  exactement  la  place  de  ce  traité 
dans  la  hiérarchie  des  sciences  théologiques  et  répondre  par 
là  à  l'attente  et  au  desideratum  de  la  science  que  nous  <>xpo- 
sions  au  début  de  ces  articles.  Sans  doute,  l'idée  intellectualiste 
et  dialectique  de  la  Théologie  que  suppose  notre  travail  n'est  pas 
de  nature  à  plaire  à  tout  le  monde  :  certains  y  verront  un  beau 
cas  de  «TJiéologis-me»  (2).  Ils  ne  se  tromperont  guère.  Nous  esti- 
mons, en  effet,  que  dépouillé  des  traits  ridicules  et  forcés  dont 
on  l'affuble,  le  «  Théologisme  »  est  la  pure  vérité.  C'est  dire  qu'il 
y  a  une  homogénéité  conceptuelle  qui  s'étend  de  l'expression  pre- 
mière et  inspirée  de  la  vérité  révélée  dans  l'esprit  du  prophète  au 
dépôt  révélé,  de  celui-ci  au  dogme,  du  dogme  aux  principes  imtné- 
diats  de  la  théologie,  de  ces  principes  immédiats  aux  conclusions 
théologiques,  et,  partant,  que  la  Théologie  scolastique  n'est  pas 
une  œuvre  vaine,  mais  une  promotion  légitime  de  la  Révélation. 
Cette  affirmation  de  la  continuité  substantielle  de  la  vérité  révélée 
sous  les  différentes  formes  qu'elle  traversa  est  à  la  base  de  ce 
travail.  Si  quelqu'un  la  nie,  il  n'est  pas  mûr  pour  le  lire.  Peut-être, 
dans  une  étude  postérieure,  suivrons-nous  ce  négateur  sur  son 
terrain  et  tenterons-nous  de  le  faire  monter  avec  nous  vers  les 
positions  que  nous  supposons  ici  acquises.  Mais  cette  intention  n'a 
pas  été  la  nôtre  dans  la  présente  étude,  dont  le  caractère  est 
purement  ésotérique  :  Sapientiam  loquimur  inter  perfectos.  C'est 
aux  théologiens  convaincus  de  la  légitimité  de  la  théologie  spé- 


1.  DoM  Germain   Morin,  De  la  Besogne  pour  l'S  jeunes,  Revae  d'Histoire 
ecclés.,  VI,  2. 

2.  Cf.    dans    la    Revue    pratique    d'Apologétique,    15    juillet    1907,    l'axticle 
de  M.  Tvrrell. 


LA     NOTION     DU     LIEU     THÉOLOGIQUE  oOo 

culative,  et  à  eux  seuls,  que  nous  la  dédions.  Puisse-t-elle  contri- 
buer à  innover  ou  à  raffermir  dans  leurs  esprits  l'autlientique 
notion,  si  ancienne,  et  cependant  pour  beaucoup  si  nouvelle,  de 
la  Théologie  et  de  ce  qui  doit  être  le  De  Locis  qui  lui  sert  d'in- 
troduction ! 

Kain.  Fr.   A.   Gardeil. 


L'idée  d'évolution 

chez  Saint  Augustin 


SAixT  AuG-usTiN  possède  au  plus  haut  degré  ce  caractère 
distinctif  du  génie  que  nous  appellerions  volontiers  l'opu- 
lence intellectuelle.  Les  idées  jaillissent  de  son  cerveau  et  se 
pressent  sous  sa  plume  nombreuses,  originales,  profondes.  Qu'il 
s'agisse  d'une  difficulté  à  résoudre  ou  d'un  texte  à  interpréter, 
de  la  démonstration  d'une  thèse  ou  de  l'exposition  d'une  doctrine, 
son  esprit  se  révèle  fécond  en  ressources  et  merveilleusement 
actif.  Certes,  toutes  ses  conceptions  n'ont  pas  une  importance 
ni  une  justesse  égales;  les  fondements  sur  lesquelles  elles  s'éta- 
blissent ne  sont  pas  toujours  solides.  Il  suffit  de  lire  les  écrits 
du  grand  Docteur  pour  s'apercevoir  que  lui  aussi  en  était  con- 
vaincu. jNIais  les  erreurs  mêmes  dans  lesquelles  il  a  versé  sont 
intéressantes,  soit  par  les  causes  qui  les  ont  déterminées,  soit  par 
la  manière  dont  il  les  défend. 

Parmi  ses  conceptions  les  plus  originales  et  les  plus  suggesti- 
ves, il  faut  ranger,  à  notre  avis,  celle  qu'il  développe  avec  insis- 
tance dans  son  commentaire  sur  les  premiers  chapitres  de  la 
Genèse  (De  Genesi  ad  litteram),  la  conception  de  l'évolution. 
Nous  ne  pouvons  évidemment  pas  nous  attendre  à  trouver  chez 
l'évêque  d'Hippone  les  notions  scientifiques  récemment  acquises 
et,  par  conséquent,  l'idée  qu'il  se  fait  de  l'évolution  sera,  dans  ses 
formes  concrètes,  fort  différente  de  celle  que  nous  avons  au- 
jourd'hui. Alais  ce  que  cette  idée  a  d'essentiel  —  l'origine  des 
êtres  matériels  par  des  forces  inhérentes  à  la  matière,  le  déploie- 
ment progressif  de  l'ordre  naturel  implicitement  contenu  dans 
une  situation  originelle  —  saint  Augustin  l'a  conçu.  C'est  ce 
que  nous  nous  proposons  de  mettre  brièvement  en  lumière. 


Nous  pouvons  considérer  le  commentaire  De  Genesi  ad  litte- 


l'idée     d'évolution     chez     saint     AUGUSTIN  o07 

ram  comme  l'expression  de  la  pensée  longuement  mûrie  du  saint 
Docteui.  Non  point  qu'il  donne  comme  certaines  toutes  les  inter- 
prétations qui  y  sont  proposées;  beaucoup  au  contraire,  surtout 
dans  les  détails,  sont  conjecturales.  Il  a  soin  d'en  avertir  1b  lec- 
teur. Mais  l'ensemble  des  idées  qui  s'y  reflètent  est  le  fruit  de 
longues  réflexions  et  traduisent  la  manière  de  voir  définitive 
de  leur  auteur. 

Nous  trouvons  la  trace  des  préoccupations  de  saint  Augus- 
tin dans  le  passage  des  Confessions  (XI,  ?>),  où  il  adresse  à 
Dieu  une  fer\'ente  prière  pour  obtenir  l'intelligence  de  ce  que 
]\Ioïse  a  écrit  sur  l'origine  du  monde.  Outre  les  considérations 
qu'il  fait  sur  cette  matière  dans  les  trois  derniers  livres  des 
Confessions,  il  a  commenté  ex  professo  les  premiers  chapitres 
de  la  Genèse  dans  trois  ouvrages  différents  :  De  Genesi  contra 
Manicliaeos  lihri  duo,  De  Genesi  opus  imperfcdinn,  De  Genesi 
ad  litteram  lihri  duodecim.  Saint  Augustin  nous  renseigne  lui- 
même  à  leur  sujet  dans  les  Betractationes  (I,  18)  : 

«  Dans  les  deux  livres  que  j'ai  écrits  sur  la  Genèse  contre  les 
[Manichéens,  dit-il,  j'ai  interprété  l'Écriture  Sainte  dans  un  sens 
figuré  n'ayant  pas  osé  aborder  l'explication  littérale  des  choses 
naturelles  qui  nous  sont  si  peu  connues,  c'est-à-dire  exposer 
comment  les  événements  dont  il  y  est  question  se  sont  passés 
dans  la  réalité  historique.  Par  la  suite,  je  voulus  essayer  mes 
forces  dans  cette  entreprise  complexe  et  ardue;  mais  bientôt 
ma  science  fléchit  sous  le  poids  de  ce  labeur  trop  lourd.  Je 
n'avais  pas  encore  terminé  un  livre  que  déjà  je  renonçais  à  une 
tâche  trop  difficile.  Cependant,  tandis  que  je  fais  la  revue  de 
mes  œuvres,  ce  traité  inachevé  me  tombe  entre  les  mains.  Je  ne 
l'aA'ais  pas  publié  et  j'avais  résolu  de  le  détruire  parce  que  plus 
tard  j'ai  écrit  douze  livres  qui  ont  pour  titre  :  De  Genesi  ad  litte- 
ram. Dans  ce  dernier  ouvrage  aussi,  il  y  a  beaucoup  de  points 
où  je  cherche  plutôt  des  solutions  que  je  n'en  découvre;  cepen- 
dant, il  est  bien  supérieur  au  précédent...  Donc  plutôt  que  d'in- 
diquer dans  celui-ci  ce  qui  me  déplaît  aujourd'hui,  ou  de  défen- 
dre ce  qui  y  a  été  mal  compris,  je  préfère  avertir  le  lecteur  qu'il 
doit  lire  plutôt  les  douze  livres  dont  je  \àens  de  parler.  Je  les  ai 
écrits  beaucoup  plus  tard  étant  déjà  évêque  et  c'est  d'après  eux 
qu'il  faudra  comprendre  mon  travail  précédent.  »  Dans  le  De 
Genesi  ad  litteram  saint  Augustin  parle  de  même  :  Autrefois  il 
croyait  que  la  Genèse  ne  pouvait  pas  être  prise  dans  le  sens  obvie 
ou  du  moins  ne  pouvait  l'être  que  très  difficilement;  il  s'était 


508  REVUE    DES   SCIEN'CES   PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

donc  attaché  au  sens  figuré.  ]\Iais  après  de  longues  et  attentives 
réflexions  il  a  cru  pouvoir  tenter  une  interprétation  littérale  (VIU. 

2)  (1). 

*  * 

jXotre  intention  n'est  pas  de  donner  une  analyse  de  l'ouvrage 
de  saint  Augustin,  ni  de  relever  toutes  les  choses  intéressantes 
qu'il  contient.  Nous  voulons  seulement  mettre  en  relief  la  con- 
ception évolutionniste  qui  s'y  trouve  développée.  Le  saint  Doc- 
teur a  été  amené  à  la  faire  servir  pour  l'explication  des  deux 
premiers  chapitres  de  la  Genèse,  parce  qu'il  avait  remarqué  leur 
apparente  contradiction  en  ce  qui  concerne  l'ordre  d'apparition 
des  êtres  créés  (VI,  1).  Avec  Philon,  Clément  d'Alexandrie,  Ori- 
gène,  saint  Augustin  admet  la  création  simultanée  de  toutes  cho- 
ses. Celle-ci,  pense-t-il,  se  trouve  enseignée  par  le  tesle  de  l'Ec- 
clésiastique (XVIII,  1)  :  Qui  vivit  in  aetenium  creavit  omnia  si- 
mili; et  il  en  voit  la  confirmation  dans  Gen.  II,  4-5,  qu'il  lisait 
ainsi  :  Cum  factus  est  (lies,  fecit  Deus  coeliim  et  terram  et  omne 
viride  agri  prius  quam  oriretur,  etc.  Les  six  jours  de  l'œuvre 
divine  ne  sont  donc  qu'un  seul  jour  et  ce  jour  lui-même  a  été 
créé  en  même  temps  que  tout  le  reste. 

Cette  création  simultanée  est  le  thème  du  premier  chapitre 
de  la  Genèse.  L'auteur  sacré  a  détaillé  l'œuvre  divine  et  en  a 
distribué  les  différentes  parties  en  plusieurs  jours  à  cause  de  la 
faiblesse  de  l'esprit  humain  incapable  d'envelopper  d'un  seul 
coup  d'œil  l'inmiensité  de  la  création  (IV,  33).  Puisque  nous 
n'aA'ons  pas  affaire  à  des  jours  véritables,  il  faudra  donc  don- 
ner une  explication  figurée  de  cet  élément  du  récit  inspiré.  Saint 
Augustin  propose  d'y  voir  désignés  les  anges  et  la  connaissance 
qu'ils  ont  des  œuvres  de  Dieu.  C'est  par  ce  détail  que  l'on  carac- 
térise d'ordinaire  l'interprétation  augustinienne  de  l'hexaméron. 

Cependant  le  second  chapitre,  à  son  tour,  nous  fait  le  récit  de 
la  création  des  êtres,  du  moins  des  êtres  vivants  :  l'homme,  les 
plantes,  les  animaux,  la  femme.  Le  verset  27  du  chapitre  I-f 
enseigne  que  Dieu  créa  l'homme  mâle  et  femelle;  ici,  au  con- 
traire, l'origine  de  la  femme  est  séparée  de  la  création  de  l'homme. 
Lorsqu'encore  la  terre  était  déserte,  qu'aucun  ai'brisseau  ni  aucune 
herbe  n'avait  poussé,  Dieu  a  formé  Adam.  Puis  il  a  planté  mi  jardin 
où  il  a  placé  l'homme  ;  il  a  créé  les  animaux  et  les  lui  a  présentés 


1.  Cette  indication  abrégée,  ainsi  que  les  suivantes,  se  rapportent  au  traité 
de  Genesi  ad  litteram.  Le  chiffre  romain  indique  le  livre,  le  chiffre  arabe,  le 
chapitre. 


l'idée     d'évolution     chez     saint     AUGUSTIN  509 

afin  qu'il  les  nommât;  enfin,  il  lui  a  donné  une  compagne.  Ce 
récit  est-il  le  simple  développement  d©  l'enseignement  du  chapi- 
tre 1er?  Saint  Augustin  ne  le  pense  pas  (VI,  1).  Il  faut  donc 
que  les  deux  récits  se  rapportent  à  des  faits  différents.  Le  premier 
concerne  la  production  de  toutes  choses  en  un  instant.  Or,  dans 
quel  sens  Dieu  a-t-il  produit  tout  à  la  fois?  Est-ce  que  toutes  les 
créatures  ont  apparu  au  même  instant  dans  leur  nature  propre? 
Non,  certes  !  ]\Iais  à  l'origine  Dieu  a  créé  la  matière,  c'est-à-dire 
les  éléments  doués  d'acti\dté  et  de  fécondité.  Dieu  a  produit  tou- 
tes les  choses,  non  pas  suivant  leur  espèce,  mais  seulement  dans 
leurs  causes. 

Le  texte  sacré  nous  indique  que  l'eau  a  reçu  le  pouvoir  de 
produire  les  poissons  et  les  oiseaux,  tandis  que  la  terre  donnera 
naissance  aux  plantes,  aux  animaux,  à  l'homme.   dX,   2.) 

Dans  la  suite,  les  effets  voulus  par  Dieu  se  produiront,  chacun 
en  son  temps,  par  le  jeu  naturel  des  forces  communiquées  par 
Dieu  à  l'Univers.  Le  chapitre  II  rapporte  une  partie  de  cette 
évolution  :  l'apparition  de  l'homme,  des  premières  plantes,  des 
premiers  animaux.  Voilà  comment  la  conception  d'une  évolution 
naturelle  qui  distingue  deux  manières  d'être  des  choses  et,  par 
suite,  comme  deux  créations,  l'une  causale,  l'autre  effective,  l'une 
ayant  Dieu  pour  cause  immédiate  et  unique,  l'autre  accomplie  par 
l*inteimédiaire  des  forces  naturelles,  permet  d'harmoniser  les  ré- 
cits des  deux  premiers  chapitres  du  texte  sacré.  «  Lorsque  la 
»  terre  est  dite  avoir  produit  l'herbe  et  le  bois  (Gen.  II,  12),  il 
»  faut  entendre  :  causalement,  c'est  -  à  -  dire  qu'elle  a  reçu  alors 
»  le  pouvoir  de  les  produire.  Dans  la  terre  se  trouvaient  déjà  alors, 
»  comme  dans  les  racines  du  temps,  les  choses  qui  devaient  naî- 
»  tre  dans  la  suite  des  siècles.  Car  c'est  plus  tard  que  Dieu  planta 
»  le  paradis  à  l'Orient  et  fit  sortir  de  terre  tous  les  arbres  agréa- 
»  blés  à  la  vue  et  portant  des  fruits  savoureux.  Pourtant  il  ne 
»  faut  pas  dire  qu'à  ce  moment  il  fait  quelque  chose  de  plus  qu'il 
»  n'avait  fait  auparavant,  quelque  chose  qu'il  eût  été  nécessaire 
»  d'ajouter  à  cette  œuvre  qu'on  a  déclarée  parfaite  le  sixième 
»  jour.  Mais  toutes  les  espèces  de  plantes  et  d'arbres  avaient  été 
»  produites  dans  la  première  création,  après  laquelle  Dieu  s'est 
;>  reposé.  C'est  en  conduisant  et  en  administrant  tout  le  long 
»  des  siècles  les  choses  qu'il  a  créées  au  commencement  —  créa- 
;>  tion  à  laquelle  le  repos  a  mis  un  terme  —  que  non  seulement 
»  Dieu  a  planté  le  paradis,  mais  qu'il  produit  encore  aujourd'hui 
;>  tout  ce  qui  naît.  Car  qui  est  le  créateur  de  toutes  choses,  si  ce 


olO  PEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

»  n'est  celui  qui  ne  cesse  point  cVagir?  {Joli.  \,  17).  Mais  Dieu 
»  produit  ces  choses  maintenant  au  moyen  de  celles  qui  existent 
»  auparaA'-ant.  A  l'origine,  alors  qu'il  n'existait  rien,  elles  ont 
»  été  créées  en  même  temps  que  ce  jour  qui  n'existait  pas  non 
»  plus  et  qui  n'est  autre  que  la  créature  spirituelle  et  intelligente. 

•->  (y,  4.) 

»  Dans  le  grain  minuscule  il  y  a  une  force  admirable  et  supé- 
»  rieure  qui  de  l'eau  mêlée  à  la  terre  forme  du  bois  de  telle 
»  espèce,  multiplie  les  branches,  produit  la  couleur  et  la  forme 
»  des  feuilles,  l'abondance  et  le  type  des  fruits,  la  variété  la  plus 
»  ordonnée.  Qu'est-ce  qui  naît  sur  l'arbre  et  y  demeure  qui  ne 
»  soit  issu  du  trésor  caché  de  la  semence?... 

»  Or,  de  même  que  la  graine  contient  d'une  manière  invisible 
»  tout  ce'  qui,  en  se  déployant  successivement,  constitue  l'arbre, 
»  ainsi  nous  faut-il  penser  que  le  monde,  lorsque  Dieu  a  créé 
»  tout  à  la  fois,  contenait  toutes  les  choses  que  Dieu  a  faites 
»  en  lui...  et  cela  bien  avant  que,  dans  le  cours  des  temps,  elles 
»  ne  se  développent  comme  elles  nous  sont  connues,  grâce  à 
»  l'activité  que  Dieu  déploie  sans  cesse.  »  (V,  23.)  Non  pas  qu'il 
faille  confondre  les  raisons  causales  ou  séminales  avec  ies  se- 
mences :  il  y  a  en  effet  cette  ressemblance  entre  les  deux  qu'elles 
contiennent  en  puissance  ce  qui  en  sortira  plus  tard.  Mais  les 
semences  sont  matérielles  et  \'isibles;  les  raisons  causales  sont 
invisibles  (VI,  6).  L'Écriture,  d'ailleurs,  nous  indique  que  ce 
sont  les  plantes  qui  produisirent  la  semence  et  non  point  la  se- 
mence qui  produisit  les  premières  plantes.  {Gen.  1,  •11-12. j.  Il 
faut  donc  concevoir  les  raisons  causales  comme  des  forces  et  non 
pas  comme  des  germes. 

Kous  trouvons  dans  la  conception  de  saint  Augustin  tous  les 
éléments  essentiels  de  l'évolution  :  la  matière  douée  d'énergies 
latentes  qui  vont  se  déployer  successivement  et  produire  dans  la 
suite  des  temps  toute  la  série  des  êtres  et  des  événements.  Sans 
doute,  le  cours  de  cette  éA^olution  dépend  de  la  Puissance  de  Dieu, 
non  pas  de  la  Puissance  qui  crée,  mais  seulement  de  celle  qui 
conserve,  qui  concourt,  qui  gouverne.  Ceux-là  comprennent  mal 
saint  Augustin  qui  lui  attribuent  de  n'assigner  aux  causes  se- 
condes dans  la  production  des  êtres,  fût-ce  des  espèces  nouvel- 
les, d'autre  rôle  que  celui  de  la  materia  ex  qua.  Cela  revient  à 
imputer  au  saint  Docteur  l'erreur  des  Occasionalistes.  Car  les 
raison.s  causales  ou  séminales  —  qui  comptent  parmi  leurs  effets 
l'origine  des  formes  vivantes  —  constituent  toute  racti\ité  na- 


l'idée     d'évolution     chez     saint     AUGUSTIN  511 

turelle  ;  de  sorte  que  leur  dénier  le  caractère  de  puissances  actives 
suffisantes  —  dans  leur  ordre  — ■  pour  réaliser  ces  effets,  c'est 
nier  la  causalité  efficiente  des  êtres  matériels.  Nous  avons  donc 
ici  une  conception  évolutionniste  parfaitement  caractérisée. 

L'nnalogie  que  signale  saint  Augustin  entre  le  développement 
de  la  nature  et  celui  de  la  plante  qui  sort  de  la  graine  n'est 
pas  la  seule  raison  qui  justifie  le  nom  de  raisons  séminales  donné 
par  lui  aux  forces  qui  président  à  l'évolution.  En  effet,  si  les 
éléments  créés  par  Dieu  possèdent  le  pouvoir  de  produire  les 
êtres  vivants,  ils  sont  donc  la  source  de  perfections  qu'ils  ne 
manifestent  pas  eux-mêmes.  Ainsi  les  semences  ne  possèdent 
qu'une  vie  latente  et  élémentaire;  elles  produisent  néanmoins 
les  plantes  avec  leur  vie  active  et  complexe.  Personne  n'attri- 
buera à  l'œuf  d'où  sort  l'animal  la  sensibilité  que  possède  ce. 
dernier.  La  semence,  l'œuf,  tiennent  des  parents  le  pouvoir  de 
produire  les  organismes  adultes,  et  c'est  ainsi  que  la  loi  de  cau- 
salité se  trouve  respectée  dans  la  génération.  Il  faudra  de  même 
faire  remonter  à  Dieu  les  puissances  de  la  matière  dont  parle 
saint  Augustin  et  ne  pas  les  considérer  comme  des  manifestations 
d'une  activité  proportionnée  à  la  perfection  substantielle  de  la 
matière  brute.  Au  point  de  vue  scolastique,  ces  puissances  se 
rattachent  à  la  causalité  instrumentale.  Devons-nous  admettre  leur 
existence?  C'est  une  question  de  fait;  elles  ne  sont  pas  incon- 
cevables. Notre  but,  en  ce  moment,  est  simplement  d'exposer  la 
conception  qu'en  avait  saint  Augustin.  Le  saint  Docteur  la  pré- 
cise un  peu  davantage  à  propos  de  l'origine  de  l'homme.  Nous  y 
reviendrons  nous-même  à  cette  occasion. 

Saint  Augustin  croyait  trouver  des  confirmations  de  sa  théorie 
dans  le  récit  de  la  Genèse.  La  première,  malheureusement,  repose 
sur  une  interprétation  fautive  du  texte  rendue  possible  par  la  tra- 
duction latine.  Saint  Augustin  lisait  comme  suit  Gen.  Il,  4-5  : 
Rie  est  liber  creaturae  cœli  et  terrae,  cum  factiis  est  aies,  fecit 
Deus  coelum  et  terram  et  omne  viride  agri  antequam  esset  super 
eicraJH  e(  omne  foenum  agri  antequam  exoriretur.  Dieu,  ainsi 
laisonnait-il,  a  produit  les  plantes  des  campagnes  et  le  fourrage 
des  champs  avant  qu'ils  n'apparussent  sur  la  terre.  Qu'est-ce  à 
dire,  sinon  que  Dieu  les  a  créés,  non  pas  dans  leurs  natures  pro- 
pres, mais  bien  en  puissance?  (V,  4).  Il  a  créé  le  sol  d'où  parla 
vertu  qu'il  lui  a  communiquée  sortiront  en  leur  temps  les  herbes 
et  les  arbres.  Le  sens  du  texte  hébreu,  malgré  une  certaine 
incohérence  do  construction,  n'est  pas  douteux  :  «  Lorsque  le  Sei- 


512         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

»  gneiir  Dieu  créa  le  ciel  et  la  terre,  il  n'y  avait  encore  aucun 
»  arbrisseau  sur  le  sol,  et  aucune  plante  n'était  issue  de  la  terre...  » 
Il  n'y  a  rien  dans  cette  phrase  qui  puisse  servir  de  point  d'appui 
à  l'argumentation  de   saint  x\ugustin. 

Une  seconde  confirmation  est  tirée  par  lui  de  Gen.  II,  2,  où 
il  est  dit  qu'après  avoir  accompli  son  œuvre.  Dieu  se  repose, 
non  pas  que  son  activité  prenne  fin,  mais  parce  qu'il  ne  crée 
plus  rien,  parce  qu'il  ne  produira  donc  plus  rien  qui  ne  soit 
contenu  déjà  dans  la  création  première,  comme  l'arbre  dans  sa 
semence  (IV,  12).  Saint  Augustin  insiste  à  plusieurs  reprises 
sur  cet  argument.  Il  s'en  sert  pour  écarter  de  l'activité  par  laquel- 
le la  Providence  gouverne  l'Univers  toute  création  proprement 
dite;  nous  le  rencontrerons  encore  plus  loin. 

La  notion  d'évolution  est  restreinte  de  sa  nature  aux  choses 
qui  se  modifient,  à  l'exclusion  de  celles  qui  demeurent  invaria- 
bles. Nous  savons  aujourd'hui  que  beaucoup  de  choses  immo- 
biles en  apparence,  par  exemple,  la  configuration  géographique, 
le  système  solaire,  la  situation  des  étoiles  fixes,  subissent  néan- 
moins des  changements  très  lents.  Dès  lors,  nous  leur  appliquons 
légitimement  la  notion  d'évolution.  Mais  les  anciens  qui  les  con- 
sidéraient comme  immuables  ne  pouvaient  pas  agir  de  même. 
Le  firmament,  la  terre,  la  mer,  les  étoiles  ont  été  créés  par  Dieu, 
d'après  saint  Augustin,  tels  que  nous  les  voyons  aujourd'hui 
(VI,  2.)  Mais  l'évolution  enveloppe  tout  le  reste.  «  Si  nous  disons 
»  que  Dieu  produit  maintenant  un  être  dont  le  genre  n'ait  pas 
»  été  inséré  par  lui  dans  la  création  preinière,  nous  contredisons 
»  manifestement  l'Écriture  déclarant  que  Dieu  a  accompli  toutes 
»  ses  œuvres  le  sixième  jour.  A  considérer  la  nature  des  choses 
»  qu'il  a  créées  à  l'origine,  il  est  évident  qu'il  produit  beaucoup 
»  de  choses  nouvelles  qui  n'ont  pas  été  faites  alors.  Or,  on  ne 
»  peut  pas  croire  qu'il  établit  des  choses  nouvelles,  puisqu'il 
»  a  tout  achevé  autrefois.  C'est  donc  que  sa  Puissance  cachée  meut 
»  toute  la  création.  Mise  ainsi  en  branle,  —  tandis  que  les  Anges 
»  font  sa  volonté,  que  les  astres  accomplissent  leurs  révolutions, 
»  que  les  vents  alternent,  que  l'Océan  est  agité  par  les  mouv^e- 
»  ments  et  les  tourbillons  de  l'air,  tandis  que  les  plantes  puUu- 
»  lent  et  produisent  leurs  semences,  que  les  animaux  naissent  et 
»  développent  les  différents  aspects  de  leur  vie,  tandis  qu'il  laisse 
»  les  méchants  éprouver  les  justes  —  la  nature  déploie  les  siè- 
»  clés  que  Dieu  avait  cachés  dans  son  sein  lorsqu'il  la  fit.  Mais 
»  toutes  ces  choses  ne  se  dérouleraient  point,  si  Celui  qui  les  a 


l'idée     d'évolution     chez    saint    AUGUSTIN  513 

»  créées  cessait  de  les  administrer  par  sa  Pro\àdence.  »  (V,  20.) 
Il  est  impossible  de  parler  avec  plus  de  vérité  et  d'éloquence. 
Grandiose  est  la  pensée  qui  représente  l'Univers  matériel  déve- 
loppant par  ses  forces  intimes  les  formes  innombrables  qu'il 
contient  en  puissance  et  réalisant  ainsi  au  fur  et  à  mesure  dans 
le  cours  des  siècles  l'idée  divine  qui  s'y  est  incamée.  Saint  Au- 
gustin en  a  saisi  toute  la  beauté  et,  dans  la  limite  des  connais- 
sances qu'on  possédait  à  son  époque,  il  l'a  conçue  dans  toute 
son  ampleur.  Il  dépasse  saint  Grégoire  de  Nysse  qui  expose 
également  l'hexaméron  en  recourant  le  plus  souvent  possible  aux 
forces  naturelles  pour  expliquer  l'origine  des  œuvres  de  Dieu. 
«  Tout,  dit  celui-ci,  se  trouvait  en  puissance  dans  le  premier  acte 
»  créateur,  comme  si  Dieu  avait  jeté  la  semence  d'où  devaient 
»  sortir  toutes  choses;  mais  les  êtres  particuliers  n'étaient  pas 
»  encore  réalisés.  »  (Migne,  t.  XLIV,  col.  77.)  C'est  déjà  l'idée 
d'une  évolution  partant  d'une  situation  originelle  où  se  trouve 
contenu  le  développement  successif.  L'expression  a  une  analogie 
frappante  avec  la  formule  augustinienne.  Mais,  chez  saint  Gré- 
goire, l'idée  d'évolution  113  semble  pas  dépasser  les  six  jours  de 
la  création,  tandis  que  saint  Augustin  la  conçoit  comme  un  procès 
universel  et  continu,  enveloppant  tous  les  phénomènes.  Les  rai- 
sons causales  confiées  à  la  terre  et  à  l'eau,  d'où  sont  issus  les 
plantes,  les  animaux,  l'homme,  se  répètent  pour  ainsi  dire  dans 
les  êtres  auxquels  elles  ont  donné  naissance.  Ceux-ci  ont  tiré 
des  forces  primordiales  que  Dieu  a  communiquées  au  monde  la 
fécondité  par  laquelle  ils  contiennent  invisiblement  leur  progé- 
niture, comme  eux-mêmes  étaient  auparavant  contenus  dans  la 
matière  créée  par  Dieu.  (VI,  10.)  «  Tout  ce  que  nous  voyons  dans 
»  la  suite  des  temps  accompli  par  les  êtres  suivant  leur  nature 
»  propre,  est  l'effet  de  ces  causes  intimes  que  Dieu  a  jetées  com- 
»  me  une  semence  dans  la  matière  lorsqu'il  la  créa.  »  (IV,  33.) 

L'interprétation  donnée  par  saint  Augustin  de  l'œuvre  créa- 
trice ne  fut  pas  généralement  admise  par  les  scolastiques.  Saint 
Thomas  d'Aquin  le  constate,  mais  en  même  temps  il  ne  cache  pas 
qu'elle  a  ses  préférences.  Dans  la  Somme  (I,  q.  74,  a.  1),  il  ex- 
pose à  la  fois  l'interprétation  littérale  du  premier  chapitre  de  la 
Genèse  et  la  théorie  de  l'évêque  d'Hippone.  L'une  et  l'autre  sont 
probables,  dit-il,  et  les  objections  qu'on  leur  oppose  peuvent  être 
résolues.  ^Mais  dans  le  commentaire  sur  le  Livre  des  Sentences, 
le  docteur  angélique  est  plus  explicite  (II.  d.  12,  q.  I,  a.  2.)  «  Au- 
»  gustin,  dit-il,  veut  qu'au  commencement  de  la  création  certaines 

5e  Année.  —  Revue  de^  Sciences.  —  No  3.  3^ 


oit         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOI-OGIQUES 

»  choses  furent  produites  dans  leur  nature  propre  :  les  éléments, 
»  les  astres,  les  substances  spirituelles;  d'autres  au  contraire  seu- 
»  lement  dans  leurs  raisons  séirùnales  :  les  animaux,  les  plantes, 
»  les  hommes.  Ces  dernières  ne  furent  engendrées  dans  leurs 
»  natures  propres  que  plus  tard,  par  cette  activité  divine  qui, 
»  après  Vœuvre  des  six  jours,  gouverne  la  nature  créée  aupara- 
»  vant  et  dont  il  est  dit  dans  saint  Jean  :  Mon  pcre  ne  cesse 
.->  point  (Vagir....  Saint  Ambroise  et  d'autres  saints  pensent  que 
»  l'ordre  de  succession  temporelle  (en  six  jours)  a  été  suivi  dans 
»  la  production  première  et  cette  position  est  plus  commune  et 
»  paraît  plus  conforme  au  texte  à  première  vue,  mais  la  première 
»  est  plus  fondée  en  raison  et  elle  défend  mieux  l'Écriture  Sainte 
»  contre  les  attaques  des  infidèles...  Et  c'est  l'opinion  qui  me 
»  plaît  davantage.  »  S'il  \'ivait  aujourd'hui,  saint  Thomas  aurait 
trouvé  dans  le  progrès  scientifique  accompli  depuis  son  temps, 
de  puissantes  raisons  pour  le  confirmer  dans  la  préférence  qu'il 
manifestait 


Une  loi  n'entraîne  pas  d'emblée  tous  les  cas  particuliers.  Quoi- 
que l'on  attribue  à  l'évolution  naturelle  l'origine  des  choses  indi- 
viduelles, on  peut  avoir  des  raisons  d'en  excepter  l'une  ou  l'autre, 
ou  du  moins  l'on  peut  encore  rechercher  si,  dans  quelle  mesure 
et  de  quelle  manière  un  être  particulier  est  enveloppé  dans  l'ordre 
général,  surtout  un  être  qui  présente  des  caractères  l'élevant  à 
certains  égards  au-dessus  des  choses  auxquelles  s'apphque  la 
loi.  Alors  même  qu'on  croirait  devoir  l'en  séparer,  la  loi  ne 
serait  pas  pour  cela  révoquée  en  doute  :  au  contraire,  en  lui 
traçant  des  limites,  on  en  reconnaîtrait  implicitement  l'existence. 

Saint  Augustin  comprenait-il  l'homme  dans  le  domaine  des  rai- 
sons causales  que  Dieu  a  insérées  à  l'origine  dans  la  matière? 
Nous  no  pouvons  pas  en  douter  et  c'est  aussi,  nous  venons  de 
l'entendre,  ce  que  saint  Thomas  a  compris.  Saint  Augustin,  d'ail- 
leurs, traite  en  particulier  et  assez  longuement  de  la  production 
de  l'homme.  Comment,  se  demande-t-il,  s'il  n'existait  qu'en  puis- 
sance dans  l'œuvre  di\dne  des  six  jours.  Dieu  pouvait-il  néanmoins 
lui  adresser  la  parole  :  Croissez,  inultipUez-vous,  etc.?  Il  répond: 
«  La  parole  de  Dieu  n'est  pas  de  celles  qui  résonnent  dans  l'air, 
»  mais  qui  se  gravent  dans  la  réalité.  C'est  elle  qui,  dans  ce  qui 
»  était  fait  déjà,  mettait  les  causes  des  choses  à  faire  dans  la 
»  suite,  et  ainsi  par  sa  Toute-Puissance  produisait  déjà  les  choses 


l'idée     d'évolution     chez     saint     AUGUSTIN  515 

»  futures  et  créait  l'homme  dans  la  semence  ou  la  racine  des 
»  temps,  pour  qu'il  en  sortît  en  son  temps.  »  (VI,  8.) 

Le  saint  Docteur  traite  successivement  de  la  production  du 
corps,  de  l'origine  des  âmes  et  de  la  formation  de  la  femme.  Le 
premier  point  est  développé  au  livre  VI  à  partir  du  chapitre 
XII.  Voici,  en  ce  qui  nous  concerne,  la  suite  des  idées  :  Le  corps 
(le  l'homme  a-t-il  été  formé  d'une  manière  spéciale?  D'abord, 
n'allons  pas  nous  imaginer  de  prendre  à  la  lettre  la  formation  du 
corps  rapportée  dans  la  Genèse,  comme  si  Dieu,  de  ses  mains, 
avait  façomié  l'argile. 

Il  ne  faut  pas  davantage  écouter  ceux  qui  prétendent  trouver  un 
pri\ilège  pour  l'homme  en  ceci  :  que  le  ciel,  la  terre,  les  continents 
ont  été  appelés  à  l'existence  par  la  parole  de  Dieu,  tandis  que 
le  Tout-Puissant  est  dit  avoir  fait  lui-même  l'homme.  Ne  lisons- 
nous  pas  dans  les  psaumes  que  les  cieux  sont  l'œuvre  des  mains 
de  Dieu  (Ps.  CI,  26),  que  ses  mains  ont  formé  les  mers  et  les 
continents?  (Ps.  XCIV,  5.)  Ce  qui  distingue  l'homme  des  ani- 
maux, c'est  qu'il  est  l'image  de  Dieu,  non  par  le  corps,  mais  par 
l'intelligence.  L'Écriture  Sainte  ne  fait  pas  de  distinction  entre 
l'origine  du  corps  de  l'homme  et  celle  du  corps  des  animaux. 
«  Le  même  texte  qui  rapporte  que  Dieu  a  formé  l'homme  du  limon 
»  de  la  terre,  enseigne  qu'il  a  également  fait  de  terre  les  animaux 
»  des  champs.  »  (VI,  12.) 

!Mais  de  quelle  façon  l'hoimne  est-il  issu  de  la  terre?  Est-ce 
que  le  corps  d'Adam  a  passé  par  toutes  les  phases  que  parcourt 
l'embryon  dans  le  sein  de  sa  mère  et  l'enfant  jusqu'à  l'âge  ^•iril, 
comme  la  nature  le  prescrit?  Ou  bien  l'homme  a-t-il  été  produit 
à  l'âge  adulte?  La  puissance  de  Dieu  s'étend  à  l'un  et  à  l'autre 
et  le  texte  sacré  ne  dit  pas  ce  qu'il  faut  choisir.  Quoique  l'ordre 
naturel  soit  une  croissance  lente  de  l'organisme.  Dieu,  en  éta- 
blissant cet  ordre,  n'y  a  pas  lié  sa  volonté.  N'a-t-il  pasi  changé 
l'eau  en  "xàn  et  la  verge  de  ]Moïse  en  serpent?  (VI,  13.) 

Pour  comprendre  le  sens  de  ces  réflexions,  il  faut  se  rappeler 
que,  pour  les  anciens,  la  génération  spontanée  de  plantes  et  d'ani- 
maux d'organisation  même  assez  élevée,  comme  les  reptiles  et 
les  souris,  était  un  fait  ordinaire.  Saint  Augustin  le  rappelle  dans 
le  traité  que  nous  étudions  :  la  chair  ^^ vante,  à  notre  connaissance, 
naît  de  la  terre  mêlée  d'eau,  de  la  substance  organique  végétale 
ou  animale,  ou  par  voie  de  génération  sexuelle;  les  arbres  nais- 
sent du  sol  ou  bien  par  leurs  semences.  (IX,  16;  III,  12.)  Aussi, 
à  peine  a-t-il  ici  posé  la  question  au  sujet  de  l'organisme  humain. 


516         REVUi:    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

qu'il  lui  donne  une  portée  générale  :  Comment  concevrons-nous 
les  raisons  causales  que  Dieu  a  communiquées  à  la  matière? 
Est-co  qu'elles  devaient  produire,  à  l'origine,  les  plantes  et  les 
arbres  comme  nous  les  voyons  croître  sous  nos  yeux?  Ou  bien, 
plutôt,  les  ont-elles  fait  sortir  de  terre  à  l'état  adulte  comme  on 
le  pense  généralement  au  sujet  d'Adam?  Saint  Augustin  croit  qu'il 
faut  se  les  représenter,  ces  raisons  causales,  indifférentes  à  l'un 
et  à  l'autre  mode  d'origine.  Car  nous  voyons  qu'agissant  encore 
aujourd'hui,  elles  produisent  les  êtres  par  une  croissance  .conti- 
nue et  lente,  et  d'autre  part  nous  voyons  parfois  se  produire  des 
effets  contraires  au  cours  ordinaire  des  choses.  Nous  dirons  donc 
que  Dieu  a  créé  ces  forces  capables  d'agir  de  l'une  et  de  l'autre 
façon  :  soit  de  la  manière  ordinaire  par  une  croissance  lente, 
soit  de  la  façon  extraordinaire  dont  se  font  les  miracles,  d'après 
la  volonté  du  Très-Haut  et  d'après  les  circonstances.  (VI,  14.) 

Par  conséquent,  en  ce  qui  concerne  l'homme,  nous  devons  dire 
qu'il  a  été  produit  d'après  les  exigences  des  raisons  causales,  si- 
non Dieu  ne  l'a  pas  créé  dans  l'œuvre  des  six  jours.  Mais  cela 
peut  se  vérifier  de  deux  manières.  Nous  pouvons  croire  que  Dieu 
a  détermine  les  raisons  causales  à  produire  l'organisme  humain 
soit  en  suivant  le  cours  de  son  évolution  naturelle,  soit  immédia- 
tement à  l'état  adulte.  Ou  bien,  nous  pouvons  admettre  que  les 
raisons  causales  étaient  capables  de  le  produire  indifféremment 
de  l'une  ou  de  l'autre  manière,  selon  la  volonté  de  Dieu.  (VI,  18.) 

Pour  comprendre  l'enseignement  de  saint  Augustin,  il  faut  donc 
distinguer  deux  choses  :  d'abord,  le  fait  de  la  production  du  corps 
de  l'homme  par  la  terre,  ensuite  la  manière  dont  il  a  été  produit. 
Quant  au  fait  de  la  production,  il  n'y  a  point  de  doute  :  il  était 
déteiminé  à  l'avance  dans  les  raisons  causales.  Le  mode  de  pro- 
duction l'était-il  également?  Cela  n'est  pas  impossible,  soit  que 
l'on  dise  que  la  formation  du  corps  de  l'homme  a  suivi  son  cours 
naturel,  soit  que  l'on  prétende,  ce  qui  est  plus  probable,  qu'il  a 
été  formé  d'emblée  à  l'état  adulte.  Néamnoins,  il  vaut  peut-être 
mieux  concevoir  que  les  raisons  causales  ne  sont  pas,  par  elles- 
mêmes,  déterminées  quant  au  mode  de  production  de  leurs  effets. 
D'après  cela,  suivant  que  Dieu  le  veut,  elles  les  produisent  tan- 
tôt conformément  à  l'ordre  naturel,  c'est-à-dire  habituel,  tantôt 
d'une  façon  miraculeuse. 

On  voit  clairement  par  tout  ce  qui  précède  combien  il  serait 
contraire  à  la  pensée  de  saint. Augustin  de  réduire  les  raisons 
causales  qui  ont  produit  l'organisme  humain  à  la  présence  de  la 


l'idée     d'évolution     chez     saint     AUGUSTIN  517 

matière  et  à  La  volonté  divine.  Le  saint  Docteur  fait  expressé- 
ment l'hypothèse  qu'il  n'exclut  nullement,  d'après  laquelle  les 
raisons  causales  auraient  été  déterminées  non  seulement  à  pro- 
duire l'homme,  mais  à  le  produire  de  telle  ou  de  telle  façon. 
Dans  ce  cas,  dit-il,  l'homme  préexisterait  dans  ses  causes,  non 
seulement  de  manière  à  pouvoir  être  produit  ainsi,  mais  de  ma- 
nière à  être  produit  nécessairement  ainsi.  Et  si  l'on  n'admet  pas 
cette  hypothèse,  il  reste  vrai  que  les  raisons  causales  étaient  dé- 
terminées à  produire  l'organisme  humain,  mais  étaient  indiffé- 
rentes à  le  produire  d'une  façon  ou  d'une  autre.  Saint  Augustin 
distingue  lui-même  les  raisons  causales  et  la  matière  :  «  Dans 
l'œuvre  des  six  jours,  dit-il.  Dieu  a  créé,  non  seulement  les  rai- 
sons causales  du  corps  humain,  mais  encore  la  matière  dont  il 
devait  être  formé.  »  (VIL  6.) 


Il  n'était  pas  difficile  d'indiquer  le  siège  des  raisons  causales 
qui  devaient  produire  le  corps  de  l'homme,  puisque  l'Écriture 
elle-même  assigne  son  origine  à  la  terre  (VII,  6)  qui  contient  le 
corps  de  l'homme  comme  une  semence  contient  la  plante.  (X,  2.) 
Mais  où  placer  l'origine  de  l'àme  ?  Sa  raison  causale  serait-elle 
mie  créature  comme  elle-même  ?  (VII,  22).  L'àme  serait-elle  fille 
des  anges?  (\l\,  23.)  Ces  hypotlièses  semblent  peu  probables 
et  saint  Augustin,  pour  ne  pas  abandonner  son  principe  que  tout 
a  été  créé  à  l'origine,  préfère  admettre  que  l'àme  du  premier 
homme  a  été  créée  avec  l'œuvre  des  six  jours  et  n'a  été  unie 
au  corps  que  quand  celui-ci  fut  produit  par  les  forces  communi- 
quées par  Dieu  à  la  matière.  Comment,  dit  saint  Augustin,  ceux 
qui  disent  l'âme  créée  en  même  temps  que  le  corps  fut  produit 
répondront-ils  aux  objections  qu'on  leur  oppose?  La  nature  spi- 
rituelle de  l'âme  ne  permet  pas  de  croire  qu'elle  est  issue  de  la 
matière  comme  le  corps.  Si  elle  a  été  créée  de  rien,  comment 
l'Écriture  peut-elle  dire  qu'après  le  sixième  jour,  l'œuvre  de  Dieu 
était  accomphe?  Dira-t-oii  que  la  narration  du  chapitre  II  n'est 
qu'une  récapitulation  du  précédent?  que  l'homme  et  la  femme 
ont  été  créés  le  sixième  jour  dans  leur  nature  propre?  Il  faudra 
donc  placer  à  ce  même  sixième  jour  et  la  production  des  plantes 
du  paradis  terrestre  et  celle  des  animaux  que  Dieu  amena  à  Adam, 
alors  que  l'Écriture  assigne  le  cinquième  jour  aux  oiseaux  et  aux 
plantes  le  troisième  !  (VII,  28.)  Disons,  par  conséquent,  que  l'hom- 
me a  été  créé  le  sixième  jour  en  ce  sens  que  les  raisons  causales 


318         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  son  corps  ont  été  déposées  dans  les  éléments  et  que  son  âme 
créée  en  même  temps  est  restée  cachée  parmi  les  œuvres  de  Dieu, 
jusqn'à  ce  que  vint  le  moment  où  elle  fut  inspirée  au  corps  for- 
mé de  boue.  {\ll,  24.) 

Mais  la  difficulté  étant  ainsi  résolue  pour  l'àme  d'Adam,  elle 
demeure  tout  entière  quant  à  l'âme  de  ceux  qui  sont  issus  de 
lui.  Saint  Augustin  se  reconnaît  incapable  d'y  donner  une  solu- 
tion certaine.  Après  avoir  examiné  les  différentes  hypothèses, 
il  énonce  sa  préférence  pour  l'opinion  connue  sous  le  nom  de 
Traducianisme  spirituel,  d'après  laquelle  les  âmes  des  enfants 
sont  dérivées,  par  une  sorte  de  génération,  de  l'âme  de  leurs 
parents.  (X,  23).  Saint  Augustin  affirme  très  nettement  la  spi- 
ritualité de  l'âme  :  oe  qu'il  faut  avant  tout  retenir  c'est  que  l'âme 
n'est  pas  corporelle.  (X,  24).  C'est  sur  ce  point  qu'a  erré  Tertullien. 
Mais  la  spiritualité  s'accommode,  d'après  saint  Augustin,  du  Tra- 
ducianisme et  celui-ci,  outre  qu'il  est  plus  conforme  à  l'Écri- 
ture en  ce  qu'il  n'exige  pas  de  nouvelles  créations,  permet  aussi  de 
mieux  se  rendre  compte  de  la  transmission  du  péché  originel. 

La  question  de  l'origine  des  âmes  humaines  a  toujours  pré- 
occupé saint  Augustin  et  il  y  re\'ient  à  plusieurs  reprises  dans 
ses  écrits.  Ses  préférences  ont  toujours  été  pour  la  solution 
que  nous  venons  de  rapporter.  Il  n'ignorait  pas  d'ailleurs  qu'elle 
soulève  des  objections  et  demeurait  perplexe.  On  sait  que  depuis 
lors  cette  opinion  a  été  définitivement  abandonnée  (1).  Nous  ne 
nous  y  arrêterons  pas  plus  longtemps.  Remarquons  seulement 
combien  saint  Augustin  tient  à  rester  fidèle  autant  que  possible  à 
sa  conception  d'une  évolution  des  êtres  par  des  causes  intrinsè- 
ques. 


Il  nous  reste  à  parler  de  la  formation  de  la  femme.  Dans  son 
premier  commentaire  sur  la  Genèse,  saint  Augustin  avait  laissé 
sans  solution  la  question  de  savoir  s'il  faut  comprendre  la  narra- 
tion du  texte  sacré  comme  une  allégorie  ou  comme  une  réalité. 
Ici,  c'est  l'interprétation  littérale  qu'il  suppose.  Cela  étant,  dans 
quelle  relation  se  trouve  cet  événement  avec  l'évolution  natu- 
relle des  êtres  que  saint  Augustin  a  exposée?  Il  semble  que  s*im- 
pose  encore  une  fois  la  distinction  entre- le  fait  que  la  première 
femme  a  été  produite  et  la  manière  dont  elle  a  été  produite.  Que 


1.  Saint  Thomas  la  juge  hérétique  (I,  q.  118,  a.  2>. 


L  IDEE     DEVOLUTION     CHEZ     SAINT     AUGUSTIN  ol9 

d'après  les  principes  de  saint  Augustin  le  fait  fût  contenu  dans 
les  raisons  causales  primitives,  nous  n'en  pouvons  douter.  Saint 
Augustin  nous  le  rappelle  :  Dieu,  dans  l'œuvre  des  six  jours,  créa 
l'honmie  mâle  et  femelle,  non  pas  dans  leur  nature  propre,  mais 
dans  leurs  causes. 

Tout  comme  le  supplément  de  substance  organique  qui  devait 
prendre  dans  le  corps  d'Adam  la  place  de  la  côte  enlevée,  ainsi 
la  production  d'Eve,  de  son  corps  et  de  son  âme,  de  son  organisme 
et  de  ses  facultés,  en  un  mot,  de  tout  ce  qui  était  nécessaire 
pour  que  l'homme  existât,  mâle  et  femelle,  est  l'œuvre  de  Dieu 
créant  la  nature  savante  tout  entière  dans  ses  causes,  à  l'origine, 
et  la  conservant.  (IX,  15.) 

Mais  la  manière  dont  Eve  a  été  formée  est  pleine  de  mystère. 
Ne  pourrait-on  pas  l'attribuer  à  l'intervention  des  anges  ?  Saint 
Augustin  délimite  leur  sphère  d'intervention  dans  les  phénomè- 
nes :  ils  sont  comme  le  laboureur  ou  le  médecin  qui  donnent  aux 
forces  naturelles  l'occasion  de  s'exercer,  mais  ne  les  remplacent 
point.  Peut-être,  l'intervention  des  anges  que  Dieu  emploie  pour 
exécuter  ses  desseins  n'est-elle  pas  étrangère  au  mode  extraor- 
dinaire de  l'origine  de  la  femme.  Si  nous  connaissions  la  nature 
tout  en  ignorant  l'art  du  jardinier,  nous  saurions  que  les  plantes 
naissent  du  sol  ou  de  leurs  semences,  mais  nous  n'aurions  pas 
l'idée  d'une  greffe  qui  fait  porter  à  un  arbre  les  fruits  d'une  espèce 
étrangère.   ('IX.   16.) 

Néanmoins  le  travail  des  anges  ne  suffit  pas  :  il  ne  fait  qu'ap- 
porter la  matière  sur  laquelle  s'exerce  la  puissance  divine,  soit 
par  racti\-ité  qu'elle  se  réserve,  soit  par  celle  qu'elle  communique  à 
la  nature. 

Que  dirons-nous  donc?  La  manière  mystérieuse  dont  Eve  a 
vu  le  jour  était-elle  déterminée  dans  les  raisons  causales  que 
Dieu  a  insérées  dans  son  œuvre? 

Lorsqu'il  s'agissait  d'Adam,  la  question  se  posait  :  a-t-il  été 
formé  suivant  la  loi  naturelle  du  développement  individuel,  com- 
me l'enfant  est  formé  dans  le  sein  de  sa  mère?  ou  bien,  plus 
probablement,  a-t-il  été  produit  à  l'état  adulte,  contrairement  à 
la  loi  générale?  Nous  pouvons  concevoir  les  raisons  causales  in- 
différentes à  l'un  ou  l'autre  mode  de  production  et  agissant  sui- 
vant la  volonté  de  Dieu.  N'oublions  pas  que  naître  du  mélange 
de  terre  et  d'eau  est,  pour  saint  Augustin,  une  des  manières  na- 
turelles dont  se  produit  la  chair  animée.  (IX,  8.)  Mais  dans  l'ori- 
gine de  la  femme  tout  est  manifestement  en  dehors  de  l'ordre 


550         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

naturel  :  et  sa  création  à  l'état  adulte  et  sa  formation  au  moyen 
d'une  côte  d'Adam.  Saint  Augustin  rappelle  donc  bien  à  propos 
que  ni  l'ordre  naturel,  ni  les  raisons  causales  ne  limitent  la  Puis- 
sance divine.  «  Au-dessus  du  cours  naturel  de  l'Univers,  dit-il, 
le  Créateur  conserve  en  lui-même  la  puissance  de  faire  au  moyen 
des  créatures  autre  chose  encore  que  ce  qui  est  contenu  dans  les 
raisons  séminales.  »  (IX,  17.)  C'est  surtout  la  grâce  qu'il  faut 
ranger  parmi  ces  effets  de  la  Toute-Puissance  qui  dépassent  l'or- 
dre et  les  forces  de  la  nature.  Les  raisons  causales,  de  la  grâce 
ne  sont  pas  déposées  dans  la  matièro,  mais  demeurent  cachées 
iians  la  volonté  de  Dieu.  Et  ne  faut-il  pas  rattacher  à  l'ordre  de 
la  grâce  les  miracles  que  Dieu  opère  pour  la  manifester,  et  no- 
tamment la  création  de  la  femme  qui  est,  par  son  mode  mysté- 
rieux, pleine  d'enseignements?  On  conclura  donc  que  la  création 
première  —  malgré  la  parole  de  l'Écriture  :  «  il  les  créa  mâle 
et  femelle  »  —  ne  contenait  pas  en  puissance  la  manière  'mer- 
veilleuse dont  Eve  fut  tirée  du  corps  d'Adam.  (IX,  18.) 

Pourtant,  n'y  a-t-il  aucun  lien  entre  ce  mode  d'origine  de  la 
femme  et  l'évolution  générale?  Ce  miracle  est-il  complètement 
étranger  à  la  nature  que  Dieu  a  créée  à  l'origine?  Il  s'y  ratta- 
che encore,  dit  saint  Augustin,  positivement  par  la  potentialité 
de  la  matière,  négativement  par  l'absence  de  forces  déterminant 
un  autre  mode  de  production.  Dieu  a  placé  dans  la  matière  la 
possibilité  du  miracle  qu'il  produit  et  parmi  les  forces  que  sa 
volonté  a  communiquées  à  la  nature,  aucune  ne  contrecarre  l'œu- 
vre que  cette  même  volonté  a  réalisée.  Enfin,  les  anges  y  appor- 
tent leur  concours. 

Ce  que  nous  venons  de  rapporter  prouve  que  certains  événe- 
ments ne  se  rattachent  pas  activement  aux  raisons  causales.  Mais 
en  même  temps  cela  confirme  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut 
au  sujet  du  caractère  effectif  de  celles-ci.  Saint  Augustin  conçoit 
qu'elles  peuvent  déterminer  des  effets  conformes  à  l'ordre  habi- 
tuel ou  des  effets  merveilleux.  D'après  notre  manière  actuelle 
do  parler,  nous  dirions  plutôt  que  les  choses  produites  le  sont 
naturellement  dans  la  mesure  où  elles  sont  déterminées  par  les 
raisons  causales,  c'est-à-dire  par  les  forces  de  la  nature.  Il  peut 
se  faire  que  l'effet  considéré  en  lui-même  ne  les  dépasse  point, 
mais  seulement  l'une  ou  l'autre  circonstance  de  sa  production. 
Dans  ce  cas  on  pourra  attribuer  cette  circonstance  à  la  volonté  de 
Dieu  et  non  aux  forces  de  la  nature. 

Saint  Thomas  d'Aquin  restreint  donc  trop  la  doctrine  de  saint 


l'idée     d'évolution     chez     saint     AUGUSTIN  o2l 

Augustin  sur  l'inten^ention  des  causes  naturelles  dans  la,  produc- 
tion de  l'homme,  lorsque  dans  la  Somme,  il  la  réduit  à  la  puis- 
sance passive  de  la  matière.  (I,  q.  XCI,  a.  II,  ad  4.)  Cela  n'est 
vrai  que  de  la  création  d'Eve  et  encore  seulement  quant  au  mode 
de  son  origine.  Nous  venons  de  voir  ce  que  saint  Augustin  en 
pensait  ;  il  dépasse  l'ordre  naturel  et  se  rattache  à  l'ordre  de  la 
grâce.  Maie  l'insistance  avec  laquelle  le  saint  Docteur  inculque 
la  potentialité  naturelle  de  la  matière  à  l'égard  de  cette  origine 
surnaturelle,  la  communication  de  cette  possihilité  à  la  matière 
au  moment  de  sa  création  et  la  nécessité  d'interpréter  dansi  ce  sens 
le  texte  sacré,  prouve  l'importance  qu'il  attachait  à  la  conception 
générale  d'un  ordre  universel  créé  par  Dieu  dans  ses  causes  et 
dont  la  série  des  phénomènes  n'est  que  le  magnifique  épanouisse- 
ment. Telle  est  précisément  la  conception  évolutionniste  dans  la 
forme  où  elle  peut  être  admise  par  la  philosophie  spiritualist© 
et  la  Foi  chrétienne.  Loin  de  reléguer  dans  l'ouhli  la  Puissance" 
du  Créateur,  elle  la  révèle  au  contraire  d'une  façon  plus  splen- 
dide.  Sans  négliger  les  liens  qui  rattachent  l'ordre  de  la  nature  à 
l'ordre  de  la  grâce,  elle  fait  cependant  mieux  ressortir  la,  diffé- 
rence entre  l'un  et  l'autre.  Communication  personnelle  de  Dieu 
avec  l'esprit  de  l'homme,  plus  particulière  par  conséquent  et  plus 
immédiate,  la  grâce  comprend  les  phénomènes  tant  intérieurs 
qu'extérieurs  qui  échappent  aux  lois  générales  et  n'ont  point  leui 
source  dans  les  forces  créées;  tandis  que  la  nature,  partie  d'une 
impulsion  primordiale,  exécute  lentement  dans  la  série  indéfinie 
des  siècles  une  conception  divine  dont  elle  possède  le  germe  dès 
l'origine,  mais  que  nos  intelligences  ne  peuvent  saisir  qu'à  tra- 
vers sa  réalisation  matérielle,  à  mesure  qu'elle  se  déroule  dans 
l'espace  et  dans  le  temps. 

Louvain.  Jacques  Laminne. 


La  Philosophie  et  la  Foi 
chez  les 
Mystiques  du  XP  Siècle 


Saint  Pierre  Damien.  —  Avant  d'en  venir  à  l'exposition  des 
théories  de  saint  Anselme  et  des  théologiens  spéculatifs  qui 
l'ont  suivi,  il  nous  faut  parler  brièvement  d'un  auteur  ascétique^ 
célèbre  dans  le  monde  ecclésiastique  du  XI'^  siècle  :  Pierre  Da- 
mien (1)  (1006-7  —  1072).  D'em-iron  trente  ans  antérieur  à 
saint  Anselme,  le  grand  réformateur  nous  intéresse  moins  par 
ses  œuvres  ascétiques  que  par  la  vive  peinture  de  l'état  d'âme 
du  groupe  mystique  qu'il  représente.  Cette  peinture  montre  jus- 
qu'à quelles  extrémités  peut  s'égarer  un  esprit,  d'ailleurs  élevé, 
mais  enclin  à  l'exagération,  auquel  fait  défaut  une  notion  exacte 
des  mutuels  rapports  entre  la  foi  et  la  raison. 

Saint  Pierre  Damien  a  bien  mérité  de  l'Église  par  son  zèle 
pour  la  réforme  de  la  discipline,  mais  son  ardeur  n'épargne  pas 
plus  la  philosophie  que  les  mauvaises  mœurs  du  clergé.  Pour 
préserv'er  les  moines  d'alors  de  la  peste  de  la  science,  —  il 
semble  que  point  n'est  besoin  de  tant  d'efforts,  —  ce  vigilant 
ascète  écrit  deux  ouvrages  spéciaux,  très  suggestifs  :  De  sancta 
simpUcitatc  scientiae  inflanti  anteponenda  et  De  monacMs  qui 
grammaticam  discere  gestiunt.  Il  y  déverse  à  longs  flots  son 
aversion  pour  la  science  et  la  philosophie;  ceUe-ci,  à  l'en  croire, 
est  cette  sagesse  dont  il  est  dit  :  «  elle  ne  descend  pas  d'en 
haut,  mais  elle  est  terrestre,  animale,  diabolique  »  (2).  Aussi 
le  vovons-nous  donner  le  conseil  de  se  retirer  plutôt  dans  un 


1.  s.  Pétri  Damiani.  Opéra.  P.  L.  t.  145.  —  Cf.  M.  Kt  eInermaxxs.  Article 
Petrus  Damiani  in  Wetzer  u.  ^YELTE■s  KirchenUxikon  2  Auff.  Bd.  IX,  Freiburg 
Br.   1895,    col.   1904-1908. 

2.  De  Sancta  Slmplicitate...  etc.  c.  V.  P.  L.,  t.  145,  col.  699.  —  «  Et  esl 
sapieatia  de  qua  dicitur  :  Non.  est  haec  sapientia  desursum  descendons,  sed 
terrena,   animalis,   diabolica   (Js).  » 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  523 

désert  cfue  de  s'adonner,  non  point  aux  études,  mais  aux  folies 
des  arts  libéraux  (1).  Étudier  les  sciences  profanes,  écrit-il  ail- 
leurs, c'est  délaisser  la  chaste  épouse  dans  le  lit  nuptial  de  la 
foi,  et  fréquenter  les  prostituées  du  théâtre  (2).  Platon,  Aristote, 
Euclide  ne  sont  pas  mieux  traités  que  la  philosophie  (3). 

A  un  pareil  mépris  pour  les  études,  ne  peuvent  guère  s'allier 
que  le  scepticisme  ou  le  fidéisme.  L'ardent  réformateur  des 
mœurs  s'arrête  à  la  seconde  doctrine  :  «  Prima  quîppe  mentis 
lux  fides  est  »,  dit-il  dans  une  de  ses  lettres  (4).  Sans  doute, 
il  parle  de  la  dialectique  comme  d'une  servante  de  la  théolo- 
gie, mais  il  semble  bien  entendre  que  jamais  cette  servante  ne 
saurait  démontrer  quoi  que  ce  soit  de  son  propre  fonds  (5).  En 
mi  mot,  pour  Pierre  Damien  il  n'existe  qu'une  science,  celle  qui 
fait  les  saints,  la  religion  chrétienne.  Il  ne  se  demande  point 
oominent  on  y  arrive  et  qliel  est  le  rôle  de  la  raison  dans  l'acte 
de  foi  :  nous  n'avons  pas  trouvé  dans  son  œuvre  qu'il  affirmât  les 
motifs  de  crédil^ilité. 

Saint  Anselme  de  Cantorbéry  (1033-1109).—  Le  premier  en  da- 
te des  mystiques  spéculatifs  médiévaux  est  saint  Anselme  de  Can- 
torbéry. Né  à  Aoste,  en  1033,  il  se  fit  bénédictin  de  la  célèbre 
abbaye   du  Bec  en  Normandie.   Élève   du   théologien   mystique 


1.  Ibid.,  Frol.  P.  L.,  t.  145,  col.  695  .«  Ante  ad  eremum  pervolasti,  qaam 
liberalitim   artium  non  dicam   studiis   sed   stultitiis    insudares.  » 

2.  De  perfect.  monachor.,  cap.  XI,  P.  L.,  t.  145,  col.  306.  —  «  Ut  autem  cum 
stomacho  loqniax.  Hi  porro  fastidientes  ecclesiasticae  disciplinae  peritiam,  et 
saecularibus  studiis  inhiantes,  quid  aliud  qunm  in  fidei  fhalamo  confugem 
rdinquere  castam  et  ad  scenicas  videtitur  descend>^re  prostitutas?...  »  et  cela  con- 
tinue encore  plusieurs  lignes  dans  un  ton  de  plus  en  plus  acre. 

3.  OpusG.  Dominus  vohiscwn  ad  Leonem  eremitiun,  cap.  I,  P.  L.,  t.  145, 
col.  232.  —  «  Platonem  latentis  naturae  secreta  rimantem  respuo...  Pythagoram 
parvipendo...  Euclidem  perplexis  geometricalium  studiis  incurvum  aeque  de- 
clino...    qiiaerant    peripatetici    latentem    in    profundo    puteo    veritatem.  » 

4.  Ad.  Card.  Hildeb.  et  Steph.,  P.  L.  t.  144,  col.  262. 

5.  De  div.  omnipotentia.  P.  L.,  t.  145,  col.  603.  «  Haec  plane  qiiae  ex  dia- 
lecticorum  et  rhetorum  prodemit  argumentis  non  facile  divinae  virtutis  sunt 
aptanda  mysteriis;  et  quae  ad  hoc  inventa  sunt  ut  in  syllogismorum  instru- 
menta proficiant  vel  clausulas  dictionum,  absit,  ut  sacris  legibus  se  per- 
tinaciter  inférant  et  divinae  virtutis  conclusioni  suae  nécessitâtes  opponant. 
Quae  tamen  artis  liumanae  peritia,  siqiiando  tractandis  sacris  eloquiis  adlii- 
betur,  non  débet  jus  magisterii  sibimet  arroganter  arripere  :  sed  velut  ancilla 
dominae  quodam  famulatus  ohseqtiio  suhservire,  ne  si  praecedit,  oborret  et 
dum  exteriorum  verborum  seqnitur  consequentias,  intimae  virtutis  lumen  et 
rectum  veritatis  tramitem  perdat.  Quia  enim  manifeste  non  videat,  quia  si 
argumentationibus  istis,  ut  sese  ordo  verborum  liabet  fides  adhibetur,  divina 
virtus    in    temporum    quibusque    momentis    impotens    ostendatur?  » 


524         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

Lanfranc  (1)  qui  défendit  la  présence  réelle  contre  Bérenger  (2)^ 
Anselme  succéda  à  son  maître  dans  le  professorat,  devant  A-bbé, 
puis  Archevêque  de  Cantorbéry.  Il  mourut  en  1109.  Parmi  ses 
nombreuses  œuvres  tbéologiques  les  plus  importantes  sont  le 
Monologion,  le  Froslogion,  les  traités  De  Fide  Trinitatis,  De 
Incarnatione,  les  dialogues  De  Grammatico,  De  Yeritate,  De 
Lihero  Arbitrio,  Cîir  Deiis  Homo  (3). 

De  son  maître,  Lanfranc,  un  juriste  converti,  qui,  par  scrupule 
religieux,  n'ose  se  ser\'ir  ouvertement  de  la  dialectique  (4),  Ansel- 
me semble  avoir  hérité  le  culte  des  Pères,  en  particulier  de 
saint  Augustin.  L'influence  de  ce  docteur  se  trahirait  dans  les 
théories  de  notre  philosophe  et  dans  son  style,  même  si  les 
innombrables  citations  (5),  empruntées  au  théologien  africain, 
et  les  titres  des  ouvrages  d'Anselme  (6)  ne  nous  rendaient 
attentifs  à  cette  parenté  spirituelle.  La  puissante  pensée  d'Au- 
gustin ne  laisse  pas  d'être  quelquefois  obscurcie  par  les  élé- 
vations pieuses,  mêlées  aux  arguments.  Ainsi  en  est-il  chez  saint 
Anselme,  avec,  en  plus,  cette  exagération  que  font  les  imita- 
teurs des  défauts  du  maître.  De  là,  des  obscurités  qui  quelquefois 
déroutent  le  lecteur  plus  curieux  du  penseur  que  fut  An- 
selme que  du  saint  et  de  ses  effusions.  Enfin,  Anselme  tient 
d'Augustin  l'amour  de  la  spéculation;  et  c'est  précisément  le 
rôle  éminent  que  celle-ci  joue  dans  son  œuvre  qui  le  sépare  de 
son  maître  Lanfranc  et  plus  encore  des  théologiens  ascétiques. 

Réaliste  (7)  et  mystique,  néo-platonicien,  Anselme  personnifie 
volontiers  ses  abstractions  (8).  Dans  le  fameux  argument  ontolo- 
gique (9)  du  Proslogion,  il  conclut,  sans  s'apercevoir  du  sophisme, 
de  l'existence  de  l'idée  de  Dieu  dans  notre  intelligence  à  l'exis- 

1.  Voir  J.  A.  ExDRES,  Lanfranlc's  StcUiing  zur  Dialektik,  dans  Eatho- 
Ul-  XXII  Jalugg,,  I.   1902. 

2.  DoMET  DE  VoRGES,  Lcs  grands  philosophes,  S.  Anselme,  p.  42,  ssq  Paris, 
Alcau,  1901. 

3.  Ibid.,  68-80;  De  Wulf,  Eist.  de  la  phil.  méd.,  p.  178. 

4.  Epit.  33  ad  Domnaldum,  P.  L.,  t.  150,  col.  533.  D.  «  Questiones  saecu- 
larium  litterarum  uobis  solveiidas  misistis  :  Sed  episcopale  propositum  non 
decet  operam  dare  hujusmodi  studiis,  olim  quidem  juverdlem  aetatem  in  his 
detrivimus.  »  Ap.  Endres,  p.  218.  —  De  corpore  et  Sanguine  Domini.  c.  7. 
P.  L.,  t.  150.  col.  417.  A. 

5.  Voir  par  exemple  MonoJog.,  P.  L.,  t.  158,  col.  143,  et  ïbid.,  col.  1139. 

6.  H  est  aiossi  à  noter  qu'Anselme,  écrivant  des  dialogues,  est  resté  dans  la 
tradition    augusiinienne   et    néo-platonicienne. 

7.  DoMET  de   Vorges,  op.  cit.,  p.  152-153. 
S.  Ueberweg-Heinze,  op.  cit.,  180. 

9.  On  le  trouve  aussi  chez  Augustin.  De  lihero  Arhitrio,  II,  P.  L.,  t.  32, 
col.  1242-1263. 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  523 

tence  de  Dieu  en  dehors  et  indépendamment  de  notre  intelli- 
gence. Si  l'on  ajoute  à  ces  tendances  ultra-réalistes  le  fait  que 
Roscelin,  le  plus  célèbre  d'entre  les  nominalistes  d'alors,  s'était 
emparé  d'une  expression  un  peu  équivoque  du  docteur  «le  Can- 
torbéry  et  l'avait  interprétée  dans  le  sens  de  ses  doctrines  trithéis- 
tes  (1),  l'on  comprend  aisément  l'animosité  de  notre  théologien 
pour  les  dialecticiens  nominalistes.  Il  ne  leur  reproche  rien  moins 
que  le  matérialisme.  Car,  dit-il,  selon  eux  les  substances  uni- 
verselles ne  sont  que  des  mots,  et  le  nom  d'homme  ne  désigne 
rien  en  dehors  de  l'individu.  Aussi,  Anselme  voudrait-il  voir  ex- 
clus d(3  la  science  ces  hérétiques  de  la  dialectique,  dont  la 
raison,  au  lieu  de  gouverner  et  de  juger  de  tout  ce  qu'il  y  a 
dans  l'homme,  est  à  tel  point  immergée  dans  les  imaginations 
matérielles,  qu'elle  ne  saurait  plus  s'en  dégager  ni  en  discerner 
l'objet  de  la  seule  contemplation.  Et  tout  cela,  et  davantage  à 
cause  du  nominalisme,  dont  les  adhérents  ne  seront  jamais 
capables  de  comprendre  comment  plusieurs  personnes  dont  cha- 
cune est  Dieu  parfait,  ne  sont  qu'un  seul  Dieu  (2).  La  dernière 
partie  de  ce  reproche  est  particulièrement  intéressante,  et  mani- 
feste, une  fois  de  plus,  l'importance  du  problème  des  universaux, 
même  dans  les  régions  les  plus  mystérieuses  de  la  théologie. 

Au  reste,  Anselme  n'a  jamais  traité  ex  professa  cet  épineux 
problème;  pour  ce  faire,  il  était  trop  théologien.  Il  ignore  l'in- 
tellect agent  de  la  psychologie  d'Aristot©  (3).  Mais,,  s'il  faut  en 
croire  M.  Domet  de  Vorges  et  le  texte  par  lui  cité  (4),  notre 
docteur  enseignerait  la  théorie  aristotélicienne  de  l'abstraction, 

1.  Cf.  PiCAVET,  Eoscelin,  p.  3.  —  Epis'.  Anselm.  ad  Bainaldum,  Lih.  I.  ep. 
7Â,  P.  L,,  t.  155,  col.  1144.  «  NesciebaM  enim  sic  non  dici  proprie  de  Deo 
très  personas,  quomodo  très  substaiitias  ;  quadani  taaien  ratione,  ob  indl- 
gcntiam  nominis  proprie  significantis  illam  pluritntem,  guae  in  summa  Tri- 
nitatg  intelligitur,  Latines  dicere  très  personas  credendas  in  una  substantia; 
Greoos  vero  non  minus  fideliter  très  substantias  in  una  persona  confiteri.  » 
Cf.  Monolog.,  P.  L.,  t.  158,  col.  144. 

2.  De  fide  Trinitatis,  c.  II,  P.  L.  t.  158,  col.  265.  «  Illi  utique  nostri  temporis 
dialeclici,  (imo  dialectice  haeretici,  qni  non  nisi  flatum  vocis  putant  esse 
universales  substantias  et  qui  colorem  non  aliud  queunt  intelligere  quam 
corpus,  nec  sapientiam  hominis  aliud  quam  animam),  prorsus  a  spiritualium 
qnaestionum  disputatione  sunt  exsufflandi.  In  eorum  quippe  animabus  ratio 
qiiae  et  princeps  et  jiidex  omnium  débet  esse  quae  sunt  in  homine,  sic  est  in 
imaginationibus  corporalibus  obvoluta  ut  ex  eis  se  non  possit  evolvere,  nec 
ab  ipsis  ea  quae  ipsa  sola  et  pura  oontemplari  débet,  valeat  discemere.  Qui 
enim  nondum  intelligit  quomodo  plures  homines  iu  specie  sint  unus  homo, 
qu aliter  in  illa  secretissima  et  altissima  natura  comprehendet  quomodo  plu- 
res pers-onae   cjuarum  singula  quaeque  est  perfectus   Deus,   sint   unus   Deus.  » 

3.  Domet  de  Vorges.  Op.  cit.,  p.  104. 

4.  Monol.,  62,  P.  L.,  t.  158,  col.  207-208.  «  Sed  in  hominis  cogitatione  cum 
cogitât   aliquid   quod   extra   ejus    mentem  est,   non   nascitur   verbum   cogitatae 


o26  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

OU  du  moins  quelque  chose  d'approchant.  On  peut  se  demander 
si  ]\I.  Domet  de  Vorges  n'a  pas  été  induit  en  erreur,  pa,r  la 
ressemblance  «  matérielle  »  que  présente  la  terminologie  augus- 
tniienne  avec  celle  d'Aristote.  L'archevêque  de  Cantorbéry,  fidèle 
disciple  de  saint  Augustin,  fait  maints  emprunts  à  sa  théorie  de  la 
connaissance,  —  telle,  la  pensée  «  Semper  sui  memmit  ani- 
ma (1)  »  et  surtout  la  formule  célèbre,  fondement  des  spécula- 
tions d'Anselme  :  «  Xeque  enim  quaero  intelligere  ut  credam; 
sed  credo  ut  intelligam  (2)  ».  C'est  la  formule  même  de  saint 
Augustin  :  «  credimus  ut  oognoscamus,  non  cognoscimus  ut  creda- 
mus  (3)  »  ou  encore  comme  Anselme  le  dit  fréquemment  du  pro- 
phète Isaïe,  cité  d'après  l'itala  :  «  jS'îsî  credideritis,  non  intelU- 
getis.  » 

Comment  interpréter  ce  principe?  Faut-il  faire  d'Anselme  un 
fidéiste,  comme  d'aucuns  pourraient  le  croire  à  première  vue? 
ou  faut-il  simplement  le  rattacher  à  cette  lignée  de  docteurs 
platoniciens  perpétuant,  jusque  dans  le  moyen-àge,  la  «  philoso- 
phie religieuse  »  qu'x\ugustin,  leur  maître  à  tous,  a  empruntée 
en  majeure  partie  à  Plotin  pour  l'adapter  au  dogme  chrétien? 

Pour  débrouiller  cette  question  assez  complexe,  et  établir  quels 
sont  les  rapports  mutuels  entre  la  foi  et  la  science,  chez  Anselme^ 
nous  devons  considérer  dans  quelle  mesure  ce  docteur  veut 
l'application  de  la  dialectique  aux  problèmes  théologiques  en 
général  et  à  l'étude  des  mystères  en  particulier. 

Saint  Anselme,  en  véritable  mystique  qu'il  est,  réserve  le  beau 
rôle  à  la  volonté  non  seulement  dans  son  domaine  propre,  mais 
aussi  dans  celui  de  la  connaissance.  Ainsi,  il  exige  que  l'on 
apporte,  outre  la  foi  solide,  la  granité  des  mœurs  et  la  sa- 
gesse à  l'étude  des  questions  di^^nes  (4),  c'est-à-dire  à  la  «  phi- 

rei  ex  ipsa  re  quia  ipsa  absens  est  a  cogitatioiiis  intuitu  sed  ex  rei  aliqiia 
similitndiiLe  vel  imagine  quae  est  in  cogitantis  memoria,  aut  forte  quae  tune 
cum   cc^itat  per  corporeum  sensum  ex   re  praesenti   in   mentem   attrahitnr.  » 

1.  Monolog.,  46.  P.  L.,  t.  158,  col.  199.  «  Mens  humana  non  semper  se  cogi- 
tât sicut  semper  sui  meminit.  » 

2.  Prosîog.  I.  P.  L.  t.  158  col.  227.  Cf.  Dr  Heinrich  Ritter,  Geschichte 
der  christl.  Philosophie,   III.  Theil,  p.   321.  Hamburg,   1844. 

3.  August.  in  Evang.  Joh.  tract  40;  9.  —  De  Vera  Belig.  5;  24.  —  De 
Vtilitale   Credendi,   9. 

4.  De  fide  Trin.,  P.  L.,  t.  158,  col.  265.  «.  Nemo  ergo  se  temere  immergat  in 
condensa  dirinarum  quaestionimi,  nisi  prius  in  soliditate  fidei,  conquisita 
morum  et  sapientiae  gravitate,  ne  per  multiplicia  sophismatum  diverticula 
incauta  levitate  discurrens,  aliqna  tenaci  illaqueatur  falsitate.  Cumque  omnes, 
ut  cautissime  ad  sacrae  paginae  quaestioaes  accédant,  sint  commonendi;  illi 
utique   nostri    temporis   dialectici,    imo   dialecticae   liaeretici » 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  527 

losophie  religieuse  »,  en  dehors  de  laquelle,  chez  le  docteur 
médiéval,  comme  chez  l'évêque  d'Hippone,  il  n'y  a  pas  de  science 
véritable.  Ce  n'est  pas  la  raison  seule  quii  conduit  l'homme  à 
la  connaissance  des  grandes  vérités.  Aussi  avant  de  les  abor- 
der, doit-il  purifier  son  cœur  par  la  foi  et  illuminer  ses  yeux 
par  robser\'ance  des  préceptes  divins  (1).  Mais  il  ne  faudrait  pas 
se  limiter  à  ces  bonnes  dispositions,  car  il  n'est  pas  blâmable 
celui  qui,  confirmé  dans  la  foi,  —  fide  stabilitus  — ,  s'efforce 
d'en  trouver  des  raisons;  puisque  aussi  bien  les  Apôtres,  les 
Pères  et  les  Docteurs  n'ont  point  épuisé  les  richesses  de  la  vérité 
et  puisque  Dieu  continue  d'accorder  ses  grâces  à  cette  fin.  L'Écri- 
ture elle-même  par  la  parole  :  «  Nisi  credideritis,  non  intelli- 
getis„  »  (Isaïe  VII,  9)  ne  nous  invite-t-elle  pas  à  aller  plus  avant, 
pour  atteindre  dès  cette  vie,  YintelUgence,  cet  état  intermédiaire 
entre  la  foi  et  l'évidence  (species)?  Plus  quelqu'un  progresse 
dans  cette  intelligence,  plus  il  s'approche  de  l'évidence.  Saint 
Anselme  veut  marcher  dans  cette  voie,  et,  autant  que  le 
secours  d'en  haut  le  lui  permettra,  pénétrer  la  raison  des  ensei- 
gnements de  la  foi.  Les  lumières  qu'il  recevra  ainsi,  il  les  com- 
muniquera volontiers  aux  autres,  afin  d'en  éprouver  la  vérité 
par  leur  jugement  (2). 

A  ce  propos,  notre  docteur  expose  tout  le  processus  de  la  con- 
naissance théologique.  D'abord  croire,  puis,  aidé  de  l'illumination 
divine,    approfondir   par  la   raison,   autant   que   fairei   se    peut, 


1.  De  fidc  Trinit.,  I.  P.  L.,  t.  1.58,  col.  26J:.  «  Prius  ergo  fide  nnindaadum 
est  cor...  et  prius  per  praeceptoram  Domini  custodiam  illuminandi  sunt  oculi 
quia  praeceptum  Domiai  lucidum  illuminans  oculos...  »  Prius  iiiquam,  ea  quae 
camis  sunt  postponentes,  secundum  spiritum  vivamus,  quam  profunda  fidei 
dijudicando    discutiamus...  » 

2.  De  Trinit.,  prooemio,  P.  L.,  t.  158,  col.  260-261.  «  Nullum  tamen  repre- 
hendenduni  arbitrer  si  fide  stabilitus,  in  rationis  ejus  indagine  se  voluerit 
exercera.  Nam  et  illi  (Apostoli,  Patres,  Doctores)  qnia  brèves  dies  sunt  non 
omnia  qnae  possent  si  diutius  vixissent  dicere  potuerunt;  et  veritatis  ratio  tam 
ampla,  tamque  profunda  est  ut  a  mortalibus  nequeat  exhauriri;  et  Dominus 
in  Ecclesia  sua...  gratiae  suae  dona  non  desinit  impertiri.  Et  ut  aJia  taceam 
qtiibus  sacra  pagina  nos  ad  investigandara  rationem  invitât  ubi  dicit  :  «  Nisi 
credideritis  non  intellegetis  »  aperte  nos  monet  intentionem,  ad  intellectum 
extendere...  Denique  quoniam  inter  fidem  et  speciem  inteUectum  quem  in  vita 
capimus  esse  médium  intelUgo,  quanto  aliquis  ad  illum  proficit  tanto  eum  pro- 
pinquare  speciei  ad  quam  omnes  anhelamus,  existimo.  Hac  igitur  ego  consi- 
deratione...  confortatus,  ad  eoruin  quae  credimus  rationem  intuendam  quan- 
luan  superna  graiia  mihi  dare  dignatur,  aliquando  conor  assurgere,  et  cum 
aliquid  quod  prius  non  videbam  reperio,  id  aliis  libenter  aperio,  quatenus 
quid  secure  tenere  debeam  aliéna  discam  judicio.  Quapropter,  mi  Pater  et  Do- 
mine... Papa  Urbane...  quoniam  nulli  rectius  possum,  vestrae  sanctitatis  prae- 
sento  conspectui  subditum  opusculum  ut  ejus  auctoritate  quae  ibi  suscipienda 
sunt  approbentur,  et  quae  corrigenda  sunt  eraendentur...  » 


528         REVUK    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

le  contenu  de  la  croyance,  et  arriver  ainsi,  par  le  travail  discursif, 
à  cet  état  intermédiaire  entre  la  foi  pure  et  simple  et  l'évidence 
de  la  vision  béatifiqae,  —  état  intermédiaire  appelé  «  intelligence  », 
dans  un  sens  analogue  à  celui  que,  plus  tard,  xlbélard  donnera 
au   verbe    «  intelligere  ». 

Ce  travail  de  recherches  théologiques,  Anselme  tient  à  ce  que 
la  raison  l'entreprenne,  sans  toutefois  dépasser  certaines  limites. 
Ainsi,  il  ne  saurait  être  question  pour  le  chrétien  de  chercher 
comment  ce  que  l'Église  enseigne  n'est  pas  —  (quomodo  non  sit). 
Au  contraire,  le  devoir  du  chrétien  est  de  tenir  toujours  à  la  foi,, 
de  l'aimer,  de  la  vivre  et  de  rechercher  humblement  les  raisons 
qui  en  expliquent  le  comment  —  (quomodo  sit).  Si  la  raison  réus- 
sit dans  cette  entreprise,  qu'elle  en  rende  grâces  à  Dieu  ;  si.  elle 
échoue,  que  la  sagesse  humaine  n'aille  pas  se  briser  les  cor- 
nes, mais  qu'elle  baisse  la  tête  et  vénère  le  mystère,  puisque  aussi 
bien,  avant  de  comprendre  il  faut  croire.  D'où  il  est  clair  que 
ceux-là  n'ont  pas  la  foi  qui,  ne  comprenant  pas  leurs  croyances,, 
révoquent  en  doute  la  vérité  chrétienne  confirmée  par  les  saints 
Pères.  Ils  oublient,  ces  malheureux,  qu'il  n'est  point  loisible 
aux  nocturnes  chauves-souris  de  discuter  sur  la  lumière  du 
jour  contre  les  aigles  qui  fixent  de  leurs  regards  le  soleil  de 
midi   (1). 

Ces  imprudentes  chauves-souris,  Anselme  pensait  les  voir  dans 
la  personne  de  Roscelin  et  de  ses  disciples,  et  cela  précisément 
rend  compte,  semble-t-il,  de  l'état  d'esprit  qui  lui  dicta  à  pro- 
pios  du  trithéisme  de  Roscelin,  les  paroles  les  plus  dures  qu'il 
ait  écrites  —  Voici  ce  qu'il  mandait  à  l'un  des  Pères  du  Con- 
cile de  Reims  :  «  Si  celui  qui  professe  des  doctrines  pareilles 
à  celles  de  Roscelin,  est  baptisé  et  a  été  élevé  parmi  des  chré- 
tiens, il  ne  faut  l'entendre  d'aucune  manière,  ni  lui  demander 


1.  De  fide  Trinif.,  c.  II,  P.  L.,  t.  158,  col.  263-264.  «  NuUus  quippe  chris- 
tianus  débet  disputare  quomodo  quod  Ecclesia  cafholica  corde  crédit  et  ore  confite- 
iViT  7ion  sit  ;  sed  sempcr  eanidem  fidem  indubitanter  tenendo,  amande  et  secundum 
illam  vivendo,  humiliter,  quantum  potest  quaerere  rationem  quomodo  sit.  Si 
potest  intelligere,  Deo  gratias  agat;  si  non  potest,  non  immittat  cornua  ad  ven- 
tilandxim,  sed  submittat  caput  ad  venerandum.  Citius  enim  potest  in  se  con- 
fidens  humana  sapientia  impigendo  cornua  sibi  evellere,  quam  vi  nitendo  petram 
banc  evolvere...  Unde  fit  ut,  duni  ad  illa,  quae  prius  fidei  scalam  exigunt 
sicxit  scriptum  est  :  «  Nisi  credideritis  non  intelligetis  »  praepostere  prius  pc 
intelJectum  conantur  ascendere  in  multiinodos  errores  per  întellectus  defec- 
tum  cogantur  descendere.  Palam  namque  est,  qnia  iUi  non  habent  fidei  firmi- 
fatem,  qui,  quoniam  quod  credunt  inteUigere  non  possunt.  disputant  contra 
ejusdem  fidei  a  sanctis  Patril)us  confirmatam  veritatem;  velut  si  vespertilio 
nés  et  noctuae,  non  nisi  in  nocte  coelum  videntes,  de  meridianis  solis  radii.s 
disceptent   contra  aquilas,   so'em   ipsum    irreverberato   visu    intuentes    » 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  529 

raison  de  son  erreur,  ni  lui  donner  raison  de  notre  vérité.  S'il 
ne  se  soumet  préalablement,  qu'on  le  charge  d'anathèmes  ;  car 
nous  ne  devons  pas  défendre  notre  foi  par  la  raison  contre 
les  chrétiens  dont  nous  pouvons  l'exiger  en  vertu  de  leur  bap- 
tême. Quant  aux  impies,  il  nous  faut  leur  montrer,  par  des  argu- 
ments de  raison,  combien  ils  ont  tort  de  nous  mépriser  (1). 
La  distinction  dont  Ajiselme  fait  usa^e  pour  exiger  que  l'on 
donne  des  éclaircissements  à  l'impie  et  qu'on  les  refuse  au  chré- 
tien dans  l'erreur,  semble  indiquer  d'une  manière  assez  évidente, 
que  le  docteur  de  Cantorbéry  est  loin  d'avoir  une  idée  nette  de 
l'acte  de  foi  en  lui-même,  qui,  chez  le  chrétien  baptisé  aussi  bien 
que  chez  l'impie,  ne  peut  avoir  lieu  sans  que  la  raison,  à  la 
vue  des  motifs  de  crédibilité,  quels  qu'ils  soient,  ait  représenté 
à  la  volonté  comme  un  bien  désirable,  l'adhésion  aux  vérités  iné- 
videntes de  la  foi  (2). 

Le  savant  Archevêque,  dont  les  tendances  apologétiques  sont 
très  accusées,  corrige  quelquefois  par  sa  pratique  les  insuffisan- 
ces théoriques  que  nous  venons  de  lui  voir.  S'il  ne  fait  qu'insi- 
nuer le  motif  de  crédibilité  tiré  des  miracles  de  Notre-Seigneur  (3), 
il  appuie  fortement  sur  la  puissance  de  la  raison  (4)  et  son  rôle 
dans  la  solution  des  objections  des  infidèles  (5).  Au  reste,  An- 

1.  Epist.  ad  Falconem,  lib.  II;  epist.  61,  P.  L.,  t.  158,  col.  1193.  «  Quod  si 
baptizatus  et  iaiter  Chiistianos  est  nutritas,  nullo  modo  audiendus  est;  nec 
uUa  ratio  atit  sui  'erroris  est  ab  illo  exigeada,  aut  nostrae  veritatis  illi  est 
exhibenda;  si  mox  ut  ejus  perfidia  absqiie  dubietate  iiiaotuerit,  aut  anathema- 
tizet    venenum    quod    proferendo    evomuit,    aut    anathematizetur    ab    omnibus 

Catholicis,  nisi   resipuerit Fides   enim  nostra   contra  impios   ratione   defen- 

denda  est;  non  contra  eos  qui  se  Christiani  nominis  honore  gaudere  fatentur. 
Ab  his  enim  juste  exigendum  est  ut  cautionem  in  baptismate  factam  incon- 
cusse  teneant;  ilUs  vero  rationnhiUtrr  oslendendum  est  quam  irrafionabiliter 
nos  contemnant.  » 

2.  Nulle  part,  à  notre  connaissance,  saint  Anselme  ne  définit  la  foi  «  ex  pro- 
fesso  »  et  c'est  en  passant  qu'il  en  dit  :  De  concord.  praesc.  Dei  eum  libero 
arbif.,  quaest.  III,  c.  9,  P.  L.,  t.  158,  col.  531,  C  :  «  Fides  namque  et  spes 
sunt  eanim  rerum  quae  non  videntur.  » 

3.  De  concord.  Fraescient.  et  liberi  arhit.,  c.  VI,  P.  L.,  t.  158,  col.  528. 
«  Sicut  ergo  Deus  in  principio  per  miraculum  fecit  frumentum  et  alia  de  terra 
nascentia  ad  alimentum  homim;m  sine  cultore  et  seminibus,  ita  sine  huniana 
doctrina  mlrabiliter  fecit  corda  prophetarum  et  açostolorum  necnon  evangelis- 
tarum  fecunda  salutaribus  seminibus....  Siquideni  nihil  utiliter  ad  salutem 
spiritualem  praedicamus  quod  sacra  Scriptura  Spiritus  Sancti  miraculo  fe- 
cundata  non  protulerit  aut  intra  se  contineat....» 

4.  Monolog.,  Prooemio.  P.  L.,  t.  158,  col.  142-143.  Cf.  aussi  De  fide  Trini- 
tafis,  c.  IV,  P.  L.,  t.  158,  col.  272.  «  Duo  parva  opuscula  mea  Monologion 
scilicet  et  Proslogion  quae  ad  hoc  maxime  facta  sunt,  ut,  quod  fide  tenemus 
de  divina  natuxa  et  ejus  personis  praeter  Incarnationem,  necessariis  ratio- 
nibus,  sine  Scripturae   auctoritate  probari  possit.  » 

5.  Cur  Deus  Homo.  Praef.  P.  L.,  t.  158,  col.  361-362.  «  Quorum  prior  (liber) 
quidem    infidelium   respuentium    christianam   fidem,    quia   rationi   putant   illam 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  3,  34 


o3()  REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

selme  ne  dédie  pas  ses  traités  spéculatifs  à  ses  disciples  pour 
que  ceux-ci  aillent  à  la  foi  par  la  raison,  mais  afin  qu'ils  soient 
à  même  de  se  délecter  dans  «  l'intelligence  »  et  la  contempla- 
tion des  vérités  religieuses  et  qu'ils  puissent  satisfaire  ceux 
qui  demandent  raison  de  leur  espérance  (1).  Parmi  les  problè- 
mes que  se  posent  infidèles  et  chrétiens,  Anselme  en  ciioisit  sur- 
tout  deux;   l'Incarnation   et  la   Trinité. 

Le  mystère  ne  paraît  pas  retenir  l'ardeur  spéculative  de  notre 
Docteur.  Dans  plusieurs  de  Ses  ouvrages,  il  veut  non  seulement 
établir  les  hautes  convenances  du  mystère,  mais  il  se  laisse 
entraîner  par  cette  raison,  «  princesse  et  juge  de  tout  ce  qu'il 
y  a  dans  l'homme  (2),  »  jusqu'à  entreprendre  de  démontrer,  par 
des  raisons  nécessaires,  sans  l'autorité  de  l'Écriture,  tantôt  les 
enseignements  de  la  foi  sur  la  Trinité  (3),  tantôt  l'absolue  néces- 
sité  de  l'Incarnation  ('4).  Nous  regrettons  que  le  cadre  de  no- 
tre modeste  contribution  à  l'histoire  de  la  philosophie  ne  nous 
permette  pas  d'insister  sur  la  doctrine  d'Anselme  sur  l'Incar- 
nation et  sur  son  intéressante  théorie  de  la  Satisfaction. 

Allons  tout  droit  à  ses  doctrines  trinitaires  que,  pour  faciliter 
la  comparaison,  nous  continuerons  de  prendre,  en  quelque  sorte^ 
comme  pierre  de  touche  des  théories  sur  les  rapports  entre  la 
science  et  la  foi.  Aassi  bien,  la  position  d'Anselme  de  Cantorbéry 
en  face  du  plus  sublime  des  mystères  chrétiens  est  franche.  Des 
textes  cités  plus  haut  il  ressort  clairement  qu'il  entend  le  dé- 
montrer, sans  le  secours  de  l'Écriture,  par  des  raisons  nécessai- 
res,  ^lais  à   cela  il  y   a  des   réserves.   Dans   son  opuscule   De 


repiignare,  continet  objectiones  et  fidelium  responsiones  :  ac  tandem,  remoto 
Christo,  quasi  nunquam  aliquid  fuerit  de  eo,  probat  rationibus  necessariis 
esse   impossibile  ullum  hominem   salvari   sine   illo...  » 

1.  Cur  Deus  Homo.  Praef.  P.  L.,  t.  158,  col.  361. 

2.  De  fide  Trinitatis,  c.  II,  P.  L.,  t.  158,  col.  265.  «  Ratio  qnae  et  prin- 
ceps  et  judex  omnium  débet  esse  qnae  suât  in  homine.  » 

3.  De  fide  Tritiit.,  c.  IV,  P.  L.,  t.  158,  col.  272.  «  Duo  parva  opuscula  mea 
Monologion  scilicet  et  Proslogion  quae  ad  hoc  maxime  facta  sunt,  ut  quod 
fide  ten.emus  de  di\'ina  natuxa  et  ejus  personis  praeter  Incarnationem,  neces- 
sariis   ratiombus    sine    Scripturae    auctoritate    probari    possit. 

4.  Cur  Deus  Homo,  Praef.,  P.  L.,  t.  158,  col.  362.  «  Quorum  prior  quidem 
liber...  remoto  Chxisto,  qiiasi  numquam  aliquid  fuerit  de  eo  probat  rationibus 
necessariis  esse  impossibile  ullum  hominem  salvari  sine  illo;  in  seciuido  autem 
libro  similiter  quasi  nihil  sciatur  de  Christo,  monstratur  non  minus  aperta 
ratione  et  veritate  naturam  humanam  ad  hoc  institutam  esse,  ut  aliquando... 
immortalitate  beata  totus  homo...  frueretur  ac  necosse  esse,  ut  hoc  fiât  de 
homine  propter  quod  factus  est,  sed  non  nisi  per  hominem  Deum,  atque  ex 
necessitate  omnia  quae  de  Christo  credimus  fieri  oportere.  » 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  531 

Fide  Trinitatis,  Anselme,  d'accord  avec  son  principe  :  «  Nisi 
credideritis,  non  intelligetis  »,  essaie  de  nous  faire  comprendre, 
tout  un  chapitre  durant,  que  ces  questions  doivent  être  traitées 
par  des  hommes  humbles  et  versés  dans  les  divines  Écritures, 
et  non  par  des  dialecticiens  quelconqiies;  car  ces  nominalistes  — 
il  s'agit  évidemment  de  Roscelin  —  dont  l'intelligence  est  obs- 
curcie au  point  de  ne  pouvoir  distinguer  entre  un  cheval  et  sa 
couleur,  comment  sauraient-ils  discerner  le  seul  Dieu  d'avec 
la  pluralité   de   ses   relations   (1)? 

Une  autre  réserve  du  saint  Docteur  est  encore  plus  importante, 
puisqu'elle  nous  permet  de  déterminer  jusqu'où  s'étend  la  dé- 
monstration rationnelle  du  mystère.  C'est  la  déclaration  que  la 
Trinité  dépasse  les  forces  de  toute  intelligence  humaine  qui 
s'efforcerait  en  vain  d'en  expliquer  le  comment  (qualiter  sit). 
Qu'il  nous  suffise,  continue-t-il,  de  prouver  par  des  raisons  7ié- 
cessaires  V existence  de  ce  mystère  (quod  est).  La  solidité  de 
notre  argumentation  ne  saurait  être  aucunement  ébranlée  parce 
que  nous  sommes  impuissants  à  en  démontrer  le  comment  (2). 
Cela  paraît  fort  clair  et  cependant  personne,  que  nous  sachions, 
n'a  fait  O'bserver  qu'Anselme,  parlant  de  la  Trinité,  devait  natu- 
rellement se  poser  la  double  question  :  Ce  mystère  est-il  {An 
sit)'?  —  et  s'il  est,  quel  est-il?  comment  se  fait-il  que  trois  per- 
sonnes di\"ines  ne  sont  qu'une  seule  nature  divine,  qu'un  seul 
Dieu  {Qualité?'  sit,  quomodo  sit)? 

A  ces  deux  questions,  saint  Anselme  répond,  comme  fit  plus 
tard  Abélard,  par  la  distinction  qu'on  connaît.  Outre  qu'elle 
appartient  à  notre  auteur  même,  cette  distinction  a  l'avantage 
de   montrer   que    chez   lui    l'expression   «  rationes    necessarife  » 


1.  De  fide  Trinitatis,  t.  158,  col.  265.  «  Et  cujus  obsciixa  est  ad  dis- 
cernendum  inter  eqiaum  suum  et  colorem  ejus,  qualiter  discemet  inter  rnium 
Deum  et  plures  relationes  ejus?  » 

2.  Monolog.,  c.  64,  P.  L.,  t.  158,  col.  210.  «  Videtiir  milii  hiiJTis  tam  sublimis 
rei  secretum  transcendere  omnem  intellectiis  aciem  humani,  et  idcirco  cona- 
tum  explicandi,  qualiter  hoc  sit,  continendum  puto.  Sufficere  namqiie  debere 
existimo  reui  incomprebensibilem  indaganti,  si  ad  hoc  ratiocinando  pervene- 
rit,  ut  eam  certissime  esse  cognoscat  etianisi  penetrare  neqneat  intellectu 
qnomodo  ita  sit,  nec  idcirco  minus  his  adhibendam  fidei  certitudinem  quae 
probationibiis  necessariis,  nulla  alia  répugnante  ratione,  asseruntur  si  snae 
natuxalis  altitiidinis  incomprehensibilitate  explicari  non  patiantur.  Quid  autem 
tara  incomprehensibile,  tam  ineffabile  quam  id  quod  supra  omnia  est?  Qua- 
propter  si  ea,  quae  de  summa  essentia  hactenus  disputata  sunt  necessariis 
rationibus  sunt  asserta,  quamvis  sic  intellectu  penetrari  non  possint  ut  et 
verbis  valeant  explicari,  nullatenus  tamen  certitudinis  eorum  nutat  soliditas.  » 
—  Cf.  aussi  De  fide  Trinit.  II,  P.  L.,  t.  158.  col.  263-261  et  Cur  Deus  Homo, 
'.  I.  t.  1.58,  col.  361-362. 


532         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

conserve  sa  signification  habituelle  de  preuves  rationnelles  né- 
cessitantes. Nous  ne  saurions  donc  nous  rallier  à  l'opinion  de 
plusieurs  historiens  de  notre  saint  qui,  prenant  acte  de  ses 
déclarations  sur  l'incompréhensibilité  du  mystère  en  lui-même^ 
concluent  que  par  la  «  nécessité  »  l'archevêque  de  Cantorbéry 
n'entend  qu'une  haute  probabilité  (1).  Anselme  veut  démontrer 
par  la  raison  l'existence  de  la  Trinité  et  il  avance  ainsi  d'un  pas^ 
mais  d'un  pas  seulement,  vers  le  rationalisme  théologique,  s'il 
est  permis  de  parler  de  la  sorte  d'un  tel  défenseur  du  principe 
d'autorité  (2). 

Au  reste,  lorsqu'il  s'agit  du  fond  du  mystère,  de  son  com- 
ment, les  textes  cités  et  d'autres  encore  nous  en  assurent,  l'obs- 
curité relative  de  la  foi  reprend  tous  ses  droits  (3),  excluant 
ainsi  le  reproche  de  rationalisme,  sans  qu'il  soit  besoin  de 
mitiger  la  portée  des  «  raisons  nécessaires  »  par  des  interpréta- 
tions tirées  de  loin  (4). 

N'oublions  pas  non  plus  que  pour  Anselme  la  soumission  à  la 
foi  et  à  une  autorité  doctrinale  doit  être  d'autant  plus  facile 
qu'il  n'admet  pas  la  possibilité  d'une  opposition  entre  la  vérité 
naturelle  et  la  vérité  révélée.  «  Nous  recevons,  écrit-il,  tout  ce» 
qui  est  clairement  démontré  et  que  la  sainte  Écriture  ne  contredit 
pas;  car,  comme  celle-ci  ne  s'oppose  à  aucune  vérité,  ainsi  elle 
ne  favorise  aucune  fausseté  :  et  dès  là  qu'elle  ne  nie  point  les 
affirmations  de  la  raison,  elle  les  soutient  de  son  autorité.  Mais 
si  l'Écriture  répugne  évidemment  à  notre  sens,  quelque  inex- 
pugnables que  paraissent  nos  raisons,  il  faut  les  croire  dépour- 
vues de  vérité  (5).  »  L'excellence  de  la  foi  sur  la  raison  ressort 
nettement  de  ce  texte. 


1.  Van  Weddingen,  op.  cit.,  p.  383-384.  ^  De  Wulf,  Hist.  de  la  philos, 
méd.,  p.  179.  —  Stôckl,  Gcschichte  der  Philos,  des  Mittelalt.  I,  p.  156.  — 
D'Aguirre,  Theologia  S.  Anselmi,  t.  I,  disp.  1,  section  7,  dis.  8,  sectio  1. 
Apud  Kleutgen,  Théologie  der  Vorzeit.  Miinster  1874,  t.  V,  p.  285.  Ce  dernier 
théologien  partage  l'opinion  de  d'Aguirre. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  7,  note  1,  à  la  fin. 

3.  MoHOl.  LXV,  P.  L.,  t.  158,  col.  211.  «  Nani  si  vera  illud  ratione  explici- 
tum  est,  qualiter  est  illa  ineffabilis?  Aut  si  ineffabilis  est  quomodo  est  ita 
sicut  est  disputatum?  Aut  quadantenus  de  illa  potuit  explicari,  et  ideo  nihil 
prohibel  esse  verum  quod  disputatum  est,   sed   quia  penitus  non  potuit  com- 

prehendi  idcirco  est  ineffabilis.  » 

4.  Van  Weddingen,  op.  cit.,  p.  389,  invoque  entre  autres  l'interprétation  de 
Suarez.  —  De  Incarnatione.  d.  IV,  sect.  11,  no  4  et  un  passage  de  Duns 
ScOT.  —  Report.  Paris.,  prol.  q.  2,  n.  18,  ap.  Van  Weddingen,  p.  386. 

o.  De  concordia  grat.  et  lihcri  Arh.  VI,  P.  L.,  t.  158,  col.  528.  «  Si  quid 
ratione   dicamus   aliquando,    quod   in   dictis   ejus   (S.   Scripturae)   aperte  mons- 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  533 

D'ailleurs,  notre  Docteur  va  plus  loin,  lorsqu'il  considère  la 
foi  et  les  vertus  morales  comme  une  indispensable  préparation 
aux  études  d'un  ordre  élevé.  Car  c'est  seulement  chez  le  fidèle 
dont  le  cœur  est  purifié  par  la  foi,  que  le  précepte  du  Seigneur 
illumine  les  yeux  (1). 

x\insi  comprise,  l'étude  devient  chez  saint  xlnselme  ime  vérita- 
ble méditation  (2),  fréquemment  entrecoupée  de  prières  qui  teront 
descendre  l'illumination  divine. 

I.a  théorie  néo-platonicienne  de  l'illumination  qu'Augustin  (3j 
avait  empruntée  surtout  à  Plotin,  Anselme  l'a  rendue  sienne. 
Dans  l'une  de  ses  méditations,  il  nous  déclare  que,  s'il  ne  voit 
pas  la  lumière  inaccessible  et  trop  ardente  de  l'illumination, 
il  voit  cependant  tout  par  elle,  comme  notre  œil  voit  par  la 
lumière  du  soleil,  bien  qu'il  ne  puisse  le  regarder  en  face.  Il 
en  est  de  même  de  nous,  qui  ne  saurions  atteindre  la  fulgurante 
lumière  des  vérités  éternelles  (4).  Mais,  préparés  par  la  foi  et 
illuminés  d'en  haut,  nous  pouvons  cependant  connaître,  on  quel- 
que manière,  ces  vérités,  en  atteindre  l'intelligence  (5),  dirait 
saint  Anselme.  Celle-ci  est  donc  une  sorte  de  révélation,  autre- 
ment ce  Docteur  lui-même,  parlant  de  ce  genre  de  connais- 
sance n'emploierait  pas  la  formule  corrective  :  «  donec  m'ihi 
Deus  melius  aliquo  modo  revelet  (6)  »  formule  qui  paraît  appuyer 
singulièrement  notre  interprétation. 


trare  aut  ex  ipsis  probare  nequinius,  hoc  modo  per  illam  cognoscimus,  utruni 
sit  recipiendum  aut  respuendum.  Si  enim  aperta  ratione  colligitur  et  illa  ex 
ntilla  parte  oontradicit,  quoniam  ipsa  sicut  nuUi  adversatur  veritati,  ita  nuUi  tavet 
falsitali,  lioc  ipso  quia  non  negat  quod  ratione  dicitur,  ejus  auctoritate  susci- 
pitur.  At  si  ipsa  nostro  sensui  indubitanter  répugnât,  quamvis  nobis  ratio 
nostra   videatur    inexpugnabilis,    nuUa    tamen    veritate    fulcii'i    credenda    est.  » 

1.  Voir  plus   liant,  p.   66,  note  2. 

2.  Lui-même  la  nomme  ainsi  dans  le  Prologue  au  Mono!.,  P.  L.,  t.  153, 
col.    143. 

3.  AuGUST.  Soliloq.,  1,  6,  apud  Domet  de  Vorges,  p.  107.  «  Disciplina- 
nim  quaeque  certissima  talia  sunt  quae  sole  illustrantur  ut  videri  possinl 
veluti  terra  et  terrena  omnia,  Deus  autem  ipse  est  qui  illustrât.  » 

4.  Médit  21.  P.  L.,  t.  158,  col.  816-817.  «  Vere  hanc  (lucem  inaccessibilem) 
non  video  quia  nimia  est,  et  tamen  quidquid  video  per  hanc  video  sicut  infir- 
mus  oculus,  qui  quidquid  videt  per  lucem  solis  videt,  quam  in  ipso  sole 
naquit  aspicere.  Non  potest  intellectus  meus  ad  illam  accédera;  nimis  enim 
fulget.  » 

5.  Voir  plus  haut,  p.  67,  note  1. 

6.  Cur  Deus  Homo,  c.  II,  P.  L.,  t.  158,  col.  363.  «  Sed  eo  pacto  quo  omnia 
quae  dico,  accipi  volo  :  videlicet  ut  si  quid  dixero,  quod  major  non  confirmet 
auctoritas,  quamvis  illud  ratione  probare  videar,  non  alia  certitudine  acci- 
piatur  nisi   quia   intérim  mihi  videtur   donec   mihi   Deus   melius    aliquo  modo 

revelet.   —   Et  dans  le  texte  cité   plus  haut  p.   67,   note   1,  «  ad  eorum  quae 


534  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

Saint  Anselme  est  ainsi  revenu  à  son  point  de  départ,  «  Nisi 
credideritis  non  intelligetis  ».  Parti  de  la  foi  simple,  nous  di- 
rions presque  naïve,  il  a  abordé  de  sa  raison  curieuse  et  hardie, 
les  mystères  les  pins  insondables  de  la  religion  chrétienne. 
Quoiqu'il  ait  toujours  protesté  de  son  respect  pour  le  principe 
d'autorité,  il  côtoyait  inconsciemment  le  rationalisme  —  sans 
toutefois  y  tomber  — ,  en  prétendant  démontrer  par  la  seule 
raison  l'existence  do  la  Trinité  et  l'absolue  nécessité  de  l'In- 
carnation C'est  dire  que  dans  l'œuvre  de  saint  Anselme  la  rai- 
son tient  un  rôle  éminent.  Appuyée  sur  la  foi  et  les  vertus 
morales,  nourrie  par  le  travail  théologique,  la  raison  atteint, 
dès  cette  vie,  à  Vintelligence  des  vérités  étemelles.  Ici  Vintelli- 
gence  ne  désigne  pas  l'absolue  évidence  du  philosophe,  mais  plutôt 
la  foi  du  croyant,  qui,  de  simple  et  naïve  qu'elle  était  au  seuil  des 
recherches  scientifiques,  s'est  enrichie  des  conclusions  théolo- 
giques qui  sont  comme  des  illuminations,  des  révélations  supplé- 
mentaires, si  l'on  peut  ainsi  parler,  descendues  d'en  haut  pen- 
dant la  méditation  des  divins  mystères.  Tel  est,  ce  nous  semble, 
le  sens  de  la  formule  «  Credo  ut  intelligam  (1).  » 

On  comprend  aisément  que  la  théorie  dont  cette  formule  est 
comme  le  symbole,  porte  plutôt  à  confondre  la  raison  et  la 
foi,  la  philosophie  et  la  théologie,  qu'à  les  séparer  et  à  leur 
délimiter  scrupuleusement  un  domaine  propre.  Faut-il  en  conclure 
que  saint  Anselme  n'a  rien  fait  pour  la  solution  de  la  grave 
question  des  rapports  entre  la  science  et  la  foi?  Non;  ce  serait 
injuste;  à  la  vérité,  le  docteur  de  Cantorbéry  n'a  pas  distingué 
nettement  les  deux  ordres,  le  naturel  et  le  surnaturel  (2);  et, 
par  une  tendance  conforme  au  génie  néo-platonicien,  il  a  tr3p 


credimus  rationem  intueudam,  quantum  superna  gratia  mihi  dure  dignatur...  » 
Notons  aussi  cfue  peu  d'aimées  après  la  înort  d'Anselme,  Abélard,  d'une 
manière  plus  explicite,  prétendra  que  par  semblable  illumination  subjective, 
le  mystère  de  la  Trinité  a  été  révélé  à  quelques  philosophes  païens,  surtout 
à  Platon. 

1.  Notre  interprétation  concorde,  du  moins  dans  les  grandes  lignes,  avec 
celle  de  M.  Ch.  de  Rémusat.  S.  Anselme  de  Cantorbéry,  p.  463  sq.,  Paris, 
1853.  Il  est  intéressant  de  noter  que  Vintelligence  ainsi  comprise  a  plusieurs 
ajialogies  avec  le  don  de  l'intelligence  de  la  tliéologie  thomiste.  Sum.  iheol. 
l'-»  Ila-^    q.    VllI. 

2.  TuRNER.  Ristory  of  Philosophy,  p.  274.  Boston-London,  1903.  «  bt.  Ar.- 
selra  recognizes  that  they  (reason  and  faith)  cannot  contradict  each  other,  yet 
he  contends  that  each  lias  its  separate  sphère  ».  La  première  partie  de  ce 
jugement  nous  paraît  très  exacte;  mais  après  ce  que  nous  venons  de  dire,  on 
nous  pardonnera  de  trouver  trop  bienveillante  pour  Anselme  la  seconde 
partie  où  l'on  parle  des  sphères  séparées  de  la  foi  et  de  la  science. 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  535 

accordé  aux  argumentations  rationnelles  en  matière  trinitaire; 
mais,  l'un  des  premiers  parmi  les  docteurs  orthodoxes  du  moyen 
cage,  il  a  montré,  par  son  exemple,  combien  féconde  pour  la  dé- 
fense de  la  foi  est  l'application  de  la  philosophie  à  la  théologie. 
Cela  n'était  pas  d'un  mince  mérite  à  une  époque  où  les  hérésies 
de  Bérenger  et  de  Roscelin,  aussi  bien  que  les  anathèmes  de  saint 
Pierre  Damien,  pesaient  sur  la  méthode  dialectique. 

Mulhouse.  Th.  Heitz. 


Note 


L'aJlochirie  des  représentations  du  D"^   Janet. 

DANS  le  numéro  de  mars  1908  du  Journal  de  Psychologie  nor- 
male et  patJiologiqne,  le  D^  Janet  a  publié  un  article  sur 
un  cas  assez  rare  de  «  renversement  de  l'Orientation  ».  A  cer- 
taines périodes  de  fatigue,  une  femme  a  constamment  l'impres- 
sion que  tous  les  objets  sont  renversés  de  droite  à  gauche.  Elle 
les  perçoit  dans  leurs  rapports  réels.  Mais  il  lui  semble,  à  ne 
consulter  que  ses  souvenirs,  que  ces  rapports  devraient  être 
exactement  renversés. 

L'inter}:trétation  de  c^  cas  est  extrêmement  difficile.  Janet  essaie 
successivement  quatre  hypothèses,  auxquelles  ]\I.  Piéron,  dans 
une  discussion  soulevée  à  ce  sujet  à  la  «  Société  de  psycholo- 
gie »,  a  ajouté  une  cinquième.  Cette  dernière  a  été  écartée  pour 
le  sujet  en  question;  mais  cette  embarrassante  richesse  d'inter- 
prétations montre  à  toute  évidence  que  le  phénomène  reste  mys- 
térieux. Janet  semble  pencher  vers  une  «  allochirie  des  représen- 
tations ».  C'est  ingénieux;  mais  malgré  la  haute  autorité  de  son 
auteur,  l'hypothèse  reste  très  problématique.  Elle  ne  pourrait, 
dans  tou.^  les  cas,  qu'indiquer  la  raison  dernière  du  renversement. 
Immédiatement  un  problème  ultérieur  doit  se  poser.  La  base 
anatomique  et  physiologique  du  phénomène  nous  échappe  d'une 
manière  s:  complète  qu'il  serait  stérile  de  se  livrer  à  des  suppo- 
sitions qui  ne  pourraient  être  que  gratuites;  mais  ne  pourrait-on 
pas,  dans  la  xie  antérieure  du  sujet,  recueillir  des  documents 
psychologiques  qui  jetteraient  quelque  lumière  sur  la  source  pre- 
mière de  ce  renversement.  Celui-ci  ne  peut  être,  à  mon  sens,  que 
le  dernier  terme  d'un  processus  dont  les  phases  successives  mé- 
ritent toute  notre  attention,  en  raison  de  cette  forme  extrême 
qui  résiste  aux  efforts  des  théoriciens  les  plus  sagaces. 

Je  ciY)is  pouvoir  contribuer,  dans  une  mesure  restreinte,  à 
la  solution  du  problème,  en  rapportajit  les  faits  que  m'a  livrés 


NOTE  537 

mon  expérience  personnelle.  Je  suis  ici  à  la  fois  observateur  et 
sujet.  Tous  les  psychologues  savent  ce  que  cette  situation  offre 
d'avantages  et  d'inconvénients. 

Dès  mon  enfance  on  a  observé  chez  moi,  —  et  j'observais  à 
ma  confusion,  —  une  tendance  anormale  à  me  servir  de  la  main 
gauche.  Jamais  je  ne  suis  arrivé  à  jeter  une  balle  de  la  main 
droite.  Je  ne  suis  pas  gaucher  dans  toute  la  force  du  terme;  je 
n'ai  jamais  songé  à  faire  de  la  main  gauche  les  opérations  qu'on 
m'a  appris  à  faire  de  la  main  droite.  Seules  certaines  actions 
plus  ou  moins  instinctives  se  réalisent  mieux  à  gauche,  bien 
que  j'en  effectue  beaucoup  d'autres,  non  moins  naturelles  et 
spontanées,  à  droite.  Je  me  sers  plus  de  la  main  gauche  que  mes 
semblables,  voilà  tout  ce  que  je  puis  constater. 

Mais  très  tôt  un  second  fait  se  fit  jour.  La  facilité,  avec  laquelle 
tout  le  monde  distingue  la  droite  de  la  gauche,  fit  l'objet  de  mon 
étonnement  et  de  mon  admiration.  Jusqu'à  ce  moment  cette  dis- 
tinction n'a  chez  moi  rien  de  spontané,  rien  d'instinctif.  Lorsque, 
dans  une  ville  inconnue,  on  me  dit  de  prendre  une  rue  à  droite 
ou  à  gdache,  il  me  faut  une  véiiîable  réflexion,  peat-être  la  re- 
cherche d'une  association  stable,  pour  comprendre  la  portée  de 
ces  indications.  Si  je  suis  mis  en  demeure  d'indiquer  moi-même 
le  chemin  à  un  étranger,  il  me  faut  l'attention  la  plus  soutenue 
pour  rendre  ce  service.  La  droite  et  la  gauche  sont  très  nettement 
fixées  dans  mon  imagination;  mais  jamais  je  ne  suis  parvenu  à 
associer  à  ces  directions  précises  le  mot  correspondant. 

Ces  faits  .semblent  indiquer  une  certaine  anomalie  dans  le 
sens  de  l'orientation.  Mais  une  conséquence  assez  bizarre  mérite 
de  fixer  l'attention.  Jamais  je  n'ai  eu  la  moindre  tendance  à 
l'écriture  en  miroir  proprement  dite.  Cependant  par  hasard  j'ai 
découvert  que  pour  avoir  appris  à  écrire  comme  tout  le  monde 
de  la  main  droite,  je  pouvais,  sans  effort,  sans  exercice  préala- 
ble, écrire  de  la  main  gauche  «  en  miroir  ».  L'écriture,  redres- 
sée au  moyen  d'un  miroir,  est  un  peu  plus  maladroite,  un  peu 
plus  enfantine,  mais  elle  est  coulante  et  parfaitement  lisible;  et 
j'ai  eu  beaucoup  de  peine  à  convaincre  certains  observateurs 
que  cette  «  adresse  »  n'avait  pas  été  péniblement  acquise.  J'en 
ai  été  trèd  surpris  moi-même. 

Or,  l'état  psychologique  correspondant  à  cette  opération  n'in- 
dique rien  qui  fasse  songer  à  un  renversement  des  représentations. 
Je  ne  pandens  pas  du  tout  à  me  représenter  les  lettres  renver- 
sées; et  jo  crois  que  cette  image  visuelle  ne  me  servirait  à  rien. 


o38         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Il  me  faut  savoir  ce  que  je  dois  écrire;  j'en  ai  l'image  auditive 
et  l'image  motrice;  et  celle-ci  se  réalise  presque  indifféremment 
dans  le  bras  droit  en  écriture  normale,  ou  dans  le  bras  gauche 
en  écriture  en  miroir.  Je  suis  incapable  d'écrire  de  la  main  gau- 
che en  écriture  normale. 

Kous  sommes  donc  en  présence  d'une  véritable  adresse  ac- 
quise par  la  main  gauche,  sans  exercice  préalable,  en  raison 
d'une  habileté  acquise  par  la  main  droite.  C'est  là  un  fait  émi- 
nemment suggestif  à  plusieurs  points  de  vue;  mais  qui  en  ce 
moment  nous  mène  au  moins  à  cette  conclusion  :  chez  un  sujet, 
présentant  une  certaine  tendance  vers  «  l'action  à  gauche  »,  il 
se  produit  un  renversement  aJlochirique  de  la  mjtri^ité  sans  ren- 
versement de  la  représentation  A-isuelle. 

Voilà  en  quelque  sorte  les  antécédents  du  phénomène.  Il  y  a 
quelques  semaines,  alors  que  je  n'avais  aucune  connaissance  de 
l'observation  du  D^  Janet,  je  me  rends  dans  une  église  où  l'on 
m'avait  signalé  des  vitraux  remarquables.  J'étais  extrêmement 
fatigué,  et  je  n'avais  en  vue  qu'un  délassement.  L'œuvre  était 
trop  compliquée,  trop  modern-style,  pour  se  prêter  à  une  analyse 
superficielle.  Ke  voulant  imposer  à  mon  cerveau  aucun  nouveau 
labeur,  je  renonce  à  examiner  un  travail  d'une  valeur  réelle,  et 
sors  de  l'édifice.  Ses  abords  me  sont  extrêmement  familiers.  Or, 
au  moment  où  je  revenais  à  la  pleine  lumière  du  jour,  j'eus  l'im- 
pression très  angoissante  du  «  renversé  ».  Je  voyais  la  rue,  les  mai- 
sons, les  magasins,  une  grande  banque,  une  autre  église  dans 
leur  position  réelle;  j'avais  même  une  vague  appréciation  que  les 
choses  devaient  être  ainsi;  mais  je  m'attendais  malgré  cela  à 
trouver  tout  dans  la  disposition  inverse.  Je  n'étais  pas  dans  un 
état  bien  favorable  à  l'introspection.  Il  se  peut,  —  et  un  vague 
souvenir  semble  confirmer  cette  supposition,  —  qu'aprè-s  l'im- 
pression première  je  me  sois  efforcé  de  me  représenter  les  lieux 
en  «  renversé  »  pour  comprendre  à  quoi  je  m'attendais.  Je  pense 
que  ces  efforts  sont  restés  stériles  et  ont  contribué  à  faire  dispa- 
raître l'illusion.  Mes  souvenirs  sont  vagues  à  ce  sujet.  Mais  je 
crois  me  rappeler  nettement  que  ma  représentation  n'était  point 
renversée  au  moment  même  où  le  phénomène  s'est  produit.  Com- 
me je  le  constatais  tantôt  j'avais  même  une  vague  appréciation 
que  les  lieux  étaient  disposés  normalement. 

A  la  suite  de  cette  observation  un  point  me  parait  établi.  L'hy- 
pothèse de  Janet  est  parfaitement  possible;  mais  je  ne  pense  pas 
que  mou  cas  la  vérifie  :  je  crois  pouvoir  certifier  que  je  n'ai  ja- 


NOTE  539 

mais  été  sujet  à  une  allochirie  des  représentations.  —  Inutile 
d'ajouter  que  la  théorie  de  Binet,  —  une  erreur  d'orientation  de- 
venue une  idée  fixe,  —  ne  s'appliqiie  pas  davantage. 

Si  je  n'avais  à  examiner  que  mon  observation  personnelle, 
je  serais  fort  tenté  d'en  donner  l'interprétation  suivante.  Mon 
expérience  antérieure  paraît  indiquer  que,  la  représentation  res- 
tant normale,  la  «  motricité  »,  pour  un  motif  inconnu,  a  une 
certaine  tendance  à  se  renverser.  Peut-être  la  fatigue  a  pour  effet 
de  provoquer  instinctivement  cette  inversion.  Spontanément  j'au- 
rais une  tendance  à  ménager  le  «  côté  fatigué  ».  J'ai  constaté 
que,  lorsque  le  phénomène  s'est  produit,  j'étais  dans  un  état  de 
fatigue  extrême;  et  bien  que  cette  fatigue  fût  surtout  cérébrale, 
il  va  sans  dire  qu'elle  impliquait  celle  d'une  foule  d'énergies  as- 
sociées. 

J'avais  donc,  à  ce  moment,  une  tendance  sous-consciente  d'agir 
de  «  l'autre  côté  ».  L'innervation  se  produit  sous  l'empire  de 
cette  tendance  ignorée,  et  aboutit  à  une  action  qui  suppose  un 
renversement  total  de  l'entourage.  La  disposition  réelle  des  lieux 
exige  une  activité  contraire  à  celle  qu'impose  l'instinct.  Celui-ci 
«  voudrait  »  que  les  lieux  fussent  renversés.  De  là  à  un  juge- 
ment, à  une  impression,  à  une  illusion  de  renversement,  il  n'y 
a  pas  une  très  grande  distance  psychique.  —  Le  «  renversement 
de  l'orientation  »  serait  donc  dû  au  renversement  de  la  motricité, 
sous  l'influence  de  la  fatigue,  chez  un  sujet  prédisposé. 

Tout  cela  n'est  évidemment  que  théorie  et  hypothèse;  mais 
il  me  semble  que  cette  supposition,  à  base  expérimentale  évi- 
demment trop  étroite,  pourrait  servir  de  fil  directeur  dans  l'obser- 
vation méthodique  du  sujet.  Il  importe  surtout  de  rechercher  les 
antécédents  du  phénomène;  il  faudrait  constater  si  le  sujet  ne 
présente  pas  des  anomalies  analogues  à  celles  que  je  me  suis 
permis  de  constater. 

Fr.     M.     P.     DE    MUNNYNCK, 

Professeur  à  l'Université  de  Fiibourg  (Suisse). 
Bonn,  avril  1908 


Bulletin  de  Philosophie 


VI 

MORALE 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  rendre  compte,  dans  ce  Bulletin, 
de  tous  les  livres  et  articles  relalifs  aux  questions  morales  qui 
ont  paru,  en  France  et  à  l'étranger,  depuis  une  année  environ.  Notre 
but  est  uniquement  de  mettre  les  lecteurs  de  la  Bévue  au  courant  des 
idées  principales  qui  dominent  tous  les  systèmes  de  morale  à  l'heure 
actuelle,  et  de  voir,  parmi  tant  d'opinions  divergentes,  quelles  sont 
celles  qui  ont  chance  de  survivre  aux  attaques  dont  elles  sont  l'objet,  et 
de  rallier  l'élite  des  suffrages.  Après  avoir  traité  des  rapports  de  la 
Morale  el  de  la  Science,  nous  dirons  un  mot  de  ïéducalion  morale,  et  des 
Traités  principaux  consacrés  à  cette  question. 

T.  —  La  Morale  et  la  Science. 

La  question  des  rapports  de  la  morale  et  de  la  science  est  entrée  dans 
une  phase  nouvelle.  Il  n'est  sans  doute  personne  qui  oserait  soutenir 
que  la  morale  pût  se  passer  absolument  du  concours  de  la  science  ; 
mais  autant  certains  sociologues  ont  mis  naguère  d'ardeur  à  démontrer 
que  la  science  seule  est  appelée  à  fonder  la  morale,  autant  d'autres 
sociologues  essayent  aujourd'hui,  à  coups  de  dialectique  et  d'érudition, 
de  prouver  le  contraire.  On  peut  même  ajouter,  sans  aucune  exagé- 
ration, qu'à  de  très  rares  exceptions  près,  ils  s'entendent  tous  sur  ce 
point,  comme  sur  celui  de  savoir  si  la  morale  individuelle  ne  doit  pas, 
pour  avoir  son  véritable  sens,  s'épanouir  en  morale  sociale. 

I.  —  La  morale  scientifique. 

A  en  croire  M.  Durkheim,  la  morale  scientifique,  née  d'hier,  était  appe- 
lée à  un  grand  avenir.  Or,  on  a  démontré  depuis  que  cette  morale,  déjà 
fort  ancienne,  était  au  surplus  mort-née. 

Dans  la  préface  de  la  seconde  édition  des  Bègles  de  la  méthode  socio- 
logique, M.  Durkheim  affirmait  notamment  qu'au  moment  où  parut  son 
ouvrage,  «les  idées  courantes  furent  comme  déconcertées  »  (1),  ce  qui 
laissait  clairement  entendre  qu'avant  lui    personne,    parmi  les  socio- 

1.  Durkheim  :  Règles  de  la  méthode  sociologique;  Paris,  Alcan,  2c  éd., 
p.    IX. 


BULLETIN    DE   PHILOSOPHIE  541 

logues,  n'avait  eu  Tidée  d'une  méthode  sociologique  aboutissani  à  la 
créalion  d'une  morale  scientifique.  M.  Simon  Deploige,  dans  plusieurs 
articles  très  nourris  de  la  Revue  Néo-Scolastique,  sur  le  conflit  de  la 
morale  et  de  la  sociologie,  fui  amené  à  s'occuper  des  idées  de  M.  Dur- 
kheim,  et  à  se  poser  celle  question  :  Quelle  est  —  pour  autant  qu'on 
puisse  l'établir  par  les  données  contrôlables  —  l'origine  des  matériaux 
entrés  dans  sa  construction  sociologique  ?  La  réponse  fut  que  les  élé- 
ments de  son  système  sont  en  partie  de  provenance  allemande  (1).  Là- 
dessus,  M.  Durkheim  s'émut,  et  écrivit  au  directeur  de  la  Reçue  Néo- 
Scolastique  (20  Octobre  1907)  pour  se  plaindre  qu'on  l'eût  accusé  de 
.«plagiat»  et  d'abus  de  confiance  à  l'égard  de  ses  con)patriotes,  alors 
que  personne,  en  France,  ne  s'était  employé  plus  que  lui  à  faire  con- 
naître les  travaux  allemands.  A  cette  lettre,  M.  Deploige  répondit  qu'il 
avait  étudié  l'œuvre  et  non  l'ouvrier,  qu'il  s'était  borné  à  déterminer 
l'origine  des  idées  amalgamées  dans  le  système  de  M.  Durkiieim,  sans 
suspecter  les  intentions,  ni  mettre  en  doute  la  probité  de  l'écrivain; 
qu'en  dépit  des  protestations  et  rectifications  de  l'auteur  des  Règles  de 
la  Méthode  sociologique,  il  maintenait  ses  conclusions.  Nous  n'avons  pas 
à  entrer  dans  les  détails  de  cette  polémique,  mais  nous  sommes  obligés 
de  constater  que  M.  Durkheim  n'a  réfuté  aucun  des  arguments  apportés 
par  M.  Deploige,  et  qu'il  demeure  établi  que  la  conception  d'une  socio- 
logie à  base  exclusivement  scientifique,  d'une  morale-science,  quoi  qu'en 
dise  M.  Durkheim,  ne  date  pas  de  lui.  «  Les  influences  contrôlables  que 
»  M.  Durkheim  a  subies  sont,  par  ordre  de  date,  d'abord  celle  de 
»  M  Espinas,dont  les  travaux  parurent  en  1875,  1878  et  188"2,et  celle  de 
»  Schaeffle,  dont  M.  Durkheim  résuma  le  Bau  und  Lehen,  dans  la  Revue 
»  Philosophique  de  janvier  1885  ;  puis  celle  de  M.  Wagner  et  de 
•>  M.  SchmoUer,  qu'il  étudia  en  1887  dans  la  même  Revue  Philoso- 
»  phique  »  (2). 

D'ailleurs,  que  la  morale  scientifique  soit  éclose  dans  des  cerveaux 
allemands  ou  dans  celui  de  M.  Durkheim,  c'est  une  morale  mort-née, 
déclare  catégoriquement  M.  Bayet  (3).  Car  il  n'y  a  rien  de  plus  anti- 
scientifique que  le  concept  d'une  morale  scientifique,  autrement  dit  d'une 
morale  qui  prendrait  uniquement  la  science  pour  base.  «  L'effort  du 
»  savant,  sur  quelque  point  de  la  réalité  qu'il  se  porte,  est  d'ordre  théo- 
»  rique  et  non  normatif.  Ce  qu'il  cherche,  ce  n'est  pas  une  raison  d'agir, 
»  un  but,  un  précepte,  c'est  la  loi  des  phénomènes,  l'ordre  de  leur  suc- 
»  cession  »  (p.  10).  Demander  à  la  science  un  impératif  quelconque, 
c'est  lui  demander  ce  qu'elle  ne  saurait  nous  donner,  sans  cesser  d'être 
la  science  (p.  27).  Il  est  vain  d'imaginer  que  la  sociologie  nous  donnera 
un  jour  une  morale.  Plus  elle  s'étendra,  plus  elle  nous  fera  connaître 
les  faits  sociaux  et  leurs  rapports  ;  jamais  elle  ne  nous  dira  :  fais  ceci 
ou  fais  cela.  Le  jour  oîi  elle  nous  le  dirait,  elle  aurait  cessé  d'être  une 
science  (p.  1 1  ). 


1.  Bévue    néo-scolasiique  ;    août    1907;    cf.    ihid.,    nos    de    novembre    1905; 
février,    mai,    août   1906. 

2.  Bévue    néo-scolastique;    novembre    1907. 

3.  Bayet  A.  L'Idée  de  Bien,  Paris,  Alcan,   1908;  in-8o,  233  p. 


o42         REVUS   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

Mais  si  Tintroduction  de  l'esprit  scientifique  en  morale  ne  doit  pas 
nous  permettre  d'aboutir,  par  la  science  positive,  à  la  morale  vraie, 
quelles  en  sont  donc  les  conséquences,  et  quel  en  est  l'intérêt? 

a).  La  science  et  Vart  moral  rationnel.  —  Il  faut,  en  morale  comme 
ailleurs,  répond  M.  Bayet,  distinguer  avec  soin  le  point  de  rue  théorique 
et  le  point  de  vue  pratique,  l'étude  de  la  réalité  et  l'action  sur  la  réalité. 
la  science  et  l'art.  A  la  science  il  appartient  d'étudier  les  faits  moraux 
en  les  considérant  comme  des  choses,  et  d'en  découvrir  les  lois.  A  l'art 
il  appartient  d'utiliser  la  connaissance  des  lois  morales  pour  modifier  la 
réalité.  L'art  ne  peut  donner  de  résultats  utiles  que  s'il  est  armé  par  la 
science.  Mais  la  science  ne  peut  grandir  que  si  elle  se  désintéresse  des 
considérations  pratiques,  si  elle  s'abstient  avec  soin  d'usurper  le  rôle  de 
l'art. 

A  son  point  de  départ,  le  système  de  M.  Bayet  ne  diffère  pas  sensible- 
ment de  celui  de  M.  Durkheim,  repris  et  amendé  par  M.  Lévy-Bruhl.  Ce 
dernier  surtout  s'était  appliqué  à  montrer  que  la  Science  des  Mœurs  n'a 
pas  à  répondre,  comme  science,  à  nos  besoins  pratiques  ;  que  sa  fonc- 
tion se  limite  à  connaître  les  faits  avec  le  plus  de  précision  possible,  et 
à  en  rechercher  les  lois  ;  que  l'art  rationnel  seul,  fondé  sur  la  science 
des  mœurs,  a  pour  mission  de  diriger  notre  action.  Mais  le  tort  de 
M.  Lévy-Biuhl,  aux  yeux  de  M.  Bayet  —  comme  d'ailleurs  celui  de 
M.  Durkheim.  —  a  été  de  croire  qu'entre  la  science  des  mœurs  et  l'art 
moral  rationnel,  il  n'y  a  pas  place  pour  un  intermédiaire  ;  que  plus  la 
«  nature  sociale  »  nous  sera  révélée  par  la  science,  plus  l'art  rationnel 
s'en  rendra  maître  pour  la  modifier  (1).  Sans  doute,  réplique  M.  Bayet, 
l'office  propre  de  l'art  moral  est  de  modifier  la  réalité  ;  mais  en  atten- 
dant que  la  science  en  découvre  les  lois,  et  même  lorsqu'elle  les  aura 
toutes  découvertes,  au  nom  de  quoi  l'art  moral  y  introduira-t-il  ses 
modifications?  Si  l'on  veut  que  l'art  moral  améliore  un  état  donné  des 
idées  et  des  mœurs,  n'est-il  pas  indispensable  qu'il  soit  dirigé,  dans  ses 
interventions,  par  une  idée  du  bien,  du  mieux,  du  mal  ?  Nous  voici  au 
point  central  de  la  thèse  de  M.  Bayet.  1°  L'existence  d'un  art  moral, 
rationnel  ou  non,  suppose  l'existence  d'une  idée  de  bien,  qui  peut 
d'ailleurs  être  multiple,  diverse  et  contradictoire.  Cette  idée  n'est  pas 
nécessairement  claire  et  définie  pour  les  praticiens  qui  s'en  inspirent  : 
mais,  en  fait,  elle  les  anime,  car  si  rien  ne  les  poussait  à  l'action,  ils 
n'agiraient  pas.  2°  La  science  ne  peut  pas  nous  donner,  pour  diriger 
l'art  moral  rationnel,  des  principes  d'action  scientifiques.  Les  lui 
demander  serait  faire  renaître  la  confusion  des  points  de  vue  théorique 
et  normatif.  3°  Mais  pourquoi  demander  à  la  science  ce  que  nous  avons 
déjà?  Sous  des  formes  nombreuses  et  diverses,  l'idée  de  bien  existe  en 
chaque  société.  Cesi  un  fait.  La  science  peut  l'étudier,  non  le  suppri- 
mer, ou  le  condamner.  L'art  moral  rationnel  sera  donc,  en  fait,  animé 
par  l'idée  de  Bien  qui  l'entoure,  et  dont  la  réalité  s'impose  au  praticien, 
il  n'en  sera  pas  moins  rationnel,  car  la  rationalité  dans  l'art  tient  à 
l'emploi  de  moyens  donnés,  mais  non  pas  au  choix  de  tel  ou  tel  prin- 


1.  Lévy-Bruhl  :  La  Morale  et  la  Science  des  Mœurs,  Paris.  Alcan,  1907; 
ch.    HT,    §    1,    sqq. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  oi',\ 

cipe.  i"  Ae  bien  est,  en  chaque  pays,  à  chaque  instant,  ce  que  les  cons- 
ciences collectives  jugent,  implicitement  ou  explicitement,  être  bon.  Ces 
jugements  des  consciences  collectives  ne  valent  jamais  que  pour  un 
lem|)S.  Les  idées  de  bien  qu'ils  déterminent,  pareilles  à  des  êtres  vivants, 
naissent,  grandissent,  vieillissent,  et  meurent.  5''  La  diversité  des  prin- 
cipes pratiques,  qui  est  de  nature  à  compromettre,  non  la  rationalité  de 
Tart,  mais  la  rapidité  de  ses  progrès,  sera  atténuée,  ou  du  moins  pourra 
l'être,  par  l'influence  de  la  science  et  de  l'esprit  scientifique.  La  science 
ne  peut,  directement  ni  indirectement,  suggérer  aux  praticiens  des 
principes  normatifs.  Mais,  chargée  d'étudier  ces  principes  comme  des 
choses,  elle  en  peut  prévoir  le  destin. 

Il  serait  difficile,  croyons-nous,  de  pousser  plus  loin  la  «  relativité  » 
dç  la  morale.  A  cette  question  posée  au  début  de  son  ouvrage  :  quels 
pourront  être,  quels  seront,  en  fait,  les  principes  de  l'art  moral  ration- 
nel, M.  Bayet  répond  :  ces  j)rincipes  seront,  à  chaque  instant,  les 
principes  réels.  S'ils  sont  divers  et  contradictoires.  Fart  sera  divers  et 
contradictoire.  La  science  ne  peut,  pour  réaliser  l'unité,  élire  ou  imagi- 
ner un  principe  scientifique. 

On  peut  savoir  gré  à  M.  Bayet  d'avoir  péremptoirement  démontré 
l'impuissance  totale  de  la  science  à  fonder  la  morale,  mais,  à  cela  près, 
je  ne  vois  pas  que  l'auteur  ait  démontré  quoi  que  ce  soit  dans  son 
ouvrage.  Il  affirme  que  le  bien  est,  en  chaque  pays,  à  chaque  instant, 
ce  que  les  consciences  collectives  jugent,  implicitement  ou  explicitement, 
être  bon.  Mais  une  pareille  affirmalion  ne  se  passe  point  de  preuves. 
Qu'est-ce  qui  fait  la  «  collectivité  »  de  ces  consciences  dont  parle 
M.  Bayet  ?  Le  nombre  sans  doute?  Alors  nous  voici  revenus  à  la  loi  du 
plus  fort.  Et  si  c'est  la  qualité  elle-même  de  l'idée  de  bien  qui  donne  sa 
valeur  morale  au  jugement  de  la  conscience  collective,  c'est  donc  qu'il 
y  a  une  autre  norme  du  jugement  de  valeur  que  la  collectivité  elle- 
même  ?  M.  Bayet  croit  se  tirer  d'affaire  en  disant  que  cette  façon  d'en- 
visager le  bien  est  un  fait,  et  qu'on  n'a  qu'à  s'incliner  devant  un  fait. 
Sans  doute,  mais  il  peut  y  avoir  d'autres  façons  de  l'interpréter,  et  d'en 
tirer  des  conséquences. 

b).  La  science  et  la  morale  de  Vintérèt  social.  ■ —  Dans  ses  Etudes  de 
Morale  Positive  (1)  que  nous  avons  analysées  ici  même,  l'an  dernier, 
M.  Belot  admet  lui  aussi  que  la  science  est  incapable  de  fonder  la 
morale;  il  admet  en  outre  que  la  morale  s'applique  à  la  réalité  présente, 
et  qu'étant  donné  les  fins  actuelles  qui  s'imposent  à  l'activité 
humaine,  elle  a  à  déterminer  les  moyens  les  meilleurs  de  les  réaliser. 
Mais  il  ne  conclut  pas  pour  autant  à  la  relativité  absolue  de  la  morale, 
comme  le  fait  M.  Bayet.  Voici,  d'après  M.  Cantecor,  quelle  est  la  carac- 
téristique du  système  présenté  par  M.  Belot  (2).  Au-dessus  des  fins 
particulières  qui  momentanément  s'imposent  à  une  portion  de  l'huma- 
nité, il  existe  une  fin  qui  les  domine  et  les  explique  toutes,  et  s'impose  à 
l'humanité  entière  :  faire  exister  la  société.  Pour  le  prouver,  en  un 
temps  oîi  tout  doit  se  faire  objectivement,  scientifiquement,  il  suffit 


1.  Paris,  ALcaii,  1907;  1    vol.,  in-8°  VII-524  p. 

2.  Revue    de    Métaphysique    et    de    Morale,    janvier    1908. 


344  HEVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

den  appeler  à  la  science.  C'est  par  une  induction  fondée  sur  les  données- 
de  l'histoire  et  de  l'ethnologie,  que  l'on  établira  que  la  considération  de 
l'utilité  sociale  a  toujours  été  le  principe  des  jugements  moraux  de 
l'humanité.  Ainsi  la  morale  sera  fondée,  car  elle  se  constate,  et  ne  se 
construit  pas. 

Ce  système  de  M.  Belot  a  séduit  M.  Parodi,  qui  écrit  dans  la  Revue 
Philosophique  (1 1  :  u  La  conception  de  la  morale  qui  nous  est  ici  pro- 
»  posée  est  ferme  et  compréhensive  ;  elle  a  le  grand  mérite  de  ne  pas 
»  masquer,  par  esprit  de  système,  la  complexité  de  la  question  et  de 
«  tenir  compte  de  tous  ses  aspects;  elle  aboutit  à  une  synthèse  vigoureuse 
»  à  force  de  modération  et  d'une  originalité  discrète,  mais  très  réelle  et 
«  très  profonde,  dans  son  apparent  éclectisme.  «  M.  Cantecor  n'y  veut 
voir  au  contraire  qu'un  rajeunissement  du  vieil  utilitarisme,  dont  la 
formule  et  la  méthode  seules  auraient  été  mises  au  goût  du  jour. 
D'après  lui,  M.  Belot  s'est  visiblement  préoccupé  de  limiter  le  rôle  du 
rationalisme  en  morale  ;  il  exécute  en  quelques  phrases  dédaigneuses 
les  morales  de  pure  raison  comme  l'Onlologisme  ou  la  Critique  :  et  il 
leur  oppose  triomphalement  une  méthode  plus  moderne,  plus  scienti- 
fique, plus  objective,  et  vraiment  positive.  Mais  cette  méthode  soi-disant 
scientifique  n'a  pas  permis  à  M.  Belot  de  constituer  une  morale  plus 
solide  que  celle  des  métaphysiciens.  Au  contraire,  la  superstition  de 
l'objectivité  et  de  la  science  l'a  empêché  de  déterminer  les  conditions 
d'une  vraie  morale  avec  une  suffisante  netteté,  et  d'en  poser  les  principes 
avec  une  suffisante  certitude.  Le  rationalisme  en  est  justifié  pour  autant, 
et  c'est  de  quoi  M.  Cantecor  a  l'air  de  se  réjouir  fort  (2). 

Un  autre  aspect  de  Vutililarisme  social  nous  est  présenté  par  M.  Has- 
TiNGS  Rasudall  daus  sa  Théorie  du  Bien  et  du  Mal  (3j,  celui-là  même 
que  M.  Landry  a  essayé  de  mettre  en  valeur,  dans  ses  Principes  de 
morale  rationnelle  (4),  par  la  conciliation  du  formalisme  de  Kant  et  de 
l'utilitarisme  empirique.  M.  Hastings  Rashdall  reprend  pour  son 
compte,  en  la  justifiant,  cette  assertion  de  Kant,  suivant  laquelle  «  l'ap- 
»  probation  morale  est  un  jugement  de  l'intelligence,  et  non  pas  un 
»  sentiment.  »  D'autre  part,  il  admet  que  le  sentiment  et  l'émotion 
jouent  un  certain  rôle  dans  la  formation  des  jugements  moraux.  Le  tort 
de  l'Hédonisme  consiste  à  prétendre  que  le  sentiment,  l'émotion,  le 
plaisir,  sont  les  motifs  déterminants  de  ces  jugements,  comme  celui  du 
formalisme  est  de  soutenir  qu'ils  n'y  ont  aucune  part.  D'après  l'auteur 
le  jugement  moral  —  qui  est  un  jugement  de  valeur  —  est  un  acte  de 
l'intelligence  pratique.  L'intelligence  lui  donne  une  universalité  et  une 
objectivité  que  les  simples  émotions  seraient  impuissantes  à  lui  com- 
muniquer. Mais  il  reste  vrai  que  le  sentiment  se  retrouve  toujours  à  la 
racine  du  jugement  moral. 

Après  avoir  ainsi  délimité  les  champs  respectifs   de   la   raison  et   du 


1.  Revue   Philosophique,   octobre    1907. 

2.  Revue   de  Métaphysique   et   de  Morale,   janvier    1908,    p.    79. 

3.  Hastings  Rashdall.  The  theory  of  Good  and  Evil;  Oxfoord,     Clarendon 
Fress,    1907;    2  vol.    in-8o,   XX-312   et   XV-464    pp. 

4.  Paris,  Alcan,  1906,  1  vol.  ill-8^  X-278  p. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  545 

sentiment,  l'auteur  propose  sa  théorie  du  critère  moral,  qu'il  qualifie 
«  d'utilitarisme  idéaliste  »,  utilitarisme,  puisque  nous  n'apprécions  nos 
actes  qu'en  raison  de  leur  tendance  à  promouvoir  le  bonheur  humain  ; 
idéaliste,  si  ce  bonheur  nous  est  donné  par  des  jugements  de  valeur 
rationnels  faits  sur  tous  les  éléments  de  notre  expérience  actuelle. 

Dans  le  second  livre  de  son  ouvrage,  M.  Hastings  Rashdall  étudie  les 
rapports  réciproques  de  V individu  et  de  la  société.  II  rejette  la  conception 
hédoniste  des  fins  morales  :  le  plaisir  est  un  bien,  mais  n'est  pas  le  bien. 
La  conscience  morale  affirme  que  certains  biens  sont  intrinsèquement 
supérieurs  à  d'autres  en  valeur  morale.  Le  plus  haut  bien  est  la  vertu. 
Toute  vertu  consiste  finalement  à  promouvoir  le  bien  social.  Mais  cela 
ne  doit  pas  se  faire  aux  dépens  de  l'individu.  Au  contraire  r autonomie 
individuelle  (Self-realization),  V individualité  morale.,  est  la  meilleure 
garantie  du  bonheur  social  (Gonjunct-self). 

Le  livre  troisième  est  consacré  à  «  la  métaphysique  de  la  moralité  »  ; 
aux  rapports  de  la  Religion  et  de  la  Morale,  aux  questions  du  Libre 
Arbitre,  de  l'Évolution,  de  la  Casuistique.  La  Morale,  en  tant  que  système, 
suppose  un  certain  nombre  de  postulats  métaphysiques.  Une  religion 
supra-morale  (telle  que  la  soutiennent  Bradley,  Hartmann,  Taylor)  est 
inadmissible.  Mais  si  l'on  réduit  en  un  sens  la  religion  et  la  moralité, 
c'est  que  l'on  élargit  le  concept  de  la  vie  morale  de  manière  à  y  com- 
prendre toute  l'expérience  consciente,  intellectuelle  et  esthétique,  aussi 
bien  que  morale.  En  ce  qui  regarde  le  problème  du  Libre  Arbitre, 
M.  Rashdall  estime  que  r  indéterminisme  est  en  contradiction  avec  le  sens 
commun.  D'autre  part,  il  critique  longuement  les  thèses  spencériennes 
sur  l'évolution  morale,  telles  que  la  formation  de  l'idée  du  devoir,  la 
constitution  héréditaire  des  intuitions  morales,  le  critère  scientifique  de 
la  conduite,  r  individualisme.  D'une  façon  générale,  il  estime  que 
l'histoire  des  origines  ne  peut  fournir  une  explication  suffisante  de  la 
moralité  actuelle. 

C'est  encore  la  doctrine  de  l'intérêt  social  que  défend  M.  Carrel  lors- 
qu'il nous  présente  le  perfectionnement  de  la  race,  comme  le  seul  but 
capable  de  donner  à  la  sociologie  sa  valeur  morale  (1).  S^ns  ce  but,  la 
sociologie  se  réduit  à  une  simple  statistique.  Aussi  bien  serait-il  oppor- 
tun de  diviser  la  sociologie  en  deux  sections,  dont  la  première  (Moral 
Sociology)  embrasserait  toutes  les  études  relatives  aux  coutumes  qui 
sont  de  nature  à  améliorer  la  race  humaine,  et  la  seconde  (Statistical 
Sociology)  le  reste.  Cette  dernière  section,  très  délimitée,  constituerait 
à  proprement  parler  la  sociologie. 

M.  R.  KiDD,  dans  un  article  de  la  Rivista  di  Scienza  (2),  ne  se  propose 
pas,  comme  M.  Carrel,  d'opposer  la  sociologie  à  la  morale  sociologique, 
mais  d'en  analyser  les  deux  lois  principales.  Voici  l'énoncé  de  la  pre- 
mière :  Les  qualités  que  développe  premièrement,  chez  l'individu,  le 
processus  social,  ne  sont  pas  d'ordre  individuel,   mais  social.   En  vertu 


1.  F.  C.^.RREL.    —    Has    Sociology    a    Moral    basis?    Internat.    Journal    of 
Ethics,   Jxdy   1907. 

2.  B.    KiDD.    —    The   two   principal   laws   of  sociology.    Bivista    di    Scienza 
I,    4. 

2=  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  3.  ,- 


546         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

de  ce  processus,  ce  n'est  pas  l'individu,  comme  tel,  mais  bien  la  société 
qui  est  perfectionnée  dans  sa  lutte  pour  un  état  organique  plus  parfait. 

Comme  on  le  voit,  la  grande  préoccupation  des  sociologues  à  l'heure 
actuelle  est  de  délimiter  la  part  qui  doit  revenir  à  la  science  et  à  la 
morale  dans  la  constitution  de  la  sociologie.  De  Vaveu  de  tous  la  science 
est  impuissante  à  fonder  la  morale.  Mais  où  trouver  le  principe  d'action 
qui  permettra  aux  sociologues  de  diriger  le  progrès  social  dans  un  sens 
plutôt  que  dans  un  autre?  Nous  n'avons  pas  à  nous  préoccuper  de 
cette  question,  répond  M.  Bayet.  L'idée  de  bien  est  un  fait  qui,  même  à 
leur  insu,  inspire  les  praticiens  dans  leur  marche  en  avant.  Tâchons 
seulement  de  le  saisir,  de  le  comprendre,  et,  à  l'aide  de  la  science,  de 
prévoir  son  destin.  C'est  proprement  en  quoi  consiste  Vart  moral  ration- 
nel. M.  Belot  n'est  point  de  cet  avis.  Selon  lui  le  principe  d'action  existe, 
mais  il  n'est  pas  multiple,  divers,  contradictoire,  comme  l'aflirme 
M.  Bayet.  Il  se  nuance  sans  doute  à  Finfini  dans  ses  manifestations 
extérieures,  mais  depuis  toujours  il  est  resté  le  même  dans  son  fond. 
C'est  le  principe  de  l'intérêt  social. 

c)  La  Science  et  la  Morale  de  la  Solidarité.  M.  Bouglé,  après  M.  Belot, 
nous  en  donne  une  troisième  formule  :  le  Solidarisme  (l).  Au  fait, 
M.  Bouglé  se  présente  à  nous  comme  le  philosophe  officiel  de  la  Solida- 
rité. Il  y  consacre  trois  ouvrages,  dont  le  dernier  surtout  nous  intéresse. 
Dans  les  Idées  égalitaires,  il  constate  comme  un  fait  la  tendance  actuelle 
à  l'égalitarisme,  mais  en  se  défendant  de  le  justifier  :  «  Nous  avons 
»  prouvé  que  l'idée  de  l'égalité  résulte  logiquement  des  transformations 
»  réelles  de  nos  sociétés;  ce  n'est  pas  prouver  du  même  coup  qu'elle  doit 
»  moralement  les  commander.Après  tout, il  se  peut  que  toute  une  civili- 
»  sation  erre  et  fasse  fausse  route.  »  (2)  Cependant,  après  avoir  présenté 
comme  un  fait  les  idées  d'égalité  et  de  solidarité,  il  restait  à  montrer 
qu'elles  s'imposent  comme  un  fait,\inefin,  un  idéal,  La  démocratie  devant 
la  science  (3)  fut  écrit  par  M.  Bouglé  à  cette  intention.  Voici  comment 
M.  Gaston  Richard,  dans  la  lievue  Philosophique,  jugeait  ce  livre  :  «  En 
»  l'écrivant,  M.  Bouglé  n'a  pas  seulement  donné  à  ses  Idées  égalitaires 
»  un  complément  indispensable,  il  a  fait  une  œuvre  excellente  et  oppor- 
»  lune,  moins  en  brisant  les  armes  débiles  empruntées  par  l'opposition 
»  néo-monarchique  à  une  anthropologie  mal  comprise,  qu'en  mettant  la 
»  démocratie  sociale  en  garde  contre  son  culte  du  naturalisme,  et  sa 
»  prétention  de  fonder  l'éducation  publique  sur  une  morale  exclusive- 
»  ment  scientifique.  »(4)  La  conclusion  de  M.  Bouglé  était  que  la  science 
ne  peut  rien,  ni  pour,  ni  contre  la  doctrine  solidarisle  ;  que  cette  morale 
repose  sur  des  bases  supra-scienti fiques.  Mais  encore  fallait-il  nous  dire 
quelles  sont  ces  bases,  et  si  la  science,  qui  n'en  est  pas  une,  n'a  cepen- 
dant rien  à  voir  avec  elles  ?  Le  Solidarisme  fut  la  réponse  à  cette 
double  question.  M.  Bouglé  y  soutient  en  propres  termes  que  la  morale 
solidariste    est  fondée  sur  un  critérium  subjectif,  à  savoir  le  sentiment 


1.  C.    B.    Bouglé  :    Le    Solidarisme,    Paris,    Giard    et    Brière,     1907. 

2.  J liées   égalitaires,   Paris,   Alcan;   p.   247. 

3.  Paris,  Alcan. 

4.  Revue   Philosopliiqiie,   décembre    1906,   p.    658. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  547 

de  la  justice,  et  que  la  science  ne  sert  qu'à  accroître  ce  sentiment,  au 
nom  duquel  l'homme  choisit  entre  les  exemples  que  lui  donne  la  nature. 
La  morale  solidariste  est  une  doctrine  de  progrès  social,  tendant  à 
l'avènement  le  plus  complet  possible  du  règne  de  l'égalité,  grâce  à  la 
coopération  favorisée  par  l'intervention  de  l'État.  Cette  intervention  de 
l'État  ne  doit  pas  nous  surprendre,  car  l'État  n'est  que  la  résultante  des 
volontés  individuelles,  repose  sur  un  contrat  tacite,  ne  subsiste  à 
chaque  moment,  d'une  façon  légitime,  que  s'il  peut  se  réclamer  du 
«  oui  »  plébiscitaire  de  tous  ses  adhérents.  C'est  l'effort  coopératif  des 
individus,  plus  etTicace  que  la  lutte  des  classes,  qui  amènera  l'État  à 
intervenir  et  à  inscrire  dans  ses  codes  des  lois  en  faveur  des  déshérités, 
à  élargir  la  justice,  à  reconnaître  et  à  sanctionner  des  droits  jusque-là 
ignorés. 

Cette  théorie  du  quasi-contrat  est  exposée  et  critiquée  par  M.  Duprat 
dans  une  étude  consacrée  k  Va  Solidarilé  sociale  (1).  L'ouvrage  est  divi<^é 
en  trois  parties,  doutla  seconde,  qui  traite  de  l'évolution  de  la  solida- 
rité, est  de  beaucoup  la  plus  originale.  Après  avoir  établi  que  la  cohé- 
sion «  grégaire  et  oppressive  »  est  la  forme  primitive  de  la  solidarité  C^), 
l'auteur  s'attache  à  démontrer  que  la  société  marche  de  plus  en  plus 
vers  une  solidarité  qui  développe,  au  lieu  de  les  restreindre,  la  responsa- 
bilité et  la  liberté  individuelle  (3).  L'association  primitive  «  omni-fonc- 
tionnelle  »  fait  place  à  des  associations  hétérogènes  «uni-fonctionnelles» 
qui  sont  reliées  entre  elles  par  le  lien  le  plus  fort  :  la  libre  et  vivante 
volonté  de  leurs  membres  communs.  Ainsi  l'évolution  de  la  solidarité 
va  dans  le  sens  de  la  liberté,  et  la  solidarité  sociale,  loin  d'en  être  affai- 
blie, s'en  trouve  au  contraire  fortifiée.  Ceci  posé,  M.  Duprat  réprouve  le 
communisme  et  le  collectivisme,  s'élève  contre  la  tyrannie  des  syndi- 
cats, signale  le  danger  des  trusts,  et  demande  à  l'État  d'organiser  l'édu- 
cation sociale  de  la  volonté.  La  solidarité  sociale  deviendra  morale  par 
«l'œuvre  des  volontés  fortes»;  elle  sera  «la  coopération  des  êtres 
libres  en  vue  d'une  harmonie  toujours  plus  grande  des  bonnes  volon- 
tés »  (4). 

Nous  voici  donc  en  présence  d'une  théorie  franchement  personnaliste 
de  la  solidarité,  c'est-à-dire  que  nous  voici  loin  de  la  sociologie 
«impersonnelle»  de  M.  Durkheim,  et  de  la  morale  scientifique.  Cette 
courbe  rentrante  dessinée  par  certains  sociologues  vers  une  morale  qui 
de  plus  en  plus  cesse  d'être  une  simple  «  physique  des  mœurs  »  pour 
devenir  «  la  morale  »,  au  sens  traditionnel,  était  à  signaler  ;  d'autant 
que  la  plupart  d'entre  eux  se  posent  en  ennemis  irréductibles  de  la 
morale  traditionnelle.  En  soutenant  que  la  «  morale  sociale  »,  en  tant 
que  morale,  ne  saurait  avoir  la  science  pour  fondement,  et,  en  tant  que 
sociale,  doit  tenir  compte  de  la  responsabilité  et  de  la  liberté  indivi- 
duelle, malgré  eux,  ils  préparent  la  voie  à  une  morale  psychologique,  et, 


1.  Duprat    G.    L.   La   Solidarité  sociale;    Bibliothèque   de   Sociologie,   Paxis, 
Doin,    1907;    1  voL  ia-18   de   XIV-357   p. 

2.  Ibid.,  V''  Partie;  Cf.  cli.  III;  Lutte  et  Solidarité. 

3.  Ibid.,  2<-  partie;   cf.   p.   101,   sqq. 

4.  Jbid.,  3'    pai-t.,  cf.  IV,  V  et  VI. 


548         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

par  elle,  à  une  morale  métaphysique  (1),  qui  ne  cesseront  pas  pour  cela 
d'être  scientifiques. 

2.  —  Morale  psychologique 

.Nous  donnons  le  nom  de  «  morale  psychologique  »  à  toute  théorie 
qui  tend  à  donner  à  la  morale  des  bases  psychologiques,  et  exprime 
une  heureuse  réaction  contre  les  morales  positivistes,  d'après  lesquelles 
la  seule  méthode  scientifique  permettant  de  trouver  les  règles  et  les 
conditions  normales  de  la  vie  intérieure  consisterait  à  n'accorder  de 
valeur  expérimentale  qu'aux  constatations  objectives  de  la  physiologie, 
de  la  sociologie,  et  de  l'histoire,  et  à  reléguer  dans  l'ombre  le  sentiment 
et  la  pensée  individuels. 

a)  Morale  des  idées- foi ces  (2).  Selon  M.  Fouillée,  le  point  de  départ 
de  la  morale  est  avant  tout  «  une  analyse  radicale  de  l'expérience  inté- 
rieure et  de  l'idée  même  de  moralité,  «  oîi  la  conscience  s'exprime.  » 
Je  n'ignore  pas  que  M.  Fouillée  veut  se  placer  tour  à  tour  «  au  triple 
point  de  vue  delà  biologie,  de  la  psychologie  et  de  la  cosmologie,  dont 
«la  synthèse  est  l'objet  d'une  morale  des  idées-forces»,  mais  son  point 
de  départ  tout  psychologique  n'en  reste  pas  moins  le  trait  caractéris- 
tique de  sa  morale.  Pareillement  il  tient  à  maintenir  la  valeur  scienti- 
fique d'une  morale  digne  de  ce  nom  —  de  la  sienne  par  conséquent  — 
mais  il  élargit  à  son  usage  le  concept  de  science,  et  fait  appel  à  l'idée 
mère  de  toute  sa  philosophie,  à  la  théorie  des  idées-forces. 

L'ouvrage  de  M.  Fouillée,  qui  n'est  au  fond  qu'une  systématisation 
d'idées  antérieures  déjà  connues,  se  divise  en  deux  parties.  La  première 
est  consacrée  à  l'analyse  des  éléments  intellectuels  de  la  moralité  ;  la 
seconde  a  trait  à  ses  éléments  sensitifs  et  volitifs.  Tour  à  tour 
M.  Fouillée  réfute  ses  adversaires,  et  expose  sa  propre  doctrine.  Nous  ne 
nous  arrêterons  pas  à  sa  réfutation,  recommencée  avec  une  force  nou- 
velle, de  l'empirisme  radical  des  morales  sociologiques,  et  du  forma- 
lisme de  la  morale  kantienne.  L'exposé  de  la  morale  des  idées-forces 
nous  importe  davantage.  IS'i  empirisme  rétréci  aboutissant  à  l'amora- 
lisme,  ni  rationalisme  ontologique  et  transcendant  se  perdant  dans  les 
nuages  de  l'idéologie  métaphysique  ;  mais  une  morale  fondée  scientifi- 
quement sur  la  nature   originale  de  la  pensée,  analysée  dans   son  con- 


1.  Ou  pouiTa  Lire  dans  la  Revue  Philosophique  (Jau\ier  et  février  1908) 
deux  TcmarqTiables  articles  de  M.  F.  Paulhax  intitulés  :  La  contradiction  de 
l'homme.  L'auteur  y  met  en  relief  l'esixjce  d'opposition  que  l'on  constate 
entre  la  morale  sociale  et  la  morale  individuelle.  Naturellement  la  morale 
sociale  s'oppose  à  la  morale  Lndi^-iduelle,  et  s'accorde  en  même  temps  avec  elle, 
comme  la  \iG  de  l'individu  et  la  vie  de  la  société  !  C'est  de  cette  situation  trou- 
blée et  de  ce  mélange  d'accords  et  d'oppositions  que  naît  toute  notre 
morale.  L'instinct  social  use  de  tous  les  moyens  pour  séduire  et  dompter 
l'instinct  individuel.  De  là  la  théorie  du  devoir,  qui  prend  l'apparence  de  l'au- 
torité, précisémeait  parce  qu'U  n'a  pas  de  raison  assez  forte  pour  se  faire 
légitimement  obéii. 

2.  Fouillée  A.  Morale  des  Idée.<i- forces,  F;ix;s,  Alcan,  1908;  1  vol.,  in-8°, 
LXiV-391    p. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  549 

tenu  intégral,  sur  les  idées  qui  sont  des  faits,  elles  aussi,  et  qui  se 
réalisent  par  leur  efficacité  propre,  voilà  à  quoi  se  ramène  essentielle- 
ment la  Morale  des  idées- forces. 

L'idée-force  est  une  idée  qui  tend  à  se  réaliser  ;de  ce  point  de  vue,  la 
morale  sera  possible,  réelle  et  efficace,  pourvu  seulement  que  l'idée  en 
existe  dans  la  conscience  :  «  Son  idée  est  précisément  ce  qui  la  cons- 
»  titue  ;  elle  est  une  conception  qui  se  réalise  et  non  une  réalité  qui  se 
»  verrait  toute  faite  (1)  ».  Négatrice  de  toute  transcendance,  elle  se 
posera  comme  une  force  immanente,  positive,  scientifique.  «Toute  ligne 
»  nettement  arrêtée  dans  la  conscience  devient  une  direction  possible 
»  dans  l'action  (2)  »  :  la  volonté  d'être  respecté  rend  respectable  ;  Tidée 
du  droit  crée  le  droit. 

L'idée-force  de  moralité  présente  des  éléments  spécifiques  qui  per- 
mettent de  la  définir.  Elle  implique  le  désintéressement,  étant  objective. 
En  effet,  tout  acte  de  pensée,  d'attention,  est  un  oubli  provisoire  du  moi 
en  vue  de  l'objet.  «  Au  cœur  même  delà  conscience  doit  être  établi 
»  l'altruisme  intellectuel,  germe  de  l'altruisme  volontaire.  «En  fin  de 
compte,  la  morale  peut  se  définir  «  le  désintéressement  en  vue  de  tous 
»  et  de  tout,  le  désintéressement  en  vue  de  l'universel.  »  «  Un  des  plus 
»  intimes  fondements  de  la  moralité,  c'est  précisément  cette  disposition 
»  scientifique  et  philosophique  qui  caractérise  l'homme  :  sens  de  l'u- 
»  nité,  aspiration  à  la  synthèse  totale...  dans  la  société  comme  en  soi- 
»  même,  l'homme  conçoit  et  veut  l'unité.  Il  est  impossible  de  ne  pas 
»  vouloir  exister  et  vivre  universellement.  Cette  vie,  commencée  par 
»  l'intelligence,  tend,  sous  la  loi  des  idées-forces,  à  s'achever  dans  le 
»  sentiment  et  la  volonté  réfléchie  (3)  ». 

La  morale  des  idées-forces  enveloppe,  en  les  dépassant,  et  la  morale 
du  plaisir,  et  la  morale  de  l'amour.  La  froide  raison  et  le  cœur  irrai- 
sonnable ne  peuvent,  chacun  à  part,  fonder  une  théorie  de  la  conduite  : 
il  faut  qu'ils  trouvent  leur  unité,  et  alors  est  accomplie  la  grande  syn- 
thèse morale  oïli  «  les  termes  valent  parleur  union  même,  constitutive 
»  du  réel  (4)  ».  La  morale  des  idées-forces  relègue  au  second  plan  l'idée 
d'obligation.  A  Yimpératif  catégorique^  il  convient  de  substituer  le 
suprême  persuasif.  La  moralité  ne  nous  commande  plus,  elle  nous  attire, 
et  c'est  pour  cela  qu'il  importe  de  «  dégager  l'idée-force  de  bonté  et  de 
»  l'élever  au-dessus  de  toutes  les  autres.  »  «  Je  dois  signifie  au  fond  : 
»  je  veux  ;  je  veux  l'univers  idéal  que  je  pense  ;  je  le  veux  sans  con- 
»  dition  et  sans  restriction  tant  que  je  le  considère  en  soi,  parce  qu'il 
»  est  la  suprême  satisfaction,  et  de  ma  volonté  intelligente,  et  de  toute 
»  volonté  intelligente  ;  bien  plus,  je  dois  signifie  encore  je  veux  devoir, 
»  j'accepte  le  devoir  parce  que  cela  est  plus  conforme  à  l'idéal  suprême 
»  de  ma  volonté,  de  mon  intelligence,  de  ma  sensibilité  (5)  ».  «  La 
»  morale    du  désintéressement  n'a  pas    encore   été    soutenue  en   sa 

1.  Morale  des  Idées-forces,  p.  XIV  sqq, 

2.  Ihld.,    p.    79. 

3.  Ibid.,  p.  186. 

4.  Morale   des   Idées-forces,    p.    242    sqq.,    265. 

5.  Ibid.,  p.  366,  p.  191. 


550         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

»)  plénitude  :  elle  doit  l'être.  La  morale  la  plus  élevée...  est  la  morale  de 
»  la  liberté  (1)  ». 

En  posant  sa  construction  morale  sur  le  sol  de  la  psychologie,  M. 
A,  Fouillée  a  sagement  réagi  contre  les  «  physiciens  »  de  la  morale. 
Mais  que  la  psychologie,  qui  constate  des  idées  comme  la  physique 
constate  des  phénomènes  matériels,  se  suffise  à  elle-même,  qu'elle  n'ait 
pas  besoin  de  se  prolonger  dans  la  métaphysique  pour  trouver  au 
devoir  ses  véritables  assises,  c'est  de  quoi  il  est  permis  de  douter.  La 
fragilité  du  système  de  M.  Fouillée  lui  vient  précisément  de  ses  pré- 
ventions et  de  ses  dédains  à  l'endroit  de  la  métaphysique.  Il  est  vrai, 
les  idées-forces  de  moralité  se  présentent  à  nous  comme  des  faits,  que 
l'auteur  analyse  et  décrit  avec  complaisance.  Mais  rien  n'en  justifie  la 
valeur  morale  absolue.  «  Je  ne  sais  pas,  écrit  M.  Fouillée,  si,  en  défini- 
»  tive,  le  dévouement  et  l'amour  sont  supérieurs  en  fait  à  l'égoïsme, 
»  car  je  ne  sais  pas  si,  dans  le  monde  réel,  l'amour  n'est  pas  finalement 
»  dupe  de  soi  (2)  ».  Alors,  au  nom  de  quoi  préférer  la  morale  du  «  dé- 
sintéressement »  à  la  morale  de  «  l'intérêt  »  ?  Au  nom  d'un  préjugé 
peut-être  ?  Du  moins,  M.  Fouillée  n'a  pas  prouvé  que  ce  fût  au  nom  d'un 
principe  qui  s'imposât  à  l'activité  de  tous,  et  sa  morale  s'en  trouve 
ébranlée. 

h }  Éthique  naturaliste .  —Dans  son  ouvrage  sur  Le  Fondement  du 
Droit  et  de  la  Morale  (3),  M.  J.  Lagorgette  fait  sienne  la  thèse  de 
M.  Fouillée  sur  les  idées-forces.  Le  chapitre  premier  est  consacré  à 
Vexamen  des  doctrines  du  droit  ;  le  second  traite  de  la  constitution  d'un 
système  du  droit.  L'auteur  nous  déclare  que  la  constitution  d'un  sys- 
tème du  droit  dépend  de  la  détermination  d'un  fondement  du  droit  et 
du  devoir.  Ce  fondement  idéal  est  à  la  fois  subjectif  e[  objectif  :  suh- 
jectif,  car  il  ne  s'agit  pas  de  le  déterminer  a  priori  et  mélaphysique- 
meut  ;  objectif,  parce  que  la  valeur  égoïste  n'exclut  nullement,  mais 
implique  les  relations  pareilles  aux  autres  moi,  individuels  et  collectifs. 

«  Persuasif  ou  impératif,  l'idéal  est  une  force  qui  commande,  l'obéis- 
»  sance.  »  Son  efficacité  est  en  raison  de  son  universalité.  Mais  quelle 
est  sa  valeur  morale  ?  Dénier  au  monde  une  valeur  absolue,  ou  une 
valeur  quelconque,  déclare  M.  Lagorgette,  ce  n'est  pas  renoncer  à 
donnera  l'idéal  humain  un  contenu  positif.  Nous  n'avons  pas  à  déter- 
miner scientifiquement  le  èut  uoî</i<  par  l'évolution,  mais  celui  où  elle 
tend.  Or  ce  but  n'est  autre  que  V épanouissement  de  la  vie.  Le  critère 
d'un  idéal  se  mesure  à  son  degré  de  vitalité.  «  Le  droit,  le  devoir,  ce 
»  n'est  ni  la  force,  ni  l'intérêt,  mais  plutôt  leur  organisation  idéale  par 
»  l'égalité  de  liberté.  Leur  source  se  trouve  dans  la  conscience,  mais 
»  celle-ci  n'a  point  la  portée  traditionnelle  :  l'intuition  est  conditionnée 
»  et  contrôlée  par  l'expérience,  et  ses  données,  sur  lesquelles  opère  le 
»  raisonnement,  se  développent  selon  l'histoire.  La  grande  loi,  qui 
»  n'est  point  «  naturelle  »>  ni  réaliste,  c'est  celle  de  l'évolution  de  la  vie 
»  aussi  bien  sociale  qu'individuelle.  Et  ainsi,  partie  du  moi,   notre   con- 


1.  Ihid.,  p.  368. 

2.  La    Morale    des    Idées-forces,    p.    101-102;    p.    198199. 

3.  Paris,    Giard   et   Brière,    1907,    1  vol.    in-8'J,  300   p. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  551 

))  ception  s'achève  dans  le  tout.  »  «  Conformons-nous  donc  aux  exi- 
»  gences  de  la  vie,  suprême  puissance  motrice  de  notre  activité.  On  ne 
»  saurait  méconnaître,  parmi  elles,  l'aspiration  de  riiommç  vers  le 
»  bien-être.  L'idéal  qu'on  fonde  sur  cette  base  est  plus  solide  que  le 
»  «  souverain  bien  .  »  Il  est  plus  humain  :  au  lieu  d'un  absolu  stérile,  il 
»  propose  uneconduite  appropriée  au  temps  et  au  milieu.  Mais  il  y  a 
»  lieu  de  corriger  ce  que  tout  calcul  a  d'étroit,  de  mesquin,  par  des  sen- 
»  timents  altruistes  qui  n'en  constituent  pas  la  négation,  et  ne  sont  pas 
»  moins  réels  (1)  ». 

M.  Lagorgelte  éprouve  le  besoin,  en  terminant,  de  se  défendre  d'a- 
voir contribué  à  saper  les  idées  de  droit  et  de  devoir.  Il  se  flatte  au 
contraire  d'avoir  travaillé  à  les  régénérer,  en  montrant  leur  fonction 
utile.  Nous  ne  sommes  pas  de  son  avis.  Nous  croyons  qu'en  dépit  de  ses 
intentions,  une  «  éthique  naturaliste  »  peut  se  ramener  facilement  à  un 
«  utilitarisme  étroit  et  matériel  »  qui  «  supprime  ou  abaisse  l'idéal  », 
le  cas  échéant.  L'éclectisme  de  M.  Lagorgette  lui  donne  des  illusions. 
Il  est  difficile  de  conserver  aux  mots  «  idéal  »,  «  droit  et  devoir  », 
«  obligation  morale  »,  une  valeur  en  soi,  et  une  portée  universelle, 
lorsqu'on  les  a  vidés  au  préalable  de  leur  contenu  inétaphi/sique,  pour 
ne  leur  reconnaître  qu'un  contenu  positif,  essentiellement  variable  (2). 

3.  —  Morale  Métaphysique  et  Religieuse 

Avec  M.  Aars,  la  métaphysique  reprend  ses  droits  en  morale.  Il  l'entend, 
il  est  vrai,  à  sa  façon  ;  mais  sa  façon  de  l'entendre  ne  laisse  pas  d'être 
suggestive.  Le  but  que  s'estproposéM.  Aars  est  d'étudier  la  genèse  psycho- 
logique des  sentiments  moraux.  Cependant  il  dépasse  ce  but  en  essayant 
de  construire  une  Éthique  de  toutes  pièces.  D'après  lui,  la  morale  n'est 
pas  indépendante  de  la  métaphysique,  mais  cela  ne  signifie  nullement 
qu'elle  repose  sur  des  postulats  métaphysiques,  ni  qu'elle  dépende  de 
telle  ou  telle  métaphysique.  «  Elle  est  elle-même  une  métaphysique  ». 
Elle  afllrme  «  qu'il  y  a  une  beauté  et  une  laideur  objectives  de  la  volonté  »; 
elle  proclame  la  valeur  du  devoir.  Elle  n'est  pas  une  science,  car  elle 
prime  la  science.  «  Mieux  vaut  se  tromper  avec  la  morale  que  d'avoir 
raison  sans  elle  ».  La  conscience  morale  nous  donne  «  le  droit  d'imposer 
nos  fins  morales  à  l'évolution  (3)  ». 

M.   A.  Leclère  ne  parle  pas  autrement  lorsqu'il  affirme,  dans   son 


1.  Ouv.  cité.,  conicliisiioii,  p.  292,  298. 

2.  Dans  son  ouvrage  II  problcma  del  Bene  (Toriiio,  Clauseu,  1907,  1  vol. 
in-8",  XVI-246  pp.),  qui  est  le  premier  d'une  série  annoncée,  M.  ïrivero  sou- 
tient nne  thèse  sur  M  Idéal  moral  qui  se  rapproche  assez  de  cetle-ci.  L'auteur 
cherche  à  déterminer  l'objet  de  la  science  morale,  qu'il  appelle  le  Bien. 
C'est  le  concept  de  besoin  qui  lui  sert  à  déterminer  cehii  de  bien.  Or,  /il 
semble  résumer  toute  sa  théorie  des  besoinLS  dans  cette  formule  :  «  La  vie 
veut  vivre,  et  vivre  une  vie  toujours  plus  intense,  plus  profonde,  plus  cons- 
ciente et  plus  parfaite.  » 

3.  Kristian  B.  II.  Aars  :  Gut  iind  Base,  Zur  Psijcholorjie  dcr  Moral- 
Gcfîihle,  Clrri'stiania,  Uybwad,  1907,  1  vol.  gr.  in-S»  de  290  p. 


552         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

ouvrage  sur  La  Morale  rationnelle  (1),  que  «  la  Métamorale,  mais  c'est 
»  la  Métaphysique,  c'est  tout  ce  qui,  de  celte  dernière,  se  rapporte  direc- 
»  tement  ou  indirectement  à  la  Morale  !  »  Et  il  ajoute  :  «  Nous  avons 
»  même  pu  fondre  l'idée  initiale  de  toute  la  Morale,  celle  du  Bien,  dans 
»  l'idée  de  l'Être,  finalement  dans  l'idée  de  Dieu.  C'est  là  le  triomphe 
»  de  la  Métamorale  ;  il  n'en  est  pas  de  plus  éclatant,  pour  elle,  que 
»  de  constater  qu'elle  n'est  rien  en  soi,  qu'elle  est...  la  Métaphysique 
»  même.  Otez  de  la  Morale,  la  Psychologie,  et  surtout  la  Critique  et  la 
»  Métaphysique,  il  n'en  reste  absolument  rien  (2)  ». 

Pour  bien  saisir  toute  l'importance  de  cette  dernière  affirmation  de 
l'auteur,  il  faut  savoir  qu'il  étudie  Va  Morale  rationnelle  dans  ses  relations 
avec  la  Philosophie  générale,  et  qu'il  met  au  service  de  sa  thèse  les 
ressources  de  l'histoire,  de  la  psychologie,  de  la  critique,  et  de  la  Méta- 
physique. Nous  ne  pouvons  songer  à  le  suivre  dans  ses  analyses  et  ses 
déductions,  dont  on  ne  peut  contester  la  finesse  et  le  bien-fondé  scienti- 
fique. Nous  nous  permettrons  toutefois  deux  remarques,  l'une  au  sujet  de 
l'histoire  critique  de  la  Morale,  l'autre  au  sujet  de  ses  bases  métaphysiques. 
A  propos  d'Aristote  M.  Leclère  écrit  :  «  Le  caractère  le  plus  saillant  et  le 
»  plus  constant  de  la  morale  d'Aristote  est,  quoi  qu'on  dise,  l'Hédonisme, 
»  ou,  si  l'on  préfère,  un  Utilitarisme  savant  et  relevé  (3)  ».  M.  Leclère 
affirme  la  chose,  mais  ne  la  prouve  pas.  Il  ne  fournit  pas  un  seul  texte 
à  l'appui  de  son  dire.  A  la  page  205,  il  soutient  que,  d'après  le  Stagyrite, 
le  Souverain  bien  doit  être  la  somme  de  tous  les  biens.  Or  Aristote  dit 
exactement  le  contraire,  c'est  à  savoir  que  le  Souverain  Bien  est  un  Tout, 
dont  les  parties  ne  se  nombrent  pas,  parce  qu'il  est  lui-même  supérieur 
au  nombre  :  ïni  àï  vrâvrwy  a[pzr(xiTkT/]v  iJ-yj  i7vva.piB[xovij.iv'/]v  (4).  Quant  à 
la  question  des  bases  métaphysiques  de  la  Morale,  elle  ne  nous  paraît 
pas  la  meilleure  du  traité.  La  thèse  de  l'âme  phénoménale,  substituée  à 
l'àme-substance,  est  assez  originale  (p.  i21).  Mais  nous  persistons  à 
croire  que  l'immortalité  de  l'âme,  comme  d'ailleurs  l'existence  de  Dieu, 
ne  doivent  pas  seulement  être  affirmées,  en  vertu  des  catégories  sub- 
jectives de  l'entendement,  mais  démontrées,  en  admettant  la  portée 
objective  des  principes  de  causalité  et  de  contradiction.  Au  demeurant, 
l'ouvrage  de  M.  Leclère  représente  un  travail  considérable.  Il  décèle  une 
réelle  puissance  d'analyse,  et  un  grand  sens  de  l'actualité  des  problèmes. 

J'estime  que  la  synthèse,  tentée  par  lui,  des  systèmes  les  plus  dispa- 
rates en  est  inférieure  à  l'analyse.  Mais  en  pouvait-il  être  autrement? 

Ce  besoin  de  synthèse  est  d'ailleurs  un  signe  de  notre  temps.  «  Nul 
»  temps  ne  fut  plus  travaillé  que  le  nôtre,  écrit  M.  Paul  Gaultier,  tou- 
»  chant  la  conduite  de  la  vie  et  des  sociétés,  par  des  idées  plus  nom- 
»  breuses  et  divergentes.  Toutefois,  il  me  semble  que  plusieurs  des 
»  conflits  qui  nous  divisent  viennent  d'une  vue  superficielle  des  choses, 
»  quand  ce  n'est  pas  d'une  ignorance  radicale  les  uns  des  autres.  Celui- 

1.  Paris,  Alcan,   1908,   1  vol.  ia-8'J  de  543  p. 

2.  Ibid.,   p.   436. 

3.  Ouv.   cité,   p.   203. 

4.  Eth.  Nie,  A,  5,  1097,  b,  16-17.  Cf.  Clodius  Piat  :  Aristote,  Paris,  Alcan, 
1903,  p.  296.  —  GiLLET.  Du  Fondement  intellectuel  de  la  Morale,  d'après 
Aristote,  Paris,   Alcan,   1905,   p.   136,   sq. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  553 

»  là  même  qui  oppose  l'idéal  chrétien  à  la  pensée  moderne  —  et  qui 
»  les  domine  tous  —  me  paraît  provenir  d'un  intellectualisme  plus 
»  soucieux  des  formules  que  de  l'esprit.  C'est  donc  en  allant  au  fond 
»  des  théories,  en  apparence  les  plus  incompatibles,  que  je  me  suis 
»  efforcé  de  concilier  et,  finalement,  de  résoudre  leurs  antagonismes  en 
»  une  synthèse  supérieure  (1)  ».  M.  Paul  Gaultier  présente  cette  syntlièse 
au  public,  sous  le  titre  d'Idéal  moderne.  Ce  dernier  ouvrage  de  M.  Gaultier, 
comme  le  précédent  sur  Le  sens  de  PArt,  se  recommande  de  lui-même. 
Il  est  supérieurement  écrit,  et  fortement  pensé.  Toute  la  partie 
consacrée  à  l'analyse  des  théories  scientifiques  de  la  Morale  est  très 
fouillée,  et  menée  avec  entrain.  Respectueux  de  toutes  les  convictions, 
M.  Gaultier  se  contente  de  s'en  prendre  aux  systèmes,  sans  toucher 
aux  personnes.  11  n'admet  pas  que  la  science  puisse  fonder  la  morale,  et 
pense  qu'une  conception  purement  sociologique  de  la  Morale  conduit  à 
l'amoralisme  scientifique.  «  Le  moraliste  doit  d'abord  procéder  par 
»  comparaison  et  induction  dans  la  détermination  de  nos  fins,  autrement 
»  dit  de  l'idéal  moral  ;  ensuite  il  a  la  faculté  de  déduire  de  cet  idéal  les 
»  devoirs  particuliers  qui  en  découlent,  ce  qui  fut  toujours  l'objet  de  la 
»  morale  dite  «  appliquée  »  (p.  39).  A  la  méthode  inductive  succède  ainsi, 
en  éthique, le  mode  déductif.  La  morale  peut  être  une  science,  sans  être 
fondée  sur  la  science.  Science  du  subjectif,  l'éthique  est  une  science  à 
part,  qui  a  pour  matière  moins  ce  qui  est,  que  ce  qui  devient.  La  certitude 
dont  dispose  l'éthique  n'est  ni  sensible,  ni  logique  ;  elle  est  morale. 
Elle  ne  repose  ni  sur  l'évidence  rationnelle,  ni  sur  celle  des  sens,  mais 
sur  cette  évidence  purement  intérieure,  qui  naît  de  l'action  proprement 
morale  (p.  47  sqq.l.  On  reconnaît  ici  les  principes  de  la  philosophie  de 
l'action.  Assurément  l'action,  la  vie,  jouent  un  rôle  capital  en  morale, 
si  la  morale  n'est  pas  autre  chose  qu'une  action  continue,  et  la  vie  même 
sous  sa  forme  la  plus  haute.  Mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  la  morale  soit 
fondée  sur  l'action,  et  ne  repose  pas  sur  une  évidence  rationnelle.  L'ac- 
tion au  contraire  n'a  de  valeur  morale  que  si  elle  se  rattache  à  des 
principes  qui  la  fondent,  et  l'expliquent.  Le  fait  qu'on  pratique  la  morale 
avant  de  la  «  systématiser  »  ne  prouve  qu'une  chose,  c'est  à  savoir  que 
les  principes  sont  donnés  dans  la  nature  de  l'homme  et  avec  elle,  et 
qu'il  suffit  d'être  homme  pour  être  obligé  d'agir  et  de  vivre  moralement. 
La  priorité  de  la  morale  théorique  sur  la  morale  pratique  n'est,  si  l'on 
veut,  qu'une  priorité  dénature;  mais  cela  suffit  cependant  éprouver 
que  la  morale  a  un  fondement  métaphysique. 

Si  le  point  de  départ  de  M.  Gaultier,  dans  sa  façon  de  poser  le  problème 
moral,  est  surtout  psychologique,  son  point  d'arrivée  est  tout  métaphy- 
sique, voire  même  religieux.  «  La  moralité  nous  conduit  directement  à 
»  Dieu.  Elle  nous  en  fait  ressentir  le  besoin  ».  «  La  morale  mène  à  la 
»  religion,  en  ce  sens  qu'il  n'y  a  pas  de  meilleure  preuve  de  l'existence 
»  d'un  Absolu  qualificatif  ou  de  perfection,  dont  nous  dépendons,  que 
»  le  fait  qu'il  y  a  une  morale.  »  M.  Gaultier  va  sans  doute  un  peu  loin 
—  et  sa  pensée  aurait  besoin  d'être  précisée  —  lorsqu'il  parle  «  d'un 


1.  Paul   Gaultier  :  L'Idéal  moderne,  Paris,   .  Hachette  et  Cï*^^,  1908;  1  vol. 
iii-16,   VIIl-358   p. 


534         REVUF,    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

»  Être  parfait,  liberté  absolue,  d'où,  pour  reprendre  une  admirable 
»  expression  de  M.  Bergson,  tout  «jaillit  »,  et  la  morale  même  avec  tout 
»  devenir  »  (p.  245).  Mais  nous  ne  le  chicanerons  pas  sur  ce  point,  per- 
suadé qu'il  entend  ce  «  jaillissement  »  d'une  façon  orthodoxe,  sans 
recourir  à  l'idée  d'une  «  évolution  créatrice  ». 

Tout  en  se  plaçant  à  un  autre  point  de  vue  que  M.  Paul  Gaultier, 
M.  P.  Bureau,  dans  son  dernier  ouvrage  sur  la  Crise  morale  des  temps 
ttouveaux  (1),  prend  la  défense  de  la  morale  religieuse  contre  l'amora- 
lisme  contemporain.  C'est  pourquoi  nous  le  rangeons  parmi  les  parti- 
sans de  la  morale  métaphysique,  encore  que  la  méthode  qu'il  emploie 
soit  exclusivement  scientifique.  L'auteur  n'admet  pas  que  la  science 
puisse  fonder  la  morale,  mais  il  croit  que  la  science  de  la  morale  — 
celle  qui  se  confond  avec  le  pragmatisme,  et  se  base  sur  l'utilité,  sur  la 
réussite  —  peut  avoir  une  très  salutaire  influence  sur  certains  esprits,  et 
les  ramener  à  une  vie  honnête.  Ceci  posé,  il  prétend  envisager  le  pro- 
blème moral  dans  la  réalité  concrète,  comme  un  problème  d'intérêt  et 
de  portée  éminemment  sociale,  et  pourtant  retrouver,  au  terme  d'une 
étude  méthodique,  la  conception  métaphysique  et  religieuse  de  la 
Morale.  Pour  procurer  le  bien-être  social,  la  morale  doit  être  obhgatoire. 
Elle  doit  aussi  être  évolutive  dans  sa  matière,  et  s'adapter  à  l'ambiance 
sociale.  La  morale  religieuse  réalise  seule  ces  conditions  à  un  degré 
éminent.  Telles  sont  les  principales  conclusions  qui  se  dégagent  de 
l'étude  de  M.  Bureau.  Est-il  besoin  de  dire  que  nous  faisons  toutes  nos 
réserves  sur  le  fond  de  cet  ouvrage,  et  que  nous  ne  partageons  point 
les  vues  «  pragmatisles  »  de  l'auteur  ?  Il  n'est  pas  du  tout  prouvé 
qu'une  morale  à  base  métaphysique  ne  puisse  faire  en  même  temps  un 
légitime  emploi  de  la  méthode  scientifique,  tandis  qu'il  n'est  que  trop 
certain  que  l'emploi  exclusif  de  la  science  —  dans  le  domaine  moral  ou 
religieux  —  procède  la  plupart  du  temps  d'un  «  agnosticisme  »  méta- 
physique. La  Congrégation  de  l'Index  a  condamné  le  livre  de  M.  Bureau. 
L'auteur,  qui  est  un  croyant  fervent  et  convaincu,  s'est  soumis  à  cette 
condamnation. 

Dans  Morale  et  Société  (2),  M.  Fonsegrive  aborde  à  son  tour  la  ques- 
tion du  Fondement  de  VEthique.  Avec  une  grande  pénétration  d'esprit, 
et  une  remarquable  sûreté  d'analyse,  il  commence  par  établir  le  rapport 
entre  le  fait  moral  et  le  fait  social;  il  dénonce  ensuite  les  conflits  qui 
résultent  de  leur  rencontre,  en  recherche  la  raison,  et  propose  cette 
solution  :  «  Ni  le  moral  n'absorbe  le  social,  ni  le  social  le  moral,  chacun 
»  d'eux  a  son  domaine  propre  et  distinct...  Dès  que  l'on  a  compris  et  la 
»  distinction  des  deux  ordres,  et  leur  nécessaire  union,  on  s'est  par  là 
»  même  résigné  à  supporter  les  inévitables  défauts  de  l'ordre  social. 
»  Cependant  on  conserve  intacte,  avec  la  lumière  morale  intérieure,  la 
»  sève  profonde  de  la  vie.  »  Parmi  les  conflits  signalés  par  M.  Fonse- 
grive, il  est  surtout  question  des  conflits  d'ordre  religieux.  «  Nulle  part, 
»  écrit-il,  plus  et  mieux  que  dans  le  catholicisme,  le  conflit  ne  se  fait 
»  voir  »  (p.  30).    L'Église  catholique   est  un   gouvernement  social,  en 


1.  Paais,  Bloud  et  C'^  1907,   1  vol.  in-16,   XI-2S0  p. 

2.  Pajis,    Blond    et    Ci^,    1907,    1  vol.    iii-lG,    344    p. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  Oo5 

même  temps  qu'elle  maintient  le  principe  intérieur  de  toute  vie  morale. 
Du  dehors  elle  dirige  le  dedans,  et  si  elle  le  fait  toujours  avec  mansué- 
tude, lorsque  les  individus  seuls  sont  en  jeu,  elle  le  fait  aussi  d'autorité, 
lorsque  le  bien  social  le  réclame.  De  là  ses  anathèmes.«  Ses  pontifes,  ses 
»  congrégations  réprouvent,  condamnent,  excluent  tout  ce  qui  pourrait 
»  altérer  la  vraie  doctrine.  Et  les  brebis  dangereuses,  les  faux  pro- 
»  phètes  sont  excommuniés,  expulsés,  les  téméraires  sont  avertis,  et  les 
»  imprudents  sont  notés,  et  les  perturbateurs  sont  signalés  à  l'animad- 
»  version.  »  Il  y  a  comme  une  nuance  d'amertume  dans  cette  remarque, 
et  d'aulres  analogues.  L'ouvrage  de  M.  Fonsegrive  aurait  gagné  à  être 
écrit  avec  plus  de  sérénité.  11  l'est  du  moins  avec  intelligence  et  avec 
force,  et  ceux  qui  le  liront  y  retrouveront,  peut-être  plus  accentuées  que 
jamais,  les  qualités  de  clarté  du  philosophe,  et  le  souffle  généreux  du 
chrétien. 

A  signaler  encore,  parmi  les  théoriciens  de  la  morale  catholique, 
M.  HoLTZMANN  (l)  et  M.  Strehler  ^2).  Tous  deux  ont  amplement  justifié, 
dans  leurs  récents  écrits,  la  position  théorique  de  la  morale  catholique 
et  sa  valeur  pratique,  en  répondant  à  certaines  objections  formulées 
contre  elle  par  les  moralistes  contemporains.  Ces  ouvrages  se  recom- 
mandent à  l'attention  des  lecteurs  par  une  grande  clarté  d'exposition,  et 
une  information  scientifique  des  plus  sérieuses. 

Aux  yeux  de  M.  Gottschick  (3),  la  morale  est  révélatrice  d'un  ordre 
surnaturel,  et  seule  l'idée  d'un  Dieu  personnel,  créateur  de  la  loi,  peut 
expliquer  le  devoir.  La  Morale  peut  être  traitée  de  deux  façons  :  attachée 
au  monde,  elle  sera  philosophique  ;  attachée  à  l'idée  de  Dieu,  elle  sera 
théologique.  Mais  elle  ne  sera  pas  pour  cela  catholique  et  légaliste.  Car 
la  morale  théologique  doit  être  autonome,  et,  pour  l'être,  elle  doit 
procéder  non  de  l'autorité,  mais  de  l'expérience  religieuse.  Ces  paroles, 
qui  seraient  déconcertantes  sous  la  plume  d'un  écrivain  catliolique,  le 
sont  moins  sous  celle  d'un  théologien  protestant.  Du  moins  prouvent- 
elles  que  le  règne  de  la  «  morale  scientifique  »  est  terminé,  et  que  de 
tous  les  coins  de  la  pensée  humaine  s'élèvent  des  réclamations  en 
faveur  d'une  morale  qui  prenne  définitivement  la  métaphysique  ou  la 
religion  pour  base. 

II.  —  La  Morale   et  l'Éducation 
I.  —   Les   Doctrines 

Le  problème  de  l'éducation  est  trop  intimement  lié  au  problème 
moral  pour  que  nous  le  passions  sous  silence.  C'en  est  comme  l'inévi- 
table corollaire  :  telle   morale,    peut-on  dire,  telle  éducation.  Si  l'anar- 

1.  Hoi.TZMANN,  Di"  Jos.  :  Moderne  Sittlichkcitstheoricn  and  chrlstliches  Le- 
hcnsidcals.   Strasboxixg,  Le  Roiix  et  C'c,   1907. 

2.  Strehler,  Dr  Bernhard  :  Das  Idéal  dcr  Kalhnlischcn  SUUirhJ.-clL  Bres- 
lau,   Aderholz,    1907. 

3.  Gottschick,  Dr  Joannes  :  Elhik,  Tubingue,  Mohr,  1907;  1  vol.  XV- 
280   p. 


556         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

chie  règne  dans  les  idées  morales,  on  peut  être  sur  de  la  retrouver  dans 
les  idées  sur  léducation.  Or,  actuellement,  en  dehors  des  partisans 
décidés  de  la  morale  chrétienne,  il  n'y  a  pas  deux  sociologues  ou  deux 
philosophes  qui  posent  et  résolvent  de  la  même  manière  le  problème 
moral.  C'est  bel  et  bien  l'anarchie.  Qu'en  conclure  au  point  de  vue  de 
renseignement  moral  ou  de  l'Éducation? 

a)  Sagesse  laïque.  —  M.  Binet  a  eu  la  curiosité  d'ouvrir  une  enquête 
à  ce  sujet  auprès  des  professeurs  de  philosophie,  qui  l'ont  favorable- 
ment accueillie  (1).  Voici  la  question  qui  leur  fut  posée  :  Orientez-vous 
votre  enseignement  d'après  un  système  philosophique  connu  ?  Lequel 
a  vos  préférences?  Lequel  aurait  les  préférences  des  élèves?  Cent  cinq 
professeurs  daignèrent  répondre  à  la  question  posée  par  M.  Binet. 
«  Nous  nous  attendions,  remarque  celui-ci,  à  ce  que  le  spiritualisme 
»  obtînt  la  majorité  des  suffrages.  Un  bien  petit  nombre  y  est  resté 
>'  fidèle,  à  peine  six  ou  sept  professeurs.  »  (p.  16).  En  dépouillant  les 
résultats,  on  est  arrivé  approximativement  au  pourcentage  suivant  : 
systèmes  positivistes,  évolulionnistes,  ou  absence  de  tout  système  : 
37  p.  100  ;  systèmes  mixtes,  à  la  fois  subjectifs  et  objectifs  :  25  p.  100  ; 
systèaies  principalement  subjectifs  :  38  p.  100.  Ces  résultats  en  disent 
long  sur  la  situation  «  anarchique  »  de  l'enseignement  moral,  à  l'heure 
actuelle,  dans  nos  lycées. 

En  dehors  des  lycées,  l'entente  n'est  guère  plus  complète.  M.  Jules 
Delvaille  a  écrit  un  ouvrage  :  La  vie  sociale  et  i Education  (2),  pour 
montrer  que  le  problème  de  la  réorganisation  de  la  société  moderne 
n'est  au  fond  qu'une  question  d'éducation.  Dans  un  premier  chapitre, 
l'auteur  nous  donne  une  analyse  courte,  mais  substantielle,  des  élé- 
ments qui  différencient  l'organisme  social  de  l'organisme  animal.  On  y 
retrouve  les  idées  de  MM.  Tarde  et  Espinas.  Le  chapitre  second  est 
consacré  à  l'organisation  de  la  vie  sociale.  Selon  M.  Delvaille,  pour 
résoudre  «  le  chaos  actuel  en  harmonie  et  beauté  »,  il  ne  faut  recourir 
ni  à  l'évolution,  ni  à  la  révolution  sociale,  La  réforme  de  la  société  est 
subordonnée  à  celle  des  individus.  D'oîi  deux  facteurs  de  la  réorgani- 
sation sociale:  l'instruction  et  l'éducation.  L'éducation  individuelle 
n'est  qu'une  préparation  à  l'éducation  sociale.  L'individu  doit  être  plus 
instruit  et  plus  éduqué,  afin  de  coopérer  avec  plus  d'intensité  et  d'effi- 
cacité à  la  vie  sociale.  Bref,  M.  Delvaille, a  foi  en  l'éducation.  Elle  est  à 
ses  yeux  le  salut.  Mais,  comme  on  l'a  fort  bien  remarqué,  cela  ne 
résout  rien.  L'éducation  elle-même  est  un  problème  dont  la  solution 
est  liée  à  une  foule  de  choses  :  race,  situation  matérielle,  conditions 
économiques,  mœurs,  traditions,  dont  l'auteur  ne  paraît  pas  tenir 
compte. 

M.  Lalaxde  s'est  fait  fort  de  résoudre  le  problème  si  complexe  et  si 
difficile  de  l'éducation, en  publiant  une  sorte  de  «  catéchisme  moral  »  (;»). 


1.  Bulletin   de   la   Société   française   de   Philosophie,    Paris,    Ai'inand    Colin, 
janvier  1908  (Séance  du  28  novembre  1907). 

2.  Paris,  Alcan,   1907,  1  vol.  in-8o,  199  p. 

3.  Lalande     a.  :   Précis   raisonné  de  Morale   pratique,   Paris,    Alcaii,    1907, 
1  vol.   in-12,   Vl-70  p. 


BULLETIN   DE  PHILOSOPHIE  557 

Nous  avons  euFoccasion,  l'an  dernier,  de  parler  de  cet  ouvrage,  dont  la 
première  partie  seule  avait  paru  dans  le  Bulletin  de  la  Société  française 
de  Philosophie  (1)  (janvier  et  février  1907).  L'auteur  croit  qu'il  existe 
un  ensemble  de  vérités  de  conduite  indépendantes,  non  seulement  de 
toute  religion,  mais  de  tout  système  philosophique.  Ce  sont  ces  vérités 
qu'il  a  essayé  de  mettre  en  lumière,  tout  en  voulant  être  objectif  et 
n'exprimer  que  ce  qui,  dans  la  morale,  est  actuellement  objet  de  con- 
sensus entre  tous  les  philosophes. 

Nous  ne  pensons  pas  que  cette  doctrine  du  consentement  universel, 
appliquée  à  la  morale, et  cet  éclectisme  quelque  peu  bourgeois,  soient  de 
nature  à  remédier  au  mal  profond  dont  souffre  la  société  actuelle.  Il  n'y 
a  qu'à  lire  le  Précis  raisonné  de  M.  Lalande  pour  s'en  con\aincre.  Rien 
de  moins  «  précis  »  que  cet  ouvrage.  Le  vague  même  des  formules  qui 
enchâssent  les  prescriptions  morales  en  assure  l'infécondité. 

C'est  encore  une  doctrine  «éclectique»  que  nous  présente  M.  Jacob, 
Maître  de  Conférences  aux  écoles  normales  de  Sèvres  et  de  Fontenay- 
aux-Roses,  dans  son  livre  sur  les  «  devoirs  )i  (2),  mais  d'un  éclectisme 
plus  discret,  plus  raffiné  et,  pour  tout  dire,  altique.  L'élégante  simpli- 
cité du  style  ne  fait  que  renforcer  cette  impression.  L'auteur  de  ce  petit 
«  livre  de  la  sagesse  laïque  »  ne  se  pique  pas  de  nous  apporter  une 
table  nouvelle  des  valeurs  morales,  mais  se  contente  de  justifier  celle 
qui  est  ordinairement  reçue.  La  méthode  qu'il  emploie  à  cet  effet  con- 
siste à  dégager  les  règles  de  conduite  de  l'analyse  de  la  nature  morale 
commune.  Mais  par  «nature  morale»  M.Jacob  n'entend  pas,  comme 
M.  Lévy-Bruhl,  une  «  nature  sociale  »,  d'où  le  moral  proprement  dit 
serait  absent.  Dans  toute  la  première  partie  de  son  livre,  au  contraire, 
il  réagit  contre  les  doctrines  qui  prétendent  absorber  le  moral  dans  le 
social,  et  l'idée  de  justice  dans  le  sentiment  de  solidarité.  «  Toutes  les 
»  vertus  de  la  spiritualité  socratique  et  stoïcienne  sont  intelligibles  et 
»  se  justifient.  »  (p.  103).  La  charité  elle-même  se  justifie  par  l'analyse 
de  notre  nature  individuelle  ;  elle  est  fondée  sur  «  un  altruisme  naturel 
»  qui,  découvrant  la  communauté  de  nature,  la  communauté  de  raison 
»  et  la  solidarité  sociale,  qui  unissent  l'individu  à  ses  semblables, 
»  engendre  le  sentiment  de  la  fraternité  humaine.  »  (p.  335.) 

Aux  yeux  de  M.  Georges  Lyon  (3),  le  dernier  mot  de  la  «  sagesse 
laïque  »  consiste  dans  l'indépendance  du  professeur,  la  neutralité  et  le 
respect,  en  matière  religieuse.  La  neutralité' peut  être  obtenue  selon  lui 


1.  Revue  des  Sciences  pJiilosophiques  et  théologiques,  juillet  1907;  Bulletin 
de   Morale,   p.    535. 

2.  Conférences  de  Morale  individuelle  et  de  Morale  sociale,  Paris,  Cornély, 
1908,  1  vol.  iii-16  de  VII-451  p. 

3.  Enseignement  et  Eeligion,  Études  philosophiques,  Paris,  Alcan,  1907,  1  vol. 
in.-8"  de  237  p.  Nous  signalons  aussi  à  l'attention  des  lecteurs  la  Morale  de 
M.  Emilio  Moselli  (Livourne,  Giiisti,  1907,  1  vol.  in-16  de  VI-227  p.),  qui 
n'est  pas  une  morale  sociologique,  bien  que  l'auteur  pense  que  la  moralité, 
cjui  doit  aboutii-  à  la  formation  de  la  personnalité,  ne  se  développe  que  dans 
la  vie  sociale,  —  et  un  article  de  M.  Harrold  Johnson  :  Borne  cssentials 
of  Moral  Education  {Intern.  Jour,  of  Ethics,  July  1907),  sur  la  formation 
du   caractère. 


558         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOr-IQUES 

à  la  condition  de  ne  point  porter  sur  les  dogmes  des  «jugements  de 
transcendance  »  et  de  se  contenter  d'émettre  des  «  jugements  de  rela- 
tion», de  ne  point  sortir  du  domaine  du  relatif,  et  de  s'arrêter  aux 
frontières  du  monde  ultra-phénoménal.  L'intention  de  l'auteur  a|)paraît 
clairement  :  tracer  entre  le  champ  d'investigation  du  prêtre  et  celui 
du  professeur  une  ligne  de  démarcation,  reléguer  la  religion  dans  un 
monde  extra-scientifique,  tout  en  se  réservant  de  traiter  —  sinonde 
maltraiter  —  les  questions  religieuses,  au  nom  de  la  science.  On  recon- 
naît là  facilement  les  théories  chères  à  W.  James,  et  à  tous  les  pragma- 
listes  ;  nous  n'insistons  pas. 

h)  Sagesse  religieuse.  — •  Cette  opposition  qu'établit  M.  Lyon  entre  les 
«jugements  de  transcendance»  et  les  «jugements  de  relation»  en 
matière  religieuse  ou  morale,  nous  ne  la  retrouvons  pas  dans  V Ethique 
de  M.  DU  RoussAux,  professeur  à  la  Faculté  de  Philosophie  et  Lettres 
de  l'Institut  Saint-Louis,  à  Bruxelles  (1).  L'auteur  établit  au  contraire, 
et  de  façon  très  nette,  que  l'Éthique  a  pour  objet  la  vie  morale  consi- 
dérée dans  ses  éléments  constitutifs  et  immanents  d'abord  ;  puis  dans 
ses  principes  réels  ou  transcendants.  D'où  la  division  de  son  Traité  en 
Éthique  formelle  et  en  Éthique  réelle,  celle-là  immanente,  subjective  ; 
celle-ci  transcendante,  objective.  Cette  division  de  l'Éthique, qui  n'a  rien 
d'équivoque  lorsqu'on  veut  bien  donner  aux  mots  «  formel  »  et  «  réel  » 
le  sens  que  leur  donne  l'auteur,  et  que  l'usage  a  déjà  consacré  en 
Logique,  pose  surtout  une  question  de  méthode.  A  la  méthode  presque 
exclusivement  déductive  de  nos  manuels  classiques,  M.  du  Rousssaux 
substitue  hardiment  la  méthode  induclive  qui  «  assure  mieux  l'indé- 
»  pendance  de  l'Éthique  comme  science,  tandis  que  le  procédé  déductif 
»  la  subordonne  par  trop  à  la  Psychologie  et  à  la  théodicée,[et]enfaitpres- 
»  que  un  simple  corollaire.»  (p. 8. ">  Ce  mélange  harmonieux  de  l'analyse  et 
de  la  synthèse  dans  l'étude  de  la  loi  ?>iora/e,envisagée  tour  à  tour  subjec- 
tivement, puis  objectivement,  autrement  dit  dans  l'esprit  humain  dont 
elle  détermine  certaines  attitudes  particulières  ;  puis  dans  ses  attaches 
ontologiques,  ne  constitue  pas  la  seule  originalité  de  l'ouvrage  de 
M.  du  Roussaux.  Signalons,  dans  la  première  partie,  les  deux  chapitres 
consacrés  à  l'analyse  du  fait  moral  et  de  l'habitude  inorale.  Le  premier 
est  tout  d'actualité.  A  une  époque  où  l'on  tend  à  «  désubjectiver  »  le 
fait  moral,  à  l'identifier  au  fait  physique,  il  était  urgent  d'insister  sur 
son  caractère  spécifique.  «  Dans  l'acte  moral,  l'intention  est  l'àme,  le 
fait  n'est  que  le  corps.  »  (p.  70.)  On  le  défigure,  lorsqu'on  ne  l'envisage 
que  du  dehors.  On  lui  garde  sa  physionomie  originale,  lorsqu'avec  M.  du 
Roussaux  on  établit  qu'il  est  avant  tout  «  intérieur  et  volontaire.»  Quant 
à  l'habitude,  elle  est  bien  en  eflet  «  un  complément  d'activité  »,  un  sur- 
croît d'énergie  psychique.  Il  y  a  sans  doute  des  habitudes  vicieuses  ; 
mais  si  l'activité  morale  s'en  trouve  diminuée,  paralysée,  il  n'en  reste 
pas  moins  qu'au  point  de  vue  psychique   «l'habitude  ...  est  pour  les 

1.  Éthique.  —  Traité  de  Philosophie  morale;  Brux&Ues,  Dewit,  1908,  1  vol. 
in-8o  do  XII-309  p.  Division  du  Traité  :  I.  P.  Éthique  formelle  :  de  la  cons-- 
cienco  morale;  de  la  volitiou  morale;  da  fait  moral;  des  habitudes  morales; 
des  suites  morales.  —  11.  P.  Éthique  réelle  :  du  critère  moral;  du  mobile 
moral;  de  l'obligation  morale;  de  la  loi   morale;  du  dénouement  moral. 


BULLETIN   DE   PHILOSOPHIE  539 

»  facultés  une  disposition  stable  et  acquise  à  refaire  plus  parfaitement 
»  leur  acte  accoutumé.  »  (p.  91.) 

Dans  la  seconde  partie  abondent  les  vues  ingénieuses  et  neuves. 
Ainsi  les  trois  premiers  chapitres  offrent  ceci  de  particulièrement  clair 
et  d'inédit  que  Vfwnnêle  y  est  considéré  successivement  comme  objet  du 
jugement  moral,  du  sentiment  intentionnel,  du  libre  arbitre  qu'il  en- 
chaîne. Au  chapitre  III,  l'auteur  s'élève  avec  force  contre  ceux  qui  con- 
fondent le  devoir  avec  le  sentiment  du  devoir,  (n"^  171  et  174)  et 
conçoivent  celui-ci  comme  une  tendance  irrésistible  à  réaliser  l'harmo- 
nie de  notre  être,  à  vouloir  la  justice  (n°^  185  et  197).  Il  montre  fort  à 
propos  que  le  devoir  est  un  quid  ontologicum  (n"  167).  Ensuite  il  analyse 
le  sentiment  provoqué  par  lui  dans  l'inclination  rationnelle,  et  remarque 
contre  le  naturalisme  que  ce  sentiment  est  plus  souvent  celui  d'une 
inhibition  que  celui  d'une  attraction,  rarement  celui  d'une  impulsion 
(n"^  178  et  187).  Le  chapitre  IV  est  consacré  à  l'analyse  de  la  loi  morale. 
L'auteur  prouve  qu'elle  est  un  fait  intime  aussi  directement  observable 
que  la  loi  logique.  «  L'honnête,  tel  que  la  raison  le  conçoit  d'évidence, 
))  est  tout  ensemble  un  type  uniforme  de  conduite,  une  fin  générale 
»  d'intention  et  une  nécessité  qui  s'impose  au  libre  arbitre.  Ce  triple 
»  fait  constitue  la  majeure  de  la  preuve,  et  voici  la  mineure.  Or  toute 
»  modalité  stable  qui  nécessite,  finalise  et  régularise  une  activité, 
»  constitue  une  loi.  Donc  l'honnête,  tel  qu'il  est  compris  de  la  raison, 
»  joue  vraiment  le  rôle  de  loi  vis-à-vis  des  actes  humains.  »  (p.  234.) 

Dès  lors  peut-on  conclure  de  l'existence  de  la  loi  morale  et  de  son 
caractère  spécifique  à  l'existence  d'une  loi  éternelle  qui  nous  régit  ? 
Pourquoi  pas,  si  l'on  admet  que  les  «  possibles  »  nous  conduisent  à 
affirmer  l'existence  d'une  intelligence  transcendante  qui  les  fonde,  et 
leur  donne  leur  valeur  absolue  ?  Nous  ne  pouvons  entrer  dans  la  discus- 
sion d'un  pareil  problème.  Mais  le  fait  de  l'avoir  si  nettement  posé 
prouve  suffisamment  que  l'auteur  de  VElhique  sait  pousser  une  idée 
jusqu'au  bout,  et  ne  recule  pas  devant  les  difficultés  «  systématiques  » 
qu'on  pourrait  lui  opposer. 

Un  autre  Traité  de  Morale  vient  d'être  livré  au  public,  mais  d'allure 
moins  moderne.  Nous  voulons  parler  du  Compendio  di  Elka,  de  Rosmi- 
ni,  annoté  par  G.  B.  P.  (1).  Cet  ouvrage  date  de  1845.  Il  a  été  primiti- 
vement écrit  en  italien,  bien  qu'il  ait  paru  en  latin.  Il  comprend  trois 
parties  :  1°  Morale  générale,  nature  du  bien  honnête  (la  volonté,  la  loi, 
leurs  relations)  ;  2°  Morale  spéciale  (devoirs,  vertus,  vices)  ;  3°  Endémo- 
nologie.  Excellence  du  bien  honnête:  perfection  de  la  nature  intelli- 
gente et  libre,  son  bonheur.  Cet  ouvrage  brille  surtout  par  la  clarté  de 
l'exposition.  On  n'y  retrouve  pas  de  traces  sensibles  de  l'ontologisme 
rosminien.  Bourré  de  notes  par  G.  B.  P.,  iil  met  à  même  de  se  retrouver 
dans  les  ouvrages  principaux  du  trop  célèbre  philosophe,  dont  les  pen- 
sées sont  résumées  ici  (2). 


1.  Antonio  Rosmini  :  Compendio  di  Etica.  Brève  storia  de  Essa.  cou 
annoiazioni  di  G.  B.  P.  Roma,  Désolée,  Lefebvre  et,  Cie,  1907;  1  vol.  ia-8" 
do   XV-300   p. 

2.  Ou    a  aussi   réédité    en.    Allemagne    les    Instilidiones    jariH    nalural/s    de 


560         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

2.  —  Les  Faits 

Un  des  faits  qui  se  rattachent  le  plus  directement  au  problème  de 
l'éducation  est  celui  de  la  criminalité  juvénile.  M.  Gibon,  dans  la  Revue 
pratique  d'apologétique  {1),  a  rassemblé  les  témoignages  des  hommes 
les  plus  autorisés  en  cette  matière.  Ils  ne  sont  pas  rassurants.  Le  fait 
est  que  de  1890  à  1905,  époque  qui  correspond  au  développement,  à 
l'épanouissement  des  théories  morales  les  plus  subversives,  et  de  l'ins- 
truction laïque  et  obligatoire,  la  criminalité  juvénile  a  suivi  une 
marche  ascendante.  «  L'ensemble  des  prévenus  de  seize  à  vingt  et  un 
»  ans,  en  France,  était  de  8,000  par  an,  avant  1840,  écrit  M.  Henry 
»  Joly.  ...  Sans  que  le  nombre  des  jeunes  gens,  sans  que  le  nombre 
»  des  enfants  ait  sensiblement  augmenté  dans  notre  pays,  voici  que 
»  nous  sommes  arrivés  de  8,000  à  30,  81  et  32,000»  (2). 

La  criminalité  juvénile  se  détermine  par  les  crimes,  les  délits  et  les 
suicides  des  mineurs  de  seize  à  vingt  et  un  ans.  Dans  le  rapport  du 
5  mars  l9o7  se  trouve  consignée  cette  déclaration  suggestive  :  «  Le. 
»  maximum  de  criminalité  se  trouve,  aussi  bien  pour  les  hommes  que 
»  pour  les  femmes,  parmi  les  accusés  et  prévenus  âgés  de  seize  à  vingt 
»  ans.  »  Quant  aux  chiffres  des  suicides  d'enfants  et  d'adolescents,  ils 
ont  quadruplé  et  quintuplé  en  soixante-quatre  ans  (3). 

Quelles  sont  les  causes  d'augmentation  de  la  criminalité  juvénile  ? 
M.  Joseph  LoTTiN,  dans  un  remarquable  article  de  la  Revue  néo-scolâsli- 
que  (4),  s'est  appliqué  à  déterminer  les  rapports  existants  ou  possibles 
entre  la  statistique  morale  et  le  déterminisme.  Voici  les  conclusions 
auxquelles  il  est  parvenu  :  1°  Les  résultats  de  la  statistique  morale 
sont  explicables  par  la  seule  influence  des  motifs  d'action,  supposés 
déterminants  ;  2°  Les  régularités  statistiques  n'offrent,  d'autre  part, 
aucune  preuve  ou  confirmation  du  déterminisme  qui  régirait  les  phéno- 
mènes moraux  ;  3°  Les  régularités  statistiques  permettent,  dans  une 
certaine  mesure,  les  inductions  sociologiques.  M.  Gibon  ramène  la 
criminalité  juvénile  à  quatre  grands  facteurs  sociaux:  1°  La  transfor- 
mation des  conditions  d'existence  (opposition  de  la  grande  industrie, 
désertion  des  campagnes,  accumulation  dans  les  grandes  villes  d'une 
population  hétérogène  [etc.])  ;  2°  Ze  milieu  familial  ;  'S"  La  décadence 
de  r apprentissage  ;  4°  VÉcole  (5). 

Dans  son  livre  sur  ['Éducation  et  le  Suicide  des  enfants  (6),  M.  Proal 
énumère  également,  parmi  les  causes  qui  expliquent  le  nombre  toujours 
croissant  des  suicides  d'enfants,  —  causes  morales  et  pathologiques  — 

Meyer,   s.   J.,   dont  le  preniier  volume   a  paru  en   1885.   La  nouvelle   édition 
a  paru  chez  Herder   à  Fribourg  en  Brisgau  :    1  vol.   gr.   in-So,   502  p. 

1.  Août    1907. 

2.  L'Enfance  coupable,   Paris,  Lecoffre,   2^  édit. 

3.  Nous  relevons,  note  M.  Gibon,  entre  1875  et  1896,  la  gradation  suivante 
de  suicides  de  mineurs  âgés  de  moins  de  seize  ans  pour  les  années  1886, 
1887,  1889  et  1890  :  62,  68,  77  et   80. 

4.  Février  1908  :  La  Statistique  morale  et  le  Déterminisme. 

5.  Art.  cité,  p.  680,  sqq. ;  Henri  Joly  :  oicv.  cité,  p.  5. 

6.  Paris,   Alcan,    1906. 


BULLETIN    DE    PHILOSOPHIE  561 

les  passions  infantiles,  l'éducation  scolaire,  et  l'ambiance  familiale. 
M.  Proal  a  raison.  Mais  il  a  moins  raison  lorsqu'il  afTirme  que  c'est  du 
côté  de  la  science  qu'il  faut  chercher  la  solution  de  ce  problème  socio- 
logique. Certes,  l'hygiène  et  la  médecine  peuvent  beaucoup  pour  en- 
rayer les  progrès  de  la  névrose  et  de  l'hystérie,  mais  l'éducation  scolaire 
et  familiale  offre  encore  plus  de  garanties.  Lorsque  l'anarchie  des 
idées  aura  cessé, dans  le  domaine  moral',  lorsque  les  éducateurs  seront 
devenus  plus  soucieux  de  former  le  caractère  des  enfants  que  de  leur 
fournir  une  instruction  indigeste;  lorsque  les  parents,  au  lieu  de  relâ- 
cher les  liens  de  la  famille,  les  auront  resserrés  ;  lorsque  surtout  on 
aura  rendu,  dans  l'enseignement  moral,  à  la  religion  la  place  qu'elle 
aurait  toujours  dû  conserver,  le  niveau  de  la  criminalité  infantile 
s'abaissera,  et  la  vie  normale  reprendra  son  cours  dans  la  société. 

Louvain  M.  S.  Gillet,  0.  P. 


2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  3. 


Bulletin  de  science  des  Religions 


I.  —  RELIGION  DES  PEUPLES  NON  CIVILISES. 

I.  —  Ouvrages  Généraux. 

DANS  le  livre,  admirablement  composé,  qu'il  a  publié  sous  ce  titre  : 
La  Religion  des  peuples  )wn  civilisés  (1),  M.  l'abbé  Bros  s'est  pro- 
posé d'étudier  les  croyances  et  institutions  religieuses  des  sauvages 
dans  ce  qu'elles  ont  de  commun.  Il  a  distribué  ce  vaste  sujet  en  douze 
chapitres  :  Objet  ;  Méthode  ;  Psychologie  du  sauvage  ;  V Animisme  ;  La 
Magie  ;  Les  dieux  ;  Le  Culte  ;  Les  Tabous  ;  Le  Totémisme;  Religion  des 
sauvages  et  religion  des  primitifs  ;  Religion  des  sauvages  et  religion  des 
civilisés  ;  Permanence  et  valeur  du  sentiment  religieux.  L'auteur  a  puisé 
les  éléments  du  tableau  qu'il  trace  de  la  vie  religieuse  des  sauvages 
dans  les  mémoires  publiés  par  nos  missionnaires  et  dans  les  ouvrages 
classiques  de  Tylor,  A.  Lang,  Frazer,  A.  Réville,  L.  Marillier,  etc.  Quant 
à  l'explication  des  faits,  il  la  demande  à  la  méthode  psychologique.  La 
méthode  sociologique  préconisée  par  MM.  Hubert  et  Mauss  n'est  admise 
qu'à  titre  d'auxiliaire. 

Il  est  facile  de  caractériser  les  idées  directrices  de  M.  Bros.  Ce  sont, 
dégagées  des  conceptions  philosophiques  inacceptables  auxquelles  elles 
sont  souvent  liées,  celles  de  l'école  anthropologique  dont  M.  E.  B.  Tylor 
a  été  le  fondateur  et  demeure  le  chef.  A  la  source  même  de  la  religion 
des  non-civilisés  et  l'imprégnant  tout  entière,  M,  Bros  aperçoit  une 
conception  animiste  du  monde.  Il  considère  cette  religion  comme  le 
produit  de  l'activité  mentale  du  sauvage,  semblable  à  celle  de  l'enfant. 
Il  estime  qu'il  faut  concevoir  la  religion  de  l'homme  préhistorique  à 
l'image  de  celle  des  sauvages  actuels.  Quant  à  la  religion  des  premiers 
hommes,  au  sens  propre,  la  science  n'en  peut  rien  dire  et  seule  la  Révé- 
lation nous  renseigne  sur  ce  point.  La  science  n'est  pas  davantage  en 
état  de  se  représenter  les  étapes  de  l'évolution  qui  a  conduit  l'humanité 
de  l'état  religieux  élevé,  que  nous  fait  connaître  la  Révélation,  à  celui 
des  non-civilisés  actuels  et  de  l'homme  préhistorique. 

'Voici  quelques  assertions  de  détail.  Magie  et  religion  sont  distinctes 
par  nature,  mais  elles  se  mêlent  dans  la  vie  religieuse  du  sauvage.  Il  est 
difficile  de  déterminer  laquelle,  de  la  religion  ou  de  la  magie,  a  précédé 
l'autre.  Toutes  les  deux  ont  le  même  principe  qui  est  l'animisme.  On  a 
nié,  non  peut-être  sans  quelque  exagération,  qu'il  existe  un  lien 
quelconque,  pour  le  sauvage,  entre  la  religion  et  la  morale  ;  du  moins, 


1.  Un  vol.  in-lG  de  XXIII  et  365  p.  {Bibliothèque  d'Histoire  des  Religions, 
1).  Paris,  Lethielleux,  1907.  M.  A.  Bros  est  professeur  au  grand  séminaire  de 
M  eaux. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  "iOS 

si  nous  en  appliquons  la  substance  à  la  conception  des  dieux,  cette 
manière  de  voir  est  exacte.  Aussi  bien  le  sauvage  n'a-t-il  qu'une  idée 
très  vague  de  la  morale  et,  si  l'on  excepte  quelques  données  primor- 
diales qui  se  réduisent  peut-être  à  un  certain  instinct  de  justice  et 
d'équité,  ses  conceptions  en  cette  matière  sont  factices.  S'il  connaît  un 
code  un  peu  précis  de  morale,  ce  code  est  d'essence  théologique  et  il 
consiste  dans  les  taOous.  L'idée  de  rétribution  dans  l'autre  vie  est  à  peu 
près  étrangère  aux  non-civilisés. 

Mgr  Le  Roy  a  écrit  à  l'auteur  une  lettre  qui  figure,  comme  Introduction, 
en  tête  de  l'ouvrage.  Avec  la  franchise  courtoise  et  spirituelle  dont  il  a  le 
secret,  l'éminent  ethnographe  expose  des  idées  qui  diffèrent  sensiblement 
de  celles  de  M.  Bros.  11  insiste  tout  particulièrement  sur  un  point  auquel 
ce  dernier  n'a  point  accordé  l'attention  qu'il  mérite.  «  Il  y  a  d'abord 
partout,  ou  presque  partout,  écrit  Mgr  Le  Roy,  la  connaissance  plus  ou 
moins  distincte,  mais  réelle,  d'un  Maître  souverain  du  monde,  qui  fait 
la  vie  et  la  mort,  et  contre  lequel  nul  être  ne  peut  rien.  (1)  »  Le 
R.  P.  W.  ScHMiDT,  directeur  de  VAnlhropos,  lui  aussi  ancien  mission- 
naire et  anthropologue  de  grande  autorité,  adhère  en  ces  termes  à 
ratfirmation  de  Mgr  Le  Roy:-  -^c  Peut-être  faut-il  limiter  un  peu  ce 
«  partout  »  ou  «  presque  partout  »,  mais  ce  qui  est  certain,  il  y  a  toute 
une  série  de  peuples,  et  —  ce  qui  est  de  la  plus  grande  importance  — 
presque  tous  les  peuples  les  plus  primitifs,  chez  lesquels  il  y  a  cette 
connaissance  que  Mgr  Le  Roy  ici  mentionne.  (2)  «  Voilà  qui  change  la 
situation.  Un  trait  capital  manque  donc  au  tableau  de  la  religion  des 
sauvages  que  nous  a  donné  M.  Bros,  un  trait  que  l'animisme  ne  suffit 
pas  à  expliquer.  Certaines  formes  religieuses  des  non-civilisés,  et  ce 
sont  précisément  les  plus  élevées  et  celles  qui  méritent  premièrement 
d'être  appelées  religieuses,  échappent  aux  prises  de  la  théorie  animiste. 
Dans  ces  conditions,  et  quelque  remarquable  que  soit  à  bien  des  égards 
le  livre  de  M.  Bros,  sa  conception  de  la  religion  des  sauvages  appelle 
de  fortes  réserves  et  l'on  préférera  se  rallier  à  celle,  beaucoup  plus  sage 
et  plus  conforme  aux  faits,  du  P.  Lagrange  qui  écrit  :  «  Il  nous  a  paru 
que  l'animisme,  facteur  principal  de  la  mythologie,  n'a  joué  qu'un  rôle 
secondaire  dans  la  religion  (3)  ». 

C'est,  en  somme,  la  conclusion  à  laquelle  est  arrivé  M.  A.  Lang,  au  terme 
d'une  évolution  dont  M.  Bros  semble  n'avoir  pas  été  informé.  Je  profite 
de  l'occasion  pour  appeler  l'attention,  à  l'exemple  du  P.  Schmidt,  sur 
cette  position  nouvelle  du  célèbre  anthropologiste  anglais.  On  sait  que 
Lang,  pendant  vingt  ans  et  plus,  a  été  en  Angleterre  le  génial  vulga- 
risateur de  la  théorie  animiste  de  Tylor.  Aussi  l'étonnement  fut-il  grand 
lorsqu'en  1898  il  publia  un  livre  intitulé  :  71ie  Making  of  Religion,  oîi, 
brûlant  ce  qu'il  avait  jadis  adoré  avec  ferveur,  il  reconnaissait  l'exis- 
tence, chez  un  grand  nombre  de  tribus  sauvages,  de  formes  religieuses 
supérieures,  de  croyances  non  animistes,  et  déclarait  que  l'animisme, 
quoique  réel,  ne  pouvait  être  désormais  considéré  comme  le  point  de 


1.  Op.  cit.,  p.  XX. 

2.  Anthropos,    1908,    2,    p.   381. 

3.  Études  sur  les  Religions  Sémitiques,  2e  éd.,  1905,  p.  2. 


564         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

départ  et  la  source  uniques  de  l'évolution  religieuse.  Et,  avec  beaucoup 
de  courage,  il  ajoutait  qu'il  fallait  revenir,  comme  à  la  seule  explication 
satisfaisante  de  toute  une  catégorie  de  faits,  à  l'hypothèse  trop  discré- 
ditée d'une  dégénérescence  à  partir  d'un  certain  monothéisme  initial.  Il 
ne  voyait  d'ailleurs  nulle  raison  défaire  appel  à  une  révélation  primitive 
pour  rendre  compte  de  ce  monothéisme.  Depuis  lors,  dans  une  seconde 
édition  de  l'ouvrage  précité,  dans  les  éditions  nouvelles  qu'il  a  données 
de  ses  publications  antérieures  et  dans  ses  travaux  plus  récents,  il  a 
maintenu  et  développé  cette  manière  de  voir  (1).  L'an  dernier,  écrivant, 
à  l'occasion  du  "o"  anniversaire  de  sa  naissance,  un  "  Éloge  "  de 
M.  E.  B.  Tylor,  il  y  introduisait  ce  discret  mais  significatif  appel  :  «  Plus 
on  accorde  à  l'Animisme,  moins  il  reste  pour  1'  "  All-Fatherism  ",  si 
l'on  me  permet  ce  terme  dont  M.  Howitt  se  sert  pour  désigner  l'Être 
supérieur,  Baiame,  par  exemple,  auquel  croient  maintes  tribus  en  Aus- 
tralie et  ailleurs.  Dans  la  théorie  animiste  de  la  religion  de  M.  Tylor 
un  être  de  cette  sorte  a  sa  place  ;  mais  souvent  dans  la  manière  dont  on 
conçoit  originairement  sa  nature,  il  n'y  a  rien  d'animiste.  L'opinion 
contraire  est  née  de  l'usage  trop  large  du  mot  Esprit,  Grand  Esprit, 
par  des  observateurs  européens.  Dans  l'ouvrage  qu'il  prépare  et  qu'on 
attend,  peut-être  M.  Tylor  voudra-t-il  soumettre  à  un  nouvel  examen  ce 
fait  d'une  religion  non  animiste.  (2)  » 

La  nouvelle  théorie  de  Lang  a  provoqué  dans  l'école  anthropologique 
plus  que  de  l'étonnement,  du  scandale  et  une  vive  résistance.  Le  profes- 
seur Ed.  Lehmann,  de  Copenhague,  dans  une  étude  récente  :  Die  Anfânge 
der  Religion  und  die  Rôligion  der  primiliven  Volker  (3),  la  traite  avec 
un  dédain  oti  perce  l'irritation.  Il  s'en  tient,  pour  son  compte,  à  la  doc- 
trine Tylorienne  et  sous  sa  forme  extrême.  C'est  ainsi  que,  sur  la  ques- 
tion débattue  de  l'antériorité  de  la  magie  sur  la  religion,  il  écrit  :  «  La 
magie  se  révèle  comme  le  tout  premier  degré  de  la  religion  en  ceci, 
particulièrement,  qu'elle  n'implique  nécessairement  ni  dieux  ni  esprits, 
pas  même  des  prêtres  et  un  culte.  »  p.  13. 

Non  seulement  le  petit  livre,  d'ailleurs  très  vivant  et  brillamment  écrit, 
de  M.  E.  Clodd  :  Animism,  the  Seed  of  Religion  (4),  maintient  la  pure 
doctrine  animiste,  mais  il  lui  donne  comme  base  l'évolutionisme  darwi- 
nien. Cela  permet  à  l'auteur  de  découvrir  les  premiers  linéaments  de  la 
religion  chez  les  animaux  supérieurs.  Nous  voilà  loin,  trop  loin  même, 
de  la  théorie  qui  faisait  de  l'idée  religieuse  un  produit  relativement  tardif 
de  l'évolution  mentale  de  l'humanité  elle-même,  théorie  aujourd'hui  si 
discréditée.  Au  delà  ou  en  deçà  de  la  vérité,  l'erreur  ne  vaut  pas  mieux. 


1.  Custom  and  Myth,  l^e  éd.,  1884,  dernière  éd.,  1904;  Myth,  Ritual 
and  Religion,  2  vol.  lr«  éd.,  1887,  dern.  éd.,  1901;  Magic  and  Religion,  dcm. 
éd.  1906;  The  MaUng  of  Religion,  2e  éd.,  1900;  Modem  Mytitology,  1897; 
Social  Origins,  1903;  The  Secret  of  the  Totem,  1905.  Nombreux  articles. 

2.  Anthropological  Essays  Presented  ta  E.  B.  Tylor.  Grand  in-4o  iUustxé 
de  416  pages.   Oxford,  Clarendoa  Press,   1907,  p.   11. 

3.  Die  orientalischen  Rcligionen,  vol.  in-4o,  Leipzig,  1906,  pp.  1-2')  {Die 
Eultur   der   Gegenwart    I,   3,    1). 

4.  In-32  de  100  pages,  Londres,  Constable,  190G.  De  la  collection  :  Religions 
Ancicnt  and  Modem. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  563 

L'étude  de  M.  A.  C.  Haddon  :  Magic  and  Fetichism  (1),  ne  formule  pas 
de  vues  d'ensemble  sur  révolution  religieuse  de  Thumanité,  et  s'attache 
exclusivement  aux  sujets  particuliers  mentionnés  dans  son  titre.  Elle 
y  gagne  d'être  très  objective  et  d'une  remarquable  précision.  Cet  opus- 
cule est  peut-être  ce  qu'on  peut  lire  de  mieux  si  l'on  veut  être  rapide- 
dement  renseigné  sur  la  magie  et  le  fétichisme.  M.  Haddon  signale 
l'erreur  qui  consiste  à  définir  le  fétichisme  :  «  L'adoration  ou  le  culte 
d'objets  inanimés.  »  En  réalité,  le  fétiche  est  un  objet  matériel  conçu 
comme  étant  la  demeure,  permanente  ou  temporaire,  d'un  être  spirituel. 
Le  fétichisme  est  donc  sur  le  même  plan  religieux  que  l'animisme. 

2.  —  Monographies  de  peuples. 

L'Australie  concentre  toujours  sur  elle  l'attention  spéciale  de  tous 
ceux  que  préoccupe  le  problème  des  origines  religieuses.  En  1899, 
MM.  B.  Spencer  et  F.  J.  Gillen  publiaient  sous  ce  titre  :  The  Native 
Tribes  of  Central  Australia,  un  ouvrage  qui  fît  sensation  et  qui  devint 
immédiatement  l'une  des  sources  préférées  où  puisèrent  les  travailleurs 
de  seconde  main.  Ce  livre  révélait  l'existence  cliez  les  indigènes  du  Cen- 
tre Australien  de  tout  un  système  totémique,  compUqué  d'une  doctrine 
des  réincarnations,  qui  sert  de  base  à  l'organisation  sociale  et  qui  cons- 
titue toute  la  religion  de  ces  tribus.  Les  deux  voyageurs  anglais  insis- 
taient sur  l'absence  complète  de  la  notion  d'un  Être  suprême  pourvu 
d'attributs  moraux.  D'autre  part  il  était  manifeste  que  ces  indigènes 
étaient,  par  excellence,  des  primitifs  (2). 

Or  voici  que  la  portée  et  l'autorité  même  de  ces  affirmations  sont 
discutées  de  divers  côtés.  Déjà  la  très  sérieuse  enquête  poursuivie, 
surtout  depuis  1884,  par  M.  A.  W.  Howitt,  et  dont  les  résultats,  tout 
d'abord  communiqués  au  public  dans  des  articles  du  Journal  of  Anlhro- 
pological  Institule  of  Greaf  Britain  and  Ireland  (3),  ont  été  réunis  en 
volume  :  The  .\ative  Tribes  of  Soulh-East  Australia  (1004),  avait  établi 
qu'il  ne  fallait  pas  étendre  au  continent  tout  entier  les  théories  de 
Spencer  et  Gillen.  Dans  la  région  qu'il  a  étudiée,  M.  Howitt  n'a  rencon- 
tré qu'un  totémisme  et  un  animisme  peu  développés  ;  le  culte  des  ancê- 
tres fait  défaut.  En  revanche,  les  tribus  du  sud-est  ont  la  notion  d'un 
Être  suprême,  Baiame,  etc.,  créateur  de  toutes  choses  et  père  des 
hommes,  législateur  et  juge  de  la  conduite  morale,  auquel  elles  rendent 
un  culte  assez  rudimentaire.  Le  savant  ethnologue  donne  à  cette  doctrine 
religieuse,  d'essence  monothéiste  quoique  rabaissée  par  un  grossier 
anthropomorphisme,  le  nom  caractéristique  de  «  AU-Fatherism  ». 

Mais  des  contradictions  plus  directes  encore  se  sont  produites  tout 
récemment.  M.  C.  Strehlow,  missionnaire  delà  Société  de  Neuendettelsau 


1.  In-32  de  99  pages,  ib.,  1906.  Même  collection. 

2.  Les  mêmes  savants  oat  publié  en  1904  un  volume  complémentaire  ; 
The  Northern  Tribes  of  Central  Australia,  où  ils  maintiennent  les  idées  ex- 
posées dans  leur  précédent  ouvrage. 

3.  Ce  sont  ces  articles  et  les  faits  qu'ils  signalaient  qui  provoquèrent 
l'évolution  do  M.  A.  Lang. 


o66         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

(Bavière),  réside  et  travaille,  depuis  1892,  parmi  les  tribus  de  l'Austra- 
lie centrale,  celles  même  qu'ont  étudiées  MM.  Spencer  et  Gillen.  Sti- 
mulé et  guidé  par  un  ethnologue  très  compétent,  M.  de  Leonuardi,  il  a 
entrepris  de  vérifier  les  assertions  des  savants  anglais.  Et  voici  qu'il 
vient,  avec  la  collaboration  de  M.  de  Leonhardi,  de  publier  les  premiers 
résultats  de  ses  recherches  en  un  volume  intitulé  :  Die  Aranda-  und 
Loritja  -  Staminé  vi  Zenlral- Australien .  I  Teil.  Mythen,  Sagen  und 
Mdrchen  des  Aranda-Stammes  (1),  Il  y  contredit,  sur  plusieurs  points 
importants,  les  assertions  de  Spencer  et  Gillen.  Les  Arandas  (Aruntas 
de  S.  et  G.)  ont,  eux  aussi,  la  notion  d'un  Être  suprême,  Altjira.  Cet 
Être  est  bon,  éternel  ;  sa  demeure  est  le  ciel.  Il  règne  seul  sur  les  espa- 
ces célestes,  tandis  que  la  terre,  dont  il  ne  s'occupe  pas,  est  soumise 
à  de  nombreuses  divinités.  Il  n'est  conçu  ni  comme  créateur,  ni  comme 
législateur  et  juge  de  la  conduite  morale.  C'est  un  dieu-totem  venu  du 
nord,  et  bientôt  suivi  de  plusieurs  autres,  qui  a  amené  l'introduction, 
chez  les  Arandas, du  culte  et  del'organisation  totémiques  et  qui  a  rejeté  au 
second  plan  la  doctrine,  plus  ancienne,  d'un  Être  suprême.  MM.  Spencer 
et  Gillen  auraient  pareillement  commis  de  graves  méprises  en  ce  qui 
concerne  la  théorie  des  réincarnations  qu'ils  attribuent  aux  Arandas. 
Mais  ce  point  et  le  problème  du  totémisme  seront  examinés  en  détail 
dans  un  second  volume  qui  est  en  préparation. 

M.  H.  Klaatsch,  de  l'université  de  Breslau,  a  récemment  publié  son 
rapport  final  sur  le  voyage  d'études  qu'il  a  accompli  en  Australie  de 
1904  à  1907  (2).  Dans  le  chapitre  consacré  au  nord-ouest  de  l'Australie, 
il  traite  longuement  des  totems.  Il  déclare  avoir  acquis  la  certitude  que 
les  Niol-Niol  de  Beagle-Bay,  tribu  que  l'influence  européenne  n'a  tou- 
chée que  très  tard,  ne  possèdent  pas  de  système  totémique  semblable 
à  celui  que  MM.  Spencer  et  Gillen  ont  découvert  chez  les  Aruntas.  Bien 
plus  les  Niol-Niol  paraissaient  ne  pouvoir  prendre  au  sérieux  ce  qu'on 
leur  racontait,  d'après  Spencer  et  Gillen,  de  leurs  congénères  du  centre. 

M.  A.  Lang,  dans  un  mémoire  intitulé:  Australian  Problems  (3),  a  mis 
en  doute  un  point  auquel  MM.  Spencer  et  Gillen  attachent  une  grande 
importance,  le  caractère  primitif  du  système  totémique  des  tribus  qui 
habitent  le  Centre  Australien.  Le  trait,  qu'ils  donnent  volontiers  comme 
preuve  de  leur  théorie,  de  l'ignorance  oii  sont  ces  tribus  touchant  le 
fait  de  la  génération,  ne  paraît  nullement  à  M.  Lang  un  élément  primi- 
tif. Si  elles  dénient  à  l'homme  le  pouvoir  d'engendrer  c'est  qu'elles 
voient  dans  la  conception  une  réincarnation,  la  réincarnation  d'un 
ancêtre.  Or  c'est  là  une  conséquence  extrême  de  leur  philosophie  ani- 
miste et  non  le  fait  d'une  ignorance  primitive. 

M.  A.  C.  Haddon  a  condensé  en  un  tableau  d'ensemble  les  renseigne- 
ments dispersés  dans  les  volumes  V  et  VI  des  Reports  of  the  Cambridge 


1.  In-foUo  de  104  pages  et  8  planc.lies,  Francfort,  1907.  Cet  ouvrage  forme 
le  premier  fascicule  d'une  série  dont  le  Vulh'rmuseum  de  Francfort  a  entrepris 
la  publication. 

2.  Zfitschrift  filr  Ethnolofjir,  1907,  pp.  63.5-690.  Je  c'te  d'après  VAnlhrnps, 
1908,  2.  pp.  374-375. 

3.  Anthropotogical  Essays  Frescnted   to  E.    B.    Tylor,   pp.   203-218. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  567 

Anthropological  Expédition  to  Torres  Slrails.  Son  étude  s'intitule  :  The 
Religion  of  the  Torres  Straits  Islanders  (1).  Il  rappelle  la  distinction  que 
M.  Ray  a  établie,  au  point  de  vue  linguistique,  entre  les  indigènes  des 
îles  occidentales  du  Détroit  de  Torres,  qui  se  rattachent  aux  Austra- 
liens, et  ceux  des  îles  orientales,  apparentés  aux  Papous.  La  même 
distinction  se  vérifie  au  point  de  vue  religieux.  On  trouve  le  totémisme 
dans  les  îles  occidentales  ;  il  est  généralement  absent  dans  la  partie 
orientale  de  l'archipel.  L'idée  de  survivance  après  la  mort  est  commune 
aux  deux  groupes.  A  l'ouest  nulle  trace  de  culte  des  défunts  tandis  qu'à 
l'est  certaines  pratiques  semblent  se  rattacher  à  ce  culte.  Dans  toutes 
les  îles  s'est  répandu  un  culte  des  héros,  d'origine  étrangère,  mais  qui 
à  l'ouest  s'est  développé  avec  un  caractère  guerrier,  à  l'est,  au  contraire, 
dans  un  rapport  intime  avec  la  vie  sociale.  Nulle  part  on  n'aperçoit 
l'idée  d'une  relation  entre  la  religion  et  la  morale,  ni  la  notion  d'un 
Être  suprême.  Le  P.  Schmidt  fait  des  réserves  sur  ces  deux  derniers 
points  [Anthropos,  1908,  2,  p.  378). 

Les  Races  païennes  de  la  presqu'île  de  Malacca  ont  fourni  à 
MM.  W.  W.  Skeat  et  C.  0.  Blagden  la  matière  de  deux  gros  volumes  : 
Pagan  Races  of  the  MaUuj  Peninsula  (2),  qui  méritent  la  plus  sérieuse 
attention.  L'ouvrage  comprend  quatre  parties:  I  Race;  II  Mœnrs  et 
Coutumes  ;  III  Religion  (Skeat)  ;  IV  Langue  (Blagden).  M.  Skeat  distin- 
gue trois  races:  Les  Semang,  qui  sont  des  negritos  et  qui  constituent 
les  derniers  restes  d'une  population  de  Pygmées  anciennement  répan- 
due dans  tout  le  sud  du  continent  asiatique  ;  les  Sakai  ou  Senoi,  qu'il 
rattache  aux  Veddas,  mais  que  le  P. Schmidt,  auquel  leprofesseur  R.Mar- 
tin semble  vouloir  donner  son  adhésion,  incorpore  à  la  famille  Mon- 
Khmer  ;  enfin  les  Jakun.  La  section  relative  à  la  religion  nous  intéresse 
plus  directement. «  La  Religion  des  Semang, écrit  M.  Skeat,  malgré  qu'elle 
connaisse  un  dieu  du  tonnerre  (Kari)  et  quelques  divinités  de  second 
ordre,  ne  possède  qu'un  rituel  peu  développé  ;  elle  consiste  surtout  en 
mythologie  et  en  légendes.  Elle  montre  relativement  peu  de  traces  de 
démonolàtrie,  peu  de  crainte  des  esprits  de  morts  et  moins  encore  de 
croyances  animistes  de  quelque  sorte  que  ce  soit.  »  «  La  Religion  des 
Sakai,  tout  en  admettant  une  sorte  de  dieu  suprême  qui  porte  diflerents 
noms,  semble  cependant  consister  presque  entièrement  en  une  démono- 
làtrie. Celte  démonolàtrie  prend  la  forme  du  Chanianisme  si  répandu 
dans  le  sud-est  de  l'Asie.  »  «  La  Religion  des  Jakun  est  la  croyance 
païenne  ou  pré-mahométane  (Chamanisme)  de  la  péninsule  de  Malacca... 
Ses  divinités,  si  l'on  peut  leur  attribuer  ce  nom,  sont  des  sortes  d'ancê- 
tres de  tribu,  tantôt  sans  nulle  fonction,  tantôt  glorifiés,  autour  desquels 
se  sont  agglomérées  des  légendes  merveilleuses.  »  Tome  II,  p.  174  et  s. 

Ces  religions  se  disposent  donc  dans  l'ordre  suivant  :  au  premier 
rang,  celle  des  Semang  avec  son  fond  monothéiste  et  moral  ;  au  second, 
celle  des  Sakai,  qui  est  surtout  un  polydémonisme  ;  au  dernier,  celle 
des  Jakun,  qui  consiste  en   un   culte  des  ancêtres.   Pour  ce  qui  est,  au 

1.  Anthropological  Essays  Fresented  to  E.  B.  Ti/lor,  pp.  175-188. 

2.  Deux  volumes  in-8",  copieusement  illustres,  de  XL-724  et  de  X-855  pages, 
Londres,  Macmillan,  1906. 


568         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

contraire,  du  degré  de  civilisation,  les  Jakun  viennent  au  premier  rang, 
les  Sakai  au  second  et  les  Semang  au  dernier.  On  ne  pouvait  souhaiter 
de  démenti  plus  catégorique  à  la  théorie  animiste  de  l'évolution  reli- 
gieuse qui  fait  sortir,  avec  le  progrès  de  la  civilisation,  le  monothéisme 
du  polydémonisme  et  celui-ci  de  formes  inférieures  comme  le  culte  des 
esprits  des  défunts. 

Sur  l'Afrique  nous  avons  d'abord  la  très  intéressante  étude  de  M.  le 
D""  E.  DE  JoNGHE  :  Les  Sociétés  secrètes  au  Bas-Congo  (1).  Après  une 
introduction  oîi  il  expose  les  théories  actuelles  sur  ces  Sociétés,  l'auteur 
traite  successivement  les  points  suivants  :  Aire  d'extension  et  nom  ;  âge 
des  adeptes  ;  choix  des  adeptes  ;  durée  des  épreuves  ;  lieu  des  épreuves  ; 
cérémonies  d'entrée  ;  déformations  artificielles  ;  costume  ;  éducation,  ins- 
truction ;  prescriptions  et  défenses;  cérémonies  de  sortie;  après  V initia- 
tion. Deux  fêtes  surtout  tiennent  une  place  importante  dans  la  vie  de 
ces  Sociétés  et  des  indigènes  du  Bas-Congo  :  la  nkimba  et  la  ndemba. 
La  première  apparaît  clairement  comme  une  fête  de  la  puberté  et  les 
hommes  seuls  y  sont  admis.  Le  caractère  de  la  seconde  est  plus  difficile 
à  déterminer  et  les  femmes  y  ont  part;  elle  paraît  être  d'origine  plus 
récente,  d'importance  secondaire  et  elle  varie  beaucoup  selon  les  régions. 
L'auteur  éprouve  quelque  embarras  à  préciser  le  rapport  qui  existe 
entre  la  circoncision  et  les  rites  de  la  puberté.  De  même  au  Bas-Congo, 
le  tatouage,  le  limage  ou  l'extraction  des  dents  et  autres  mutilations, 
ne  sont  pas  explicitement  rattachés  à  la  nkimba  et  paraissent  la^ précé- 
der. Il  doit  cependant  y  avoir  un  lien  entre  ces  diverses  pratiques.  Le 
chapitre  sur  l'éducation  et  l'enseignement  offre  d'autant  plus  d'intérêt 
que  c'est,  semble-t-il,  dans  les  doctrines  traditionnelles  des  Sociétés 
secrètes  que  Ton  peut  espérer  découvrir  la  véritable  pensée  religieuse 
des  peuples  non-civilisés. 

Je  ne  dirai  qu'un  mot  de  l'ouvrage,  d'ailleurs  plein  de  choses,  de 
M.  H,  E.  Dennett  :  At  the  Back  of  the  Black  Man's  Mind  (2),  ou,  comme 
traduit  M.  A.  van  Gennep  :  Dans  le  tréfonds  de  Vâme  nègre  (3).  L'auteur 
y  donne  le  résultat  d'enquêtes  poursuivies  chez  les  Bavili,  peuplade  du 
Loango  dans  le  Congo  français,  et  au  Bénin.  On  appréciera  surtout  les 
contributions  précieuses  qu'il  apporte  à  l'étude  de  la  conception  de 
l'office  royal  chez  les  Noirs  de  la  côte  occidentale  de  l'Afrique.  L'ouvrage 
mérite  la  plus  sérieuse  attention  mais  il  est  rebelle  à  l'analyse,  étant 
à  la  fois  riche  de  faits  et  assez  confus. 

Kain.  A.  Lemonnyer,  0.  P. 


II.  —  RELIGION    EGYPTIENNE 
Tout  d'abord  je  signalerai  deux  traductions,    l'une  en  français  :  «  La 


1.  i^ibliéc  d'abord  dans  la  Revue  des  Questions  Scientifiques,  octobre  1907, 
puis    eu    brochure    in-8o    de    74    pages,    Bruxelles,    Falk. 

2.  Iu-8"  de  XV  et  288  pages,   Londres,   Macmillan,   190G.   Intéressante  illus- 
tration  documentaire. 

3.  Revue   de    l'Histoire    des    Religions,    1907,    sppt.-octobre,    p.    219. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  569 

religion  égyptienne  par'  A.  Erman,  traduction  française  par  Charles 
Vidal  »  (1)  ;  l'autre  en  anglais  :  «  A  Handbook  of  Egyptian  religion,  by 
A.  Erman,  Iranslated  by  A.  S.  Griffith»  (2).  Parues  simultanément, elles 
montrent  l'importance  que  l'on  a  attachée  à  l'ouvrage  d'Erman  (3),  qui 
est  le  maître  de  l'école  égyptologique  allemande.  Sans  entrer  dans 
aucun  détail,  puisqu'il  s'agit  d'une  œuvre  déjà  ancienne  de  deux  ans, 
il  est  bon  de  rappeler  cependant  que  l'auteur  a  voulu  représenter  la 
croyance  égyptienne  comme  elle  apparaît  à  un  observateurnon  prévenu, 
et  qui  ne  sait  rien  des  théories  modernes  de  la  science  des  religions.  Il 
la  saisit  dans  ses  premières  manifestations  telle  qu'elle  se  découvre 
dans  les  monuments  des  époques  les  plus  reculées, la  suit  dans  son  déve- 
loppement durant  les  vicissitudes  diverses  de  l'empire  des  Pharaons  et 
jusqu'à  sa  disparition  du  sol  de  l'Egypte.  11  montre,  ce  qui  est  intéres- 
sant, l'extension  qu'elle  a  prise  dans  les  pays  voisins  au  temps  de  sa 
floraison,  en  Crète,  en  Palestine,  en  Phénicie  et  dans  le  pays  de  Koush, 
et  donne  enfin  un  aperçu  sur  son  infiltration  en  Europe  au  moment  où 
elle  se  mourait,  alors  que  la  foi  en  Isis  et  Osiris  s'implantait  en  Grèce 
et  à  Rome,  dans  le  nord  de  l'Afrique  et  en  Espagne,  et  s'égarait  des 
rives  du  Nil  jusque  sur  les  bords  du  Rhin  et  du  Danube.  Mais  dans  tout 
cela  il  ne  parle  ni  d'animisme  et  de  fétichisme,  ni  de  dieux  chtoniens, 
pas  même  des  guérisseurs,  ne  voulant  pas,  comme  il  le  dit  lui-même, 
«  introduire  de  ces  choses-là  dans  une  religion  qui  peut  se  comprendre 
sans  le  concours  de  ces  idées  »  (4).  C'est  un  exposé  clair,  précis  et  con- 
duit avec  un  grand  souci  d'objectivité.  Trop  simple  et  trop  objectif  sans 
doute  au  gré  de  certains  critiques,  car  E.  Andèrson  (S),  en  annonçant  la 
traduction  française,  attaque  l'œuvre  d'Erman  et  se  demande  si  elle 
méritait  de  revêtir  cette  forme.  Or,  précisément  c'est  là  ce  qui  fait 
son  incontestable  valeur. 

Je  n'en  saurais  dire  autant  de  l'œuvre  suivante  qui  est  une  systémati- 
sation des  croyances  égyptiennes  :  Kultur  und  Denckender  alten  Aeggp- 
/er,  .von  Herman  Scuneider,  D""  Philos.,  D''  Med.,  Docent  der  Philosophie 
an  der  Universitàt  Leipzig  (0).  C'est  le  premier  volume  d'une  collection 
annoncée  :  Entwicklungsgeschichlc  der  Menschheit  ;  et  comme  il  appert, 
cette  étude  est  tout  entière  basée  sur  l'idée  de  l'évolution  et  la  concep- 
tion hégélienne  sous  laquelle  il  envisage  les  événements  historiques. 
Cette  autre:  La  civilisation  pharaonique,  par  Albert  Gayet(7),  présente 
une  esquisse  plus  simple.  Tous  deux  examinent  un  même  ordre  de 
choses  ;  mais  tandis  que  Gayet  les  passe  rapidement  en  revue,  de 
l'aurore  de  l'époque  fabuleuse  jusqu'à  l'heure  où  se  manifeste  l'in- 
fluence gréco-romaine,  et  ne  consacre  que  de  brefs  aperçus  à  la  religion 


1.  Un  vol.  iii-8o,  355  p.,  orné  de  165  gr.,  Paris,  Fisclibacher,  1907. 

2.  Un  vol.  in-8o,  XVI-262  p.  with  1.30  illustrations,  piiblishod  in  the  Grerman 
édition  as  a  handbook  by  the  Verwaltung  of  the  Berlin  impérial  Miiseum, 
London,   Ajchibald   Consiable  and   C».,   1907. 

3.  Un  vol.  in-8'^  VI-260  p.,  Berlin,  G.  Reimer,  1905. 

4.  Préfaoe,  p.  2. 

5.  Sphinx,  vol.  XI,  fasc.  III,  décembre  1907,  p.  173. 

6.  Un   vol.  in-8o,    XXXVI-561   p.,    Leipzig,    R.    Voigtlander,    1907. 

7.  Un  vol.  in-12,  VIII-333  p.,  Paris,  PIon-Nouxril  et  Cie  1907. 


S70  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

elle-même,  Schneider  avec  une  méthode  plws  didactique  trace  l'évolu- 
tion de  tout  cet  ensemble  de  caractères  qui  forment  une  civilisation  : 
l'état  général  du  pays  et  sa  politique,  l'art,  la  littérature,  poésie  et 
histoire,  la  science  et  ses  difîérentes  branches,  enfin  la  religion  qui 
comprend  un  bon  tiers  du  volume.  On  pourrait  dire  la  moitié,  car  aupa- 
ravant déjà,  à  propos  de  la  science,  il  parle  des  traités  de  théologie,  de 
la  spéculation  philosophico-religieuse,  de  la  magie  (1).  Le  premier  est 
un  égyptologue  qui  expose  le  cours  de  la  civilisation  de  l'antique 
Egypte,  cherchant  à  dégager  les  idées  qu'elle  renferme  ;  le  second  est 
un  philosophe  qui  veut  donner  une  explication  des  choses. 

Chez  Gayet  nous  retrouvons  les  idées  de  Naville,  que  j'ai  exposées 
ici  même  l'année  dernière  (2),  sur  les  origines  de  la  race,  les  premiers 
systèmes  cosmiques,  les  dynasties  divines,  les  systèmes  religieux  de  la 
période  historique,  les  dogmes  funéraires(3).  Il  considère,  en  terminant, 
la  diffusion  des  idées  égyptiennes  chez  les  Grecs  qui  s'efTorcèrent  de 
rattacher  leur  panthéon  à  celui  de  l'Egypte  afin  de  justifier  leur  con- 
quête ;  chez  les  Phéniciens  oii  la  légende  isiaque  s'était  de  bonne  heure 
acclimatée,  grâce  à  leur  conception  du  mythe  d'Âstarté  ;  chez  les  Ro- 
mains qui  acceptèrent  toutes  les  tentatives  rénovatrices  du  panthéon 
hellénique  (4).  Enfin  dans  l'école  d'Alexandrie,  pythagoriciens  et  néo- 
platoniciens s'efforcent  de  donner  corps  sous  des  définitions  nouvelles 
aux  mythes  disparus.  Ce  n'est  point  la  christianisation  des  idées  de 
Platon  que  nous  rencontrons  chez  ces  sages,  tout  au  contraire,  ils 
s'ingénient  à  égyptianiser  l'Évangile  qui  se  ramène  pour  eux  à  la  reli- 
gion solaire  et  au  culte  d'Osiris. 

L'étude  de  Schneidei-  plus  serrée  et  plus  approfondie  mérite  qu'on 
s'y  arrête  un  peu.  En  voici  donc  les  lignes  générales. 

L  Die  Religion  der  Urzeit.  —  Schneider  prend  l'homme  au  sortir  des 
langes  de  l'animalité,  alors  qu'avec  la  conscience  naissante  se  posa  la 
question  de  la  causalité  des  choses.  Dans  le  monde  extérieur  il  vit  une 
sommede  formes  résultant  de  l'aspect  pratique,  utile  ou  nuisible,  puissant 
ou  vivant  des  êtres,  et  de  cette  masse  de  causalités  naquirent  les  dieux. 
Parallèlement  se  créa  le  culte  des  morts  avec  la  question  de  leur  desti- 
née; et  comme  le  primitif  ne  pouvait  se  former  de  la  vie  d'outre-tombe 
qu'une  idée  analogue  aux  mille  conditions  de  la  vie  présente,  de  là 
sortirent  toutes  les  coutumes  funéraires  et  aussi  la  première  idée 
métaphysique.  En  effet,  fournir  le  mort  de  toutes  choses  eût  été  en  fin 
de  compte  ruineux,  et  puisqu'on  voyait  l'être  des  choses  dans  leurs 
formes,  on  constitua  aux  défunts  tout  une  fortune  faite  de  la  forme 
des  objets,  à  l'abri  de  la  corruption,  de  la  déprédation  et  des  vols.  C'est 
ainsi  que  l'observation  fit  naître  la  doctrine  des  doubles  en  général  et 
de  la  double  nature  de  l'homme  et  des  dieux  en  particulier.  Les  doubles 


1.  Op.   cil.,    Sechtes    Ivai>itel,    Die   Religion,    p.    371-554,    et    Fiiiiftes    Ivapit., 
Die  Wissenschaft,  Zauberei,  TJieologie,  etc.,  p.  293-294,  et  330  371. 

2.  La    religion    des    anciens    Égyptiens;    Bévue    des    Se.    PJiilos.    et    Théol., 
Religion  égypt.,  p.  541. 

3.  Chap.   I;  chap.    II.   La   tombe   memphite. 

4.  Cliap.   VI,  p.  286. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  571 

accompagnaient  les  images  de  bois  et  de  pierre,  étaient  logés  dans  un 
domaine  commun,  ce  qui  semble  être  le  point  de  départ  de  l'entremise 
des  dieux  dans  la  vie  d'outre-lombe.  Le  culte  des  dieux  et  le  culte  des 
morts  paraissent  juxtaposés  à  Toiigine  ;  jusqu'à  la  quatrième  dynastie 
on  ne  trouve  dans  les  mastabas  aucune  représentation  certaine  de  la 
divinité.  En  résumé,  un  ensemble  de  dieux  de  tribus,  isolés  et  indé- 
pendants, protecteurs  d'une  cité,  un  ensemble  de  coutumes  funéraires, 
c'est  tout  ce  que  nous  offre  la  religion  égyptienne  des  temps  les  plus 
anciens.  Les  dieux  n'eurent  de  valeur  que  celle  de  la  puissance  politique 
du  nome.  La  lutte  de  la  tribu  fut  la  lutte  des  dieux,  de  sorte  qu'avec 
l'élat  royal  naquit  l'état  des  dieux.  C'est  pourquoi  les  suivants  d'Horus 
établissant  peu  à  peu  leur  domination,  Horus  le  faucon  fut  le  dieu 
royal  des  deux  premières  dynasties,  des  horiens  qui  repoussèrent  les 
autres  dieux,  surtout  Set,  l'ennemi  du  nord. 

II.  Die  Religion  zur  Zeil  der  drillen  bis  seclisten  Di/naslie.  —  Par  le 
revirement  politique  qui  éleva  Memphis,  Horus  perdit  sa  prédominance 
tout  en  conservant  un  rôle  de  grand  dieu  dans  le  mythe  égyptien.  Râ 
hérita  du  royaume. Mais  si  la  cour  eut  un  poids  capital  dans  ce  dévelop- 
pement religieux,  elle  ne  fut  pas  seule.  A  côté  d'Héliopolis-On  et  de  Râ, 
nous  voyons  naître  Busiris-Ded  et  Osiris,  deux  cultes  analogues  dans 
leur  mouvement  évolutif.  Tous  deux  cultes  locaux  de  la  basse  Egypte 
sont  originaires  d'un  même  culte  primitif,  le  premier  du  pilier  ou  obé- 
lisque Benben,  le  second  du  pilier  Ded.  Tous  deux  prennent  des  formes 
humaines  et  de  nouveaux  noms  :  le  Benben  devient  Râ  qui  reçoit  la 
tête  de  faucon  et  peut-être  aussi  le  caractère  solaire  de  l'ancien  Horus; 
son  culte  est  plus  ample,  plus  universel,  plus  théorique,  plus  doctrinal. 
Le  Ded  se  change  en  Osiris  à  la  stature  humaine  ;  héritier  de  tous  les 
éléments  de  la  lutte  d'Horus  et  de  Set,  son  culte  est  plus  pratique.  Une 
lutte  s'engagea  pour  ainsi  dire  entre  les  deux  durant  le  cours  des  longs 
siècles  de  la  civilisation  égyptienne,  qui  se  termina,après  bien  des  com- 
promissions, par  le  triomphe  du  culte  osirien  que  nous  trouvons  encore 
à  la  chute  du  vieux  royaume.  Ces  deux  cultes  entln  semblent  une  conti- 
nuation et  un  développement,  l'un  du  culte  primitif  des  dieux, l'autre  du 
culte  premier  des  morts.  Autour  d'eux  se  groupèrent  les  autres  dieux 
qui  formèrent  comme  leur  cercle  et  suivirent  leur  fortune.  Ainsi  l'évo- 
lution politique  des  dieux  coïncide  avec  celle  des  nomes  et  leur  condi- 
tion sociale  est  relative  à  celle  du  royaume.  C'est  alors  qu'apparaisent 
les  dieux  mondiaux  (  Weltgôtler),  issus  des  considérations  purement 
théoriques  qui  découlent  de  notre  besoin  de  connaissance  et  de  con- 
ception du  monde.  Dès  la  plus  haute  antiquité,  on  a  dû  établir  des  analo- 
gies entre  la  marche  du  ciel  et  les  choses  de  la  terre.  Si  pour  l'Égyptien 
la  lune  avec  son  croissant  figure  une  corne  de  taureau  ou  un  bec  recour- 
bé d'ibis,  si  le  soleil,  comme  le  faucon  qui  vole,  s'avance  pour  détruire 
les  nuées  rampantes  comme  un  serpent,  taureau,  ibis,  faucon  et 
serpent  deviennent  de  purs  symboles.  Du  rapprochement  des  nomes 
où  ces  figurations  ont  eu  lieu  et  de  ce  transport  dans  le  champ  du  ciel 
des  idées  premières  des  dieux  et  de  leurs  conflits  se  forma  toute 
une  philosophie  de  la  nature  ignorée  de  la  foule,  dont  Râ  devint  le 
centre  et  qui  eut  pour  couronnement   les  fameuses  ennéades  d'Héliopo- 


572         PEVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

lis.  Ce  culte  eut  une  telle  extension  qu'il  se  compléta  par  une  religion 
des  morts  qui  eut,  celle-là,  tout  le  caractère  de  la  religion  de  la  nature 
de  Rà.  Son  royaume  des  morts  est  le  domaine  de  Râ  avec  sa  route 
solaire.  Mais  si  la  tendance  de  la  cosmologie  d'Héliopolis  fut  de  s'écar- 
ter de  plus  en  plus  de  l'antliropomorphisme,  surtout  dans  ses  parties 
les  plus  abstraites,  elle  dut  le  conserver  cependant  dans  sa  doctrine  de 
la  mort.  Aussi  le  culte  osirien  cadre-t-il  mieux  avec  les  nécessités  pra- 
tiques de  la  vie  d'outre-tombe,  car  il  est  tout  entier  modelé  sur  le 
problème  humain.  C'est  lui  en  fin  de  compte  qui  l'emporta. 

Il  se  fil  chez  lui  en  ce  moment  un  grand  pas  vers  la  spiritualisation. 
Si  de  plus  grands  soins  furent  apportés  à  l'ensevelissement  et  à  la  mo- 
mification, si  les  cérémonies  de  l'ouverture  de  la  bouche  et  des  yeux 
prirent  de  l'importance,  les  Égyptiens  savaient  que  le  corps  reste  inerte 
au  tombeau.  C'est  pour  le  double  que  cela  se  fit.  C'est  lui  qui  se  meut, 
passe  à  travers  les  portes  peintes  et  figurées,  etc..  Il  peut  vivre  avec 
le  double  des  dieux  en  un  royaume  spécial.  C'est  le  point  de  rencontre 
du  culte  des  dieux  et  des  morts.  Ceux-là,  gardiens  tout  d'abord  de  la 
tombe,  entrèrent  par  leur  humanisation  dans  la  vie  des  morts.  Le  Ded 
ou  pilier  d'Osiris,  qui  demeura  pilier  comme  dieu  local,  se  transforma 
dans  la  spéculation  sacerdotale.  Pilier,  il  reçut  une  tête, devint  momie  et 
maître  des  morts  ;  mort  lui-même  il  leur  est  semblable.  Nous  louchons 
là  au  plus  haut  point  delà  philosophie  égyptienne  dans  sa  considération 
de  l'univers  et  son  partage  en  trois  domaines  :  Celui  de  Râ,  le  ciel 
d'Horus  ;  celui  d'Osiris,  le  domaine  inférieur,  l'Amenti  ;  l'Egypte  enfin 
ou  la  terre. 

C'est  l'époque  des  grandes  spéculations,  celle  où  l'on  aborde  les 
grands  problèmes,  celui  de  l'homme,  de  l'âme,  et  où  ils  sont  résolus 
définitivement  pour  les  Égyptiens  ;  celle  où  l'on  rencontre  un  enseigne- 
ment complet  de  leur  conception.  C'est  celle  enfin  où  apparaît  la  magie. 
Schneider  veut  en  voir  l'origine  dans  le  culte  des  morts,  dans  l'emploi  des 
objets  de  toutes  sortes  qui  devaient  servir  au  mort  de  garantie,  lui 
procurer  nourriture  et  jouissance.  Ce  furent  peu  à  peu  des  amulettes 
auxquelles  s'adjoignirent  des  paroles.  Les  dieux  d'abord  commencent 
à  être  magiciens,  puis  l'homme  qui  arrive  à  connaître  leur  puissance  ; 
d'où  deux  causalités  dans  le  monde,  la  causalité  naturelle  et  la  causa- 
lité magique. 

C'est  l'idée  de  A.  Moret  dans  sa  conférence  :  La  Magie  (1).  Pour 
lui,  «  religion  et  magie  se  proposent  de  modifier  l'ordre  normal 
par  des  miracles.  »  Mais  tandis  que  Schneider  se  plaît  à  cher- 
cher les  raisons,  Moret,  qui  n'est  pas  philosophe,  se  contente 
d'exposer  les  coutumes  magiques,  le  rôle  du  magicien,  la  forme  des 
amulettes,  etc.  Erman  (2),  bien  au  contraire,  la  distingue  résolument 
du  culte  des  dieux  et  des  morts,  «  la  magie  étant  une  excroissance 
monstrueuse  de  la  religion  qui  prétend  contraindre  les  forces  de  la 
nature.  »  Certes  ce  n'est  point  du  goût  de  tous,  et  VAlheneum(Z)  trouve 

1.  Broch.  m-18,  41  p.,  tirage  à  part  du  t.  XX,  Confér.  du  Musée  Gui- 
met.  Paris,   Leroux,    1907. 

2.  Op.   cit.;   ch.   VL 

3.  The   Atheneum,    Satuiday,    aug.    3th,    1907;    et   Sphinx,    toc.    cit. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  573 

bien  audacieuse  l'idée  d'Erman,  qu'il  accuserait  volontiers  d'ignorance 
parce  qu'il  n'a  pas  accepté  les  théories  opposées  qui  font  de  la  magie 
la  forme  primitive  de  toute  religion  ou  les  rendent  inséparables  l'une 
de  l'autre.  Au  terme  de  cette  partie  de  son  étude  basée  sur  les  «  textes 
des  Pyramides '),  Schneider  essaye  de  dégager  les  procédés  logiques 
qu'ils  renferment.  Le  mode  d'appréhension  des  Égyptiens,  la  valeur 
qu'ils  altribuent  aux  représentations  des  objets,  la  manière  d'exprimer 
le  principe  d'identité  et  de  contradiction,  de  raisonner  par  le  syllogisme, 
autant  de  choses  en  germe  dans  ces  textes  et  qu'il  faut  arriver  à  con- 
naître pour  les  comprendre(l).  On  ne  peut  que  le  féliciler  de  cette 
tentative. 

III.  Die  Religion  im  mitlleren  Reich  ;  IV.  im  neuen  Reich.  —  Un  mou- 
vement analogue  à  celui  qui  avait  élevé  le  dieu  Râ  amena  la  suprématie 
des  princes  de  Thèbes  et  celle  d'Amon,  auquel  le  corps  sacerdotal  tailla 
de  magnifiques  habits  dans  les  dépouilles  de  ses  prédécesseurs.  Il  fut 
dieu  solaire,  son  épouse  Mut,  qui  remplace  Hathor,  reine  du  ciel,  et 
leur  fils  Chons  dieu  lunaire  comme  le  Toth  ancien.  L'époque  des 
grandes  spéculations  était  passée.  Ce  fut  le  temps  d'une  politique  réa- 
liste née  de  luttes  à  l'intérieur,  obligée  d'étendre  son  empire  par  des 
expéditions  guerrières  et  de  protéger  son  commerce.  On  eut  besoin  d'une 
divinité  qui  fut  Monthou,  dieu  de  la  guerre.  Il  y  eut  par  contre  un 
grand  développement  de  la  piété,  empreinte  parfois  d'un  peu  de  pessi- 
misme, qui  se  manifesta  davantage  encore  sous  le  nouvel  empire, 
dégénéra  dans  la  superstition  d'une  multitude  de  divinités  locales  et 
amena  le  règne  de  la  magie.  La  fortune  d'Amon  fut  un  instant  ébranlée 
par  la  conquête  des  Hyksos,  qui  introduisirent  des  dieux  asiatiques. 
Baals'égyptianisa  à  Avaris.  Vainqueur  des  rois  égyptiens,  ennemi  d'Ho- 
rus,  il  prit  les  attributs  de  Set  et  s'appela  Suteck.  Avec  le  nouvel  empire, 
Amon  reprit  ses  droits  ;  les  influences  babyloniennes  se  firent  sentir, 
Bes  et  d'autres  dieux  étrangers  obtinrent  leur  naturalisation.  Une  sorte 
de  syncrétisme,  à  l'instar  de  celui  de  Babylone,  mais  sans  atteindre  le 
même  degré,  se  produisit.  La  réforme  d'Aménophis  IV  fut  peut-être  une 
manifestation  brutale  de  ce  mouvement.  Aten,  qui  se  rattacha  à  la  plus 
pure  doctrine  de  Râ,  en  rejeta  l'anthropomorphisme. La  voie  était  ouverte 
au  monothéisme  et  au  panthéisme  naturel.  C'est  le  plus  haut  sommet 
auquel  parvint  la  spéculation  théorique  de  l'observation  du  monde  chez 
les  Égyptiens. 

De  son  côté  le  culte  funéraire  d'Osiris  fut  accepté  dans  son  ensemble. 
Les  rites  de  l'ensevelissement  et  de  la  momification  subirent  quelques 
changements  ;  les  mastabas  et  pyramides  ne  furent  plus  de  mode,  mais 
les  nouveaux  tombeaux  ne  renferment  que  les  anciennes  formules  pétri- 
fiées. On  ne  fit  que  raffiner,  rendre  le  rituel  plus  compliqué,  se  donner 
libre  champ  dans  les  descriptions  du  pays  d'outre-tombe  et  de  ses  lois. 
Tout  au  plus  pourrait-on  voir,  dans  certaines  particularités  du  tombeau 
d'Aménophis  IV,  un  essai  de  restauration  de  l'ancien  culte  funéraire  de 
Rfà.  Le  syncrétisme  qui  façonnait  alors  le  culte  des  dieux  se  montre  dans 


1.  Op.   cit.,   Die   Relicjion   in  deii   Pyramidcn   Tcxteii,   p.    439-490.   Dus  Au- 
schauliche    und  das  Begriffliche  Dencken   im  Strcite,  p.   483,   etc. 


574  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

celui  des  morts.  Il  tenta  même  de  lier  ces  deux  cultes  et  de  faire  entrer 
dans  un  même  cycle  tous  les  grands  dieux. 

V.  Die  Aegyptische  Religion  und  das  Christentum.  —  Ce  fut  en  cet 
état  que  le  Cliristianisme  trouva  l'Egypte.  Schneider,  après  avoir  établi 
les  rapports  de  la  doctrine  de  Socrate  et  de  celle  du  Christ,  et  le  lien 
que,  selon  lui,  l'apôtre  Paul  aurait  créé  entre  l'hellénisme  et  le  Chris- 
tianisme, veut  surtout  rattacher  celui-ci  au  culte  et  aux  idées  égyp- 
tiennes. Jésus  en  a  posé  le  germe,  mais  c'est  en  Egypte  qu'il  prit  corps 
pour  devenir  religion  mondiale. 

Toute  réserve  faite  sur  les  idées  kantistes  et  hégéliennes  de  Schneider, 
qui  dominent  le  volume,  dirigent  son  processus,  et  sur  les  conclusions 
qu'il  prétend  en  tirer,  je  dois  dire  que,  dans  son  exposition,  l'antique 
croyance  égyptienne  est  parfaitement  mise  en  lumière,  basée  sur  les 
travaux  les  plus  sérieux,  ceux  de  Wiedemann,  Erman,  Steindorf,  etc., 
avec  des  vues  originales  et  parfois  neuves. 

On  trouve  un  essai  de  systématisation  complète  dans  :  Ancient  Egypt, 
the  Light  of  the  World,  by  Gerald  Massey  (1),  œuvre  volumineuse 
quant  au  nombre  des  pages  et  à  laquelle  on  peut  appliquer  le  «  nume- 
rantur  sed  non  ponderantur».  L'Egypte  est  pour  Massey  la  plus  ancienne 
civilisation,  celle  qui  nous  reflète  le  mieux  les  idées  primitives  de 
l'homme,  par  conséquent  oii  nous  pouvons  retrouver  l'origine  des  con- 
ceptions postérieures,  surtout  des  conceptions  religieuses.  Son  ouvrage 
peut  se  diviser  en  deux  parties:  l'une  consacrée  à  l'explication  de  la 
mythologie  égyptienne,  l'autre  à  sa  dérivation,  en  particulier  dans  le 
judaïsme  et  le  Christianisme.  La  base  fondamentale  de  sa  pensée  elle 
pivot  autour  duquel  elle  se  meut,  est  une  question  de  linguistique  et  de 
représentation  des  choses. 

I.  —  L'homme  créateur  de  mythes  n'a  pas  fait  les  dieux  d'abord  à 
sa  propre  image.  La  représentation  anthropomorphique  a  été  précédée 
de  tout  une  ménagerie  de  zootypes.  C'est  pourquoi  les  premières  divi- 
nités de  l'ancienne  Égypie,  Set,  Sebek,  Shu,  ont  été  figurées  par 
l'hippopotame,  le  crocodile,  le  lion  ;  car  l'idée  de  force  n'est  pas 
dérivée  des  muscles  de  l'homme,  mais  faisant,  par  exemple,  mouvoir  et 
mugir  les  vagues  de  l'océan,  elle  a  été  perçue  comme  vent.  Ce  pouvoir 
a  eu  comme  zootype  le  lion,  figur<^  appropriée  à  cette  puissance  hale- 
tante de  l'air  ;  son  élément  auditif  a  été  traduit  par  le  lion  rugissant. 
Il  fut  divinisé  plus  tard  dans  Shu.  Toute  la  mythologie  égyptienne  n'est 
ainsi  qu'une  représentation  de  la  pensée  primitive  dont  les  types 
forment  des  idéographes  du  pouvoir  surhumain,  dans  la  première 
figuration  du  langage  (2). 

II.  —  Les  traces  de  ce  passé  de  l'homme  se  retrouvent  plus  ou  moins 
dans  le  totémisme.  Les  cérémonies  et  les  rites  ne  furent  à  l'origine  que 
des  moyens  mnémotechniques,  le  rituel  une  sorte  de  mémorial  toujours 
vivant  par  la  répétition  des  actes.  On  le  voit  dans  les  scènes  funéraires 


1.  Deux   vol.    gr.   in-8o   impérial,    944    p.,    LiOndon,    T.    Fisher    Unwin,    1907. 

2.  Massey,    op.    cit.,    Liv.    I,    Sign-language    and    mythology    as    primitive 
modes  of  représentation. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  575 

de  l'Egypte.  Les  danseurs  accourent  en  présence  de  la  momie  quand 
celle-ci,  élevée  sur  ses  pieds,  est  prête  à  entrer  dans  le  tombeau.  Ils 
imitent  ainsi  la  résurrection  future  par  les  curieuses  contorsions  que 
présentent  les  bas-reliefs.  La  première  manifestation  de  ce  totémisme 
a  été  la  «  Magna  mater  »  et  le  matriarcat  issus  du  besoin  de  conserver 
le  sang  de  la  famille  et  de  la  race.  Alors  apparurent  Apet  l'hippopotame, 
Birit  la  truie,  Hathor  la  vache  ou  l'arbre  à  fruit,  comme  chez  les  sémites 
Behemot.  Il  se  développa  dans  une  multitude  de  coutumes  ;  les  sacri- 
fices totémiques  ou  eucharistie  primitive,  les  rites  de  la  puberté,  le 
culte  phallique,  et  aboutit  au  patriarcat,  toutes  choses  tangibles  dans 
la  mythologie  égyptienne.  Enfin,  centre  et  point  de  ralliement  de  la 
tribu,  le  totem  fut  déifié.  Le  fétichisme,  qui  en  découle,  n'est,  avec  ses 
symboles,  amulettes,  talismans,  charmes,  incantations,  qu'un  reste  de 
l'idéographisme  primitif,  un  moyen  palpable  de  détenir  les  forces  de  la 
nature  et  de  la  surnature  (1). 

III.  —  Cette  gnose  primitive,  l'Egypte  nous  l'a  conservée  dans  son 
langage  de  signes  et  de  symboles.  Elle  nous  apprend  comment  ceux-ci 
sont  devenus  fétiches  parce  qu'ils  représentaient  un  pouvoir  protec- 
teur qui  appartenait  à  une  double  classe  d'êtres  que  le  rituel  appelle 
les  dieux  et  les  glorifiés.  Ce  sont  les  forces  divinisées  et  les  ancêtres. 
Les  premiers  sont  les  pouvoirs  des  éléments,  Set  l'âme  des  ténèbres, 
Horus  celle  de  la  lumière,  Shu  de  l'air,  Seb  de  la  terre.  Nu  de  l'eau, 
Râ  du  soleil.  Ce  sont  les  six  associés  de  la  «  Magna  Mater  »,  sous  sa 
forme  typique  la  plus  ancienne,  l'hippopotame  dont  ils  sont  les  enfants. 
Comment  se  fit  la  transformation  de  ces  puissances  élémentaires  en 
divinités?  Forces  animistes  elles  ont  été  élevées  à  la  position  de  gouver- 
neurs d'en  haut,  ont  eu  leur  étoile  et  ont  atteint  le  rang  de  divinités 
stellaires  comme  héros  dont  les  âmes  régnent  dans  les  étoiles  du  ciel. 

Le  culte  ancestral,  totalement  différent,  apparaît  dans  le  livre  des 
morts.  Bien  que  relativement  récent,  une  multitude  d'indices  le  ratta- 
chent aux  temps  les  plus  reculés.  Sa  doctrine  des  événements  derniers 
est  une  conséquence  de  la  mythologie.  C'est  ainsi  qu'Osiris,  producteur 
de  la  lumière  dans  la  lune,  est  déchiré  en  quatorze  pièces  pendant  la 
dernière  moitié  de  la  lunaison  par  l'éternel  Set,  la  puissance  des  ténè- 
bres. Il  est  reconstitué  par  son  fils  Horus,  le  jeune  dieu  solaire. 
Cette  figuration  suppose  connu  le  fait  de  l'influence  du  soleil  sur  la 
lumière  lunaire  qui  en  dérive,  et  permet  de  comprendre  le  rôle  d'Horus 
appelé  le  reconstrucleur  d'Osiris.  Du  commencement  à  la  fin,  le  rituel 
égyptien  est  ainsi  basé  sur  le  fait  primordial  de  la  représentation 
mythique.  Appliquée  tout  d'abord  aux  phénomènes  de  la  nature,  en 
partant  des  zootypes  et  en  passant  par  le  totémisme,  celle-ci,  à  son  tour, 
a  servi  à  l'explication  des  problèmes  de  l'âme  humaine,  et  a  formé  les 
mystères  de  l'eschatologie.  Et  c'est  dans  cette  voie  que  Massey  déter- 
mine la  fondation  du  domaine  de  l'Amenti,  la  formation  des  dieux  qui 
le  peuplent,  tout  le  drame  de  la  transformation   des  défunts  dans  leur 

1.  Op.  cit.,  ÏAv.  II,  Totetism,  tattoo  and  fetichism  as  forms  of  sign-lanquarje. 
Ces  mêmes  théories  lont  déjà  été  émises  récemment  pour  étahlir  les  origines  de 
la  religion  grecque  par  I^rott,  Archiv  fur  Beligiomswissenschaft,  art.  MHTHP, 
mais  1906,  et  par  J.  Harrisson,  The  religion  of  ancient  Grcece,  1905. 


576  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

vie  nouvelle,  avec  la  signification  des  cérémonies  qui  l'accompagnent  (1), 

IV.  —  Originaire  du  centre  de  l'Afrique, cette  sagesse  de  l'Egypte  anti- 
que a  été  inscrite  dans  les  constellations  qui  forment  un  monde  mnémo- 
technique gravé  sur  la  surface  du  firmament,  portraiturée  dans  les 
groupes  d'étoiles  qui  sont  autant  d'idéograplies  pour  déterminer  les 
temps,  les  saisons  et  enregistrer  le  passé  préhistorique  de  l'homme. 
C'était  le  sujet  des  sujets  des  Urschus,  docteurs  des  mystères  du  ciel. 
Avec  ces  principes  pour  guide,  Massey  explore  toute  la  carte  du  ciel 
égyptien  pour  trouver  la  raison  d'être  de  ces  figures  stellaires,  dans 
lesquelles  il  veut  voir  un  récit  de  la  gloire  et  des  œuvres  de  iTantique 
Egypte  beaucoup  plus  merveilleux  qu'aucun  autre  souvenir  qu'ils  aient 
laissé  sur  la  terre  ("2). 

V.  —  La  pensée,  ainsi  dégagée,  est  comme  perdue  et  noyée  dans  la 
multitude  des  faits  qu'il  rapporte.  Pour  l'étayer,  il  met  à  contribution  tous 
les  folk-lores,  ceux  des  peuplades  de  l'Afrique  et  de  l'Australie,  comme 
ceux  de  l'Asie  et  de  l'Europe,  même  de  l'Amérique,  toutes  les  traditions 
de  l'antiquité,  les  rapprochements  linguistiques,  etc.  Il  conclut  que  la 
mythologie  égyptienne  est  la  source  primordiale  des  contes  et  supersti- 
tions de  tous  les  peuples,  tandis  que  son  eschatologie  est  la  racine 
même  de  tous  les  mystères  religieux  qui  se  sont  développés  depuis  le 
totémisme  primitif  jusqu'aux  cultes  de  l'ancienne  Rome  et  au  christia- 
nisme. C'est  ici  la  seconde  partie  de  son  ouvrage,  celle  où,  passant  en 
revue  les  livres  de  l'ancien  et  du  nouveau  Testament,  il  s'efTorce  d'en 
expliquer  les  différents  faits  à  laide  delà  mythologie  égyptienne.  Je  ne  le 
suivrai  pas  sur  ce  terrain  (3)  qui  rappelle  de  loin  l'école  mythique  alle- 

1.  Op.,  cit.,  Liv.  III,  Elemental  and  ancestral  spirits  or  the  Gods  and 
thc  Glorificd.  Liv.  IV,  Egyptian  Book  of  the  dead  and  the  ynysteries  of 
Amenta.  v 

2.  Op.  cit.,  Liv.  V  et  VI,  The  sign-language  of  astrononiical   mythology. 

3.  Voici  du  reste  les  divers  points  qu'il  traite  :  Liv.  VII,  Egyptian  Wisdom 
and  thc  Hehrew  Genesis,  et  liv.  VIII,  The  Egyptian  Wisdom  in  other  Jewish 
Writings.  Les  récits  babyloniens  de  la  création,  ceux  d'Ansar  et  de  Kisar,  ou 
de  Giligames,  ceux  de  Gautama,  de  Hwaug-ti  comme  ceux  de  Jehova  dérivent 
du  mythe  astronomique  de  Phtah;  le  scheol  juif  et  le  ourgatoire  catholique 
des  mystères  de  l'Amenti.  —  Liv.  IX,  The  ark.  the  déluge,  and  ihc  World 
great  Y  car.  —  Liv.  X,  The  Exodus  and  the  désert  of  Amenta.  —  Liv.XI, 
Egyptian  Wisdom  in  the  révélation  of  John  the  divine.  C'est  l'Apocalypse 
qui  avec  ses  bêtes  ou\Tre  libre  carrière  à  l'imagination  fantaisiste.  La  révéla- 
tion en  est  faite  par  Horus  à  ses  Shesu-Hor  dans  le  mystère  de  Toth-Aan 
ou  Toth  le  cynocéphale,  d'où  provient  même  Le  nom  de  Jean,  Jean=Aan.  — 
Liv.  XII,  The  Jésus  legcnd  traced  in  Egypt  for  ten  thousand  Years.  L'idée 
de  l'avènement  d'un  messie  et  des  circonstances  qui  l'environnent  se  retrou- 
va à  Memphis  dans  le  culte  de  Phtah,  figurée  en  différents  signes  du  Zodia- 
que. Co  fut  humanisé  dans  la  suite  par  la  religion  égyptienne  dans  les  monu- 
ments et  tableaux  qui  conservent  encore  les  traces  des  zootypes  primitifs. 
Cette  légende  de  Jésuâ  apportée  à  Rome  par  les  sages  de  l'Egypte  est  en 
partie  conservée  dans  la  Pistis-Sophia.  Le  double  Horus  est  le  type  primi- 
tif du  Christ  et  de  sa  double  nature  divine  et  humaine.  Les  mystères  et  mira- 
cles ne  sont  que  des  modes  dramatiques  de  représenter  la  gnose  de  la  mythologie 
et  de  l'eschatologie  égyptiennes  dans  l'Amenti.  Ils  ont  évolué  dans  le  chris- 
tianisme. La  lutte  contre  l'esprit  du  mal  c'est  toute  la  légende  du  mythe 
de  Set  et  d'Horus,  etc..  Enfin  il  termine  par  un  'tableau  comparatif  des  faits 
et  scènes  de  la  mythologie,  et  des   faits   et   scènes   de  la   vie   de  Jésus.; 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  O// 

mande  d'il  y  a  soixanle  ans.  Mais  dtissé-je  paraître  par  Irop  sévère,  je 
n'iiésite  point  à  dire  qu'on  trouve  dans  l'œuvre  de  Massey  un  tissu  d'insa- 
nités. Ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  fait  de  la  science.  Il  y  a  dans  ces  volumes 
un  défaut  manifeste  de  critique  à  l'égard  des  textes  égyptiens.  Il  ne  suffit 
pas  d'en  réunir  les  fragments  parfois  d'époques  très  diverses,  mais  on 
doit  justifier  l'accord  qu'on  établit  entre  eux  et  légitimer  les  idées  que 
l'on  en  déduit.  Il  ne  faut  pas  les  sortir  de  leur  cadre  pour  les  inter- 
préter, et  leur  supposer  des  idées  qu'ils  ne  renferment  point,  comme  la 
connaissance  du  fait  de  la  lumière  solaire  source  de  celle  de  la  lune. 
Pour  ma  part,  je  n'en  ai  jamais  vu  trace  en  aucun  texte.  Il  est  égale- 
ment certain  que  les  Égyptiens  l'ignoraient.  Il  ne  faut  pas  non  plus 
baser  ses  démonstrations  sur  des  rapprochements  plus  ou  mioins  hasar- 
deux, comme  totem  et  le  copte  lôm,  l'hiéroglyphique,  tem,  tina  ;  ou  sur 
d'autres  absolument  fantaisistes,  guidé  par  une  simple  assonance,  et  tirer 
le  nom  de  l'apôtre  Thomas  de  Tum  le  Dieu  égyptien,  Jean  de  Aan^  le 
cynocéphale,  etc. 

Enfin  et  d'une  façon  générale  l'analogie  ne  peut  établir  par  elle-même 
un  rapport  de  descendance  entre  deux  doctrines.  Elle  n'a  pas,  que  je 
sache,  une  véritable  valeur  démonstrative,  en  bonne  logique.  Il  serait 
nécessaire  auparavant  de  montrer  qu'elle  est  basée  précisément  sur  des 
emprunts  et  des  dérivations,  et  ne  pas  renverser  le  problème  pour 
déduire  de  l'analogie,  l'emprunt  et  la  dérivation,  comme  le  fait  Schnei- 
lier  dans  sa  conclusion  ;  ou  par  des  rapprochements  factices,  créer 
même  des  analogies,  comme  c'est  le  fait  de  Massey  dans  ses  994  pages. 
Un  tel  procédé  se  rapproche  du  cercle  vicieux. 

Pour  clore  ce  bulletin  sur  la  religion  égyptienne,  je  citerai  encore  : 
Les  idées  cosmogoniques  des  anciens  habitants  de  VEgypte,  par  Aemed 
BEY  Hamal,  conservateur-adjoint  du  musée  des  antiquités  du  Caire  (1). 
Il  cherche  à  établir  un  rapport  entre  les  monuments  égyptiens  et  les 
livres  saints,  c'est-à-dire  surtout  le  Coran.  Pour  renseigner  sur  la  valeur 
scientifique  et  critique  de  cet  opuscule,  il  suffit,  par  exemple,  que  je 
rapporte  cette  conclusion  :  Dieu,  sous  le  nom  égyptien  de  Khnoum,  a 
formé  le  corps  de  l'homme  du  limon  et  lui  a  communiqué  le  souffle  de 
la  vie  et  lui  a  donné  une  âme  humaine  que  les  Égyptiens  représentaient 
comme  un  oiseau  à  tête  humaine;  le  Hadis  nous  dit  en  effet:  «Les 
âmes  des  marlyrs  sont  renfermées  dans  des  oiseaux  verts  (2)  ». 

Enfin  G.  Maspéro,  dans  Causeries  d'Egypte  (3),  a  réuni  en  volume 
une  série  d'articles  qu'il  a  publiés  dans  le  Journal  des  Débats  de  1893  à 
1907.  C'est  un  tableau  vivant  des  recherches  et  des  progrès  accomplis 
depuis  quinze  ans  dans  le  domaine  de  l'égyptologie.  Pour  mémoire,  en 
voici  quelques  titres  :  «  Les  mystères  d'Eleusis  et  l'Egypte. — Sur  un 
monument  égyptien  qui  porte  le  nom  d'Israël.  —  Le  livre  d'un  magi- 
cien égyptien  vers  le  l*^""  siècle  de  notre  ère.  —  Un  dialogue  philoso- 
phique entre  un  Égyptien  et  son  âme.  » 

Le  Caire.  Fr.  A.  Deiber.  0.  P. 

1.  Broch.  in-8o,  21  p.  Le  Caire,  impr.  nat.  1907.  Extr.  du  Bid.  de  la 
Soc.  l'cd.  il"  géogr.  VII''  série,  no  1. 

2.  P.   9. 

3.  Un  vol.   in-8o,   360  p.   Paris,   E.  Gmlmolo,   1907. 

2^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  3.  37 


578  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

III.    —    RELIGIONS    SÉMITIQUES. 
I.  —  Religion  Assyro-Babylonienne. 

Depuis  Tannée  1902,  M.  Mokris  Jastrow,  professeur  de  langues  sémi- 
tiques à  l'université  de  Pensylvanie,  édite  peu  à  peu,  par  fascicules,  un 
ouvrage  d'ensemble  sur  la  Religion  babylonienne  et  assyrienne(l).  Cette 
publication,  dont  rachèvement  total  se  fera,  dit-on,  attendre  encore  un 
certain  temps,  est  aujourd'hui  assez  avancée  pour  qu'on  en  puisse 
apprécier  déjà  toute  la  valeur.  La  tâche  est  devenue  facile,  après  que  les 
principaux  organes  scientifiques  sont  venus  rendre  hommage  au  carac- 
tère si  complet,  si  consciencieux  d'une  œuvre  magistrale  en  son  genre, 
sinon  définitive.  Car  l'auteur  est  trop  bien  informé  pour  prétendre 
apporter  l'ultime  solution  des  nombreux  problèmes  que  soulèvent  les 
inscriptions  cunéiformes.  En  tous  cas,  un  essai  de  synthèse  était  oppor- 
tun :  il  donne  corps  à  la  masse  énorme  des  documents  connus. 

Deux  chapitres  préliminaires  contiennent  la  nomenclature  des 
sources  (i),  la  description  du  pays  et  l'histoire  du  peuple  (ii).  A  ce 
propos,  M.  Jastrow  ne  pouvait  se  dispenser  d'aborder  la  question 
toujours  ouverte  des  origines  de  la  civilisation  babylonienne.  Il  l'aborde 
en  effet  et  son  altitude  est  assez  réservée.  Il  lui  parait  établi  que  la 
littérature  et  même  le  syllabaire  cunéiformes  sont  complètement  sémi- 
tiques et  n'ont  point  conservé  la  moindre  trace  d'une  influence  hétéro- 
gène quelconque,  suméro-accadienne  par  exemple.  Mais  aussi,  l'hypo- 
thèse d'un  mélange  de  races  dans  le  sud  de  la  Mésopotamie  lui  semble 
légitime  :  «  En  fin  de  compte,  la  question  des  origines  se  résoudrait 
par  la  supposition  suivante.  Un  contact  réciproque  de  races  distinctes 
a  donné  cette  impulsion  aux  esprits  qui  est  la  première  condition  de 
tout  essor  civilisateur.  11  est  possible  que  la  part  la  plus  considérable 
dans  ce  mouvement  revienne,  pour  une  certaine  période,  aux  éléments 
non-sémitiques.  Mais  les  sémites  ont  bientôt  pris  la  prépondérance  et 
ils  ont  si  bien  absorbé  les  éléments  non-sémitiques,  que  la  culture  issue 
du  mélange  primitif  des  races  leur  doit  le  caractère  unique  dont, 
en  définitive,  elle  témoigne.  »  (p.  31).  La  solution  peut  paraître 
contestable,  surtout  en  ce  qui  concerne  le  syllabaire  cunéiforme.  Elle  a 
du  moins  l'avantage  de  faire  ressortir  que  le  problème  n'appartient  pas 
exclusivement  au  domaine  de  la  philologie,  mais  que  les  données  de 
l'anthropologie  pourront  peut-être  y  apporter  quelque  lumière. 

L'histoire  de  la  formation  du  panthéon  assyro-babylonien  forme 
l'objet  des  douze  chapitres  suivants  (iii-xiv).  Les  dilTeiences  pro- 
fondes qui  existent  entre  les  dieux  du  royaume  du  Nord  et  ceux  du  Sud 
ont  conduit  M.  Jastrow  à  tenir  compte  du  point  de  vue  chronologique  et 
géographique.  Il  étudie  donc  successivement  le  panthéon  à  l'époque 
babylonienne   (iii-xi)   puis   assyrienne  (xii-xiii),  enfin  sous  la   période 


1.  Die  Religion  Bàbijloniens  und  Assyriens.  I  Band.  in  8,  X-552  pp.  Giessèn. 
Ricker,  1905.  Le  second  volume  est  en  cours  de  publication.  L'ouvrage 
complet  comprendra  trois  volumes. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  579 

néo-babylonienne,  après  la  chute  de  Ninive  (xiv).  La  religion  assyro- 
babylonienne  a  pour  point  de  départ  l'animisme,  et  son  développement 
est  dû  en  grande  partie  à  la  distinction  progressivement  établie  entre 
les  dieux  et  les  esprits.  Trois  causes  principales  ont  amené  cette  diffé- 
renciation au  point  que  nous  révèlent  les  documents  épigraphiques: 
Les  conceptions  populaires,  les  théories  édifiées  par  les  prêlres,  les 
événements  politiques.  Les  idées  populaires  ont  plutôt  agi  dans  le  sens 
conservateur.  Elles  ont  contribué  au  maintien  des  anciennes  traditions 
locales.  Grâce  à  elles,  l'animisme  primitif  a  persisté  sous  la  forme  du 
culte  des  esprits.  De  très  bonne  heure  aussi  l'influence  de  \d.  spéculation 
sacerdotale  est  entrée  en  jeu.  Elle  aboutit  bien  avant  Hammourabi  à 
un  essai  de  systématisation  que  les  siècles  postérieurs  modifieront  peu. 
Dès  cette  époque,  les  deux  grandes  triades  Anu-Bel-Ea,  Sin-Schamasch- 
Ischtar  (ou  Sin-Schamasch-Adad)  sont  constituées,  et  les  divinités  qui 
les  composent  ne  sont  plus  considérées  comme  des  dieux  locaux,  mais 
comme  des  phénomènes  cosmiques  universels.  La  politique  a  eu  pour 
résultat  d'introduire  le  principe  monarchique  dans  le  panthéon.  Avec 
Hammourabi  la  suprématie  de  Babylone  s'établit  sur  toute  la  vallée  de 
lEuphrate.  Par  le  fait  même,  Marduk,  dieu  de  Babylone,  prend  le 
premier  rang  parmi  les  dieux.  Les  autres  divinilés  locales  sont  obligées 
de  lui  céder  leurs  attributs.  M.  Jastrow  croit  cependant  que  cette 
transmission  de  pouvoirs  n'a  pas  dû  se  faire  sans  lutte.  Marduk  est 
obligé,  à  plusieurs  reprises,  de  compter  avec  Nebo,  son  puissant  voisin 
de  Borsippa.  Et  s'il  hérite  des  attributs  d'Ea,  c'est  à  condition  de  se 
faire  adopter  par  le  maître  d'Eridu.  Le  royaume  du  Nord  n'a  pas  connu 
de  semblables  compromis.  L'Assyrie  en  effet  n'a  pas  été  composée  de 
districts  particuliers  plus  ou  moins  indépendants.  Les  cultes  locaux 
n'ont  pas  eu  le  temps  de  s'y  implanter  d'une  manière  aussi  profonde 
qu'en  Babylonie.  Aussi  Aschur  est-il  devenu  plus  facilement  maître 
absolu,  u  Les  grands  dieux  »  eux-mêmes  sont  traités  à  Ninive  «  comme 
les  membres  d'une  petite  cour,  n'ayant  d'autre  raison  d'être  que  de 
relever  par  leur  éloignement  la  majesté  de  la  gloire  souveraine.  Et 
l'on  a  l'impression  qu'en  Assyrie,  quelques-unes  seulement  des  divi- 
nités invoquées  à  côté  d'Aschur  exercent  une  influence  positive  sur  la 
vie  du  peuple.  »  (p.  204.) 

On  a  trouvé  un  peu  prématurée  et  excessive  la  part  que  M.  Jasirow 
attribue  à  la  spéculation  des  écoles  chaldéennes  (l).  La  critique,  pour 
juste  qu'elle  soit,  ne  saurait  s'appliquer  aux  conclusions  de  l'auteur 
relativement  au  monothéisme  assyro-babylonien.  Oui  ou  non  le  mono- 
théisme a-t-il  été  connu  dans  la  vallée  de  l'Euphrate  ou  à  Ninive  ? 
M.  Jastrow  répond  nettement  non.  (p.  260).  Sans  doute  il  a  existé  à  l'état 
de  tendance  qui  se  manifeste  surtout  par  la  constitution  des  triades  et 
l'introduction  d'un  dieu  suprême  auquel  tous  les  autres  sont  plus  ou 
moins  soumis.  Mais  pour  atteindre  jusqu'à  la  vraie  formule  du  mono- 
théisme, il  aurait  fallu  concentrer  entre  les  mains  d'un  seul  loufes  les 
forces  du  monde.  Or,  ni  Marduk,  ni  Aschur  n'ont  joué  ce  rôle.  Et  si  les 
triades  témoignent  d'un  effort  dépensée  plus  abstraite  et  d'une  poussée 


1.  Cf.  Jean  Réville.  Bévue  de  l'Histoire  des  Religions.  T.  LVI,  n»  3. 


oSn         REVUK    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

plus  intense  vers  l'unité,  jamais  la  philosophie  des  écoles  n'a  franchi  le 
pas  qui  eût  permis  d'attribuer  par  exemple  à  Anu  les  prérogatives  de 
Bel  etd'Ea. 

Sur  ce  point  spécial.  M.  Baentsch  semblerait  beaucoup  plus  afïîr- 
matif  (1).  Il  a  lu  «  entre  les  lignes  »  que  les  prêtres  babyloniens  ont  cru 
aune  «  idée  fondamentale  »  de  l'univers  dont  les  dieux  multiples  ne 
sont  que  des  manifestations  partielles.  De  même,  les  âmes  pieuses,  au 
moment  où  elles  récitent  les  psaumes  pénilentiaux,  prient  leur  dieu 
comme  s'il  était  l'unique.  Enfin  les  peuples,  à  travers  les  divinités 
locales,  s'aaressent  en  réalité  aux  grandes  énergies  cosmiques.  La 
croyance  des  prêtres  demanderait  un  surcroît  de  documentation.  Celle 
(iu  peuple  ne  semble  pas  beaucoup  sortir  du  polythéisme.  Quant  à 
l'état  psychologique  des  âmes  pieuses,  il  faut  le  rattacher  directement 
à  l'hénolhéisme.  Or,  que  l'hénothéisme  «  tende  au  monothéisme 
comme  à  sa  perfection  »,  c'est  le  signe  irrécusable  qu'il  n'y  est  pas 
encore  arrivé.  De  sorte  qu'en  dernière  analyse,  si  l'on  presse  les  con- 
clusions de  M.  Baentsch,  on  s'aperçoit  qu'elles  diffèrent  peu  pour  le  fond 
de  celles  du  savant  américain. 

Après  avoir  exposé  la  formation  du  panthéon  assyro-babylonien, 
M.  .Jastrow  commence  à  explorer  le  contenu  de  la  littérature  religieuse. 
Deux  études  très  étendues  sont  consacrées  aux  textes  magiques  (xvii, 
aux  prières  et  aux  hymnes  (xvii).  Ici  l'auteur  ne  croit  pas  devoir  main- 
tenir la  distinction  établie  précédemment  entre  la  Babylonie  et  l'As- 
syrie, parce  que  les  usages  religieux  n'ont  pas  été  notablement 
influencés  par  les  vicissitudes  de  la  politique.  La  littérature  et  l'art 
sont  même  des  produits  exclusivement  babyloniens,  (p.  4fi).  Il  n'est 
pas  possible  de  rendre  un  compte  détaillé  de  ce  qui  est  déjà  un  résumé, 
d'ailleurs  très  objectif  des  documents.  M.  Jastrow  a  laissé  le  plus 
souvent  possible  la  parole  aux  textes.  Les  citations  sont  nombreuses 
et  donnent  un  tableau  fidèle,  concret,  parfois  presque  familier  de  la  vie 
religieuse,  telle  qu'on  la  menait  à  Babylone  ou  à  Ninive,  avec  ses 
croyances  populaires,  ses  rites  magiques,  ses  supplications  aux  dieux. 
J'attirerai  cependant  l'attention  sur  un  point  qui  a  été,  ces  dernières 
années,  l'objet  d'études  spéciales.  Il  s'agit  de  l'idée  de  péché  et  d'expia- 
tion chez  les  Babyloniens  (2).  Après  avoir  analysé  une  partie  des  textes 
magiques,  M.  Jastrow  conclut  que  non  seulement  les  notions  de  bien 
et  de  mal  étaient  répandues  parmi  les  prêtres  et  le  peuple,  mais  encore 
celle  de  faute  morale.  Sans  doute  on  les  y  trouve  mélangées  avec  des 
conceptions  beaucoup  moins  hautes,  mais  elles  apparaissent  assez 
distinctes  pour  qu'on  puisse   les  détacher  de  leur  contexte,  (p.  327). 

Cette  opinion  n'est  point  universellement  partagée.  La  preuve  en  est 
que  M.  ScHRANK,  professeur  à  l'Herzog  Ernst-Seminar  de  Gotha,  ne  croit 

1.  Altorientalischer  und  israelitischer  Monotheismiis.  Fin  Wort  zur  Revision 
der  EntivicMunqsgeschiclitlichen  Auffassung  der  israeJitischen  Rdigionsge- 
scMchte..  XII-12Ô  pp.  Tabingue,  Mohr,   1938. 

2.  Elle  a  été  étudiée  ex  professo  par  M.  Morgenstern.  The  Doctrine  of 
Sin  in  hahyl.  Bel.  :Mitheil.  d.  Vorderas.  Gesells.  190-3  H.  3.;  et  incidemment 
par  tous  les  auteurs  qui  se  soat  occupés  de  l'idée  de  péché  ou  d'expiation 
dans  l'Ancien  Testament. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  58i 

pas  devoir  s'y  rallier.  Il  consacre  un  travail  aux  «  Rites  de  Fexpiation  en 
Babylonie  »  (1).  Et  dès  le  début  il  déclare  qu'il  ne  subordonnera  pas 
ses  recherches  aune  théorie  quelconque  de  l'idée  de  péché  ou  d'expia- 
tion, parce  que  la  religion  babylonienne  n'a  fourni  jusqu'ici  aucun 
témoignage  en  sa  faveur.  On  n'est  pas  plus  autorisé,  selon  lui,  à  établir 
une  distinclion,  dans  la  langue  rituelle,  entre  les  termes  :  maladie, 
possession,  faute,  impureté,  mort,  qu'on  ne  l'est  à  isoler  les  idées  de 
santé,  de  délivrance  du  péché,  de  pureté  et  de  vie.  L'auteur  s'est  donc 
attaché  à  décrire  surtout  le  côté  extérieur  de  l'expiation,  et  son  étude  se 
divise  en  trois  parties.  La  première  a  pour  objet  le  prêtre  exorciste  :  sa 
place  dans  la  hiérarchie  sacerdotale,  les  qualités  qu'il  doit  avoir,  ses 
fonctions,  ses  vêtements  liturgiques.  —  Dans  la  seconde  partie,  on 
décrit  la  personne  du  pénitent,  les  parties  du  corps  qu'il  soumet  à 
lexorcisme  ;  les  prières  et  les  actes  imposés  par  le  rituel.  —  Enfin,  la 
troisième  partie  distingue  les  différents  rites  expiatoires.  On  le  voit, 
l'exposé  est  complet  et  peut  passer  pour  un  essai  de  reconstitution  de 
ce  «  code  rituel  »  dont  l'auteur  n'est  pas  seul  à  admettre  l'existence 
auprès  du  code  civil,  (p.  80 1. 

Le  livre  contient  eu  outre  quelques  vues  d'une  portée  plus 
générale.  A  propos  des  qualités  corporelles  requises  chez  l'exor- 
ciste, M.  Schrank  suggère  l'hypothèse  qu'elles  pourraient  bien 
être  en  relation  avec  le  caractère  même  des  sacrifices.  La  foi  popu- 
laire veut  offrir  au  dieu  un  don  parfait,  et  le  prêtre  doit  participer  à  la 
pureté  de  l'offrande.  De  même  l'auteur  a  cru  pouvoir  se  permettre  un 
certain  nombre  de  rapprochements  entre  les  rites  babyloniens  et  les 
liturgies  occidentales.  La  couleur  violette  des  ornements  pénitentiaux, 
l'étole,  la  confession  publique,  la  génuflexion,  etc.,  tout  cela  fait  partie 
d'une  vaste  évolution  dont  Babylone  serait  le  point  de  départ.  Il  y 
aurait  naturellement  à  faire  là-dessus  plus  d'une  réserve.  Sans  doute, 
M.  Schrank  n'est  point  «  panbabyloniste  »  par  principe.  Mais  c'est  égal, 
on  ne  voit  pas  très  bien,  par  exemple,  comment  le  terme  «  Fils  de 
Dieu  »  dans  le  Nouveau  Testament  se  rattache  à  l'  «  amêlu  mar  ilisu  » 
des  pénitents  babyloniens.  A  rester  strictement  sur  le  terrain  des  faits, 
est-ce  qu'on  ne  pourrait  pas  accorder  à  l'histoire  en  général  et  à  l'his- 
toire des  religions  en  particulier  la  permission  de  s'être  répétées 
spontanément  une  ou  deux  fois  sur  un  espace  de  cinq  à  six  mille 
ans  ? 

Un  autre  travail,  mais  d'un  genre  tout  différent,  vient  également 
enrichir  les  connaissances  relatives  à  l'exorcisme  babylonien.  Il  existe 
un  groupe  de  bas-reliefs  figurés  qui  ont,  depuis  longtemps,  exercé  la 
sagacité  des  archéologues.  On  les  désigne  d'un  nom  collectif  :  «  Bas- 
reliefs  de  l'Hadès.  »  Ce  nom  leur  vient  de  ce  qu'on  avait  cru  jusqu'à 
présent  y  reconnaître  la  description  d'une  scène  funéraire  babylonienne. 
La  solution  n'était  pas  considérée  comme  de  tous  points  satisfaisante. 
Elle  vient  d'être  discutée  à  fond  dans  une  étude  très  minutieuse  et  fort 


1.  Babylonische  SuJinriten  mit  liiicksicht  auf  Friester  und  Busser.  —  in-S", 
XIl-112   pp.   Leipzig, .  Hinrichs,    1908. 


582         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQIIES 

bien  conduite  (1).  L'auteur,  M.  Karl  Franz,  joint,  à  une  connaissance 
approfondie  des  textes  assyro-babyloniens,  une  très  grande  finesse 
d'observation.  Grâce  au  contact  incessant  établi  entre  les  données  épi- 
graphiques  et  les  monuments  figurés,  il  réussit  à  dégager,  d'une  façon 
qui  semble  très  ferme,  le  véritable  sens  de  ces  énigmatiques  figures. 
Il  y  voit  la  description  d'une  scène  d'exorcisme.  Les  deux  morceaux 
les  plus  importants  (2)  se  divisent  en  quatre  grands  registres.  Le 
premier  représente  les  attributs  des  dieux  dont  le  nom  intervient  ordi- 
nairement dans  les  incantations  :  Anu,  Éa,  Adad,  Marduk,  Nabu,  Ischtar, 
Schamasch,  Sin  etles  sept  dieux  (ilâni  sibitti)  ou  plutôt  les  sept  mau- 
vais esprits  qui  envoient  les  maladies.  Ce  dernier  groupe  reparaît  au 
naturel  dans  le  second  registre.  Le  troisième  registre  contient  la  scène 
proprement  dite  de  l'exorcisme,  et  enfin,  sur  le  quatrième  se  dessine 
l'image  de  Labartu,  démon  de  la  fièvre,  accompagné  de  Lilu  qui  tient  casa 
disposition  le  terrible  vent  du  Sud-Ouest.  Sur  un  point  cependant 
l'analyse  de  M.  Franz  s'est  reconnue  impuissante.  Il  s'agit  de  la  figure 
de  monstre  sculptée  au  revers  du  relief,  dont  la  tète  dépasse  et  dont  les 
mains  étreignent  le  rebord  du  registre  supérieur.  En  dépit  de  cette 
lacune,  l'identification  générale  demeure  très  vraisemblable  et  c'e.st 
plaisir  que  de  voir  les  résultats  de  l'épigraphie  appliqués  avec  tant  d'à- 
propos  et  de  perspicacité  au  déchiffrement  parfois  scabreux  des 
scènes  purement  figurées. 

Signalons  encore  une  courte  étude  de  M.  E.  Sidney  Hartland  (3). 
Elle  nous  ramène  à  un  stade  plus  récent  de  la  religion  babylonienne 
sous  la  domination  perse.  Hérodote  (4)  mentionne,  non  sans  dégoût, 
l'existence  d'un  rite  d'après  lequel  toute  femme  de  Babylone  devait, 
une  fois  dans  sa  vie,  faire  le  sacrifice  de  sa  chasteté  avec  un  étranger 
dans  le  temple  de  Mylitta.  Après  avoir  distingué  cet  usage  des  pra- 
tiques similaires  qui  existaient  en  Arménie,  en  Lydie  et  à  Chypre, 
l'auteur  s'efforce  d'en  dégager  la  signification.  Il  ne  faut  pas  y  voir  un 
sacrifice  d'expiation  en  vue  du  mariage.  Il  y  a  plutôt  lieu  de  l'assimiler 
aune  coutume  observée  chez  la  plupart  des  peuples  primitifs,  pour  qui 
la  défloration  naturelle  ou  artificielle  des  vierges  constitue  un  acte  d'ini- 
tiation cultuelle  à  l'état  adulte  et  à  la  vie  matrimoniale.  Pour  éviter  le 
danger  que  pouvaient  créer  de  semblables  relations,  on  avait  recours 
le  plus  possible  à  l'intervention  d'un  étranger.  Enfin,  lorsque  le  sens 
primordial  du  rite  eut  été  perdu,  on  fit  rentrer  celui-ci  dans  le  culte  de 
iMylitta,  la  déesse  du  plaisir. 

Ces  divers    travaux    montrent   qu'actuellement  trois   méthodes  sont 


1.  BahyJonische  BeschivOmngsreliefs.  Ein  Beitrag  filr  Erklarung  des  sog. 
Ilaâi  s-Bclipfs.  mit  .5  Abbildiuigen  im  Test  und  4  Taieln,  in-So,  11-94  pp.  Leip- 
zig, Hiniichs,   1908. 

2.  Le  premier  se  trouve  à  Paxis  (Collection  de  Clercq);  le  second  au  Mu- 
sée de  Constautinople.  ^I.  Franz  a  eu  de  plus  la  bonne  fortune  de  découvrir 
au  Lou\-ro  deux  fragments  nouveaux  qui  l'ont  aidé  à  compléter  ses  obser- 
vations sur-  les  autres  pièces. 

3.  Concerning   the  rite   at  the  temple  of  Mylitta,  Dans  la  Collection  des  «  An- 
thropological  Essays  ».  Oxford.   Clarondon  Press.   1907,  p.   189-202. 

4.  Hlst.,    I,    199. 


BULLETIN    DE    SCIENCE    DES    RELIGIONS  o83 

appliquées  à  l'étude  de  la  religion  babylonienne  :  la  méthode 
qui  procède  par  simple  analyse  des  documents  ;  la  méthode  arché- 
ologique ;  la  méthode  anthropologique.  Inutile  d'ajouter  qu'il 
n'existe  aucune  espèce  d'opposition  entre  ces  trois  procédés  d'in- 
vestigation. Ils  sont  appelés  de  plus  en  plus  à  se  compléter  l'un  par 
l'autre. 

Avant  de  terminer  cette  partie  du  bulletin,  je  mentionne,  bien  qu'elle 
ne  s'y  rattache  qu'indirectement,  une  plaquette  de  M.  Paul  Haupt  sur 
la  fête  juive  de  Puriiu  (1).  Cette  fête,  on  lésait,  fut  instituée  en  souvenir 
de  la  victoire  remportée  par  Judas  Machabée  sur  PSicanor,  le  13  Adar 
161  A.  C.  On  y  lisait  le  livre  d'Esther.  Or,  ce  livre  contiendrait, 
dil-on,  des  traces  de  mythes  babyloniens.  Voici  comment.  D'après 
M.  Haupt,  Esiher  n'est  pas  un  livre  historique,  mais  une  légende  com- 
posée pour  la  fête  des  Purim.  Haman,  Mardochée,  etc.  figurent  les 
personnages  réels  qui  ont  joué  un  rôle  dans  la  délivrance  des  Juifs  à 
l'époque  de  Nicanor.  Mais  par  delà  ce  premier  plan  de  symbolisme,  on 
en  découvre  un  second  qui  trahit  ses  origines  par  la  forme  des  noms 
propres.  Mardochée  correspond  à  Marduk  ;  Esther  à  Ischtar  ;  Haman 
et  Vasthi  désignent  des  dieux  élamites.  «  L'antagonisme  entre  llaman 
et  Yashti  d'une  part,  et  Mardochée  et  Esther  d'autre  part,  a  donc  pu 
être  suggéré  par  une  ancienne  légende  qui  célébrait  la  victoire  du  dieu 
principal  de  Babylone  sur  les  dieux  de  l'Elam.  Cette  même  légende 
reçut  plus  tard  une  nouvelle  adaptation  naturiste  :  elle  signifia  le  triom- 
phe des  divinités  prinlanières  sur  les  géants  glacés  de  l'hiver.  »  (p.  22). 
Comment  Fauteur  du  livre  d'Esther  a-t-il  été  amené  à  choisir  ce  cadre 
babylonien  ?  M.  Haupt  croit  pouvoii  répondre  que  l'analogie  des 
situations  le  lui  a  suggéré  ;  et  aussi  celte  circonstance  que  les  Purim 
étaient  la  fête  du  nouvel  an  dont  le  retour  coïncida,  à  partir  de  la  Capti- 
vité, avec  l'équinoxe  du  printemps. 


2.  —  Religion  Cananéenne. 

Peu  de  travaux  à  signaler.  M.  Dussaud  consacre  une  étude  au  dieu 
phénicien  Eschmoun  (2).  Eschmoun-Adonis-Tammouz  ne  sont  qu'une 
seule  divinité,  personnifiant  d'abord  r«  esprit  de  la  végétation  »  et  plus 
spécialement  de  la  moisson,  puis  plus  tard,  s'élevant  jusqu'à  représenter 
«  le  principe  de  toute  vie.  » 

On  est  en  droit  d'attendre  de  nouveaux  détails  sur  l'histoire  des 
religions  cananéennes  en  Palestine,  puisque  les  fouilles  continuées  à 
(jézer  et  inaugurées  à  Jéricho  ont  amené,  l'an  dernier,  plus  d'une  décou- 
verte intéressante  (3). 


1.  Ptirim.    Address    delivered    at    the    annual    meeting    of    the    Society    of 
Biblical  Littérature  and  Exegesis.  Leipzig,  Hinxichs,   1906;  in-4o,  56  pp. 

2.  Journal   des   Savants,   janvier   1907. 

3.  Oa  ea  trouvera  le  Compte-Rendu,  par  le  R.  P.   Vincent,  0.  P.,  dans  la 
RevKe  Biblique,  janvier  1908,  p.  114  et  s. 


oS4         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

3.  —  Religion  des  anciens  Arabes.  —  Islam. 

On  n'ignore  pas  les  difficultés  presque  insurmonlables  que  présente 
la  reconstitution  de  l'histoire  des  Arabes  avant  la  conquête  musulmane. 
Les  sémitisauts  sauront  donc  gré  à  M.  Dussaud  d"avoir  publié  son 
pénétrant  mémoire  sur  «les  Arabes  en  Syrie  avant  l'Islam  »  (1),  véritable 
mine  de  renseignements  groupés  autour  de  l'ancienne  tribu  des  Sa- 
faïtes.  Les  Safaïtes  se  sont  installés,  vers  le  début  de  notre  ère,  à  l'est 
du  Djebel  Hauran.  Ils  ont  laissé  sur  les  basaltes  du  désert  d'El-Harra 
un  nombre  assez  considérable  de  graffites  (2)  du  genre  de  ceux  que  les 
Nabatéens  gravaient  sur  les  grès  du  Sinaï.  Et  ces  inscriptions  ont  per- 
mis de  restituer  un  des  chapitres  les  plus  intéressants  de  la  pénétration 
arabe  en  Syrie.  Je  ne  dois  parler  ici  que  du  panthéon  décrit  longuement 
par  l'auteur,  (ch.  v-vii). 

L'idée  générale  de  M.  Dussaud  est  que  les  Safaïtes,  au  moment  où 
ils  écrivent  leurs  inscriptions,  passent  de  l'état  nomade  à  l'état  séden- 
taire. Il  faut  donc  s'attendre  à  trouver  deux  catégories  de  divinités  dont 
les  unes,  «  plus  généralement  arabes  »,  ont  été  emportées  par  les  no- 
mades, tandis  que  les  autres  sont  empruntées  aux  cultes  déjà  établis 
antérieurement  en  Syrie.  La  première  catégorie  comprend  Allât,  divi- 
nité féminine,  qu'on  n'est  pas  autorisé  à  identifier  avec  l'n^X  des  textes 
puniques,  ni  avec  l'Allâtu  babylonienne.  On  la  retrouve  déjà  sous  une 
forme  masculine  dans  les  inscriptions  sabéennes.  Elle  avait  un  sanc- 
tuaire à  Ta'ifprès  de  la  Mecque.  Les  Nabaléens  ont  également  contribué 
à  implanter  son  culte  en  Auranitide.  Elle  personnifie  la  planète  Vénus 
et  suivant  qu'elle  représente  l'étoile  du  matin  ou  l'étoile  du  soir,  on 
l'appelle  encore  Al  'Ouzzâ  et  Manât.  De  là  lui  vient  aussi  son  caractère 
guerrier.  Allât  est  la  parèdre  d'Allah.  A  ce  propos  M.  Dussaud  note 
que  «  les  inscriptions safaïtiques  ont,  pour  la  première  fois,  fourni  le 
témoignage  indiscutable  qu'Allah,  avant  de  devenir  le  dieu  unique  des 
musulmans,  avait  été  une  divinité  particulière  du  nord  arabe,  «(p.  140). 
Viennent  ensuite  Gad-'Awîdh,  Chams,  déesse  solaire.  Il  lia',  Raliain 
connu  des  Sabéens  et  des  Palmyréniens,  enfin  Chai-'al-Qaum  proba- 
blement un  dieu  des  armées  chez  les  Safaïtes.  La  description  se  ter- 
mine par  cette  remarque  :  «  On  ne  peut  manquer  d'être  frappé  de  la 
richesse  du  panthéon  safaïlique.  Cet  exemple  infirme  à  nouveau  la 
théorie  d'après  laquelle  le  nomadisme  inclinerait  au  monothéisme  » 
(p.  156).  —  A  l'époque  de  leur  incorporation  aux  populations  syriennes, 
les  émigrés  adoptent  deux  divinités  implantées  en  Syrie  avant  qu'ils 
s'y  fussent  installés  eux-mêmes.  Dusarés,  dieu  des  ISabatéens  et  Be'el- 
Samîm,  le  Ba'al-Chamîm  des  Cananéens,  mentionné  sous  la  forme  Baal- 
sa-me-me  dans  le  traité  d'Asar-haddon  avec  le  roi  de  Tyr.  A  une 
époque  plus  récente,  le  panthéon  des  safaïtes  s'hellénise  et  ses  dieux 
perdent  jusqu'à  leurs  noms  arabes  pour  prendre  des  noms  grecs. 

1.  Les  Arabes  eu  Syrie  avant  l'Islam,  avec  32  figures,  ln-8'^,  173  pp.  Paris, 
Lexotix,    1907. 

2.  Il  en  existe  actuellement  en\'iron  17.50.  Leur  découverte  est  due  princi- 
palement   à   ■\BI.    Waddington,    de    Vogué,    Dussaiid    el    Macler. 


BULLETIN     DE    SCIENCE    DES     RELIGIONS  585 

Outre  l'intérêt  intrinsèque  qu'elle  présente,  Félude  de  M.  Dussaud 
met  en  évidence  les  liens  qui  rattachent  entre  eux  les  divers  cultes 
d'origine  arabe.  De  mèaie  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  au  point 
de  vue  de  l'histoire  des  religions  que  «  les  textes  safaïtiques  révèlent 
une  diffusion  insoupçonnée  des  dialectes  arabes  antéislamiques  qui 
permet  de  mieux  comprendre  la  propagation  rapide  de  l'enseignement 
religieux  de  Mohammed,  le  propliète  d'Allah.  «  (p.  21). 

Le  savant  professeur  du  Collège  de  France  a  donc  su  tirer  des  textes 
tous  les  renseignements  qu'ils  étaient  capables  de  fournir.  Et  en  ache- 
vant la  lecture  de  son  mémoire,  l'on  forme  le  souhait  que  les  inscriptions 
relatives  aux  anciens  Arabes  se  multiplient  et  qu'elles  rencontrent  des 
commentateurs  aussi  compétents,  puisqu'après  tout,  si  incomplet  et  si 
obscur  qu'il  soit,  le  pUis  humble  gralFite  est  encore,  semble-t-il,  le  lien 
le  plus  immédiat  qui  nous  rattache  au  passé  des  peuples  oubliés...  Et 
pourtant,  que  serait-ce  si  les  morts  ressuscitaient  pour  venir  déposer 
eux-mêmes  en  faveur  de  leurs  institutions  sociales  et  de  leurs  croyances 
religieuses?  Voilà  une  idée  bien  fantaisiste  !  Il  suffit  d'être  un  peu  initié 
aux  choses  d'Orient  pour  entrevoir  qu'elle  n'est  pas  de  tout  point  irréa- 
lisable. Assurément  on  serait  mal  venu  de  prendre  à  la  lettre  l'affirmation 
si  souvent  répétée  :  «  En  Orient  rie.n  ne  change.  »  Mais  s'il  est  vrai  que 
les  traditions  se  maintiennent  là-bas  avec  plus  de  ténacité  que  partout 
ailleurs,  Ton  conçoit  immédiatement  que  de  nouvelles  voies  devaient 
s'ouvrira  la  curiosité  des  orientalistes  qui  les  amèneraient  àun  contact 
en  quelque  sorte  phis  direct  avec  le  passé  que  celui  du  document  écrit 
sur  lequel  le  «  document  humain  »  vivant  et  agissant  possède  une  incon- 
testable supériorité.  Aussi  a-t-on  vu  ces  derniers  temps  éclore  une 
nouvelle  branche  de  la  littérature  orientale  qui  n'allait  à  rien  moins 
qu'à  transformer  l'histoire  des  religions  sémitiques  en  une  science 
d'observation.  L'ouvrage  si  connu  de  M.  Curtiss  (1)  eu  est  un  des  essais 
les  plus  brillants,  sinon  les  plus  heureux.  Puisqu'on  voulait  prendre  une 
attitude  d'observateur,  il  fallait  eu  accepter  jusqu'au  bout  les  conditions 
el  se  soumettre  aux  règles  qu'elle  impose.  Or  il  y  a  bien  longtemps  déjà 
qu'elles  étaient  tracées,  ces  règles,  dont  il  suffit  de  rappeler  les  plus 
élémentaires  :  d'abord,  savoir  circonscrire  le  domaine  des  recherches 
à  un  milieu  déterminé,  bien  homogène  ;  se  familiariser  autant  que  pos- 
sible avec  ce  milieu,  que  l'on  prétend  décrire,  par  la  connaissance 
de  la  langue  et  des  mœurs  ;  enlin  écarter  tous  les  a  priori  théoriques 
qui  seraient  de  nature  à  fausser  non  seulement  la  juste  appréciation, 
mais  le  simple  enregistrement  des  faits.  Règles  sages  et  dont  l'obser- 
vation se  recommande  plus  strictement  encore  en  terre  d'Orient  où  le 
fait  primordial,  le  «  fond  indestructible  »  qui  fait  l'objet  de  l'enquête,  se 
trouve  enchâssé,  sinon  dissimulé,  dans  un  agrégat  d'éléments  divers 
accumulés  par  les  siècles.  De  sorte  que,  pour  être  sûr  de  s'en  rendre 
maître,  il  faut  se  résigner  à  lo-ut  enlever  d'un  seul  coup,  et  l'agrégat 
composite,  et  la  trouvaille  antique  qui  peut-être  y  est  caciiée.  Le  triage  se 
fera  ensuite  avec  d'autant  plus  de  sécurité.  Le  seul  fait  de  constater  une 


1.  TJrscmiiischc  Rdigion  im  Volksleben  des  lieutigen  Orknts;  u\-8°,  XXIX-378 
pp.   Leipzig,   Hinrichs,    1903. 


586       REvur.  DES  sciences  philosophiques  et  théologiques 

application  vraiment  scientifique,  consciencieuse,  j'allais  dire  coura- 
geuse, de  celte  méthode,  prouve  qu'un  progrès  nouveau  a  été  réalisé 
dans  la  voie  dont  je  parle.  L'honneur  en  revient  au  R.  P.  Jaussen  dans 
son  ouvrage  sur  les  «  Coutumes  des  Arabes  au  pays  de  Moab  »  (1). 
Depuis  longtemps  familiarisé  avec  l'Orient,  le  P.  Jaussen  était  plus  que 
tout  autre  à  même  de  se  persuader  que  (>  la  connaissance  des  phéno- 
mènes actuels  paraîtra  d'un  grand  secours,  sinon  d'une  nécessité  absolue 
à  quiconque  veut  pénétrer  les  religions  sémitiques  anciennes.  »  (p.  304) 
Mais  d'autre  part  il  a  su  limiter  ses  recherches  à  un  groupe  ethnogra- 
phique restreint,  assez  nettement  caractérisé  :  les  tribus  de  la  ïransjor- 
dane.  Et  s'il  s'est  occupé  presque  exclusivement  des  nomades,  c'est  parce 
que  les  nomades  «  ont  moins  subi  l'influence  de  la  civilisation  étrangère.  » 
(p.  328).  Et  il  a  tellement  bien  compris  la  nécessité  d'entrer  en  relations 
immédiates  avec  les  Arabes  qu'il  s'est  plié  à  vivre  pendant  de  longs  mois 
la  vie  des  Bédouins  sous  la  tente.  Il  a  partagé  leur  hospitalité,  discuté 
des  heures  entières  les  usages,  coutumes,  traditions  sociales  et  religieuses 
de  ses  hôtes,  enregistré  les  moindres  détails  capables  d'éclairer  son 
enquête.  Enfin  tout  son  livre  témoigne  qu'il  ne  s'est  proposé  «  de  soutenir 
aucune  thèse  ni  d'étayer  aucun  système  »,  mais  qu'il  a  voulu  simplement 
«  constater  des  faits,  relever  et  noter  des  observations  »  (p.  2).  Les 
qualités  positives  qu'on  avait  le  droit  d'attendre  d'une  étude  de  ce  genre, 
c'était,  avec  la  fidélité  du  rapporteur,  une  classification  des  résultats 
assez  large  pour  n'être  pas  elle-même  tendancieuse,  assez  méthodique 
pour  faciliter  le  travail  du  sémilisant  et  plus  encore  du  bibliste  auquel 
les  pages  du  P.  Jaussen  sont  spécialement  destinées.  Ici  encore  il  con- 
vient de  rendre  hommage  à  l'auteur  des  «  Coutumes  ».  Le  plan  est  à  la 
fois  logique  et  calqué  sur  la  réalité  (2),  et  le  P.  Lagrange  a  pu  dire  que 
«  la  fidélité  du  P.  Jaussen  est  telle,  que  les  arabisants  n'auront  aucune 
peine  à  lire  ses  histoires  par  la  pensée  dans  le  texte  original  »  (préface, 
p.  III).  Le  chapitre  consacré  à  la  Religion  se  subdivise  de  la  manière 
suivante.  Allah.  Wélys.  Ancêtres.  Gins.  Umm-el-Geit.  Arbres  sacrés. 
Pieri-es  sacrées.  Immolation.  Fedou.  Circoncision.  Semât.  Vœux.  Temps 
sacrés.  Superstitions  Faqir.  Et  c'est  en  parcourant  ce  tableau,  pris  sur 
le  vif,  de  la  religion  bédouine,  que  l'on  constate  jusqu'à  quel  point  les 
prévisions  de  l'auteur  étaient  justifiées.  Il  est,  par  exemple,  dans  tel  ou  tel 
paragraphe  consacré  au  Gins,  ou  aux  superstitions,  des  traits  dans 
lesquels  un  contemporain  d'Hammourabi,  un  Nabatéen,  voire  même  un 
Israélite,  reconnaîtraient  leur  propre  image. 

Laissons  toutefois  à  l'œuvre  du  R.  P.  Jaussen  le  caractère  qu'il  reven- 
dique si  instamment  pour  elle.  Certes  les  comparaisons  avec  les  anciens 
cultes  se  suggèrent  parfois  d'elles-mêmes.  Et  l'auteur  en  a  incidemment 
signalé  quelques-unes  des  plus  frappantes.  Raison  déplus  pour  attendre 
le  jour  où  lui-même  fera  toucher  du  doigt,  avec  la  compétence  d'un 
spécialiste,  tout  ce  que  l'interprétation  scripturaire  peut  attendre  d'une 


1.  Collection    des    «  Etudes    Bibliques  ».    Paris,    Gabalda,    1908;    jii-8°,    XII- 
448  pp. 

2.  Vie    do    famille.    Tribu.    Rapports    des    tribus.    Droits.    Vie    économique. 
Religion.. 


BULLETIN     DE    SCIEN'CE     DES     RELIGIONS  587 

étude  directe,  scientifiquement  menée,  sur  les  mœurs  et  coutumes  de 
l'Orient  contemporain. 

4.  —  Expansion  Extérieure  des  Religions  Sémitiques. 

Presque  toutes  les  religions  sémitiques  sont  susceptibles  d'être  abor- 
dées à  un  triple  point  de  vue.  On  peut  en  effet  se  proposer  de  dégager 
le  fonds  d'idées,  de  croyances  et  de  pratiques  qui  revient  à  chacune 
d'elles  prise  à  part.  On  peut  aussi,  et  ce  second  aspect  voisine  de  très 
près  avec  le  premier,  les  considérer  dans  leurs  rapports  et  déterminer, 
par  voie  de  comparaison,  les  éléments  qu'elles  se  sont  mutuellement 
empruntés.  Enfin  puisque  les  Sémites  forment  un  groupe  distinct,  eth- 
nologiquement  et  géographiquement,  on  peut  replacer  ce  groupe  dans 
l'histoire  générale  des  religions,  et  se  demander  dans  quelle  mesure  il  a 
pénétré  de  son  influence  les  autres  races,  exercé  en  un  mot  sa  puissance 
d'expansion  et  de  conquête.  Historiquement,  ces  trois  points  de  vue 
sont  tellement  mélangés,  que  la  plupart  des  auteurs  sont  obligés  de  les 
aborder  plus  ou  moins  tous  les  trois  à  la  fois.  Pourtant  le  dernier,  celui 
de  l'expansion  extérieure,  se  prête  davantage,  sinon  absolument,  à  une 
étude  séparée.  J'ai  donc  cru  devoir  réserver,  à  litre  de  conclusion,  un 
paragraphe  spécial  à  deux  ouvrages  qui  me  semblent  assez  bien  rentrer 
dans  cette  catégorie  de  travaux. 

Le  premier  a  pour  titre  :.  les  religions  orientales  dans  le  paganisme 
romain  (1)  et  pour  auteur  M.  Franz  Cumont,  professeur  à  l'université  de 
Gand.  Assurément  le  titre  de  cette  attrayante  série  d'études  dépasse  de 
beaucoup  les  limites  du  présent  bulletin,  puisque  le  paganisme  romain 
a  reçu,  non  seulement  les  cultes  sémitiques,  mais  encore  ceux  d'Egypte, 
d'Âsie-Mineure  et  de  Perse.  Les  Sémites  n'en  ont  pas  moins  joué  un  rôle 
très  considérable  dans  ce  mouvement  prodigieux  de  diffusion  que  l'au- 
teur a  su  décrire  en  historien   et   en  psychologue. 

Les  premiers  cultes  orientaux  qui  s'établirent  en  Italie  venaient  d'Asie- 
Mineure.  Mais  ils  apportaient  avec  eux  des  éléments  empruntés  aux 
religions  sémitiques.  Ainsi  le  culte  de  Ma,  la  Bellone  cappadocienne, 
avait  subi  leur  influence.  Le  culte  de  la  Magna  Mater  lui-même  n'a  pas 
été  à  l'abri  de  toute  compénétration  sémite  ou  plus  exactement  juive.  Le 
Sabazius  des  barbares,  souvent  identifié  avec  Attis,  l'amant  de  Cybèle, 
porte  le  litre  de  KJoto;  ^a/^âi^to;  qui  se  change  par  une  étymologie  «  auda- 
cieuse »  en  KJo'o;  3a,3aco9.  Les  purifications  pratiquées  par  les  Saba- 
ziastes,  la  consécration  des  mains  votives,  la  croyance  au  bon  ange,  ont 
une  origine  ou  prennent  un  sens  juif.  Enfin  Attis  et  Cybèle  reçoivent 
dans  l'empire  le  qualificatif»  d'omnipotentes  »,  et  ce  terme  fait  allusion 
à   une  conception   «  plus  probablement  »  d'origine  sémitique. 

«  A  une  époque  un  peu  plus  récente,  arrivèrent  les  baals  de  Syrie, 
multiples  et  variés...  Peut-être  n'avaient-ils  pas  une  liturgie  aussi  émou- 
vante, peut-être  ne  s'absorbaient-ils  pas  aussi  complètement  dans  la 
préoccupation  de  la  vie  future,  bien  qu'ils  enseignassent  une  eschatologie 


1.  Les  religions  orientales  dans  le  paganisme  romain.  Conféreuces  faites  au 
Collège  de  France,   In-12,  XXII-333  pp.  Paris,   Leroux,   1907. 


o88         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

originale,  mais  ils  avaient  une  idée  iafîniment  plus  haute  de  la  divinité. 
L'astrologie  chaldéenne,  iiout  les  prêtres  syriens  furent  les  disciples 
enthousiastes,  leur  avait  fourni  les  éléments  d'une  théologie  scientifique- 
Elle  les  avait  conduits  à  la  notion  d'un  dieu  siégeant  loin  de  la  terre, 
au-dessus  de  la  zone  des  étoiles,  tout-puissant,  universel  et  éternel,  tout 
ici-bas  étant  réglé  par  les  révolutions  des  cieux  durant  des  cycles  infinis 
d'années,  et  elle  leur  avait  enseigné  en  même  temps  l'adoration  du 
Soleil,  source  radieuse  de  la  vie  terrestre.  » 

Enfin  cette  même  «  théologie  savante  des  Chaldéens  s'imposa  au 
mazdéisme  primitif,  qui  était  un  ensemble  de  traditions  et  de  rites  plutôt 
quun  corps  de  doctrines.  Les  divinités  des  deux  religions  furent 
identifiées...  Ahura-Mazda  fut  identifié  à  Bel,  Anàliita  à  Ishtar,  et  Mithra 
à  Shamash^  le  dieu  solaire.  C'est  pourquoi  dans  les  mystères  romains, 
Mithra  fut  communément  appelé  sol  invictus,  bien  qu'il  soit  proprement 
distinct  du  soleil,  et  un  symbolisme  astronomique,  abstrus  et  compliqué, 
fit  toujours  partie  de  l'enseignement  révélé  aux  initiés,  et  se  manifesta 
dans  les  compositions  artistiques  qui  décoraient  les  temples.  »  i^pp.  176- 
177  . 

On  peut  juger  par  ces  quelques  aperçus  combien  suggestive  est  l'œuvre 
de  M.  Cumont,  et  combien  elle  est  capable  d'éclairer  l'histoire  de  ce 
paganisme,  que  le  christianisme  a  dû  vaincre  pour  s'implanter  définiti- 
vement dans  le  monde  romain. 

On  ne  saurait  demander  à  un  simple  manuel  les  développements  que 
comporte  un  ouvrage  spécial,  surtout  quand  l'auteur  s'est  proposé  de 
faire  tenir  en  deux  cents  pages  l'histoire  de  toutes  les  grandes  religions 
du  monde,  et  de  leurs  relations,  depuis  Babylone  jusqu'à  l'Islam,  en  pas- 
sant par  l'Ancien  Testament, le  Bouddhisme  et  le  Christianisme. Ce  tableau 
d'ensemble,  ^L  Karl  Vollers  a  tenté  de  le  tracer  (1).  Naturellement  la 
physionomie  de  chaque  religion  est  présentée  en  raccourci  ;  de  même 
les  rapprochements  sont  indiqués  et  catalogués,  plutôt  qu'approfondis, 
et  on  souhaiterait  plus  dune  fois  qu'ils  fussent  plus  heureux.  Cependant 
ce  court  et  élégant  volume  permettra  au  lecteur  de  se  rendre  rapidement 
compte  des  questions  les  plus  générales  qui  se  posent  actuellement  sur 
le  domaine  de  l'histoire  comparée  des  religions. 

Kain.  Te.  Malvage,  0.  P. 

IV.   —  RELIGIONS  DES  INDO-EUROPÉENS 
ET  DE  L'EXTRÊME-ORIENT. 

Je  ne  sache  pas  que,  depuis  un  an,  dansée  domaine,  aucune  ten- 
dance nouvelle  se  soit  fait  jour,  aucune  grande  découverte  se  soit  im- 
posée à  l'attention  publique.  L'archéologie  continue  ses  progrès  lents 
et  sûrs  ;  et,  de  plus  en  plus,  les  principes  de  l'école  anthropologique 
règlent  l'interprétation  des  textes  et  des  faits,  au  point  que  ceux-là 
mêmes  qui  n'y  adhèrent  point,  et  s'en  tiennent  aux    méthodes  philolo- 

1.  Die  Weltreligionen  in  ihrcm  gcschicJitUcJien  Z usammenhangc .  In  8\  IV, 
200  pp.  lena.  Diederichs,  1907. 


BULLETIN     DE    SCIENCE     DES     RELIGIONS  589 

giques  ou  à  la  mythologie  comparée,  passeraient  pour  des  arriérés  s'ils 
n'accordaient  des  mentions  et  des  discussions  aux  théories  nouvelles. 
Il  est  même  à  redouter  que  la  vogue  de  la  préhistoire  et  de  l'ethno- 
graphie sauvage  ne  nuise  pour  un  temps  à  l'histoire  des  civilisés. 
Dans  ce  bref  bulletin,  nous  nous  attachons  de  préférence  aux  études 
d'ensemble. 

I.  —  Grèce  et  Asie  Mineure. 

Ages  préhelléniques.  —  Les  résultats  des  importantes  fouilles  opé- 
rées en  Crète  et  dans  le  monde  égéen  en  général  commencent  à  se 
populariser.  Deux  ouvrages  récents  aideront  fort  à  ce  mouvement. 
Leurs  auteurs  ont  puisé  leurs  renseignements  aux  sources  immé- 
diates. 

C'est  d'abord  La  Crète  ancienne,  du  P.  Laghange,  série  d'études  que 
connaissent  les  lecteurs  de  la  Revue  Biblique  (1).  Elles  ont  pour  objet 
tour  à  tour,  après  une  description  soigneuse  des  palais  crétois  (2),  les 
lieux  de  culte,  le  sacrifice,  les  idoles,  les  symboles.  Les  saintes  ca- 
vernes de  Dicté  et  de  l'Ida  où  les  Hellènes  envahisseurs  virent,  à  une 
époque  postérieure,  le  lieu  oîi  leur  Zeus  avait  été  caché  dans  son  en- 
fance, étaient  des  centres  de  pèlerinage  ;  les  cérémonies  y  auraient  eu  un 
caractère  d'exception  ;  le  culte  habituel  se  célébrait  à  ciel  ouvert  avec 
des  autels  placés  dans  des  agoras  attenants  aux  palais.  La  divinité 
n'avait  pas  là  son  habitation  particulière,  mais  ses  idoles  siégeaient 
dans  des  cellae  exiguës  des  palais  qui  ne  se  seraient  pas  prêtées  à  la 
liturgie  et  pouvaient  être  assez  éloignées  du  lieu  des  réunions  reli- 
gieuses (3).  Les  idoles  et  les  statuettes  divines  —  on  en  trouve  depuis 
l'âge  néolithique  jusqu'aux  temps  mycéniens,  et  beaucoup  de  celles  qui 
sont  sorties  des  tombes  rappellent  celles  de  l'Egypte  préhistorique 
découvertes  par  MM.  de  Morgan  et  Flinders  Pétrie  —  représentent  ordi- 
nairement, tant  dans  les  sanctuaires  domestiques  que  dans  les  sépul- 
tures, des  personnages  féminins  ;  la  déesse  aux  lions,  la  déesse  aux 
serpents,  la  déesse  aux  colombes,  sont  fameuses.  Jusqu'ici,  absence 
notable  de  dieux  mâles.  Pourtant,  la  double  hache,  la  bipenne,  si  fré- 
quemment trouvée  depuis  la  fin  des  temps  minoens  moyens  et  identique 
à  l'emblème  du  dieu  hittite  de  Boghaz-Keuï  et  du  Jupiter  Dolichenus, 
paraît  bien  être  l'emblème  ou  le  fétiche  d'un  dieu  de  la  foudre  qui 
aurait,  plus  tard,  fondu  sa  personnalité  dans  celle  de  Zeus.  Ce  signe 
pourrait  être  d'origine  asiatique.  A  côté  de  la  double  hache,  on  trouve 
la  croix  ordinaire  (une  étoile  schématisée  ?)  la  croix  gammée  (swastika) 
qui  se  rencontre,  comme  on  lésait,  delà  Bretagne  au  Japon.  Le  culte  des 
arbres  est  révélé  par  les  monuments  bien  plus  sûrement   que  celui   des 


1.  La   Crète  ancienne,  par  le  P.  Lagrange,   Paris,  Lecoffre,   1907.   —  Bévue 
Biblique  (RB),  avril,  juillet  et  octobre  1907. 

2.  Le  F.  Lagraiige.  avec  Dussaud    (Questions  Mycéniennes)  admet  le  carac- 
tère sacré  fies  palais,  demexires  de  rois-prètres. 

3.  C'est   la  solution   que   le    P.    Lagraiige   donne   à  ce   problème    archéologi- 
qne. 


390         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

pierres  ;  car  s'il  y  avait  des  piliers  consacres,  les  traces  de  bétyles,  de 
pierres  sacrées  en  elles-mêmes,  sont  au  moins  fort  douteuses.  On  a 
trouvé  un  sphinx  de  style  original,  des  figures  humaines  à  tête  de 
laureau  (minotaures)  curieusement  analogues  à  d'autres  monstres  hy- 
brides découverts  dans  les  fouilles  d'Èlam.  Le  protome  du  taureau  appa- 
raît aussi  comme  un  objet  sacré.  —  Les  autels  ont  des  cornes  de  consé- 
cration comme  chez  les  Sémiles.  Le  sarcophage  en  pierre  peinte  d'Hagia 
Triada  nous  représente  un  sacrifice  oùun  taureau  est  immolé  ;la  scène  est 
funéraire,  comme  il  ressort  de  la  présence  d'une  espèce  de  momie  qui  y 
tient  une  place  d'honneur;  mais  le  P.  Lagrange  estime  qu'il  est  plus 
exact  de  parler  ici  d'un  sacrifice  pour  le  mort  que  d'un  sacrifice  au 
mort.  —  Telles  sont  les  principales  données  de  ces  'soigneuses  études, 
qu'un  grand  nombre  de  photographies,  de  plans  et  de  dessins  rendent 
faciles  à  suivre. 

Cet  avantage  manque  au  deuxième  livre  dont  nous  avons  à  parler, 
The  discoveries  in  Crète  de  Ronald  M.  Burrows  (1).  J'insisterai  moins 
sur  cet  ouvrage,  parce  qu'il  ne  traite  de  la  religion  Cretoise  qu'en 
passant.  Mais  il  est  très  intéressant  au  point  de  vue  de  l'archéologie,  de 
l'histoire  de  l'art,  de  l'ethnographie,  et  contient  des  discussions  chrono- 
logiques dont  l'importance  n'échappera  à  personne  ;  il  serait  particu- 
lièrement désirable  d'établir,  comme  B.  cherche  à  le  faire,  (chap.  V,  cf. 
l'appendice  A)  un  synchronisme  des  âges  minoens  avec  l'histoire  des 
dynasties  égyptiennes.  Quelques  titres  de  chapitres  en  disent  assez  : 
I.  Le  palais  de  Ctiossos  et  la  puissance  maritime  de  Minos.  —  IL  Les 
palais  de  Phaestos  et  d'Hagia  7'riada,  et  les  fouilles  de  la  Crète  Orientale. 
—  III.  Les  débuts  de  la  civilisation  minoenne.  —  V.  La  Chronologie  égyp- 
tienneet  la  date  despériodes  «  minoennes  moyennes  ».  —  VIII.  Le  Laby- 
rinthe et  le  Minotaure.  —  ÏX  La  Crète  et  l'Orient.  —  X.  La  Crète  et  le 
Nord.  —  XL  Z,rt  poterie  néolithique  de  la  Russie  méridionale  et  de  l'Eu- 
rope centrale  (très  intéressant).  —  XII.  La  Crète  et  les  poèmes  homériques. 
L'auteur  remue  toutes  ces  questions  si  importantes  pour  l'histoire  reli- 
gieuse de  ce  mystérieux  pays,  et  peut-être  de  tout  l'Occident,  en  un  style 
qui  évite  d'être  trop  technique,  et  que  relève  même  çà  et  là  une  pointe 
agréable  d'humour.  Mais  le  lecteur  regrette  —  M.  Burrows  reconnaît 
lui-même  dans  sa  préface  que  cette  critique  a  sa  raison  d'être —  qu'il 
n'y  ait  dans  tout  le  livre  que  sept  ilhistrations,  dont  une  sur  la  couver- 
ture. 

Les  découvertes  de  Crète  rendent  vraisemblable  la  théorie  de  la  «  race 
méditerranéenne  »  qui  eût  existé  antérieurement  aux  peuples  indo- 
germaniques de  l'Europe,  et  dont  les  traits  se  retrouveraient  dans  toutes 
les  populations  du  midi.  La  culture  qui  monta  si  haut  en  Crète  pouvait 
être  répandue  à  des  degrés  divers  sur  toute  la  race.  Beaucoup  de  faits 
archéologiques  s'expliqueraient  ainsi.  Ce  n'est  encore  qu'une  hypothèse  ; 
niçiis  la  diffusion  d'une  culture  et  de  religions  voisines  de  celles  de  la 
Crète  à  travers  tout  le  monde  égéen,  îles,  Grèce  continentale,  côte  ouest 
d'Anatolie,  n'est  plus  nullement  hypothétique.  La  civilisation  préhellé- 
nique répondant  à  ce  que  Gruppe  appelle  «  die  krelische  und  die  boio- 

1.  Lond-on,    Jokii    i\hirrav,    1907. 


BULLETIN     DE     SCIENCE     DES     RELIGIONS  591 

tisch-euboiisclie  Kultur  »  furme  un  continu.  On  a  pu  remarquer  que 
les  déités  féminines,  à  caractère  plutôt  chthonien,  y  dominent.  Sam 
WiDE  montre  assez  bien,  ce  semble  (1),  que  Hérn  était  une  de  ces  divi- 
nités-là ;  les  Grecs  la  naturalisèrent  olympienne  en  la  mariant  à  Zcus  ; 
y-'pa  eût  été  d'abord  un  appellatif  de  déesses  chthoniennes  et  d'esprits  de 
femmes  défuntes  héroïsées(2).  Les  Dioscures  auraient  subi  la  même  évo- 
lution :  le  processus  de  cette  ascension  au  ciel  est  illustré  par  l'exemple 
évident  de  Démèter  et  de  Coré  ;  de  même  par  Wôdan  chez  les  Ger- 
mains. R.  Herzog  (3),  dans  ses  études  sur  VAsklépiéion  de  Cos,  fait  res- 
souvenir ces  dieux  souterrains  de  leurs  origines.  Par  des  inductions 
assez  probables  fondées  sur  des  rites  (ainsi  l'offrande  de  gâteaux  aux 
serpents  d'Esculape,  gâteaux  jetés  aussi  aux  serpents  divins  qui  habi- 
taient les  cavités  du  sol,  puis  remplacés  par  de  l'argent  :  comparez  l'o- 
bole à  Charon),  il  arrive  à  de  curieux  rapprochements  entre  Cerbère 
et  Charon,  tous  deux  également  chiens  et  serpents  chthoniens  à  leur 
naissance,  et  nous  fait  remontera  ce  vieux  monde  religieux  préhisto- 
rique que  les  totémistes  peuplent  de  leurs  dieux  animaux  (4).  —  Avant 
dequitterles  origines,  mentionnons  l'étude  de  Frazer  snv  Hyacinthe  (5), 
déité  aborigène  que  le  mythe  grec  faisait  tuer  par  son  ami  Apollon.  Sa 
tombe  était  honorée  à  Amyclée,  en  Laconie^  par  des  cérémonies  de 
deuil  suivies  d'explosions  de  joie,  ce  qui  laisse  supposer  qu'on  fêtait 
peut-être  sa  résurrection.  Frazer  incline  naturellement  à  y  voir  un  an- 
cien roi  divin  d'Amyclée,  que  les  Grecs  conçurent  plus  tard  comme  une 
personnification  de  la  végétation  qui  s'épanouit,  se  fane  et  renaît.  Ce 
en  quoi  il  a  plus  certainement  raison,  c'est  quand  il  le  met  dans  la 
même  catégorie  de  die-ux  qu'Attis.  A  celui-ci,  il  consacre  le  second 
livre  de  la  quatrième  partie  de  son  Golden  Boiighremanié  (6).  Il  a  pro- 
fité dans  cette  étude  de  la  masse  de  faits  et  de  textes  collectionnés  par 
Hepding.  Ce  parallèle  phrygien  du  Sémite  Adonis  apparaît  avant  tout 
comme  un  dieu  de  la  végétation,  dont  la  vie  se  manifestait  spécialement 
dans  le  pin  et  les  violettes.  Mais  à  l'origine,  c'est  comme  dieu-père 
(Attis-Pappas)  qu'il  aura  été  associé  à  la  déesse-mère,  peut-être  même 
comme  dieu  du  ciel  (?).  Il  semble,  dit  F.,  s'être  personnifié  dans  son 
grand  prêtre  de  Pessinonte;  c'est  pour  cela  que  celui-ci  devait  se  tirer 
du  sang  en  souvenir  de  la  mort  sanglante  du  dieu.  Ces  représentants 
humains  d'Attis,  au  temps  où,  selon  les  idées  de  l'auteur  du  Golden 
Bough,  il  était  d'usage  courant  de  sacrifier  les  prêtres  et  les  rois, 
eussent  été  rituellement  mis  à  mort  par  pendaison  ;  de  là,  lalégende  de 


1.  Chthonische  und  himmlische  Gôtter,  Archiv  fur  Beligionswissensehaft 
(AP.W),    12   mars    1907. 

2.  Cfr.     les    Junons   des    Romaines. 

3.  Aus  dem  AsMepieiou  von  Kos,  ARW,  mars   1907. 

4.  Sur  le  totémisme  présumé  des  Grecs  ou  des  Thraces  de  la  préhistoire, 
on  peut  lire  divers  chapitres  de  Cultes,  Mythes  et  Religions  de  Sal.  Reinach, 
p.  ex.  les  chap.   VII,  VIII  et  X  du  tome  deuxième. 

5.  Adonis,  Attis,  Osiris,  Book  second,  ch.  VII.  —  London,  Macmillan, 
Second  édition,  revised  and  enlarged,    1907. 

6.  Id.  Book  second,  tout  entier. 


592  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIOUES 

Marsyas,  un  double  d'Atlis,  qui  fut  allaché  à  un  pin  avant  d'être  écorché. 
Comparez  la  pendaison  d'Odin,  dans  TEdda,  et  la  pendaison  rituelle  de 
ses  victimes  humaines. 

Sur  le  terrain  plus  sûr  de  la  religion  historique  des  Hellènes,  citons, 
parmi  les  publications  documentaires,  Leges  graeconnn  sacrae  e  iitulis 
collectne.  Legps  Graeciae  et  insularum  de  L.  Zteben  :  c'est  le  l*""  fascicule 
de  la  2^  partie  de  la  collection  de  documents  épigraphiques  commencée 
dès  1896  par  Hans  von  Prott.  On  y  retrouvera  des  titres  de  fondation, 
des  règlements  nombreux  et  variés  concernant  les  sacrifices,  les  pro- 
cessions, le  sacerdoce,  l'accès  des  temples,  etc.  en  des  lieux  et  des 
temps  très  divers.  La  Revue  de  V Histoire  des  religions  (1)  donne  la  liste 
elle  titre  détaillé  de  ces  cent  soixante  textes. 

H.  ScHMiDT  a  publié  dans  les  Rg.  VV.  un  opuscule  intéressant  intitulé 
Veteres  philosophiquomodo  judicaverint  de  precibus  (2i.  Depuis  la  prière 
homérique,  qui  aie  caractère  d'une  offre  de  contrat,  jusqu'à  celle  du 
stoïcien  contemporain  d'Épictète  qui  a  écrit  cette  belle  sentence  :  clyô- 
^.îvo;  Toiyy.poj-^  ^jzoïç,  y.i'rt'.  zx  Oîly.,  on  ne  verra  pas  sans  intérêt  comment 
tous  les  philosophes  grecs  et  romains,  à  l'exception  des  athées  ou  ratio- 
nalistes déclarés,  ont  accordé  à  la  prière  une  grande  importance  en 
pratique  sinon  en  théorie,  et  comment  l'objet  et  le  mode  de  la  prière 
ont  été  présentés  par  eux,  de  plus  en  plus  clairement,  comme  devant  être 
spirituels.  11  est  vrai  que,  en  même  temps,  les  dévots  vulgaires  conti- 
nuaient à  demander  aux  dieux  des  choses  dont  ils  n'eussent  osé  avouer 
le  désir  devant  les  hommes  (c'est  une  des  raisons  souvent  mentionnées 
de  prier  à  voix  basse),  et  que  certains  néo-platoniciens  ont  confondu  la 
prière  et  la  magie  (3). 

A  l'autre  pôle  du  monde  de  la  religion  se  trouve  la  mythologie.  Mal- 
gré le  relent  de  versions  latines  et  de  pensums  qui  s'attache  au  souvenir 
de  la  mythologie  classique,  les  légendes  grecques,  si  poétiques  parfois, 
sont  une  carrière  que  l'art  peut  toujours  exploiter.  H.Â.  Guekber  apublié 
pour  les  gens  du  monde  The  mijths  of  Greece  and  Rome  (4).  La  lecture  de 
ce  livre  est  facile  et  attrayante,  grcâce  surtout  aux  citations  de  poètes  et 
aux  illustrations.  Il  n'apas  de  prétentions  scientifiques,  car  l'auteur  choisit 
la  forme  la  plus  classique  des  mythes,  et,  dans  le  dernier  chapitre  oî' 
il  donne  les  principes  de  leur  interprétation,  il  dit  préférer,  comme 
plus  poétiques,  les  théories,  qui  sont  bien  un  peu  vieillottes,  de  l'école 
des  philologues  météorologistes  ;  encore  est-ce  toujours,  pour  l'imagi- 
nation moderne,  même  sous  cette  forme  populaire,  un  petit  ruisseau  de 
cette  «  Fontaine  de  Jouvence  »  que  fut  et  que  demeure  la  pensée  hellé- 
nique. 


1.  R.  H.  R.  Berue  dca  Livres,  jaiiv.  fév.  1908    Ad.  J.  Reinach;    - 

2.  Belioionscjpschichtliche  Versuche  und  Vornrbeiten,  Tôpelmann,  Giessen, 
1907,  IV  Band,  1.  Heft. 

3.  Sur  les  menaces  «t  les  reproches  adressés  aux  morts,  chez  les  Grecs, 
pour  les  appeler  au  secours  des  ^T-vants,  ainsi  cpie  sur  les  invocations 
aux  Erinnyes,  voir  Chdten  und  Fluchm  de  L.  Radermacher,  ARW,  décem- 
bre   1907." 

4.  London,  George  G.  Harrap  and  C,  1907. 


BULLETIN     DE    SCIEN'CE    DES     RELIGIONS  593 

2.  —  Rome. 

Les  premiers  colons  aryens  qui  s'avancèrent  en  Italie  ne  le  faisaient 
qu'en  tremblant,  émus  ou  épouvantés  àchaque  pas,  avec  leurs  croyances 
animistes,  par  la  vague  impression  du  Xumen  des  grands  bois  qui  cou- 
vraient alors  la  péninsule  ;  ce  sentiment  était  la  religio  au  sens  tout  à 
fait  originel  de  ce  mot  dans  la  langue  latine.  Mais  ces  gens  superstitieux 
étaient  pratiques,  et  chez  eux  l'État,  si  rudimentaire  qu'il  fût  encore, 
s'occupa  bien  vite  de  régulariser  les  rapports  de  chaque  homme  avec 
les  pouvoirs  invisibles,  de  supprimer  ce  qu'ils  avaient  d'imprévu,  de 
mystérieux,  d'efîrayant,  par  la  création  du  jus  divinumjondé  sur  l'obser- 
vation empirique  des  manifestations  des  Numina.  Ce  droit,  si  rigoureux, 
si  précis,  si  détaillé,  contribua  sans  doute  beaucoup  à  développer  l'es- 
prit de  discipline  dans  toute  la  vie  des  Romains;  par  contre,  il  réussit 
trop  bien  àcalmer  l'appréhension  du  mystère,  et  arriva  presqueà  suppri- 
mer le  sentiment  religieux.  Il  fit  cette  religion  desséchée,  formaliste, 
où  tout  était  objet  de  prévisions  et  de  calculs,  oîi  rien  ne  répondait  aux 
aspirations  profondes  de  l'âme  humaine  et  qui,  par  conséquent,  se 
trouva  un  jour  absolument  sans  force  pour  lutter  contre  le  mysticisme 
d'Anatolie  et  d'Egypte.  Tel  est  le  résumé  d'un  article  de  Warde  Fowler 
très  suggestif  et  non  dépourvu  de  portée  philosophique  (1). 

Ce  stade  primitif  de  la  religion  romaine,  avant  les  premières  atteintes 
du  syncrétisme,  est  décrit  avec  beaucoup  de  méthode  par  Cyril 
Bailey(2).  Il  s'attache  à  ce  qui  est  char ac ter istically  roman.  Sur  les 
antécédents  préhistoriques  qu'il  donne  à  la  «  religion  de  Numa  »,  nous 
faisons  nos  réserves,  car  ils  se  ressentent  du  dogmatisme  d'une  philo- 
sophie sur  laquelle  rien  ne  nous  porte  à  appuyer  la  science  des  reli- 
gions (3).  Mais,  dès  que  nous  arrivons  aux  temps  historiques,  à  l'histoire 
primitive  de  cette  communauté  agricole  d'où  Rome  est  sortie,  aussi 
substantielle  que  succincte  est  la  description  du  culte  delà  maison,  du 
culte  des  champs,  puis  du  culte  de  l'État  ;  celui-ci  est  sorti  des  deux 
premiers  et  n'a  fait  que  grossir   les  numina  de  la   maison  du   fermier^ 


1.  Religion  and  citizenship  in  early  Rome,  Hibhert  Journal  (HJi  Juillet 
1907. 

2.  Jncient  Rome,  (Religions  ancient  and  modem  RAM)  London,  Archibald 
Constable,    1907. 

3.  Rien  dans  l'histoire  ne  démontre  la  vérité  de  cette  théorie  évolution- 
niste,  admise  comme  un  postulat  par  tant  d'antliropolognes,  qui  voudrait: 
1°  Cfue  la  magie,  science  commençante,  eût  marqué  un  stade  de  la  pensée 
humaine  antérieur  à  toute  religion  proprement  dite;  on  n'en  a  la  preuve 
chez  aucun  peuple,  et  les  prétendus  indices  de  cet  état  primitif  peuvent 
toujours,  sans  \'iolence,  s'interpréter  autrement;  2°  que  l'adoration  rendue 
à  des  esprits  habitant  les  objets  naturels  supposât  antérieurement  une  adora- 
tion directe  de  ces  objets  pour  eux-mêmes;  ce  n'est  qu'un  postulat  arbitraire; 
■3°  enfin  que  l'animisme  fût  le  résultat  de  la  banqueroute  de  la  magie; 
cette  dernière  hypothèse  est  telle  qu'on  ne  peut  même  pas  en  discuter  les 
bases,  car  elle  n'en  a  point.  C'est  un  pur  placitum.  Toute  cette  philosophie 
des  religions,  actuellement  assez  en  vogue,  n'est  qu'une  construction  ingé- 
nieuse, qui  ne  répond  ni  à  l'histoire,  ni  à  la  psychologie,  et  semble  igno- 
rer   ce    qu'ont    de    propre    et    d'irréductible    les    phénomènes    religieux. 

2'    AnncT.  —  Revue  des  Sciences.  —  N»  3  38 


594         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

son  Janiis,  sa  Vesta,  ses  Pénates,  ses  Lares  et  ses  Genii,  ou  lesNumina 
delà  végétation,  Mars  avec  son  pendant  Quirinus,  Liber,  Cérès,  Paies  ; 
il  leur  donna  des  fonctions  politiques  ou  militaires,  les  disposa  avec 
Jupiter  et  Junon  à  leur  tête  dans  une  «  hiérarchie  froide  et  sans  cœur  », 
avec  une  casuistique  et  un  rilualisme  qui  atteignent  à  la  perfection  du 
genre.  Les  dieux  romains  ont  cela  de  particulier  que,  si  spécialisés 
qu'ils  soient  dans  leurs  fonctions,  faisant  pour  ainsi  dire  partie  des 
cadres  de  Fadministration  tout  comme  leurs  prêtres,  ils  restent  cepen- 
dant toujours  plus  ou  moins  vagues  et  pâles  dans  leur  concept  ;  peut- 
être  cependant  ne  faudrait-il  pas  trop  exagérer  leur  impersonnalité  (1)  ; 
très  anciennement  ils  apparaissent  déjà  assez  personnels,  puisqu'on 
peut  faire  avec  eux  tant  et  tant  de  «  contrats  civils  »  réglés  par  le  jus 
divinum.  Cependant,  quelques-unes  de  ces  entités,  comme  le  Genius  (de 
la  racine  de  gignere,  d'après  Bailey,  qui  voit  dans  ce  genius  un  simple 
esprit  attaché  à  l'homme  pour  lui  donner  la  force  générative)  sont  tou- 
jours restés  à  l'état  de  numina  imprécis.  Il  faut  remarquer  la  fin  du 
chapitre  ]]^orship  of  the  household,  conS(\c.rée  aux  morts.  B.  ne  recon- 
naît pas  de  culte  des  morts  chez  les  anciens  Romains.  Ce  qui  survivait 
de  l'homme,  c'étaient,  dans  ces  âges  lointains,  les  funestes  Larvae  ou 
Lémures  qu'on  avait  seulement  le  souci  d'écarter  ;  puis  le  sentiment  de 
rapports  de  solidarité  affectueuse  subsistant  au  delà  du  tombeau,  fit 
instituer  des  rites  comme  ceux  des  Parenlalia,  quand  on  eut  conçu  les 
morts  comme  ayant  besoin  du  souvenir  et  de  la  bienveillance  des  vivants, 
et  pouvant  en  retour  leur  accorder  une  certaine  protection  (^)  ;  mais 
les  Di  Mânes,  avant  l'époque  impériale,  n'étaient  pas  encore  les  âmes  des 
défunts  ;  ils  n'étaient  conçus  originairement  que  comme  des  dieux,  à 
caractère  plutôt  propice,  du  monde  infernal  ;  le  sacrifice  «  à  la  tombe  » 
était  offert  a  quelque  déité  chthonienne.  —  Au  total,  cette  religion  était 
consciencieuse  et  froide,  bornée  à  peu  près  à  la  terre,  sauf  dans  le  culte 
familial  où  a  pu  se  réfugier  une  véritable  pietas  envers  les  dieux,  un 
sentiment  religieux  teinté  d'émotion.  Les  éloges  que  les  auteurs  anciens 
ont  faits  de  la  religion  de  Rome  ne  sont  mérités  que  pour  autant  que  sa 
forte  discipline  et  le  sentiment  qu'elle  entretenait  de  la  dépendance  du 
citoyen  vis-à-vis  de  l'invisible  ont  contribué  à  «  faire  et  à  conserver  une 
nation.  » 

En  fait  d'études  plus  spéciales,  citons-en  dabord  une  qui  tend  à  pré- 
ciser la  difficile  définition  des  Lares.  Ernest  Samter,  contre  Wissowa 
(à  l'opinion  duquel  incline  Bailey,  op.  cil.  p.  fî8),  maintient  qu'il  n'exis- 
tait pas  au  co»;/)«7i<?u  de  cuite  d'un  Za*' particulier,  et  que  le  Lai'  était 
un  ancêtre,  quelque  chose  comme  un  yjooo;  y.oyrr/hr,;  ;  ce  n'était  pas  un 
numen  des  champs,  mais  un  protecteur  spécial  de  la  famille,  en  rela- 
tions avec  les  puissances  souterraines  (3).   —  Domaszewski  (4)  établit 

1.  D'abord  ils  étaient  ooaçus  comme  sexués,  comme  le  prouve  la  formule 
très  ancienne  «  sive  deus,  sive  dea  »;  et  mariés.  Voir  Frazer,  op.  cit.,  appen- 
dice II,    The  îvidowed  Flaimn,   §  2  The  marriage  of  the  Roman  gods. 

2.  Rien  ne  prouve  q;ue  ces  deux  conceptions  n'aient  pas  coexisté  dès 
l'origine.   La   psychologie   porte    au   contraire   à  penser    cpi'elles    coexistaient. 

3.  Der   Ursprung   des   Larerikidtes,   ARW,    juiUet   1907. 

4.  Die    Fcstc!/<lr)i    des    romischen   Ealeuders,   ARW,   juiUet    1907. 


BULLETIN     DE    SCIENCE     DES     RELIGIONS  595 

Tordre  cyclique  du  calendrier  romain  dont  les  fêtes  se  groupent,  mois 
par  mois,  autour  d'une  fête  centrale  ;  leur  succession  est  réglée  par  les 
diverses  phases  de  la  vie  de  la  nature,  de  décembre  en  décembre,  avec 
un  rapport  spécial  à  l'agriculture,  et  aux  forces  qui  favorisent  ou  com- 
promettent les  récoltes  et  la  santé  des  hommes. 

Franz  Clmont,  dans  un  livre  de  vulgarisation  que  recommande  sa 
haute  compétence (1),  fait  l'histoire  de  l'invasion  des  cultes  orientaux 
qui  se  juxtaposèrent  ou  se  combinèrent  à  cette  religion  méticuleuse  et 
sèche,  et  finirent,  en  pratique,  par  la  supplanter  (2!.  L'Âsie-Mineure,  dès 
les  guerres  puniques,  envoie  aux  Romains  sa  Grande  Mère  qui  traîne 
derrière  elle  tout  un  cortège,  son  parèdre  Attis,  puis  Mà-Bellone,  Mên, 
Sabazios,  Anâhita.  L'Egypte  fournit  Isis  et  Sérapis,'dont  le  culte,  hellé- 
nisé par  les  Ptolémées,  s'était  répandu  même  dans  la  Grèce.  Les  cultes 
de  Syrie,  surtout  à  partir  des  Sévères,  se  répandent  dans  tout  l'Occident, 
grâce  aux  soldats,  aux  marchands,  aux  esclaves  ;  sous  l'influence  de 
l'astrolàtrie  babylonienne  qui  les  pénètre,  ils  aboutissent  à  la  forma- 
lion  de  cet  hénothéisme  solaire  qui  devint  presque  la  religion  ofTicielle 
du  monde  romain.  Puis,  c'est  le  mazdéisme  d'Anatolie  avec  Mithra,  aux 
mystères  duquel  se  l'ait  initier  déjà  Commode,  et  qui  est  reconnu  en 
307  par  Dioclétien,  Galère  et  liicinius  comme  fautor  imperii  sui  (voir 
ci-dessous,  IV,  Iran).  Ainsi,  avant  Constantin,  le  paganisme  de  Rome 
était  complètement  transformé  :  il  était  devenu  oriental,  reconnaissait 
universellement  un  dieu  suprême,  unique,  éternel,  tout-puissant, 
parfois  identifié  au  Destin,  au  Temps  infini  ou  à  l'Univers  lui-même  ; 
au-dessous  de  lui  ou  comme  faisant  partie  de  lui,  on  adore  tous  les 
elementa,  particulièrement  les  astres,  grâce  à  la  lointaine  Babylone  dont 
l'influence  a  répandu  partout  l'astrologie.  Toute  la  religion  est  un  mé- 
lange confus  de  science  et  de  mystique,  de  sorcellerie  et  de  dévotion, 
de  très  grossières  superstitions  et  d'aspirations*,  à  l'immortalité  bien- 
heureuse, à  la  purification  des  âmes.  Et  une  armée  de  philosophes  est 
sans  cesse  occupée  à  justifier  tout  cela  en  bloc.  Cumont  traite  son  sujet 
dans  un  style  qui  en  fait  ressortir  encore  davantage  l'intérêt  puissant. 
Il  est,  en  somme,  très  sympathique  à  ces  influences  exotiques,  et  ne 
craint  pas  d'exagérer  la  supériorité  religieuse,  pour  ne  pas  dire  intel- 
lectuelle, de  l'Orient  sur  Rome,  de  présenter  comme  un  progrès  la 
difl'usion  de  ces  cultes  qui  faisaient  appel  à  l'intelligence  et  à  la  cons- 
cience, malgré  toutes  leurs  tares.  Il  y  voit  une  préparation  au  christia- 
nisme, ce  qui  est  vrai  dans  un  certain  sens,  mais  il  se  montre  trop 
disposé  à  rapprocher  les  bords  du  grand  abîme  qui  séparait  tout  ce 
chaos  panthéiste  delà  religion  de  l'Esprit. 


1.  Les  Religions  orientales  dans  le  paganisme  romain,  Aanales  du  Musée 
Guimet   (A^IGi    Bibliothècpie   de   vulgarisation,    tome    24,    Paris,    Leroux,    1907. 

2.  Un  savant  italien,  M.  Vittorio  Macchioro,  entreprend  d?  démontrer,  dans 
un  axticle  de  la  Revue  Archéologique,  intitulé  11  sincretismo  religioso  e 
l'epigrafia,  que  le  polythéisme  gréco-romain  n'est  jamais  devenu  le  vaste 
syncrétisme  qnxe  l'on  pense.  Sur  ses  conclusions  et  la  majiière  dont  il  les 
étab'it,  voir  le  jugement  de  R.   H.   R.   Chronique,  janv.-fév.   1908,  p.   144,   sv. 


596  REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

3.  —  Européens  du  Nord  (  1  » 

Germains.  —  Eugène  Mogk,  auteur  d'une  Mythologie  germanique 
publiée  d'abord  dans  la  «  Grundriss  der  germanischen  Philologie  «  de 
Paul,  a  donné  en  1906  à  la  collection  Gôscben  une  petite  <(  Germanische 
Mijthologie  »  (^)  pleine  de  renseignements.  Comme  font  maintenant 
presque  tous  les  auteurs  d'ouvrages  de  haute  vulgarisation,  il  procède 
par  voie  de  synthèse  à  partir  des  origines.  Dans  un  travail  d'ensemble 
scientifique  il  serait  difficile  de  faire  autrement  ;  car  sur  la  religion  des 
Germains,  il  ne  s'est  pas  exercé  de  ces  influences  profondes  de  la  litté- 
rature et  de  lart  que  nous  voyons  à  l'œuvre  chez  les  Grecs  ;  là,  les 
poèmes  homériques  ont  fini  par  créer  un  Panthéon  assez  consistant  et 
presque  panhellénique;  au  contraire  l'Olympe  germanique  de  l'Rdda  est 
de  naissance  tardive  et  artificielle,  et  les  scaldes  n'ont  sans  doute  ja- 
mais réussi  à  l'imposer  au  peuple.  Il  faut  donc  remonter  à  travers 
les  brumes  préhistoriques,  et  raisonner  sur  les  survivances,  pour  re- 
trouver approximativement  la  religion  des  ancêtres.  Aussi  Mogk, 
comme  les  autres,  cherche-t-il  à  distinguer  les  différentes  couches  de 
cette  concrétion,  analogue  aux  autres  religions  naturelles.  Toutes  les 
croyances  et  les  formes  du  culte  dérivent  de  deux  principes  qui  réa- 
gissent continuellement  l'un  sur  l'autre  :  V aniinisvie ,  qui  remplit  la  na- 
ture de  volontés  pareilles  à  celles  de  l'homme  et  la  peuple  d'elfes  et  de 
démons,  et  le  monisme,  ou  croyance  à  la  survie  et  <à  la  puissance  des 
morts(o).  Puis  il  passe  en  revue  les  principales  figures  divines  anthropo- 
morphisées,  Wôdan-Odin,  Loki,  Donar-Thor  (dont  il  narre  les  princi- 
pales légendes),  Ziu-Tyr,  Heimdallr,  Balder,  Freyr  et  Njord,  enfin  les 
déesses.  Leur  personnalité,  comme  leur  popularité,  a  pu  varier  énor- 
mément d'un  peuple  à  l'autre,  d'un  temps  à  l'autre,  et  les  religions  des 
races  nordiques  ne  ressemblaient  sans  doute  guère  à  celles  des  vieux 
païens  des  bords  du  Danube.  L'auteur  examine  les  mythes  nordiques 
du  commencement  et  de  la  fin  des  choses.  Puis  il  passe  au  culte  ;  il 
montre  la  place  qu'y  tenait  le  charme,  la  divination  et  la  prophétie, 
presque  exclusivement  réservés  aux  femmes,  tandis  que  le  souci  des 
présages  incombait  aux  hommes  ;  il  étudie  les  prêtres  et  les  prêtresses, 
les  temples  et  les  images,  la  prière;  le  sacrifice  avait  essentiellement  le 
caractère  d'offrande  (l'objet  offert  s'appelait  gild,  gjald,  ce  qui  signifie 
don,  d'où  l'allemand  Geld^Spende,  verpflichlete  Gabe,  à  l'origine).  Les 
sacrifices  humains,  même  les  sacrifices,  chers  à  Frazer,  de  rois  ou  de 
fils  de  rois,  ont  laissé  des  traces  très  nombreuses  dans  les  traditions, 
surtout  en  Suède. 


1.  Sur  les  religions  des  Slaves,  des  Fimiois,  des  Lithuaniens,  dont  les  croyan- 
ces populaires  nous  ramènent  encore  actuellement  à  un  lointain  passé,  ce 
sont  principalement   les   revues   de   folk-lore    qu'il    faut   consulter. 

2.  Sammlung  Gôschen,  Leipzig,  1906. 

3.  Ni  l'animisme  ni  le  manisme,  ni  les  deux  combinés,  ne  peuvent  d'ailleiurs 
expliquer  la  naissance  de  la  croyance  religieuse;  et  il  serait  malaisé  de 
prouver  que^  chez  aucun  peuple,  la  religion  ait  jamais  été  un  pur  polydé- 
monisme. 


BULLETIN     DE    SCIENCE     DES     RELIGIONS  597 

Dans  un  bullelin  de  ÂRW.  (I),  Kaufmann  menlionne  l'ouvi-age  précé- 
dent et  plusieurs  autres  travaux  similaires.  Il  insiste  sur  un  point  qu'ils 
ne  lui  paraissent  pas  mettre  assez  en  valeur,  les  tabous  des  vieux  Ger- 
mains, tels  qu'ils  se  révèlent  d'une  façon  particulièrement  frappante 
chez  les  Frisons,  dans  le  culte  des  sources  sacrées,  c'est-à-dire  tabouées  ; 
culte  qui  s'explique  tout  seul  dans  un  pays  où  l'eau  potable  était  rave, 
et  qui  n'a  rien  à  démêler  avec  la  météoroloi^ie  ni  le  dieu  Donar.  Le 
même  Bulletin  indique  les  principaux  ouvrages  concernant  le  folk-lore 
germanique,  les  inscriptions  germano-romaines,  et  l'histoire  du  vieux 
droit,  tout  pénétré  de  rapports  avec  la  religion  et  l'autre  monde.  Il  tou- 
che à  l'éternelle  question  de  Balder,  que  les  mythologues  traitent  à  des 
points  de  vue  très  divers  encore;  les  uns,  comme  Kaarle  Krohn,  y 
voient  un  mythe  dérivé  du  christianisme,  d'autres,  comme  Henrik 
Schilck  (2),  une  création  poétique  des  Scaldes,  tandis  que  Kaufmann  lui- 
même,  qui  tient  pour  les  origines  magiques  de  la  mythologie,  reconnaît 
dans  la  triste  histoire  du  jeune  dieu  un  vrai  mythe  germanique  répon- 
dant au  rituel  du  «  Sacrifice  du  roi  »  (3).  Pour  le  reste,  je  renvoie  mon 
lecteur  à  son  Bulletin. 

Celtes.  —  A  tous  les  érudits  ou  amateurs  qu'intéressent  les  questions 
celtiques,  il  faut  recommander  le  Manuel  pour  servir  à  l'étude  de  l'anti- 
quité celtique  de  Georges  Dottin  (4).  L'auteur  n'y  consacre  à  la  religion 
et  au  druidisme  que  le  5*^  et  le  6'  chapitres,  mais  ce  manuel,  d'une  cri- 
tique aussi  rigoureuse  que  l'information  en  est  abondante,  est  d'une 
lecture  vraiment  tonique  et  prophylactique  pour  tous  ceux  qui  veulent 
se  hasarder  sur  ce  terrain  des  religions  du  Nord  oîi  les  imaginations 
aiment  toujours  à  fourrager. —  Ch.  Renel  a  publié,  dans  la  Bibl.  de  vul- 
garisatio)t  des  Annales  du  Musée  Guimet(.'j),  un  bon  livre  orné  d'illustra- 
tions instructives.  Les  Religions  de  la  Gaule  avant  le  christianisme.  Il 
suit  l'ordre  archéologique  et,  après  avoir  examiné  les  cultes  précelti- 
ques  des  âges  paléo,  méso,  néolithiques,  il  étudie  les  rites  funéraires, 
inhumation  et  incinération,  le  mobilier  funéraire,  les  sacrifices  animaux 
ou  humains  de  l'âge  des  métaux  ;  puis  les  cultes  sans  date,  certainement 
antérieurs  aux  Celtes,  mais  pratiqués  encore  par  eux,  ceux  des  pierres, 
(les  plantes,  des  eaux,  des  animaux,  du  feu  et  des  astres  (6).  Ensuite  les 
dieux  celtiques  zoomorphes  et  anthropomorphes,  Tarvos  Trigaranus, 
Sucelius  (le  dieu  au  marteau),  le  serpent  cornu,  le  dieu  à  la  roue  (Jupi- 
ter gaulois),  la  prétendue  Irinité  Teutatès-Esus-Taranis,   les  dieux  Irirp- 


1.  Altgermanische  Religion,   ARW.   Bericht  1,   déc.   1907. 

2.  Henrik  Schuck,  Studier  i  nordisk  Litteratur  och  Religions-Jiistoria, 
2-  vol.  Stockliolm,  1904.  —  Kaarle  Krohn,  Finnische  Belirage  zur  germa- 
nischen    Mythologie,    Helsingfors,    1906,    (d'après    ARW,    loc.    cit} 

3.  F.   Kaufmann,   Balder,   Strasbourg,   1902.   Cfr.   Mogk,   op.   cit.,   p.   77  sv. 

4.  Paris,  Honoré  Champion,  1906. 

fi.  AMG,   Bibl.  vulg.,   tome  XXI,   Leroux,   1906. 

6.  L'asti-olâtrie  paraît  avoir  été  très  effacée  chez  les  Celtes  el;  les  Ger- 
mains, comme  d'ailleurs  chez  les  anciens  Romains  et  les  anciens  Grecs. 
Pourtant  le  swastika,  fréquemment  trouvé  dans  nos  pays  d'Occident,  passe 
très   communément   pour  un   emblème   religieux   solaire. 


o'J8         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

pliales,  les  Mères.  Le  chapitre  suivant  dépeint  la  romanisalion  de  ces 
religions  locales,  jusqu'au  christianisme.  Puis  Fauteur  nous  dit  ce 
qu'on  sait  des  prêtres,  des  lieux  de  culte,  des  rites,  de  la  magie  et  de  la 
divination.  Comme  la  plupart  des  savants  d'à  présent,  R.  fait  assez  bon 
marché  du  druidisme,  auquel  il  n'attribue  qu'un  rôle  très  effacé  en  Gau- 
le durant  la  période  historique,  que  cette  institution  fût  déjà  usée,  ou 
qu'elle  fût  d'importation  trop  récente  et  trop  exotique  pour  agir  beau- 
coup sur  la  religion  populaire  de  ces  races  si  mélangées  qu'on  appelait 
les  Gaulois,  Tout  en  se  rangeant  à  beaucoup  des  conclusions  de  Salomon 
Reinach,  qu'on  peut  voir  exposées  dans  Cultes,  Mythes  et  Religions  (1), 
Renel  ne  le  suit  pas  aveuglément  ;  ainsi,  malgré  la  tentation  si  forte 
qu'on  aurait  de  ramener  à  des  origines  tolémiques  toute  la  religion 
d'une  race  qui  nous  a  laissé  tant  d'images  sacrées  d'animaux,  cheval, 
sanglier,  taureau,  ours  et  corbeau,  malgré  le  serpent  cornu  et  les  ap- 
pendices animaux  de  nombreuses  idoles  humaines,  il  aime  mieux,  pour 
n'être  pas  accusé  de  «  manie  totémistique",  user  d'expressions  qui  n'en- 
gagent à  rien,  telles  que  «  cultes  animalistiques,  thériolâtrie  ».  Nous 
croyons  qu'il  a  raison.  Il  constate  d'ailleurs  qu'on  trouve  en  Gaule,  à 
l'époque  la  plus  reculée,  une  tendance  manifeste  à  représenter  les  dieux 
sous  forme  humaine  (ainsi  déjà  les  statues-menhirs  du  Tarn,  de  l'Avey- 
ron  et  de  l'Hérault,  les  grossières  représentations  féminines  des  grottes 
sépulcrales  de  la  Champagne),  seulement  l'anthropomorphisme  eût  été 
arrêté  dans  son  développement  jusqu'aux  environs  de  l'époque  romaine. 
Nous  le  félicitons  moins  pour  sa  philosophie  des  religions,  pour  ses  ex- 
plications de  la  «  manière  dont  sont  nés  les  dieux  »,  etc.  Comment  se 
fait-il  que  les  historiens  des  religions  n'aient  pas  tous  compris  encore 
qu'une  affectation  de  scientisme  et  de  mépris  pour  la  religion  en  soi 
n'est  nullement  de  nature  à  relever  leur  crédit  scientifique  aux  yeux  des 
lecteurs  cultivés,  et  parfois  même  pourrait  induire  ceux-ci  à  croire  qu'ils 
entendent  des  aveugles  expliquer  les  rapports  des  couleurs  ?  —  A  part 
cela,  le  livre  est  intéressant,  compréhensif,  et  assez  réservé  en  fait  d'hy- 
pothèses. 

4.  —  Iran. 

Ce  n'est  pas  en  général  l'accusation  de  mépriser  la  religion  qu'on 
pourra  porter  contre  les  iranistes.Au  contraire,  l'approche  de  Zarathush- 
tra,  comme  ailleurs  celle  de  Çakya-Mouni,  est  de  celles  qui  font  tourner 
captieusement  le  philologue  à  l'apologiste.  Et  il  ne  faut  pas  trop  s'en 
étonner;  l'Avesta  est  captivant  et  a  droit  à  de  grands  égards.  D'ailleurs, 
si  l'on  veut  pénétrer  le  sens  d'un  système  religieux,  il  est  plus  habile, 

1.  Dans  Cultes,  Mythes  et  Religions,  beaucoup  d'études  sont  consacrées 
aux  religions  celtiques.  Tome  I  :  III.  Les  survivances  du  totémisme  chez  les 
anciens  Celtes;  XII.  L'art  plastique  en  Gaule  et  le  druiHisme;  XVI.  Les  vierges 
de  Séna;  XVII.  Tentâtes,  Esus,  Taranis  ;  XVIII.  Sucellus  et  Nantosvelta; 
XIX;  XXII;  XIV.  Les  carnassiers  androphages  dans  l'art  gallo-romain.  Tome 
II  :  VIII,  Zagreus,  le  serpent  cornu.  EUes  sont  toujours  fort  instructives,  à 
cause  de  l'érudition  archéologiqxie  et  phLlologiqiie  de  l'auteur,  et  ordinairement 
peu   convaincantes,   à  cause  de   son  esprit  de   système. 


BULLETIN     DE    SCIENCE    DES     RELIGIONS  599 

ne  fût-ce  qu'au  pur  point  de  vue  professionnel,  de  l'aborder  avec  sym- 
pathie que  de  le  faire,  comme  malheureusement  certains  qui  se  figurent 
remplir  ainsi  une  condition  nécessaire  et  presque  suffisante  pour  être 
bons  critiques,  avec  des  allures  sournoises  de  sbire  ou  d'assassin.  Mais 
il  ne  faut  pas  non  plus  exagérer  dans  le  sens  de  la  bienveillance,  au 
point,  par  exemple,  de  parler  avec  l'émotion  qu'on  éprouverait  devant 
une  révélation  divine  du  dualisme  zoroastrien,  cette  solution  nette, 
mais  simple,  du  problème  du  mai. 

Le  Prof.  Mills  est  un  de  ces  scholars  de  haute  autorité  qui  ont  telle- 
ment mis  leur  âme  dans  l'objet  de  leurs  longues  années  d'études,  qu'on 
oublierait  presque,  à  les  lire,  qu'ils  sont  des  critiques,  c'est-à-dire  des 
juges,  et  non  pas  des  disciples  des  religions  du  passé.  Il  incline  à  croire 
que  ce  sont  les  idées  de  llran  qui  ont  mené  le  monde  depuis  le  temps 
où  elles  auraient  agi  sur  Akkad  et  Sumer,  aux  âges  pré-babyloniens, 
jusqu'à  ce  que,  transmises  par  les  gnostiques  et  Jacob  Bœhme,  elles 
soient  venues  façonner  la  pensée  de  Hegel  (1).  On  ne  sera  donc  pas 
surpris  que  son  livre  récent  intitulé  Avesta  Bschatology  compared  with 
the  Books  of  Daniel  and  Révélations  (2),  porte  un  caractère  marqué 
d'apologétique,  non  chrétienne,  mais  zoroastrienne.  C'est  un  supplémen 
à  son  précédent  ouvrage:  Zaï'athushtra, Philo,  the  Aehaemenids  and  Israël, 
dont  il  a  déjà  été  rendu  compte  en  cette  revue  (3).  En  voici  le  plan  : 
cl.  Le  cas  à  première  vue  :  connexion  littéraire  et  historique  entre 
lAvesta  et  les  Écritures  sémitiques  (c.-à-d.  la  Bible)  depuis  l'exil.  Ces 
rapports,  il  les  développe  successivement  :  II.  Conception  de  Dieu  ; 
]U.  Angèlologie  et  Démonologie  ;  IV.  Concept  de  Véiernité  en  général; 
V.  Résurrection  ;  YI.  Jugement.  Les  chap.  VII  et  VIII  décrivent  les  carac- 
tères distinctifs  du  zoroastrisme,  puis  «  Dieu  et  ses  Immortels»,  c'est- 
à-dire  les  Ameshas  Spenlas  ;  le  dernier  louche  au  lyrisme. 

Certes  il  y  a  des  rapprochements,  parmi  ceux  qu'il  fait,  qui  méritent 
d'être  sérieusement  étudiés;  que,  par  exemple,  le  nom  à' Adar  =  Atar , 
le  feu,  qui  est  appellatif  chez  les  Iraniens,  mais  désigne  un  élément 
des  plus  vénérés,  et  personnifié,  soit  devenu  (?)  le  nom  d'une  divinité 
sémitique,  et  un  nom  de  mois  chez  les  Babyloniens  et  les  Hébreux  aussi 
bien  que  chez  les  Perses,  c'est  un  fait  qui  peut  donner  à  rétléchir.  On 
ne  niera  pas  non  plus  qu'Âsmodée  de  Tobie  rappelle  Aeshma-Daêva,  ni 
que  la  ville  de  Rages,  du  même  Tobie,  ait  été  un  centre  zoroastrien 
important,  ni  que  l'angélologie  des  Juifs  se  soit  fort  explicitée  après  leur 
contact  avec  les  Médo-Perses.  Quant  à  la  résurrection,  il  n'est  pas  telle- 
ment certain  que,  dès  le  temps  des  Achéménides,  les  Perses  en  aient  eu 
ridée  nette  (4).  On  reconnaîtra  aussi  qu'il  y  a  quelque  analogie  entre 
la  conception  des  Ameshas  Spentas  et  celle  des  Adityas  védiques,  et 
par  conséquent  que  ces  divines  abstractions,  ayant  des  germes  si  loin- 
tains dans  la  période  indo-iranienne,  ont  pu  prendre  figure,  tôt  ou  tard, 


1.  Avesta   Eschatology,   p.   8;    The   Zend-Avesta,   part    III,    p.    XIX,    en  note 
{Sacred  BoAs  o/  Ihc  East  (S.  B.  E),  vol.  XXXI). 

2.  Chicago,  Opea  Court,  (London,  Kegan  Paul),  1938. 

o.  Bulletin  de  Théologie  biblique,  de  Lemonnyer,  p.   168  169,  janvier  1908. 
4.  Darraestoter   l'admeUait;   mais    cfr.    L.\grange,   La   Religion   des   Perses. 


liOO         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

dans  le  zoroastrisme,  sans  faire  violence  à  l'esprit  perse.  Mais  on  n'en 
conclura  pas  du  tout  à  celte  priorité  que  Mills  veut  donner  à  la  forme 
iranienne  définitive  de  toutes  ces  idées  vis-à-vis  des  idées  similaires 
juives  ou  gréco-alexandrines.  La  raison  en  est  toute  simple  et  toujours 
la  même.  D'abord,  il  n'en  est  pas  encore  question  dans  les  inscriptions 
des  Âchéménides  ou  les  anciens  textes  grecs.  Puis  Mills,  avec  la  majo- 
rité des  iranistes,  tient  comme  à  une  espèce  de  dogme  à  l'antériorité 
des  Gâthassur  les  textes  âchéménides,  et  même  à  leur  antiquité  absolue. 
Or,  son  assertion,  il  ne  veut  pas  l'appuyer  sur  l'antiquité  de  leur  dialecte 
par  rapport  au  Zend(l)  (on  peut,  en  effet,  écrire  dans  une  langue  morte 
ou  mourante  particulièrement  sacrée)  ;  mais  sur  l'impression  qu'il  .-i 
que  dans  les  Galbas  «  tout  est  sobre  et  réel  »  (2),  que  Zarathushtra,  dans 
ces  hymnes,  apparaît  incontestablement  comme  un  homme  vivant  et 
historique;  «  their  antiquity  is  placed  beyond  dispute  by  the  historié 
mention  of  Zarathustra  »  (3).  Il  n'est  pas  nécessaire  que  tous  les  lec- 
teurs des  Galbas  partagent  cette  impression;  de  fait,  leur  caractère 
quelque  peu  abstrait,  essentiellement  religieux,  et,  s'il  est  permis  de 
parler  ainsi,  clérical  (jusque  Yasna  xlvi,  que  l'on  donne  comme  si  plein 
de  traits  d'individualité  inimitables), rend  tout  aussi  aisé  d'y  voir  l'œuvre 
de  prêtres  réformateurs,  passionnés  pour  leur  œuvre,  que  celle  d'un 
véritable  prophète  historique;  ces  prêtres  ont  bien  pu  faire  usage  de 
noms  tradionnels,  Vistâspa,  Frashaohtra,  etc  ,  et  Zarathushtra  même, 
pour  désigner  typiquement  les  personnes  et  les  conditions  du  temps  de 
leur  réforme.  Je  ne  pense  pas  qu'on  puisse  soutenir  que  toutes  ces 
mentions  de  personnes  portent  le  cachet  évident  d'historicité  et  d'indi- 
vidualité de  celles  qu'on  trouve,  par  exemple,  dans  le  Coran  ou  les  plus 
vieux  documents  bouddhiques.  D'autre  part,  comme  nous  connaissons 
suffisamment,  par  leDînkart  et  par  la  lettre  de  Tansar(4),  les  conditions 
de  la  rédaction  de  l'Âvesta  au  temps  d'Ârdashir,  et  avant  et  après  ; 
comme  le  réformateur  Tansar,  d'après  Maçoudi,  était  un  platonicien, 
fort  capable  d'épurer  et  de  spiritualiser  les  textes  et  les  traditions  (3)  ; 
comme  les  conditions  de  la  lutte  politico-religieuse  d'Ardashir  et  de 
Tansar  contre  les  «  Kois  des  provinces  »  suffisent  très  bien  à  rendre 
compte  du  ton  passionné  qu'aie  Zarathushtra  des  Gàthas  quand  il  parle 
des  ennemis  de  sa  religion,  on  y  regardera  de  très  près  avant  de  parta- 
ger l'impression  de  Mills  sur  le  caractère  k  historique  »  des  Gàthas  ; 
et  tout  son  ensemble  d'arguments  n'étant  décisif  que  grâce  à  l'appoint 
de  cette  impression,  le  système  n'est  pas  encore  près,  croyons-nous, 
d'avoir  détruit  la  théorie  si  opposée  de  son  défunt  collaborateur,  le 
grand  iraniste  Darmesteter. 

1.  «  Nor  do  I  lay  too  .much  siress  upon  the  differeace  between  the 
Gâthic  dialect  aaid  the  so-called  Zead...  »  (SBE,  vol.  XXXI,  Introd.  p.  XXVI). 

2.  <i  ...bu,':.  I  do  lay  very  great  stress  upon  the  totally  dissimi!ar  atmosphères 
of  the  two  portions.  In  the  Gàthas  ail  is  sober  and  real.  »  Ihid. 

3.  Ibidem,   p.  XXXVI. 

4.  Darmesteter,  The  Zend-Avesta,  second  édition  part  I,  (SBE.  vol  IV; 
Introduction,  pp.  XXXIII-sv;  Journal  Asiatique,  1894,  I,  Lettre  de  Tansar 
au  roi   de   Taharistan.   (Ihid.,   p.   XLII). 

5.  Maçondi.    Les    prairies    d'or,    II.    IGl;    SBE,    IV,    Infrod.    p.    XLIV. 


BULLETIN     DE    SCIENCE     DES     RELIGIONS  601 

D'ailleurS;  l'iiisloire  du  culte  de  Mithra  montre  assez  que  le  maz- 
déisme n'avait  pas  nécessairement,  vis-à-vis  des  autres  religions,  même 
païennes,  un  rôle  si  exclusivement  actif.  Dans  son  ouvrage  précédem- 
ment analysé,  Cumont  a  un  chapitre  plein  d'intérêt  qui  résume  ses 
grandes  études  sur  le  mithriacisme(l).  Le  Mazdéisme  d'Ânatolie,  répan- 
du en  Occident  comme  culte  de  Mithra,  était  déjà  un  syncrétisme  dans 
son  pays  d'origine.  Depuis  les  Achéménides,  une  noblesse  de  race  per- 
sique  dominait  le  Pont, l'Arménie, la  Cappadoce  ;  à  côté  d'elles, un  clergé 
puissant,  les  pyrèthes  ou  maguséens,  qui  Sixaienl  des  temples  jusqu'en 
Lydie,  pratiquaient  des  rites  à  peu  près  semblables  à  ceux  de  l'Âvesta. 
Seulement  ils  parlaient  araméen,  et  leur  mazdéisme  était  plus  naturiste 
que  celui  de  Tansar  :  des  génies  de  la  nature,  comm  Ânâhita,  Mithra, 
tenaient  autour  d'Ahura-Mazda  une  place  aussi  importante  que  les 
Amshaspeuds.  Or,  ce  culte  avait  une  théologie  toute  difTérente  de  celle 
des  Gàtlias.  Il  était  profondément  influencé  par  Babylom,  et  l'astrologie 
sémitique  y  dominait  les  mythes  naturistes  des  Perses.  Au  sommet  de 
la  hiérarchie  divine,  le  mithriacisme  placera  le  Temps  divinisé,  le  Zer- 
van  Akarana,  source  des  deux  Principes.  Anâhita  s'identifie  à  la  fois  à 
la  Grande-Mère  anatolienne  et  à  Ishtar  ou  à  Astarté,  Mithra  à  Shamash, 
et  Ahura-Mazda  lui-même  à  Bel,  puis,  plus  tard,  au  dieu  céleste  des 
Clialybes  sémitisés,  le  Zeus  de  Dolichè.  C'est  un  bel  exemple  de  syn- 
crétisme, où  le  mazdéisme  se  montre  au  moins  aussi  transformé  que 
transformateur.  —  On  sait  que  plus  tard,  dans  l'empire  romain,  après 
que  les  empereurs  mêmes  se  furent  fait  initier  à  ces  mystères,  le 
mithriacisme  devint  encore  plus  syncrétiste,  et  vécut  en  grande  intimité 
avec  Cybèle  et  Attis.  Mithra,  l'Livincible,  cher  aux  soldats,  le  grand 
médiateur  qui  accueillait  les  âmes  au  ciel  et  devait  ressusciter  les  corps, 
était  sans  doute  une  divinité  très  noble,  à  peu  près  irréprochable  ;  il 
n'avait  même  pas  de  déesse  parèdre.  Mais  cela  n'empêche  pas  que,  dans 
l'ombre,  à  côté  des  grands  mystères,  on  n'arrivât  à  rendre  un  culte  au 
Principe  mauvais,  Ahriman.  C'est  la  grande  faiblesse  du  dualisme,  au 
point  de  vue  moral  :  il  expose  à  la  tentaliou  de  se  concilier  les  démons, 
quand  on  les  considère  comme  plus  ou  moins  indépendants  ;  et  ainsi 
le  mazdéisme,  tant  admiré  de  Mills  et  des  autres  pour  sa  pureté  morale, 
n'a  pas  peu  contribué  à  répandre  la  sorcellerie,  déjà  dans  l'antiquité  ; 
même  à  travers  le  manichéisme,  les  sombres  horreurs  de  la  magie 
noire,  au  Moyen  Age.  en  dérivaient  pour  une  bonne  part. 


5.  —  Inde  et  Extrême-Orient. 

Védisme  et  brahmanisme.  —  Mills,  comme  Oldenberg  et  d'autres, 
aime  à  rapprocher  d'Ahura-Mazda  le  dieu  védique  Varuna,  dieu  moral 
aussi  et  assez  abstrait.  V^aruna  est  un  Asura,  non  un  Deva.  T.  Se- 
GERSTEDT,  dans  R.  H.  R.  (2),  a  commencé  une  série  d'études,  qui  pro- 
mettent d'être   intéressantes,    et  tendraient  à   établir   que    Varuna  ne 


1.  Les    Religions    orientales    dans    le    Paganisme    romain,    chap.    VI. 

2.  Les  Asuras  dans  la  religion  védique  (l^r  article)  RHR,  mars-avril   1908. 


602  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

Siérait   ni    sémitique,   comme  le  propose    Ûldenberg,    ni   indo-iranien, 
comme  les  partisans  de   l'antiquité    des   Gàthas   le  supposent,  mais  un 
dieu  des  populations  pré-aryennes  de   Tlnde  :  c'est  aux  Dàsas  détestés 
que  l'auraient   emprunté  les  Aryas.    Cette   théorie    n'est  pas  nouvelle, 
nous  verrons  si  elle   reprendra  vie.  Le  nom  Asura  (1),  en  rapport  avec 
la  Mâyà,  impliquait  pour  les  vieux   Hindous  l'idée  de  pouvoir  magique, 
de  puissance  plus  ou  moins   suspecte.  C'est  pour  cela  que  les  Asuras 
finissent,  dans  le  védisme  tardif,  par  devenir  tout  à  fait  les  ennemis  des 
dieux,  et  que   Varuna  lui-même  a   toujours  conservé  un   caractère  un 
peu  sombre  et  sournois,  tout  gardien  de  la  morale  qu'il  était.  Son  asso- 
ciation avec  Mitra  =Milhra  serait  purement   accidentelle,   et   n'offrirait 
donc  pas  de  parallèle  bien  instructif  à  celle  d'Ahuramazda-Mitlira.  — 
Les  Maruts,  Rudra  et  Pushan  se  seraient  introduits  de  la  même  manière 
dans  le  Panthéon  védique.    J.  Schefielowitz  a   publié  une  édition  des 
Apocryphes  du  Rigvéda  que  les    indianistes   tiennent  pour  très  impor- 
tante.  Voir   là-dessus  le   Bulletin   Indische  Religion  ( 1 904-1 906 )   de 
W.  Caland  dans  ARW  (2).    Le  lecteur  qui  s'y  reportera  y  trouvera  les 
renseignements   qu'il  peut   désirer  sur  les  travaux  de  première  main. 
Indiquons-lui  quelques  publications  d'intérêt   plus  populaire  sur  l'hin- 
douisme. The  Gospel  of  Krishna  and  of  Christ,  par   Maud  Soynt  (3),  est 
une  étude  qui  tend  à  atténuer  beaucoup  les  différences  de  nos  Évangiles 
et  de  la  Bhagavadgilà.  L'auteur  veut  que  cette  œuvre  célèbre  de  mysti- 
que panthéiste  propose  à  l'homme  un   Nirvana    presque   identique  à  la 
vie  éternelle  du  4^  Évangile.  Le  dieu  s'identifierait,   non  pas  au  monde 
phénoménal,  mais  à  un  monde   intelligible   que  je  soupçonnerais  d'être 
plus  platonicien  qu'hindou.    On    sera  plus  disposé  par  cet  article  à  con- 
céder à  «  l'Évangile  de  Krishna»    certaines  affinités   avec  Spinoza  (v. 
p.  87)    qu'avec  l'Évangile     du  Christ   ou  avec  saint  Paul.   —  Le  Rév. 
N.  Macnicol,  dans  la  même    Revue,  expose   V Action   and   Reaction   of 
Chrislianity  and  Hinduism    in  India  (4).    On    trouve  là  des  jugements 
intéressants  sur  le  «  Védanta  pratique  »  de  Swami  Vivekananda,  dont 
la  religion  «universelle»,  prêchée  jusqu'en  Amérique,  se  réduit  à  peu 
près  à  la  philosophie  des   Upanishads,  tandis  que  la  théosophie  de 
Mrs  Annie  Besant  fait  plus   de  cas  des  Pûranas  ;  l'ardente'  néophyte 
trouve  même  des  raisons   apologétiques  en    faveur   de  l'idolâtrie,  car 
l'image  «  établit  une  communication  magnétique  entre  la  forme  divine 
et  l'adorateur.  »  Les  diverses  sociétés  théistes  issues  du  Brahmo  Samaj 
de  Ram  Mohun  Roy  ont  à  l'heure  qu'il  est  moins  de  relief,  peut-être  du 
seul  fait  que  les  vérités  qu'elles  proclament  sont  beaucoup  plus  répan- 
dues maintenant  dans  l'hindouisme  moyen  qu'elles  ne    l'étaient    au 
temps  de   leur   fondation.  Les  apôtres  de  ces  divers  mouvements  ont 


1.  Asura  =  Ahura.  Ce  mot  signifierait  maître,  seigneur;  ^lills  fait  venir 
AhTiia  de  ÂJin,  vie,  avec  le  suffixe  ra;  de  sorte  que  Ahura-Mazda  serait 
«  the  living  god.  »  {Avesta  Eschat.  p.   12 1. 

2.  KRy<.  W.  Caland,  Indische  Religion  (1904-1906)  déc.  1907. 

3.  ILT.,  octobre  1907. 

4.  HJ.,  oct.  1907.  Comparer  C.  Auzuech.  Le  mouvtment  religieux  dans 
l'Inde,   Revue  du   Clergé   français,   1er  juin   1908. 


BULLETIN     DE    SCIENCE     DES     RELIGIONS  603 

d'ailleurs  tous  emprunté  au  Cliristianisme  tout  ou  partie  de  sa  morale, 
et  c'est  une  des  raisons  de  leur  force  (1). 

Bouddhisme.  —  L'influence  chrétienne  ne  se  fait  pas  moins  sentir 
sur  le  bouddhisme,  tel  du  moins  que  nous  l'exposent  ses,  adeptes  d'Eu- 
lope  ou  d'Amérique  et  quelques  Japonais  européanisés.  On  en  aura  la 
vive  impression  en  lisant  The  Dharma,  sous-titre  :  The  Religion  of  En- 
lightenment,  du  D'"  Paul  Carus  (2).  Ce  petit  livre  doit  être  fort  ortho- 
doxe, puisqu'il  est  d'un  auteur  dont  The  Gospel  of  Buddha  a  été 
chaleureusement  recommandé  par  S.  M.  le  roi  de  Siam  et  par  les 
délégués  bouddhistes  au  Parlement  des  Religions  de  Chicago,  traduit 
même  en  japonais  et  en  chinois  ;  tandis  que  les  travaux  d'Oldenberg  et 
de  Monier  Williams,  à  ce  qu'on  nous  dit  dans  un  Appendice,  sont 
ft  scholarly,  but  written  from  the  Christian  standpoint,  and  Buddhists 
do  not  recognize  them  as  represenling  the  facts  correctly.  »  The  Dhar- 
ma  est  franchement  apologétique.  C'est  un  petit  manuel  qui  est  à  la  fois 
traité  métaphysique,  catéchisme,  livre  de  prières  et  de  méditations, 
théologie  dogmatique  de  poche.  Il  paraît  assez  éclectique  et  se  place 
au-dessus  des  divergences  du  Mahayana  et  du  Hinayana.  Sa  métaphy- 
sique purement  phénoméniste  insiste  sur  l'irréalité  de  l'Atman,  c.-à-d. 
de  toute  âmeet  de  toute  substance, mais  les  remplace  par  la  loi  suprême, 
Amitâbha  (le  double  célestedu  Bouddha), qui  est  dieu  sans  être  démiurge, 
qui  estlaBôdhi,qui  est  toute  Perfection. Le  Nirvana, naturellement  positif, 
est  «  a  State  of  mind  in  which  the  limitations  of  individuality  disappear, 
and  the  eternity  of  truth  is  contemplated.  »  Il  n'est  d'ailleurs  pas  dit  si 
Amitâbha  est  un  être  conscient,  s'il  est  de  l'ordre  réel  ou  idéal,  une 
simple  personnification  de  l'ordre  cosmique  et  moral,  ou  un  sur-être  ; 
|)robablement  ces  distinctions  sont-elles  artificielles  aux  yeux  du 
D''  Carus. 

Signalons  une  étude  de  A.  Nagel,  JJer  Chinesische  Kûchengott  Tsau- 
Kyun  (3),  qui  montre  comment  le  bouddhisme,  en  Chine,  a  su  appro- 
prier un  vieux  culte,  mi-naturiste,  mi-maniste,  du  feu  domestique,  en 
l'entourant  même  de  mythes  évhémériques. 

Shintoïsme.  —  La  brève  et  substantielle  étude  de  W.  G.  Aston 
\nli\.u\ée  Shijito,  Ihe  ancienl  religion  of  Japan  (4)  est  à  rapprocher  de 
l'ouvrage  de  M.  Hevon  (o),  qu'elle  contredit  sur  certains  points,  prin- 
cipalement en  ce  que  Aston  nie  que  cette  religion  contienne  rien  qui 
ressemble  à  un  code  de  morale  formé.  Elle  n'a  dans  ses  origines  que 
des  rapports  génériques  avec  la  vieille  religion  des  Chinois,  dont  les 
Japonais  sont  des  parents  fort  éloignés  ;  ainsi   il  n'y  a  pas  de  dieu  du 


1.  Les  études  d'A.  Roussel  sur  la  Tliéologie  brahmanique,  que  connais- 
sent les  lecteurs  de'  cette  Revue,  pourront  leur  suggérer  un  jugement  sur  la 
valeiu-  et  l'avenir  de  ces  divers  essais  de  syncrétisme. 

2.  Chicago,  Opea  Court,  1907. 
3    ARW,  déc.   1907. 

4.  R.   A.   M.   1907. 

5.  Voir  le  numéro  de  cette  revue  de  juillet  1907.  Bull,  d'histoire  des  religions, 
Japon. 


604         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

ciel,  et  la  déesse  du  soleil  (Amatéras)  a  la  préséance  sur  celle  de  la 
Terre.  Le  culte  y  est  inspiré  plutôt  par  l'affection  et  la  gratitude  que  par 
la  peur.  Contrairement  à  la  théorie  de  Spencer,  l'absence  de  spiritisme 
y  est  notable.  Peu  de  traces  d'une  croyance  à  l'immortalité.  Quoique 
parmi  ces  Kami  si  mal  individualisés,  toutes  les  grandes  divinités 
soient  naturistes,  et  ne  soient  devenues  des  ancêtres  qu'après  coup, 
cependant  il  y  a  dans  leurs  rangs  beaucoup  de  héros  divinisés  ;  mais  il 
ne  faut  pas  faire  du  Shinto,  comme  Lefcadio  Hearn,  un  «  culte  des  an- 
cêtres». Il  y  a  aussi  des  dieux,  moins  primitifs,  qui  sont  des  abstrac- 
tions ou  des  principes  personnifiés  ;  ainsi  Jzanaghiel  Izanami  semblent 
à  Aston  suggérés  tout  simplement  par  le  Yin  et  le  Vang,  le  principe 
mâle  et  le  principe  femelle  de  la  philosophie  chinoise.  Après  les  mythes 
et  les  dieux  principaux,  Aston  examine  le  sacerdoce,  le  culte,  la  mora- 
lité et  la  pureté,  la  divination,  les  influences  du  bouddhisme  et  de  la 
culture  chinoise.  Il  conclut  en  jugeant  que  le  Shinto,  dépourvu  du 
code  moral,  d'organisation  ecclésiastique  sérieuse,  peu  riche  en  litté- 
rature, absolument  pauvre  en  art,  —  borné  qu'il  est  aux  fétiches, 
(shinlaij  où  habite  un  double  (mxlama)  de  ses  dieux  —  est  condamné 
à  une  extinction  qui  pourrait  être  assez  rapide.  C'est  une  nourriture  de 
babies  peu  appropriée  au  Japon  moderne. 

Fribourg    Suisse).  Bernard  Allô.  0.  P. 


Bulletin  d'histoire  des  Institutions 
ecclésiastiques  (o 

I.   —  Gouvernement  de  TÉglise. 

Conciles.  —  La  Revue  (2)  a  déjà  annoncé  la  traduction  du  grand 
ouvrage  du  P.  Granderatu  (3)  sur  le  concile  du  Vatican.  Maintenant 
que  le  premier  volume  de  cette  œuvre  magnifique  a  paru,  il  importe 
d'en  donner  une  idée  moins  sommaire. 

Longuement  préparé  par  son  édition  des  actes  de  ce  concile  dans  la 
Colleciio  Lacensis,  ayant  eu  à  sa  disposition  toutes  les  archives  du  Vati 
can,  largement  informé  sur  toute  la  littérature  du  sujet,  l'auteur  nous 
oiTre  un  travail  qui,  dans  l'ensemble,  peut  passer  pour  définitif.  «  Avant 
tout,  il  a  voulu  faire  œuvre  d'historien,  donner  de  son  sujet  une  idée 
claire  et  exacte,  d'après  les  sources,  en  rapportant  ce  qui  s'y  trouve, 
sans  rien  taire  ni  déguiser...  »  Il  ajoute  :  «  J'écris  cette  histoire  du  point 
de  vue  catholique  ;  c'est,  semble-t-il,  le  seul  juste,  le  seul  possible  même 
pour  apprécier  un  concile.  Il  s'agit  en  effet  d'une  institution  catholique 
qui  doit  se  juger  d'après  les  principes  catholiques.  »  On  ne  peut  que 
hii  donner  raison  ;  vouloir  contester  ce  principe  c'est,  en  tout  cas,  sortir 
du  terrain  de  l'iiistoire  pour  entrer  dans  celui  de  l'apologétique. 

Le  Tome  I  est  consacré  aux  préliminaires  du  Concile.  Il  traite  de  sa 
première  annonce  et  de  sa  préparation  éloignée,  des  mouvements  d'opi- 
nion qu'il  souleva  et  enfin  de  sa  préparation  immédiate. 

Si  l'on  en  croit  certaines  sources,  Pie  IX  aurait  eu  depuis  longtemps 
l'idée,  qu'il  manifesta  publiquement  le  6  décembre  1864,  de  convoquer 
un  Concile  général.  Bien  des  motifs  militaient  en  ce  sens,  et  la  commis- 
sion de  cardinaux  ainsi  que  les  trente-six  évèques  du  rite  latin  et  quel- 
ques orientaux  consultés  en  1863  affirmèrent,  à  une  très  forte  majorité, 
l'utilité  et  même  la  nécessité  de  cette  réunion.  D'après  eux,  il  devrait 
traiter  des  erreurs  modernes  opposées  aux  vérités  fondamentales  de  la 
religion,  des  rapports  de  l'Église  et  de  l'État,  de  l'union  des  Églises  et 
de  diverses  questions  de  discipline  ecclésiastique. 

Un  instant  le  pape  avait  pensé  pouvoir  faire  coïncider  l'ouverture  du 


1.  Je  rappelfe  gae  ce  Bulletin  n'entead  traiter  que  dis  Institutions  impli- 
ruant  un  point  de  vue  doctrinal. 

2.  Revue   des   Sciences   Ph.   et    Th.,    I,    (1907),   p.    390. 

3.  Histoire  du  Concile  du  Vatica)i  depuis  sa  première  annonce  jusqu'à  sa 
prorogation,  d'après  les  documents  authentiques.  Ou\Tage  du  P.  Ihéodore 
Granderath,  s.  J.,  édité  par  le  P.  Conrad  Kirch,  S.  J.,  et  traduit  de  l'alle- 
niand  par  des  religieux  de  la  même  Compagnie.  Tome  I  :  Préliminaires  du 
Concile.    Bruxelles,    A.    Dewit,    1908;    in-8«,    XIV-590    pages. 


600         REVUF    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

Concile  avec  le  centenaire  des  saints  Apôtres  Pierre  et  Paul  (1867),  mais 
les  travaux  n'étaient  pas  assez  avancés  pour  qu'on  pût  s'arrêter  à  cette 
date  ;  du  moins,  Pie  IX  profita  de  cette  solennité  pour  en  faire  l'annonce 
officielle  :  le  Concile  devait  s'ouvrir  le  8  décembre  1869. 

En  attendant,  une  congrégation  dite  «  Congrégation  spéciale  direc- 
trice des  affaires  du  futur  concile  général  »  fut  chargée  de  préparer  les 
questions  qui  s'y  rapportaient  ou  qu'il  devrait  traiter.  Elle  s'adjoignit 
des  consulteurs  romains  et  étrangers,  distribués  en  plusieurs  commis- 
sions. Le  choix  de  ces  derniers,  en  Allemagne  surtout,  ne  se  fit  pas 
sans  soulever  des  difficultés  et  des  polémiques. 

La  commission  centrale  se  trouva  dès  l'abord  en  face  d'une  tâche 
délicate,  celle  de  décider  qui  devrait  être  appelé  au  concile.  «  Que  les 
évêques  chargés  d'un  diocèse  (évêques  résidentiels)  dussent  être  convo- 
qués, cela  ne  faisait  pas  de  doute.  Qu'un  privilège  ancien  donnât  à 
tous  les  cardinaux,  à  ceux  même  qui  n'étaient  pas  évêques,  siège  et  voix 
au  concile,  cela  n'était  pas  moins  solidement  établi,  et  ce  privilège 
devait  évidemment  être  maintenu.  Mais  il  fallait  examiner  avec  soin  si, 
outre  les  évêques  résidentiels,  on  devait  convoquer  aussi  les  évêques 
simplement  titulaires,  quelle  part  revenait  dans  le  concile  aux  procu- 
reurs des  évêques  empêchés,  quel  parti  était  à  prendre  au  sujet  des 
abbés  et  des  généraux  d'Ordres.  Il  y  avait  en  outre  à  étudier  la  conduite 
à  tenir  relativement  à  l'admission  dans  le  concile  des  Églises  orientales 
non  unies,  et  l'attitude  à  prendre  vis-à-vis  des  protestants  et  des  jansé- 
nistes ;  à  décider  enfin  si  l'on  devait,  à  l'exemple  des  conciles  antérieurs, 
inviter  les  princes  chrétiens  et  quel  rôle  leur  serait  dévolu  au  concile.  » 
11  fut  décidé  que  tous  les  évêques,  même  titulaires,  seraient  convoqués, 
car,  par  le  seul  fait  de  leur  consécration,  ils  reçoivent  un  droit  à  ensei- 
gner et  à  gouverner  l'Église.  On  admit  aussi,  en  vertu  d'un  privilège 
traditionnel,  les  généraux  d'Ordres  et  les  abbés  généraux,  mais  non  les 
abbés  des  abbayes  particulières.  Quant  aux  vicaires  capitulaires  et  aux 
procureurs  des  évêques,  ils  n'eurent  aucune  place  au  concile;  les  der- 
niers devaient  se  borner  à  exposer  les  motifs  qui  avaient  empêché  leurs 
évêques  de  répondre  à  l'invitation  qui  leur  avait  été  faite.  Les  évêques 
orientaux  non  unis  seraient  invités  à  condition  qu'ils  acceptassent  de 
souscrire  une  formule  de  foi  et  de  reconnaître  la  primauté  romaine, 
comme  cela  s'était  fait  en  pareille  circonstance.  Les  Jansénistes,  à  cause 
de  l'état  de  révolte  dans  lequel  ils  se  trouvent,  et  les  Anglicans,  parce 
qu'ils  n'ont  pas  gardé  l'épiscopat,  ne  seraient  pas  convoqués.  Les  prin- 
ces catholiques  ne  furent  pas  expressément  invités  ;  dans  la  bulle  do 
convocation,  on  choisit  les  termes  les  concernant  de  façon  à  leur  per- 
mettre une  certaine  coopération,  s'ils  désiraient  la  fournir. 

L'annonce  du  concile  fut  accueillie  avec  un  enthousiasme  presque 
unanime.  Pourtant,  lorsque  l'opinion  fut  mise  au  courant  des  questions 
qui  devaient  sy  traiter,  de  bruyantes  polémiques  s'élevèrent.  Parmi  les 
opposants  on  remarqua  surtout,  en  Allemagne  Dollinger,  en  France 
Mgr  Maret,  le  P.  Hyacinthe  et  Mgr  Dupanloup.  Parmi  les  orientaux  non 
unis  l'accueil  fait  aux  lettres  papales  varia  selon  les  dispositions  indivi- 
duelles des  destinataires,  mais  tous,  les  uns  par  esprit  d'hostilité,  les 
autres  par  crainte,  s'abstinrent.  Chez  les  protestants  on  remarqua  quoi 


BULLETIN     d'histoire     DES     INSTITUTIONS     ECCLÉSIASTIQUES  607 

ques  démarches  en  faveur  de  runion.  Enfin  les  gouvernements,  malgré 
une  tentative  d'excitation  contre  Rome  venue  de  la  Bavière,  se  tinrent 
dans  une  altitude  de  réserve  et  d'abstention.  Seule  la  Russie  défendit 
aux  évêques  de  prendre  part  au  concile. 

Durant  ces  discussions  préliminaires,  la  commission  centrale  conti- 
nuait ses  travaux.  Elle  eut  à  décréter  les  mesures  nécessaires  pour  la 
célébration  du  concile  et  à  rédiger  les  schémas  des  futurs  décrets. 
D'accord  avec  le  pape  elle  régla  ce  qui  regardait  la  présidence  du  concile 
Pie  IX  présiderait  en  personne  les  sessions  publiques,  les  congrégations 
générales  seraient  dirigées  par  cinq  cardinaux  représentant  le  pape.  On 
choisit  les  officiers  du  concile,  on  désigna  le  local  des  sessions,  enfin  on 
décida  l'établissement  de  quatre  députations  conciliaires,  formées  de 
vingt-quatre  Pères  du  concile  nommés  par  le  Pape  ,  pour  préparer  les 
décrets.  La  députation  pour  le  dogme  proposa  trois  schémas  :  1°  de  la 
doctrine  catholique  contre  les  erreurs  issues  du  rationalisme  ;  2"  de 
l'Église  ;  3°  du  mariage  chrétien.  Les  députations  de  la  discipline  ecclé- 
siastique, des  réguliers  et  des  rites  orientaux,  proposèrent  de  leur  côté 
de  nombreux  schémas.  L'ensemble  s'élevait  à  cinquante  et  un  ;  il  s'en 
faut  que  tous  aient  été  proposés  au  concile.  Il  faudrait  joindre  à  ces 
projets  ceux  qui  émanèrent  des  Pères. 

Tel  est  le  contenu  de  ce  premier  volume.  Il  importe  de  noter  que  plu- 
sieurs des  questions  traitées  à  l'occasion  du  concile  et  rapportées  par 
son  historien  intéressent  le  théologien  et  le  canoniste,  car  elles  fixent 
certains  poinis  du  gouvernement  général  de  l'Église. 

L'Index.  —  Le  P.  J.  Hilgers,  S.  .1.  (l),  vient  de  fournir  un  précieux 
complément  à  son  Histoire  de  l'Index  en  relevant  tous  les  écrits  condam- 
nés par  lettre  apostolique,  des  origines  de  l'Église  à  nos  jours.  Une 
première  partie  donne  sous  forme  de  régestes  les  documents  pontificaux 
portant  condamnation  des  ouvrages  qui  n'ont  plus  été  insérés  dans 
l'édition  de  l'Index  publiée  en  1900.  Dans  ce  cas  sont  tous  les  ouvrages 
antérieurs  à  1600  et  quelques  autres.  La  seconde  partie  comprend  la  liste 
des  ouvrages  condamnés  par  lettre  apostolique,  encore  actuellement 
inscrits  au  catalogue.  Cette  liste  off"re  un  intérêt  bibliographique  tout 
spécial,  car  l'auteur  ne  s'est  pas  contenté  des  indications  fournies  par 
les  documents  pontificaux,  il  a  relevé  sur  l'original  le  titre  exact  et 
complet  de  ces  ouvrages.  Dans  une  troisième  partie  enfin  vingt-deux 
lettres  apostoliques,  omises  dans  les  collections,  sont  intégralement 
publiées.  Un  appendice  donne  le  texte  de  la  soumission  de  Fénelon.  On 
ne  saurait  trop  louer  l'auteur  du  souci  d'exactitude  dont  il  a  fait  preuve 
en  son  travail.  Pour  en  montrer  toute  la  valeur  et  l'utilité,  il  faudrait 
encore  relever  la  savante  dissertation  canonique  sur  l'excommunication 
jointe  à  la  défense  de  certains  livres,  mais  ce  serait  sortir  du  domaine 
de  ce  bulletin. 

II.  —  Liturgie  et  culte. 

Il  faut  savoir  gré  au  prince  Maximilien  de  Saxe,  professeur  à  l'uni- 


1.  Die    Buchcrvobote    in    Papstbriefeit.     Kanonistisch-bibliographische     Stu- 
die.   Fribourg  en  B.,   B.  Herder,   1907;   in-S",   VIII-IOS  pages. 


608  REVUF    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

versité  de  Fribourg  (Suisse),  de  publier  ses  leçons  sur  les  liturgies 
orientales.  Les  ouvrages  sur  ce  sujet  sont  peu  nombreux,  et  souvent 
très  spéciaux.  Il  manquait  une  œuvre  de  synthèse  qui  permît  à  tous 
de  s'orienter  facilement  dans  une  matière  très  complexe  et  en  même 
temps  fit  saisir  à  l'occasion  la  portée  théologique  des  formules  en  usage 
dans  ces  liturgies.  C'est  ce  qu'a  voulu  faire  le  prince  Maximilien.  Aussi 
ne  prélend-il  pas  apporter  sur  tous  les  points  des  solutions  originales. 
Plus  d'une  fois  il  s'est  contenté  d'utiliser  les  travaux  de  ses  devanciers 
en  y  ajoutant  le  résultat  de  ses  recherches  et  de  ses  observations  per- 
sonnelles. 

Le  premier  volume,  le  seul  paru  (1),  comprend  une  introduction 
générale  assez  dense  et  une  étude  sur  le  rite  grec. 

L'introduction,  après  quelques  indications  bibliographiques  qu'on 
aimerait  plus  complètes  et  plus  précises,  aborde  diverses  questions 
intéressant  l'ensemble  des  liturgies  orientales.  Leur  authenticité  d'abord. 
Elle  peut  être  considérée  à  un  double  point  de  vue  ecclésiastique  et 
historique.  Toutes,  sauf  une  liturgie  grecque  dite  de  S.  Pierre,  ont 
été  en  usage  daus  les  diverses  Églises  et  de  ce  chef  sont  authentiques. 
Mais  ont-elles  été  composées  par  les  personnages  dont  elles  portent  les 
noms  ?  Pour  quelques-unes  l'attribution  est  certainement  fausse  ;  pour 
d'autres  elle  est  vraie  en  partie.  Une  circonstance  complique  le  problème  : 
c'est  que  jusqu'au  IIl^  siècle  aucune  liturgie  n'a  été  écrite.  Pourtant  dès 
cette  époque,  très  probablement  du  moins,  existaient  déjà  les  liturgies 
dites  de  S.  Jacques  et  de  S.  Marc. 

L'ensemble  des  liturgies  orientales  peut  se  ramener  à  quatre  groupes. 

1°  La  liturgie  de  S.  Jacques  à  laquelle  se  rattachent  certainement  les 
liturgies  grecque,  syriaque,  arménienne.  —  La  liturgie  grecque  primi- 
tive, à  en  croire  une  tradition,  fut  abrégée  par  S.  Basile;  plus  tard 
S.  Jean  Ghrysostome  fit  subir  à  son  travail  la  même  opération  ;  de  là 
sortirent  deux  types  nouveaux,  auxquels  on  ajouta  encore  par  la  suite  la 
liturgie  des  présanctitiés  pour  le  temps  de  carême.  —  Les  anaphores 
syriaques  sont  très  nombreuses,  on  en  compte  jusqu'à  quaranbe-trois. 
—  Enfin  la  liturgie  arménienne  qui  forme  le  dernier  rameau  de  cette 
famille  n'est  pas  antérieure  au  V«  siècle.  Durant  le  moyen  âge  elle  reçut 
des  additions  empruntées  au  rite  romain. 

2"  Le  groupe  égyptien  comprend  les  liturgies  copte  et  éthiopienne, 
qui  se  rattachent  à  la  liturgie  de  S.  Marc. 

3*^  Le  troisième  groupe  comprend  les  liturgies  de  la  Mésopotamie.  La 
plus  ancienne  est  celle  des  apôtres  de  ce  pays,  Addée  et  Mar.  Plus  tard 
on  y  ajouta  deux  anaphores  dites  l'une  de  Théodore  de  Mopsueste, 
l'autre  de  Nestorius;  elles  ne  sont  pas  en  usage  chez  les  catholiques. 
La  liturgie  du  Malabar  n'est  qu'une  variété  de  la  liturgie  nestorienne. 

4"  Un  quatrième  groupe  enfin  serait  celui  d'Éphèse  ou  de  la  liturgie 
de  S.  Jean.  11  n'en  reste  pas  trace  en  Orient;  mais  certaines  liturgies 
occidentales  (mozarabique  et  gallicane)  en  seraient  issues. 

L'auteur  donne  ensuite  quelques  indications  sur  l'extension  actuelle 


1.  Praeleetiones  de  Liturgiis  oricntalibus  habitae  in  Universitate  Frïbur- 
gensi  Helvctiae.  T.  I.  Fribourg  en  Brisgau,  B.  Herder,  1908;  in-S",  VIII- 
242    pp. 


BULLETIN     d'histoire     DES     INSTITUTIONS     ECCLÉSIASTIQUES  609 

des  diverses  liturgies  orientales,  sur  les  langues  dans  lesquelles  elles 
sont  écrites  et  les  éditions  qui  en  ont  été  faites.  Il  insiste  plus  spéciale- 
ment sur  leur  richesse  au  point  de  vue  dogmatique  el  l'importance  du 
témoignage  qu'elles  peuvent  fournir  au  théologien. 

La  seconde  partie  est  spécialement  consacrée  au  rite  grec.  Elle  décrit 
culte,  édifices,  instruments,  vêlements,  [livres  et  personnes;  puis  fournit 
de  copieux  renseignements  sur  le  calendrier  ecclésiastique.  Une  table 
de  tous  les  personnages  inscrits  à  ce  calendrier  permet  de  l'utiliser  faci- 
lement. 

Eucharistie,  Messe.  —  Le  P.  Thurston,  S,  J.,  un  des  savants  les 
plus  renseignés  sur  l'histoire  des  dévotions  dans  l'Église,  a  consacré  au 
culte  de  la  sainte  lùicharistie  et  à  la  Messe  des  articles  remarqués  dont 
M.  Boudinhon  commence  la  traduction  pour  le  puhlic  français. 

Pour  ce  qui  est  du  culte  privé  envers  la  sainte  Eucharistie  (1),  l'auteur 
n'en  trouve  pas  trace  avant  le  XI*^  siècle.  Selon  lui,  les  témoignages 
invoqués  par  le  chanoine  Corblet  et  d'autres  sont  impuissants  à 
en  faire  la  preuve  pour  les  temps  antérieurs.  Il  est  hors  de  doute  cepen- 
dant qu'on  gardait  la  sainte  réserve  pour  les  malades  et  que  l'on  croyait 
à  la  présence  réelle. 

De  quelle  époque  aussi  date  l'élévation  de  la  Messe  ?  Il  paraît  bien, 
toujours  d'après  le  P. Thurston  (2),  que  cette  rubrique  date  du  XIII'^  siè- 
cle. Son  établissement  serait  la  conséquence  des  disputes  tliéologiques 
soulevées  au  XII"  siècle  sur  le  moment  précis  où  est  accomplie  la  trans- 
substantiation du  pain.  «  Certains,  et  sans  doute  le  plus  grand  nombre, 
soutiennent  l'opinion,  universellement  admise  aujourd'hui,  que  le  pain 
est  changé  au  corps  du  Clirist  aussitôt  que  les  paroles  de  la  consécration, 
Hoc  esl  corpus  vieiim,  ont  été  prononcées  sur  lui  par  le  prêtre.  D'autres 
cependant  tenaient  que  le  chang  ment  ne  se  produisait  pour  le  pain 
que  lorsqu'il  avait  lieu  aussi  pourle  vin,  c'est-à-dire  après  les  paroles 
de  la  consécration  du  calice.  »  Et  comme  aussi,  au  XII®  siècle,  le  célé- 
brant, avant  de  consacrer,  élevait  l'hostie  au-dessus  de  l'autel,  assez 
haut  pour  qu'elle  fût  aperçue  du  peuple,  «  cet  usage  d'élever  l'hostie 
avant  la  consécration  donna  naissance,  par  une  transition  insensible,  à 
l'usage  de  montrer  l'hostie  après  la  consécration  »,  car  les  tenants  de  la 
première  opinion  virent  là  une  manière  de  populariser  et  de  faire 
accepter  leurs  idées. 

Des  remarques  déplaisantes,  émises  par  un  organe  ultra-protestant 
d'Angleterre,  amenèrent  le  P.  Thurston  (3)  à  justifier  l'usage  des  hono- 
raires de  messe  en  recherchant  leur  origine.  Il  le  rattache  à  une  double 
cause.  D'abord  la  coutume  des  fidèles  des  premiers  siècles  de  faire  des 
offrandes  au  moment  du  Saint  Sacrifice,  offrandes  dont  une  partie  était 
consacrée  pour  la  communion  du   prêtre  et  celle  des  fidèles,  et  le  reste 


1.  The  carlij  CuUus  of  the  Blessed  Sacrament  dans  The  Month,  avril 
1907.    "  .  ^ 

2.  Thp.  Elévation  dans  Tat)let,  19  octobre,  26  octobre,  2  novembre  1907; 
tiaduciion  de  M.  Boudinhon  :  Les  origines  de  l'élévation  dans  Revue  du 
Cleroé  français,  1  juin,   1  juillet  1908. 

3.  Stipends    for    Masses,    janvier    1908. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  3.  39 


610         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

réservé  à  la  subsistance  du  clergé.  Une  autre  cause  se  trouve  dans 
l'introduction  des  messes  privées,  célébrées  pour  une  intention  particu- 
lière. Ce  fut  surtout  quand  l'usage  des  messes  pour  les  morts  eut  été 
introduit  que  les  offrandes  en  argent  apparurent.  La  pratique  de  celles- 
ci  n'est  commune  qu'à  partir  des  X*"  et  XI«  siècles. 

Prière  pour  les  morts.  —  La  prière  pour  les  morts  et  même  la 
célébration  de  l'Eucharistie  en  leur  faveur  était  beaucoup  plus  ancienne. 
Le  R.  D'^  SwETE,  professeur  de  théologie  à  l'Université  de  Cambridge, 
en  a  fait  la  preuve  en  un  article  richement  documenté,  dont  M.  Vacan- 
DARD  a  donné  une  adaptation  française  (l).  En  voici  la  conclusion. 

«  Bien  qu'à  lorigine  la  prière  pour  les  âmes  ait  été  peut-être  une 
pratique  individuelle,  il  n'y  a  pas  de  preuve  que  les  morts  aient  été  com- 
mémorés par  leurs  noms  dans  Vagape  eucharistique  dès  l'âge  aposto- 
lique ou  dans  la  période  subapostolique.  De  telles  commémorations  ont 
probablement  commencé  au  second  siècle  avec  la  tenue  des  agapes  sur 
les  tombes  des  martyrs  et  plus  lard  sur  celles  des  autres  chrétiens 
décédés.  Si  l'Eucharistie  était  associée  à  Vagape  cémétérialle,soit  qu'elle 
fût  célébrée  concurremment,  soit  qu'elle  l'ait  précédée  immédiatement, 
les  noms  des  défunts  ontpu  trouver  alors  place  dans  la  prièie  eucharis- 
tique. Au  IIl^  siècle  l'Eucharistie  elle-même  était,  au  moins  dans  le 
nord  de  l'Afrique,  offerte  pour  les  fidèles  trépassés,  et  avant  la  fin  du 
même  siècle  l'intercession  pour  les  morts  paraît  avoir  été  un  trait 
commun  à  toutes  les  liturgies.  En  même  temps  l'usage  de  célébrer 
spécialement  l'Eucharistie  en  mémoire  des  personnes  décédées,  soit 
dans  les  cimetières,  soit  dans  les  églises,  est  marqué  dans  les  manuels 
ecclésiastiques.  Le  quatrième  siècle,  avec  sa  vénération  pour  les  mar- 
tyrs, son  sentiment  si  développé  de  la  grandeur  des  mystères  et  de 
l'unité  du  corps  du  Christ,  s'attacha  encore  plus  fermement  à  ces  com- 
mémorations, et  malgré  l'opposition  de  quelques  mécontents,  comme 
Aérius,  malgré  la  répugnance  qu'éprouvaient  les  gens  du  monde  à  se 
charger  des  intérêts  spirituels  de  leurs  défunts,  l'usage  d'offrir  des 
prières,  le  sacrifice  eucharistique  et  des  aumônes  pour  les  membres 
décédés  de  l'Église  s'établit  désormais  comme  un  important  facteur  de 
la  vie  chrétienne,  tant  en  Orient  qu'en  Occident.  » 

La  Sainte  Vierge.  —  C'est  une  croyance  tenue  presque  à  l'égal  d'un 
dogme  par  beaucoup  de  Protestants  que  le  culte  envers  la  Sainte  Vierge 
est  une  nouveauté  de  l'Église  en  décadence,  une  idolâtrie  à  peine 
déguisée.  Cette  opinion  est  si  forte  que  des  âmes  loyales,  comme  le  fut 
celle  de  Pusey,  se  heurtent  à  ces  préjugés.  En  ces  derniers  temps,  on  a 
même  essayé  de  jeter  pareil  doute  parmi  les  Catholiques  ;  mais  la  ten- 
tative, complètement  discréditée  au  point  de  vue  scientifique,  n'a  abouti, 
jusqu'ici,  qu'à  un  lamentable  échec. 

Il  importe  pourtant  de  ne  pas  s'en  tenir  sur  ce  sujet  à  de  pures  néga- 
tions. Heureusement  la  science  catholique  a  mieux  à  offrir  et  dès  main- 

1.  Im  Prière  pour  les  Trépassés  dans  les  quatre  premiers  siècles,  daas 
Revue  du  Clercfé  français,  15  oct.  1907;  cf.  Journal  of  theological  stitdics, 
1"  juillet  1907'. 


BULLETIN     d'histoire     DES     INSTITUTIONS     ECCLÉSIASTIQUES  611 

tenant  il  est  loisible  de  signaler  plusieurs  ouvrages  composés  en  dehors 
de  toute  polémique  qui  apportent  les  preuves  d'une  dévotion  envers 
Marie,  presque  aussi  ancienne  que  l'Église  et  répandue  dans  les  diverses 
contrées  soumises  à  son  action. 

Avant  de  les  aborder,  je  tiens  à  annoncer  la  nouvelle  traduction  d'un 
ouvrage  de  Newman  :  Du  culte  de  la  Sainte  Vierge  dans  VÉglise  catho- 
lique (1).  Il  fut  composé  en  18(io  et  publié  sous  forme  de  lettre  au 
D""  Pusey.  OEuvre  de  science  sans  doute,  ces  pages  se  recommandent 
aussi  par  le  sentiment  profond,  le  ton  intime  et  personnel  qu'on  trouve 
dans  les  diverses  œuvres  du  cardinal.  Par  ce  double  aspect,  l'ouvrage 
est  resté  vivant  et  peut  encore  atteindre  des  âmes  semblables  à  celle  à 
laquelle  il  était  directement  adressé.  On  y  trouvera  en  dehors  des 
preuves  qui  établissent  l'antiquité  de  la  doctrine  mariale  dans  l'Église, 
une  utile  distinction  entre  la  foi  et  la  dévotion.  «  J'admets  pleinement 
que  la  dévotion  envers  la  Sainte  Vierge  a  grandi  chez  les  catholiques 
dans  le  cours  des  siècles  ;  je  n'admets  pas  que  la  doctrine  qui  la  con- 
cerne ait  reçu  aucun  accroissement,  car  je  crois  qu'elle  est,  en  substance, 
restée  la  même  une  et  identique  depuis  l'origine.  »  p.  40. 

Au  fond  c'est  l'application  de  cette  même  distinction  que  M.  E.  Ntu- 
BERT,  dans  le  consciencieux  travail  (2)  déjà  analysé  ici  même  (3),  a 
constatée  durant  la  période  anténicéenne.  «  Élevée,  dès  la  période  anté- 
nicéenne,  au-dessus  de  tous  les  autres  saints  et  placée  à  côté  de  Jésus 
dans  l'œuvre  de  la  Rédemption,  Marie  a-t-elle  été  aussi  dès  lors  l'objet 
d'un  culte?  Si  l'on  entend  par  le  mot  culte  des  honneurs  officiels,  il 
serait  difficile  de  donner  une  solution  précise  à  cette  question,  à  cause 
de  l'obscurité  oi^i  sont  encore  plongées  les  origines  de  la  liturgie.  D'après 
ce  que  nous  en  connaissons,  il  semble  que  la  réponse  serait  plutôt 
négative.  Mais  on  ne  peut  rien  conclure  de  ce  fait  contre  l'idée  qu'à  cette 
époque  on  se  faisait  de  Marie  dans  la  vie  chrétienne.  »  En  effet  la  litur- 
gie ne  se  présentait  pas  alors  avec  les  caractères  qu'elle  a  de  nos  jours.  Le 
culte  des  saints  était  surtout  local  et  étroitement  lié  au  souvenir  du  jour 
de  leur  naissance  au  ciel.  Pas  d'anniversaire  déterminé,  pas  de  souvenir 
local,  pas  de  culte.  A  cause  de  cela,  Marie  pouvait  difficilement  entrer 
dans  la  liturgie  de  l'Église  universelle.  D'ailleurs  sa  mémoire  s'unissait 
trop  intimement  au  Christ  pour  en  être  séparée,  même  dans  la  liturgie  ; 
dans  plus  d'une  fête  on  honorait,  en  même  temps  que  le  Fils,  la  Mère  : 
il  n'y  avait  donc  pas  lieu  de  lui  consacrer  une  liturgie  spéciale. 

Mais  «  s'il  est  difficile  d'établir  que  Marie  ait  reçu  dans  les  trois 
premiers  siècles  des  honneurs  proprement  liturgiques,  ce  qui  ne  fait 
pas  de  doute,  c'est  qu'elle  a  été  pour  les  fidèles  de  ce  temps  un  objet  de 
vénération.  >>  Cette  vénération  s'est  traduite  de  diverses  manières  :  dans 
les  nombreux  récits  sur  l'origine  de  Jésus,  oîi  la  Mère  était  exaltée  avec 


1.  Traduction  revue  et  corrigée  par  un  Bénédictin  de  l'abbaye  de  Farn- 
borough,  avec  une  préface  par  Dora  Cabrol.  Paris,  Téqui,  1908;  in-12, 
XII-252   pages. 

2.  Mark  clans  l'Église  anténicéenne.  (Bibliothècfue  théologique).  Paris,  J. 
Gabalda,   1908;  iai-12,   XVI-284  pp. 

3.  Cf.   Bev.   des   Se.   Fh.   et   Th.,   avril   1908,   p.   375. 


612         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET   THÉOLOGIQUES 

le  Fils,  dans  les  peintures  des  catacombes,  dans  les  homélies  des 
Pères,  dans  la  préoccupation  constante  des  fidèles  de  défendre  contre 
les  hérésies  les  privilèges  éminents  de  Marie. 

«  Â-t-on  aussi  dès  cette  époque  invoqué  Marie?...  On  ne  peut  citer 
aucun  témoignage  certain  établissant  qu'on  ait  prié  la  Mère  de  Dieu  dès 
cette  époque  ;  mais  le  silence  des  documents  s'explique  aisément,  et  la 
comparaison  avec  les  autres  bienheureux  qu'on  invoquait  au  moins  à 
partir  de  la  seconde  moitié  du  IP  siècle,  ainsi  que  le  pouvoir  spécial 
d'intercession  attribué  à  Marie  ne  permettent  pas  de  douter  qu'à  elle 
aussi  aient  été  dès  lors  adressées  les  prières  des  fidèles.  » 

L'ouvrage  du  R.  P.  Delattre,  des  Pères  Blancs,  vient  heureusement 
compléter,  pour  un  pays  particulier  et  par  une  méthode  spéciale,  ces 
données  générales  (1).  Comme  le  remarque  avec  à-propos  le  savant 
auteur,  plus  d'un  qui  reste  réfractaire  aux  preuves  théologiques  ou  même 
aux  témoignages  écrits  s'inclinera  devant  les  documents  archéologiques. 

Ce  travail  comprend  deux  parties,  l'une  consacrée  à  l'époque  qui 
précède  l'invasion  arabe,  l'autre  à  celle  qui  la  suit.  La  première  est  de 
beaucoup  la  plus  riche  et  la  plus  intéressante.  Le  bas-relief  de  Damous- 
el-Karita,  ainsi  que  les  orantes,  images  de  Marie  et  de  l'Église,  permet- 
tent de  remonter  dans  les  témoignages  favorables  au  culte  mariai  en 
Afrique  jusqu'au  règne  de  Constantin,  peut-être  même  jusqu'à  la  fin  du 
IIP  siècle.  Plusieurs  statuettes  d'aigile  grise, qu'il  faut  sûrement  regarder 
comme  des  images  de  Marie,  datent  delà  fin  du  IV*  siècle  ou  du  com- 
mencement du  V*.  De  la  même  époque  sont  des  carreaux  de  terre  cuite, 
les  uns  offrant  l'image  indubitable  delà  Sainte  Vierge,  les  autres  por- 
tant l'invocation  :  Sancta  Maria,  adjuva  nos.  Des  marbres  des  VP  et 
VII®  siècles  prouvent  que  des  femmes  chrétiennes  reçurent  le  nom  de 
Marie.  «  Mais  rien  n'égale,  ajoute  l'auteur,  pour  l'extension  et  l'inten- 
sité du  culte  de  la  Sainte  Vierge,  les  révélations  fournies  par  notre 
riche  collection  de  plombs  de  bulle.  »  Ce  sont  les  sceaux  dont  étaient 
munis  les  actes  publics  ou  les  correspondances  privées.  Or,  beaucoup 
de  ces  plombs  portent  l'image  de  la  Vierge  avec  une  invocation,  et  cela 
dès  le  VP  siècle. 

Ces  précieuses  constatations  sont  nouvelles  et  dues  à  peu  près  exclusi- 
vement aux  sagaces  recherches  du  R.  P.  Delattre.  En  1878,  M.  Rohault 
de  Fleury  écrivait  à  propos  de  l'Algérie  :  «  Nous  ne  connaissons 
encore  aucune  église  ayant  autrefois  existé  sous  son  patronage,  aucune 
médaille  frappée  à  son  image,  aucune  inscription  marquée  de  son  nom.» 
De  pareils  résultats  montrent  ce  qu'on  peut  attendre  de  l'archéologie  et 
le  concours  appréciable  qu'elle  peut  fournir  à  l'histoire  des  croyances 
et  du  culte. 

Saint  Joseph.  —  Plus  encore  que  le  culte  de  la  Sainte  Vierge,  celui 
de  saint  Josepli  s'est  développé  avec  lenteur  dans  l'Église.  On  peut  s'en 
rendre  compte  en  parcourant  l'ouvrage  si   complet  que  vient  de  consa- 

1.  Le  culte  de  la  Sainte  Vierge  en  Afrique,  d'après  les  monumputs  archéolo- 
giques. Paris-Lille,  Desclée,  De  Brouwer  et  Cic  (1908);  ia-8o,   XlI-231  pp. 


BULLETIN     d'histoire     DES     INSTITUTIONS     ECCLÉSIASTIQUES  613 

crer  à  ce  sujet  M.  Joseph  Seitz  (1),  prêtre  du  diocèse  d'Eichstâtt.  C'est 
une  véritable  somme  historique  relevant  toutes  les  manifestations  de  la 
pensée  Ihéologique,  de  la  légende,  du  culte  et  de  l'art  (2),  intéressant  le 
saint  époux  de  Marie, des  origines  jusqu'au  concile  de  Trente.  Un  pareil 
ouvrage  ne  se  résume  pas,  qu'il  suffise  de  donner  ici  quelques-unes  de 
ses  conclusions. 

Durant  les  premiers  siècles  saint  Joseph  a  peu  d'importance  et  de 
relief  dans  la  littérature  ecclésiastique.  Il  faut  en  chercher  la  raison  dans 
les  hérésies  quiattaquaient  la  divinité  de  Notre-Seigneur.  En  présence 
de  pareille  négation,  les  docteurs  catholiques  insistaient  sur  le  côté 
divin  de  la  vie  de  Jésus  et  laissaient  dans  l'ombre  ce  qui,  dans  son  hu- 
manité, pouvait  faire  objection.  Cependant  peu  à  peu  une  tradition  se 
forme  cliez  les  Pères,  qui  détermine  les  principaux  aspects  de  la  figure 
de  saint  Joseph,  notamment  ses  relations  avec  Jésus  et  Marie.  On  le 
représente  comme  un  charpentier  et  l'opinion  de  saint  Isidore  de  Sé- 
ville  qui  en  fait  un  forgeron  est  peu  suivie.  A  l'origine,  on  le  disait  seu- 
lement fiancé  de  Marie,  mais  saint  Ambroise  et  saint  Augustin  soutien- 
nent l'existence  du  mariage.  La  conséquence  pour  l'évêque  d'Hippone, 
c'est  que,  dans  un  sens  très  profond,  saint  Joseph  est  le  père  de  Jésus, 
puisque  celui-ci  est  né  de  son  épouse.  Saint  Jérôme  et  saint  Augustin 
affirment  contre  plusieurs  autres  Pères  la  virginité  de  saint  Joseph. 

Dans  l'antiquité,  à  parties  légendes  qui  popularisent  la  mémoire  de 
saint  Joseph  et  les  œuvres  d'art  qui  le  représentent,  on  ne  trouve  pas 
trace  de  culte  en  son  honneur,  si  ce  n'est  peut-être  chez  les  Copies. 

Le  moyen  âge  a  fait  faire  des  progrès  à  la  dévotion  envers  le  père 
nourricier  de  Jésus.  Pour  la  première  fois  son  nom  est  inscrit  dans  un 
martyrologe  de  Reichenau  au  IX''  siècle.  La  première  chapelle  qui  lui 
fut  dédiée,  le  fut  à  Bologne  en  1129.  C'est  dans  cette  même  ville  qu'on 
trouve  son  nom  inséré  pour  la  première  fois  dans  les  litanies  des  saints. 
Vers  la  même  époque  on  trouve  sa  fête  célébrée  en  diverses  Églises  et 
par  plusieurs  Ordres  religieux. 

Un  de  ceux  qui  fit  le  plus  pour  propager  le  culte  de  saint  Joseph,  ce 
fut  Gerson,  et  il  eût  voulu  que  le  concile  de  Constance  établît  une  fête 
générale  en  son  honneur.  Mais  l'ouvrage  le  plus  remarquable,  parmi 
ceux  qui  parurent  à  cette  époqueet  dont  l'infiuence  fut  considérable 
pour  développer  la  dévotion  à  saint  Joseph,  est  certainement  celui  du 
Dominicain  Isidore  de  Isolanis. 

Dès  cette  époque,  si  la  fête  n'est  pas  universelle,  la  dévotion  a  cepen- 
dant déjà  profondément  pénétré  dans  le  peuple  et  on  peut  déjà  prévoir 
l'importance  croissante  qu'elle  prendra  à  partir  du   Concile  de  Trente. 

Kain.  M.  Jacquin,  0.  P. 


1.  Die  Verehrung  dcr  hl.  Joseph,  in  ihrer  geschichtUchen  EntwicMung  Us 
zum  Konzil  von  Trient  dargcsleUt.  Fribourg  en  B.,  B.  Herder,  1908;  in-8o, 
XVII-388   pp. 

2.  Douze  planches  contenant  quatre-vingts  gravures  reproduisent  les  prin- 
cipales. 


CHRONIQUE 


ALLEMAGNE.  —  Publications  nouvelles.  —  M.  E.  Kautzsch  a  com- 
mencé de  publier  une  li"'"  édition,  entièrement  refondue,  de  sa  traduc- 
tion si  connue  des  Livres  de  IWncien  Testament.  En  tête  de  chaque 
Livre  figurent  maintenant  les  introductions  critiques  qui  formaient 
précédemment  la  matière  de  fascicules  complémentaires.  Les  différentes 
sections  du  texte  sont,  elles  aussi,  précédées  d'une  introduction  critique 
spéciale.  Enfin,  dernière  amélioration,  de  courtes  notes  explicatives, 
placées  au-dessous  du  texte,  en  facilitent  l'intelligence. 

Cette  nouvelle  et  vraiment  pratique  édition  paraît  à  la  librairie  Molir, 
de  Tubingue,  par  fascicules  de  4  feuilles  d'impression,  au  prix  de  80  pf. 
chacun.  Le  premier  fascicule  a  paru  en  mai,  les  autres  suivront  toutes 
les  cinq  semaines  et  la  publication  s'achèvera  au  printemps  de  1910. 

—  La  librairie  B.  Herder,  de  Fribourg,  depuis  peu  propriétaire  du 
célèbre  Enchividio)}  de  Denzinger,  vient  d'en  donner  une  nouvelle  (10'') 
édition.  La  préparation  en  a  été  confiée  au  R.  P.  C.  Bannwaut,  S.  J. 
D'importantes  améliorations  ont  été  réalisées  tant  au  point  de  vue 
scientifique  qu'au  point  de  vue  pratique.  Plusieurs  textes  ont  été  donnés 
en  une  forme  plus  correcte  ;  d'autres,  douteux  ou  peu  utiles  (sur  les 
mariages  mixtes),  ont  été  supprimés;  les  dernières  décisions  du  pontifi- 
cat de  Pie  X  sont  insérées.  De  plus,  l'ordre  chronologique  a  été  plus 
nettement  indiqué  et  les  renseignements  bibliographiques  complétés. 
L'impression  elle-même  est  excellente  et  divers  types  de  caractères 
aident  à  distinguer  au  premier  coup  d'oeil  les  passages  plus  significatifs. 

—  La  librairie  F.  Schoningh,  de  Paderborn,  publie  une  nouvelle  Col- 
lection intitulée  :  Slitdien  zur  Philosophie  und  Religion,  qui  comprendra 
tout  à  la  fois  des  études  systématiques  et  historiques.  Le  Directeur  en 
est  le  D""  R,  Stolzle,  professeur  de  philosophie  à  l'Université  de  Wurz- 
bourg.  Le  premier  volume  qui  vient  de  paraître  est  dû  au  D''G.  Sattel  : 
Martin  Deulinger  als  Elhiker.  Fin  Deilrag  zur  Geschichle  der  clirisl- 
Uchen  Ethik  in  19  Jahrhundert.  in-8''  de  viii  et  304  p. 

Concours.  —  La  Kantgesellschaft  propose  comme  sujet  de  concours 
pour  lobtention  du  prix  Giiller  (lOOO  Marks  et  600  Marks)  la  question 
suivante  :  Quels  sont  les  progrès  réalisés  par  la  métaphysique  en  Alle- 
magne depuis  Hegel  et  Herbart  ?  Le  travail  demandé  doit  être  de  carac- 
tère critique  plutôt  qu'historique  et  proposer  des  conclusions  louchant 
les  éléments  durables  des  systèmes  étudiés.  On  désire  même  que  ces 
conclusions  soient  exprimées  sous  forme  de  thèses  à  la  fin  du  travail 
Le  jury  se  compose  des  professeurs  Riehl,  Stumpf,recteur,  de  Berlin,  et 
Kiilpe,  de  "NVurzbourg.  Les  mémoires,  rédigés  en  langue  allemande, 
peuvent  être  envoyés  jusqu'au  22  avril  1910. 


CHRONIQUE  615 

Retraite.  —  Le  D""  Karl  Fr.  Nosgen,  professeur  ordinaire  d'exégèse  du 
N.  T.  à  l'Université  de  Rostock,  a  pris  sa  retraite. 

Nominations.  —  M.  A.  Deissmann,  professeur  ordinaire  d'exégèse  du 
N.  T.  à  l'Université  de  Heidelberg,  passe  avec  le  même  titre  à  l'Univer- 
sité de  Berlin  où  il  succède  à  M.  le  professeur  Bernhard  Weiss  qui 
prend  une  retraite  bien  méritée. 

M.  Deissmann  a  lui-même  pour  successeur  à  Heidelberg  M.  J.  Weiss, 
précédemment  professeur  ordinaire  d'exégèse  du  N.  T.  à  Marbourg. 

—  M.  le  D""  G.  AicHER  s'habilite  comme  privat-docent  d'exégèse  du 
N.  T.  à  la  Faculté  de  tliéologie  de  Munich. 

—  M.  le  D"  J.  Ev.  NiEDERHUBERa  été  appelé  au  Lycée  royal  de  Ratis- 
bonne  comme  professeur  extraordinaire  d'exégèse  du  N.  T.,  de  patrolo- 
gie  et  d'encyclopédie  et  méthodologie  théologiques.  Il  était  précédem- 
ment Régent  du  Petit  Séminaire  de  la  même  ville. 

Décès.  —  M.  J.  A.  KoEBERLE  est  décédé  prématurément  il  y  a  quel- 
ques mois,  à  l'âge  de  36  ans.  11  était  professeur  d'exégèse  et  d'histoire 
de  la  religion  Israélite  et  juive  à  l'Université  de  Rostock,  et  occupait 
une  place  très  en  vue  parmi  la  jeune  génération  d'exégètes  protestants 
conservateurs. 

Ouvrages  principaux  :  Nalur  und  Geisl  nach  d.  Auffassg.  d.  ait. 
7'est.,  1901  ;  Geistige  Kultur  der  semit.  Vblker,  1901  ;  Babi/lonische 
Kuliur  und  bibiische  Religion,  1903  ;  Silnde  und  Gnade  in  Religiosen 
Leben  des  Volkex  Israël  bis  auf  Christiim,  1905  ;  Zum  Kampfe  uni  das 
Alte  Testament,  190G.  M.  Koeberle  a  donné  aux  Bibiische  Zeil-  und 
Slreitfragen  de  MM.  Boehmer  et  Kropatscheck  :  Das  Ràtsel  des  Leidens. 
Eine  Einfuhrung  in  dasBuch  Hiob. 

ANGLETERRE.  —  Publication  nouvelle.  —  La  maison  Clark,  d'É- 
dimboui-g,  qui  a  déjà  édité  le  Diclionarg  of  the  Bible  et  le  Dictionanj  of 
Christ  and  tite  Gospels,  entreprend  de  publier  une  Encyrlopaedia  of  Reliriion 
and  Ethics  (\m  com\)VQnAvi\  dix  volumes,  in-8°  impérial,  d'environ  900 
pages  chacun.  Le  premier  paraîtra  en  septembre  prochain. 

Universités.  —  Une  pétition,  signée  d'un  grand  nombre  de  noms 
connus,  a  été  récemment  adressée  au  Gouvernement  demandant  la 
création,  à  Londres,  d'un  Bureau  impérial  d'anthropologie.  Les  signa- 
taires demandent,  dans  l'intérêt  même  du  bon  gouvernement  des 
colonies  britanniques,  que  les  candidats  aux  fonctions  coloniales 
reçoivent  officiellement  une  formation  scientifique  en  matière  d'ethno- 
logie, de  sociologie  et  de  religion  des  peuples  non  civilisés.  Ils  rap- 
pellent que  tout  récemment  Sir  Reginald  Wingate  demandait  aux 
universités  d'Oxford  et  de  Cambridge  si  elles  étaient  en  état  de 
donner  cet  enseignement  aux  candidats  du  «  Sudan  Civil  Service  »  et 
que,  sur  leur  réponse  affirmative,  des  cours  ont  été  organisés  et  fonction- 
nent déjà. 

—  M.  H.  Wilde  a  fait  don  à  l'université  d'Oxford  d'une  somme  de 
40001.  st.  pour  la  fondation  d'une  chaire  de  religion  naturelle  et  com- 
parée. 


616         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

Musée.  — On  vient  d'ouvrir  à  Londres  une  sorte  de  Musée  de  l'Orient 
«  The  Orient  in  London  «,  destiné  à  promouvoir  l'intérêt  pour  les  Mis- 
sions. Le  Musée  comporte  une  Salle,  très  intéressante,  des  Religions. 
Pour  en  rendre  la  visite  plus  facile  et  plus  profitable,  le  président  du 
Comité,  le  Rev.  Macfayden,  avec  le  concours  de  plusieurs  collabora- 
teurs, a  publié  un  Ouide  qui  est  en  même  temps  une  précieuse  contri- 
bulion  à  l'histoire  des  religions.  M.  A.  C.  Haddon  a  écrit  une  Introduc- 
tion à  la  religion  des  primitifs.  MM.  H.  A.  Cook,  W.  A.  Elliot,  J.  G. 
Hawker,  G.  Owen  el  le  prof.  G.  W.  Thatcher  ont  donné  des  éludes  sur 
rinde,  la  Chine,  llslam,  etc. 

Congrès  —  Le  Congrès  international  d'Éducation  morale  dont  nous 
avons  annoncé,  dans  notre  dernier  numéro,  la  prochaine  réunion  à 
Londres,  se  tiendra  les  25-29  septembre  au  lieu  des  28-26.  La  carte  de 
congressiste  se  vend  12  francs  :  une  souscription  de  6  francs  donne 
droit  à  recevoir  le  volume  des  Actes  qui  sera  ultérieurement  publié. 
Adresser  la  demande  à  M.  H.  G.  Belot,  137,  rue  du  Hanelagh,  Paris; 
A.  Moulet,  7,  rue  de  Roussy,  Lyon,  secrétaires  pour  la  France,  ou  à  M.  G. 
Spiller,  13,  Buckingham  street,  Strand,  Londres,  secrétaire  général. 

Conférences. —  Une  série  de  conférences  sur  la  Grèce  ancienne  va 
être  donnée  à  luniversité  de  Cambridge  pendant  les  mois  de  juillet  et 
d'août.  On  signale  une  lecture  du  D"^  Burn  sur  les  Credo  grecs,  une 
autre  du  D""  ,1.  H.  Moullon  sur  lestas  de  décombres  égyptiens  et  l'étude 
du  Nouveau  Testament.  Les  professeurs  B.  Swete,  Stanton  et  Inge  ont 
également  engagé  leur  concours. 

Retraite.  —  Le  Rév.  T.  K.  Cheyne,  professeur  d'exégèse  à  Oriel  Col- 
lège (Oxford),  s'est  vu  contraint  de  donner  sa  démission  pour  raison  de 
santé.  M.  Cheyne,  qui  a  déjà  fourni  un  labeur  scientifique  hors  de  pair, 
est  âgé  de  68  ans. 

Nominations. —  M.  Warde  Fowleh  a  été  nommé  Gifîord  Lecturer  à 
luniversité  d'Edimbourg  pour  la  période  1909-1911. 

—  M.  L.  BREBANTa  été  nommé  professeur  adjoint  de  philosophie  mo- 
rale à  l'université  de  Saint-Andrews. 

Décès.  —  Les  journaux  ont  annoncé,  il  y  a  quelques  semaines,  la 
mort  de  Lord  Derby,  qui  était  chancelier  de  l'université    de   Liverpool- 

AUTRICHE.  —  Concours.  —  Luniversité  de  Vienne  a  mis  au  con- 
cours le  sujf't  suivant,  qui  est  très  actuel  :  La  religion  des  peuples  dont 
il  est  question  dans  le  Pentateuque.  Élude  historique.  Un  prix  de 
800  cour,  sera  attribué  au  meilleur  travail. 

Société  savante.  —  L'Autriche  possède  désormais,  à  Athènes,  comme 
la  France,  l'Allemagne  et  l'Angleterre,  son  Institiitd'Archéologie.  lia  été 
solennellement  inauguré  à  la  fin  de  mars.  Le  directeur  est  le  D""  R.  Heber- 
dey,  précédemment  privat-docent  d'Archéologie  classique  à  l'université 
de  Vienne  et  secrétaire  de  l'Institut  archéologique  de  Vienne. 


CHRONIQUE  617 

Congrès.  —  Le  10*  Congrès  international  des  Américanistes  se  tiendra 
à  \Menne  du  9  au  1-4  septembre  prochain.  Les  sujets  à  traiter  ont  été 
répartis  en  trois  sections.  Les  deux  premières  surtout  intéressent 
l'histoire  des  religions  :  1°  Les  tribus  indigènes  ;  leur  origine,  leur 
distribution  géographique,  leur  histoire,  leurs  particularités  physiques, 
leur  langue,  leur  culture  malérielle,  leur  culte,  leurs  mœurs  ;  2°  Les 
monuments  et  antiquités  d'Amérique. 

Le  secrétaire  général,  M.  Fr.  Heger,  Wien  I,  Burgring  7,  est  chargé 
de  recevoir  tous  les  avis  relatifs  aux  mémoires  et  communications  que 
que  Ton  se  propose  de  présenter  au  Congrès.  Les  langues  allemande, 
anglaise,  française,  espagnole  et  italienne  sont  admises.  Pour  obtenir  la 
carte  de  membre,  qui  coûte  21  francs,  s'adresser  à  M.  le  D'  Karl 
Ausserer,  Vienne  VIII,  Lenaugasse,  2. 

Jubilé.  —  Le  R.  P.  Hugo  Hurter,  S.  J.,  a  célébré,  le  2  mai,  son 
cinquantenaire  comme  professeur  de  théologie  dogmatique  à  la  Faculté 
de  Tliéologie  d'inspruck.  Le  savant  Jésuite  est  professeur  honoraire 
depuis  1903. 

Nominations.  —  L'Académie  des  Sciences  de  Vienne  a  nommé  ré- 
cemment membres  d'honneur  MM.  G.  Maspéro  et  H.  Poincaré. 

—  Le  D'  J,  Stufleb,  S.  J.,  privat-docent  à  l'université  d'inspruck,  a  été 
nommé  professeur  ordinaire  de  théologie  dogmatique. 

Décès.  —  M.  Theodor  von  Sickel,  l'éminent  historien  autrichien,  est 
décédé  dans  les  derniers  jours  d'avril  à  l'âge  de  92  ans.  M.  von  Sickel 
avait  passé  deux  ans  à  l'École  des  Chartes  de  Paris  et  quand,  en  1874,  la 
mission  lui  fut  confiée  de  réorganiser  l'Institut  ftir  Oesterreichischen 
(ieschichteforschung  de  Vienne  dont  il  venait  d'être  nommé  directeur, 
il  s'inspira  largement  de  ses  souvenirs  de  chartiste.  En  reconnaissance 
de  ses  longs  services,  il  fut  choisi,  en  1901,  comme  directeur  de  l'Institut 
autrichien  d'études  historiques  de  Rome.  Depuis  plusieurs  années  il 
vivait  dans  la  retraite  à  Meran,  Tyrol. 

On  doit  à  M.  von  Sickel  de  précieuses  publications  relatives  au  Concile 
de  Trente  :  Zur  Geschichte  des  Konzils  von  Trient,  2  vol.,  1870-72; 
fiomische  Berichle,  5  vol.,  1893-1901.  Citons  encore  ses  Alcuinsludien, 
1875. 

BELGIQUE.  —Universités.  —  L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres  de  Paris  a  attribué  un  prix  de  8000  francs,  sur  la  fondation 
Lefèvre-Deumier,  à  M.  Franz  Cumont,  professeur  d'histoire  ancienne  à 
l'Université  de  Gand,  pour  l'ensemble  de  ses  publications  relatives  à 
l'histoire  des  religions,  notamment  au  culte  de  Mithra.  Dans  la  lettre 
de  remercîmenis  qu'il  a  adressée  à  l'Académie,  M.  Cumont  annonce  l'in- 
lenlion  de  consacrer  cette  somme  à  l'achèvement  de  sa  publication  du 
«  Catalogue  des  astrologues  grecs.  » 

Académie. —  Au  cours  de  la  séance  tenue  le  lundi  1 1  mai,  l'Académie 
royale  de  Belgique  (section  des  Sciences  morales  et  politiques)  a  élu 
deux  nouveaux  membres:  M.  J.  Van  den  Uruvel,  professeur  à  l'Univer- 


618         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

site  de  Louvain,  ancien  ministre  de  la  justice,  et  M.  E.  Maiiaïm,  profes- 
seur à  l'Université  de  Liège. 

DANEMARK.  —  Congrès.  —  Le  lo*'  Congrès  international  des  Orien- 
talistes se  tiendra  du  13  au  20  août  prochain  à  Copenhague,  sous  le 
patronage  de  Sa  Majesté  le  roi  de  Danemark.  Des  sections  spéciales  ont 
été  constituées  au  nombre  de  7.  P  Pliilologie  indo-européenne  ;  2°  Phi- 
lologie et  archéologie  de  l'Inde  et  de  la  Perse  ;  3°  Langues  et  antiquités 
de  TExtrême-Orient;  4°  Philologie  et  histoire  Sémitiques;  o^Égyptologie 
et  langues  africaines  ;  G°  La  Grèce  et  l'Orient  ;  7*^  Ethnographie  et  folk- 
lore de  rOrient. 

S'adresser  pour  les  mémoires  et  communications  à  M.  le  D'"  Sarauw, 
secrétaire  général  du  Congrès,  Copenhague,  Frederiksberg  allée,  48  et 
pour  obtenir  la  carte  de  membre  (25  fr.)  à  M.  le  conseiller  privé 
Gliickstadt,  Copenhague,  Landmannsbanken,  Holmens  Canal,  12.  Le 
Congrèssera  présidé  par  M.  Thomsen,  professeur  de  philologie  comparée 
à  l'université  de  Copenhague. 

EGYPTE.  —  Université.  —  Le  projet  de  fonder  au  Caire  une  Univer- 
sité libre  touche  à  sa  réalisation.  Les  journaux  égyptiens  ont  déjà 
publié  le  programme  de  la  nouvelle  fondation.  Nous  leur  empruntons 
les  renseignements  suivants.  L'université  du  Caire  se  propose  le  relève- 
ment du  niveau  moral  et  intellectuel  du  peuple  par  la  dilTusion  de  la 
science,  spécialement  de  la  science  moderne  et  l'étude  de  la  lilléralure, 
et  par  la  création  d'un  centre  de  culture  scientifique  et  philosophique  en 
rapport  avec  les  institutions  analogues  d'Europe.  Les  sujets  politiques  et 
religieux  seront  exclus  du  programme  et  aucune  attaque  contre  une  race 
ou  une  religion  ne  sera  autorisée.  Des  conférences  pubhques  seront 
tenues  pour  la  discussion  de  problèmes  scientifiques  et  de  questions 
littéraires  et  historiques.  Des  bourses  seront  fondées  en  vue  de  l'envoi 
d'étudiants  en  Europe,  où  ils  feront  des  études  spéciales  complètes. 
Différentes  écoles  d'enseignement  seront  créées  et  développées  autant  que 
les  ressources  le  permettront.  Au  début,  des  professeurs  européens 
seront  engagés.  Ils  seront  graduellement  remplacés  par  des  Égyptiens, 
à  proportion  que  ceux-ci  seront  préparés. 

Seront  considérés  comme  étudiants  de  l'université  tous  les  anciens 
élèves  et  élèves  des  écoles  supérieures  :  ceux  de  l'université  d'El  Azhar, 
du  Dar  El  Ouloum  et  de  l'École  normale  des  Cadis,  ainsi  que  toutes  les 
personnes  qui  présenteront  "une  demande  pour  assister  à  un  ou  plusieurs 
cours,  avec  esprit  de  continuité,  et  dans  le  but  d'obtenir  un  diplôme  ou 
un  titre  de  l'université. 

On  cite  parmi  les  futurs  professeurs:  Ahmed  Zaki  bey,  secrétaire  de 
l'université,  chargé  d'un  cours  d'histoire  de  la  civilisation  et  de  la  litté- 
rature de  l'Islam  ;  Ahmed  Kamal  bey,  conservateur  adjoint  du  Musée 
des  antiquités  égyptiennes,  titulaire  de  la  chaire  d'histoire  de  la  civiM- 
salion  ancienne  de  l'Egypte. 

Congrès.  —  Nous  avons  déjà  annoncé  que  le  2'"^  Congrès  interna- 
tional d'archéologie  se  tiendra  au  Caire  du  10  au  21  avril  1909.  Voici  un 


CHRONIQUE  619 

aperçu  du  programme  provisoire  qui  vient  d'être  publié.  Le  Congrès 
comprendra  trois  sessions  :  celle  d'Alexandrie  (10-12  av.)  ;  celle  du 
Caire  (13-18  av.)  ;  celle  de  Thèbes,  qui  sera  surtout  une  session  d'excur- 
sions archéologiques  (13-21  av.)  Six  sections  sont  projetées:  f.  archéo- 
logie préclassique.  Civilisations  égéennes  et  mycéniennes  surtout  dans 
leurs  rapports  avec  TÉgypte  ;  II.  Archéologie  classique  comportant  une 
division  consacrée  à  la  littérature,  la  science,  la  philosophie  Alexan- 
drines  ;  111.  Papyrologie  ;  IV.  Archéologie  religieuse  :  Le  syncrétisme 
gréco-égyptien.  Thermétisme,  le  judaïsme  et  le  christianisme  en  Egypte 
jusqu'à  l'établissement  de  l'empire  dOrient.  V.  Archéologie  byzantine  ; 
VI.  Numismatique  et  Géographie. 

A  la  date  du  9  mai  1908,  M.  Maspéro  a  été  élu  président  du  Congrès 
par  le  Comité  d'organisation,  et  M.  Ahmed  bey  Zaki,  secrétaire. 

ESPAGNE.  —  Universités  et  Séminaires.  —  L'université  d'Oviedo 
célébrera,  dans  la  seconde  quinzaine  du  mois  de  septembre,  le  3'"''  cen- 
tenaire de  sa  fondation.  La  statue  du  fondateur,  l'archevêque  D.  F.  Val- 
dés  y  Sala,  œuvre  du  sculpteur  Folgueras,  sera  inaugurée  à  cette 
occasion. 

—  Sous  la  présidence  du  pénitencier  de  Tolède,  M.  R.  J.  Vabuena,  les 
délégués  des  séminaires  pontiticaux  d'Espagne  ont  tenu  une  réunion  à 
Madrid  pour  y  discuter  de  l'unification  du  plan  d'études  dans  les  divers 
séminaires.  Le  projet  élaboré  sera  soumis  à  la  S.  Congrégation  des 
Études. 

Congrès.  —  Les  22,  23  et  23  juin  un  Congrès  historique  se  tiendra  à 
Barcelone  à  l'occasion  du  7'"^  centenaire  de  la  naissance  de  Jacques  I®"", 
roi  d'Aragon.  Les  travaux  relatifs  à  la  personne  de  Jacques  L""  et  à  son 
époque  sont  seuls  admis.  En  revanche,  tous  les  éléments  de  la  civilisa- 
tion du  Xll""'  siècle  appartiennent  au  domaine  d'études  du  Congrès. 

Conférences.  —  Au  «  Centro  Sacerdotal  »  de  Salamanque,  notre 
collaborateur  le  R.  P.  M.  Garcia,  0.  P.,  a  donné  une  série  de  conféren- 
ces sur  la  philosophie  des  modernistes  considérée  par  lui  plutôt  comme 
une  orientation,  une  attitude  d'esprit  que  comme  un  système.  Il  a  étudié 
successivement  :  le  criticisme  kantien,  le  phénoménisme,  l'agnosticisme, 
le  dogmatisme  kantien,  le  volontarisme,  le  pragmatisme,  l'immanenlisme 
qu'il  regarde  comme  les  sources  de  la  mentalité  philosophique  des 
modernistes. 

Nomination.  —  M.  Alejandro  Groizard,  ancien  ministre,  a  été  élu 
président  de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques  de  Madrid, 
à  la  place  du  marquis  de  la  Vega  de  Armho,  récemment  décédé.  Le 
marquis  de  la  Vega  de  Armijo  était  en  même  temps  président  de 
l'Académie  d'Histoire. 

ETATS-UNIS.  —  Publication  nouvelle.  —  La  librairie  Longmans, 
Green  and  Co.  de  New-York  a  mis  en  vente  il  y  a  quelques  semaines 
un  volume  d'Essais  Philosophiques  el  Ps'jcholofjiques  publié  en  l'honneur 
de  William  James  par  ses  collègues  de  Columbia  University,  New- York. 


620         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

C'est  un  recueil  de  19  mémoires  dont  12  sont  consacrés  à  des  sujets  de 
philosophie  et  7  à  des  questions  psychologiques.  Les  professeurs  G.  S. 
FuUerton,  J.  Dewey,  W.  P.  Montagne,  Fr.  J.  E  Woodhridge,  A.  0.  Love- 
joy,  R.  S.  Woodworth,  etc.,  tigiirent  dans  la  liste  des  auteurs.  Une 
pholographie  de  M.  W.  James  orne  l'ouvrage. 

Revue.  —  On  annonce  que  la  PliUosophical  Revieir  paraît  désormais 
à  la  libi-aii-ie  Longmans,  Green  and  Co.  de  New-York. 

Universités.  —  Nous  empruntons  l'information  suivante  à  la  Revue 
dliistoire  Ecclésiaslique  de  Louvain  :  «  Le  projet  de  création  d'une  Uni- 
versity  of  llie  United  States  a  été  ressuscité  au  commencement  de  celle 
année.  M.  Frye  a  présenté  au  Sénat  des  Étals-Unis,  de  la  part  du  National 
University  Committee  of  Four  Ilundred,  une  pétition  invitant  le  Congrès 
Fédéral  à  voter  sans  retard  les  lois  requises  à  cet  effet.  Le  projet,  on  le 
sait,  remonte  au  premier  président  des  États-Unis,  George  Washington, 
La  nécessité  d'une  université  nationale  se  fait  sentir  davantage,  d'année 
en  année.  Il  est  vraisemblable  que  sous  peu  Washington  possédera  une 
institution  analogue,  sous  plusieurs  rapports,  à  l'Université  de  Paris  et 
qui  sera  le  centre  de  l'éducation  supérieure  en  Amérique.  Les  objections 
contre  celte  fondation  viennent  principalement  des  universités  libres.» 

—  L'université  George  Washington,  de  Washington,  vient  de  créer 
une  Section  spéciale  de  psychologie  dont  elle  a  confié  la  direction  aux 
professeurs  W.  S.  Hough,  Sli.  F.  Franz  et  W.  C  Ruediger.  Deux  labora- 
toires de  psychologie  ont  été  organisés.  ( Journal  of  Ph.,  Ps.,  and  Se.  M.). 

—  Le  liév.  Th.  S.  Lee  a  fait  don  au  Conseil  d'administration  de  Tuni- 
versilé  catholique  de  Washington  de  oO.OoO  fr.  destinés  à  la  fondation 
de  bourses  au  bénéfice  d'étudiants  de  la  faculté  de  théologie. 

Sociétés  savantes  —  La  «  Society  for  Philosophical  Inquiry  »,  de 
WashinuLon,  a  tenu  une  réunion  solennelle  à  G.  Washington  University 
en  l'honneur  de  Leibniz.  Les  mémoires  suivants  ont  été  lus:  Professeur 
G.  L.  Raymond,  La  doctrine  de  Leibniz  sur  l'harmonie  préétablie; 
prof.  G.  M  Sauvage,  La  doctrine  de  Leibniz  sur  le  libre  arbitre  ;  Dr.  E. 
E.  Richardson,  La  théodicée  de  Leibniz;  Dr.  W.  M.  Coleman,  Contribu- 
tion durable  de    Leibniz  à  la  philosophie.  (./.  of  Ph.,  Ps.  and  Se  M.). 

Nominations.  —  M.  A.  0.  Lovejoy.  profes^.eur  de  Philosophie  à 
Washington  University,  S.  Louis,  Missouri,  entrera  en  oclobre  prochain 
avec  le  même  litre  à  l'université  de  Missouri.  Le  Dr.  Ch.  S.  Cory,  précé- 
demment professeur  adjoint,  le  remplace  à  Washington  University  en 
qualité  de  professeur  ordinaire  de  Philosophie. 

—  M.  A.  B.  Alexander  a  été  nommé  professeur  de  philosophie  à  l'uni- 
versité de  Nebraska. 

—  M.  E.  E.  RiniARDSON  a  été  élu  maître  de  conférences  de  philosophie 
àGeorge  Washington  University,  Washington. 

FRANCE.  —  Publications  nouvelles.  —  Au  cours  de  cette  dernière 
année,    la  Collection   Ln  Pensée  chrélienne  (Paris,  Bloud)  s'est  enrichie 


CHRONIQUE  621 

de  plusieurs  volumes.  Deux  ont  été  déjà  signalés  [Rev.  d.  Se.  Pli.  et  Th., 
1908,  pp.  392,  395)  ;  il  reste  à  mentionner  le  Gerbel  de  M.  H.  Brémond, 
le  Ketteler  de  M.  G.  Goyau  et  le  ^ainl  François  de  Sales  de  M,  F. 
Strowski, 

l.e  premier  sort  un  peu  du  cadre  habituel  de  la  Collection.  C'est 
moins  l'élude  d'une  œuvre  que  celle  de  l'homme  si  sympathique  que 
fut  Gerbet.  La  rédaction  est  bien  dans  la  manière  pénétrante  et  nuan- 
cée de  M.  Brémond.  Certains  traits  peuvent  paraître,  à  dessein  sans 
doute,  trop  accusés,  certaines  appréciations  discutables,  mais  incontes- 
tablement l'ouvrage  est  des  plus  intéressants.  Quant  à  la  doctrine,  «ce 
qu'il  y  a  de  plus  original,  de  plus  actuel,  de  plus  durable  dans  l'œuvre 
de  Gerbet,  dit  M.  Brémond,  c'est,  à  mon  avis,  la  méthode.^)  Aussi  c'est 
elle  qu'il  s'attache  à  mettre  en  lumière  en  citant  des  extraits  se  rappor- 
tant 1*^  à  la  distinction  entre  l'ordre  de  conception  et  l'ordre  de  la  foi, 
2°  au  dogme  considéré  comme  principe  de  vie  surnaturelle,  3"  au  sym- 
bolisme chrétien. 

L'ouvrage  de  M.  Goyau,  moins  chargé  de  réflexions  personnelles,  fait 
une  place  plus  large  aux  extraits  de  Ketteler.  Une  préface  élégante  et 
sobre  retrace  la  carrière  sociale  de  l'évéque  de  Mayence.  De  nombreux 
textes  empruntés  à  ses  divers  ouvrages,  à  ses  lettres,  à  ses  discours, 
parfois  même  à  de  simples  notes  incomplètement  rédigées,  exposent 
les  doctrines  qu'il  professait  sur  l'Église  et  la  question  sociale.  Il  faut 
noter  spécialement  le  chapitre  intitulé  «  L'Église  et  le  problème  de  la 
propriété.  » 

M.  Strowski,  dont  ou  connaît  les  belles  éludes  sur  l'évéque  de  Genève, 
était  tout  désigné  pour  présenter  au  public  les  idées  de  saint  François 
de  Sales.  Il  l'a  fait  avec  art,  mettant  en  relief,  par  un  choix  heureux  de 
textes  empruntés  aux  divers  ouvrages  de  l'aimable  saint, les  points  prin- 
cipa»ix  de  sa  théologie  mystique. 

—  La  librairie  Fischbacher  publie  une  «traduction  entièrement  nou- 
velle »  de  L'Essence  du  Christianisme  de  M.  Harnack  (un  volume  in-16 
de  360  pages).  Celle  qu'elle  avait  précédemment  mise  en  vente  laissait 
à  désirer,  lant  au  point  de  vue  de  l'exactitude  qu'à  celui  de  la  clarté. 
Celle-ci  est  vraiment  satisfaisante  et  mérite  l'accueil  empressé  qu'elle 
reçoit  dans  les  divers  milieux  de  langue  française.  L'ouvrage  lui-même 
est  désormais  trop  connu  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  l'analyser.  OEuvre 
de  philosophie  religieuse  autant  et  plus  que  d'histoire,  il  est  représenta- 
tif d'un  état  d'esprit  et  d'âme  qui  semble  assez  répandu  parmi  les 
protestants  libéraux.  Ce  n'est  pas  là  son  moindre  intérêt  pour  l'apolo- 
giste catholique.  Le  traducteur  et  l'éditeur  eussent  été  bien  inspirés 
d'ajouter  en  appendice  les  principaux  comptes-rendus  dont  les  Confé- 
rences de  M.  Harnack  ont  été  l'objet,  et  spécialement  la  recension  que  ce 
dernier  a  faite  dans  le  Theologische  Literalurzeilung,  1904,  col.  59-60, 
de  la  traduclion  allemande  de  L'Évangile  et  V Eglise  de  M.  Loisy. 

—  Le  H.  P.  J.  BuND  de  la  Congrégation  de  Picpus,  en  publiant  la  5""® 
édition  de  la  Théologie  morale  de  Mgr  Haine  (Theologiae  moralis  elemenla 
ex  S.  Thoma  aliisque  prohatis  doctoribns)  n'a  guère  touché  à  l'œuvre 
classique  de  l'ancien  professeur  de  Louvain.  Les  modifications  qu'il  y  a 


622  RLVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

introduites  sont  de  peu  d'importance  :  elles  n'atteignent  pas  la  doctrine 
de  l'auteur,  mais  seulement  certains  points  matériels  du  livre.  Les 
simples  sommaires  des  chapitres  sont  subdivisés  en  articles.  Quelques 
questions  sont  remplacées  par  d'autres  ;  le  format  est  un  peu  différent. 
La  nouvelle  édition  est  publiée  à  la  fois  à  Rome  chez  Pustet  et  à  Paris 
chez  Lethielleux  :  c'est  dire  que  le  livre  ne  s'adresse  plus  spécinlement 
à  un  pays  ;  aussi  les  points  relatifs  à  la  législation  civile  de  la  Belgique 
y  sont  supprimés.  J.  N. 

—  La  librairie  Picard  de  Paris  annonce  en  ces  termes  la  publication 
d'une  Bibliothèque  d'Histoire  Religieuse  :  «  A  ce  moment  où  l'histoire 
religieuse  intéresse  plus  que  jamais,  non  seulement  les  spécialistes, 
mais  le  grand  public  instruit  et  cultivé,  il  a  semblé  opportun  de  publier 
une  série  de  volumes  destinés  à  vulgariser  les  principales  questions  de 
ce  domaine  d'études...  Conçus  dans  un  esprit  exclusivement  scientifique 
et  objectif,  ils  contiendront  l'exposition  claire  et  méthodique  des  pro- 
blèmes que  soulève  la  question  traitée,  sans  parti  pris,  de  quelque 
nature  que  ce  soit  :  le  but  de  celte  Bibliothèque  étant  de  permettre  à 
chacun  de  se  faire  une  opinion  ou  simplement  de  se  mettre  au  courant 
de  sujets  intéressants.  » 

k  paru  :  J.  Turmel,  L Histoire  du  dogme  de  la  -papauté,  des  origines  à 
la  fin  du  IV'^  siècle,  in-12  de  492  pages. 

En  préparation  :  J.  Capart,  ha  Religion  de  VEggple  ancienne  ;  J.  Tou- 
TAIN,  Les  cultes  indigènes  de  t Europe  occidentale  sous  r Empire  romain  ; 
A.  HuMBERT,  La  Réforme  catholique  en  France  et  le  Concile  de  Trente  ; 
A.  Bros,  Le  Totémisme  ;  0.  Habert,  La  Magie  ;  Ch.  A.  Briggs,  Le  Pres- 
bytérianisme américain,  ses  origines  et  son  histoire. 

Universités.  —  Plusieurs  séries  de  Conférences  d'histoire  des  reli- 
gions sont  inscrites  au  programme  de  l'Institut  Catholique  de  Paris 
pour  l'année  scolaire  1908-1909.  M.  Roussel,  de  l'université  de  Fribourg, 
en  Suisse,  traitera  du  Brahmanisme.  M.  Ph.  Virey,  l'égyptologue 
connu,  étudiera  la  religion  de  l'Egypte  ancienne.  Le  P.  Dhorme,  0.  P., 
de  l'École  Biblique  de  Jérusalem,  traitera  des  religions  sémitiques  autres 
que  la  religion  d'Israël.  Les  Conférences  données  au  cours  de  l'année 
qui  s'achève  par  Mgr  Le  Roy,  MM.  de  la  Vallée  Poussin,  Carra  de  Vaux 
et  EJoyer  ont  obtenu  le  plus  sérieux  succès. 

Nominations.  —  M.  le  chanoine  Breton,  supérieur  du  petit  séminaire 
de  Brive,  vient  d'être  choisi  pour  succéder  à  Mgr  Batiffol  en  qualité  de 
recteur  de  l'Institut  Catholique  de  Toulouse.  M.  G.  Breton  est  né  en 
1852.  Il  est  particulièrement  apprécié  comme  orateur  et  administrateur. 
Ses  principaux  ouvrages  sont  :  Un  évêque  d\iutrpfois.  Mgr  Berteaud, 
èvêque  de  Tulle,  1897  ;  Le  drame  éternel,  essai  doctrinal  sur  la  Messe, 
qui  est  une  étude  théologique  estimée,  et  une  brochure  intitulée  :  La 
Messe,  étude  philosophique  et  théologique,  dans  la  collection  «  Science 
et  Religion  ».  M.  le  ch.  Breton  est  un  ancien  élève  de  l'Institut  catholique 
de  Toulouse. 

—  M.  Delbos  a  été  nommé  maître  de  conférences  d'histoire  de  la 
philosophie  et  M.  Rauii  chargé  de  cours  pour  la  philosophie  en  Sor- 
bonne. 


CHRONIQUE  623 

—  M.  Emile  Senart,  membre  de  rinslitut,  président  du  Comité  de 
l'Asie  Française,  vient  d'être  nommé  président  de  la  Société  asiatique 
en  remplacement  de  M.  Barbier  de  Meynard.  M.  Senart  a  été  également 
élu  membre  étranger  de  l'Académie  des  Sciences  d'Amsterdam. 

Décès.  —  Le  R.  P.  Th.  Cocon'nier,  0.  P.,  est  mort  soudainement  à 
Toulouse,  le  8  avril.  Né  en  1846,  il  avait  62  ans.  Après  avoir  achevé  ses 
études  théologiques  au  Collège  de  la  Minerve,  Rome,  sous  la  direction 
du  P.  Zigliara,  alors  régent,  le  P.Coconnier  entra  dans  l'Ordre  de  Saint- 
Dominique,  au  couvent  de  Saint-Maximin,  province  de  Toulouse,  en 
ls7o.  Il  était  tout  jeune  profès  lorsqu'il  fut  appelé  à  occuper  la  chaire 
de  philosophie  à  l'Institut  catholique  de  Toulouse,  qui  venait  d'être 
créée.  Il  la  garda  12  ans.  En  1890,  l'Université  de  Frihourg,  en  Suisse, 
lui  contla  la  chaire  de  théologie  dogmatique.  Il  dut  l'abandonner  en 
1899  pour  raison  de  santé. 

Si  remarquable  qu'ail  été  la  carrière  professorale  du  P.  Coconnier,  la 
fondation  de  la  Revue  Thomiste  n'en  demeure  pas  moins  son  œuvre 
principale.  C'est  en  1893  qu'après  s'être  assuré  le  concours  de  collabo- 
rateurs tout  dévoués  à  l'œuvre,  il  fit  paraître,  le  7  mars,  le  premier  n° 
de  la  nouvelle  Revue.  Depuis  lors  et  jusqu'à  sa  mort,  il  lui  consacra  tous 
ses  soins  comme  directeur,  en  même  temps  qu'il  y  publiait  toute  une 
série  de  travaux  qui  en  assurèrent,  pour  une  part  importante,  le 
succès. 

Le  P.  Coconnier  a  laissé  deux  ouvrages  où  il  s'affirme  à  la  fois  comme 
un  maître  de  la  philosophie  et  de  la  théologie  traditionnelles  de  l'Église 
et  comme  un  esprit  sympathique  à  tous  les  légitimes  progrès  et  très  au 
courant  des  données  les  plus  récentes  dans  le  domaine  des  sciences  et 
dans  celui  de  l'histoire  :  L'Ame  humaine,  1890;  L'Hi/pnolisme  franc, 
1897. 

—  M.  Hartwig  Derenbourg  est  décédé  à  Paris,  le  13  avril,  dans  sa 
63""^  année.  Il  était  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles 
Lettres  depuis  1900,  directeur  d'études  pour  l'arabe  et  pour  l'Islam  et 
les  religions  de  l'Arabie  à  l'École  pratique  des  Hautes  Études,  professeur 
d'arabe  littéraire  à  l'École  spéciale  des  langues  orientales  vivantes. 

M.  H.  Derenbourg  a  pris  une  part  toute  spéciale  à  la  publication  des 
Inscripliones  himijarilicae  et  sabaeae  dans  le  Corpus  inscriptionum  semi- 
ticarum,  Pars  IV,  Tomus  I,  Fasc.  1-3,  1889  et  ss.  Dans  ce  domaine  de 
l'épigraphie  et  de  l'archéologie  minéo-sabéennes,  il  a  publié,  en  outre, 
divers  mémoires  ou  travaux  plus  étendus:  Les  noms  de  personnes  dans 
l'A.  T.  et  dans  les  inscriptions  himi/arites,  1880;  Vemen  Inscriptions  : 
the  Gloser  Collection  in  the  British  Muséum,  1891  ;  The  Himyaritic 
Inscription  32  of  the  British  Muséum,  1891  ;  Le  dieu  Allah  dans  une 
inscription  viinéenne,  1H92;  Epitaphe  minéenne  d'Egypte  inscrite  sous 
Ptolémée,  fils  de  Ptolémée,  l89d  ;  Nouveau  mémoire  sur  Vépitaphe  mi- 
néenne  d'Egypte,  etc.,  1895  ;  Nouveaux  textes  Yéménites  inédits  publiés 
et  traduits,  1902  ;  Les  monuments  sabéens  et  himyarites  delà  Bibl.  Nat., 
1891;  Les  monuments  sabéens  et  himyarites  du  Louvre;  Premier  supplé- 
ment aux  monuments  sabéens  du  Louvre  ;  Les  monuments  sabéens  et 
himyarites  du  Musée  d'archéologie  de   Marseille,    1899.    Il   a  eu   pour 


654         PEVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

plusieurs  de  ces  travaux  la  collaboration  de  son  père,  Joseph  Deren- 
bourg,  de  l'Institut.  Parmi  ses  autres  publications  citons  :  Les  manus- 
crits arabes  de  la  collection  Schefer  à  la  Bibl.  i\at.,  1901  ;  le  précieux 
catalogue  intitulé:  Les  manuscrits  arabes  de  VEscurial,  T.  I;  Grammaire^ 
Rhétorique,  Poésie,  Lexicologie,  Philosophie  ;  T.  II,  Fasc.  1,  Morale  et 
Politique,  1884-1903  ;  Opuscules  d'un  arabisant  {1 S6S-1 905),  1905  ;  La 
science  des  religions  et  IHslamisme,  1886  ;  Les  inscriptions  phéniciennes 
du  temple  de  Seli  à  Abydos,  publiées  et  traduites  d'après  une  copie 
inédile  par  Sayce  ;  etc. 

—  M.  A.  DE  Lapparent,  de  Tlnslitut,  professeur  de  Géologie  à  l'Institut 
catholique  de  Paris,  est  mort  le  o  mai  après  une  courte  maladie.  Il  était 
né  à  Bourges  le  30  décembre  1839.  Élève  de  Téminent  géologue  Éliede 
Beaumont,  M  de  Lapparent,  d'abord  ingénieur  des  mines,  entra  à  l'Ins- 
titut catholique  de  Paris  dès  sa  fondation  en  1875  comme  professeur  de 
géologie  et  de  minéralogie.  En  1897  il  était  élu  à  l'Académie  des  Sciences 
dont  il  fut  nommé  secrétaire  perpétuel  pour  la  section  des  Sciences 
physiques  en  1907,  succédant  à  M.  Berthelot,  décédé. 

Outre  ses  publications  relatives  à  la  géologie,  à  la  minéralogie,  à  la 
géographie  physique  parmi  lesquelles  tout  le  monde  connaît  son  admi- 
rable Traité  de  Géologie,  1"  éd,  1883.  5*  édition,  3  vol.  1905,  M.  de 
Lapparent  a  composé  plusieurs  ouvrages  d'un  intérêt  plus  immédiat 
pour  les  théologiens  et  les  philosophes  :  Science  et  Apologétique,  6*=  éd. 
1908;  Les  Silex  taillés  et  Vancienneté  de  l'homme,  2  vol.  in-16  (Science 
et  Religion);  La  Providence  créatrice  (même  Collection)  1906,  et  de  très 
nombreux  articles  dans  Le  Correspondant,  La  Revue  des  Questions 
scientifiques,  les  Annales  de  Philosophie  Chrétienne,  La  Lievue  de  V Insti- 
tut Catholique  de  Paris,  la  Revue  pratique  d'apologétique,  etc. 

M.  de  Lapparent  a  grandement  honoré  la  science  française  et  la  Foi 
catholique. 

—  M.  Jean  Réville  est  mort  à  Paris,  le  6  mai,  des  suites  d'une  opéra- 
lion,  11  était  né  à  Rotterdam,  où  Albert  Réville,  son  père,  remplissait 
alors  les  fonctions  de  pasteur,  en  1854.  D'abord  maître  de  conférences 
d'histoire  de  l'Église  à  lÉcole  pratique  des  Hautes-Études,  il  fut  choisi 
en  1886  comme  professeur  de  patristique  à  la  faculté  de  théologie  pro- 
testante de  l'université  de  Paris,  puis  rentra  aux  Hautes-Études  oîi  il  fut 
bientôt  nommé  secrétaire  de  la  section  des  Sciences  religieuses  et  direc- 
teur d'études  pour  la  littérature  et  l'histoire  du  christianisme.  En  1907, 
il  avait  été  nommé  professeur  d'histoire  des  religions  au  Collège  de 
France  à  la  place  d'Albert  Réville,  son  père,  décédé.  Il  dirigeait  depuis 
1884  la  Revue  de  i Histoire  des  Religions. 

Nous  avons  donné  en  1907  {R.  d.  Se.  Ph.  et  Th.  I,  p.  396)  la  liste  de 
ses  ouvrages  les  plus  récents.  Il  suffira  d'ajouter  ici  :  La  religion  à 
Rome  sous  les  Sévères,  1884  ;  Les  origines  de  l'épiscopat,  1894.  Il  a  publié 
en  outre  de  nombreux  articles  dans  la  Lievue  de  l" Histoire  des  Religions. 

—  La  mort  de  M.  Gaston  Boissier,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie 
française,  survenue  le  10  juin,  à  Viroflay,  a  causé  dans  tout  le  monde 
savant  les  plus  vifs  regrets.  M.  Boissier  était  né  à  Nîmes  en  1823  ;  il 
avait  85  ans.  Après  avoir  enseigné  au  lycée  de  Nîmes,  puis  à  Paris  au 
lycée  Charlemagne,  il  entra  en  1861  au  Collège  de  France  comme  sup- 


CHRONIQUE  625 

pléant  de  M.  Havet  dans  la  chaire  d'éloquence  latine  :  il  devenait  un  peu 
plus  tard  titulaire  de  la  chaire  d'Histoire  de  la  littérature  latine  qu'il  a 
occupée,  avec  infiniment  d'autorité  et  d'éclat,  jusqu'en  1907.  En  1865, 
il  fut  nommé  maître  de  conférences  à  l'École  Normale  supérieure  et, 
quelques  mois  après,  chargé,  comme  suppléant,  du  cours  de  poésie 
latine.  Élu  membre  de  l'Académie  française  en  1876  à  la  place  de 
M.  Patin,  il  fut  choisi  en  1895  comme  secrétaire  perpétuel.  Il  appartenait 
depuis  1886  à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles  Lettres.  Il  avait  rem- 
pli en  1892  et  les  années  suivantes  la  haute  charge  d'Administrateur  du 
Collège  de  France. 

De  son  œuvre  scientifique,  qui  est  du  premier  mérite,  nous  ne  retien- 
drons ici  que  deux  ouvrages  :  La  Religion  romaine^  d'Auguste  aux  Anlo- 
nins,  2  vol.,  1874;  La  fin  du  Paganisme,  2  vol.;  1891. 

ITALIE.  —  Publication  nouvelle.  —  L'ouvrage  de  Mgr  M.  B,  Nardi  (Dis- 
serlalio  de  sanclilale  malrimonii  vindicata  conira  onanismum.  1-376  p. 
Rome,  Desclée,  s.  d.),  forme  une  excellente  dissertation  sur  un  sujet  déli- 
cat et  plein  d'actualité  et  qui  n'avait  pas  jusqu'ici  fait  l'objet  d'un  travail 
spécial  et  complet  pour  les  confesseurs.  Le  titre  de  cette  3*  édition  est 
changé.  Les  éditions  antérieures  portaient  celui  à' Onanismus  Conjuga- 
lis.  L'auteur  se  montre  au  courant  de  certains  travaux  français  qui  ont 
un  rapport  avec  la  question  qu'il  traite.  Ses  conclusions,  tliéoriquement 
incontestables,  lui  sont  fournies  par  les  principes  de  la  morale  catho- 
lique, et  s'appuient  aussi  sur  les  faits  de  l'expérience.  L'opuscule  de 
Mgr  Nardi  est  destiné  spécialement  aux  confesseurs,  mais  tous  ceux 
qui,  effrayés  de  la  progression  décroissante  des  naissances,  veulent 
travailler  efficacement  à  extirper  un  mal  dont  les  funestes  conséquences 
n'échappent  à  personne,  y  trouveront  la  réfutation  des  objections  in- 
voquées par  les  coupables  et  les  véritables  remèdes  à  employer  pour 
arrêter  son  action  dissolvante  sur  la  famille  et  la  société.  J.  N. 

—  Commission  biblique. 

De  Libri  Isaiae   indole  et  auctore, 

Piopositis  seqnentibus  dubiis  Commissio  Poatificia  de  re  biblica  scquenti 
modo   respondit  : 

iJuhimn  I.  —  Utrujn  dooeri  possit,  vaticLoia  quae  leguntur  in  libro  Isaiae, 
—  et  passiin  in  Sciipturis,  —  non  esse  veri  nominis  vaticinia,  sad  vel  narrationes 
post  eventum  confictas,  vel,  si  ante  eventuni  praenuntiatum  quidpiam  agnosci 
opus  sit,  iil  prophetaui  non 'ex  supematurali  Dei  futurorum  praescii  revelatione, 
sed  ex  his  quae  jam  contigeriiiit,  feLici  quadam  sagacitate  et  naturalis 
Lngenii   acuniine,   conjiciendo   praenuntiasse  ? 

Resp.  —  Négative. 

Duhium  II.  —  Utrani  sententia  quae  tenet,  Isaiam  ceterosquo  prophetas  vati- 
cinia non  edidlsse  nisi  da  his  quae  in  continenti  vel  post  non  grande  temporis 
spatium  evcntura  eraut,  conciliari  possit  cum  vaticini's,  imprimis  messianicis 
et  eschatologicjs,  ab  oisdeni  prophetis  de  longinquo  certo  editis,  necaon 
cum  oommuni  S.  S.  Patrum  seJitentia  concorditer  asserentiuin,  prophetas  ea 
(ruo(fuo  pxaedixisse,    quae   post   nuilta    saecula  cssenl   imph^nda? 

Resp.  —  Négative. 

2^  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N»  3.  40 


626         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Diihium  III.  —  Utruni  admitti  possit,  prophetas  non  modo  tanquam  correc- 
tores  pravitatis  Immaime  diviiiique  verbi  in  profectiiiM  audientium  praecones,  ve- 
runi  etiam  tanquam  praenimtios  eventuum  f  uturorum,conslaiiter  alloqui  debuisse 
auditoies  non  guidem  futuros,  sed  praesentes  et  sibi  aequales,  ita  ut  ab  ipsis 
plane  intelligi  potuerint;  proindeque  secundam  partem  libri  Isaiae  (cap.  xl- 
Lxvi),  in  qua  vates  non  Judaeos  Isaiae  aequales,  at  Judaeos  in  exsilio  baby- 
lonico  Ingénies  veluti  intea-  ipsos  vivens  .alloquitur  et  solatur,  non  'posse 
ipsnm  Isai.an'i  jamdiu  emoirtuum  auctorem  habsre,  sed  oportere  cam  ignoto 
cuidam   vati   intex   exsuies    vivent!    assignare? 

Besp.  —  Négative. 

Duhium  IV.  —  Uti"um  ad  impugnandam  identitateni  auctoris  libri  Isaiae  argu- 
meiiUim    philologicum,    ex    lingua    stiloque    desumptuni:,    taie    sit    censendum, 
ut  virum  gravem,  criticae  artis  et  hebraicae  linguae  periUim,  cog  at  in    eoilcm 
libxo  pluralitatem  auctorum  agnoscere? 

Eesp.  —  Négative. 

Dub'mm  V.  —  Utram  solida  prostenl  argumenta,  etiam  cumulative  sumpla, 
ad  evincendum  Isaiae  librum  non  ipsi  soli  Isaiae,  sed  duobus,  imo  pluribus 
auctoribus  esse  tribuendum? 

Besp.  —  Négative. 

Die  autem  28  jimii  amii  1908,  in  Audienlia  ambobus  Rmis  Consultoribus 
ab  Aclis  bénigne  concessa,  Sanctissimus  praedicta  Responsa  rata  habuit  ac 
piib'.icL  jmis  fieri   mandav.t. 

Roma.e.    'lie    29    juaii    1908, 

fulcranus    vlgouroux,    p.    s.  s. 
Laurentius  Janssens,  U.  s.  B. 
ConsTiltores   ab   Actis. 

Examens    tour    la    licence    en    Écriture  Sainte. 

La  Septième  session  d'examens  pour  la  licence  en  Écriture  Sainte  s'est 
tenue  au  Vatican  les  1,  2,  4  et  5  juin  1908.  Ont  été  proposés  pour  l'examen 
écrit   les   sujets   suivants  : 

I.  Examen  d'exégèse  :  1'^  Exégèse  du  discours  de  Notre-Seigneur  à  un 
jeune  bomme  riclie;  d;uigci-s  des  richesses  et  récompenses  de  la  foi.  Matth., 
XIX,    l(i-29;    Marc,    x,    17-30;    Luc,    xviii,    18-30. 

2"  Exégèse  du  discours  de  saint  Paul  à  Antioclie  de  Pisidie.  Act.,  xiii, 
15-41. 

3"  Exégèse  du  discours  de  saint  Paul  devant  Festus  et  Agrippa.  Act., 
XXVI,  2-29. 

Un  des  trois  sujets  aii  choix  des  candidats. 

II.  Examen  d'histoire.  —  Invasions  des  rois  d'Assyrie  dans  le  royaimie 
d'Israël  et  dans  le  royaujne  de  Juda  à  l'époque  des  Rois,  d'après  la  Bible 
et  d'après  les  docmnents  assyriens. 

III.  Examen  sur  l'Introduction.  —  Introduction  au  Uvre  de  Joël. 

Dix  candidats  se  sont  présentés  aux  examens.  Sept  ont  siîbi  avec  succès 
l'épreuve  écrite  et  l'épreuve  orale. 

M.  l'abbé  Joseph  Bonsir\-en,  chapelain  de  Saint-Louis-des-Français  (Rome), 
prêtre  du  diocèse  d'.Albi,  docteur  eji  théologie   de  la  Minerve.   Avec  mention. 

Le  R.  P.  Denis  Bazy,  au  Séminaire  français  (Rome),  prêtre  du  Sacré- 
Cœur  de  Jésus  de  Bétliarram,  docteur  e.a  Tnéologie  de  l'ApoUinaire.  Avec 
mention. 

M.  l'abbé  Pierre  Tiberghion,  à  la  Procure  de  Saiat-Sulpice  (Rome),  prêtre 
du  diocèse  de  Cambrai,  docteur  en  théologie  de  la  Sapience. 


CHRONIQUE  627 

M.  l'abbé  AlexaaicLre  Pie  Grigaïtis,  de  l'École  bibliquo  de  Saint-Etienne, 
à  Jénasalem,  du  diocèse  de  Sejjiy  (Russie-Lithuanie),  maître  en  théologie 
à  l'Académie  catholicfue  de  Saint-Pétersbourg.  —  Ex  aequo  avec  M.  l'abbé 
Eugène  René  Nicolas,  à  La  Procure  de  Saint-Sulpice  (Rome),  prêtre  du  dio- 
cèse  de    Paxis,    docteiu'    en   théologie    de    la    Sapience. 

Le  R.  P.  Réginald  Jausen,  des  Frères  Prêcheurs,  de  1  "École  biblique  de 
Saint.É tienne  de  Jérusalem,  docteur  en  théologie  du  couvent  de  liuissen 
(Hollande). 

M.  l'abbé  Albert  Lartaud,  au  séminaire  français  (Rome),  prêtre  du  dio- 
cèse de   Moulins,    docteur  en  théologie   de   l'Université   Grégorienne. 

Thèse  de   doctorat   en   Écriture   Sainte. 

M.  l'abbé  Léon  Gry,  prêtre  du  diocèse  de  Remies,  reçu  licencié  en  Écri- 
ture Sainte,  le  23  novembre  1905,  a  passé  avec  succès  les  examens  de  doc- 
torat  en  Écriture   Sainte,   au   Vatican,    les    15   et   16   juin    1908. 

Le  15  juin,  il  a  passé,  avant  midi,  pendant  3  heures  environ,  un  exa- 
men public  :  lo  sur  la  langue  étlùopiemie,  pour  laquelle  il  a  présenté  la 
traduction  éthiopieime  du  livre  d'Hénuch  et  celle  du  quatrième  livre  d'Es- 
dras;  —  2<^=  sur  l'exégèse  du  texte  hébreu  de  Jérémie;  —  3»  sur  l'exégèse 
d/u  texte  grec  de  l'Épître  aux  Hébreux;  —  4°  sur  les  écoles  exégétiques  d'Alex- 
andrie  et   d'Antioche;    —  5"^   sur   des    questions    de   critique    textuelle. 

Dans  l'après-midi,  M.  Gry  a  domié  une  leçon  publique  sur  un  sujet  pour 
lequel  il  lui  a  été  ,accordé  une  heure  de  préparation.  Le  sujet  traité  a  été 
le   sacerdoce    de    Notre-Seigneur   dans    l'Épître  aux  Hébreux. 

Le  10  juin  a  eu  lieu  la  soutenance  publique  de  la  thèse.  Le  messianisme- 
des  l'araboles  du  livre  d'Hénoch,  sous  la  Présidence  de  Son  Éminence  le 
Cardinal  Rampolla,  président  de  la  Commission  biblique,  et  en  présence 
de   leurs  Éniinences,    les   cardinaiix   Mathieu,    Segna   et   Vives    (1). 

La  huitième  session  d'examen  pour  la  hcence  aura  lieu  au  Vatican,  le 
lundi   lli  novemljre   1908  et  jours   suivants. 

Rome,  22  juin   1908. 

F.    ViGOUROUX   P.    S. -S. 
L.  Janssens  0.  S.  B. 
Secrétaires  de  la  Commission  biblifjue. 

Retraite.  —  La  Rivista  Filosofica  annonce  la  relraile  de  M.  A.  Chia- 
PELLi,  professeur  d'hisLoire  de  la  philosophie  à  l'universilé  de  Naples. 

MEXIQUE.  —  Université.  —  Une  université  catholique,  la  première 
de  l'Amérique  latine,  vient  d'être  solennellement  inaugurée  à  Puebla. 
L'initiative  de  cette  création  appartient  à  l'archevêque,  Mgr  Ibarra.  La 
nouvelle  université  doit  assurer  l'enseignement  de  la  théologie,  de  la 
philosophie,  du  droit,  des  lettres  et  des  sciences.  Le  recteur,  qui  est 
Mgr  Ibarra  lui-même,  se  propose  de  donner  une  place  importante  aux 
sciences  modernes  telles  que  l'anthropologie,  la  biologie,  la  sociologie, 
elc.  Il  est  tout  à  fait  décidé  à  en  faire  un  centre  de  haute  culture  capable 
d'attirer  des  étudiants.  Pour  accroître  le  prestige  des  grades  que  décer- 
nera l'université,  spécialement  pour  les  Facultés  de  droit,  de  lettres  et 
de  sciences,  Mgr  Ibarra  a  conçu  le  projet  d'agréger  son  jeune  Institut  à 

1.  Heureuse  du  succès  de  son  savant  collaborateur,  la  Direction  de  Ja 
Bévue  des  Sciences  Philosophiques  et  Théologiques  lui  adresse  toutes  ses 
félicitations. 


628       revup:  des  sciences  philosophiques  et  théologiques 

l'Université  catholique  de  Washington.  L'on  peut  espérer  que  sa 
demande  sera  agréée,  puisque  tout  récemment  l'Union  des  Univer- 
sités américaines,  dont  fait  partie  l'Université  calholique  de  Washing- 
ton, mettait  à  l'ordre  du  jour  de  son  assemblée  annuelle  :  Les  possibi- 
lités de  coopération  intellectuelle  entre  les  États-Unis  et  l'Amérique 
latine. 


RECENSION  DES  REVUES  "' 


ANNALES  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE.  Avr.  —  E.  Jordan.  La 
Responsabilité  de  V t^glise  dans  la  répression  de  Vhérésie  au  moyen  âqe 
(suite).  (Établit  contre  Mgr  Douais  que  si  l'Église  n'édictait  pas  la  peine 
de  mort,  elle  obligeait  l'État  à  l'édicter,  lorsqu'il  ne  l'avait  pas  fait 
spontanément.  L'Étal  était  réduit  au  rôle  d'instrument  docile  et  n'avait 
pas  la  liberté  d'épargner  l'hérétique.  Au  reste,  les  plus  nombreux  et  les 
plus  grands  théologiens  et  canonistes,  et  en  première  ligne  S.  Thomas, 
ne  ressentaient  ni  hésitation  ni  scrupule  à  justifier  de  front  la  pratique 
de  l'Église.)  pp.  5-31.  —  J.  Martin.  >S.  j^piphane  :  La  Connaissance  reli- 
gieuse (suite).  (S.  Épiphane  résume  sa  doctrine  sur  ce  point  en  ces  deux 
formules  :  «  La  foi  qui  sauve  tout  fidèle  n'a  jamais  été  créée  par  la  con- 
ception syllogislique  de  l'homme.  »  —  «  Le  Père  révèle  (le  Fils)  par  le 
Saint-Esprit  ;  il  le  révèle  non  pas  à  ceux  qui  mettent  (le  Fils)  en  syllo- 
gismes, mais  à  ceux  qui,  d'une  foi  sincère  et  absolue,  ont  cru  en  lui.  ») 
pp.  32-49.  —  Ch.  Huit.  Le  Platonisme  en  France  au  XVIII*  siècle  (suite). 
(Au  XVIII*  siècle,  Platon  réussit  seulement  à  attirer  l'attention  de  quel- 
ques érudits  dénués  des  connaissances  et  des  aptitudes  nécessaires  pour 
comprendre  les  côtés  les  plus  élevés  de  son  merveilleux  génie.  Cepen- 
dant c'est  de  1762  à  1770  que  le  Père  (îrou,  S.  J.,  publia  son  excellente 
traduction  de  Platon,  qui  fut  à  peine  modifiée  par  Cousin.)  pp.  50-65.  — 
P.  Hans.  Le  droit  et  la  science.  (Rapproche  les  conclusions  de  M.  Poin- 
caré  sur  la  science  de  celles  de  M.  Gény  sur  le  droit.  Par  l'examen 
attentif  du  rôle  que  joue  l'analyse  et  l'intuition,  l'induction  et  l'hypo- 
thèse dans  les  méthodes  du  droit  et  de  la  science,  on  est  amené  à 
conclure  que  les  lois  juridiques  positives  comme  les  lois  scientifiques 
sont  le  produit  d'une  élaboration  objective,  que  les  unes  et  les  autres 
sont  en  partie  conventionnelles  et  subissent  la  loi  de  l'évolution.) 
pp.  66-87.  =  Mai.  —  P.  Duhem.  Essai  sur  la  notion  de  la  théorie  physique 
de  Platon  à  Galilée.  [Montre  que  la  «  question  tant  agitée  aujourd'hui  : 
Quelles  sont  les  relations  de  la  théorie  physique  et  de  la  Métaphysique  ?  » 
a  été  pendant  deux  mille  ans  formulée  de  la  manière  suivante  :  Quelles 
sont  les  relations  de  l'Astronomie  et  de  la  Physique?  -  Doit  passer 
en  revue  les  réponses  qui  ont  été  données  à  cette  question  par  la  pensée 


1.  Tous  ces  périodiques  appartiennent  au  second  trimestre  de  1908.  Seuls 
les  articles  ayant  un  rapport  plus  direct  avec  la  matière  propre  de  la  Revue 
ont  été  résumés.  On  s'est  attaché  à  rendre,  aussi  exactement  et  brièvement 
que  possible,  la  pensée  des  auteurs  en  s'abstenant  de  toute  appréciation.  — 
La  Recension  des  Revues  la  été  faite  par  les  RR.  PP.  Allô,  (Fribourg), 
BLA^•CHE  (Paris),  Garcl\  (Salamanque),  Gillet,  Tuyaerts  (Louvain),  Martin 
(Huy),  Garrigou-Lagrange,  .f.-vcnuix,  Lemonnyer,  Mainage,  Noble,  de  Poul- 
PiQUET,    RoLAND-GossELiN    (Kain),    lecteurs   en    Théologie. 


630  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

hellène,  par  la  science  sémitique,  par  la  scolaslique  chrétienne  du 
Moyen  Age,  enfin  par  les  astronomes  de  la  Renaissance.  —  Le  présent 
article  est  consacré  à  la  solution  de  la  science  hellénique  depuis  Platon 
jusqu'à  Simplicius.)  pp.  113-139.  —  P.  Hans.  ].e  droit  et  la  science  (suite). 
(Montre  que  pour  atteindre  son  but  le  droit  érige  des  principes,  comme 
la  géométrie  des  axiomes,  comme  la  science  des  liypotlièses  ;  principes, 
axiomes,  hypothèses,  ce  sont  là  des  conventions,  mais  conventions  les 
plus  commodes  eu  égard  aux  indications  de  l'expérience  et  au  mécanisme 
de  notre  esprit.)  pp.  160-184.  =  Juin.  —  D.  Sabatier.  L'expérience 
religieuse  et  le  protestantisme  contemporain.  (Analyse  et  critique  l'ou- 
vrage de  M.  W.  James  :  L'expérience  religieuse.  Montre  comment 
«  ce  livre  veut  être  la  critique  la  plus  aiguë  et  la  plus  implacable  des 
religions  positives.  Ce  qui  vous  reste  dans  la  main  quand  l'auteur  a 
brassé  son  énorme  matière,  c'est  une  légère  mousse  d'agnosticisme  qui 
fuit  encore  entre  les  doigts.  »  Les  croyances  ne  peuvent  trouver  d'appui 
suffisant  ni  sur  le  sentiment,  ni  sur  l'intuition,  ni  sur  la  spéculation, 
ni  même  sur  la  fécondité  pratique  qui  s'évanouit  dans  les  remous  de 
l'évolutionnisme  empirique  —  L'auteur  indique  un  plan  de  réfutation 
où  chaque  paragraphe  accuse  à  peu  près  la  thèse  contradictoire  de 
celle  que  développe  W.  James.)  pp.  225-246.  —  B.  Desbuts.  De  Vutili- 
sation  de  la  doctrine  thomiste  du  concours  divin.  (La  théorie  thomiste 
du  concours  divin  peut  être  utilisée  pour  éclaircir  l'origine  de  notre 
idée  d'infini.  11  est  faux  que  cette  idée  soit  élaborée  par  la  seule  intel- 
ligence, sans  aucune  influence  de  la  volonté,  en  niant  simplement  la 
limite  d'une  perfection  finie.  «  Si  telle  était  son  origine,  notre  idée  d'in- 
fini serait  une  pure  illusion,  un  mot  et  rien  de  plus.  »  Au  reste,  une  pa- 
reille idée  serait  «  univoque  »,  ce  qui  est  contraire  à  ce  qu'enseigne  saint 
Thomas. —  Notre  idée  d'infini  n'est  pas  un  concept  de  la  pensée  réflé- 
chie, «  elle  est  suscitée  et  portée  par  la  pensée  directe,  vue  immédiate  «le 
ce  que  nous  faisons...  par  la  conscience  que  nous  prenons  de  celte 
force  que  notre  volonté,  grâce  au  concours  divin,  possède  en  elle  et  que 
nous  ne  pouvons  endiguer  en  aucun  être  fini.  »  La  volonté  ne  pouvant 
se  reposer  en  aucun  bien  fini,  l'intelligence  conçoit  une  perfection  sans 
borne,  capable  de  satisfaire  la  volonté.  Ainsi  on  retrouve  la  vraie  notion 
thomiste  de  l'analogie  «  qui  affirme  seulement  entre  Dieu  et  nous  un 
parallélisme  de  fonctions.  »«  Le  contenu  positif  de  notre  idée  de  Dieu 
est  donc  fourni  par  nos  actions.  »)  pp.  246-^260. —  B.  Carra  de  Vaux. 
De  l'origine  des  mythes.  {l\  es[  des  mythes  d'origine  humaine  que  les 
peuples  se  forgent  pour  symboliser  les  races,  les  professions,  les  états. 
Puis,  la  grande  classe  des  mythes  naturalistes  qui  symbolisent  les  forces 
de  la  nature.  Enfin,  les  mythes  dérivés  de  certaines  circonstances 
relatives  aux  beaux-arts  et  à  la  linguistique.  Ce  qui  dislingue  de  tous  ces 
mythes  païens  les  récils  merveilleux  de  la  Bible,  c'est  l'idée  morale  et 
vraiment  religieuse.)  pp.  261-276.  —  P.  Duhem.  Essai  sur  la  notion  de 
la  théorie  physique  de  Platon  à  Galilée  (suite).  (Examine  ce  qu'a  été  la 
théorie  pliysique  ou  mieux  la  théorie  astronomique  chez  les  philo- 
sophes arabes  et  juifs  et  dans  la  scolaslique  chrétienne  du  Moyen  Age. 
«Bien  que  les  hypothèses  des  astronomes,  dit  saint  Thomas,  paraissent 
sauver  les  phénomènes,  il  ne  faut  pas  affirmer  qu'elles  sont  vraies,   car 


RECENSION     DES     REVUES  631 

on  pourrait  peut-être  expliquer  les  mouvements  apparents  des  étoiles 
par  quelque  autre  procédé  que  les  hommes  n'ont  point  encore  conçu.  » 
En  cela  saint  Tliomas  suit  Simplicius.  —  L'auteur  cite  aussi  un  texte 
des  plus  remarquables  de  Jean  de  Jandun  (1330)  :  «  pourvu  qu'il  ait  le 
moyen  de  déterminer  exactement  les  lieux  et  les  mouvements  des 
planètes,  l'astronome  ne  demande  pas  si  cela  provient  ou  non  de 
l'existence  réelle  de  telles  orbites  dans  le  ciel;  cette  recherche  regarde 
le  physicien  ;  car  une  conséquence  peut  être  exacte  lors  même  que  son 
antécédent  serait  impossible.  »)  pp.  277-302, 

ANTHROPOS.  2.  -  A.  M.  de  St-Élie,  0.  C.  La  femme  du  désert  autre- 
fois et  aujourd'hui  (fin).  (Négociations  de  mariage  et  cérémonies  des 
noces  chez  les  Bédouins  ;  divorce,  rapt,  condition  de  la  femme  mariée. 
Explique  l'usage  toujours  existant  de  ces  "  signa  virginitatis"  dont 
parle  le  Deutéronome,  xxii,  13.)  pp.  181-192.  —  J.  Meier,  M.  S,  C. 
Mljthen  und  Sagen  der  Admiralitdtsinsulauer  (sn'ûe).  (Texte  et  traduction 
de  légendes  relatives  à  l'origine  de  la  mort,  de  contes  merveilleux  qui 
ont  pour  héros  des  animaux  divers.)  pp.  193-206.  —  F.  da  Offkio,  0. 
Cap.  Pvoverbi  abissini  in  lingua  Tigraij  (suite),  (l-iste  de  proverbes  abys- 
sins en  langueTigréavec  traduction;  n''^51-lo0.)  pp.  207-212.  —  N.  Stam. 
The  Religions  Conceptions  of  some  Tribes  of  Buganda  {British  Equato- 
rial  Africa).  (Décrit  les  conceptions  religieuses  et  les  légendes  des 
Baganda,  les  conceptions  religieuses  des  Basoga,  des  Bavuma.  Malgré 
la  prédominance  du  culte  des  esprits  mauvais,  l'idée  d'un  Être  Suprême, 
appelé  Kalonda,  Créateur,  est  générale  parmi  ces  tribus.)  pp.  213-218. 
—  T.  Caius,  s.  J.  Au  Pays  des  Castes.  Les  Brahmanes  (suite).  (Classifi- 
cation des  Brahmanes  qui  habitent  au  sud  du  fleuve  Krichna  et  mensu- 
rations anthropométriques  avec  photographies.)  pp.  239-243.  — 
J.  Hafliger,  0.  S.  B.  Fabeln  der  Matengo  ( Deulsch-Osta frika) .  (Texte  et 
traduction  de  trois  fables  :  Le  lièvre  et  l'hyène;  l'ichneumon  et  le  singe  ; 
le  lion  et  le  lièvre.)  pp.  244-247.  —  L.  Cadière,  d.  M.  É.  Philosophie 
populaire  annamite  (suite).  (Idées  relatives  à  l'univers,  aux  astres,  aux 
points  cardinaux,  à  la  surface  du  sol,  à  l'origine  du  monde,  aux  êtres 
animés;  proverbes  relatifs  aux  animaux  supérieurs,  aux  oiseaux,  aux 
animaux  inférieurs.  Le  monde  parait  devoir  son  origine  à  une  force 
productrice  qui  lui  est  immanente.)  pp.  248-271.  —  F.  Mijller,  S.  V.  D. 
Die  lieligionen  Togos  in  Einzeldarstellungen  (suite).  (Documents  divers 
concernant  le  culte  d'un  Être  Suprême  chez  quelques  tribus  de  Togo.) 
pp.  272-279.  —  G.  Scbmidt,  S.  V.  D.  L'origine  de  Vidée  de  Dieu.  Etude 
historico-critique  et  positive  (à  suivre).  (Décrit  la  position  des  théolo- 
giens et  apologètes,  des  exégètes,  en  cette  matière  et  en  fait  la  critique  : 
manque  de  formation  ethnologique,  manque  de  précision  dans  la 
défense  ;  mérites  des  théologiens  adversaires  de  l'animisme  ;  une 
situation  nouvelle  plus  favorable.)  pp.  336-368.  =  3.  —  A.  Schotter,  d. 
M.  É.  Notes  ethnographiques  sur  les  Tribus  du  Kouxj-tcheou  (Chine)  (à 
suivre).  (A  signaler  :  Art.  VII,  Quelques  us  et  coutumes  des  Miao  ;  VIII, 
Caractère  des  Miao  ;  X,  Superstitions  des  Miao.  Les  Miao,  qui  sont 
encore  barbares,  constituent  l'un  des  trois  groupes  ethniques  dans  les- 
quels se  divise  la  population  du  Kouy-tcheou.  Les  deux  autres  sont  les 


632         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THEOLOGIQUES 

Y-jen  et  les  Chinois.)  pp.  397-425.  —  A.  Witte,  S.  V.  D.  Der  «  Konigs- 
eid  »  in  Kpandu  und  bei  einigen  benachbarten  Ewe-Slàmmen.  (Le 
«.  Serment  du  roi  »  usité  à  Kpandu  et  dans  quelques  tribus  de  Togo  se 
rattache  au  culte  des  ancêtres.)  pp.  426-430.  —  G.  Zl'moffen,  S.  J. 
L'âge  de  la  pierre  en  Phénicie.  (I.  Période  paléolithique  :  Akbyeh  ; 
Doukha  ;  Keferaya  ;  Âdloun  ;  Ras  el  Kelb  ;  Nahr  Ibrahim  ;  Antelias  ; 
Batroun.  Très  nombreuses  illustrations  documentaires.  La  phase  paléo- 
lithique de  la  civilisation  apparaît  comme  ayant  été  bien  développée 
en  Phénicie.  )  pp.  431-453.  —  C.  Van  Coll,  C.  SS.  H.  Contes  et  légendes 
des  Indiens  de  Surinam  (suite  -  à  suivre).  (IL  L'histoire  du  Piay  Maca- 
naholo  ;  III.  L'Indien  anachorète  et  son  chien  ;  IV.  Halwanli  et  ses  deux 
frères  ;  V.  Une  aventure  de  chasse.)  pp.  482-488.  —  M.  Pionnier.  A'^otes 
sur  la  Chronologie  et  V Astrologie  au  Siain  et  au  Laos.  (Décrit  les  ères 
diverses,  avec  leur  double  cycle  d'années,  majeur  et  mineur,  usitées  au 
Siam  et  au  Laos  et  reproduit  leurs  représentations  dessinées.  Chaque 
année  porte  le  nom  d'un  animal, auquel  est  associé  un  homme  ou  un  génie 
Catalogue  d'augures.)  pp.  489-507.  —  G.  Schmidt,  S.  V.  D.  L'oiigine  de 
Vidée  de  Dieu,  etc.  (suite).  (Expose  la  nouvelle  théorie  d'A.Lang:  Préa- 
nimisme monothéiste  et  en  fait  la  critique.)  pp.  559-611. 

ARCHIV  FUR  GESCHICHTE  DER  PHILOSOPHIE.  Avril.  —  Cl.  Baeum- 

KER.  ifur  Vorgeschichte  zireier  Lorkescher  Begriffe.  (Rectification  d'une 
inexactitude  relevée  dans  le  Gri/ndriss  der  Geschichte  der  Philosophie  de 
Ueberweg-Heinze  (10.  Aufl.  Bd.  IV,  S.  164)  à  propos  de  Locke.  —  Les 
termes  dont  se  sert  Locke  :  «  white  paper,  void  of  ail  characters», 
rappellent  plus  la  xiy-P'o  stoïcienne  que  le  yoy.ij.u.oixtlov  d'Aristote.  L'ex- 
pression latine  «  tabula  rasa  »  n'est  pas  employée  pour  la  première  fois 
par  Gilles  de  Rome  ;  on  la  rencontre  déjà  cliez  Albert  le  Grand,  Thomas 
d'Aquin  et  Bonaventure.)  pp.  296-298.  —  B.  Antoniades.  Die  Slaalslehre 
des  Mariana  (suite).  (Étude  historique  des  théories  politiques  et  sociales 
du  jésuite  Mariana.)  pp.  299-332.  —  R.  Bloch.  Liber  secundus  yconomi- 
corum  Aristotilis.  (Édition  critique.)  pp.  333-351.  —  G.  Cevolani.  Sopra 
un  passoillogico  délia  Logica  del  Rosmini.  (Quelques  preuves  de  l'igno- 
rance où  se  trouvait  Rosmini  des  règles  de  la  logique.)  pp.  332-356.  — 
G.  Falter.  Platons  Ideenlehre.  (Justification  du  point  de  vue  de  P. 
Natorp  et  réponse  aux  critiques  dirigées  contre  son  interprétation  du 
platonisme  par  H.  Gomperz,  dans  Archiv,  Bd.  XV fil,  N.  F.  XI  Bd.) 
pp.  357-371. —  Fr.  Kuntze.  Pascals  letztes'Problem  (h  suivre).  (Conserver 
à  l'âme  humaine  sa  valeur,  tout  en  acceptant  les  vues  nouvelles  de 
Copernic  sur  le  monde,  —  tel  est  le  problème  résolu  par  Pascal,  et  qu 
lui  marque  sa  vraie  place  dans  l'histoire  de  la  philosophie.)  pp.  397-415 
—  0.  Gilbert.  Jahresbericht  ûber  die  vorsokratische  Philosophie  (H 
DiELS.  Die  Fragmente  der  Vorsokratiker.  2  Aufl.  1^'   Band)  pp.  419-435 

BIBLISGHE  ZEITSCHRIFT.  2.  —  J.  Gottsberger.  iVj'I^  nï^*;  in  Gn  8,7 
(Donne  à  ces  deux  infinitifs  absolus  le  sensd'une  action  plusieurs  fois  re- 
nouvelée :  le  corbeau  sortit  etrevint  à  plusieurs  reprises.  )  pp.  113-116.  — 
J.  Scuaefers.  I Sm  i-1 5  literarkrilisch  luj/^rsMc/i/ (suite).  (L'auteur,  qui  a 
distingué  deux  sources  M  et  G  dans  /.  Sm  8-15,  s'efforce  de  déterminer 


RECENSION     DES     REVUES  633 

lequel  de  ces  deux  documents  a  fourni  la  matière  des  ch.  1-7.  Il  conclut 
en  faveur  de  M  qui  a  de  son  côté  fait  usage  de  plusieurs  documents.  Il 
n'est  pas  encore  possible  de  dire  si  les  sources  de  I.Sm  s'identifient 
avec  celles  de  Tliexateuque.  G  est  contemporain  de  Salomon.  M  est 
antérieur  à  Jérémie.)  pp.  117-132.  —  G.  Goetzel.  Hizkia  und  Sanherib. 
(11  y  a  eu  deux  expédilions  de  Sennachérib  contre  Ézéchias.  La  pre- 
mière coïncide  avec  la  troisième  campagne  du  roi  d'Assyrie  en  701  et 
se  trouve  brièvement  racontée  dans  IV  R.  XVIII,  14-16.  La  seconde, 
décrite  avec  plus  de  détails,  IV  R.  YVIII,  13,  17  —XIX  9a  =  XIX 
9b-20,  32-36,  n'eut  lieu  qu'après  691  et  avant  la  mort  du  roi  de  Juda.) 
pp.  133-134. —  J.  Doeller.  «  Ninivc  gleich  einem  Wassertciche..  »  (L'assi- 
milation de  Ninive  à  un  étang  peut  être  prise  à  la  lettre  et  s'entendre 
d'un  débordement  du  Tigre.)  pp.  164-168.  —  J.  M.  Pfattisch.  Der  Herr 
des  Sabbats.  (Des  trois  passages  oùil  est  question,  chez  les  Synoptiques, 
du  maître  du  sabbat,  Ml  XII,  8.  Me  II,  28,  Le.  VI,  ô,  Marc  est  celui 
qui  a  conservé  le  plus  fidèlement  les  paroles  deN.-S.)  pp.  172-178. 

BULLETIN  DE  LITTÉRATURE  ECCLÉSIASTIQUE.  Juin.  -  Doni 
A.  Du  Bourg.  Doui  Jean  Mabillon.  (Conférence.  Expose  brièvement  la 
vie  elles  travaux  de  Mabillon.)  pp.  181-204.  —  Carmé.  La  Ihéologie  de 
saint  Grégoire  I  (Soutenance  de  thèse.  Saint  Grégoire  est  un  docteur 
pratique,  «  moins  soucieux  de  spéculation  qu'animé  du  désir  de  traduire 
en  formules  claires,  pour  des  esprits  moyens,  les  données  de  la  foi... 
(Il)  a  le  mérile  d'avoir  présenté  l'idée  chrétienne  en  un  tout  organique 
parfaitement  harmonisé.  »)  pp.  20.5-210. 

CATHOLIC   UNIVERSITY    BULLETIN   (THE).    Mai    —   E.   A.   Page. 

Agnosticism  as  Conciliation.  (Après  avoir  défini  l'Agnosticisme,  expose, 
d'après  Spencer,  la  manière  dont  ce  système  conçoit  la  conciliation 
entre  la  Science  et  la  Foi  et  qu'elle  s'opère  au  préjudice  de  la  Foi.  En 
déclarant  l'ultime  réalité  inconnaissable,  l'Agnosticisme  se  trompe  et 
sa  position  est  si  parfaitement  intenable  que  des  termes  mêmes  dont 
Spencer  se  sert  quand  il  parle  de  celle  réalité  ultime,  on  peut  extraire 
une  métaphysique  très  positive.)  pp.  433-442. 

CIVILTA  CATTOLICA  (LA).  2  MaL-C.  Ferretti.  Lo^iilh  e  Vêtira  senti- 
mentale. (Ce  qui  caractérise  la  morale  de  Smitli,  c'est  la  théorie  du 
«spectateur  impartial  »  qui  serait  juge  de  nos  actions.  Où  le  trouver  ?  et 
pourquoi  l'imaginer  quand  nous  avons  un  juge  intérieur,  la  conscience?) 
pp.  279-290.  —  Il  testimonio  di  S.  Ireneo  sulla  Chiesa  Romana  e 
sullautorità  del  romano  Pontifice  {à  suivre).  (Expose  le  passage  du 
Contra  Haereses,  1.  III,  c.  m,  1-3.  Donne  le  sens  et  examine  quelques 
difTicultés  de  détail  )  pp.  291-306.  =  16  Mai.  —  E.  Rosa.  //  niodemismo 
ascetico.  (Les  modernistes  mettent  en  première  ligne  la  révélation 
individuelle,  l'action  extraordinaire  du  Saint-Esprit,  et  tiennent  à  peine 
compte  de  la  direction  extérieure  et  du  magistère  authentique  de 
l'Église.)  pp.  38.j-i02.  —  Canti  liturgici  primilivi.  (Les  textes  de 
S.  Paul  {f^ph.  V,  18-20  ;  Coloss.  m,  16-17)  prouvent  au  moins  indirec- 
tement l'existence  de  chants  liturgiques  dans  l'Église  primitive.  On  peut 
même  déterminer  leur  nature.)  pp.   404-416.  =  6  Juin.  —  E.  Rosa.  // 


634         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

modernisino  apologetko.  (Le  modernisme  apologélique  dans  sa  partie 
négative  attaque  les  fondements  mêmes  de  la  religion  ;  dans  sa  partie 
positive,  il  arrive  au  même  résultat  avec  l'agnosticisme,  et  l'immanen- 
tisme.)  pp.  347-366. 

CULTURA  ESPANOLA.  Mai.  —  A.  Gomez  Ezquiekdo.  Hisloria  de  la 
fdosofUi  espa/lold.  (Analyse  le  premier  volumedel'o:  Ilistoiredela  philo- 
sophie espagnole»  récemment  publié  par  M.  A.  Bonilla  y  san  Martin, 
professeur  de  l'Université  de  Madrid.  Ce  premier  volume  contient 
l'histoire  des  époques  suivantes  :  temps  primitifs,  époque  romaine, 
époque  gothique,  époque  chrétienne.)  pp.  383-396. 

ÉCHOS- D'ORIENT.  Mars.  —  S.  Vailué.  Le  tilre  de  palriarche  œcumé- 
nique avant  saint  Grégoire  le  Grand.  (Dès  le  VI^  et  même  dès  le  V*  siècle 
ce  titre  d'œcuménique  est  déjà  donné  à  divers  évêqiies  orientaux,  mais 
On  n'y  attache  pas  le  sens  précis  qu'il  prendra  plus  tard.  —  Jean  le 
Jeûneur  (388)  le  prendra  lui-même  avec  une  tendance  à  lui  faire  signifier 
un  pouvoir  s'étendant  à  tout  l'Orient  ;  c'est  pourquoi  Pelage  II  jugea  bon 
de  prolester  contre  son  emploi.)  pp.  63-69.  —  L.  Petit.  Un  texte  de 
saint  Jean  Chnjsostome  sur  les  images.  (Ce  texte  cité  par  S.  Jean  Damas- 
cène  ne  se  trouve  pas  dans  les  œuvres  imprimées  de  S.  Jean  Chry-^ostome. 
Il  appartiéni  à  l'homélie /»  sacram  pelvim  regardée  comme  inaulhentique 
parles  éditeurs.  L'autorité  de  S.  Jean  Damascène  forme  pourtant  un 
argument  sérieux  en  sa  faveur.)  pp.  80-86  —  S.  Sala  ville.  L'épiclèse 
d'après  saint  Jean  Chrxjsostome  et  la  tradition  occidentale.  (S.  Chrysos- 
lome  attribue  formellement  aux  paroles  du  Sauveur  :  «  ceci  est  mon 
corps»  la  consécration  eucharistique;  cependant  il  admet  aussi  une  inter- 
venlion  mysiérieuse  du  Saint-Esprit.  On  trouve  la  même  doctrine  dans  la 
tradition  occidentale  et  celle-ci,  dépendante  de  S.  Chrysostome,  explique 
sa  manière  déparier.)  pp.  101-112.  =Mai.  —  S.  Vaildé.  Saint  Grégoire 
le  Grand  et  le  litre  de  patriarche  œcuménique.  (Saint  Grégoire,  toute  sa 
vie,  protesta  contre  l'emploi  de  ce  litre,  sans  obtenir  grand  résultat.  Il 
le  fit,  non  pour  défendre  la  primauté  romaine  qui  n'était  pas  en  cause, 
mais  pour  écarter  ce  qu'il  regardait  comme  un  manquement  à  l'humilité 
sacerdotale  et  un  empiétement  nuisible.)  pp.  161-171. 

ÉTUDLS.  5  Avril.  —  St.  Harent.  Expérience  et  Foi.  (L'acte  de  foi  que 
demande  le  chrislianisme  diffère  essentiellement  de  la  connaissance 
naturelle  de  Dieu.  La  révélation  proprement  dite,  à  laquelle  répond  ce 
acte  de  foi,  ne  se  fait  pas  immédiatement  à  chaque  fidèle.  La  pia  cogilalio 
ne  peut  s'identifier  avec  la  révélation,  car  elle  ne  tombe  pas  sous  la 
conscience.)  pp.  20-31.  =  20  Avril.  —  St.  Harent.  Expérience  et  Foi.  (La 
révélation  est  un  ensemble  d'affirmations  garanties  par  l'autorité  du 
témoignage  divin.  La  révélation  a  un  caractère  extérieur,  1°  parce  qu'elle 
est  un  don  surnaturel,  -2"  parce  qu'elle  est  un  témoignage  de  Dieu,  3" 
parce  que  ce  témoignage  a  élé  donné  à  d'autres  personnes  séparées  de 
nous  par  le  temps  où  elles  ont  vécu.  Tout  en  restant  surnaturelle, 
la  révélation  présuppose  certains  éléments  naturels  et  les  utilise.)  pp. 
164-1!)8.  =  5  Mai  et  20  Mai.  —  X.  Moisant.  Qu'est-ce  que  le  Modernisme? 
(Philo.sophiquement,  le  modernisme  se  rattache  au  nominalisme;  théolo- 


RECENSION     DES     REVUES  635 

giquement,  il  dérive  du  protestantisme,  car  le  modernistne  signifie 
autonomie  el  sentimentalisme. )  pp.  289-308  et  463-484.  -  A.  Condamin. 
Abraham  el  Hammourabi.  (Conclusion:  Il  reste  encore  des  difficultés  ; 
niais,  on  le  voit,  dans  le  domaine  de  la  chronologie,  comme  en  matière 
d'histoire  générale  et  de  philologie,  les  découvertes  et  les  conclusions 
scientifiques  sont  allées  progressivement  dans  le  sens  d'une  probabilité 
toujours  plus  grande  pour  l'identificalion  d'Amraphel  et  de  Hammourabi. 
Il  est  donc  maintenant  très  probable  qu'Abraham  est  contemporain  de 
Hammourabi.  Les  principales  objections  élevées  contre  la  substance 
même  des  faits  relatés  au  ch.  xiv  de  la  Genèse  ont  été  résolues,  grâce 
aux  textes  cunéiformes.)  pp.  485-50]. 

ÉTUDES  FRANCISCAINES.  Mai.  Juin.  —  P.  Dominique.  Ximénès 
créateur  du  mouvement  ikéologique  espagnol,  (à  suivre).  (Par  la  fonda- 
tion de  rUniversilé  d'Alcala,  parla  publication  de  la  Polyglotte  et  un 
essai  d'édition  critique  d'Aristote,  Ximénès  procura  l'efflorescence  théo- 
logique qui  illustra  l'Espagne.)  pp.  449-459,  640-650. 

EXPOSITOR  (THE).  Avril.  —  D.  S.  Mamgolioutq.  Folklore  in  tlie  Old 
Testament.  (Discute  l'interprétation  proposée  par  Frazer  du  «  Faisceau 
de  vie  »,  i  Sam.,  xxv,  29  ;  du  Signe  de  Gain  ;  du  tas  de  pierres  élevé  par 
Jacob  et  Laban  ;  de  la  lutte  de  Jacob;  des  gardiens  du  seuil  du  temple. 
Incline  à  voir  en  plusieurs  de  ces  récits  des  mythes  étymologiques.)  pp. 
304-314;.  —  J.  Orr.  The  Résurrection  of  Jésus,  iv.  The  Credibility  of  ihe 
Witness.  The  Burial.  (Après  avoir  fait  ressortir  l'autorité  des  écrivains 
du  N.  T.  comme  témoins  de  la  llésurreclion,  étudie  les  divergences  des 
récils  qui  ne  sauraient  préjudicier  à  leur  ci-édibililé.  C'est  Taltilude  de 
chacun  vis-à-vis  dusurnalurel  qui  décide  de  la  valeur  critique  qu'il  leur 
accorde.)  pp.  314-333.  —  W.  0.  OEsterley.  The  Parable  of  Ihe  Labourers 
in  the  Vineyard.  (Jésus  y  combat  la  doctrine  juive  des  œuvres  à  laquelle 
il  oppose  celle  de  la  grâce.)  pp.  333-313.  —  A.  R.  Eagar.  St.  Luke's 
Account  of  the  Last  Supper.  2.  Internai  Griticism.  (L'unique  difficulté  de 
ci-itique  interne  que  présente  le  récit  de  la  dernière  Cène  dans  S.  Luc 
tient  à  la  mention  des  deux  coupes.  Cependant  les  raisons  à  l'aide 
desquelles  on  s'efforce  de  l'éliminer  de  la  recension  primitive  sont  sans 
valeur.  Le  trait  est  vraiment  primitif  et  liislorique.  Seule  la  seconde 
coupe  est  eucharistique.)  pp.  343  361.  =  Mai.  —  C.  B.  Gray.  The  Hea- 
venlij  Temple  and  the  HeavenUj  Altar  (à  suivre).  (La  première  mention 
certaine  de  la  croyance  à  l'existence  d'un  temple  céleste  se  trouve  dans 
le  Testament  de  Lévi.  1^' Apocalypse  de  Jean  connaît  en  outre  un  autel 
céleste  avec  son  personnel  sacerdotal  et  sa  liturgie.  Mêmes  idées  dans 
la  littérature  talmiidique.  Par  contre,  les  anciens  Babyloniens  n'auraient 
pas  connu,  comme  on  le  dit,  la  doctrine  précise  d'un  temple  et  d'un 
autel  célestes.)  pp.  385-402.  —  J.  H.  Bernard.  St.  Pauls  Doctrine  of  the 
Résurrection  (à  suivre).  (Exégèse  de  I  Corinth.  xv.)  pp.  403-416.  — 
J.  Denney.  He  thaï  Came  by  Waler  and  Blood.  (S.  Jean  veut  parler  du 
baptême  et  de  la  mort  de  Jésus  où  il  voit  les  deux  principales  manifes- 
tations de  sa  qualité  de  Fils  de  Dieu.  L'insistance  sur  la  mort  pourrait 
viser  Cérinlhe.  Les  sacrements  de  baptême  et  d'euciiarislie  sont  présents 
à  sa  pensée  comme  perpétuant  l'eau  du  Baptême  de  Jésus  et  le  sang 


636         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

répandu  sur  la  croix.)  pp.  416-428.  —  J.  Orr.  The  /{esurreclion  of  Jésus. 
V.  7'he  Easter  Message.  (Établit  la  crédibilité  du  Message  Pascal  :  visite 
des  femmes  le  malin  du  3"^  jour,  la  pierre  écartée,  la  tombe  vide, 
l'apparition  et  les  paroles  de  Fange.)  pp.  428-449.  —  W.  F.  Loftuouse. 
The  Social  Teaching  of  the  Law.  (Les  Codes  successifs  d'Israël  :  Code  de 
l'Alliance,  Deutéronome,  Loi  de  Sainteté.  Code  Sacerdotal,  contiennent 
des  prescriptions  de  morale  sociale  d'une  si  haute  portée  et  ils  leur 
accordent  une  si  large  place  qu'on  ne  saurait  les  dire  inférieurs  aux 
écrits  des  Prophètes  )  pp.  449-469.  =  Juin.  —  S.  R.  Driver.  71ie  Aramaic 
Inscription  from  Syria.  (Texte,  traduction  et  commentaire  de  l'inscrip- 
tion du  roi  Zakir  récemment  publiée  par  M.  Pognon.)  pp.  481-490.  — 
J.H.  Bernard.  St.  Paul's  Doctrine  of  the  /{esurreclion  (fin).  (Exégèse  de 
I  Corinlh.  \v.)  pp.  491-504.  —  J.  Orr,  The  Résurrection  of  Jésus,  vi.  The 
Post-Resurrection.  (Étudie  ralte.station  des  apparitions  de  Jésus  en 
général,  puis,  en  particulier,  les  apparitions  à  Marie-Madeleine,  à  Pierre 
et  à  Jacques.)  pp.  504-524.  — T.  K.  Cheyne,  EzechieVs  Visions  of  Jéru- 
salem. (Les  symboles  et  rites  religieux  contre  lesquels  s'élève  Ézéchiel 
proviennent  du  nord  de  l'Arabie  plutôt  que  de  la  Babylonie.)  pp.  525- 
o30.  —  G.  B.  Gray.  llie  Heavenlg  Temple  and  the  Heavenlg  Altar  (fin), 
(l'idée  d'un  temple  et  d'un  autel  célestes  avec  personnel  sacerdotal  et 
liturgie  propres  est  d'origine  juive.  Elle  semble  avoir  fait  son  apparition 
entre  500  et  100,  probablement  à  une  date  plus  voisine  du  dernier  chiffre 
que  du  premier,  et  peut  être  considérée  comme  l'un  des  premiers  fruits 
de  cette  exégèse  savante  qui  a  donné  naissance  à  la  littérature  apoca- 
lyptique et  à  la  Haggada.)  pp.  530-546.  —  J.  H.  Ropes.  «  7'hou  hast  Faith 
and  I  hâve  works  ».  (Cette  expression  de  Jacques,  ii,  i  8,  est  une  pure 
manière  de  parler  et  il  n'y  a  pas  à  chercher  derrière  ce  «  tu  »  un  person- 
nage réel.  )  pp.  547-556 

EXPOSITORY  TIMES  (THE).  Avril.  —  C.  W.  Emmet.  Professor  Har- 
nacl;  on  the  Si'coml  Source  of  the  First  and  Third  Gospels  (à  suivre). 
(Voir  n°  de  Mai.)  pp.  297-300.  —  E.  W.  Maunder.  The  Triad  of  Stars, 
(La  Triade,  inscrite  si  souvent  sur  les  monuments  assyro-babyloniens, 
a  successivement  symbolisé  des  astres  différents.  Anciennement,  à  partir 
de  4000  av.  J.  C  environ,  elle  désignait  la  nouvelle  lune  de  l'équinoxe 
de  printemps  et  Castor  et  Pollux;  à  partir  de  700  av.  J.  C.  seulement  elle 
désigne,  outre  la  nouvelle  lune  de  l'équinoxe  vernal,  le  Soleil  et  Vénus.) 
pp.  300-303.  —  J.  RuïUERFL'KD.  St.  PauVs  Epistle  to  the  Laodiceans. 
(L'épître  «  de  Laodicée  »  dont  il  est  question  Colos.  iv,  16  est  notre 
épître  canonique  aux  Éphésiens.)  pp.  311-314.  —  A.  H.  Sayce.  The 
Arc.haeologii  of  the  Book  of  Genesis  (Commentaire  archéologique  de  Gen. 
II,  1-3  et  conclusions  générales  relatives  à  Gen.  i,  l-ii,  3.  L'auteur  de 
ce  récit  a  sous  les  yeux  la  forme  assyrienne  du  système  cosmologique 
babylonien  dont  il  accepte  les  principes.  Il  a  en  vue  non  seulement  de 
l'expurger  des  éléments  polythéistes  et  mythologiques  mais  de  rendre 
raison  de  l'observance  sabbatique.  Son  récit  n'est  pas  une  traduction  et 
il  écrit  en  Palestine.  Retouches  par  des  scribes  postérieurs.)  pp.  ?)26-327. 
—  F.  P.  Baduam.  Philippians,  If,  6.  'AoTrayaôv.( Entre  les  deux  sens 
possibles  de  ce  mot  :  se  saisir  d'une  chose  et  s'attacher  obstinément  à 


RECENSION    DES    REVUES  637 

une  chose,  choisit  le  premier  à  raison  d'une  analogie  supposée  entre  le 
l)assage  indiqué  de  Tépître  aux  Philip,  et  la  situation  décrite  Gen.  i,  ii 
et  du  parallélisme  entre  le  premier  et  le  second  Adam.)  pp.  331  333.  = 
Mai.—  H.  A.  A.  Kennedy,  The  Self-Consciousness  of  Jésus  andlhe  Servant 
of  Ihe  Lord.  (Entreprend  d'étudier  les  relations  qui  existent  entre  le 
type  du  Serviteur  de  Jahvé  d'Isaïe  et  la  conscience  messianique  de  Jésus, 
et  commence  par  préciser  les  traits  essentiels  de  cette  mystérieuse 
figure,  la  plus  haute  incarnation  de  l'idéal  messianique  d'Israël.)  pp. 
340-349.  F.  R.  Tennant.  7'he  Origin  of  Life.  (Expose  brièvement 
l'histoire  des  recherches  relatives  à  l'origine  de  la  vie;  insiste  sur  ce 
point  que  la  théologie  n'est  p;is  intéressée  à  la  question.  Biogénèse  ou 
Ahiogénhe,  peu  importe  au  théologien.)  pp.  3o2-33o.  —  C.  W.  Emmet 
J'rofessor  Harnack  on  the  Second  Source  of  the  flrst  and  Third  Gospels. 
(fin).  (Analyse  le  travail  récent  de  Harnack  sur  ce  sujet  dont  il  accepte 
les  conclusions  tout  en  observant  qu'elles  demeurent  conjecturales.  La 
seconde  source  (Marc  étant  la  première)  de  Matthieu  et  de  Luc  mérite 
un  crédit  tout  spécial  et  permet  de  tracer  un  portrait  intéressant  de 
Jésus.)  pp.  338-363.  —  A.  H.  Sayce.  The  Hillile  Invasion  of  Babijlonia. 
(A  propos  de  la  Note  où  il  suggérait  que  Tidal,  roi  des  Nations,  Gen.  xiv, 
pouvait  être  un  roi  Hélhéen  signale  un  fragment  de  tablette  cunéiforme 
(British  Muséum,  K.  3353)  où  il  est  question  d'une  invasion  Héthéenne 
en  Babylonie.  Ce  fut  cette  invasion  qui  dut  amener  vers  I9o0  la  chute 
de  la  dynastie  de  Hammourabi.)  p.  379.  —  E.  J.  Gilchrist  «  And  L knew 
him  not.  »  (Cette  déclaration  du  Baptiste  signifie  qu'il  ne  concevait  alors 
qu'imparfaitement  les  prérogatives  du  Messie  Jésus.  Après  le  Baptême 
seulement  il  vil  en  lui  le  Fils  de  Dieu  et  l'Agneau  chargé  des  péchés  du 
monde.)  pp.  379-380.  =  Juin.  —  H.  A.  A.  Kennedv,  7'he  Self-Conscious- 
nrss  of  Jésus  and  the  Servant  ofthe  Lord  (suite).  Relève  l'application  à 
Jésus  des  oracles  du  Serviteur  de  Jahvé  dans  les  Actes  et  les  Épitres  de 
S.  Paul,  puis,  dans  les  Évangiles,  signale  Matt.  viii,  16-17.  Il  est  remar- 
quable que  l'interprétation  messianique  de  ces  oracles  fut  familière  de 
très  bonne  heure  aux  disciples  de  Jésus  tandis  que  les  Juifs,  à  la  même 
époque,  n'avaient  point  coutume  de  les  entendre  du  Messie.  L'interpré- 
tation chrétienne  doit  remonter  à  Jésus  lui-même.)  pp.  394-397.  — 
A.  H.  Sayce.  The  Archaeology  of  the  Book  of  Genesis.  (Notes  archéolo- 
giques sur  Gen.  ii,  4-iii.)  pp.  423-426. 

HARVARD  THEOLOGICAL  REVIEW  (THE).  2.—  F.  B.  Jevons.  Hellenism 
and  Christianitij.  (Entreprend  d'analyser  le  fait  historique  de  la  diffu- 
sion universelle  du  Christianisme.  L'idée  morale  et  religieuse  est 
apparue  au  sein  du  groupe  social  ;  le  culte  s'est  développé  en  extension 
eten  complexité,à  mesure  que  le  groupe  social  devenait  plus  compréhensif. 
L'empire  romain  avait  réuni  le  monde  d'alors  en  une  vaste  communauté 
politique  à  laquelle  l'hellénisme  avait  donné  une  culture  commune. 
D'autre  part  l'individualisme  religieux  s'était  développé. Le  christianisme, 
à  la  fois  religion  universelle  et  individuelle,  était  supérieurement 
harmonisé  à  cet  état  de  choses.)  pp.  16'J-l8S.  —  B.  A.  G.  Fuller. 
Ethxcal  Monism  and  ihe  Problem  of  Evil.  (Critique  comme  inadmissible 
la  doctrine  Néo-Hégélienne  qui  fait  de  l'existence  du  mal  la  condition 


638         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

sine  quà  non  de  celle  du  bien.  Cela  ne  se  peut  soutenir  en  ce  qui  con- 
cerne le  mal  moral  et  les  analogies  aussi  bien  que  les  expériences  que 
l'on  apporte  en  faveur  de  cette  thèse  ne  sont  point  à  la  question  ou  sont 
mal  interprétées.)  pp.  207-222. 

HIBBERT  JOURNAL  (THE).  Avril.—  Mgr  J.  S.  Vaughan.  The  Calholic 
Church  :  W'hal  is  il  ?  (A  propos  d'un  article  publié  sous  ce  titre  par 
l'évêque  anglican  de  Carlisle  dans  le  Numéro  de  janvier.  Établit  que 
Tunité  et  spécialement  l'unité  doctrinale  est  un  attribut  essentiel  de 
l'Église  du  Christ  et  que  seule  l'Église  catholique  romaine  le  possède.) 
pp.  o49-,j62.  —  Sir  0.  Lodgi:.  71ie  Immorfalil)/  of  ihe  Soûl.  IL  The 
Permanence  of  Personnalilij.  (Si  seule  l'enveloppe  corporelle  des  choses 
est  sujette  au  changement  et  si  leur  essence,  leur  réalité  intrinsèque, 
leur  âme  est  permanente,  il  est  évident  que  les  éléments  qui  constituent 
la  personnalité  humaine  sont  destinés  à  une  existence  perpétuelle.  Si, 
parmi  les  acquisitions  de  l'univers,  rien  ne  périt  de  ce  qui  mérite 
d'exister,  la  personnalité  humaine  ne  peut  disparaître.  La  survivance 
individuelle  trouve  une  confirmation  en  un  certain  nombre  d'observations 
et  d'expériences  qui  sont  présentées  squs  les  titres  suivants  :  Expression 
de  la  pensée  en  termes  de  mouvement  ;  Argument  tiré  de  la  télépathie  ; 
Arguments  tirés  de  la  psychologie  préternormale  ;  Argument  tiré  de 
l'automatisme;  Faculté  subliminale;  Argument  tiré  du  génie;  Argu- 
ment tiré  de  la  pathologie  mentale.)  pp.  o63-.j85.  —  K.  B.  Mac  Gilvary. 
Bvilish  Exponents  of  Pragmalhm.  (Partant  des  diverses  définitions  du 
Pragmatisme  données  par  ses  représentants  attitrés,  s'attache  à  montrer 
qu'il  y  a  en  Angleterre  beaucoup  plus  de  pragmatistes  véritables  et 
d'esprit  pragmaliste  que  ne  le  prétend  le  D"^  Schiller.)  pp.  032-633.  — 
F.  J.  C.  Hearnsuaw.  Law.  (Signale  les  équivoques  qui  résultent  dans 
l'emploi  de  ce  terme  de  sa  double  signification  :  pour  le  jurisconsulte,  il 
s'entend  d'un  ordre,  d'un  commandement;  pour  le  savani,  il  s'entend 
d'une  généralisation  et  représente  une  conception  générale.  Les  deux 
sens  coexistent  dans  la  terminologie  des  sciences  morales.)  pp.  654-669. 

INTERPRETER  THE).  AvriL  —  S.  R.  Driver.  A  Light  to  Ihe  Genliles. 
(Montre  comment  la  prophétie  d'haie,  xlix,  6,  qu'il  entend  de  l'Israël 
idéal,  s'est  réalisée,  pour  sa  première  partie,  par  le  retour  en  Palestine 
de  la  portion  la  plus  fidèle  d'Israël,  et,  pour  sa  seconde  partie,  en  Jésus- 
Christ  et  en  son  envoyé  S.  Paul.)  pp.  245-2.52.  —  S.  A.  Peake.  Dr.  Orr 
on  liiblical  Criticism.  (Critique  l'ouvrage  du  Dr.  Orr,  Problem  of  the 
Old  Testament,  et  divers  articles  du  même.  Estime  que  le  Dr.  Orr  n'ex- 
pose pas  d'une  manière  suffisamment  objective  et  équitable  les  vues 
qu'il  combat  et  s'étonne  qu'il  paraisse  croire  qu'en  ébranlant  les  théories 
récentes  il  renforce  l'autorité  des  opinions  anciennes.  Conteste  que  les 
théories  critiques  soient  liées  de  soi  et  chez  tous  les  biblistes  à  des  con- 
ceptions rationalistes.)  pp.  233-268.  —  G.  Bladon.  The  Synoptic 
Problem  and  lieceni  Lilerature.  (Expose  l'état  du  problème  synoptique 
d'après  les  publications  de  Wright,  Hawkin,  Abbott,  Burkitt,  Harnack. 
La  solution  doit  en  être  demandée  à  une  étude  simultanée  des  sources 
et  du  milieu  ecclésiastique  primitif.)  pp.  290-302.  —  S.  A.  P.  Kermode. 


RECENSION     DIÎS     REVUES  639 

The  Influence  of  Naiure  on  the  Lileralure  of  Ihe  Dible.  (Éludie  rinfluence 
de  la  monlagiie  sur  la  lillérature  hébraïque.  La  montagne  apparaît 
surtout  aux  Hébreux  comme  un  objet  peu  aimable,  effrayant  même,  et 
ensuite  comme  un  endroit  plus  prociie  de  Dieu.)  pp.  315-329. 

IRISH  THEOLOGIGAL  QUARTERLY  (THE).  Avril.— W.  IvmE^.Cehus, 
«  The  Voltaire  of  Ihe  Second  Ceniurij  ».  (Notes  biographiques  sur  Celse  et 
analyse  de  son  traité  :  'AArfirii  )^6yo;.)  pp.  137-150.  —  J.  Mac  Rory.  Jlie 
Aulhorship  of  Ihe  Fourlh  Gospel  :  Inlernal  Evidence.  (Trois  passages 
du  IV  Évangile,  i,  14  ;  xix,  33;  xxi,  24  exigent  positivement,  comme 
auteur  du  livre,  un  apôtre  ou  du  moins  un  témoin  oculaire.  Bon  nombre 
d'indices  suggèrent  en  outre  que  l'auteur  était  un  Juif  parlant  araméen 
et  à  qui  la  Palestine  était  familière,  un  témoin  oculaire,  un  apôtre  et 
finalement  Jean,  tils  de  Zébédée.)  pp.  151-171.  —  J.  M.  Harty.  The  Li- 
ving  \\  âge  :  A  Heply.  (Réponse  aux  critiques  du  D''  Mac  Donald.  Main- 
tient que  sa  théorie  du  droit  au  salaire  suffisant  pour  vivre  et  des  bases 
morales  de  ce  droit  est  celle  même  de  l'Encyclique  Herum  Novarum. 
Examine  les  difïicultés  élevées  par  robjeclant  contre  cette  théorie. 
Expose  que  le  R  Mac  Donald  a  mal  compris  la  raison  sur  laquelle  il 
s'appuie  pour  aiïirmer  que  l'acheteur  est  obligé  de  payer  les  marchan- 
dises un  prix  tel  que  l'employeur  puisse  donner  à  ses  ouvriers  le  salaire 
en  question.)  pp.  172-183.  —  P.  Boylan.  Nejo  Dates  in  Oriental  Historij. 
(Exposé  des  résultats  obtenus  en  matière  de  chronologie  babylonienne 
en  tant  surtout  qu'ils  éclairent  l'histoire  d'Abraham.)  pp.  18G-208. 

JAHRBUGH  FUR  PHILOSOPHIE  UND  SPEKULATIVE  THEOLOGIE,  4. 

—  D''  M.Glossner./V(>  Spiele  der  7'(>/'e. (Analyse  d'une  étude  de  K.Groos 
sur  les  jeux  des  animaux.  Il  résulte  de  cette  étude  que  l'animal  ne  peut 
être  conçu  comme  un  pur  mécanisme,  ainsi  que  le  voulait  l'école  de 
Descartes,  ni  comme  un  être  en  voie  d'humanisation,  comme  le  veulent 
les  panthéistes  qui  voient  dans  l'animal  l'esprit  encore  captif  dans 
les  liens  des  sens.  L'étude  de  Groos  témoigne  hautement  en  faveur 
de  la  conception  téléologique  de  la  nature.)  pp.  42G-431.  —  P.  Jos.  Leo- 
NISSA,  0.  M.  Cap.  Verursachung  des  Uehels.  Die  Vorsehung  und  das  Ver- 
langens  des  Uehels.  (Explique,  à  l'aide  du  Commentaire  de  saint  Thomas, 
la  doctrine  de  l'Aréopagite  :  le  mal  n'est  pas  premier  principe  ;  il  a  une 
cause.  Le  bien  est  la  cause  du  mal,  non  pas  d'une  manière  directe, 
mais  en  raison  de  certains  défauts  qui,  par  accident,  sont  veims  se 
joindre  au  bien.  La  cause  du  mal  n'est  pas  unique,  elle  est  multiple.  Ces 
causes  ne  sont  pas  des  facultés;  l'impuissance,  l'irrégularité, le  désordre, 
telles  sont  les  causes  du  mal.  —  La  Pr(>vidence  ne  cause  pas  le  mal,  mais 
elle  le  fait  rentrer  dans  ses  plans  et  ne  doit  pas  l'empêcher  tout  à  fait. 
Le  mal  peut  exister  dans  le  désir  ;  il  peut  aussi  exister  dans  la  connais- 
sance ;  dans  l'un  et  l'autre  cas,  il  relève  d'une  impuissance  de  la 
faculté.  Cependant  le  secours  divin  enlève  cette  faiblesse  et  donne  les 
forces  nécessaires  pour  faire  le  bien.)  pp. 431-452. —  P.  Joseph  aSimritu 
Sancto,  0.  C.  D.  Die  Kon lemplationsarten  nach  der  Lehre  des  hl.  Ber- 
nard. (Critique  du  dernier  chapitre  de  l'ouvrage  du  D"^  Ries  :  Das  geisll. 
Leben  in  seinen  E titwickelungsstuf en   nuch  der  Lehre  des  hl.  Bernard, 


640         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÈOLOGIQUES 

i 906.  C'est  à  tort  que  Tauteur  a  voulu  trouver  chez  saint  Bernard  un 
concept  générique  de  contemplation.  Saint  Bernard  ignore  absolument 
deux  espèces  de  contemplation,  la  contemplation  acquise  et  la  contem- 
plation infuse.  Pour  lui  comme  pour  les  anciens  il  n'y  a  qu'une  espèce 
de  vraie  contemplation,  la  contemplation  infuse.)  pp.  433-466.  — 
Fr.  H.  Amschl,  0.  Pr.  Ein  angeblich  zugunslen  der  nnbeflecklen  Empfàn- 
gnis  lautendev  Text  des  hl.  Thomas,  III,  qu.  21 ,  a.  3  ad  3"'  (Contraire- 
ment aux  explications  du  D""  G.  Schneider  et  du  P.  Jos.  a  Leonissa,  ce 
texte  ne  prouve  aucunement  en  faveur  de  l'Immaculée  Conception.)  pp. 
467-470. —  P.W.  ScHLOSSiNGER,  0.  Pr.  Die  Erkenntnis  der  Engel  (2®  art.). 
(Les  anges  connaissent  les  objets  extrinsèques  à  leur  essence  par  des 
formes  infuses  et  non  par  abstraction  ;  l'ange  connaît  ainsi  les  choses 
dans  leurs  éléments  essentiels  et  propres  et  non  pas  d'une  manière 
universelle.  Les  formes  sont  moins  nombreuses  selon  que  l'ange  est 
plus  parfait,  mais  elles  sont  d'autant  plus  compréhensives.  3.  Objet  de 
la  connaissance  angélique.  Objets  immatériels.  Ce  sont  :  leur  propre 
nature,  les  natures  des  autres  anges,  Dieu.  L'ange  se  connaît  soi-même 
par  sa  propre  substance,  sans  autre  forme  infuse  ;  de  la  même  manière 
il  connaît  les  facultés  qui  dérivent  de  cette  substance:  son  intelligence, 
sa  volonté.  11  connaît  les  autres  anges  par  une  forme  infuse.  L'ange 
supérieur  connaît  l'ange  inférieur  d'une  manière  compréhensive  ; 
l'ange  inférieur  ne  connaît  pas  ainsi  celui  qui  lui  est  supérieur.) 
pp.  492-319. 

JOURNAL  (THE  OF  PHILOSOPHY,  PSYCHOLOGY  AND  SCIENTIFIG 
METHODS.  16Janv.  —  A.  0.  Lovejuy.  The  Thirleen  Pragmalisms.  II. 
(Achève  de  distinguer  les  principales  variétés  de  pragmatismes  en  se 
basant  sur  la  nature  différente  des  critériums  de  la  vérité  proposés  dans 
les  diverses  théories.)  pp.  29-39.  —  Discussion.  George  P.  Adams.  Sub 
Specie  j^ternitntis.  (Bien  que  l'expérience  présente  un  changement  con- 
tinu et  soulève  à  toute  époque  des  problèmes  nouveaux,  il  ne  s'ensuit 
pas  que  le  philosophe  ne  puisse,  tout  comme  l'homme  de  science, 
découvrir  des  vérités  éternelles  au  sujet  de  ces  faits  mouvants.)  pp. 
39-41.  —  Societies,  R.  S.  Woodwortu.  (Compte  rendu  de  la  séance  du 
23  novembre  1907  de  la  section  d'Anthropologie  et  de  Psychologie  de 
l'Académie  des  Sciences  de  New-York.)  pp.  41-44.  =  30  Janv.  — 
Archibald  B.  D.  Alexaxder.  Kuno  Fischer  :  An  Estimate  of  his  Life  and 
Work.  (Kuno  Fischer  se  rattachait  à  la  grande  école  idéaliste  allemande. 
L'importance  qu'il  attribuait  à  la  personnalité  des  penseurs,  sans  toute- 
fois négliger  l'étude  de  leur  milieu  littéraire  et  social,  l'amena  à  conce- 
voir l'histoire  de  la  pliilosopliie  comme  une  série  de  biographies.  Ce  fut 
un  véritable  orateur  joignant  un  vif  sentiment  de  la  beauté  au  souci  de 
l'exactitude  scientifique.)  pp.  37-64.  —  Mary  W.  Calkins.  Psychology  as 
Science  of  Self.  II.  The  Nature  of  the  Self.  (A  un  point  du  vue  pure- 
ment psychologique,  le  moi  se  distingue  des  idées  ou  des  fonctions  par 
sa  permanence,  sa  complexité,  son  unicité  et  sa  relativité.)  pp.  64-68. — 
Discussion.  Morton  Prince.  Professor  Pierce's  Version  of  the  laie  «  Sym- 
posium on  ihe  Subconscious  ».  (Contrairement  à  ce  qu'affirme  le  Prof. 
Pierce,  sans  compétence  en  la  matière,  M.  Pierre  Janet,  dans  sa  conlri- 


RECENSION     DES     REVUES  641 

bution  au  Symposium,  n'a  pas  rejeté  rinterprélation  psychologique  de 
certains  phénomènes  subconscients.    Relation  de   trois  expériences  à 
Fappui  de  la  théorie  des  idées  subconscientes.)  pp.  69-75.  =  27  Fév.  — 
MaryW.  Calkins.  Psychologxj  as  Science  of  Self.  III.  The  Description  of 
Consciousness.    (Présente  un  tableau  des  principaux  phénomènes  cons- 
cients, en  les  classant  en  réceptifs  ou  assert! fs  et  en    indiquant  leurs 
corrélatifs  physiologiques  et  biologiqnes.Développe  ou  corrige  certaines 
idées  précédemment  exposées.)  pp. 113-122. —  Discussion.  James  Bissett 
Pratt.  Truth   and  Mens.  (La  double  interprétation   pragmatiste  de  la 
vérité,  radicale  ou    modérée,  a   le  tort  de  confondre  une  idée  avec  un 
plan  d'action.  La  vérité  est  coextensive  au  jugement  et  non  à  Tinten- 
tiôn.)  pp.  122-l,'îl.=  12  Mars. —  Discussion.  B.  H.  Bode.  7'he  Pvoblem  of 
Objectivity.  (Certains   phénomènes,    comme  les  émotions,  s'opposent  à 
ce  que  l'on  considère  la  conscience  comme  séparable  de  son  objet.  Voir 
dan.s  le  moi  la  résultante  des  tensions  de  diverses  consciences  fragmen- 
taires,   c'est  rendre  impossible  l'unité  de  la  vie  consciente  et  dire  que 
notre  perception  contribue   à  la  nature  des  objets,  c'est  admettre  que 
l'apparence  est  la  réalité  et  que  l'erreur  est  impossible.)  pp.  loQ-157.  = 
26  Mars. —  John  E.Boom^. Consciousness  and  Reality.  I. Négative  Défini- 
tion of  Consciousness.  (La   conscience  n'est  ni  une  relation,  ni  le  prin- 
cipe immuable  de  tout  changement,  ni  une  forme  ou  un  produit  de 
l'énergie,  ni  un  nom  désignant   l'ensemble  des  faits  conscients,  ni  une 
réalité  dont  les  manifestations  soient  parallèles  aux  processus  énergé- 
tiques, ni  une   force  agissant  sur  eux  ;  c'est  un    élément  ultime,  non- 
énergétique.)  pp.  169-179.  —  William  James.   «  Truth  »  versus   «  Truth- 
fidness  »,    (Propose   d'appeler  vérité  complète  (truthfulness)    la  vérité 
d'une  proposition  établie  par  ses  conséquences,  pour  la  distinguer  delà 
vérité  pure  et  simple   (Irutli)   consistant  uniquement  dans  l'accord  abs- 
trait d'une  afïirmation  avec  un  fait.)  pp.  179-181.  —  Discussion.  Wendel 
T.  Bt'sn.  Provisional  and  Eternal   Truth.  (Aucune   théorie    particulière 
concernant  les   objets   de  l'expérience    ne   peut   être  érigée   en   vérité 
éternelle  ;  seules  les  relations  logiques  présentent  cette  immutabilité.) 
pp.  181-184.  =  9  Avr.   —  Charles  H.  Johnston.  Ribot's   Theory  of  the 
Passions.  (Analyse  et  apprécie  favorablement  VFssai  sur  les  Passions  de 
Ribot;  relève   cependant  le   changement,    injustifié  dans  une  certaine 
mesure,  d'une  distinction  quantitative  des  passions  en  distinction  quali- 
tative.) pp.  197-207.  —  Stevenson  Smith.    The   Threshold  of  Rectifïed 
Perception  as  a  Clinical  Test.  (Relation  d'une  expérience  sur  la  rapidité 
de  rectification  d'une  perception.)  pp.  207-208.   —  Discussion.  W.   P. 
MoNTAGUE.  Consciousness  and  Relativily.  A  Beply   to  Professor    Bode. 
(Déclare  ne  pas  voir  pourquoi  la  conscience,  indépendante   de  certains 
objets,  le  serait  de  tous  ;  note  trois  ressemblances  entre  l'énergie  poten- 
tielle et  la  sensation  ;  montre  que  le  moi  expliqué   par  un  système  de 
tensions  a  la  même  unité  que  celle  dont  témoigne  la  conscience,  et  que 
la  contribution  du  sujet  à  l'objet  n'implique  pas  que  celui-ci  soit  totale- 
ment indéterminé.)  pp.  209-212. —  Societies.  R.  S.  Woodwgrth.  (Compte 
rendu  de  la  séance  du  28  février  1908   de  la  Section  d'Anthropologie  et 
de  Psychologie  de  l'Académie  des  Sciences  de  New-York.)  pp.  212-216. 
=  23  Avr.  —  John  F.  Boodin.  Consciousness  and  Reality,  II.  Conscious- 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  3.  41 


642         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

ness  and  ils  Implications.  (La  conscience  n'a  aucune  intluence  causale 
sur  les  processus  énergétiques,  elle  ne  fait  que  les  rendre  significatifs 
et  capables  de  prendre  des  valeurs  diverses  dont  toutefois  la  gradation 
ne  dépend  pas  d'elle.  La  conscience  n'est  ni  individuelle,  ni  subjective  ; 
il  est  plus  facile  de  la  considérer  comme  une  constante  et  de  la  supposer 
partout,  sans  qu'elle  ait  partout  la  même  influence,  que  la  dériver  de 
phénomènes  inconscients.,  pp.  22S-234.  — R.W.  Sellars.  Consciousness 
and  Conservation.  (Ce  ne  sont  pas  les  éléments  qualitatifs,  la  conscience 
ou  l'organisation  qui  assurent  la  conservation  dans  l'univers;  seul  le 
quantitatif  se  perpétue.)  pp.  235-238. —  L.  Pe.\rl  Boggs.  7'he  Question.in 
the  Learning  Process.  (Amener  un  désaccord  dans  l'esprit  entre  les  idées 
qu'il  possède  ou  entre  ces  idées  et  les  choses, afin  de  lui  faire  sentir  la  né- 
cessité d'une  nouvelle  adaptation,  est  le  moyen  le  plus  efficace  d'exciter  le 
désir  d'apprendre  et  de  provoquer  l'effort.  Tel  est  le  rôle  de  la  question  en 
pédagogie.)  pp.239-244.  =  7  Mai. —  G.Albert  Coe.  /ieligious  Value. (La  va- 
leur religieuse  se  présente  tantôt  comme  partiellement  identique  à  toutes 
les  autres  valeurs,  tantôt  comme  leur  étant  transcendante  et  constituant 
leur  unité  idéale.  Dans  le  premier  cas  toutefois,  la  religion  n'existe  que 
si  chaque  valeur  particulière  tend  à  se  dépasser  et  à  s'harmoniser  avec 
les  autres.)  pp.  2o3-2o6.  —  Discussion.  C.  A.  ?)1^osg.  Pragmatism  audits 
Définition  of  Truth.  (La  définition  pragmatiste  de  la  vérité  n'est  valable 
que  pour  les  événements  futurs  et,  à  ce  point  de  vue,  le  pragmatisme 
n'ajoute  rien  à  l'empirisme.  La  connaissance,  ayant  pour  but  de  nous 
adapter  à  notre  milieu, doit  être  en  quelque  mesure  une  copie  des  objets.) 
pp.  256-264.  —  A.  H.  Pierce.  The  Sulconscious  Again.  (Maintient  le 
reproche  d'inconséquence  adressé  au  travail  du  professeur  Janet, réclame 
pour  le  psychologue  le  droit  de  critiquer  les  explications  psychologiques 
en  pathologie  et  expose  ses  doutes  relativement  aux  conclusions  que 
l'on  prétend  tirer  des  cas  d'automatisme.;  pp.  264-272.  =  21  Mai.  — 
TiiADDAEUs  L.  BoLTON.  A  Genctic  Study  of  Make-Believe.  (Le  pouvoir  de 
s'illusionner  semble  consister  dans  l'aptitude  à  concevoir  une  même 
chose  sous  des  formes  multiples  qui  en  font  autant  de  choses  différentes- 
Ce  qui  distingue  l'illusion  enfantine  de  la  variation  dans  la  conception 
d'un  même  objet  chez  l'adulte,  c'est  que  dans  le  premier  cas  le  change- 
ment a  lieu  sans  ordre  apparent,  tandis  que  dans  le  second  il  suit  une 
marche  méthodique.)  pp.  281-288.  —-Albert  Schi.nz.  Jules  de  Gaulliens 
Theory  of  the  Scientific  Principles  of  Ethics.  (Ce  qui  entretient  la  vie  et 
lui  donne  sa  raison  d'être  d'après  Jules  de  Gaultier,  c'est  la  lutte  contre 
l'hostilité  croissante  du  milieu  ;  l'adaptation  parfaite  serait  la  mort. 
Mais  dans  ce  cas,  la  vie  serait-elle  un  bien  et  pourquoi  devrions-nous 
l'accepter?)  pp.  288-293.— Z>/.sri/5SiO??.  Horace  M.  Kallex.  The  Pragmatic 
iXotion  of'Jlr,.  (Quoi  qu'en  dise  M.  Gifford,  on  peut  sans  contradiction 
regarder  la  réalité  première  (•j/.y;)comme  indéterminée  et  indéterminable. 
Pour  qu'une  chose  en  devienne  une  autre,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'elle 
soit  déjà  cette  chose  en  puissance.  Il  n'est  pas  prouvé  que  forme  et  con- 
tenu s'impliquent  réciproquement  et  que  la  réalité  première  soit  exclu- 
sivement psychique.)  pp.  293-297. 

BCIND.  Avr.  —  F.  H,  Bradley.  On  Memory  and  Judgmrni.  (Si  l'on  veut 


RECENSION     DES    REVUES  643 

échapper  au  scepticisme,  il  faut  reconnaître  que  le  jugement  le  plus 
récent,  le  jugement  fait  dans  l'instant  présent  est  toujours  tenu  pour 
infaillible  à  ce  moment,  et  que  la  mémoire  n'a  pas  de  valeur  indépen- 
dante. Ce  qui  constitue  l'unité  du  jugement,  c'est  le  développement 
continu  et  progressif  du  sujet  pour  l'esprit  qui  juge.  L'état  psycliique 
de  celui  qui  afïîrme  ne  doit  pas  être  considéré  comme  un  élément  inté- 
grant de  son  jugement.)  pp.  l.o3-l74.—  A.  H.  Lloyd.  Radical  Empiricism 
and  Agnosticism.  (L'empirisme  radical  ou  pragmatisme  ofFre  une  forme 
nouvelle  d'agnosticisme.  La  chose  en  soi  est  identifiée  avec  la  réalité 
présente  du  connaissable.  Cependant  la  distinction  entre  le  connaissable 
et  l'inconnaissable  demeure  vraie,  pourvu  que  ces  deux  domaines,  au 
lieu  de  s'exclure,  soient  regardés  comme  continus  et  immanents  l'un  à 
l'autre),  pp.  17Î5-192.  —  Mary  Hay  Wood.  Plato''s  Psychologij  in  ils  Bea- 
ring  on  the  Development  of  Will.  II  Conclusion.  (Suivant  Platon,  ce  qui 
fait  du  moi  un  tout  unifié  et  harmonisé,  c'est  la  faculté  d'abstraire  par 
laquelle  l'esprit  se  dégage  des  choses  sensibles  et  arrive  à  concevoir 
l'idée  du  bien,  but  suprême  du  désir  et  de  l'activité.  lia  volonté  de  l'indi- 
vidu ne  dépend  pas  seulement  de  la  volonté  sociale  pour  son  éducation, 
elle  lui  doit  encore  sa  nature  ;  d'autre  part  la  volonté  de  l'individu 
concourt  à  affermir  la  volonté  générale.)  pp.  193-213.  —  K.  J.  Spalding. 
On  the  Sphère  and  Limit  of  Aristotelian  Logic.  (La  base  réelle  bien 
qu'implicite  de  la  logique  aristotélicienne,  est  la  classification.  Ce  prin- 
cipe n'embrasse  pas  tout  le  domaine  de  la  logique.  Sous  sa  forme 
moderne  celle-ci  repose  sur  l'idée  de  relation  et  doit  se  développer 
d'une  manière  indépendante.)  pp.  214-223.  —  Discussions.  F.  H.  Bradley. 
On  the  Ambiguity  of  Pragmatism.  (Fait  ressortir  l'ambiguïté  de  la  notion 
de  «  pratique  »  chez  James  et  Dewey.)  pp.  226-237.  —  B.  Russell. 
Mr  Haldane  on  Infinitg.  (Relève  les  affirmations  inexactes  de  M.  Hal- 
dane  touchant  les  concepts  fondamentaux  du  Calcul  Différentiel  actuel.) 
pp.  238-242. 

MONTH  (THE).  Mai.  —  PL  Tiiurston.  The  Name  of  the  Rosarg  (à 
suivre).  (C'est  à  tort  que  l'on  a  voulu  faire  remonter  à  S.  Dominique 
lui-même  le  nom  de  «Rosaire».  Le  poème  latin  copié  en  1693  par  le 
P.  Benoist  aux  archives  de  Muret  ne  saurait  servir  d'appui  à  cette 
affirmation,  attendu  qu'il  ne  dit  rien  de  pareil.)  pp.  518-329.  =  Juin.  — 
H.  Thurston.  The  Name  of  the  Rosary  (fin).  (Ce  nom  de  Rosaire  semble 
avoir  été  attribué  au  «  Psautier  de  Notre-Dame  »  sous  l'influence  de 
légendes  Mariales  que  nous  trouvons  très  répandues  dès  le  XIII*  siècle, 
de  celle,  entre  autres,  qui  a  pour  héros  un  Cistercien  dont  les  30  Ave 
font  apparaître,  sur  le  front  de  la  Vierge,  une  couronne,  un  chapel  de 
roses.)  pp.  610-623. 

MUSÉON  (LE).  1.  —  Ed.  De  Jongue.  Étude  sur  les  sources  de  l'ethno- 
graphie congolaise.  (Critique  la  valeur  des  renseignements  ethnogra- 
phiques recueillis  sur  les  Congolais  par  les  fonctionnaires^  les  mission- 
naires et  les  voyageurs.)  pp.  1  2G.  —  L.  Gry.  La  composition  littéraire 
rfes  pa/'rtôo/es  rf'//e>îoc/i.  (Distingue,  d'une  manière  probable,  les  docu- 
ments qui  sont  entrés  dans  la  composition  des  ch.  XXXVII-LXXI  du 
livre  d'Hénoch  :  1°  Une  compilation  principale  puisée  à  trois  sources  : 


644         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

la  première  aurait  fourni  :  XXXIX  12-XLI  3  sqq.,  XLYI.  LU  1-5, 
LXl  1-3  ;  peut-être  aussi  XXXVIII,  XLY  1-3,  LYIII,  XLVIII  8  XLIX  ;  la 
seconde  :  LU  o-LIV  7,  LV  3-LYI  §,  LXII  3-LXIII  2...,  11  et  12  ;  la  troi- 
sième :  XXXIX  3-12,  XLYIII  1,  XLII  ;  2°  Un  livre  d'astronomie; 
XLl  3-9,  XLIII  1-3  ;  XLIY,  LIX  ;  3°  Un  certain  nombre  de  fragments 
noachiques  disséminés  dans  cette  partie  du  livre  ;  4°  enfin  peut-être 
«  d'autres  petits  fragments  qu'il  serait  impossible  et  superflu  de  chercher 
à  identifier  ».)  pp.  27-71.  —  E.  Blochet.  Éludes  sur  Vésotérisme  musul- 
man (suite-à  suivre).  (Traite  du  jeûne,  des  repas,  du  vêtement  et  du 
sommeil  chez  les  Soufis.)  pp.  85-102. 

NEW -YORK    REVIEW    (THE).   Janv.  -  Fév.  ;   Mars -Avril.    —    T. 

Gerrard.  Dichotomy  :  a  Studij  in  Newman  and  Aquinas.  (L'  «  lUative 
Sensé  >>  de  Newman  n'est  qu'une  application  de  la  théorie  thomiste  sur 
l'unité  substantielle  de  l'âme  humaine.)  pp.  381-390.  —  E.  Hanna.  llie 
Human  Knoîdedge  of  Christ.  (4^  article).  (Après  la  controverse  arienne, 
la  tradition  chrétienne,  orientale  et  occidentale,  tend  à  accorder  à  l'hu- 
manité du  Christ  la  connaissance  la  plus  parfaite  possible.  L'auteur  donne 
ensuite  un  résumé  général  de  tout  son  travail. 'l  pp.  391-400.  —  M.  Has- 
SETT.  Church  and  State  from  Julian  fo  Theodosius.  (Durant  celte  période, 
l'Église  d'Occident  sait  se  garder  de  l'ingérence  impériale.  En  Orient  au 
contraire  l'intervention  des  empereurs  dans  les  questions  de  foi  donne 
lieu  à  de  graves  excès.  Théodose,  sur  ce  point,  introduit  en  Orient  les 
coutumes  des  empereurs  occidentaux.)  pp.  401-417.  —  A.  Roussel. 
Sludies  in  Buddliism.  (2*^  article).  (La  vie  du  Bouddha,  ses  adversaires, 
son  enseignement.)  pp.  ■429-447.  —  Y.  Me  Xabb,  0.  P.  J'he  Gospel  Witt- 
ness  to  S.  Peter.  (Examine,  d'après  l'ordre  chronologique,  les  témoi- 
gnages évangéliques  relatifs  à  saint  Pierre.)  pp.  448-456.  —  G.  Calde- 
ROisi.  Relativism  and  Logic.  (Le  relativisme  moderne  contient  le  principe 
de  sa  propre  destruction.  Niant  la  valeur  objective  des  principes  de 
l'entendement,  il  enlève  toute  base  objective  aux  sciences  naturelles 
qu'il  voulait  conserver.  11  se  met  en  contradiction  avec  lui-même  quand 
il  se  donne  comme  un  système  philosophique  certain,  ou  qu'il  prétend 
maintenir  la  valeur  absolue  du  sentiment  moral,  social  et  religieux.) 
pp,  457-470.  —  G.  OussAM.  The  lirgin  Birth  of  Christ  :  Theorg  of 
Healhen  Mythological  Eléments.  (Critique  de  certaines  théories  récentes 
d'après  lesquelles  la  conception  virginale  du  Christ  serait  un  mythe 
emprunté  à  la  légende  d'Auguste  ou,  en  général,  au  paganisme  hellé- 
nique.) pp.  470-492.  —  L.  Dubois.  The  Franciscan  Movement  in  the 
Prolestant  and  Rationalistic  World.  (11  existe,  à  l'égard  de  S.  François 
d'Assise,  chez  les  non  catholiques  de  France,  d'Angleterre,  d'Allemagne 
et  d'Italie,  un  mouvement  de  sympathie.  Trois  causes  principales 
l'expliquent  :  La  personnalité  du  Saint,  son  rôle  dans  les  origines  de 
l'art  et  de  la  littérature  italiens,  et  enfin  la  mission  qu'on  lui  prête 
d'avoir  été  un  précurseur  de  la  Réforme,  un  apôtre  de  la  liberté  de 
conscience.  Les  résultats  provoqués  par  ce  retour  de  faveur,  en  littéra- 
ture, en  histoire  et  sur  le  domaine  moral,  compensent  les  critiques 
injustes  à  l'égard  du  catholicisme  dont  il  a  été  l'occasion.)  pp.  499-515. 
—  G.  OussANi.  71ie  Slorg  of  Assgro-Dabglonian  Explorations.  (Retrace 


RECENSION     DES     REVUES  645 

l'histoire  des  découvertes  en  Babylonie  et  en  Assyrie,  depuis  E.  Botta, 
1842,  jusqu'aux  dernières  expéditions  de  H.  Ressam,  1882.)  pp.  516-544. 

—  F.  GrTGOT.  Divorce  in  the  New  Testament.  (Commentaire  de  Mt. 
V,  31-32.  Au  V.  32,  Notre-Seigneur  défend  le  remariage  même  après 
un  divorce  légitimé  par  l'adultère  de  la  femme.)  pp.  545-560. 

QUESTIONS  ECCLÉSIASTIQUES  LES).  Mai.  —  J.  A.  Chollet.  La 
contribution  de  l'occultisme  à  V anthropologie.  (Beaucoup  de  phénomènes 
d'occultisme  sont  à  rejeter  pour  cause  de  fraudes,  ou  bien  ils  se  pro- 
duisent dans  de  mauvaises  conditions  d'observation  ou  d'expérimen- 
tation scientifique.)  pp.  385-402.  —  H.  Goujon.  Idée  synthétique  de  la 
théologie  surnaturelle.  (Établit  la  dépendance  de  la  théologie  vis-à-vis 
de  la  foi,  fixe  les  limites  de  la  science  Ihéologique.)  pp.  403-415.  — 
H.  QuiLLiET.  L'évolution  et  le  modernisme.  L'évolution  vitale  et  les 
sacrements.  (Expose  la  nature  et  l'origine  des  sacrements  selon  la  doc- 
trine catholique  et  selon  le  système  moderniste.)  pp.  416-444.   ^  Juin. 

—  J.  A.  Chollet.  La  contribution  de  l'occultisme  à  l'anthropologie. 
(Critique  de  l'anthropologie  spirite  et  de  la  théorie  des  radiations  psy- 
chiques.) pp.  4S1-492. 

RAZON  Y  FE.  Mai.  —  E.  Ùgarte  de  Ercilla.  El  modemismo  la  ruina 
de  la  filosofia.  (Se  propose  d'étudier  les  racines  et  les  fondements  de  la 
philosophie  moderniste  au  point  de  vue  logique.  Dans  cet  article 
étudie  le  criticisme  kantien,  le  symbolisme  et  le  phénoménisme,le  prag- 
matisme et  le  positivisme  métaphysique.)  pp.  43-58.  ==  Juin.  — 
A.  P.  GoYENA.  El  desenvolvimiento  dogmatico.  (Expose  le  dogmatisme 
de  Harnack,  l'évolutionisme  de  Sabatier,  le  symbolisme  de  Loisy,  le 
modalisme  de  Le  Roy.  Les  réfute  indirectement  en  expliquant  le  vrai 
développement  du  dogme  selon  la  doctrine  de  saint  Thomas,  IP  II'"', 
q.I,  art.  7.  Termine  par  quelques  mots  sur  le  modernisme  en  Espagne.) 
pp.  151-167. 

REVUE  AUGUSTINIENNE.  15  Avril.  —  M.  Démery.  La  conversion. 
(Expose  la  théorie  de  W.  James  sur  le  fait  religieux  et  le  rôle  du  sub- 
conscient dans  les  conversions.)  pp.  401-425.  —  S.  Protin.  La  théologie 
de  saint  Paul.  EÉvangile  de  saint  Paul.  (Reçu  de  Dieu  dune  manière 
unique,  adapté  aux  milieux  païens  avec  une  sagesse  tout  apostolique, 
l'Évangile  de  Paul  est  surtout  le  code  d'une  doctrine  universelle  que 
nul  n'a  encore  proclamée.)  pp.  426-442.  =  15  Mai.  —  R.  de  Chefdebien. 
La  «  Summa  Sententiarum  »  de  Hugues  de  Saint-  Victor.  (Énumère  les 
arguments  d'ordre  externe  en  faveur  de  l'attribution  de  cet  ouvrage  à 
Hugues  de  Saint-Victor,  montre  que  les  objections  du  R.  P.  Porlalié  ne 
sauraient  infirmer  cette  attribution.)  pp.  529-560.  =  15  Juin.  — 
Pn.  Mahtaln.  EÉglise  et  la  Papauté  au  Y®  siècle.  Saint  Victrice  à  Rome. 
(Raconte  comment  saint  Victrice  dut  plaider  auprès  du  Pape  Innocent 
la  cause  de  son  orthodoxie.)  pp.  657-666. 

REVUE  BÉNÉDICTINE.  Avril.  —  D.  De  Bruyne.  Nouveaux  fragments 
des  Actes  de  Pierre,  de  Paul,  de  Jean,  d'André  et  de  l'Apocalypse  d'Élie. 
(Conservés  dans  un  apocryphe  intitulé  :   Epistola  Titi  diszipuJi  Pauli, 


646         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUKb 

et  transmis  dans  l'homéliaire  de  Burchard,  à  la  bibliothèque  de  Wurz- 
bourg.)  pp.  149-160.  —  G.  Morin.  Un  leclionnaire  mérovingien  avec 
fragments  du  texte  occidental  des  Actes.  (Manuscrit  de  la  bibliothèque 
de  Schlettstadt,  dont  les  textes  bibliques  seront  publiés  dans  le  pro- 
chain volume  des  Anecdota  Maredsolana.)  pp.  161-166.  —  A.  Wilmart. 
Les  «  Fragments  historiques  »  et  le  synode  de  Béziers  de  356.  (La  rela- 
tion des  «  fragments  historiques  »,  restes  d'un  libelle  composé  par  S. 
Hilaire,  avec  le  concile  de  Béziers,  est  manifestée  par  divers  textes, 
surtout  si  l'on  admet  une  conjecture  de  critique  textuelle  proposée  par 
Mgr  Duchesne.)  pp.  225-229.  —  G.  Morin.  Deux  débris  inaperçus  d'un 
ouvrage  perdu  de  saisit  Jérôme  dans  les  «  Anecdota  Maredsolana  ».  (Deux 
des  Traclatus  de  S.  Jérôme  (sur  les  Ps.  x  et  xv)  seraient  les  restes  de 
l'ouvrage  perdu  de  ce  Père  sur  les  Ps.  x-xvii.)  pp.  229-231. 

REVUE  BIBLIQUE.  Avril.  —  A.  Condamin,  S.  J.  Le  serviteur  de  Jahvé. 
(Les  Poèmes  du  serviteur  de  Jahvé  peuvent  fort  bien  être  du  même 
auteur  que  le  livre  où  ils  figurent.  Le  poème  47,  1-9  se  trouvait  origi- 
nairement après  49,  7.  L'ordre  primitif  rétabli,  le  contexte  lui-même 
devient  favorable  à  l'interprétation  individualiste.)  pp.  162-181.  — 
H.  Vincent,  0.  P.  La  troisième  enceinte  de  Jérusalem  (à  suivre).  (Ré- 
tlexions  sur  quelques  publications  récentes  relatives  au  tracé  de  la 
troisième  enceinte.  Annonce  le  dessein  de  demander  l'éclaircissement 
de  ce  difficile  problème  à  l'étude  combinée  des  textes  et  des  données 
archéologiques.  Commence  par  l'examen  des  textes  qui  se  trouvent 
presque  tous  dans  les  derniers  livres  de  la  Guerre  juive  de  Josèphe.) 
pp.  182-204.  —  P.  Dhorme,  0.  P.  Hammourabi-Amrajphel.  (Deux  des 
noms  de  rois  qui  se  lisent  Gen.  XLV,  ont  été  trouvés  jusqu'ici  dans  les 
documents  cunéiformes  :  Amraphel==  Hammourabi  ;  Âriôk  =  Rim-aku  = 
Rim-Sin  ;  quant  à  Kedor-Laomer,  il  suppose  le  nom  élamite  Kudur- 
Lagamar  qui  est  très  vraisemblable.  Les  événements  rapportés  dans  la 
Genèse  entrent  très  bien  dans  l'histoire  élamile-babylonienne.  La  dy- 
nastie hammourabienne  est  d'origine  arabe.  Les  noms  que  portent 
Abraham  elles  siens  sont,  ou  de  purs  noms  babyloniens,  ou  des  noms 
ouest-sémitiques  retrouvés  en  Babylonie.  La  famille  d'Abraham 
pourrait  avoir  émigré  d'Our  à  Harran  à  l'occasion  de  la  prise  d'Our  par 
le  père  de  Hammourabi.  La  campagne  des  rois  aurait  eu  lieu  vers  2010.) 
pp.  205-226.  —  A.  Fabre.  L'étoile  du  matin  dans  l'Apocalypse.  (L'étoile 
du  matin  intervient  dans  l'Apocalypse  comme  symbole  de  puissance 
et  de  domination.  Elle  avait  déjà  ce  caractère  dans  le  culte  assyro-bàby- 
lonien  de  l'Ichtar  guerrière  et  dans  le  culte  arabe  d'Atlilar.  Dans 
haïe,  XIV,  12,  m,ême  sens.)  pp.  227-240.  —  A.  Jaussen  et  R.  Savignac. 
Nouvelles  inscriptions  de  Hégra.  (Donnent  le  texte  d'une  inscription 
déjà  copiée  par  Huber  mais  d'une  manière  très  imparfaite,  et  y  ajoutent 
un  commentaire  philologique.  L'inscription  paraît  être  de  l'an  267  de 
notre  ère.  Publient  ensuite  avec  des  gloses  deux  graffîtes  importants 
pour  l'histoire  de  l'Arabie.)  pp.  241-250. —  L.  Mariés,  S.  J.  Remarques  sur 
la  forme  poétique  du  livre  de  la  Sagesse  (i,l-ix,17}.  (Les  ch.  i,l-ix,  17 
de  la  Sagesse  forment  trois  poèmes  i,l-iii,  12  ;  m,  13- vi,  11  ;  vi,  l2-ix, 
17,  groupés  selon  la  formule  :    strophe,  antistrophe,    strophe  finale  et 


RECENSION     DES     REVUES  G47 

unique.  Celle  étude  confirme  que  l'unité  métrique  dans  la  poésie  hé- 
braïque est  le  vers  et  non  le  stique.)  pp.  25l-2o7.  — M.  J.  Lagrange, 
0.  P.  Les  Fouilles  d'Éléphanline.  (Notes  sur  les  fouilles  poursuivies 
par  M.  Clermont-Ganneau  et  aperçu  des  résultats  obtenus.)  pp.  260-267. 

REVUE  CATHOLIQUE  DES  ÉGLISES.  Avril.  -  L.  Cristiam.  La 
notion  d'Église  dans  saint  Ignace  d'Antioche.  («  Les  lettres  de  saint 
Ignace  nous  présentent  un  tableau  très  suffisamment  net  de  la  consti- 
tution de  l'Église  au  début  du  second  siècle...  L'Église  orthodoxe  est 
fortement  groupée  autour  de  ses  chefs,  centres  naturels  de  l'unité 
catholique.  De  toute  évidence,  Ignace  prêche  le  resserrement  de  la 
discipline,  mais  il  ne  crée  pas,  il  n'invente  pas  la  hiérarchie  à  trois 
degrés  qu'il  veut  si  parfaitement  obéie  ;  il  la  constate  comme  un  fait 
«  incontesté  et  traditionnel  ».  L'Église  apparaît  ainsi  comme  une  vaste 
monarchie  dont  le  centre  est  au  cenire  même  de  l'Empire.  »)  pp.  193- 
206. 

REVUE  DU  CLERGÉ  FRANÇAIS.  1'^  Avril.  —  P.  Godet.  Un  apologiste 
contemporain.  Hermann  Schell.  (Retrace  la  vie,  l'œuvre,  l'infinence  de 
l'ypologiste  allemand.)  pp.  5-30.  —  F.  Dubois.  L'exégèse  biblique  et 
l'Église.  (Une  exégèse  critique  et  scientifique  de  la  Bible  demeure 
possible  en  face  des  exigences  de  l'Église.)  pp.  31-43.  :=  15  Avr.  — 
J.  Bricout.  Le  développement  du  dogme.  (Les  dogmes,  énoncés  infaillibles 
de  vérités  révélées  par  Dieu  et  proposées  à  notre  foi  par  l'Église  assis- 
tée de  Dieu,  sont  immuables,  et  leur  immutabilité  nous  est  garantie  par 
l'autorité  divine.  Or,  le  développement  dogmatique,  tel  que  le  conçoi- 
vent les  modernistes,  est  incompatible  avec  cette  immutabilité  et  c'est 
pourquoi  il  est  à  rejelèr  sans  hésitation  ni  réserve.)  pp.  129-149.  = 
i^^  Mai.  —  E.  Vacandard.  Le  baptême  des  cloches.  («  Certains  abus 
s'étaient  glissés  au  XYI«  siècle  ou  même  plus  tôt  dans  le  cérémonial  de 
la  bénédiction  des  cloches.  Mais  les  réformateurs  qui  les  condamnaient 
les  ont,  à  coup  sûr,  fortement  exagérés.  Assimiler  d'une  façon  absolue 
la  bénédiction  des  cloches,  telle  qu'elle  se  pratiquait  officiellement  dans 
l'Église  romaine,  au  rite  baptismal,  est  une  absurdité.  »)  pp.  237-274.  = 
15  Mai.  —  A.  ViLLiEX.  Histoire  des  commandements  de  l'Eglise.  Cin- 
tjuième  commandement.  (Retrace  les  origines  historiques  des  Quatre- 
Temps,  des  Vigiles,  du  Carême.)  pp.  383-402.  =  1'=^'^  Juin.  —  P.  Pisam. 
La  Constitution  civile  du  Clergé.  (Conclusion  :  la  moitié  du  clergé 
paroissial,  le  tiers  du  clergé  tout  entier  de  France,  ont  adhéré  à  la 
Constitution  civile,  mais  avec  de  très  sérieuses  variations  locales.) 
pp.  513-334.  —  A.  BouDiNHOX.  Les  origines  de  V Elévation.  (Traduction 
d'un  article  du  R.  P.  Thurslon.  L'usage  d'élever  l'hostie  avant  la  consé- 
cration donna  naissance,  par  une  transition  insonsiblp,  à  l'usage  de 
montrer  l'hostie  après  la  consécration.'  pp.  .n3o-.Ti2. 

REVUE  D  HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE.  Avril.  —  J.  Flamiox.  L>'s 
Actes  apocryphes  de  Pierre  (à  suivre).  (Expose  les  résultats  des  travaux 
sur  cet  ouvrage  au  point  de  vue  de  la  critique  de  restitution  et  de  pro- 
venance^ du  caractère  doctrinal  et  historique.)  pp.  233-234.  — E.  Don- 
cœur.  S.  .1.    Lfs   premières  interventions    du  Saint-Siège  relatives  à  l'Im- 


648         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

maculée  Conception,  XIl-AIV"  siècle  (fin).  («  1.  La  fêle  est  encore 
vivement  combattue  en  1342  ;  —  2.  la  curie  l'autorise  cependant  de 
plus  en  plus  par  sa  bienveillance  ;  —  3.  les  Carmes  sont  alors  immacu- 
listes  puisqu'ils  invitent  à  parler  dans  leur  église  un  partisan'décidé  du 
privilège...  En  tout  cas,  la  curie  ne  donne  à  son  adliésion  à  la  fêle 
aucune  portée  dogmatique,  en  sorte  qu'aucun  parti  ne  puisse  s'en 
prévaloir.  »)  pp.  278-293. 

REVUE  DE  L'HISTOIRE  DES  RELIGIONS.  Janvier-Février.  —  Jean 

RÉVILLE.  Les  Origines  de  i Eucharislie  (3^  et  dernier  article).  (Réville 
résume  sous  vingt  et  un  chefs  les  résultats  obtenus  par  l'analyse  des 
documents,  de  l'an  50  environ  à  l'an  1.50.  Puis  il  critique  les  récits  des 
Synoptiques  sur  la  Cène  :  «  Sa  signification  et  sa  valeur  ne  résidaient 
pas  pour  eux  dans  son  caractère  spécifiquement  pascal,  mais  bien  plutôt 
dans  le  fait  qu'il  (ce  repas)  avait  été  le  dernier  repas  pris  par  Jésus  avec 
ses  apôtres  ».  Suit  un  «  essai  de  reconstitution  historique  de  la  Cène.  « 
Jésus  aurait  peut-être  dit  :  «  Voici  le  corps  de  notre  alliance,  »  «  Voici 
notre  corps  ».  (p.  33).  Genèse  et  première  évolution  de  l'Eucharistie: 
«  Le  repas  du  Seigneur  parmi  les  premiers  chrétiens  n'est  pas  autre 
chose  que  la  continuation  des  repas  que  les  disciples  prenaient  d'habi- 
tude avec  Jésus  et  oij.  Jésus  bénissait  le  pain  et  le  vin  et  rendait  grâces 
suivant  la  coutume  de  la  piété  juive.  »  Il  aurait  continué  sous  cette 
forme  dansles  communautés  syro-palesliniennes  dont  la  Z>it/ac/iè  nous  per- 
met de  reconstituer  l'image.  Mais,  dans  le  monde  hellénique,  l'évolution 
fut  tout  autre,  grâce  en  particulier  aux  spéculations  et  aux  révélations 
de  Paul,  qui  en  fait  une  commémoration  de  la  mort  du  Christ,  com- 
mandée par  Jésus  lui-même,  sans  voir  d'ailleurs  dans  le  pain  autre 
chose  que  le  symbole  du  Christ  mystique.  Pour  le  4®  Évangile  :  «  Le 
Logos  divin  s'incarne  d'une  façon  mystique  dans  le  pain  de  l'Eucharistie 
comme  il  s'est  incarné  dans  la  chair  de  l'homme-Jésus  ;  c'est  ainsi  que 
ce  pain  est  un  pain  de  vie  qui  nourrit  en  vie  éternelle  »,  une  élaboration 
théologique  alexandrine.  Comment,  de  ces  origines,  serait  sortie  la 
croyance  ecclésiastique,  l'Eucharistie  graduellement  devenant  une  obla- 
lion  que  pouvaient  seuls  présenter  les  prêtres,  et  l'oblalion  prenant  de 
plus  en  plus  le  caractère  d'un  sacrifice  de  consécration),  pp.  1-59.  — 
C.  Snouck  IIurgkonje.  L Arabie  et  les  Indes  néerlandaises,  (raduit  du 
hollandais  par  A.  H.  Van  Oppcijsen.  (L'unité  frappante  actuelle  des 
méthodes  d'enseignement  dans  le  monde  islamique,  du  Maghreb  à 
l'Extrême-Orient.  La  conversion  de  Sumatra  et  de  Java  date  du 
XIV^  siècle.  L'islamisme  avait  dii  être  importé  de  l'Inde,  comme  le  fait 
croire  le  caractère  audacieux  du  panthéisme  mystique  des  sentences 
attribuées  aux  anciens  saints  mulsulmans  de  Java.  Influence  aciuelle 
des  commerçants  arabes  venus  de  l'IIadramaout,  qui  repiésenlent  au 
contraire  une  orthodoxie  sévère,  et  surtout  du  pèlerinage  de  la  Mecque, 
dont  les  conditions  ont  été  tellement  facilitées  par  le  progrès  moderne 
aux  croyants  de  l'Indonésie)  pp.  GO-80.  —  A.  Moret.  Du  sacrifice  en 
Fgijpte.  (Le  culte  osirien  a  été  la  base  de  tous  les  autres  cultes  égyp- 
tiens; or  ses  premières  formes  semblent  s'inspirer  du  sacrifice  agraire, 
démembremeiil,  enterrement,  renaissance  de  l'Esprit  du  blé  ;  le  specta- 


RECENSION     DES     REVUES  '  649 

cie  de  la  renaissance  de  la  végétation  après  sa  mort  annuelle  a  amené 
l'homme  à  croire  à  la  possibilité  de  revivre  lui-même  après  sa  sépul- 
ture ;  et  «  il  a  fait  des  rites  du  culte  agraire  le  prélude  obligé  du  culte 
adressé  aux  dieux  et  aux  morts  »,  car  ce  culte  est  essentiellement  le 
même  chez  les  Égyptiens.  Comment  le  sacrifice  au  dieu  a  remplacé 
graduellement  le  sacrifice  du  dieu  ,-  comment  la  victime  humaine  ou 
animale,  d'ennemi  qu'elle  était  {hostia)  du  défunt  Osiris,  une  fois  que 
l'immolation  en  a  dégagé  l'âme,  qui  se  dirige  vers  le  monde  des  dieux, 
sert  de  véhicule  au  dieu  ou  au  défunt,  dont  l'âme  descendue  en  quelque 
sorte  sur  la  victime  sacrifiée,  et  confondue  avec  elle,  fait  de  la  sorte  son 
ascension.  Autorités  de  Frazer,  Hubert  et  Mauss,  Lefébure,  etc.)  pp.  81- 
101.  —  Mars-Avril. —  T.  Segerstedt.  Les  Asuras  dans  In  religion  védique 
(à  suivre).  (Les  Asuras,  dont  le  nom  implique  essentiellement  l'idée  de 
puissance  magique,  sont  des  dieux  des  populations  aborigènes  vaincues 
par  les  Aryas.  La  plupart  sont  descendus  peu  à  peu,  dans  les  Védas  pos- 
térieurs, au  rang  de  démons  et  d'ennemis  des  dieux,  mais  quelques-uns, 
comme  le  grand  Varuna,  Rudra,  Puschan,  les  Maruts,  ont  trouvé  place 
à  côté  des  Dévas  dans  le  panthéon.  Caractère  particulier  qu'ils  gardè- 
rent ;  rites  asuriens)  pp.  157-203. — E.  Amélineau.  La  Religion  égyp- 
tienne d'après  M.  Ad.  Erman.  (^Critique  très  sévère  du  manuel  d'Erman, 
et  de  la  traduction  française  par  Charles  Vidal.)  pp.  204-221.  --  F.  Ma- 
CLER.  Hebraica.  (Exposé  des  découvertes  de  Vépigraphie  hébraïque, 
depuis  de  Saulcy  et  de  Vogue  jusqu'aux  dernières  fouilles  en  Palestine  ; 
histoire  de  la  découverte  de  V Ecclésiastique  hébreu  ;  enfin  des  papyrus 
araméens  récemment  découverts  à  Êléphantine  et  à  Syène.  Traduction 
(pp.  229-232)  de  la  requête  adressée  en  408  avant  Jésus-Christ,  par  les 
Juifs  d'Éléphantine,  au  seigneur  Bagohi  (en  grec  Bagoas),  pour  obtenir 
l'autorisation  de  reconstruire  leur  temple  de  Yâhoù  (lahwé),  le  Seigneur 
du  ciel,  détruit  à  l'instigation  des  prêtres  de  Khnoub  ;  publié  par 
M.  Sachau  de  Berlin.)  pp.  222-235. 

REVUE  DE  L'INSTITUT  CATHOLIQUE  DE  PARIS.  Mai-Juin.  —  Ch. 
Huit.  Le  réveil  du  platonisme  en  France  au  commencement  du  xix*^  siècle 
(à  suivre).  (Influence  de  Platon  sur  Bonald,  J.  de  Maistre,  Ballanche, 
Joubert,  Chateaubriand.)  pp.  197-222. 

REVUE  DE  MÉTAPHYSIQUE  ET  DE  MORALE.  Mars.  —  V.  Bro- 
CHARD.  Le  Dieu  de  Spinoza.  (Analyse  des  deux  conceptions,  en  appa- 
rence opposées,  de  Dieu,  exposées  dans  ÏÉthique  et  le  Traité  théolo- 
gico-politique.  Comment  elles  se  concilient  par  la  manière  dont  Spinoza 
envisage  les  rapports  de  la  raison  et  de  la  foi.  — Influence  des  philo- 
sophes grecs  sur  Spinoza.)  pp.  12ii-163. —  K.  Mevmal.  Du  rôle  de  la 
logique  dans  la  formation  scientifique  du  droit.  (Sous  l'influence  de 
la  logique,  les  cullections  primitives  de  préceptes  isolés  font  place  à 
des  préceptes  plus  généraux  ;  de  prohibitifs  ceux-ci  deviennent  l'expres- 
sion d'un  droit  ;  puis  ils  s'organisent  en  systèmes.  Mais  dans  cette 
œuvre,  la  logique  n'est  qu'un  instrument  au  service  des  conceptions 
morales  et  sociales  d'un  peuple.  L'usage  de  cet  instrument  peut  engen- 
drer des  abus  graves,  car  il  fait  survivre  la  loi  à  sa  cause  vraie  et  l'isole 


65U         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

des  faits  :  mais  il  est  indispensable  à  l'esprit  humain  et  a  cet  avantage 
de  rendre  plus  difficiles  les  changements  brusques  et  inconsidérés.) 
pp.  164-189.  —  A.  Job.  La  méthode  en  chimie.  («  L'auteur  essaie  sim- 
plement de  définir  l'objet  de  la  chimie  et  les  moyens  mis  en  œuvre 
pour  l'atteindre.  La  division  du  sujet  est  la  suivante  :  1°  l'espèce  chi- 
mique, les  espèces  possibles  ;  2°  la  transformation  chimique,  les 
transformations  possibles.  »)  pp.  190-213.  —  H.  Torero.  La  Philosophie 
de  ]\'undt  (à  suivre).  (Étude  critique.)  pp.  214-243.  —  Discussions  : 
E.  BoREL.  Réponse  à  M.  Bergson,  pp.  244-245.  —  G.  Le  Box.  Réponse  à 
M.  Bonasse,  pp.  246-247.  =  Mai.  —  F.  Colo.n.na  d'Istria.  Bichat  et  la 
biologie  contemporaine.  (L'œuvre  de  Bichat  ;  sa  conception  de  la  vie  ; 
son  influence  sur  la  biologie  contemporaine.)  pp.  261-280.  —  J.  Mal- 
didier.  Les  caractéristiques  probables  de  l'image  vraie.  (Discussion  des 
difTérentes  théories,  données  depuis  Carnéade,  du  critérium  de  l'image 
vraie.  Solution  de  l'auteur  :  aucun  critère  immédiat  n'est  valable,  sinon 
d'une  manière  accessoire  ;  les  critères  vraiment  probants  doivent  être 
empruntés  à  la  connexion  et  à  la  résistance  des  images.)  pp.  281-320. 
—  M.  \\"iNTER.  Importance  philosophique  de  la  théorie  des  nombres. 
(L'auteur  se  propose  «  de  montrer  que  la  plupart  des  grandes  idées  qui 
ont  transformé  l'algèbre  et  l'analyse  :  le  nombre  imaginaire,  la  va- 
riable continue,  les  développements  en  séries  infinies,  la  notion  de 
groupe  ont  été  également  fécondes  en  arithmétique.  Cette  exposition 
établira.  d"abord,  la  parenté  intime  qui  unit  l'arithmétique  avec  l'al- 
gèbre et  l'analyse  ;  elle  montrera  ensuite  qu'aucun  domaine  de  la 
science  humaine  n'est  achevé  et  que  l'arithmétique  pure  elle-même, 
évolue  comme  les  autres  sciences.  »)  pp.  321-34.5.  —  Élude  critique  : 
H.  ?S0RER0.  Aa  Philosophie  de  ]]'undl  (suite).  (III.  Métaphysique. 
IV.  Beligion  et  intuition  esthétique.  — «  Wundt  a  eu  l'ambition  d'édifier 
un  système  encyclopédique  qui  fût  la  synthèse  originale  du  positivisme 
et  de  l'idéalisme.  Ce  système  peut  être  caractérisé  dans  ses  principaux 
aspects  comme  un  réalisme  critique,  un  idéalisme  humanitaire  et  un 
volontarisme  métaphysique.  Puisant  ses  matériaux  dans  toutes  les 
sciences  positives,  il  les  utilise  et  les  combine  à  l'aide  d'une  large  et 
solide  méthode  d'induction  rationnelle.  Il  rappelle  par  le  style  général 
de  son  architecture  le  grand  romantisme  philosophique,  mais  il  cherche 
à  reproduire  par  la  variété  des  lignes  l'infinie  complexité  de  l'évolution 
spirituelle.  >Opp-  346-371. 

REVUE  NÉO-SGOLASTIQUE.  Mai.  —  C.  Piat.  De  rintuilion  en  Ihéo- 
dicée.  (De  quelque  manière  qu'on  envisage  l'argument  ontologique,  le 
raisonnement  ne  conclut  pas,  car  on  ne  découvre  jamais  que  du  logique 
dans  ridée  de  Dieu.  Nous  ne  trouvons  pas  Dieu  dans  nos  idées  comme 
le  pensait  Malebranche,  nous  remontons  par  elles  jusqu'à  lui.  Dieu  est 
la  raison  suprême  des  possibles  ;  ils  se  fondent  sur  l'immutabilité  de 
son  essence.)  pp.  173-203.  —  G.  Sentroul.  La  vérité  dans  l'art.  (L'abs- 
traction qui  juge  le  réel  en  y  relevant  un  attribut  spécial,  la  conver- 
gence qui  y  met  en  valeur  l'attribut  relevé,  la  transcendance  qui 
porte  directement  sur  l'idéal  d'un  type,  permettent  et  condi- 
tionnent la  justesse  et  la  véracité  de  l'œuvre  qui   exprime  la  concep- 


RECENSION     DES     REVUES  651 

tion  artistique.)  pp.  204-230.  —  C.  Nys.  A  propos  du  composé  chimique. 
(Défend  contre  le  R.  P.  Gredt  la  thèse  de  l'hétérogénéité  du  mixte.) 
pp.  231-249.  —  A.  Gemelli.  Le  fondement  biologique  de  la  psychologie. 
(Les  progrès  et  les  perfectionnements  de  l'usage  de  l'expérience  en 
psychologie  ont  produit  le  phénomène  inverse  de  celui  qu'attendaient 
les  partisans  de  la  réduction  moniste  de  la  psychologie  à  la  biologie. 
L'introduction  de  l'expérience  en  psychologie,  au  lieu  d'arriver  à  infir- 
mer les  résultats  de  l'observation  interne  et  à  exclure  la  spéculation,  a 
montré  encore  mieux  la  nécessité  de  ces  deux  voies  pour  arriver  à  la 
connaissance  de  l'âme  humaine.)  pp.  250-277. 

REVUE  PHILOSOPHIQUE.  Avril.  —  D.  Parodi.  La  morale  des  idées- 
forces.  (Analyse  critique  du  livre  de  M.  Fouillée  :  La  morale  des  idées- 
forces.)  pp.  337-366.  —  A.  Chide.  Pragmatisme  et  intellectualisme.  (Passe 
en  revue  les  diverses  formes  du  pi'agmatisme.  Bien  que  né  d'une  réac- 
tion contre  l'intellectualisme,  le  pragmatisme  peut  être  inconséquent 
avec  lui-même  et  retourner  à  l'intellectualisme  en  restituant  de  la 
rationalité  dans  l'action  profonde  ;  mais  le  pragmatisme,  s'il  ne  peut  guère 
s'interdire  une  logification  illuminant  l'action,  doit  bien  spécifier  que 
cette  logification  —  quelle  qu'elle  soit  —  ne  répond  à  rien  dans  le  réel 
profond  :  elle  «  n'est  qu'un  compromis  avec  le  génie  mystérieux  de  la 
Mâyâ.  de  rillusion  idéaliste  qui  nous  permet  de  parler  et  aussi  d'agir 
dans  un  ensemble  harmonieux.  »)  pp.  367-388.  —  P.  Gaultier.  L'indé- 
pendance de  la  morale  (suite  et  fin).  (L'auteur  revendique  la  possibilité 
de  fonder  une  véritable  science  morale  à  partir  du  fait  de  la  moralité, 
positif,  évident,  donné  dans  l'expérience,  et  réfléchissant  la  loi  profonde 
delà  nature  humaine  cherchant  sa  perfection.  Science  véritable,  l'éthi- 
que n'en  est  pas  moins  une  science  à  part,  différant  des  autres  par  la 
nature  de  son  objet,  la  certitude  de  ses  conclusions  et  l'exigence  qu'elle 
a  d'être  confirmée  par  les  sciences  sociales,  biologiques  et  physiques.) 
pp.  389-409.  ~-  Mai.  —  Ch.  Lalo.  Les  sens  esthétiques  (P""  art.)  (Les  arts 
historiquement  organisés  ne  s'adressent  jamais  directement  qu'aux 
deux  seuls  sens  de  la  vue  et  de  l'ouïe  ;  mais  l'argumentation  consacrée 
dans  les  écoles  d'esthétique  à  justifier  le  privilège  de  ces  deux  sens 
n'est  pas  suffisante  :  elle  n'aboutit  qu'à  mettre  entre  ceux-ci  et  les  autres 
sens  une  différence  de  degrés  ;  d'autre  part  la  théorie  de  Guyau  niant  le 
caractère  spécifique  de  la  vue  et  de  l'ouïe  est  contraire  aux  faits  esthéti- 
ques.) pp.  449-470.  —  E,  Bréhier.  De  Vimoge  à  Vidée  :  Essai  sur  le 
mécanisme  psychologique  de  la  méthode  allégorique.  (La  méthode  allé- 
gorique prend  le  mythe  ouïe  récit  comme  la  donnée  provisoire  d'oii 
l'on  doit  partir  pour  aller  à  la  découverte  de  l'idée.  On  peut  distinguer 
deux  cas  limites  entre  lesquels  toutes  les  formes  de  la  pensée  allégori- 
santes  peuvent  se  ranger  :  a)  la  forme  confluente,  dans  laquelle  la 
pensée  interprétant  l'image  se  formule  d'une  façon  précise  et  définitive  ; 
b)  la  forme  diffluente,  dans  laquelle  l'image  est  donnée  spontanément  ; 
seulement  elle  se  cherche  à  elle-même  un  au-delà  de  pensée  qui  la 
complète,  et  cet  au-delà  ne  s'exprimant  pas  en  termes  clairs  et  abstraits 
reste  indécis  et  fuyant  parce  que  l'image,  complète  comme  image,  est 
incomplète  comme  pensée.)  pp.  471-482.  —  Bertrand  Mertens.  La  genèse 


652         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

psi/cholor/ique  de  la  conscience  morale.  (L'auteur  a  recherche  dans  la 
pathologie  l'origine  de  cette  évaluation  qu'on  appelle  morale.  »  La 
genèse  de  la  conscience  morale  est  due  «  à  un  fléchissement  de  cette 
suite  d'équilibres  appelée  santé  ».  La  morale  «  procède  d'une  diffusion 
des  fonctions  dans  le  métabolisme  général  de  l'organisme  >>.)  pp.  483-o02. 
=  Juin.  —  P.  SoLLiER  et  G.  Banville.  Passion  du  jeu  et  manie  du  jeu. 
(Le  jeu,  sous  ses  aspects  pathologiques,  «  se  montre  avant  tout  comme 
un  moyen  de  stimuler  l'activité  de  l'individu,  soit  directement  par  le  but 
à  atteindre  ou  le  réveil  de  l'émotivité,  soit  indirectement  en  supprimant 
les  causes  de  dépression  et  d'inertie...  Il  est  aussi  une  manière  de 
réaction  mentale  contre  les  causes  qui  tendaient  à  limiter  et  à  diminuer 
l'activité  du  sujet  ».)  pp.  562-576.  —  Ch.  Lalo.  Les  sens  esthétiques 
(2*=  art.)  (Les  sensations  esthétiques  ne  sont  pas  esthétiques  par  elles- 
mêmes  elles  le  sont  par  la  collaboration  du  sens  musculaire.  L'auteur 
étudie  le  rôle  du  sens  musculaire  dans  les  sensations  esthétiques.) 
pp.  377-598.  —  Sageret.  La  cu7'iosilé  scientifique.  (Définition  de  la 
curiosité  ;  étude  de  la  curiosité  sentimentale  et  de  la  curiosité  intellec- 
luelle  ;  esquisse  de  la  formation  et  de  l'évolution  de  la  curiosité  propre- 
ment scientifique.)  pp.  622-638. 

REVUE  DE  PHILOSOPHIE.  Avril.  —  J.  GAtihMR.  Fogazsaro  et  Rof- 
miui.  (La  vie  intellectuelle  et  morale  de  Fogazzaro  est  dominée  par  une 
certaine  interprétation  de  l'hypothèse  évolulionniste,  et  l'exphcation 
de  cette  hypothèse  s'est  révélée  à  son  intelligence  dans  la  philosophie 
de  Rosmini.  L'auteur  expose  et  critique  les  théories  philosophiques  de 
Rosmini  dont  Fogazzaro  s'est  inspiré.)  pp.  333-332.  —  L.-M.  Rillia. 
L'objet  de  la  Psychologie.  (Le  véritable  objet  de  la  psychologie  est  le 
vioi,  ou  l'âme.  Aucun  fait  interne  ne  peut  s'observer  qui  ne  soit  un  fait 
du  moi  :  aucun  ne  peut  se  concevoir  qu'à  la  condition  d'être  un  fait  du 
moi.)  pp.  353-371.  —  E.  Peillaube.  L'organisation  de  la  Mémoire.  III. 
L'évocation  des  souvenirs.  (Il  faut  distinguer  l'évucation  des  souvenirs 
passive  ou  automatique  et  l'évocation  des  souvenirs  active  qui  dépend 
de  l'attention  et  de  la  volonté.  Il  y  a  deux  sortes  d'amnésies  relatives  à 
l'évocation  des  souvenirs  :  l'obsession-interrogation  ou  folie  du  doute 
et  l'aphasie  amnésique.  L'auteur  étudie, les  conditions  générales  de  l'évo- 
cation volontaire  réfléchie.)  pp.  372-385.  —  P.  Duuem.  Le  mouvement 
absolu  et  le  mouvement  relatif  {6"  art.).  (XII.  Jean  de  Jandun.)  pp.  386- 
400.  =  Mai.  —  La  Directiox.  Programme  d'études  pour  le  problème  de 
la  connaissance.  {Exposé  schématique  des  questions  soulevées  par  ce 
problème  ;  importance  philosophique  de  celui-ci  ;  son  actualité  et  son 
opportunité.),  pp.  449-462.  —  .\bbé  J.  Martin.  Un  poète  philosophe. 
(Expose  et  analyse  les  principales  idées  philosophiques  de  Sully-Pru- 
dhomme.)  pp.  462-179.  —  P.  Duhem.  Le  mouvement  absolu  et  le  mouve- 
ment relatif  {-'^  art.)  (XIII.  Albert  de  Saxe.)  pp.  486-498.  —  G.  Dumes- 
NiL.  L œuvre  critique  de  M.  Pierre  Lasser re.  (Analyse  critique  des  ou- 
vrages de  M.  Pierre  Lasserre  :  La  morale  de  Nietzsche  (1903)  ;  Le  ro- 
mantisme français,  essai  sur  la  révolution  dans  les  sent'iments  et  les  idées, 
au  XlX^siède  ;  Les  idées  de  Nietzsche  sur  la  musique.)  pp.  499  509.  ^= 
Juin.  —  P.-J.  CucHE.  Le  procès   de   l'absolu   (i'^'    art.).    (Entreprend   de 


RECENSION     DES     REVUES  6ol^ 

reviser  le  procès  inlenté  à  Vabsolii  par  la  philosophie  moderne.  Dans 
ce  premier  article,  l'auteur  relève  la  confusion  et  la  contradiction  des 
sens  donnés  à  la  notion  d'absolu  par  les  savants  et  philosophes  ;  il 
énumère  les  principaux  absolus  ou  inconditionnés  sur  lesquels  porte  le 
débat  entre  le  spiritualisme  et  le  monisme.)  pp.  060-08].  — Georges 
AiMEL.  Individualisme  et  philosophie  bergsonienne.  («  Si  l'individualisme 
est  impliqué  déjà  dans  le  pragmatisme,  c'est  dans  la  psychologie  berg- 
sonienne  qu'il  trouve  sa  plus  complète  et  plus  précise  expression. 
L'auteur  de  V Essai  sur  les  données  par  sa  notion  de  la  durée  pure,  éta- 
blie par  lui,  rend  pleinement  intelligible  l'idée  de  ce  moi,  formant  un  tout 
fermé...  dont  l'action,  pourrait-on  dire,  n'est  qu'une  des  modalités.  ») 
pp.  382-593.  —  H.lvRBO.  Psychologie  de  l'Équilibre  du  Corps  humain. 
(l^""  art.)  Étudie  le  sentiment  de  l'équilibre,  la  conservation  de  l'équi- 
libre, les  excitations  périphériques  déterminantes  de  l'équilibre.) 
pp.  594-606.  —  P.  DuHEM.  Le  Mouvement  absolu  et  le  mouvement  relatif. 
(XIV.  L'École  de  Paris  ;  Marsile  d'inghen,  Pierre  d'Ailly,  Nicolas  de  Or- 
bellis,  Pierre  Tataret.  La  théorie  du  Lieu  dans  les  universités  alle- 
mandes :  Conrad  Summenhard,  Grégoire  Reisch,  Frédéric  Sunczel.) 
pp.  607-623. 

REVUE  PRATIQUE  D'APOLOGÉTIQUE.  1"  Avril  —  L.  de  Grand- 
maison.  Le  développement  du  dogme  chrétien.  (Expose  les  théories  du 
développement  chez  les  protestants  libéraux  :  Ad.  Harnack,  Aug.  Saba- 
lier  et  chez  les  catholiques  :  J.  de  Maistre,  Mœhler,  Gûnther,  Newman.) 
pp.  5-33.  —  E.  Mangeinot.  m.  Guignebert  et  le  Nouveau  Testament.  (Les 
difficultés  textuelles  énumérées  par  M.  Guignebert  sont  résolues  par  les 
critiques  de  profession,  et  l'établissement  du  texte  est  presque  entière- 
ment assuré  ;  la  discussion  ne  porte  plus  que  sur  un  petit  nombre  de 
passages.)  pp.  34-41.  =  15  Avril.  —  L.  de  Grandmaison.  le  développe- 
ment du  dogme  chrétien.  Expose  les  théories  du  développement  à  base 
scolastique  chez  Franzelin  et  à  base  non  scolastique  chez  MM.  Loisy, 
Tyrrell,  Maurice  Blondel.)  pp.  81-104.  —  E.  Maxgenot.  M.  Guignebert  et 
le  Nouveau  7'es/amen^  (Réfute  les  objections  de  M.  Guignebert  contre 
l'authenticité  des  livres  du  >'ouveau  Testament,  la  contradiction  des 
Évangiles,  leur  désaccord  doctrinal,  l'inerrance  du  Nouveau  Testament.) 
pp.  105-124.  =  1^'' Mai.  —  J.  V.  Bainvkl.  Un  essai  de  systématisation 
apologétique.  (Exposé  critique  de  l'ouvrage  du  P.  Gardeil  {La  Crédibi- 
lité et  r Apologétique.)  Pour  le  P.  Gardeil,  la  crédibilité  relative  repose 
sur  des  motifs  de  pure  probabilité  spéculative  auxquels  doivent  s'ajou- 
ter des  suppléances  subjectives  ;  pour  M.  Bainvel,  les  suppléances  sub- 
jectives ne  peuvent  renforcer  la  crédibilité  objective  ou  la  suppléer,  il 
faut  des  raisons  de  croire  valables  en  soi.)  pp.  161-181.  —  E.  Mangenot. 
J/.  Guignebert  et  le  Nouveau  Testament.  («  Ni  dogmes,  ni  rites,  ni 
Église,  concluait  M.  Guignebert,  telle  nous  paraissait  devoir  être  la 
conséquence  logique  de  ce  que  les  Évangiles  nous  laissent  entrevoir  du 
caractère  de  Jésus,  de  l'esprit  et  des  tendances  de  sa  doctrine  ».  Cette 
conclusion  n'est  pas  confirmée  par  un  examen  direct,  approfondi,  de 
tous  les  textes.  M.  Guignebert  n'a  pas  étudié  sérieusement  les  sujets 
qu'il  traite.  Sur  chacun  d'eux  il  a  lu  quelques  ouvrages  récents,  ceux  de 


654         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÊOLOGIQUES 

M,  Loisy,  de  M.  Jean  Réville  par  exemple,  qu'il  ne  s'assimile  même  pas^ 
à  qui  il  emprunte  un  petit  nombre  d'arguments  sans  toujours  les  bien 
comprendrH.)  pp.  181-203.  =  15  Mai.  —  J.  Lebretox.  L'Église  et  la 
Papauté,  d'après  M.  Guignebert.  (Réfute  l'erreur  de  M.  Guignebert 
prétendant  que  le  Christ  n'a  ni  voulu  ni  prévu  l'enseignement  dogma- 
tique de  l'Église,  ses  sacrements,  sa  hiérarchie  et  que  l'histoire  dément 
les  droits  de  la  papauté.)  pp.  241-268.  =  1"  Juin.  —  J.  Y.  Bainvel.  Un 
essai  de  systématisation  apologétique.  (Exposé  critique  des  idées  du 
R.  P.  Gardeil  sur  l'objet  de  l'Apologétique  et  la  Théologie  apologétique. 
Selon  M.  Bainvel  l'Apologétique  du  probable  ne  saurait  sans  cercle 
vicieux  recourir  à  la  foi  pour  engendrer  la  certitude.)  pp.  321-336.  — 
G.  Michelet.  Une  récente  théorie  française  sur  la  religion.  (Expose  la 
théorie  sociologique  de  la  religion,  esquisse  les  idées  maîtresses  des 
prédécesseurs  de  cette  théorie  :  A.  Comte,  Guyau,  Wundt.j  pp.  268-283 
et  337-346.  —  J.  Touzard.  M.  Guignebert  et  l Ancien  Testament.  (Signale 
les  erreurs  de  fait  de  M.  Guignebert  sur  le  Pentateuque.)  pp.  346  357. 
=  15  Juin.  —  L.  DE  Graxdmaisox.  Le  développement  du  dogme  chrétien. 
(Analyse  la  notion  de  dépôt  révélé,  et  prouve  l'immutabilité  du  dogme, 
par  les  textes  du  Nouveau  Testament,  le  témoignage  des  Pères  et  celui 
du  magistère  ecclésiastique.)  pp.  401-436. 

REVUE  (LA)  DES  SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES  ET  LA  SCIENCE 
CATHOLIQUE.  AvriL  —  L.  Grimal.  De  la  compensation  du  mal  par  le 
bien.  (Il  importe  à  la  gloire  de  Dieu  et  aussi  à  l'honneur  de  ses  créa- 
tures, qu'après  le  relèvement  des  coupables,  ceux-ci  purifiés  et  renou- 
velés puissent  faire  plus  de  bien  qu'ils  n'avaient  auparavant  fait  de  mal.) 
pp.  385-395.  —  Ch.  Gombault.  Le  sentiment  religieux  et  la  psijcho-phg- 
siologie.  (Dans  l'état  de  dédoublement,  si  un  dialogue  s'engage  entre  les 
deux  personnalités,  elles  se  parlent  comme  deux  inconnues.  Or  les  dia- 
logues de  sainte  Thérèse  sont  remarquables  par  leur  esprit  de  suite, 
leur  parfait  accord.)  pp.  396-406.  —  C.  Daux.  Saint  Augustin  et  le  Culte 
Mariai  en  Afrique.  (On  ne  trouve  chez  S.  Augustin  ni  traité  particulier, 
ni  ouvrage  spécial  sur  la  Vierge  Marie.  Néanmoins,  on  peut  extraire  de 
ses  œuvres  tout  le  dogme  mariai.  Cet  enseignement  est  renfermé  soit 
dans  les  instructions  aux  fidèles  d'Hippone,  de  Carthage  et  d'autres 
Églises  africaines,  soiL  dans  la  réfutation  des  hérésies  alors  répandues, 
soit  dans  les  solutions  qu'il  fournit  à  des  amis,  à  des  confidents.)  pp. 
407-422.  —  X.  Lévrier.  La  Pdque  juive  et  VEquinoxe  du  printemps.  (La 
Pàque  juive  devait  se  célébrer  après  l'équinoxe  du  printemps  tel  qu'il 
était  déterminé  alors  et  accepté  par  la  nation  juive.  Jésus  est  mort  le 
jour  légal  de  la  Pàque  juive,  le  xiv^  jour  de  la  lune  et  le  22  Mars.)  pp. 
423-444.  =Mai.  —  J.  Foxtaixe.  Sociologie  scientifique:  ses  conséquences. 
(Critique  l'état  actuel  du  triple  prolétariat  agricole,  industriel  et  intel- 
lectuel, créé  par  la  démocratie.)  pp.  473-512. — C.  Daux.  Saint  Augustin 
et  le  Culte  Mariai  en  Afrique.  (Recherche  dans  les  écrits  de  S.  Augustin 
les  principaux  textes  relatifs  à  la  Virginité,  au  Mariage,  à  la  Maternité 
virginale  de  Marie.)  pp.  513-528.  —  Cii.  Gombault.  Le  sentiment  reli- 
gieux et  la  psgcho-physiologie.  (L'état  d'âme  de  sainte  Thérèse  est  diffé- 
rent de  celui  des  automates,  l'hypothèse  de  l'automatisme  psycholo- 
gique ne  saurait  donc  expliquer  ses  états  mystiques.)  pp.  .529-541. 


RECENSION     DES     REVUES  6SS 

REVUE  THOMISTE.  Mars-Avril.  —  R.P.  Bonhomme.  Le  sens  biblique 
du  théologien.  [  Le  vrai  sens  biblique  du  Ihéologien  est  le  sens  lilléral. 
Seul  le  sens  littéral  exprime  en  directe  et  première  ligne  «  ce  que  Dieu 
a  dit  »  et  peut  en  conséquence  servir  de  base  à  un  argument  tliéoio- 
gique.)  pp.  5-30.  —  R.  P.  Hugon.  La  profession  religieuse  et  les  œuvres 
d'apostolat  et  de  charité.  (Faire  renoncer  un  profès  à  ses  vœux  sous  pré- 
texte de  l'appliquer  aux  œuvres  serait  profaner  une  âme  que  la  profes- 
sion a  consacrée,  diminuer  les  mérites  d'une  vie  que  la  profession  a 
orientée  vers  le  ciel, amoindrir  la  valeur  satisfactoire  d'un  sacrifice  dont 
la  profession  a  fait  un  holocauste.)  pp.  31-45.  —  Dom  Olivieri,  0.  S.  B. 
Priyicipium  qui  et  loquor  vobis.  (Rectifie  la  traduction  de  la  Vulgate  en 
donnant  à  rhv  àpyj,y  sa  signiftcation  primitive  de  prius,  antea,  in  prin- 
cipio.  On  obtient  alors  la  version  snisanie  :  Dixeral  eis  Jésus  antea  : 
quia  sane  loquor  vobis.)  pp.  46-o6.  —  R.P.  Montagne.  Théorie  de  Vaulo- 
matisme  conscient  :  L'homme  est-il  un  automate  à  reflet  mental  ?  (Incon- 
testable en  théorie,  la  loi  d'économie  et  de  simplicité  est  pratiquement 
dune  application  très  délicate  et  difficile.  Il  n'est  pas  facile  de  décou- 
vrir le  simple  sous  le  complexe.  Le  grand  point  est  de  rattacher  les 
phénomènes  à  leurs  vrais  déterminants  et  à  leurs  causes  proportionnées. 
C'est  ce  que  ne  font  pas  les  psychologues  qui  expliquent  les  faits  psy- 
chiques par  l'automatisme  organique.)  pp.  57-69.  =  Mai-Juin.  —  R.  P. 
PÈGUES.  L'évolution  créatrice.  (Expose  les  idées  essentielles  de  l'ouvrage 
de  M.  Bergson,  montre  que  parler  d'évolution  créatrice  pour  expliquer 
philosophiquement  toutes  choses,  exclure  l'être  transcendant  et  la  pro- 
duction par  cet  être  transcendant  de  l'être  auquel  s'oppose  le  non-être, 
pour  ne  poser  qu'un  élan  qui  se  poursuit  et  évolue,  c'est  nier  toute  rai- 
son et  se  vouer  aux  pires  erreurs),  pp.  135-163.  —  R.  P.  Garrigou-La- 
GRANGE.  Le  sens  commun,  la  philosophie  de  l'être  et  les  formules  dogma- 
tiques. (Le  sens  commun,  selon  M.  Le  Roy,  n'est  pas  une  philosophie 
rudimentaire,  mais  une  organisation  utilitaire  de  la  pensée  en  vue  de 
la  vie  pratique.  Gonséquemment,  les  formules  dogmatiques  devant 
s'interpréter  comme  écrites  en  termes  de  sens  commun  «  n'enveloppent 
qu'une  pensée  toute  pratique  elle-même.» — L'auteur  montre  dans  cette 
théorie  du  sens  commun  une  conséquence  rigoureuse  du  nominalisme 
ou  sensualisme  bergsonien,  qui  est  la  négation  de  la  raison  et  peut-être 
même  de  la  conscience.  Exposera  la  théorie  classique  ou  conceptua- 
lisle-réaliste  du  sens  commun  qui  voit  en  lui  une  philosophie  rudimen- 
taire de  l'être,  opposée  à  la  philosophie  du  phénomène  et  à  celle  du  de- 
venir.) pp.  164  186. 

RIVISTA  FILOSOFICA.  Mars-Avr.  —  B.  Varisco.  La  Creazione.  (Criti- 
que de  l'ouvrage  de  II.  Bergson  «  L'Évolution  Créatrice  ».  Ses  princi- 
pales thèses,  en  particulier  celles  qui  concernent  la  nature  de  l'intel- 
ligence, sont  déclarées  fausses.)  pp.  149-180.  —  N.  Forxelli.  //  nuovo 
individualismo  religioso.  (Suite  et  fin).  (La  difficulté  qu'éprouvent  les 
hommes  à  la  fois  croyants  et  initiés  aux  sciences  à  concilier  leur  foi  et 
leurs  idées,  les  amène  à  considérer  la  religion  comme  une  question 
personnelle  qui  ne  doit  pas  franchir  les  limites  de  la  conscience  indivi- 
duelle. Cet  individualisme,   qui  n'est  qu'un   affranchissement  légitime, 


()o6         REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

a  été  provoqué  par  la  pression  intense  exercée  par  un  pouvoir  spirituel 
fortement  centralisé.)  pp.  181-209.  —  A.  Levi.  La  Psicologia  délia  espe- 
rienza  indi/fevenziata  di  James  Ward  (suite,  à  suivre.)  (Exposé  des  idées 
de  Ward  sur  l'association  des  images,  la  mémoire,  l'imagination,  le 
sentiment.)  pp.  210-224.  —  A.  Tilgher.  Bramanesimo,  Buddismo  e  Cris- 
tianesimo  (à  suivre).  (De  la  dualité  reconnue  par  la  philosophie  des 
Upanishad,  le  Bouddhisme  ne  conserve  qu'un  terme,  le  monde.  Il  rejette 
l'Âtman  ou  essence  inconnaissable  des  choses,  comme  un  concept  inu- 
tile, incapable  de  servir  de  fondement  à  la  morale.  Le  monde  n'est  dans 
ce  système  qu'une  apparence  subjective  qui  a  pour  cause  la  volonté  de 
vivre  ;  en  supprimant  celle-ci  on  entre  dans  le  Nirvana.)  pp.  223-246. 
—  P.  F.  NicoLi.  Psicologia  e  Linguislica.  (Critique  quelques  conceptions 
psychologiques  élaborées  par  l'onomasiologie,  discipline  nouvelle  qui  a 
pris  naissance  dans  le  domaine  de  la  linguistique  romane.)  pp.  247-261. 

RÎVISTA  STORICO  -  CRITICA  BELLE  SCIENZE  THEOLOGICHE. 
Avril.  —  G.  N.  Sola.  //  teslo  greco  inedilo  delta  legenda  di  Teofilo  di 
Adana  (suite  et  fin).  (Texte  grec  de  la  légende  d'après  le  man.  vatic.  790 
collationné  avec  plusieurs  autres  codd.  (Vienne,  Paris,  Xaples).  Le 
travail  se  termine  par  des  renseignements  bibliographiques  sur  les 
diverses  rédactions  du  texte  de  la  légende  et  sur  les  ouvrages  à  con- 
sulter.) pp.  257-280. —  B.  Stakemeier.  La  dollrina  di  Terlulliano  sul 
battesimo  e  sulla  cres?ma. (Définition,  matière,  forme  des  sacrements  de 
Baptême  et  de  Confirmation  d'après  les  œuvres  de  Tertullien.)  pp.  281- 
298.  =  Mai.  —  U.  Fracassini.  Le  origini  del  canone  del  Nuovo  Tesla- 
menlo  [k  snivre).  (L'origine  du  Canon  du  Nouveau  Testament  ne  coïn- 
cide pas  avec  l'origine  des  livres  qui  le  composent.  Sa  formation  a 
marché  de  pair  avec  l'organisation  hiérarchique  de  l'Église.  Le  tétra- 
morphe  s'est  constitué  en  Asie.  Il  a  passé  de  là  en  occident.  Le  contenu 
et  laulorité  en  sont  nettement  définis  à  la  fin  du  second  siècle.  Trois 
apocryphes  ont  fait  concurrence  aux  évangiles  canoniques  :  ce  sont  les 
évangiles  selon  les  Hébreux,  selon  les  Égyptiens  et  selon  Pierre.)  pp.  349- 
368.  —  \.  Ennoyi.  La  ci'istologia  degli  Alli  degli  Apostoli.  (Le  symbole 
christologique  des  Actes  comprend  trois  articles  fondamentaux  :  la 
crucifixion  de  Jésus,  sa  résurrection,  sa  mission  de  juge  universel.  Les 
Actes  présentent  donc  le  Christ  comme  le  Messie  prédit  par  l'Ancien 
Testament,  sans  apporter  une  alTirmalion  évidente  et  précise  de  sa  divi- 
nité.) pp.  369-383.  —  E.  Buonaiuti.  Giovanni  di  Salisbunj  e  le  Scuole 
filoso/îche  del  suo  tempo.  (Sugemeal  de  Jean  de  Salisbury  sur  les  ten- 
dances philosophiques  de  son  temps,  spécialement  d'après  le  metalogi- 
con,  et  sur  l'état  de  la  cour  romaine.)  pp.  384-496.  =  Juin.  —  U.  Fra- 
cassini. Le  origini  del  canone  del  ]\uovo  Testamento  (suite  et  fin). 
(Les  lettres  de  saint  Paul  réunies  en  collection  (apostolicum)  sont  ré- 
pandues dans  l'Église  à  la  fin  du  second  siècle.  L'accord  n'est  pas  una- 
nime sur  l'origine  paulinienne  et  sur  la  canonicité  de  l'épître  aux 
Hébreux.  Parmi  les  épîtres  catholiques,  l  P.  et  /  /.  ont  été  seules 
l'objet  d'une  reconnaissance  universelle  et  ont  pris  place  dans  le  canon, 
avec  les  Actes,  à  côté  de  l'Apostolicon.  Pendant  un  certain  temps,  l'É- 
glise d'occident  a  admis  un  canon  apocalyptique   qui   comprenait  :  le 


RECENSION     DES     REVUES  t)57 

Pasieur,  l'apocalypse  de  saint  Pierre  et  celle  de  saint  Jean.  Cette  dernière 
seule  s'est  maintenue.  L'origineromaine  du  Canon  du  Nouveau  Test.t- 
ment  est  assez  probable.)  pp.  43;3-445.  —  B.  Stakemeier.  La  dollvina  di 
Terlulliano  suisacramenti  in  génère.  (Signification  du  terme  «  sacramen- 
tum  >)  chez  Tertullien.  Dans  quelle  mesure  TertuUien  connaît-il  les 
sacrements  au  sens  actuel  du  terme.  Le  sacrement  comme  signe  visible  ; 
formule  qui  accompagne  l'acte  visible.  EfTets  du  sacrement.  Explication 
du  lien  de  causalité  qui  existe  entre  le  signe  visible  et  la  grâce.  De  la 
cause  efficiente  des  sacrements.  Les  sacramentaux.)  pp.  446-466.  — 
G.  Meloni.  Iinbalsamazione  preventiva  e  Me.  XIV,  3  segg.  (L'épisode  de 
l'Évangile  raconté  en  J/c.  JTiF,  3  sv.  pourrait  être  expliqué  par  une 
coutume  arabe  d'après  laquelle  un  homme  sûr  de  mourir  procédait 
à  un  embaumement  préventif  de  son  propre  corps.)  pp.  490-496. 

SCUOLA  CATTOLICA  (LA).  AvriL  —  C.  Ohsenigo.  Buddismo  e  Cris- 
lianesimu  (à  suivre).  (Religions  prébouddhistes  :  védisme  et  brahma- 
nisme. Bouddhisme  :  livres  sacrés,  doctrines,  monachisme,  culte, 
diffusion.  A  côté  de  lui  d'autres  religions  connues  sous  le  nom  général 
d'Hindouisme,  dont  le  caractère  est  de  se  rendre  accessibles  aux  classes 
inférieures.  L'Hindouisme  est  contenu  surtout  dans  le  Mahâbàrata.) 
pp.  384-406.  =  Mai.  —  C.  Orsenigo.  Buddismo  e  Crislianesimo  (fin). 
(Malgré  certaines  ressemblances  historiques,  doctrinales,  morales  et 
cultuelles,  le  Christianisme  garde  vis-à-vis  du  Bouddhisme  des  diffé- 
rences trop  profondes  pour  qu'on  puisse  voir  sur  lui  l'influence  de  ce 
dernier.)  pp.  492-.511.  =  Juin.  —  E.  Love.  Saggio  sutle  ovigini  délie 
proibizioni  alimenlari  degli  Ebrei.  (A  propos  de  Lev.,  XI,  Deul.,  XIV. 
<ï  1'^  Les  prohibitions  alimentaires  ne  sont  pas  dues  à  une  cause  ration- 
nelle qui  aurait  poussé  les  hommes  à  porter  de  telles  lois  (hygiène, 
conservation  du  culte,  défense  contre  l'idolâtrie).  —  2*^  Le  concept 
d'impureté  est  un  concept  corrélatif  à  celui  de  chose  sainte. —  3"  Les  pro- 
hibitions alimentaires  eurent  une  première  origine  naturelle  sur  laquelle 
se  greffa  peu  à  peu  l'élément  surnaturel.  —  4"  La  genèse  des  impuretés 
alimentaires  n'est  en  rien  distincte  des  autres  impuretés.  »)  pp.  598-611. 

SLAVORUM  LITTERAE  THEOLOGICAE.  2.  —  0.  Zidek.  De  Ecclesioe 
cathollcitate.  (Durant  les  quatre  premiers  siècles  le  sens  du  mot  «catho- 
lique »  n'a  pas  été  uniforme.  Pourtant  on  peut  dire  qu'il  signifie  alors 
directement  l'unité  de  l'Église  du  Christ,  obtenue  par  l'identité  de 
doctrine  et  l'union  hiérarchique  ;  indirectement  :  ou  bien  l'Église 
dans  sa  totalité,  ou  dans  son  universalité.  C'est  saint  Augustin  qui  a 
insisté  surtout  sur  ce  second  élément.)  pp.  112-125.  —  A.  Splaldak, 
De  Sacramenlo  Poenilenliae,  Th.  VU.  (Pour  la  rémission  des  péchés 
véniels,  la  contrition  parfaite  î^ufTit,  si  elle  s'étend-à  eux  au  moins 
virtuellement.  Chez  le  juste,  l'altrition,  dans  les  mêmes  conditions, 
produit  probablement  le  même  effet,  pourvu  qu'elle  exclue  la  volonté 
de  commettre  le  même  péché.  Une  contrition  (formelle  ou  virtuelle) 
est  toujours  requise  ;  le  vœu  de  soumettre  ses  péchés  aux  clefs  ou 
d'émettre  un  acte  de  contrition  formelle  ne  l'est  jamais.)  pp.  125-137. — 
P.  SiNTHERN.  De  causa  papae  Liherii.  (Les  témoignages  invoqués  contre 
le  pape  Libère,  ou  sont  faux,  ou  sont  d'hommes  mal  renseignés.  En  tout 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  3.  42 


658         REVUE    D^'S   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

cas,  on    ne  peut   rien   lui   reprocher    au    point    de   vue    dogmatique.) 
pp.  137-183. 

TEYLER  S  THEOLOGISCH  TIJDSCHRIFT.  2.  —  I.  J.  de  Bussy.  De 
Nieuwste  Denkrichling.  (Expose  les  points  saillants  de  la  doctrine  prag- 
maliste,  d'après  le  dernier  ouvrage  de  W,  James.)  pp.  192-218. 

THEOLOGISCHE  QUARTALSCHRIFT.  2.  —  P.  Riessler.  Wo  lag  dais 
Paradies?  (Des  textes  cunéiformes,  il  ressort  que,  «dès  la  plus  haute 
antiquité,  avant  la  dispersion  des  peuples  sémitiques,  le  paradis  terres- 
tre avec  Farbre  de  vie,  l'arbre  de  vérité  et  le  serpent,  avait  été  placé 
dans  le  pays  de  l'Euphrale  supérieur.  Lui  aussi  le  rédacteur  du  récit 
biblique  se  figurait  que  le  Paradis  était  situé  dans  la  contrée  où  tous 
les  Sémites  le  cherchaient  dès  les  âges  anciens,  dans  la  contrée  de  la 
courbe  de  l'Euphrate,  à  l'actuelle  Balès,  près  de  la  place  de  l'ancienne 
Eraziga  ou  Uru-azagga,  la  ville  sainte.  »)  pp.  169-182.  —  A.  Schllte. 
]Jie  aramahche  Bearheilung  des  Bùchleins  Tobios  verglichen  mil  dem  ]'ul- 
gatalexl.  (Traduction  allemande  du  remaniement  araméen  du  Livre  de 
Tobie,  déjà  publié  en  anglais  dès  1878.  De  la  comparaison  de  ce  texte 
avec  la  Vulgate  il  ressort  que  tous  deux  ont  tme  source  commune. 
L'araméen  rend  mieux  la  tournure  hébraïque  ;  tous  deux  ont  pris  des 
libertés  avec  le  texte,  il  est  difficile  d'établir  en  quelle  mesure.)  pp.  182- 
204.  —  J.  IIONTHEIM,  S.  J.  Die  Abfolge  der  evangelischen  Perikopen  im 
Diatessaron  Tatians  (à  suivre).  (Le  Diatessaron  de  Tatien  nous  est  par- 
venu dans  diverses  recensions  :  syriaque,  arabe,  latine  et  greciiue. 
11  offre  de  grandes  ressemblances  avec  les  Synopses  d'Âmmonius  et 
d'Eusèbe. Prenant  comme  base  saint  Mattliieu,  il  forme  une  vie  de  Jésus, 
suivant  l'ordre  chronologique.  État  du  texte  de  saint  Matthieu,  de  saint 
Jean,  de  saint  Marc.)  pp.   204-255. 

ZEITSCHRIFT  FUR  DIE  ALTTESTAMENTLIGHE  WISSENSCHAFT. 
Heft  2.  —  Fr.  Kuechler.  lahwe  und  sein  Volk  nach  Jeremia.  —  (Les 
rapports  de  Jahwé  et  de  son  peuple  reposent  sur  le  don  de  la  terre  de 
Chanaan,  la  libération  d'Israël  de  l'Egypte,  un  herith,  ou  alliance  parti- 
culière :  Jabwé  est  le  père  et  l'époux.  —  Il  pourvoit  donc  aux  besoins  de 
son  peuple  ;  celui-ci,  en  retour,  doit  l'honorer  ;  mais  chez  Jérémie  la 
forme  morale  de  ce  culte  domine  beaucoup  les  préoccupations  cultuelles  ; 
peu  ou  point  de  rapports  avec  le  Deuléronome,  qui  n'est  pas  le  Thora 
dont  parle  le  prophète.  Contrat  rompu  en  raison  des  fautes  du  peuple, 
de  sa  dépravation,  et  de  la  pratique  du  culte  des  Baals,  qui  n'est  autr^ 
qu'une  corruption  du  Jahwisme,  sous  des  influences  chananéennes  ; 
aussi  Juda  doit-il  être  détruit  par  l'ennemi  du  Nord,  les  Scythes,  puis, 
cette  première  menace  ne  s'étant  pas  réalisée,  par  les  Chaldéens.  —  Le 
prophète  espère  toujours  un  renouvellement  de  l'alliance  :  mais,  théo- 
riquement du  moins,  il  n'a  pas  dépassé  la  conception  nationaliste  de  la 
religion.)  pp.  81-109.  —  E.  Baumann.  VT  und  seine  Derivate.  (IL  Emploi 
de  ri"  dans  la  littérature  prophétique,  I  Sam.,  Osée,  Isaïe,  Jérémie, 
Deutéroïsaïe,  Ézéchiel,  et  de  nrn  au  sens  absolu,  dans  les  livres  sapien- 
tiaux.  Nombreux  exemples  pour  démontrer  les  conclusions  de  l'auteur 
dans  la  première  partie  de  son  étude  (Heft  I).)  pp.  110-143.  —  H.  Rosen- 


RECENSION     DES     REVUES  639 

BERG.  Aotizen  ans  der  tanuailiscJien  IJternlur  ûher  das  Geschlechl  der 
hehràischen  Hauptivc'rter.  pp.  \ii-]ïl.  —  Barth  iind  Nestlé  Miscellen. 
pp.  ]  i8-]52.  —  Bibliographie. 

ZEITSCHRIFT  FUR  KATHOLISCHE  THEOLOGIE.  2  —  L.  Szeze- 
PANSKi,  S.  J.  Der  Durchzug  der  Israetiten  durch  das  Rote  Meer.  (Essai  de 
solution.  A.  Examen  ci'ilique  du  texte  de  V Exode  14,  21,  22,  29, 
d'après  le  texte  original  et  les  plus  anciennes  versions.  B.  Explication 
de  ce  texte  :  Caractères  du  fait  rapporté  :  a)  il  est  historique,  fj)  il  est 
miraculeux  (praeter  naiuram).  Le  mot  hébreu  ntûTn  a  dans  ce  texte  la 
signification  de  défense,  retranchement,  en  général,  plulùt  que  la  signi- 
fication plus  particulière  de  murailles,  remparts.  C.  Détermination 
géographico-lopographique  de  l'endroit  du  passage  des  Hébreux. 
Hypothèses  vieillies  et  abandonnées  ;  hypothèses  modernes  et  accep- 
tables :  une  première  se  prononce  pour  les  environs  de  Suez  (Vigou- 
roux)  ;  une  autre  désigne  les  lacs  amers,  y  compris  le  lac  Timsâh 
(P.  Lagrange).  L'une  et  l'autre  a  ses  difficultés;  ces  difficiillés  sont 
moindres  dans  la  dernière  hypothèse.  La  réponse  certaine  dépend  de 
la  détermination  de  Migdol.  —  Comme  conclusion,  un  aperçu  général 
de  l'événement  raconté  dans  ce  texte  Ex.  XIV,  2i  sq.)  pp.  230-253.  — 
D""  Fr.  ScnMiD.  Die  Gewalt  der  Kirche  hezûglich  der  Sakramente  (suite 
et  fin).  (Les  dispositions  que  prend  l'Église  relativement  à  la  matière 
des  Sacrements,  les  changements  qu'elle  a  apportés  à  la  forme  de 
plusieurs  sacrements,  prouvent  qu'elle  peut  décider  de  la  validité  et  de 
la  non-validité  de  ceux-ci.  Portée  de  la  thèse  :  conçue  dans  une  certaine 
limite  assez  étroite,  elle  a  un  degré  de  probabilité  tel  qu'un  théologien 
sérieux  doit  en  tenir  compte.  Solution  de  quelques  objections.  Force 
des  divers  arguments  proposés. )pp.  254-288. —  B.  Jansen, S.  J.  Die  Defi- 
nilion  des  Konzils  von  Vienne  :  Substantia  animae  rationalis  seu  i^itellec- 
fivaè  vere  ac  per  se  humani  corporis  forma.  P'  art.:  Die  Entslehung 
und  Bedeutung  der  Dégriffé  Materie  und  Form  in  der  Scholaslik  bis  zum 
Konzil.  (Les  notions  de  matière  et  de  forme  appliquées  au  corps  et  à 
l'âme  sont  d'origine  aristotélicienne.  Toutes  les  écoles  étaient  d'accord 
pour  dire  que  matière  et  forme  sont  principes  substantiels  mais  incom- 
plets, formant  par  leur  union  une  substance  complète.  Grand  innova- 
teur fut  saint  Thomas  en  établissant  les  deux  principes  de  l'indétermi- 
nation de  la  matière  première  et  de  l'unicité  de  la  forme.  Sa  doctrine 
souleva  des  luttes  violentes  surtout  à  Paris  et  à  Oxford  et  dans  son 
propre  ordre.  En  celui-ci  la  doctrine  thomiste  devint  obligatoire  au 
chapitre  de  Milan  en  1278.  Jusqu'au  Concile  de  Vienne  et  encore  après 
le  principe  de  la  pluralité  des  formes  fut  maintenu  dans  la  majorité  des 
écoles.)  pp.  2H9-306.  —  Analekten.  SebastianHAiDACBER.  Pseudo-Chrysos- 
tome:  Die  Homilie  ûber  Mt.  21,  23.  (Cette  homélie  fut  considérée 
jusqu'à  ce  jour  comme  un  bien  sans  maître.  Elle  est  certainement 
l'œuvre  de  Sevérien  de  Gabala,  à  voir  la  Parallela  Rupefucaldina.  Un 
passage  de  cette  homélie  est  important  pour  Ihistoire  du  Canon,  notam- 
ment pour  la  canonicité  de  la  2^  et  5"  Joannis.  Sevérien  la  prêcha 
probablement  à  Antioche.)  pp.  410-413. 

ZEITSCHRIFT  FUR  DIE    NEUTESTAMENTLICHE   WISSENSCHAFT. 


6(î0         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

2.  —  P.  CoRSSEiN,  Ueber  Begri/f  iind  Weseii  df's  Helhuismus.  (Contre 
Wendiand  insisle  sur  ce  que  les  éléments  constitutifs  de  IHellénisme 
sont  antérieurs  à  Alexandre.  Signale  comme  phénomène  caractéristique 
de  l'Hellénisme  la  traduction  en  grec  d'œuvres  étrangères.  Estime 
qu'une  certaine  école  restreint  à  l'excès  l'influence  de  l'Héllénisme,  en 
particulier  sur  le  Judaïsme  et  le  Christianisme  et  accorde  trop  aux  influ- 
ences orientales.  )  pp.  81-95.  —  E.  Wendling.  Synoplische  Studien{sn\\.e). 
(  L'épisode  du  Centurion  de  Capharnalim  est  l'œuvre  propre  de  Matthieu. 
La  narration  proprement  dite  a  été  composée  d'après  deux  récils  de 
Marc  :  le  paralytique  de  Capharnaiim  et  la  fille  de  Jaïre.  Le  discours  de 
Jésus  vient  de  Q.  Luc  a  emprunté  cette  péricope  à  Matthieu.)  pp.  1)6- 
109.  —  E.  BuRGGALLER,  Das  lilerarische  Problem  des  HehràerOriefes. 
(L'épître  aux  Hébreux  est  un  discours  d'abord  prononcé  puis  mis  par 
écrit  et  envoyé  ensuite  à  une  Église.)  pp.  110-131.  -  G.  Klein.  Die 
Gebele  in  der  Didache.  (Les  prières  des  premières  Communautés,  celle 
que  renferme  la  Didachè  en  particulier  sont  tout  ensemble  chrétiennes 
par  leur  contenu  et  juives  par  leur  forme.  La  prière  du  ch.  ix,  2,  corres- 
pond à  la  kidduch  juive  ;  celle  de  ix,  3-4,  à  la  birkalh  hammozi  ou 
bénédiction  du  pain  ;  celle  du  ch.  x,  2-5,  à  la  birhath  hcnnmason  ou 
bénédiction  de  la  table.  Le  repas  dont  il  est  question  au  ch.  ix  ne  serait 
pas  le  repas  du  Seigneur  et  se  serait  tenu  le  vendredi  soir.  Les  prières 
de  ce  repas  seraient  donc  rigoureusement  une  kidduch  chrétienne.)  pp. 
132-146.  —  J.  Chapman,  O.S.B.,  On  llie  date  of  the  Clémentines,  II.  (o. 
Les  Clémentines  n'ont  pas  de  Sources  ;  6,  Les  Clémentines  ne  sont  pas 
une  œuvre  Ébionite  ;  7,  La  Discipline  de  l'arcane  dans  les  Clémentines  ; 
8,  La  situation  de  l'évêque  de  Jérusalem  :  9,  Jamblique  et  les  Clémen- 
tines.) pp.  147-159.  —  Fr.  Spitta,  Der  Satan  als  Blitz.  (Il  s'agit  du 
logion  rapporté  Luc  X,  /S.  Jésus  n'y  parle  pas  d'une  chute  mais  d'une 
intervention  hostile  de  Satan  dans  les  choses  de  la  terre.)  pp.  160- 
163.  —  A.  Andersen.  Zu  Joh.  6,  5lb  ss.  (Trouve  dans  ces  versets  une 
conception  de  l'Eucharistie  postérieure  à  saint  Ignace.  Et  puisque  l'on 
estime  que  l'Évangile  de  Jean  n'a  pu  être  composé  après  110  ou  12.!), 
l'on  doit  tenir  ces  vv,  pour  inauthentiques.)  pp.  163-1G4.  -A.  Ander- 
sen, Zu  der  Aùrpon-Slelle.  (Argue  de  la  manière  d'interpréter  la 
mort  de  Jésus  dont  témoignent  L  Clem  ad  Cor.  16,  l'épisode  de  Phi- 
lippe et  de  l'eunuque  d'Ethiopie,  la  prédication  des  Apôtres,  Luc  .24-26 
que  le  logion  Marc  X,  4ô,  Malt.  XX,  2S,  est  d'origine  tardive.)  pp  164- 
166.  —  A.  BiscHOFF,  Exegetische  Uandbemerkungen.  (Notes  sur  divers 
passages  desÉpîlresde  Jean, de  Paul,  de  Pi'^rre,  aux  Héb.  et  de  l'Apoca- 
lypse.) pp.  166-172. —  A.  SuLZBACii.  Zum  Oxijrhynchus  -  Fragmoit  (Cor- 
rige diverses  interprétations  proposées  par  les  éditeurs  de  ce  fragment. 
Il  n'est  pas  question  d'une  piscine  de  David,  ni  non  plus  de  chiens 
et  de  porcs  mais  de  ronces  el  d'une  espèce  de  poissons.)    pp.    175-176. 

Le  gérant  :  G.  Stoffel. 


Superionnn  permisse. 


De  Ucentia   Ordinarii. 


1-;P.  DliSCLÉE.  DE  BROUWER  ET  C*e,  UIXB.  —  4.619. 


La  Philosophie  et  la  Foi 

chez  Albert-le-Grand 


Albert  de  Bollstaedt,  né  en  120G,  entra,  à  l'âge  de  16  ans,  dans 
l'Ordre  des  Fre^-es  Prêcheurs,  y  fit  ses  études  et  devint  bientôt 
lecteur,  c'est-à-dire  professeur,  d'abord  à  Cologne,  puis  au  Cou- 
vent de  Saint-Jacques,  à  Paris  (1245-1246),  et  derechef  à  Colo- 
gne, où  il  eut  Thomas  d'Aquin  pour  disciple.  Évêque  de  Ratis- 
bonne  en  1260,  il  dut  se  mêler  à  tant  d'affaires  temporelles  que, 
pour  retourner  à  ses  chères  études,  il  résigna  sa  charge  et  redevint 
professeur,  dès  1262.  Entre  temps,  il  s'acquitta  d'une  mission 
pontificale  en  Allemagne  et  entreprit  de  longs  voyages.  Ainsi, 
il  s'était  rendu  à  Rome,  en  1250,  pour  défendre  son  Ordre  contre 
Guillaume  de  Saint-Amour;  à  Valenciennes  en  1259,  pour  prendre 
part  à  l'élaboration  d'une  constitution  sur  les  études  chez  les 
Prêcheurs;  à  Paris,  en  1270,  pour  soutenir  de  son  influence 
Thomas  d'Aquin  dans  sa  lutte  contre  les  Averroïstes.  U  assista 
au  deuxième  Concile  général  de  Lyon  en  1274,  et  revint  à  Paris 
en  1277,  pour  y  défendre  les  doctrines  de  son  grand  disciple, 
censurées  par  l'évêque  Etienne  Tempier,  et  attaquées  par  les 
professeurs  séculiers.  Mais  la  grande  occupation  d'Albert,  ce 
fut  son  œuvre  scientifique,  dont  la  partie  publiée,  —  des  traités 
importants  sont  encore  inédits,  —  ne  remplit  pas  moins  de  38 
volumes  in-4o.  Chargé  d'années  et  de  gloire,  Albert  mourut  en 
1280   (1). 


1.  Pour  la  biographie,  voir  surtout  J.  Sighart,  Alhertus  Magnus.  Sein 
Leben  und  seine  Wissenschaft.  Regeusburg,  1857  —  et  l'article  Albert  le 
Grand  du  P.  Mandonnet  dans  le  Dich'oiinairc  de  Théologie  de  l'ablx''  Vacant, 
où  l'on  trouvera  l'indication  des  œuvres  d'Albert  et  une  diligente  bibliogra- 
phie, à  laquelle  s'est  ajouté  depuis  l'ouvrage  suivant  très  important  pour  la 
connaissance  de  la  psyclinlogie  d'Albert  :  Dr.  Arthur  Scunkider.  Die  Psy- 
chologie Alberts  des  Grossen,  1er  Xeil.  {Brifràge  zur  Geschichtc  der  Philos,  des 
MiUelaltcrs,  herausu;.  vou  Dr.  Cl.  Baeumker  u.  Dr.  v.  Hertlint..  Bd.  IV, 
Heft.  5).  Miinster,  1903.  Nous  nous  servons,  faute  de  meilleure,  de  l'édition 
de  Borgnet,   Paris,   Vives,   1890  ssq.,   38  vol.   in4o. 

2^  Année.  —  Revue  des  Science.s.  —  No  4.  43 


662         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

«  L'action  intellectuelle  exercée  par  Albert  sur  le  moyen  âge 
a  été  probablement  de  toutes  la  plus  puissante,  sans  en  excepter 
celle  de  Thomas  d'Aquin,  qui,  étendue  à  un  domaine  moins 
vaste,  a  été  plus  profonde  et  plus  durable  »  (1).  Objet  d'admi- 
ration pour  ses  contemporains  et  même  ses  adversaires  (2),  il 
a  été  honoré  du  titre  de  Grand  par  la  postérité  reconnaissante. 

Cette  étonnante  célébrité  s'explique  par  l'immense  service  qu'Al- 
bert rendit  au  moyen  âge  en  portant  à  sa  connaissance  l'ensemble 
de  la  science  grecque,  latine  et  arabe,  réunie  dans  une  vaste 
encyclopédie  où  l'abondance  des  matières  déborde  quelquefois 
le  cadre  tracé  par  Aristote  et  les  péripatéticiens.  L'œuvre  d'Al- 
bert, malgré  les  imperfections  qui  en  troublent  parfois  l'ordon- 
nance, et  malgré  l'opposition  qu'on  lui  fit,  a  atteint  son  but  (3)  : 
elle  a  vulgarisé  Aristote  en  le  christianisant. 

L'admiration  d'Albert  n'est  pas  exclusive,  et  souvent  elle  as- 
socie Platon  à  Aristote  :  «  Il  faut  savoir,  dit-il,  que  l'homme  ne  se 
perfectionne  en  philosophie  que  par  la  connaissance  des  deux 
philosophies  d'Aristote  et  de  Platon  »  (4).  Aristote  est  la  grande  au- 
torité en  philosophie,  mais  non  pas  au  point  de  supprimer  la  cri- 
tique et  même  la  contradiction  (5).  Quelquefois,  Albert  corrige 
le  Stagirite  par  Platon  (6),  et  plus  souvent  encore,  il  s'efforce  de 
concilier  leurs  deux  philosophies  (7).  En  théologie,  il  est  resté  au- 


1.  ÎNIandonnet.    Article    Albert    le    Grand.    Dictionnaire   de    théologie,    §  III. 

2.  Roger  Bacon.  Opéra.  Editio  Brewer,  327.  «  Homo  studiosissimus  est  et 
vidit  infinita  et  habuit  expensuin;  et  ideo  multa  potiiit  colligere  in  pelago 
actorum  iufinito.  »  —  Siger  de  Brabant.  De  anima  intcllectiva,  III,  p.  94. 
«  Praecipui  viri  in  philosophia  Albertus  et  Thomas.  »  Apud  Mandonnet, 
ibid. 

3.  Phijsic.  lib.  I,  tract.  I,  cap.  1,  Borgnet,  t.  3.  p.  2.  «  Nostra  intentio 
est  omnes  dictas  partes  (physicam,  mathematicam  et  metaphysicam)  facere 
Latinis   intelligibiles.  » 

4.  Metaplnjs.,  lib.  1,  tract.  V,  cap.  XV.  Borgnet,  t.  6,  p.  113,  a.  «  Scias 
(fiiod  non  perficitur  homo  in  philosophia,  nisi  ex  scientia  diiarum  philoso- 
phiarum  Aristotelis  et  Platonis.  » 

5.  Physic,  VIII,  tract.  I,  cap.  XIV.  Borgnet,  t.  3,  p.  553.  «  Dicet  autem 
fortasse  aliquis  nos  Aristotelem  non  intellexisse,  et  ideo  non  consentire  verbis 
ejus,  vel  quod  forte  ex  certa  scientia  contradicamns  ei  quantum  ad  hominem, 
et  non  quantum  ad  rei  veritatem  :  Et  ad  illum  diciraus  quod  qui  crédit 
Aristotelem  fuisse  Deum,  ille  débet  credere  cpiod  nunquam  erravit.  Si  autem 
crédit  ipsum  esse  hominem  tune  procul  dubio  errare  potuit  sicut  et  nos.  »  — 
Cf.  aussi  In  IV  Metaphys.,  tract.  III,  cap.  2.  Borgnet,  t.  6,  p.  236-237. 

6.  Sum.  throlog.,  II,  tract.  I,  quaest.  IV,  art.  5.  Borgnet,  t.  32,  p.  96  B. 
«  Et  quod  dicit  Aristoteles  quod  omnes  philosophantes  hoc  posuerunt,  falsum 
dicit;   quia  Plato   qui  inter  philosophantes   fuit  praecipuus,   oppositum  dicit.  » 

7.  De  natiira  et  origine  animae.  Tract.  I,  cap.  II.  Borgnet,  9,  p.  378. 
«  Ncc  est  differontia  inter  Platonem  et  Aristotelem  in  re  aliqua  sed  tantum 
in  modo...  » 


LA    l'HILOSOPIIIE    ET    LA    FOI  663 

gusthiieii  pour  le  fond  des  idées  (1),  quoiqu'il  y  cite  d'iimombra- 
bles  fois  Aristote  et  ses  commentateurs  arabes  ou  juifs. 

Si  la  connaissance  des  autorités  auxquelles  Albert  se  réfère  ha- 
bituellement aide  à  mieux  comprendre  son  œuvre,  il  ne  fau- 
drait cependant  pas  croire  que  l'argument  d'autorité  soit  le 
seul  ou  le  principal  dont  se  serve  ce  docteur.  11  admet  l'autorité 
en  théologie,  parce  que  là  elle  est  inspirée  par  l'Esprit-Saint; 
mais  il  déclare  expressément  que,  dans  les  autres  sciences,  l'ar- 
gument .d'autorité  est  faible,  plus  faible  que  tout  autre,  puis- 
qu'il s'appuie  sur  les  forces  faillibles  de  l'esprit  humain  i^2). 

En  véritable  aristotélicien,  xVlbert  s'efforce  d'édifier  ses  con- 
naissances naturelles  sur  l'inébranlable  fondement  de  l'expérience 
sensible  :  «  Toute  conclusion,  écrit-il  dans  sa  Physique,  qui  con- 
tredit l'expérience  sensible  est  incroyable,  et  le  principe  qui  ne 
concorderait  pas  avec  l'expérience  n'est  pas  un  principe,  mais 
plutôt  le  contraire  d'un  principe  (3).  Aussi,  quoiqu'il  sache  la 
difficulté  de  l'expérience  qui  doit  tenir  compte  de  toutes  les  cir- 
constances (4),  il  n'hésite  pas  à  recourir  au  raisonnement  inductif 
flans  ses  traités  de  sciences  naturelles  (ô),  dont  le  but  n'est  pas  de 


1.  In  II  Sentent.,  dist.  XIII,  art.  2.  Borgnet,  27,  p.  247,  A.  «  Sciendiim 
quod  AugusUno  in  his  quae  suut  de  fide  et  moribus,  plus  quam  Philosophis 
credenduin  est,  si  dissentiuut.  Sed  si  de  mediciiia  loqueretur,  plus  ego  cre- 
derem  Galeno  vel  Hippocrati,  et  si  de  naturis  rerum  loqiiatur  credo  Aristoteli 
plus  vel  alii  experte  in  rerum  naturis.  »  —  Sum.  theol.,  II,  tract.  XIV,  quaest. 
84,  in  fine.  Borgnet,  33,  133.  «  Dicendum  est  quod  sic,  quia  hoc  Augustinus 
aperte  dicit.  cui  contradicere  impiuni  est  in  liis  quae  tangunt  fidem  et  mores.  » 

2.  Sum.  theol.,  I,  q.  5,  memb.  IL  Borgnet,  t.  31,  p.  24.  B.  «  In  theologia 
locus  ab  auctoritate  est  ab  iuspiratione  Spiritus  veritatis...  In  aliis  scientiis 
locHS  ah  auctoritate  infirmus  est  et  infirmior  cieteris  :  quia  pcrspicacitati  humani 
ingenii,  quae  fallibilis  est,  innititiir.  Propter  quod  Tullius  in  libro  de  natura 
Deorum  deridens  scholam  Pythagorae  dicit,  quod  de  nullo  quaerebat  ratio- 
nem  aliam  nisi  quod  ipse  dixit,  ipse  autem  erat  Pythagoras.  » 

3.  Fhysic.  VIII,  tract.  II,  cap.  II.  Borgnet,  3,  p.  564.  «  Omnis  autem  ac- 
ceptio  quae  firmatur  a  sensu,  melior  est  quam  illa  quae  sensui  contradicit; 
et  conclusio  quae  sensui  contradicit  est  incredibilis  :  principium  autem  quod 
experimentali  cognitioui  in  sensu  non  concordat,  non  est  principium,  sed  potius 
contrarium  principio.  » 

4.  Ethic,  lib.  6,  tr.  2,  cap.  2.5.  Borgnet,  7,  p.  442-443.  «  ^Multitudo  enim 
temporis  requiritur  ad  hoc  ut  experimentum  probetur,  ita  quod  in  nullo  fal- 
lat  :  unde  Hippocrates  in  medicinalibus  loquens  :  «  Vita  brevis,  ars  vero  longa, 
experimentum  fallax,  judicium  difficile  est  ».  Oportet  enim  experimentum  non 
in  uno  modo  sed  secundum  omues  circumstantias  probare,  ut  certe  et  recte 
principium  sit  operis.  » 

b.  De  Vegetabil.,  lib.  VI,  tract.  I,  cap.  I.  Borgnet,  10,  159-160.  Jessen, 
p.  339.  «  Earum  autem  quas  ponemus,  quasdam  quidem  ipsi  nos  cxperimento 
probavimus,  quasdam  autem  referimus  ex  dictis  eonim,  quos  compcrimus, 
non  de  facili  alicpia  dicere,  nisi  probata  per  experimentum.  Expcriinmtum 
ènhn  solum  certificat  in  taliljus,  eo  quod  de  tam  particularihus  naturis  sijl- 
logisnius  haheri  non  potest.  »  —  Cf.  A.  Mansion.  L'induction  chez  Albert  le 
Grand.   Eev.   Néo-Scoladique,   XIII   (1906),  u»  2,  p.  11Ô-134,  et  n°  3.  p.  24G-264. 


664         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   TIIEOLOGIQUES 

rapporter  simplement  les  faits,  mais  d'en  chercher  les  causes  (1). 
Grâce  à  cet  excellent  procédé,  l'œuvre  d'Albert  le  Grand  mé- 
mérite  une  place  importante  dans  l'histoire  des  sciences  d'obser- 
vation, puant  aux  naïvetés  scientifiques  qui  s'y  mêlent,  elles 
sont  (dues  à  l'influence  du  milieu  et  du  temps,  et  plus  eiivcore, 
aux  naturalistes  anciens  à  l'autorité  desquels  Albert  se  fiait,  par- 
ce qu'il  les  supposait,  à  tort,  aussi  consciencieux  observateurs 
qu'il  l'était  lui-même  (2), 

A  cette  sorte  d'abstraction  qu'est  l'induction,  l'illustre  Docteur 
joignit  jia  théorie  aristotélicienne  de  l'intellect  agent,  abstrayant  la 
forme  de  la  connaissance,  l'universel,  des  choses  singulières  (3). 
Il  icompléta  d'ailleurs  cette  théorie  psychologique,  par  la  théorie 
théologique  de  l'exemplarisine  augustinien  (4),  de  sorte  que  nous 
trouvons  chez  lui  un  triple  universel:  «  universale  ante  rem,  in 
re,  post  rem  ».  Ce  dernier  seul  est  l'universel  proprement  dit;  il 
n'existe  que  dans  l'intelligence  (5).  C'est  donc  à  juste  titre  qu'on 
peut  ranger  Albert  parmi  les  modérés  (6). 


1.  De  minerai.,  lib.  II,  tract.  2,  cap.  I.  Borgnet,  5,  p.  .30.  «  Scientia 
enim  iiaturalis  non  est  .simpliciter  narrata  accipere,  sed  in  rébus  naturalibuis 
inquirere  causas.  » 

2.  Voir  le  texte  cité  à  la  page  précédente,  note  5. 

3.  III  De  Anima,  II,  19.  Borgnet,  5,  p.  366.  «  Duo  sunt  opéra  agentis, 
quorum  iinum  est  abstraliere  formas  intelligibiles,  quod  nihil  aliud  est  nisi 
facere  eas  simplices  et  universales.  Secundum  est  illumiuare  possibilem  intellec- 
tum  sicut  lumen  se  habet  ad  diaphanum.  » 

4.  Sum.  theol.  I,  tract.  XV,  quaost.  60,  memb.  IV,  art.  I.  BorgN'et,  31 
p.  612.  «  Omnia  dicuntur  esse  in  Deo  per  rationes  exemplares  et  idéales  qiii- 
bus  facta  sunt  omnia  et  quibus  sunt  in  arte  divina  et  sapientia.  »  —  Sum. 
theol.,  I,  tract.  XIII,  q.  55,  memb.  II,  art.  I.  Borgnet,  31,  p.  561.  «  Ad  id 
quod  obiicitur...  de  positione  Platonis  dicenduni  quod...  Plato  posuit  formas 
quae  sunt  ante  rem  et  principia  rei  in  seipsis  existere  et  in  ipsis  sigillari 
res  sicut  ad  sigillum;  nec  posuit  eas  in  mente  divina  sed  in  seipsis.  Et  hoc 
modo  improbat  Aristoteles  eam.  Et  forte  Plato  dicit  verum.  Necesse  est  enim 
principia  esse  prius  natura  et  prius  esse  principia  quam  principiata...  Et  si 
(piaeritur  \ibi  sint?  Quaestio  Porpliyrii  est,  qui  ita  quaerit  de  universalibus 
et  primis  principiis...  sic  enim  ex  mente  divina  formae  sive  ideae  pro- 
deunt  in  îdeata  sive  formata...  Et  hoc  non  negat  Aristoteles,  sed  negat,  quod 
formae  siint  ante  rem  per  seipsas  et  secundum  seipsas  separatim  existentes.  » 

5.  De  nat.  et  orig.  animae,  tract.  I,  cap.  II.  Borgnet,  9,  p.  378.  «  Et  tune 
résultant  tria  formarum  gênera.  Unum  quidem  aaite  rem  existens,  quod  est 
causa  formativa  rerum...  aliud  autem  est  ipsum  genus  formarum  quae  fluctuant 
in  materia...  Tertium  autem  est  genus  formarum  quod  abstrahente  intelleclu 
separatur  a  rébus  secundum  modum  speciei  et  generis  et  generalissimi  in 
quolibet  génère  rerum.  Et  liorum  trium  genermn  primum  quidem  est  anto 
rem,  ut  diximus,  secundum  autem  est  in  re...  Tertium  autem  est  post  rem. 
Propter  quod  Aristoteles  in  septimo  Metaphysicae  suae  probat  quod  univer- 
sale non  est  aUipiid  de  substantia  rei...  »  —  Cf.  De  intel.  et  intellig.,  1.  I, 
tr.  II,  cap.  2.  Borgnet,  9,  p.  493.  «  Nos  autem  in  ista  difficullate  mediam 
viam  ambulantes...  » 

6.  Bach  Dr.  Joseph.  Des  Alhertns  Magnus  Verhàitniss  zu  der  Erkenntniss- 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  663 

A'ristotélicienne  également  est  sa  conception  de  la  science,  ou 
connaissances  par  les  causes  (1).  Au  faîte  de  la  philosophie  se 
place  la  métaphysique,  partie  maîtresse  de  la  spéculation  et 
déesse  des  sciences  (2).  On  la  nomme  sapience,  parce  qu'elle  est 
la  science  des  causes  premières  et  des  premiers  principes  (3). 
Elle  représente  le  résultat  suprême  qu'atteint  l'intelligence,  cette 
lumière  générale  .qui,  comme  une  révélation,  descend  de  Dieu, 
première  lumière,  et  se  réfléchit  dans  les  vérités  évidentes  par  el- 
les-mêmes. Pour  voir  les  choses  surnaturelles,  une  autre  lumière 
nous  est  donnée  et  qui  brille  dans  les  articles  de  foi  (4).  A  ce 
propos,  il  laut  noter  qu'Albert,  tout  en  préconisant  la  théorie  aris- 
totélicienne de  l'abstraction,  ne  rompt  pas  entièrement  avec  la 
doctrine  augustinienne  de  l'illumination  subjective  divine. 

Croire,  enseigne  Albert,  c'est  admettre  comme  vrai  ce  qu'on 
ne  connaît  pas  en  raison  de  l'objet,  mais  par  le  témoignage  d'au- 
trui,  auquel  l'esprit  adhère  parce  qu'il  le  juge  doué  de  vérité  (5). 
En  matière  théologique,  le  principe  de  la  croyance,  ou  la  foi,  est 
une  lumière  qui  entraîne  une  adhésion  absolument  certaine  (6). 
L'Apôtre,  appelrait  la  foi,  «  argumentmn  non  apparentium  »,  ne  la 


Ic-hre  der  Griechen,  Lateiner  u.  Jitden.  Wien,  1881,  p.  212.  «  Albert  ist  im 
ganzeu  der  Vertreter  eines  gemassigten  Realismus  und  zwar  zunàchst  im 
rein  logischen   Intéresse.  » 

1.  De  Minerai.,  lib.   II,  tract.  II,  cap.   I.  Borgnet,  5,  p.  30. 

2.  III  Mclaphys.,  tract.  II,  cap.  VI.  Borgnet,  6,  p.  181.  «  Potissinia  pars 
theoriae    et   dea    scientiarum.  » 

3.  Metaphys.,  tract.   I,  cap.   XI.  Borgnet,  6,   p.   22. 

4.  Sum.  theol.,  Pars.  I,  quaest.  IV.  Borgnet,  t.  31,  p.  20  B.  «  Duo  sunt 
modi  révélation! s.  Unus  quidem  modus  est  per  lumen  générale  uobis.  Et  hoc 
modo  revelatum  est  Philosophis  :  hoc  enim  lumen  non  potest  esse  nisi  a 
primo  lumine  Dei,  \\t  dicit  Augustinus  in  libro  de  Magistro.  Et  hoc  optime 
probatum  est  in  libro  De  Causis.  «  Aliud  lumen  est  ad  supermuudana  con- 
tueiida,  et  hoc  est  elevatum,  super  nos.  »  Et  hoc  lumine  revelata  est  haec 
scicntia.  Primum  relucet  in  per  se  notis,  secundum  auteni  in  fidei  articiilis.  » 
—  Sum.  theol.  I,  tract.  III,  q.  1.5,  m.  III,  art.  111.  Borgnet,  vol.  31,  p.  110  b. 
111  a.  —  «  Concedendum  enim  est,  quod  sine  lumine  illustrante  iutellectum 
nullius  cogniti  întellectus  noster  possibilis  perceptivus  est.  Per  hoc  enim  lumen, 
cfficitur  intellectus  possibilis  oculus  ad  videndum;  et  hoc  lumen  ad  naturalia 
recipienda,  naturale  est  :  ad  credenda  vero,  gratuitum  est;  ad  beatificantia 
autem  gloria  est...  Hoc  autem  lumen  sic  descendens  non  est  aliqiiid  conferens  ■ 
cognito  ut  cognoscibile  sit,  sed  egt  conferens  cognoscenti  ut  cognoscere 
possit,   et   assimilatio   est   quaedam   cognoscentis  et  cogniti.  » 

5.  Sum.  theol.,  I,  tract.  III,  q.  1.5,  m.  III,  art.  1,  ad  I.  Borgnet,  t.  31. 
p.  lOG  a.  «  Ad  primum  ergo  dicendum,  quod  si  credere  stricte  capiatur,  tune 
creditur  id  quod  in  seipso  non  cognoscitur  vel  videtur,  sed  alterius  testimonio 
oui  mens  inhaeret  tanquam  vero  accipitur.  » 

6.  Ihid.,  ad.  3"!.  Borgnet,  p.  107  a.  «  In  theologicis  autem  fid(^s  lumen 
est,  certissimam  faciens  adhaesionem  et  assensum;  dicit  enim  Augustinus 
quod  «  credere   est  cum  cognitione  et  admiratione  assentire.  » 


666  REVUE   DES   SCIENXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

définit  pas  dans  sa  nature  intime,  mais  en  tant  qu'elle  est  consi- 
dérée dans  xin  sujet  par  les  effets  qu'elle  y  produit;  la  connais- 
sance ,des  choses  éternelles  et  la  conviction  de  leur  vérité  (1). 

L'obje'  de  la  foi,  ce  sont  les  vérités  inévidentes  à  l'intelli- 
gence et  pour  aut<int  qu'elles  échappent  à  toute  démonstration  (2). 
L'obscurité  de  la  foi  n'empêche  pas  d'admettre,  avec  Richard  de 
Saint-Victor,  que  toute  croyance  a  des  raisons  nécessaires  ;  il 
faut  seulement  remarquer,  observe  Albert,  que  ces  raisons  di- 
vines nous  sont  inconnues  et  ne  doivent  pas  faire  l'objet  de  nos  re- 
cherches (3). 

Au  reste,  cette  obscurité,  qui  exclut  les  vérités  démontrées  du 
domaine  de  la  foi,  s'allie  très  bien  à  sa  certitude.  Notre  Docteur 
s'emploie  à  le  prouver;  voici  comment.  La  certitude  est  double  : 
la  certitude  absolue,  la  certitude  relative  à  nous.  Celle-ci  rend 
certain,  tantôt  en  considération  de  nos  raisonnements  (certitude 
rationis  quasi  arguentis),  tantôt  en  considération  de  celui  qui 
demande  notre  adhésion,  (certitudo  inclinantis  ad  actum).  Au 
point  de  vue  de  la  certitude  absolue,  la  première  place  est  due 
à  la  vision  béatifique,  la  seconde,  à  la  foi  et  la  dernière  à 
la  science.  S'agit-il  de  la  certitude  relative  à  nous,  la  foi  vient, 
soit  après  la  science,  en  raison  de  l'évidence  que  confèrent 
à  celle-ci  les  arguments  rationnels,  soit  aua)it  la  science  parce 
qu'elle  rend  notre  esprit  certain  des  choses  divines  dont  la  raison 
naturelle  nous  persuade  seulement  (4). 


1.  In  III  Sentent.,  dist.  XIII,  H,  art.  18.  Borgnet.  vol.  28,  p.  437  ss. 
«  ileo  judicio  dicendum  al  praedicta  qnod  fides  non  est  diffiuita  ah  Apostolo 
ia  se  considerata  et  secundum  suam  substaiitiam,  sed  potius  sccundura  cpiod 
consideratur  in  subjecto  per  effectum  quem  efficit  in  ipso.  Sunt  autem  duo 
effeclus  ejus  sese  consecpientes,  quorum  nnus  est,  quod  res  aeternas  ostendit, 
et  ita  per  aliqnem  consensum  ponit.  eas  in  fideli.  Secundus  autem  est,  quod 
convincit  mentem  de  veritate  illarum  rerum.  » 

2.  I7i  III  Sentent.,  dist.  XXIII  G,  art.  13.  Borgnet,  28,  p.  410  et  411.  «  Ad 
id  <iucd  objicitur  de  alia  diffinitione  (Hugonis)  dicendum  quod  nhscnfmm  di- 
citur  ibi  quoad  rationem;  et  hoc  dupliciter.  Est  eiiim  absens  rationi,  id  cujus 
cognitio  nullo  modo  est  in  ipsa;  nec  est  ut  ratio  probans,  nec  etiam  ut  ob- 
jectum;  et  sic  absens  rationi  est  ignoratum  :  et  hoc  modo  procedit  ratio  in- 
ducta.  Secundo  modo  dicitur  absens  rationi,  qiiod  quideni  inest  ut  objectum, 
sed  non  inest  ratio  probans  et  convincens  sensum  :  et  sic  dicitur  fides  rectitude 
absentium  :  et  ideo  dicit  Glossa  ad  Galat.  V,  6,  quod  fides  est  certitudo  invi- 
sibilium.  Et  dicuntur  ibi  invisihilia  quae  hic  dicuntur  absentia,  scilicet  quorum 
ratio  probans  non  habetur;   et  tanien  consensus   fortissimus  est.  » 

3.  Sum.  theol.,  I,  tract.  III,  q.  16,  m,  III.  art.  U.  Borg.net,  31,  p.  110.  A. 
«  Ad  dictuni  Richard!  dicendum  est,  i[uol  nihil  prohibet  ad  quodiibet  cre- 
ditum,  rationcs  esse  necessarias  :  sed  illae  divina.(^  sunt  et  nobis  ignotao^  et 
ideo  inquiri  non  nossunt.  » 

4.  Suin.  theol.,  tract.  III.  q.  \n.  mcmb.  III,  art.  IF.  Borgnet,  t.  31,  p.  109. 
«  Certitudo   multiplex    est.    Est   enim   certitudo   simpliciter    et   certitudo    quoad 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  667 

A  cette  considération  sur  la  certitude  et  dignité  de  la  science 
et  de  la  foi,  il  faut  joindre  une  autre  page  du  grand  Docteur 
où  il  détermine  «  ex  professo  »  la  radicale  distinction  de  ces 
deux  modes  de  connaissance,  par  ce  que  l'École  appelle  la  raison 
formelle.  La  certitude  de  la  science  s'appuie  sur  des  princi'pes  évi- 
dents en  eux-mêmes  qui  déterminent  la  raison;  la  certitude  de  la 
foi  provient  d'mie  lumière  infuse,  descendue  de  la  vérité  pre- 
mière qui  convainc  la  raison  plutôt  par  un  attrait  de  la  volonté 
(amore  quodam  voluntatis)  que  par  des  démonstrations  ration- 
nelles. Enfin  la  science  et  la  foi  diffèrent  par  leurs  sujets  immé- 
diats d'inhérence  :  la  science  est  dans  l'intellect  spéculatif;  la 
foi.  dans  l'intellect  affectif  (intellectu  affectivo);  de  sorte  qu'elle 
est  plus  volontaire  que  rationnelle  (1). 

D'ailleurs,  si,  par  son  objet  formel,  le  domaine  de  la  foi  est 


nos;  et  certitudo  cjiioad  nos  duplex,  scilicet  certitudo  inclinantis  ad  actum  et 
certitudo  rationis  quasi  arguentis...  Certitudine  ergo  simpliciter  niliil  est  adeo 
certum  sicut  Deus  et  divina...  Hoc  modo  certissima  cognitio  diviuorum  facie 
ad  facieni,  et  sub  illa  cognitio  per  fidem,  infima  vero  cognitio  per  naturalem 
lationem.  Est  enim  haec  cognitio  per  certissiraum  secundum  se  ipsum.  Cer- 
titudo autem  quae  est  quoad  nos,  ex  notioribus  est  quoad  nos  secundum  quod 
animales  sumus  enutriti  sensibus,  ut  dicit  Augustinus.  Et  hoc  modo  nihil 
prohibet  cognitionem  per  naturales  rationes  esse  certissimam,  et  post  hoc 
cognitionem  fidei  et  minime  certam  eam  quae  est  facie  ad  faciem.  Iterum  cer- 
titudine infomiationis  mentis  vel  conscientiae,  certior  est  fides  et  cognitio  quae 
per  fidem  est.  quam  aliqua  cognitio  quae  est  per  na-turales  rationes,  quae  non 
nisi  per  moduiii  persuasionis  aliquid  ostendit  de  crédite  sive  de  divinis.  Et 
hoc  modo  certissima  est  cognitio  per  gustum  sicut  fit  in  raptu  :  et  sub  illa 
cognitio  fidei,  infima  vero  per  rationem  naturalem.  » 

1.  In  I  Seutenf..  dist.  III,  A.  art.  III.  Borgnet,  t.  25,  p.  94  9-5.  «  Dicendura 
quod  istae  cognitiones  in  quinque  diffcrunt  ad  minus,  etsi  in  multis  aliis 
differentia  possit  assignari.  Prima  differentia  est  in  comparatione  scientiae 
ad  scientem  :  quia  processus  naturalis  subest  rationi,  fidei  autem  processus 
est  supra  rationem.  Secunda  differentia  est  in  principiis  in  quibus  accipitur 
cognitio  ipsa  :  quia  illa  in  naturali  cognitione  sunt  principia  per  se  nota,  sicut 
ea  quae  sunt  de  ratione  principii  primi,  ut  non  esse  ipsum  ab  alio  et  alia' 
esse  ab  ipso,  et  non  ipsum  incepisse  quia  sic  esset  causatum,  et  ipsmn  non 
esse  motum  ab  alio  et  hujusmodi;  sed  in  fide  est  lumen  infusum  quod  infor- 
mando  conscientiam,  rationem,  convincit  magis  ex  amore  quodam  voluntatis, 
quam  ex  probatione  rationis  :  hoc  enim  est  argumentum  non  apparentium  quod 
illuminât  ad  credibilia  accipienda.  Tertia  differentia  est  in  efficiente  cognitio- 
nem :  quia  banc  efficit  ratio  creaturae  objectae  naturae  ratiouali  ut  dicit  Ma- 
gister;  in  fide  autem  efficit  prima  veritas;  si  enim  quaeratur  ab  aliquo  quid 
fecit  sibi  fidem,  dicet  quia  prima  veritas;  quae  est  efficiens  fidei  suae  et 
finis.  Quarta  est  in  cognito  :  quia  per  naturalem  cognitionem  non  adeo  propin- 
quatur  ad  scientiam  quid  est,  sicut  per  cognitionem  fidei.  Quinta  et  ultima 
differentia  est  ex  parte  subjectorum  :  quia  fides  est  in  intellectu  affectivo, 
etiam  informis,  licet  qviidam  contradicant  ;  sed  scientia  naturalis  rationis  est  in 
intellectu  speculativo.  Licet  enim  fides  informis  sit,  tamen  ipsa  est  magis  vo- 
luntaria  quam  rationalis  et  est  allicitiva  tiinoris  servilis,  ut  dicit  Oregorius: 
sed  ca  quae  sunt  in  intellectu  speculativo  (ut  dicit  Philosophus)  niiiil  dicunt 
de  fugiendo,  vel  imitando;  igitur,  etc.  » 


668         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

neltement  séparé  de  celui  de  la  science,  cela  n'empêche  pas  les 
très  intimes  relations  entre  l'un  et  l'autre  ordre,  comme  on  le 
verra  en  examinant  la  théologie  d'Albert  le  Grand.  En  posses- 
sion des  données  certaines  de  la  foi,  l'homme  peut  y  surélever 
l'édifice  théologique  (1),  comme  le  philosophe  fonde  la  science 
rationnelle  sur  les  principes  évidents.  L'objet  général  de  la  théo- 
logie, —  Albert  dit  :  «  subjectum  generaliter  »  (2),  —  ce  sont 
toutes  choses  pour  autant  qu'elles  sont  ordonnées  à  la  béatitude 
parfaite,  soit  qu'elles  la  donnent,  soit  qu'elles  y  disposent.  Son 
objet  spécial  «  subjectum  specialiter  »,  ce  sont  les  vérités  de  la 
foi  en  général,  c'est-à-dire  les  «praeambula  f idei  »  et  les  articles 
de  la  foi.  Et,  resserrant  davantage  le  sens  du  terme  «  subjectum 
specialiter  »,  Albert  déclare  que  Dieu,  l'Alpha  et  l'Oméga,  est 
l'objet  spécial  de  la  théologie,  son  «  objectum  fonnale  quod  », 
diront  les  scolastiques  postérieurs  à  saint  Thomas  (3). 

Le  but  principal  de  la  théologie,  c'est  de  conduire  à  la  jouis- 
sance affective  (quod  fruatur  per  affectum)  de  la  suprême  vé- 
rité. La  théologie  est  donc  une  science  pratique  (4).  Comme  elle 


1.  Sum.  theol,  I,  tract.  I,  q.  4.  Borgnet,  t.  31,  p.  20  B.  «  Aliud  lumeii 
est  ad  supermimdana  contueiida  et  hoc  est  elevatum  super  nos.  Et  lioc  lumine 
revelata  est  liaec  scientia  .Primiim  relucet  in  per  s?  notis,  secundum  autem  ia 
fidei   articulis.  » 

2.  Par  sujet  d'une  science,  d'une  connaissance,  les  grands  tliéologiens  du 
XlIIe  siècle  désignent  ce  qu'une  terminologie  plus  moderne  appelle  objet 
d'une  science,  d'une  connaissance.  Pour  plus  de  clarté,  nous  nous  conformons 
à  l'usage  moderne,   reçu  même  dans  l'École  thomiste. 

3.  In  I  Sentent.,  dist.  I,  A.  art.  2.  Borgnet,  t.  25,  p.  16.  «  Dicendum  quod 
subjectum  scientiae  dicitur  multipliciter.  sciliter  generaliter  et  specialiter.  Ge- 
neraliter sic  ut  omne  illud  dicatur  subjectum  esse  vel  pars  subjecti  de  que 
tractatur  in  scientia;  et  sic  verum  est  quod  dicit  Augustinus,  quod  res  et 
signa  suiit  subjectum...  Tlieologia  non  speculatur  res  in  quantum  res  sunt  abso- 
lute  sed  prout  ordinatur  ad  perfectionem  beatitudinis  et  fruitionis,  ad  quam 
quaedam  ordinantur  ut  beatificantes,  quaedam  autem  ut  adjuvantes  et  dispo- 
nentes  ad  beatitudiiiem  sicut  utilia.  Similiter  dicen  lum  est  de  signis...  Alio  modo 
dicitur  subjectum  specialiter  circa  cjuod  negotiatur  scientia  probando  de  ipso 
proprietates  quae  passiones  dicuntur  et  differentias  per  principia  scilicet  pro- 
pria; et  sic  quidam  antiqui  dixerunt,  quod  credibile  generaliter  acceptuni  est 
subjectum  Theologiae.  —  Voco  autem  credibile  generaliter  acceptum  pra^ambu- 
lum  articiilo,  sicut  Deum  esse  veracem,  Deinn  esse,  sacram  Scripturam  a  Spiritu 
Sancto  esse  factam,  Scripturam  non  posse  excidere,  et  hujusmodi.  Et  similiter 
articulos  qui  secundum  divisionem  eorum  qui  ediderunt  Credo  in  Deum,  sunt 
duodecim...  Spéciale  autem  dicitur  subjectum  id  quod  est  dignius  inter  conside- 
rata  in  scientia  et  sic  subjectum  bujiis  scientiae  Deus  est,  a  quo  denominatur- 
non  autem  abso'.ute  tantum  est  subjectum,  sed  secund  un  quo  l  ipse  est  Alpha 
et  Oinega,  principium  et  finis.  » 

4.  Sum.  theoL,  p.  1,  tract.  I,  q.  3,  mb.  III.  Borgnet,  t.  31,  p.  18  b.  «  In 
v(  ritate  Sacra  Scriptura  practica  est,  et  stat  in  opère  virtutis  vel  theologicao 
vel  cardinalis;  quia  si  etiam  vervnn  in  re  fruibili  vel  utili  inquirit,  hoc  Ipsum 
refert  ad  affectum,  ut  scilicet  iii  fide  vel  in  co  quod  succedit  fidei  fruatur  per 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  669 

s'efforce  en  outre,  d'expliquer  les  données  de  la  révélation,  et 
de  convaincre  les  adversaires,  elle  est  aussi  science  argumenta- 
tive  (1).  Quoiqu'elle  se  distingue  des  sciences  profanes  par  son 
objet  (subjecto),  par  ses  propriétés  (passione)  et  par  son  prin- 
cipe de  démonstration  qui  est  la  foi  (2),  la  théologie  a  souvent 
recours  à  ces  sciences  qui  jouent  à  son  égard  un  rôle  ancillai- 
re  (3).  Mais  ce  sont  là  des  subordonnées  fort  utiles,  puisqu'elles 


affectum  vel  intellectum  affectivum  summa  veritate,  per  speciem  vel  spei 
succedens  sumine  beatificaiite,  per  charitatem  summa  bonitate...  sicut  etiam 
Aristoteles  in  X.  Ethicorum  felicitatem  contemplativam  déterminât,  ut  ad  finem 
ad  quem  referantur  actus  virtutum  intellectualium  et  moralium  et  heroicarum: 
propter  quod  et  ipsa  quae  tractât  de  felicita.te  contemplativa,  moralis  sive 
practica  est  sicut  et  caeterae  partes  moralis  s?ientiae.  Differt  tamen  ab  alii? 
practicis  quas  Philosophus  considérât.  Aliae  enim  practicae  stant  ad  opus 
perfectum  perfectione  virtutis  acquisitae,  ista  autem  stat  ad  opus  perfectum 
perfectione  Wrtutis  infusae  per  gratiam.  »  —  In  Sent.,  dist.  I,  A,  axt. 
4.  BoBGNET,  25,  p.  18,  Albert  se  fait  l'objection  suivante  :  «  Contem- 
platio  autem  veritatis,  praecipue  primai  veritatis  et  summae  est  perfectio  in- 
tellectus  speculativi:  ergo  videtur,  quod  ista  scientia  sit  speculativa.  »  Il 
répond  (ad  2'^,  p.  19)  :  «  Non  quaeritur  cognitio  ad  veritatem  per  intellectum 
tantum,  sed  per  affectum  et  substantiani;  et  ideo  non  est  intoUectiva  sed  af- 
fectiva  :  quia  intellectus  ordinatur  ad  affectum  ut  ad  finem.  »  Sum.  theol., 
I,  tract.  I,  q.  2.  Borgnet,  t.  31,  p.  11.  «  Theologia  scientia  est  secundum 
pietatem,  hoc  est^  quod  non  est  de  scibili  simpliciter  ut  scibile  est,  nec  de 
omni  scibili,  sed  secundum  quod  est  inclinans  ad  pietatem.  »  —  Il  est  à 
remarquer  que  sur  ce  point  de  doctrine  spécial,  Albert  le  Grand  est  plus  au- 
gustinien  que  S.  Bonaventure  qui  enseigne  que  la  théologie  est  une  science 
à  la  fois   spéculative   et  pratique,   mais   surtout  pratique. 

1.  Sum.  theol,  l,  tract.  I,  q.  5,  mb.  III.  Borgnet,  t.  31,  p.  26,  B.  «  Ad 
ultimum  dicendum  quod  licet  de  dicto  sacrae  Scriptxirae  non  licet  dubitare, 
tamen  de  ratione  dicti  dubitare  licet,  et  ad  illam  contingit  quaerore  argumenta- 
tionem,  et  maxime  ut  contradicens  revincatur.  Sicut  in  aliis  scientiis  est, 
quod  non  est  disputare  ad  negantem  principia,  sed  ad  principia  conce- 
dentem.  Ita  in  theologia  ad  eum  cpii  negat  sacram  Scripturam  verum  di- 
cere  non  est  disputatio  de  fidei  articulis,  sed  ad  eum  qui  concedit  hoc,  multae 
rationes  possunt  induci.  Sicut  et  metaphysicus  cura  negante  omnia,  non  dis- 
putât... ad  eum  qui...  dicens  infinita  significent  et  contradictoria,  non  verbe 
disputât,  sed  facto,  ut  dicit  Avicenna  in  IV  Metaphysicue  suae.  Non  enim 
restât  nisi  ut  adversarius  veritatis  projiciatur  in  ignem;  quia  secundum  eum 
idem  est  esse  in  igné,  et  non  in  igné  esse.  Sic  facit  theologus,  separans  se  ab 
eo  qui  omnia  negat  quae  Scriptura  dicit.  » 

2.  Sum.  theol..  p.  1,  tr.  I.  q.  4.  Borgnet,  t.  31,  p.  20  B.  «  Haec  scientia 
separatur  ab  aliis  subjecto,  passione  et  principiis  confirmantibus  ratiocinatio- 
nem.  Subjecto  quidem  quia  in  aliis  scientiis  subjectam  est  eus  vel  pars  entis, 
a  natura  vel  a  nobis  causatum,  ut  dicit  Avicenna  in  principio  suae  metaphy- 
sicae.  In  theologia  autem  subjectum  est  fruibile,  vel  relatum  ad  ipsum  per 
modum  signi  vel  utiHs.  Passiou<'  autem,  quia  quod  in  bac  scientia  de  subjecto 
ostenditur,  vel  divinum  est  attributum,  vel  ordinatam  est  ad  ipsum;  ia  aliis 
autem  scientiis  proprietas  entis  est  a  nobis  vel  a  natura  causata.  Principio 
vero,  quia  quod  in  ista  Scientia  probatur,  per  fidem  quae  articuius  est  qui  cre- 
ditur,  vel  antecedens  fidem,  quod  est  Scriptura,  vel  per  revelationem  probatur 
ut  principium.  Quod  autem  in  aliis  scientiis  probatur,  probatur  per  principium 
quod  est  digiiitas,  vel  maxima  propositio.  » 

3.  Sum.  theol.,  I,  tract.  I,  q.  (î.  Borgnet,  t.  31,  p.  31  B.  «  Imp()ssil)le  est 
quod  haec  scientia  (theologia  sacra)  finem  in  aliis  scientiis  habeat,  sed  ipsa 


670         REVUE   DES   SCIENCES  PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

conduisent  resprit  à  quelques-unes  de  ces  grandes  vérités  que  la 
foi  présuppose,  aux  «  praeambula  fidei  ».  Ainsi  les  philosophes  su- 
rent démontrer  que  Dieu  est,  et  au  moins  déterminer  ce  qu'il  n'est 
pas  (quid  non  est),  sinon  ce  qu'il  est  (quid  sit)  (1).  Car,  lorsque 
nous  disons  que  Dieu  est  une  substance,  nous  désignons  d'un© 
manière  insuffisante  (infinité)  une  substance  qui  dépasse  infi- 
iiinient  toute  substance  (2).  En  un  mot,  la  connaissance  que  nous 
avons  de  Dieu  est  analogique  (3). 

Et  cepondaiït,  ces  vérités  primordiales  :  l'existence  de  Dieu 
et  ses  principaux  attributs,  peuvent  être  prouvées  avec  une  telle 
évidence,  qu'elles  ne  sauraient  plus  être  objet  de  foi  pour  celui 
qui  en  a  compris  la  démonstration  (4).  Il  découle  en  effet  du 
concept  de  la  foi  qu'un  même  homme  ne  peut  croire  et  savoir 
une  vérité  considérée  au  même  pomt  de  vue  (5).  Arrivés  près- 


finis  aliarum  scientiarum  est  ad  quam  omnes  aliae  referimtur  ut  ancillae.  Et  hoc 
modo  sola  libéra  est;  omnibus  enim  existentibus  et  suffragantibus  nobis  et  ad 
voluptatem  et  ad  necessitatem,  ista  post  omnia  habita  et  in  omnibus  habitis 
quaeritur,  et  ideo  libéra  est.  et  domina  est  et  in  omnibus  potior.  » 

1.  In  I  Sentent.,  dist.  III.  A,  art.  2.  Borgnet,  t.  25,  p.  93  B.  «  Dicendum  quod 
(philosophi)  non  cogiiovertm.t  nisi  quia  est  (Deus)  et  quid  non  est  non  quid 
est,  ut  habitum  est  prias.  Licet  enim  cognoverunt  quaedam  attributa  ipsius, 
non  tamen  habuerunt  de  ipsis  cognitionem  certam;  sicut  invenimus  qiiosdam 
cognovisse  sapientiam  ipsius,  et  cum  hoc  dicere  quod  non  haberet  scientiam 
partie ularium.  » 

2.  Snm.  theoJ.,  I,  tract.  III,  q.  U,  memb.  I.  Borgnet,  t.  31,  p.  69-70.  «  Di- 
cinnis  igitur  quod  ex  solis  naturalibus  potest  cognosci  quia  Deus  est  positive 
intellectu  :  cfuid  autem  non  potest  cognosci,  nisi  infinité.  Dico  autem  infinité, 
quia  si  cognoscatur  quod  substantia  est  incorporea,  determinari  non  potest 
quid  finite  génère,  vel  specie,  vel  differentia,  vel  numéro  illa  substantia  sit... 
Dicimus  enim  quod  cum  dicitur  substantia  Deus,  non  est  substantia  qnae  nobis 
innotescit  finite  génère  vel  specie.  vel  differentia  vel  numéro  :  sed  est  subs- 
tantia infinité  eminens  super  omnem  substantiam...  Privative  autem  intellectu 
cognoscitur  quid  non  est,  sicut  quod  non  est  corpus...  cp-^od  non  est  temporalis  ». 

3.  Sum.  thcol.,  I,  tract.  111,  q.  13,  meml).  I.  Borgnet,  t.  31,  p.  56.  —  Ihid.; 
m.   Il,  p.  58. 

4.  In  III  Sentent.,  dist.  XXIII.  G.  art.  XIII.  Borgnet,  t.  28,  p.  429.  «  Ratio 
probans  Deum  esse  et  unum  esse,  non  ostendit  nisi  quia  et  non  quid.  Licet 
autem  per  fidem  non  possimus  penitus  accipere  quid  est  Deus,  eo  quod  ipse 
solus  perfectus  sui  contemplator  sit,  tamen  accedimus  magis,  quam  ratio  ducat, 
dicentes  etiam  cujusmodi  unum  Deus  sit,  et  cujusmodi  substantia,  sciUcet 
quod  suum  unum  non  répugnât  pluralitati  personarum...  et  haec  irapossibile 
est  probare  :  et  ideo  hoc  modo  fides  est  de  Deo  quod  sit  substantia  et  quod 
sit  unus  :  et  non  illo  modo  quo  concluditur,  quia  est  Deus,  et  sul)stantia,  et 
unus.  »  —  In  III  Sentent.,  dist.  XXV.  B,  art.  II.  Borgnet,  t.  28.  p.  476  B. 
Commentaire  du  passage  Heb.  XI,  6  :  «  Credere  oportet  accedontem 
ad'  Deum  quia  est  »...  Cum  dicitur  quia  est,  non  credo  quod  supiionatiu-, 
quia  est  în  universali  tantum,  quia  hoc  invesligatur  ratione  tantum  vel  naturali 
cognitione,  sed  (juia  est  determinatuin  in  ([uihusilain  articulis  «  ileterminatis 
a  revelatione.  » 

f).  In  III  Sentent.,  dist.  XXIV.  C,  art.  9.  Borgnet,  t.  28,  p.  468.  «  Fides 
et  scicntia  sunt  de  eodem,  non  secunduin  idem;  et  ideo  unum  non   évacuât 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  671 

qu'au  terme  de  cette  longue  revue  où  ont  défilé  bon  nombre  dé 
théologiens  médiévaux,  nous  constatons  qu'Albert  est  le  premier 
qui  ait  saisi  toute  la  portée  de  ce  principe,  et  ait  osé  l'appliquer 
au, premier  article  du  symbole. 

La  raison  ne  se  contente  pas  d'établir  ces  grandes  vérités  qui 
forment,  pour  ainsi  dire,  le  portique  de  la  foi  (praeambula  fidei), 
elle  s'efforce,  en  outre,  de  montrer  que,  si  la  foi  est  au-dessus 
de  la  raison,  l'assentiment  qu'elle  produit  n'est  pas  contraire  à  la 
raison  (1)  et  que  de  sérieux  motifs  militent  en  sa  faveur  (2). 
D'ailleurs,  ces  motifs  n'ont  qu'une  valeur  persuasive;  ils  por- 
tent à  croire,  mais  ils  ne  sauraient  forcer  ou  contraindre  le  con- 
sentement, puisqu'ils  ne  démontrent  pas  le  contenu  obscur  de 
la  foi  :  l'assentiment,  ou  mieux,  à  raison  de  l'élément  actif,  le  con- 
sentement est  l'œuvre  de  cette  lumière  infuse  qu'est  la  foi  t3).  La 

aliutl,  et  ideo  concedo  rationes  primo  inductas  hoc  modo  iiitelligendo  ;  fides 
autem  non  assentit  propter  rationem,  sed  ratio  ibi  est  sub  fide,  et  similiter 
scientia...  »  —  Jbid.,  ad.  2m.  «  Ad  aliud  dicendum,  cfuod  hoc  modo  quo 
fides  est  de  articulo  illo  non  potest  esse  scientia  vel  ratio  de  eodem  :  ot  cfiialiter 
hoc  sit  saepius  jam  supra  explanatum  est.  » 

1.  In  III  Sentent.,  dist.  XXIV.  A,  art.  2.  Borgnet,  t.  28,  p.  447  B,  448  A. 
«  Dicendum  sine  praejudicio,  quod  laus  fidei  est  assentire  ei  quod  non  videtur: 
non  tamen  contra  rationem.  Aliuc]  enim  est  esse  supra  rationem,  et  aliud 
est  esse  contra  rationem.  Auctoritas  enim  revelationis  cui  innititur  cogitatua 
fidei,  secundum  quod  est  ex  auditu,  est  supra  rationem,  sed  non  contra  ratio- 
nem; et  secundum  illum  cogitatum  est  articuliis  :  et  ideo  non  audemus  aliquid 
dicere  aut  cogitare  (ut  dirit  Dionysius)  praeter  ea  quao  nobis  in  sacris  eloquiis 
sunt  expressa.  » 

2.  Sum.  theol..  I.  tract.  III.  q.  15,  mb.  III.  art.  2.  Borgnet,  t.  31,  p.  109  B. 
«  Ad  id  quod  ulterius  quaeritur,  satis  bene  respondenmt  Praepositivus  et  Gui- 
lielmus  Altisiodorensis.  Très  enim  rationes  assignaverunt  propter  quas  bonum 
est  quaerere  rationes  credendorum.  Una  est  ut  melius  cognoscatur  creditum. 
Melius  enim  cognoscitur,  ffiiod  dualms  viis  cognoscitur,  quam  quod  una  :  et 
sic  quod  fide  et  ratione  cognoscitur,  melius  cognoscitur  quam  quod  cognoscitur 
fide  sola.  Secunda  est  propter  inductionem  simplicium  ad  fidem,  qui  faciHus 
inducun^tur  per  rationem  persuasivam.  Ad  Rom.  X,  7  :  Fides  ex  auditu,  au- 
ditus  autem  per  verbum  Christi.  Tertia  est  propter  contrrdictionem  infidelium 
convincendam.   qui  non  possunt  convinci  nisi  per  rationem.  » 

3.  In  in  Sentent.,  dist.  XXIV.  A,  art.  I.  Borgnet,  t.  28,  p.  446.  «  Fides 
non  habet  meritum  cui  humana  ratio  praebet  experimentum.  Tamen  distinguen- 
dum  est  hic  duplici  distinctione  :  rpiaruni  unam  pnnit  Damascenus,  scilicet 
quod  quaedam  fides  ex  auditu,  ot  quaedam  est  charisma  Spiritus  Sancti  ;  illa 
quae  est  ex  auditu,  potest  habere  rationem  inductivam,  non  probativam;  non 
ut  quis  consentiat,  sed  ut  facilius  consentiat  ei,  cui  tam?n  per  affectum  est 
inclinatus  ot  paratus  consentire.  Charisma  autem  est  lumen  infusum  tendons  in 
primam  veritatem,  et  haec  non  habet  rationem  inducentem.  ut  ita  dicam.  Et 
ut  hoc  melius  intelligatur,  resumendum  est  quod  babituni  est  in  praecedonti 
distinctione,  ubi  diffinitur  crodere  ah  Augiislino,  ((uod  credcrc  est  cum  asseu- 
sione  cogitare.  Uiide  ex  parte  cogititionis  almittit  rationem;  quia  ex  parte  illa 
est  ex  auditu;  et  haec  ratio  quam  admiUit  non  est  probans  sed  quasi  alludens 
credito  ad  jucunditatem,  non  âd  consensum;  ex  parte  autem  consensus  non 
innititur  nisi   lumine  infuso.   Aliam  etiam  distinctionem  ponit  Petrus  in   Itine- 


672         REVUK   DES  SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

même  valeur  persuasive,  rien  de  plus,  est  attribuée  aux  miracles  : 
ils  conduisent  à  la  foi  et  la  confirment  (1). 

Grâce  à  ces  sages  théories  sur  les  relations  entre  la  science 
et  la  foi,  Albert  le  Grand  a  su  éviter  les  écueils  contre  lesquels 
ont  heurté,  dans  leurs  spéculations  trinitaires,  la  plupart  des 
théologiens  antérieurs.  H  enseigne  que  les  philosophes,  par  la 
seule  raison,  n'ont  pas  pu  connaître  nettement  la  Trinité;  car 
ce  mystère,  en  opposition,  —  Albert  ne  dit  pas  laquelle,  —  avec 
les  principes  de  notre  science,  dépasse  notre  intelligence  et  exige 
un  principe  de  connaissance  supérieure,  c'est-à-dire  la  foi. 

D'autre  part,  les  créatures  nous  offrent  de  trop  imparfaites  simi- 
litudes de  Dieu,  pour  qu'elles  puissent  nous  soulever  jusqu'à  ces 
hauteurs  (2).  Aussi,  n'est-ce  point  Albert  qui  tentera,  sur  nouveaux 
frais,  de  réaliser  les  prétentions  de  saint  Anselme  et  de  Richard 
de  Saint-Victor,  allant  à  «  démontrer  »  la  Trinité  par  des  raisons 
philosophiques  nécessaires,  sans  jamais  invoquer  l'appui  de  l'É- 


rario  démentis,  scilicel  quod  fidos  non  exigit  probatioiiem  uisi  ut  prôbetur 
verus  esse  Propheta  qui  tradidit  eam  :  Si  enim  ille  verus  extiterit,  absque 
dubio  oniiiia  quae  docet,  vera  erunt,  quamvis  qnaedam  earum  propter  sui 
altitudinem  non  întelligantur.  » 

1.  Sioii.  theoL,  II,  tract,  VIII,  q.  32,  m.  1,  art.  1.  Borgneï,  t.  32,  p.  352  A. 
«  Concedendum  est  quod  finis  miraculi  in  homine  est  inductio  fidei  et  conJir- 
matio.  Et  hoc  videtur  etiam  innuere  Dominus,  Joan.  IV,  48,  ubi  dicit  :  Nisi 
signa  et  prodigia  videritis,  non  creditis.  » 

2.  Sum.  theoL,  I  p.,  tract.  III,  q.  13,  niemb.  III.  Borgnet,  t.  31,  p.  60  A. 
«  ...  Philosophi  per  propria  ductu  naturalis  rationis  non  potuerunt  cognoscere 
trinitatem...  »  • —  Ibid.,  ad.  G^.  «  Auctoritas  Augustini  non  probat  quod  co- 
gnoverunt  nisi  appropriata  quae  secundum  se  sunt  commiinia  sicut  et  essentia.  » 
—  Albert  fait  ici  une  allusion  assez  vague  à  la  raison  qu'allègue  Guillaume 
d'Auxerre,  et  après  lui  S.  Thomas,  pour  prouver  que  les  philosophes  ne  pou- 
vaient connaître  la  Trinité.  Mais  il  semble  n'en  point  comprendre  la  portée, 
comme  Guillaume  d'Auxerre  et  surtout  S.  Thomas  l'ont  comprise,  autrement 
il  ne  se  contenterait  pas  des  raisons  suivantes  :  In  I  Sentent.,  dist.  III.  F, 
art.  18.  Borgnet,  t.  25,  p.  113  B.  «  Sine  dubio  Pliilosophi  ductu  naturalis. 
rationis  non  potuerunt  cognitionem  .liabere  determinatam  de  Trinitate  secun- 
dum propria  uomina  personarum;  et  hoc  contingit  propter  tria  :  quorum  unum 
est  quia  cognitio  illa  oppositionem  habet  ad  principia,  quibus  intellectus  accipit 
scientiam,  qualia  sunt,  quia  unius  naturae  indivisibilis  per  numerum  non  pos- 
sunt  esse  supposita  plura...  et  omnibus  bis  oppositum  est  in  distinctione  per- 
sonarum in  Trinitate;  et  ideo  ad  notitiam  Triaitatis  exigitur  aliud  principium 
altius  bis  quod  est  fidcs,  sive  illuminatio  revelationis  desuper  veuientis.  Se- 
cundum est,  quia  scientia  Dei  mirabilis  est,  et  confortata,  et  non  possumus  ad 
eam  :  eo  quod  excedit  et  viucit  nos,  sicut  supra  probatum  est.  Tertium  est  quia 
similitudo  in  creatura  represeutans  Deum  non  est  perfecta,  et  déficit  in  repre- 
sentando,  sicut  Magister  dicit  infra  :  quia  omiiis  similitudo  in  pluribus  multo 
déficit  quam  conveniat.  »  —  In  I  Sentent.,  dist.  III.  F,  art.  14.  Borgnet, 
t.  25,  p.  105.  «  Hic  autem  transsumitur  vestigium  ad  confusam  similitudinem 
artificis  in  opère  suo,  in  quo  non  expresse  relucet;  et  ideo  in  fine  istius  ca- 
pifuli  dicit  ^"Magister,  quod  videntes  per  vestigium,  per  umbram  viderunt  et  de 
biniiincino  vcrilaleni,  déficientes  in  contiiilu  veritalis  :  lanien  aliqiiid  videtur  in 
vestigio,  sicut  aliqua  distinctio  per  appropriata,  licet  non  per  propria.  » 


LA    PHILOSOPHIE    ET    LA    FOI  673 

criture.  Bien  au  contraire,  Albert  le  Grand  déclare,  dès  les  prélimi- 
naires de  son  traité,  qu'il  y  faudra  procéder  par  des  arguments 
d'autorité,  plutôt  que  par  des  preuves  rationnelles  (1). 

En  somme,  l'illustre  docteur  dominicain  s'est  montré  digne 
de  sa  réputation.  Il  a  non  seulement  réussi  à  introduire  complè- 
tement l'œuvre  d'Aristote  en  philosophie,  mais  par  ses  travaux 
théologiques,  où  l'augustinisme  prédominant  est  maintes  fois 
déborde  par  des  doctrines  aristotéliciemies,  il  a  préparé  les  es- 
prits à  la  synthèse  définitivement  aristotélicienne  de  son  grand 
disciple,  Thomas  d'Aquin  (2).  Celui-ci  reprendra  notamment  les 
idées  de  son  maître  sur  les  rapports  entre  la  science  et  la  foi  : 
leur  distinction  formelle,  l'impossibilité  de  croire  et  de  savoir 
en  même  temps  une  même  vérité,  considérée  au  même  point  de 
vue,  le.  rôle  préparatoire  et  persuasif  de  la  science  vis-à-vis  de 
la  foi  et  l'inaptitude  foncière  de  la  raison  à  démontrer  les  mys- 
tères. A  ces  éléments  de  solution  proposés  par  Albert,  le  Docteur 
angélique  n'ajoutera  rien  d'entièrement  nouveau.  Mais,  par  une 
précision  de  langage  plus  grande,  une  argumentation  plus  ri- 
goureuse, et  logique  jusqu'aux  moindres  détails,  saint  Thomas 
mettra  au  point  la  doctrine  de  son  maître  :  la  théologie,  d'augusti- 
nienne  et  pratique  qu'elle  était  chez  Albert,  deviendra  aristotéli- 
cienne et  spéculative  chez  son  génial  disciple. 

Mulhouse.  Th.  Heitz. 


1.  In  I  Sentent.,  dist.  II.  C,  art.  10.  Borgnet,  t.  25,  p.  63  B.  «  ...  Et  ideo 
cum  fides  in  liac  scientia  praecedat  intellectum  (ut  liabitum  est)  prius  est  pro- 
cedendum  per  auctoritates,   qiiam  per  rationes.  » 

2.  Stockl.  Gesch.  der  Philos,  des  Mittelalt.  II,  421.  «  Albert's  Lehrsystem  ist 
normgebend  geworden  fiir  die  iiaclifolgemle  Scholastik.  Schoii  sein  naclister 
Nachfolger,  Thomas  von  Aquin,  sein  Schûler,  steht  ganz  auf  den  Schultern 
seines  Lehrers.  Er  hat  in  vielen  Bezieliungen  seinen  Lohrer  iibertroffen,  ist 
auch  in  manclien  Punkten  von  ihm  al)ge\viclien,  aber  die  Grundanschauungen, 
die   Hauptgesichtspunkte   beider   sind   die   nâmlichen.  » 


LES    DEUX    THÉOLOGIES  : 

LA  SCOLASTIQUE  ET  LA  POSITIVE 


SONT-ELLES  deux  Vraiment?  Possèdent-elles  chacune  son  ob- 
jel  propre,  irréductible  à  celui  de  l'autre  ?  —  Tel  est  le  pro- 
blème de  compétences  respectives  que  je  voudrais  examiner 
au  point  de  vue  des  théologiens.  Un  catholique  s'y  achemine  spon- 
tanément dès  qu'il  veut  s'expliquer  les  données  de  sa  foi  par  le 
moyen  de  sa  raison. 

Problème  comparatif,  comment  J'aborderais-je  sans  rappeler 
d'abord  l'objet  particulier  de  la  théologie  scolastiqne?  Elle  est 
des  deux  la  plus  classique  dans  l'Église,  la  plus  achevée,  la  mieux 
connue  :  elle  convient  donc  bien  pour  nous  fournir  le  terme 
initial  de  la  comparaison.  Elle  y  convient  d'autant  mieux,  que 
l'objet  rigoureux  de  la  théologie  positive  se  discute  présentement 
encore  :  ces  discussions  attestent  le  besoin  d'éclaircissements 
plus  complets  (1).  Sans  prétendre  nullement  à  les  fournir  d'em- 
blée, j'espère  du  moins  en  indiquer  le  sens,  grâce  aux  orientations 
qui  se  dégagent  des  travaux  antérieurs. 

Mais  la  théologie  suppose  la  foi,  disais-je  tout  à  l'heure;  et 
donc,  nous  ne  comprendrons  bien  son  existence  et  sa  nature 
qu'en  nous  remémorant  le  procédé  vital  par  où  l'esprit  du  croyant 
passe  de  la  foi  pure  et  simple  à  la  science  des  vérités  révélées. 
Nous  surprendrons  ainsi  la  naissance  de  la  théologie  dans  la 
lumière  surnaturelle  et  intérieure  où  se  déroulent  ensuite  ses 
progrès.  C'est  sous  la  projection  de  cette  même  lumière  que  deux 
théologies,  s'il  en  est  deux,  pourraient  ensuite  se  distinguer:  elles 
procéderaient  comme  deux  rayons  issus  d'un  même  foyer,  mais 
éclairant  deux  aspects  divers  des  mêmes  choses  divines. 


1.  M.  Th.  Coconmer.  Positive  et  Spéculative.  Revue  thomiste,  janvier  1903. 
A.  Li^MONNYER.  Théologie  positive  et  Théologie  historique.  —  jRrvne  du 
Clergé  français,  1er  mars  1903.  —  Comment  s'organise  la  Théologie  catholique; 
1"  octobre  1903.  —  P.  Batiffol,  Évolutionisme  et  Histoire,  Bulletin  de  Lit- 
térature ecclésiastique,  juin  1906.  —  M.  Jacqui.n.  Question  de  mots  :  His- 
toire des  dogmes,  Histoire  des  doctrines.  Théologie  positive.  Revue  des  Se.  Th. 
et   Fhil..   janvier   1907. 


LES  DEUX  THÉOLOGIES  675 

I.  —  LA  GENÈSE  DU  PROBLEME  THÉOLOGIQUE 
DANS  LA  VIE  DE  LA  FOI. 

La  foi  vit  intégralement  lorsque  ses  convictions  s'épanouissent 
en  œuvres,  mais  son  acte  essentiel,  le  premier  signe  de  sa  vie 
propre,  c'est  l'acte  même  de  croire.  Nous  devons  donc  ici 
regarder  de  près  aux  caractères  de  cet  acte  :  ils  influencent 
essentiellement  les  origines  et  la  nature  de  la  théologie. 

Étant  donnée  la  révélation  émise  par  Jésus-Christ  et  trans- 
mise jusqu'à  nos  jours  par  l'Église  catholique,  l'intelligence  du 
croyant  adhère  bien  en  réalité  à  des  choses  divines.  Mais  elles 
s'expriment  humainement  sous  forme  d'énoncés.  Ce  morcelage  du 
simple  et  de  l'infini  est  nécessaire  à  sa  pénétration  dans  notrq 
esprit  borné,  analytique,  raisonneur. 

Des  énoncés  à  croire,  ceilains  nous  représentent  la  vie  intime 
de  Dieu,  Père,  Fils  ou  Esprit.  La  plupart  se  réfèrent  à  l'action 
gracieuse  des  Personnes  divines  pour  nous  communiquer  leur 
propre  vie.  Or,  ces  objets  dépassent  tous  de  soi  la  sphère  des 
vérités  naturelles,  que  la  raison  découvre  et  que  la  philosophie 
peut  démontrer  relativement  à  Dieu.  En  conséquence,  le  Dieu  de 
la  révélation  réclame  de  ses  adhérents  une  conviction  qui  dépasse 
l'efficacité  de  la  simple  raison  et  de  la  science  pure. 

Sans  doute,  cette  conviction  se  justifie  rationnellement,  scien- 
tifiquement par  des  motifs  de  crédibilité  historiques,  moraux, 
psychologiques,  sociaux;  mais  ceux-ci  la  préparent  et  ne  la  pro- 
duisent pas.  L'assentiment  du  fidèle  aux  énoncés  révélés  corres- 
pond de  la  sorte  à  cette  parole  du  Père  qui  fait  connaître  le  Fils 
à  ce  témoignage  intime  de  Dieu,  à  cette  docilité  ou  docibilité  de 
l'àme  que  mentionnent  les  Écritures  (1).  Bien  que  passible  tou- 
jours d'inquiétudes  intimes  sur  l'objet  de  sa  foi,  parce  qu'il  ne 
le  voit  pas,  le  croyant  se  tient  ferme  dans  la  sécurité  que  lui 
donne  la  vérité  première  et  absolue  (2).  Telle  est  la  vie  de  la 
foi,  considérée  simplement  d-^.ns  son  acte  essentiel,  qui  est  de 
croire  en  Dieu. 

Mais  cette  vie  anime  une  raison  humaine;  et  celle-ci  cherche 
naturellement  à  pénétrer  l'être  des  choses.  iVinsi  le  croyant  s'en- 
gagera dans  certaines  recherches  sur  les  objets  de  sa  foi;  —  à 


1.  Mt.  XL  27.  Eom.  VIII.  16.  i.  Jo.  V.  10.  Jo.  VI.  4b. 

2.  Sunima  theohgica.   U.^  n^e.     Quaestio.  2.  Art.   I.  —  Qaaestiones  de  Veri- 
tate,  XIV.  Art.  1.  corp.  §  Patet  ergo,  et  ad  5^. 


H76         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

proportion,  bien  entendu,  de  son  génie  si)éculatif  et  de  sa  cid- 
ture  rationnelle,  que  stimulent  tantôt  des  expériences  religieuses 
et  tantôt  des  besoins  d'action.  —  Certains  objets  de  la  foi  sont  de 
nature  exclusivement  spirituelle,  comme  Dieu  et  sa  grâce.  Corpo- 
rels, dans  l'Incarnation  et  dans  les  sacrements,  ils  contiennent 
Dieu  encore  ou  son  action;  ils  appartiennent  de  ce  chef  au  monde 
spirituel.  Et  donc,  à  des  titres  divers,  toutes  ces  réalités  appellent 
cette  science  particulière  de  l'immatériel  et  du  divin,  qui  a  nom 
la  métaphysique  ;  —  mais  une  métaphysique  d'un  genre  à  part 
encore.  Ses  notions  fondamentales,  ses  axiomes  générateurs  sont 
données  de  révélation:  à  la  lumière  de  ces  principes,  le  théologien 
étudiera  les  relations  constitutives  des  Personnes  divines,  l'union 
du  Verbe  à  la  nature  humaine  en  Jésus-Christ,  l'habitation  du 
Sajnt-Esprit  dans  les  justes,  l'action  des  sacrements. 

Cette  métaphysique  du  surnaturel  n'est  autre  que  la  théolo- 
gie dénommée  scolastique,  d'après  l'École,  dont  ses  œuvres  dé- 
notent le  milieu  professoral  et  la  méthode  didactique  (1).  Mais  tout 
ce  que  l'École  synthétisa  en  Sommes,  à  l'usage  des  lecteurs  et  des 
étudiants,  les  écrivains  de  l'antiquité  chrétienne,  les  Pères  l'a- 
vaient jadis  élaboré  par  fragments,  à  l'usage  d'un  public  mêlé, 
selon  les  controverses  de  leurs  temps  et  de  leurs  cités.  Du  jour  où 
la  croyance  de  l'Église  et  la  philosophie  des  Grecs  se  rencontrè- 
rent dans  un  esprit  orthodoxe  et  penseur,  la  scolastique  fut  en 
préparation.  En  vertu  de  ces  origines,  sa  théologie  se  constitua 
et  vit  encore,  traditionnelle  par  ses  maximes,  rationnelle  dans 
ses  procédés.  C'est  pourquoi,  envers  et  contre  tous  novateurs, 
qui  se  l'imaginent  périmée,  l'Église  maintient,  de  nos  jours  encore, 
la  discipline  éducative  et  scientificrue,  héritée  de  l'École  (2). 

Mais  alors,  la  scolastique  posséderait-elle  un  monopole  ;  serait- 
elle  à  jamais  l'unique  espèce  de  théologie  recevable  dans  l'É- 
glise ?  Devrions-nous  contester  le  nom  de  théologie  à  celle  qui  se 
dit  positive,  pour  la  classer  en  réalité  parmi  les  sciences  histori- 
ques ?  —  Il  est  probable  que  non,  lorsque  des  maîtres  théologiens 
comme  Melchior  Cano,  Maldonat,  Pétau,  Morin,  Thomassin  tra- 
vaillèrent à  l'organiser.  Il  est  certain  que  non,  puisque  des  Pères 
comme  saint  Athanase  ou  saint  Cyrille  d'Alexandrie  s'y  essayaient 
déjà  :  ils  opposaient  en  effet,  les  témoignages  suivis  de  leurs  pré- 


1.  T.  Richard.  Étude  critique  sur  le  but  et  la  nature  de  la  Scolastique.  — 
Reviie  thomiste,  mai-juin  1904,  179,   180. 

2.  LÉON   XIII.   Encyclique   Aeterni   Patria.   —   Pie   X.   Encycliqiie  Pascendi. 


LES    DEUX    THÉOLOGIES  6*7 

décesseurs,  la  foi  constante  de  leurs  églises  aux  inventions  des 
hérétiques.  Alors,  si  nous  voulons  sentir  avec  l'Église,  nous  sui- 
vrons une  règle  formulée  dans  ce  but  par  saint  Ignace  de  Loyola, 
au  Livre  des  Exercices  :  «  Hautement  apprécier  la  Doctrine  sacrée, 
tant  celle  dite  positive  que  celle  dite  scolastique  (1)  ».  Ceci  n'est 
pas  seulement  une  maxime  d'orthodoxie,  un  fin  conseil  de  pru- 
dence; mais  encore  un  fécond  principe  de  culture  intégrale. 

Cependant,  nous  ne  devons  pas  ici  nous  contenter  de  présomp- 
tions ou  d'autorités  ;  du  moment  que  nous  traitons  un  problème 
de  méthode,  nous  sommes  tenus  de  le  résoudre  par  des  raisons 
inhcrenicc  à  la  nature  des  choses. 

De  même  que,  tout  à  l'heure,  nous  reconnaissions  l'étude  mé- 
taphysique du  surnaturel  comme  l'objet  d'une  science  fondée  sur 
la  foi,  conmie  le  principe  formel  du  groupement  de  théologiens 
nommé  l'École;  de  même  nous  examinerons  s'il  n'existerait  pas 
un  autre  aspect  du  surnaturel,  qui  échapperait  à  cette  science  : 
il  réclamerait,  par  suite,  un  autre  groupe  de  spécialistes. 

Or,  il  existe  précisément  un  aspect  du  surnaturel  qui  échappe, 
à  certains  égards,  aux  prises  de  la  scolastique.  A  ces  égards,  il 
nécessite  une  théologie  qui  n'est  plus  de  la  métaphysique,  mais 
qui  demeure  encore  de  bonne  théologie.  Arrêtons-nous  d'abord 
à  caractériser  cet  aspect;  ensuite,  nous  verrons  sous  quel  angle 
il  réclame  une  théologie  particulière. 

II.  —  LA  TRANSMISSION  SOCIALE  DE  LA  REVELATION. 

Jésus  enseigne  d'autorité,  comme  le  témoin  de  son  Père  : 
Tanquam  'potestatem  hahens  (2j.  D'autorité  aussi,  les  apôtres 
enseignent,  comme  témoins  de  Jésus,  chargés  de  son  message  (3). 
Saint  Paul  écrit  aux  Corinthiens  :  «  Je  reçus  du  Seigneur  ce  que 
je  vous  livrai  »;  et  le  pape  Etienne,  aux  rebaptisants  :  «  Ce 
que  nous  reçûmes  des  Apôtres,  nous  l'observons»  (4).  C'est  donc 
un  fait  matériel,  posé  dans  le  temps  et  dans  l'espace,  un  objet 
d'observation  et  d'expérience,  que  le  geste  testimonial  de  Jésus 
et  de  l'Église.  Voilà  un  fait  positif  dans  le  sens  propre  du  mot. 

C'est  plus  encore  qu'un  simple  fait.  Jésus  disait:  (.^Nul  ne  co)uiait 


1.  Exercitin   sptritualia.   Rogulae   aUquot   servaudae   ut   cum   orthodoxa  Ec- 
clesia  vere   sentiamuSj  XI. 

2.  Me.    I.    22. 

3.  Jet.    L    S.    II,    32.    III,    15.    V.    32.    X.    39. 

4.  I.    Cor.    XI.    23.    Stephani   deeretum,    ap.    Denzixger-Stahl,    nf    15. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  4.  44 


678         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

le  Fère,  sinon  le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils  l'a  révélé  ».  Un  texte 
évangéliqiie  de  saint  Jean  cadre  si  bien  avec  ce  logion  qu'il  en 
paraît  à  son  tour  l'écho  apostolique  le  plus  fidèle:  a  Fer  sonne  ja- 
mais ne  vit  Dieu;  mais  le  Fils  unique,  vivant  au  sein  du  Père, 
Va  Jiiimême  raconté  »  (1).  Jésus  se  présente  là  comme  le  seul 
capable  de  manifester  ce  qu'il  voit  chez  son  Père,  à  l'exclusion 
de  tout  témoin  étranger.  L'impossibilité  humaine  de  voir  Dieu 
entraîne  la  nécessité,  essentielle  pour  l'homme,  d'entendre  qui  l'a 
vu.  Si  libre  que  Dieu  soit  éternellement  de  se  révéler  d'une  ma- 
nière ou  d'mie  autre,  du  moment  que  c'est  soi-même  qu'il  révèle, 
et  dans  sa  vie  intime,  un  seul  témoin  convient  à  l'objet  de 
cette  révélation.  Elle  ne  sortira  pas,  tout  immanente  des  intui- 
tions de  notre  conscience;  nous  entendrons  au  contraire  Celui 
qui  seul  a  vu  Dieu  et  que  Dieu  nous  envoie  comme  sa  parole  en 
personne   Mais  comment  donc  entendrons-nous  ce  témoin? 

Nous  ne  sommes  pas  des  anges  ;  mais  des  hommes  qu'on  ensei- 
gne au  moyen  de  signes  matériels.  Des  paroles  intérieures,  même 
venues  de  Dieu,  sont  trop  indiscernables  pour  la  multitude; 
trop  sujettes  à  mélanges  illusoires  dans  l'élite  mystique  deve- 
nue apte  à  les  écouter.  Pour  que  le  témoignage  divin  se  certifiât 
objectivement,  Jésus  devait  nous  l'apporter  suivant  le  mode  con- 
naturel  de  nos  informations  :  perceptible  à  l'oreille.  Saint  Paul 
comprenait  bien  cette  nécessité  du  témoignage  externe,  lors- 
qu'il disait  aux  Romains  :  «  Quiconque  invoquera  le  nom  du  Sei- 
gneur sera  sauvé;  mais  comment  Vinvoquer  sans  avoir  cru  en  lui  ? 
Mais  comment  croire  sans  avoir  écouté'?  Mais  comment  écouter 
sans  recevoir  un  messager?  Mais  commeyit  livrer  le  message  sans 
posséder  la  mission?  ...  La  foi  vient  donc  de  Vaudition,  et  l'audi- 
tion, de  la  parole  du  Christ  »   (2). 

Ainsi  donc,  à  raison  du  même  surnaturel,  humainement  indé- 
couvrable  et  révélé  à  des  hommes,  la  logique  du  témoignage  ex- 
tériorisé, l'autorité  positive  du  messager  qui  a  vu  se  substitue 
à  la  logique  de  la  preuve  interne  et  au  droit  naturel  de  la  libre  re- 
cherche, dès  que  Jésus  raconte  son  Père  à  ses  disciples.  C'est 
l'effet  immédiat  d'une  nécessité  intime,  qui  tient  à  ce  que  sont 
respectivement  les  choses  révélées  et  les  bénéficiaires  de  la  ré- 
vélation.  Ce   fait  surnaturel   de   communicalions   divines   adres- 


1.  Mt.  XI.  27.  Jo.  1.  18.  III.  31,  36. 


2.  Boni.    X.    14,    17.    —    Cf.    Constitutiones    Concilii    Vaticani.    Sessio    III. 
Const.   de  fide   Catholica,   cap.   2  De  Revelatione,   §  Hiiic  divinae  revelationi. 


LES     DKUX     THEOLOGIES  OTy 

sées  à  rhuinaiiité,  voulait  positivement  cette  forme  sociale  du 
témoignage   autorisé. 

Cette  forme  particulière  ne  devait  pas  se  restreindre  h  l'en- 
seignement tout  personnel  de  Jésus.  Par  delà  le  cercle  étroit  des 
Douze  et  même  du  peuple  juif,  Jésus  levait  les  yeux  vers  toutes 
les  multitudes  qui  lui  viendraient  de  l'Orient  et  de  l'Occident, 
vers  toutes  les  nations  jusqu'à  la  fin  des  temps  (1).  Aussi,  pour  que 
son  témoignage  s'universalisât  et  se  perpétuât  sans  altération 
de  ses  données  typiques,  Jésus  prit  des  mesures  de  garantie; 
mesures  sociales  encore.  —  Déjà,  si  pieux  et  si  docte  qu'un 
homme  apparaisse,  il  n'est  jamais  capable  de  conserver  isolément 
une  vérité  indécouvrable  à  sa  raison;  elle  le  dépasse  trop  pour 
ne  pas  le  tenter  à  part  soi  d'accommodements  à  ses  mesures  parti- 
culières ou  aux  idées  de  son  voisinage,  dussent-elles  la  défigurer. 
C'est  ce  que  saint  Paul  redoutait  en  écrivant  à  Timothée  :  «  Garde 
le  dépôt  traditionnel.  Évite  les  mots  profanes  et  tous  les  embar- 
ras d'une  science  usurpant  son  nom  »  (2).  A  plus  forte  raison, 
ces  adultérations  de  l'Évangile  menacent-elles  une  société;  car 
la  plupart  des  hommes  sont  crédules,  irréfléchis,  dociles  aux  par- 
leurs qui  flattent  leurs  passions. 

Faiblesses  de  nature,  faiblesses  collectives,  dont  le  protestan- 
tisme restera  dans  l'histoire  la  grande  preuve  expérimentale. 
Dès  son  rejet  originel  des  messagers  autorisés  que  l'Église  lui  en- 
voyait, Luther,  Calvin,  n'importe  qui  encore  devint  le  pape  de 
soi-même  sans  pouvoir  se  passer  ou  d'enseigner  autrui  ou  d'en  être 
enseigné  Les  confessions  antagonistes  s'entredisputèrent,  bien 
que  liguées  contre  Rome.  La  foi  de  la  Réforme  évolua  dans  une 
perpétuelle  dissolution.  Plus  que  jamais,  cette  déliquescence  opère 
de  nos  jours.  Elle  s'accélère  à  fond,  sous  le  mordant  de  la  libre 
critique  :  toujours  si  subjective,  d'une  part,  celle-ci  défère  sans 
cesse,  d'autre  part,  aux  suggestions  de  certains  maîtres  à  la 
mode,  bien  cfue  sous  les  graves  aspects  de  la  science  imperson- 
nelle! Nous  possédons  historiquement,  et  sous  nos  yeux  encore, 
l'expérience  cruciale  du  principe  d'autorité  pour  la  conservation 
et  la  propagation  de  l'Évangile.  En  conséquence,  il  est  aisé  do 
voir  à  quel  point  l'émission  surnaturelle  de  la  révélation  eût  com- 
promis son  avenir,  si  Dieu  n'avait  pourvu  à  garantir  lui-même 
les  messagers  ultérieurs  de  sa  fidèle  transmission.  De  là,  cette 


1.  Mt.  VIII,  11.  XXVIII.  20. 

2.  I.   Tim.   VI,   20. 


680         REVUF.   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

promesse  au  collège  des  apôtres,  considéré  comme  représentatif 
d'mie  société  permanente  :  «  Voici,  je  demeure  avec  vous  tous  les 
jours,  jusqu'à  la  fin  des  temps  »  (1).  Elle  complète  le  précepte 
d'enseigner  toutes  les  nations  :  c'est  la  grâce  requise  par  la  durée 
de  cette  mission.  Ici  encore,  l'àme  du  fait  positif  est  une  rationnelle 
adaptation  du  témoignage  ecclésiastique  aux  fins  de  la  révéla- 
tion. 

De  là,  le  caractère  surnaturel  qui  établit  ce  témoignage  à  part 
et  au-dessus  de  tout  autre  en  ce  monde.  Boëce  disait  et,  avec  lui, 
l'École,  que  le  témoignage  est  humainement  le  plus  débile  de  nos 
moyens  d'information  :  «  Locus  ab  auctoritate  est  infirmissi- 
mus  »  (2).  Non  seulement  il  ne  donne  pas  l'évidence  iutime  des 
choses  qu'il  rapporte  ;  mais  encore  il  demeure  livré,  de  sa  nature, 
aux  trahisons  de  la  mémoire  chez  celui  qui  le  donne  et  chez 
qui  le  reçoit,  quand  ce  n'est  pas  aux  trahisons  de  l'improbité; 
livré,  même  chez  les  plus  honnêtes,  aux  fantaisies  de  l'Imagi- 
native, aux  inconscientes  déformations  de  la  sensibilité  et  du 
tempérament;  livré  aux  courants  populaires,  créateurs  de  légen- 
des, et  aux  truquages  savants  de  l'opinion.  Chaque  âme,  en, 
son  particulier,  et  toute  société  en  bloc,  travaillent  à  falsifier 
tout  ce  qui  nous  arrive  par  voie  de  témoignage.  C'est  pour- 
quoi il  ne  fallait  rien  moins  qu'une  retouche  divine  de  ce  fragile 
instrument,  pour  qu'il  rendît  le  même  son  inaltéré,  depuis  lésus 
jusqu'à  Pie  X.  Si,  dans  le  fait,  l'histoire  établit  cette  continuité 
de  la  doctrine  catholique  dans  le  sens  premier  de  l'Évangile, 
voilà,  et  au  point  de  vue  psychologique,  et  au  point  de  vue  social, 
ime  chose  qui  dépasse  le  possible  hmnain.  Ce  fait  surnaturel 
vaut,  dans  son  genre,  ce  que  valait,  dans  le  sien,  la  résiLrrection 
de  Lazare.  C'est  un  miracle  perpianent  ;  il  émerveille  la  raison, 
lorsqu'elle  le  constate  dans  l'histoire  et  dans  les  enseignements 
de  l'Église  contemporaine  :  de  part  et  d'autre,  il  est  voulu  par 
le  progranune  de  témoignage  universel  que  Jésus-Christ  se  po- 
sait. 

C'est  donc  par  une  grâce  de  Dieu,  essentielle  à  son  objet, 
que  l'Église  nous  transmet  bien  pur  le  message  du  Christ.  Ici 
encore,  la  même  loi  d'ordre  social  demeure  l'âme  du  fait  :  un 
fait  de  témoignage,  divinement  garanti. 


1.  Mt.  XXVIII.   19.  20. 

2.  BoëcE.   In   Topic.   Ciceronis,  VI.   De  Differcntiis  topicis   III.   —   S.   Tho- 
mas,  Summa   thcologica.   l^   Pars   I.  8.   ad  2^. 


LES     DEUX    THÉOLOGIES  681 

Allons  plus  loin.  Le  même  caractère  de  présentation  par  'une 
société  autorisée  demeure  toujours  essentiel  aux  développements 
successifs  que  reçoit  le  message  du  Christ.  Jamais  les  données 
de  l'Évangile  ne  demeurèrent  figées  dans  les  formes  de  paraboles, 
de  sentences,  de  vérités  paradoxales,  de  causeries  interrogatives, 
par  où  le  Seigneur  se  plaisait  à  exciter  lui-même  les  réflexions, 
les  questions,  les  recherches  de  ses  disciples.  Aussi,  lorsque 
saint  Paul  commande  à  Timothée  le  rejet  des  mots  profanes  et 
nouveaux,  il  exclut  simplement  ceux  qui  manquent  d'affinité 
avec  le  sens  de  la  foi.  Jamais  il  ne  se  prive  de  donner  une 
signification  chrétienne  à  des  termes  classiques  ou  populaires, 
ni  de  se  créer  des  expressions  toutes  personnelles  (1).  L'Église 
agit  toujours  avec  la  même  imissance  cV assimilation,  comme  New- 
man  la  nommait  si  bien  (2).  A  la  conservation  textuelle,  authen- 
tique des  Livres  Saints,  elle  ajoute  continuellement  les  traductions 
de  mots,  les  explications  de  choses,  les  créations  de  formules, 
•tlont  elle  emprunte  les  éléments  à  la  langue  générale  ou  à  celle 
des  savants.  «  ]\Ière  de  Dieu  »  se  disait  dans  le  peuple  avant 
de  s'écrire  dans  les  Conciles  ;  «  transsubstantiation  »  avait  cours 
aux  écoles.  Conservateur  et  assijiiilateur,  le  développement  de 
la  doctrine  associe  essentiellement  une  série  de  générations.  Nulle 
part  comme  dans  l'Église,  il  n'est  vrai  de  dire  :  Ce  sont  «  les 
morts  qui  parlent  »;  car  ils  s'expriment  ressuscites  et  rajeu- 
nis par  les  vivants.  Saint  Augustin  parle  encore,  dans  telle 
pensée  qui  est  bien  nôtre,  sur  les  excitations  et  prévenances 
intimes  de  la  grâce,  et  dont,  toujours,  sans  l'épuiser,  se  nourri- 
ront la  foi,  l'étude,  la  piété  des  catholiques.  Harnack  demeure 
fi.ippé  de  notre  mysticisme  augustinien  (3);  mais  Augustin  est 
phis  qu'Augustin  .dans  ce  legs  de  son  âme  à  l'âme  catholique. 
Sa  religion  intérieure  ne  nous  demeure  si  nutritive  que  par  une 
saine  alimentation  au  donné  pur  et  originel  de  la  révélation.  Elle 
se  nourrit  de  saint  Paul,  qui  se  nourrit  de  Jésus.  Et  donc  les 
témoignages  dogmatiques,  les  influences  morales  des  Pères  nous 
parviennent  comme  des  produits  sociaux.  C'est  essentiel  à  leur 
passage  au  coure  des  temps.  Ils  furent  élaborés  en  collaboration 
perpétuelle  avec  le  Christ  révélateur.  Les  anciens  ne  pensaient  pas 


1.  Jacquier.   Histoire   des  Livres   du   Nouveau   Testament.    I.   61,    62. 

2.  Newman.  Essai  sur  le  développement  de  la  doctrine  chrétienne,  Ile  Par- 
tie, chapitre  V.   Soction  III  (Collection  La  Pensée  chrétienne,  édit.    Brémond). 

3.  Harnack.    L'Essence    du    christianisme,    XlVe    Conférence,    p.    271,    273 
(trad.  fr.).  Lehrhnch  dcr  Dogmengeschichtr,  III,  129. 


682         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

à  nous.  Souvent,  et  la  plupart,  nous  ne  connaissons  guère  les  an- 
ciens. Mais  les  pensées  qu'ils  émirent  circulent  dans  l'Église; 
d'Ame  en  âme,  elles  transmettent  des  impulsions  et  provoquent 
de  la  vie.  Présent  chaque  jour  à  son  Église,  l'auteur  premier  de 
ces  pensées,  le  Christ,  en  unifie  le  développement  dans  un  même 
sens   continué,   toujours   constant  avec    soi-même. 

A  plus  forte  raison,  cette  facture  sociale  de  la  doctrine  catho 
lique  se  retrouve  entre  contemporains.  De  526  à  630,  saint  Cé- 
saire,  évêque  d'Arles,  déplorait  le  succès  des  doctrines  de  Cas- 
sien  sur  les  cominencements  naturels  de  l'acte  de  foi  et  du 
salut.  Grâce  aux  relations,  à  la  science,  à  la  renommée  des  moi- 
nes cassianites,  soit  de  Lérins,  soit  de  Marseille,  ces  problèmes  agi- 
taient l'opinion,  du  Var  aux  Pyrénées.  Voici  déjà  les  facteurs 
sociaux  d'une  doctrine  suspecte  :  un  milieu  régional,  un  prota- 
goniste, une  école,  un  courant  d'opinion.  L'autorité  locale  s'en 
émeut.  Représentée  par  Césaire,  elle  sollicite  le  jugement  du 
Pasteur  suprême;  car  il  s'agit  plus  encore  d'une  cause  majeure 
dans  l'ordre  de  la  foi,  que  d'un  groupe  de  cités  et  de  monastères 
à  pacifier.  Aussi,  le  pape  Félix  IV  envoie  à  son  correspondant  une 
série  de  Capitula  que  celui-ci  propose  aux  quatorze  évêques 
réunis  en  synode  à  Orange,  pour  la  consécration  d'une  basilique. 
Et  voici  donc  l'évêque  universel  qui,  de  Rome,  collabore  avec  luie 
assemblée  de  collègues  particuliers,  dirigeant  ses  travaux.  De 
même  Boniface  II,  successeur  de  Félix,  approuvera,  en  531,  les 
Actes  du  synode,  achevant  à  son  heure  la  collaboration  pontifi- 
cale. Sa  suprême  approbation  universalise  la  doctrine  du  synode 
provençal  comme  règle  de  foi  pour  l'Église  tout  entière  (1). 

Voici  le  canon  VP,  qui  déclare  la  foi,  son  premier  acte  et  son 
premier  désir,  l'effet  d'une  inspiration  du  Saint-Esprit  à  l'in- 
croyanl  en  voie  de  conversion.  A  raison  des  facteurs  hiérarchiques 
dont  il  est  l'œuvre,  ce  canon  ne  possède  pas  seulement  son  carac- 
tère logique  d'énoncé  et  de  proposition;  —  son  caractère  méta- 
physique de  choses  divines  connues  par  de  formelles  analogies  ;  — 
son  caractère  moral  de  vérité  de  foi,  qui  demande  un  libre  et 
honnête  consentement;  —  son  caractère  mystique  d'exprimer 
une  touche  surnaturelle  où  Dieu  s'expérimente,  agissant  dans 
l'âme  et  lui  donnant  les  arrhes  de  l'éternelle  béatitude;  —  ce 
canon    du   Concile,   comme  tous   les   autres   encore,   parvient  à 


1.  Mansi.   Sacrorum   Concïliorum   nova   et   ampUssima   collectio,   VIII,    712- 
735. 


LES    DEUX    THÉOLOGIES  683 

l'existence  comme  im  produit  social.  Il  synthétise  l'action  du 
Pape,  des  évêques,  des  théologiens  même  qui  furent  consultés  sans 
avoir  voix  délibérative  ;  et  toutes  ces  actions  coordonnées  se  syn- 
thétisent elles-mêmes  avec  l'action  d'un  éternel  contemporain, 
toujours  présent  à  l'Église  :  Jésus-Christ  en  personne.  Il  agit 
extérieurement  par  les  données  de  sa  révélation,  toujours  fonda- 
mentales et  reçues  comme  des  axiomes  dans  les  débats  des  Conci- 
les ;  intérieurement,  par  les  grâces  d'assistance  et  de  direction  que 
les  Papes,  les  Légats,  les  Pères,  les  Assemblées  plénières  obtien- 
nent de   lui,   selon  leurs   charges  respectives. 

Les  héréticfues  eux-mêmes  collaborent  bon  gré  mal  gré  au 
progrès  de  la  doctrine.  Ils  soulevèrent  des  problèmes  nouveaux 
ou  résolurent  à  neuf  des  problèmes  anciens.  La  négation  qu'on 
leur  oppose  inclut  une  affirmation  de  la  donnée  révélée,  qui  en 
développe  une  virtualité  jusque-là  sommeillante.  A  la  psychologie 
naturaliste  de  la  foi,  d'après  Cassien,  le  II®  Concile  d'Orange 
oppose  un  nouvel  éclaircissement  du  dogme  apostolique  sur  les 
commencements  surnaturels  du  bien  ou  du  salut,  et  sur  le  don 
gracieux  de  la  foi  (1).  Ainsi,  dans  le  cours  de  ses  développements, 
comme  au  premier  instant  de  sa  révélation,  la  doctrine  de  l'Église 
demeure  essentiellement  un  ouvrage  social. 

Elle  est,  par  suite,  une  cause  ^'effets  sociaux.  Voici  les  canons 
d'un  Concile.  Ils  sont  des  lois  de  la  croyance  pour  tous  et  chacun 
des  fidèles,  sans  excepter  le  pape;  car  tout  pasteur  aussi  est  un 
fidèle.  Au  point  de  vue  acte  de  foi,  tout  le  monde  est  peuple  dansi 
l'Église,  sans  préjudice  de  la  hiérarchie.  De  croire  elle-même  ce 
qu'elle  enseigne,  elle  se  trouve  forte  et  mérite  confiance.  Que 
d-^  naïves  imaginations  servent  à  une  bonne  femme  pour  se 
représenter  le  Père  céleste,  et  de  savantes  abstractions  à  un  évê- 
que,  n'importe  :  ce  sont  les  accessoires  humains  d'un  même  article 
de  foi  sur  la  même  chose  divine.  Les  énoncés  de  la  foi  sont 
des  règles  égalitaires. 

De  là,  un  autre  effet  social  :  ils  s'imposent  tout  particulière- 
ment aux  théologiens,  aux  exégètes,  aux  apologistes,  aux  phi- 
losophes même,  dans  la  mesure  où  leurs  méthodes  intéressent  les 
problèmes  religieux  et  où  leurs  conclusions  se  répercutent  sur 
les  objets  de  la  foi.  Ces  savants  ne  relèvent  pas  seulement  de  leurs 
propres  découvertes,  mais  aussi  bien  et  d'abord  des  enseignements 


1.  Concilii  Arausicani  II,  can.  V.  —  Ce  canon  se  réfère  à  Fhili}).  I.  6  — 
I.  29.  Ephes.  II.  8;  et  il  nomme  ces  textes  apostolica  dogmata. 


684         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

et  directions  de  l'Église.  Aussi,  lorsque  l'on  parle  d'eux  comme 
de  VEccIesia  discens,  on  doit  toujours  se  souvenir  qu'ils  sont 
disciples  de  l'Église  enseignante,  avant  de  l'être  d'une  école  ou 
d'un  maître  humain,  comme  le  sont  tous  les  savants.  On  l'ou- 
bliait ces  derniers  temps;  et  c'est  pourquoi  le  Décret  Lamentahili 
censura  cette  proposition  :  «  Dans  la  définition  des  vérités  de  foi, 
VEccIesia  discens  et  VEccIesia  docens  collaborent  de  telle  sorte, 
que  le  rôle  de  celle-ci  se  borne  à  enregistrer  les  opinions  de 
celle-là  »  (i).  C'était  purifier  la  notion  de  VEccIesia  discens  d'une 
certaine  saveur  de  protestantisme.  C'était  lui  rendre  le  sens  que 
lui  donnait  si  nettement  INIgr  IMignot,  au  temps  où  il  empruntait 
le  mot  à  une  Revue  catholique  anglaise.  Dans  un  discours  sur  la 
méthode  de  la  théologie,  les  professeurs  do  l'Institut  catholique 
de  Toulouse  s'entendaient  rappeler,  par  l'archevêque  d'Albi,  leur 
soumission  intime  à  l'Église  enseignante,  soit  comme  théologiens 
particuliers,  soit  comme  groupe  universitaire.  Devant  ces  distin- 
gué.^ représentants  de  VEccIesia  discens,  le  prélat  réprouvait 
l'erreur  du  malheureux  Doellinger,  comparant  les  théologiens  à 
ces  prophètes  hébreux  qui  dominaient  le  corps  sacerdotal  (2). 
L'Église  cfui  étudie  et  qui  apprend,  doit  recevoir,  au  contraire!, 
les  documents  et  les  impulsions  de  l'Église  enseignante  comme 
des  facteurs  d'unanimité,  comme  des  lois  de  son  travail. 

Contraignantes,  par  un  certain  côté,  lorsque  l'Église  clôt  de 
fallacieuses  perspectives  à  des  esprits  téméraires,  les  directions 
de  l'Église  enseignante  sont  par  ailleurs  libératrices  :  elles  répon- 
dent, non  seulement  aux  instincts  du  vrai  sens  catholique  dans 
les  esprits  que  ces  nouveautés  inquiètent,  mais  encore,  elles  dé- 
gagent les  vues  révélatrices  de  Jésus-Christ  des  interprétations 
hétérodoxes  qui  leur  faisaient  violence  ;  elles  maintiennent  la 
pensée  et  la  vie  catholiques  dans  la  logique  spontanée  de  leurs 
principes  et  de  leurs  saines  assimilations.  Ces  grands  actes  d'au- 
torité restent  libérateui*s,  lors  même  qu'ils  frappent  douloureu- 
sement des  penseurs  égarés  :  pourquoi  faut-il  que  la  fascination 
de  certains  hommes  devant  certaines  idées  oblige  à  sacrifier  leur 
ménagement  particulier  au  bien  public  de  la  doctrine  !  La  revanche 
de  ce  sacrifice  est  dans  les  groupes  d'esprits  que  ces  interventions 
rassérènent  ou  confirment.  Pour  eux,  en  même  temps  que  les  1er- 


1.  Décret  Lamentahili,  prop.   IV. 

2.  Mgr  MiGNOT.  La  Méthode  de  la  théologie  :  Revue  du  Clergé  français, 
15  décembre  1901,  p.  125,  127.  WcelcJ!/  Regisfer,  19  iuillet  1901.  Docens  dis- 
cendo.  <  ;  ' 


LES    DEUX    THÉOLOGIES  685 

mes  d'une  condamnation  ferment  la  voie  à  des  erreurs,  ils  ou- 
vrent la  carrière  à  des  recherches  nouvelles.  Ils  jalonnent  des 
progrès  futurs. 

En  résumé,  l'enseignement  de  l'Église  est  un  produit  social  de 
facteurs  hiérarchiques;  l'enseignement  de  l'église  est  un  facteur 
social  d'unité  dans  la  foi  et  de  progrès  catholique  dans  la  science 
des  choses  divines.  Parmi  toutes  ces  causalités,  la  Cause  première 
est  Jésus-Christ,  par  l'action  harmonisée  de  sa  révélation  passée 
et  de  son  immanence  actuelle  au  milieu  de  l'Église.  Tel  est  l'en- 
chaînement essentiel  de  témoignages  révélateurs  et  de  sentences 
explicatives  que  j'appelais  tout  à  l'heure  la  transmission  sociale 
de  la  révélation.  C'est  un  fait  positif,  dont  la  constance  et  la 
vigueur  nous  sollicitent  d'approfondir  les  manifestations  tangi- 
bles et  les  lois. 

A  quel  ordre  de  science  un  tel  fait  ressortit,  cela  se  deviné. 
Comme  cette  facture  collective  des  vérités  catholiques  se  réalise 
par  une  cause  efficiente  principale  qui  est  la  Hiérarchie,  par  une 
cause  auxiliaire  et  subordonnée  qui  est  le  groupe  des  théologiens  ; 
comme  la  Hiérarchie  développe  le  dogme  avec  une  assistance  et 
sous  une  direction  particulière  du  Saint-Esprit;  comme  les  théo- 
logiens ne  manquent  pas  de  grâces  d'état,  la  transmission  orga- 
nisée de  la  vérité  catholique  est  objet  de  théologie.  On  ne  sau- 
rait en  douter  sans  méconnaître  absolument  le  caractère  surna- 
turel de  l'Église. 

Ce  caractère  admis,  nulle  autre  compétence,  historique,  philoso- 
phique ou  sociale,  mais  purement  humaine,  ne  paraîtra  suffisante 
pour  étudier  ex  profcsso  la  société  dogmatisante  qui  est  l'Église. 
Les  purs  savants  n'en  saisiront  que  les  aspects  humains,  avec 
des  résidus  irréductibles  de  toute  manière  k  leurs  explications, 
bien  que  saisissables  toujours  par  le  moyen  de  l'observation.  Au 
fond,  le  surnaturel  échappe  en  son  essence  aux  prises  des  sciences 
purement  naturelles  :  celles-ci,  par  définition,  se  cantonnent  dans 
le  déterminisme  de  l'univers  ou  de  l'espèce  humaine.  A  leur 
sommet,  la  métaphysique  ne  découvre  Dieu  que  comme  nécessité 
sous  le  nom  de  Première  Cause,  Premier  Être,  Souverain  Bien. 
En  dehors  de  la  théologie,  l'apologétique  seule  considère  le  fait 
surnaturel  de  l'Église;  mais  elle  le  constate  par  des  moyens  ])ure- 
ment  naturels,  d'après  ses  signes  miraculeux.  Cette  constatation 
s'arrête  à  démontrer  que  Dieu  soutient  l'Église  à  part  et  au-des- 
sus des  lois  sociales,  cormnunes  aux  autres  groupes  civils  ou  re- 
ligieux. Mais  la  science  de  cette  société  surnaturelle,  de  ses  pro- 


686         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

priétée  et  de  sa  vie  demeure  toute  à  faire;  —  et  c'est  l'ouvrage 
de  la  seule  théologie. 

Or,  voici  maintenant  le  point  critique  de  la  difficulté  :  dans 
quelle  mesure  exacte  la  méthode  scolastique  donne-t-elle  à  con- 
naître l'Église? 

Ici  s'impose  à  nous  l'opération  toujours  un  peu  délicate  d'une 
rigoureuse  délimitation  de  frontières  scientifiques.  Nous  y  pro- 
céderons, en  commençant  par  explorer  ce  qui  revient  à  la  sco- 
lastique. 

III.  —  LE  TRAITÉ  DE   L'ÉGLISE 
AU   POINT  DE  VUE  SCOLASTIQUE. 

Un  croyant  qui  se  raisonne  sa  foi  en  métaphysicien  s'applique 
aussi  spontanément  à  étudier  l'Église  que  l'Incarnation  ou  les 
Sacrements.  Aussi,  le  traité  de  l'Église  sollicitait  déjà  l'atten- 
iion  des  théologiens  avant  même  d'exister.  Saint  Thomas  l'es- 
quissaii  par  fragments,  selon  les  occasions  :  TJtrum  pertineat 
ad  Summum  Pontificem  fidei  synibolum  ordinare.  —  TJtrum  Jiaere- 
tici  errantes  in  uno  articulo  haheant  fidem  de  aliis  articulis.  — 
Utrum  haeretici  sint  tolerandi,  etc.  (1).  De  tels  fragments  abon- 
dent à  ce  point  dans  rœu\Te  de  saint  Thomas,  qu'on  en  tirait 
naguère  une  monographie  de  l'Église,  avec  ce  titre  suggestif  : 
«  La  doctrine  de  saint  Thomas  sur  l'Église  comme  ouvrage  de  Dieu. 
Sa  place  dans  la  synthèse  thomiste  et  dans  Vhistoire  de  la  théologie 
médiévale  »  (2).  Sans  se  dresser  déjà  en  sa  forme  architecturale, 
comme  le  plan  achevé  d'une  basilique,  l'Ecclésiologie  était  con- 
nue depuis  longtemps  dans  ses  grandes  lignes.  Avant  même  que 
saint  Ignace  d'Antioche,  prenant,  une  saisissante  conscience  du 
plan  universel  établi  par  Jésus,  aiguillonné  par  la  nécessité  de 
maintenir  unies  les  églises  particulières  qui  se  multipliaient  avec 
une  vie  si  intense,  innovât  le  vocable  d'Église  catJiolique,  la  doc- 
trine vivait  dans  la  pratique  des  Églises  et  dans  leur  ralliement 
autour  de  celle  de  Rome  (3).  Mais  elle  resta  longtemps  implicite, 
vécue  plus  que  débattue,  à  l'arrière-plan  des  spéculations,  même 


1.  Summa  tlieologica.    Ha   II".    Quaest.  1.  Art.  X.  Quaest.  5.  Art.  III  et  IV. 

2  Grabmanx.  Die  Lehre  des  heiligen  Thomas  von  Aquin,  von  der  Kirche 
aïs  Gottesicerlc.  Ihre  Stellung  im  thomlsfischen  System  und  in  der  GescMschte 
dn-  MïUdaJterlicheTC  Théologie.   Ratisboiino,   Mauz,    1903. 

3.  Ignatii  Evistola  acl  Smyruaeos,  \\\\.  2.  Cf.  FrMC.  Patres  apostolici. 
I,  241.  —  TiXERONT.  Histoire  des  Dogmes,   I,   140. 


LES     DEUX    THÉOLOGIES  687 

chez  les  scolastigues,  en  puissance  dans  les  esprits  plutôt  qu'en 
acte  dans  les  livres. 

Ce  recul  au  second  rang  et  cet  inachèvement  n'accusent  pas 
l'incurie  chez  des  chercheurs  aussi  pénétrants  et  aussi  peu  mé- 
nagers de  leurs  peines;  mais  un  hesoin  leur  manquait.  L'Église, 
comme  la  société  civile,  vivait  au  XIIP  siècle  sur  des  hases  trop 
respectées  en  général  par  les  coutumes  domestiques  et  par  la 
religion  universelle,  pour  que  les  sages  se  missent  à  discuter  les 
fondements,  les  pouvoirs,  les  fonctions  de  la  hiérarchie.  On  ne 
se  décide  à  de  si  graves  entreprises  que  pour  des  fins  de  dé- 
fense catholique  ou  sociale.  C'est  pourquoi  les  docteurs  ne  par- 
laient de  ces  choses  qu'au  passage,  à  propos  d'une  vertu  ou  d'un 
devoir  :  l'objet  de  la  foi  amène  saint  Thomas  à  se  poser  le 
problème  des  symboles  jet  définitions  que  constitue  le  pape;  la 
considération  des  vices  et  péchés  qui  s'opposent  à  la  paix,  une 
fille  aimable  de  la  charité,  introduit  les  questions  :  le  schisme 
est-il  un  péché  spécial?  Le  schismatique  possède-t-il  encore  des 
pouvoirs  dans  l'Église?  (1).  Et  aussi  bien,  de  nombreux  schismes 
à  l'époque  des  Pères  et  depuis,  n'avaient-ils  pas  occasionné  ces 
développements  particuliers  de  l'Ecclésiologie?  Une  société,  com- 
me un  individu,  ne  s'analyse  qu'en  se  sentant  malade,  elle  ne  dé- 
montre ses  droits  qu'en  les  voyant  contestés.  Qu'il  s'agisse  de 
l'Église  ou  des  peuples,  la  science  des  sociétés  provient  toujours 
des  temps  de  révolution. 

D'après  cette  constante  loi,  les  déchirements  de  la  chrétienté  en- 
tre papes  et  antipapes  au  XIV<^  siècle,  les  précurseurs  du  protes- 
tantisme au  XV'^,  ses  prédicants,  ses  pamphlétaires  au  XVI'-^ 
orientèrent  les  théologiens  catholiques  vers  l'organisation  de  thè- 
ses relatives  à  l'Église.  De  nombreux  opuscula,  nous  dirions  des 
brochures  ou  des  tracts,  sortirent  de  cette  réaction.  C'est  ainsi 
que  Luther  suscita  Cajétan.  Sans  déserter  ses  commentaires  de 
la  Somme,  ce  dernier  écrivait  :  De  comparatione  auctoritatis  Pa- 
pac  et  ConcUii  ;  De  Bomani  Poiifificis  insiitutione  et  auctoritate  ; 
—  De  21SU  Sacrarum  Scripturarum  ab  Ecclesia  (2).  A  maintes  re- 
prises, le  XVP  siècle  et  le  XVIP  virent  se  renouveler  une  réper- 
cussion de  la  propagande  hérétique  sur  le  développement  de  la 
doctrine  catholique  déjcà  vérifiée  à  l'époque  des  Donatistes  et  de 
saint  Augustin. 


1.  Siimma  théologien.    U^  H^e.    Quaest.  39.  Art.  I.  et  III. 

2.  Opuscula  Cajclani  I.  Opiisf.  I,  III,  XXX.  Antverpiae,  1612. 


688       REvui:  DES  sciences  philosophiques  et  théologiques 

Mais  les  points  de  vue  de  la  controverse  ou  de  l'apologie  do- 
minaieni  dans  tous  ces  essais:  les  théologiens  ripostaient  à  l'at- 
taque du  jour  par  une  contre-attaque  appropriée.  Voilà  pourquoi 
le  traité  de  l'Église  demeure  absent  de  nos  bibliothèques  patris- 
tiques  ou  scolastiques  ;  absent  dans  son  ampleur  intégrale  d'ex- 
posé scientifique.  Les  anciens  élaborèrent  seulement  bon  nombre 
de  ses  thèses,  mais  les  subordonnant  toujours  ou  h  des  fins  polé- 
miques ou  à  d'autres  traités,  dont  elles  restaient  l'accessoire. 

Par  l'accumulation,  néanmoins,  de  ces  travaux  d'actualité  et 
de  ces  vues  fragmentaires,  les  questions  de  principe  s'élucidèrent 
de  plus  en  plus,  traçant  la  voie.  De  nombreux  matériaux  apparu- 
rent préparés  pour  des  œuvres  plus  synthéliques  et  moins  oc- 
casionnelles. 

Mais  toujours,  la  même  provocation  hétérodoxe  des  travaux 
catholiques  se  vérifia  et  se  vérifie  encore  sous  nos  yeux  :  c'est 
encore  une  loi  sociale  du  progrès  théologique  :  la  loi  des  réac- 
tions. Le  dix-neuvième  siècle  finissant,  voyait  s'élaborer  des 
philosophies  de  la  révélation,  d'après  l'histoire  et  la  psychologie, 
—  protestantes  s'entend,  —  non  sans  mélange  de  piétisme  croyant 
et  de  rationalisme  criticiste,  à  la  manière  de  Kant.  On  prétendait 
y  poser  le  problème  de  l'Église  et  du  dogme  dans  toute  son  am- 
pleur. Auguste  Sabatier  concluait  son  exposé  critique  des  «  gran- 
des formes  historiques  dn  christianisme  »  par  une  théorie  sur 
la  «mission  pédagogique  de  l'Église »(1).  Une  ecclésiologie  encore 
est  esquissée  dans  les  Conférences  de  Harnack  sur  «  l'essence 
du  christianisme  »  (2).  De  tels  essais  n'appellent-ils  pas  des 
essais  catholiques?  La  question  de  l'Église  y  devrait  s'exposer 
dans  toute  son  ampleur,  avec  le  ton  et  les  moyens  de  la  science. 

L'Église  elle-même  facilite  la  tcàche.  A  mesure  des  erreurs  ec- 
clésiologiques  parues  dans  le  siècle  dernier,  Grégoire  XVI,  Pie  IX, 
le  Concile  du  Vatican,  Léon  XIII  rappelèrent  la  vérité  tradition- 
nelle ou  l'ilkistrèrent  à  point  nommé,  devant  les  problèmes  nou- 
veaux qui  se  résolvaient  incorrectement.  Naguère  encore,  Pie  X 
continua  ces  enseignements  d'actualité  ([ui  dégagent  de  l'éter- 
nel :  on  doit  creuser,  à  cet  égard,  les  propositions  I  ta  VIII  et 
LU  à  LVI  du  Décret  Lamentahili. 

A  raison  de  toutes  ces  données  accumulées  et  convergentes, 
jamais  peut-être  le  terrain  ne  fut  mieux  préparé  par  la  contro- 


1.  .\.   Sabatier.   E-'^qiiisse  d'nnr    nhi.fosophir.  (h:  li,  rdigion,   d'après   la  psi/- 
■■holoi/ic    et    rhisjoirr,    ]>.    253.    Livre    II.    Cli.    II    H    Livre    III.    Cli.     II  et  III. 

2.  Haunack.    L'Essence    dxi    Chrisli  ini^mc,    IX«    Conférence    et    suivantes. 


LES    DEUX    THEOLOGIES  ()80 

verse,  mieux  jalonné  par  l'autorité,  pour  la  conipositiou  d'un  traité 
de  l'Église,  intégral  et  approfondi.  «  Si  saint  Thomas  revenait 
et  voyait  le  dogme  de  l'Église  au  point  où  il  est  parvenu  de  nos 
jours,  —  écrit  le  11.  P.  Gardeil,  —  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  lui  fit 
une  large  place  dans  la  troisième  partie  de  la  Somme  tju'ologique, 
entre  le  traité  de  l'Incarnation  et  le  traité  des  Saci'cincMils  »  (Ij. 

Pour  amener  cette  renaissance  de  saint  Thomas,  il  appartient  à 
son  école  de  lui  rendre  des  précurseurs  :  comme  toute  grande 
œuvre  de  doctrine,  la  future  Ecclésiologie  synthétisera  l'acquis 
épars  des  siècles.  Dieu  veuille  y  animer,  si  ce  n'est  déjà  fait, 
quelq;ue  jeune  théologien,  de  préférence  un  professeur  enseignant 
ces  matières,  et,  par  là  même,  en  communion  habituelle  de  pen- 
sée avec  les  Pères,  les  Papes,  les  Théologiens  qui  furent  les  élabo- 
rateurs  de  la  doctrine  à  exposer;  —  un  studieux,  un  recueilli, 
qui  sache  la  valeur  active  de  la  contemplation  et  de  la  solitude; 
—  un  longanime,  un  généreux,  pour  consacrer  «  les  longs  espoirs 
et  les  vastes  pensées  »  dont  s'illumine  la  jeunesse,  à  la  matura- 
tion patiente  et  humble  de  la  synthèse  attendue.  S'il  est  vrai  que 
toute  vie  féconde  et  belle  réalise  dans  son  âge  mûr  un  enthou- 
siasme de  ses  vingt  ans,  quel  plus  digne  achèvement  d'un  minis- 
tère professoral  et  universitaire,  que  ce  traité  de  l'Église,  traité  du 
Fils  de  Dieu  socialisé  ! 

Ok  y  appliquerait  les  moyens  ratiomiels  de  la  méthode  sco- 
lastique  à  une  matière  sociale  d'un  genre  à  part  et  surnatu- 
rel. Au  lieu  de  reposer  sur  le  travail  manuel  qui  exploite  les  res- 
sources d'une  région;  au  lieu  de  ressentir  l'effet  accumulé  de 
travaux  antérieurs,  en  des  régions  diverses,  parmi  des  migrations 
éducatives,  comme  c'est  le  cas  des  familles  ouvrières  et  des  na- 
tions, l'Église  repose  toute  sur  le  témoignage  de  son  fondateur,  per- 
pétué par  d'authentiques  représentants.  Au  lieu  d'organiser  les 
biens  de  la  vie  présente,  elle  achemine  les  hommes  vers  l'éter- 
nelle béatitude.  Étant  donné  cette  fin  et  cette  origine,  on  pos- 
séderait, avec  leur  notion,  la  vue  des  principes  irréductibles  et 
constitutifs  de  l'Église  catholique;  à  partir  d'eux,  on  (diercherait 
ses  éléments,  consécutifs  de  cette  fin  et  de  cette  origine  :  d'une 
part,  son  autonomie,  ses  pouvoirs,  ses  agents  émanés  de  Dieu, 
d'autre  part,  ses  matériaux  humains  et  les  états  de  vie  que  son 
action  sumaturelle  leur  communique  ;  de  là,  on  passerait  aux  re- 
lations extérieures  de  l'Église,  dans  le  temps  où  elle  vit  et  dans 


1.  A.  Gardeil.  La  Crédibilité  et  l'Apologétique,  p.   147,  148. 


69U         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

l'Éternité  où  elle  retourne.  Au  fur  et  à  mesure,  ou  montrerait  la 
suite  et  la  synthèse  de  ces  grands  faits  sociaux  élémentaires, 
par  une  exacte  détermination  de  leurs  influences  l'un  sur  l'autre. 
On  commencerait,  bien  entendu,  par  le  plus  simple,  qui  ne  se 
fonde  sur  aucun  autre,  pour  avancer  par  degrés  de  complication 
et  de  dépendance. 

Au  point  de  vue  de  cette  gradation,  ces  éléments  et  principes 
de  l'Église  rentreraient,  semble-t-il,  dans  les  catégories  suivantes, 
que  j'ai  tâché  de  préciser,  pour  bien  montrer  la  portée  sociale  de 
la  méthode  scolastique  : 

I.  —  La  fondation  divine  de  l'église.  —  1''  Sa  fin  surnatu- 
relle, posée  par  Jésus-Christ.  —  2°  Révélations  et  institutions 
émanant  de  lui  ou  des  apôtres,  dans  la  période  fondatrice. 

II.  —  Le  développement  de  l'église.  (A  cause  des  éléments 
humains  de  sa  fondation).  —  Développement  :  1»  Dans  la  doctrine. 
—  2"  Dans  les  institutions. 

III.  —  L'autonomie  de  l'église.  —  1°  Subsistant  par  elle- 
même  comme  société  parfaite  à  raison  de  sa  fin.  —  2'^  Rejaillis- 
sement de  son  autonomie  dans  le  temporel  de  son  existence  : 
propriété,    gouvernement,   administration. 

IV.  —  Les  pouvoirs  de  l'église.  —  1°  Testimonial  et  doc- 
trinal. —  2°  Sanctificateur  et  sacramentel.  —  3'^  Disciplinaire, 
législatif  et  judiciaire. 

V.  —  Les  agents  hiérarchiques.  —  l*^  Formes  ordinaires 
et  actes  quotidiens.  —  2°  formes  et  actes  solennels,  intermit- 
tents (Conciles,  définitions  de  foi,  etc.). 

VI.  —  La  multitude  gouvernée.  —  1°  Fidèles  baptisés.  — 
2''  Les  délinquants  :  hérétiques,  schismatiques,  apostats.  Droits 
envers  eux. 

VII.  —  Les  groupements  par  états  de  vie.  —  1'^  Laïcs  et 
clercs.  —  2°  Séculiers  et  religieux.  —  3°  Simples  croyants  et 
savants.  —  4°  Ascètes  et  mystiques.  (Relations  de  ces  groupes 
fragmentaires  avec  la  vie  du  tout). 

VIII.  —  Relations  avec  les  autres  sociétés.  —  1°  Dépen- 
dances temporelles  des  fidèles  et  des  pasteurs.  —  2°  Autonomies 
respectives  des  groupes  dont  ils  dépendent  temporellement  :  fa- 
milles, écoles,  universités,  associations  professionnelles,  états  sou- 
verains. —  3°  Sociétés  catholiques,  dissidentes,  neutres,  persé- 
cutrices. 


LES     DEUX    THÉOLOGIES  691 

IX.  —  Relations  au  delà  de  ce  monde.  —  1°  Avec  l'Église 
triomphante.  —  2°  Avec  l'Église  souffrante.  —  3'^  Pouvoir  sur  les 
démons. 

Cette  sommaire  nomenclature  ne  se  présente  ici,  bien  entendu, 
que  comme  le  simple  essai  d'un  instrument  d'analyse  et  de  re- 
cherches. Ses  termes  seraient  à  creuser;  mais  strictement  au  point 
de  vue  du  concours  de  Jésus,  de  ses  apôtres,  de  ses  représentants 
et  collaborateurs  à  ces  diverses  fins.  Des  problèmes  accessoire- 
ment posés  et  quelquefois  mal  à  propos  dans  la  morale,  le  droit 
canou  ou  l'apologétique  se  retrouveraient  là  scientifiquement  grou- 
pés autour  du  même  objet.  Ce  serait  une  métaphysique  sociale 
de  l'Église.  Encore  une  fois,  les  problèmes  soulevés  dans  celle-ci 
et  autour  d'elle,  les  jalonnements  fixés  par  ses  autorités  réclament 
cet  inventaire  universel  de  travaux  séculaires,  cette  solide  base 
pour  les  progrès  toujours  possibles  des  catholiques  dans  la 
pénétration  de  la  doctrine  révélée. 

Mais,  si  parfaite  qu'on  la  suppose,  cette  sociologie  philosophi- 
que de  l'Église  suffirait-elle  à  renfermer  tout  ce  que  la  raison 
du  croyant  et  du  théologien  doit  s'expliquer  dans  la  nature 
et  dans  la  vie  de  ce  grand  corps  surnaturel? 

Je  pense  que  non.  Si  quelqu'un  s'étonnait  de  cette  catégorique 
négation,  je  le  prierais  de  méditer  l'exposé  de  motifs  qui  va 
suivre.  Puissé-je  le  donner  avec  abnégation  de  toute  vue  sim- 
plement personnelle,  dans  une  humble  ouverture  aux  exigences 
de  la  vérité  !  —  Voici  l'objet  formel  de  connaissance  théologi- 
que où  il  semble  que,  d'une  part,  la  scolastique  n'atteint  plus 
et  que  —  d'autre  part,  une  autre  science,  non  moins  théologique, 
doit  se   trouver  compétente. 

IV.  —  LA  FACTURE  SOCIALE  DU  PROGRES  DOGMATIQUE 
DANS  SES  PHASES  CONCRETES. 

Il  est  certain  d'abord  que  la  théologie  scolastique  s'abstient 
de  suivre  pas  à  pas  les  phases  particulières  que  l'exposé,  la 
défense  et  le  développement  du  dogme  traversèrent  au  cours 
des  âges.  Cette  sorte  d'abstraction  appartient  en  propre  au  mé- 
taphysicien :  il  se  transporte  hors  des  temps  et  des  mouvements, 
dans  la  région  des  causes  les  plus  universelles,  des  pures  essen- 
ces, des  qualités  premières  de  l'être;  —  et  ce  n'est  pas  illégi- 
time dans  les  matières  dogmatiques.  Toutes  les  explications  que 


G02         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

celles-ci  reçurent  peu  à  peu,  développèrent  simplement,  en  termes 
plus  abstraits,  plus  distincts,  en  formules  plus  approfondies  et 
plus  compréhensives,  ce  que  Jésus  ou  les  Apôtres  condensèrent 
à  la  perfection,  du  premier  coup,  en  quelques  mots  révélateurs. 
Nous  les  presserons  toujoure,  ces  mots  divins,  sans  épuiser  jamais 
leur  sève  de  vérité.  Dès  l'origine,  ils  contenaient  l'essence  de 
la  révélation,  les  principes  les  plus  universels  de  ses  explications 
futures,  les  suprêmes  causes  génératrices  de  tout  progrès  dogmati- 
que réalisable  par  l'Église  (1). 

Mais  Jésus  mettait  Dieu  et  ses  vues  parfaites  à  la  portée  des 
hommes,  des  Juifs  de  Palestine  :  il  s'exprimait  en  araméen, 
dans  un  style  concret,  mêlé  de  paraboles  et  de  sentences,  affir- 
matif  plus  que  raisonneur,  bien  à  l'usage  de  vignerons,  de  ber- 
gers, de  pêcheurs  aussi  étrangers  que  possible  aux  précisions 
analytiques,  aux  nuances  abstraites,  aux  synthèses  logiques  du 
dialogue  platonicien  ou  de  la  prose  d'Aristote.  Saint  Paul,  sans 
doute,  parlait  le  grec;  mais  quel  grec!  L'idiome  usuel  des  ports 
méditerranéens,  simple  langue  de  commerçants,  toute  bariolée 
d'hébraïsmes,  dans  son  usage  au  Ghetto  et  dans  les  synagogues 
de  la  Diaspora..  Ce  grec  et  cet  araméen,  ce  sont  les  plus  étran- 
ges des  langages  pour  des  Hellènes  purs  ou  des  Latins;  et  alors, 
puisque  les  vérités  parfaites,  internationales  de  la  révélation  se  re- 
vêtaient là  de  fonnes  régionales  et  imparfaites,  un  travail  s'im- 
posait, selon  que  l'Évangile  pénétrait  de  nouvelles  civilisations. 
Le  grec  philosophique  des  Pères  et  des  Conciles  orientaux  ;  le  vo- 
cabulaire augustinien  des  Conciles  de  Carthage  et  d'Orange  ; 
le  latin  scolastique  des  Conciles  de  Vienne,  de  Florence  ou  de 
Trente,  ce  dernier  plus  teinté  d'humanisme  classique;  en  un 
mot,  les  styles  variables  des  Conciles  à  mesure  du  progrès  de  la 
langue  théologique  durent  peu  à  peu  traduire  analytiquement 
les   données   primitives. 

Mais,  transporté  en  dehors  des  temps,  le  métaphysicien  du 
dogme  ne  s'arrête  point  à  considérer  chaque  phase  individuelle 
de  ces  diverses  traductions.  La  perspective  des  temps  s'est  fon- 
due à  ses  yeux  dans  la  lumière  totale,  acquise  et  condensée  au 
moment  où  il  vit.  Pour  peu  qu'il  soit  exagéré  et  rebelle  à  l'ob- 


1.  S.  Thomas.  Siimma  theologiea,  U^  n^e.  Quaest.  1,  art.  VII,  ad  2™, 
ad  4in.  —  B.  Allô,  Germe  et  Ferment,  Revue  des  Se.  phil.  et  théol,  I. 
38,  43.  —  A.  Gardeil,  La  Réforme  de  la  Théologie  catlwlique,  Revue  thomiste 
septembre-octobre  1903,  p.  447,  448.  —  Schaezler,  Introductio  in  Sacram 
theologiam,  148,   150. 


LES    DEUX    THEOLOGIES  G9o 

servation,  il  niera  qii'im  Concile  s'exprime  différemment  d'mi  an- 
tre; plus  modéré  et  moins  fermé,  il  manquera  d'intérêt  i)Our 
les  stades  concrets  et  singuliers  qui  amenèrent  le  dogme  à  son 
état  présent  d'explication. 

Le  plus  qu'il  puisse  à  cet  égard  est  de  considérer  in  ahstracto 
la  loi  miiverselle  du  Développement  doctrinal.  ^lais  il  se  garde 
bien  d'en  relever  les  matérielles  applications,  selon  les  cas  in- 
dividuels, examinés  à  l'état  concret.  Il  ne  touche  cà  ceux-ci 
que  par  manière  d'exemples  vus  de  haut.  C'est  suffisant  pour 
justifier  son  commentaire  général  de  la  sentence  évangélique  : 
«  Il  eu  est  du  Règne  de  Dieu,  comme  d'un  Jwmme,  père  de  famille, 
lequel  extrait  de  son  trésor  de  l'ancien  et  du  nouveau  (1)  ». 

jMais  alors,  un  élément  réel,  une  propriété  du  magistère  et 
du  dogme  échappe  au  scolastique  en  vertu  de  sa  métJiode  :  leurs 
phases  de  développement  par  des  facteurs  hiérarchiques;  leurs 
phases  dans  ce  que  je  \iens  de  nommer  Vétat  concret  et  singulier. 
Or,  ce  n'est  pas  un  objet  qu'on  puisse  dédaigner,  ce  devenir  con- 
cret des  organes  enseignants  et  des  doctrines  enseignées.  Voici 
pourquoi  : 

D'une  manière  générale  d'abord,  c'est  s'amoindrir  l'intelligence 
que  de  négliger  les  faits  particuliers.  Un  métaphysicien  nous 
l'assure,  qui  pratiquait  personnellement  la  plus  parfaite  synthèse 
d'une  très  haute  abstraction  avec  l'observation  vivante  et  réa- 
liste :  «  Cognoscere  singularia  pertinet  ^d  perfectionem  nos- 
tram  (2)  ».  Les  scolastiqnes  eussent  moins  encoiLru  le  reproche 
d'ignorer  tout  en  dehors  de  leurs  généralités  et  de  ne  point  possé- 
der ime  culture  intégrale  de  l'esprit,  s'ils  avaient  pratiqué  tou- 
jours cette  sentence  de  saint  Thomas  (3'. 

En  second  lieu,  négliger  les  phases  concrètes  de  l'organisme 
enseignant  et  du  dogme  enseigné,  c'est  méconnaître  une  pro- 
priété de  tous  deux,  consécutive  à  leur  nature:  le  développe- 
ment successif.  Cette  succession  est  essentielle  dans  la  transmis- 
sion des  données  révélées  par  des  agents  sociaiLx.  Essentielle,  non 
pas  au  fonds  divin,  car,  émise  par  Jésus-Christ  comme  définitive  en 
ce  monde,  la  révélation  chrétienne  est  parfaite  du  premier  coup, 
dans  la  richesse  infinie  de  ses  mots  les  plus  simples.  Bossuet  l'a 
bien  ^1I  ;  mais  sans  remarquer,  semble-t-il,  que,  par  degrés  seule- 


1.  ML  XIII.  52. 

2.  Summa  theologica,  I^    Pars,  quaest.  14.  XI. 

3.  T.  Richard.  Usage  et  abus  de  la  Scolastique.  —   Bivur  thomisfr,  iiorom- 
bre-décembre   1904^  p.   56.5   et   suiv. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  i.  4; 


694  REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

ment,  l'intelligeiice  humaine  pénétrerait  la  densité  de  ces  trésors. 
Selon  lui,  «la  vérité  que  le  Saint-Esprit  enseigne  a  un  langage  tou- 
jours uniforme»,  là  même  où  saint  Thomas  reconnaît  des  «éditions 
nouvelles  »  du  symbole  catholique,  par  des  Conciles  successifs. 
«Le  suivant  ne  dressait  pas  un  symbole  autre  que  le  précédent; 
mais  le  contenu  implicite  que  celui-ci  renfermait  recevait  des 
additions  explicatives  contre  les  hérésies  qui  surgissaient  »  (1). 
Dans  ce  développement,  c'est  l'élément  humain  de  l'Église  qui 
agit,  non  sans  cfue  Dieu  l'assiste  et  le  dirige;  mais  selon  le 
mode  naturel  de  ses  opérations.  Si  déjà  la  raison  n'actualise  que 
par  étapes  toutes  ses  propres  découvertes,  combien  de  progrès 
lui  faudra -t-il  pour  qu'elle  approfondisse  les  paroles  de  l'Infini, 
de  l'Absolu  et  du  Parfait!  Les  Pères  apostoliques  ne  dégageront 
pas  de  saint  Paul  tout  ce  que  Paul  tenait  de  Jésus  ;  mais  les  sui- 
vants le  pénétreront  davantage.  Si  donc  évolution  du  dogme  v^eut 
dire  que  la  révélation  elle-même  passe  du  vague  au  précis, 
du  sentiment  obscur  à  l'idée  nette,  il  n'y  a  pas  d'évolution  : 
Jésus  voyait  à  fond  ce  que  les  générations  découvrirent  peu  à 
peu  en  explorant  son  Évangile.  L'évolution  est  tout  entière  dans 
la  pensée  des  croyants,  qui  va  de  la  puissance  à  l'acte,  de  l'im- 
plicite à  l'explicite,  du  principe  à  la  conséquence. 

De  même,  au  point  de  vue  des  institutions,  Jésus  posait  en 
fait  les  bases  permanentes,  les  principes  typiques  de  pouvoirs  et 
d'organes  qui,  peu  à  peu  encore,  se  développèrent  sous  la  pous- 
sée de  leur  vie  interne,  en  réaction  contre  les  heurts  et  les  dé- 
viatioiu  qui  les  menaçaient  en  divers  milieux.  Le  tout  se  préexis- 
tait éminemment  dans  les  fonctions  primitives  du  collège  aposto- 
lique et  de  son  chef. 

Mais  voici  la  difficulté.  Il  appartient  à  la  métaphysique  du 
dogme  ou  de  l'Église  de  définir  en  général  cette  loi  évolutive; 
à  qui  donc  appartiendra-t-il  de  discerner  en  particulier  chacune 
de  ces  phases,  tout  en  les  regardant  comme  les  étapes  successives 
de  l'Étemelle  Vérité,  lorsqu'elle  s'explique  aux  hommes,  par 
l'Église  et  dans  le  temps  ?  Allons-nous  donc  nous  interdire  cette 
science  du  concret?  Car  c'est  une  vraie  science  :  chaque  phase 
singulière  du  progrès  dogmatique  s'y  éclaire  d'une  lumière  gé- 
nérale, empruntée  aux  données  de  la  révélation.  Y  faudra-t-il  re- 
noncer? 


1.  SinjDiKi    theoloii'tra,     11^     ll^e.     Quacsl.    I.    Art.    VU.    Art.    X.    —    I»   Par.s, 
3tj.  Art.   II,  ad  2'".  —  Busslet.  Premier  avertissement  aux  protestants. 


LKS     DF.UX     THÉOLOGIES 


6Pè 


Jamais!  Ce  serait  nous  crever  un  œil.  Le  segment  d'horizon 
mvisiblc  pour  nous    subsisterait  quand  même,  peuplé  de  vie  et 
de  lumière.   Tout  le  progrès  successif  des  organes  enseignants 
et  du  dogme  enseigné  ne  se  déroulerait  pas  moins  dans  le  passé 
et  de  nos  jours  comme  un  splendide  fait  de  vie  sociale  surna- 
turelle, dont  le  Saint-Esprit  demeure  l'àme  au  travers  des  temps 
Nous  resterions  à  ne  pas  voir  ce  déroulement,  comme  des  mu- 
tilés d'intelligence!  Il  requiert  donc  de  notre  part  cette  attention 
religieuse  au  sens  divin  des  choses,  cette  vue  de  Dieu  omni-pré- 
sent,  qui  est  la  lumière  propre  du  théologien.  Elle  illumine  aussi 
bien  le  concret  que  l'abstrait,  les  temps  et  leurs  changements, 
que  les  essences  dans  leur  fixité.  Ne  craignons  pas  ici  de  dépasser 
la  métaphysique  :  il  y  a,  dans  l'Église  et  dans  l'Évangile,  plus  de 
vérités  que  la  métaphysique  n'en  aperçoit.   Vn  objet  de  science 
théologique  se  découvre  à  nous. 

Un  objet  positif,  aussi  bien,  nous  le  savons  déjà,  soit  qu'on  y 
considère  l'émission  initiale  de  la  révélation,  soit  qu'on  pour- 
suive les  phases  de  son  explication  croissante  au  cours  des 
âges  (1).  Tout  cela  s'est  vu  et  constaté  par  des  témoins  oculaires; 
tout  cela  se  raconte  historiquement  sur  les  données  de  leurs  té- 
moignages. De  plus,  l'action  divine  sur  le  progrès  dogmatique 
amène  les  Conciles  à  édicter  des  canons,  et  les  théologiens  à 
composer  des  ouvrages.  Encore  du  positif,  c'est-à-dire  du  tan- 
gible et  de  l'obsen^able,  sous  forme  de  documents:  ils  se  produi- 
sent comme  les  effets  et  les  signes  de  ce  progrès  cfue  Dieu  ac- 
tionne. 

Et  dès  lors,  leur  étude  positive  se  complique  singulièrement. 
Comme  ils  sont  par  nature,  ces  documents  de  l'Église,  des  signes 
matériels,  diplômes,  inscriptions,  manuscrits,  imprimés,  ils  don- 
nent prise  à  divers  genres  de  connaissances  positives  que  nous 
devons  soigneusement  distinguer.  C'est  le  meilleur  moyen  d'ar- 
river au  très  pur  et  formel  objet  de  la  théologie  dite  positive  : 
une  méthode  éliminatoire  par  voie  de  comparaison.  Nous  par- 
viendrons alors  à  définir  ainsi  exactement  que  possible,  sous 
quel  aspect  cette  seconde  théologie  considère  les  phases  concrètes 
et  individuelles   du   progrès   dogmatique. 


1.  \oir  plus  liant,    II,   La  Transmission  socialo   rie   la  rôviMatioii. 


696         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Y.    —    LE    POSITIF    DOCUMENTAIRE 
ET   LE   POSITIF  THÉOLOGIQUE. 

Les  dociimeiits,  d'abord,  nous  parviennent  écrits  dans  une  lan- 
gue particulière  :  ici  le  latin  de  saint  Augustin,  ailleurs  le  grec 
de  saint  Basile.  Possédons-nous  leur  texte  pur  et  natif?  La  ré- 
ponse appartient  1°  à  l'examen  philologique  et  grammatical,  d'a- 
près ce  que  l'on  sait  de  la  langue  usitée  dans  le  milieu  de  l'au- 
teur, et  de  sa  langue  personnelle.  —  2°  On  poursuivra  aussi  l'exa- 
men comparatif  des  manuscrits  ou  des  imprimés.  Lesquels  sont 
primitifs  et  typiques  des  autres?  Quelles  leçons  autorisent-ils? 
On  recomiaît  la  tâche  de  la  critique  textuelle. 

Assurément,  c'est  du  positif,  mais  non  point  de  la  théologie. 
Des  spécialistes  appliquent  là  des  connaissances  philologiques, 
bibliographiques,  paléographiques  à  l'examen  d'un  document. 
Leur  objet  propre  est  d'en  fournir  mi  texte  inaltéré.  Ils  restent  par 
là  même  dans  le  positif  documentaire. 

]ilais  que  le  théologien  ne  dédaigne  pas  ces  questions  de  grec 
et  de  latin,  de  variantes  et  de  virgules!  S'il  existe  une  théolo- 
gie des  phases  concrètes  du  dogme,  elle  réclame  impérieusement 
cette  vérification  des  textes  qui  la  documentent.  Le  critique 
de  ces  textes  opère  donc  le  commencement  d'un  inventaire  positif, 
où  le  donné  théologique  se  vérifie  bon  au  point  de  vue  tout  maté- 
riel de  sa  livraison  dans  l'Église.  Sans  rien  avoir  à  décider  pour  ou 
contre  le  dogme,  ce  spécialiste  agit  comme  mi  premier  jjrépara- 
teur  de  pièces  théologiques.  Il  travaille  fort  utilement  pour  l€! 
laboratoire  du  théologien. 

Que  de  variétés  encore,  parmi  les  documents  !  La  lettre  du  pape 
Léon  au  patriarche  Flavien,  de  Constantinople,  est  une  véritable 
encyclique  à  l'adresse  du  Concile  de  Chalcédoine.  Elle  formule 
en  termes  exprès  la  profession  de  foi  du  Saint-Siège  sur  l'union 
hypostatique  ^l).  Autre  est  le  caractère  des  deux  lettres  du  pape 
Grégoire  à  Euloge,  patriarche  d'Alexandrie,  sur  l'hérésie  des  A- 
gnoëtes,  relativement  à  la  science  du  Christ.  Ce  sont  deux  let- 
tres intimes  :  l'intrépide  grabataire  qu'était  Grégoire  s'y  la- 
mente de  sa  podagre  aux  douleurs  lancinantes.  En  même  temps, 
il  y  expose  les  opinions  de  saint  Athanase,  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  de  saint  Cyrille  d'Alexandrie.  A  la  critique,  aussi 
bien,    d'examiner   comment   et    auprès    de    qui   le    Pontife   s'in- 

1.  MiGNE.  P.  L.  LIV.  117;V  Harduin,  Acta  Conciliorum,  II,  386. 


LES    DEUX    THÉOLOGIES  697 

forma  de  ces  auteurs,  car  il  avoue  ignorer  le  grec  (1),  Cette  cri- 
tique des  procédés  et  des  formes  de  la  composition  se  nommera 
littéraire , 

Positive  toujours,  puisqu'elle  décrit  ses  objets  ou  les  explique 
par  le  moyen  de  l'observation,  de  l'analyse  et  de  la  comparaison, 
elle  ne  sera  pas  encore  de  la  théologie  ;  elle  restera  de  la  connais- 
sance documentaire.  Classer,  dater  et  caractériser  les  pièces, 
te]  est  l'objet  que  lui  assignent  ses  propres  spécialistes  (2),  Grâce 
à  leurs  soins,  notre  inventaire  des  matériaux  qui  fournissent  les 
données  de  la  théologie  prendra  figure  de  synthèse  :  ils  dressent 
leurs  catalogues  par  époques  et  par  genres.  Ils  n'y  omettent  pas 
les  délicats  problèmes  de  l'authentique  et  de  l'apocryphe.  S'ils 
ne  sont  pas  eux-mêmes  théologiens,  ils  constituent  encore  une  ca- 
tégorie de  préparateurs  documentaires  pour  l'atelier  du  théologien. 
Et  celui-ci  leur  doit  une  juste  reconnaissance  pour  les  données 
positives  qu'ils  lui  apprennent  à  contrôler. 

Ce  n'est  pas  tout.  Quelle  que  soit  sa  fonne  ou  sa  date,  un  apo- 
cryphe, un  authentique  exprime  une  doctrine.  Par  là,  il  constitue 
essentiellement  un  événement,  gros  ou  petit,  dans  le  travail  ex- 
plicatif du  dogme  ou  bien  encore  dans  les  effets  de  son  élucidation. 
La  Hiérarchie  ecclésiastique  du  Pseudo-Denys,  les  trois  livres 
de  saint  Augustin  eoyitre  les  lettres  de  Fetilianus,  évêque  donatiste 
de  Cirta,  représentent  chacun  une  phase  dans  l'élaboration  de  la 
doctrine  ecclésiologique.  De  même,  c'est  le  dogme  christologique, 
à  des  moments  divers,  que  nous  trouvons  en  381  dans  les  canons 
du  IP  Concile  œcuménique  de  Constantinople  et  dans  ceux  de 
Chalcédoine  en  451.  Ici  donc,  une  question,  non  plus  de  mots 
et  de  texte,  non  plus  de  composition  ou  d'attribution,  mais  de 
fond  et  de  choses,  nous  presse  immédiatement.  Quelle  est  la 
place  de  ce  Concile,  de  ce  Père,  de  ce  pseudonyme,  et  de  leurs 
travaux  respectifs  dans  la  croissance  de  la  doctrine  ? 

A  ce  problème,  un  troisième  critique  répond  :  l'historien.  En 
possession  de  documents  que  les  deux  autres  lui  ont  livrés 
en  bon  état,  datés,  attribués,  caractérisés,  classés,  il  vise  tout  droit 
aux  choses  dont  ces  documents  parlent.  Sans  doute,  il  pratiquera 
souvent  lui-même  la  critique  textuelle  et  la  critique  littéraire; 
mais,  quant  à  lui,  comme  historien,  bien  voir  les  faits,  en  bien 


1.  S.  Grégoire.   Bcgcsfa  episfolanim,   X,  35,  39.  P.   L.   XCIV.   1091,    1096. 
Cf.  Beg.  ep.  VII,  32.  XI,  74. 

2.  Batiffol,  Annennes  littératures  chrétiennes,   I,   XIV.   —  Lagrange,  La 
Méthode  historique,  11. 


698         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

saisir  les  enchaînements  de  cause  à  effet,  les  exposer  de  la 
façon  la  plus  claire  et  en  toute  sincérité,  tel  est  le  programme 
de  sa  spécialité  (1).  Il  tâche  de  le  réaliser  par  son  observation, 
son  analyse  et  ses  comparaisons  documentaires  :  alors,  il  syn- 
tliétise  les  résultats  des  deux  critiques  préparatoires,  dans  une 
troisième,  qui  travaille  pour  son  compte  à  pénétrer  le  réel,  à 
voir  revivre  le  passé  (2). 

C'est  encore  bien  du  positif  que  cette  vue  des  faits  et  de  leur 
suite,  par  le  moyen  des  documents  ;  toujours  du  positif  documen- 
taire.'—Mais  ce  n'est  pas  de  la  théologie;  cela  reste  de  l'histoire. 
D'une  méthode  purement  historique,  une  théologie  ne  résultera 
jamais.  Sans  doute,  la  théologie  vous  fournira  de  nécessaires  ma- 
tériaux pour  vos  récits,  puisque  vous  entendez  raconter  les  pha- 
ses doctrinales  traversées  par  l'Église.  Mais,  la  méthode  formelle- 
ment e<  non  pas  la  matière  seule,  voilà  ce  qui  spécifie  une  science. 
On  vous  reprocherait  donc  l'ambiguïté  des  termes  si  vous  nommiez 
ici  théologie  positive,  ce  qui  est  simplement  l'histoire  des  doc- 
trines développées  dans  l'Église  et  par  elle. 

A  ce  sujet  d'ailleurs,  les  historiens  avertis  n'oublient  pas  le 
caractère  généralement  incomplet  des  collections  documentaires 
les  plus  riches  :  les  parchemins,  les  stèles  et  les  bibliothèques  ne 
restituent  le  passé  que  par  fragments  épars  ou  mutilés.  De  tou- 
tes parts,  les  documents  laissent  des  périodes  obscures  et  de^ 
problèmes  insolubles.  Dans  notre  histoire  des  premiers  âges  chré- 
tiens, malgré  Eusèbe,  cet  «  heureux  accident  »,  que  d'inconnues 
encore  !  «  La  documentation  critique  et  historique  peut  bien  nous 
donner  des  essais  de  croquis,  des  hypothèses  sur  la  manière  dont 
les  choses  purent  se  passer,  du  vrai  documentaire  ;  elle  est  im- 
puissante à  reconstituer  le  BéeJ  total  »  (3). 

Conscients  de  cette  insuffisance,  les  plus  probes  historiens  n'hé- 
sitent pas  à  y  suppléer,  précisément  par  des  hypothèses,  que  le 
document  lui-même  suggère  sans  toutefois  les  nécessiter.  L'ap- 
port des  sources  documentaires  se  complète  par  celui  de  sources 
variées,  mais  scientifiques  toujours  et  nourrissant  la  connaissance 
des  hommes  :  géographie,  sociologie,  psychologie,  métaphysique 
même;  car  celle-ci  partout    sonde  le  tréfonds  des  choses.  Aussi, 


1.  DucHESNE,    Lettre-préface,    dans    Flnk-Hemmer,    Histoire    de    l'Eglise. 

2.  LAonANGE.  La  Méthode  hisforique,  187. 

3.  A.  Gabdkil.  La   Béfoniie  de  la  Théologie  catholique.  —   Revue  thomiste, 
mars-avril    1903,   p.   18. 


LES     DEUX    THÉOLOGIES  699 

l'histoire  que  M.  Blondel  nommait  critique  et  technique  se  prolonge 
dans  celle  qu'il  appelait  réelle;  et  les  deux  n'en  font  qu'une, 
observait  justement  le  R.  P.  Allô  (1). 

Allons-nous  donc  prétendre  alors  compléter  simplement  notre 
science  documentaire  des  phases  doctrinales  par  des  hypothèses  ? 
Ce  serait  notre  seul  recours,  si  l'Église  se  fût  développée  comme 
une  société  purement  humaine,  sans  nulle  intervention  surnatu- 
relle; ou  bien,  si  nous  ne  possédions  la  foi.  Et  c'est  pourquoi, 
sous  la  plume  d'un  incroyant,  l'histoire  de  nos  doctrines  devient 
si  facilement  insuffisante  et  conjecturale.  Elle  ressemble  à  une 
histoire  de  la  musique,  écrite  par  un  auteur  qui  manquerait  tout 
à  fait  d'oreille,  mais  qui  se  serait  documenté  chez  les  artistes  : 
que  de  thèses  fragiles,  que  de  lacunes  et  d'incompréhensions  ! 

«  Si  vous  ne  croyez  pas,  vous  ne  comprendrez  pas  ».  Ce  vieux 
mot   d'Isaïe,    appliqué   par  saint   Anselme   à   la   pénétration   des 
choses  divines,  reste  aussi  vrai  dans  la  science  des  phases  doc- 
trinales  que   devant  les  profondeurs  métaphysiques   du  dogme. 
Pour  nous,  qui  possédons  la  foi,  nous  considérons  les  documents 
épars  et  fragmentaires  des  époques  doctrinales  dans  une  lumière 
directement  émanée  de  l'Intelligence  Suprême  qui  en  gouverna 
le  développement.   Intérieure  à  notre  âme,   cette  lumière  tombe 
sur  des  objets  que  nous  garantit  au  dehors  le  magistère  contem- 
pcrain  de  l'Église  ;  cet  enseignement  nous  donne  l'expression  actua- 
lisée des  virtualités  natives  de  la  donnée  révélée  ;  et  alors,  sans  pré- 
tendre voir  les  Pères  apostoliques,  par  exemple,  professer  nos  ex- 
plicites formules  sur  l'union  hypostatique,  ce  qui  serait  de  la  dé- 
mence historique,  nous  retrouvons,  dans  tel  passage  fameux  de 
saint  Ignace  d'Antioche,  notre  foi  même  sur  Jésus-Christ,  «  l'uni- 
que médecin,  corporel  et  spirituel,  engendré  et  inengendré,  venu  de 
Dieu  et  venu  de  Marie»  (2).  Notre  foi  actuelle  se  reconnaît  bien 
là;  mais  non  encore  précisée  dans  sa  formule  métaphysique  par 
les  notions  de  nature  et  de  p-ersonne.  Il  y  faudra  quatre  cents  ans. 
Ce   n'est  pas   simplement  le   contenu   du   dogme   ancien   que 
nous  connaissons   bien  par  son  actuation  contemporaine;  nous 
découvrons    aussi    par   quelles  voies  de   conséquence   logique   ou 
d'assimilafiou  normale,  les  notions  philosophiques  de  nature  et 


1.  R.  P.  Allô.  Extrinsécismc  el  hislorlaismc.  Reçue  thomiste,  septembre- 
octobre    1904,    p.    453,    454. 

2.  Ignatii  Kj)/sf.  ad  Ephedos,  VII.  2.  Funk.  Patres  aposlolicl,  I,  178,  179. 
—  A.  Gardeil.  La  Béforme  de  la  Théologie  catholique.  Revue  thomiste,  sep- 
Icmbre-octobro    1908,    445,    446.    —    Niîwman.    Histoire   dto   développement    da 

la  doctrine  chrétienne,  Paris,   1818,  p.   161. 


700         REVUE   DES  SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

de  personne  se  sont  incorporées  au  dogme  ecclésiastique.  Nous  les 
voyons  élaborées  par  saint  Cyrille  d'Alexandrie  et  par  Léonce 
de  Byzance;  estampillées  par  les  Conciles  (1).  Alors,  dans  une  vue 
de  foi  intelligente,  nous  retraçons  la  courbe  rationnelle  de  ce  long 
développement.  Elle  enveloppe  et  dépasse  les  fragments  de  vie 
et  d'époques,  manifestés  par  les  documents.  Ce  que  ceux-ci  nous 
donnent  à  obser\'er  par  les  dehors  matériels  et  empiriques  ;  par 
des  signes  sensibles  et  naturels,  toujours  inadéquats  à  l'intelligi- 
ble et  au  surnaturel  ;  avec  des  intervalles  de  ténèbres  et  des  pério- 
des allongées  de  silence,  notre  foi  à  la  croissance  dogmatique, 
nous  le  donne  à  considérer  dans  une  synthèse  suivie,  où  les 
minutieux  problèmes  textuels,  littéraires,  historiques,  prennent 
une  ampleur  nouvelle  et  une  vie  supérieure.  Ils  réapparaissent 
là,  comme  les  monuments  partiels  et  distancés,  les  colonnes  mil- 
liaires  de  la  grande  voie  sacrée,  toujours  suivie  par  l'Église, 
coinmentant  l'Évangile.  Autrement  dit  :  nous  ramenons  là  nos 
incomplètes  données  d'énidition  et  de  critique,  à  une  vue  coor- 
donnée des  étapes  qui  marquent  le  progrès  doctrinal  dans  l'É- 
glise catliolique.  Aux  critiques  documentaires,  à  la  critique  pure- 
ment historique,  une  plus  haute  critique  s'ajoute  ainsi,  péné- 
trant le  sens  divin  des  phases  doctrinales,  marquant  leur  unité 
continue,  dans  la  diversité  des  langues  et  des  temps  (2). 

Ce  sera  encore  bien  de  la  critique'  positive  :  non  seulement 
elle  enregistrera  les  documents  qui  constituent  sa  matière  propre 
et  immédiate;  mais  surtout,  elle  observera  les  signes  qu'ils  ren- 
ferment d'une  continuité  logique,  vivante  et  infrangible  de  la 
doctrine  catholique,  à  partir  du  témoignage  révélateur  de  Jésus 
et  de  ses  Apôtres.  Ces  signes,  perpétués  d'âge  en  âge  et  de  ques- 
tion en  question,  lui  donneront  à  retrouver  expérimentalement  la 
substance  pure  des  données  révélées,  tantôt  dans  leurs  explica- 
tions et  conséquences  directes,  tantôt  dans  les  assimilations  de 
termes  savants  ou  populaires,  les  uns  fournis  par  les  théologiens, 
les  autres  adoptés  par  les  foules,  et  sanctionnés  ici  et  là  par  les 
Évêques,  les  Conciles,  les  Papes,  en  des  écrits  qui  font  foi.  Ce 
ne  sera  pas  sortir  du  positif,  c'est-à-dire  de  ce  qui  se  manifeste 
sensiblement  dans  le  temps  et  dans  l'espace,  que  de  relier  ces  dé- 


1.  TixERONT,  Des  concepts  de  nature  et  de  p;rso)ine  dans  les  Pères  et  les 
écrivains  ecclésiastiques  des  V^  et  VI^  siècles.  —  Revue  d'Hist.  et  de  Litt. 
religieuses,  nov.   1903. 

2.  A.  Lf.monnyer.  Comment  s'organise  la  Théologie  catholique;  Bévue  dik 
Clergé  français,  1er  octobre  1903,  241. 


LES     DEUX    THÉOLOGIES  701 

vcloppements  successifs  de  la  doctrine  Scacrée  aux  textes  qui  en 
contiennent  les  premiers  principes  ou  qui  en  jalonnent  les  phases. 
Alaiâ  ce  sera  du  positif  surnaturel  :  l'observation  et  la  critique 
du  théologien  considèrent  les  monuments  de  la  révélation  et  du 
dogme  sous  la  lumière  de  la  foi.  Au  lieu  de  s'en  tenir  à  des  ana- 
lyses, à  des  rapprochements  de  simple  raison,  ainsi  que  le  bota- 
niste ou  le  sociologue,  le  théologien  positif  compulsera  ses  docu- 
ments comme  l'expression  directe  ou  le  commentaire  autorisé 
de  témoignages  divins.  De  même  que  la  notion  de  loi  ou  d'ordre 
naturel  parmi  les  phénomènes  préside  à  toute  recherche  de  labo- 
ratoire ou  d'observation  ;  de  même,  la  notion  de  témoignage  divin 
continué  et  socialisé,  gouvernera  la  méthode  positive  du  théolo- 
gien. 

11  en  résultera  un  classement  particulier  des  documents  théo- 
logiques. Selon  les  caractères  apodictique  de  l'enseignement  des 
Papes  ou  des  Conciles,  et  simplement  prohahh  de  l'enseignement 
des  théologiens,  —  au  sens  que  prennent  ces  termes  dans  le 
Traité  des  Lieux  théologiques,  —  la  théologie  positive  pourvoira 
les  documents  qu'elle  recueille,  de  notes  diverses,  graduées  avec 
précision  au  point  de  vue  de  la  foi  et  de  la  certitude  (1).  Mais 
qu'en  veuille  bien  le  remarquer  :  cette  nécessaire  caractérisation 
iramènera  toujoure  la  valeur  d'un  document  positif  au  témoignage 
documentaire  existant  d'un  groupe  ou  d'un  personnage  hiérar- 
chique, ainsi  qu'à  sa  cause  propre  et  iinmédiate  dans  V ordre  de 
la.  révélation  surnaturelle  et  de  V enseignement  ecclésiastique.  Les 
caractères  doctrinaux  des  énoncés  admis  par  les  tliéologiens  ou 
l)ar  l'Église  se  dessinent  oi  fonction  de  Vorgane  enseignant  dont  ils 
émanent,  à  proportion  du  mode  de  leur  émanation.  Leur  qualifica- 
tion —  de  foi,  proche  de  la  foi,  certain,  etc.  —  nous  découvre 
donc  une  propriété  logique  et  un  droit  à  tel  genre  d'adhésion  dont 
la  science  intégrale  ne  se  réalisera  que  par  un  seul  et  unique 
moyen  de  démonstration  :  le  rattachement  positif  de  cette  pro- 
priété à  l'acte,  à  l'organe  d'enseignement  par  locfuel  elle  existe 
et  qui  la  spécifie. 

Et  donc,  si  le  théologien  scolastiiino  est  le  mélaphysicien  du 
dogme,  le  positif  en  est  un  sociologue;  —  non  pas  le  sociologue 
abstrait,  comme  le  scolastique  étudiant  l'Église,  mais  le  sociologue 
da)ts  le  concret.  S'il  fallait  proposer  une  devise  scriplnraire  pour 
la  théologie  positive,  on   se  souvienrlrait  que,  dans  le  tons  les 


1.  A.   Gardkil.  L(i   Kolioit  du  Lien.  niéoJof/i'iioe,   p.   45,   p.  80. 


702         REVUE    DES    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    TIIÉOLOGIQUES 

jours  familier  et  variable,  par  le  détail  individuel  de  chaque 
phase  doctrinale,  se  vérifie  la  continuité  de  la  donnée  révélée 
émise  par  Jésus  avec  les  commentaires  dont  il  laissa  le  soin  à 
ses  envoyés.  La  devise  cherchée  serait  donc  :  «  Avec  vous,  tous  les 
jours,  jusqu'à  la  fin  des  âges  ».  Il  n'est  peut-être  aucune  parole 
évangélique  où  se  résmne  plus  fortement  cette  collaboration  du 
Christ  révélateur  et  des  Autorités  ses  interprètes,  dont  résulte  à 
nos  yeux  le  point  de  vue  social  de  la  théologie  positive. 

En  proposant  ce  point  de  vue,  je  ne  me  dissimule  pas  que  son 
aspect  social  présente  un  élément  de  nouveauté  dans  l'ensei- 
gnement des  théologiens  ;  mais  je  constate  que  cette  nouveauté 
se  produit  dans  une  ligne  de  pensée  absolument  traditionnelle.  Voici 
comment. 

D'abord,  à  la  lecture  d'ouvrages,  soit  anciens,  soit  modernes, 
sur  la  théologie  positive  ;  à  la  lecture  de  Pères,  de  Docteurs,  de 
Conciles  auxquels  me  renvoyaient  ces  ouvrages,  de  plus  en 
plus  j'observai  que  des  groupements  hiérarchiques  et  des  grou- 
pements privés,  solidaires  toujours  de  leurs  prédécesseurs,  éla- 
borèrent l'exposé,  la  défense,  le  progrès,  la  formule  authentique  du 
dogme  catholique.  Des  Pères  agirent  après  leur  mort  sur  d'au- 
tres Pères,  qui  les  suivirent  et  les  complétèrent.  Des  Pères  colla- 
borèrent entre  eux  par  des  échanges  de  vues  concordantes  ou  de 
polémiques.  Des  isolés  eux-mêmes  collaborent,  sans  le  sa- 
voir, à  des  pensées  que  d'autres  élaborent,  isolément  aussi  : 
de  part  et  d'antre,  on  travaille  sur  les  mêmes  données  du  Christ 
révélateur,  en  communion  avec  son  assistance  présente,  par  le 
moyen  de  l'Église.  J'avouerai  notamment  que  la  documentation 
des  Dogmafa  théologien,  de  Pétau,  me  fut  des  plus  décisives  pour 
cette  constatation  expérimentale  des  ateliers  et  groupes  d'ate- 
liers où  se  travaillent  les  doctrines.  Ce  que  Pétau  pensait  en  théo- 
rie de  la  théologie  positive,  je  ne  le  sais  trop.  Il  s'occupe  moins 
de  la  définir  que  de  l'utiliser  dans  un  ensemble  assez  complexe 
de  recherches.  En  même  temps  qu'elle  y  figure  pour  son  objet 
spécifique,  elle  se  subordonne  à  des  études  sur  les  origines  des 
grands  problèmes  scolastiques  chez  les  Pères,  et  cà  des  examens 
criliqueiL  de  la  critique  protestante  (1). 

En  second  Hou,  «l'ailleurs,  les  plus  classiques  définitions  de  la 
théologie  positive  me  parurent  elles-mêmes  un  acheminement 
certain  vers  le  point  de  vue  sociologique.  D'après  Franz-elin,  par 


1.   DoijiHdlii    Ihi'oJogica,  Prolegomona.    IX.   il.    10. 


LES     DEUX    THÉOLOGIES  703 

exemple,  la  théologie  positive  a  pour  objet  la  parole  de  Dieu 
en  tant  que  consen^ée  dans  l'Écriture  et  la  Tradition,  et  proposée 
par  l'Église  [i).  Mais,  puisque  c'est  l'Église  qui  nous  apporte, 
nous  garantit,  nous  interprète  la  Bible  et  la  Tradition,  j'obser- 
verai ici,  avec  le  R.  P.  Lemonnyer,  que,  pour  avoir  l'objet  de 
la  théologie  positive  dans  son  ultime  détermination,  il  faut  con- 
sidérer la  proposition  de  ces  documents  par  VÉglise,  comme  l'élé- 
ment formel  et  spécificateur  de  leur  notion  théologique  et  po- 
sitive. Et  ceci  nous  maintient  dans  la  grande  ligne  traditionnelle 
de  toute  saine  théologie  (2). 

Mais  quoi?  cet  élément  formel  de  notre  définition  rcs(era-t-il  un 
mot  souligné  sur  une  étiquette,  ou  ne  deviendra-t-il  pas,  selon 
sa  valeur,  un  élément  principal  d'explication  et  de  preuve?  S'il 
est  vraiment  formel  dans  la  définition  classique,  il  sera  l'âme 
de  la  science  que  cette  définition  résume  ;  il  sera  le  principe  or- 
ganisateur de  sa  structure  et  de  sa  vie.  Or,  je  pense  l'avoir  mon- 
tré :  la  présentation  du  dogme  révélé  par  l'Église  s'effectue  es- 
sentiellement comme  l'œuvre  propre  de  la  Hiérarchie  ;  une  œuvre 
collective  et  progressant  par  phases,  dans  les  Conciles,  d'une 
part,  et,  d'autre  part,  dans  le  Magistère  dispersé,  mais  social 
encore,  des  églises  particulières  en  communion  avec  Rome.  A 
cet  ouvrage  principal  collaborent  des  théologiens,  des  écoles  de 
penseurs,  qui  préparent  des  éléments  aux  sentences  de  la  Hiérar- 
chie, ou  qui  commentent  ses  souveraines  décisions.  Il  nous  est 
donc  impossible  de  coordonner  positivement  les  phases  de  l'en- 
seignement dogmatique  et  de  la  théologie,  son  accessoire,  sans 
reconnaître  partout  le  développement  de  la  donnée  révélée  par 
des  facteurs  sociaux.  S'il  y  a  là  quelque  nouveauté,  elle  ressort 
tout  droit  des  plus  classiques  définitions  de  la  théologie  positive 
et  de  sa  plus  sûre  documentation.  C'est  pourquoi  j'en  adresse 
l'hommage  aux  théologiens,  aux  maîtres,  aux  anciens,  dont  les 
travaux  m'ont  orienté  vers  cette  vue  plus  explicite. 

Nice.  M.-B.  Schw.\lm. 


1.  Franzelin,  De  Dioina  tradifione.  613.   —  De  Deo  uno,  14. 

2.  S.  Thom.\s.  Summa  theologica,  11^  IT^e.  Quaest.  5.  Art.  111.  corp.  et 
ad  2ni.  —  PET.A.U.  Dngm-ita  theologi''a.  Pro'e?.  I.  7.  —  Lemonnyer.  Thcologir 
positive  et  Théologie  historique,  p.  6,  7.  Revue  du  Clergé  français,  Ler  mars 
1903. 


Le    Problème 
des    Sources    Théologiques 
au   XVP   Siècle 

SUITE    (l). 

II 

LA   RENAISSANCE   DES   TRADITIONS    HERMÉNEUTIQUES 

La  théorie  ecclésiastique  de  l'autorité  des  Écritures  avait  sem- 
blé, un  momeut,  par  ses  extensions  exclusives  et  arbitraires,  met- 
tre en  péril  leur  valeur  d'enseignement  et  de  doctrine.  La  théorie 
scolastique  était  venue  rétablir  l'équilibre,  et  faire  saillir,  au  pre- 
mier plan,  le  sens  dogmatique  de  la  Bible.  Mais  là  ne  s'était  pas 
arrêtée  la  fécondité  intellectuelle  de  l'Église.  Pour  viv^re  la  doctrine 
chrétienne,  il  fallait  d'abord  la  penser.  Aucune  des  directions 
normales  de  l'esprit  ne  devait  donc  être  exclue  de  ce  travail  d'ap- 
propriation. Pour  beaucoup,  la  forme  logique  donnée  par  la  théo- 
logie aux  enseignements  gcripturaites  était  inaccessible.  Pour 
quelques-uns  même,  l'exemple  de  Roger  Bacon  le  prouve,  elle 
paraissait  ne  point  convenir  absolument.  Tous  ceux  qui  lisaient 
les  Saints  Livres  en  vue  seulement  de  la  sanctification  de  leurs 
âmes,  et  c'était  le  grand  nombre,  y  cherchaient  Dieu  non  point 
sous  forme  de  thèses  abstraites  et  de  démonstrations,  mais  dans 
les  splendeurs  des  images  bibliques  ou  sous  la  grâce  infinie  des 
paraboles  et  des  récits  de  l'Évangile.  Pourtant,  cette  façon  de 
comprendre  l'Écriture,  cette  intelligence  des  simples  et  des  pau- 
vres d'esprit,  devait,  elle  aussi,  fournir  à  la  théologie  un  long 
développement  théorique,   et  se   ranger  avec  des   droits  égaux, 


1.  Cf.  Mevue  des  Se.  Ph.  et   Th.   I  (11)07),  p.   (30-93;   474-498. 


PROBLÈME   DES   SOURCES   THÉOLOGIQUES   AU  XYI^  SIÈCLE  70o 

parfois  même  avec  des  prétentions  à  la  "prééminence,  aux  côtés 
de  la  théorie  ecclésiastique  et  de  la  théorie  scolastique. 

Deusintus  loquitur  sine  strepitu  verhoriun.  Dieu  parle  en  nous- 
même  sans  bruit  de  paroles.  Cette  expérience,  vieille  comme  le 
christianisme,  avait  eu  de  trop  profonds  retentissements  dans  la 
vie  chrétienne  pour  ne  pas  avoir  ses  prolongements  théologiques. 
La  divine  Parole  Intérieure  n'avait  certes  pas  le  relief  historique 
ni  l'importance  doctrinale  du  Verbe  de  Dieu.  Mais  elle  appropriait, 
si  l'on  peut  ainsi  parler,  l'efficacité  rédemptrice  de  celui-ci  à 
chaque  àme  fidèle,  rendait  cette  efficacité  sensible  et  person- 
nelle, rétablissait  de  quelque  façon  les  conmiunications  entre 
l'honmie  et  Dieu  que  l'heure  de  la  plénitude  des  temps  avait  vu 
conmiencer.  Pourtant  l'Église  hellénique  fut  trop  absorbée  pai 
les  controverses  christologiques  proprement  dites  pour  donner 
une  grande  importance  à  ce  trait  des  spéculations  touchant  le 
divin  Logos.  D'autre  part,  la  vue  métaphysique  du  dogme,  qui 
domine  alors,  n'était  guère  favorable  à  l'expression  doctrinale 
de  cette  grande  réalité  psychologique.  Mais  un  intermédiaire  nou- 
veau, moins  mystique  que  la  Parole  Intérieure,  d'une  présence 
plus  immédiate  que  le  Verbe  fait  chair,  allait  compléter  l'ensem- 
ble de  thèmes  qui  devait  composer  le  cycle  des  développements 
relatifs  aux  manifestations  de  Dieu  dans  le  monde  sous  les  es- 
pèces du  langage.  L'Écriture,  elle  aussi,  était  la  parole,  la  voix 
de  Dieu.  Soit  qu'elle  enseigne,  soit  qu'elle  ordomie,  elle  traduit 
d'une  façon  immédiate,  la  volonté  ou  la  pensée  même  du  Créa- 
teur. Dieu  a  parlé  par  la  bouche  des  Prophètes  et  des  Apôtres, 
et  tous,  même  les  ignorants,  peuvent  et  doivent  entendre  sa  voix. 
11  est  même,  par  sa  divine  parole,  l'instrument  de  notre  déifica- 
tion. «  Celui  qui  s'est  retiré  des  illusions  hérétiques,  et  qui,  écou- 
tant les  Écritures,  a  consacré  sa  vie  à  la  vérité,  celui-là  d'un 
homme  devient  un  Dieu.  Car  nous  avons  comme  principe  de 
notre  savoir  le  Seigneur  qui,  par  les  Prophètes,  l'Évangile  et  les 
saints  Apôtres,  nous  conduit  en  mille  façons  et  par  mille  voies  di- 
verses du  début  à  la  fin  des  sciences.  Si  quelqu'un  supposait 
avoir  besoin  d'autre  chose,  connue  principe,  alors,  il  n'y  aurait 
plus  véritablement  de  principe.  Celui  donc  qui,  de  lui-même,  croit 
à  l'Écriture  du  Seigneur  et  à  Sa  Voix,  celui-là  est  digne  d'être 
cru,  car  il  est  poussé  par  le  Seigneur  à  agir  ainsi  pour  le  bien 
des  hommes.  C'est  de  ce  principe  que  nous  nous  servons  comme 
d'un  critérium  pour  découvrir  la  nature  vraie  des  choses.  Tout 
ce  qui  est  soumis  au  jugement  n'est  pas  acceptable  en  effet  avant 


706         REVUE    DES   SCIEiNXES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

d'avoir  été  jugé.  De  so'rte  que  ce  qui  a  besoin  de  jugement  ne 
peut  êire  principe.  Et  cependant,  c'est  avec  raison  que  nous  ac- 
ceptons par  la  foi  un  principe  indémontré,  car  nous  tirons  de  ce 
principe  même  des  preuves  surabondantes  de  sa  propre  vérité, 
instiuits  que  nous  sommes  par  la  voix  de  Dieu  dans  cette  recher- 
che. Nous  n'accordons  point  foi  aux  hommes  sur  leur  simple  dire, 
puisqu'on  peut  affirmer  le  contraire  avec  autant  de  raison.  Si 
donc  il  ne  suffit  point  d'affirmer  ce  que  l'on  croit,  si  l'on  doit 
en  plus  faire  foi  de  ce  que  l'on  dit,  alors  nous  n'attendons  pas  le 
témoignage  des  hommes,  mais  nous  croyons  sur  la  Parole  de 
Dieu  qui,  non  seulement  est  plus  immédiate  que  toute  démonstra- 
tion, mais  encore  se  trouve  être  la  seule  vraie  démonstration»  (1). 
C'est  donc  la  voix  de  Dieu  qui  est  la  source  unique  de  la  science 
sacrée,  source  qui  porte  en  elle-même  la  garantie  de  sa  y-ureté 
et  de  son  abondance.  Mais,  qu'on  le  remarque,  Clément  d'Alexan- 
drie laisse  ici,  dans  une  indétermination  favorable  aux  distinc- 
tions futures,  ce  concept  de  Parole  divine.  Il  est  rapproché  et 
partiellement  confondu  avec  celui  d'Écriture.  Pourtant  il  semble 
aussi  s'en  différencier  en  quelque  façon  (2). 

Cette  restriction  était  justifiée.  L'Écriture  n'était  pas,  en  effet, 
la  seule  fomie  des  productions  divines  qui  rentraient  dans  la 
catégorie  des  choses  inspirées.  Le  premier  âge  du  Christianis- 
me avait  vu  tout  un  ensemble  de  manifestations  extraordinaires 
que  les  fidèles  rapportaient  à  une  seule  cause,  à  ce  «  Paraclet  », 
que  Jésus  avait  promis  d'envoyer  aux  disciples  après  sa  mort. 
Parmi  les  charismes  de  l'Esprit  de  vie  et  de  sainteté,  quelques- 
uns  seulement  se  trouvaient  en  relation  plus  ou  moins  directe 
avec  les  Livres  Saints.  Mais  déjà  s'exprimait  la  pensée  que  ce 
divin  Esprit  était  l'unique  et  véritable  auteur  de  la  Bible,  et 
que  les  écrivains  sacrés  n'avaient  été  que  ses  porte-paroles. 
Au  reste,  son  action  ne  s'arrêtait  pas  là.  Son  œuvre  ne  se  bor- 
nait pas  à  fournir,  de  l'extérieur,  une  matière  intellectuelle  à  la 
foi  chrétienne.  Son  caractère  essentiel  n'était-il  pas  avant  tout 
de  répandre  dans  les  âmes  l'onction  de  vérité?  Ne  devait-il  pas, 
d'après  la  promesse  elle-même  du  Christ,  exercer  surtout  un 
ministère  d'enseignement?  Ce  qu'il  avait  fait  de  façon  plus  mani- 

1.  Clément  d'Alexandrie,  Stromates,  VII,  16.  M.,  P.  G.  p.  .322,  c.  890. 
Voyez  aussi  Clément  of  Alexandria,  Sevenfh  Book  of  the  Stromafeis,  éd. 
by    HoRT    and    Mayor,    p.    166    et    notes. 

2.  C'est  ainsi  cpie  Hort  traduit  le  texte  :  «  ô  fjLèv  ovi>  é^  éaiToû  -mcrTos  rrl  KvpiaKrf 
ypa4>rj  Te  Kul  (pijprj  à^iàwLSTos.»  T[)a.T  :  «  He  then  wlio  of  himself  believes  the  Lord's 
Scripture  and  His  actual  voice   is   wurthy   of  belief.  »    Op.   cit..   p.    167. 


l'IluBLE.ME    DES   yuUIlCES   TllÉoLOGIOLES   AU   XVI''   SIÈCLE  707 

feste,  plus  éclatante,  plus  explicite,  par  les  Prophètes  et  les  Apô- 
tres, il  allait  le  continuer  sur  un  mode  plus  intime,  au  milieu 
des  fidèles.  Comme  il  avait  inspiré  les  auteurs  des  Livres  Saints, 
de  même  il  allait  inspirer  leurs  lecteurs,  en  leur  livrant,  dans  une 
illumination  charismatique,  les  trésors  cachés  du  sens  scriptu- 
raire.  Grâce  à  lui  seulement,  il  était  possible  de  découvrir  ces 
trésors  Et  la  génération  des  âmes  à  la  vérité,  conmiencée  dans 
l'initiation  baptismale  par  l'eau  et  l'Esprit,  se  continuait  et  s'a- 
cbevai*  par  l'action  indéfiniment  prolongée  de  ce  dernier.  Or, 
cette  œuvre  ne  consistait  pas  seulement  à  faire  trouver  dans 
l'Écriture,  pour  chaque  àme  particulière,  la  nourriture  spirituelle 
spéciale  dont  elle  avait  faim.  Sans  l'Esprit,  le  sens  doctrinal  de 
la  Bible  restait  lettre  close.  Docteurs  et  didascales  étaient  à  la 
merci  de  ses  grâces.  C'était  lui  qui  ouvrait  les  yeux  de  leurs 
intelligences  à  la  claire  lumière  des  vérités  bibliques.  L'inspira- 
tion objective  de  l'Écriture  avait  ainsi  pour  pendant  naturel  l'il- 
lumination intérieure  qui  était  la  condition  de  son  efficacité  pra- 
tique. La  compréhension  des  mystères  et  de  la  doctrine  renfermée 
dans  les  Livres  Saints  dépassant  les  bornes  de  l'esprit  de  l'hom- 
me, il  faut  que  l'Esprit  de  Dieu  vienne  collaborer  avec  lui  pour 
lui  permettre  de  les  pénétrer.  Les  docteurs  les  plus  férus  de  lo- 
gique admettent  ce  concours  nécessaire,  indispensable,  pour  sai- 
sir même  le  sens  historique  et  littéral  de  l'Écriture.  «  Pendant 
que  nous  sondons,  dit  Abélard,  l'abîme,  infini  en  profondeur,  de 
la  Genèse,  invoquons  l'Esprit  lui-même  qui  a  dicté  tout  ce  qui 
s'y  trouve  écrit,  pour  qu'il  nous  ouvre  le  sens  des  paroles  qu'il  a 
inspirées  aux  Prophètes.  Tout  d'abord  donc  dans  la  mesure  où  ille 
voudra,  bien  plus,  où  il  nous  le  domiera,  établissons  comme 
fondement  historique  la  vérité  même  des  faits  racontés  »  (1). 
L'atmosphère  lumineuse  de  la  grâce  est  ainsi  nécessaire  à  la  claire 
vision  des  réalités,  soit  religieuses,  soit  purement  historiques, 
consignées  dans  la  Bible.  On  comprend  pourtant  que  les  tempéra- 
ments mystiques  aient  été  plus  portés  que  les  esprits  raisonneurs 
à  insister  sur  ce  point  de  doctrine  (2).  Trouver  avant  tout  dans  l'É- 


1.  Pétri  Abaelardi  opéra.  M.,  P.  L.  178,  731  ssq.  Expositio  in  Hexa- 
meron  :  «  Immensam  igitur  al)yssum  profuuditatis  Geneseos  triplici  perscru- 
tantes  expositione,  hislorica  scilicet,  morali  et  mystica,  ipsum  invocemus  Spi- 
ritum,  quo  dictante  haec  scripta  sunt,  ut  qui  Prophetae  verba,  largitus  est, 
ipse  nobis  eorum  aperiat  sensum.  Primo  itaque,  prout  ipse  aimuerit,  imo 
dederit,    rei    gestae    veritatem    quasi    historicam    figamus  .radicem.  » 

2.  Cette  précaution  d' Abélard  n'eut  pas  du  reste  le  succès  qu'il  devait 
s'en  promettre.  Les  mystiques  attaquèrent  avec  ensemble  ce  scolastique  avant 


708         REVUF    DES   SCIENCES  PHILOSOPHIQUES   ET   THEOLOGIQUES 

criture  la  touche  mystérieuse  de  Dieu  qui  se  révèle  sous  les 
voiles  de  la  lettre  et  se  rend  sensible  au  cœur;  y  puiser  la  nour- 
riture d'édification  et  de  réconfort  promise  par  l'Évangile 
même  à  tous  ceux  qui' goûteraient  la  Parole  de  Dieu;  dans  le 
miroir  et  les  images  des  Livres  Saints,  contempler,  suivant  l'ex- 
pression de  saint  Bernard,  «  ce  qui  est  connu  de  Dieu  »  ;  écou- 
ter là  sa  voix  elle-même  ;  entretenir  le  dialogue  de  l'àme  avec  son 
créateur;  réaliser  ainsi  l'épithalame  sacré  du  Cantique  des  Can- 
tiques, n'était-ce  pas  l'élément  essentiel  des  aspirations  mysti- 
ques ?  L'auteur  de  1'  «  Imitation  »,  dans  un  psaume  admira- 
ble, dont  l'ardente  prière  transparaît  au  travers  des  traductions, 
amena  à  leur  fonne  définitive  et  pratique  tous  ces  élans  de  la 
piété  médiévale. 

<x'  Que  Moyse  ne  parle  point,  dit  l'àme  fidèle,  ni  aucun  des  Pro- 
phètes; mais  vous,  plutôt,  parlez.  Seigneur,  mon  Dieu,  vous,  la 
limiière  de  tous  les  Prophètes  et  l'Esprit  qui  les  inspirait. 

Sans  eux,  vous  pouvez  seul  pénétrer  toute  mon  âme  de  votre 
vérité;  et  sans  vous,  ils  ne  pourraient  rien. 

Ils  peuvent  prononcer  des  paroles,  mais  non  les  rendre  effica- 
ces; leur  langage  est  sublime,  mais,  si  vous  vous  taisez,  il  n'é- 
chauffe  point  le   cœur. 

Ils  exposent  la  lettre;  mais  vous  en  découvrez  le  sens. 

Ils  proposent  les  mystères  ;  mais  vous  rompez  le  sceau  qui  en 
dérobai!:  l'intelligence. 

lis  publient  vos  commandements  ;  mais  vous  aidez  à  les  accom- 
plir. 

Ils  montrent  la  voie  ;  mais  vous  donnez  la  force  pour  mar- 
cher. 

Ils  n'agissent  qu'au  dehors  ;  mais  vous  éclairez  et  instruisez 
les  cœnrs- 


la  lettre.  Témoin  ce  passage  caractéristigue  du  Didascalicon  de  Hugues  de 
Saint-Victor,  qui  vise  évidemment,  comme  l'a  reconnu  Hauréau,  le  docteur 
du  Palet.  «  Quand  tu  commenceras  à  connaître  quelque  chose,  dit  Hugues 
à  son  disciple,  ne  méprise  pas  les  autres.  Cette  arrogance  se  remarque  chez 
certains  maîtres  qui  considèrent  leur  propre  science  avec  trop  de  satisfaction, 
et  qui,  persuadés  qu'ils  sont  quelque  chose,  pensent  que  tels  ne  sont  pas, 
tels  ne  peuvent  être  d'autres  maîtres  qu'ils  ne  connaissent  pas.  De  ce  vicieux 
ferment  tiennent  de  surgir  ces  colporteurs  de  sornettes,  qui,  glorieux  on 
ne  sait  de  quoi,  taxent  les  anciens  Pères  de  puérile  bonhomie  et  croient 
<iue  la  sagesse,  née  avec  eux,  ne  doit  pas  leur  survivre.  Le  style  des  Écri- 
tures, disent-ils,  est  tellement  simple,  quils  n'ont  pas  besoin  de  maîtres  pour 
leur  enseigner  à  les  coynprendre  :  il  suffit  à  cha^iun  de  sa  propre  intelligence 
pour  pénétrer  les  arcanes  de  la  vérité.  »  B.  Hauré.\u,  Les  Œuvres  de  Hngnrs 
de  Saint-Victor,  p.  97   sq.   Paris,   1886. 


PROBLEME    DES   SOURCES    TIIEOLOG  lOUKS    AU   XVl'^   SIECLE  709 

Ils  arrosent  extérieureineiit,  ;  mais  vous  donnez  la  fécondité. 

Leui-s  paroles  frappent  l'oreille;  mais  vous  ouvrez  l'intolli- 
gence. 

Que  Moyse  donc  ne  me  parie  point;  mais  vous,  Seigneur,  mon 
Dieu,  éternelle  vérité!  »  (1). 

Qu'on  ne  s'y  trompe  point.  Ce  dont  il  est  ici  question  est  tout 
autre  chose  que  Vexpositio  mystica  des  docteurs  du  moyen  âge. 
Les  paroles  sacrées  deviennent  ici  l'objet  d'une  révélation  person- 
nelle et  immédiate,  dont  l'intelligence  et  le  bienfait  ne  sont 
donnés,  de  façon  toute  gratuite,  qu'à  ceux-là  qui  sont  élus  de 
Dieu.  C'est  par  la  prière,  l'oraison,  les  sacrifices  et  les  pratiques 
de  l'ascétisme  qu'il  faut  se  préparer  à  la  lecture  des  Saints  Livres. 
On  écartera  ainsi  le  danger,  autrement  inévitable,  de  l'orgueil 
de  l'esprit,  de  la  superbe  intellectuelle,  sources  de  toute  hérésie 
et  de  toute  erreur.  «  Beaucoup  ont  perdu  la  dévotion  parce  qu'ils 
ont  voulu  trop  savoir.  »  Appliquant  cette  pensée  à  la  Bible, 
le  pieux  auteur  avait  déjà  dit  :  «  Dans  la  lecture  de  la  Sainte  Écri- 
ture, souvent  notre  curiosité  nous  nuit,  voulant  examiner  et 
comprendre,  alors  qu'il  faudrait  passer  simplement. 

»  Si  vous  voulez  en  retirer  du  fruit,  lisez  avec  humilité,  avec 
simplicité,  avec  foi  et  ne  cherchez  jamais  à  passer  pour  ha- 
bile »  (2). 

Là  n'était  point  la  seule  ligne  que  le  mysticisme  avait  fait  sui- 
vre à  ce  courant  de  la  pensée  chrétienne.  Dans  un  autre  sens  en- 
core, il  avait  développé  les  analogies  profondes  du  «  Verbe  de  Dieu  » 
et  de  la  «  Parole  divine  ».  Cette  fois,  ce  n'avait  pas  été  sans  dan- 
ger pour  cette  dernière.  Saint  Bernard  fournit  de  nouveau,  pour 
l'Occident,  le  germe  très  fécond  d'mi  long  développement.  «  Qu'il 
me  soit  fait,  s'écrie-t-il  dans  une  de  ses  homélies  Super  missus 
est,  au  sujet  de  votre  Verbe  suivant  votre  Parole.  Que  le  Verbe 
qui,  au  commencement,  était  en  Dieu,  devienne,  suivant  votre 
Parole,  la  chair  de  ma  chair.  Qu'il  devienne  pour  moi,  je  vous 
en  prie,  le  Verbe  non  pas  parlé,  qui  passe,  mais  conçu,  pour 
qu'il  demeure,  revêtu  de  chair  et  non  pas  d'air.  Qu'il  soit  pour 
moi,  non  seulement  perceptible  à  mes  oreilles,  mais  encore  vi- 
sible à  mes  yeux,  palpable  à  mes  mains,  supportable  à  mes 
épaules.  Qu'il  soit  pour  moi  non  seulement  le  Verbe  écrit  et  si- 
lencieux, mais  incarné  et  vivant,  c'est-à-dire  non  seulement  tracé 


1.  Imitation,  L.   III.  chap.  2,   trad.  df  Lamfanais. 

2.  Id.  L.  I.  chap.  5. 

2'  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  4.  4^ 


710         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET   THEOLOGIQUES 

en  figures  inertes  sur  des  parchemins  morts,  mais  \àvement  im- 
punie en  mes  entrailles  devenues  chastes  sous  sa  forme  humaine. 
Et  cela,  non  point  par  les  traits  d'un  calame  sans  vie,  mais  par 
l'opération  du  Saint-Esprit.  Qu'il  se  produise  en  moi  de  façon 
telle  qu'avant  moi  il  ne  s'est  jamais  produit,  telle  qu'après  moi  il 
ne  se  produira  jamais.  Or,  jadis,  Dieu  a  parlé  par  les  Prophètes 
en  sortes  diverses  et  multiples,  aux  uns,  dans  l'oreille,  aux  au- 
tres, par  la  bouche.  A  d'autres  même,  rapporte-t-on,  le  Verbe  de 
Dieu  fut  déposé  dans  les  bras.  Pour  moi,  je  prie  qu'il  vienne  dans 
mon  sein,  selon  votre  Parole.  Je  ne  veux  pas  qu'il  me  soit  prê- 
ché en  pompeux  discours,  ou  montré  en  figures,  ou  dépeint  en 
rêves  imaginaires  ;  mais  qu'il  me  soit  inspiré  en  silence,  person- 
nellement incarné,  déposé  corporellement  en  mes  entrailles.  Ce 
Verbe  qui,  en  lui-même,  ne  pourrait  être  soumis  au  devenir,  qu'il 
daigne  s'y  soumettre  pour  moi,  selon  votre  Parole.  Qu'il  s'y  sou- 
mette d'mie  façon  générale  pour  l'univers  entier,  mais  pour  moi 
d'une  façon  toute  spéciale,  selon  votre  Parole  »  (1).  L'opposition 
des  deux  Verbes  ressortait  ici  avec  un  remarquable  relief.  D'un 
côté,  le  Verbe  écrit  et  muet,  les  figures  inertes,  silencieuses,  les 
parcbemins  morts,  les  traits  d'un  calame  sans  vie,  de  l'autre,  le 
Verbe  incarné,  vivant,  personnel,  qui  naît  et  grandit  dans  l'âme 
du  fidèle  pour  réaliser  l'miion  mystique  par  laquelle  Dieu  et 
l'homme  peuvent  se  confondre  en  un  même  Esprit  et  se  péné- 
trer aussi  intimement  que  le  feu  et  le  fer  en  fusion. 

]\Iais  saint  Bernard  garde  encore  les  justes  limites.  Cette  dépré- 
ciation   de   la   Parole   divine   au   profit   du   Verbe   divin   restait 


1.  Voici  le  texte,  d'ailleurs  intraduisible  :  «  Fiat  mihi  de  verbo  secundumi 
verbum  tuiim.  Yerbum  quod  erat  in  principio  apud  Deum  fiât  caro  de  carne 
mea  secundum  verbum  tuiun.  Fiat,  obsecro,  mihi  verbum  non  prolatam  quod 
transeat,  sed  conceptum  ut  maneat,  came  videlicet  indutum,  non  aère.  Fiat 
mihi  non  tantum  audibile  auribus,  sed  et  visibile  ocuhs,  palpabile  manibus, 
gestabile  humeris.  Nec  fiât  mihi  verbum  scriptum  et  mutimi,  sed  incamatiun 
f't  vivum  :  Hoc  est,  non  mutis  figuris,  mortuis  in  pellibus  exaratum,  sed  in 
forma  humana  meis  castis  visceribus  vivaciter  impressuni  :  et  hoc  non  mortui 
calami  depictione,  sed  sancti  Spiritus  operatione.  Eo  \idelicet  modo  fiât  mihi 
quo  nemini  ante  me  factum  est,  nemini  post  me  faciendum.  Porro  multifariam 
multisque  modis  oliin  Deus  locutus  est  Patribus  in  prophetis;  et  aliis  quidem 
in  aure,  aliis  in  ore,  aliis  etiam  in  manu  factum  esse  verbum  Domini  memo- 
ratur.  MiM  autem  oro  ut  in  utero  fiât  juxta  verbum  tumn.  Nolo  autem  ut 
fiât  mihi  aut  declamatorie  praedicatum,  aut  figuraliter  significatum,  aut  ima- 
ginatorie  somniatuni;  sed  silenter  iiispiratuni,  persomialiter  incarnatum,  cor- 
poraliter  invisccratum.  Verbum  igitur  quod  in  se  nec  poterat  fieri  nec  indi- 
gebat,  dignetur  in  me,  dignetur  et  mihi  fieri  secundum  Verbmn  tuum.  Fiat 
ffiiidem  generalitcr  omni  mundo.  sed  specialiter  fiât  mihi  secundum  Verbum 
tuum.  »  S.  Bernardi,  Opéra,  M.,  P.  L.  183.  c.  86  sq.  En  un  autre  endroit, 
saint  Bernard  appelle  le  Christ  «  Verbiim  abbreviatum  ». 


l'ROBLÈMF,    DES   SOURCES   TllÉOLOGIQUES   AU   XYI^  SIECLE  71  l 

chez  lui  toute  spéculative,  et,  si  l'on  peut  dire,  toute  oratoire. 
La  mystique  postérieure  devait  aller  plus  loin.  Elle  se  laissa  mémo 
entraîner  k  mettre  au-dessus  de  l'Écriture  un  mode  de  connais- 
sance qui  rendait,  pratiquement  inutile  la  lettre  des  Saints  Livres. 
Chez  Tauler,  chez  Suso,  surtout  chez  leur  maître,  Eckart,  malgré 
la  vénération  formelle  dont  la  Bihle  est  entourée,  il  ne  s'agit  nul- 
lement de  mettre  en  valeur,  soit  pour  l'action,  soit  pour  la 
pensée,  les  données  de  la  Parole  divine.  Ce  qu'il  faut  avant 
tout  avoir  en  vue,  c'est  la  «  genèse  »  intime  du  Verhe  dans  nos 
âmes.  «  Le  Père  engendre  son  Fils  dans  l'entendement  éternel, 
dit  Eckart,  et  aussi  le  Père  engendre  son  Fils  dans  l'àme  comme 
en  sa  propre  nature  »  (1).  Pour  arriver  à  un  tel  résultat,  les  Écri- 
tures ne  sont  pas  absolument  nécessaires.  Elles  n'ont  plus  qu'une 
valeur  indicative,  grande  sans  doute  et  très  appréciable,  mais 
cependant  toute  relative.  La  Bible  compte  au  rang  des  livres 
qui  distribuent  aux  esprits  la  vraie  sagesse,  mais  elle  n'y  tient 
pas  une  place  spéciale.  «  J'ai  beaucoup  lu  dans  les  livres,  dit  en- 
core maître  Eckart,  dans  les  écrivains  profanes  et  les  Prophètes, 
dans  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  et  J'ai  cherché  sérieuse- 
ment et  avec  tout  le  soin  possible  quelle  était  la  vertu  la  meil- 
leure et  la  plus  haute,  par  laquelle  l'homme  peut  s'unir  le  plus 
étroitement  à  Dieu.  Et  plus  j'étudie  toute  Écriture,  aussi  loin 
que  ma  raison  peut  pénétrer  et  connaître,  je  ne  trouve  d'autre 
moyen  que  le  complet  abandon  de  toute  créature  »  (2).  Or,  il  y  a 
une  forme  intellectuelle  du  «  complet  abandon  de  toute  créature  », 
c'est  la  contemplation.  En  ses  différentes  étapes,  à  ses  divers 
degrés  elle  donne  de  Dieu  et  de  ses  mystères  une  connaissance 
de  plus  en  plus  parfaite,  d'autant  plus  parfaite  qu'elle  est  plus 
immédiate.  Ici,  plus  de  moyens  empruntés  au  monde  extérieur, 
plus  de  ces  voiles  qui  dérobent  la  réalité  suprême  aux  regards 
de  l'âme  extasiée.  Plus  rien  de  commun  avec  le  pénible  et  discur- 
sif déchiffrement  des  mystères  divins  cfu'impose  à  l'esprit  et  au 
CŒur  des  hommes  l'interposition  entre  eux  et  Dieu  du  Livre  sacré. 
La  contemplation  est  la  science  au-dessus  de  toute  science,  car  elle 
se  meut  dans  un  domaine  tout  surnaturel,  où  viennent  s'atténuer 


1.  «  Der  vatter  gehirt  seyneu  sua  in  der  owigeu  vorstcatuusz  imd  ;ils(i 
gebirt  der  vatler  soinen  sun  ia  der  sele,  als  ia  seiner  natur  ».  Cii.  Srinin  r. 
Meififer  Ecl:nrf,  dans   Th.  StiaU'-n  n.  Kritikm,   1839,  p.   727. 

2.  Cité  par  Preger.  Gesehichte  der  deufschen  Mi/stik,  I,  p.  43.3  ssq.  Deaifle 
(Archir  fuer  Liierafur  und  Kirfhentfcschirhtp.  der  MiitelalL  II,  p.  52(3)  compte 
parmi  les  »''!énionts  essentiels  de  tonte  myst:([iM?  les  s]MVnlations  sur  le  ver- 
bum  divinum. 


712         REVUE   DES   SCIEN'CES   PHILOSOPHIQUES   ET   TIIEOLOGIQUES 

puis  mourir  les  défaillances  et  les  infirmités  de  l'humaine  intel- 
ligence. 

La  contemplation  est  une  science  sans  mode 

Qui  reste  toujours  au-dessus  de  la  raison. 

Elle  ne  peut  descendre  en  la  raison 

Et  la  raison  ne  peut  s'élever  au-dessus  d'elle. 

L'absence  de  mode  illuminé  est  un  beau  miroir, 

Où  reluit  l'éternelle  splendeur  de  Dieu. 

L'absence  de  mode  est  sans  manière, 

Et  toutes  les  œuvres  de  la  raison  y  défaillent. 

L'absence  de  mode  n'est  pas  Dieu, 

Mais  elle  est  la  lumière  qui  fait  voir. 

Ceux  qui  circulent  dans  l'absence  de  mode, 

En  la  lumière  divine, 

Voient  en  eux  une  étendue. 

L'absence  de  mode  est  au-dessus  de  la  raison, 

Mais  non  sans  raison. 

Elle  voit  toute  chose  sans  étonnement, 

L'étonnement  est  au-dessus  d'elle. 

La  vie  contemplative  est  sans  étonnement  ; 

L'absence  de  mode  voit,  mais  elle  ne  sait  quoi. 

C'est  au-dessus  de  tout,  et  ce  n'est  ni  ceci  ni  cela  (1). 

Cette  «  absence  de  mode  »  célébrée  par  Ruysbroeck,  comporte 
évidemment  la  disparition,  dans  la  pensée,  des  formules  scriptu- 
ral res,  où  la  connaissance  de  Dieu  se  présente  en  des  «modes» 
parfaitement  définis  et  limitatifs  des  puissances  intellectuelles. 
Celles-ci  ne  peuvent,  en  effet,  goûter  par  elles-mêmes  «  le  mys- 
térieux prodige  caché  dans  l'Écriture,  dans  les  Sacrements  et  dans 
le  Sacerdoce  »  (2). 

Tel  est  le  point  jusqu'où  la  mystique  avait  poussé  les  consé- 
quences de  son  principe.  Il  faut  ajouter  qu'ici  encore  ces  consé- 
quences restaient  dans  le  domaine  de  la  spéculation.  Les  nom- 
breuses intelligences  qui,  au  XV*"  siècle,  allèrent  puiser  aux  sour- 
ces de  la  mystique  (3),  surent  trouver  des  accommodements  pra- 
tiques qui  maintenaient  aux  Livres  Saints  une  dignité  relative. 
Pour  elles,  la  Bible  restait  un  répertoire  de  récits  et  de  propos 


1.  Ruysbroeck,  Dat  hoee  van  den  twaelf  beghinen,  ch.  VIII,  éd.  de  la 
Maetschappy    der   Vlaemsche    Bil)liophileii,    traduction   de   M.    Maeterli.vck. 

2.  Rl'ysbroeck,  L'ornement  des  noces  spirituelles,  ch.  XLVII,  traduction 
de  M.  Maeterlinck. 

3.  Pour  Ruysl)roeck  en  particulier,  voyez  W.  Moll,  EerJcgeschiedenis  van 
Nederlan-d  voor  de  Herrorming,  Ariihem,  1864-1869,  P.  II.  2.  p.  240  ssq.  Je 
note  seidement  les  noms  de  Tauler  et  de  Denys  de  Ryckel  parmi  ses  lecteurs 
et  admirateurs   avérés. 


PROBLÈME   DES   SOURCES   TIIÉOLOGIQUES   AU   XVI^  SIECLE  713 

édifiants,  comme  elle  était  un  répertoire  d'arguments  pour  les 
Docteurs  scolastiques.  Mais,  par  un  juste  retour,  elle  profitait  de 
ces  Imnières  nouvelles  et  s'éclairait  de  tous  les  feux  de  l'intui- 
tion contemplative.  Ainsi  s'établissait  un  cycle  de  connaissances 
dont  les  différents  ordres,  de  plus  en  plus  élevés,  semblaient 
s'informer  les  uns  les  autres,  l'inférieur  fournissant  la  matière  du 
supérieur.  Comme  l'a  écrit  l'historien  de  Denys  le  Chartreux, 
la  science  sacrée,  «  pour  être  complète,  devait  embrasser  l'étude 
de  l'Écriture,  de  la  théologie  et  de  la  mystique  :  la  Bible,  les  Sen- 
tences, l'Aréopagite.  Dans  l'Écriture,  on  étudiait  le  fondement 
et  les  sources  de  la  théologie  ;  dans  la  théologie,  le  fondement  et 
les  sources  de  la  mystique;  dans  la  mystique,  l'âme,  assouplie 
et  façonnée  par  cette  longue  préparation,  recevait  l'illumination 
dernière.  Et  comme  tout  se  tient  dans  cette  organisation,  à  ces 
clartés  nouvelles.  Écriture  et  théologie  gagnaient  en  évidence, 
en  précision  et  en  profondeur  »  (1),  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
l'Écriture  occupait  le  rang  le  plus  bas  dans  cette  hiérarchie  des 
sciences  sacrées.  D'une  façon  encore  inconsciente  et  timide,  s'ex- 
primait, sous  une  nouvelle  forme,  la  vieille  opposition  de  la  lettre 
et  de  l'esprit.  Ici,  cette  opposition  s'épanouissait  en  un  système 
complet  qui  ne  cherchait  même  pas  à  voiler  la  réelle  déprécia- 
tion de  l'Écriture  au  profit  de  l'intuition  spirituelle  et  de  l'ex- 
tase. 

Heureusement,  parmi  les  mystiques  eux-mêmes,  il  s'en  trouvait 
que  toute  cette  métaphysique  de  la  connaissance  superessentielle 
de  Dieu  ne  satisfaisait  point,  et  qui  préféraient,  aux  images  fulgu- 
rantes et  aux  subtilités  quintessenciées  des  maîtres  d'origine  ger- 
manique, un  développement  plus  normal  des  fonctions  intellec- 
tuelles. Gerson,  d'Ailli,  Nicolas  de  Clamanges,  représentent  une 
tout  autre  direction  du  mysticisme,  qui  s'accommode  mieux  des 
faits  existants  et  ne  prétend  pas  diminuer  la  valeur  des  autres 
sources  autorisées  de  la  science  de  Dieu.  L'illustre  chancelier  de 
l'Université  de  Paris  s'attacha,  plus  que  tout  autre,  à  faire  pré- 
valoir cette  doctrine  plus  modérée  et  plus  sage.  Il  combattit  ouver- 
tement les  opinions  de  Ruysbroeck  et  montra  le  danger  de  ces 
images  et  de  ces  subtilités  (2).  Il  avait,  en  effet,  trouvé  un  moyen 


1.  D.  A.  MouGEL,  Deuys  le  Chartreux,  1402-1471,  p.  35.  Muiitreuil  sur- 
Mer.    1896. 

2.  Epi.stohi  J.  Gersonii  ad  //7/if/v;w  BarfhoJomaemn  cartmiensem.  fiuper  li- 
hrum  J.  'R^Djahroeclc  de  Ornalu  spiriludlinm  niiptiarum.  0pp.  éd.  Ellies 
DupiN,   I,  60  ssg. 


714         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQ  lES 

plus  acceptable  et  plus  juste  de  faire  droit  à  l'expérience  iuliine 
de  Dieu  et  de  ses  mystères.  Chez  lui,  la  tradition  de  «  l'Imitation  » 
revit  et  les  préoccupations  morales  prennent  le  pas  sur  les  spé- 
culations qui  retracent  la  genèse  intime  du  Verbe  et  ses  effets 
intérieurs.  Il  peut  ainsi  relier,  sans  péril  ni  exagération,  les 
données  scripturaires  aux  intuitions  que  peut  fournir  la  contem- 
plation. Dans  son  système  —  car  les  idées  sont,  chez  lui,  fortement 
systématise  es  —  la  «cognitio  Dei  experimentalis  »  laisse  intactes, 
grâce  à  d'adroites  combinaisons,  l'autorité  de  la  Bible  et  celle 
de  l'Église.  Son  éducation  scolastique  n'avait  pas  été  vaine. 

Tout  d'abord,  l'Écriture  est  la  règle  de  foi.  Étant  infaillible,  par- 
ce qu'elle  est  révélée  de  Dieu,  elle  est  ainsi  suffisante  à  fonder 
le  dogme  et  aussi  bien  la  discipline  de  l'Église.  Contre  elle,  au- 
cune raison  humaine,  aucune  coutume,  aucune  institution,  quelle 
qu'elle  soit,  ne  peut  prévaloir.  Elle  forme  un  tout  doctrinal  dont 
les  diverses  parties  s'éclairent  mutuellement,  se  confirment  les 
unes  les  autres,  se  répètent  au  besoin  en  des  termes  nouveaux,  ap- 
propriés aux  différentes  époques  et  aux  circonstances  diverses  de 
la  vie  de  l'Église  (1).  Et  Gei-son  emploie  ici  une  comparaison  qui 
donne  un  tour  très  net  à  sa  pensée.  La  Bi])le  est  pour  lui, 
comme  une  phrase  complexe,  renfermant  plusieurs  propositions 
reliées  entre  elles  de  façon  à  s'expliquer  les  unes  les  autres. 
Ainsi  comprise,  elle  fournit  la  source  unique  et  suffisante  «  usque 
in  finem  saeculi  »  du  gouvernement  spirituel  du  corps  de  l'Église  et 
de  ses  membres.  Il  était  difficile,  comme  on  le  voit,  d'affirmer 
de  façon  plus  nette  et  plus  absolue  le  principe  de  la  «  Sola  Scrip- 
tura  ».  Mais  un  mot  suffit  à  Gerson  pour  établir  le  vrai  caractère 
de  cette  autorité.  Une  telle  valeur  n'appartient  qu'à  l'Écriture 
hieji  comprise,  «  bene  intellecta  ».  Or,  pour  bien  comprendre 
l'Écriture,  il  ne  faut  pas  seulement  employer  toutes  les  ressources 
des  sciences  profanes  :  grammaire,  rhétorique,  dialectique.  Il  ne 
suffit  même  pas  de  rester  fidèle  aux  explications  des  Pères  qui  ont 
été  aidés  dans  leur  travail  d'exposition  par  des  inspirations  di- 
vines. Il  est  nécessaire  surtout  que  l'exégète  possède  les  qualités 


1.  «  Sciiptura  sacra  est  fidei  refçula,  coutra  quain  bene  iiitellectam  non  est 
adniillouda  auctoritas;  ratio  hominis  cujuscuinquo,  nec  aliqua  consuetudo,  ncc 
conslitutio,  nec  observatio  valet,  si  contra  sacram  scripturam  mililare  con- 
vincalur  ».  Contra  haerestim  de  communione  sub  utrnque  specie.  {Opp.  I.  4.57). 
Voyez,  sur  ce  point,  J.  H.  Schwab,  Johanies  Gerson.  p.  .314  ssq.  Wiirzbùrg, 
18.5S;  Kropatscheck,  op.  cit.,  p.  388  sscj.  et  aussi  l'ancienne  thèse  de  Ch. 
JniKi>.MN,  Docir'niii  Joliiuuiis  (Irrsonii  de  Theologia  mi/stlca,  p.  30.  Paris, 
1838. 


PROBLÈME    DES   SOURCES   THÉOI.OG  lOt'FS    AU   XVI°   SIECLE  71o 

morales  requises,   sans  lesquelles  ime  véritable  intelligence  de 
l'Écriture  est  impossible.  Et  ces  qualités  ne  se  laissent  point  seu- 
lement émmiérer  de  l'extérieur  et  acquérir  par  l'exercice,  comme 
il  se  fait  pour  les  capacités  naturelles.  Elles  sont  un  don  gratuit, 
une  grâce  spéciale,  sans  laquelle  on  tombe  infailliblement  dans 
l'erreur,  quand  même  on  prétendrait,  comme  le  font  certains  hé- 
rétiques, pénétrer,  mieux  qu'on  ne  l'avait  fait  auparavant,  dans 
le  sens  de  quelques  passages  de  la  Bible.  L'humilité,  la  prière, 
les  pratiques  mêmes  de  l'ascétisme  deviennent  donc  une  ]iropé- 
deutique  qui  s'ajoute  sans  s'y  opposer  à  tous  les  autres  éléments 
d'intelligibilité  des  Écritures.  Même  lorsque  cette  grâce  intérieure 
produit  son  maximum  d'effet,  loi-squ'elle  crée  dans  l'àme  cette 
assimilation  à  la  vie  divine,  dont  la  fleur  est  la  contemplation,  elle 
ne  s'applique  point  à  des  objets  étrangers  à  ceux  que  nous  offre 
l'Écriture,  Les  expériences  mystiques,  telles  que  les  entend  Ger- 
son,  sont  de  même  ordre,  objectivement  parlant,  que  les  données 
discursives  fournies  par  la  Bible.  La  différence  essentielle  qui 
les  sépare  consiste  en  ce  que  les  unes  ont  pour  siège  les  facultés 
affectives,  les  autres,  l'intelligence.  Mais  elles  visent  au  même  but 
et  l'atteignent  sans  qu'il  y  ait  entre  elles  autre  chose  qu'une  dis- 
tinction formelle.  Telles  sont  les  formules  essentielles  de  cette 
mystique  adoucie,  qu'on  retrouve  plus  mélangée  et  moins  sys- 
tématisée chez  Pierre  d'Ailli  et  chez  Nicolas  de  Clamanges.  Elles 
sont,  chez  ces  derniers,  influencées  davantage  par  le  nominalisme 
et  les   thèses    d'Ockam,    auxquelles,    du   reste,   elles   se   laissent 
joindre   assez   aisément.   Aussi,   en   considérant  par  ce   côté  la 
théologie,  dont  les  principes  sont  les  vérités  de  l'Écriture,  d'Ailli 
peut-il  écrire  que,  sous  ce  rapport,  elle  n'est  pas  une  science  pro- 
prement  dite   (IV   Des   éléments  extrascientifiques   viennent,  en 
effet,  jouer  un  rôle  dans  cette  connaissance  d'une  nature  spé- 
ciale et  lui  donner  son  caractère  particulier.  A  cette  conclusion 


1.  «  Principia  theologiae  sic  sumptae  simt  sacri  canones,  i.  o.,  divinae  Scrip- 
turae  veritates  noii  secundum  so  formaliter  in  sacra  scriphira  contentae,  sed 
ex  coiitentis  in  ipsa  de  necessitate  secruentes  et  non  aliae...  Inde  thoolo;;ia 
per  discursum  theologicum  naturaliter  acguisita  non  est  scienfia  proprie  dicta, 
sed  est  in  animo  fidelis  qnaedam  cosnitio  adhaesiva...  Non  est  adhaesio 
rum  formidine,  sed  est  quaedam  fides  firma  sive  crodulitas  cum  certitudine... 
In  eodem  subjecto  et  respectu  ejusdem  objecti  non  est  naturaliter  compossi- 
bilis  scientiae  vel  opinioni,  scilicet  actas  actui,  vel  habitas  liabitui.  »  Quaca- 
tiones  in  Sentenfins,  I.  q.  i.  a.  1.  Voyez  P.  Tschackert,  Peter  von  AiJli, 
p.  349  ssq.  Gotha,  1877.  et  surtout  L.  Salembier,  Pefrus  de  Âlïi'teo,  p.  195 
ssq-,  304  ssq.  Insulis,  MDCCCLXXXVI. 


716  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

aboutissait  le  mysticisme  teinté  de  nominalisme  de  l'école  fran- 
çaise au  XV^  siècle. 

Dans  son  enseignement  sur  l'autorité  et  la  valeur  de  la  Bible, 
la  tradition  chrétienne  présentait  donc,  à  la  veille  de  la  réforme, 
ces  trois  grandes  lignes  de  sommet  :  ecclésiastique,  scolastique 
et  mystique.  Sur  leurs  versants  s'étaient  répandus  les  flots  abon- 
dants des  théories  particulières.  Mais  précisément,  leur  distinc- 
tion avait  imposé  aux  esprits  un  véritable  équilibre  doctrinal. 
L'expérience  avait  été  faite  que  suivre  l'une  à  l'exclusion  des 
autres,  c'était  risquer  quelque  chose  de  la  pureté  ou  de  l'intégrité 
de  la  foi.  L'autocratisme  doctrinal  était  au  bout  de  la  théorie  ecclé- 
siastique, lorsqu'on  la  poussait  à  ses  dernières  et  illégitimes  con- 
séquences. Laissée  à  elle-même,  la  scolastique  confluait  dans 
le  rationalisme  théologique,  et,  pour  le  réel,  dans  les  tentatives 
qui  prétendaient  établir  au  sein  de  l'Église  une  féodalité  intel- 
lectuelle. Bâle  et  Constance  avaient  sanctionné,  par  leur  impuis- 
sance même,  l'échec  de  ces  tentatives.  Elles  n'en  avaient  pas 
moins  un  retentissement  prolongé  sur  l'enseignement  et  sur  la 
vie  même  des  fidèles.  De  la  mystique  immodérément  cultivée 
à  l'individualisme  religieux  et  cà  l'anarchie  des  doctrines,  il  n'y 
avait  qu'un  pas  trop  facile  à  franchir.  Or,  le  danger  des  exagéra- 
tions, dans  l'un  ou  l'autre  sens,  avait  été  conjuré  justement  par 
l'existence  et  la  justification  traditionnelles  de  ces  trois  concep- 
tions qui,  par  des  chemins  divers,  aboutissaient  à  la  Bible.  En 
effet,  celle-ci  n'était  point  une  autorité  que  l'on  pouvait  opposer 
à  celle  de  l'Église.  Ce  qui  ne  l'empêchait  nullement,  dans  son 
interprétation  légitime,  de  conserver  une  valeur  doctrinale  ab- 
solue. Et  cette  valeur  n'excluait  naturellement  pas  les  virtualités 
de  grâce  et  d'édification,  telles  qu'elles  se  révélaient  dans  la 
méditation  personnelle  des  Saintes  Lettres.  Sur  ces  thèmes  géné- 
raux et  essentiels  s'était  édifiée  l'infinie  variété  des  construc- 
tions personnelles.  Parfois,  ils  avaient  été  formulés  en  opposition 
l'un  de  l'autre,  suivant  les  préférences  de  quelques  esprits  dont  la 
profondeur  nuisait  peut-être  à  la  largeur.  Mais  ils  ne  s'étaient 
jamais  choqués  en  contradictions  flagrantes  ni  en  dissonances  avé- 
rées. Plus  souvent,  ils  avaient  coexisté  en  la  même  intelligence 
sans  se  gêner  ni  s'exclure.  Un  saint  Bonaventure,  un  saint  Tho- 
mas, même  un  Gerson,  n'avaient  perçu  aucune  impossibilité  à 
concilier  ces  tendances  que  renfermait  la  doctrine  traditionnelle 
sur  le  caractère  et  l'autorité  de  l'Écriture  en  matière  de  foi. 
Il  fallait,  pour  faire   croire  à  cette  impossibilité,  pour  créer  de 


PROBLEME   DES   SOURCES   THEOLOGIQUES   AU  XVI^  SIÈCLE  717 

toutes  pièces  ces  contradictions,  une  dissolution  complète  des 
thèses  traditionnelles.  Du  reste,  au  début  du  XVP  siècle,  elles 
étaient  loin  de  vivre  dans  leur  intégralité.  Elles  se  présentaient 
aux  esprits,  soit  fragmentées,  soit  liées  à  d'autres  éléments  dog- 
matiques en  certains  écrits  des  Pères  qui  exercèrent  alors  une 
incomparable  influence.  La  dissolution  fut  l'œuvre  d'Erasme  et 
de  ses  disciples.  Les  théologiens  de  Wittenberg  restent  les  auteurs 
d'un  essai  de  reconstruction,  dans  lequel  malheureusement  ils 
prirent  plaisir  à  rétrécir  les  assises  patristiques  de  la  doctrine  tra- 
ditionnelle. 

* 
*  * 

Cette"  dissolution  et  cette  reconstruction  ne  se  firent  pas  imique- 
ment  pai  le  jeu  des  idées  et  des  principes  traditionnels,  d'abord 
dissociés,  puis  entraînés  en  de  nouvelles  combinaisons  intellec- 
tuelles. Dans  le  devenir  des  doctrines  qui  exprime  l'âme  de  ces 
premières  années  du  XVP  siècle,  les  tendances  des  esprits  s'o- 
lientent  sous  la  pression  d'une  foule  de  circonstances  extérieures 
dont  la  convergence  est  frappante.  JMais,  chose  qui  frappe  encore 
davantage,  elles  revêtent  tout  d'abord  une  forme  personnelle. 
Il  y  a  des  noms  qui  sont  alors  tout  un  programme.  Certains  per- 
sonnages résument  les  désirs  latents  de  toute  leur  génération. 
Reuchlin,  Érasme,  sont  les  porte-drapeaux  d'un  parti  qui  voit 
en  eux  toute  science  et  toute  sagesse.  On  les  déifie  de  leur  vi- 
vant. Or,  se  réclamer  d'eux,  c'est  accepter  et  professer  tout  un 
ensemble  d'idées,  aux  contours  plus  ou  moins  flottants,  peut- 
être,  mais  sur  lequel  les  contemporains  ne  se  trompent  pas.  Ils 
incarnent  une  philosophie,  une  théologie,  une  conception  géné- 
rale de  l'univers.  Et  ce  n'est  pas  aux  vivants  seulement  que  l'on 
demande  de  symboliser  ainsi  le  mouvement  intellectuel.  On  re- 
trouve des  chefs  et  des  ancêtres  dans  le  passé  ;  sous  leur  nom  et 
sous  leur  protection  courent  des  théories  qui,  probablement,  leur 
auraieni:  causé  plus  d'une  surprise.  Chez  les  Érasmiens,  l'homme 
qui  a  charge  de  représenter  en  cette  sorte  l'idéal  de  l'exégète,  de 
synthétiser  les  tendances  herméneutiques  du  maître  et  des  dis- 
ciples n'est  autre  que  saint  Jérôme.  Il  est  le  «  patron  »  tler- 
rièie  lequel  on  s'abrite  pour  répandre  cette  conception  nouvelle 
de  la  Bible,  de  son  autorité,  de  sa  valeur,  que  l'on  pourrait  ap- 
peler la   conception   des  humanistes. 

Ceux-ci  n'étaient  pas  venus  directement  à  la  théologie.  Leur 


718         PEVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

vocation  ou  même  leur  profession  faisait  d'eux  tout  d'abord  des 
philologues.  Hébraïsants  ou  hellénistes,  ils  s'intéressaient  en  pre- 
mière ligne  à  la  langue  des  textes  sacrés.  Mais  il  ne  leur  était 
guère  possible,  lorsqu'ils  avaient  ainsi  abordé  l'étude  des  Livres 
Saints,  de  se  garder  des  conclusions  qui  découlaient  naturellement 
de  leurs  recherches.  Du  reste,  le  fait  même  de  ces  recherches  ne 
posait-il  pas  inévitablement  à  leurs  yeux  la  question  de  la  va- 
leur de  la  Bible?  La  constatation  et  des  variantes  qu'ils  rele- 
vaient et  des  différences  entre  le  texte  qu'ils  considéraient  comme 
original  et  les  versions  courantes,  ne  les  induisait-elle  pas  natu- 
rellement à  se  demander  comment  ces  faits  étaient  conciliables 
avec  la  divine  autorité  des  Écritures  ?  Or,  dans  l'antiquité  chré- 
tienne, il  était  un  homme  qui,  toute  sa  vie,  s'était  livré  à  ce  tra- 
vail auquel  ils  s'adonnaient  eux-mêmes,  qui  avait  résumé 
en  ses  ouvrages,  en  ses  lettres,  en  ses  traductions  toute 
l'œuvre  de  philologie  sacrée  des  premiers  Pères.  Il  n'avait 
jamais  eu  de  scrupules  à  noter  ces  variantes  et  ces  différences. 
Il  avait  trouvé  là  l'occasion  de  pénétrer  plus  avant  dans  le  sens  des 
Livres  Saints  et  de  les  mieux  faire  comprendre.  Bien  plus,  ces 
patientes  recherches  lui  avaient  servi  d'armes  invincibles  pour 
combattre  l'hérésie  et  défendre  la  pureté  de  la  foi.  Et  même  l'on 
pouvait  dire  que  ses  lettres  d'édification,  que  ses  hymnes  enthou- 
siastes à  la  vie  ascétique  reposaient  sur  cette  intelligence  ap- 
profondie de  la  Bible.  Aussi,  dès  la  première  heure,  les  philologues 
le  revendiquèrent-ils  pour  leur  chef.  Quand  Reuchlin  publia,  en 
1506,  se\:  célèbres  «  Rudimenta  hebraica  »,  il  ne  laissa  pas  échap- 
per une  occasion  de  proclamer  sa  vénération  et  son  respect  pour 
la  science  et  l'autorité  de  saint  Jérôme.  Aucune  affirmation  n'ob- 
tient chez  lui  droit  de  cité,  qu'elle  ne  soit  confirmée  par  quelque 
texte  de  son  maître.  Dans  les  questions  les  plus  difficiles,  c'est  à 
lui  qu'il  appartient  de  décider.  Reuchlin  avait  remarqué,  par  exem- 
ple, que  les  auteurs  du  Nouveau  Testament  rapportent  parfois 
des  passages  de  l'ilncien  en  'des  termes  différents  de  ceux  de  l'ori- 
ginal hébreu.  Il  sent  là  une  grave  difficulté  et  tâche  de  se  couvrir 
en  disant  qu'il  fait  cette  remarque,  non  comme  théologien,  mais 
comme  grammairien  :  «  Sed  ego  non  de  sententia  ut  theologus, 
sed  de  vocabulis  ut  grammatîcus  disputo  ».  Pourtant,  une  telle 
réponse  ne  lui  suffit  pas,  et  il  est  tout  heureux  de  se  mettre  à 
l'abri  derrière  saint  Jérôme  (1).  «  Ce  qui  me  console,  ajoute-t-il, 


1.  «  Et  nisi  S.  Paulus  ad  Romanos.  3.   4,   pxponeret  :   Sicut  justificeris  in 
sermonibus    tuis,    ego    secfiierer    proprietatom    liiiguae    dicens:    Idcirco    justifi' 


PROBLÈME   DES   SOURCES   THÉOLOGIQUES   AU  XVI°  SIÈCLE  719 

c'est  que.  saint  Jérôme  écrit,  à  propos  de  l'Épître  aux  Éphésiens, 
cil.  5  :  Nous  avons  souvent  remarqué  que  les  Apôtres  et  les  Évan- 
gclisles,  dans  leurs  citations  de  l'Ancien  Testament,  n'ont  pas 
employé  les  termes  qui  se  trouvent  dans  nos  exemplaires  ».  Même 
lorsqu'il  se  croit  obligé  d'être  d'un  avis  différent,  il  ne  veut 
point  qu'on  dise  que  t'illustre  exégète  s'est  trompé.  Il  a  seule- 
ment voulu  suivre  de  trop  près  le  texte  ou  les  anciens  interprè- 
tes. Dans  le  lexique  qui  termine  les  «  Rudimenta  hebraica  », 
il  n'est  presque  pas  un  article  dans  lequel  l'autorité  de  saint 
Jérôme  ne  soit  invoquée.  On  peut  même  remarquer  une  nuance 
de  respect  moindre  lorsque  Reuchlin  relève  les  interprétations 
de  saint  Augustin.  «  Beatus  vero  iVugustinus,  note-t-il  en  passant, 
hune  versum  (Ps.  141,  6)  de  Aristotele  intelligens,  nescio  quo 
somno  motus,  scribit  eum  tremere  apud  inferos  »  (1). 

Toutes  les  constatations  troublantes  que  révélait  la  nouvelle 
méthode  philologique,  toutes  ces  questions  nouvelles  bien  faites 
pour  inquiéter  les  esprits  attachés  aux  traditions  exégétiques  du 
passé,  c'était  saint  Jérôme  qui  avait  charge  de  les  faire  accepter. 
Mais  il  ne  plaisait  pas  aux  humanistes  seulement  par  la  liberté 
plus  grande  qu'il  semblait  assurer  à  leurs  études.  Sur  un  autre 
point  encore,  et  plus  important,  la  méthode  et  l'esprit  qui  l'ins- 
piraient s'adaptaient  aux  tendances  des  hommes  formés  par 
l'humanisme.  Jamais,  peut-être,  on  n'eut  plus  grande  confiance 
en  la  valeur  éducative  des  œuvres  de  l'antiquité,  profane  ou  sa- 
crée, que  pendant  ces  premières  aimées  du  XVP  siècle.  La  réus- 
site des  applications  de  principe  considérées  alors  comme  scien- 
tifiques  donne  une  entière   assurance   en  la  valeur  du  savoir. 


cabis  in  verbo  tuo,  ita  sane  guod  David  praevidisse  mihi  videretur  quod 
S.  Paulus  scribit,  I  Cor.  6,  11  :  Justificati  estis  in  nomine  Doraini  nostri 
Jesu  Christi...  Aitamen  consolatur  me  S.  Hieronymus  scribens  in  epistolam 
ad  Ephcsio^,  cap.  5,  his  verbis  :  Quod  fréquenter  anuotavimus  apostolos  et  evan- 
gelistas  non  iisdem  verbis  uses  esse  in  testamenti  veteris  exemplis,  quibus  in 
propriis  voluminibus  continentur.  Hoc  et  hic  probamns.  Haec  ille.  »  Rudi- 
menta hcbraiea.  h.  2b.  Voyez  encore  Rud.  heb.,  p.  19-31,  les  explications  con- 
cernant la  généalogie  de  la  Sainte  Vierge,  qui  causèrent  tant  d'étonnement  à 
Jean   Fisher   et  à  Erasme.   Erasme   à  Reuchlin,   1er  mars   1510. 

1.  Rudimenta  hebraica,  p.  528.  Voici  du  reste  le  témoignage  d'un  bon 
juge  en  cette  matière  :  «  Von  den  Kirchenvâtern  ohne  Vergleich  am  meisten 
wird  Hieronymus  citiert.  Er  begicitet  Reuchlin  aùf  seiner  ganzen  wissens- 
chaftlichen  Laùfbahn,  von  deren  Begimi  bis  zum  Ende.  Am  meisten  begegaet 
er  in  den  Schriften,  die  hebraeische  Spraclie  behandeln.  Man  kann  sageii, 
eino  Behaùptùng  erhiilt  erst  dann  ihre  rechto  Weilie,  wenn  sic  durh  eiii 
Zeùgniss  des  Hieronymus  bestatigt  wird.  »  L.  Giuger,  Johann  Reuchlin, 
p.  ?().  Leipziiî,  1871.  Voyez  encore,  p.  120,  où  saint  .lérômc  est  comparé  à. 
Lyra  et  aux  exégètes  juifs. 


720         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Les  découvertes  d'un  Colomb,  d'un  Magalhâes,  d'un  ]\Iartin  Bo- 
haim,  sont  rapportées  par  leurs  auteurs  eux-mêmes  aux  sys- 
tèmes astronomiques  et  cosmologiques  dont  elles  semblent  dé- 
montrer la  parfaite  solidité  et  la  fécondité  pratique.  Dans  le 
domaine  de  l'esprit,  on  croit  aller  aussi  à  la  découverte  de  nou- 
veaux continents  et  trouver  bientôt  les  terres  neuves  de  la  théo- 
logie et  de  la  religion.  Aussi,  la  science  de  l'éducation,  la  péda- 
gogie, est-elle  en  honneur.  Grâce  à.  elle,  on  espère  prolonger 
à  l'infini  le  rendement  idéal  de  ces  trésors  antiques  qui,  successi- 
vement, réapparaissaient  au  grand  jour.  C'est  Érasme,  on  le  sait, 
qui  donna  la  plus  grande  amplitude  d'onde  à  cette  intime  per- 
suasion de  tous  les  humanistes.  Si  son  disciple  Mélanchton  mé- 
rita d'être  appelé  le  précepteur  de  la  Germanie,  à  plus  juste  titre 
encore  pourrait-on  le  nommer  l'éducateur  de  l'Europe.  Il  fut  et 
reste  le  grand  pédagogue  dont  l'esprit  ne  connut  peut-être,  au 
milieu  de  ses  universelles  incertitudes,  d'autre  principe  que  celui 
de  la  valeur  et  de  la  vertu  du  savoir.  Or,  de  même  qu'il  a  trouvé 
dans  la  lecture  des  chefs  -  d'œuvre  de  l'antiquité  la  source  de 
sa  vie  intellectuelle,  de  même  il  pense  que  la  lecture  intelligente 
et  l'étude  des  documents  de  l'antiquité  chrétienne  suffisent  pour 
bien  vivre.  Cicéron  et  Virgile  sont  des  modèles  de  perfection  et 
de  beauté  qu'il  s'agit  seulement  de  contempler  pour  être  ravi  et 
détaché  de  toute  imperfection  et  de  toute  laideur.  De  façon  iden- 
tique, le  Christ,  qui  nous  est  révélé  dans  le  tableau  sans  tache  des 
Livres  Saints,  attire  pour  ainsi  dire  fatalement  notre  culte,  notre 
adoration  et  notre  imitation  (1).  En  cela  consiste,  pour  Érasme,  à 
peu  près  tout  le  christianisme. 

Or,  pour  trouver  le  Christ  dans  l'Écriture,  il  ne  fallait  qu'appli- 
quer les  règles  dont  on  usait  dans  l'étude  des  auteurs  profanes. 
La  méthode  philologique,  les  interprétations  littérales  des  textes 
originaux,  les  remarques  critiques  sur  l'emploi  des  mots,  bref, 
tout  l'appareil  d'une  science  plus  précise  des  sources  de  la  foi, 
telles  étaient,  en  résumé,  les  exigences  des  théologiens  de  l'huma- 
nisme. Et  cette  méthode  convenait  admirablement  à  la  révolu- 
tion que  ses  représentants  voulaient  opérer  dans  l'enseignement 


1.  En  1.527,  dans  ime  lottre  à  Maldonato  publiôe  par  Helfforich  (Zcitschrift 
fuer  hisf.  Thpoingle,  1859,  p.  605  ssq),  Érasme  prétend  résumer  ainsi  toute 
son  œuvre  :  «  Non  in  aliud  fari  litteris  liumaninribus.  nisi  ut  famularentur 
graxàoribus  disciplinis  et  in  his  praeoipue  theologiae,  quod  viderem  ex  haruni 
neglectu  natam  misorahilem  omnium  disciiùinarum  corruplionem...  Enixus  siun 
et  hoc,  ut  bonao  litterae  guae  apud  Italos,  praecipuo  Romanos,  nihil  fere 
sapiebant   nisi    nieram    pasa,nitatem,    inciporent    ingénue    sonare    Christum.  » 


PROBLÈME   DES   SOURCES   THÉOLOGIOUES   AU  XVI'-'  SIÈCLE  751 

de  la  religion  comme  des  autres  disciplines.  L'esprit  des  commen- 
taires de  saint  Jérôme  répondait,  autant  que  possible,  à  ces 
exigences.  Il  discutait  le  sens  des  mots,  après  avoir  établi  le  texte, 
en  comparant  entre  eux  les  passages  semblables  et  en  consultant 
les  travaux  des  anciens  interprètes.  Il  ne  s'attardait  point  à  bâtir 
des  systèmes  ni  à  voiler  «  l'ingénuité  »  de  l'Évangile  sous  les 
formules  d'une  philosophie  antique.  Pour  lui,  la  lettre  des  Saints 
Livres  était  le  point  de  départ  nécessaire  qui  conduisait  au  Christ, 
fin  dernière  de  toutes  les  Écritures.  Aussi,  dès  la  première  heure, 
Érasme  l'invoque-t-il,  non  seulement  comme  le  modèle  des  exé- 
gètes,  mais  comme  le  plus  grand  des  théologiens.  «  Que  si  l'on 
réclamait,  dit-il  dans  sa  fameuse  lettre  cà  Christophe  Fisher,  pro- 
gramme de  toute  son  œuvre  exégétique  et  théologique,  en  disant 
que  la  théologie  est  trop  haut  placée  pour  être  soumise  aux  loia 
de  la  grammaire,  que  tout  le  travail  de  l'interprète  dépend  des 
inspirations  du  Saint-Esprit,  c'est  vraiment  revendiquer  pour  les 
théologiens  une  dignité  d'un  nouveau  genre  que  ce  droit  de  faire 
des  barbarismes.  Mais  alors,  qu'on  explique  le  sens  de  ce  que 
saint  Jérôme  écrit  a  Desiderius  :  Autre  chose  est  d'être  prophète, 
autre  chose  d'être  interprète.  Là,  l'Esprit  prédit  l'avenir;  ici  l'éru- 
dition et  la  science  du  langage  traduisent  les  choses  qu'elles  com- 
prennent »  (1).  Aussi  poursuit-il  concurremment  les  travaux  préli- 
minaires à  son  édition  de  saint  Jérôme  et  à  celle  de  son  Nouveau 
Testament  grec.  Quand,  dans  ses  lettres,  il  parle  de  ces  travaux,  il 
joint  toujours  l'un  à  l'autre  et  considère  le  premier  comme  le 
seul  commentateur  autorisé  .du  second.  Plus  il  avance,  et  plus 
il  manifeste  son  admiration,  qui  devient  exclusive,  envers  son 
modèle.  Dans  la  lettre  à  Léon  X,  qui  expose  au  pape  le  projet 
de  publication  du  Nouveau  Testament,  il  n'a  garde  d'oublier  son 
saint  Jérôme.  Il  annonce  la  prochaine  apparition  de  ses  œuvres, 
11  demande  au  Pape  la  permission  de  les  lui  dédier.  Et,  pour  que 
Léon  X  ne  se  trompe  point  sur  ses  intentions,  il  ajoute  :  «  Je  me 
suis,  en  effet,  aperçu  que  saint  Jérôme  est,  à  ce  point,  supérieur 
aux  autres  'théologiens  latins,  que  lui  seul,  à  peu  près,  mérit<i 
le  nom  de  théologien.  Non  que  je  condamne  les  autres.  Mais  les 


1.  «  Quod  si  reclament  majorera  esse  tlieologiam  cfiiam  ut  grammaticae  lo- 
gibus  teneatur,  totum  interpretandi  negotium  de  sacri  spiritus  afflatu  pen- 
dere  :  nova  vero  theologorum  dignitas,  si  solis  illis  licet  barbare  loqiii.  Sed 
f'xpediant  intérim  (juid  sibi  velit  qnod  Desiderio  suo  scribit  Hieronvmus  : 
Aliud  est,  inquiens,  esse  vatem,  et  aliud  interprétera.  Ibi  spiritus  ventura  prae- 
dicit;  hic  eruditio  et  verborum  copia,  quac  intelligit  transfert.»  Erasmi  opé- 
ra, éd.  Le  Clerc,   III,   98.  Année   1505. 


72-2         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

plus  illustres,  si  on  les  compare  à  lui,  disparaissent  devant  son 
éclat.  Il  est  lenftn  comblé  de  tant  de  qualités  admirables,  que  la 
Grèce  savante  elle-même  peut  à  peine  trouver  quelqu'un  à  lui 
qomparer  »  (1). 

Cette  révérence  à  l'égard  du  «  prince  des  théiologiens  »  allait 
être  aiguillonnée  davantage  encore  par  la  contradiction.  Dans 
leurs  attaques  contre  les  novateurs,  les  tenants  de  la  scolastique, 
—  Luther  comme  les  autres,  —  faisaient  parfois  tomber  leurs 
coups  sur  saint  Jérôme  en  croyant  ou  en  prétendant  frapper  sur 
le  dos  d'Érasme.  Ce  dernier  ne  se  contente  point  de  se  défen- 
dre lui-même.  11  agite,  aux  yeux  de  ses  contradicteurs,  le  nom  et 
l'autorité  de  son  patron.  Il  raille  ces  mauvais  élèves  de  mauvais 
maîtres,  qui  opposent  au  Père  de  l'Église  l'informe  savoir  phi- 
lologique condensé  par  le  moyen  âge  en  de  barbares  compilations. 

«  Lorsqu'ils  ont  appris  quelques  règles  d'Alexander  Clallus, 
puis  touché  à  la  plus  vaine  des  sophistiques,  étudié,  sans  les 
comprendre,  les  dix  propositions  d'Aristote,  enfin,  épelé  au- 
tant de  questions  dans  Scot  ou  Ockam,  se  reposant,  pour  le  rcste, 
sur  le  Catholicon,  le  ]\Iammotrectus  et  autres  dictionnaires  sem- 
blables, qui  sont  leur  corne  d'abondance,  alors  il  les  faut  voir  se 
dresser  sur  leurs  ergots,  avec  l'arrogance  coutunwère  à  la  sottise. 
Ce  sont  les  mêmes  qui  méprisent  saint  Jérôme  en  le  traitant 
de  grammairien,  parce  qu'ils  ne  le  comprennent  point»  (2).  Voilà 
les  traits  sous  lesquels  il  peignait  ses  adversaires  dans  sa  justi- 
fication à  Van  'Dorp.  Il  écrivait  en  termes  semblables  à  Jacques 
Le  Fèvre,  en  réclamant  pour  lui  la  même  liberté  dont  avait  usé 
saint  Jérôme.  «Comme  je  voyais  la  liberté  des  commentaires  que 
saint  Jérôme  met  si  fréquemment  en  avant  et  dont  il  se  sert 
pour  défendre  sa  cause,  je  croyais,  moi  aussi,  avoir  droit  à  la 
même  liberté.  D'autant  plus  que  mon  travail  ne  renfermait  rien 


1.  «  Perspiciebam  divura  Hieronymum  sic  apud  Latines  esse  thcologonini 
]>rincipem,  lit.  hune  prope  solum  habeamus  theologi  dignum  cognomiiie;  non 
((uod  ceteros  damnem,  sed  quod  illustres  alioqui,  si  cum  hoc  conferantur,  oh 
hujus  eniinentiam  velut  obscurentur  :  denique  tôt  egregiis  cumulatum  dotibns 
ut  vix  uUum  habeat  et  ipsa  docta  Graecia  quem  cura  hoc  viro  queat  conipo- 
nere.  »  Erasmi  opéra,  cd.  Le  Clkrc,  III,  152.  Lettre  à  Léon  X,  28  avr.l 
1515. 

2.  «  Deinde  posteaquam  pauculas  Alexandri  Galli  régulas  edidicerint,  ad 
haec  paululum  ineptissimae  Sophislices  attigeriat,  post  ex  Aristotele  decem 
tf'uuprint  i>roi)osilioiies,  nec  bas  intelloctas,  pnstremo  ex  Scoto  aut  Ocam 
lolidfMa  edidicerint  quaestiones,  quod  .superesf  ex  Catholico,  Mammotrecto 
("t  consimilibiis  dictionariis  velut  ex  copiae  cornu  petituri,  mirum  quam  cristas 
HffcranI,  ut  nihil  est  arrogantius  imperitia.  Isti  sunt  qui  coiitemmint  divum 
Hieronymum   ut   grammatisten,   quia  non  intelligant.  »   Erasmi    opéra,   IX,   6. 


PUuBLÈiME   DES   SOUUCES   TllÉuLUGloUES   AU  XVI"  SIÈCLE  ?23 

sinon  quelques  petites  annotations  presque  exclusivement  gram- 
maticales et  sans  prétention.  .Et  ai'affirmé-je  pas  très  souvent 
que  je  formulais  des  notes,  et  non  des  dogmes?  »  (1).  Cette 
opposition  des  annotationes  ,et  des  dogmata  résumait  parfaite- 
ment l'esprit  de  toute  l'exégèse  érasmienne  et  justifiait  le  choix 
qu'il  avait  fait  de  saint  Jérôme  comme  modèle  et  protecteur.  Elle 
expliquait  aussi  son  attitude  vis-à-vis  de  saint  Augustin,  envers 
lequel  il  accentuait  la  nuance  de  moindre  respect  déjà  marquée 
par  Reuchlin.  «  Si  saint  Augustin  avait  possédé  les  langues, 
disait-il  dans  son  Apologie  à  Jacques  Le  Masson,  son  œuvre 
eût  ,été  plus  complète  et  moins  dangereuse  »  (2). 

Les  préférences  du  maître  trouvaient  un  écho  dans  le  camp 
des  disciples.  Les  trois  premiers  volumes  de  l'édition  de  saint 
Jérôme  avaient  paru  dans  le  courant  de  l'année  1516  et  s'étaient 
répandus  rapidement.  Dès  le  1^^  décembre,  Jean  Lange,  l'ami 
commun  de  Mutian  et  de  Luther,  les  avait  déjà  entre  les  mains. 
Ils  répondaient  merveilleusement  aux  désirs  de  tous  ces  esprits. 
Lorsque  le  «  Quincuplex  Psalterium  »,  de  Lefèvre,  lui  était  tombé 
sous  les  yeux,  Mutian  avait  écrit  :  «  J'ai  le  Psalterium  d'Étaples. 
Je  l'ai  lu  en  courant.  Il  ne  sait  pas  l'hébreu,  mais  il  sait  saint 
Jérôme.  De.  plus,  j'ai  noté  en  passant,  qu'il  attaque  les  métaphysi- 
ciens, amis  des  inepties.  Écoute,  je  t'en  prie  :  Ce  que  certains, 
dit-il,  appellent  la  riguetir  de  la  logique,  d'autres,  qui  jugent  ïnieux, 
l'appellent  justement  l'inopportunité  de  la  logique  et  le  traitent 
de  vain  et  déraisonnable  bavardage.  Et  ce  n'est  point  la  faute  de 
cet  art  ni  de  cette  discipline,  qui  est  nécessaire  pour  discut(er 
loyalement  et  sans  tromperie,  comme  la  grammaire  et  la  rhé- 
torique, pour  bien  parler.  C'est  la  faute  de  ceux  qui  maltraitent 
ces  arts  et  ces  sciences,  dignes  d'mi  homme  libre.  Et  tant  que 
l'imposture  de  tous  ces  esprits  malfaisants  n'aura  pas  été  ramenée 
à  sa  pureté  première,  non  seulement  les  sciences  rationnelles, 
naturelles  et  mathématiques,  mais  encore  les  sciences  sacrées 


1.  «  Cuiu  eiiim  videreni  eam  esse  libertatein  commentarioriun  ad  quam  sao- 
penumero  provocat  diviis  Hieronymus  et  hoc  colore  causam  tuetur  suam, 
arbitrabar  multo  magis  idem  ]us  milii  tribuendum  in  opère  guod  praeter  hu- 
miles  ac  paene  grammaticas  qi.iasdam  annotatiuiiculas  nihil  profiteretur,  prae- 
sertim  cuni  semel,  iino  non  semel  sed  crebro  tester  me  annotationes  scribero, 
non  dogmata.  »  Opéra,  IX,  p.  23. 

2.  «  Ipse  tamen  Augustinus,  si  linguas  calluisset,  et  plenius  et  inoffensius 
egisset  id  cruod  egit.  »  Opéra,,  IX,  95.  Un  peu  plus  haut,  Erasme  avait  parlé 
de  saint  Jérôme  avec  grand(;s  louanges.  Il  n'est  pas  douteux  que  le  rappro- 
chement des  deux  noms  ne  soit  ici  intentionnel.  Suivant  Bezold  {op.  cil., 
p.  237),  c'est  de  John  Colet  (lu'Erasme  tenait  son  aversion  pour  saint  Augustin. 


724         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIoUES 

souffriront  la  même  éclipsé  que  le  soleil  caché  par  la  lune  ou  la 
lune  par  l'ombre  de  la  terre  »  (1).  L'éloge  de  saint  Jérôme  enca- 
dré dans  un  tel  commentaire,  était  significatif.  On  l'opposait 
implicitement  à  ces  métaphysiciens,  pour  lesquels  Mutian  savait 
trouver  des  épithètes  caractéristiques.  Les  deux  seuls  reproches 
que  le  chanoine  de  Gotha  faisait  à  Lefèvre,  étaient  précisément  de 
ne  pas  suivre  toujours  l'interprétation  de  saint  Jérôme  et  de 
délaisser  parfois  l'élégance  du  langage.  Il  semble  que  ce  soient 
à  ses  yeux  deux  choses  également  condanmables  et  qui  se  tien- 
nent. «  Si  tu  me  demandes  ce  que  je  lis,  écrit-il  à  l'un  de  ses 
correspondants,  apprends  que  je  parcours  les  hymnes  de  David  (de 
Le  Fèvre)  et  que  je  m'arrête  presque  à  chaque  mot,  ou  au  moins 
à  chaque  verset.  Je  trouve  peu  de  profit.  Car,  en  dehors  des 
travaux  de  saint  Jérôme,  le  commentateur  n'apporte  à  peu  près 
rien  de  nouveau.  Il  ignore,  comme  on  le  voit,  les  lettres  hébraï- 
ques, il  a  touché  à  peine  au  grec,  et,  selon  le  proverbe,  il  le 
fuit  comme  lé  chien  qui  boit  l'eau  du  Nil.  11  n'a  pas  dépensé 
grande  peine  pour  le  latin,  quoiqu'il  faille  le  louer  d'avoir  soi- 
gneusement réuni  là  ce  qu'il  a  pu  savoir.  Pourtant  ses  collections 
ne  me,  satisfont  pas.  Un  exemple  entre  tous.  Voici  un  verset  que 
le  Psautier  :gallican  lit  :  Da  nobis  auxilium  de  tribulatione,  quia 
vana  salus  hominis.  Le  romain  :  et  vana  salus  hominis.  Le  texte 
hébreu,  suivant  saint  Jérôme,  porte  :  Vana  est  enim  salus  ab  ho- 
mine.  Ici,  Lefèvre,  ignorant  l'élégance  latine,  déclare  qu'il  fau- 
drait lire  ce  verset  :  Da  nobis  auxilium  de  tribulatione,  quia  vana 
salus  hominis,  sous  prétexte  que  (luia  correspond  mieux  au  sens 
et  va  mieux  que  et.  Je  ne  crois  pas,  ô  Lefèvre,  à  tout  ce  que  tu 
dis;  tu  ignores  certainement  que  quia  et  enim  se  prennent  dans  le 
même  sens.  Tu  n'as  pas  lu  tes  auteurs  »  (2). 


1.  «  Porro  habeo  Psalterium  Stapulensis.  Legi  ciirsim.  Nescit  hebraicas  lit- 
teras  :  Sequitur  Hierouymum.  Sed  obiter  iiiveni  qiiod  tais  ineptientibus  mc- 
taphysicis  opponatur.  Audi  qiiaeso  :  Et  qnod  nonaidli  vocant  rigorem  logi- 
cae,  quidam  cfui  rectius  nonmt,  juste  appellant  iraportunitatem  logicae,  va- 
namque  et  à\6-yLffTov ,  ut  sic  dicani,  h.  e.  minime  logicam  ac  rationalem  gar- 
rulitatem.  Non  quod  vitium  sit  artis  aiit  disciplinae,  qua«  aeque  necessaria 
ost  ad  probe  et  minime  fallaciter  disserendum,  ut  grammatice  et  rhetorice  ad 
latine  et  diserte  loffuendum,  sed  eorum  qui  maie  libère  viro  dignas  artcs  dis- 
ciplinasque  tractant.  Et  quousque  redierit  ad  suum  nitorem  amota  omni  maie 
utontium  impostura,  non  solum  rationales,  naturales  et  mathematicae,  sed 
«■liam  sacrao  litterae  id  patientur.  »  Der  Bripfwerhsel  des  MutianHS  Rufus, 
éd.  Carl  Krause,  p.  444.  Kassel,  1885.  Mutian  reproche  assez  souvent  à  saint 
Augustin  d'être  trop  «  métaphysicien  ». 

2.  T>cr  Briefwechsd  rfcs  Mutianns  Bufus,  éd.  Krause,  p.  446  aq.  Kassel, 
1885. 


PROBLEME    DES   SOURCES   TllÉoLOGIQUES    AU   XVI'-'   SIÈCLK  72.') 

Voilà,  prise  sur  le  fait,  la  critique  —  le  mot  est  appliqué  par 
Mulian  à  Érasme  lui-même  —  en  laquelle  se  plaisait  toute  l'école 
érasmienne.  Aussi,  quelle  joie  quand  paraissent  ces  volumes  où 
les  hmnanistes  trouvent  ample  matière  pour  leurs  exercices  de 
philologie  sacrée  et  confirmation  de  leurs  tendances  vers  une 
exégèse  plus  détachée  de  tout  système  théologique,  sinon  de  toute 
théologie!  «  N'est-il  pas  de  toute  justice,  écrit  encore  Mutian  à 
Lange,  d'honorer  et  de  suivre  pieusement  les  auteurs  auxquels 
revient  une  souveraine  autorité  en  notre  religion?...  Et  quoi  de 
plus  achiiirable  que  saint  Jérôme  ?  Il  gronde  comme  un  paysan  dal- 
mate.  Mais  son.  style  me  paraît  le  plus  agréable  et  le  plus  utile 
précisément  lorsqu'il  s'emporte  avec  plus  de  vigueur  »  (1).  Na- 
turellement, cette  publication  doit  faire  pâlir  et  disparaître  les 
étoiles  de  la  scolastique  abhorrée.  Arrière  Capreolus,  Durand,  Scot 
et  Ockam.  Laissez  choir  dans  l'oubli  les  Biel  et  les  Pelbart  (2). 
^lais  par  mi  jeu  de  tactique  infiniment  habile,  Mutian  joint  pour 
ainsi  dire  indissolublement  la  gloire  d'Érasme  à  celle  de  saint  Jé- 
rôme et  les  idées  de  l'un  à  celles  de  l'autre.  «  J'aime  saint  Jérôme 
comme  un  moraliste  très  instruit,  j'aime  Érasme  comme  un  très 
éloquent  critique.  L'un  et  l'autre  méritent  notre  religieuse  et  ab- 
solue vénération,  parce  qu'ils  sont  tous  deux  hommes  d'une  admi- 
rable éducation.  Le  second  a  été  pour  le  premier  un  correcteur  et 
un  appréciateur  plein  d'élégance,  et  même  un  défenseur  contre  les 
niaiseries  des  Crinitus  et  auteurs  semblables  ».  Et  il  propose  de 
vouer  à  Érasme  une  inscription  qui  résumera  de  la  sorte  ses  ser- 
vices :  «  Au  restaurateur  de  l'œuvre  hiéronymienne,  au  grand 
Érasme,  illustre  par  sa  science  du  grec  et  du  latin,  qui  a  bien 
méiité  des  lettres  évangéliques  et  apostoliques  en  même  temps 
que  des  études  profanes,  qui  a  surpassé,  par  sa  finesse  singulière 
et  son  éloquence,  tous  les  théologiens,  —  tous  les  esprits  amis 
des  études,  doivent  tresser  des  couronnes  ;  tous  les  érudits  ortho- 
doxes, rendre  des  honneurs;  tout  âge,  tout  sexe,  toute  condition, 


1.  «  Aequissimum  est,  mi  Lange,  authores  quibus  summa  est  in  religione 
uostra  authoritas  honore  et  pietate  prosequi.  »  Id.  ibid.,  p.  646.  Il  parle  na- 
turellement de  saint  Jérôme.  «  Quid  enim.  Lange,  Hieronymo  mirabilius?  Mur- 
murât lit  rusticus  Dalmata.  Sed  tum  mihi  vidctur  ojus  scriplio  maxime  jii- 
cunda   et   utilis,    cum   saevit   ferociter.  »    Id.    ibId.,    p.   610. 

2.  M.  Krause,  l'éditeur  des  lettres  de  Mutian,  nous  semble  avoir  fait  ici  une 
singulière  méprise.  Il  imprime  :  «  Cédant  Capreolus,  Durandus,  Scotus  et 
Occam.  Cadat  e  manu  Bickl,  Axckst,  Kolparte.  »  P.  618.  Et  il  ajoute  en  note  : 
Die  Spitzfiiidigkeiteu  der  Scholastik  :  Bickel,  Axt,  HolJebart.  11  s'agit,  je  crois 
bien,   des   auteurs   BicI  et   Pelbart. 

2e  Année. —  Revue  des  Sciences.  —  N°  4.  47  - 


726         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

dire  grâces;  enfin,  le  monde  chrétien  tout  entier,  attribuer  ses 
faveurs  et  ses  suffrages  ». 

Cette  comnnnie  vénération  pour  saint  Jérôme  et  pour  Érasme 
formait,  on  peut  le  dire,  l'un  des  articles  de  foi  des  humanistes  al- 
lemands. Même  ceux  qui  admiraient  en  ce  dernier  umquement  le 
littérateur  éminent,  le  rénovateur  de  l'antiquité  classique,  n'ou- 
bliaient pas,  dans  leurs  éloges,  de  mentionner  cette  union  qui  fai- 
sait d'Érasme  l'égal  d'un  Père  de  l'Église  (1).  Aussi,  la  jeune 
génération  des  théologiens  qui  devaient  prendre  une  part  active 
au  mouvement  de  la  réforme,  tout  en  gardant  quelque  indépen- 
dance vis-à-vis  de  Luther,  se  rattache-t-elle  directement  à  cette 
tradition  établie  par  le  grand  humaniste.  Zwingli,  Mykonius, 
Œcolampade,  Capito  subirent  dans  une  très  large  mesure  l'in- 
fluence de  cette  exégèse  éprise  de  liberté  qu'Érasme  avait  mise 
en  vogue  sous  le  patronage  de  saint  Jérôme.  Mais  cette  action 
s'exerce  au  delà  de  ces  bornes  malgré  tout  assez  étroites.  On  la 
retrouve  dans  les  œuvres  d'un  homme  chez  qui  on  ne  l'attendait 
guère  :  chez  le  cardinal  Cajétan.  Le  théologien  romain,  que  n'a- 
vaient pas  épargné  les  censures  de  la  Sorbonne  et  les  suspicions 
des  «  Parisienses  »,  entretenait  avec  Érasme  une  correspondance 
qui  ne  voile  point  la  sympathie  de  son  auteur  pour  certaines  idées 
de  l'hmnaniste,  concernant  la  Bible,  son  autorité,  son  interpré- 
tiiliou  (2).  Il  devait  même  faire  passer  quelques-unes  d'entre  elles 
dans  les  nombreux  ouvrages  qu'il  consacra  aux  études  bibliques 
à  partir  de  1523.  Dans  la  question  du  canon,  en  particulier,  il 
fait  profession  de  suivre  l'autorité  de  saint  Jérôme,  à  l'exclusion 
de  toute  autre.  «L'usage  commmi  de  l'Église,  dit-il  en  parlant 
de  l'Épître  aux  Hébreux,  désigne  certainement  Paul  comme 
l'auteur  de  cette  lettre...  ^lais,  comme  nous  avons  pris,  crainte 
d'erreur,  saint  Jérôme  pour  règle  dans  le  choix  des  livres  cano- 
niques, et  qu'il  exprime  un  doute  sur  l'auteur  de  cette  épître,  par 
là  même,  elle  reste  douteuse  »  (3).  Mais  cette  influence  d'Érasme 


1.  Pour  cette  influence  d'Erasme  sur  les  humanistes  d'Erfurt,  voyez  Carl 
Krause,  Hdius  Eohanus  Hessus,  I,  p.  283  ssq.  Gotha,  1879. 

2.  A.  Cossio,  Il  cardinal  .Gnetano  e  la  Biforma,  p.  247  ssq.  Cividale,  1902. 
Pour  les  démêlés  de  Cajétan  avec  la  Sorbonne,  vovez  L.  Delisle,  Extraits 
et  Notices  des  Mss.,  XXXIV,  p.  351. 

3.  «  De  auctore  hujus  epistolae  certum  est  communera  usura  ecclesiae  no- 
minaro  Pauhim...  Et  giioniam  Hieronymum  sortiti  sumus  resrnlam  ne  erremus 
in  discretione  lihrorum  canonicorum...  ideo  dubio  apud  Hieronymum  epistolae 
auctore  existente,  dubia  quoqxie  redditur  epistola.  »  Caietani,  oprra,  éd.  Lyom 
1639,  V,  329.  Ce  texte  .a^  déjà  été  utilisé  par  A.  Loisy,  Histoire  du  canon 
du   Souveau  Testament,  p.  231  sq.  Paris,   1891.        _ 


PROBLÈME    DES   SOUKCES   THÉOLOGiniiES    AU  XVI°  SIECLE  727 

et  de  saint  Jérôme  sur  Cajétaii  semble  bien  avoir  été  plus  pro- 
fonde. C'est  à  elle  qu'il  faut  très  probablement  rapporter  le  fameux 
principe  qui  devait  valoir  au  cardinal  tant  et  de  si  véhéments  as- 
sauts :  «  Dans  l'interprétation  de  l'Écriture,  il  est  permis  de  pré- 
férer parfois  l'explication  d'un  seul  Père  de  l'Église  au  torrent 
des  docteurs  ».  En  tout  cas,  lorsqu'il  voulut  se  défendre,  en  par- 
ticulier dans  ses  «  Responsiones  ad  quosdam  articulos  nomine 
theologorum  Parisiensium  editos  »,  il  fit  appel  pour  se  couvrir, 
à  l'autorité  de  saint  Jérôme. 

Mais  il  était  bien  loin  de  l'espxit  d'Érasme  de  donner  à  toutes 
ces  idées  une  forme  systématique.  Ses  disciples  immédiats  eux- 
mêmes,  les  humanistes  d'Erfurt,  par  exemple,  avaient  encore 
moins  de  goût  peut-être  pour  les  constructions  ambitieuses  qui 
leur  rappelaient  la  scolastique.  Ils  exerçaient  volontiers  leur  cri- 
tique sur  les  grandes  thèses  du  passé,  mais  n'avaient  aucun 
souci  de  les  remplacer.  La  désagrégation  méprisante  des  théo- 
îries  auparavant  admises  suffisait  à  contenter  le  plus  grand  nom- 
bre d'entre  eux.  Pourtant,  l'école  d'Érasme  devait  aboutir,  trop 
tard,  malheureusement,  à  un  programme  parfaitement  défini.  Au 
moment  où  il  allait  se  convertir  à  une  tout  autre  direction  des 
tendances  réformatrices,  un  homme  dont  on  a  dit  qu'il  aurait  été, 
sans  Luther,  un  Érasme  plus  pénétrant  et  plus  calme,  Mélanch- 
ton,  présentait  en  un  résumé  frappant,  l'idéal  érasmien  à  ces  mêmes 
jeunes  gens  que  l'éloquence  passionnée  du  moine  augustin  pous- 
sait déjà  vers  une  bien  autre  voie.  Dans  le  discours  d'inaugura- 
tion qu'il  prononça,  .en  1518,  à  l'Université  de  Wittenberg,  le 
nouveau  professeur  concentrait  tous  les  traits  de  cet  idéal.  Il 
peignait  en  termes  classiques  la  décadence  progressive  des  belles 
lettres  et  sa  compagne  obligée,  la  décadence  des  sciences  sacrées. 
11  dénonçait  en  cette  barbarie  montante  des  esprits,  la  cause  même 
de  l'abaissement  des  mœurs.  Le  seul  remède  à  cette  triste  situa- 
tion était  le  retour  aux  bonnes  études.  Et  Mélanchton  dressait 
le  tableau  de  la  réforme  nécessaire.  Il  caractérisait  la  façon  dont 
on  devait  enseigner  aux  jeunes  esprits  chacune  des  sciences  : 
grammaire,  dialectique,  philosophie  et  histoire.  Chaque  branche 
du  savoir  était  appelée  par  lui  à  contribuer  cà  la  formation  mo- 
rale de  la  jeunesse.  «  Car  presque  toujours,  les  hommes  sont  ce 
cpie  les  font  leurs  études.  Il  n'y  a  de  bonnes  lettres  pour  moi  que 
celles  qui  rendent  d'esprit  bon.  Aussi,  faut-il  que  la  jeunesse  soit 
bien   élevée  :  ce  sont  les  bonnes  lettres  qui  sèment  les  bonnes 


728         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET   ÏHÉOLOGIQUES 

mœurs  »  (1).  Il  arrivait  alors  à  la  théologie,  couronnement  de 
toutes  ces  études;  et  voici  comment  il  s'exprimait  :  «  Pour  ce 
(jui  concerne  les  sciences  sacrées,  la  façon  dont  on  les  acquiert 
est  de  la  plus  haute  importance.  Car,  parmi  tous  les  genres  d'étude, 
il  n'en  est  pas  qui  réclame  plus  d'intelligence,  de  suite  et  de  soin. 
En  effet,  l'odeur  des  parfums  du  Seigneur  domine  les  baumes  des 
disciplines  humaines  :  sous  la  conduite  de  ï'Esprit,  avec  l'aide 
des  arts  que  nous  cultivons,  alors  seulement  il  est  permis  de  s'ap- 
procher des  sciences  jsacrées...  Or,  la  théologie  est  en  partie  hé- 
braïque, en  partie  grecque;  car  nous,  Latins  d'éducation,  nous 
avons  bu  à  leui^s  eaux.  C'est  pourquoi  nous  devons  apprendra 
ces  langues,  afin  de  ne  pas  jouer  avec  les  théologiens  le  rôle 
de  personnages  muets.  Là  s'ouvrira  devant  nous  la  splendeur 
et  le  sens  véritable  des  mots,  et  se  révélera,  comme  en  sa  plus 
intime  retraite,  cette  vraie,  cette  originelle  signification  de  la 
lettre.  Aussitôt  que  nous  avons  perçu  la  lettre,  d'elle-même  suivra 
l'appréhension  des  choses  signifiées.  Adieu  alors  toutes  ces  froi- 
des gloses,  ces  concordances  et  ces  discordances,  tous  ces  obs- 
tacles de  l'esprit.  Et,  lorsque  nous  aurons  ainsi  approché  nos  in- 
telligences des  sources,  alors  nous  commencerons  à  goûter  le 
Christ,  sa  loi  nous  deviendra  claire  et  nous  serons  pénétrés  du 
nectar  de  la  divine  Sagesse...  C'est  ce  qu'insinue  souvent  saint 
Paul,  en  particulier  dans  l'épître  à  Tite,  où  il  exige  de  la  doc- 
trine du  chrétien  tout  d'abord  l'intégrité,  àoia^GoptV.,  pour  que  la 
foi  ne  soit  pas  en  danger.  Ensuite,  la  pureté,  crîy.vor/;; ,  en  sorte 
que  nous  ne  mélangions  pas  malhonnêtement  les  lettres  profanes 
aux  lettres  sacrées.  Je  pense  qu'il  prévoyait  ce  qui  devait  arri- 
ver ;  si  les  unes  étaient  mêlées  aux  autres,  alors  en  même  temps 
les  passions  du  monde,  les  haines,  l'ardeur  des  partis,  les  divi- 
sions et  les  querelles  s'y  introduiraient. 

Pour  celui  qui  veut  s'initier  aux  choses  divines,  il  importe  au 
contraire  de  dépouiller  le  vieil  Adam  pour  revêtir  l'Adam  incor- 
ruptible, c'est-à-dire,  rejeter  les  passions  humaines  et  briser,  avec 
l'aide  d'En-Haut,  le  joug  de  l'insidieux  serpent  pour  que  l'abîme 
do  malice  se  transforme,  grcâcé  au  Seigneur,  en  abîme  de  misé- 


1.  «  Fere  sc-mper  talis  est  unusquisqiie,  qualein  stu.lia  faciunt.  Nec  mihi 
bonae  litterae,  nisi  quae  mentis  boaae  sont  -v-identur.  Itaque  praestat  opti- 
niis  juventutem  erudiri  :  mores  enim  optimos  optiinae  litterae  conserunt.  » 
Corpus  Reformai orum,  XI,  p.  16  ssq.  Ces  paroliïs  ne  se  trouvent  pas  dms  !e 
discours  lui-même,  mais  dans  la  dédicace  à  Otto  Beckman,  chanoine  de  Wit- 
tenberg,  datée  du  mois  d'octobre   1518. 


PROBLEME   DES   SOURCES  THEOLOGIQUES   AU  XYI^  SIÈCLE  729 

ricorde.  Telle  était  la  cause  pour  laquelle  je  vous  disais  que 
l'Ëglise,  privée  du  secours  des  lettres,  avait  oublié  pour  des  tra- 
dilions  humaines  la  vraie  et  naturelle  piété.  Ces  explications  hu- 
maines ayant  commencé  de  plaire,  entraînés  par  l'amour  de  nos 
propres  ouvrages,  nous  avons  commencé  en  même  temps  de  n'être 
plus  chrétiens  »  (1).  Même  en  ces  dernières  lignes,  où  pointent 
déjà  quelques-unes  des  idées  essentielles  de  Luther,  son  futur 
disciple  reste  fidèle  aux  suggestions  d'Érasme.  S'il  leur  donne 
une  portée  plus  considérable,  c'est  uniquement  par  la  concentra- 
tion qu'il  leur  impose. 

Or,  chez  Mélanchton  aussi,  ces  idées  se  rattachent  à  une  par- 
ticulière vénération  pour  saint  Jérôme,  son  œuvre  et  sa  méthode, 
et  pour  Érasme,  qui  renouvelle  ses  services.  Il  ne  s'occupe  pas 
encore  d'une  façon  spéciale  de  théologie  et  déjà,  pourtant,  dans 
la  préface  de  sa  «  Rhétorique  »,  il  célèbre,  dans  le  grand  hu- 
maniste, l'homme  qui  a  ramené  cette  fecience  à  ses  sources.  Il 
entend,  lui  encore,  que  l'on  aille  de  la  lettre  bien  comprise  au  sens 
qui  révèle  la  divine  volonté,  la  loi  imposée  aux  hommes  par  le 
Tout-Puissant.  Chose  singulière!  Il  exerce  même  en  ce  point 
une  action,  sinon  durable,  au  moins  très  marquée,  sur  son  col- 
laborateur à  l'Université  de  Wittenberg,  sur  Luther.  Pendant 
ces  deux  années  1518  et  1519,  l'hostilité  déjà  très  grande  de  ce 
dernier  envers  cette  méthode  et  ses  deux  représentants,  ses  at- 
taques communes  contre  saint  Jérôme  et  Érasme  s'atténuent  et 
s'adoucissent  jusqu'à  prendre  l'air  de  nuances  sans  aucune  im- 
portance. Dans  le  commentaire  sur  l'Épître  aux  Galates,  qui  fut 
composé  et  publié  sous  sa  forme  première,  pendant  les  premiers 
mois  de  1519,  Luther  emploie  précisément  tous  ces  procédés  de 
la  philologie  hiéronymienne  et  érasmienne  pour  éclairer  le  sens 
de  son  texte.  Remarques  de  stylistique,  comparaison  de  la  Vul- 
gate  avec  lé  grec,  choix  de  certaines  interprétations  d'Érasme 
qui  se  fondent  uniquemement  sur  la  grammaire  et  l'étude  de  la 
«  lettre  »,  bien  plus,  préférence  souvent  donnée  à  saint  Jérôme 
sur  saint  Augustin,  voilà  ce  que  l'on  trouve  en  cette  œuvre,  unique, 
à  ce  point  de  vue,  dans  la  série  des  commentaires  de  Luther. 
Parfois  même,  ce  dernier  va  beaucoup  plus  loin  que  ses  inspira- 
teurs. Il  ne  se  gêne  point  pour  déclarer  que  les  interprétations 


1.  Corpus    Rrforwnt.ontm,    XI,    23    ssq.    Voyez    aussi    G.    Plitt,    Die   Loci 
comwvnfn  PhiJipp  Mclnvrhtlio)!!-'    ^.  33.  Erlantîon,   1864. 


730         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

d'Augustin  sont  forcées  et  peu  sûres  en  regard  de  celles  de  Jérôme, 
qui  reste  toujours  plus  pondéré  et  plus  littéral.  ]\Iais  l'opposition 
entre  les  tendances  profondes  du  réformateur  et  l'humanisme  éras- 
mien  était  trop  radicale,  et  la  douce  action  de  Mélanchton  lui- 
même  ne  pouvait  donner  de  bien  profondes  racines  à  ce  courant 
d'idées  en  l'âme  de  celui  qui  allait  devenir  son  maître  exclusif. 
Luther  n'allait  pas  tarder  à  brûler  ce  qu'il  avait  un  instant, 
sinon  adoré,  du  moins  admis.  Le  naturel  reprenant  le  dessus,  ses 
dédains  à  l'égard  d'Érasme  se  manifestèrent  à  nouveau,  et  avec 
une  violence  presque  égale  à  celle  de  ses  attaques  vis-à-vis  du 
papisme.  Cette  conception  de  la  Bible  comme  un  manuel  d'édu- 
cation religieuse  domié  par  Dieu  aux  lionmies,  était  pour  lui 
du  pélagianisme  tout  pur.  Aussi,  dans  la  réédition  de  son  Com- 
mentaire sur  l'Épître  aux  Galates,  qu'il  fit  imprimer  en  1523, 
revint-il  sur  ses  complaisances  envers  l'exégèse  des  humanistes. 
Il  supprima  soigneusement  tous  les  passages  où  se  trouvaient 
des  éloges  ou  des  emprunts  de  saint  Jérôme  et  d'Érasme  et 
ceux  qui  discréditaient  quelque  peu  la  méthode  de  saint  Augus 
tin  en  leur  faveur  (1). 

A  ce  moment,  en  effet,  le  conflit  entre  humanistes  et  réfor- 
mateurs tournait  à  l'aigu.  Les  positions  respectives  des  deux 
groupes  s'étaient  précisées.  Or,  €es  précisions  n'avaient  fait  que 
mettre  en  un  jour  plus  net  l'attachement  des  Érasmiens  pour 
gaint  Jérôme  et  le  sens  qu'ils  donnaient  à  leurs  sympathies 
pour  ce  Père  de  l'Église.  Les  circonstances  allaient  fournir  à 
Érasme  une  nouvelle  occasion  de  revendiquer  pour  modèle  et 
chef  le  maître  désormais  incontesté  de  la  philologie  biblique. 
Reuchlin  venait  de  mourir  (1522).  Les  théologiens  de  Wittcn- 
berg  et  ]\Iélanchton  lui  -  même,  son  petit-neveu,  gardaient  un  si- 
lence significatif  sur  cette  mort  qui  causait,  par  toute  l'Allemagne, 
nue  profonde  émotion.  L'illustre  hébraïsant  avait  en  effet  re- 
fusé de  se  joindre  au  mouvement  réformateur.  Tout  au  contraire, 
dès  que  son  élève  Pellikan  lui  eut  apporté  à  Bàle  la  triste  nou- 
velle et  raconté  les  derniei-s  instants  de  son  maître,  sur  l'heure 
Érasme  se  mit  a  l'œuvre  pour  donner  au  philologue  disparu  un 
dernier  témoignage  de  son  admiration.  Ce  fut  là  l'origine  de  ce 
dialogue  singulier,  que  les  contemporains  nommèrent  «l'Apo- 
théose de  Reuchlin  »,  qui  est  surtout  une  apothéose  de  la  science 


1.  Co  point  a  été  bien  mis  en  lumière  par  G.  Ellinger,  Philipp  MeJa>ichton. 
Berlin,    1902. 


PROBLÈ.MK   DES   SdURCES   THÉOLOGIQUES   AU  XVI^  SIECLE  731 

nouvelle.  Là,  sons  une  forme  où  se  retrouve  le  curieux  mélange, 
cher  à  Érasme,  de  termes  païens  appliqués  au  christianisme  et 
de  critique  acérée  contre  les  scolastiques,  réapparaît  en  ses 
traits  les  plus  caractéristiques  l'idéal  exégétique  de  toute  l'é- 
cole. L'auteur  nous  y  fait  le  récit  d'un  songe  ou  d'une  vision 
qu'aurait  eue  un  dévot  frère  mineur  à  l'heure  même  de  la  mort 
de  Reuchlin.  Devant  le  bon  moine,  s'étendait  une  prairie  mer- 
veilleuse où  l'on  accédait  par  un  pont.  Et  voici  que  survint  le 
mort  lui-même,  vêtu  de  blanche  lumière  et  accompagné  d'un 
bel  enfant  aux  ailes  déployées,  son  g^nms.  Quelques  oiseaux 
noirs,  semblables  à  des  vautours,  le  poursuivaient,  à  distance 
respectable,  de  leurs  désagréables  cris.  Mais  un  signe  de  croix 
da  savant  les  mit  en  fuite.  A  l'entrée  du  pont,  saint  Jérôme  l'at- 
tendait. Il  le  salua  comme  un  collègue  et  le  revêtit  d'une  longue 
robe,  toute  pareille  à  celle  qu'il  portait  lui-même.  Elle  était  par- 
semée de  langues  qui  ressortaient  en  trois  couleurs  sur  un  fond 
de  neige.  La  prairie  fut  bientôt  toute  couverte  d'anges  qui  ve- 
naient à  la  rencontre  des  deux  bienheureux.  Une  colonne  de  feu 
descendit  du  ciel,  les  enveloppa,  et  ils  disparurent,  attirés  vers 
l'empyrée,  au  milieu  des  chants  et  des  musiques  divines.  Telle 
était  la  vision  du  franciscain.  Et  les  deux  interlocuteurs  con- 
cluaient à  inscrire  Reuchlin  au  nombre  des  saints  et  à  faire  de 
lui  et  de  saint  Jérôme  les  patrons  de  la  science  sacrée  (1). 

Jusqu'à  la  fin  de  cette  lutte  entre  humanistes  et  réformateurs, 
saint  Jérôme  devait  apparaître  comme  le  symbole  d'une  exégèse 
plus  libre  et  moins  asservie  à  des  conclusions  dogmatiques. 
Lorsque  la  guerre  eut  été  définitivement  ouverte  entre  les  deux 
camps,  que  le  De  lïbero  arbitrio  d'Érasme  eat  provoqué  le  De 
scrvo  arbitrio  de  Luther,  et  celui-ci  les  vives  critiques  qui  em- 
plissent les  pages  des  Hyperaspistes  diatribae  adversus  servuDv 
arbitrium  Martini  Lutheri,  la  réputation  du  Père  de  l'Église 
devint  l'enjeu  de  ces  mutuelles  attaques.  Il  faut  entendre  de 
f[uel  ton,  dans  ce  dernier  ouvrage,  Érasme  défend  son  maître  con- 
tre son  adversaire.  «  Faut-il  dire  do  quelle  façon  peu  res])ectueuse 
tu  traites  saint  Jérôme  dans  cette  discussion,  simplement  parce 
qu'il  a  écrit  que  certains  textes  de  l'Écriture  s'opposaient  chez 


1.  Erasmi  opéra,  I,  689  ssq.  «  De  incomparahili  Hcroe  Joaiine  Reuchlùto 
in  dicorum  mcmerum  relalo.  »  Pour  les  circonstances  de  la  composition  de  co 
dialogue,  voyez  T^.  Okiger,  op.  cit.,  S.  472;  D.  F.  Strauss,  Ulrich  von 
Hutten,   II,   S.  250  ssg. 


732  REVUE    DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

saint  Paul  qui,  dans  l'original,  ne  s'opposent  point.  Il  ne  te 
suffit  pas  de  le  traiter  d'aveugle,  de  maladroit,  de  farceur,  il  faut 
que  tu  voues  à  l'exécration  sa  bouche  sacrilège.  A  supposer  que 
saint  Jérôme  se  soit  trompé,  on  pouvait  l'excuser  de  façon  con- 
venable. Même  s'il  n'y  avait  pas  place  pour  des  excuses,  il  eût 
été  séant  de  relever  son  erreur  avec  modération.  C'est,  je  pense,  la 
manière  dont  tu  voudrais  être  traité  s'il  t'arrivait  chose  sembla- 
ble. Mais  tu  savais  fort  bien  que  saint  Jérôme  pensait  très  juste 
au  sujet  de  saint  Paul.  Il  ne  prétendait  nullement  l'accuser  d'a- 
buser des  textes  de  l'Écriture,  mais  montrer  qu'il  n'était  pas  un 
témoignage,  si  mystérieux  fût-il,  que  l'Apôtre  n'employait  à  prou- 
ver la  vérité  de  l'Évangile.  x\ussi  n'est-il  pas  étonnant  que,  fai- 
sant rage  contre  saint  Jérôme  lui-même,  tu  ne  puisses  sup- 
porter chez  les  autres,  malgré  leur  politesse,  des  idées  différen- 
tes des  tiennes  »  (1).  Cette  vive  repartie  montre  a  quel  point 
Érasme  se  sentait  touché  par  les  attaques  dirigées  contre  saint 
Jérôme.  Mais  elle  montre  surtout  le  thème  spécial  qui,  chez  le 
Père  de  l'Église,  offensait  les  réformateurs,  et  fournissait  au  con- 
traire un  point  'd'appui  d'apparence  traditionnelle  aux  tendan- 
ces des  humanistes.  Ce  texte  de  saint  Jérôme,  que  relève  et  cri- 
tique Luther,  que  défend  Érasme,  c'est  celui-là  même  dont  s'au- 
torisaH  Reuchlin,  vingt  ans  plus  tôt,  pour  légitimer  toutes  les 
hardiesses  et  toutes  les  libertés  de  la  méthode  philologique. 
En  signalant  les  oppositions  des  mêmes  textes  scripturaires  en 
différents  endroits  des  Livres  Saints,  on  croyait  ouvrir  toutes 
grandes  les  portes  jde  la  critique  verbale,  sans  vouloir  atteindre  ce- 
pendant d'une  façon  directe  leur  autorité.  Luther  n'admettait 
pas  alors  de  conciliation  possible  entre  ces  deux  thèses.  Il 
avait  des  raisons  spéciales  et  décisives  de  rejeter  une  semblable 
possibilité.  En  effet,  la  conception  de  la  Bible  qu'il  allait  faire 
prévaloir  s'opposait  radicalement  à  l'exégèse  antithéologique  de 
l'école  d'Érasme.  '  • 


1.  «  Eundem  (Hioronymum)  in  tua  disputatinne  quam  irreverenter  tractas, 
eo  qiiod  scripserit  quaedam  scripturae  tostimoiiia  apud  Paulum  pugnare  quae 
suis  locis  non  pugnant.  Hic  non  satis  ost  illum  vocasse  hisciosum,  îneptum, 
nugoncm,  nisi  tandem  execreris  ejus  os  sacrilegum.  Etiamsi  quid  lapsus  esset 
Hieronynuis  poterat  excusari  civiliter,  et  si  non  esset  locus  excusationi,  con- 
veniobat  errorem  modeste  corrigi.  Hoc  opinor  officium  relies  tibi  praestari  si 
quid  aocidisset  simile.  Nunc  sciebas  Hieronynuun  optime  sontire  de  Paulo, 
nec  illud  in  eo  criminari  quod  abuteretur  testiinoniis  sciipturarum.  sed  quod 
nihil  esset  recomlitum  in  Scripturis  ([uod  ille  non  accommodaret  ad  Evangelii 
com.probationem.  Qui  sic  debaccbaris  in  Hieronymum,  non  pateris  alios  quam- 
vis  civiliter  ab  te  dissentienles.  »  Erasmi  opéra,  IX,  1296.  Daté  du  20  fé- 
vrier 1526. 


PROBLEME   DES   SOURCES   THÉOLOGIOUES   AU  XVI^   SIÈCLE  733 


* 
»    * 


Pendant  que  saint  Jérôme  fournissait  de  la  sorte  aux  huma- 
nistes encore  préoccupés  de  christianisme  un  idéal  exégétique, 
une  autre  figure  de  l'antiquité  chrétienne  renaissait,  dans  un  cer- 
cle théologique  différent,  et  allait  former  une  image  divergente, 
dont  le  contraste  devait  bientôt,  dans  la  lutte  intellectuelle,  se 
tourner  en  opposition.  L'ermite  de  Bethléem  allait  de  nouveau 
entrer  en  conflit  avec  l'évêque  d'Hippone  et  lui  disputer  la  do- 
mination sur  les  esprits.  Il  est  un  livre  qui  jouit  alors  d'une  in- 
comparable popularité  et  dont  l'influence  dépasse,  en  ses  limites 
trop  étroites  et  trop  étroitement  comprises,  celles  que  purent 
exercer  les  œuvres  les  plus  célèbres  des  Pères.  C'est  le  De  Spiritu 
et  liitera  de  saint  Augustin.  En  1517,  Karlstadt,  le  futur  réfor- 
mateur, l'avait  édité,  et,  dans  ses  leçons  à  l'Université  de  Witten- 
berg,  lui  avait  consacré  «  d'admirables  explications  ».  Consulté 
vers  le  même  temps  par  Georges  Spalatin,  sur  la  meilleure  fa- 
çon d'étudier  l'Écriture,  il  lui  répondait  :  «  Quant  à  moi,  j'ai 
compris  que  le  smeilleur  aide  pour  pénétrer  les  mystères  de  la  théo- 
logie, c'était  le  très  savant  ouvrage  d'Augustin  De  Spiritu  et 
littera.  Je  vous  engage  à  le  lire  et  le  relire  »  (1).  Spalatin  avait 
adressé  la  même  question  à  Luther.  La  réponse  fut  identique. 
Après  avoir  disserté  sur  les  mérites  relatifs  d'Augustin,  d'Am- 
broise  et  de  Jérôme,  après  avoir  nettement  marqué  l'opposition 
fondament^ale  de  ses  lidées  avec  celles  d'Érasme,  frère  Martinus 
Eleutherius,  comme  il  se  plaisait  alors  à  signer  ses  lettres,  ter- 
minait sur  ce  conseil  :  «  Si  tu  veux  m'en  croire,  tu  commenceras 
par  lire  saint  x\ugustin  dans  le  De  Spiritu  et  littera.  Notre  Karls 
tadt,  cet  homme  d'une  science  incomparable,  l'a  expliqué  ad- 
mirablement et  donné  au  public  »  (2).  La  Réforme  française  suivit 
sur  ce  point  l'exemple  de  sa  sœur  germanique.  Lorsque  Robert 
Estienne  publiait,  en  1534,  son  édition  manuelle  de  la  Bible 
latine,  il  y  joignait,  immédiatement  après  les  index  et  avant  les 
préfaces    hiéronymiennes,    le   livre    de    l'évêque    d'Hippone.    Un 


1.  «  Ego  profecto  librum  de  Spiritu  ot  littera  Ausnstini  dnctissimura  com- 
peri  ansam  ad  secretiora  theoliigiae  latibula  praestantem.  Hiinc  legas  atqiie 
relpgas,  consulo.  »  Lottro  du  17  janvier  1.518,  dans  Olearius.  Scrinivm  ovfi- 
quariiim,  p.  8.  Cf.  id.,  p.  24.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  l'interiirétation 
de  ce  livre  par  les  réformateurs. 

2.  «  Incipies  autem  (si  mea  tibi  placent  studia)  b.  A\igustinum  de  litora  et  spi- 
ritu, qnem  jam  noster  Carlstadius,  honio  sfudii  imconiparabiiis  explicavit  mi- 
ris  explicationibus  et  odidit.  »  18  janvier  1.5t8,  Lnfhers  Brirfwerhscl,  éd. 
Enders,    I,   p.   143.  : 


734      PEvur  DES  sciences  philosophiques  et  théologiques 

mot  au  lecteur,  d'une  allure  narquoise,  le  renseignait  sur  les 
raisons  de  cette  adjonction  (1).  C'était  tout  d'abord  pour  ne  point 
laisser  de  pages  blanches.  Mais  surtout  nul  autre  livre  au  monde 
n'était  plus  propre  à  faire  comprendre,  en  son  véritable  sens,  l'en- 
semble de  l'Écriture.  Dans  sa  brièveté  merveilleuse,  il  présentait 
tout  le  contenu  de  la  Bible  sous  son  vrai  jour  si  longtemps  oublié. 
Il  faisait  pénétrer  les  arcanes  de  la  révélation  divine  en  résumant 
par  quelques  oppositions  essentielles  et  profondes  la  doctrine 
même  des  Saints  Livres.  Le  maître  imprimeur  indiquait  en  pas- 
sant ces  lumineuses  oppositions,  a  la  clarté  descruelles  Augustin 
avait  admirablement  commenté  la  parole  sacrée.  Son  ouvrage  ex- 
posait avec  autant  de  science  que  de  piété,  «  la  loi  et  les  promes- 
ses, la  foi  et  les  œuvres,  la  lettre  et  l'esprit,  le  nouveau  etl'ancien 
Testament  ».  Il  ne  s'agissait  plus  maintenant  de  recourir  aux 
procédés  tout  extérieure  et  superficiels  de  l'Aristotélisme.  D'au- 
tres principes  que  ceux  du  quadruple  sens  scripturaire  étaient 
nécessaires  pour  atteindre,  à  travers  la  dure  écorce  de  la  lettre, 
la  «  noix  »  de  la  doctrine.  Le  De  Spiritu  et  littera  fournissait  ces 
principes.  Voici  donc  qu'une  nouvelle  intelligence  de  l'Écriture, 
s'autorisant  d'un  des  plus  grands  noms  de  l'antiquité  chrétienne, 
(lu  docteur  dont  la  pensée  avait  nourri  toute  la  théologie  occi- 
dentale, s'offrait  aux  âmes  pour  renouveler  leur  vie  religieuse  et 
morale.  Après  la  lettre,  dont  les  philologues  avaient  rétabli  la 
pureté,  c'ét^iit  l'esprit  qu'on  croyait  retrouver.  Les  réformateurs, 
en  effet,  prétendaient  ici  dépasser  les  humanistes  autant  que 
ceux-ci  avaient  fait  les  scolastiques. 

Quel  était  donc  le  sens  et  la  portée  du  choix  de  cet  ouvrage 
comme  introduction  à  l'Écriture?  Et  que  devenait  la  Bible,  vue 
an  travers  de  ce  traité  de  saint  Augustin,  interprétée  suivant  les 
données  très  particulières,  il  faut  le  dire,  du  De  Spiritu  et  littera  ? 
L'cvêque  d'Hippone  l'avait  composé  en  des  circonstances  toutes 
spéciales  (2).  Il  avait  soutenu,  dans  l'une  de  ses  œuvres  précé- 
dentes, adressée  à  Marcellinus,  que  nul  homme  en  ce  jiionde, 
sauf,  bien  entendu,  l'Homme-Dieu,  n'avait  atteint  ou  n'atteindrait 


1.  Lectori.  Ne  chartae  vacarent,  chrisliane  lector,  hune  b.  Augustini  de 
litera  et  spiritu  libellum  impressimus,  huic  Bibliorum  operi  maxime  acconi- 
niodum,  quod  cum  docte  tum  christiane  legera  et  promissa,  fidem  et  opéra, 
literam  et  spiritum,  novum  et  vêtus  Testamentum  paucis  verbis  erponat  ; 
sitque  hujus   operis  verus   cum  mira  et  diiucida   brevitate   commentarius. 

2.  S.  Aurelii  Augustini  Opéra,  éd.  Bénédictine,  t.  X,  col.  8.5  et  ssq.  Paris, 
1696.  L'ouvrage  qui  y  donna  occasion  est  le  De  jx'ccatoram  meritis  et  re- 
missione  pcccatorum ,   adressé  lui  aussi  à  Marcellinus. 


PROBLEME   DES   SOURCES   THÉOLOGIQUES   AU  XVI^  SIECLE  735 

la  perfection  de  la  justice.  Aucun  homme  n'avait  été,  aucun  hom- 
me ne  serait,  dont  le  péché  n'eût  ou  ne  dût,  de  fait,  entacher 
la  conduite.  Mais  il  avait  affirmé  en  même  temps  qu'il  était 
possible,  avec  l'aide  de  la  grâce  divine,  de  vivre  sans  péché. 
Comment  concilier  ces  deux  idées?  C'est  ce  que  Marcellinus 
lui  avait  demandé,  et  c'est  l'occasion  qu'Augustin  avait  saisie, 
avec  empressement,  semble-t-il,  pour  attaquer  et  réfuter  une  fois 
de  plus  la  doctrine  pélagienne.  Ce  lui  avait  été  chose  aisée  de 
répondre  à  la  difficulté  qui  embarrassait  son  ami.  Il  suffisait 
de  distinguer  ici  le  fait  et  le  droit.  En  fait,  il  n'est  pas  d'homme 
qui  vive  sans  péché;  en  droit,  l'homme  pourrait,  avec  la  grâce 
de  Dieu,  arriver  à  cet  état  de  perfection.  N'y  a-t-il  pas  en  effet 
mille  choses  dont  nous  admettons  la  possibilité,  tout  en  sachant 
bien  qu'elles  ne  se  sont  jamais  réalisées  et  que  jamais  elles  ne  se 
réaliseront?  L'Évangile  lui-même  ne  nous  fournit-il  pas  l'exemple 
de  telles  possibilités  :  le  chameau  qui  pourrait  passer  par  le  trou 
d'une  aiguille  plus  facilement  qu'un  riche  entrer  au  ciel,  ou  bien 
les  légions  d'Anges  qui  eussent  pu  protéger  le  Christ  et  qui  ne 
l'ont  point  fait  ?  Mais  à  tout  cela  IMarcelliims  avait  réponse  prête. 
Ces  cas  de  possibilités  irréalisées  dépendent  de  la  volonté  toute- 
puissante  de  Dieu.  Il  n'en  va  pas  ainsi  du  fait  en  question.  Être 
parfaitement  juste,  c'est  une  œuvre  de  volonté  humaine.  Et  si,  en 
droit,  telle  œuvre  est  possible  à  l'homme,  pourquoi  donc  affirmer 
qu'il  n'y  parvient  pas,  qu'il  n'y  parviendra  jamais  ?  C'est  alors 
qu'entrant  dans  le  vif  du  sujet,  Augustin  réplique  :  Voilà,  dit-il, 
l'erreur  initiale  du  système  pélagien.  Oui,  être  juste  est  l'œuvre 
de  l'honnne.  Mais  c'est  en  même  temps  l'œuvre  de  Dieu 
clans  l'homme.  Quel  est  donc  l'office  propre  de  sa  grâce? 
Suivant  le  mot  profond  de  l'Apôtre,  n'opère-t-il  pas  en  nous  le 
vouloir  et  l'agir?  Comment,  dès  lors,  admettre  que  la  volonté  hu- 
maine peut  parvenir  à  la  justice  de  son  propre  fonds  et  sans  le 
secours  de  Dieu? 

^laio  Pelage  n'entend  pas  de  telle  sorte  l'économie  du  salut. 
Cette  aide  divine,  cette  grâce  adjuvante,  par  laquelle  s'institue 
un  mystérieux  concours  entre  Dieu  et  l'homme  dans  l'œuvre  de 
sanctification,  il  ne  veut  pas  la  nier  absolument.  Ce  qu'il  pré- 
tend, c'est  l'arracher  à  ces  profondeurs  un  peu  ténébreuses  où  la 
relègue  Augustin,  à  cet  arrière-plan  où  s'élabore  la  vie  active,  pour 
la  transporter  en  une  région  plus  claire  du  domaine  humain.  Cette 
grâce  qui  permet  de  bien  vivre  se  ramène,  eu  son  essence,  à  deux 
éléments  connus  :  le  libre  arbitre,  qui  nous  permet  d'agir  volontaire- 


736         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

ment,  la  loi  divine,  qui  nous  instruit  de  nos  devoirs.  Ces  éléments, 
tous  deux  dons  faits  par  le  créateur  à  sa  créature,  en  se  combinant, 
suffisent  à  nous  faire  vivre  en  toute  justice  et  piété,  et  par  con- 
séquent à  mériter  le  bonheur  des  élus.  La  liberté  d'une  part,  l'É- 
vangile de  l'autre,  voilà,  suivant  Pelage,  les  deux  grâces  essen- 
tielles, permanentes  qui  sont,  pour  nous  et  en  nous,  les  sources 
de  tout  bien.  Leur  jeu  combiné  sauve  les  âmes  en  qui  elles  ne 
s'opposent  point  l'une  à  l'autre.  Cette  organisation  du  salut  nous 
révèle  Dieu  sous  deux  aspects  essentiels,  en  sa  bonté  infinie  et 
en  son  omniscience.  Il  est  à  chaque  instant,  pour  l'homme  tout 
ensemble  un  Père  et  un  Pédagogue.  Telle  est  sa  part  dans  l'œuvre 
de  la  justification.  Or,  pour  répondre  à  cette  conception,  Augustin 
édifie  sur  le  texte  de  saint  Paul  :  «  Littera  occidit,  Spiritus  autem 
vivificat,  »  une  théorie  qui  doit  ruiner  de  fond  en  comble  celle 
de  son  adversaire,  et  à  laquelle  l'avenir  réservait  la  plus  singu- 
lière destinée.  Selon  lui,  le  libre  arbitre  de  la  volonté  et  la 
révélation  qui  nous  dicte  nos  devoirs  sont  absolument  insuf- 
fisants pour  réaliser  la  perfection  de  la  justice.  Pas  n'est  besoin 
de  s'arrêter  au  libre  arbitre  :  en  lui-même,  il  n'est  qu'une 
puissance  du  péché.  Mais  la  doctrine  révélée,  la  parole  de  Dieu, 
elle  non  plus,  n'est  pas  de  soi  un  instrument  de  grâce  efficace. 
Si  l'esprit  de  Dieu  ne  vient  la  vivifier,  elle  est  la  lettre  qui  tue. 
Cet  esprit  seul  donne  à  l'âme  l'amour,  la  dilection  du  Bien  su- 
prême sans  lesquels  l'accomplissement  des  préceptes  n'est  qu'une 
vaine  observance. 

L'on  voit  maintenant  se  dessiner  la  conception  de  la  Bible  qu'in- 
troduisait cette  polémique,  et  dont  il  fallait  montrer  les  racines 
profondes,  puisqu'elles  se  retrouvent  chez  les  réformateurs  et 
que  de  favorables  circonstances  les  font  alors  renaître.  Lorsque 
saint  Paul  distinguait  la  lettre  qui  tue  de  l'esprit  qui  donne  la  vie, 
il  ne  voulait  point  laisser  entendre  seulement  cette  vérité  banale, 
qu'on  doit  appliquer  à  l'Écriture  le  discernement  du  sens  littéral 
et  du  sens  figuré.  Il  ne  visait  même  pas  seulement  l'intelligence 
«  spirituelle  »  des  Saints  Livres,  qui  fournit  à  l'homme  «  inté- 
rieur »  sa  nourriture  surnaturelle.  Traduire  ainsi  la  pensée  de 
l'Apôtre,  c'est  l'amoindrir.  Que  nous  représente  en  effet  la  révéla- 
tion écrite?  La  volonté  divine  par  rapport  à  nous.  Elle  est  d^abord 
et  essentiellement  la  «  Loi  ».  Elle  nous  fait  connaître  les  com- 
mandements sous  lesquels  son  auteur  veut  que  nous  courbions 
notre  obéissance.  Mais  quel  n'est  pas  le  premier  effet  de  cette 
Loi  ?  Elle  est  bonne  en  soi,  puisque  révélatrice  du  Souverain  Bien. 


PROBLÈME   DES   SOURCES   THÉOLOGIOUES    AU   XYI^   SIÈCLE  T.'ÎT 

Et  cependant,  par  elle-même,  elle  ne  fait  qu'augmenter  nos  désirs 
mauvais,  aiguiser  notre  concupiscence.  Nous  voulons,  avec  plus 
de  violence  encore  et  d'emportement,  ce  qui  nous  est  défendu. 
Notre  culpabilité  s'en  aggrave  d'autant.  Il  advient  ainsi  que  la 
lettre  de  la  Loi,  en  enseignant  qu'il  ne  faut  pas  pécher,  donne  la 
mort.  La  révélation  de  la  volonté  divine  devient  la  révélation  de 
notre  incurable  infirmité.  On  ne  peut  donc  point  dire  qu'il  suffit, 
pour  pratiquer  la  justice,  de  connaître  la  Loi.  Les  enseignements 
de  Dieu,  même  sous  forme  d'Écriture  révélée,  sont  pour  nous  un 
verdict  de   condamnation  plutôt   qu'un  moyen   de  justification. 
La  Parole  de  Dieu  n'est  pas,  de  soi,  communicative  de  la  grâce. 
Sous  son  aspect  de  Loi,  elle  est  bien  plutôt  la  Lettre  qui  tue. 
Mais  à  cette  première  identification  qui  unit  les  deux  termes  de 
Loi  et  de  Lettre,  s'en  oppose  une  seconde,  dans  laquelle  se  reflète 
wie  tout  autre  face  de  la  doctrine  révélée.  Qui  voudrait  dénier  en 
effet  à  la  Parole  de  Dieu  une  efficacité  pratique  d'ordre  surna- 
turel ?  Elle  est  la  manifestation  de  la  justice  par  laquelle  Dieu  veut 
sauver  les  hommes.   Or,   on  ne  peut  s'approprier  cette  justice 
sans  d'abord  la  comiaître.  Telle  est  la  bonne  nouvelle,  l'Évangile 
que  le,  Christ  est  venu  apporter  au  monde  et  dont  l'Esprit  donne 
le  sens  aux  âmes  de  bonne  volonté.  C'est  cet  esprit  qui  opère  en 
nous  la  circoncision  du  cœur  et  rend  la  volonté  pure  de  toute 
concupiscence  illicite,  tandis  que  la  Lettre,  avec  ses  enseigne- 
ments et  ses  menaces,  ne  promulgue  rien  autre  chose  que  l'irré- 
médiable déchéance  de  l'homme.  L'accomplissement  de  la  Lettre 
ne  conduit  donc  qu'à  des  pratiques  toutes  judaïques  qui  sont,  non 
seulement  inefficaces,  mais  ajoutent  encore  leur  poids  mort  à 
celui    de   notre   dépravation   originelle.    L'Évangile   nous   révèle 
au  contraire  la  grâce  entièrement  gratuite  qui  nous  a  été  donnée 
par  Dieu  dans  la  personne  du  Christ,  force  notre  amour  pour 
lui  et  fa'l,  que  nous  nous  plaisons  en  la  Loi  qu'il  nous  a  imposée. 
Cette  délectation,   que  la  Lettre  ne  pouvait  nous  infuser,  c'est 
l'Esprit  qui  nous  pénètre  de  sa  grâce  vivifiante  et  guérissante. 
Ici,  la  face  du  Pédagogue  terrible  disparaît  pour  faire  place  à  la 
douceur  souriante  du  Père.  Et  saint  Augustin  trouve  dans  la  Bi- 
ble elle-même  des  images  frappantes  pour  rendre  sensible  cette 
différence  entre  les   deux  aspects   de  l'Écriture.  L'Esprit-Saint, 
dans  l'Évangile,  n'est-il  pas  désigné  comme  le  doigt  de  Dieu?  Et 
n'y  a-t-il  pas  là  une  analogie,  voulue  et  profonde  qui  nous  dé- 
finit son  véritable  rôle?  La  Loi,  en  effet,  a  été  écrite  par  le  doigt 
de  Dieu  sur  des  Tables  de  pierre.  L'Évangile  est  inscrit  dans  les 


T.1S         HEVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   l'HÉOLÔGIQUES 

cœurs  par  l'Esprit.  La  loi  était  quelque  chose  d'extérieur,  une 
manifestation  de  puissance.  L'Évangile  nous  est  donné  au  fond 
de  nous-mêmes,  non  pas  comme  un  joug  à  supporter,  mais  comme 
un  échange  dé  mutuel  amour.  La  première  est  justement  appelée 
l'Ancien  Testament,  car  elle  avait  pour  unique  objectif  le  «  vieil 
homme  »,  la  nature  pervertie,  dont  la  Lettre,  avec  ses  ordres  et  ses 
menaces,  ne  faisait  qu'étaler  la  dépravation.  Le  second  se  dé- 
nomme tout  aussi  justement  le  Nouveau  Testament;  il  s'adresse 
à  l'homme  renouvelé  par  l'Esprit,  au  cœur  guéri  et  réprimé  par 
la  charité,  qui  est  la  plénitu'de  de  la  Loi.  Et  tel  est  lei  rôle  de 
l'Évangile  et  de  l'Esprit.  .Ils  rétablissent  entre  l'homme  et  Dieu 
cette  ressemblance  originelle  que  la  chute  avait  effacée.  Par 
eux  revit  l'homme  «  intérieur  »  que  le  péché  semblait  avoir  dé- 
finitivement condamné.  Ainsi  s'établissait  un  nouveau  couple 
d'idées  dont  les  deux  éléments  faisaient  face  à  la  première  oppo- 
sition. A  la  Loi  répond  l'Évangile,  à  la  Lettre  qui  tue,  l'Esprit 
qui  vivifie. 

Dans  les  esprits  travaillés  par  l'humanisme  érasmien,  mais 
auxquels  son  exclusive  critique,  en  fait  de  théologie,  ne  suffi- 
sait pas,  ce  levain  d'idées  augustiniennes  devait  produire  une 
natureUe  fermentation.  Elles  formaient  la  contrepartie  positive 
de  ses  négations,  auxquelles  elles  se  rattachaient  et  dans  lesquelles 
elles  développaient  leurs  puissances  ainsi  qu'en  leur  véritable  at- 
mosphère. Les  tirades  classiques  d'Érasme  et  de  ses  disciples 
sur  la  décadence  religieuse,  sur  la  perversion  de  la  doctrine  ré- 
vélée par  les  adjonctions  humaines,  aboutissaient  comme  consé- 
quence extrême,  au  dogme  de  l'irrémédiable  dépravation  de 
notre  nature.  Celui-ci,  tout  naturellement,  excluait,  comme  moyen 
de  régénération,  l'intelligence  purement  humaine,  philologique,  de 
la  Bible.  Ce  n'était  pas  ce  sens  extérieur,  ce  n'était  pas  la  Loi, 
la  révélation  de  la  volonté  de  Dieu,  c'était  l'Évangile,  la  révélation 
de  sa  grâce  dans  le  Christ,  qui  justifiait  et  sauvait  les  âmes. 
Or,  l'érasmianisme  donnait  la  Lettre  de  l'Écriture.  Il  faisait  con- 
naître la  Loi.  Il  mettait  à  nu  l'incapacité  absolue  de  l'homme 
pour  le  bien.  L'augustinisme,  au  contraire,  —  ce  que,  du  moins, 
l'on  appelait  de  ce  nom,  —  révélait  l'Esprit  des  Livres  Saints.  11 
mettait  au  tout  premier  plan  la  grâce  justifiante  de  Dieu.  11  édifiait, 
sur  le  vice  de  la  nature  humaine,  le  chef-d'œuvre  de  la  misé- 
ricorde divine.  Et  à  toutes  ces  antithèses  venait  s'ajouter,  comme 
un  couple  obligé,  l'opposition  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Augus- 
tin. Avant  même  d'être  en  rapport  direct  avec  Érasme,  Luther 


iniOBLÈME   DES   SOUllCES   TIlÉoLut.IQUIiS   AU   XVl'^  SIÈCLE  7;]9 

avait  exprimé  aussi  nettement  que  possible  tout  ce  système  dans 
lequel  les  idées,  rangées  sur  un  double  front,  se  faisaient  face 
avec  une  régularité  mathématique.  Il  avait  prié  Spalatin  d'être  son 
intermédiaire  auprès  du  grand  humaniste,  et  de  soumettre  à  ce 
dernier  les  craintes  que  lui  causait  son  engouement  pour  saint 
Jérôme.  Il  est  tout  maîtrisé  déjà  par  ces  idées  augustiniennes. 
«  Voici,  mon  cher  Spalatin,  écrit-il,  ce  qui,  chez  Érasme,  me  trou- 
ble malgré  son  immense  savoir.  Lorsqu'il  explique  ce  que  saint 
Paul  appelle  la  justice  des  œuvres,  ou  de  la  loi,  ou  la  justice 
propre,  il  l'entend  des  observances  cérémonielles  et  figuratives. 
Puis,  à  propos  du  péché  originel,  qu'il  admet,  du  reste,  il  refuse 
de  croire  que  l'Apôtre  en  parle  au  chapitre  cinquième  de  l'Épître 
aux  Romains.  Qu'il  lise  donc  les  ouvrages  de  saint  Augustin 
contre  les  Pélagiens,  en  particulier  le  De  Spiritu  et  Littera,  puis  le 
De  peccatorum  meritis  et  remissione,  le  Coiiira  duas  epistolas 
Felagianorum,  enfin  le  Contra  Juliamim,  qui  se  trouvent  à 
peu  près  tous  dans  le  huitième  volume  de  ses  œuvres  !  Il  verra 
que  celui-ci  n'expose  point  sa  propre  sagesse,  mais  celle  des  Pè- 
res les  plus  célèbres,  les  Cyprien,  les  Grégoire  de  Nazianze,  les 
Rheticius,  les  Irénée,  les  Hilaire,  les  Olympius,  les  Innocent,  les 
Ambroise.  Peut-être  alors  non  seulement  comprendra-t-il  mieux 
l'Apôtre,  mais  encore  attribuera-t-il  à  saint  Augustin  une  impor- 
tance plus  grande  qu'il  n'a  fait  jusqu'ici. 

Pour  moi,  en  effet,  je  m'éloigne  certainement  d'Érasme  en  ce 
que,  dans  l'interprétation  des  Écritures,  je  mets  saint  Jérôme 
aussi  loin  après  saint  Augustin,  que  lui  saint  Augustin  après 
saint  Jérôme.  Et  ce  n'est  pas  le  zèle  pour  mon  ordre  qui  m'en- 
traÎDe  à  la  suite  d'Augustin.  Avant  de  tomber  sur  ses  ouvrages, 
je  ne  lui  accordais  pas  vraiment  la  moindre  faveur.  Mais  je  me 
suis  aperçu  que  saint  Jérôme  se  bornait  intentionnellement  au 
sens  historique,  bien  mieux,  qu'il  interprétait  de  façon  plus 
saine  les  Écritures  lorsqu'il  en  traitait  par  occasion,  comme  dans 
ses  lettres,  cpie  loi-squ'il  les  étudiait  directement,  par  exemple 
dans  ses  opuscules. 

La  justice  de  la  loi  ou  des  faits  ne  comprend  donc  pas  unique- 
ment les  cérémonies,  mais  tous  les  actes  visés  par  le  Décalogue. 
Lorsqu'ils  sont  accomplis  en  dehors  de  la  foi  du  Christ,  quand 
bien  même  ils  feraient  des  Fabricius  ou  des  Regulus,  des  hommes 
tout  à  fait  honnêtes  aux  yeux  du  monde,  cependant  ils  ne  res- 
semblent pas  plus  à  la  justice  que  la  sorbe  à  la  figue.  Car  ce 
n'est  pas,  comme  le  veut  Aristote,  en  faisant  des  choses  justes 


TiO         REVUE    DES   SCIENCES    l'IIlLOSOPIIlQUES   ET    TIlÈOLOGlQUES 

([Lie  nous  deveiiuiis  justes,  sauf  en  apparence.  C'est,  en  som- 
me, parce  que  nous  devenons  justes  que  nos  actes  sont  justes.  Il 
faut  tout  d'abord  que  la  personne  soit  convertie,  ensuite  les 
œuvres  Abel  est  objet  de  complaisances  avant  ses  présents. 
Mais  j'y  reviendrai  ailleurs. 

Rends-moi  im  service  d'ami  et  de  chrétien,  je  t'en  prie,  en  fai- 
sant connaître  toutes  ces  choses  à  Érasme.  Je  crois  que  son  au- 
torité deviendra  très  grande  et  je  le  désire.  Mais  je  crains  en 
même  temps  que,  grâce  à  elle,  beaucoup  ne  premient  la  défense  de' 
cette  intelligence  littérale,  c'est-à-dire  morte  (illius  litteralis,  id  est, 
mortuae  intelligentiae)  qui  remplit  le  commentaire  de  Lyra  et 
presque  tous  les  autres  depuis  saint  Augustin.  Car,  pour  Lefèvre 
d'Étaples  lui-même,  cet  homme,  grâce  à  Dieu,  pénétré  de  l'Esprit  et 
tout  à  fait  sincère,  il  n'a  pas  cette  intelligence  dans  l'interpréta- 
tion des  Saintes  Lettres,  bien  qu'il  la  manifeste  de  façon  plé- 
nière  soit  dans  sa  propre  vie,  soit  dans  ses  exhortations  à  au- 
tiui  )/  (1).  Spalatin  transcrivit  cette  lettre  presque  littéralement, 
en  priant  Érasme,  au  nom  de  la  théologie,  de  lui  accorder  une 
réponse.  L'humaniste  le  fit-il?  Nous  n'en  savons  rien.  En  tout 
cas,  le  ton  scolastique  de  Luther,  affaibli  du  reste  par  son  inter- 
médiaire, n'était  pas  fait  pour  lui  agréer.  La  Bible  lui  réapparais- 
sait ici  plus  que  jamais  saisie  dans  une  gangue  dogmatique  qui  la 
rétrécissait  et  ramenait  son  infinie  variété  à  un  seul  point  de 
doctrine.  Les  faces  multiples  des  divins  enseignements  se  voi- 
laient à  nouveau  sous  les  abstractions  d'un  système  exclusif 
dont  la  puissance  pénétrante  ne  laissait  pas  grande  place  à  la 
souplesse  et  à  la  liberté  de  l'intelligence.  De  toutes  parts,  ici, 
l'on  se  heurtait  à  des  concepts  arrêtés  et  l'esprit,  enfermé  dans 
ce  cercle,  y  cherchait  vainement  une  issue.  Rien  n'était  plus 
opposé  en  fait  à  l'idéal  d'Érasme  :  le  retour  aux  Livres  Saints 
comme  à  la  seule  source  de  la  doctrine  chrétienne.  Mais  les  cir- 
constances sociales,  l'état  de  l'Église,  donnaient  une  portée  im- 
mense aux  idées  augustiniennes  dont  Luther  s'inspirait.  Elles 
retentissaient  au  plus  profond  des  âmes. 

Une  tradition  qui  se  désagrège  et  se  dissout,  des  tendances  en- 
core imprécises,  qui,  pour  se  mieux  définir,  se  rattachent,  les 
nnes  au  nom  de  saint  Jérôme,  les  autres  à  celui  de  saint  Augus- 
tin, puis  s'opposent,  tel  est'  le  bilan  do  la  situation  théologique 


1.   Luiher's   BriefwcchseJ,    cl.  Endf.rs,    I,    p.   02   ssq.    La  lettre   de   Spalatin 
à  Erasme   s'y    trouve   reproduite   en  note. 


PROBLÈME    DES   SOUllCES   TIlÉoLOGIOUES    VU   XYI^   SIÈCLE  741 

dans  le  second  décenniuni  du  seizième  siècle.  Et  ces  tendances  im- 
pliquent, les  unes  comme  les  autres,  tout  un  ensemble,  tout  un 
système  d'idées,  rfui,  peu  à  peu,  au  cours  des  événements,  dé- 
veloppera jusqu'à  ses  dernières  conséquences.  Mais,  d'un  côté 
comme  de  l'autre,  un  premier  point  apparaît,  dont  le  vif  relief 
ferme  centre  et  attire  plus  puissamment  la  réflexion.  C'est  l'im- 
portance accordée  à  la  Bible  comme  source  de  la  révélation. 
Comment  faut-il  la  lire  pour  y  trouver  le  Christ?  De  quelle 
façon  la  comprendre,  si  l'on  veut  s'approprier  le  trésor  caché 
que  Dieu  y  a  déposé?  Selon  quelle  méthode  l'interpréter,  pour 
saisir  le  sens  réel,  salutaire,  de  ses  enseignements?  Toutes  ces 
questions  montent  aux  lèvres  des  humanistes  et  des  réformateurs. 
Aussi  le  spectacle  est-il  tout  d'abord  frappant  et  presque  émouvant, 
de  tous  ces  hommes  qui  croient  découvrir  dans  le  Livre  le  re- 
mède universel  qui  doit  guérir  les  âmes  de  leurs  erreurs,  la  so- 
ciété de  ses  abus  et  de  sa  décadence.  Avec  mie  véritable  avidité, 
les  esprits  se  jettent  sur  le  texte  des  deux  Testaments  et  se  de- 
mandent .quelle  doctrine  se  trouve  là  distribuée.  Ils  y  perçoivent 
au  premier  regard  une  opposition  absolue  avec  le  courant  ordi- 
naire de  leurs  pensées.  On  se  raconte  partout  alors  les  décisives 
paroles  du  célèbre  médecin  anglais  Thomas  Linacre.  A  son  lit 
de  mort,  lisant  pour  la  première  fois  de  sa  vie  le  texte  évangé- 
lique  et  parcourant  le  chapitre  cinquième  de  saint  Matthieu  :  «  Ou 
bien,  s'écriait-il,  cela  n'est  pas  le  véritable  Évangile,  ou  bien  nous 
ne  sommes  pas  des  chrétiens  !  »  Le  véritable  Évangile  ne  peut 
se  trouver  que  dans  la  Bible.  Tous  sont  d'accord  là-dessus.  ^Mais 
comment  démêler  ses  traits  dans  cette  masse  documentaire  qui 
se  présente  au  premier  aspect  comme  un  récit,  comme  une  his- 
toire, et  non.  pas  comme  une  théologie?  Les  uns  s'en  tiennent  à 
ce  premier  aspect.  Ils  ont  retenu  de  leur  fréquentation  avec  les 
auteurs  anciens  que  l'histoire  est  «  la  maîtresse  de  la  vie  et  l'édu- 
catrice  du  genre  humain  ».  Ils  veulent  attribuer  ce  rôle  aux 
Livres  Saints.  Ceux-ci  jouent  dans  le  monde  le  personnage  de 
pédagogue  divin.  Les  éducateurs  de  l'école  érasmienne  conçoi- 
vent la  révélation  à  leur  image  et  ressemblance.  Mais  les  autres 
prétendent  déjà  que  c'est  là  seulement  la  forme  et  non  point  la 
matière  de  la  révélation  et  de  l'Évangile.  Au-dessous  de  la  lettre, 
il  y  a  l'esprit;  dans  le  récit  lui-même  est  incluse  la  doctrine  du 
salut.  Cette  doctrine  appréhendée  par  les  consciences,  saisie  com- 
me vraie  en  vertu  de  son  action  inunédiate  sur  les  âmes,  est  la 

2*  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N»  4.  4^ 


742         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THEOLOGIQUES 

seule  chose  qui  importe,  l'unique  Évangile  donné  par  Dieu  aux 
hommes  dans  la  personne  de  son  Fils  Jésus-Christ.  Il  ne  s'agit  plus 
que  d'une  chose  :  savoir  quelle  est  cette  doctrine  de  salut  et 
comprendre  la  Bible  suivant  la  ligne  d'intelligibilité  qu'elle  dé- 
terminera. (A  suivre.) 

Verdun.  A.  Humbert. 


Notes 


I 

Un  cas  complexe  de  fausse  paramnésie. 

LA  «  paramnésie  »,  l'angoissante  sensation  du  «  déjà-vu  »,  offre 
dos  difficultés  d'observation  et  d'interprétation  que  les'  théo- 
ries courantes  paraissent  totalement  négliger.  Il  serait  absurde, 
ou  au  moins  ti'ès  arbitraire,  de  prétendre  que  la  «  fausse  recon- 
naissance »  n'existe  pas;  mais  dans  la  forme  classique,  nous  la 
croyons  beaucoup  plus  rare  qu'on  ne  l'imagine  en  général. 

Il  y  a  lieu  de  distinguer  la  vraie  paramnésie,  dans  laquelle  une 
perception  certainement  nouvelle  pour  le  sujet  est  accompagnée 
(\o  l'impression  illusoire  du  déjà-vu;  et  la  paramnésie  fausse, 
où  la  perception  n'est  pas  nouvelle;  où  le  déjà-vu  est  donc  parfai- 
tement justifié,  mais  où,  malgré  l'impression  du  déjà-vu,  la  per- 
ception est  à  tort  jugée  nouvelle.  Il  n'y  aurait  peut-être  pas  lieu, 
dans  ce  cas,  de  parler  de  paramnésie,  la  mémoire  étant  fidèle, 
presque  trop  fidèle  ;  mais  le  jugement  faux,  qui  affirme  la  nouveau- 
té de  la  perceptiou  actuelle,  provoque  un  état  psychologique  ab- 
solument semblable  à  celui  qui  résulte  de  la  paramnésie  vraie. 
A  ce  titre,  le  nom  de  «  fausse  paramnésie  »  se  justifie  suffisam- 
ment. 

Nous  croyons  que  le  rêve  et  l'oubli  rapide  mais  toujours  incom- 
plet des  choses  rêvées,  les  images  «  oniriques  »  et  les  ondulations 
fugaces  de  la  rêverie  doivent  être  considérées  comme  un  facteur 
prépondérant  dans  la  production  du  phénomène.  On  assiste  pas- 
sif au  défilé  des  images,  qui  surgissent  on  ne  sait  d'où,  et  s'ef- 
facent on  ne  sait  comment;  et  si  aucune  introspection  réfléchie 
et  volontaire  n'intervient  pour  les  saisir  et  les  fixer  au  passage, 
tous  ces  fantômes  de  l'espace  intérieur  paraissent  à  jamais  perdus 
pour  la  mémoire  consciente. 

Mais  la  subconscience  est  plus  tenace  :  là  tout  paraît  se  conser- 
ver, et  tant  de  choses  s'élaborent.  Qu'une  sensation  externe,  une 
perception   actuelle   vienne   donner   le   déclic,   l'image   sous-con- 


744         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

scieute  ne  restera  pas  inactive.  Elle  donnera  une  teinte  particu- 
lière, une  physionomie  subjective  à  l'objet  nouvellement  perçu, 
et  si  celui-ci  ressemble  suffisamment  aux  images  latentes,  il  peut 
prendre  une  allure  de  déjà-^n.i,  parfaitement  légitime,  mais  qne  le 
sujet  ne  par\'iendra  pas  à  légitimer  parce  que  la  mémoire  réflé- 
chie ne  paxWent  pas  à  saisir  une  image  qui  refuse  de  franchir 
le  seuil  de  la  conscience  vive. 

Parfo^'s  cependant:,  on  se  souvient  d'une  manière  plus  ou  moins 
précise  de  ce  qu'on  a  rêvé.  Quelques  points  de  repère  reparaissent 
au  regard  de  la  conscience,  et,  spontanément,  inconsciemment, 
de  la  meilleure  foi  du  monde,  nous  complétons  la  scène  suivant 
le  contenu  de  la  subconscience  et  les  impressions  du  moment.  On 
finit  par  s'apercevoir  que  le  faux  déjà-vu  avait  été  rêvé.  Il  ne  faut 
même  pas  que  la  concordance  soit  très  parfaite.  De  part  et  d'au- 
tre, du  côté  de  l'image  primitive  et  de  celui  de  la  perception  ac- 
tuelle, il  y  aura  une  tendance  à  converger;  le  rêve,  en  effet, 
est  complété  par  la  perception  actuelle,  et  celle-ci  est  toujours 
fonction  de  nos  souvenirs  latents.  Bref,  quelques  points  de  con- 
tact suffisent;  on  ne  parlera  plus  de  paramnésie  :  on  aura  déjà  wi, 
on  aura  prévu  en  rêve  ce  que  la  réalité  nous  met  sous  les 
yeux;  et  la  fausse  reconnaissance  fera  place  à  une  «  divination  par 
les  songes  ».  On  devine  à  quelles  extravagantes  conclusions  la  dé- 
couverte de  ces  «  coïncidences  »  peut  mener  les  esprits  naïfs 

Ces  considérations  générales  nous  sont  suggérées  par  un  fait, 
rentrant  parfaitement  dans  nos  cadres  psychologiques  établis, 
mais  qui  s'offre  avec  des  caractères  si  nets  et  en  même  temps  si 
étranges,  qu'il  mérite  de  fixer  l'attention.  Il  a  été  observé  d'une 
manière  rigoureuse  et  se  présente  avec  toutes  les  garanties  dési- 
rables, 

:^ladame  T.  réside  à  Saint-Pierre,  loin  de  sa  patrie.  Intelligente 
et  cultivée,  elle  ne  tarde  pas  à  attirer  dans  son  orbite  un  de  ses 
compatriotes,  'SI.  L.,  qui  lui  voue  l'adoration  la  plus  assidue,  et 
d'ailleurs  la  plus  respectueuse.  Mme  T.  n'avait  certainement  jamai.s 
vu  M.  L.  avant  son  arrivée  à  Saint-Pierre;  elle  ignorait  son  exis- 
tence et  ne  coimaissait  que  son  nom  de  famille. 

Un  jour,  dans  ime  chapelle,  :Mme  T.  laisse  tomber  son  para- 
pluie. Toujours  attentif,  :\I.  L.  se  précipite  pour  le  ramasser;  oi 
ce  mouvement  vif,  en  désaccord  violent  avec  la  corpulence  de  L. 
aboutit  à  l'effet  le  plus  comique.  A  ce  moment  même,  bien  que 
malicieusement  amusée,  :Mnie  T.  se  sent  saisie  de  l'angoisse  du 
déjà-\'u.  Le  doute  n'est  pas  possible  :  elle  a  assisté  déjà  à  cette 


NOTES  745 

scène  ridicule  :  c'était  le  même  homme,  portant  le  même  nom,  af- 
fligé du  même  embonpoint,  qui,  mû  par-  les  mêmes  sentiments,'  lui 
a  rendu  le  même  service. 

Le  phénomène  paraissait  inexplicable  et,  pendant  quelques 
jours,  toi-turait  l'esprit  de  Mme  T.  Cependant,  elle  finit  par  se  rap- 
peler une  conversation  assez  banale  qu'elle  avait  eue,  avant  de 
quitter  sa  patrie,  avec  une  de  ses  parentes.  Il  lui  semble  qu'elle 
a  raconté  alors  un  rêve  ayant  des  ressemblances  avec  la  scène 
de  la  chapelle;  et  Mme  T.  se  trouve  hantée  par  l'idée  que  le 
déjà-vu  était  du  prévit,  et  que  sa  paramnésie  était  une  divina- 
tion par  les  songes.  Avec  toutes  les  précautions  indispensables 
l)0ur  éviter  la  suggestion,  Mme  T.  s'informe  auprès  de  sa  pa- 
rente sur  le  rêve  raconté.  La  réponse  était  aussi  nette  que  surpre- 
nante :  six  mois  avant  la  scène  de  la  chapelle,  elle  avait  \ii  en 
rêve  un  gros  monsieur,  homme  dii  monde  irréprochable,  du  nom 
de  L.,  qui,  s 'étant  attaché  à  elle,  lui  rendait  des  services  avec 
un  empressement  contre  lequel  protestaient  sans  cesse  les  anoma- 
lies do  ses  proportions  corporelles. 

Je  répète  que  l'observation  a  été  menée  d'une  manière  rigou- 
reuse. Toute  possibilité  de  suggestion  ou  de  fraude  est  écartée. 
Aussi  le  premier  phénomène  qui  appelle  impérieusement  son  in- 
terprétation, c'est  cette  apparente  divination  par  un  songe.  En 
réalité,  rien  n'est  plus  simple. 

]\hne  T.  a  beaucoup  de  succès  mondains  ;  et  bien  qu'elle  soit  fort 
intelligente,  j'imagine  ne  lui  faire  aucune  injustice  en  supposant 
cru'elle  s'en  trouve  un  peu  flattée.  Certaines  scènes  d'empressement 
plus  ou  moins  idéal  lui  ont  été  offertes  par  la  chevalerie  de  salon  ; 
d'autres  se  sont  très  probablement  élaborées  dans  son  esprit. 

Tout  cela  repose  ou  s'agite  dans  la  subconscience.  Vienne  un 
rêve  correspondant  cà  ces  préoccupations.  Elle  verra  certaine- 
ment les  hommes  de  son  «  monde  »  et  de  sa  nationalité  papillon- 
ner autour  d'elle.  Trop  heureux  de  lui  rendre  des  services,  ses 
admirateurs  de  la  réalité  ou  du  rêve  doivent  s'être  baissés  plus 
d'une  fois  pour  lui  épargner  un  effort,  pour  lui  ramasser  un  ob- 
jet quelconque.  Ajoutons  que  les  hommes  de  sa  race  et  de  sa  situa- 
tion sociale  ont  une  tendance  anormale  à  l'embonpoint,  et  que 
le  nom  de  L.  est  fort  connu  dans  le  pays.  Il  n'en  faut  pas  da- 
vantage, à  part  la  coïncidence  peu  mystérieuse  du  nom  de  L., 
pouj-  faire  croire  à  la  prévision  complète,  dans  un  songe,  de  la 
scène  de  la  chapelle.  Le  rêve  a  été  beaucoup  moins  net,  selon 
toute  vraisemblance,  que  le  récit  que  Mme  T.  en  a  fait  cà  sa  pa- 


7-46         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

rente  :  il  est  si  naturel  de  renforcer  les  lignes  vagues,  de  remplir 
dans  une  scène  les  lacunes  absurdes.  La  coïncidence  entre  le  rêve 
et  la  scène  réelle  de  la  chapelle,  quoique  remarquable,  n'est 
probablement  pas  aussi  parfaite  que  l'imagine  Mme  T.:  dans 
la  perception  du  réel,  on  projette  ses  souvenirs,  et  ceux-ci  se 
déforment  sous  la  pression  du  réel.  La  «  divination  par  le  songe  » 
se  réduit  donc  dans  le  cas  présent  aux  lois  banales  de  la  psycholo- 
gie (!)•  .  ,  .  ,  .  1 
Ce  qui  rend  le  phénomène  digne  d'attention,  c  est  qu  en  tace  de 

la  scène  réelle,  le  souvenir  du  rêve  a  été  précédé  par  l'impression 
très  précise  du  déjà-vu  et  l'angoisse  de  la  paramnésie.  Le  rêve 
s'efface   de   la  mémoire   avec   une   surprenante   rapidité.   Il   est 
fort  probable   que  Mme  T.  n'aurait  plus   connu  le  sien  si,  par 
hasard,  elle  ne  l'avait  pas  raconté  immédiatement  après  le  ré- 
veil. Aucun  souvenir  ne  lui  aurait  plus  permis  de  résoudre  sa 
paramnésie;  et  le  cas  serait  tombé  sous  la  définition  classique. 
Dans  l'examen  de  phénomènes  semblables,  de  grandes  précau- 
tions s'imposent.  Il  ne  s'agit  pas  toujours  du  rythme  de  l'attention 
ou  de  la  diffusion  du  déjà-vu,  légitime  pour  un  détail,  sur  toute 
une  scène  nouvelle.  Ces  explications  traditionnelles  peuvent  be  vé- 
rifier dans  certains  cas.  Mais  au  moins  faudrait-il  y  ajouter,  com- 
me troisième  interprétation  possible,  le  rêve  oublié.  Il  est  impro- 
bable au  dernier  degré  que  la  coïncidence  soit  jamais  complète. 
La  deuxième  interprétation  classique,  celle  qui  admet  la  diffusion 
du  déjà-vu  de  la  partie  sur  le  tout  pourrait  nous  faire  comprendre 

1  Le  vague  insoupçonné  qui  entoure  les  objets  ou  scènes  vus  en  rêve, 
et  qui  disparaît  facilement  dans  le  récit,  résulte  du  fait  suivant.  -  Mme 
T  se  serait  certainement  préparé  un^  nouvelle  «  divination  par  les  songes  >> 
sans  mon  intervention,  peut-être  maladroite.  Elle  me  raconte  que  souvent 
elle  voit  en  rôve  une  église,  toujours  la  même,  qu'elle  appelle  «son» 
église  et  que  jamais  elle  n'a  vue  dans  le  monde  réel.  L'édifice  ui  parait  ms- 
pirer  une  certaine  terreur,  parce  que  tout  autour  sont  rangées  dos  tombes  majes- 
tneuses  et  sinistres.  Elle  m'affirme  de  la  manière  la  plus  positive  qu  elle 
voit  l'église  dans  tous  ses  détails,  comme  si  elle  s'y  trouvait  réellement 
J,.  lui  demande  à  brùle-pour point  où  se  trouvent  les  autels,  ires  surprise 
elle  m'avoue  n'y  avoir  jamais  pensé,  et  ne  pas  le  savoir  par  consequen 
Toute  son  attention  s'est  portée  sur  les  sépultures.  Une  église  catliohque  ou 
les  autels  se  perdent  dans  la  marge  de  la  conscience  ou  peut-être  au  deu, 
'n'est  pas  très  nettement  représentée.  Bien  des  églises  a  tombeaux  multi- 
ples, comme  Santa-Croce  à  Florence,  Saints-Jean  .^t  Paul  a  Venise,  le  dôme 
de  Mayence  et  vingt  autres  pourraient  répondre  au  signalement,  et  donneraient 
toutes  l'impression  du  déjà  vu  ou  du  préini  en  songe.  Supposons  un  sujet 
non  averti,  à  tendances  «  mvstiques  »,  qui.  entrant  enfin  daas  une  église 
à  tombes,  lit  sur  l'une  d'elles  le  nom  d'un  de  ses  parents,  ce  qui  est  partai- 
Irment  possible  dans  un  certain  monde,  —  les  explications  fantaisistes^  du 
songe  iront  leur  train.  11  y  aura  message  d'outre-tombe,  demande  de  prières 
et  le  reste. 


NOTES  747 

la  disparition  des  différences.  ]\Iais  dans  ce  cas,  nous  n'aurions 
plus  qu'une  fausse  paramnésie.  Il  n'y  a  pas  impression  du  nou- 
veau en  face  du  déjà-vu  ;  la  «  reconnaissance  »  peut,  au  contraire, 
être  très  vive.  Il  n'y  a  pas  davantage  impression  du  déjà-vu  en 
face  du  nouveau,  puiscjne  la  scène  ou  l'objet  perçus  ont  été  vrai- 
ment présents  à  la  conscience.  II  y  a  impression  du  déjà-vu  et  faux 
jugement  du  nouveau,  parce  que  le  rêve  ou  la  rêverie  ont  été  ou- 
bliés. 

Le  fait  que  nous  avons  raconté  nous  paraît  imposer  ces  con- 
clusions. Mais,  s'il  en  est  ainsi,  si,  devant  chaque  «  fausse  recon- 
naissance »,  se  pose  la  question,  d'ailleurs  insoluble,  du  rêve 
oublié,  comment  affirmer  l'existence  d'une  seule  paramnésie  du 
type  classique?  L'explication  par  le  rythme  de  l'attention  paraît 
passablement  arbitraire  et  inventée  pour  les  besoins  de  la  cause; 
la  diffusion  subite  du  déjà-vu  de  la  partie  sur  le  tout  est  au 
moins  discutable.  Au  contraire,  nous  connaissons  le  dynamisme 
des  images  latentes,  leur  projection  en  combinaison  nouvelle  dans 
la  conscience  vive  pendant  le  rêve  ou  la  rêverie,  l'effacement 
rapide  de  ces  efflorescences  spontanées  dans  les  conditions  nor- 
males. Qu'en  faut-il  davantage  pour  voir  dans  un  grand  nombre 
de  paramnésies  rapportées  par  les  auteurs,  des  paramnésies 
fausses  ?  —  Il  faut  se  défendre  de  tout  entraînement  à  ce  su- 
jet; mais,  au  moins,  est-il  légitime  de  supposer,  à  titre  provisoire, 
et  sous  réserve  d'observations  ultérieures,  que  les  paramnésies 
classiques  sont  beaucoup  plus  rares  qu'on  ne  semble  l'imaginer. 

Fr.  M.  P.  DE  MuNNYNCK,  0.  p. 

Professeur   à  l'Université    de    Fribuurg   en    Suisse. 
Lugano,  septembre   1908. 

II 

Le  Rationalisme  de  Jean  Scot. 

Quelques  auteurs  parlent  encore  couramment  du  rationalisme 
de  Jean  Scot.  L'appellation  ne  me  paraît  ni  heureuse  ni  juste.  Elle 
crée  une  équivocpie,  puisque  certainement  Jean  Scot  n'est  pas  ra- 
tionaliste au  sens  ordinaire  de  ce  mot.  Il  admet  en  effet  l'auto- 
rité de  l'Écrilure,  et,  s'il  proclame  un  certain  primat  de  la  "aison, 
il  l'entend  d'une  raison  illuminée  par  Dieu. 

En  fait,  Jean  Scot  est  un  mystique  néo-platonicien,  non  un 
rationaliste.  Au  nom  de  l'inspiration  privée,  il  réclame  le  libre 


748         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET  THÉOLOGIQUES 

examen,  mais  il  ne  soutient  pas  l'autonomie  absolue  de  la  raison 
naturelle.  La  preuve  en  serait  facile  à  faire. 

Tel  n'est  pourtant  pas  le  but  de  cette  modeste  note.  Elle  tend 
uniquement  à  montrer  qu'un  des  textes  les  plus  fréquemment  in- 
vocfués  en  faveur  du  rationalisme  de  Jean  Scot  n'a  pas  chez  son 
auteur  la  portée  qu'on  lui  prête. 

Il  s'agil.  du  fameux  passage  du  De  divisione  naturae,  I,  69  (P. 
L.  t.  CXXII,  c.  513)  :  «  Omnis  enim  auctoritas,  quae  vera  ratione 
non  approbatur,  infirma  videtur  esse.  Vera  autem  ratio,  quoniam 
suis  virtutibus  rata  atque  immutabilis  munitur,  nullius  aûctori- 
tatis  astipulatione  roborari  indiget  ».  Évidemment,  si  on  prend  ces 
phrases  détachées  de  leur  contexte,  elles  ont  un  sens  rationaliste 
très  accentué  et  signifient  l'absolue  domination  de  la  raison, 
toute  autorité,  de  quelque  ordre  qu'elle  soit,  lui  étant  inférieure 
et  devant  être  jugée  par  elle. 

i\Iais  si  l'on  place  ce  texte  dans  l'ensemble  du  raisonnement  d'où 
il  a  été  détaché,  il  n'en  va  plus  de  même.  Il  perd  sa  signification 
absolue  pour  ne  garder  qu'un  sens  tout  relatif. 

Jean  Scot,  en  effet,  traite  de  la  connaissance  que  nous  avons  de 
Dieu.  La  source  principale  en  est  la  Sainte  Écriture,  dont  l'au- 
torité est  intangible  :  «  Sacrae  siquidem  Scripturae  in  om- 
nibus sequenda  est  auctoritas  »  (64).  Mais,  pour  condescen- 
dre aux  besoins  des  faibles  et  des  ignorants.  Dieu  s'y  exprime  sou- 
vent en  un  langage  figuré  que  les  savants  doivent  interpréter. 
Comment?  Par  la  raison  dérivée  elle  aussi  de  la  sagesse  divine 
(66).  En  conséquence,  les  noms  appliqués  à  Dieu  ne  doivent  pas 
être  pris  au  pied  de  la  lettre  (67-68).  —  Mais,  demande  le  dis- 
ciple, cette  théorie  ne  peut-elle  être  confirmée  par  l'autorité  des 
Pères  (68)?  Et  le  maître,  c'est-à-dire  Jean  Scot,  de  répondre  que 
seule  la  raison  a  une  valeur  explicative;  l'autorité  (des  Pères)  ne 
vaut  que  ce  que  valent  leurs  raisons.  «  Nil  enim  aliud  mihi  vide- 
tur esse  vera  auctoritas,  nisi  rationis  virtute  reperta  veritas,  et 
a  sanctis  Patribus  ad  posteritatis  utilitatem  literis  commenda- 
ta  »  (69). 

On  peut  donc  bien,  de  ce  texte,  conclure  que  Jean  Scot  donne 
le  pas  à  la  raison  sur  l'autorité  des  Pères  ;  mais  on  n'a  pas  le 
droit  .d'inférer  qu'il  soumet  d'une  façon  absolue  à  cette  même  rai- 
son l'autorité,  comme  telle,  puisqu'il  réserve  la  première  place 
à  l'Écriture. 

Kain.  M.  Jacqtix,  0.  P. 


Bulletin  d'Histoire  de  la  Philosophie 


I 

PHILOSOPHIE  GRECQUE 

Pré-Socratiques.  —  Malgré  ses  promesses,  M.  Diels  n'a  pu  nous 
donner  cette  année  que  la  l'"''  partie  du  second  volume  de  la  réédition 
de  ses  Vorsokratiker  (1),  la  troisième  table  (Wortregister)  n'étant  pas 
encore  terminée.  Elle  paraîtra  en  un  volume  spécial  avec  la  collabora- 
lion  de  M.  W.  Kranz,et  permettra,  ainsi  que  les  deux  autres  (Stellen-und 
Namenregister),  de  se  reporter  à  la  première  comme  à  la  seconde  édi- 
tion. —  On  trouvera  un  compte  rendu  détaillé  du  premier  volume  dans 
VArchiv  fur   Gesch.  der  Phil.  XXI  B.,  H.  3,  avril  1908,  p.  419. 

Le  numéro  précédent  delà  même  revue  (2)  contient  un  essai  ingénieux, 
dû  à  M.  W.  ScHULTZ,  d'expliquer  la  vénération  des  Pythagoriciens  pour 
le  nom  de  leur  maître  et  pour  la  formule  aùrô;  £(pa  par  le  symbolisme 
arithmétique  en  usage  dans  l'École.  ATTOZ  Ê<M  =  100,  le  carré  de 
10,  autrement  dit  la  perfection  absolue.  Le  sens  symbolique  de  IIYQA- 
rOPAZ  est  en  relation  étroite  avec  celui  de  la  TETPAKTT:^ 

A  la  première  période  de  la  philosophie  grecque  nous  pouvons 
rattacher  l'étude  plus  générale  de  M.  Max  Wl'ndt,  Der  Inlellekiualismus 
in  der  griechischen  Ethik  (3).  Bien  que,  en  effet,  elle  s'étende  jusqu'au 
Néo-Platonisme,  la  première  partie  en  est,  semble-t-il,  plus  originale. 
Simple  introduction,  sobre  et  objective,  à  un  ouvrage  plus  étendu,  on 
n'y  trouve  pas  une  critique  bien  approfondie  des  interprétations  adop- 
tées ;  c'est  toutefois  un  assez  bon  recueil  des  textes  les  plus  significatifs 
intéressant  la  question, 

Platon.  —  C'est  toujours  Platon  qui  attire  le  plus  l'attention  des  cri- 
tiques. 

L'important  ouvrage  de  M.  Léon  Robin  :  La  lliéorie  plalonicienne  des 
Idées  el  des  Nombres  d'après  Aristole  (4),  nous  est  présenté  comme  la 
première  partie  d'une  étude  consacrée  à  déterminer  la  signification 
probable  du  système  platonicien,  ou,  plus  exactement,  le  titre  l'in- 
dique, de  ses  deux  théories  fondamentales.  L'originalité  de  cette  étude 
est  avant  tout  dans  sa  méthode.  M.  Robin  croit  en  effet  possible 
de  reconstituer  la  pensée  de  Platon  en  laissant  de  côté  le  texte  des  />««- 
/o/7Mes  et  en  s'attachant,  d'une  manière  exclusive,  à  l'analyse   critique 

1.  Die  Fragmente  der  Vorsohratiker,  2tc  Aufl.,  IJer  B.  Ite  Halfte.  Berlin, 
Weidmann,   1907. 

2.  Archiv,  XIV  B.,  H.  2.  janv.  1908,  p.  240. 

3.  Leipzig.    Engelmanii,    1907;    in-S»,    103    pages. 

4.  Paris,    Alcan.    190S,    1  vol.    iu  8o,    XVII-702   pp. 


750         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

des  philosophes;,  disciples,  interprèles  ou  adversaires  du  Mailre  qui 
forment,  dit-il,  une  véritable  tradition  platonicienne.  Après  seulement 
avoir  rempli  ce  vaste  etpérilleux  programme,  il  se  permettra  d'en  com- 
parer les  résultats  avec  ceux  d'une  interprétation  directe.  Nous  avons, 
dans  ce  premier  volume,  l'application  du  procédé  aux  œuvres  d'Âristote. 
L'auteur  ne  se  dissimule  pas  ce  qu'il  va  de  bizarre  à  préférer  ainsi  à  un 
document  de  premier  ordre  des  témoignages  de  bien  moindre  valeur  ; 
il  sait  aussi  toutes  les  difficultés  auxquelles  il  s'expose.  Mais  —  ce  qui 
est  bien  étrange  —  il  les  croit  inférieures  aux  inconvénients  d'une  exé- 
gèse immédiate  (p.  3).  Â  vrai  dire,  le  seul  avantage  un  peu  réel,  mais 
négatif,  de  cette  méthode,  est  de  parer  dans  une  certaine  mesure  aux 
erreurs  d'interprétation  suggérées  par  la  philosophie  et  les  tendances 
d'espi'it  modernes  (p.  5).  Encore  est-il  que  l'intluence  de  ces  mêmes 
préjugés  peut  se  faire  sentir  aussi  bien  dans  la  critique  des  auteurs 
pris  pour  guides,  surtout  lorsque  l'on  a  déjà,  par  ailleurs,  une  connais- 
sance approfondie  du  texte  lui-même.  Il  faut  reconnaître  cependant  que 
les  limites  du  sujet  étudié  rendaient  la  tâche  plus  facile  et  à  la  fois  plus 
intéressante,  puisque  les  Dialogues  nous  font  à  peine  entrevoir  ce  qu'é- 
tait la  théorie  platonicienne  des  nombres. 

La  tlièse  de  M.  Robin  se  divise  en  trois  livres  :  L  La  théorie  des 
Idées  ;  II.  La  théorie  platonicienne  des  Nombres  et  des  Figures  ; 
III.  Les  Principes.  Les  2  premiers  comprennent,  l'un  trois  parties  : 
1.  La  nature  et  le  mode  d'existence  des  Idées.  2.  La  causalité  de  l'Idée. 
3.  L'étendue  du  monde  des  Idées  ;  —  l'autre  deux  :  1,  Les  choses 
mathématiques.  !2  Les  Nombres  idéaux  et  les  Grandeurs  idéales.  Dans 
chacune  de  ces  parties  et  dans  le  3^  livre,  l'auteur  donne  l'exposition 
dWristole,  puis  les  objections,  dont  il  examine  ensuite  la  portée  afin  de 
déterminer  les  déformations  qu'elles  font  subir  à  la  pensée  de  Platon. 
Il  termine  en  réunissant,  sous  forme  de  conclusion,  les  principaux 
résultats  obtenus. 

Voici  le  résumé  de  ce  dernier  chapitre  : 

«  La  doctrine  des  Nombres  idéaux  et  des  Figures  idéales  se  lie  de  la 
façon  la  plus  étroite  à  la  pure  théorie  des  Idées.  Elle  ne  s'y  juxtapose 
pas  simplement,  elle  en  continue  l'évolution  naturelle  dans  la  pensée  du 
philosophe,  elle  l'achève,  elle  en  comble  les  lacunes  et  elle  répond  à 
des  nécessités  auxquelles  la  théorie  des  Idées  n'avait  pu  satisfaire.  Les 
Nombre^  idéaux  sont  au-dessus  des  Idées  :  ce  sont  les  modèles  des 
Idées,  non  pas  sans  doute  au  sens  ou  celles-ci  sont  les  types  spéci- 
fiques des  réalités  sensibles,  mais  en  tant  que  types  de  l'organisation 
interne  de  chaque  Idée,  ainsi  que  d'un  monde  d'Idées.  »  (pp.  585,  586.) 

A  cette  fonction  suffit  la  série  décadique.  Celle-ci  «  peut  se  constituer 
assez  clairement  et  se  déduire  de  ses  principes,  l'Un  et  la  Dyade  du 
Grand  et  du  Petit.  La  Dyade  est  une  puissance  inerte  d'accroissement 
et  de  décroissement  à  laquelle  l'Un  donne  la  vie  et  dont  il  équilibre  ou 
limite  les  mouvements  de  progression  et  de  régression  jusqu'à  l'achè- 
vement naturel  de  la  série  par  la  réalisation  complète  de  tous  les 
moments  que  comporte  son  développement  rationnel  à  partir  des  prin- 
cipes. »  (p.  586.) 

Les  Figures  viennent  immédiatement  au-dessous  des  Nombres  idéaux. 


BULLETIN    D'iIISTOirxE    DE    LA    PHILOSOPHIE  7ol 

Elles  n'ont  rien  de  spatial  :  substances  qualitativement  déterminées  et 
indivisibles,  leurs  principes  sont  une  modification  des  principes  pri- 
mitifs, due  k  la  formation  même  des  Nombres  idéaux,  à  savoir  la  Direc- 
tion pure  el  l'Intervalle  (/oîoa).  Les  Figures  idéales  sont  antérieures  aux 
Idées,  «  car,  si  les  Idées  sont  des  relations  déterminées  et  supposent  des 
types  universels  de  la  Relation,  elles  sont  aussi  des  types  spécifiques 
de  la  Qualité.  Il  faut  donc  des  modèles  particuliers  de  l'organisation 
des  qualités  comme  telles.  Or,  les  qualités  des  corps  élémentaires  sont 
réductibles  à  des  relations  géométriques,  celles  des  surfaces.  Par  con- 
séquent, il  n'est  pas  surprenant  que,  au-dessus  des  Idées,  mais  au- 
dessous  des  nombres,  Platon  ait  voulu  admettre  des  Grandeurs  idéales 
qui  fussent  par  rapport  aux  Idées  ce  que  sont  les  Grandeurs  géomé- 
triques par  rapport  aux  corps,  les  types  de  l'arrangement  des  Qualités.  » 

«  Comme  on  le  voit,  cette  conception  de  la  théorie  des  Nombres 
idéaux  et  des  Grandeurs  idéales  ne  fait  pas  disparaître  du  Platonisme 
la  théorie  des  Idées.  Donc,  quand  nous  disons  qu'il  y  a  un  Platonisme 
de  la  dernière  période,  que  les  dialogues  nous  laissent  en  partie  ignorer 
et  qu'Aristote  nous  fait  connaître,  ce  n'est  pas  du  tout  au  sens  où  l'ont 
entendu  quelques  auteurs.  L'étude  attentive  et  impartiale  de  l'exposi- 
tion et  de  la  polémique  d'Aristole  conduit,  d'une  façon  nécessaire,  à 
condamner  toutes  ces  interprétations  qui,  suivant  l'ingénieuse  expres- 
sion de  Th.  Gomperz,  tendent  à  «  volatiliser  »  la  théorie  des  Idées.  « 
(p.  588.) — «L'Idée  est  une  sorte  de  mixte,  où,  selon  les  Nombres, 
s'unissent  la  Limite  et  l'Illimité...  Les  Idées  forment  une  hiérarchie,  et 
le  monde  des  Idées  est  un  autre  mixte,  composé  de  relations  analogues 
entre  elles,  dont  l'ordre  est  déterminé.  »  (p.  590.) 

Le  rôle  assigné  aux  Nombres  idéaux  peut  jeter  quelque  lumière  sur 
la  théorie  de  la  Participation.  Il  y  a,  en  efTet,  entre  les  choses  et  les 
Idées,  une  relation  analogue  à  celle  qui  unit  les  Idées  aux  Nombres  : 
«  le  rapport  du  Sensible  à  l'Idée  répète,  dans  un  état  de  dépendance  et 
de  complication  plus  grandes,  le  rapport  de  l'Idée  aux  Nombres  idéaux.» 
(p.  o9l.) 

Mais  la  dépendance  du  Sensible  vis-à-vis  de  l'Idée  n'est  pas  immé- 
diate ;  entre  eux  il  y  a  plusieurs  intermédiaires.  Ce  sont  d'abord  les 
nombres  arithmétiques  et  les  figures  géométriques,  puis  l'Ame  du 
monde  avec  sa  double  fonction  motrice  et  cognitive,  enfin  le  corps 
géométrique  auquel  elle  s'unit  pour  former  un  Vivant  intermédiaire, 
modelé  sur  le  Vivant  en  soi. 

Dans  toute  cette  organisation  de  l'univers  les  Principes  sont  partout 
les  mêmes,  au  moins  par  analogie.  «  Il  y  a  deux  principes  universels 
qui  suffisent  à  expliquer  tout  ce  qui  est,  l'Un,  principe  formel,  et  la 
Dyade  de  l'Infini,  ou  Dyade  du  Grand  et  Petit,  principe  matériel.  » 
(p.  595.)  «  Mais  la  matière  à  informer  ne  peut  pas  demeurer  immua- 
blement pareille  à  elle-même,  car,  à  chaque  application  de  la  Forme, 
elle  perd  quelque  chose  de  son  indétermin.ition  primitive.  D'autre  p;iif. 
la  Forme,  sous  l'aspect  qu'elle  revêt  dans  l'Un,  serait  trop  simple  pour 
déterminer  immédiatement  la  confusion  du  Sensible  :  il  faut  donc  i\[\';\ 
chaque  Iransform.ition  de  la  malièr-e  corresponde  aussi  une  parlicula- 
risalion  de  la  Forme.  Les  principes    se  particularisent  donc  de    plus   en 


7o2         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

plus  à  mesure  que  nous  descendons  vers  la  particularité  infinie  de 
l'univers  sensible.  En  somme,  conclut  l'auteur,  ce  qui  se  dégagerait  de 
ces  considérations,  c'est,  sije  ne  craignais  d'employer  prématurément 
ce  terme  de  la  langue  néoplatonicienne,  l'idée  d'une  «procession  »  de 
l'Être...  Comme...  les  principes  sont  conçus  de  telle  sorte  que  l'un  agit 
sur  l'autre  et  développe,  en  les  réglant,  les  puissances  qu'enveloppe  ce 
dernier,  chacune  de  ces  dégradations  se  présente  sous  l'aspect  d'une 
génération...  L'Un  est  donc  vraiment  créateur  et  producteur,  et  le  nom 
de  Démiurge  s'impose  à  notre  esprit  en  ce  qui  le  concerne.  »  (pp.  597-598). 

La  reconstitution  hardie  el  très  cohérente,  tentée  par  M.  Robin,  est 
basée  sur  une  exégèse  serrée  et  pénétrante  et  sur  une  documentation 
des  plus  étendues.  On  peut  se  demander  toutefois  s'il  est  toujours 
équitable  envers  Aristote  et  dans  quelle  mesure  il  a  le  droit  d'inter- 
préter Platon  d'une  manière  plus  favorable  par  les  survivances  qu'il 
croit  retrouver  chez  son  disciple.  Il  est  aussi  visible  qu'il  se  laisse 
souvent  dominer  au  cours  de  ses  discussions  par  la  systématisation  néo- 
platonicienne à  laquelle  il  aboutit  de  fait;  ces  défauts,  en  partie  inévitables, 
n'enlèvent  rien  d'ailleurs  aux  mérites  fonciers  de  l'ouvrage  qu'il  faut 
chercher  avant  tout  dans  l'exposé  des  témoignages  directs  et  de  la  polé- 
mique d'Aristote. 

Dans  sa  thèse  complémentaire,  M.  Robin  étudie  La  théorie  platoni- 
cienne de  Vumoiiv  (1).  Il  l'envisage  en  elle-même,  indépendamment  de 
ses  origines  et  de  ses  relations  avec  les  doctrines  et  les  mœurs  contem- 
poraines, telle  qu'elle  se  trouve  exposée  dans  le  Lysias,  le  Banquet  et  le 
P/ièrfre.  Après  une  analyse  de  ces  trois  dialogues,  qui  est  un  modèle  de 
précision  et  d'exactitude,  il  se  pose  la  question  de  leurs  rapports  chro- 
nologiques. La  partie  la  plus  intéressante  de  la  discussion  concerne  la 
date  du  Phèdre.  11  serait  postérieur  non  seulement  au  Banquet,  au 
Fhrdon  et  à  la  /{épuhUque,  mais  encore  au  Timée.  De  cette  innovation 
lauteurdonne  trois  raisons  principalesqui  paraîtront  peu  convaincantes  : 
la  parenté  du  Phèdre  avec  les  dialogues  dialectiques,  les  variations 
louchant,  et  la  doctrine  de  la  tripartilion  de  lànie,  et  les  preuves  de 
l'immortalité.  Les  nombreux  rapprochements  signalés  aussi  dans  ce  but 
entre  le  Phèdre  et  le  Timèe  auraient  gagné  à  être  plus  dégagés  de 
l'interprétation  de  la  pensée  platonicienne. 

Celle-ci  repose  sur  la  mise  en  valeur  de  la  nature  synthétique  et 
intermédiaire  de  l'amour  L'amour  unit  entre  elles  les  qualités  opposées: 
le  mal  au  bien,  la  privation  à  la  richesse,  l'ignorance  à  la  science. 
L'amour,  dit  Platon,  est  un  grand  démon,  «  or,  la  fonction  des  démons 
est  d'être  les  intermédiaires  entre  les  immortels  et  les  mortels,  d'unir 
l'une  à  l'autre  les  deux  sphères,  de  remplir  l'intervalle  qui  les  sépare, 
de  donner  à  l'Univers  l'unité  et  la  liaison  ».  (p.  130.)  M.  Robin  tient 
beaucoup  à  cette  définition  des  démons:  aussi  tout  être  intermédiaire 
est-il  pour  lui  démoniaque  :  Socrate,  comme  Diotime,  comme  aussi 
l'âme  humaine.  «  Tenant  à  l'immortel  par  son  origine,  au  mortel  par 
sa  chute,  elle  peut  s'élever  au-dessus  de  la  vie  terrestre  et  se  rapprocher, 
par  la  réminiscence,  de  son  divin  séjour.  Elle  effectue  donc,  comme 

1.  Paris,   Alcan,    in-8o,    229    pages. 


BULLETIN    D'htSTOIPxE    DE    LA    PHILOSOPHIE  753 

un  démon,  la  liaison  du  sensible  et  de  rintelligible  ».  (p    14!).)  Aussi 
Tamour  est-il  l'acte  essentiel  de  l'âme. 

Cette  conception  se  vérifie  en  ce  que  chacune  des  fonctions  de  rame 
est  liée  à  l'amour.  L'amour  est  en  effet  principe  de  la  vertu,  et  de  la 
connaissance  du  vrai,  et  par  suite  du  mouvement,  si  par  mouvement  on 
entend  l'ascension  régulière  vers  les  Idées. 

Nous  ne  pouvons  entrer  dans  le  détail  de  l'exposition  savante,  ingé- 
nieuse —  mais  parfois  forcée  et  confuse  —  de  l'auteur.  L'impression 
qui  s'en  dégage  est  celle  d'une  interprétation  trop  métaphysique  et  trop 
systématisée.  Platon,  dans  sa  théorie  de  l'amour,  demeure,  à  notre 
avis,  bien  plus  psychologue  :  les  liens  qu'il  établit  entre  elle  et  sa  théorie 
des  Idées  ou  sa  morale,  sont  plus  accidentels  et  moins  définis. 

C'est  peut-être  le  défaut  contraire  que  l'on  serait  tenté  de  reprocher  à 
l'étude  de  Mary  Haï  Wood  sur  la  psychologie  platonicienne  (1).  Beaucoup 
de  textes  et  de  références  y  sont  donnés,  mais  sans  ordre  et  surtout  sans 
aucune  considération  de  chronologie. 

Le  travail  qui,  sans  doute,  contribue  le  plus,  parmi  ceux  que  nous 
analysons,  à  mieux  faire  pénétrer  le  sens  de  la  philosopliie  platoni- 
cienne^ est  dû  à  M.  Brocuard  (2)  C'est  le  dernier,  nous  dit-on,  que  l'émi- 
nent  et  regretté  critique  ait  composé.  Il  traite  de  la  théorie  de  la  parti- 
cipation telle  qu'on  peut  la  dégager  de  l'analyse  du  Parménide  et  du 
Sophiste.  D'une  manière  plus  précise,  il  a  pour  but  de  <*;  montrer 
comment  le  Parménide  prépare  l'établissement  définitif  de  la  théorie  de 
la  participation  et  comment  il  se  complète  par  le  Sophiste,  où  se  trouve 
la  solution  de  toutes  les  difficultés  qu'il  soulève  ». 

La  seconde  partie  du  Parménide  est  un  jeu,  un  exercice  dialectique, 
mais  elle  est  autre  chose  encore.  Platon  a  une  arrière -pensée. 
Comme  celui  de  Zenon  d'Élée,  qui  est  rappelé  non  sans  intention  au 
début,  le  jeu  qu'il  joue  est  sérieux  ;  il  doit  dissimuler  une  attaque 
contre  certains  adversaires.  Au  fond  ce  n'est  qu'une  «  nouvelle  objec- 
tion contre  la  théorie  des  Idées,  la  plus  formidable  de  toutes,  qui 
s'ajoute  à  toutes  les  précédentes  (celles  de  la  première  partie)  et  les  com- 
plète «,  —  M.  Brochard  analyse  avec  finesse  les  divers  motifs  qui 
pouvaient  engager  Platon  à  choisir  une  tactique  aussi  déconcertante. 
Puis  il  rappelle  les  objections  de  la  première  partie,  en  comptant  parmi 
elles,  —  peut-être  à  tort  —  l'espèce  de  défi  lancé  à  Zenon  par  Socrale 
(129  A),  défi  qui  a  traita  la  participation  des  Idées  entre  elles,  et  dont, 
en  toute  hypothèse,  M.  Brochard  fait,  avec  raison,  ressortir  l'impor- 
tance et  le  lien  étroit  avec  la  deuxième  partie.  Aucune  de  ces  objections, 
remarque-t-il  encore,  n'est  considérée  comme  insoluble. 

Quant  à  la  dialectique  de  Parménide,  elle  utilise  la  méthode  même  de 
Zenon.  Et  voici  les  hypothèses  examinées  :  «  Si  l'Un  est,  qu'en  résulte- 
t-il  :  1°  pour  lui-même;  2°  pour  les  autres  choses?  si  l'Un  n'est  pas, 
qu'en  résulte-t-il  :   3''  pour  lui-même  ;  \°  pour  les  autres  choses?  Mais 


1.  Plafo's  PsycJwlogi/  in  Us  Bearing  on  the  Development  of  Will.  —  Mind. 
1908,   janv.   p.   48,   avril,   p.   193. 

2.  Tm    Théorie   platonicienne   de   la    partir! paiion   d'après   le   «.  Parménide  » 
et  le  «  Sopliiste  ».   —   Année  phil.   1907.  —  Paris,   Alcaii,    1908;  p.   1. 


751         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

cliacune  de  ces  quatre  hypothèses  est  examinée  elle-même  à  un  double 
point  de  vue;  il  y  a  ainsi  huit  hypothèses  au  lieu  de  quatre  qui  sont 
successivement  examinées  ». 

Ce  double  point  de  vue  n'est  autre  que  celui  de  la  participation  de 
l'un  à  l'être,  comme  il  est  indiqué  au  déhut  de  la  deuxième  hypothèse. 
(142  B-14i  C).  De  telle  sorte  que,  en  définitive,  l'objection  que  développe 
Parménide  porte  directement  contre  la  participation.  «Ce  qui  fait  le 
nerf  de  l'argumentation,  c'est  cette  vérité  découverte  par  Platon  que 
l'un  (et  sans  doute  il  en  serait  de  même  pour  toute  autre  idée)  peut,  tout 
en  existant,  ne  pas  participer  à  l'être,  ou  du  moins,  ce  qui  revient  au 
même,  ne  pas  être  considéré  comme  y  participant  ;  inversement  l'un, 
tout  en  n'existant  pas,  peut  participer  à  l'être  si  on  donne  au  mot  «un  » 
un  sens  déterminé,  si  on  distingue  cette  idée  de  toutes  les  autres.  Par 
suite,  l'argumentation  de  F^arménide  peut  se  résumer  ainsi  :  si  l'un  est 
et  qu'il  participe  à  l'être,  on  peut  allirmer  de  lui  et  des  autres  choses 
tous  les  contraires  ;  s'il  est  sans  participer  à  l'être,  on  ne  peut  rien  allirmer 
ni  de  lui  ni  des  autres  choses  :  en  d'autres  termes,  posez  la  participation 
d'une  idée  quelconque  à  l'être  et  tout  est  vrai,  niez  cette  participation  et 
rien  n'est  vrai.  La  participation,  de  quelque  manière  qu'on  l'entende, 
est  donc  tout  à  fait  impossible,  et  avec  elle  s'écroule  la  théorie  des 
idées.  » 

[.a  réponse  à  celte  difficulté  est  déjà  signalée  dans  la  cinquième  et  la 
septième  hypothèses  où  Platon  attribue  au  non-être  une  certaine  parti- 
cipation à  l'être  (p.  13).  Mais  elle  est  présentée  avec  tout  son  dévelop- 
pement dans  le  Sophiste.  «  Entre  les  deux  termes  de  l'alternative  posée 
par  Parménide,  on  peut  [tout'  affirmer  de  tout  et  on  ne  peut  rien 
affirmer  de  rien,  ou  encore  tout  est  vrai,  et  rien  n'est  vrai,  il  y  a  un 
moyen  terme  qui  est  de  dire:  il  y  a  des  idées  qu'on  peut  affirmer  les 
unes  des  autres,  et  d'autres  qui  ne  peuvent  se  combiner  entre  elles. 
Pour  justifier  l'alternative,  il  faut  prouver  que  l'être  peut  participer  au 
non-être,  et  le  non-être  à  l'être  »  ...puis  «  établir  que  toutes  les  idées 
ne  participent  pas  indistinctement  les  unes  aux  autres,  mais  que  leur 
liaison  est  soumise  à  certaines  lois  ou  à  certaines  règles  qui  ne  relèvent 
pas  du  raisonnement  seul  et  que  peut  seule  atteindre  une  science  royale 
ou  divine  :  la  dialectique,  »  (p.  17). 

M.  Brochard  justifie  ensuite  son  interprétation  du  Soph.  en  ce  sens. 
De  son  exposé  notons  seulement  la  preuve,  décisive  semble-t-il,  qu'il 
donne  de  l'équivalence  du  Travrî/w;  ov  (248  E)  avec  les  expressions  dési- 
gnant, au  même  endroit,  l'ensemble  du  monde  (1). 

«  La  doctrine  que  soutient  ici  l'auteur  du /S'o/j/(!s/e,  en  conclut-il,  n'im- 
plique donc  à  aucun  degré  l'abandon  de  la  théorie  des  idées,  ni  même 
une  modification  à  cette  théorie  Les  idées  prises  en  elles-mêmes  sont 
toujours  ce  qu'elles  sont  dans  tous  les  dialogues,  séparées  et  immuables, 
mais  elle  peuvent  aussi,  sous  un  autre  point  de  vue,  se  rapprocher  et  se 
mêler.  »  (p.  26).  —  Mais,  il  est  bon  de  le  remarquer,  cela  même  est  une 
innovation  qui  compte.  Platon  ne  parlait  pas  ainsi  dans  le  Phédon  lors- 

1.  Cf.  Brochard.  La  morale  de  Flaton.  An.  phil.  1905,  p.  30,  note. 
Comp.  RoDiER.  L'évolution  de  la  dialectique  de  Flaton,  ibid.,  p.  64,  et 
An.  phil.,  1907,  p.  43. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  755 

qu'il  affirmait  l'identité  absolue  et  l'indivisibilité  des  Idées  par  oppo- 
sition à  la  diversité  et  à  la  multiplicité  des  choses.  M.  Brocliard  laisse  un 
peu  trop  dans  lombre  la  nouveauté  du  point  de  vue.  C'est  du  reste  à 
peu  près  la  seule  réserve  que  l'on  puisse  faire,  croyons-nous,  à  l'ensemble 
de  sa  pénétrante  étude. 

La  thèse  opposée  à  celle  que  soutient  M.  Brochard  vient  pourtant  dètre 
reprise  d'une  manière  assez  originale  dans  un  petit  livre  qui  est  un 
recueil  d'essais  sur  les  derniers  dialogues  et  s'intitule  :  Six  Essays  on 
Ihe  Plalonk  Theorxj  of  Knowledge  (1).  Voici  le  titre  de  chacun  d'eux  : 
I.  The  Search  for  Knowledge  ;  II.  The  Analogy  of  Ihe  Arts  and  ils 
Application  in  the  Foliticus  and  Philebus  ;  III.  The  World-process 
of  tke  Timaeus  ;  IV.  The  Jdeas  r/s 'ArjiQtj.ol  ;  V.  The  Pijlhagorean'kgi^- 
u-ol  and  their  Relation  lo  Ihe  Platonic  Ideas  :  IV.  The  Arislotelian  Cri- 
tique of  the  Ideas  and  Numbers  of  Plato. 

L'auteur,  Marie  V.  Williams,  nous  confie,  dans  la  préface,  appartenir 
à  l'école  qui  voit  dans  les  derniers  dialogues  (Parni.,  Théét.,  Soph.,  Polit, 
PhiL,  Tim.)  une  élaboration  plus  parfaite,  de  la  théorie  des  idées.  xMais 
celle-ci  est  conçue  et  prouvée  de  façon  assez  neuve.  On  remarquera  dans 
les  essais  I  et  II  quelques  points  de  contact  avec  l'argumentation  de  M. 
Brochard. 

1.  —  Dans  la  première  partie  du  Parménide,  les  deux  premiers 
arguments  portent  directement,  non  pas  contre  l'existence  des  Idées, 
mais  contre  leur  nature  telle  que  la  comprennent  le  Phédon  et  la  Répu- 
blique ;  d'une  manière  plus  précise  ils  attaquent  la  thèse  de  la  Parti- 
cipation et  de  ses  conséquences  au  sujet  de  l'attribution.  Nous  y  trou- 
vons de  plus  une  hésitation  prononcée  à  admettre  des  Idées  de  toutes 
choses  en  même  temps  qu'une  tendance  à  les  distinguer  en  classes  dilfé- 
rentes.  Quanta  la  seconde  partie  du  dialogue,  elle  est  autre  chose  qu'un 
exercice  logique  ;  son  rapport  étroit  avec  la  première  est  indéniable. 
Les  conclusions  à  retenir  de  la  discussion  des  huit  hypothèses  sont  les 
suivantes  :  l'Un  —  ou  l'Idée  suprême,  ou  par  suite  le  Bien  —  ne  peut  être 
connu  que  mis  en  relation  avec  les  autres  Idées  ou  avec  les  choses 
sensibles,  et  inversement  (2®  et  3^  hyp.)  ;  la  participation  entre  les 
Idées  est  possible  puisqu'elle  est  nécessaire  à  la  connaissance  de  l'Un  ; 
pour  connaître  une  Idée,  quelque  simple  soit-elle,  il  devient  inévitable 
de  lui  attribuer  un  prédicat  numérique  ou  relatif. 

Par  une  autre  voie  le  Théétète  arrive  aussi  à  rejeter  les  conceptions 
de  Phàd.  et  Rép.,  et  il  nous  apporte  des  précisions  nouvelles  11  faut 
attribuer  à  Platon  lui-même  l'explication  donnée  de  la  sensation  182  A, 
B  ;  dès  lors  les  qualités  sensibles  n'ont  plus  rien  d'absolu  ni  de  fixe,  il 
n'est  plus  besoin  d'Idées  pour  en  rendre  compte.  De  plus  la  perception 
exige  l'intervention  de  l'intelligence  qui  compare  les  données  sensibles 
et  juge  de  leurs  rapports  avec  certains  prédicats  généraux.  Ceux-ci,  déjà 
annoncés  da.ns  Parm.,  paraissent  donc  bien  indispensables  à  la  connais- 
sance et  parties  intégrantes  du  mécanisme  psychologique. 

La  solution  du  problème  de  la  prédication  se  trouve  dans  l'analyse 
des  cinq  genres  du  Sophiste.  Il  y  est  affirmé  que  la  prédication  est  pos- 

1.  Cambridge,    Univcrsity    Press.    l'JOS,    in-12.,    VII-133   pages. 


7^)6         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

sible  puisque,  sans  elle,  il  n'y  aurait  plus  de  philosophie.  Par  suite,  la 
communication  des  genres  s'impose.  Une  même  réalité  j)eut  recevoir 
des  attributs  variés  et  avoir  diverses  relations  même  opposées.  Suit  alors 
la  distinction  des  cinq  genres.  Platon  les  nomme  bien  £^)/î,  mais  rien 
n'indique  qu'ils  soient  des  Idées  séparées,  transcendantes,  objets  directs 
de  la  connaissance  ;  ce  sont  plutôt  des  instruments  de  la  science.  — 
Les  sections  suivantes  (247  E)  sont  encore  plus  significatives.  L'objet 
connu  doit  être  vivant  et  animé,  autrement  dit  être  un  aspect  de  l'âme. 
La  plus  haute  réalité  est  de  même  nature  que  l'esprit;  ce  qui  n'exclut 
pas  de  l'ovro);  ov  la  permanence  et  la  stabilité. 

II.  —  Le  second  essai  continue  l'analyse  de  cette  évolution  de  la 
théorie  des  Idées  par  l'étude  des  genres  du  PhiU-be.  Ceux-ci  nous  per- 
suadent que  désormais  il  n'y  a  d'Idées  que  des  mixtes,  c'est-à-dire  des 
substances  naturelles.  Le  seul  fait  que  les  qualités  sensibles,  les  relations 
mathématiques,  l'esprit  et  ses  activités  scientifique  et  artistique  sont  en 
dehors  du  fxérptov  suffit  à  l'établir.  Quant  aux  concepts  moraux  et  esthé- 
tiques, ils  font  partie  de  la  ,aîrpy;-r/./î  dont  la  fonction  est  de  comparer 
les  choses  avec  leur  modèle. 

m.  —  La  pensée  définitive  de  Platon  nous  est  révélée  par  le  Timôe. 
Dans  le  démiurge,  qui  est  à  la  fois  cause  efficiente  et  modèle  de  l'univers, 
il  faut  voir  l'Ame  du  monde.  Celle-ci  est  donc  à  tous  points  de  vue  l'Être 
suprême.  Elle  est  dite  composée  de  sensible  et  d'intelligible  et  suivant 
des  proportions  mathématiques,  parce  que  ce  sont  là  ses  objets  de  con- 
naissance, de  Même  et  d'Autre,  parce  que  ces  deux  prédicats  lui  sont 
nécessaires  en  tous  ses  jugements  ;  de  même  ceux-ci  entrent  dans  la 
composition  du  monde  et  des  Idées  en  tant  que  éternellement  l'âme  les 
leur  attribue  dans  sa  connaissance.  Comme  le  Sophiste  l'indiquait  déjà, 
les  Idées  ne  sont  que  des  aspects  de  l'âme  universelle. 

IV.  —  La  seconde  partie  du  'Jlnu-c  confirme  la  première  et  retrouve 
par  l'examen  du  détail  de  l'univers  la  souveraineté  absolue  du  voj;. 
En  effet  par  Vvnodoyji  il  faut  entendre  l'espace  idéal  et  par  les  dd-n 
qui  la  déterminent,  les  lois  mathématiques,  qui  sont  évidemment  subjec- 
tives par  rapport  à  notre  esprit,  sans  être,  il  est  vrai,  comme  les  Idées 
supérieures,  des  aspects  de  l'Ame  du  monde. 

Dans  le  V'' et  le  YP  Essai,  sur  lesquels  il  n'est  pas  utile. d'insister, 
M.  V.  Williams  montre  la  supériorité  des  Idées-nombres  de  Platon  sur 
la  tiiéorie  pythagoricienne  et  examine  brièvement  les  témoignages 
d'Aristote. 

M.  RoDiEK  étudie,  dans  r.l«»''e  philosophique  (1),  les  Preuves  de  l'im- 
mortaiilt-  d'après  le  Phédon.  «  Contrairement  à  l'opinion  à  peu  près  uni- 
versellement admise  »,  il  pense  «  que  ce  n'est  pas  le  dernier  de  ses  ar- 
guments, mais  le  troisième,  qui  constitue  pour  Platon  la  preuve  capi- 
tale ».  Pour  l'établir,  M.  Rodier  analyse  chacun  d'entre  eux  et  montre 
ses  rapports  avec  les  autres.  Le  premier  argument  ne  prouve  la  préexis- 
tence des  âmes  dans  l'Hadès  que  si  l'on  suppose  «  que  l'âme  est  une 
substance  distincte  du  corps,  c'est-à-dire,  pour  Platon,  une  Idée  ou 
quelque  chose  d'analogue  ».    Le  second  argument  suppose,  lui  aussi, 

1.  18e  an.   1907,   p.  37. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  757 

mais  explicitement  la  théorie  des  Idées.  11  est  donné  comme  complément 
du  premier,  sans  que  toutefois  Platon  ait  considéré  leur  ensemble  com- 
me concluant,  «  Pour  parfaii-e  la  preuve,  il  reste  à  établir  que  l'âme 
qui,  dans  une  existence  antérieure,  a  connu  les  choses  intelligibles,  est 
de  la  même  nature  qu'elles  et,  par  suite,  comme  elles,  simple  et  incor- 
porelle. Tel  est  l'objet  du  troisième  argument.  »  Le  Phédon  ne  suffit  pas 
à  nous  faire  constater  l'identité  de  nature  entre  l'âme  et  l'Idée.  Aussi 
M.  Rodier  a-t-il  recours  —  et  c'est  le  point  faible  de  sa  thèse  —  à 
divers  passages  de  dialogues  postérieurs,  dont  le  sens  est  par  ailleurs 
discuté  (1)  :  Soph.  248  E  ;  Timée  34  C  ss.  —  Il  le  confirme  par  quelques 
témoignages  d'Aristole  et  combat  avec  vigueur,  sinon  avec  succès,  les 
objections  qu'on  pourrait  lui  faire. 

Le  quatrième  argument  n'est  valable  «  que  si  l'âme  n'est  pas  un  at- 
tribut d'un  sujet,  si  elle  est  une  chose  en  soi,  quoique  non  sensible,  c'est- 
à-dire  si  elle  est  une  Idée.  Comme  les  deux  premiers,  le  quatrième  argu- 
ment suppose  donc  le  troisième  ».  Voici  en  conséquence  comment  s'en- 
chaînent les  quatre  preuves  :  «  1°  L'Idée  suppose  une  âme  qui  soit  le 
sujet  dont  elle  est  l'objet.  Cette  âme  ne  doit  donc  avoir  aucun  autre 
contenu  que  l'Idée.  Elle  doit  être  simple,  c'est-à-dire  sans  parties,  com- 
me l'Idée,  et,  par  conséquent,  éternelle  ;  2"  c'est  parce  qu'elle  est  Idée 
que  l'âme  ne  peut,  comme  les  choses  sensibles,  devenir  le  contraire  de 
ce  qui  constitue  son  essence,  c'est-à-dire  recevoir  la  mort  ;  3°  la  réminis- 
cence prouve  une  connaissance  des  Idées  antérieure  à  la  connaissance 
sensible  ;  mais  ce  qui  connaît  l'Idée  est  Idée.  Ce  n'est  donc  pas  le  corps 
qui  préexiste  ;  4°  L'âme  étant  une  Idée,  c'est-à-dire  une  chose  en  soi, 
n'est  pas  un  simple  attribut  ;  elle  est  au  contraire  la  substance,  le  sujet 
dans  lequel  se  succèdent,  sans  qu-e  son  essence  soit  modifiée,  les  deux 
accidents  opposés  :  vie  dans  le  corps  et  vie  incorporelle  ». 

Au  point  de  vue  de  Platon,  l'immortalité  de  la  raison  (p.  46)  est  donc 
valablement  démontrée. 

C'est  aussi  ce  que  pense  M.  E.  Prlm  (2)  mais  seulement  de  la  4"'' 
preuve  et  pour  les  motifs  allégués  d'ordinaire.  Son  article  porte  d'ailleurs 
sur  le  sens  général  du  Pliédon,  en  ce  qui  touche  à  la  destinée  de  l'homme, 
du  philosophe  en  particulier,  malheureux  dans  le  monde  des  sens  où  il 
vit  en  étranger,  heureux  dans  la  mesure  où  il  sait  s'en  abstraire. — 
L'une  des  raisons  psychologiques  de  cette  doctrine  est  peut-être  donnée 
par  M.  A.  H.  Lloyd  (3)  lorsqu'il  note  le  pessimisme  que  durent  excitei- 
en  Platon  les  commencements  de  la  décadence  athénienne  et  la  mort  de 
Socrate. 

Signalons  encore  sur  Platon  les  travaux  suivants,  de  moindre  impor- 
tance: M.  Schiller  (4)  croit  pouvoir  inférer  de  ce  que  l'argumentation 

1.  Cf.  Rodier.  Sur  l'évolution  de  la  dialectique  de  Platon.  Année  philos. 
1905,  pp.  51  et  61  ss.  ;  Les  mathém.  et  la  dialect.  dans  la  doctrine  de  Flalon, 
Archiv.  f.  Gesch.  der  Phil.  t.  XV,  pp.  179  ss. 

2.  Dcr  Fhaidon  ûbcr  Wesen  te.  BeMimmung  des  Mcnschen.  Arcli.  f.  Gesch. 
der  Phil,  XXI  B.,  H.   1,  10  oct.   1907,  p.  30. 

3.  The  PhUosophy  of  Plato  as  a  Méditation  on  Dcath.  —  Harvard  theo- 
logical  Review,  juillet,   p.   325. 

4.  Plato    or    Protagoras  :    heing  a  critical   Examination    of    the   Protagoras 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences  —  No  4.  4  9 


758         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

du  Théétèle  (166  A-168  C)  n'a  pas  été  réfutée  par  Platon,  quelle  est  réelle- 
ment de  Protagoras.  —  M.  G.  Bury  (1)  répond  à  une  observation  in- 
exacte du  Pr.  Billia  sur  son  interprétation  dePIùL  15  A,  B.  —  A.  Ritter 
VON  Kleemakn  (2)  estime  que  le  Ménon  est  postérieur  non  seulement  au 
Gorgias,  mais  encore  au  Banquet.  J'ai  essayé  de  montrer,  dans  cette 
lievue  (3),  que  son  opinion  était  loin  de  s'imposer.  —  M.  Ernst  Bickel 
consacre  un  article,  dans  VArchiv  (4),  à  la  prière  du  Phi-dre  279  B  dans 
ses  rapports  avec  la  philosophie  de  Platon  et  les  habitudes  religieuses 
de  l'Académie.  —  Dans  la  deuxième  partie  de  son  étude  intéressante  et 
suffisamment  informée  sur  V Éducation  d'après  Platon  (5),  M.  G.  Dantu 
traite  en  passant  les  questions  toujours  discutées  de  la  divinité  platoni- 
cienne (ch.  III)  et  de  la  nature  des  Idées  (ch.  Y).  Sur  ces  deux  points  il 
adopte,  sans  arguments  bien  nouveaux,  les  solutions  traditionnelles. 

Aristote.  —  M.  Adolf  Lasson  vient  de  faire  paraître  une  nouvelle 
traduction  allemande  de  la  Métaphysique  (6).  Son  but  est  moins  d'arri- 
ver à  une  parfaite  exactitude  que  de  rendre  intelligible  la  pensée 
d'Âristote.  Il  suit  le  texte  de  W.  Christ  (Lipsiae,  Teubner,  1895)  et 
ordonne  ainsi  les  livres  :  a,  A,  B,  I,  E —  0,  A,  I,  K,  M,  N,  A. 

Cette  question  de  l'ordonnance  de  la  Métaphysique  est  étudiée  pour 
elle-même  par  M.  A.  Goedeckemeyf.r  (7).  Yoici  ses  conclusions  :  Il  faut 
retrancher  A  et  K  8,  lÛ65a27-12,  1069  a  14.  Les  autres  livres  appar- 
tiennent à  deux  rédactions  différentes:  I..-  A  7,  988  b  20-fin  ;  Kl — 8, 
106.^  a  26  ;  A.  II.  :  A  1-7,988  b  19  ;  «  ;  B  ;  I  ;  E-I  ;  M  ;  N. 

M.  A.  E.  Taylor  traduit  en  anglais  le  premier  Livre  de  la  Métaphy- 
sique (8),  en  vue  d'étudier  ce  que  nous  dit  Aristote  de  ses  prédécesseurs. 
C'est  l'objet  de  Tinlroduction.  M.  W-.  D.  Ross  donne  un  compte  rendu 
autorisé  et  détaillé  de  cet  ouvrage  dans  le  Mind,  janv.  1908. 

Une  édition  critique  et  une  version  anglaise  du  neol  Wv/fa  viennent 
d'être  publiées  par  M.  D.  Hicks  (9).  L'auteur  a  tenu  compte  de  tous  les 
travaux  antérieurs,  y  compris  celui  de  M.  Rodier,  avec  lequel  il  est 
parfois  en  désaccord.  L'appareil  critique  est,  avec  quelques  modifica- 
tions, celui  de   Biehl.   La  première   partie    de    llnlroduction    résume* 

Speech  in  the  «  Theacfetiis  »  u-ith  somc  Bcmarks  npon  Error.  By  F.  C.  S. 
Schiller,  M.  A.,  D.   S.   Oxford,   Blackwell,   1908. 

1.  Archiv.  f.  Gesch.  der  Fini.   XXI   B.,   H.   1,  oct.   1907,  p.   108. 

2.  Platonischc   Untcrsuchmigen.   II.   Menon,   ibid,   p.   60. 

3.  Avril  1908,  p.  308. 

4.  XXI  B.,  H.  4,  juillet  1908,  p.  535. 

5.  Paris,  Alcan,  in-8o,  XXI-229  pages. 

6.  Âristoteles'  Metaphysik,  in  s  deutsche  iibertragen.  —  lena,  Diederichs, 
1907;   inSo,  XV-319  pages. 

7.  Arch.  f.  Gesch.  d.  Fhd.  XXI  B.,  H.  1,  oct.  1907;  cf.  ibid.,  XX  B.,  H. 
4,  juillet  1907. 

8.  Ârisiotle  on  his  Predeccssors,  hcing  thc  First  Boni:  of  hls  Metnphysics. 
Transtdted  with  Introduction  and  Note>i.  Chicago,  the  Open  Court  Publishing 
Co.,    1907;    160   pages. 

9.  Aristotte  de  Anima.  With  Translation,  Introduction  and  Notfs,  by  R. 
D.  IIiCKS,  M.  A.,  Fellow  and  late  Lecturer  of  Trinity  Collège;  Cambridge, 
University  Pre«s.   1907;   LXXXIII-(326   pages. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  759 

l'histoire  de  la  psycliologie,depuis  les  peuples  primitifs  jusqu'à  Aristote, 
et  analyse  le  mpl  ^Vvyviç,  ;  la  seconde  partie  traite  des  manuscrits:  Les 
notes,  rejelées  à  la  fin  du  volume,  discutent  les  passages  controversés 
et  justifient  les  interprétations  de  l'auteur. 

Un  très  bon  exposé  de  la  théorie  aristotélicienne  de  la  connaissance 
se  trouve  dans  l'ouvrage  de  M.  S.  Aicher  :  Kants  Begriff  der  Erkennluis 
verglichen  mit  dem  des  Aristoteles{l).  Le  point  de  vue  d' Aristote  est  bien 
compris  et  impartialement  jugé.  Il  eût  été  plus  exact  cependant  de 
ramener  l'opposition  matière  et  forme  à  l'opposition  fondamentale 
puissance  et  acte,  là  où  il  est  question  des  rapports  de  l'intelligence  à 
son  objet. 

Les  Stoïciens.  —  Tandis  que  Platon  et  Aristote  s'efforçaient  de 
trouver  le  principe  des  choses  en  des  êtres  intellectuels,  les  Stoïciens 
et  les  Épicuriens  n'admettent  d'autre  réalité  que  celle  des  corps. 
Comment  expliquer  ce  changement  radical  de  point  de  vue  ?  L'un  des 
moyens  pour  y  parvenir,  a  pensé  avec  raison  M.  Emile  Bréhier(2), 
serait  d'étudier  la  place  que  conserve  chez  les  Stoïciens  l'idée  de 
l'Incorporel. 

Le  mot  lui-même  qui  se  rencontre  occasionnellement  dans  les  œuvres 
de  Platon  et  d'Aristote  et  dont  peut-être  Antisthènes  se  servit  le 
premier,  fut  sans  doute  introduit  dans  lé  langage  courant  de  la  philo- 
sophie par  les  Stoïciens  eux-mêmes.  Ils  s'en  servaient  pour  désigner 
r«  exprimable  >>  (As^rov),  le  vide,  le  lieu,  le  temps,  réalités  d'un  ordre 
à  part,  qui  s'imposaient  à  eux,  sans  qu'ils  puissent  leur  appliquer  la 
définition  du  corps. 

Quel  sens  exact  donnaient-ils  donc  à  ce  terme  et  quel  usage 
précis  en  faisaient-ils?  M.  Bréhier  essaie  de  le  déterminer  en  traitant 
d'abord:  I.  De  V Incorporel  en  général  ;  puis  en  examinant  :  II.  L'Incor- 
porel dans  la  logique  et  la  théorie  des  Exprimables  ;  III.  Théorie  du  Lieu 
et  du  Vide;  IV.   Théorie  du  Temps. 

I.  —  Platon  et  Aristote  demandaient  à  la  science  de  leur  faire 
connaître  ce  qui  dans  les  êtres  est  stable,  nécessaire  et  universel;  ils 
trouvaient  l'explication  des  choses  en  des  concepts  définis,  limités, 
dominant  une  infinité  d'individus  semblables.  Le  point  de  vue  des 
Stoïciens  est  au  contraire  individualiste;  ils  s'intéressent  à  l'unité  intime 
de  l'évolution  personnelle  de  chaque  être.  La  cause  que  la  science  doit 
révéler  est  une  force  interne,  vivante,  qui  commande  et  dirige  le  déve- 
loppement de  l'individu,  «  plus  semblable,  suivant  une  comparaison 
d'ilamelin,  à  ïessenlia  parlicularis  affirîuativade  Spinoza  qnàVidée  plato- 
nicienne. »  Leur  matérialisme  est  donc  tout  à  fait  dynamiste.  Si  l'Incor- 
porel ne  peut  être  cause  et  à  ce  titre  n'existe  pas,  c'est  que  la  cause 
doit  être  de  même  substance  que  son  effet  et  une  comme  lui.  «  Le  nomi- 
nalisme  des  Stoïciens  se  trouve  être  moins  un  postulat  de  la  logique 
qu'un  résultat  de  la  physique.» 

1.  Berlin,  Reuther  et  Reichard,  1907;  in  S'>  XII-137  pages.  Gekroiite  Preis- 
schrift. 

2.  La  théorie  des  Incorporels  dans  l'Ancien  Stoïcisme.  Paris,  Picard,  PJU7  ; 
in-8'\   63   pages. 


760         REVUE   DES  SCIENCES   PHILOSOPHIQUES  ET    THÉOLOGIQUES 

Cependant  l'Incorporel  a  une  certaine  réalité  comme  effet.  Il  n'est 
autre  que  la  modification  qui  lient  à  l'action  réciproque  des  corps.  Celle- 
ci  en  effet  n'est  ni  qualité,  ni  propriété,  mais  seulement  attribut 
(•/.aryiyooy,aa).  L'attribut  est  une  manière  d'être,  «  en  quelque  sorte  à  la 
limite  et  à  la  superficie  de  l'être»,  dont  il  ne  peut  changer  la  nature. 
«  Ces  résultats  de  l'action  des  êtres,  que  les  Stoïciens  ont  été  peut-être 
les  premiers  à  remarquer  sous  cette  forme,  c'est  ce  que  nous  appelle- 
rions aujourd'hui  des  faits  ou  des  événements  :  concept  bâtard  qui  n'est 
ni  celui  d'un  être,  ni  d'une  de  ses  propriétés,  mais  ce  qui  est  dit  ou 
affirmé  de  l'être.» 

II.  —  L'attribut  physique,  à  cause  de  son  irréalité,  coïncide  avec 
l'attribut  logique.  C'est  lui  qui  forme  l'essentiel  de  r«  exprimable»  du 
\iY..-ôv.  «  L'exprimable  n'est  donc  pas  toute  espèce  de  représentation 
rationnelle,  mais  uniquement  celle  du  fait  et  de  l'événement.  » 

A  l'aide  de  cette  notion  de  l'exprimable  incorporel,  M,  Bréhier  inter- 
prète quelques  points  de  la  logique  stoïcienne,  sur  lesquels  nous  ne 
pouvons  insister.  On  rapprochera  avec  intérêt  ses  conclusions  des  vues 
assez  différentes  de  Brochard(l;  et  de  Hamelin  (2). 

III.  —  Sur  la  nature  du  lieu,  les  Stoïciens  se  rallient  à  la  troisième 
des  quatre  hypothèses  émises  par  Âristote  (Phys.  iv,  4,  G);  ils  identi- 
fient le  lieu  «  avec  l'intervalle  entre  les  extrémités  du  corps  en  tant  que 
cet  intervalle  est  plein.  »  Ils  ne  pouvaient  admettre  la  définition  d'Aris- 
tote  à  cause  de  leur  théorie  sur  le  continu,  et  ils  répondaient  à  ses 
objections  contre  la  3""*  hypothèse  par  leur  thèse  delà  pénétrabilité  des 
corps.  Le  lieu  est  au  nombre  des  Incorporels,  comme  le  /îx.ro'v.  Il  ne  fait 
pas  partie  des  principes  du  corps.  On  peut  le  comparer  à  la  conception 
kantienne  de  l'espace. 

Le  vide  ne  peut  exister  à  l'intérieur  du  monde,  mais  il  se  trouve  en 
dehors  de  ses  limites,  pour  permettre  la  dilatation  causée  par  la  confla- 
gration universelle.  Malgré  leur  notion  d'Incorporel,  les  stoïciens 
n'arrivent  pas  à  éviter  la  difficulté  de  cette  théorie. 

IV.  —  Ils  sont  moins  unanimes  sur  la  défintiion  du  temps  ;  mais  il 
est  certain  qu'ils  furent  amenés  à  accentuer  son  irréalité.  «Le  temps 
apparaît  chez  eux  pour  la  première  fois  comme  une  forme  yide  dans 
laquelle  les  événements  se  suivent,  mais  suivant  des  lois  dans  lesquelles 
il  n'a  aucune  part.  » 

Dans  sa  conclusion  l'auteur  fait  ressortir  l'originalité  de  cette  théorie 
des  Incorporels  et  l'influence  que  devait  avoir  la  scission  qu'elle  opère 
entre  la  pensée  rationnelle  et  logique,  dont  les  Incorporels  sont  l'unique 
objet  et  la  «  représentation  compréhensive  »  qui  seule  atteint  le  réel. 

L'étude  de  M.  Bréhier,  très  neuve  dans  son  ensemble,  est  menée  avec 
beaucoup  de  méthode  et  fait  preuve  d'un  sens  critique  pénétrant  et 
dénué  de  parti  pris,  dans  l'interprétation  de  textes  la  plupart  du  temps 
incomplets  et  obscurs. 


1.  Archiv.  fiir  Gesch.  der  Philos.,  t.   V,  p.  449. 

2.  Année   philos.,   (1901),   p.    13. 


BULLETIN    d'histoire    DE    L.\    PHILOSOPHIE  761 

Philon.  —  Des  qualités  analogues  se  retrouvent  dans  la  thèse  du 
même  auteur  sur  Philon(l). 

Elle  est,  au  dire  de  M.  Wendland  (2),  non  seulement  le  meilleur 
ouvrage  français  sur  la  matière,  mais  d'une  manière  générale,  nous 
fait  pénétrer  plus  que  tout  autre  exposé  moderne  l'organisation  intime 
des  idées  philoniennes,  leur  genèse  et  leurs  rapports  de  dépendance 
avec  la  civilisation  du  temps.  C'est  bien  là,  en  effet,  le  mérite  principal 
de  cette  étude  très  documentée  et  compréhensive. 

M.  Bréhier  la  divise  en  3  livres  :  I.  Le  Judaïsme,  où.  il  nous  fait  con- 
naître ce  que  Philon  pensait  du  peuple  juif  et  de  la  loi  juive,  puis  d'où  lui 
venait  et  comment  il  comprenait  la  méthode  allégorique.  II.  Dieu,  les 
Intermédiaires  et  le  Monde.  III.  Le  culte  spirituel  et  le  progrès  moral. 

Voici,  parmi  les  conclusions  de  l'auteur,  celles  qui  intéressent  le  plus 
l'histoire  de  la  philosophie  : 

«  L'idée  dominante  (de  Philon)  est  celle  des  rapports  de  l'âme  à  Dieu. 
Ces  rapports  ne  font  pas  l'objet  d'une  théorie  philosophique  à  concepts 
limités  et  définis;  ils  sont  l'expression  même  de  l'expérience  intime  de 
l'auteur.  Une  telle  expérience  ne  trouve  pas  d'analogue  dans  la  pensée 
grecque  ;  elle  n'est  ni  la  «  contemplation  »  d'Aristote,  cette  connaissance 
dans  laquelle  l'être  devient  aussi  transparent  à  la  pensée  qu'une  essence 
mathématique,  ni  la  «  représentation  compréhensive  »  des  stoïciens  par 
laquelle  l'âme  prend  possession  de  son  objet...  La  foi  en  Dieu  résulte 
pour  l'âme  de  la  reconnaissance  de  son  propre  néant  et  du  néant  des 
choses  extérieures  ;  c'est  par  le  vif  sentiment  de  l'incertitude  de  la  con- 
naissance et  de  l'insécurité  de  l'action  que  l'âme  arrive  à  comprendre 
Dieu.  La  connaissance  qu'elle  a  de  Dieu  est  moins  une  connaissance 
réfléchie  qu'un  acte  d'humilité.  »  (p.  311). 

«  Un  Dieu  ainsi  conçu  sera  nécessairement  source  de  toute  certitude 
à  son  égard;  c'est  par  lui  seul  qu'on  peut  le  connaître.  Il  s'ensuit  que 
la  seule  science  qui  compte,  celle  de  Dieu  ou  du  bien,  sera  révéla- 
tion... »  (p.  312.) 

«  C'est  cette  conception  d'une  révélation  rationnelle  qui  permet  à 
Philon  de  recevoir  dans  le  Judaïsme  toute  la  philosophie  grecque.  Mais 
en  même  temps  elle  l'altère  profondément,  et  dans  son  essence  même.» 
(p.  31-4). 

«  L'objet  de  la  philosophie  grecque,  depuis  les  physiciens  jusqu'aux 
stoïciens,  est  de  déterminer  les  principes  des  êtres,  tels  qu'ils  sont... 
L'objet  de  la  philosophie  est  pour  Philon  moins  de  connaître  que  de 
rapporter  à  Dieu,  avec  un  culte  intérieur,  l'origine  de  nos  connaissances, 
ou  plutôt  ce  rapport  est  le  seul  moyen  de  la  connaissance  stable  et 
certaine...  La  révélation  qui  était  un  moyen  devient  un  but.  La  connais- 
sance des  êtres  devient  la  «  gnose  »  au  sens  que  le  mot  devait  avoir  un 
peu  plus  tard.  »  (p.  313). 

«  Mais  si  la  connaissance  se  complaît  et  se  termine...  à  la  révélation 
de  l'être   suprême,   on   verra  dans  le  rapport  personnel  contenu  dans 


1.  Les    Idées    'philosophiques    et    religieuses    de    FJiilon    d' Alexandrie.    Paris, 
Picard,    1908;    in-8o    XIV-336    pages. 

2.  Theoloyische  Literaturzritntig,   n"    16,    l^i"   août    1908 


76'2         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

cette  révélation,  la  raison  morne  et  l'essence  de  tous  les  êtres;  que  sont, 
en  efîet,  les  intermédiaires  chez  Philon,  sinon  les  instruments  de  la 
révélation  en  même  temps  que  les  causes  et  les  principes  des  êtres?... 
Le  seul  principe  d'existence  est  le  rapport  à  Dieu,  non  pas  conçu  comme 
un  rapport  physique,  mais  comme  amour,  culte  et  connaissance  inspirés 
par  Dieu...  L'idée  centrale  de  toute  la  métaphysique  philonienne  est  de 
substituer  comme  raison  explicative,  le  rapport  moral  des  êtres  à  Dieu 
(inspiration,  révélation)  à  un  rapport  physique  ou  mathématique. 

»  De  ce  point  de  vue,  on  comprendra  l'attitude  de  Philon  par  rapport 
à  la  philosophie  grecque.  Le  platonisme  est  pour  lui  particulièrement 
important  ;  mais  il  n'en  recueillera  pas  tout,  ni  même  le  principal.  Il  y 
voit  avant  tout  le  démiurge  du  Timée  qui  crée  le  monde  par  un  acte  de 
bonté,  l'amour  intermédiaire  entre  l'homme  et  le  bien,  et  le  monde 
intelligible  ;  ce  monde  n'est  pour  lui  cependant  un  principe  d'explication 
du  monde  que  dans  la  mesure  où  il  est  le  séjour  des  prophètes  et  des 
inspirés  qui  y  vivent  d'une  vie  éternelle,  séparés  du  corps.  Il  ne  reçoit 
donc  du  platonisme  que  ce  qui  implique  un  rapport  moral  entre  Dieu 
et  l'âme  humaine. 

«  On  chercherait  vainement  à  expliquer  par  le  Judaïsme  de  Philon 
une  pareille  transformation  de  l'esprit  grec.  Les  causes  en  doivent 
plutôt  être  cherchées  dans  le  milieu  alexandrin.  C'est  là,  sous  des 
influences  multiples  et  obscures,  que  s'est  accomplie  celte  fusion  entre 
philosophie  et  révélation  d'où  est  sorti  le  philonisme.  Là  s'est  créée  la 
théologie  des  intermédiaires.  Dans  cette  élaboration,  le  stoïcisme  a  joué 
le  premier  rôle.  Elle  a  consisté  surtout  à  introduire  une  difTérenciation 
entre  les  principes  que  les  stoïciens  réunissaient  en  leur  unique 
divinité,  identique  à  l'âme  du  monde  »...  (p.  316.) 

«  Philon  n'a  pas  pris  comme  point  de  départ  la  philosophie  grecque, 
mais  cette  théologie  alexandrine  qui  devait  produire  les  systèmes 
gnostiques  et  la  littérature  hermétique.  C'est  là,  et  non  chez  les  pro- 
phètes juifs,  qu'il  a  pris  l'idée  de  la  parole  divine  et  de  la  révélation. 
Peut-être  seulement,  sous  l'influence  juive,  a-t-il  introduit  dans  ce  mys- 
ticisme un  sens  humain  et  pratique.  Sa  conception  du  Dieu  suprême, 
toujours  plus  élevé  que  l'âme  qui  veut  l'atteindre  et  échappant  sans 
cesse  à  ses  prises,  reste  bien  celle  du  Dieu  juif  qui,  suivant  le  prophète 
Isaïe,  n'est  semblable  à  aucun  être.  Elle  introduit  dans  la  vie  humaine 
un  principe  d'activité  morale,  une  recherche  sans  fin  d'un  objet  toujours 
désiré  qui  manque  au  mysticisme  alexandrin  des  livres  hermétiques»... 
(pp.  316,  317.) 

M.  Bréhier  fait  précéder  son  exposition  d'une  notice  sur  les  manus- 
crits et  les  éditions  de  Philon  et  d'une  bibliographie  très  complète. 

Plotin.  —  Comme  «ous  l'apprend  déjà  la  dédicace  de  son  livre  (1), 
c'est  du  point  de  vue  de  Hartmann  que  M.  Arthur  Drews  se  propose 
d'étudier  Plotin  et  de  montrer  son  importance  dans  l'histoire  de  la 
philosophie.  De  ce  point  de  vue  Plotin,  par  rapport  aux  anciens,  tient  la 


1.  Plotin   und   dcr   Untergnng   der   antikcn   WeUansc^iauunT.    E.    Diodoriclis. 
Icna,   in-So   XII-33'J   pages.    Dem   Andenkeii   Ed.    V.    Harlmanns   gowidmet. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA.    PHILOSOPHIE  763 

première  place  ;  il  est  au-dessus  de  Platon  et  d'Aristote.  Par  rapport  aux 
modernes,  il  a  le  grand  mérite  d'être  un  précurseur  de  la  philosophie 
de  l'Inconscient. 

Pour  établir  sa  thèse,  M.  A.  Drews  expose  d'abord,  dans  une  intro- 
duction, le  développement  de  la  philosophie  ancienne  avant  Plotin, 
«  L'histoire  de  la  philosophie  est  l'histoire  de  l'effort  de  la  raison 
humaine  pour  atleindre  au  vrai  concept  de  l'Esprit.  »  Les  Grecs  ont  eu 
la  pénible  tâche  de  commencer  cette  lutte  sans  savoir  où  et  comment 
elle  devait  aboutir.  Les  premiers  d'entre  eux,  de  Thaïes  à  Ânaxagore, 
incapables  de  s'isoler  de  l'univers  et  hypnotisés  par  l'objectivité  du 
monde  sensible,  l'identifièrent  dans  sa  réalité  matérielle  avec  la  pensée. 
La  contradiction  intime  de  ce  monisme  primitif  provoque  la  dialectique 
de  Zenon  et  le  scepticisme  des  Sophistes.  Ceux-ci  révélèrent  alors  la 
subjectivité  de  l'Esprit.  Mais  ils  conservèrent  au  fond  la  méthode  empi- 
rique du  naturalisme  et  ne  purent  sortir  des  fantaisies  du  moi  indivi- 
duel. A  Socrate  était  réservé  de  découvrir  les  ressources  profondes  du 
subjectivisme,  en  donnant  pour  guide  à  l'Esprit  le  concept.  C'était,  du 
même  coup,  remplacer  par  l'objectivisme  de  l'Esprit,  et  à  l'intérieur 
même  du  snjet,  l'objectivisme  naïf  des  sens.  Platon  donne  à  l'objecti- 
visme de  l'Esprit  un  fondement  solide  dans  sa  thèse  des  Idées.  De  fait  il 
identifie  par  là  l'être  et  la  pensée,  puisque  le  concept  est  la  réalité 
même.  Cependant  il  ne  sait  pas  expliquer  de  quelle  manière  l'Idée  est 
principe  de  la  nature  et  parvient  à  s'unir  à  elle,  ni  comment  le  concept 
psychologique,  abstrait  de  l'expérience,  peut  être  identique  au  concept 
métaphysique.  Aristote  s'est  efforcé  de  résoudre  ces  deux  problèmes  ; 
mais  par  sa  doctrine  de  la  matière  et  de  la  forme,  il  revient  au  mo- 
nisme matérialiste,  la  Forme  étant  pensée,  et  s'unissant  à  la  matière. 
Il  retarde  ainsi  le  progrès  de  la  philosophie,  bien  loin  d'y  concourir 
comme  on  le  croit  généralement.  De  même,  à  plus  forte  raison,  les 
Stoïciens  et  les  Épicuriens,  avec  leur  sensualisme,  —  jusqu'à  ce  que 
les  Sceptiques  viennent  le  bouleverser  et  l'anéantir  pour  remettre  les 
choses  au  point  où  elles  étaient  au  temps  des  Sophistes.  C'est  là  que 
Plotin  les  retrouvera. 

M.  Drews  termine  son  introduction  par  une  esquisse  du  développe- 
ment de  la  pensée  religieuse  dont  l'influence  se  retrouve  chez  les  Néo- 
Platoniciens;  puis  il  consacre  la  1™  partie  de  son  ouvrage  à  décrire  la 
vie  intellectuelle  à  Alexandrie,  à  rappeler  brièvement  la  vie  de  Plotin, 
enfin  à  apprécier  son  caractère  et  son  talent  de  philosophe  et 
d'écrivain. 

La  2'"®  partie  reprend  alors  l'exposé  de  la  doctrine  de  Plotin,  sous 
deux  rubriques  générales  :  A.  Der  induktive  Aufslieg  der  Ploïinischen 
Weltansdinuiing;  B.  Der  deduklive  Abstieg  der  Ploïinischen  Wellanschau- 
nng.  M.  Drews  s'y  inspire  des  travaux  de  Kirchner,  de  liichter  et  de 
Zeiler.  Je  me  contenterai  de  noter  ce  qui  achève  de  caractériser  son 
point  de  vue  spécial. 

Toute  la  philosophie  de  Plotin  est  une  réponse  à  celte  question-: 
comment  doit  être  conçu  le  Réel  pour  que  la  connaissance  soit  possible, 
en  dépit  des  objections  du  scepticisme?  Comme  Platon  pour  qui  se 
posait  un  problème  analogue,  Plotin  affirme  d'abord  la  souveraineté  de 


764         BEVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

la  raison  comme  moyen  de  connaissance.  Mais  toute  connaissance  est 
i-elative,  disaient  les  Sceptiques  ;  c'est  donc  que  l'objet  lui-même  est 
relatif,  est  lui-même  Pensée.  Comment  du  reste  serait-il  connu  s'il 
n'était  pas  spirituel,  s'il  ne  s'identifiait  pas  avec  l'Esprit  ?  Mais  toute 
connaissance  suppose  une  connexion  intime,  des  rapports  étroits 
entre  les  concepts  ;  c'est  donc  que  ceux-ci  ont  entre  eux  des  relations 
vivantes,  ils  dépendent  les  uns  des  autres,  ils  sont  génétiquement 
hiérarchisés  ;  c'est  donc  en  définitive  que,  au-dessus  d'eux,  supérieur 
à  la  pensée  et  à  l'être,  se  trouve  l'Absolu,  source  dernière  de  toute 
réalité.  Supérieur  à  la  pensée,  l'Absolu  ne  peut  être  connu,  mais  on 
s'unit  à  lui  par  un  contact  mystique,  immédiat. 

D'oîi  l'on  voit  que  le  problème  fondamental  est  pour  Plotin  celui  de 
l'Absolu,  de  la  Substance. 

Et  c'est  là  aussi,  bien  entendu,  que  M.  Drews,  d'une  manière  assez 
compliquée  et  obscure,  retrouve  le  germe  de  la  philosophie  de 
Hartmann. 

La  3™«  partie,  assez  courte,  traite  de  l'école  de  Plotin.  Puis  l'auteur 
conclut  par  des  considérations  générales  de  même  esprit  que  les  précé- 
dentes. 

Kain.  M.-D.  Roland-Gosselin,  0.  P. 


II 

PHILOSOPHIE  MÉDIÉVALE. 

I.  —  Monographies  de  doctrines. 

Les  universaux.  —  Parmi  tous  les  problèmes  que  soulève  l'étude  de 
a  philosophie  médiévale,  le  plus  célèbre  est,  sans  contredit,  le  problème 
des  universaux.  lît  pourtant,  malgré  les  nombreux  travaux  qu'il  suscita, 
on  n'est  pas  arrivé  encore  à  une  solution  nette  ;  des  divergences  sub- 
sistent dans  l'interprétation  des  doctrines  et  la  classification  des  sys- 
tèmes. 

Le  D""  J.  Reiners  vient  de  reprendre  à  nouveau  cette  question  (1).  Il 
limite  son  travail  dans  la  présente  brochure  à  l'étude  du  réalisme  aris- 
totélicien au  début  de  la  scolastique;  Parmi  les  tenants  de  cette  doctrine 
il  mentionne  Jepa,  un  Pseudo-Raban  datant  selon  lui  de  la  première 
moitié  du  XI*  siècle,  tandis  que  Prantl  le  croyait  du  IX^,  Adélard  de 
Balh,  Gautier  de  Mortagne,  Gauslenus  de  Soissons,  Gilbert  de  la  Porrée. 

Ces  divers  auteurs  concordent  en  un  point  :  l'universel  et  le  singulier 
ont  le  même  sujet.  Ils  auraient  emprunté  cette  idée  à  un  texte,  mal  com- 
pris d'ailleurs,  du  commentaire  de  Boëce  sur  YJsagoge  de  Porphyre, 
donnant  ainsi,  dans  leurs  considérations,  la  prédominance  à  l'aspect 
métaphysique  du  problème,  au  détriment  du  point  de  vue  logique. 


1.  Der  aristotelische  Realismiis  in  der  Fruhscholastik.  Ein  Beitrag  zur 
Genrhichtc  der  Uuiver.<<alirnfrage  im  Miftrlalfr.r.  Aachon,  Isn.  Schwoitzcr, 
1907;  iu-S",  60  p. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  765 

L'idée  reste  identique  mémo  lorsqu'elle  aboutit  à  la  théorie  des 
«  états  >)  (Gautier  de  Mortagne)  :  une  réalité  concrète  est  individu,  espèce 
ou  genre,  suivant  les  états  dans  lesquels  on  la  considère.  L'idée  est  la 
même  encore  dans  la  théorie  de  «  l'indifTérence  »,  très  voisine  de  la  pré- 
cédente ;  la  même  enfin  dans  la  théorie  de  la  «  collection  »  (Gauslenus) 
qui  voit  l'universel,  non  plus  dans  les  singuliers,  mais  dans  leur  collec- 
tivité concrète. 

Il  y  a  dans  l'élude  du  D^  Reiners  de  la  finesse  d'analyse  et  des  obser- 
vations heureuses.  Pourtant  n'exagère-t-il  pas  l'absence  de  toule  consi- 
dération logique  chez  les  auteurs  du  XI1%  et  partant  ne  creuse-t-il  pas 
lui-même  l'abîme  qu'il  veut  faire  voir  entre  eux  et  les  réalistes  modérés 
du  XI IL  siècle? 

L'amour.  —  «  Ce  qu'on  appelle  ici  le  «  problème  de  l'amour  »  pour- 
rait, en  termes  abstraits,  se  formuler  ainsi  :  Un  amour  qui  ne  soit  pas 
égoïste  est-il  possible?  Et,  s'il  est  possible,  quel  est  le  rapport  de  ce 
pur  amour  d'autrui  à  l'amour  de  soi,  qui  semble  être  le  fond  de  toutes 
It^s  tendances  naturelles?  »  —  C'est  ainsi  que  M.  ï".  Rousselot  présente 
le   sujet  dont  il  traite  dans  sa  thèse  complémentaire  (1). 

Au  moyen  âge  le  problème  de  l'amour  se  posait  principalement  sous 
la  forme  suivante  :  Utrum  homo  naturaliler  diligat  Deum  plus  quam 
semelipsum  ?  Si  tous  les  auteurs  admettaient  que  Dieu  seul  béatifie  plei- 
nement l'homme,  si  tous  encore  étaient  d'avis,  suivant  en  cela  la  tradi- 
tion, qu'il  faut  aimer  Dieu  pour  lui-même,  il  y  avait  cependant  entre 
eux  des  divergences  dans  la  solution  du  problème.  Deux  grandes  con- 
ceptions se  partageaient  les  esprits  :  la  conception  phijslque  et  la  con- 
ception exlatique. 

La  première  désigne  «  la  doctrine  de  ceux  qui  fondent  tous  les  amours, 
réels  ou  possibles,  sur  la  nécessaire  propension  qu'ont  les  êtres  de  la 
nature  à  rechercher  leur  propre  bien.  Pour  ces  auteurs,  il  y  a  entre 
l'amour  de  Dieu  et  l'amour  de  soi  une  identité  foncière,  quoique  secrète, 
qui  en  fait  la  double  expression  d'un  même  appétit,  le  plus  profond  et 
le  plus  naturel  de  tous,  ou  pour  mieux  dire  le  seul  naturel.  »  Cette 
manière  de  voir,  qil'on  pourrait  appeler  gréco-thomiste,  avait  été  ébau- 
chée par  Hugues  de  S*- Victor  dans  le  De  sacramentis  et  par  S.  Bernard 
dans  son  De  diligendo  Deo,  mais  elle  fut  précisée  et  systématisée  par 
S.  Thomas. 

C'est  à  exposer  la  doctrine  de  ce  dernier  et  à  rechercher  ses  sources 
que  s'attache  particulièrement  M.  Rousselot.  Dans  une  première  partie, 
il  met  en  relief  les  trois  théories  qui  la  fondent  :  celle  du  tout  et  de  la 
partie,  empruntée  à  Aristote  ;  celle  de  l'appétit  universel  de  Dieu,  d'ori- 
gine néo-platonicienne  ;  celle  enfin  de  l'identification  du  bien  des  esprits 
avec  le  bien  en  soi  qui  a  des  bases  dans  l'aristotélisnie. 


1.  Four  l'histoire  du  Problème  de  l'amour  au  moyen  âge.  (Beitràge  zur 
Geschickte  der  Philosophie  des  Mittelalters.  Texte  und  Untersachungen,  hrsg. 
von  Dr  C.  Baeumker  und  Dr  G.  von  Hertling,  B.  \'l,  h.  (!),  Munster, 
Aschendorf,  1908;  in-S",  VIII-104  pages.  —  La  thèse  principale  de  M.  Rous- 
selot a  pour  sujet  l'Intellectualisme  de  S.  Thomas.  Comme  elle  est  construc- 
live  autant  qu'historiq^ie,  il  en  sera  rendu  compte  ailleurs. 


766         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

«  La  conception  extatique  est  plus  difficile  à  définir  avec  précision 
que  la  conception  physique,  parce  qu'elle  n'est  jamais  arrivée  à  se  cons- 
tituer en  un  ensemble  complet  de  doctrine.  A  vrai  dire,  on  peut  douter 
qu'elle  en  fût  capable,  et  si  la  pousser  à  bout  ce  n'est  pas  la  vider  de 
toute  intelligibilité...  C'est  une  «  mentalité  »  plutôt  qu'une  -(  théorie.  » 
Pourtant  elle  a  le  droit  de  rentrer  dans  l'histoire  de  la  pensée  médiévale, 
car  on  retrouve  en  elle  l'origine  des  doctrines  nettement  classées  et 
définies. 

«  La';:conception  extatique  de  l'amour  a  été  exposée  avec  infiniment 
d'art,  de  ferveur  et  de  subtilité  par  quelques-uns  de  ces  mystiques  éper- 
dument  dialecticiens  qui  sont  les  figures  les  plus  originales  du  XIP 
siècle  ;  on  la  rencontre  à  Saint-Victor,  dans  l'ordre  deCîteaux,  dans  l'école 
d'Abélard,  et  les  traces  en  sont  reconnaissables  dans  la  scolastique  des 
Franciscains.  » 

Voici  les  caractères  qui  la  distinguent.  D'abord,  la  dualité  de  l'aimant 
et  de  l'aimé.  Tandis  que  dans  la  conception  physique  l'unité  est  la  raison 
d'être,  l'idéal  et  la  fin  de  l'amour,  ici  la  pluralité  ou  du  moins  la  dualité 
est  représentée  comme  un  élément  essentiel  du  parfait  amour.  A  ce  pre- 
mier caractère  de  l'amour  se  rattachent  diverses  spéculations  théolo- 
giques ;  la  théorie  abélardienne  de  la  création  et  la  théorie  richardienne 
de  la  Trinité.  —  Le  second  caractère  c'est  la  violence  de  l'amour.  Loin 
d'être,  comme  le  soutient  l'autre  opinion,  une  tendance  naturelle, 
l'amour  apparaît  ici  comme  en  opposition  avec  les  appétits  innés. 
«  Aimer,  dans  l'école  gréco-thomiste,  c'est  chercher  son  bien,  c'est 
donc  «  trouver  son  âme  »  ;  dans  l'école  extatique,  c'est  «  la  perdre  ». 
L'amour  est  ici  une  violence,  c'est  une  «  blessure  »,  une  «  langueur  », 
une  «  mort  ».  Deux  théories  définies  et  systématisées  paraissent 
devoir  être  rattachées  à  cette  doctrine.  L'une,  commune  au  XIL  siècle, 
a  rapport  à  1'  «  ordre  de  la  charité  »,  qui  se  règle  sur  ce  qui  est  meilleur 
en  soi,  l'autre  a  trait  à  l'acte  de  charité  parfaite,  et  à  la  théorie  du  pur 
amour.  —  Le  troisième  caractère  est  l'amour  irrationnel.  Celui-ci  se 
soumet  tout,  même  l'intelligence,  l'esprit.  C'est  la  «  folie  »  de  l'amour. 
Guillaume  d'Auvergne  a  déduit  de  là  le  mystère  de  la  Rédemption  san- 
glante. —  Le  quatrième  caractère  enfin  est  l'amour  fin  dernière.  Il  porte 
avec  soi  sa  justification,  sa  raison  et  sa  fin.  Ce  qui  équivaut  à  dire  qu'il 
est  la  béatitude.  «  Mais  la  béatitude  n'était  pas  conçue  autrement  que 
comme  la  «  possession  du  souverain  Bien  ».  Donc  l'action  d'aimer  devait 
être  conçue  comme  une  action  formellement  possédante.  Cette  conception, 
qui  est  très  répandue  au  XIP  siècle,  a  eu,  si  je  ne  me  trompe,  une  très 
grande  influence  sur  le  développement  de  la  scolastique.  11  ne  faut  pas 
chercher  la  différence  essentielle  du  scotisme  et  du  thomisme  ailleurs 
que  dans  la  notion  de  possession  spirituelle.  » 

Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  cette  remarquable  monographie. 
Il  n'y  faudrait  pas  chercher  une  histoire  complète  des  deux  conceptions 
de  l'amour,  —  l'auteur  nous  en  avertit  dès  le  titre  —  mais  il  a  marqué 
avec  sagacité  la  courbe  de  son  évolution,  il  a  éclairé  les  courants  doc- 
trinaux qui  s'y  ramènent,  donnant  ainsi  plus  de  relief  à  des  notions 
éparses  et  souvent  à  peine  formulées. 

Preuves  de  l'existence  de  Dieu.  —  Le  D'   G.  Griinwald  consacre  un 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  767 

fascicule  des  Beùvage  ziii-  Geschichle  der  Philosophie  des  MitlelaUers  à 
étudier  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  apportées  par  les  auteurs  du 
moyen  âge  (1).  Son  but  n'est  pas  d'en  donner  un  exposé  détaillé,  ni 
d'en  faire  la  critique  ;  il  a  voulu  simplement  marquer  le  développement 
qu'elles  ont  pris  depuis  le  IX"  jusqu'au  XIII"  siècle,  époque  à  laquelle 
elles  reçurent  leur  expression  la  plus  parfaite. 

Quatre  noms  lui  semblent  bien  indiquer  les  divers  stades  de  cette 
évolution  :  S.  Anselme,  les  Victorins,  S.  Bonaventure  et  S.  Thomas 
d'Aquin  marquent  tous  un  progrès  sur  leurs  devanciers  et,  par  l'origi- 
nalité de  leur  pensée,  tranchent  plus  nettement  sur  les  spéculations 
philosophiques  de  l'époque  à  laquelle  ils  appartiennent.  Ils  rentrent 
pourtant  dans  un  courant  général  qui  les  prépare  et  dont  ils  sont  plus 
ou  moins  tributaires.  Aussi  l'auteur,  en  même  temps  que  leurs  théories, 
afin  d'en  mieux  faire  saisir  la  valeur,  expose  celles  qui  les  ont  pré- 
cédées. 

Durant  le  IX^  siècle,  les  essais  qu'on  rencontre  dans  les  Dicta  Can- 
didi  et  chez  Benoît  d'Aniane  sont  bien  imparfaits;  ils  se  rattachent  à 
Cicéron  et  à  S.  Augustin.  Au  X^,  Atton  de  Verceil  tente,  lui  aussi,  une 
preuve  basée  sur  le  degré  de  perfection  des  êtres. 

Dans  son  Monologium,  S.  Anselme  se  rattache  explicitement  à  la 
tradition  augustinienne  ;  mais  sa  fameuse  preuve  ontologique  lui  est 
personnelle. 

Abélard,  Rupert,  Robert  Pulleyn,  Pierre  Lombard  demeurent  dans  la 
tradition  patrislique.  Les  arguments  du  dernier  sont  peu  convaincants, 
malgré  les  efTorts  que  firent  plus  tard  ses  commentateurs  pour  les 
mettre  en  valeur.  Son  élève,  Pierre  de  Poitiers,  arriva  cependant  à 
présenter  avec  quelque  originalité  ses  preuves  fondées  sur  les  notions 
de  substance  et  d'accident,  de  tout  et  de  partie.  Ces  arguments  ou 
d'autres  similaires  eurent  la  vogue  au  Xll*^  siècle.  C'est  à  ce  moment, 
avec  Alain  de  Lille  spécialement,  qu'on  remarque  l'introduction,  au 
milieu  des  idées  platoniciennes  jusque-là  dominantes,  sinon  de  la  doc- 
trine, du  moins  de  la  terminologie  aristotélicienne. 

L'apport  des  Victorins  consiste  surtout  dans  le  recours  à  l'expérience, 
soit  interne,  soit  externe,  pour  former  la  base  de  l'argumentation.  On 
pourrait  relever  également  chez  Richard  de  S'-Victor  une  maîtrise 
dans  le  raisonnement  qui  annonce  déjà  les  grands  scolastiques. 

Alexandre  de  Halès  et  plus  tard  Henri  de  Gand  n'ont  fait  que  collec- 
tionner toutes  les  preuves  connues  de  leur  temps.  Albert  le  Grand  com- 
mence à  introduire  les  principes  de  la  physique  aristotélicienne  dans  la 
preuve  par  le  mouvement. 

S.  Bonaventure  qui,  dnns  ses  commentaires  sur  les  Sentences,  se 
borne  à  justifier  les  preuves  apportées  par  Pierre  Lombard  et  se  rap- 
proche des  opinions  communes  de  son  temps,    a  professé,   dans   son 


1.  Geschichte  der  Gottesbeweise  im  Mittelalter  bis  znm  Aiisgang  der  Hoch- 
srholastik,  nach  der  Qudlen  dargestellt.  {Beitràge  zur  Geschichte  der  Philosophie 
des  Mit  fêlait  ers.  Texte  und  Untcrsuchungen  hrsg.  von  Dr  G.  Baeumkeh 
urul  Dr  G.  Fioih.  voa  Hertling,  B.  VI,  h.  3).  Miinster,  Aschendorf,  1907; 
inSo,  XIM64  p. 


ibO         REVUE   DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

De  myslerio  Trinitatis,  une  doctrine  spéciale  assez  voisine  de  Tonlolo- 
gisnie  de  S.  Ansehïie.  Il  soutient  rinnéité  de  l'idée  de  Dieu. 

Enfin  S.  Thomas  fait  entrer  complètement  dans  sa  démonstration  les 
données  de  la  Physique  et  de  la  Métaphysique  d'Aristote.  La  preuve 
par  le  mouvement  n'était  pas  absolument  nouvelle  ;  l'originalité  de 
S.  Thomas  consiste  dans  l'application  qu'il  y  a  faite  des  principes  du 
Stagirite.  La  preuve  par  les  causes  a  été  vraisemblablement  empruntée 
à  Avicenne  ;  S.  Thomas  est  également  tributaire  d'Avicenne  et  de 
Maimonide  pour  la  troisième  par  la  contingence.  La  quatrième,  par  les 
degrés  des  êtres,  doit  beaucoup  dans  ses  éléments  matériels  aux  sco- 
lastiques  des  âges  antérieurs.  Mais  S.  Thomas,  comme  il  l'avait  fait 
pour  les  précédentes,  lui  a  donné  plus  de  rigueur  et  de  force  démons- 
trative. La  preuve  par  la  cause  finale  est  une  preuve  traditionnelle 
qu'on  trouve  dès  les  débuts  de  la  scolastique  et  même  chez,  les  Pères. 

L'ouvrage  du  D"^  Grunwald  se  recommande  autant  par  son  érudition 
que  par  la  netteté  de  l'exposition. 

2.  —  Monographies  d'auteurs 

Jean  Scot.  —  M.  J.  Draeseke  (1)  vient  de  relever,  en  se  basant  sur  le 
remarquable  travail  consacré  par  le  D''  Endres  à  Honorius  «  Augus- 
todunensis  »  (2),  les  traces  de  l'influence  de  Jean  Scot  sur  la  pensée 
médiévale.  On  était  quelque  peu  étonné  jusqu'ici  de  constater,  d'une 
part,  le  silence  fait  autour  de  lui  du  X^  au  XIP  siècle,  et  d'autre  part,  la 
subite  reviviscence  de  ses  idées  au  début  du  XIIP  siècle.  Mais  en  réa- 
lité son  influence,  pour  être  cachée,  n'en  fut  pas  moins  réelle  et  l'on  n'a 
pas  à  noter  une  interruption  aussi  considérable  dans  la  diffusion  de 
ses  doctrines.  Honorius  en  est  un  exemple.  Cet  auteur,  qui  écrivait 
durant  le  second  quart  du  XII®  siècle,  Scot  d'origine  à  ce  qu'il  semble, 
doit  beaucoup  à  son  illustre  compatriote. 

M.  Dràseke  croit  qu'on  pourra  découvrir  de  nouvelles  traces  de  cette 
influence.  Elles  existent  déjà.  Récemment,  le  D''  Osller  (3)  notait  les 
emprunts  faits  par  Hugues  de  S'-Victor  au  commentaire  do  Jean  Scot 
sur  la  Hiérarchie  céleste.  D'ailleurs,  si  l'action  du  savant  irlandais  ne 
fut  pas  aussi  considérable  qu'on  aurait  pu  s'y  attendre,  cela  tient,  je 
crois,  non  seulement  à  la  suspicion  dont  il  était  l'objet  dans  les  milieux 
orthodoxes,  mais  aussi  à  des  circonstances  d'ordre  général,  dont  souf- 
frirent tous  les  écrivains  du  IX^  siècle.  Les  ruines  accumulées  par  les 
Normands  arrêtèrent  la  propagande  littéraire.  Des  manuscrits  furent 
détruits  ou  bien  on  n'eut  plus  le  temps  ni  le  goût  de  les  transcrire.  Et 
c'est  pourquoi,  en  dehors  de  Jean  Scot,  plus  que  lui,  des  auteurs, 
comme  Ratramne,  demeurèrent  à  peu  près  inconnus  durant  tout  le 
moyen  Age. 

1.  Zur  Frage  7iach  devi  Einfluss  des  Johannes  Scotus  Erigena,  dans 
Zeitschrift   fur   wissenschaftUche   Théologie,   t.   L.   (1907)   p.    323-347. 

2.  Cet  ouvrage  a  été  analysé  daiis  mon  dernier  Bulletin.  R^c.  d^s  Se.  Ph. 
et  Th.  I  (1907),  p.  741-750. 

3.  Die  Psychologie  des  Hugo  von  St,  Vikior.  p.  9.  Munster,  Ascliendorf, 
1906. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  769 

Roscelin.  —  Dans  la  brève  étude  consacrée  par  M.  G.  Buonaiuti  à 
Roscelin  (1),  un  point  est  à  relever.  L'auteur  ne  croit  pas  que  les 
théories  nominalistes,  très  réelles,  du  chanoine  de  Compiègne,  l'aient 
amené  à  ses  doctrines  erronées  sur  la  Trinité.  Tout  au  contraire,  le 
désir  de  donner  une  explication  apologétique  de  ce  mystère  l'aurait 
conduit  au  nominalisme.  Ce  dernier  système  en  effet  lui  aurait  paru 
plus  compatible  avec  les  données  delà  foi  que  le  réalisme  exagéré  qi)i 
formait  alors  la  seule  alternative  possible. 

Le  traité  «  De  erroribus  philosophorum  ».  —  Le  Père  Mandonnet 
prépare  en  ce  moment  une  nouvelle  édition  de  sa  magistrale  étude  sur 
Siger  de  Brabant  et  V Averro'isme  latin  au  AIIP  siècle.  Cette  revision 
l'amènera,  semble-t-il,  à  résoudre  de  nouveaux  problèmes  littéraires. 
En  tout  cas,  l'un  d'eux  l'est  déjà,  et  il  nous  présente  la  solution  dans  la 
Revue  néo-scolastique  (2).  Il  s'agit  d'une  composition  du  XIII''  siècle, 
jusqu'ici  attribuée  à  Gilles  de  Rome.  Mais  des  divergences  doctrinales 
profondes  entre  l'auteur  du  De  erroribus  et  le  célèbre  augustin  ne  per- 
mettent pas  de  les  identifier.  Par  une  série  d'observations  très  perspi- 
caces, le  Père  Mandonnet  arrive  à  conclure  que  l'auteur  de  cet  ouvrage 
doit  être  cherché  parmi  les  dominicains  espagnols.  Il  aurait  écrit  pro- 
bablement entre  1260  et  1274.  Mais  pour  l'instant  on  ne  saurait  citer 
aucun  nom  avec  quelque  assurance. 

Raymond  Lulle.  —  L'œuvre  immense  de  Raymond  LuUe  a  été  long- 
temps discutée,  mais  en  somme  elle  est  peu  connue.  Les  éditions  en  sont 
rares  et  elle  déroute  souvent  par  sa  complexité  ceux  qui  ont  pu  l'abor- 
der. Pourtant,  en  ce  moment,  un  important  mouvement  se  produit  au 
sujet  de  l'illustre  franciscain,  et  cela  pour  des  motifs  fort  divers.  On 
célèbre  en  lui  une  gloire  du  pays  catalan,  on  exalte  le  littérateur  autant 
que  le  philosophe  et  le  théologien.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  a  commencé 
une  édition  de  ses  ouvrages  rédigés  en  catalan  ;  une  revue,  la  Revista 
Luliaua,  étudie  les  questions  qui  se  rapportent  à  sa  personne  et  à  ses 
idées. 

M.  Salvador  BovÉ  est  un  des  représentants  de  ce  mouvement.  Il 
voudrait  même  lui  donner  encore  plus  d'ampleur.  C'est  pourquoi  il 
entreprend  un  travail  de  longue  haleine  qui  a  pour  but  de  mettre  à  la 
portée  du  public  savant  l'œuvre  du  célèbre  polygraphe.  Le  projet  est 
en  soi  excellent  et  mérite  d'être  encouragé.  Qu'on  adopte  ou  non  les 
idées  de  Raymond  Lulle,  il  y  aura  intérêt  pour  tous  aie  connaître  autre- 
ment que  par  des  intermédiaires  et  des  commentateurs  plus  ou  moins 
fidèles.  Toutefois  le  nombre,  la  variété  de  ses  ouvrages  et  souvent  leur 
rédaction  un  peu  diffuse  ne  permettent  pas  de  songer  à  une  publication 
intégrale.  M.  Bové  tente  une  adaptation  plus  en  rapport  avec  nos  habi- 
tudes d'esprit.  La  matière  sera  distribuée  en  questions  et  articles 
d'après  la  méthode  scolastique  dont  S.    Thomas  d'Aquin  forme  le  type 


1.  Un    filosofo   délia   contingenza   nel   secolo    XI.    Roscellino   di   Compiègne, 
dans  Sivista  storico-critica  délie  scienze  theologiche,  mars  1908,  p.  195-212. 

2.  Le  traite  «  De  erroribus  Philosophorum  »  {XIII°  siècle).  Revue  néo-scolas- 
tique, XIV  (1907),  p.  533-552. 


770         REVUE    D^S   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

le  plus  achevé.  Quelques  volumes  contenant  des  explications  néces- 
saires pour  pouvoir  entrer  dans  l'esprit  du  système  y  seront  joints.  Le 
tout  comprendra  vingt  volumes. 

Celui  qu'il  nous  donne  aujourd'hui  (l)est  comme  la  Préface  de  sa 
collection.  Il  y  expose  les  idées  principales  de  VArs  magna,  en  fait  la 
critique  et  répond  aux  difficultés  qu'elles  ont  soulevées.  D'après  l'auteur, 
le  système  de  Raymond  Lulle  consiste  essentiellement  dans  l'exposé  de 
deux  mouvements  de  l'intelligence  :  l'un  qui  remonte  des  choses  sen- 
sibles à  Dieu,  l'autre  qui  descend  des  perfections  divines  aux  êtres 
particuliers.  Ce  serait  une  synthèse  des  méthodes  aristotélicienne  et 
platonicienne.  Lulle,  conforme  pour  la  première  partie  aux  doctrines 
essentielles  de  S.  Thomas,  le  compléterait  dans  la  seconde  en  ramenant 
à  un  système  scientifique  ce  qui  est  un  mouvement  naturel  de  l'esprit 
humain. 

Il  vaut  mieux  attendre  les  textes  pour  apprécier  cette  position  et  ces 
affirmations.  Toutefois,  à  en  juger  par  l'exposé  que  donne  M.  Bové, 
s'il  y  a  dans  la  tentative  de  Lulle  quelque  chose  de  hardi,  qui  a  mérité 
l'attention  de  plusieurs  grands  esprits  en  quête  d'une  synthèse  de  tout 
le  savoir  humain,  il  y  a  aussi  beaucoup  d'artificiel.  Il  resterait  à  voir 
jusqu'où  cette  doctrine  est  conforme  aux  idées  de  S,  Augustin  et  de 
S.  Anselme. 

Mais  dès  maintenant  on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  l'optimisme 
avec  lequel  M.  Bové  souhaite  voir  cette  méthode  lullienne  entrer  dans 
le  domaine  pratique  et  l'enseignement  universitaire.  Attendons  du 
moins  qu'il  nous  donne  les  moyens  de  la  mieux  connaître.  Son  présent 
travail  eût  gagné  à  être  plus  concis  et  mieux  organisé.  On  y  trouve  des 
redites  qui  sont  loin  d'aider  à  la  clarté. 

Kain.  •  M.  Jacquin,  0.  P. 

III 
PHILOSOPHIE  MODERNE    (2) 

I.  —  Ouvrages  généraux 

M.  Aloïs  RiEiiL  fait  paraître  une  seconde  édition  de  son  histoire  du 
criticisme(3).  Il  y  apporte  d'assez  nombreuses  modifications,  surtout 
en  ce  qui  concerne  Locke  et  Hume.  Il  insiste  davantage  sur  le  dévelop- 
pement de  la  pensée  de  Kant  et  expose  plus  en  détail  la  critique  des 
idées  d'espace  et  de  temps. 

1.  El  sisiema  cientifico  Lîdiano  Ars  magna.  Exposîciôn  y  critica.  Bar- 
celone,   Imprimerie    catholique,     1908,    in.-4o,    LXVIII-598    pages. 

2.  Les  quelques  comptes-rendus  qui  suivent,  peu  nombreux  et  assez  brefs 
pour  la  plupart,  n'ont  pas  la  prétention  de  former  un  véritable  Bulletin 
d'tlistoire  de  la  l^hilosophie  moderne.  On  voudra  bien  y  voir  sâniplement 
le  gage,  pour  les  années  suivantes,  d'ua  travail  plus  complet,  et  nous 
en    avons    l'espoir,    plus   satisfaisant. 

3.  Der  Philosophische  Kritizismiis.  Geschichte  und  System.  I  B.  Gesch, 
des  philos.  Kritiz.  2te,  neu  verfasste  Aufl.  —  Leipzig,  Engelmann,  VlI-614 
pacos. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  771 

Le  troisième  volume  de  l'Histoire  de  la  philosophie  de  A.  Mannbei- 
mer(1)  vient,  après  une  attente  de  quatre  années,  compléter  les  précé- 
dents. 11  va  de  Kant  jusqu'à  Nietzsche,  et  suit  toujours  la  même  méthode 
de  vulgarisation  scientihque. 

II.  —  Monographies 

Giordano  Bruno.  —  En  Italie,  comme  de  juste,  on  étudie  spéciale- 
ment Giordano  Bruno. —  M.  Em.m.  Troïlo  (2)  expose  les  principes  géné- 
raux de  sa  philosophie,  d'une  manière  intéressante,  mais  que  l'on  sou- 
haiterait plus  dégagée  des  opinions  philosophiques  personnelles  à  l'au- 
teur. —  M.  Gextile  (3)  analyse  sa  conception  de  la  religion  qui  explique 
l'attitude  prise  par  lui  à  Genève  et  à  Wittemberg,  à  l'égard  de  la  Réfor- 
me, puis  à  Venise  et  à  Rome,  à  l'égard  du  Saint-OfTice.  —  M.  Fr.  Paolo 
Calamita  (4)  commence  avec  une  étude  sur  ses  idées  astronomiques, 
une  série  de  travaux  qui  doivent  nous  donner  une  exposition  historique 
et  critique  de  tout  son  système. 

Hobbes.  —  Dans  les  études  de  M.  Hanneouin,  publiées  par  M.  Cha- 
bot (5),  se  trouve  une  esquisse  inachevée  et  inédite  de  la  Philosophie  de 
Hobbes.  Elle  date  de  1883,  mais  n'en  garde  pas  moins  l'intérêt  qu'un 
esprit  aussi  philosophique  ne  pouvait  manquer  de  lui  donner. 

M.  Hannequin  se  proposait  d'exposer  la  philosophie  de  Hobbes  sous 
ces  trois  divisions:  I.  la  Philosophie  première;  H.  la  Psychologie; 
III.  la  Politique.  Seuls  les  deux  premiers  points  ont  été  traités. 

I.  —  Hobbes  définit  la  philosophie  «  la  connaissance  des  effets  ou 
phénomènes  ^Bv  leurs  causes  génératrices  conçues,  et  inversement  de  la 
génération  possible  des  phénomènes  ou  effets,  en  employant  le  droit 
raisonnement»  (Logica  §  1).  Cette  définition  caractérise  l'empirisme  et 
le  matérialisme  de  Hobbes,  Il  veut  s'en  tenir  aux  phénomènes,  mais 
aussi  les  expliquer  par  le  raisonnement  ;  et  par  là  il  entend  l'analyse  et 
le  calcul  des  éléments  qui  les  composent.  «  Juger,  c'est  additionner  deux 
ou  plusieurs  idées...  Philosopher,  c'est,  par  une  série  convenable  de 
calculs,  refaire  la  somme  représentée  par  les  idées  qui  se  rapportent 
aux  êtres  de  la  nature...  en  additionnant  les  termes  simples  qui  s'y 
trouvent  réalisés  :  ce  sont  ces  termes  simples  qui  sont  la  raison  des 
êtres,  comme  les  parties  aliquotes  d'une  somme  sont  la  raison  de  cette 


1.  Geschichte  der  Philosophie,  in  Ubersichtlicher  Darstellung.  III.  ïeil  :  von 
Eant  bis  zur  Gegenivart.  —  Frankfurt  a.  M.,  Neuer  Frankfurter  Verlag,  1908; 
VIII-287   pages. 

2.  La  fiîosofia  di  Giordano  Bruno.  —  Turin,  Bocca,  1907;  1  vol.  iii-16, 
160  pages. 

3.  Giordano  Bruno  nella  storia  délia  Cultitra.  —  Milan,  Sandron,  1907; 
1  vol.  in-16,  146  pages. 

4.  L'astronomia  net  dialoghi  vietafisici  di  Giordano  Bruno.  —  Bitonto, 
Garofalo,  1908;  in-8o,  47  pages. 

5.  Études  d'histoire  des  Sciences  et  d'histoire  de  la  Philosophie  —  Avec  \uie  pré- 
face de  R.  Thamin,  recteur  de  l'Académie  de  Bordeaux,  et  une  introduction 
de   J.    Grosjeax.    —   Paris,   Alcan,    2  vol.   in-8'^   CI-264   et   326   pages. 


772         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

somme.  »  Les  causes  génératrices  dont  s'occupe  la  philosophie  ne  sont 
pas  «  les  conditions  historiques,  les  circonstances  empiriques  qui  ont 
rendu  possible  l'existence  deFélre  »...  mais  ce  qui  l'explique,  «  ce  qui  le 
rend  intelligible  ».  les  éléments  idéaux  accessibles  à  l'analyse.  — 
M.  Hannequin  étudie  ensuite  les  idées  de  Hobbes  sur  l'Espace,  le 
Temps,  le  Mouvement  et  le  Mécanisme  absolu  auquel  il  aboutit,  en  le 
comparant  au  «  mécanisme  idéaliste  de  Descartes.  » 

II.  —  La  seconde  partie  expose  les  tliéories  concernant  la  Sensation, 
l'Imagination,  la  Logique,  Ifs  Passions  et  la  'Volonté.  —  «  La  Logique 
de  Hobbes  repose  sur  le  nominalisme  le  plus  arrêté,  comme  sa  psyclio- 
logie  sur  un  sensation nisme  déjà  très  complet  et  très  semblable  à  cehii 
de  Hume.  »  —  «  Les  passions  sont  assimilées  à  de  véritables  forces 
aveugles  résidant  dans  l'esprit.  »  —  La  volonté  n'est  qu'une  sorte  de 
résultante  des  mouvements  qui  se  cachent  sous  nos  désirs  et  nos 
craintes;  ce  qui  la  distingue  du  désir,  avec  l'essence  duquel  elle  se 
confond,  c'est  la  délibération,  qui  n'est  qu'une  sorte  d'équilibre  mo- 
mentané de  nos  penchants  divers;  et  c'est  cet  équilibre  qui  est  la 
cause  de  l'illusion  de  la  liberté  ;  mais  sous  celte  complexité  apparente 
se  cache  la  loi  très  simple  qui  préside  à  la  continuité  du  mouvement  et 
qui  est  toute  mécanique.  » 

Descartes.  —  Le  tome  X  des  Œuvres  de  Descartes  (1),  paru  dans  le 
courant  de  l'année,  comjirend  \e  Compendium  Musicae  ;  les  /{egulae  ad 
direclionem  ingenii  ;  puis  tous  les  extraits,  qui  se  rapportent  à  Des- 
cartes, du  Journal  de  Beekmanu,  manuscrit  retrouvé  à  Middelbourg  en 
1905  ;  d'importants  fragments  mathématiques  publiés  soit  en  1701,  soit 
par  Foucher  de  Careil  en  1859-1860  et  corrigés  avec  soin  d'après  les 
manuscrits  ;  le  début  d'un  dialogue  en  français,  La  recherche  de  la 
vérité,  dont  on  n'avait  qu'une  traduction  latine;  un  long  supplément  à 
la  correspondance;  le  Calcul  de  Mons.  Z)escflr/es  ou  Introduction  à  sa 
Géométrie.  —  L'édition  comprendra  encore  deux  volumes. 

Il  n'y  avait  pas  encore  en  Allemagne  de  monographie  complète  sur 
Descartes.  M.  K.  Jungmann  (2)  vient  de  combler  cette  lacune,  et  de 
manière  très  heureuse.  Il  retrace  avec  précision  et  clarté  l'histoire  de 
la  pensée  de  Descaries  dont  il  donne  à  chacun  de  ses  "moments  un 
exposé  très  satisfaisant.  Voici  comme  il  divise  son  travail  :  I.  Die 
J/c/Aorfe  (1619)  ;  IL  Die  Malhemalik  [i%\^-\&'i'i)  ;  IIL  Die  Erkenntnis- 
Iheorie  (1628-1629)  ;  IV.  Die  Wissen&chaflen  (1629-]6g0);  V.  Die  Werke 
Descartes\ 

M.  J.  Prost  étudie  rinfluence  de  Descartes  surl'alomisme  de  Géraud 
de  Cordemoy  et  l'occasionnalisme  de  Louis  de  La  Forge  et  de  Male- 
branche  (3).  C'est  là  une  contribution  importante,  sinon  toujours 
décisive  en  ses  jugements,  à  l'histoire  delà  diffusion  du  cartésianisme. 


1.  Paris,   L.    Cerf.,   achevé   d'imprimer    20  mars    1908. 

2.  René  Descartes.   Eine  Einfûhrung   in   seine  Werke.   —  Leipzig,   Eckardt, 
1908;    in-8o,    VIII-234    pages. 

3.  Essai  sur  Vatomisme  et  l'occasionalismc  dans  la  philosophie  cartésienne. 
—  Paris,  Henry  Paulin,   1907;  in-S",   274  pages. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  773 

Newton.  —  L'iiistoire  de  la  philosophie  dépend  dans  une  certaine 
mesure  de  l'histoire  des  sciences.  Aussi  M.  Léon  Bloch  a-t-il  cru  faire 
œuvre  d'historien  de  la  philosophie,  en  recherchant  quelles  étaient  les 
idées  directrices  et  la  méthode  de  Newton  (1).  C'est  en  réalité  toute 
l'œuvre  scientifique  de  Newton  qui  se  trouve  étudiée  dans  son  ouvrage 
ainsi  que  sa  valeur  et  la  place  qui  lui  revient  dans  l'histoire  des  idées. 
—  Malgré  l'intérêt  de  sa  thèse  et  sa  compétence  scientifique,  on  s'est 
accordé  en  Sorbonne  (2)  à  reprocher  à  M.  Blocli  son  défaut  de  méthode 
et  de  sens  historique.  M.  Milhaud,  dans  la  Revue  de  Métaphysique  et  de 
Morale{'S),  précise  et  développe  cette  critique,  en  ce  qui  concerne  les 
jugements  portés  sur  Descartes. 

Spinoza.  —  Si  l'admiration  et  rtnithousiasme  pour  une  doctrine  philo- 
sophique et  ses  bienfaits  d'ordre  moral  doivent  aider  à  en  bien  pénétrer 
le  sens,  il  faut  penser  que  M.  Alfred  Wenzel  a  mieux  que  beaucoup 
d'autres  compris  Spinoza  (4).  Et  cette  remarque  a  son  importance,  car 
l'auteur  nous  déchire  se  séparer  dans  ses  conclusions  des  historiens  de 
Spinoza  les  plus  récents  (5),  tels  que  Kuno  Fischer,  Friedlander,  Camerer, 
Freudenthal  etc..  Avec  un  seul  d'entre  eux  il  est  presque  entièrement 
d'accord  :  Friedrichs,  auteur  d'une  dissertation  intitulée  :  Der  Subsianz- 
begriff  Spinozas,  neu  und  gegen  die  herrschenden  Ansichlen  zu  Gunsten 
des  Fhilosophen  erlaiilert  (6). 

Dans  son  premier  volume,  seul  paru  encore,  M.  Wenzel  expose  la  doc- 
trine de  Spinoza  sur  Dieu,  la  connaissance  humaine,  l'essence  des  choses; 
la  psychologie  et  la  morale  seront  traitées  dans  le  second  volume. 

L'originalité  de  Friedrichs  réside  dans  sa  manière  de  concevoir  les 
rapports  entre  la  Substance  et  ses  Attributs.  Aussi  s'atlendrait-on  à  ce 
que  M.  Wenzel,  qui  établit  sur  elle  toute  son  interprélalion  du  Spino- 
zisme,  nous  la  fît  connaître  clairement.  Mais  il  prélère  l'incorporer  à 
l'ensemble  de  son  exposé  (7),  comme  l'indiquent  les  litres  mêmes  qui 
le  divisent  :  Spiîi.  Lelire  von  Gotl  und  der  menschlichen  Erkenntnis,  et 
Spin.  Lehre  von   Gott  und  deni  Wesen  der  Dinge. 


1.  La  philosophie  de  A'ewton.  —  Paris,  Alcan,  1908;  in-So,  642  pages. 
Signalons,  à  ce  propos,  les  remarquables  études  de  M.  Duhem,  eu  cours  de 
publication  :  dans  la  Bevuc  de  Philosophie,  Le  mouvement  absolu  et  le 
mouvement  relatif;  dans  les  Annales  de  philosophie  chrétienne.  Essai  sur 
la  notion  de  la  Théorie  physique  de  Platon  à  Galilée.  —  M.  René  Berthelot 
vient  aussi  de  réunir  en  volume  différentes  études  d'hist.  de  la  philos,  et 
d'hist.  des  sciences,  parues  dans  le  Bulletin  de  la  Société  française  de  Philos. 
la  Grande  Encyclopédie,  la  Biblioth.  du  Congrès  inteni.  de  Philos,  de  1900, 
la  Bévue  de  FUniversité  d'^  Bruxelles,  sous  le  titre:  Êvolutioiinisme  et  Pla- 
tonisme,  Paris.   Alcan,    1908;   in-8o    IV-324   pages. 

2.  Cf.   Bev.   de   Met.    et   de   Mor.,   mars    1908,    suppl.   p.    .36   ss. 

3.  Juillet  1908,  p.  492. 

4.  Die  Weltanschauimg  Spinozas.  !«  B.  Leipzig,  Engelmann,  1907;  VIII- 
479  pages. 

5.  De  langue  allemande,  bien  entendu,  M.  Wenzel  ignore  les  travaux 
de   Brunschwicg,    Couchoud,    Delbos,    Rivaud. 

6.  Greifswald,    189G. 

7.  Vorwort,  p.  IV.  ,         " 

ze  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  4.  50 


774         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÈOLOGIQUES 

La  première  partie  comprend  les  sections  suivantes  :  I.  Wahrheit  und 
Iritum.  II.  Die  Hilfsmittel  der  wahren  Erkenntnis  :  BegrifFundDenken. 
III.  Die  Quellen  der  wahren  Erkenntnis.  IV.  Die  emotionalen  Wir- 
kungen  der  Scientia  intuitiva. 

La  seconde  partie,  deux  autres  :  I.  Die  allgemeinen  Bestimmungen 
des  Wesens.  —  II.  Die  konkrete  Darstellung  des  Wesens  in  der  Erschein- 
ungswelt. 

La  méthode  suivie  par  M.  Wenzel  rend  difficile  une  analyse  brève  et 
suffisamment  intelligible  de  ses  idées  directrices  ;  disons  seulement  qu'il 
insiste  sur  le  caractère  positif,  actif  et  vivant  de  la  Substance,  sur  son 
unité  avec  les  Attributs,  sur  la  manière  dont  son  activité  s'unit  à  celle 
des  causes  externes.  Au  point  de  vue  de  la  connaissance,  il  fait  ressortir 
le  rôle  attribué  par  Spinoza  à  l'expérience  et  s'efforce  de  préciser  les 
caractères  de  l'intuition.  Il  termine  en  opposant  le  Spinozisme  à  l'idéa- 
lisme de  Kant.  La  Substance  n'est  pas  un  noumène  dissimulé  derrière 
les  Attributs  et  inattingible,  car  les  Attributs  n'en  sont  pas  réellement 
distincts. 

La  Revue  de  Métophysiqiie  et  de  Morale  (1)  publie  une  étude  sur  Le 
Dieu  de  Spinoza,  recueillie  parmi  les  papiers  de  M.  Brochard.  Elle  se 
divise  en  deux  parties.  La  première,  qui  est  la  piincipale,  est  une  ten- 
tative faite  pour  concilier  les  deux  conceptions  différentes  de  Dieu 
données  par  Spinoza  dans  le  Traité  théologico-politique  et  dansrj&//«'i7Me. 
La  seconde,  sur  laquelle  nous  ne  reviendrons  pas,  détermine  les  •  in- 
fluences exercées  sur  Spinoza  par  les  philosophes  grecs,  et  ce  qu'il  y  a 
d'original  dans  sa  philosophie,  à  savoir  la  négation  de  toute  finalité. 

Les  différences  entre  le  Traité  et  Y  Ethique  ne  peuvent  s'expliquer  par 
les  dates  de  leur  composition.  Ils  sont  de  la  même  époque  (1670  et  1676) 
et  dès  le  Traité,  Spinoza  est,  sans  aucun  doute,  en  pleine  possession  de 
sa  pensée.  «  Il  faut  donc,  si  Ton  veut  exactement  démêler  la  pensée 
du  philosophe,  se  faire  de  la  divinité  une  conception  assez  large  et 
assez  compréhensive  pour  convenir  à  la  fois  au  Dieu  à^  V c  thique  et  à 
celui   du    Traité.  » 

Dans  le  Traité  théologico-politique,  Spinoza  s'occupe  des  rapports 
entre  la  raison  et  la  foi.  Chacune  a  son  domaine  à  part.  La  raison  «  nous 
permet  de  comprendre  la  réalité,  de  connaître  les  vérités  éternelles  »  ; 
la  foi  «  consiste  à  savoir  sur  Dieu  ce  qu'on  n'en  peut  ignorer  sans  perdre 
tout  sentiment  d'obéissance  à  ses  décrets  et  ce  qu'on  en  sait  par  cela  seul 
qu'on  ace  sentiment  d'obéissance  (2).  »  Il  n'y  a  de  déduction  possible 
de  la  raison  à  la  foi  que  pour  une  intelligence  supérieure  à  la  nôtre.  La 
foi  relève  de  la  certitude  morale.  Elle  «  exprime  sous  une  autre  forme 
les  mêmes  vérités  que  la  science  découvre  par  la  lumière  naturelle.  » 
Elle  permet  à  ceux  qui  ne  sont  pas  philosophes  et  ne  conforment  pas 
leur  conduite  à  la  raison  d'atteindre  malgré  cela  la  béatitude.  Spi- 
noza admet  le  fait  de  la  Révélation  et  la  mission  divine  de  Jésus.  «  La 
religion,  à  ses  yeux,  n'est  pas  toute  la  vérité,  elle  est  vraie  cependant  et 


1.  Mars   1908,   p.   129. 

2.  Cf.    Benedicti    de   Spinoza   opéra,    éd.    Van    Vloten,    et    Land,    1882,    t. 
T,   ch.   XIV,   p.   538. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  775 

ce  qu'elle  enseigne  est  excellent.  Elle  était  le  plus  précieux  trésor  de 
riiumanité  avant  que  la  raison  eût  pris  conscience  d'elle-niême,  et 
depuis  ravènement  de  la  science  elle  est  encore  la  consolatrice  de  la 
plus  grande  partie  du  genre  humain.  »...  «  S'il  en  est  ainsi  il  faut  bien 
que  Dieu,  tel  que  le  conçoit  la  philosophie,  ne  soit  pas  uniquement  la 
substance  pensante  et  étendue  que  la  raison  connaît.  Il  faut  qu'il  y  ait 
en  lui  des  intentions,  une  volonté  bienveillante  et,  comme  dit  Spinoza 
lui-même,  propice  à  tous  les  hommes...  En  dernière  analyse  le  Dieu  de 
Spinoza  est  un  Dieu  personnel.  » 

Vp^tkique,  malgré  les  apparences,  ne  contredit  pas  cette  conclusion. 
Dieu  est  bien  la  substance  une,  immuable,  infinie  et  universelle,  mais 
cette  substance  est  concrète  et  individuelle  ;  son  intelligence  et  sa 
volonté  n'ont  de  commun  avec  les  nôtres  que  le  nom,  mais  il  est  conscient 
et  connaît  toute  réalité  ;  il  est  étendu,  mais  d'une  étendue  purement 
intelligible  et  qui  en  tout  cas  n'exclut  pas  la  pensée  ;  il  agit  nécessaire- 
ment, mais  parce  qu'il  est  la  suprême  liberté.  Enfin  «  il  faut  songer... 
que  la  pensée  et  l'étendue  divines,  les  seules  que  nous  connaissions 
clairement,  ne  sont  pas  tous  les  attributs  de  Dieu.  Parmi  les  attributs 
en  nombre  infini  que  Dieu'possède  en  outre,  rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'il 
s'en  trouve  d'autres,  tels  que  ceux  que  l'on  désigne  ordinairement  sous 
le  nom  d'attributs  moraux.  »  De  plus  certains  passages  de  VEthique 
(Prop.  68,  sch.  I  :  part.  IV,  prop.  37,  sch.  I  ;  etc..)  rappellent  expres- 
sément le  point  de  vue  du  Traité. 

Dans  un  Fragment  d'une  étude  sur  Spinoza,  édité  dans  les  Etudes 
d'histoire  des  Sciences  et  d'histoire  de  la  Philosophie  (i),  M.  A.  Hanne- 
OUiN  rapproche  la  manière  dont  Spinoza  établit  la  doctrine  de  la  Sub- 
stance dans  la  première  partie  de  l'Éthique,  de  la  preuve  ontologique 
de  Descartes  dont  il  donne  une  pénétrante  analyse.  «  Si  l'on  voulait 
exprimer  en  une  formule  concise  le  principe  qui  domine  toute  la  doc- 
trine de  Spinoza  sur  Dieu  et,  par  conséquent,  toute  sa  métaphysique,  on 
devrait  dire  qu'il  soutient,  comme  son  maître  et  inspirateur,  Descartes, 
la  primauté  de  la  perfection  sur  la  nécessité  de  la  perfection  qui  est 
puissance  et  vie,  et  à  laquelle  convient  vraiment  le  nom  de  Dieu.  » 
(p.  13.) 

Leibniz.  —  Dans  la  collection  des  Philosophische  Arbeiten,  M.  âlb. 
GoKLAND  publie  un  travail  sur  l'idée  de  Dieu  chez  Leibniz  (2),  qui  doit 
servir  d'introduction  aune  série  de  monographies  sur  les  différents  points 
du  système.  Le  l*""  chap.  —  rapports  de  Dieu  et  de  la  science,  —  met  bien 
en  lumière  l'intellectualisme  de  Leibniz  par  opposition  au  volontarisme 
de  Descartes.  Le  2"  chap.  étudie  Dieu  et  la  moralité  ;  le  3"«  les  concepts 
de  possibilité  et  de  réalité,  de  nécessité,  de  cause  efficiente  et  finale  ; 
le  4Ma  contingence  du  monde,  le  o*,  un  peu  tardivement  peut-être  et 
brièvement,  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu.  M.  Gorland  suit  toujours 
de  très  près  le  texte  de  Leibniz  dont  il  fait  de  copieuses  citations.  11  est 

1.  Paris,  Alcan,  1908,  t.  II,  ch.  I. 

2.  Der  Gottesbegriff  bei  Leibniz,  ein  Vorwort  zu  seinem  System  (coUect. 
Philosophische  Arbeiten,  éditée  par  Herm.  Cohen  et  P.  Natorp).  Gicsson, 
Topelmann,    1907;   in-8o,   VI-138   pages. 


776         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

à  regretter  toutefois  que    la  traduction  n'en   soit  pas   toujours   très 
exacte. 

M.  Max  Leopold  montre  dans  ÏArchiv  (1)  comment  s'est  formé  le  sys- 
tème cosmologique  et  métaphysique  de  Leibniz  à  partir  du  mécanisme  de 
Descartes  et  de  Hobbes,  et  comment  il  arrive  par  sa  théorie  des  monades 
et  des  deux  forces  active  et  passive  à  rétablir  l'unité  entre  le  monde  spi- 
rituel et  le  monde  corporel,  à  réconcilier  mécanisme  et  téléologie. 

Kant. —  M.  Victor  Delbos  donne  une  traduction  des  Fondements  de  la 
métaphysique  des  mœurs  (2),  faite  sur  le  texte  adopté  par  l'édition  de 
l'Académie  des  Sciences  de  Berlin.  11  y  joint  une  biographie  de  Kant, 
des  notes  nombreuses  et  une  introduction  sur  la  morale  de  Kant,  où 
l'on  retrouve  les  idées  fondamentales  de  son  ouvrage  :  La  Philosophie 
pratique  de  Kant. 

M.  Herman  Cohen  publie  dans  la  Philosophische  Bibliothek  un  commen- 
taire de  la  Critique  de  la  Raison  pure  (3),  qui  se  réfère  au  texte  paru 
dans  la  même  collection.  Savantes  et  originales,  les  réflexions  de  l'au- 
teur supposent  souvent  pour  être  comprises  du  lecteur  une  connais- 
sance approfondie  de  Kant,  et  même  de  l'interprétation  spéciale  de 
M.  Cohen,  exposée  plus  au  long  dans  son  étude  sur  la  théorie  kantienne 
de  l'expérience  (4). 

Nous  avons  déjà  signalé  dans  la  première  partie  de  ce  bulletin,  à 
propos  d'Aristote,  l'élude  de  M.  S.  Aicher  :  Kants  Begriffder  Erkenntnis 
verglichen  mit  dem  des  Aristoteles  (5).  Ici  encore  l'auteur  se  montre 
digne  du  prix  que  lui  a  décerné  la  Kantsgesellschaft. 

Taine.  —  La  publication  de  la  correspondance  de  Taine  rendait 
possible  une  étude  nouvelle  et  originale  de  sa  philosophie.  Le  sujet  a 
tenté  M.  Paul  Nève,  qui  vient  de  faire  paraître  le  résultat  de  ses  recher- 
ches dans  la  Bibliothèque  de  l'Institut  supérieur  de  Philosophie^  de 
Louvain  (6). 

Après  avoir  rappelé  en  quelques  pages  la  vie  de  Taine,  M.  Nève 
expose  l'œuvre  du  philosophe,  la  divisant  en  deux  parties  générales  : 
I.  les  Causes;  IL  les  Normes.  Les  Causes  —  l'auteur  n'explique  pas  le 
sens  de  ce  titre  —  comprennent  la  Métaphysique  (ch.  ii),  la  Cosmolo- 
gie (m),  la  Sociologie  (iv),  la  Psychologie  (v),la  Sociologie  spéciale  (vi), 
l'Esthétique  (^'n)-  Les  Normes,  ce  sont  :  la  Morale  (vm),  la  Logique  (ix), 
la  Politique  (x),  l'Idéal  dans  l'Art  (xi).  L'auteur  justifie  la  distinction 
de  cette  seconde  partie,  que  semblerait  exclure  le  déterminisme  de  Taine, 


1.  Leihnizens  Lehre  von  der  Eôrperwelt  als  KernpunJct  des  Systems.  — 
Arch.  f.  Gesch.  der  Fhil,  XXI  B.,  H.  L,  oct.  1907,  p.  1  et  H.  2,  janv.  1908, 
p.  145. 

2.  Paris,    Delagrave;    in- 16,    211    pages. 

3.  Koynmentar  zu  I.  Kants  Kritik  der  reinen  Vernunft.  —  Leipzig,  Dùrr, 
1907;    in-16,    IX-233    pages. 

4.  Eants   Théorie   der   Erfahrung.   Berlin,    2  Aufl.    1885. 

5.  Berlin,  Reuther  et  Reicliard,   1907;  in  8«,  XII  137  pages. 

6.  La  philosophie  de  Taine.  Essai  critique.  —  Louvain,  histitut  sup<'>- 
rieur  do  Philosophie;  Paris,  Lecoffre;  Bruxelles,  Dewit,  in  12,  XVI  351  pages. 


BULLETIN    d'histoire    DE    LA    PHILOSOPHIE  777 

en  remarquant  avec  raison  que  le  déterminisme,  malgré  qu'il  en  explique 
l'influence  à  sa  manière,  admet  l'existence  de  normes  dans  la  vie 
humaine,  —  et  que  Taine  ne  sut  pas  «  maintenir  jusqu'au  bout  et  dans 
ses  dernières  conséquences  »  la  rigidité  de  ses  principes. 

Taine  eut  une  métaphysique.  C'est  là  ce  que  révèlent  surtout  sa 
correspondance  et  les  fragments  publiés  avec  elle.  De  ses  ouvrages, 
comme  les  Philosophes  classiques  ou  VHisloire  de  la  littérature  anglaise, 
on  pouvait  conclure  avec  M.  Barzellotti,  que  Taine  admettait  la  possibi- 
lité d'une  métaphysique.  Nous  savons  maintenant  qu'il  a  été  plus  loin  : 
('  il  en  a  lui-même  tracé  les  grandes  lignes  ».  En  effet,  «  la  question  de 
savoir  s'il  n'existe  qu'un  seul  être  ou  plusieurs  êtres,  est  manifestement 
un  problème  de  métaphysique.  Or  à  cette  question,  Taine  a  répondu 
et  très  catégoriquement.  Selon  lui  il  n'existe  qu'un  seul  être,  la  nature  : 
tous  les  êtres  en  sont  les  membres,  leurs  actions  en  sont  la  vie  :  la 
pluralité  des  choses  n'est  qu'apparente,  elles  sont  un  aspect  particulier, 
individualisé  du  tout  infini  et  parfait.  En  dehors  de  celui-ci,  rien  n'existe, 
et  tout  ce  qui  existe  est  une  de  ses  parties,  un  de  ses  attributs  ou  un 
de  ses  actes.  »  p.  41.  —  «  La  nature  est  Dieu,  écrit  Taine,  le  vrai 
Dieu,  parce  qu'elle  est  parfaitement  belle,  éternellement  vivante,  abso- 
lument une  et  nécessaire...  elle  est  le  tout  infini  et  parfait.  »  — 
«  11  n'existe  donc  qu'un  seul  être,  ayant  la  plénitude  de  l'Être.  Et 
comme  d'autre  part,  «  l'absolu  est  à  la  fois  essence  et  manifestation  », 
ce  Dieu  se  manifeste  nécessairement.  Cette  manifestation  revêt  deux 
formes,  selon  qu'elle  s'opère  par  un  acte  immédiat  et  par  un  acte  pro- 
gressif. La  première  manifestation,  c'est  Dieu  ou  l'Être  manifesté 
immédiatement  ;  la  seconde  manifestation,  c'est  le  monde  ou  l'Être 
manifesté  progressivement...  »  pp.  43,  44.  Taine  ne  fera  que  préciser 
ce  panthéisme  de  la  vingtième  année,  lorsqu'il  dira  plus  tard  de  la 
nature  :  «  elle  est  une  pure  loi  abstraite  qui,  se  développant  en  lois  subor- 
données, aboutit  sur  tous  les  points  de  l'étendue  et  de  la  durée  à  réclu- 
sion incessante  des  individus  et  au  flux  inépuisable  des  événements.  » 
{De  V Intelligence.  Préf.  p.  10). 

Les  quelques  principes  de  cosmologie  que  l'on  rencontre  dans  les 
œuvres  de  Taine,  sont  par  suite  en  connexion  intime  avec  sa  métaphy- 
sique. Voici  à  quoi  ils  se  réduisent  :  «  il  n'y  a  rien  de  réel  dans  les 
corps  que  leurs  mouvements  ;  ces  mouvements  sont  des  sensations 
rudimentaires,  des  qualités,  c'est-à-dire  des  faits  constitutifs  de  faits 
plus  complexes  dont  ils  sont  l'essence  et  la  cause.  »  p.  77. 

M.  Nève  montre  bien  l'influence  de  cette  conception  fondamentale 
sur  les  théories  sociologiques,  psychologiques  et  esthétiques  de  Taine, 
qu'il  expose  d'ailleurs  très  en  détail,  et  avec  beaucoup  d'exactitude. 

Les  mêmes  qualités  d'historien  se  retrouvent  dans  la  seconde  partie. 

L'auteur  joint,  à  son  exposé,  une  critique  de  la  philosophie  de  Taine. 
Bien  que  cette  partie  de  son  ouvrage  ne  relève  pas  strictement  de  l'his- 
toire de  la  philosophie,  elle  montre,  comme  toute  critique,  et  mieux 
qu'une  simple  reproduction  des  textes,  jusqu'oïl  M.  Nève  a  su  pénétrer  la 
pensée  de  Taine.  Et  cette  remarque  est  de  notre  part  un  éloge...  au 
moins  pour  l'ensemble  des  appréciations  qu'il  porte,  car  il  est  un  point 
sur  lequel  il  m'a  paru  moins  heureux.   C'est  au  ch.  ii,  p.  57,  lorsque 


778         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

M.  Nève,  examinant  l'argument  par  lequel  Taine  essaie  d'établir 
l'existence  de  Dieu,  prétend  que  son  argumentation  suppose  une  concep- 
tion quantitative  de  l'Être.  Il  est  possible  que  de  fait  les  idées  de  Taine 
fassent  alors  assez  matérielles  ;  une  lettre  à  Prévost-Paradol,  écrite  sept 
mois  plus  lard  (25  mars  1849)  sans  le  prouver  (1\  pourrait  le  faire  soup- 
çonner. Mais  il  sutTit,  pour  la  preuve  en  question,  que  la  «  notion  d'être  » 
ait  été  pour  lui  univoque,  et  non  analogue  comme  pour  M.  Nève  (p.  59), 
et  que  par  la  plénitude  de  l'Èlre  il  ait  entendu  sa  perfection. 

A  cette  critique  de  détail  on  en  pourrait  joindre  une  autre  plus  géné- 
rale. On  a  souvent  dit  qu'il  n'y  avait  pas  eu  d'évolution  dans  la  pensée 
de  Taine.  M.  Nève  se  fait  l'écho  de  ce  jugement,  vrai,  croyons-nous 
aussi,  pour  une  grande  part.  Mais  ne  le  prend  il  pas  trop  à  la  lettre  ? 
N'v  a-t-il  pas  quelque  différence  entre  le  disciple  fervent  de  Spinoza  à 
l'École  normale  et  l'empiriste  qui  s'extasiait  devant  le  «  petit  fait  »  bien 
observé?  Taine  aurait-il  écrit  au  moment  où  il  pubViâil  ïlnlelligence, 
ce  plan  de  travail  du  mois  d'aoïît  1849,  où  nous  lisons  ceci  :  «  Remar- 
quez que  ces  lois  de  la  raison,  nous  les  trouvons  aussi  à  priori.  Car 
nous  les  tirons  du  concept  de  la  Pensée  considérée  en  soi.  En  d'autres 
termes  nous  disons  que  concevoir  la  Pensée,  c'est  concevoir  qu'elle  a 
telles  et  telles  lois,  c'est-à-dire  tels  et  tels  modes  d'action.  La  raison  se 
concevant  elle-même,  nous  donne  ses  propres  lois.  Ce  n'est  donc  pas 
un  moi  qui  écrit  ce  travail,  c'est  la  Pensée  »  (2)  ?  Non  évidemment, 
puisqu'il  disait  lui-même  de  ces  lignes  trois  mois  plus  tard  :  «  Ceci  est  de 
l'idéalisme  pur,  je  n'avais  pas  encore  fait  la  distinction  entre  percevoir 
et  concevoir  ».  (3)  M.  Nève  n'a  donc  pas  tiré  tout  le  parti  possible  des 
documents  si  précieux  qu'il  avait  en  main  ;  il  n'a  pas  suivi  d'assez  près 
—  de  l'intérieur  —  la  vie  intellectuelle  de  Taine  ;  de  même  il  n'a  fait 
qu'indiquer  en  terminant  (ch.  xii)  les  influences  subies  par  lui,  sans 
pousser  plus  loin  l'analyse,  ce  qui  peut-être  était  possible  pour  Spinoza, 
Hegel,  Condillac,  Mill,  A.  Comte. 

Aussi  bien,  nous  allions  l'oublier,  M.  Nève  avait-il  un  autre  but: 
«  opérer  la  synthèse  des  idées  (de  Taine),  en  glanant  les  éléments  dans 
l'œuvre  intégrale.  »  (p.  xiii).  Il  y  a  réussi  sans  aucun  doute. 

Kain.  M.-D.  Roland-Gosseltn,  0.  P. 


1.  IL  Taine.  Sa  vie  et  sa  Correspondance,  Paris,  Hachette,  t.  I,  1902,  p. 
63.  —  Taine,  parlant  de  la  iiériode  matérialiste  par  où  doivent  passer 
les  philosophes,  dit  à  son  anii  :  «  C'est  là  où  tu  en  es,  où  j'en  étais 
il  y  a  dix-huit  mois...  » 

2.  Ibid.,  Appendices,  p.  348. 

3.  Ibid.,  p.   115. 


Bulletin  d'Apologétique 

I 

LE  PROBLÈME  DE  LA  FOI  ET  L'APOLOGÉTIQUE 

Le  R.  P.  Allô,  0.  P.,  a  réuni  en  volume  sous  le  titre  :  Foi  et  Sijs- 
lèmes  (1),  les  articles  très  remarqués  qu'il  avait  publiés  sur  les  princi- 
pales questions  religieuses  agitées  en  ces  dernières  années.  Dans  la 
préface,  l'auteur  montre  que  la  distinction  des  méthodes  est  nécessaire, 
pour  assurer  aux  travaux  de  critique  religieuse  des  résultats  durables. 
La  méthode  historique,  incapable  sans  doute  de  dire  le  dernier  mot 
en  quoi  que  ce  soit,  doit  demeurer  indépendante  dans  son  champ 
propre  et  modeste,  des  philosophies  trop  systématisées.  Elle  ne  peut 
prétendre  qu'à  établir,  en  se  basant  sur  les  constatations  documentaires 
et  les  lois  empiriquement  connues  du  témoignage  humain,  un  certain 
nombre  de  phénomènes  concomitants  ou  successifs.  Des  disciplines 
plus  hautes  interviennent  pour  nous  dicter  un  choix  entre  les  diverses 
conjectures  possibles  en  présence  des  phénomènes  constatés,  mais  la 
reconstruction  à  laquelle  on  arrive  ainsi,  n'est  pas  une  conclusion  de  la 
méthode  historique,  mais  une  conclusion  philosophique. 

Voici  un  bref  résumé  des  pénétrantes  études  qui  suivent. 

Ch.  I.  La  peur  de  la  Vérité.  —  Certains  malentendus  divisent  les 
catholiques  dirigeants,  qu'ils  soient  ou  non  des  hommes  d'étude,  à 
cause  des  préoccupations  exagérées  d'un  avenir  trop  immédiat,  les- 
quelles inspirent  parfois  une  certaine  peur  des  vérités  non  encore  vul- 
garisées, à  ceux  qui  ne  voient  pas  tout  de  suite  les  moyens  de  les 
utiliser,  La  solution  de  ce  conflit  est  avant  tout  morale,  elle  consiste  à 
pratiquer  une  mutuelle  tolérance,  et  à  reconnaître  la  légitimité  et  la 
nécessité  de  la  division  du  travail.  Que  le  savant  laisse  le  prédicateur 
prêcher  et  celui-ci  le  penseur  penser  et  le  critique  critiquer,  et  surtout 
que  les  unset  lés  autres  se  souviennent  que  leur  manière  de  voir  n'é- 
puise pas  toute  la  vérité. 

Ch.  II.  Penser  pour  vivre.  —  Selon  M.  Laberthonnière,  1'  «  Idéa- 
lisme grec  »  s'oppose  au  n  Réalisme  chrétien.  »  Cette  antithèse  est 
forcée.  Assurément,  le  sens  de  la  vie  humaine  s'est  transformé  par  le 
Christ,  mais  il  n'y  a  pas  eu  substitution.  L'idéal  grec  était  vraiment 
humain  dans  son  idée  foncière  et  ses  grandes  lignes.  Le  Christianisme 
l'a  adopté  en  l'élevant  et  en  l'étendant.  Au  lieu  de  la  contemplation 
passagère  et  abstraite  du  divin,  réservée   aux  seuls   métaphysiciens,   il 

1.  Paris,    Bloud,    1908. 


780  REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

a  proposé  à  tous  les  hommes  la  contemplation  amoureuse  et  éternelle 
de  Dieu  dans  son  essence. 

Ch.  111.  Exlrinsécisme  et  Historicisme.  —  L'Extrinsécisme  consiste, 
soit  dans  une  étroitesse  de  logicien  méfiant  qui  compromet  une  mé- 
thode d'ailleurs  excellente,  soit  dans  un  défaut  de  critique  dans  le  choix 
desfaitsquecettemethodeutilise.il  faut  compléter  la  démonstration 
par  le  miracle  et  la  prophétie,  à  l'aide  d'arguments  moins  universels 
mais  scientifiques  :  état  présent  de  l'Église,  preuves  psychologiques, 
morales,  sociologiques.  L'Historicisme  qui  prétend  reconstituer  le  passé 
à  l'aide  des  seuls  documents,  n'existe  pas  comme  doctrine  abstraite  et 
explicite,  mais  il  se  retrouve,  à  l'état  inconscient  et  inavoué,  chez  bon 
nombre  d'esprits  qui,  en  fait  de  science  religieuse,  ne  croient  qu'au 
positivisme.  Ces  deux  tendances  d'esprit  ne  sont  pas  sans  danger  pour 
la  foi, 

Ch.  IV.  A  la  recherche  d'une  dr finition  du  dogme.  —  1°  Les  dogmes 
sont  des  propositions,  soit  purement  spéculatives,  soit  en  rapport  direct 
avec  l'histoire,  que  l'autorité  doctrinale  impose  à  la  foi  des  chrétiens, 
comme  exprimant  des  vérités  dont  l'objectivité  est  requise,  pour  la 
permanence  et  le  développement  de  la  vie  spirituelle  apportée  par  le 
Christ  sur  la  terre.  2°  Ces  propositions,  si  elles  expriment  des  faits  du 
monde  visible  (conception  virginale,  résurrection)  sont  à  prendre  au 
pied  de  la  lettre,  non  pas  toujours  suivant  le  sens  technique  et  secondaire, 
mais  suivant  le  sens  obvie  et  primitif  des  termes.  Si  elles  expriment 
des  faits  de  l'éternité  ou  du  monde  invisible,  elles  ont  un  sens  intel- 
lectuel, positif,  mais  obscur,  parce  qu'il  n'est  qu'analogue,  non  uni- 
voque,  au  sens  courant  de   ces  mêmes  termes. 

Ch.  V.  Trois  conceptions  philosophiques  du  Dogme  chrétien.  —  L'A- 
nalogisme,  cette  conception  philosophique  du  dogme,  qui  s'oppose  à 
toutes  les  formes  du  symbolisme,  n'est  pas  seulement  une  conception 
traditionnelle  entre  toutes,  mais  elle  est  la  plus  favorable  au  progrès 
historique  et  critique,  en  même  temps  qu'elle  sauvegarde  le  mieux 
l'objectivité  du  dogme. 

Ch.  \  I.  Germe  et  Ferment.  —  Le  christianisme  s'est  développé  au 
point  de  vue  du  dogme  par  la  précision  que  les  circonstances  ont 
apportée  au  cours  des  siècles  à  la  doctrine  du  Christ.  Il  y  a  eu  évolu- 
tion dans  la  société  sous  l'influence  dii  christianisme  ;  il  y  a  eu  progrès 
en  extension.  En  ce  sens,  l'Évangile  est  un  germe  qui  est  devenu  arbre, 
mais,  comme  connaissance  religieuse,  la  doctrine  chrétienne  n'est  pas 
un  germe  parce  qu'elle  n'a  pas  évolué,  et  qu'elle  existait  déjà  pleinement 
en  acte,  dans  l'âme  des  premiers  prédicateurs  de  notre  foi. 

Ch.  VII.  Y  a-t-il  un  catholicisme  ésoterique?  —  H  n'y  a  pas  d'ésoté- 
risme  ni  d'exotérisme  dans  la  religion  catholique.  Il  n'y  a  que  des 
catholiques  plus  ou  moins  complets  et  plus  ou  moins  conséquents.  Les 
représentations  mentales  de  l'idéal  unique  sont  chez  les  uns  plus 
frustes,  chez  les  autres  plus  affinées  ;  mais  la  doctrine  est  invariable 
comme  l'objet. 

L'ouvrage  du  P.  Allô  se  recommande  à  l'attention  de  tous  les  apolo- 
gistes, par  la  profondeur  et  l'originalité  de  la  pensée,  la  richesse  de  l'in- 
formation, le  souci  perpétuel   de  se   maintenir  dans   un  juste   milieu 


BULLETIN    d'apologétique  781 

doctrinal  qui  soit  celui  de  la  vérité.  De  plus,  la  parfaite  loyauté  de 
l'auteur,  la  façon  très  vivante  dont  il  développe  ses  idées,  son  atti- 
tude pleine  de  justice  et  de  charité  envers  l'adversaire,  rendent  ce  livre 
accessible  et  sympathique  à  tous  les  esprils.  Nous  croyons  cependant 
que  la  pensée  du  P.  Âllo  eût  parfois  gagné  en  clarté  et  en  précision, 
si  elle  avait  été  plus  dégagée  de  son  enveloppe  concrète  et  sensible,  ou 
de  certaines  expressions  équivoques  dans  la  manière  de  reconnaître  la 
part  de  vérité  que  renferment  les  systèmes  qu'il  critique.  M'eùl-il  pas 
été  bon,  par  exemple,  tout  en  admettant  que  les  formules  dogmatiques 
doivent  s'inberpréter  suivant  leur  acception  courante  (Ch.  II),  de  montrer 
que  le  sens  commun  professe  une  ontologie  rudimentaire,  et  que  par 
suite,  les  philosoptiies  qui  ne  respectent  pas  cette  métaphysique  primi- 
tive de  l'intelligence  humaine,  sont  incompatibles  avec  le  dogme  ?  On 
rencontre  également,  au  Ch.  VI^  (Germe  et  Ferment),  certaines  asser- 
tions qui,  prises  au  pied  delà  lettre,  pourraient  s'interpréter  dans  un 
sens  pragmatiste.Etce  n'est  pas,  certainement,  celui  que  l'auteur  a  voulu 
leur  donner. 

Nous  avons  résumé  dans  notre  précédent  Bulletin,  l'analyse  si  appro- 
fondie du  R.  P.  Gardeil  sur  la  crédibilité  (1).  Son  article  Cn-dibilité  du 
Dictionnaire  de  Théologie  (2),  la  reproduit  dans  ses  traits  essentiels,  en 
y  ajoutant  toutefois  l'histoire  de  cette  notion  au  cours  des  siècles.  Ce 
nouveau  travail,  très  documenté,  forme  un  répertoire  des  plus  utiles  à 
consulter,  pour  ceux  qui  désirent  connaître  les  différentes  manières  dont 
on  concevait  l'Apologétique  à  travers  les  âges.  Après  avoir  énuniéré  les 
principaux  textes  de  l'ancien  et  du  nouveau  Testament  relatifs  à  la  cré- 
dibilité, l'auteur  l'étudié  chez  les  Pères  Grecs  et  Latins.  «  Les  saints 
Pères,  sauf  de  rares  exceptions,  écrit-il,  n'ont  pas  traité  ex-professo  et 
d'une  manière  abstraite,  de  la  crédibilité  rationnelle.  C'est  principale- 
ment de  leurs  apologétiques,  de  leurs  sermons,  de  leurs  Commentaires 
sur  l'Écriture  sainte  que  l'on  peut  en  extraire  la  notion.  On  ne  la  trouve 
guère  développée  qu'en  fonction  des  motifs  de  crédibilité,  spécialement 
des  miracles  et  des  prophéties  »  (3).  Le  P.  Gardeil  justifie  cette  asser- 
tion à  l'aide  de  textes  nombreux  et  bien  choisis  ;  on  voit  par  là  que 
l'Apologétique  du  miracle  et  de  la  prophétie,  sans  être  la  seule  possible 
ou  la  seule  complète,  est  tout  à  fait  dans  l'esprit  de  la  tradition.  Le 
P.  Gardeil  classe  les  doctrines  scolastiques  sur  la  crédibilité  en  quatre 
groupes:  1"  d'Abélard  à  Guillaume  d'Auvergne  1120-1230.  2°  de  Guil- 
laume d'Auvergne  à  Capréolus  1230-1450.  3°  de  Capréolus  aux  Salman- 
ticenses  1444-1679.  4°  fin  du  XVII»,  XVIll^  et  XIX^  siècles.  «  Le  prin- 
cipal apport  de  saint  Thomas  à  la  théologie  traditionelle,  remarque 
avec  raison  le  P.  Gardeil,  est  la  précision  avec  laquelle  il  distingue 
l'ordre  naturel  et  l'ordre  surnaturel...  La  doctrine  de  la  puissance  obé- 
dientielle  en  sortit  ..  Dans  la  question  des  rapports  de  la  raison  et  de 
la  foi,  cette  limite  supérieure  des  forces  rationnelles  fut  l'établissement 
de  la  crédibilité  rationnelle  du  dogme  révélé  »  (4).  Toutefois,  l'élabora- 

1.  Rev.   des  Se.   Ph.   et   Th.,    1907,   p.   759   et  ssq. 

2.  Fasc.   XXIV  et  XXV. 

3.  Col.    22.S9. 

4.  Col.  2270  et  2271. 


782         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

tion  de  la  notion  de  crédibilité  suit  chez  saint  Thomas  une  marche 
ascendante,  le  P.  Gardeil  en  marque  avec  netteté  les  différentes  étapes  ; 
elles  vont  du  Commentaire  sur  les  Sentences,  au  texte  célèbre  et  clas- 
sique de  la  Somme  théologique  (IP  W"  Q.  I.  Â.  4.  ad  S"").  «  £n  quae  suh- 
sunt  fidei  possunt  dupliciter  considerari.  Uno  modo  in  speciali  et  sic  ?Jon 
possunt  esse  simul  visa  et  crédita.  Alio  modo  in  generali^  scilicet  sub 
communi  ratione  credibilis,  et  sic  siinl  visa  ab  eo  qui  crédit.  Non  enim 
crederel^  nisi  videret  ea  esse  credenda,  vel  propter  evidentiam  signorum, 
vel  propter  aliquid  hujusmodi  »,  La  notion  de  crédibilité  chez  les 
grands  Commentateurs  de  saint  Thomas,  Capréolus,  Cajetan,  Tolet, 
Suarez,  Jean  de  Saint-Thomas...  etc.,  se  trouve  exposée  avec  toute 
l'ampleur  désirable,  on  peut  ainsi  en  comparant  entre  elles  leurs  théo- 
ries, saisir  leurs  différentes  conceptions  sur  l'acte  de  foi.  L'article  se 
termine  par  un  rapide  aperçu  sur  l'état  moderne  de  la  question  en 
Allemagne,  en  Angleterre  et  en  France. 

L'article  pénétrant  de  M.  Mallet  :  L'unité  complexe  du  problème  de 
la  foi  (1),  est  une  réponse  aux  diverses  critiques  dont  son  étude  sur  la 
science  et  la  foi  (2)  avait  été  l'objet.  C'est,  remarque-t-il,  sur  le  rùle  de 
la  volonté  dans  la  foi,  que  porte  principalement  le  débat.  Le  plus 
grave  tort  de  ses  critiques  est  de  donner  comme  explication  cela  même 
qui  est  à  expliquer.  C'est  méconnaître  le  problème  soulevé  par  l'étude 
du  consentement,  que  de  considérer  exclusivement  ce  qui,  dans  la 
volonté,  ne  fait  que  commander  à  l'entendement,  et  de  plus  c'est  rendre 
l'intervention  de  la  volonté  irrationnelle  et  arbitraire.  De  ce  que  l'assen- 
timent est  inhérent  à  l'intelligence,  il  n'en  résulte  pas  que  la  volonté 
ne  puisse  être  essentielle  à  l'assentiment,  et  qu'elle  lui  reste  totalement 
étrangère.  Ce  n'est  jamais  sans  le  désir  d'une  vie  plus  pure  que  l'incré- 
dule arrive  à  la  foi,  ce  n'est  jamais  sans  une  volonté  droite  et  honnête 
que  la  foi  s'établit  ou  se  rétablit  dans  une  âme.  Il  ne  suffit  pas  pour 
avoir  la  foi,  d'étudier  des  arguments  et  des  témoignages,  mais  il  est 
essentiel  de  se  mettre,  par  un  exercice  normal  de  la  volonté,  en  état 
de  les  trouver  bons,  et  de  s'ouvrir  par  la  prière,  au  secours  qui  seul 
aide  l'incrédulité  et  engendre  la  foi.  L'important  est  de  montrer  com- 
ment dans  la  foi,  l'intelligence,  la  volonté,  et  la  grâce  se  combinent 
pour  ne  former  qu'un  acte  unique  et  homogène.  La  volonté  présuppose 
l'intelligence,  mais  elle  contribue  à  la  rendre  plus  éclairante  et  plus  péné- 
trante, la  grâce  à  son  tour,  qui  échappe,  comme  phénomène  surnaturel, 
aux  prises  de  la  conscience,  produit  cependant  des  effets  psycholo- 
giques susceptibles  d'être  notés,  par  exemple  l'inquiétude  salutaire. 

Assurément,  toutes  les  obscurités  inhérentes  au  problème  de  la  foi 
concrète  ne  sont  pas  dissipées,  mais  M.  Mallet  a  le  grand  mérite  d'avoir 
approfondi  une  question,  que  tant  d'autres  se  contentent  de  résoudre, 
à  l'aide  de  formules  trop  claires  pour  s'adapter  à  la  complexité  du 
réel. 

Dans  une  série  d'études,  sérieusement  documentées,  et  fortement 
pensées,  M.  Harent  a  recherché  les  raisons  et  les  influences  qui  ont  pu 

1.  Bévue  du   Clergé  français,   1er   fé\T.    1908. 

2.  Ihid.,    1er    et    15    août    1906. 


BULLETIN    d'apologétique  783 

amener  certains  catholiques  à  la  théorie  de  la  foi  intuitive  et  expérimen- 
tale (1).  C'est  d'abord  l'exclusivisme  de  la  philosophie  nouvelle  afTir- 
mant  que,  seules,  l'expérience  et  l'intuition  sont  sources  de  connaissance 
et  de  certitude  ;  mais  à  moins  de  détruire  les  sciences  historiques  et 
une  partie  des  autres,  il  faut  renoncer  à  cette  idée  fondamentale  de 
Kant,  que  la  valeur  de  la  connaissance  lient  à  l'expérience  de  son  objet. 
Car  la  connaissance  peut  avoir  une  vraie  valeur  objective,  et  pourtant 
elle  est  irréductible  à  l'expérience.  Il  ne  faut  donc  pas  exclure  de  la 
science  toute  conclusion  dont  l'objet  sort  des  limites  de  l'expérience 
humaine.  Il  y  a  ensuite  l'influence  d'une  fausse  théologie  luthérienne. 
C'est  au  protestantisme  libéral  que  les  catholiques  modernistes 
empruntent  leur  théorie  fondamentale  sur  la  foi  :  sentiment,  expérience, 
intuition  confuse  de  V Inconnaissable  ;  sur  l'Écriture  :  recueil  d'expé- 
riences religieuses  destiné  à  en  susciter  de  nouvelles  ;  sur  les  dogmes: 
purs  moyens  destinés  à  provoquer  le  sentiment  religieux  et  sans  valeur 
dès  qu'ils  ne  peuvent  plus  remplir  cette  fonction.  De  plus,  assigner  à 
la  foi  pour  objet,  comme  le  font  les  modernistes,  une  réalité  inconnais- 
sable, c'est  favoriser  le  panthéisme.  Pour  une  première  catégorie  de 
modernistes,  l'expérience  du  divin  est  un  fait  normal,  ordinaire,  une 
manière  facile  de  connaître  l'existence  de  Dieu,  directement,  sans  passer 
par  le  circuit  des  preuves  classiques,  dont  ils  nient  la  valeur.  C'est  le 
sentiment  qui  est  à  la  base  de  cette  nouvelle  manière  de  connaître  Dieu. 
Or,  l'acte  de  foi,  que  demande  le  christianisme,  diff"ère  essentiellement 
de  la  connaissance  naturelle  de  Dieu.  Pour  une  seconde  catégorie  de 
modernistes,  la  révélation,  phénomène  anormal,  d'une  intensité  extra- 
ordinaire, est  nécessaire  à  la  foi  chrétienne.  Or,  la  révélation  ne  se 
fait  pas  immédiatement  à  chaque  fidèle.  La  pia  cogilatio  ne  saurait 
s'identifier  avec  la  révélation,  car  elle  ne  tombe  pas  sous  la  conscience. 
La  théorie  moderniste  conduit  à  l'illuminisme  et  les  divers  éléments  de 
la  synthèse  moderniste  élaborée  par  M.  Tyrrell  sont  contradictoires.  En 
effet,  l'expression  de  l'expérience  religieuse  est  regardée  comme  une 
traduction  tout  humaine  et  faillible,  et  elle  est  cependant  couverte  par 
l'autorité  divine  ;  l'expérience  est  proclamée  à  la  fois  autonome  et  assu- 
jettie à  l'expérience  d'un  autre  ;  on  prône  l'évolution,  et  on  déclare  que 
la  révélation  ne  peut  faire  aucun  progrès;  on  assure  que  l'avenir  ne 
dépassera  jamais  les  expériences  apostoliques,  mais  on  ne  donne  aucun 
fondement  de  cette  assurance. 

La  révélation  est  un  ensemble  d'affirmations  garanties  par  l'autorité 
du  témoignage  divin.  Les  modernistes,  à  la  suite  du  protestantisme 
libéral,  vident  complètement  la  révélation  de  son  contenu  doctrinal.  Le 
dogme  n'est  plus  qu'une  invention  humaine  surajoutée  à  la  révélation. 
Dans  le  Nouveau  Testament,  la  révélation  apparaît  comme  une  doctrine. 
Don  surnaturel,  témoignage  de  Dieu,  témoignage  communiqué  à 
d'autres  personnes,  voilà  les  traits  distinctifs  qui  prouvent  que  la  révé- 
lation est  extérieure.  Cependant,  la  révélation  suppose,  dans  notre 
esprit,  un  désir  de  la  recevoir.  En  face  de  la  révélation,  l'homme  est 
passif  et  actif  à  la  fois. 


1.  Expérience  et  Foi.  Études,  20  net.   1907.  o  ot  20  avril.   IHOS. 


784  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Signalons  du  même  auteur  Tarlicle  :  Croyance  dans  le  Dictionnaire 
de  Théologie  (1),  il  renferme  des  notions  qui  intéressent  au  plus  haut 
point  l'Apologétique.  Définition.  C'est  un  état  d'esprit  qui  n'est  plus 
mêlé  de  doute  et  par  là  diffère  spécifiquement  de  l'opinion,  et  qui 
d'autre  part,  reste  croyance  distincte  de  la  science,  malgré  la  fermeté  de 
sa  conviction.  Cette  définition  tient  le  milieu  entre  le  sens  très  large 
(affirmation  et  jugement)  et  le  sens  très  restreint  (croyance  au  témoi- 
gnage). Objet  :  vérités  connues  par  le  témoignage,  vérités  morales  et 
religieuses,  vérités  de  sens  commun,  exactitude  de  notre  souvenir, 
prévision  de  l'avenir.  Causes  :  1°  L'habitude  et  l'association  des  idées. 
"2°  Le  penchant  naturel  à  la  certitude.  3*^  Les  motifs  intellectuels.  4°  L'i- 
gnorance des  difficultés,  o"  L'imagination  et  l'action.  G°  Le  sentiment. 
7°  L'influence  d'autrui.  8^  La  volonté  libre.  Critique  de  la  valeur  des 
croyances.  La  croyance  est  illégitime,  lorsque  la  volonté,  malgré  la 
conscience  de  l'insuffisance  du  motif,  tend  par  un  coup  de  force  à 
supprimer  le  doute  prudent  et  arrive  à  obtenir  une  certitude  d'entête- 
ment. La  croyance  est  légitime,  lorsque  la  certitude  d'adhésion  est 
obtenue  sans  imprudence  ;  on  n'est  pas  assez  éclairé  pour  découvrir  la 
médiocrité  du  motif,  celui-ci  se  trouve  ainsi  pourvu  d'une  suffisance 
relative.  Quelquefois  cependant,  le  motif  intellectuel  a  une  .suffisance 
absolue,  dans  ce  cas  la  volonté  doit  intervenir  pour  chasser  les  doutes 
imprudents  et  déraisonnables.  L'intervention  delà  volonté  est  légitime. 
Il  suit  de  là  qu'exiger  l'évidence  au  sens  strict,  celle  qui  rend  le  doute 
absolument  impossible,  est  arbitraire  autant  que  dangereux,  /iô le  pro- 
videntiel 'de  la  croyance.  Grâce  à  la  croyance,  l'éducation,  l'action,  l'ex- 
tension de  la  vérité  à  tous,  sont  possibles.  Elle  joue  également  un  rôle 
social  important  et  elle  devient  l'épreuve  de  notre  liberté. 

Il  faut  louer  l'auteur,  de  la  précision  qu'il  a  apportée  dans  une  matière 
si  difficile,  et  des  vues  suggestives  que  renferme  son  travail.  Il  ne  nous 
semble  pas  cependant  avoir  assez  mis  en  lumière  le  pourquoi  de 
l'intervention  de  la  volonté  dans  la  croyance.  Selon  M.  Harent,  elle  ne 
se  produirait  que  pour  chasser  une  doute.  Pour  saint  Thomas,  la 
volonté,  alors  même  qu'il  n'y  aurait  pas  de  doute  à  réprimer,  n'en  a 
pas  moins  son  rôle  à  remplir,  car  son  intervention  est  nécessitée 
premièrement  et  directement  par  l'insuffisance  objective  de  la  proposi- 
tion à  mouvoir  l'esprit.  «  Quandoque  Dero  intellectus  determinatur  ad 
altérant  partem  conlradictionis  per  voluntatem,  quae  eligit  assenliri  uni 
parti  determmate  et  précise  propter  aliquid  quod  est  sufficiens  ad  moven- 
dum  voluntatem,  non  auteni  ad  movendum  intellertum,  utpole  quod  vide- 
lur  honum  vel  conveniens  huic  parti  assenlire-»  (Q.  disp.  De  Veritate.  Q. 
XIV.arLl).  C'est  cette  raison  de  bien  (attrait  ou  devoir)  qui  est  le  moteur 
spécifique  de  la  volonté  dans  tout  acte  de  foi. 

Dans  sa  thèse  de  doctorat  présentée  à  la  faculté  de  théologie  de  Lyon, 
M.  Catherinet  a  spécialement  étudié  ce  rôle  de  la  volonté  dans  l'acte 
de  foi  {1).  Il  y  a  dans  ce  travail,  de  sérieuses  qualités  d'infoimation,  de 


1.  Fasc.   XXV. 

2.  Le   rôle   de   la   volonté   dans    l'acte   de   foi,    Iinp.    de   l'École    profess.    de 
Sacuny-Brignais,  1908. 


BULLETIN    d'apologétique  785 

lucidité,  de  sûreté  d'analyse.  L'auteur  détermine  d'abord  l'influence  de 
la  volonté  dans  le  jugennent  de  crédibilité.  Le  jugement  sur  l'autorité 
de  Dieu  étant  de  même  nature  que  le  jugement  sur  l'existence  de  Dieu, 
la  volonté  y  intervient  pour  fixer  l'attention  et  refouler  les  doutes 
imprudents,  mais  elle  ne  peut  remplir  ce  rùle  que  si  elle  aime  la  vérité. 
La  volonté  intervient  dans  la  connaissance  de  l'existence  des  critères 
externes  qui  établissent  le  fait  de  la  révélation,  soit  parce  que  la  certitude 
historique  de  l'existence  de  ces  critères  suppose  une  certaine  connais- 
sance du  vrai  Dieu,  soit  parce  que  la  certitude  historique  ne  donne 
qu'une  évidence  extrinsèque.  La  première  condition  requise  pour 
connaître  l'obligation  de  l'acte  de  foi  est  la  bonne  intention,  c'est-à-dire 
l'orientation  de  l'âme  vers  Dieu.  Les  motifs  qui  font  de  l'acte  de  foi  un 
moyen  obligatoire  pour  arriver  à  Dieu,  sont  d'abord  un  motif  extrin- 
sèque :  le  précepte  divin,  puis  un  motif  intrinsèque  qui  n'est  ni  l'espé- 
rance, ni  l'amour,  ni  à  proprement  parler  l'obligation  que  nous  avons 
de  connaître  la  vérité,  mais  l'autorité  de  Dieu,  Vérité  infinie  et  Souve- 
rain Maître.  L'acte  de  foi  est  libre,  parce  qu'il  est  essentiellement  un 
assentiment  donné  de  confiance,  et  que  la  confiance  en  Dieu,  si  bien 
justifiée  qu'elle  soit,  ne  s'impose  pas  à  la  volonté  comme  un  bien  sans 
mélange.  M.  Catherinet  termine  sa  thèse  par  l'analyse  de  la  certitude 
de  l'acte  de  foi.  Sans  la  connaissance  certaine  de  l'autorité  de  Dieu  et 
du  fait  de  la  révélation,  l'acte  de  foi  serait  impossible.  Croire,  c'est 
mettre  en  valeur  ce  motif  formel  ;  la  certitude  de  la  foi  se  mesure  non 
pas  sur  la  valeur  des  titres  qui  établissent  le  fait  de  la  révélation,  mais 
sur  la  force  objective  du  motif  formel  accepté,  fécondé,  utilisé  par  notre 
coopération  surnaturelle.  Le  motif  formel  donne  la  certitude  objective  ; 
l'intervention  de  la  volonté  met  l'intelligence  dans  l'état  de  certitude 
subjective. 

La  question  du  rapport  de  la  nature  et  du  surnaturel  est  des  plus 
importantes  en  Apologétique  ;  il  faut  donc  savoir  gré  à  M.  Ligeard,  de 
nous  avoir  exposé,  d'une  manière  si  complète  et  si  vivante,  la  doctrine 
que  les  théologiens  scolastiques,  depuis  le  XIII*  jusqu'au  XYIIP  siècle, 
ont  professée  sur  ce  sujet  délicat  (1).  M.  Ligeard  nous  donne  d'abord  la 
théorie  de  l'école  Thomiste.  La  doctrine  de  Suarez  se  dislingue  de  celle 
de  saint  Thomas.  Pour  saint  Thomas,  la  puissance  obédientielle  est  une 
puissance  purement  passive,  qui  sert  de  sujet  récepteur  à  l'activité 
surnaturelle.  Pour  Suarez,  la  puissance  obédientielle  est  une  puissance 
active,  mais  qui  exige  pour  agir  le  concours  divin  ;  la  grâce  n'est 
qu'une  transformation  de  l'activité  et  de  l'énergie  potentielle  du  sujet. 
M.  Ligeard  écrit  que  la  doctrine  Suarésienne  fut  presque  universelle- 
ment adoptée  dans  l'école  Thomiste,  et  parmi  les  tenants  de  cette  opi- 
nion il  range  Billuart.  Sur  ce  point,  l'érudition  de  M.  Ligeard  est  en 
défaut,  car  Billuart  rejette  formellement  la  thèse  de  Suarez  sur  la 
puissance  obédientielle  active,  il  lui  reproche  d'être  contradictoire  et 
de  ruiner  l'ordre    de  la  grâce  (2).   Selon  la  théorie  thomiste,  poursuit 

1.  Le  rapport  de  la  nature  et  du,  surnaturel,  d'après  les  théologiens  scolas- 
tiqurs  du  XI11<^  au  XVJII^  siècle.  Revue  pratique  d' Apologétique,  15  janv., 
le'  fév.,  1er  et  15  mars  1908. 

2.  Billuart.  Thcol.  dog.,  t.  I.  Diss.  IV.  Art.  V,  §  .3,  p.  121  et  ssq. 
9e  édit,    1852. 


786         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 

M.  Ligeard,  et  quelles  que  soient  les  divergences  des  explications  sur  le 
désir  naturel  du  surnaturel,  le  surnaturel  demeure  le  terme  idéal  auquel 
peut  aboutir  l'activité  humaine  ;  le  don  gratuit  qui  lui  en  est  fait,  met 
ainsi  le  comble  à  tous  ses  désirs.  La  relation  unissant  la  nature  au 
surnaturel,  n'est  qu'un  pur  rapport  d'harmonie  et  de  convenance,  à 
aucun  titre  elle  ne  crée  dans  la  nature  un  droit  strict  au  surnaturel. 
L'école  Scotiste  fait  du  surnaturel  une  entité  créée  et  extérieure  à  la 
nature,  elle  admet  cependant  qu'elle  est  portée  vers  le  surnaturel  par 
un  appétit  inné,  mais  inefficace.  D'après  l'école  augustinienne  (Noris, 
Belleli,  Berti),  l'état  de  nature  pure  est  impossible,  non  pas  sans  doute 
absolument  et  pris  en  lui-même  du  point  de  vue  de  la  toute-puissance 
divine,  mais  du  point  de  vue  de  la  convenance  morale,  en  tant  qu'il 
s'harmonise  moins  à  l'infinie  bonté  de  Dieu,  à  sa  justice,  à  sa  sagesse. 
M.  Ligeard  indique,  en  terminant,  l'utilisation  apologétique  de  la  théorie 
scolastique.  Loin  de  considérer  la  vie  et  la  vérité  surnaturelle  comme 
venant  se  juxtaposer  brutalement  à  la  nature,  sans  avoir  avec  elle 
aucun  point  commun,  les  grands  docteurs  se  sont  efforcés  de  montrer 
comment  elle  est  le  terme  même  de  son  activité  et  répond  à  toutes  ses 
aspirations.  La  théologie  scolastique  satisfait  donc  dans  une  mesure 
légitime  aux  exigences  que  formule  la  philosophie  moderne,  au  nom 
du  principe  d'immanence. 

La  nouvelle  édition  de  l'ouvrage  de  M.  Bainvel  :  «  La  Foi  et  Vacte  de 
Foi  »  (1)  diffère  peu  de  la  précédente,  l'auteur  estimant  que  les  travaux 
parus  depuis  n'ont  pas  notablement  éclairci  la  question  (2).  «  Je  n'ai 
donc,  conclut  le  savant  théologien,  presque  rien  changé  au  corps  du 
livre.  Quelques  corrections  de  style,  quelques  explications  plus  précises, 
quelques  lignes  pour  remettre  en  mémoire  des  opinions  que  je  suppose 
connues  et  auxquelles  je  fais  allusion  en  passant:  c'est  tout.  Mais  j'ai 
ajouté  deux  appendices.  L'un  donne  les  textes  du  Concile  du  Vatican 
sur  la  foi  ;  l'autre  est  un  recueil  des  textes  de  saint  Thomas  qui  ont  paru 
les  plus  intéressants  sur  la  question  »  (3).  Nous  recommandons  vive- 
ment le  livre  de  M.  Bainvel  à  ceux  qui  désirent  un  exposé  exact  de  la 
théorie  traditionnelle  sur  l'acte  de  foi.  L'extrême  précision  de  l'auteur, 
la  fermeté  de  sa  logique,  sa  connaissance  approfondie  de  la  théologie, 
montrent  sous  un  jour  particulièrement  lumineux,  comment  la  concep- 
tion classique  de  la  Foi  a  toujours  su  garder  la  via  média,  entre  le 
fidéisme  et  l'intellectualisme  exagéré. 


II 

LES  MOTIFS  DE  CRÉBIDILITÉ. 

M.  TouzARD  a  donné  dix  conférences  à  l'Institut  catholique   de  Paris, 
sur  la  valeur  apologétique  de  l'argument  prophétique.  On  en  trouvera 

1.  Paris,  Lethielleux,   1908. 

2.  L'auteur  excepte  l'ouvrage   du   R.    P.    Gardeil  :   La   Crédibilité   et   l'Apo- 
logétique. 

3.  Préf.  de  la  2"  -dit.,  p.  8. 


BULLETIN    d'apologétique  787 

une  partie  dans  la  Revue  pratique  (V Apologétique,  mais  nous  attendons 
pour  les  analyser  que  l'ouvrage  entier  ait  paru.  La  compétence  de 
l'auteur  et  l'importance  de  la  question  font  désirer  que  cette  publication 
ne  larde  pas. 

Nous  avons  parlé  dans  notre  précédent  Bulletin  (1)  des  deux  premières 
études  que  M.  Maiso^jneuve  a  consacrées  à  la  réfutation  de  la  théorie  de 
M.  Le  Roy  sur  le  miracle.  Dans  la  dernière  (2),  le  savant  professeur  de 
Toulouse  montre  fort  bien  que  M.  Le  Roy  confond  la  cause  formelle 
et  la  cause  finale  du  miracle.  L'idéalisme  de  M.  Le  Roy  s'appuie  sur  les 
théories  du  morcelage,  du  déterminisme  conventionnel,  du  subjectivisme 
des  sensations  ;  mais  aucune  de  ces  théories  n'est  fondée.  Le  miracle 
n'est  pas  le  produit  de  la  foi,  l'aflirmer,  c'est  détruire  les  bases  mêmes 
de  la  foi.  C'est  l'aspect  préternaturel  d'un  fait  qui  détermine  la  conviction 
de  ceux  qui  en  sont  témoins. 

D'après  le  R.P.  Mercier,  O.P.,  le  miracle  serait  un  phénomène  surna- 
turel (3).  Le  miracle  est  l'œuvre  de  Dieu,  mais  de  Dieu  se  rapprochant 
librement  de  l'humanité,  se  mêlant  aux  choses  humaines.  Il  implique 
nécessairement  un  certain  anthropomorphisme  de  Dieu.  C'est  Dieu 
descendant  au  niveau  de  l'homme,  s'identifiant  par  mode  d'union  avec 
les  diverses  causes  dont  l'influence  se  fait  sentir  dans  l'existence 
humaine.  A  cette  thèse  du  miracle  phénomène  surnaturel,  nous  préfé- 
rons celle  que  M.  Lefebvre  a  défendue  dans  la  Revue  du  Clergé  français 
(4),  et  où  il  montre  que  le  miracle  est  une  œuvre  opérée  d'une  manière 
surnaturelle,  sans  être  pour  cela  une  œuvre  surnaturelle.  La  manière 
dont  la  cause  agit  et  dont  l'effet  est  produit  par  cette  cause  ne  peut 
aucunement  servir  à  qualifier  cet  effet.  La  santé,  la  vue,  l'ouïe  recou- 
vrées miraculeusement,  ne  diffèrent  en  rien  de  ce  qu'elles  sont,  lors- 
qu'elles sont  le  fait  de  la  nature.  On  ne  retrouve  pas  davantage  dans  le 
miracle  la  définition  des  entités  surnaturelles,  comme  la  grâce,  la  foi, 
l'espérance, la  charité.  Nous  ferons  également  remarquer,  que  le  miracle 
aurait  très  bien  pu  se  produire  dans  ce  que  les  théologiens  appellent 
l'état  de  nature  pure  «  Nihil  repugnaret  in  natura  pura,  écrit  Van 
Weddingen  dans  son  excellente  thèse  sur  le  miracle,  si  Deus  ad  hominis 
oralionem,  sanitatem  ei  per  miraculum  reddidisset  »  (5).  Aussi  bien, 
refusait-il  de  voir  dans  le  miracle  une  entité  surnaturelle. 

M.  le  Docteur  Baraduc,  par  une  application  de  sa  théorie  du  fluide 
vital,  prétend  nous  donner  les  conditions  physiques  et  naturelles  du 
miracle  (6).  Il  croit  avoir  photographié  ce  fluide  supra-humain  au  pèle- 
rinage des  malades  à  Lourdes  (15  août  1906).  Un  des  clichés,  écrit-il 
avec  une  tranquille  assurance,  «  a  été  pris  au  moment  du  miracle  de 
Fanny  Combes  ;  il  représente  un  ruban  fulgurant.  Les  autres  ont  été  pris 


1.  Eevue   des   Sciences   Phil.    et    Théol.,    oct.    1907,    p.    771. 

2.  La  notion  du  miracle.  Eevue  du  Clergé  français,  1er  d.éc.  1907. 

3.  Revue  Thomiste,   sept.-Oct.   1907. 

4.  La    notion    du    surnaturel,    1er    juia    1907. 

5.  De  Miraculo,   p.    212.   Louvain,    1869. 

6.  La  Force  curatrice  à  Lourdes  et  la  Psychologie  du  miracle.  Paris,  Blond, 
1907. 


788         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

dans  la  piscine  et  ont  une  apparence  toute  difTérenle,  si  bien  que  ces 
eaux  autour  desquelles  on  a  fait  tant  de  bruit  en  les  comparant  à  des 
bains  de  boue,  à  des  cultures  de  microbes,  sont  couvertes  d'un  dyna- 
misme intensif  d'aspect  fantômal,  facteur  de  cure  ».  Et  l'auteur  conclut 
triomphalement  que  ces  clichés  sont  «  la  démonstration  d'une  force  ». 
II  est  permis  de  sourire  de  cet  optimisme,  alors  que  de  nombreuses 
expériences  faites  par  des  savants  de  marque,  ont  réalisé  les  mêmes 
clichés,  par  de  simples  procédés  chimiques  et  sans  la  moindre  inter- 
A'ention  de  fluide  vital,  mais  ce  qu'il  y  a  de  particulièrement  réjouissant 
dans  l'opuscule  en  question,  est  l'explication  détaillée  que  donne  M.  le 
docteur  Baraduc,  sur  le  mode  d'action  de  cette  force.  L'atmosphère  de 
piété  de  la  foule  représente  une  bobine  d'induction  qui  suscite  la  force 
curatrice,  a  La  force  qui  va  agir,  est  représentée  par  la  tige  sur  laquelle 
s'enroulent  les  fils  qui  vont  produire,  par  induction,  le  courant  électrique 
curateur.  Ce  dynamisme  momentanémentcréé,  cause,  entre  les  potentia- 
lités humaines  et  sidérales,  des  effluves,  des  décharges  qui  atteignent 
tel  ou  tel  malade  et  produisent  des  effets  que  l'on  peut  diviser  en  trois 
catégories  :  phénomène  curateur  physique,  phénomène  curateur  physio- 
logique, phénomène  curateur  psychologique.  Tout  gît  dans  la  valeur  de 
la  force  induite  et  de  la  résistance  qu'elle  a  à  vaincre;  c'est  elle  qui  pro- 
duit le  phénomène,  mais  c'est  l'atmosphère  vibrante  de  piété  clamée  à 
haute  voix  qui  attire  la  force  productrice  du  phénomène  ».  Celte  citation 
suflît  à  faire  juger  de  la  valeur  scientifique  de  l'ouvrage. 

La  théorie  de  M.  Jules  Bois  (1)  se  distingue  nettement  de  celle  du 
docteur  Baraduc.  Selon  lui,  le  miracle  n'est  pas  le  produit  d'un  agent 
extérieur,  il  a  une  cause  purement  interne,  tout  se  passe  en  nous  et 
par  nous.  C'est  la  thèse  du  subconscient  appliquée  au  cas  du  miracle. 
M.  Bois  admet  la  réalité  des  faits  psychiques  dits  prodigieux  :  télépathie, 
clairvoyance,  réponses  des  tables,  guérison  par  la  volonté,  la  pensée  ou 
la  foi.  Les  faits  physiques  lui  paraissent  plus  douteux,  les  uns  résultent 
de  simples  trucages,  comme  par  exemple  les  photographies  spirites 
ou  les  matérialisations  de  fantômes,  les  autres  de  fraudes  parfois  incons- 
cientes. Mais  aucun  fait  psychique  ou  physique  ne  prouve  Finlervention 
d'une  intelligence  distincte  de  la  nôtre.  Tout  vient  du  médium.  Jamais 
aucun  y  esprit  »  n'a  manifesté  des  connaissances  transcendantes  au 
savoir  humain.  Pour  la  même  raison,  le  miracle  est  une  production 
humaine.  Le  miraculé  est  seule  cause  du  miracle.  Les  «  facultés  extra- 
ordinaires »  des  saints  ne  diff"èrent  pas  du  pouvoir  des  médiums,  et  les 
miracles  de  Lourdes  sont  le  produit  de  la  suggestion.  Cette  branche 
nouvelle  de  la  psychologie  est  la  mélapsy chique.  La  métapsychique 
étudie  les  miracles  et  s'essaye  à  lesreproduire  ;  son  but  est  de  remplacer 
VAu-delà  par  VEn-deçà.  M.  J.  Bois  est,  comme  on  le  sait,  un  écrivain  de 
talent,  mais  les  réelles  qualités  littéraires  de  son  livre  ne  parviennent 
pas  à  masquer  sa  fragilité  philosophique.  Le  subconscient  est  encore 
trop  peu  connu  pour  être  regardé  comme  une  solution  adéquate  ;  il  est 
aussi  mystérieux,  sinon  plus,  que  la  réalité  dont  il  prétend  être  l'expli- 


1.  Le  miracle  moderne.   Paris,    Ollendorf,    1907. 


BULLETIN    d'apologétique  789 

cation.    M.  Michelet,  dans  une  série  d'études  remarquables  résumées  ici 
même  (1),  l'a  établi  avec  toute  la  clarté  désirable. 

Le  récent  opuscule  de  M.  le  docteur  Lavrand  (2)  forme  une  excellente 
contribution  à  l'Apologétique  du  miracle.  Il  y  montre  que  la  suggestion 
ne  saurait  expliquer  les  miracles  de  Lourdes.  Voici  ses  principales  con- 
clusions. La  puissance  lliérapeiitique  de  la  suggestion,  même  dans  les 
maladies  nerveuses  prises  dans  le  sens  de  névroses,  demeure  limitée  et 
incertaine.  Dans  les  maladies  organiques  (altérations  cellulaires,  ulcères, 
fractures  osseuses. .  etc.),  elle  ne  saurait  expliquer  les  réparations  rapides 
ou  soudaines.  Or  au  Bureau  des  Constatations,  les  affections  nerveuses 
sont  écartées,  on  y  constate  la  guérison  instantanée  de  lésions  orga- 
niques, et  les  miraculés  sont  souvent  incapables  de  suggestion.  On  ne 
saurait  donc  attribuer  les  miracles  de  Lourdes  à  la  suggestion. 

Ce  qui  fait  ressortir  encore  plus  l'inconsistance  de  toutes  ces  hypo- 
thèses, est  l'étude  attentive  des  phénomènes  miraculeux.  Celte  tâche 
est  rendue  particulièrement  facile,  grâce  à  la  nouvelle  édition  de  l'ou- 
vrage de  M.  le  docteur  Boissarie:  L'œuvre  de  Lourdes  (3).  «  C'est  le  cin- 
quième livre  que  j'écris  sur  Lourdes,  nous  dit-il  dans  l'avant-propos.  Je 
résume  les  principales  guérisons  observées  dans  ces  dernières  années; 
mais  je  veux  surtout  donner  une  description  fidèle  du  Bureau  des 
Constatations,  avec  les  épisodes,  les  incidents  de  séance,  les  polémiques 
soulevées,  les  études  sur  la  suggestion...  je  puis  dire  que  j'ai  vécu  ce 
que  je  raconte  ».  Le  savant  et  sympathique  docteur  retrace  d'abord 
l'histoire  des  apparitions,  puis  réfute  à  l'aide  de  nombreux  témoignages 
médicaux,  l'hypothèse  d'une  Bernadette  hallucinée  ;  mais  la  partie  la 
plus  intéressante  de  l'ouvrage  est  celle  qui  est  consacrée  au  récit  détaillé 
des  guérisons  les  plus  remarquables  opérées  à  Lourdes  pendant  les 
récents  pèlerinages.  On  en  trouve  dans  les  Aialadies  les  plus  diverses  et 
les  plus  réfraclaires  aux  efforts  de  la  science  :  péritonites  tuberculeuses, 
coxalgies,  cécités,  phtisies...  etc.  La  compétence  médicale  de  l'auteur,  sa 
sereine  impartialité  font  de  cet  ouvrage  un  livre  indispensable  à 
consulter,  pour  ceux  qui  veulent  se  documenter  sérieusement  sur  les 
miracles  de  Lourdes. 

Les  guérisons  qui  s'y  accomplissent  continuent  d'intéresser  vivement 
l'opinion  ;  c'est  ainsi  que  V Histoire  critique  des  événements  de  Lourdes 
par  M.  G.  Bertrin  (4),  vient  d'atteindre  sa  19^  édition.  Ce  fait  atteste  le 
succès  persistant  et  mérité  de  cet  ouvrage.  L'auteur  s'est  appliqué,  avec 
plus  de  soin  que  jamais,  à  entourer  les  faits  qu'il  raconte,  de  toutes  les 
garanties  possibles  d'objectivité;  aussi  bien,  une  revue  qu'on  ne  saurait 
accuser  de  partialité  en  faveur  du  catholicisme,  conclut  l'examen  du 
livre  de  M.  Bertrin  par  ces  paroles  qui  en  sont  le  plus  bel  éloge  :  «  La 
lecture  (de  ce  livre)  entraînera  chez  tous  les  esprits  non  prévenus  la 
conviction  qne  tous  les  faits  sont  réels  »  (5).  Dans   l'interprétation  des 

1.  Cf.    H.    D.    Noble.    Bulletin   de   philosophie.   Avril    1908,    p.    337    et   seq. 

2.  Lu  suggestion  et  les  guérisons  de  Lourdes.  Coll.  Science  et  Religion. 
Paris,   Bloud,   1908. 

3.  Paris,   Técrui.    1908. 

4.  Paris,  Lecoffre. 

5.  Annales  des  Sciences   psychiques,   déc.    1907. 

2e  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  4.  ji 


790         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

faits,  M.  Bertriû  s'efforce  d'en  montrer  le  caractère  miraculeux,  par 
l'élimination  des  causes  naturelles  ;  celles-ci  ne  peuvent  expliquer  le 
caractère  des  guérisons  opérées  à  Lourdes.  L'argumentation  de  l'auteur 
est  remplie  d'entrain,  elle  gagnerait  cependant  à  être  approfondie  par 
une  critique  philosophique  plus  rigoureuse.  M.  Bertrin  se  contente  trop 
souvent  d'un  appel  au  bon  sens,  et  le  bon  sens,  comme  le  faisait  remar- 
quer Descartes,  «  n'est  pas  une  preuve  qui  vaille  rien  pour  les  choses 
un  peu  malaisées  à  découvrir  »  (1),  Le  chapitre  sur  les  Forces  incon- 
nues renferme  quelques  confusions  sur  l'ontologie  du  miracle.  D'après 
M.  Bertrin,  les  lois  actuelles  ne  seraient  pas  des  lois,  mais  de  simples 
hypothèses,  si  des  lois  nouvelles  inconnues  pouvaient  un  jour  les 
détruire.  Or,  c'est  une  loi  de  la  nature,  que  les  désordres  produits  ne 
se  réparent  pas  subitement,  donc  aucune  loi,  même  inconnue,  ne  viendra 
la  contredire.  11  est  bien  évident  qu'une  loi,  dûment  constatée,  ne  peut 
jamais  être  détruite,  mais  une  autre  loi  supérieure,  naturelle  ou  surna- 
turelle, intervenant,  l'etTet  de  la  première  loi  se  trouve  seulement 
modifié  ou  suspendu,  sa  relation  permanente  de  cause  à  effet  subsiste 
entièrement.  «  Lorsque  Dieu  produit  un  effet  en  dehors  d'une  cause 
naturelle,  écrit  saint  Thomas,  il  ne  supprime  point  l'essentielle  relation 
de  cette  cause  à  son  effet  propre  ;  ainsi  dans  la  fournaise,  le  feu 
gardait  sa  puissance  de  brûler,  quoiqu'il  ne  brûlât  pas  les  trois 
enfants.  »  {Q.  disp.  De  Fotentia.  Q.  VI,  A.  I,  Âd  20"".) 

L'Église,  on  le  sait,  est  regardée,  et  ajuste  titre,  comme  un  motif  de 
crédibilité  de  première  importance.  Parmi  les  travaux  qui  l'ont  étudiée 
au  point  de  vue  apologétique,  il  faut  d'abord  signaler  les  rapports  pré- 
sentés au  Congrès  de  Velehrad  (2).  Le  plus  remarqué  fut  celui  du  R.  P. 
Urban,  s.  J.  :  De  iis^  quœ  Iheologi  calholici  prxslare  possinl  ac  deheant 
erg  a  ecclesiamrvssicam.  Wîni  écouté,  nous  dit  le  rapport  du  Congrès, 
«  avec  l'assentiment  général,  et  soit  pour  la  nouveauté,  soit  pour  l'im- 
portance de  la  matière,  accueilli  par  de  chaleureux  applaudissements  »  (3). 

En  voici  les  idées  fondamentales.  On  peut  en  un  sens  véritable  parler 
de  V Union  des  Églises,  quand  il  s'agit  des  Orientaux,  car  le  baptême, 
étant  la  forme  première  et  fondamentale  par  laquelle  le  corps  de  l'É- 
glise est  établi  et  persiste  dans  son  être,  il  s'ensuit  que  nul  homme 
baptisé  vaUdement  ne  peut,  tant  quilvit  ici-bas,  être  totalement  privé 
de  la  dignité  de  membre  du  corps  de  l'Église.  Comme  le  disait  Solo- 
vief,  les  tentatives  d'union  ne  seront  qu'une  vaine  illusion,  tant  que  l'on 
ne  reconnaîtra  pas  l'unité  essentielle  des  Églises  orientale  et  occiden- 
tale comme  parties  du  corps  du  Christ.  Les  Églises  grecque  et  russe 
possèdent,  dans  une  certaine  mesure,  les  propriétés  de  la  véritable 
Église  ;  il  ne  faut  donc  pas  les  nier  absolument,   mais   insister  sur   ce 

1.  Cf.  A.  Bros.  Comment  constater  le  miracle.  Annales  de  Philosophie  chré- 
tienne, juin   1906.  I 

2.  Cf.  Rev.  des  Se.  Ph.  et  Théol,  Chronique,  oct.  1907,  pp.  816  et  817  et 
avril  1908,  p.  403.  Ces  divers  rapports  viennent  d'être  réunis  en  brochure. 
Acta  I.  Conventus  Velehradensis  Theologorum  Commercii  studiormn  inter 
Occidcntem   et   Orientem   cupidorum.   Prague,    Rolilicek   et  Sievers,    1908. 

3.  Ibid.,   p.    5. 


BULLETIN    d'apologétique  791 

fait  que  l'Église  orientale  n'a  pas  tous  les  éléments  de  la  véritable 
Église...  défaut  qui  peut  et  doit  être  suppléé  par  l'union  avec  le  Pontife 
romain.  La  reconnaissance  de  la  primauté  du  Pape  n'est  nécessaire  au 
salut  que  de  nécessité  de  précepte,  une  ignorance  non  coupable  excuse 
donc  ceux  qui  refusent  de  s'y  soumettre. 

M.  0.  ZiDEK  a  étudié  la  notion  de  la  catholicité  dans  l'Écriture  et  la 
Tradition  (1).  D'après  le  savant  auteur,  les  livres  de  l'Ancien  Testament, 
surtout  les  Psaumes  et  les  Prophètes,  montrent  le  royaume  messianique 
comme  devant  s'étendre  à  toutes  les  nations  et  devant  durer  jusqu'à  la 
fin  des  siècles.  Pendant  les  quatre  premiers  siècles,  le  sens  du  mot 
«  catholique  »  n'a  pas  été  uniforme.  Pourtant,  on  peut  dire  qu'il  signifie 
alors  directement  l'unité  de  l'Église  du  Christ,  obtenue  par  l'identité  de 
doctrine  et  l'union  hiérarchique  ;  indirectement  :  ou  bien  l'Église  dans 
sa  totalité,  ou  dans  son  universalité. 

Le  fait  des  missions  forme  une  partie  intégrante  de  la  preuve  de  la 
catholicité  de  l'Église  romaine  ;  aussi  faut-il  remercier  le  R.  P.  Krose, 
S.  J.,  de  nous  avoir  donné  une  bonne  statistique  des  missions  catho- 
liques (2).  Le  mot  «  mission  »  doit,  selon  l'auteur,  se  restreindre  aux 
missions  en  pays  infidèle.  La  statistique  comprend  dans  son  objet  1°  le 
nombre  des  chrétiens,  2°  le  personnel  de  la  mission,  3°  les  établisse- 
ments, 4°  les  résultats.  L'utilité  d'une  bonne  statistique  est  de  faire 
connaître  l'état  d'une  mission  et  de  signaler  avec  lés  progrès  effectués, 
ceux  qui  restent  à  accomplir.  Se  basant  sur  les  travaux  les  plus  récents 
et  les  meilleurs,  le  P.  Krose  dresse  un  tableau  comparatif  de  l'état  des 
missions  catholiques  et  des  missions  protestantes  ;  il  distingue  les 
missions  actuelles  (19^  siècle)  et  les  missions  anciennes  (à  partir  du  16^ 
siècle).  Les  missions  catholiques  actuelles  comptent  8.321.963  catho- 
liques. Les  anciennes  missions  comptaient  21.988.000  catholiques.  En 
quatre  siècles,  le  chiffre  total  des  catholiques  s'élève  donc  à  30.309.963. 
Les  missions  protestantes  actuelles  comptent  3.216.684  protestants,  les 
anciennes  missions  en  comprenaient  4.000.000,  ce  qui  fait  un  total  de 
7.216.684  protestants  en  quatre  siècles.  Le  nombre  des  missionnaires 
catholiques  actuel  est  de  12.30.")  et  celui  des  protestants  de  4.470.  Cepen- 
dant les  protestants,  remarque  le  P.  Krose,  nous  devancent  pour  l'en- 
seignement ;  alors  que  nous  n'avons  que  17.834  écoles  avec  790.870 
élèves,  les  protestants  possèdent  18.921  écoles  avec  867.370  élèves. 

Le  phénomène  des  conversions  constitue  également  un  motif  de  cré- 
dibilité qui,  pour  être  d'un  ordre  plus  concret,  n'en  a  pas  moins  sa  valeur 
propre  et  son  efficacité.  On  ne  saurait  donc  qu'applaudir  à  l'excellente 
idée  d'écrire,  comme  l'a  fait  M.  Koure,  le  Journal  d'un  néo-converti  à 
l'aide  de  «  souvenirs  de  choses  vues,  souvenirs  de  conversations, 
souvenirs  de  lectures  »  (3).  Tout  est  vrai,  nous  dit-il  dans  la  préface, 


1.  De    ecclesiae    catholicilate.    Slavorum    Litterae    Theohgicae  ;    1908    1  et  2. 

2.  Katholische  Missionsstatislik.   Freiburg  im  Breisgau.   Hordersclie  Verlags- 
handlung,  1908. 

3.  TJn   chrétien.   Journal  d'un   néo-converti.    In-16   de   VI-83    d.    Paris,   Beau- 
chesne. 


792         BEVUE   DES  SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THEOLOGIQUES 

hormis  «  le  lien  léger  qui  unit  les  documents  sans  les  dénaturer  >>  et 
cela  fusion  en  un  personnage  d'éléments  d'origme  diverse».  INous 
assistons  au  retour  émouvant  et  attachant  d'un  jeune  medecm  a  la  toi 
de  son  enfance.  Après  sa  conversion,  il  nous  dit  la  paix  profonde  que 
son  àme  éprouve  dans  l'union  avec  Dieu.  Bien  des  épreuves  viennent 
cependant  traverser  sa  vie,  mais  illes  surmonte  avec  autant  d héroïsme 
que  de  simplicité.  Signalons,  au  cours  de  ces  notes  intimes  des 
remarques  fort  suggestives  sur  certaines  théories  à  la  mode,  tendant  a 
expliquer  par  des  causes  purement  physiologiques  la  plupart  des  senti- 
ments religieux.  -  Il  serait  vivement  à  souhaiter  que  des  essais  de  ce 
^enre  se  multiplient  Rien-n'e.st  plus  propre  à  enrichir  l'Apologétique 
et  à  élargir  ses  cadres,  que  la  psychologie  des  conversions 

L'étude  si  documentée  de  M  Ckosmer  sur  les  «  Convertis  d  hier»  (1) 
en  est  une  nouvelle  preuve.  L'auteur,  après  avoir  examine  les  motifs 
qui  ont  amené  au  catholicisme  Brunetière,  Bourget.  Huysmans,  toppee, 
Retlé.  conclut  que  «  les  conversions  dont  la  chaîne  se  déroule  sans 
cesse,  sont  la  preuve  vivante  qu'il  y  aura  toujours  pour  les  espnts 
sérieux,  pour  les  cœurs  droits,  des  raisons  acluelles  de  croire  a  ses 
dogmes,  de  pratiquer  sa  morale  et  de  recourir  à  ses  sacrements  ->.  Il 
réfute  ensuite  les  principales  critiques  de  M.  Sageret  ^2)  contre  tous 
ces  néo-convertis  et  montre  que  leur  conversion,  loin  d  avoir  diminue 
leur  talent  littéraire,  l'a  augmenté. 

III 

OUVRAGES  GÉNÉRAUX. 

Le  livre  de  M.  le  Chanoine  de  la  Paouerie  (3)  est  un  livre  d'expé- 
rience, car  il  est  le  fruit  d'une  lutte  quasi-journalière  avec  1  incrédulité 
vivante.  Cet  ouvrage  comprend  deuxparties.  Dans  la  première,  1  auteur 
évitant  à  dessein  les  discussions  trop  techniques,  s  efforce  dofînrune 
vue  générale  de  l'apologétique  catholique  qui  soit  à  la  portée  de  tous 
les  esprits.  Il  y  répond  aux  trois  questions  classiques  :  Dieuexis te-t-il  . 
S'il  existe,  faut-il  lui  rendre  un  culte?  S'il  faut  lui  rendre  un  culte,  est- 
ce  le  culte  catholique?  La   réponse   à   cette    dernière    question   nous 
paraît  la  m>eux  traitée  ;  l'auteur  y  développe  les  quahtés  que  doit  avoir 
la  religion  véritable.  Faite  par  Dieu,  elle  doit  être  digne  de  Dieu,  c  est- 
à-dire  être  sainte  ;  faite  pour  les  hommes,  elle  doit  être  appropriée  a  a 
nature  humaine,  être  vraie  ;  faite  pour  unir  Dieu  et  les  hommes    elle 
doit  s'adresser  à  tous  les  hommes,   c'est-à-dire  èWe  wnverselle  ei\env 
fournir  des  preuves  incontestables  de  sa  mission   divine,   c  est-à-dire 
être  simmturelle.  La  seconde  partie  :  Etudes  et  réponses  aux  objections  a 
pour  but  de  fournir  des  explications  supplémentaires,   d  ordre    plus 

1.  Bévue  pratique  d'Apologétique,  15  fév.  et  1er  mars  1908. 
2   Les  grands  convertis.  Société  du  Mercure  de  France,  Pans,  1906. 
3.  mments    d'Apologétique.    I.    Apologie    élémentaire.    Dieu    et    la   religion. 
Paris,  Bloud,   1908. 


BULLETIN    d'apologétique  793 

Strictement  philosophique.  L'auteur  y  expose  d'abord  dix  preuves  de 
l'existence  de  Dieu  ;  parmi  ces  dix  preuves  celle  tirée  de  l'impossibilité 
d'une  succession  infinie  et  de  l'éternité  du  monde  n'a  pas  de  valeur  aux 
yeux  de  saint  Thomas.  (Cf.  P  P.  Q.  46.  A.  2.)  11  réfute  ensuite  les  objec- 
tions de  Spencer  contre  l'idée  de  cause,  répond  aux  principales 
difficultés  du  panthéisme,  de  l'évolutionisme,  de  l'athéisme,  établit  la 
supériorité  du  catholicisme  sur  les  autres  relip;ions,  et  prouve  qu'il  n'y 
a  pas  d'incompatibilité  entre  la  science  et  la  foi. 

La  manière  personnelle  et  vécue  avec  laquelle  l'auteur  résout  les 
questions  qu'il  traite,  son  grand  bon  sens,  son  souci  d'être  clair  et 
précis,  rendent  la  lecture  de  cet  ouvrage  intéressante  et  profitable.  Il 
est  regrettable  cependant,  que  M.  de  la  Paquerie  n'ait  pas  mis  un  peu 
plus  d'ordre  dans  la  rédaction  de  ces  notes  apologétiques;  elles  se 
suivent  au  petit  bonheur  et  l'absence  à  peu  près  complète  de  titres 
accentue  encore  ce  manque  de  présentation  ;  les  références  ne  sont 
pas  non  plus  suffisamment  indiquées,  enfin  certaines  réfutations  sont 
par  trop  sommaires  et  quelques  preuves  sont  plutôt  énoncées  que  déve- 
loppées. 

Le  traité  :  De  Vera  religunie,  de  M.  l'abbé  van  Noort,  professeur  au 
séminaire  de  Warmund,  vient  d'être  réédité  (1)  ;  on  y  trouve  les  mêmes 
qualités  que  dans  ses  précédents  ouvages  :  clarté,  information  étendue, 
sûreté  doctrinale.  L'auteur  connaît  et  aime  saint  Thomas,  car  il  s'en 
inspire  pour  ses  thèses  fondamentales,  ce  qui  assure  à  son  livre  une 
base  très  solide.  La  première  partie  a  pour  objet  la  théorie  générale 
de  la  Religion  ;  à  signaler  un  excellent  exposé  de  la  notion  et  de  la 
constatation  du  miracle;  la  seconde  établit  la  divinité  de  la  religion 
catholique  :  divinité  de  la  mission  du  Christ,  divinité  de  son  œuvre. 

Le  livre  de  M.  Eugène  Franon  (2)  est  un  recueil  d'articles  publiés  dans 
un  bulletin  paroissial  du  diocèse  d'Autun.  L'auteur  cherche  à  éclairer  et 
à  convaincre  «  les  hommes  instruits,  d'esprit  ouvert  et  réfléchi,  et  les 
femmes  sérieuses,  qui  ont  le  goiît  et  le  sens  des  choses  intellectuelles.  » 
Il  étudie  les  principales  questions  religieuses  qui,  à  l'occasion  de  cer- 
tains faits  et  de  certains  mouvements  d'idées,  se  sont  tour  à  tour  posées 
devant  l'opinion  française,  au  cours  des  dernières  années.  Parmi  les 
soixante  études  qui  composent  ce  volume,  nous  signalerons  comme 
particulièrement  intéressantes  au  point  de  vue  apologétique  :  L'Église 
et  le  Progrès,  —  Anticléricalisme  et  anticléricaux,  —  Catholicisme  et 
décadence,  —  La  prospérité  des  nations  prolestantes  ;  la  déca- 
dence des  nations  catholiques,  —  Solidarité  et  Cliarilé,  —  L'infail- 
libilité du  Pape,  —  Science  et  miracle,  —  L'existence  de  Dieu  et  la 
théorie  de  l'évolution.  —  Ces  pages,  écrites  en  un  style  agréable,  sont 
d'une  lecture  facile  et  instructive,  parfois  cependant  la  pensée  gagnerait 
à  être  exposée  avec  plus  d'ampleur.  Ajoutons  que  l'absolue  sincérité 
de  l'auteur  justifie  pleinement  le  titre  :  Pages  de  bonne  foi. 

En  1903,  M.  le  prof.  Joseph  Ballehini  publiait  une   «  courte   défense 

1.  Amsterdam.    Van   Langeahuysen,    1907. 

2.  Pour    Vidée    chrétienne.    Patje^    de    bonne    foi.    Paris,    Beauchesne,    1908. 


794         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

des  principales  vérités  religieuses  contre  les  incrédules  de  nos  jours.  » 
Cet  ouvrage  qui  en  est  déjà  à  sa  quatrième  édition,  porte  maintenant  le 
titre  de  Brève  Apologia  (1).  Son  succès  est  dû,  pensons-nous,  à  la  clarté 
de  l'exposition.  La  première  partie  traite  de  ce  que  l'auteur  appelle  les 
questions  préliminaires  :  existence  de  Dieu,  origine  de  Thomme,  im- 
mortalité de  l'àme,  etc.  Nous  aurions  préféré  voir  l'auteur  se  cantonner 
plus  strictement  sur  le  terrain  de  lApologétique.  Celle-ci  ne  commence 
véritablement  qu'avec  la  seconde  partie  qui  étudie  les  principaux  signes 
de  l'existence  d'une  religion  révélée.  La  divinité  de  cette  religion  se 
fonde  sur  celle  de  Jésus  prouvée  par  les  mirales  et  les  prophéties.  La 
question  de  la  discernibilité  du  miracle  est  traitée  dune  manière 
beaucoup  trop  succincte  ;  à  des  difficultés  réelles  on  répond  par  des 
affirmations  tranchantes  et  qui  sont  loin  de  faire  la  lumière  sur  le 
sujet  donné.  La  théorie  de  la  prophétie  est  mieux  exposée,  l'auteur  en 
fait  une  application  heureuse  aux  prophéties  messianiques.  Les  preuves 
de  la  divinité  de  Jésus  forment  un  tableau  assez  complet  encore  qu'il 
y  règne  un  certain  désordre  ;  ainsi  l'argument  du  miracle,  après  avoir 
été  étudié  au  chap.  XXVI,  est  de  nouveau  repris  au  ch.  XXXllI.  L'auteur 
passe  également  sous  silence  les  critères  internes  ;  c'est  là  une  lacune 
importante  dans  un  traité  d'apologétique. 

Le  livre  du  R.  P.  Maumus  :  La  défense  de  la  foi  (2)  a  déjà  été  présenté 
aux  lecteurs  de  la  Revue  (3;.  Il  se  recommande  par  une  doctrine  très 
sûre,  exposée  avec  une  grande  lucidité  et  d'une  manière  vivante. 

Dans  notre  précédent  Bulletin,  nous  avons  dit  tout  le  bien  que  nous 
pensions  de  l'opuscule  de  M.  Ligeard:  Vers  le  Catholicisme.  Ce  petit 
volume  vient  d'être  réédité  (4).  Nous  lui  souhaitons  une  large  diffusion. 
C'est  un  essai  très  heureux  d'Apologétique  intégrale. 

Kain.  A.  de  Poulpiquet,  0.  P. 


1.  Firenze,   Libreria  éditrice   Fiorentina,    1908. 

2.  Paris,  Pion,  1907. 

3.  Cf.  no   d'a\-Til,   1908.    Suppl. 

4.  E.  Vitte,  Lyon,   1908. 


Bulletin    de    théologie    spéculative 


I.    —   Introduction  à  la  théologie. 


Ouestions  générales.  —  11  nous  faut  revenir  ici  sur  une  question 
fondamentale  que  nous  n'avions  fait  que  toucher  dans  notre  pre- 
"-''  mier  bulletin  :  l'objet  même  de  l'Introduction  à  la  Théologie.  Le 
R.  P.  Gardeil,  dont  nous  nous  étions  assimilé  la  pensée,  y  est  d'ailleurs 
revenu  lui  aussi  dans  une  série  d'articles  parus  ici  même,  sous  ce  titre  : 
La  notion  du  lieu  théologique  [l).  L'introduction  à  la  Théologie  se  réduit 
au  fond,  comme  il  a  été  dit,  au  traité  des  Lieux  théologiques.  Il  valait 
donc  la  peine  de  donner  tout  d'abord  une  notion  claire  et  précise  du  lieu 
théologique.  Le  travail  du  P.  Gardeil  est  construit  sur  de  larges  bases. 
Il  n'y  a  pas  que  la  notion  du  lieu  théologique  qui  y  soit  précisée  :  nous 
y  trouvons  encore  le  plan  général  d'une  introduction  à  la  théologie, 
conçu  comme  un  traité  de  lieux  théologiques  sur  le  modèle  qu'en  traça 
jadis  Melchior  Cano,  0.  P.  Le  lieu  théologique  est  décrit  en  fonction  du 
lieu  dialectique,  tel  que  l'entendait  Aristote.  Il  y  a,  en  effet,  non  pas 
conformité  absolue,  mais  parallélisme  entre  la  théorie  des  Lieux  dialec- 
tiques et  celle  des  Lieux  théologiques.  Voici  les  principales  conclusions 
de  l'auteur  ;  elles  sont,  pour  la  plupart,  peu  connues  de  notre  époque  : 
1°  C'est  dans  une  topique  que  la  théologie  trouve  normalement  son 
introduction  méthodique  ;  il  faut  en  conséquence,  débarrasser  la  métho- 
dologie Ihéologique  des  thèses  métaphysiques,  historiques,  canoniques, 
exégétiques,  qu'on  a  coutume  de  traiter  dans  les  manuels  d'introduction. 
2°  Les  traités  modernes  de  lieux  théologiques,  en  dépit  de  leur  titre,  ne 
contiennent  que  la  partie  de  la  Dialectique  théologique,  correspondant  à 
VArs  generalis,  c'est-à-dire  à  la  théorie  des  instruments  d'invention  des 
Lieux,  et  ainsi,  phénomène  paradoxal,  on  ne  rencontre  pas  de  lieux 
théologiques  proprement  dits  dans  la  plupart  des  traités  des  Lieux  théo- 
logiques, mais  seulement  des  préceptes  sur  la  manière  d'en  faire  ou  d'en 
découvrir.  3°  L'Ars  specialis,  c'est-à-dire  l'invention  même  des  Lieux 
théologiques,  est  encore  tout  entier  à  construire.  M.  Cano  en  a  fait  pour 
chaque  théologien  une  question  d'effort  personnel,  mais  il  y  a  grand 
avantagea  dresser  un  répertoire  des  principaux  et  authentiques  lieux 
théologiques  immédiats,  de  loci  tractati,  parati,  expediti,  visant  toutes 
les  grandes  questions  dogmatiques  et  aptes  à  fonder  immédiatement  une 

1.  Rev.   des   Se.   Ph.    et   Théol,    1908,    janvier,    p.    51-73;   avril,   p.    246-276; 
juiUet,    p.    48-1-505. 


796  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

argumentation  Ihéologique.  L'idéal  serait  une  Caractéristique  théolo- 
gique universelle,  à  la  façon  du  projet  de  méthodologie  scientifique  rêvé 
par  Leibniz.  Cet  idéal  n'est  pas  d'une  réalisation  impossible.  C'est  l'œuvre 
réservée  aux  jeunes  théologiens,  non  pas  à  ces  «  jeunes  »  à  qui  manque 
le  respect  de  la  tradition  et  qui  regardent  la  théologie  scolastique  comme 
une  œuvre  vaine  —  ils  ne  sont  pas  mûrs  pour  l'entreprendre  —  ;  mais  à 
ces  «  jeunes  »  avides  de  la  sagesse  des  anciens  et  convaincus  que  la 
théologie  scolastique  est  une  promotion  légitime  de  la  révélation.  Ils 
pourront  nous  donner  une  Introduction  à  la  Théologie,  véritable  et 
monumentale. 

Le  modernisme  théologique  constitue  au  fond  une  «  insigne  »  erreur 
de  principes  et  de  méthode  théologiques.  La  méthode  moderniste  est 
une  alliance  de  la  fausse  philosophie  avec  la  foi  ;  les  principes  de  la 
théologie  moderniste  sont  ceux  de  l'immanence,  du  symbolisme  et  de 
l'évolution  :  l'immanence,  désignant  l'origine  du  dogme;  le  symbolisme, 
marquant  sa  nature,  son  caractère  ;  l'évolution,  son  mode  de  dévelop- 
pement. L'encyclique  Pascendi  Dominici  gregis  a  dénoncé  et  condamné 
ces  faux  principes  de  théologie  :  «  La  méthode  du  moderniste  théolo- 
gien consiste  tout  entière  à  prendre  les  principes  du  philosophe  et  à  les 
adapter  au  croyant  :  et  c'est  à  savoir  les  principes  de  Vimmnnence  et  du 
symbolisme.  Fort  simple  est  le  procédé.  Le  philosophe  disait  :  Le  prin- 
cipe de  la  foi  est  immanent  ;  le  croyant  ajoutait  :  Ce  principe  est  Dieu  ; 
le  théologien  conclut  :  Dieu  est  donc  immanent  dans  Vhomme.  Immanence 
théologique.  De  même  le  philosophe  disait:  Les  représentations  de  Vohjet 
de  la  faisant  de  purs  symboles  ;  le  croyant  ajoutait  :  l'objet  de  la  foi  est 
Dieu  en  soi;  le  théologien  conclut  :  Les  représentations  de  la  réalité  divine 
sont  donc  purement  symboliques.  Symbolisme  théologique.  Insignes 
erreurs,  plus  pernicieuses  l'une  que  l'autre,  ainsi  qu'on  va  le  voir  claire- 
ment par  les  conséquences  «. 

Les  modernistes  posent  enfin  ce  principe  général  que,  dans  une 
religion  vivante,  il  n'est  rien  qui  ne  soit  variable,  rien  qui  ne  doive 
varier.  C'est  là  peut-être  le  point  capital  de  leur  système,  à  savoir  le 
principe  de  Vévolution.  Des  lois  de  l'évolution,  dogme,  Église,  culte. 
Livres  Saints,  foi  même,  tout  est  tributaire,  sous  peine  de  mort.  Il 
faut  lire  dans  l'Encyclique  même,  œuvre  de  synthèse  admirable, 
l'application  de  ces  principes  et  les  funestes  conséquences  qui  en  résul- 
tent. Une  bonne  analyse  de  ce  §  3  de  l'Encyclique  a  été  donnée  par  le 
P.  Joseph  MuLLER,  S.  J.  :  Die  Verurteilung  des  Modernismus  durch 
PiusX{i).  xM.   Van  der  Meerscu,  professeur  au  Grand  Séminaire  de 


1.  Zeitschrift  fur  Eatholische  Théologie,  1908,  n.  I,  p.  103  sqq.  Le  même 
auteur  a  polémisé  contre  Ehrhard  dans  une  brochure  qui  a  pour  titre: 
Die  Encycklica  Pius  X  gegen  dcn  Modernismus  und  Ehrhard's  Kritik 
derselhen.  Iimsbruck.  Rauch,  1908,  pp.  48,  in-8o.  Ehrhard  s'en  était  pris 
au  ton  et  au  contenu  de  l'Encyclique  :  le  ton  serait  loin  d'être  i>aternel, 
les  doctrines  morlomistes  auraient  été  mal  rendues  par  le  Pape;  l'Ency- 
clique, selon  Ehrhard,  provoqixait  \me  crise  théologique  intérieure  et  exté- 
rieure :  elle  mettait  en  danger  la  position  des  facultés  de  théologie  catholique 
aux  universités;  elle  condamnait  la  méthode  historico-critique,  alors  que  la 
scolastique  est  une  des  causes  de  l'origine  et  de  la  diffusion  du  modernisme. 


BULLETIN     DE    THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  797 

Bruges,  ne  s'est  pas  contenté  de  donner  dans  sa  brochure  :  De.  Modor- 
nismo  (1)  un  exposé  très  clair  de  la  première  partie  de  rEncyclique  ;  il 
a,  en  outre,  inséré  dans  son  analyse  les  principaux  textes  d'auteurs 
français  {Loisy,  Le  Roy),  où  sont  contenues  les  erreurs  atteintes  par  le 
document  pontitîcal.  Ce  travail  facilite  considérablement  l'intelligence 
de  l'Encyclique  et  du  système  qu'elle  réprouve.  —  M.  Lebreton  (2), 
nous  a  fait  connaître  la  théologie  moderniste  à  sa  source  même  : 
Il  'programma  dei  modernisti  et  les  différents  écrits  de  Tyrrell.  Il  a 
esquissé  très  brièvement  l'origine  du  mouvement,  les  principes  de  la 
théologie  moderniste,  les  conséquences  auxquelles  elle  aboutit.  Cette 
esquisse,  rapide  sans  doute  mais  très  fidèle,  nous  montre  que  l'Ency- 
clique a  bien  rendu  les  conceptions  modernistes  ;  elle  a  surtout  mis 
en  limiière  les  principes  de  la  théologie  tels  que  les  conçoivent  les 
modernistes,  la  révélation,  les  dogmes,  la  règle  de  foi.  Ces  principes 
ont  leur  source  dans  l'homme  ;  ils  sont  de  plus  individuels,  mesurés  à 
la  conscience  d'un  chacun.  Que  s'ensuit-il,  ajouterons-nous,  pour  la 
théologie,  comme  discipline  basée  sur  ces  principes  ?  Aon  seulement, 
ce  n'est  plus  une  science  divine,  ce  n'est  même  plus  une  science. 

L'origine  du  dogme  chrétien  est  un  des  points  les  plus  essentiels  de 
la  théologie  moderniste.  Dans  son  livre  :  Les  deux  aspects  de  Vlmma- 
Dence  et  le  Problème  religieux  (3^.  M.  l'abbé  Thamiry,  s'est  posé  cette 
question  :  La  raison  humaine  est-elle,  oui  ou  non,  créatrice  des  ilogmes? 
D'aucuns,  dit-il,  voudraient  nous  enserrer  dans  cette  alternative  :  ou 
bien  Vesprit  humain  est  le  créateur  des  dogmes,  ou  bien  les  dogmes  sont 
déclarés  irrecevables  au  nom  du  principe  d'immanence.  Mais  nous  ne 
sommes  nullement  pris  dans  cette  alternative  ;  «  non,  la  vérité  est  entre 
ces  deux  excès  et  nous  pensons  que  la  théorie  des  raisons  séminales 
peut  aider  à  le  faire  mieux  voir  )>.  Qu'est-ce  donc  que  la  théorie  des 
raisons  séminales  ?  C'est  une  théorie  basée  sur  le  principe  d'immanence 
relative.  Il  y  a  en  efîet  deux  aspects  de  l'Immanence  ;  le  concept  de 
l'immanence  absolue^  dont  les  formes  diverses  ne  sont  que  des  appli- 
cations plus  ou  moins  franches  du  modernisme;  et  le  concept  de  l'im- 
manence relative  appelée  aussi  théorie  des  raisons  séminales.  Selon 
St  Augustin,  notre  naturel  désir  de  connaître,  nos  sympathies  sponta- 
nées ne  germent  pas  en  nous  sans  que  leur  semence  ne  soit  en  notre 
âme.  Les  principes  premiers  de  la  raison  et  les  préceptes  universels  de 
la  conscience  morale  revêtent  ainsi  l'aspect  de  raisons  séminales. 
St  Thomas  a  noté  avec  soin  que  l'expression  :  raison  séminale,  contient 
une  métaphore  tirée  du  monde  des  vivants  et  que  pour  les  problèmes 
de  la  connaissance,  elle  ne  doit  pas  être  prise  à  la  lettre.  Pour  le  saint 
Docteur,  la  raison  séminale  dans   la    nature    cognoscitive    n'est   autre 


Le  P.  Miiller  s'est  attaché  à  montrer  que  les  griefs  du  Dr  Ehrhard  proviennent 
de  ce  qu'il  n'a  pas  compris  l'Encyclique,  et  reposent  la  plupart  du  temps 
sur  de  fausses   suppositions. 

1.  Brugis,  Typis  Ad.  Maertens,  1908,  in-8o  pp.  52.  Cette  étude  parut  d'abord 
dans  les  Colïaiiones  Bricgctises,  t.  XIII. 

2.  Ij' Encyclique,   et    la    Théologie   moderniste.    Paris,    Beauchesne,    1908,    pp. 
80,    in-12o. 

3.  Paris,  Blond  et  Oie,  1908,  in-8o,  308  pp.  cf.  p.  173.  Le  problème  du  dogme. 


798         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

chose  et  rieû  de  plus  que  Vinclinatio  potentiae  ad  proprium  ohjeclum. 
Pour  les  vérités  naturelles,  il  y  a  donc  lieu  de  parler  d'un  principe 
d'immanence,  non  pas  d'un  prmcipe  d'Immanence  absolue,  de  telle 
manière  que  l'intelligence  tire  d'elle-même,  et  uniquement  d'elle-même, 
la  vérité  ;  mais  d'un  principe  d'immanence  relative,  en  ce  sens  qu'il  y 
a  dans  l'intelligence  une  proportion,  une  capacité,  une  inclination  à 
recevoir  la  vérité.  Peut-on  parler  d'un  semblable  principe  d'immanence 
pour  les  vérités  surnaturelles  ?  «  Les  vertus  infuses,  dit  l'auteur, 
donnent  à  notre  intelligence  des  aptitudes  nouvelles,  à  notre  volonté  un 
amour  plus  grand  de  la  vérité  divine  ;  et  ces  secours  intérieurs  nous 
élèvent  au  niveau  de  l'enseignement  qui  nous  est  offert.  Toutes  ces 
grâces  viennent  parfaire  la  nature,  mais  elles  ne  l'absorbent  pas.  Les 
actes  que  nous  posons  sous  leur  influence  continuent  d'être  nôtres, 
puisque  nous  en  sommes  responsables  ;  ils  demeurent  l'œuvre  du  mou- 
vement vivant  de  notre  intelligence  ainsi  que  de  notre  bonne  volon- 
té... »  (1)  Donc  la  grâce  {Semen  iJei  [Si  Tu.]),  les  vertus  infuses  qui 
découlent  de  la  grâce,  constituent  de  vrais  principes  d'immanence 
relative  pour  les  vérités  surnaturelles.  C'est  de  cette  manière  que  la 
théorie  des  raisons  séminales  nous  aide  à  mieux  voir  comment  les 
dogmes  doivent  être  déclarés  non  irrecevables,  mais  recevables  au  nom 
du  principe  d'immanence  (relative). 

M.  Thamiry  a  appliqué  la  théorie  des  raisons  séminales  à  d'autres 
problèmes  que  celui  du  dogme  :  aux  problèmes  de  la  vie  et  de  l'action 
divine,  de  l'organisation  du  monde,  de  la  vie  et  de  l'évolution  de  l'âme, 
de  la  morale.  Pour  tous  ces  problèmes,  la  théorie  constitue  un  excellent 
essai  de  solution  et  l'ouvrage  de  l'éminent  professeur  accuse  par  suite 
un  véritable  progrès  ;  il  prouve  que  l'immanence  est  réelle,  distingue 
soigneusement  l'immanentisme  faux  ou  monisme,  de  l'immanentisme 
vrai,  et  limite  sagement  la  portée  de  la  méthode  d'immanence  en  apolo- 
gétique. 

II.  —  Théologie  systématique. 

Ouvrages  généraux. 

A  signaler  tout  d'abord  deux  nouveaux  volumes  des  Praelectiones 
dogmalicae  du  R.  P.  Pesch,  S.  J.,  publiées  en  3'^  édition.  Ce  sont  les 
tomes  III  et  V.  Ils  traitent  successivement,  le  tome  III,  de  la  création, 
de  l'élévation  à  l'ordre  surnaturel  et  de  la  fin  dernière,  le  tome  V, 
de  la  grâce  et  des  lois  divines  positives  :  la  loi  mosaïque  et  la  loi 
évangélique  (2).  L'éloge  de  ces  traités  n'est  plus  à  faire.  La  théologie 
du  P.  Pesch  fait  son  chemin  ;  elle  s'impose,  sinon  toujours  par  une  spé- 
culation profonde,  du  moins  par  l'abondance  des  données  théologiques 
positives  et  la  clarté  de  l'exposition.  Ce  qui  est  regrettable,  c'est  que  les 
présents  volumes  ne  constituent  qu'une  reproduction  trop  fidèle  des 

1.  P.    215/6. 

2.  IIL  De  Deo  créante  et  devante.  De  Deo  fine  ultimo  (XII  et  375).  —  V. 
De  gratta.  De  lege  divina  positiva.  Edit.  Illa.  Friburgi  Brisgoviae.  B.  Herder, 
1908. 


BULLETIN     DE     THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  799 

mêmes  traités  de  la  deuxième  édition.  Ceux-ci  n'ont  pas  été  revus,  ni 
augmentés,  ni  corrigés.  La  théologie  du  P.  Pesch  est  déjà  volumineuse; 
toutefois  rien  n'eût  empêché  d'ajouter  certaines  questions,  comme,  par 
exemple,  le  mode  de  la  connaissance  angélique.  D'autres  parties  méri- 
taient d'être  revues  et  corrigées  :  ainsi,  le  passage  où  le  R.  P.  explique 
le  motif  qui  fait  que  le  péché  originel  en  nous  est  volontaire,  aurait  été 
avantageusement  modifié  dans  le  sens  de  l'article  premier  de  la  P  II  ", 
qu.  81.  —  La  doctrine  sur  l'Immaculée  Conception  de  Marie  est  traitée 
à  la  suite  des  questions  touchant  le  péché  originel.  Parlant  de  saint 
Thomas,  le  R.  P.  conclut  que  le  grand  docteur  enseigne  «  disertis  ver- 
bis,  B.  Virginem  primo  instanti  infusionis  anim*  actu  confraxisse  pec- 
calum  originale  sed  brevi  post  gratia  sanctificatam  esse  ».  Il  nous  sem- 
ble que  les  défenseurs  de  saint  Thomas  et  leurs  adversaires  n'auraient 
pas  de  peine  à  se  mettre  d'accord  sur  les  thèses  suivantes  proposées  par 
ScHEEBEN  :  saint  Thomas  n'a  pas  enseigné  expressément  l'Immaculée 
Conception  de  Marie  ;  il  ne  l'a  pas  non  plus  formellement  niée  ;  il  a 
posé  les  principes  sur  lesquels  elle  se  base  et  par  suite  il  l'a  affirmée 
d'une  manière  implicite  (1).  Dans  le  traité  de  la  grâce,  l'auteur  exige, 
avec  les  Thomistes,  contre  Molina,  outre  l'habitude  surnaturelle  infuse, 
une  grâce  actuelle  pour  faire  une  œuvre  salutaire.  Partout  ailleurs,  il  se 
montre  le  champion  ardent  du  molinisme  auquel,  la  question  de  la  pré- 
destination mise  à  part,  il  identifie  le  congruisme.  Cependant,  les 
preuves  par  lesquelles  le  R.  P.  cherche  à  établir  les  multiples  contradic- 
tions que  renferme  la  doctrine  soi-disant  bannésienne,  ont  quelque  peu 
vieilli  ;  de  plus,  elles  manquent  absolument  de  solidité.  Ce  motif-là  seul 
aurait  pu  décider  le  savant  auteur  à  reviser  son  œuvre. 

M.  L.  Lab.\uche  a  commencé  la  publication  d'un  Cours  de  théologie, 
en  français.  Le  premier  volume  offre  un  traité  de  dogmatique  spéciale, 
celui  de  l'homme  (2).  Il  contient  quatre  parties  :  I.  L'homme  dans  Vétat 
de  justice  originelle  (distinction  entre  l'ordre  naturel  et  l'ordre  surnatu- 
rel). II.  L'Iwmme  dans  l'état  de  péché  originel  :  le  péché  d'Adam,  la 
transmission  de  ce  péché,  ses  effets,  sa  nature,  Dieu  et  le  péché  ori- 
ginel, doctrine  des  protestants  libéraux  sur  l'origine  du  péché. 
III.  L'homme  dans  l'état  de  grâce.  A.  La  grâce  actuelle,  controverses 
dont  elle  fut  l'objet  ;  controverses  pélagienne,  calviniste,  prédestina- 
tienne,  thomiste  et  moliniste,  janséniste.  B.  La  grâce  habituelle,  la 
justification,  dispositions  nécessaires,  sa  nature  et  ses  caractères  ;  le 
mérite,  sa  nature,  son  existence,  son  objet.  IV.  L'homme  dans  l'état 
de  gloire  ou  dans  l'état  de  damnation  :  l'Eschatologie  des  deux  testa- 
ments, dans  la  tradition  des  Pères,  dans  la  théologie.  —  Telle  est  la 
division  de  ce  premier  volume.  La  valeur  de  son  contenu  a  été  beau- 


1.  «  Man  sollte  daher  zufrieden  sein,  dasz  der  lil.  Thomas  gerade  an  den 
Stellen,  wo  er  tatsâchlich  die  Thèse  leugnet  oder,  wenn  man  will,  iguoriert,  das 
Princip,  worauf  dieselbc  beruht  und  worin  sie  unplicite  eingeschlossen  ist, 
immer  noch  hinreichend  festhalt  und  folglich  dieselbc  virtuell  behauptet  ». 
Hiindbuch  der  christl.  Dogmatik.  1.  5,  no  1708. 

2.  Leçons  de  théologie  dogmatique,  par  L.  Labauche,  prof,  à  l'école  de 
théologie  catholiqrie  de  Paris.  T.  I,  l'Homme,  XII-4:22  p.,  in-So,  Paris,  Bloud 
et   Cie,    1908. 


800  REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

coup  discutée  (1).  Sans  doute,  le  but  apologétique  que  s'est  proposé 
l'auteur  est  des  plus  louables.  Aux  apologistes  qui  sont  légion 
aussi  bien  parmi  les  laïques  que  parmi  les  ecclésiastiques  ,  il 
veut  «  fournir  une  doctrine  puisée  aux  meilleures  sources,  disposée 
selon  un  ordre  historique  et  pourtant  aussi  didactique  que  possible, 
qui  permette  de  suivre  rapidement  la  pensée  développée  »  (VIII).  En 
fait,  n'eût-il  pas  été  possible  de  pousser  plus  loin  que  ne  l'a  fait 
M.  Labauche  dans  ce  volume,  la  sûreté,  la  précision,  la  richesse  de 
l'information  ?  Certes,  il  y  a  de  très  bonnes  doctrines  dans  cet  ouvrage. 
Qu'on  nous  permette  cependant  d'en  relever  aussi  qui  le  sont  moins,  qui 
manquent  de  précision  ou  de  sûreté.  Je  passe  les  parties  où  est  traitée 
l'histoire  des  dogmes  et  certaines  interprétations  de  passages  de  l'Écri- 
ture, pour  ne  m'arrêter  qu'aux  propositions  dogmatiques  et  aux  exposés 
théologiques.  La  proposition  qui  consistée  dire  que  Dieu  veut  vraiment 
le  salut  de  tous  les  hommes  et  qu'il  leur  destine  à  tous  des  grâces  plus 
ou  moins  suffisantes,  doit  être  admise,  dit  l'auteur,  p.  201.  «  Énoncée 
sous  cette  forme,  elle  est  non  seulement  une  proposition  certaine, 
mais  une  proposition  de  foi  ».  Cette  proposition  doit  être  admise, 
c'est  vrai,  mais  elle  n'est  nullement  une  proposition  de  foi.  Ce  n'est 
qu'une  conclusion  théologique  solidement  établie  (2).  Ce  qui  est  de 
foi,  c'est  que  Dieu  veut  le  salut,  non  pas  seulement  des  prédestinés, 
mais  au  moins  de  tous  les  fidèles.  Que  Dieu  veut  le  saint  au  moins  de 
tous  les  adultes  est  une  proposition  fidei  proxima.  Mais  qne  Dieu  veut 
le  salut  de  tous  les  hommes,  inclus  les  enfants  qui,  sans  qu'il  y  ait 
de  leur  faute,  meurent  sans  baptême,  c'est  l'opinion  commune  des 
théologiens,  Vasquez  excepté  (3).  A  la  p.  130,  l'auteur  écrit:  «  Que  la 
grâce  actuelle  proprement  surnaturelle  soit  absolument  requise  pour 
faire  les  actes  salutaires  qui  précèdent  la  justification,  cette  doctrine 
est  de  foi  comme  définie  en  dernier  lieu  par  le  Concile  de  Trente,  où  il 
est  dit  que  par  le  moyen  du  seul  libre  arbitre,  l'homme  ne  peut  faire 
aucun  acte  salutaire  ».  Cette  formule  est  à  tout  le  moins  équivoque.  Le 
Concile  de  Trente  a  défini,  i°  que  l'homme  ne  pouvait  être  justifié 
«  ahsque  divina  per  Jesiim  Chrislum  gralia  »  (Denz.,  693)  ;  2°  que 
l'homme  ne  peut  vivre  justement  et  mériter  la  vie  éternelle  «  per  lihe- 
rum  arbitrium  sine  graliay>  (Denz.,  694);  3°que  l'homme  ne  pouvait  croire, 
espérer,  aimer  ou  se  repentir  comme  il  le  faut,  pour  recevoir  la  grâce 
de  la  justification  «  sine  praeveniente  Spiritus  sancti  inspiratione  atque 
eius  adiuiorio  »  (Denz..  695.)  Donc,  d'une  manière  générale,  d'après  le 
Concile  de  Trente,  l'homme  ne  peut  faire  un  acte  salutaire  pour  être 
justifié  sans  la  grâce.  M.  Labauche  écrit  :  la  grâce  actuelle  proprement 
surnaturelle  est  absolument  requise.  Cette  expression  :  grâce  actuelle 
proprement  surnaturelle  peut  avoir  un  sens  qui  n'est  pas  celui  du 
Concile  :  on  pourrait  entendre  par  là,  grâce  surnaturelle  entitative. 
Or,  il  n'est  pas  de  foi  qu'une   telle  grâce  est  absolument  requise  pour 


1.  Voir  p.   ex.,   Y  Ami  du   Chrgé,    19   décembre    1907,   p.    1161.   —    16   avril 
1908. 

2.  BiLLUART.    De   Voluntate   Dei,    Ciirs.    Theol.,    t.    2,    diss.    VI    §    II. 

3.  V.  G.  Van  Noort.  De  Gratia,  p.  79. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  801 

faire  un  acte  salutaire.  —  Le  Concile  de  Trente  a  également  défini 
que  l'homme  justifié  ne  peut  persévérer  dans  sa  justice  sans  un  secours 
spécial  de  Dieu,  «  sine  speciali  auxilio  Dei  ».  (Denz.,  714).  «  Ce  n'est  pas 
de  la  grâce  de  persévérance  ordinaire,  qu'il  est  ici  question,  explique 
l'auteur  (p.  164).  Nous  parlons  d'une  grâce  de  persévérance  spéciale.  Ce 
sera  la  persévérance  ordinaire,  si  l'on  veut,  mais  s'exerçant  sur  notre 
activité  intellectuelle  et  volontaire  d'une  façon  plus  pressante,  plus  irré- 
sistible. Telle  est  la  grâce  spéciale  de  persévérance  ».  La  vérité,  cepen- 
dant, c'est  que  le  Concile  parle  de  la  persévérance  ordinaire.  Ce  qui, 
probablement,  a  donné  le  change  à  l'auteur,  c'est  l'expression  ;  spéciale 
auxilium  Dei,  un  secours  spécial  («  tout  à  fait  spécial  »)  ;  une  grâce 
extraordinaire  devant  avoir  comme  effet  une  persévérance  spéciale  et 
plus  qu'ordinaire.  Mais,  nulle  part,  nous  ne  trouvons  cette  distinction 
entre  persévérance  ordinaire  et  spéciale,  enseignée  par  l'Église  en  la 
présente  matière  ;  et  de  plus,  la  majorité  des  théologiens  nous  appren- 
nent que  ce  secours  spécial,  dont  parle  le  Concile,  ne  diffère  pas  essen- 
tiellement des  secours  communs  de  la  grâce  ;  si  la  grâce  de  persévé- 
rance est  appelée  néanmoins  spéciale,  c'est  qu'elle  est  distincte  du 
concours  divin  général  (naturel)  et  surtout  de  la  grâce  habituelle  (1). 
Ce  paragraphe  des  Leçons  de  théologie  dogmatique  est  à  refaire.  Nous 
ne  voudrions  pas  non  plus  souscrire  à  cette  proposition  :  (Le  mérite  de 
congruo)  «  sera  le  mérite  de  celui  qui,  accomplissant  le  bien  honnête, 
méritera, par  mode  de  convenance, le  commencement  de  la  foi.  »(p.  320). 
Elle  porte  une  teinte  de  semi-pélagianisme.  —  M.  Labauche  n'expose 
pas  non  plus  toujours  fidèlement  les  opinions  théologi^ues.  Ainsi 
S.  Thomas,  ni  dans  le  texte  De  Malo,  qu.  iv.  a.  I,  cité  p.  97,  ni  dans  la 
Somme,  1*,  II*'',  qu.  81,  art.  I,  ne  fait  du  premier  homme,  quant  au 
mode  de  transmission  du  péché  originel,  le  représentant  juridique 
(moral)  de  toute  l'humanité.  On  trouvera  chez  l'auteur  également  des 
inexactitudes,  dans  l'exposé  du  système  moliniste  et  thomiste.  Faisons 
remarquer  p.  ex.  que  les  théologiens  molinistes,  pris  en  bloc,  ne 
rejettent  pas  la  prédestination  ante  praevisa  mérita:  bien  des  molinistes, 
et  des  plus  célèbres,  Suarez,  Bellarmin,  de  Lugo,  la  défendent.  —  Encore 
un  mot  au  sujet  de  la  méthode  employée  par  l'auteur.  «  L'étude  de 
chaque  dogme  commence  par  un  exposé  complet  de  ce  dogme^  consi- 
déré à  son  point  d'arrivée,  c'est-à-dire  au  moD''ent  oîi  les  Conciles  lui 
ont  donné  la  dernière  détermination...  La  doctrine  nettement  détermi- 
née, nous  nous  sommes  appliqué  à  en  rechercher  l'origine  dans  la 
Sainte  Écriture,  le  développement  dans  la  Tradition  des  Pères,  l'essai 
de  systématisation  dans  les  Écoles...  Ce  genre  d'étude  a  permis  de 
dégager  l'un  des  caractères  les  plus  remarquables  de  nos  dogmes.  Dans 
la  marche  de  leur  développement,  ils  conservent  une  continuité  parfaite; 
ils  se  développent,  mais  toujours  dans  le  même  sens,  «  in  eodem  scilicet 
dogmate,  eodem  sensu,  eademque  sententia  >%  malgré  des  causes  très 
puissantes  qui  pourraient  les  faire  dévier.  »  (Préface,  viii-ix).  Le  pre- 
mier point  de  ce  programme  :  exposé  complet,  net  et  solide  des  dogmes, 


1.  Cf.  BiLLUART,   t.  6.  diss.  3.  art.  X.   —  Tabarelli.   De  Gratta  Christ*, 
Romae,  1908,  p.  175. 


802         REVUi;   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

est,  au  dire  même  de  Tauteur,  le  plus  important  :  «  Le  vrai  moyen  de 
bien  défendre  nos  dogmes  est  d'en  faire  une  solide  exposition.  »  Si 
M.  Labauche  parvient  à  réaliser  absolument  ce  programme,  son  traité 
de  théologie,  nous  n'en  doutons  pas,  «  marquera  une  date  dans  l'histoire 
des  sciences  ecclésiastiques.  » 

Déjà  nous  avons  eu  l'occasion  de  signaler  le  traité  de  Deo  Uno  et 
Trino  du  prof.  G.  Van  Noort  (1).  C'est  un  excellent  résumé  de  la  doc- 
trine ;  peu  ou  point  de  controverse,  un  court  exposé  de  la  question,  puis 
la  proposition  à  établir,  ensuite  la  preuve  nette  et  brève,  et  tirée  de 
l'Écriture  ou  des  Pères,  ou  fournie  par  la  raison  ;  enfin  les  corollaires 
les  plus  importants.  M.  Van  >'oort  omet  les  arguments  en  faveur  de 
l'existence  de  Dieu  qu'il  suppose  avoir  été  vus  en  philosophie.  Les 
questions  sur  la  Providence  de  Dieu  et  la  Prédestination  sont  renvoyées 
au  traité  de  la  grâce  ;  c'est  avantageux  au  point  de  vue  pratique  ;  au 
point  de  vue  logique  et  systématique,  c'est  évidemment  un  tort,  que  les 
raisons  d'utilité,  croyons-nous,  ne  rachètent  pas  suffisamment.  A  propos 
de  prémotion  physique,  l'auteur  fait  remarquer  «  Aquinatem  vere 
docuisse  praemolionem  physicam  (quoad  rem  scil.  nam  vocem  praemo- 
tionis  non  adhibuit,multo  minus  vocem  praedeterminationis)et  constan- 
ter  adiecisse  eam  non  esse  necessitantem.  »  Au  sujet  de  la  parenthèse, 
il  faut  toutefois  noter  avec  le  P.  Mandonnet  (2)  que  S.  Thomas  emploie 
lui-même  les  mots  de  prédéfinilion  et  de  prédétermination.  Comment, 
de  divinis  iiominibus,  lect.  IIP,  c.  V.  M.  Van  ^'oort  conclut  l'exposé  des 
deux  principaux  systèmes  qui  se  disputent  l'honneur  de  déterminer  le 
mode  dont  Dieu  connaît  les  futurs  contingents,  par  ces  paroles  :  «  les 
fondements  du  thomisme  me  paraissent  solides  et  vrais  ;  la  base  du 
molinisme,  la  science  moyenne,  ne  parait  pas  solide  du  tout.  » 

Le  traité  de  la  Trinité  a  trois  parties  :  I.  L'existence  de  la  Trinité  : 
preuves  de  l'Écriture  et  de  la  Tradition  ;  IL  La  nature  de  la  Trinité  :  les 
relations  divines,  les  processions  en  Dieu  ;  les  appropriations  et  la 
mission  des  Personnes  ;  III.  Le  mystère  de  la  Trinité  et  la  raison 
humaine.  L'auteur  a  consacré  un  soin  spécial  à  expliquer  les 
termes  les  plus  importants,  p.  ex.  relatio  et  generatio.  Chose  étrange, 
M.  Van  Noort,  qui  est  toujours  si  judicieux  dans  le  choix  des  opinions 
théologiqups,  identifie  la  personnalité  avec  l'existence  en  soi  (existentia 
in  se).  L'opinion  qui  met  une  distinction  réelle  entre  la  subsistance  et 
l'existence  méritait  cependant  d'être  préférée.  L'article  premier  du 
chap.  3  est  nouveau  :  ni  dans  les  écrits  des  philosophes,  ni  dans  les 
religions  et  les  mystères  des  gentils(Perses, Hindous, Chinois,  Égyptiens) 
l'on  ne  voit  apparaître  le  mystère  de  la  Trinité. 

Le  traité  de  la  (jrâce  a  suivi  de  très  près  les  précédents  (3).  Il  nous 
donne  la  doctrine  de  la  grâce  actuelle,  de  la  grâce  habituelle  et  du 
mérite  des  bonnes  œuvres.  La  disposition  des  deux  derniers  chapitres, 

1.  Revue  des  Se.  Phil.  et  Théol,  oct.  1907,  p.  794,  na  2.  —  De  Ealholiek, 
(Amsterdam),  Januari   1908,   bl.  63  vv. 

2.  Dictionnaire    de    théologie    de    Vacant,    art.    Banez. 

3.  Tractatus  de  Gratia  Cliristi,  quem  iu  usum  auditorum  suoriun  concinaavit 
G.  Van  Noort,  S.  Theol.  in  Seminario  W  armundano  (ia  HoUandia)  profes- 
sor.    Amstelodami,    Van   Langenhuysen,    1908,    in-8o,    pp.    216. 


BULLETIN     DE    THÉOLOGIE    SPECULATIVE  803 

De  gratia  habituali,  De  merito,  ne  me  semble  pas  très  logique. 
D'abord,  la  théorie  de  la  justification,  ensuite  celle  de  la  grâce  sancti- 
fiante ;  les  vertus  infuses  et  les  dons  font  l'objet  d'une  troisième  division. 
Au  mérite  est  réservé  un  chapitre  indépendant,  le  troisième.  Justifica- 
tion et  mérite  constituent  les  effets  de  la  grâce:  la  justification  est 
l'efTet  de  la  grâce  habituelle  opérante,  le  mérite  est  l'effet  de  la  grâce 
habituelle  coopérante.  N'aurait-il  pas  été  plus  simple  d'intituler  le 
troisième  chapitre  du  livre  De  effectibus  gratiae  :  de  justificatione,  de 
merito  ;  on  aurais  ainsi  pour  tout  le  traité  la  division  suivante  :  De 
gratia  actuali.  De  gratia  habiluali,  De  effectibus  gratiae  (habitualis).  — 
Les  thèses  défendues  dans  ce  volume  peuvent  compter  parmi  les 
meilleures.  La  grâce  acluelle  consiste  formellement  dans  une  qualité 
incomplète,  «  in  virtute  fluente  »,  imprimée  à  l'âme  par  Dieu,  qui 
précède  tout  acte  de  notre  part  et  constitue  avec  la  faculté  un  même 
principe  d'opération.  La  grâce  actuelle  est  absolument  requise  pour  poser 
un  acte  salutaire,  en  plus  de  l'habitude  surnaturelle  correspondant  à 
cet  acte.  Il  y  a  une  grâce  vraiment  et  purement  suffisante.  Il  y  en  a  une 
autre  qui  est  la  grâce  efficace  ;  elle  est  telle,  que  Dieu  peut,  par  l'effet  de 
cette  grâce,  promouvoir  au  bien  n'importe  quelle  volonté  d'une  manière 
infaillible.  M.  Tan  Noort  expose  très  bien  les  cinq  systèmes  qui  se  dis- 
putent l'honneur  de  résoudre  les  questions  que  soulève  l'efficacité  de  la 
grâce  :  système  thomiste,  augustinien,  moliniste  et  congruiste,  qui,  dans 
la  présente  matière,  s'identifient  —  le  système  sorbonico-alphonsien  ; 
mais  il  ne  se  prononce  ni  pour,  ni  contre  aucun  de  ses  systèmes  ;  par 
là,  nous  semble-t-il,  il  est  doublement  inconséquent  avec  lui-même. 
D'abord,  parce  que,  dans  un  traité  précédent  {De  Deo  Uno,  p.  85),  il  a 
donné  ses  préférences  au  système  thomiste  et  qu'ici  même,  l'on 
retrouve  ces  marques  de  préférence,  du  moins  si  l'on  sait  lire  entre  les 
lignes;  ensuite  parce  que  quiconque  définit  et  explique  la  grâce  efficace 
comme  M.  Van  Noort,  doit  prendre  position  à  tout  le  moins  contre  le 
molinisme  ou  congruisme.  Le  chapitre  sur  la  distribution  de  la  grâce 
suffisante  est  un  des  meilleurs  du  livre  et  très  complet.  Il  en  est  de 
même  du  paragraphe  sur  la  nature  de  la  grâce  sanctifiante  ;  M.  Van 
Noort  a  dépassé  ici  le  P.  Pesch.  Relatons  encore  que  l'auteur  a  inséré 
dans  ce  traité  un  chapitre  sur  les  vertus  et  les  dons  :  notions  générales, 
existence  et  connexion  des  vertus  infuses,  dons  du  St-Esprit,  béatitudes 
et  fruits.  Il  montre,  dans  un  corollaire  le  rapport  intime  entre  les 
vertus,  les  dons  et  la  grâce  sanctifiante.  Dans  toutes  ces  pages,  M.  Van 
Noort  est  fidèle  disciple  du  Docteur  angélique.  —  Comme  manuels,  les 
traités  du  prof.  Van  Noort  sont  des  modèles  du  genre  ;  ils  se  recom- 
mandent par  la  clarté  et  leur  brièveté  ;  la  solidité  et  l'excellence  de  la 
doctrine  et  la  richesse  de  l'information  ;  ils  sont  à  la  hauteur  des  plus 
récentes  publications. 

D'une  valeur  théologique  moindre  est  la  brochure  du  R.  P.  Matth. 
KoNiNGS,  Ord.  S.  Crucis.  De  Gratia  acluali.  Accedil  appendix  de  prae- 
destinatione{i).  L'auteur  s'est  plu  à  adopter  des  opinions  défendues  par 
la  minorité  des  tliéologiens,  des  opinions  souvent  singulières.  Dans  son 


1.  1  vol.   in-8o   pp.    134.   Lovanii,    Peeters,    1907. 


804         REVUE   DES   SCIEN'CES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQU^'S 

œuvre,  se  révèle  le  souci  de  restreindre,  pour  les  questions  du  salut, 
autant  que  possible, l'action  divine  sur  les  âmes  et  de  rehausser  la  suffi- 
sance humaine,  ce  qui  est  bien  un  des  traits  les  plus  marquants  du 
molinisme.  Ce  traité  de  la  grâce  actuelle  n'est  guère  recommandable 
comme  manuel;  il  initie  trop  peu  les  jeunes  théologiens  aux  doctrines 
traditionnelles  et  communes. 

Le  traité  de  la  Grâce  du  Prof.  Richard  Tabarelli  est  écrit  sous  la 
forme  d'un  commentaire  des  qq.  CIX-CXIY  de  la  P  IP^  de  saint 
Thomas  (1).  De  là,  la  même  ordonnance  des  matières,  la  même  série  de 
conclusions,  que  dans  la  Somme  ;  en  plus,  les  questions  soulevées 
depuis  par  les  Commentateurs.  L'auteur  procède  comme  suit  ; 
d'abord  des  notes  préliminaires  :  vues  générales,  distinctions  ;  ensuite 
l'énoncé  de  la  conclusion  ;  après,  l'état  de  la  question,  le  point  de  vue 
spécial  où  se  place  l'auteur  est  soigneusement  déterminé  ;  vient  ensuite 
la  preuve  ou  plutôt  une  série  de  preuves  :  l'Écriture,  les  Pères,  les  déci- 
sions ecclésiastiques,  la  raison  théologique,  enfin  des  objections  et  la 
réponse.  Ce  traité  se  présente  comme  un  manuel  très  étendu  et  très 
complet  de  la  doctrine  de  la  grâce  ;  l'abondance  des  matières  n'a  pas 
empêché  la  clarté  de  l'exposition  ;  la  doctrine  est  partout  solide.  Il  est 
à  remarquer  cependant  que  dans  ce  commentaire  d'une  partie  de  la 
Somme  la  doctrine  précise  de  chaque  article  n'est  pas  mise  en  relief,  le 
texte  même  de  saint  Thomas  est  trop  peu  expliqué  ;  un  commentaire 
cependant  s'attache  tout  d'abord  à  exposer  le  texte  de  l'auteur,  choisi 
comme  maître.  M.  Tabarelli  donne  la  conclusion  conformément  à  la 
doctrine  de  la  Somme,  mais  traite  ensuite  la  question  selon  les  données 
générales  de  la  théologie,  ainsi  que  la  traitent  des  auteurs  qui  ne  songent 
guère  à  écrire  un  Commentaire  du  saint  Docteur,  mais  appuient  leurs 
conclusions  de  l'autorité  et  des  raisons  de  saint  Thomas  comme  étant 
celles  du  premier  des  théologiens.Dans  les  matières  à  con  troverse  M.Taba- 
relli  rejette  les  thèses  moliniennes  non  moins  que  les  opinions  curieuses 
de  Vasquez.  Est-il  thomiste  jusqu'au  bout  ?  Il  met  une  certaine  distinc- 
tion entre  la  grâce  suffisante  et  efîicace.  Au  sujet  de  la  grâce  suffisante 
il  fait  une  bonne  remarque  :  «  La  grâce  suffisante  n'est  donc  pas  inutile, 
mais  constitue  toujours  un  véritable  bienfait,  ]iuisque  toujours  elle  con- 
fère la  puissance  d'agir,  et  si  celle-ci  n'obtient  pas  d'ellet,  il  faut  en 
attribuer  la  cause  à  la  volonté  perverse  de  l'homme.  J'ajoute,  conlinue- 
t-il,  que  même  si  la  grâce  suffisante  n'a  pas  comme  effet  de  produire 
l'acte  salutaire  qui  est  l'objet  de  l'intention  divine,  elle  excite  cependant 
toujours  des  lumières  surnaturelles  dans  l'intelligence  et  de  pieux  désirs 
dans  la  volonté,  lumières  et  désirs  qui  sont  comme  des  dispositions  à  la 
conversion  et  ne  sont  point  par  suite  inutiles  »  (p.  280).  Gela  encore 
est  très  thomiste.  Ce  qui  ne  l'est  plus,  c'est  de  poser  en  thèse  que  la 
prémotion  ou  la  prédétermination  physique  ne  peut  se  concilier  avec 
la  liberté  humaine  ;  qu'il  n'y  a  pas  de  distinction  entitative  entre  la 
grâce  suffisante  et  efficace,  mais  seulement  une  difTérence  d'intensité 
(p.  3U)).  L'auteur  n'embrasse  pas  cependant  la  solution  molinienne 
ou    congruiste  pure   et   simple  :    elle    expose    au    danger    d'affaiblir 


1.  De   Gratia    Christi,    1  vol.    in-S",    pp.    533,    Romae,    Bretschneider,    1908. 


BULLETIN     DE     THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  "     805 

refficacité  de  là  grâce  et  de  rendre  la  divine  prescience  dépendante 
d'un  objet  extrinsèque.  M.  Tabarelii  ouvre  une  voie  intermédiaire  : 
«  La  grâce  efficace  n'assure  pas  le  consentement  par  le  moyen  de  la 
prémotion  physique  ;  la  grâce  efficace  n'est  pas  non  plus  telle  par  la 
détermination  de  la  volonté  humaine  :  mais  Dieu,  par  sa  sagesse 
infinie  et  sa  toute-puissance,  peut  connaître  et  conférer  une  grâce  d'un 
genre  tel  que,  vu  la  disposition  du  sujet,  elle  obtienne  infailliblement  de 
celui-ci  le  libre  consentement  (p.  316).  La  solution  est-elle  heureuse  ? 
Est-elle  réellement  autre  que  la  solution  congruiste  ?  L'auteur,  qui  cite 
très  rarement  un  auteur  moderne,  aurait  pu  s'éclairer  à  ce  sujet  dans  le 
récent  ouvrage  du  P.  N.  Del  Prado.  0.  P.  :  De  Gralia  et  libero  arbi- 
lrio{l).  Nous  nous  permettons  d'appeler  encore  l'attention  des  théo- 
logiens sur  cette  importante  publication.  L'auteur  y  montre  la  vraie 
manière  de  concilier  l'efficacité  de  la  grâce  avec  la  liberté  humaine  ; 
de  plus,  il  y  fait  voir  l'importance  fondamentale  du  principe  de  la 
prémotion  physique  en  théologie.  Ce  principe  domine  la  théologie  du 
gouvernement  divin.  L'auteur  le  rattache  au  principe  de  l'identité  d'es- 
sence et  d'existence  en  Dieu  :  Deus  est  suum  esse,  in  omnibus  alii s  diffevt 
essentia  et  esse.  Dieu  étant  la  plénitude  de  l'être  doit  également  avoir 
plénitude  et  primauté  d'action.  Or,  sans  la  prémotion  physique,  la 
plénitude  et  la  primauté  d'action  est  inconcevable.  —  Un  fait  qu'on  ne 
peut  nier,  c'est  que  dans  les  questions  de  la  grâce,  la  défiance  à  l'égard 
des  solutions  molinistes  s'accroît  de  plus  en  plus.  Certains  auteurs  cepen- 
dant ont  encore  trop  peur  du  thomisme.  L'œuvre  du  P.  Del  Prado,  nous 
en  sommes  convaincu,  leur  fera  embrasser  franchement  et  entièrement  le 
système  thomiste. 

M.  le  chanoine  Maui'ice  De  Baets,  président  du  Séminaire  épiscopal 
de  Gand  et  professeur  de  dogme,  a  publié  à  l'usage  de  ses  élèves  un 
résumé  de  ses  leçons  de  théologie  sacramentaire  (2).Dans  un  préambule 
il  explique  les  notions  de  cause  et  de  signe,  et  traite  ensuite  en  six 
chapitres,  de  la  causalité  des  Sacrements,  de  la  matière  et  de  la 
forme  et  du  ministre^,  de  l'auteur  des  sacrements,  de  leurs  effets, 
du  sujet  propre  à  les  recevoir,  de  leur  nombre  et  de  l'ordre  dans  lequel 
on  peut  les  comparer  entre  eux.  Comme  appendice,  quelques  courts 
aperçus  sur  les  rites  sacramentels,  les  sacramentaux,  les  sacrements 
de  la  loi  ancienne.  M.  De  Baets  est  un  théologien  à  l'esprit  subtil  et 
chercheur  ;  aussi  son  traité  est-il  remarquable  à  cause  surtout  de 
certaines  solutions  nouvelles  qui  y  sont  proposées  et  défendues.  La 
grâce  sacramentelle  est  un  état  et  comme  une  sorte  de  consécration,  qui 
fait  que  Ihomme  a  droit  aux  grâces  habituelles  et  actuelles.  Le  caractère 
des  sacrements  n'est  pas  constitué  par  une  pure  relation.  Ce  n'est  pas  non 
plus  une  puissance  physique  ;  c'est  le  signe  physique  de  la  puissance  in- 
tentionnelle qu'il  confère.  On  a  surtout  relevé  la  théorie  nouvelle  de 
l'auteur  touchant  la  causalité  des  sacrements.  Rejetant  la  causalité  morale 
et  physique,  M.  De  Baets  conclut  en  faveur  d'une  causalité  intentionnelle  : 
Sacramentel  significando  causant  :  ils  sont  efficaces  en  tant  qu'ils  signi- 
fient, de  par  institution  divine,  la  grâce  qu'ils  doivent  produire.  L'ex- 

1.  Cf.  Bev.  des  Se.  phil.  et  ThéoL  oct.   1907,   p.   799-802. 

2.  De  sacramentis  in  génère.  Louvain,   1907. 

2°  Année.  —  Revue  des   Sciences.  —  N"  4.  52 


806         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

posé  de  l'auteur  donne  lieu,  nous  semble-t-il,  aux  remarques  suivantes, 
qui  se  rapportent  tant  à  sa  thèse  qu'aux  arguments  qu'il  oppose  à  la 
causalité  physique.  1.  La  réception  d'une  vertu  physique  spirituelledans 
un  objet  matériel  serait  chose  fort  difficile.  Saint  Thomas  a  répondu 
à  cette  difficulté  (III  P.  qu.  62.  art.  IV,  ad  1).  Nous  y  renvoyons 
le  lecteur.  2.  L'argument  de  l'art  L,  ibid.,  prouve  l'insuffisance  de  la 
causalité  simplement  morale,  ne  conclut  pas  à  la  nécessité  de  la  cau- 
salité physique.  Dans  cet  argument,  la  causalité  physique  est  affirmée 
par  la  théorie  instrumentale,  qui  est  à  la  base  de  l'argument  (1). 
3.  L'auteur  pour  établir  son  opinion  en  appelle  à  l'autorité  de  St  Thomas 
qui  s'est  servi  de  ces  mêmes  termes  :  Sacramenta  significando  causant. 
(De  Verit.  qu.  27,  art  4,  ad  13"^^).  L'expression  «  significando  causare  » 
peut  signifier^  ou  bien  :  significare  simul  et  causare,  ou  bien  ;  per  ipsam 
significationem  causare  (p.  15).  M.  De  Baets  donne  au  texte  cité  de  saint 
Thomas  cette  seconde  interprétation.  Or  l'analyse  du  contexte,  celle  des 
textes  parallèles  du  saint  docteur  et  l'ensemble  de  sa  doctrine  excluent 
cette  interprétation.  L'idée  de  saint  Thomas,  c'est  que  les  sacrements, 
non  seulement  signifient  la  grâce,  mais,  de  plus,  sont  cause  de  la 
grâce  :  l'expression  employée  par  lui  indique  une  rfo«6/e  fonction,  dont 
l'une  est  bien  distincte  de  l'autre  :1e  sacrement  est  symbole  d'abord  ; 
il  cause  ensuite  l'effet  qu'il  symbolise,  il  ne  cause  pas  cet  effet  par  cela 
même  qu'il  est  signe  ou  symbole,  mais  par  suite  d'une  vertu  physique 
transitoire  et  passagère.  On  peut  sans  doute  défendre  la  causalité  inten- 
tionnelle des  sacrements,  mais  impossible  d'identifier  cette  opinion 
avec  la  théorie  de  saint  Thomas.  M.  De  Baets  remarque  que  la  théorie 
du  P.  Billot,  qui  soutient  également  la  causalité  intentionnelle,  diliere 
notablement  de  la  sienne.  Cependant  l'une  et  l'autre  détruisent  la 
vraie  notion  de  causalité  instrumentale,  telle  que  noiis  l'enseigne  l'angéli- 
que  Docteur.  Le  P.  Pègues  a  donné  naguère  une  réfutation  de  l'opinion 
du  P.  Billot  (2).  Le  P.  Hugon  vient  de  la  soumettre  à  un  nouvel  examen  (3). 
Deux  assertions  principales  résument  la  théorie  du  savant  Jésuite  : 
1°  la  vertu  instrumentale  par  laquelle  opèrent  les  sacrements  n'est  pas 
physique,  mais  intentionnelle  ;  2°  l'action  des  sacrements  n'atteint  pas  la 
grâce  elle-même,  mais  plutôt  une  disposition  qui  exige  la  grâce.  A  ren- 
contre de  ces  assertions,  le  R.  P.  Hugon  prouve  que  «  nos  divins  rites 
sont  des  causes  physiques  et  que  cette  efficacité  atteint  la  grâce  elle- 
même.  La  célèbre  formule  :  operari  dispositive  ad  gratiam,  signifie,  au 
sens  thomiste:  nos  rites  liturgiques  produisent,  comme  effet  immédiat, 
une  grâce  sacramentelle  qui  est  une  disposition  à  la  grâce  sanctifiante. 
Cette  interprétation  permet  de  résoudre  toutes  les  objections  du  P.  Billot. 
L'auteur  note  encore  que  saint  Thomas,  dans  la  Somme,  simplitie  la 

1.  Le  T.  R.  P.  Hugon,  a  fait  de  cette  théorie  un  magistral  exposé  dans  son 
livre  :  La  Causalité  instrumentale  en  théologie.  Paris,  ïéqui,  1907,  in-12,  pp. 
223.  Cet  ouvrage  traite  non  seulement  la  causalité  des  sacrements,  mais 
les  principaux  sujets  qui  se  ramènent  à  la  causalité  instrumentale:  l'inspiration 
scripturaire,  l'humanité  sainte  de  Jésus,  les  miracles  de  la  Très  Sainte 
Vierge. 

2.  Revue  Thomiste,  T.  XI  (1903),  p.  689  svv.  —  T.  XII  (1904),  p.  339  sw. 

3.  Cfr.  Op.  cit.,  p.  157  sw. 


BULLETIN     DE     THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  807 

thèse  et  débarrasse  son  sujet  de  cette  distinction  entre  les  causes  dispo- 
sitives et  les  causes  perfectives  et  se  contente  d'établir  que  les  sacrements 
contiennent  et  produisent  la  grâce  elle-même  ;  il  conclut  :  «  Pour  simpli- 
fier nous  aussi  avec  le  saint  Docteur,  nous  pensons  qu'il  faut  débarrasser 
la  théologie  de  la  distinction  désormais  vieillie  entre  les  causes  disposi- 
tives et  les  causes  perfectives  et  conclure  simplement  que  les  sacrements 
delà  nouvelle  loi  sont  causes  physiques  de  la  grâce  et  atteignent  la 
grâce  elle-même  >>  (p.  17.1).  Une  petite  controverse  a  surgi  à  la  suite  des 
exphcations  du  P.  Hugon.  Le  P.  Aurelius  UivrERLEiDNER  proposa  d'ac- 
centuer davantage  encore  l'unification  réalisée  dans  la. Somme (i).  M.  H. 
Merkelbach  reprit  les  objections  du  P.  Billot  (2).  Le  P.  Hugon,  dans 
deux  lettres  à  la  Revue  Augusliiiienne  (3)  a  précisé  sa  pensée  et  montré 
comment  la  grâce  sanctifiante  elle-même  est  l'efïet  immédiat  des  sacre- 
ments et  qu'il  n'y  a  qu'une  différence  modale  entre  la  grâce  sanctifiante 
et  la  grâce  sacramentelle.  Ces  explications  ultérieures  auront  satisfait 
— •  nous  aimons  à  le  croire  —  M.  Merkelbach,  non  moins  que  le  P. 
Unterleidner. 

Monographies 

Monographie  de  doctrines.  Christologie.  —  Hormis  les  œuvres 
oratoires  et  de  piété,  il  n'existait  pas,  à  notre  connaissance,  d'ou- 
vrage didactique  sur  Tlncarnation.  Le  P.  A.  Villard,  0.  P.,  a 
comblé  celte  lacune  par  son  beau  livre  :  L'Incarnation  d'après  saint 
Thomas  d" Aquin  (4j.  En  Allemagne,  C.  von  Schaezler,  le  grand  théo- 
logien thomiste,  avait  traité  le  même  sujet  (5).  Son  livre  est  toujours 
actuel  et  mériterait  une  traduction.  Mais  Schaezler  se  place  à  un  point 
de  vue  spécial  ;  tout  en  s'occupant  des  questions  générales,  de  la  pos- 
sibilité, de  la  nécessité  et  du  but  de  l'Incarnation,  il  ^  voulu  surtout 
mettre  en  lumière  la  Personne  divine  du  Christ,  l'union  des  deux 
natures  dans  une  Personne  divine.  De  plus,  par  suite  de  la  méthode 
employée  et  à  cause  de  la  grande  part  qui  y  est  faite  à  la  controverse, 
cet  ouvrage  ne  s'adresse  qu'aux  théologiens  de  profession.  Le  P.  Vil- 
lard  a  visé  un  autre  but  et  écrit  pour  un  cercle  plus  étendu  de 
lecteurs.  Son  travail  «est  une  œuvre  d'exposition,  plutôt  que  de 
controverse.  »  Il  se  divise  en  trois  parties  :  la  première  est  consacrée 
à  rappeler  ce  que  la  foi  enseigne  au  sujet  de  l'Incarnation,  par  le 
prologue  de  saint  Jean,  les  Conciles  et  les  Symboles.  Elle  expose 
également  les  nombreuses  altérations  de  la  foi  :  les  hérésies.  L'auteur 
les  a  groupées  en  trois  catégories  :  celles  qui  se  sont  attaquées  à  la 
divinité  du  Christ  :  ce  sont  les  plus  graves  ;  celles  qui  ont  nié,  en  tout 
ou  en  partie,  son  humanité  ;  celles  enfin    qui  ont   méconnu  le  lien  qu 


1.  Bévue    Augustinienne,    15    février    1908,    p.    193. 

2.  Revue   Ecclésiastique   de   Liège,   mars    1908,    p.    335. 

3.  Nos   du   15  mars   1908,  p.  343-345  et  du  15  avril   1908,  p.  454-456. 

4.  Paris,  Lecoffie,  1908,  XV-436  pp. 

6.  Bas  JDogma  von  der  Menschwerdmg   Gottes   im   Geistc  des  ht.   Thomas. 
Freiburg,    Herder.    1870. 


808  REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THBOLOGIQUES 

unit  les  deux  natures.  Le  P.  Yillard  expose  chaque  hérésie  et  la  réfute. 
—  La  seconde  partie  du  livre  donne  la  théologie  de  l'Incarnation  et 
traite,  dans  les  trois  derniers  chapitres,  de  l'union  hypostatique,  de 
l'union  dans  la  personne,  de  l'union  substantielle  et  de  la  connaissance 
pratique  du  Christ.  Les  trois  premiers  chapitres  ont  pour  objet  les 
divers  degrés  d'union  avec  Dieu  :  le  contact  naturel,  le  contact  par  la 
grâce,  l'union  hypostatique.  A  notre  humble  avis,  l'auteur  s'est  étendu 
trop  longuement  sur  les  deux  premiers  degrés  d'union  :  dans  un  traité 
spécial  sur  l'Incarnation,  ces  développements  —  efi  eux-mêmes  très 
beaux  sans  doute  —  nous  semblent  un  hors-d'œuvre.  —  Dans  une 
troisième  partie,  l'auteur  examine  les  convenances  de  l'Incarnation  par 
rapport  à  Dieu  qui  s'incarne,  à  l'homme  pour  lequel  il  s'incarne,  et,  par 
l'homme,  à  l'universalité  des  choses.  A  part  la  remarque  faite  plus 
haut,  ce  nouvel  ouvrage  du  P.  Villard  est  d'une  construction  parfaite- 
ment logique  :  sous  une  forme  agréable,  dans  un  style  simple  et  clair, 
il  nous  fait  goûter  les  belles  doctrines  exposées  par  saint  Thomas,  dans 
la  Tertia  Pars  et  dans  la  Somme  contre  les  Gentils  ;  les  textes  du  saint 
Docteur  sont  fidèlement  rendus.  La  méthode  employée  par  l'auteur  est 
excellente;  cela  paraît  surtout  dans  la  deuxième  partie,  la  plus  spécula- 
tive du  livre  :  l'auteur  s'est  appliqué  à  toujours  bien  définir  les  termes, 
pour  éviter  toute  confusion.  Nous  n'en  doutons  pas,  son  travail  contri- 
buera à  faire  mieux  connaître  et  aimer  le  Christ. 

Dans  l'opuscule  De  libéra  Christi  ohedientia  (1),  IWM.  DeBaets  a 
proposé  un  nouveau  mode  de  concilier  le  mérite  de  l'obéissance  libre 
avec  l'impeccabilité  du  Christ.  Il  conclut:  «  Nostra  doctrina  est:  in 
Christo  et  Beatis,  ad  merendum  (non  ad  demerendum)  non  requiri 
libertatem  illam  a  necessitate  quae  est  indifferentia  ad  bonum  et 
malum,  sed  sufficere  libertatem  a  coactione  et  a  necessitate  naturali. 
nonobstanle  necessitate,  quae  est  indefectibilitas  suppositi  a  bono.  »  La 
solution  consiste  à  concevoir  l'acte  libre  comme  le  mouvement  spon- 
tané de  la  volonté  rationnelle,  lequel  ne  peut  déchoir  du  bien,  par 
suite  de  la  perfection  du  suppôt  duquel  il  procède.  Cette  indéfectible 
perfection  du  suppôt  serait  la  source  et  du  mérite  et  de  l'impeccabilité. 
La  spontanéité  d'opération  telle  que  la  définit  l'auteur  ressemble  bien 
à  ce  que  l'on  appelle  le  voluntarium  perfectuni  necessarium,  mais  ne 
co'incide  point  avec  le  voluntarium  perfectum  liberum.  La  solution  par 
suite  ne  paraît  pas  heureuse.  De  plus,  les  textes  des  anciens  scolastiques, 
cités  par  le  distingué  professeur,  n'exigent  pas  l'interprétation  qu'il  en 
donne.  M"^  De  Baets  rejette  la  solution  que  présentent  les  Thomistes. 
Voici  les  motifs  qui  rendraient  cette  solution  inacceptable  :  1"  La  dis- 
tinction entre  le  sensus  compositus  et  le  sensus  divisus  est  sans  valeur. 
2°  Les  décrets  prédéterminants,  auxquels  on  a  recours  pour  appuyer  la 
solution  —  vu  la  similitude  de  solution — rendent  la  liberté  impossible, 
quia  praedeterminatum  ab  alio  non  valet  se  determinare.  Aucun  des 
deux  arguments  n'est  nouveau.  On  y  a  assez  souvent  répondu  pour  que 
nous  n'insistions  pas  davantage  (2). 

1.  Lovanii,    Istas,    1905,   ia-So,   pp.   47. 

2.  Cfr.  Di  M.  Glossneb.  Jahrhach  fur  Philosophie  und  Spekulative  théologie, 
XV  Bd.  (1900;,  p.  259-260. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  809 

Sacrements.  —  M.  A.  Roudière  a  traduit  de  l'anglais,  le  livre  écrit 
par  Mgr  J.  C.  Hedlet,  évêqiie  de  Newport  :  La  sainte  Eucharistie  (1)  On 
peut  le  diviser  eii  trois  parties  :  I.  l'Eucharistie,  considérée  comme  sacre- 
ment (chap.  I-VII).  —  II.  Le  sacrifice  eucharistique  (chap.  IX-XII).  — 
IIÏ.  Le  culte  du  Saint-Sacrement  (chap.  XllI).  La  première  partie  a 
deux  subdivisions,  relatives,  la  1'^"'  au  dogme  :  l'institution,  les  mystères 
de  FEucharistie  :  présence  réelle  et  transsubstantiation,  lesacremenllui- 
mème  ;  la  2"*'^  à  la  pratique  du  sacrement  :  la  réception  sacramentelle, 
les  effets  de  l'Eucharistie,  la  communion  fréquente.  La  seconde  partie 
traite  de  la  messe  :  la  messe  comme  sacrifice,  la  messe  dans  les  liturgies 
anciennes  et  le  rituel  moderne,  fruits  et  effets  du  Saint-Sacrifice.  L'ou- 
vrage de  Mgr  Hedley  tient  le  milieu  entre  une  exposition  catéchistique 
et  un  traité  et  constitue  un  exposé  raisonné  des  questions  relatives  à  la 
Sainte  Eucharistie.  Les  lecteurs  qui  connaissent  déjà  le  sujet,  retrou- 
veront dans  ce  volume  les  études  de  leur  jeunesse  dépouillées  de  l'appa- 
reil encombrant  des  grands  auteurs  et  de  l'austère  forme  scolastique. 
Ce  manuel,  s'il  n'épuise  pas,  au  moins  embrasse  toute  la  matière.  II  con- 
tient, en  effet,  les  résultats  d'une  vaste,  d'une  immense  étude  sur  l'Eu- 
charistie, au  point  de  vue  dogmatique,  exégétique,  liturgique  et  ascé- 
tique. La  liturgie  y  apparaît  comme  source  théologique  :  l'auteur  ne 
dédaigne  pas  non  plus  la  controverse  soit  philosophique  soit  apologé- 
tique :  il  combat  les  théories  de  Mgr  Gore  et  des  anglicans,  de  même 
qu'il  défend  le  dogme  contre  les  vues  de  la  philosophie  moderne  sur  la 
substance  matérielle.  L'ouvrage  offre  ainsi  un  aspect  très  neuf.  Ce 
qu'on  apprécie  le  plus,  outre  l'abondance  des  renseignements  puisés 
dans  les  derniers  travaux,  à  côté  de  la  solidité  des  conclusions  théoio- 
giques,  qui  sont  thomistes  pour  les  questions  sujettes  à  controverse  — 
c'est  la  clarté  et  la  concision.  L'auleur  domine  de  très  haut  la  matière 
qu'il  avait  à  traiter  ;  son  livre  est  un  manuel  tel  que  peut  en  écrire  seul 
un  maître. 

Le  D*"  Fr.  Schmid  a  étudié  le  Pouvoir  de  l'église  touchant  la  validité  des 
Sacrements.  Il  développe  la  thèse  suivante  :  «  le  Christ  n'a  nullement 
déterminé  positivement  et  exclusivement  tous  les  sacrements  jusqu'aux 
moindres  détails  requis  ;  mais  l'IIomme-Dieu  a  concédé  de  fait  à  son 
église  un  pouvoir  tel  que,  dans  une  certaine  limite,  les  dispositions 
qu'elle  prend,  décident  de  la  validité  ou  de  la  non  validité  du  Sacre- 
ment (2).  L'auteur  réclame  pour  cette  thèse  un  tel  degré  de  probabilité 
qu'elle  mérite,  dans  les  controverses,  d'être  sérieusement  prise  en  con- 
sidération. Ce  travail  du  D'"  Schmid  est  très  complet.  Les  preuves  fournies 
par  lui  se  rapporteat  à  la  qualité  du  ministre,  à  la  matière  et  à  la  forme 
des  sacrements.  Elles  établissent  bien  la  conclusion  comprise  dans  les 
limites  que  lui  assigne  l'auteur  (3). 

Eschatologie.  —  «  Au-delà  »  de  M.  Germain  Gazagnol,  du  clergé 
d'Albi  est  une  adaptation  de  la  huitième  édition  allemande  du  livre  inti- 

1.  1  vol.    in-12,    (XVI-343).    Paris,    Gabalda,    1908. 

2.  Zeitsckrift    fur    Katholische    Théologie,    Irnisbnick,    janvier,    avril    1908. 

3.  V.  la  Revue  Thomiste,  mai-juin,  sept-oct.  1908,  où  nous  avons  donné 
de    cette    étude    une    analyse    détaillée. 


810         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

tulé  :  Das   ondere  Leben  qui  a  pour  auteur  le    D""  Wilhelm   Schneider, 
évêque  de  Paderborn  (Westphalie)  et  dont  le  P.  Weiss  0.  P.  a  cru  pou- 
voir écrire  qu'il  était,  en  Allemagne,  entre  les  mains  de  tout  le  monde. 
Dans  cet  ouvrajaje  Mi2;r  Schneider  a  passé  en  revue  les  diverses  questions 
qui  se  rattachent  au  problème  de  réternité,  l'idée  chrétienne  de  la  mort, 
la  vie,  la  connaissance  des  élus,  leur  amour  pour  Dieu,  pour  eux-mêmes 
et  entre  eux  et  pour  ceux  qui  sont  restés  après  eux  sur  la  terre,  la  résur- 
rection et  la  glorification  des  corps,  le  revoir  et  la  séparation  au  juge- 
ment dernier,  l'épreuve  du  purgatoire,   le  deuil  et  la  consolation  que 
nous  cause  la  mort  de  ceux  qui   nous  sont  chers,   le  sort  des  enfants 
morts  sans  baptême,  les  morts   subites,  le  nombre  des  élus,  les  effets 
salutaires  qu'opère  l'espérance  du  revoir.  En  écrivant  ces  pages,   Mgr 
Schneider  a  certainement  obéi,  dit  l'auteur  de  la  préface,  M.  l'abbé  Birot, 
vicaire  général  d'Albi,  à  une  pensée   d'apologie,  mais  il  n'institue  pas 
à  proprement  parler  une  thèse  de  la  vie  future,  il  s'applique  à  repré- 
senter de  la  façon  la  plus  accessible  à  l'esprit,  les  affirmations  de  la  foi. 
Ce  livre  déconcertera  donc  un  peu,  au  premier  abord,  les  esprits  qu'in- 
quiète le  doute,  aussi  bien  que  ceux  qui    sont  épris  de  logique.  Cela 
n'empêche  qu'il  pourra  leur  être  utile  :  car  la  meilleure  apologie  de  la 
foi,  est  certainement  de  la  faire  connaître  et  d'en  faire  vivre.  Cependant 
l'intention  mystique  de  l'auteur  l'emporte   sur  toute   autre  ;  il  cherche 
surtout  à  provoquer  larétlexion  du  lecteur,  à  éveiller  en  lui   l'espérance 
religieuse,  à  faire  jaillir  dans  son  âme  la  source  des  consolations.  Aussi 
l'ouvrage  est-il  beaucoup  moins  un  traité  didactique  qu'une  série  de 
méditations  très  libres,  dont  le  cadre  souple  se  prête  à  la  digression  et 
à  l'anecdote  aussi  bien  qu'à  l'exhortation  et  à  l'émotion   poétique.  A  la 
lecture  de  l'ouvrage,  fait  encore  remarquer  M.  Birot.  on  aura  soin    de 
distinguer  les  vérités  essentielles  qui  font  partie  de  la  foi,  des  dévelop- 
pements empruntés  à  la  spéculation  théologique  ou  mystique.  M.  l'abbé 
Gazagnol  a  rendu  un   immense  service  au  public  français  en  adaptant 
l'ouvrage  à  ses  exigences.  Les  prêtres,  théologiens  et  prédicateurs,  les 
âmes    pieuses  et  les  cœurs  endoloris   trouveront    dans  cette    lecture 
lumière,  force  et  consolation. 

La  mystique.  —  L'étude  de  la  mystique  a,  pendant  ces  derniers 
temps,  vivement  occupé  les  esprits.  Philosophes,  psychologues  et  phy- 
siologistes, voire  même  des  aliénistes,  s'y  sont  adonnés  tour  à  tour  et 
ont  abouti  aux  idées  et  aux  conclusions  les  plus  contradictoires.  Leurs 
aberrations  n'ont  rien  d'étonnant.  La  mystique  est  un  terrain  oii  ils  ne 
sauraient  se  mouvoir  avec  connaissance  de  cause  (1).  C'est  un  domaine 
qui  appartient  en  propre  aux  théologiens.  Aussi  ces  derniers  n'ont 
pas  manqué  de  nous  le  faire  connaître.  Les  travaux  qui  ont  été  publiés 
s'appuient  de  préférence  sur  les  témoignages  des  grands  mystiques, 
sur  les  faits  et  sur  les  manifestations  de  la  vie  surnaturelle.  Il  faut  citer 
ici  le  P.  L.  RouRE,  Dom  Vital  Lehodey,  0.  C.  R.  Le  premier  a  tenté 
de  la  mystique  une  synthèse  qui,  au  dire  du  P.  M.  Démery,  ne  manque 

1.  Cf.  Lucien  Roure.  En  face  du  fait  religieux;  1  vol.  iii-12  (VII-245).  Paris, 
Perrin;  surtout  le  chapitre  intitulé  :  Le  mysticisme  et  ses  explications  patho- 
logiques. 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  811 

pas  de  valeur.  Dom  V.  Lehodey  a  traité  des  Voies  de  roraison  mentale  (1), 
de  l'oraison,  en  général,  des  oraisons  communes  et  des  oraisons  mysti- 
ques ;  il  vise  surtout  un  but  pratique.  Cependant  les  auteurs  les  plus  en 
vue  sont  le  R.  P.  Poulain  et  M.  l'abbé  Saudreau.  Le  P.  Poulain  dans 
son  livre  Des  Grâces  d'oraison  s'est  montré  avant  tout  théologien  mys- 
tique descriptif.  M.  Saudreau  a  fait  davantage  œuvre  de  théologien 
mystique  spéculatif  C2).  Son  premier  ouvrage  :  Les  degrés  de  la  vie  spiri- 
tuelle (3),  est  trop  connu  pour  que  nous  en  donnions  ici  un  résumé. 
Il  a  comme  sous-titre  :  Méthode  pour  diriger  les  âmes  suivant  leur  pror/rès 
dans  la  vertu.  Il  fut  bientôt  suivi  par  un  autre  :  La  vie  d'union  à  Dieu 
et  les  moyens  d'y  arriver  d'après  les  grands  maîtres  de  la  spiritualité  (4), 
qui  complète  le  premier.  «  Une  analyse  détaillée  des  ouvrages  des 
grands  maîtres  nous  apprend  ce  qu'a  été  la  mystique  chez  les  Pères 
grecs,  chez  les  Pères  latins,  chez  les  écrivains  du  moyen-àge,  aux 
époques  suivantes  et  jusqu'au  XVIII' siècle.  L'auteur,  après  un  rapide 
aperçu  sur  la  mystique  contemporaine,  résume  les  principes  et  conclut 
que  l'union  contemplative  est  le  terme  de  la  vie  spirituelle  et  que  les 
âmes  doivent  désirer  cet  état.  Il  indique  les  principaux  moyens  de  se 
préparer  à  l'union  divine.  » 

Les  deux  ouvrages  sont  des  travaux  d'analyse.  Il  restait  à  donner  une 
synllièse  et  à  traiter  les  questions  fondamentales  de  la  mystique.  C'est  le 
but  du  livre  de  M.  Saudreau,  intitulé  :  VElat  mystique,  sa  nature  et  ses 
phases  (5).  L'auteur  débute  par  quelques  exemples  de  l'état  mystique  et 
expose  ensuite  cet  état  d'après  les  enseignements  des  grands  auteurs, 
les  Pères,  les  Docteurs  du  moyen-âge,  sainte  Thérèse  et  saint  Jean  de 
la  Croix,  à  qui  il  consacre  le  plus  d'attention  et  dont  il  souligne  la 
précision  et  la  clarté  ;  il  termine  par  la  doctrine  de  Suarez  et  résume 
l'exposé  qu'il  a  fait  dans  cette  proposition.  Il  y  a  dans  l'état  mystique  et 
dans  tout  état  mystique  ce  double  élément:  connaissance  supérieure 
de  Dieu  qui,  bien  que  générale  et  confuse,  donne  une  très  haute  idée 
des  ses  incompréhensibles  grandeurs  et  amour  irraisonné  mais  intense, 
que  Dieu  lui-même  communique  et  auquel  l'âme, malgré  tousses  efforts, 
ne  pourrait  jamais  s'élever.  Ce  double  élément  suffit  à  constituer  l'état 
mystique  et  en  forme  la  note  caractéristique  ;  la  ligature  des  puissances, 
la  conscience  de  l'état  de  grâce,  les  joies  et  les  consolations,  le  senti- 
ment de  la  présence  de  Dieu,  ne  sont  pas  essentielles  à  cet  état.  On 
peut  diviser  les  états  mystiques  selon  la  part  qu'y  prennent  les  diverses 
facultés.  On  obtient  ainsi  la  classification  suivante  :  état  mystique 
aride,  état  mystique  sensible,  état  mystique  complet,  état  extatique.  Ce 
sont  les  diverses  phases  de  l'état  mystique.  Cependant,  l'on  ne  peut 
mesurer  le  degré  d'intensité  de  l'état  mystique  d'après  les  effets  qui  s'en 


1.  Xes'  Voies  de  l'Oraison  mentale,  par  Dom  Vital  Lehodey;   1  vol.  in.-12, 
(XII-422).  Paris,   Gabalda. 

2.  M.   DÉMERY,   dans  le  journal  La   Croix.   Paris,   20,   25  juiu,   5,   6  juillet 
1908.  , 

3.  2  vol.    Paris,    1905;    3e    éd.    Vie    et    Amat. 

4.  1  vol.  in-12,  p.  615.  Paris,  Vie  et  Amat,  1903. 

5.  Paris,  Librairie  Vie  et  Amat,   1903;   1  vol.  in-12;  260  pp. 


812         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THEOLOGIQUES 

manifestent  au  dehors,  comme  le  recueillement,  puis  l'absorption, 
puis  l'aliénation  complète  des  sens.  Même  ce  dernier  état,  Fétal  exta- 
tique, ne  marque  pas  nécessairement  un  degré  déterminé  de  l'ascension 
mystique,  on  peut  avoir  des  extases  et  ne  pas  être  arrivé  à  un  état 
mystique  fort  élevé.  La  contemplation  est  l'acte  mystique  par  excel- 
lence. M.  Saudreau  nous  expose  sa  notion  d'après  les  Maîtres,  fait 
remarquer  les  inexactitudes  de  certains  écrivains  mystiques  à  partir  du 
17*^  siècle,  les  termes  impropres  de  quelques  auteurs  plus  expérimentés 
et  observe  que  la  véritable  contemplation  se  reconnaît  non  aux  émotions 
sensibles  mais  aux  effets  qu'elle  produit.  Une  description  et  une  analy.se 
psychologique  de  l'état  mystique  terminent  le  volume.  —  Cet  ouvrage 
trouva  à  son  tour  une  suite  et  un  complément  dans  le  dernier  livre 
publié  par  M.  Saudreau  :  Les  faits  extraordinaires  de  la  vie  spirituelle  (1) 
L'auteur  comprend  parla:  les  phénomènes  d'ordre  angélique  :  vues, 
actes  d'amour  et  sentiments  angéliques  ;  les  extases,  les  visions  et 
révélations  privées,  les  possessions  diaboliques.  Les  premiers  chapitres 
de  l'ouvrage  sont  consacrés  à  des  questions  de  délimitation  et  de  défi- 
nition des  états  spirituels  et  établissent  les  frontières  de  l'extraordi- 
naire. Dans  ce  volume  l'auteur  n'a  pas  cherché  à  discuter  avec  les 
incrédules  ou  à  fournir  de  longues  preuves  de  la  vérité  des  faits  prêter- 
naturels.  Il  s'est  limité  à  exprimer  les  principes  fondamentaux  aussi 
clairement  que  possible  et  à  donner  des  règles  de  conduite  à  suivre 
quand  des  faits  extraordinaires  se  présentent.  Ce  livre  est  le  fruit  de 
l'étude  et  d'expériences  certaines  et  comme  tous  les  autres  ouvrages 
de  M.  Saudreau,  c'est  un  travail  fort  consciencieux  et  très  bien  docu- 
menté. Il  couronne  très  dignement  la  série  des  publications  mystiques 
de  l'auteur. 

Dans  le  cours  de  ses  différents  ouvrages,  M.  Saudreau  a  touché 
maintes  fois  des  points  de  controverse  fréquemment  agités  de  nos 
jours.  Il  nous  reste  à  les  relater  et  à  déterminer  brièvement  l'état 
actuel  de  la  question.  1°  Il  s'agit  tout  d'abord  de  la  distinction  entre 
ascétique  et  mystique.  On  est  généralement  d'accord  pour  dire  que  les 
deux  sciences  ont  l'une  avec  l'autre  plusieurs  points  de  contact.  Tous 
les  auteurs  aussi  affirment  la  distinction  des  deux  états  ;  aucun  ne 
fait  rentrer  l'un  dans  l'autre.  Le  P.  Poulain  soutient  que  l'ascétique  est 
l'état  ordinaire  qui  dépend  du  travail  de  l'homme,  auquel  il  peut  et  doit 
se  disposer  ;  par  contre,  la  mystique  est  un  état  exlrordinaire  et  mira- 
culeux ;  l'homme  a  beau  faire,  il  ne  peut  y  atteindre  même  en  redou- 
blant d'efforts.  M.  Saudreau  est  d'un  avis  contraire  :  la  mystique,  il  est 
vrai,  est  une  grâce  éminente,  mais  non  une  faveur  extraordinaire  et 
miraculeuse  ;  elle  fait  partie  intégrante  de  la  perfection  clirétienne,  elle 
est  la  suite  et  le  couronnement  de  l'ascétique,  le  terme  et  l'achèvement 
normal  de  la  perfection  chrétienne.  Le  P.  Caliste  Boulesteix  et  le 
P.  HuGON  ont  pris  parti  pour  la  théorie  de  M.  Saudreau.  Le  P.  Hugon  a 
écrit  de  cette  dernière  qu'  «  elle  semble  bien  être  celle  de  saint  Thomas 
et  de  la  Tradition.  »  (2)  —  2°  Il  s'agit  ensuite  de  Vêlement  fondamental 

1.  1  vol.  in-12,  401  pp.,  Paris,  Vie  et  Amat,  1908. 

2.  Cf.  P.  Poulain  :  Des  grâces  d'oraison,  ch.  1er.  Saudreau  :  Faits  extra- 
ordinaireu   de   ta   vie  spirituelle,   chap.    I^'.    h' État   mystique:    passim;    Mevue 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  813 

et  constitutif  de  la  mystique.  Selon  M.  Saudreau,  c'est  une  connaissance 
amoureuse  de  Dieu,  infuse  et  due  aux  dons  du  Saint-Esprit.  Le  P.  Pou- 
lain et  à  sa  suite  M.  Lejeune,  le  P.  Lahousse,  le  font  consister  dans  le 
sentiment  que  l'àme  éprouve  de  la  présence  de  Dieu  en  elle,  Fexpéri- 
mentation  de  Dieu  présent  dans  l'âme  ;  celte  connaissance  expérimen- 
tale est  analogue  à  celle  des  sens  qui  ne  raisonnent  pas  ;  Tàme  perçoit 
directement  Dieu,  elle  ne  conclut  pas.  Comment  s'opère  cette  perception 
de  l'Être  divin  ?  La  contemplation  mystique  sera-t-elle  la  perception 
sans  espèces,  la  vision  intuitive  atténuée?  Le  P.  Lahousse  a  proposé 
cette  explication.  Le  P.  Poulain  se  prononce  pour  la  perception  de  Dieu 
par  le  moyen  d'espèces  impresses  analogues  à  celles  de  la  perception 
des  sens,  avec  cette  différence  que  les  espèces  seraient  spirituelles  au 
lieu  d'être  sensibles.  M.  Saudreau  a  repris  longuement  la  discussion. 
Impossible  de  ne  pas  reconnaître  à  ses  nombreux  arguments  une  grande 
valeur  surtout  au  point  de  vue  théologique.  La  thèse  du  P.  Poulain  est 
très  faible,  elle  ne  peut  s'accorder  avec  les  principes  de  la  théologie  sur 
la  notion  de  l'être  divin.  De  ce  point  de  vue,  la  Revue  Aurjiistinienne  Ta 
jugée  inacceptable  (1).  — 3°  11  s'agit  c^e*  divisions  de  la  contemplation.  \  di-i-W 
différentes  espèces  de  contemplation,  contemplation  acquise  et  contem- 
plation infuse,  contemplation  ordinaire  et  extraordinaire?  Le  P.  Joseph 
a  Spiritu  Sancto,  0.  Carm.  Disc,  a  vivement  combattu  ces  distinctions. 
Elles  sont  inconnues  des  grands  maîtres  de  l'âge  classique.  La  première 
fut  introduite  par  Philippe  de  la  Trinité,  0.  C.  La  seconde  par  le  béné- 
dictin Schram.  Il  n'y  a,  dit  l'auteur,  qu'une  espèce  de  contemplation  : 
la  contemplation  infuse,  toute  division  étant  incompatible  avec  la  vraie 
notion  de  contemplation  (2).  M.  Saudreau  parle-t-il  dans  le  même  sens, 
quand  il  pose  en  thèse  que  les  maîtres  ne  connaissent  que  la  contem- 
plation mystique  ?  Cependant  le  P.  -los.  a  Spiritu  Sancto  s'en  est  pris  à 
la  notion  de  contemplation  telle  qu'elle  est  exposée  par  M.  Saudreau  (3). 
D'autre  part  aussi,  M.  Saudreau  a  trouvé  un  défenseur  dans  le  P.  Jos. 
Leonissa  (4).  —  Un  exposé  rationnel,  clair  et  solide  de  l'idée  de  con- 
templation chez  l'un  des  maîtres  de  la  mystique,  p.  ex.  saint  Thomas, 
apporterait  à  cette  discussion  les  lumières  désirables. 

Monographie  d'auteurs.  —  Le  professeur  Hermann  Schell  a  été  en 
Allemagne  un  semeur  d'idées  nouvelles.  L'œuvre  théologique  laissée 
par  Schell  est  assez  considérable.  Le  Dr  Commer  de  Vienne  a  consacré, 
au  professeur  de  Wurzbourg  et  à  son  œuvre,  une  étude  qui  en  est  déjà 


augustinienne,   15   août,    1908,   p.   212   svtt.   Revue  Thomiste,  mars-avril    1907, 
p.   80;   mars-juin,    1908,   p.    211.    Études   franciscaines,   janvier   1908. 

1.  Cfr.  P.  PouL.\iN  :  Les  grâces  d'oraison,  p.  564.  Lejeune,  art.  Contem- 
plation, Dict.  de  théologie  (Vacant).  P.  L.\housse  :  Revue  Apologétique,  15 
juillet  1907.  Cavd-ro^,  Revue  du  Clergé  français,  1er  juin  1906.  —  Saudreau: 
Faits  extraordinaires  de  la  vie  spirituelle,  ch.  IV,  p.  101-167.  Revue  au- 
gustinienne,  15   juillet   1907,  P'.   71-76. 

2.  Jahrbuch  fiir  Philosophie  ufid  spekulative  Théologie.  Bd.  XXI  (1907), 
pp.  436-484. 

Z.Ihid.,  p.  457-479. 

4.  lUd.,  Bd.  XXII,  1908,  p.  280-299. 


814         PEVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

à  sa  seconde  édition  (1).  Cet  ouvrage  a  toute  une  histoire.  C'est  la 
«  Schell-Commerfrage  »  :  Taffaire  Schell-Commer.  Elle  est  suffisamment 
connue  :  nous  n'avons  pas  à  y  revenir  (2).  L'ouvrage  lui-même  se  divise 
en  deux  parties  :  La  première  donne  l'exposé  et  la  réfutation  des  prin- 
cipales erreurs  de  Schell,  la  seconde  oppose  aux  différents  courants 
d'une  fausse  réforme  du  catholicisme  l'idée  et  le  plan  d'une  réforme 
vraie  et  salutaire.  —  Une  caractéristique  générale  du  théologien  que 
fut  Schell  ouvre  la  première  partie.  Schell,  quoique  très  bien  doué  au 
point  de  vue  spéculatif,  n'a  pu  construire  une  œuvre  systématique  de 
tout  point  satisfaisante,  parce  qu'il  lui  manquait  :  1°  une  formation  logi- 
que sérieuse;  2*  l'intelligence  de  la  philosophie  péripatético-scolastique  ; 
3"  le  respect  de  l'autorité  théologique.  Schell  n'a  pas  même  fait  une 
œuvre  originale,  il  est  demeuré  éclectique  et  a  marché  sur  les  traces 
de  Kuhn,  de  Staudenmaier,  de  Deutinger.  —  Commer  passe  ensuite  à 
la  critique  des  principales  doctrines  de  Schell.  L'erreur  fondamentale 
c'est  le  concept  moniste  que  Schell  s'est  fait  de  Dieu  :  Dieu,  selon  Schell, 
c'est  cet  être  qui  se  cause  lui-même  par  sa  propre  pensée  et  se  réalise 
lui-même  par  son  amour.  De  ce  faux  concept  dérivent  toutes  les  autres 
erreurs  de  Schell  au  sujet  du  Surnaturel,  de  la  Trinité,  du  Christ,  de  la 
grâce,  du  mal  moral,  du  péché,  des  sacrements  de  Baptême,  d'Extrême- 
Onction,  d'Eucharistie,  de  Mariage,  et  des  peines  de  l'enfer.  Par  ses 
doctrines,  Schell  a  rompu  avec  l'enseignement  traditionnel  et  s'est 
mis  plus  d'une  fois  en  opposition  avec  les  dogmes  chrétiens.  Sa  théo- 
logie est  rationaliste.  —  Quelle  position  occupe  Schell  à  l'égard  de 
l'Église  ?  L'Église  a  condamné  ses  doctrines.  Schell  s'est  soumis  ;  mais 
sa  soumission  n'a  pas  été  un  acte  d'obéissance  intérieure,  ce  ne  fut 
qu'un  acte  de  loyauté  extérieure.  En  réalité  Schell  s'est  cabré  devant 
l'autorité  de  l'Église  ;  il  a  été,  dans  la  suite,  l'adversaire  de  cette  auto- 
rité, à  tel  point  qu'il  y  aurait  lieu  de  le  rapprocher  plutôt  de  Luther 
que  de  saint  Paul. 

Commer  a  jugé  l'œuvre  de  Schell,  il  l'a  jugée  objectivement,  d'après 
les  faits,  et  non  d'après  les  intentions  de  son  auteur  ;  tout  en  condam- 
nant cette  œuvre  théologique,  il  a  rendu  hommage  aux  brillantes  quali- 
tés d'esprit,  à  la  piété  du  professeur  de  Wurzbourg.  —  L'étude  du 
Dr  Commer  a  valu  à  son  auteur,  de  la, part  des  adhérents  de  Schell,  des 


1.  Hermann  Schell  und  der  fortschrittUche  Katholizismus.  Ein  Wort  zur 
Orichlierung  fur  gl^ubige  Eatholikcn  von  Pralat  Dr  Ernst  Commer.  Zweite 
neubearbeitete  auflage.  Wien,  1908.  Heinrich  Kirsch,  in-8o  LXXIV-460.  La 
première  édition  parut  dans  la  semaine  de  Pâques  1907.  La  seconde  vers  la 
fin  de  la  hiême  année.  Elle  a  été  considérablement  augmentée  ûans  la 
première  partie  :  exposé  des  erreurs  de  Schell.  L'auteur  leur  a  opposé  la 
doctrine  de  l'Église,  nette  et  précise,  en  vue  d'éclairer  mieux  ceux  de  ses 
lecteurs  qui  ne  peuvent  s'appliquer  à  la  théologie.  Outre  une  deuxième 
préface  où  l'auteur  se  défend  contre  ses  adversaires,  on  trouve  dans  cette 
seconde  édition  un  prologue  du  Dr  Glossner  :  Écho  de  la  Presse  au  sujet 
de  l'affaire  Schell-Commer.  Une  liste  des  documents  se  rapportant  aux 
faits  les  plus  importants  qui  ont  caractérisé  le  débat  a  été  ajoutée  à  la  fin  du 
volume. 

2.  Voir    l'Ami    du    Clergr,    23    janA^er    1908,    p.    65-75.    —    Revue     augus- 
tinienne,  15  mars  1908,  pp.  345-358. 


BULLETIN     DE    THÉOLOGIE    SPÉCULATIVE  815 

critiques  sévères,  non  justifiées,  des  injures  qu'il  me  répugne  de  citer. 
Où  en  est  actuellement  le  débat?  Par  la  voie  de  l'initiative  privée  aucune 
réponse  sérieuse  n'a  paru  contre  l'ouvrage  de  Gommer  :  elle  n'est  d'ail- 
leurs pas  possible.  Oificiellement,  l'affaire  Schell  est  terminée.  Pie  X  a 
parlé  :  par  un  bref  du  14  juin  1907,  il  a  fait  siennes  les  conclusions  de 
Gommer  et  rendu  hommage  au  mérite  de  l'auteur. 

Fr.  Raymond-M.  Martin, 
Huy  (Belgique).  \rd.  praed. 


CHRONIQUE 


ALLEMAGNE.  —  Publication  nouvelle.  —  Le  Dr  Fr.  M.  Schiele  entre- 
prend de  publier,  chez  Mohr  à  Tubingue.  un  nouveau  diclionnaire  : 
Die  Religion  in  GescJiichte  und  Gegemvart.  Il  a  pour  collaborateurs  les 
professeurs  H.  Gunkel  et  0.  Scheel.  Le  christianisme  et  les  religions 
principales  du  monde  entier  seront  étudiés  dans  leurs  doctrines  et 
leur  histoire.  On  s'attachera  spécialement  à  exposer  l'état  présent  du 
christianisme  et  aussi  les  transformations  que  la  théologie  est  en  train 
de  subir  du  fait  de  Tintroduction  des  méthodes  nouvelles.  C'est  assez 
dire  que  l'encyclopédie  s'inspire  du  même  esprit  que  les  lieligions- 
geschichtlichen  Volksbûcher  et  que  les  Lebensfragen.  —  L'ouvrage  com- 
prendra 4  ou  5  volumes  grand  in-8°  de  1000  pages  environ  chacun.  Il 
paraît  par  livraisons  au  prix  de  1  M.  les  3  feuilles.  On  espère  qu'il  sera 
complet  en  1911. 

Universités.  —  L'université  d'Iéna  a  célébré,  au  cours  du  mois 
d'août,  le  S-jC"  anniversaire  de  sa  fondation.  Les  fêtes  données  à  cette 
occasion  n'ont  guère  été  qu'une  apothéose  du  professeur  E.  Haeckel  et 
de  son  enseignement.  L'inauguration  du  Musée  Philogénétique,  fondé 
par  souscription  publique  et  conçu  comme  une  démonstration  par  les 
faits  de  l'évolutionisme  matérialiste,  en  a  été  l'acte  le  plus  saillant  et  le 
plus  significatif. 

—  L'université  de  Leipzig,  l'une  des  plus  importantes  d'Allemagne, 
célébrera  au  mois  de  juillet  prochain,  le  5^  centenaire  de  sa  fondation. 
Elle  occupe  le  second  rang,  au  point  de  vue  de  l'ancienneté,  parmi  les 
universités  allemandes,  celle  de  Heidelberg,  fondée  en  1386,  tenant  le 
premier. 

Concours. —  Le  Comité  de  la  fondation  Karl  Schwarz  met  au  concours 
pour  l'obtention  du  prix  de  500  M.  qu'elle  doit  attribuer  le  19  novembre 
1910  le  sujet  suivant  :  «  La  place  d'Adolf  Hilgenfeld  dans  l'étude  du  Nou- 
veau Testament.  » 

Les  travaux,  en  langue  allemande,  devront  être  envoyés  avant  le 
1"  juillet  1910  à  M.  le  pasteur  0.  Millier,  Gotha  (Thuringe).  Le  Comité 
s'est  adjoint  récemment,  pour  compléter  le  nombre  de  ses  membres,  le 
professeur  P.  Schmiedel,  de  Zurich,  et  le  conseiller  ecclésiastique 
P.  Graue,  de  Meiningen. 

Congrès.  —  Le  3*"  Congrès  allemand  de  psychologie  expérimentale 
s'est  tenu  à  Francfort  les  22-25  avril  1908,  sous  la  présidence  du  profes- 
seur G.  E.  MOller  de  Gœttingue.  Les  travaux  ont  été  suivis  par  110  per- 
sonnes ;  quatre  rapports  généraux  ont  été  lus  et  une  trentaine  de  commu- 
nications présentées. 

1"  Psychologie  animale   el  anatomie.   Le  professeur  Ed.  Claparède, 


CHRONIQUE  817 

de  Genève,  a  lu  un  rapport  sur  Les  méthodes  de  la  ps>/cholo(jie  animale 
où  il  a  essayé  de  systématiser  les  mélhodes  employées  jusqu'ici  pour 
étudier  l'état  mental  des  animaux.  Le  Dr  L.  Edinger,  directeur  de  l'Ins- 
titut neurologique  de  Francfort,  a  étudié  Les  rapports  de  l'anatomie 
comparée  et  de  la  psychologie  en  insistant  sur  les  services  que  i'anatomie 
du  cerveau  des  vertébrés  inférieurs  peut  rendre  à  la  psychologie. 
M.  Kappers,  d'Amsterdam,  dans  un  mémoire  intitulé  :  De  la  formation 
de  fibres  associatives  résultant  d'excitations  simultanées  et  successives,  a. 
exposé  que  la  loi  fondamentale  de  la  psychologie,  à  savoir  la  loi  d'asso- 
ciation des  impressions  simultanées  est  aussi  la  loi  fondamentale  de 
I'anatomie  cérébrale. 

2"  Méthodes  et  technique.  ^\.  Marbe,  professeur  de  philosophie  à 
Francfort,  a  traité  de  L'emploi  des  flammes  fumeuses  en  psychologie.  En 
plaçant  une  bande  de  papier  au-dessus  d'une  flamme  d'acétylène,  on 
obtient  une  série  de  cercles  enregistrant  les  vibrations  de  la  voix,  les 
battements  du  cœur.  etc.  M.  Schultze,  de  Francfort,  a  appelé  l'attention 
sur  Les  erreurs  d'origine  psychologique  dans  la  sphijgmomanométrie  avec 
les  procédés  de  Riva  Rocci  et  Recklinghausen. 

3"=  Sensations  et  mouvements.  M.  Plassmann,  de  Munster,  a  étudié 
Les  rapports  entre  l'astronomie  et  la  psychologie  et  M.  Révész,  de  Buda- 
pest, L' orthosymphonie,  phénomène  paracoustique. 

4°  Processus  psychiques  supérieurs.  M.  Specht,  professeur  de  psy- 
chiatrie à  l'université  de  Munich,  a  présenté  un  rapport  très  étendu  sur 
la  Pathologie  de  l'attention  où  les  théories  diverses  de  l'attention  sont 
critiquées.  Il  oppose  la  conception  volontariste  de  l'attention  à  Fassocia- 
tionisme.  Le  professeur  Durr,  de  Berne,  a  étudié  L'investigation  expéri- 
mentale de  la  pensée.  Il  critique  la  méthode  généralement  suivie  dans 
ce  domaine  et  estime  qu'on  se  désintéresse  trop  du  comment  de  la 
pensée.  Le  professeur  0.  Schultze,  de  Francfort,  a  lu  un  Rapport  sur 
les  expériences  d'associations  exécutées  à  l'Institut  psychologique  de 
Francfort.  M.  Grunbaum,  de  Wurzbourg,  a  présenté  une  étude  expéri- 
mentale sur  L' abstraction  du  semblable  d'où  il  ressort  que  la  conscience 
du  semblable  et  la  perception  distincte  des  éléments  de  ressemblance 
sont  deux  actes  différents.  M.  le  professeur  Michotte,  de  Louvain,  a 
montré  dans  un  travail  sur  les  Expériences  de  mémoire  avec  directions 
associatives  multiples  le  rôle  que  jouent  les  sentiments  de  relation  dans 
la  conservation  et  la  reproduction  de  couples  associés.  M.  0.  Lipmann,  de 
Berlin,  a  traité  De  l'appréciation  des  réponses  dans  les  expériences  de 
mémoire  et  de  témoignage.  Le  Dr  Gutmann,  de  Berlin,  dans  une  étude  : 
Sens  chromatique  et  peinture,  a  exposé  le  rôle  joué  dans  la  peinture  par 
les  troubles  de  la  perception  des  couleurs.  Il  est  beaucoup  moins  consi- 
dérable qu'on  eût  pu  le  croire.  Le  professeur  Alrutz,  d'Upsal,  a  traité 
des  Phénomènes  demi-spontanés  dans  l'hypnose,  c'est-à-dire  des  phéno- 
mènes en  rapport  avec  les  suggestions,  mais  les  dépassant. 

5"  Langage.  Signalons  un  mémoire  de  M.  Pick,  de  Prague,  sur  La 
compréhension  du  Langage  du  point  de  vue  de  la  pathologie,  qui  est  un 
exposé  historique  des  éludes  sur  l'aphasie  ;  un  autre  du  professeur 
BuEflLER,  de  Wurzbourg,  sur  L'intelligence  du  langage,  du  point  de  vue 
de  la  pb-ychologie  normale,  où  trois  problèmes  sont  étudiés  :  Perception 


818         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

sensorielle  des  sons  verbaux,  signification  du  mot,  compréhension  de 
la  phrase.  Le  professeur  Thumb,  de  Marbourg,  a  traité  Expériences 
d'associations  et  science  du  langage  et  M.  Menzerath,  de  Diiren,  a  exposé 
le  résultat  d'expériences  sur  Les  contaminatio7is  linguistiques. 

6°  Psychologie  infantile  et  pédagogie.  A  relever  un  rapport  de 
M.  Stern,  de  Breslau,  sur  la  Formation  de  la  perception  chez  les  enfants 
et  un  travail  de  M.  Schmidt,  de  Wurzbourg,  sur  L'esthétique  chez  l'écolier 
où  il  note  dans  le  développement  du  sens  esthétique  chez  l'enfant  cinq 
étapes  successives. 

Le  prochain  congrès  se  tiendra  en  avril  1910  à  Inspruck.  [Archives  de 
Psychologie.  Juillet  1908). 

—  Le  3"  Congrès  international  de  philosophie,  qui  s'est  tenu  à  Heidel- 
berg  dans  les  premiers  jours  de  septembre,  comprenait  environ 
300  membres.  L'intérêt  s'y  est  concentré  principalement  sur  deux 
groupes  de  problèmes  :  la  théorie  de  la  connaissance  d'une  part  et 
d'autre  part  la  philosophie  des  sciences  et  la  méthodologie. 

A  la  première  séance  générale,  M.  J.  Royce,  de  l'Université  Harvard, 
lut  un  mémoire  intitulé  :  La  nature  de  la  vérité  à  la  lumière  des  discus- 
sions ?'ece/?/es.  Il  y  critiqua  trois  théories  de  la  vérité  :  l'instrumentalisme, 
l'individualisme,  la  conception  mathématique,  auxquelles  il  opposa  la 
théorie  pragmatiste,  qui  en  est  la  synthèse.  Le  professeur  Jérusalem  de 
Vienne  résuma  en  allemand  l'exposé  que  M  Royce  avait  fait  en  anglais, 
en  insistant  sur  les  avantages  que  procure  dans  la  recherche  de  la  vérité 
le  point  de  vue  de  l'action.  Pour  la  première  fois  le  pragmatisme  osait 
affronter  l'idéalisme  allemand.  La  discussion  s'éleva  aussitôt  et  prit 
des  proportions  telles  que,  d'un  commun  accord,  on  décida  d'instituer 
un  débat  contradictoire  familier  et  méthodique.  11  dura  tout  le  Congrès 
et  se  déroula  dans  une  salie  spéciale  sous  la  direction  du  professeur 
Aars  de  Christiania.  MM.  Schiller,  Jérusalem,  IS'elson,  Goldstein,  etc. 
développèrent  la  théorie  pragmatiste.  Le  débat  dégénéra  tout  de  suite 
en  une  violente  bataille  que  les  efforts  du  président  ne  parvinrent  pas 
à  calmer.  Dans  ces  conditions  il  était  difficile  d'aboutir  à  un  résultat 
quelconque. 

La  seconde  séance  générale  fut  marquée  par  deux  communications 
que  l'on  put  considérer  comme  le  programme  de  la  partie  la  plus  con- 
sidérable et  la  plus  féconde  des  travaux  du  Congrès.  M.  Boutroux  traça 
le  tableau  de  la  philosophie  en  France  depuis  1867,  et  M.  Windelbanb, 
président  du  Congrès,  lut  un  travail  sur  l'idée  de  loi.  Après  avoir 
raconté  la  chute  de  l'éclectisme,  M.  Boutroux  signala  l'apparition  et  le 
développement  parallèle  d'une  philosophie  métaphysique  et  d'une 
philosophie  expérimentale.  Peu  à  peu  le  philosophe  cesse  de  faire 
abstraction  de  la  science  en  môme  temps  qu'il  renonce  à  ignorer  la 
religion.  Du  rapprochement  avec  la  science  résultent  l'invention  de 
méthodes  nouvelles  et  une  croissante  spécialisation  du  travail  philoso- 
phique. De  leur  côté  les  savants  recommencent  à  se  préoccuper  de  la 
vérité  philosophique.  M.  Boutroux  affirme  la  vitalité  de  la  philosophie  et 
même  de  la  métaphysique.  Loin  de  croire  à  la  faillite  prochaine  du 
rationalisme,  il  entrevoit  son  renouvellement  par  la  psychologie  et 
l'étude  approfondie  de  l'expérience. 


CHRONIQUE  819 

M.  Windelband,  qui  remplaçait  M.  H.  Bergson,  empêché,  et  dont  l'ab- 
sence fut  vivement  ressentie, exposa  qu'à  son  avis  les  théories  modernes 
de  la  connaissance,  en  dépassant  le  criticisme  et  son  idée  d'une  repré- 
sentation purement  qualitative  du  monde,  marquent  toujours  le  même 
effort  pour  dégager  dans  la  représentation  l'élément  électif  et  le  sens 
quantitatif.  De  même  que  toute  perception  est  un  choix  parmi  les  pos- 
sibilités de  la  sensation,  et  tout  concept  un  choix  parmi  les  perceptions, 
ainsi  toute  théorie  tend  à  opérer  une  sélection  dans  la  masse  du  donné, 
laquelle  n'est  jamais  saisie  dans  sa  totalité.  Toute  loi  est  donc  une 
connaissance  découpée  dans  la  masse  abondante  et  confuse  du  réel, 
selon  un  dessein  arrêté  par  l'intelligence.  En  lésumé,  MM.  Boutruux  et 
Windelband  aboutissaient  tous  deux  à  préconiser  l'étude  du  phénomène 
vivant,  à  envisager  le  réel  comme  concret  et  à  délimiter  avec  précision 
et  modestie  le  point  de  vue  et  les  limites  de  la  recherche. 

Celte  tendance  caractérise  assez  bien  le  plus  grand  nombre  des 
travaux  lus  au  Congrès  et  dans  le  détail  desquels  il  est  impossible 
d'entrer.  M.  A.  Fley,  parlant  de  l'a  priori  et  de  l'expérience  dans  les 
méthodes  scientifiques,  a  signalé  le  sens  de  plus  en  plus  relatif  et  provi- 
soire, que  tend  à  prendre  le  mot  à  priori.  Le  professeur  von  Karman  de 
Budapest  a  développé  le  plan  d'une  nouvelle  classification  des  sciences. 
M.  Meyerson  s'est  appliqué  à  définir,  à  l'aide  d'exemples,  les  rapports 
qui  rattachent  l'explication  scientifique  aux  données  du  sens  commun. 
M.  F.  Simiand  a  indiqué  le  caractère  et  la  portée  d'une  méthode  positive 
en  économie  politique.  M.  Brunschwicg  s'atlache  à  réduire  l'antinomie 
entre  analyse  et  synthèse  en  substituant  à  ces  termes  abstraits  ceux  plus 
clairs  et  plus  justes  de  dissociation  et  implication  de  notions.  M.  Rauh 
a  esquissé  une  théorie  nouvelle  de  l'expérience.  Les  philosophes  lui 
paraissent  établir  une  distinction  trop  absolue  entre  l'expérience  et  la 
pensée  comme  s'il  y  avait  dans  le  monde  idéal  autre  chose  que  ce  qui, 
pour  notre  expérience,  compose  le  monde  réel,  des  images  et  des 
sentiments.  La  pensée  est  un  pressentiment  d'images. 

La  section  d'histoire  de  la  philosophie  a  présenté  un  programme  très 
riche.  Signalons  entre  autres  le  mémoire  dans  lequel  M.  Delbos  a  entre- 
pris de  montrer  que,  dans  le  système  de  Spinoza,  les  deux  notions  de 
Dieuetdesubstance  étaientnon  paséquivalentes,mais  distinctes. C'est  de 
la  notion  de  Dieu  que  Spinoza  a  déduit  son  panthéisme.  Le  professeur 
E.  Schmidt  a  lu  une  étude  sur  Schopenhauer  et  la  mystique. 
M.  H.  Maier,  de  Tubingue,  a  étudié  la  personne  et  l'influence  de 
D.  Strauss.  M.  X.  Léon,  directeur  de  la  Revue  de  Métaphysique  et  de 
Morale  a  exposé,  d'après  des  documents  inédits,  les  relations  de  Fichle 
avec  la  Franc-maçonnerie  et  la  Loge  Royal-York. 

Les  travaux  présentés  à  la  section  de  philosophie  religieuse  n'ont 
point  trahi,  comme  l'on  s'y  attendait,  l'influence  du  pragmatisme.— A  la 
section  de  la  philosophie  de  lart,  l'étude  la  plus  remarquable  a  été  celle 
de  M.  B.  Croce,  de  Naples,  sur  le  caractère  lyrique  de  l'art  et  l'intuition 
pure.  —  Le  prochain  Congrès  se  tiendra  à  Bologne  en  l9ll. 

Nominations.  —  Le  D'  F.  Feldmann,  professeur  extraordinaire  d'exé- 


820         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

gèse  de  l'A.  T.  à  l'Université  de  Bonn,  remplace,  comme  professeur 
ordinaire,  le  D""  Kaulen  décédé. 

—  Le  D'^  Frilz  Tillmann  a  été  admis  à  enseigner  à  la  Faculté  de  théo- 
logie catholique  de  FUniversilé  de  Bonn  comme  privat-docent  d'exégèse 
du  N.  T. 

Décès.  —  M.  A..  DiETERiCH,  l'historien  des  religions,  est  mort  dans 
les  premiers  jours  du  mois  de  mai.  11  était  né  à  Hersfeld  en  1866. 

Albrecht  Dieterich  étudia  aux  Universités  de  Leipzig  et  de  Bonn.  En 
1891,  il  entra  à  Marbourg  comme  privat-docent  et  fut  nommé  professeur 
extraordinaire  en  1895.  L'Université  de  Giessen  se  lagrégea  en  1897 
comme  professeur  ordinaire.  Il  enseignait  la  philologie  classique  à 
Heidelberg  depuis  1903  avec  le  titre  de  professeur  ordinaire.  En  1904 
la  direction  de  ÏArchiv  fur  Religionswissenschnft  lui  fut  confiée.  Il 
publiait  également,  avec  R.  Wiinsch,  depuis  1903,  la  collection  bien 
connue  :  Religionsgeschichtliche  Versuche  und  Vorarbeilen. 

Dieterich   laisse   plusieurs  ouvrages   importants  :  Papyrus   magica, 

1888  ; /^e  hymnis  orphicis,  1891;  Abraxas,  Sludien  zur  Religionsge- 
schichle  der  spàleren  Altertums,  1891  ;  Nekyia.  Beitrâge  zur  Erklàrung 
der  neuentdeckten  Pelrusapocalypse,  1893;  Sommertag,  1905  ;  Mutter 
Erde,  1905  ;  Fine  Milhrasliturgie,  1903  ;  etc. 

—  On  annonce  la  mort  du  D'^Eduard  Glaser,  décédé  à  Munich  au  cours 
du  mois  de  mai.  M.  Glaser  avait  fait  en  Arabie  un  voyage  d'exploration 
d'où  il  rapporta,  en  1889,  une  importante  moisson  d'inscriptions.  Il  a 
publié  l'ouvrage  bien  connu  intitulé  :  Skizze  der  Geschichte  und  Geo- 
graphie  Arabiens.  Le  premier  volume,  incomplet,  a  paru  à   Munich  en 

1889  et  n'est  plus  dans  le  commerce.  Le  second  volume  (Géographie) 
a  paru  à  Berlin  en  1890.  On  lui  doit  encore  Die  Abissinier  in  Arabien 
und  in  Afrika,  1895,  et  un  petit  nombre  d'études  en  diverses  revu<^s. 
C'est  M.  Glaser  qui  a  donné  naissance  à  la  controverse  minéo-sabéenne 
en  avançant,  dans  le  premier  volume  de  ses  Skizze,  que  le  royaume 
minéen  avait  précédé  le  royaume  sabéen.  (Cf.  Rev.  BibL,  1902,  p.  256 
et  ss.). 

—  Le  D''  Otto  Pfleiderer,  professeur  de  théologie  pratique  à  l'uni- 
versité de  Berlin,  est  décédé  le  22  juillet.  Il  était  né  en  1839  à  Stetten  bei 
Kannstatt.  Après  avoir  étudié  la  philosophie  et  la  théologie  à  luniver- 
sité  de  Tubingue,  de  1857  à  1861,  où  il  eut  pour  maître  Ch.  Baur,  il  entre- 
prit un  voyage  d'étude  dans  l'Allemagne  du  Nord,  en  Angleterre  et  en 
Ecosse.  Revenu  à  Tubingue,  il  fut  attaché  à  l'université  en  qualité  de 
répétiteur  et  privat-docent  de  1864  à  1868.  Il  entra  ensuite  pour  quelques 
années  dans  le  ministère  et  remplit  les  fonctions  de  pasteur  à  Heilbronn 
et  à  léna.  En  1870  l'université  d'Iéna  se  l'attacha  comme  professeur 
ordinaire  et  prédicateur  de  l'université.  Depuis  1875,  il  était  professeur 
ordinaire  à  l'université  de  Berlin. 

Ouvrages  principaux  :  Bas  Urchristenthum,  seine  Schriften  und  Lehren 
im  geschichtlichen  Zusammenhnng.'^yoX.  1887,  2^  éd.  1902;  Der  Paulinis- 
mus,  1873,  2«  éd.  1890  ;  Die  Religion,  ihr  Wesen  und  ihre  Geschichte,  1869, 
ouvrage  repris  plus  tard  et  publié  sous  ce  nouveau  titre  :  Religionsphi- 
losopkie  auf  geschichtiicher  Grundlage,  1883-84,  3^  éd.  1896  ;  Geschichte 


CHRONIQUE  821 

der  lieligionspliilosophie  von  Spiuoia  bis  zum  Gegemvart,  3"  éd.  1893  ; 
Grundriss  der  Glaubens-  und  Sittenlehre,  6=  éd.  1898  ;  Enlivicklung  der 
protestantischen  Théologie  seit  Katit,  1891;  liilschlsche  Théologie  kri- 
tisch  beleuchlel,  1891  ;  Die  Entstehung  des  Christenthums,  1905  ;  lieli- 
gion  und  Religionen,  1906,  Die  Enhricklung  des  Chrislentums,  1907,  etc. 
Le  professeur  Pfleiderer  se  rattachait  en  exégèse  à  l'ancienne  école  de 
Tubingue.  Il  était  pour  la  philosophie  religieuse  et  la  théologie  le  prin- 
cipal représentant  des  idées  hégéliennes,  en  conflit,  comme  l'on  sait, 
avec  la  théologie  néo-kantienne  inaugurée  par  Ritschl. 

—  Le  D'  Friedrich  Paulsen,  professeur  de  philosophie  à  l'université 
de  Berlin,  est  mort  a  Steglitz  le  14  août. 

Né  à  Langenhorn  dans  le  Schleswig,  le  16  Juillet  1846,  Fr.  Paulsen 
commença  ses  études  universitaires  en  1866,  à  Erlangen.  Il  les  poursuivit 
à  Bonn  et  les  acheva  à  Berlin  où  il  reçut  en  1871  le  titre  de  docteur  en 
philosophie.  Privat-docent  à  l'université  de  Berlin  en  1875,  il  y  fut  suc- 
cessivement nommé  professeur  extraordinaire  en  1878  et  en  1893  pro- 
fesseur ordinaire  de  philosophie  et  de  pédagogie. 

Le  D""  Paulsen  laisse  une  œuvre  scientifique  considérable.  Voici,  par 
ordre  chronologique,  ses  principaux  ouvrages  :  Versuch  einer  Entivic- 
khtngsgeschichte  der  kantischen  Erkenntnisstheorie,  1875  ;  Geschichte  des 
gelehrlen  Unterrichts  auf  den  deutschen  Schulen  und  Universitdten  (du 
moyen  âge  à  nos  jours),  2  vol.  1885,  2«  éd.  1896  ;  System  der  Elhik, 
1889,  8«  éd.  1906  ;  Einleitung  in  die  Philosophie,  1892,  19<^  éd.  1907  ; 
Immanuel  Kant,  sein  Leben  und  seine  Werke,  1898,  4®  éd.  1903  ;  Philo- 
sophia  Militans,  Gegen  Klerikalismus  und  Naturalismus,  1901,  2®  éd. 
1908  ;  Schopenhauer,  Hamlet,  Mephistopheles,  1901  ;  Die  deutschen  Uni- 
versitdten und  das  Universitàtsstudium,  1902  ;  Gesammelte  Vortràge  und 
Aicfsdtze,  2  vol.  1906  ;  Moderne  Erziehung  und  geschlechtlicJie  Sittlich- 
keit,  1908. 

Comme  philosophe,  le  D"^  Paulsen  se  rattachait  à  l'école  néo-kan- 
tienne. Sa  pensée  était  très  spécialement  orientée  vers  les  conclusions 
morales  et  les  résultats  pratiques.  Pédagogue  très  averti,  doué  comme 
professeur  de  qualités  éminentes,  personnalité  sympathique,  il  exerçait 
sur  la  jeunesse  universitaire  une  action  extraordinaire,  comparable  à 
celle  de  K.  Fischer.  Son  «  Introduction  à  la  philosophie  «  est  peut-être 
le  livre  philosophique  le  plus  lu  d'Allemagne. 

ANGLETERRE.  —  Publications  nouvelles.  —  Le  premier  volume  de 
VEncijdopaedia  of  Religion  and  Ethics  dont  la  direction  appartient  à 
l'estimé  et  infatigable  D'^  Hastings  et  que  publie  la  librairie  Clark  d'Edim- 
bourg, vient  de  paraître  :  impérial  in-8°  de  XXll  et  903  pages  dont  les 
15  dernières  sont  consacrées  aux  illustrations.  Cent  quatre-vingt  quinze 
auteurs  différents,  tous  de  compétence  reconnue,  quoique  d'écoles  assez 
différentes,  y  ont  collaboré.  Nous  relevons  les  noms  d'Achelis,  Bousset, 
van  Berchem,  Goblet  d'Alviella,  Garvie,  Geffcken,  Inge,  Jevons,  Kennett, 
Littmann,  Me  Giffert,  Nuldecke,  Sayce,  Slrack,  Strzygowski,  De  Wulf, 
Cumont,  Carra  de  Vaux,  Flinders  Pétrie,  de  la  Vallée  Poussin,  etc.  On 
sait  que  VEncgclopaedia  couvre  un  vaste  domaine  embrassant  toutes  les 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  No  4.  53 


822         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

religions  du  monde  et  tous  les  départements  de  la  morale,  générale  et 
spéciale. 

Le  mouvement  connu  sous  le  nom  de  New  Theology  continue  en 

Angleterre,  non  sans  rencontrer  de  vives  oppositions.  Son  promoteur, 
R.  J.  Campbell,  vient  de  rééditer  le  programme  de  ce  mouvement  dans 
ses  Neiv  Theology  Sermons  (1).  Ce  programme  est  connu  du  lecteur  (2). 
M.  Campbell  ne  l'a  pas  soumis  à  de  nouvellps  discussions  ;  il  a  simple- 
ment voulu  montrer  comment  les  principes  exposés  par  lui  sont  sus- 
ceptibles de  recevoir  une  application  homilétique.  L'auteur  prend  donc 
un  texte  biblique,  de  préférence  un  verset  de  saint  Paul  ou  de  saint  Jean, 
et  l'expose  conformément  aux  idées  de  son  propre  «  Évangile  ».  Il  me 
suffira  de  dire  que  les  interprétations  de  M.  Campbell  sont  toutes  a  priori 
et  absolument  gratuites.  R-  ^f- 

Universités.  —  L'universilé  d'Oxford  vient  d'accorder  à  M.  W.  Sanday 
un  congé  d'une  année  afin  qu'il  puisse  s'adonner  font  entier  à  la  pré- 
paration de  cette  Vie  du  Christ  à  laquelle  il  travaille  depuis  longtemps 
déjà.  L'article  qu'il  donna  jadis  au  Dictionnaire  de  la  Bible  de  Has- 
tings  :  Jésus  Christ,  et  qu'il  publia  un  peu  plus  tard  en  volume  :  Outlines 
of  the  Life  of  Christ,  1903,  n'est  qu'une  esquisse  du  grand  ouvrage 
qu'il  médite  et  dont  on  peut  dire  que  le  monde  chrétien  tout  entier 
l'attend  avec  la  plus  vive  sympathie. 

—  Lord  Rayleigh,  ancien  fellow  de  Trinity  Collège,  Cambridge,  ancien 
professeur  de  philosophie  naturelle  à  la  Royal  Institution  of  Great  Bri- 
tain,  président  de  la  Royal  Society,  Londres,  a  été  élu  chancelier  de 
l'université  de  Cambridge,  à  la  place  du  duc  de  Devonshire  décédé. 

Congrès.  —  Le  Congrès  de  l'Histoire  des  Religions,  qui  s'est  tenu  à 
Oxford  du  15  au  18  septembre,  réunissait  plus  de  six  cents  membres. 
Il  a  été  présidé  par  Sir  A.  C.  Lejall,  le  doyen  des  anthropologues 
anglais,  qu'assistait  de  sa  haute  compétence  et  de  son  dévouement  le 
professeur  Percy  Gardner,  d'Oxford. 

A  la  section  delà  religion  des  primitifs,  M.  Hartmann,  de  Glowcester, 
dans  son  discours  d'ouverture,  a  exposé  la  thèse  d'après  laquelle  magie 
et  religion  ne  seraient  que  les  deux  faces  d'une  même  médaille.  La 
notion  d'un  Être  suprême  ne  serait  apparue  qu'à  une  époque  relative- 
ment récente. 

A  la  section  égyptienne,  le  professeur  et  explorateur  FI.  Pétrie  qui 
présidait,  s'est  élevé  contre  l'importance  accordée,  depuis  quelque 
temps,  au  point  de  vue  funéraire,  dans  l'étude  de  la  religion  égyptienne. 
M.   Moret   a  lu   un  mémoire  sur  un  texte   relatif  au  culte  du  roi  en 

Egypte. 

A  la  section  sémitique,  M.  Morris  Jastrow,  de  Philadelphie,  président, 
a  insisté  sur  l'importance  des  recherches  relatives  à  l'Islam.  M.  Bonet- 
Maury,  de  Paris,  a  communiqué  un  mémoire  sur  les  confréries  musul- 
manes. M.  Bertholet,  de  Bâle,  a  rappelé  les  influences  étrangères  qui 
s'exercèrent  sur  Israël  et  insiste   sur  la  puissance  d'assimilation  des 


1.  1  vol.   in-So   (XI-300   pp.)-   London,    Williams   and   Norgate,    1907. 

2.  Cf.  Bévue  des  Se.  Phil.   et  Théol.  oct.   1907,   p.  806-807. 


CHRONIQUE  823 

Juifs.  Ex.  :  le  serment  par  une  déesse  égyptienne  (papyrus  d'Éléphan- 
tine),  l'introduction  de  la  langue  grecque  dans  l'usage  liturgique. 
Traitant  un  sujet  semblable,  M.  von  Orelli,  également  de  Bâle,  s'est 
attaché  à  établir  que  la  sagesse  égyptienne  a  influencé  la  pensée  juive 
par  un  intermédiaire  qui  pourrait  être  Ëdom.  M.  P.  Haupt,  de  Balti- 
more, a  repris  la  thèse  d'après  laquelle  Jésus  et  ses  premiers  disciples 
auraient  été,  en  leur  qualité  de  Galiléens,  non  pas  des  sémites,  mais 
des  aryens.  Il  n'y  avait  plus  à  cette  date,  en  Galilée,  de  population  de 
race  juive.  Cette  manière  de  voir  rencontre  une  vive  opposition. 

A  la  section  chrétienne,  présidée  par  le  professeur  W.  Sanday, 
d'Oxford,  mentionnons  les  mémoires  du  prince  de  Teano  sur  l'Église  de 
Damas,  du  D''  Eisler  sur  l'agneau  pascal  et  sur  l'eucharistie,  etc. 

M.  Goblet  d'Âlviella,  de  Bruxelles,  qui  présidait  la  section  de  métho- 
dologie, a  développé  dans  son  discours  d'ouverture  d'importantes 
considérations  sur  la  méthode  de  l'histoire  des  religions.  11  a  montré 
l'utilité  des  sciences  auxiliaires  :  ethnographie,  folk-lore,  psychologie, 
sociologie. 

Nomination.  — M.  Gheyne  a  pour  successeur  comme  Oriel  Professor 
d'exégèse  à  Oxford,  le  Rév,  G.  A.  Cooke,  chapelain  du  duc  de  Buce- 
leuch.  Le  Rév.  Cooke  est  un  élève  du  professeur  J.  R.  Driver.  Il  a  été 
successivement  chapelain  et  fellow  de  Magdalen  Collège  à  Oxford, 
maître  de  conférences  d'hébreu  à  S*-John's  et  Wadhain  Collèges.  Son 
Text-Book  of  ÀVorth  Semitic  Inscriptions,  1903,  est  un  livre  classique. 

Décès.  —  Le  D"^  Charles  Taylor,  Master  of  S'-John's  Collège,  Cam- 
bridge, est  décédé  récemment.  Citons  parmi  ses  ouvrages  :  T/ie  Sayings 
of  t/ie  Jewis/i  Fal/iers.  (Texte  et  traduction,  avec  des  notes,  du  traité 
talmudique  Pirke  Aboth),  2  vol.,  2^  éd.  1897.  The  Wisdom  of  Ben  Sira 
(en  coll.  avec.  S.  Schechter),  1899  ;  T/ie  Oxyrhynchus  Logia  and  the 
Apocryphal  Gospels,  1899  ;  The  Witness  of  Hermas  to  the  Four  Gospels, 
1892  ;  divers  articles  dans  le  Journal  of  Theological  Studies,  la  Jeicish 
Quarlerly  Revieiu,  etc. 

M.  Ch.  Taylor,  a  écrit  le  D'^  R.  Sinker  dans  The  Record  du  28  août 
dernier,  «  ne  rappelait  nullement  ce  type  de  savant  préoccupé  avant 
tout  d'attirer  l'attention  et  toujours  en  quête  de  théories  nouvelles. 
C'était  un  travailleur  modeste  et  consciencieux.  » 

—  Le  lo  juillet  est  décédé  le  Rev.  Charles  Bigg,  Canon  de  Christ  Church 
et  Begius  Frofessor  d'Histoire  ecclésiastique  à  l'université  d'Oxford.  Ses 
deux  ouvrages  les  plus  connus  sont  :  The  Christian  Platonists  of 
AlexandriafBampton  Lectures),  188Q  ;  The  Epistles  of  St  Peter  and 
St  Jude  (International  critical  Commentary),  1901. 

AUTRICHE.  —  Retraite  et  Nominations.  Le  D'^  W.  A.  Neumann,  pro- 
fesseur ordinaire  d'exégèse  de  l'A.  T.  et  de  langues  sémitiques  à  l'univer- 
sité de  Vienne  et  l'un  des  directeurs  de  l'importante  collection  :  Monu- 
menta  Judaica,  vient  de  prendre  sa  retraite.  Il  a  pour  successeur  le 
savant  religieux  cistercien  Dom  Nivard  Schlogl,  précédemment  profes- 
seur à  l'abbaye  cistercienne  de  Sainte-Croix. 


824         REVUE   DES   SCIE^"CES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

—  Le  D'"  K.  Beth,  professeur  extraordinaire  de  symbolique,  de  théo- 
logie systématique  et  de  morale  chrétienne  à  la  Faculté  de  théologie 
évangélique  de  Vienne,  a  été  nommé  professeur  ordinaire. 

Le  D^J.  Hermann  enseigne  comme  privat-docent  à  la  même  Faculté 
l'exégèse  de  N.  T. 

ESPAGNE  —  Universités.  —  Avec  l'appui  et  sous  le  patronage  de 
Tévêque  de  Madrid-Alcalà,  un  groupe  de  catholiques  vient  d'organiser  à 
Madrid  une  Académie  universitaire  catholique.  Cet  institut  vise  à  fournir 
aux  étudiants  un  centre  bien  vivant  d'études  scientifiques. et  la  direction 
intellectuelle  dont  ils  ont  besoin.  L'on  y  donne  des  cours  de  religion,  de 
philosophie,  de  sciences  morales  et  politiques.  L'Académie  a  été  inau- 
gurée dans  les  premiers  jours  du  mois  d'octobre. 

—  L'université  d'Alcalà  de  Henares  a  célébré  le  26  juin  dernier  le  4™^ 
centenaire  de  sa  fondation  par  le  cardinal  Cisneros. 

Centenaire.  —  La  ville  de  Vich  en  Catalogne  se  propose  de  célébrer, 
par  des  fêtes  solennelles  le  centenaire  de  la  naissance  de  Balmès,  l'émi- 
nent  philosophe  catholique.  L'on  a  conçu  le  projet  d'organiser  un 
congrès  international  de  philosophie,  projet  qui  a  trouvé,  auprès  du 
savant  évêque  deVich,  le  plus  chaleureux  accueil. 

Décès.  —  On  annonce  la  mort  du  D"^  Enr*que  Gil  Robles,  professeur 
de  droit  constitutionnel  à  l'université  de  Salamanque.  M.  Gil  Robles  a 
publié  un  traité  de  droit  constitutionnel  très  estimé.  Il  était  au  premier 
rang  des  savants  qui  en  Espagne  représentent  la  pensée  catholique. 

ÉTATS-UNIS.  —  Universités.  —  M.  H.  Phipps  a  fait  don  récemment 
d'une  somme  de  7.30.000  dollars  à  l'Université  John  Hopkins  de  Balti- 
more pour  la  création  d'une  clinique  psychiatrique.  L'on  devra  tout  à  la 
fois  s'y  livrer  à  des  recherches  expérimentales  et  y  donner  des  cours 
publics.  Les  administrateurs  de  l'Université  ont  choisi  comme  directeur 
de  la  future  clinique  et  professeur  de  psychiatrie  le  D"^  Meyer  de  New- 
York. 

Le  D""  Adolf  Meyer  est  né  à  Zurich  en  1866.  Après  avoir  étudié  à 
Paris,  Londres,  Vienne  et  Berlin,  il  vint,  en  1892,  aux  États-Unis- 
D'abord  professeur  de  pathologie  à  l'IUinois  Eastern  Hospital,  puis  chef 
de  clinique  à  l'Insane  Hospital  de  Worcester  (Mass.),  il  fut  nommé  en 
1902  directeur  du  Pathological  Institute  of  the  New-York  State  Hospital, 
Ward  Island.  Depuis  1904,  il  était  professeur  de  psychiatrie  à  la  faculté 
de  médecine  de  la  Cornell  LTniversity.  Il  est  en  outre  président  de  la 
Psychiatrical  Society  de  New-York. 

Nominations.  —  Le  T.  R.  P.  Kennedy,  0.  P.,  maître  en  théologie  et 
régent  des  études  au  collège  théologique  des  Dominicains  à  Washington 
qui,  pendant  l'année  scolaire  1907-08,  avait  été  chargé  de  donner  des 
conférences  sur  les  Sacrements  aux  étudiants  de  l'Université  catholique 
de  Washington,  vient  d'être  nommé  titulaire  de  la  chaire  de  théologie 
sacramentaire  dont  la  récente  création  marque  un  nouveau  progrès  des 
études  théologiques  dans  cet  Institut. 


^Nv 


CHRONIQUE  8-25 

—  M.  J.  W.  HuDSON,  docteur  en  philosophie  de  Harvard,  a  été  nommé 
professeur  adjoint  de  philosophie  de  l'Université  de  Missouri. 

—  Le  D''.  Cl.  S.  JoAKUM,  de  l'université  de  Chicago,  devient  répétiteur 
de  psychologie  à  l'université  du  Texas. 

—  Le  D^  H.  Carr,  professeur  de  psychologie  à  Pratt  Institute,  remplace 
comme  professeur  adjoint  de  psychologie  à  l'Université  de  Chicago  le 
D"  J.  B.  Waïson,  élu  professeur  à  John  Hopkins  University,  Baltimore. 

FRANCE.  —  Nominations.  —  M.  le  chanoine  Margeri.n,  vicaire 
général  de  Cambrai,  ancien  curé  :,de  Fourmi  es,  a  été  choisi  par  les 
évèques  protecteurs  de  l'Institut  catholique  de  Lille  pour  succéder,  en 
qualité  de  recteur,  au  vénéré  Mgr  Baunard,  que  ses  quatre-vingts  ans 
ont  forcé  de  prendre  sa  retraite. 

M.  le  chanoine  Margerin  a  professé  plusieurs  années  la  rhétorique  au 
Collège  libre  de  Douai,  oii  il  a  laissé  la  réputation  d'un  lettré  des  plus 
distingués.  Il  est  secrétaire  général  de  la  Société  d'Émulation  de  Cam- 
brai, qui  est  l'une  des  sociétés  d'étude  les  plus  florissantes  de  province. 

Décès.  —  On  annonce  la  mort  de  M.  Claude-Charles  Cuaraux,  profes- 
seur honoraire  à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Grenoble,  où 
il  enseigna  avec  éclat  pendant  vingt-cinq  ans. 

M.  Cl.-Ch.  Charaux,  philosophe  spiritualiste  et  catholique,  a  exercé 
sur  la  jeunesse  universitaire  une  influence  analogue  à  celle  des  Gratry, 
des  Ollé-Laprune,  etc.  Il  laisse  divers  ouvrages  dont  voici  les  princi- 
paux :  De  la  Pensée,  1881  ;  De  l'esprit  philosophique  et  de  la  liberté 
d'esprit,  1888  ;  De  l'Esprit  et  de  l'esprit  philosophique,  1892  ;  Philo- 
sophie, Science,  Religion,  1898  ;  La  philosophie  et  la  science,  1889  : 
Ze  temps  et  l'unité  de  temps  ;  l'espace  et  la  matière,  2^  éd.,  1889  ;  La 
pensée  et  les  trois  moments  de  la  pensée,  1876  :  L'ombre  de  Socrale  :  petits 
dialogues  de  philosophie  socratique,  etc.,  1878;  etc. 

—  Eu  juillet  dernier,  est  décédé  à  Chèvetogne,  en  Belgique,  Dom 
Chamard,  0.  S.  B.,  de  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Ligugé.  Il  était  né  à 
Cholet  le  16  avril  1828.  Il  laisse  de  nombreux  travaux  d'histoire  et  d'ar- 
chéologie concernant  les  origines  du  christianisme  et  sa  province  natale. 
Dom  Chamard  fut  un  des  champions  les  plus  ardents  de  l'apostolicité 
des  Églises  des  Gaules,  et  ce  sujet  le  lança  plus  d'une  fois  dans  la  con- 
troverse soit  avec  Tabbé  de  Meissas  soit  avec  Mgr  Duchesne.  Ses  ouvra- 
ges les  plus  importants  sur  ce  sujet  sont  l'Histoire  ecclésiastique  du 
Poitou,  3  vol.,  Poitiers,  1873-1889  ;  Les  Eglises  du  monde  romain  et 
notamment  celles  des  Gaules  durant  les  trois  premiers  siècles.  Paris,  1877. 
Citons  parmi  ses  derniers  travaux  :  Les  origines  du  symbole  des  Apôtres 
dans  Revue  des  Questions  historiques,  t.  LXIX  (1901)  p.  337-408  ;  Le  lin- 
ceul du  Christ,  élude  critique  et  historique,  Paris,  1902. 

HOLLANDE.  —  Décès.  —  M.  Joh.  M.  S.  Baljon,  professeur  à  l'Uni- 
versité d'Utrecht,  est  décédé  il  y  a  quelques  mois. 

Né  à  Rotterdam,  en  1861,  M.  Baljon  fît  ses  éludes  à  l'Université 
d'Utrecht  de  1870  à  lH8i.  D'abord  professeur  de   théologie  à  la  même 


826         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET   THÉOLOGIQUES 

Université,  il  devint  en  1895  titulaire  des  cours  d'exégèse  du  N.  T., 
d'ancienne  littérature  chrétienne  et  d'encyclopédie  théologique. 

Il  a  publié,  outre  des  éditions  critiques  du  texte  du  N.  T,,  un  lexique 
du  grec  biblique  et  une  histoire  des  livres  du  N.  T.,  divers  commen- 
taires :  Commenlaar  op  het  Fvangelie  van  Johannes,  1902  ;  Commen- 
taar  op  de  Handelingen  der  apostelen,  1903  ;  Commentaar  op  den  brief 
van  Paulus  aan  de  Filippiërs,  1904;  Commentaar  op  de  katholieke 
brieven,  1904;  Commentaar  op  den  brief  van  Paulus  aan  Galatiers, 
1889  ;  etc. 

Le  D"^  Baljon  a  eu  le  mérite  de  se  tenir  à  l'écart  des  excès  de  l'école 
radicale  hollandaise  de  Loman,  van  Manen,  etc.  En  1906,  il  publiait  un 
article  où  il  mettait  en  garde  contre  l'application  indiscrète  à  l'étude  du 
N.  T.  de  la  méthode  d'histoire  comparée  des  religions  :  Die  Friichte 
des  Studiums  des  Religionsgeschichte  fur  die  Behandiung  des  N.T.,  article 
très  sage  et  qui  fut  remarqué  (Cf.  Rev.  des  Se.  Ph.  et  Th.,  1907,  p.  164). 

ITALIE.  —  Publications  nouvelles.—  A. l'instigation  et  sous  le  patro- 
nage des  cardinaux  Maffi  et  Mercier  et  des  évêques  de  Yerceil  et  de 
Césène,  le  R.  P.  A.  Gemelli,  des  Frères  Mineurs,  et  le  D''  Canella 
s'occupent  d'organiser  une  nouvelle  revue  de  philosophie  qui  prendra 
pour  titre  :  Rivista  di  Filosofia  Cristiana  et  dont  ils  assumeront  la 
direction. 

La  Rivista  di  Filosofia  Cristiana  aura  pour  but  spécial  de  promouvoir 
en  Italie  le  retour  à  la  philosophie  catholique  traditionnelle,  à  la  manière 
de  la  Revue  néo-scolastique  de  Louvain  et  dans  le  même  esprit  intelli- 
gemment progressiste. 

—  Le  D-"  E.  ScHMiTZ  et  le  professeur  D"^  J.  Sestili  viennent  de  publier 
le  premier  fascicule  d'un  Bihliophoros  decvrrentis  literaturae  scientiae 
catholicae.  Ils  exposent  eux-mêmes  les  considérations  qui  leur  ont 
inspiré  de  créer  ce  Bulletin  bibliographique  et  la  manière  dont  ils  le 
conçoivent  en  des  termes  qui  méritent  d'être  reproduits  :  «  Quid  nobis 
consilii  fuerit  in  bibliophoro  suscipiendo  redigendoque  ex  ipso  titulo 
haud  obscure  innuitur.  Repetentes  enim  non  modo  antiquorum  dicta 
sapientem  exquirere  oportere  sed  recentiorum  quoque  scripta  noscere 
atque  aestimare  necesse  ;  fructuosum  visum  est  perennem  ac  veluti 
decurrentem  literaturam  ob  eruditorum  oculos  non  confuse  atque 
inconsulte,  ut  communiter  fit,  sed  delectu  quodam  exhibere  et  pandere, 
bac  ratione,  ut  neque  vulgaris  catalogus  nec  absoluta  literaria  recensio 
foret,  sed  aliquid  utrinque  médium  prae  se  ferret,  ut  una  simul  catalogi 
et  literarii  census  vel  nomenclationis  commoda  conjungeret,  ila  ut  ad 
optima  studia  excolenda  intellectu  et  amore  juvaremus,  nec  librarii 
commercii  utilitates  negligeremus.  » 

Le  fascicule  paru  réalise  ce  programme  d'une  manière  très  heureuse. 
Il  compte  56  pages  in-8°.  Les  ouvrages  recensés  sont  répartis  entre  les 
sections  suivantes  :  biblique,  patristique,  théologique,  canonique, 
philosophique,  historique,  apologétique,  sociologique,  pédagogique, 
catéchétique,  ascétique  et  mystique,  sujets  divers.  Le  litre  exact,  le 
lieu  de  publication  et  le  prix  de  chaque  ouvrage  sont  donnés  ainsi  que 
le  format  et  le  nombre  de  pages.  Suit  une  recension  sommaire  précisant 


CHRONIQUE  8^7 

le  contenu  du  livre,  ses  caractères  généraux,  ses  tendances  et  sa  valeur 
à  laquelle  on  joint  habituellement  le  jugement  porté  sur  lui  par  quel- 
qu'une de  nos  meilleures  Revues  catholiques.  La  Revue  des  Sciences 
Philosophiques  et  Théologiques  est  citée  à  maintes  reprises  et  elle  en 
exprime  sa  gratitude  aux  savants  auteurs.  Nous  sommes  persuadés  que 
tous  les  hommes  d'étude  sauront  gré  aux  D"  Schmitz  et  Sestili  d'avoir 
créé  ce  nouvel  organe  catholique  d'information  scientifique  et  de 
n'avoir  pas  jugé  indigne  d'eux  cette  lâche  modeste  mais  nécessaire. 

Le  Bibliophoros  est  édité  par  la  librairie  Bretschneider,  Rome,  via  del 
Tritone,  GO.  Il  est  trimestriel.  Le  prix  d'abonnement  est,  pour  un  an, 
de  2  fr.  50  en  Italie  et  en  dehors  de  l'Italie  de  3  fr. 

Universités.  —  Le  R.  P.  L.  Fonck,  professeur  ordinaire  d'Écriture 
Sainte,  de  langues  orientales  et  d'archéologie  biblique  à  l'Université- 
d'Inspruck,  a  été  député  à  l'Université  Grégorienne  (Collège  romain) 
pour  la  prochaine  année  scolaire.  Le  cours  ordinaire  d'Écriture  Sainte, 
destiné  à  l'ensemble  des  étudiants  de  théologie,  comptera  désormais 
deux  cours  distincts  :  le  R.  P.  L.  Méchineau  garde  l'Ancien  Testament, 
tandis  que  le  N.  T.  est  confié  au  P.  Fonck. 

De  plus  un  cours  supérieur  est  établi  à  l'intention  des  docteurs  en 
théologie  qui  se  préparent  aux  examens  de  la  Commission  Biblique. 
Outre  les  cours  de  langues  orientales  confiés  au  savant  P,  Gismondi, 
S.  J.,  il  comporte  des  cours  spéciaux  sur  l'A.  T.  par  le  P.  Méchineau  et 
le  N.  T.  par  le  P.  Fonck,  de  deux  heures  chacun  par  semaine. 

A  la  Faculté  de  philosophie,  on  signale  comme  nouveaux  les  cours 
suivants:  (2^  année)  Cosmologie,  R.  P.  Loinaz,  S.  J.  ;  Psychologie, 
R.  P.  ScuAAF;  Minéralogie  et  Cristallographie,  R.  P.  Gennari,  S.  J.  ; 
(3^  année)  Psychologie  expérimentale,  R.  P.  Gexnari  ;  Géologie,  R.  P. 
MÛLLER,  S.  J. 

Deux  Académies  sont  créées,  celle  d'histoire  ecclésiastique  à  laquelle 
seront  admis  les  théologiens  reconnus  aptes  après  examen  spécial,  celle 
d'art  chrétien  pour  les  théologiens  du  petit  cours  et  les  philosophes  de 
troisième  année. 

—  A  l'Apollinaire,  le  Souverain  Pontife  a  décidé  de  créer  une  chaire 
d'assyriologie.  M.  l'abbé  Eugène  Tisserant,  du  diocèse  de  Nancy  en  a 
été  nommé  titulaire.  Ancien  élève  de  l'Institut  catholique  de  Paris, 
M.  Tisserant  y  a  reçu,  en  juillet  dernier,  le  Diplôme  de  langues  sémi- 
tiques, 2"  degré  (hébreu,  syriaque,  assyrien,  arabe,  éthiopien),  en 
même  temps  qu'il  passait  à  l'École  des  langues  orientales  vivantes  le 
deuxième  examen  d'arabe  littéral  avec  la  mention  très  bien. 

Prix.  —  L'Académie  des  Lincei  de  Rome,  dans  sa  séance  du  8  juin 
dernier,  a  attribué  le  prix  d'histoire  (10,000  fr.)  à  Dom  Leone  Gaetani, 
prince  de  Teano,  pour  son  importante  publication:  Annali  deli  Islam, 
dont  deux  volumes  ont  paru. 

Instituts.  —  Le  «  Cercle  de  Philosophie  »  de  Rome  fondé  depuis 
trois  ans,  se  propose  de  commencer  l'année  prochaine  une  «  Bibliothè- 
que philosophique  moderne  ».  «  Elle  aura  soin,  conformément  au  pro- 


828  REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

gramme  du  cercle,  de  faire  circuler  les  livres  et  les  idées  de  toutes  les 
écoles  philosophiques  ». 

D'autre  part,  «  la  Direction  du  Cercle  se  propose  aussi  de  publier 
dans  son  bulletin  périodique  les  recensions, les  notes  et  les  annonces  des 
livres  qui  lui  seront  adressés,  et  de  réunir  toutes  ces  informations  dans 
un  annuaire  (Annuario  filoso/ico  italinno)  aussitôt  qu'elle  le  pourra.  » 

SUISSE. —  Nominations. —  Le  prince  Maximilten  de  Saxe,  professeur 
extraordinaire  de  Liturgie  et  de  Droit  canonique  à  l'université  de  Fri- 
bourg,  a  été  promu  professeur  ordinaire. 

Signalons  à  cette  occasion,  d'après  la  Revue  de  l'Orient  Chrétien,  que 
le  prince  Maximilien  de  Saxe  a  promis  sa  collaboration  à  la  Patrologia 
Orientalis  que  dirigent  MM.  Graffin  et  Nau.  Il  y  publiera  les  textes 
arméniens  et  géorgiens  qu'il  pourra  être  utile  de  faire  connaître  aux 
savants  occidentaux.  Le  Synaxaire  arménien  sera  sûrement  édité  et 
assez  prochainement.  Le  prince  Maximilien  de  Saxe  devient  membre  du 
Comité  directeur  de  la  Revue  de  V Orient  chrétien. 

Décès.  —  xM.  J.  de  Rougemoxt,  professeur  de  théologie  systématique 
à  la  faculté  de  théologie  de  l'Église  évangélique  à  Neufchàtel,  est  mort 
au  cours  d'une  excursion  dans  les  Alpes,  le  22  juillet. 


RECENSION  DES  REVUES 


(0 


ANNALES  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE.  JuiL  —  Cu.  Dunan. 
Félix  Ravaisson.  (Métaphysicien  de  tradition,  Ravaisson  eut  surtout 
pour  maîtres  Aristote  et  Leibnitz.  Selon  lui,  nos  aspirations  à  une 
science  qui  dépasse  l'ordre  piiénoménal  ne  sont  pas  vaines  ;  nous 
trouvons  dans  la  conscience  de  nous-mêmes  la  révélation  de  l'Absolu. 
La  conscience  nous  révèle  sous  l'action  le  désir,  et  sous  le  désir  l'amour. 
Or  l'amour  qui  tend  vers  la  beauté  est  le  fond  de  toutes  choses,  et  l'in- 
définissable mais  vraie  substance  de  Fàme.  Le  bien  et  le  beau  s'iden- 
tifient. —  Mais  ce  système  où  tout  est  amour  n'explique  ni  la  douleur  ni 
le  péché.  De  plus  l'esthétisme  de  Ravaisson  propose  ses  principes, mais 
ne  les  discute  pas.  La  beauté  se  prouve-t-elle  ?)  pp.  339-331.  —  P.  Duhem. 
Essai  sur  la  notion  de  la  théorie  physique  de  Platon  à  Galilée  (suite). 
(Tandis  que  philosophes  averroïstes  et  astronomes  ptoléméens  s'obs- 
tinent, de  part  et  d'autre,  à  attribuer  aux  hypothèses  astronomiques 
une  inadmissible  réalité,  les  humanistes  et  les  beaux  esprits  ne  veulent 
y  voir  que  des  artifices  d'enseignement  et  des  représentations  provi- 
soires. Quant  à  l'Université  de  Paris,  «  du  début  du  XIV'^  siècle  au  début 
du  XVI^  siècle,  elle  a  donné,  touchant  la  méthode  physique,  des  ensei- 
gnements dont  la  justesse  et  la  profondeur  passent  de  beaucoup  tout 
ce  que  le  monde  entendra  dire  à  ce  sujet  jusqu'au  milieu  du^vIX^  siècle. 
—  La  scolastique  parisienne,  en  particulier,  a  proclamé  que  la  physique 
du  monde  sublunaire  n'était  pas  hétérogène  à  la  physique  céleste  ;  que 
les  liypothèses  de  l'une,  comme  les  hypothèses  de  l'autre,  avaient  pour 
seul  objet  de  sauver  les  apparences  ».  —  Copernic  semble  avoir  attribué 
à  son  système  une  valeur  absolue  ;  son  disciple  Rhœlicus  les  regarde 
comme  adéquates  aux  phénomènes.)  pp.  332-376.  —  Cu.  Huit.  Le  Plato- 
nisme en  France  au  A'VIIP  siècle.  (Tandis  que  Voltaire  déblatère  contre 
Platon,  d'Alembert  se  contente  de  l'ignorer.  Diderot  «croit  les  ouvrages 
de  Platon  aussi  propres  à  gâter  l'esprit  qu"à  perfectionner  le  style.  ») 
pp.  378-393.  —  D.  Sabatier.  L'expérience  religieuse  et  le  protestantisme 
contemporain  (suite).  Description  de  l'expérience  religieuse  chez  les 
mystiques  protestants   contemporains,  plus    particulièrement  le  Réveil 


1.  Tous  ces  périodiques  appartiennent  au  troisième  trimestre  de  190S.  Seuls 
les  articles  ayant  un  rapport  plus  direct  avec  la  matière  propre  de  la  Revue 
ont  été  résumés.  On  s'est  attaché  à  rendre,  aussi  exactement  et  brièvemeat 
que  possible,  la  pensée  des  auteurs  en  s'abstenant  de  toute  appréciation.  — 
La  Receasion  des  Revues  a  été  faite  par  les  RR.  PP.  Allo  (Fribourg), 
Blanche  (Paris),  Garcia  (Salamanque),  Gillet,  Tuyaerts  (Louvain\  Martin 
(Huy),  Barge,  Garrigou-Lagrange,  Jacquin,  Lemonnyer,  Mainage,  Noble, 
de  PouL PIQUET,    RoL.A.ND-GossELi\    (Kain),    lecteurs    en.   Théologie. 


830         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

au  pays  de  Galles.)  pp.  395-414.  =  Août.  —  V.  Ermoni.  La  foi  et  la 
croyance  en  matière  religieuse.  (Distingue  dans  la  vie  religieuse  «  la  foi 
ou  confiance  qui  est  dans  la  volonté  et  la  croyance  qui  est  dans  l'intelli- 
gence ».  «  Les  scolasliques  ont  trop  insisté  sur  la  croyance,  les  théolo- 
giens protestants  se  sont  trop  immobilisés  dans  la  foi.  »  «  Parce  qu'ils 
se  sont  un  peu  trop  inféodés  à  l'intelligence,  les  scolastiques  ont  cons- 
truit une  admirable  théologie  de  la  croyance,  ils  ont  à  peine  ébauché 
celle  de  la  foi.  »  —  Ces  deux  formes  de  la  vie  religieuse  s'influencent 
réciproquement,  «  la  croyance  engendre  la  foi  par  l'ébranlement  des 
centres  nerveux  (théorie  des  idées-forces),  mais  la  foi  à  son  tour  se 
répercute  sur  la  croyance,  la  colore  et  l'anime.»  «  Dans  un  individu  la 
foi  est  d'autant  plus  forte  que  la  croyance  est  plus  faible  et  réciproque- 
ment. »  —  L'âme  reçoit  le  germe  religieux  du  dehors  «  et  travaille  par 
ses  énergies  immanentes  à  le  développer.  »  «Si  la  vie  religieuse  est  plus 
éclairée  et  plus  vigoureuse  dans  un  individu  que  dans  un  autre,  il  faut 
en  chercher  la  raison  dans  l'action  individuelle  des  âmes.  »)  pp.  445- 
481.  —  P.  DuHEM.  Essai  sur  la  notion  de  la  théorie  physique  de  Platon  à 
Galilée,  (vl  De  la  préface  d'Osiander  à  la  réforme  grégorienne  du  calen- 
drier. «  Les  astronomes  qui  suivent  immédiatement  Copernic  traitent 
les  hypothèses  comme  les  traitaient  au  XIY'^  siècle  et  au  XV*  siècle  les 
savants  de  Paris  ou  de  Vienne»,  ils  y  voient  seulement  des  artifices 
imaginés  pour  «  sauver  les  phénomènes  ».  Cette  opinion  se  retrouve 
également  chez  les  théologiens  protestants,  et  aussi  chez  les  théologiens 
catholiques.  Grégoire  XIII,  qui  en  1582  accomplit  la  réforme  du  calen- 
drier à  l'aide  de  tables  construites  au  moyen  des  théories  de  Copernic, 
n'entendait  nullement  adhérer  à  l'hypothèse  du  mouvement  de  la  terre.) 
pp.  482-514.  —  0.  Habert.  L'histoire  des  religions  et  la  méthode  sociolo- 
gique. (Indique  comment  les  lois  sociologiques  peuvent, dans  la  poussière 
et  la  succession  fugace  des  faits  et  des  croyances,  introduire  de  la 
liaison,  des  raisons  oii  l'esprit  puisse  se  prendre.  Cette  méthode  sociolo- 
gique dans  l'histoire  des  religions  reste  purement  positive,  puisqu'elle 
fait  appel  à  des  lois  susceptibles  de  vérification  expérimentale  dans 
quelque  institution  connue  ;  le  fond  métaphysique  des  événements  lui 
échappe.)  pp.  515-538.  =  Sept.  —  P.  Duhem.  Essai  sur  la  notion  de  la 
théorie  physique  de  Platon  à  Galilée  (suite  et  fin).  («  Durant  le  demi-siècle 
qui  s'écoule  de  la  réforme  du  calendrier  à  la  condamnation  de  Galilée, 
on  veut  trouver  dans  les  hypothèses  astronomiques  des  affirmations  sur 
la  nature  des  choses,  qui  exige,  dès  lors,  que  ces  hypothèses  s'accordent 
avec  les  doctrines  de  la  physique  et  avec  les  textes  de  l'Écriture.  »  Tel 
fut  le  sentiment  de  Kepler  et  de  Galilée.  Bellarmin  et  celui  qui  allait 
être  Urbain  VIII  firent  à  Galilée  les  remarques  si  logiques  qui  avaient 
été  si  nettement  formulées  auparavant  par  saint  Thomas  d'Aquin, 
Osiander  et  plusieurs  autres  ;  mais  ils  ne  parvinrent  pas,  semble-t-il,  à 
convaincre  Galilée,  à  le  détourner  de  sa  confiance  exagérée  en  la  portée 
de  la  méthode  expérimentale.  «  Contre  le  réalisme  impénitent  de  Galilée, 
le  Pape  donna  libre  cours  au  réalisme  intransigeant  des  péripatéticiens 
du  Saint-Office.  »  «  Force  est  de  reconnaître  aujourd'hui  que  la  logique 
était  du  parti  de  Bellarmin  et  d'Urbain  VIII.  »)  pp.  562-592.  —  D.  Saba- 
TiER.  L'expérience  religieuse   et   le   protestantisme  contemporain  (suite). 


RECENSION    DES    REVUES  831 

(Les  principes  de  la  Réforme  doivent  conduire  les  protestants  ortho- 
doxes au  protestantisme  libéral;  et  ce  dernier  s'identifie  progressive- 
ment avec  la  libre  pensée.  W.  James  accélère  ce  mouvement.) 
pp.  392-6^28. 

ANTHROPOS.  4.  —  T.  Caius,  S.  J.  Au  Pays  des  Castes  (suite  —  à 
suivre).  (Décrit  diverses  cérémonies  pratiquées  par  les  Brahmanes 
pendant  la  grossesse  et  à  la  naissance  de  l'enfant.)  pp.  639-650.  — 
J.  Meier,  m.  s.  C.  Mylhen  und  Sagen  der  Admiraliliitsinsulaner, 
(suite  —  à  suivre).  (Textes  et  traductions  de  mythes  relatifs  au  monde 
végétal.)  pp.  651-671.  —  Ch.  Gilhodes,  d.  M.  È.  Mythologie  et  Religion 
des  Aatchins( Birmanie)  {k  suivre).  [Mylhes  deslinés  à  rendre  compte 
de  l'origine  de  toutes  choses.)  pp.  672-699.  —  0.  Mayer,  M.  S.  C. 
Fin  Sonnenfest  bei  den  Eingsborenen  von  Vuatom,  ^eu-Pommern, 
Sûdsee.  (Description  d'une  fête  du  soleil  qui  se  célèbre  à  Yalaur,  dans 
rtle  Vuatom,  au  début  de  l'année.)  pp.  700-701.  —  J.  M.  Henry,  d.  Pères 
Blancs.  Le  culte  des  Esprits  chez  les  Bambara.  (Après  avoir  expliqué 
l'idée  que  les  Bambara,  Soudan  Français,  se  font  des  Esprits  et  indiqué 
les  différentes  classes  d'Esprits,  étudie  le  culte  du  fétiche  dasiri,  protec- 
teur du  village,  la  société  secrète  du  fétiche  korè,  protecteur  des 
moissons,  qui  ofïVe  cette  particularité  d'admettre  des  femmes.)  pp.  702- 
717.  —  J.  de  Marzan,  S.  M.  Sur  quelques  Sociétés  secrètes  aux  lies  Fiji. 
(Renseignements  sur  la  Société  des  Kalou  Vatu  ou  Dieux-Pierre,  la  céré- 
monie du  A7»'  buca,  la  Société  des  Kai  Nakauvadra,  du  nom  d'une 
montagne  de  Fiji,  et  qui  est  la  plus  célèbre,  celle  des  luve  ni  wai  ou  fils  de 
l'eau.)  pp.  718-728.  —  A.  Dirr.  Die  alte  Religion  der  Tschetschenen  (à 
suivre).  (Renseignements  émanant  d'un  membre  de  cette  tribu  du  Cau- 
case et  relatifs  à  l'au-delà,  aux  modes  de  sépulture,  aux  rites  funéraires, 
au  séjour  des  âmes,  à  la  conception  de  l'âme,  au  pouvoir  des  sorciers. 
Nulle  idée  d'une  rétribution  après  la  mort.)  pp.  729-740.  —  J.  Struyf, 
S.  J.  Aus  dem  Marchenschaiz  der  Bakongo  (  Aiederkongo}.  (Après  une 
introduction  sur  l'origine  des  habitants  actuels  du  Bas-Congo  qui 
viennent  du  Congo  portugais  et  qui  ont  gardé  quelques  traces  de  l'an- 
cienne évangélisation,  donne  le  texte  et  la  traduction  de  8  contes  de 
contenu  divers.)  pp.  741-760.  —  J.  Dols,  de  la  C.  de  Scheut.  L'Enfance 
chez  les  Chinois  de  la  province  de  Kan-sou.  (Coutumes  chinoises  relatives 
à  la  naissance  et  à  l'instruction  des  enfants  )  pp.  761-770.  —  Dr.  L.  C. 
Casartelli,  Bisliop  of  Salford.  Hindu  Mi/lhology  and  Littérature  as 
recorded  hy  Portuguese  Missionaries  of  the  early  17  "'  century.  (Continue 
la  traduction  anglaise  d'un  ouvrage  portugais  manuscrit  relatif  à  la  my- 
thologie Hindoue.)  pp.  111-112.  —  G.  Schmidt.  Vorigine  de  Vidée  de 
Dieu  (suite  —  à  suivre).  (Critique  de  la  théorie  de  A.  Lang.  Commence 
par  rapporter  et  critiquer  les  informations  et  interprétations  de  A.W. 
Howilt,  le-sentiment  de  E.  B.  Tylor  sur  les  découvertes  de  Howilt,  celui 
de  \V.  Foy  sur  le  même  sujet.)  pp.  801  836. 

ARGHIV  FUR  GESCHICHTE  DER  PHILOSOPHIE.  JuiHet.  -  R.  Bloch. 
Liber  secundus  yconomicorum  Aristotelis  (suite).  (Édition  critique.  «  Le 
Liber  secundus  yconomicorum  Aristotelis  n'est  pas  un   écrit  un  ;  il   se 


832         REVUE    DES   SCIEXCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

divise  en  deux  parties,  l'une  primitive,  Tautre  rapportée.  La  première 
est  l'œuvre  d'un  Péripatélicien  et  fut  composée  entre  le  3^  (2*  moitié)  et 
le  l^""  siècle  avant  Jésus-Christ.  Il  est  possible  qu'elle  ait  été  composée 
pour  faire  suite  au  l^""  livre  de  l'Économique  ;  en  tout  cas  elle  fut  intro- 
duite assez  tût  dans  les  œuvres  d'Aristote.  C'est  ce  que  nous  apprend  la 
seccmde  partie,  interpolée  sciemment,  et  provenant  d'un  Stoïcien  du 
2^  ou  du  3«  siècle.  »)  pp.  441-468.  —  Fr.  Knutze.  Pascals  letztes  Prohlem 
(suite).  (Commentaire  de  quelques  pensées  de  Pascal.)  pp.  469-491.  — 
Cl.  Bael'MKER.  Zitr  Vorgeschichte  zweier  Lockescher  Begriffe.  II.  (Histo- 
rique de  l'expression  :  qualités  premières  et  secondes.)  pp.  492-517.  — 
J.  Stilling.  Ueber  das  Problem  der  Freiheit  auf  Grund  von  Kants  Kate- 
gorienlehre.  (Recherche  d'une  définition  de  la  liberté  basée  sur  la  table 
des  catégories,  modifiée  par  Albrecht  Kranze  et  perfectionnée  par 
l'auteur.  La  liberté  réside  dans  l'indépendance  des  principes  de  raison 
suffisante  et  de  causalité.  C'est  dire  qu'il  n'y  a  de  liberté  que  celle  que 
nous  attribuons  aux  choses,  actes,  pensées,  événements,  dont  nous  ne 
connaissons  pas  les  raisons  déterminantes.)  pp.  518-534.  —  Ernst 
BiCKEL.  Platonisches  Gebetsleben.  (Étude  sur  la  prière  du  Phèdre,  279  B.) 
pp.  535-554.  —  Ernst  Appel.  Bericht  ùher  die  Literatur  der  Philosophie 
der  Renaissance  in  den  Jahren   i 899- J 907.  pp.  557-570. 

ARCHIVES  DE  PSYCHOLOGIE.  Juillet.  —  Ed.  Claparède.  Classifi- 
cation et  plan  des  méthodes  psychologiques.  (Le  Processus  psychophysio- 
logiqne  immédiat  par  le  moyen  duquel  se  fait  la  mesure  ou  l'analyse  est 
un  phénomène  de  réception,  ou  de  jugement,  ou  à'exécution,  ou 
ai' expression.  Quelle  que  soit  la  fonction  mentale  envisagée  :  sensibilité, 
mémoir.e,  attention,  sentiment,  nous  pouvons  toujours  faire  rentrer  les 
investigations  les  concernant  dans  un  de  ces  quatre  groupes.  Au  point 
de  vue  technique  on  doit  employer  1°  les  méthodes  quantitatives 
(Psychométrie)  :  la  mesure  est  exprimée  en  degrés  de  l'excitant  (psycho- 
physique), en  durée  du  processus  (psycho-chronométrie),  en  travail 
fourni  (psycho-dynamique),  en  nombre  de  sujets  (psycho-statistique); 
2°  les  méthodes  qualitatives  (Psycholexie)  :  la  description  ou  apprécia- 
tion est  fondée  sur  l'analyse  subjective  (introspection)  et  sur  des  signes 
extérieurs  (extrospection,)  pp.  321-36i. 

ARCHIV  FUR  RELIGIONSWISSENSCHAFT.  3-4.  —  Richard  Wuexscb. 
Notice  nécrologique  sur  Albrecht  Dieterich,  mort  le^6  mai  1908. —  Abhand- 
LUNGEN.  I.  — Albrecht  Dieterich.  Die  Enslehung  der  Tragoedie.  (Origines 
religieuses  de  la  tragédie  grecque.  Le  chœur  et  la  danse  des  boucs  et 
des  satyres,  autour  de  Dionysos,  dieu  de  la  fécondité  renaissante  et 
des  morts.  Son  cortège  représentant  les  âmes  des  morts  ;  à  la  /sa; 
ytloix  s'ajoute  une  naenia  funéraire  chantée  alternativement  par  une 
seule  voix  et  par  le  chœur  qui  lui  répond.  Le  sujet  n'en  est  pas,  comme 
plus  tard  dans  l'orphisme,  la  passion  de  Dionysos.  «  Le  chariot  de 
Thespis  »,  c'est  le  cu/'rws  )mua/(s  du  dieu  qui  vient  par  mer  à  Athènes 
rapporter  la  fertilité  de  terres  lointaines.  Les  «  tragédies  »  proprement 
dites,  organisées  à  Athènes  par  l'État  au  VP  siècle,  sortent  de  ce  germe. 
L'unique  personnage  qui  donnait  la  réplique  au  chœur  se  dédouble  à 


RECENSION     DES     REVUES  833 

partir  d'Eschyle  et  se  multiplie  en  une  série  d'acteurs.  La  Aî^t;  yzloitx 
cède  à  l'action  dramatique.  Traces  permanentes  des  origines  sacrées 
du  drame.  La  «  péripétie»,  en  relation  avec  la  péripétie  par  excellence 
des  mystères^  le  passage  du  mal  au  bien,  de  la  mort  à  la  vie,  etc. 
Rapports  possibles  avec  la  liturgie  éleusinienne.  Analogie  de  ces  origines 
de  la  tragédie  grecque  avec  celles  des  drames  du  moyen  âge.)  pp.  163- 
196.  —  J.  G.  Frazer.  Hunting  for  soûls.  (F.  explique  Ezéchiel,  XIII^  i1- 
21 ,  par  la  superstition  répandue  de  la  capture  des  âmes  en  voyage  hors 
de  leurs  corps.)  pp.  197-199.  —  W.  Wundt.  3/àrchen,  Sage  und  Légende 
als  Entunckpïungsformen  des  Mythus.  (  Le  «mythe»  n'est  pas  une  forme 
de  récit  dont  le  conte,  la  saga  et  la  légende  seraient  des  dérivés,  mais  un 
genre  commun  aux  trois.  W.  entreprend  de  caractériser  chacune  de  ces 
formes  de  récits,  qui  se  trouvent  tantôt  isolées,  tantôt  mêlées.  Le  plus 
particulièrement  primitif  serait  le  conte  populaire,  produit  spontané  de 
l'enfance  des  individus  ou  des  races  ;  la  légende  ordinaire  [Sage)  en 
diffère  par  les  relations  déterminées  qu'elle  implique  à  des  lieux  ou  des 
temps  donnés,  parfois  mêhie  à  des  personnalités  réelles  de  l'histoire  ; 
la  légende  proprement  dite  a  une  portée  éthique  ou  cultuelle.  Tous  les 
mythes  se  présentent  sous  forme  de  contes  mytholo<giques  ou  de  «  Sagen  » 
mythologiques.  Le  mythe  divin  n'est  pas  une  troisième  espèce  ;  il  se 
range  dans  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  genres,  ou  présente  un  mélange 
des  deux.  Les  dieux  n'ont  rien  à  faire  avec  un  bon  nombre  de  mythes.) 
pp.  200-222.  —  A.  von  Domaszëwski.  Biepolitische  Bedeulung  der  Religion 
von  Einesa.  (Influence  du  culte  du  dieu  solaire  d'Émèse,  dans  sa  ten- 
dance à  devenir  religion  universelle,  sur  l'histoire  de  l'empire  romain 
à  l'époque  des  Sévères.  Petite  dissertation  sur  le  temps  de  l'écrivain 
Uranius.)  pp.  223-242.  —  R.  Hirzel.  Der  Selbstmord  (suite).  (Moyens  de 
suicide.  Légalisation  en  Attique,  sa  théorie,  jugement  moral,  sa  con- 
damnation par  les  théologiens  (Philolaos,  V^  siècle),  son  interdiction  et 
les  raisons  qui  la  fondent,  sa  punition  ;  sa  justification  par  les  écoles 
cynique  et  stoïque.)  pp.  243-284.  — ,  H.  Holtzmann.  Hôllenfahrt  im 
jSeuen  Testament.  (Contre  les  vues  critico-apologétiques  d'un  certain 
nombre  d'exégètes,  H.  maintient  qu'il  est  bien  question  de  la  descente 
du  Christ  aux  enfers  dans  le  N.  T.  {3It.  XXVII,  52  ;  I  Pet.  III,  19,  etc.) 
et  y  voit  un  mythe  à  la  formation  duquel  participèrent  simultanément 
les  mythes  païens  de  descentes  de  divinités  dansl'Hadès  et  l'imagination 
judéo-dhrétienne.)  pp.  283-297.  —  Enno  Littmann.  Sternensagen  und 
Astrologische  aus  Nordabessinien.  (Noms  des  étoiles  chez  les  Abyssins 
septentrionaux,  mythes  et  rites  superstitieux  sur  la  lune,  les  constella- 
tions.) pp.  298-319.  —  Richard  M.  Meyer.  Fetischismus.  (M.  discute  les 
idées  de  Lehmann  sur  le  «  fétichisme.  »  Cet  ancien  nom  doit  rentrer 
dans  l'usage,  non  comme  synonyme  pur  et  simple  d'animisme,  mais 
pour  désigner  cette  conception  religieuse  d'après  laquelle  l'homme  a  le 
pouvoir  d'instituer  les  objets  du  culte,  de  conférer  un  caractère  ou  une 
activité  surnaturelle  à  divers  objets  animés  ou  inanimés.  Le  fétiche  n'est 
dieu  que  pour  son  adorateur  exclusivement.  Il  est  vraisemblable  que  l'évo- 
lution parcourt  les  stades  :  dieux  momentanés  ou  occasionnels  étudiés 
par  Usener,  —  fétichisme,  —  animisme.)  pp.  320-338.  —  IL  Bericiite.  — 
C.  H.  Becker.  Islam.  (Bulletin  des  récents  travaux  sur  l'Islam,  généralités, 


834         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

vie  de  Mahomet,  Coran,  Tradition  et  sources  diverses,  orthodoxie,  hété- 
rodoxie, littérature  populaire.  Islam  moderne.)  pp.  339-368.  —  K.  Th. 
Preuss.  Die  religiôsen  Gesànge  und  Mylhen  einiger  Stàmme  der  mexika- 
nischen  Sierra  Madré.  (Nombreux  détails  sur  ces  chants  et  ces  rites, 
particulièrement  dans  la  tribu  des  Huichol.  Description  des  chants,  des 
danses,  etc.  représentant  de  manière  dramatique  Faction  des  dieux  sidé- 
raux et  agraires.  Incantations  analogues  pour  les  morts,  les  maladies. 
Richesse  de  ces  sources  populaires  et  leur  importance  pour  les  études 
mexicaines.")  pp.  369-398.  —  III.  Mitteilungen  und  Hinweise.  pp.  398-416. 

BIBLISCHE  ZEITSCHRIFT.  3.  —  J.  Denk.  Burkitts  Thèse  :  Itala 
Augusti/u  =  Vulgata  Hieronymi  —  eine  lextkritische  Unm'ôglichkeit. 
(L'argument  principal  de  cette  impossibilité  est  fourni  par  un  texte  des 
Rétractations  (I.  37),  jusqu'à  présent  inexploité,  mais  décisif,  et  dans 
lequel  S.  Augustin  affirme  que  la  traduction  des  Écritures  dont  il  se 
sert  ne  contient  pas  une  seule  fois  le  mot  :  caeremonia.  Or  le  mot  se  lit 
communément  dans  le  texte  de  la  vulgate  hiéronymienne.)pp.  225-244. 
—  J.  HoMHEDi,  S.  J.  Zu  den  neuesten  jûdisch-aramaischen  Papyri  ans 
Elefantine.  (Présente  les  nouveaux  papyrus  araméens  d'Éléphantine 
découverts  par  Rubensohn,  déchiffrés  et  publiés  par  Sachau  (1907), 
Insiste  sur  le  fait  que  ces  documents  ont  appartenu  au  même  fonds 
d'archives  juives  d'où  sont  sortis  les  papyrus  de  Sayce  (1906)  et  celui 
d"Euting  (1903),  On  possède  donc  relativement  aux  mêmes  événements 
trois  témoignages  qui  se  confirment  et  se  complètent  l'un  par  l'autre.) 
pp.  245-261.  —  A.  ScHULTE.  In  icelchem  Verhiiltnis  steht  der  Cod.  Alex, 
zum  Cod.  Vat.  im  Bûche  Tobias  ?  (Le  Vaticanus  offre  du  livre  de  Tobie 
un  texte  plus  ancien  que  celui  de  VAlexandi'inus.  Il  est  toutefois  possible 
que  des  additions  aient  été  faites  au  Vaticanus.)  pp.  262-265,  —  H.  Koch. 
Der  eriveiterte  Markusschiuss  und  die  kleinasiatischen  Presbyter.  (La 
péricope  finale  de  l'Évangile  de  Marc  XVI,  9-2U)  s'est  accrue  d'un 
nouveau  fragment  conservé  en  partie  déjà  par  S,  Jérôme  (Cont.  Pelag. 
II,  lo),  et  en  totalité  par  le  manuscrit  de  Ch,  Lang  Freer,  Cette  addition 
et  la  finale  elle-même  dérivent  d'une  source  commune.  Et  cette  source 
est  originaire  d'Asie-Mineure.  On  le  prouve  par  la  comparaison  établie 
entre  ces  fragments  et  les  écrits  d'origine  asiatique  :  épître  aux 
Hébreux,  S.  Irénée,  première  épître  et  évangile  de  S.  .Jean.Jpp,  266-278. 

BULLETIN  DE  L'INSTITUT  GÉNÉRAL  PSYCHOLOGIQUE.  Mars- 
Avril.  —  Conférence  de  M.  Emile  Boutroux  :  Le  moi  subliminal.  (Brève 
histoire  des  recherches  sur  l'inconscient  ou  subconscient.  Analyse 
critique  des  principales  théories.  L'auteur  propose  cette  hypothèse 
touchant  l'opération  propre  du  subconscient  :  L'expérience  consciente, 
où  le  sujet  et  l'objet  se  posent  en  face  et  en  dehors  l'un  de  l'autre,  est 
une  opération  dérivée,  née  d'un  effort  spécial,  dont  le  but  est  de  créer 
des  symboles  objectifs  et  précis  des  choses  afin  de  pouvoir  les  recon- 
naître, prévoir  leurs  cours  et  en  disposer.  Or  cette  expérience 
dérivée  suppose  une  expérience  immédiate  qui  doit  être  l'unité  de 
l'objet  et  du  sujet,  du  faire  et  du  connaître.  Cette  expérience  immédiate 
impossible  à  notre  moi  conscient,  serait  le  secret  ressort  de  notre  moi 


RECENSION     DES     REVUES  835 

subliminal.)  pp.  107-122.  =r  Mai-Juin.  Conférence  de  M.  Henri  Poincarré  : 
Uinvention  malhématique.  (Le  conférencier  fait  valoir,  à  travers  son 
expérience  personnelle,  le  rôle  prépondérant  du  travail  inconscient  dans 
l'invention  mathématique.  Mais  ce  travail  inconscient  doit  être  précédé 
d'un  travail  conscient  qui  prépare,  parmi  les  éléments  du  problème,  la 
bonne  combinaison.  Un  travail  conscient  doit  suivre  la  découverte  de 
l'inconscient,  pour  la  vérification  par  les  règles  du  calcul,  qui,  étant 
strictes  et  compliquées,  exigent  la  discipline,  l'attention,  la  volonté  et 
par  suite  la  conscience.)  pp.  17,^-187. 

BULLETIN  DE  LITTÉRATURE  ECCLÉSIASTIQUE.  Juillet-Oct.  — 
L.  Maisonneuve.  Science  et  religion,  l^-^  art.  (Analyse  critique  de  l'ou- 
vrage de  M.  Boutroux  :  Science  et  religion  dans  la  Philosophie  contem- 
poraine (1908).)  pp.  217-234.  —  L.  Desnoyers.  Les  nouveaux  papyrus 
araniéens  (VEléphanline.  (Trois  papyrus  découverts  par  M.  Rnbensohn 
et  publiés  (1907)  par  M.  E.  Sachau.  Traduction  ;  détails  qu'ils  fournis- 
sent sur  quelques  personnages  et  sur  la  situation  religieuse  de  la 
colonie.)  pp.  235-246. 

CIUDAD  DE  DIOS.  5  Août  —  M.  Arnaiz.  La  percepciôn  del  mundo 
exterior  (à  suivre).  (Commence  à  étudier  la  perception  du  monde 
extérieur.  Énonce  le  problème  et  la  solution  du  sens  commun  ;  analyse 
la  solution  du  subjectivisme  contemporain  et  la  juge  incapable  d'expli- 
quer le  caractère  d'objectivité  et  d'extériorité  des  perceptions.)  pp.  563- 
575.  =1  5  Sept.  —  M.  Arnaiz.  La  percepciôn  del  mundo  exterior  (suite). 
(Considère  l'aspect  psychologique  du  problème.  Indique  la  solution 
réaliste  et  les  solutions  subjectivistes.  Expose  et  critique  la  théorie 
associationnisie  de  Villusion.)  pp.  26-36. 

CIVILTA  CATTOLICA  (LA).  4  Juillet.  —  Il  teslimonio  di  S.  Lreneo 
sulla  Chiesa  Bomana  e  sulV  aiitorità  del  Romano  Pontifice  (suite).  (Exa- 
men et  explication  du  texte  Ado.  haer.  m,  32,  et  spécialement  de  l'expres- 
sion potentior  principalilas.)  pp.  33-47.  —  //  Boccardo  e  il  progresso  délia 
moralità.  (La  morale  ne  peut  progresser  dans  ses  principes  premiers, 
mais  elle  le  peut  dans  la  connaissance  qu'on  en  a,  dans  leurs  détermina- 
tions particulières,  dans  l'exercice  pratique.  Or  l'Église  admet  et  réalise 
ces  progrès  plus  que  toute  autre  société.)  pp.  48-57.  =  18  Juillet.  — 
F.  Savio.  Nuovi  sludi  sulla  questions  di  papa  Liberio.  (Soutient  contre 
Mgr  Duchesne  [Mélanges  de  Vhcole  française  de  Rome,  t.  XXVill,  1908) 
l'inauthenticité  des  quatre  lettres  attribuées  au  pape  Libère  et  montre 
qu'on  a  des  témoignages  extraordinaires  en  faveur  de  son  orthodoxie, 
qu'il  a  été  l'objet  de  calomnies.)  pp.  143-157,  =  1"  Août.  —  //  moder- 
nismo  crilico.  (La  critique  dont  se  targuent  les  modernistes  n'est  pas 
une  vraie  critique.  Elle  est  corrompue  par  les  théories  immanentistes 
et  agnosticistes  de  ses  partisans.)  pp.  257-271.  =  15  Août.  —  F.  Savio, 
Nuovi  studi  sulla  questione  di  papa  Liberio.  (Les  preuves  apportées 
pour  prouver  la  culpabilité  de  Libère  ne  sont  pas  convaincantes.) 
pp.  398-422.  =19  Sept. —  //  modernismo  critico  e  storico.  (Malgré  qu'ils 
s'en   défendent,   les  modernistes  sont  dépendants   dans  leur   critique 


836         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

historique  de  données  philosophiques.  Leur  prétention  d'exclure  Dieu 
de  l'histoire  et  de  limiter  le  domaine  de  celle-ci  aux  phénomènes 
dénonce  l'agnosticisme  ;  l'opposition  qu'ils  mettent  entre  l'histoire  et  la 
foi  est  la  preuve  de  leur  immanentisme  ;  l'insistance  qu'ils  mettent  à 
prôner  l'évolution  en  face  de  l'inspiration  fait  croire  à  des  idées  d'évo- 
lutionisme  historique  anti-chrétien.)  pp.  6ri7-675.  —  F.  Savio.  A^iiovi 
sludi  sulla  questione  di Papa  Liberio.  (Maintient,  dans  le  détail,  l'inau- 
thenticité  des  lettres  attribuées  au  pape  Libère.)  pp.  676-688. 

ÉCHOS  DCRIENT.  Juillet.  —  M.  Jugie.  S.  Jean  Chrysostome  et  la 
'primauté  du  Pape.  (On  ne  trouve  dans  les  œuvres  de  saint  Chrysostome 
«  aucun  texte  affirmant  explicitement  et  sans  conteste  possible  que 
l'évêque  de  Rome  est  le  successeur  de  saint  Pierre  dans  sa  primauté.  » 
Mais  plusieurs  actes  de  l'évêque  de  Constantinople  montrent  nettement 
qu'il  admettait  cette  doctrine.)  pp.  193-202. 

ÉTUDES.  20  Juillet.  —  Adh.  d'Alès.  L'œuvre  de  saint  Luc.  (Analyse 
critique  de  l'ouvrage  de  Harnack:  Lukas  der  Arzt.  1906.)  pp.  248-239. 
=  20  Août.  —  P.  GÉNY.  L'enseignement  de  la  Métaphysique  scolastique. 
(Exposé  historique  de  l'ordre  suivi  dans  l'enseignement  de  la  philoso- 
phie scolastique.)  pp.  433-467.  ;=  5  Sept.  —  P  Gény.  U enseignement  de 
la  Métaphysique  scolastique.  (Les  questions  qui  composent  aujourd'hui 
l'ontologiepourraient  se  répartir  en  trois  groupes:  les  unes  se  rattachent 
directement  à  la  logique,  d'autres  appartiennent  àla  théologie  naturelle, 
d'autres  forment  une  véritable  introduction  à  la  philosophie  réelle.  La 
réforme  proposée  serait  un  retour  à  la  tradition,  car  la  logique  traitait 
des  universaux  dans  leurs  rapports  mutuels,  la  physique  s'ouvrait  par 
l'étude  du  devenir,  à  la  métaphysique  étaient  réservées  les  généralisa- 
tions les  plus  ardues.  Elle  conservait  aussi  au  péripatétisme  son  carac- 
tère objectif  et  positif.)  pp.  n77-604. 

ÉTUDES  FRANCISCAINES.  Juillet.  —  P.  Dominique.  J'î;Mp'nt!5,  créateur 
du  mouvement  théologique  espagnol  (fin).  (La  restauration  de  la  scolas- 
tique entreprise  par  Ximénès  a  été  une  restauration  «  complète,  inté- 
grale ».  Il  a  fait  refleurir  les  trois  grandes  écoles  de  théologie: 
thomisme,  scotisme,  occamisme.  Par  là  il  a  préparé  des  théologiens 
pour  la  lutte  intellectuelle  contre  les  protestants.)  pp.  41-35.  =  Sep- 
tembre. —  P.  HiLAiRE.  Les  derniers  travaux  d'apologétique  (à  suivre). 
(Analyse  et  critique  sur  plusieurs  points  l'ouvrage  du  R.  P.  Gardeil,  0.  P. 
La  Crédibilité  et  V apologétique.)  pp.  223-242. 

EXPOSITOR  THE]  Juillet.  —  G.  A.  Smitu.  Herr  Alo'is  Musil  on  the 
Land  of  Moab.  (Analyse  de  l'important  ouvrage  du  Dr  A.  Musil,  Arabia 
Petraea,  /,  Moab.  Vienne,  1907.)  pp.  1-16.  —  J.  B.  Mayor.  The  Helvidian 
versus  the  Epiphanian  Bypothesis.  (Maintient  contre  les  critiques  du 
Church  Quarterly  le  bien-fondé  de  l'opinion  dllelvidius  qui  voit  dans  les 
«  frères  du  Seigneur  »  d'autres  enfants  de  Marie  et  de  Joseph.)  pp.  16- 
41.  —  D.  S.  Margolioutu.  Récent  Exposition  on  Isaiah  LUI.    (Critique, 


RECENSION     DES    REVUES  837 

comme  inacceptables,  l'opinion  de  J.  W.  Thirtie  qui  reconnaît  le  ser- 
viteur de  Jahvé  dans  Ézéchias,  celle  de  Sellin  qui  propose  Jehoiachin, 
celle  de  Gressmann  qui  voit  dans  ce  personnage  une  création  mythique 
du  cycle  d'Adonis,  rapporte  l'interprétation  traditionnelle  soutenue 
récemment  par  Feldmann  et  conclut  qu'il  faut  attendre  la  découverte  de 
documents  nouveaux  contemporains  du  second  Isaïe.)  pp.  59-68.  —  E.  F. 
Scott.  John  the  Baptist  and  his  Message.  (Les  Évangélistes  n'ont  rapporté 
de  Jean-Baptiste  que  ce  par  quoi  il  a  été  le  Précurseur  de  Jésus.  L'auteur 
estime  qu'il  a  eu  cependant  un  programme  et  un  message  propres  et  il 
entreprend  de  les  restituer  d'après  les  Évangiles.)  pp.  68-76.  —  R. 
Macktntosh.  Corinth  and  the  Tragedy  of  Saint  Paul.  (Étudie  les  rapports 
de  saint  Paul  avec  l'Église  de  Corinthe  pendant  son  ministère  à  Éphèse. 
Place  entre  I  et  II  aux  Cor.  la  visite  rapide  dont  parle  //  Cor.  ,  XII,  16, 
XIII,  1,  et  la  lettre  à  laquelle  fait  allusion  //  Cor.  ,  II,  4.)  pp.  77-83.  — 
J.  H.  MouLTON  and  G.  Mtoligan.  Lexical  Notes  from  the  Papyri.  (Donne 
avec  citations,  les  vocables,  employés  dans  lA.  et  le  N.  T.  ,  que  l'on 
trouve  dans  les  papyrus  :  de  avoiôév  à  âTroypâçouat.)  pp.  84-96.  =  Août. 

—  J.  Orr.  The  Résurrection  of  Jésus.  VII.  The  Significance  of  the  Appea- 
rances.  The  Risen  Body.  (Étudie  les  apparitions  publiques,  officielles, 
par  opposition  aux  apparitions  privées,  de  Jésus  aux  apôtres,  en  défend 
la  réalité,  en  fait  ressortir  la  signification.  Le  corps  de  Jésus  ressuscité 
est  présenté  à  la  fois  comme  un  vrai  corps  et  comme  doué  de  privilèges 
surnaturels  qui  ont  leur  origine  en  sa  personnalité  divine.)  pp.  98-118. 

—  B.  D.  Eerdmans,  Hâve  the  Hebreius  heen  Nomads  ?  (Ni  à  l'époque 
patriarcale,  ni  au  temps  de  l'Exode  les  Hébreux  n'ont  été  de  vrais 
nomades,  mais  des  semi-nomades.  Les  lois  agricoles  de  Moïse  peuvent 
être  authentiques.)  pp.  lis-lol,  —  G.  A.  Smith.  Berr  Alois  Musil  on  the 
Lund  of  Moab  (suite).  (Analyse  de  la  partie  de  l'ouvrage  du  Dr  Musil 
consacrée  au  sud  de  Moab.)  pp.  131-150.  —  W.  Sherlock,  The  Potières 
Field.  (Les  Actes  de  S.  Luc  ne  sont  pas  moins  dignes  de  croyance  dans 
leur  première  partie  que  dans  leur  seconde.  La  remarque  est  justifiée 
en  ce  qui  concerne  le  discours  de  S.  Pierre,  Actes,  I,  et  spécialement 
l'incidente  relative  à  Judas  que  l'on  peut  accorder  avec  la  narration 
parallèle  de  Matthieu.)  pp.  158-163,  — J.  B.  Mayor.  The  Helvedian  versus 
the  Epiphanian.  (Continue  son  essai  de  justification  de  la  théorie 
d'Helvidius  louchant  les  «  frères  du  Seigneur  ».)  pp.  163-182.  —  J.  H. 
MouLTON  and  G.  Milligan.  Lexical  Notes  from  the  Papyri.  (Notes  lexi- 
cographiques  sur  les  termes  employés  dans  l'A.  et  le  N.  T.  que  l'on 
retrouve  dans  les  papyrus  :  de  àTtodiiyjvviJ.i  à  àTrocpÉpco.)  pp.  182-192.  = 
Sept.  —  B.  D.  Eehdmans.  The  Hebrews  in  Egypt.  (Les  Patriarches  étant 
semi-nomades,  semi-agriculteurs,  il  est  possible  de  reconnaître  en  eux 
les  Israélites  dont  Merenptah  ravagea  les  moissons.  Les  Israélites  ne 
sont  entrés  en  Egypte  que  vers  1205.  Ils  y  trouvèrent  d'autres  groupes 
d'Hébreux  établis  depuis  longtemps,  les  Apriiv  des  textes  égyptiens. 
L'exode  des  Apriw  et  des  Israélites  eut  lieu  vers  1125.  Les  Khabiri  des 
lettres  d'El-Amarna  n'ont  rien  à  voir  avec  les  Hébreux  ni  avec  les  Israé- 
lites.) pp.  193-207. —  R.  Mackintosh.  r/ie  Brief  Visit  to  Corinth.  (La 
visite  •:(  brève  »  aurait  été  motivée  par  le  refus  des  Corinthiens  de  s'asso- 
cier à  la  sentence  de  saint  Paul  contre  l'incestueux.   On  peut  supposer 

26  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N°  4.  54 


838         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉQLOGIQUES 

que  celle  senlence  lerrible  eut  pour  résultai  lamorl  du  malheureux.  Le 
triomphe  douloureux  de  saint  Paul  fut  de  courte  durée.  Un  groupe  de 
judaïsauts  arrive  àCorinlhe  et  leur  action  aboutit  à  une  terrible  réac- 
tion contre  saint  Paul.)  pp.  220-234:.  —  J.  Orr.  The  Résurrection  of  Jésus. 
VIL  The  Aposlolic  Church.  Visionat  and  Apparilionnl  Théories. 
(Montre  que  les  grandsfails  qui  marquèrent  l'histoire  de  l'Église  apostoli- 
que, p.  ex.  lapentecôte,  la  conversion  de  sainl  Paul,  impliquent  la  réalité 
de  la  Résurrection.  Examine  et  écarte  ensuite  les  deux  principaux  sys- 
tèmes d'explication  qui  s'attachent  à  exclure  la  réalité  de  la  Résurrection, 
la  théorie  des  visions  et  celle  des  apparitions  réelles  du  Christ  spirituel.) 
pp.  2oô-254.  —  G.  H.  Smitii.  Hâve  Ihe  Ilebrews  been  Nomad%  ?  A  Bcply  to 
Professors  Eerdmans.  (Conteste  l'originalité  et  signale  l'imprécision 
des  classifications  du  Dr.  Eerdmans.  L'analyse  que  ce  dernier  entreprend 
des  récits  de  la  Genèse  présente  les  mêmes  fâcheux  caractères.)  pp.  254- 
272.  —  J.  H,  MouLTON  and  G.  Milligan.  Lexioal  Noies  from  the  Papyri. 
(Suite  des  notes  lexicographiques  sur  les  mots  qui  se  trouvent  à  la  fois 
dans  l'A.  ou  le  N.  T.  et  dans  les  papyrus  :  de  xT,6yoY](JLç,  à  àor-jw.)  pp.  278- 
281. 

EXPOSITORY  TIMES  (THE).  Juillet  —  H.  A.  A.  Kennedy.  The  Self- 
Consciousness  of  Jésus  and  thf'  Servant  of  the  Lord  (suite).  (Jésus  aurait 
acquis  d'abord  et  très  tôt  —  il  la  possède  dès  l'âge  de  12  ans  —  la  cons- 
cience de  sa  relation  filiale  vis-à-vis  de  Dieu,  conscience  qui  aurait 
donné  naissance  à  celle  de  sa  messianité..  Cette  dernière  se  serai  t  précisée 
et  modelée  sous  l'influence  des  prophéties  du  "Serviteur  de  Jahvé".  Le 
Baptême  marque  la  consécration  définitive  de  ces  convictions  intimes.) 
pp.  442-446.  —  J.  S.  Banks.  The  Argument  from  Expérience.  (Constate 
que  l'on  donne  à  l'argument  d'expérience  intime  une  place  de  plus  en 
plus  grande  en  Apologétique.  Cependant  cet  argument  ne  saurait  suffire 
à  lui  seul  et  demande  à  être  complété  par  l'argument  historique.  La 
preuve  philosophique  n'est  pas  moins  légitime  et  utile,  et  la  défiance 
que  l'on  atïecte  vis-à-vis  de  la  philosophie  est  anormale.)  pp.  460-462. 
—  A.  H.  Sayce.  The  Archaeology  of  the  Book  of  Genesis.  (Éclaircisse- 
ments sur  la  section  relative  à  l'Éden,  Gen.  II,  8-14  tirés  de  la  philolo- 
gie et  de  la  littérature  assyro-babyloniennes.)  pp.  470-472.  =  Août.  — 
H.  A.  A.  Kennedy.  The  Self-Consciousness  of  Jésus  and  the  Servant  of 
the  Lord.  (Signale  dans  les  paroles  et  actions  de  Jésus  au  cours  de  sa 
vie  publique  les  traces  de  l'influence  profonde  exercée  sur  son  esprit 
par  les  oracles  relatifs  auServiteur  de  Jahvé.)  pp.  487-491.  —  Eb.  \estle. 
He  shall  le  called  a  Nazarene.  (Estime,  après  Weymouth,  et  d'après  la 
formule  parallèle  de  Luc  I,  3o,  que  Malt.  II,  23  semble  devoir  se  tra- 
duire, non  pas  Nazaréen,  mais  Naziréen.  Sans  vouloir  douter  de  l'exis- 
tence de  Nazareth,  se  demande  si  le  séjour  de  Jésus  à  Nazareth  ne 
repose  pas  sur  une  méprise.)  pp.  523-524. 

HARVARD  THEOLOGIGAL  REVIEW  (THE).  Juillet.  —  .\.  H.  Lloyd. 

The  Philosophy  of  Plato  as  a  Méditation  on  Dca  th.  (L'idéalisme  "  réa- 
liste "  de  Platon  représente  la  victorieuse  réponse  d'un  esprit  élevé, 
croyant,  optimiste,  aux  impressions  pessimistes  que  la  mort  de  Socrate 


RECENSION     DES    REVUES  839 

elle  spectacle  de  la  décadeuce  athéniennes  avaient  faites  sur  lui.)  pp.  32o- 
343.  —  G.  E.  HORR,  Bishop  Butler  and  Cardinal  Newman  on  Keligious 
Certitude.  (Après  avoir  précisé  la  maxime  fondamentale  de  l'Api^logé- 
tique  de  Butler,  à  savoir  qu'en  matière  religieuse  l'on  ne  peut  exiger 
une  certitude  démonstrative  et  qu'il  est  légitime  de  se  décider  dans  le 
sens  de  la  plus  grande  probabilité,  maxime  qu'il  juge  tout  à  fait  inac- 
ceptable, l'auteur  a  étudié  l'influence  de  la  pensée  de  Butler  sur  la 
théologie  anglaise  et  sur  l'école  même  où  se  forma  Newman.  Celui-ci  a 
pour  objectif  d'obtenir  une  évidence  externe  qui  rejoigne  ses  évidences 
internes  et  il  la  demande  à  Villative  sensé.  Au  fond  cependant  il  est 
demeuré  sous  l'influence  du  principe  de  Butler.  Contribution  de  Butler 
et  de  Newman  à  une  con-ieption  plus  adéquate  de  la  certitude  religieuse), 
pp.  346-361. 

HIBBERT  JOURN/VL  (THE).  Juillet.  —  W.  James,  Pluralism  and 
Religion.  (Nos  expériences  religieuses  ne  trouvent  d'explication  satis- 
faisante qu'en  une  conception  pluraliste  du  monde  dans  le  genre  de 
celle  formulée  par  Fechner.  Ni  le  naturalisme,  ni  le  théisme  dualiste,  ne 
peuvent  s'y  harmoniser.)  pp.  722-7:28.  —  R,  Eucken.  7'he  Problem  of 
Immorlality.  (Après  avoir  esquissé  l'histoire  et  l'état  présent  de  ce 
problème,  expose  que  la  vraie  preuve  de  l'immortalité  doit  être  deman- 
dée, non  pas  à  certains  caractères  généraux  de  l'âme,  mais  à  la  nature 
spécifique  de  l'âme  et  au  sens  particulier  de  la  vie  humaine.  Le  terme 
"  spirituel  "  caractérise  bien  le  caractère  et  la  valeur  propres  de  l'âme 
et  de  la  vie  humaine,  la  sphère  spéciale  à  laquelle  elles  appartiennent. 
Ajoute  quelques  suggestions  touchant  la  nature  et  les  conditions  de  cette 
immortalité.)  pp.  836-831. 

INTERPRETER  (THE).  Juillet.  —  E.  Barnes.  Our  Appréhension  of 
the  Doctrine  of  the  Trinifi/.  (La  Trinité  a  été  appréhendée  spirituellement 
avant  d'être  formulée  intellectuellement.  L'appréhension  spirituelle  en 
même  temps  qu'elle  donne  à  la  connaissance  intellectuelle  son  efficacité 
salutaire,  la  préserve  de  l'erreur  que  la  valeur  approximative  des  analo- 
gies de  substance  et  de  personne  pourrait  engendrer.)  pp.  332-363.  — 
J.  Orr.  Professeur  Peake  on  Biblical  Crilicism.  (Maintient,  contre  les 
observations  du  Pr,  Peake,  que  la  critique  des  représentants  attitrés  de 
l'école  grafienne  montre  la  profonde  influence  de  postulats  rationalistes 
et  déclare  ne  pas  partager  l'optimisme  avec  lequel  son  contradicteur 
envisage  l'esprit  et  l'orientation  de  leurs  travaux.)  pp.  364-372»  — 
F.  J.FoAKES-JACESON.Causes  and  Methods  of  Dealing  with  Modem  Unbelief. 
(Après  avoir  exposé  que  si  la  situation  présente  du  Christianisme  est 
difficile,  eUe  ofl"re  peut-être  moins  de  périls  qu'à  beaucoup  d'autres 
époques,  indique  les  deux  principales  diflicultés  de  la  situation  et 
suggère  que  le  moyen  d'y  parer  n'est  pas  de  tout  rejeter  de  la  science 
contemporaine,  comme  on  l'a  fait  trop  longtemps,  ni  non  plus  de  rien 
céder  sur  les  seules  injonctions  de  la  science,  mais  d'écarter  ce  qui  n'est 
plus  défendable  après  jugement  de  la  théologie  qui  seule  est  qualifiée 
pour  en  juger.)  pp.  373-382.  —  Cl.  F.  Rogers,  The  Scientific  and  Historié 
Methods  in  Theology.  (Trop  souvent  la  méthode  historique  appliquée  à 


840         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

l'étude  du  Christianisme  se  présente  comme  une  extension  de  la 
méthode  usitée  dans  les  sciences  physiques  à  l'étude  de  réalités  pour- 
tant bien  différentes.)  pp.  383-401.  —  S.  L.  Browx.  The  Book  of'Malachi. 
(Le  nom  et  la  personne  de  l'auteur  sont  inconnus.  L'œuvre  doit  être  du 
milieu  du  V**  siècle.  Signale  parmi  les  doctrines  caractéristiques  de  l'au- 
teur, la  condamnation  du  divorce,  son  zèle  pour  la  Loi,  sa  conception 
élevée  du  sacerdoce.)  pp.  402-408.  —  H.  .1.  Bardsley.  Is  the  Virgin  Birlh 
Doçjmaticalhj  slaled  in  Ihe  Aposlles'  Creed?  (Saint  Paul  connaissait  les 
informations  relatives  à  Jésus  recueillies  par  saint  Luc  et  par  suite  la 
naissance  virginale.  Marc  et  Jean,  tout  compte  fait,  semblent  aussi 
l'avoir  connue.  Estime  que  la  formule  du  Credo  :  Né  de  la  Vierge  Marie, 
n'est  pas  une  affirmation  dogmatique  de  la  naissance  virginale.) 
pp.  409-425.  —  G,  J.  CniTTY.  The  Idea  of  Judgement  in  St.  John.  (L'idée 
du  jugement  dans  le  IV»  Évangile,  tout  en  ne  différant  pas  essentielle- 
ment de  celle  des  synoptiques,  nous  introduit  plus  avant  dans  le  mystère 
des  rapports  entre  l'homme  et  Dieu.  11  consiste  dans  le  refus  de  la  lumière 
et  l'amour  des  ténèbres,  rendus  sans  excuse  par  la  manifestation  du 
Fils.  La  clef  de  la  doctrine  de  saint  Jean  est  fournie  par  Jo.  III,  16-21.) 
pp.  426-432.  —  F.  W.  Orde  Ward,  Ihe  Désire  for  Immorlality.  f  pro- 
pos dune  enquête  instituée  par  le  "  Psychical  Research  Society  "  et  qui 
semble  avoir  abouti  à  constater  la  non-universalité  du  désir  d'immorta- 
lité, expose  qu'il  y  a  lieu  d'expliquer  ce  qu'est  l'immortalité,  objet  d'un 
désir  universel.)  pp.  433-442. 

IRISH  THEOLOGICAL  QUARTERLY    (THE).  Juillet,  —  J.  A.  Ryan, 

The  Moral  Aspect  of  Monopohj.  (Étudie  successivement  les  monopoles 
privés  et  les  monopoles  quasi-publics.  Détermine  les  conditions  dans 
lesquelles  les  prix  peuvent  être  considérés  comme  justes  ou  injustes  ; 
signale  trois  mélhodes  injustes  d'établir  ou  de  soutenir  un  monopole 
privé.  Traite  de  l'obligation  éventuelle  et  du  mode  de  restitution.) 
pp.  273-292.  —  J.  O'Mahony,  On  some  Difficulties  recently  raised  ag ainsi 
the  Argument  from  Design  for  the  Existence  of  God.  (Récemment  un 
théologien  catholique,  le  Révérend  Mac  Donald  a  formulé  contre  la 
démonstration  de  l'existence  de  Dieu  par  l'argument  tiré  de  la  finalité 
les  objections  suivantes  :  Il  faudrait  prouver,  par  des  raisons  directes, 
que  l'ordre  du  monde  a  commencé,  ce  qu'on  ne  fait  pas.  Il  faudrait 
prouver  que  l'ordre  actuel  ne  provient  pas  par  évolution  d'un  ordre 
éternel  en  germe,  ce  qu'on  ne  fait  pas.  Il  n'est  pas  démontré  que  la  vie, 
à  aucun  moment,  n'a  pu  être  produite  par  des  forces  matérielles. 
L'auteur  estime  ces  objections  sans  force.)  pp.  293-306.  —  P.  Mac  Kenna, 
The  Jiidicial  Character  of  the  Sacrament  of  Penance.  (Après  avoir  défini 
l'office  judiciaire  en  général,  précise  ce  qu'il  implique  dans  le  cas  du 
sacrement  de  pénitence.  Établit  ensuite  que,  lors  de  la  scène  solennelle 
rapportée  Jean  XX,  22-23,  et  qui  vit  l'institution  du  sacrement  de 
pénitence,  les  apôtres  ont  néces.sairement  et  légitimement  compris  qu'ils 
étaient  investis  d'un  vrai  pouvoir  judiciaire  sur  le  péché.)  pp.  307-322. 
—  F.  H.  Pope,  0  P.,  Israël  in  Egypt  after  the  Exodus.  (Étudie,  d'après 
les  découvertes  de  FI.  Pétrie  et  les  papyrus  d'Éléphantine,  les  traces 
laissées  par  les  Juifs  échappés  à  l'exil  babylonien  dans  le  Delta  et  la 


RECENSION    DES    REVUES  841 

Haute-Égypte.)  pp.  342-336.  —  J.  Mac  Caffrey,  The  Origin  and  Dévelop- 
pement of  Cathedral  and  Collégiale  Chapters  in  the  Irish  Church  (à 
suivre).  (L'organisation  créée  par  S.  Patrice  comportait  l'épiscopat  tri- 
bal, des  communautés  de  caractère  plutôt  canonial  que  monastique.  Le 
Saint  n'a  pas  rédigé  de  règle  monastique  ;  les  grands  centres  monas- 
tiques sont  postérieurs.  La  tradition  d'une  apostasie  générale  de 
l'Irlande,  fin  du  V*  siècle  et  commencement  du  YP,  est  par  trop  invrai- 
semblable. Précise  le  rôle  des  Saints  Irlandais  dits  du  Second  Ordre,  et 
étudie  l'organisation  qu'ils  donnèrent  à  l'Église  d'Irlande  et  qui  avait 
son  analogue  sur  le  Continent.)  pp.  357-371. 

JAHRBUCH  FUR  PHILOSOPHIE  UND  SPEKULATIVE  THEOLOGIE. 
XXII,  1.  —  p.  A.  Manser,  0.  P.  Die  gottliche  Erkenntnis  der  Einsei- 
dinge  und  die  Vorsehung  bei  Averroes.  (On  a  répété  jusqu'à  ce  jour 
qu'Âverroès  niait  que  Dieu  connaissait  les  choses  particulières  et  exer- 
çait sa  providence  à  leur  égard.  C'est  faux  1  Averroes  n'a  nié  ni  l'un 
ni  l'autre  de  ces  points.  D'après  lui,  Dieu  connaît  les  choses  indivi- 
duelles, comme  telles  ;  mais  il  les  connaît  d'une  autre  manière  que  nous, 
d'une  manière  plus  parfaite,  puisque  sa  connaissance  est  la  cause  même 
des  choses  particulières.  Cette  même  causalité  divine  est  aussi  pour  Aver- 
roes un  motif  pour  admettre  qu'il  y  a  une  providence  et  que  Dieu  prend 
soin  des  choses  terrestres.  Toutefois  une  puissance  étrangère,  la  matière 
éternelle  incréée,  porte  à  cette  providence  divine  maint  préjudice.)  pp. 
1-29.  —  P.  W.  ScHLOSSiNGER,  0.  Pr.  Die  Erkenntnis  der  Enc/elÇS^  art), 
(Les  anges  ont  une  connaissance  naturelle  de  Dieu  ;  ils  connaissent 
l'essence  divine  par  le  moyen  de  leur  substance,  en  tant  que  cette 
dernière  représente  l'essence  divine  ;  ils  n'ont  pas,  selon  les  thomistes, 
de  Dieu  une  espèce  propre.  Il  est  aussi  plus  probable  que  l'ange  ne 
connaît  Dieu  qu'en  se  connaissant  d'abord  soi-même  ;  ce  faisant  il  ne 
pose  qu'un  acte  et  non  pas  deux.  —  Objets  matériels  de  la  connaissance 
angélique.  C'est  un  fait  attesté  par  la  Révélation  et  prouvé  par  saint 
Thomas  que  les  anges  connaissent  les  choses  matérielles  (I  P.  qu.  57, 
a.  1)  ;  ils  les  connaissent  dans  leur  individuabté  et  non  d'une  manière 
générale,  ils  les  connaissent  indépendamment  de  l'espace  et  du  temps. 
Parmi  les  choses  individuelles,  l'ange  connaît  aussi  les  futurs  ;  non  pas 
tels  qu'ils  sont  en  eux-mêmes,  mais  dans  leurs  causes  ;  2.  les  mouve- 
ments naturels  et  spontanés  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  angélique 
et  humaine,  non  pas  les  pensées  et  les  vouloirs  libres  ;3.  les  actes  de 
l'appétit  sensitif  chez  les  animaux  ;  chez  Ihomme  il  ne  connaît  ces  actes 
que  pour  autant  qu'ils  ne  dépendent  pas  de  la  raison  ou  de  la  volonté 
libre.  —  Les  mystères  de  la  grâce  ne  sont  pas  l'objet  de  la  connaissance 
naturelle  des  anges.  —  4.  Le  mode  de  la  connaissance  angélique.  Con- 
trairement à  ce  qui  existe  pour  l'âme  humaine,  il  y  a  toujours  dans 
l'ange  une  connaissance  actuelle  1°  de  sa  propre  substance,  2''  de  Dieu  ; 
quant  aux  autres  objets,  sa  connaissance  est  tantôt  habituelle,  tantôt 
actuelle.  L'ange  peut  connaître  actuellement  plusieurs  objets  ;  sa  con- 
naissance n'est  pas  formellement  discursive,  ni  proprement  expérimen- 
tale ;  il  ne  forme  pas  non  plus  son  jugement  par  voie  de  composition  et 
de  division  ;  il  n'a  une  connaissance  compréhensive  que   de  ces  objets 


842         PEVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

dont  il  a  en  lui  une  espèce  propre,  et  des  créatures  placées  en  dessous 
de  lui.  L'ange,  tant  le  bon  que  le  mauvais,  ne  peut  errer  de  soi  ;  le  bon 
ange  ne  peut,  pas  même  par  accident,  donner  dans  Terreur.)  pp.  45-84. 

JOURNAL  (THE)  OF  PHILOSOPHY.  PSYCHOLOGY  AND  SCIENTIFIC 
METHODS.  4  Juin.  —  G.  Vailati.  On  Malerial  Représentations  of  Deduc- 
tive  Processes.  (Étudie  l'emploi  des  métaphores  empruntées  au  monde 
physique  pour  exprimer  les  opérations  mentales,  en  prenant  comme 
exemple  celles  qui  décrivent  le  raisonnement  déductif.  Les  divise  en 
trois  groupes  suivant  qu'elles  se  rattachent  aux  images  de  support,  de 
montée  et  de  descente  ou  de  contenant  et  de  contenu,  et  tout  en  recon- 
naissant les  avantages  que  présentent  certaines  d'entre  elles,  signale 
surtout  les  illusions  qu'elles  créent.)  pp.  309-316.  — Discussion.  W.  Mit- 
CHELL.  Structure  and  Groivth  of  tlie  Mind.  (Répond  aux  critiques  du  Dr 
Perry  sur  son  ouvrage.  Explique  et  défend  sa  manière  de  voir  sur  trois 
questions  en  particulier  :  rapports  de  l'esprit  et  du  cerveau,  de  l'esprit 
et  de  l'expérience,  le  sujet  comme  objet  d'expérience.)  pp  316-321.  — 
Max  Meyer.  7 lie  Exact  Number  of  Pragmatisms.  (Il  est  vain  de  chercher 
à  déterminer  le  nombre  exact  des  variétés  de  pragmatismes,  comme  l'a 
tenté  le  Prof.  Lovejoy  ;  les  théories  dont  il  veut  montrer  la  radicale  diffé- 
rence, celles  en  particulier  qui  concernent  le  sens  et  la  vérité  des  propo- 
sitions et  les  conséquences  des  propositions  ne  sont  en  réalité  que  des 
fonctions  d'une  seule  et  même  variable,  le  développement  de  la  vie 
humaine.)  pp.  321-326.  =  18  Juin.  —  W.  H.  Winch  The  Function  of 
Images.  (La  théorie  actuellement  en  faveur  au  sujet  des  images,  leur 
attribue  un  rôle  beaucoup  plus  étendu  et  plus  important  que  celui  qui 
leur  convient  en  réalité.  L'absence  d'images  dans  la  perception,  la  com- 
paraison et  le  mouvement  volontaire  ne  parait  pas  nuire  à  la  perfection 
et  à  la  facilité  de  ces  opérations.)  pp.  337-352.  —  H.  H.  Britan.  The 
Power  of  Music.  (La  puissance  d'émouvoir  de  la  musique  semble  due 
principalement  à  trois  causes  :  l'importance  biologique  du  son,  le  carac- 
tère organique  du  rythme  et  le  caractère  dynamique  des  divers  éléments 
du  symbolisme  musical.)  pp.  352-357.  =  2  Juil.  —  J.  E.  Boodln.  7.  Is 
Expérience  Self-Supporting  ?  (L'expérience  ne  saurait  se  suffire  à  elle- 
même,  car  l'on  n'y  trouve  pas  l'explication  d'un  certain  nombre  de  faits  ; 
p.  ex.  sa  propre  continuité  dans  le  temps,  la  communication  des  esprits, 
la  régularité  dans  la  nature,  etc.  Il  y  a  donc  une  réalité  qui  dépasse  l'ex- 
périence et  qui  en  est  le  fondement.  Toutefois  on  ne  peut  se  la  repré- 
senter comme  un  ensemble  de  substances  spirituelles  ou  matérielles,  ni 
comme  l'Absolu;  elle  est  dynamique  comme  l'expérience.  Être  ==  éner- 
gie.) pp.  363-375.  —  Discussion.  J.  Dewey.  The  Logical  Character  of 
Jdeas.  (Le  caractère  logique  des  idées  tient  à  ce  qu'elles  sont  essentiel- 
lement des  hypothèses  destinées  à  diriger  la  pensée  réfléchie  vers  une 
conclusion  stable.)  pp.  375-381.  =  16  Juil.  —  J.  E.  Boodin.  Energy  and 
Reality.  IL  The  Définition  of  Energy  (L'énergie  se  définit  par  les  deux 
notions  de  processus  et  d'uniformité.  Bien  que  la  science  tende  à  réduire 
à  un  seul  type  les  diverses  formes  de  l'énergie,  il  faut  se  garder  en  phi- 
losophie d'une  unification  artificielle.  Les  faits  semblent  réclamer  trois 
espèces  d'énergies  :  l'énergie  matérielle  caractérisée  par  la  masse  et  le 


RECENSION     DES     REVUES  843 

poids,  l'énergie  électrique  et  l'énergie  intentionnelle  ou  psychique.)  pp. 
393-406.  —  Th.  P.  Bailey.  Organic  Sensation  and  Organismic  Feeling. 
(Description  et  analyse,  d'après  une  expérience  personnelle,  de  trois 
dispositions  d'esprit  successives.)  pp.  406-412.  —  Socielies,  R.  S.  Wood- 
WORTU.  (Compte  rendu  de  la  séance  du  27  avril  1908  de  la  Section  d'An- 
thropologie et  de  Psychologie  de  l'Académie  des  Sciences  de  New-York.) 
=  30  Juil.  —  E.  A.  KiRKPATRicE.  llie  Part  Played  bij  Consciousness  in 
Mental  Opérations.  (Les  expériences  faites  sur  certains  sujets  hypnoti- 
sables  ne  prouvent  pas  l'existence  de  consciences  distinctes  de  la  cons- 
cience normale  et  ignorées  d'elle  ;  le  mécanisme  physiologique  fournit 
par  lui-même  une  explication  suffisanle  de  ces  faits.  Il  est  probable  que 
le  rôle  de  la  conscience  se  borne  à  disposer  l'appareil  cérébral  à  accom- 
plir un  acte  déterminé  et  à  constater  le  succès  ou  l'échec  dans  l'exé- 
cution.) pp.  421-429.  —  A.  W.  MooRE.  Truth  Value.  (Tandis  que  l'école 
absolutiste  avec  Bradley  et  Royce  cherche  à  éviter  les  antinomies  en 
admettant  que  la  pensée  est  cause,  non  seulement  de  sa  forme,  mais 
aussi  de  son  contenu,  la  théorie  instrumentaliste  offre  une  solution  plus 
satisfaisante  en  considérant  au  contraire  la  forme  et  la  matière  de  la 
peusée  comme  le  produit  des  instincts  en  conflit.)  pp.  429-436.  "=^  13 
Août.  —  G.  Salvadori.  Positivism  in  Italy.  (Rapide  exposé  des  doctrines 
positivistes  d'Ardigô  et  de  Varisco.)  pp.  449-454.  —  G.  R.  Dodson.  The 
Function  of  Fhilosophy  as  an  Académie  Discipline.  (L'enseignement 
philosophique  ne  retrouvera  quelque  crédit  que  s'il  aide  les  esprits  à 
organiser  la  synthèse  de  leurs  connaissances,  synthèse  qui  doit  rester 
assez  souple  pour  se  prêter  indéfiniment  à  des  développements  nou- 
veaux.) pp.  4o4-4o8.  —  Discussion.  G.  A.  Tawney.  Ultimate  Hypothèses 
in  Fsychology.  (L'organisation  de  la  psychologie  ferait  de  grands  pro- 
grès si  l'on  pouvait  trouver  pour  elle,  comme  on  l'a  fait  pour  les  autres 
sciences,  des  hypothèses  fondamentales  appropriées.  Le  concept  du  moi, 
tel  que  le  présente  Miss  Calkins,  ne  semble  pas  offrir  grande  utilité  à  ce 
point  de  vue  ;  il  serait  préférable  de  choisir  la  notion  de  valeur.)  pp. 
459-467.  =27  Août. —  H.  R.  Marshall.  Subattentive  Consciousness  and 
Suggestion.  (Certains  caractères  de  la  suggestion  peuvent  s'expliquer 
aisément  si  l'on  considère  que  le  domaine  de  la  conscience  inattentive 
(subconscience)  est  au  fond  de  même  nature  que  celui  de  l'attention  et 
que  la  systématisation  du  premier  est  aussi  complète  que  celle  du 
second.)  pp.  477-483. 

JOURNAL  DE  PSYCHOLOGIE  NORMALE  ET  PATHOLOGIQUE  Sept.- 
Oct.  —  D''  Ameline.  Comment  faire  une  théorie  mécanique  des  phéno- 
mènes mentaux.  (Essai  de  synthèse  de  quelques  phénomènes  mentaux 
d'après  les  équations  qui  peuvent  convenir  à  les  exprimer  au  point  de  vue 
de  leur  évolution,  en  choisissant  comme  première  variable  :  le  temps,  et 
comme  seconde  variable  :  le  symptôme  dominant.  Recherche  des  équa- 
tions des  trois  phénomènes  psychologiques  :  démence  simple,  sensation, 
psychoses.)  pp.  398-446.  —  Communications  à  la  Société  de  Psychologie 
(5  juin  1908)  :  M.  Dumas.  Comment  les  prêtres  païens  dirigeaient-ils  les 
rêves?  pp.  447-450.  —  M.  Sollier.  La  Rétrospection,  pp.  150-4.^3. 


844  REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

JOURNAL  (THE)  OF  THEOLOGICAL  STUDIES,  Juillet.  —  II.  J.  Law- 
LOR.  The  heresy  of  ihe  Phrygians.  (Il  ne  faut  pas  s'en  tenir  exclusive- 
ment aux  ouvrages  de  TertuUien  pour  faire  connaître  le  Montanisme. 
Il  y  a  de  sensibles  différences  entre  «  Thérésie  phrygienne  »  et  le  mon- 
tanisme africain.)  pp.  480-499.  —  Documents  :  Cl.  Jenkins.  Origen 
on  I  Corinthians.  III  (Publication  de  texte),  pp.  500-514.  -  Notes  and 
Studies  :  M.  Rule.  The  Leonian  Sacramentary  :  an  analytical  sludy. 
^à  suivre).  (Le  Sacrameniarhun  Leonianum  a  été  composé  en  trois  rédac- 
tions successives,  déterminées,  d'après  le  manuscrit,  par  le  nombre  de 
lignes  et  de  lettres  à  la  ligne.  La  première  daterait  du  Pontificat  de 
Léon  le  Grand  (440-461)  ou  de  son  successeur  immédiat  Hilaire  (461- 
468)  ;  la  seconde  du  pontificat  d'Hilaire,  la  troisième  de  celui  de  Sim- 
plicius  (468-483)  )  pp.  5l5-oo6.  —  L.  Gougaud,  0.  S.  B.  Some  liturgical 
and  ascetic  Traditions  of  the  celtic  church.  I.  Génuflexion.  (Les  Irlan- 
dais et  les  Scots  pratiquaient,  plus  que  partout  ailleurs  dans  l'Église,  la 
génuflexion,  soit  comme  pénitence  privée,  soit  comme  cérémonie 
durant  l'office  liturgique.  Cette  pratique  avait  été  en  usage  aussi  en 
Orient.)  pp.  o56-o61.  —  H.  Galssen.  Tlte  Lucan  and  the  Johannine 
Wriiings.  (Il  y  a  entre  l'évangile  de  S.  Luc  et  celui  de  S.  Jean  des 
ressemblances,  au  point  de  vue  des  sujets  traités  dans  les  discours,  des 
phrases,  des  mots,  des  noms.  Pareille  ressemblance  n'existe  pas  entre 
S.  Jean  et  les  autres.  Elle  doit  tenir  à  une  source  commune  qui  serait  la 
Vierge  mère  de  Notre-Seigneur.)  pp.  562-568.  —  F.  C.  Burkitt  et 
A.  E.  Brooke.  5.  Luke,  XXII,  15-16  :  Wal  is  the  gênerai  Meaning  ? 
(Malgré  l'opinion  à  peu  près  unanime  des  exégètes,  le  verset  en  ques- 
tion exprimerait  non  nu  vif  désir,  mais  un  sentiment  de  regret.) 
pp.  569-572.  —  R.  H.  Conxolly.  0.  S.  B.  On  Aphraates  Boni.  /  §  /9. 
(Discussion  avec  M.  Pass  sur  le  texte  en  question  ;  expose  ses  rap- 
ports avec  un  symbole  syriaque  primitif.)  pp.  572-576.  —  F.  C. 
Conybeare.  An  Old  Armenian  Version  of  Josephus.  (La  version 
arménienne  de  Josèphe  imprimée  en  1707  contient  des  restes  d'une 
ancienne  version  faite  sur  le  syriaque,  des  modifications  et  additions 
dues  à  un  traducteur  travaillant  sur  le  grec,  et  enfin  des  modifications 
faites  en  1660  par  Etienne  de  Lemberg  d'après  le  latin  de  Rufin.) 
pp.  477-583.  —  H.  Souter.  Contributions  lo  the  Crilicism  of  Zmarag- 
dus's  «  Expositio  Libri  comitis  ».  (Caractère  de  Fœnvre  ;  manuscrits, 
auteurs  cités  :  fautes  de  l'édition  imprimée.)  pp.  .j84-597.  —  M.  J.  Thac- 
KERAY.  Renderings  of  the  Infinitive  absolnte  in  the  LXX.  (Deux 
manières  :  verbe  avec  le  nom  correspondant  au  datif,  ou  verbe  avec 
participe  du  même  verbe  ou  d'un  verbe  similaire.)  pp.  597-601.  — 
J.  F.  Bethune-Baker.  l'he  Date  of  the  Dealh  of  Nestorius  :  Schenute, 
Zacharias,  Evagrius.  (Nestorius  vivait  encore  à  l'époque  du  concile  de 
Chalcédoine.  Explication  du  récit  d'Évagrius  affirmant  le  contraire.) 
pp.  601-605. 

MIND.  Juil.  —  L.  J.  ^^ \uiY.K.  Martineau  and  the  Hwnanists.  (Le  but, 
la  méthode  et  les  principes  de  la  philosophie  morale  de  Martineau  sont 
analogues  à  ceux  de  l'épistémologie  pragmatiste.  Même  point  de  vue 
subjectif  et  psychologique,  même  relativisme,  même  affirmation  du  pri- 


RECENSION    DES    REVUES  845 

mat  de  la  volonté.  L'erreur  qui  leur  est  commune  est  la  méconnaissance 
du  rôle  de  l'objet  ;  les  difficultés  auxquelles  ils  se  heurtent  pourraient 
être  évitées  par  un  retour  aux  principes  essentiels  de  TAristotélisme.) 
pp.  305-320.  —  Léonard  J.  Russell.  Space  and  Mathematical  Reasoning. 
(Essaie  d'établir  que  l'espace  n'est  pas  une  chose,  mais  une  pure  forme, 
comme  le  nombre.  Critique  les  théories  des  Mathématiques  de  Poincaré 
et  Bertrand  Russell  et  défend  contre  eux  le  point  de  vue  kantien.)  pp. 
321-349.  —  Angelo  Crespi.  The  Frinciple  of  Causality  in  Italian  Scien- 
tific  Fhilosophy.  (Les  doctrines  épistémologiques  et  cosmologiques  d'Ar- 
digô  fournissent  l'explication  de  la  valeur  objective  du  principe  de  cau- 
salité que  l'on  chercherait  en  vain  chez  les  empiristes  anglais.  Cette 
valeur  est  fondée  sur  la  réalité  absolue  et  l'unité  primitive  de  l'expé- 
rience indifTérenciée  dont  le  moi  et  le  non-moi  ne  sont  que  des  aspects 
ultérieurs.)  pp.  350-338.  —  Helen  Wodehouse.  Judgment  and  Appré- 
hension. (Apporte  quelques  arguments  pour  prouver  l'identité  du  juge- 
ment et  de  l'appréhension.)  pp.  359-367.  —  Discussion.  A.  Sidgwick. 
«  The  Ambiguitij  of  Praginatism  ».  (Répond  aux  critiques  de  M.  Bradley 
sur  l'usage  du  concept  de  pratique  chez  les  pragmatistes  et  l'impossi- 
bilité 011  ils  sont  d'aboutir  à  un  critérium  satisfaisant  :  note  avec  plaisir 
quelques  concessions  de  sa  part.)  pp.  308-369.  —  F.  C.  S.  Schiller.  Is 
M^.  Bradley  becoming  a  Pragmatist  ?  (D'après  deux  récents  articles  de 
M.  Bradley,  caractérise  la  philosophie  de  ce  dernier  comme  un  singulier 
assemblage  d'absolutisme,  de  scepticisme  et  de  pragmatisme.)  pp.  370- 
383.  — E.  E.  C.  Jones.  Précise  and  Numerical  IdenliUj.  (Distingue  entre 
l'identité  précise  ou  identité  dans  la  qualité  et  l'identité  numérique  ou 
identité  dans  l'existence  ;  marque  les  conséquences  de  cette  distinction 
au  point  de  vue  de  l'affirmation  et  en  indique  l'utilité  pour  certaines 
controverses  actuelles.)  pp.  384-393.  —  J.  N.  Shearman.  Infinité  Divisi- 
bility.  (Ce  qui  est  infini  pour  le  mathématicien  est  fini  pour  le  métaphy- 
sicien; cette  considération  permet  de  résoudre  les  arguments  de  Zenon.) 
pp.  894-395. 

PRINCETON  THEOLOGÎCAL  REVIEW  (THE).  Juillet.  — G.  S.  Patïon, 
Beyond  Gond  and  Evil.  (Expose  comment  et  pourquoi  Nietzsche  a 
conquis  l'admiration  de  la  foule  avant  d'obtenir  l'attention  des  philo- 
sophes. S'attache  ensuite  à  établir  que  l'idée  centrale  de  sa  philosophie 
est  le  concept  de  valeur  et  que  son  objet  principal  est  une  transformation 
de  l'échelle  des  valeurs  humaines.)  pp.  392-436.  —  J.  Lindsay,  Psycho- 
logy  ofthe  Soûl.  (Plaidoyer  en  faveur  d'une  psychologie  spirituelle  et 
mystique  ayant  pour  objet  l'àme  dans  son  fond,  l'àme  considérée 
comme  sujet  de  l'action  divine  comme  investie  de  forces  divines.  Cette 
psychologie  supérieure  commencerait  là  où  finit  la  psychologie  philo- 
sophique.) pp.  437-454.  —  W.  M.  Mac  Pheeters,  The  Détermination  of 
Religious  Value  the  Ultimate  Problem  of  llie  Higher  Criticism.  (Définit 
la  Haute  Critique  :  La  science  des  procédés  à  l'aide  desquels  la  valeur 
religieuse  dun  livre  est  déterminée  sur  la  base  de  son  origine  et  de  sa 
forme,  ces  deux  problèmes  étant  eux-mêmes  déterminés  d'après  les 
caractéristiques  internes  :  littéraires,  historiques,  psychologiques,  doc- 
trinaux. Estime  que  c'est  par  ce  but  spécial,  la  détermination  de  la 


846       REvur.  DES  sciences  philosophiques  et  théologiques 

valeur  religieuse,  que  la  haute  critique  se  distingue  de  la  critique  litté- 
raire et  historique  et  de  l'introduction  spéciale.  D'ailleurs,  malgré  qu'ils 
ne  s'en  soient  pas  rendus  compte,  telle  est  bien  la  conception  que  sup- 
posent le  langage  et  les  recherches  des  critiques  depuis  oO  ans.  Examine 
ensuite  trois  difficultés  qu'on  peut  élever  contre  cette  manière  de  conce- 
voir la  haute  critique.  Spécifie  enfin  que  la  haute  critique  et  sa  base 
dernière,  l'évidence  interne,  n'est  pas  le  seul  mojen  de  déterminer  cette 
valeur.  Il  y  a  encore  la  tradition,  l'autorité.)  pp.  45o-478. 

QUESTIONS  ECCLÉSIASTIQUES  (LES).  Juillet.  —  J.  A.  Chollet. 
La  contribution  de  Voccultisme  à  V anthropologie  (suite).  (Parmi  les 
nombreux  profits  que  l'anthropologie  peut  tirer  de  l'occultisme,  il  en 
est  deux  importants  désormais  acquis:  «  le  premier...  est  une  mise  en 
relief  plus  puissant  de  l'étroite  solidarité  qui  unit  en  nous  le  psychique 
et  le  physique  »,  le  second  «est  la  découverte  dévastes  régions  occu- 
pées en  nous  par  l'inconscient.  »)  pp.  1-15.  —  H.  Goujon.  Idée  synthé- 
tique de  la  théologie  surnaturelle  (suite).  (Détermine  le  domaine  de  la 
science  théologique  ;  réfutation  des  erreurs  et  hérésies,  preuve  d'ana- 
logie, harmonie  des  mystères  entre  eux  et  avec  la  nature  humaine, 
preuves  de  convenance.)  pp.  16-29.  =  Août.  —  Ch.  de  Kirwan.  Le  moi 
et  le  sous-moi  ou  la  dissociation  psychologique.  (Examine,  à  la  suite  du 
D""  Surbled,  les  divers  cas  de  dissociation  de  la  conscience  consciente 
d'elle-même  _moi]  et  de  la  subconscience  sous-moi  .)  pp.  97-107.  — 
H  Goujon.  Idée  synthétique  de  la  théologie  surnaturelle  (suite).  (La  science 
théologique,  dans  son  origine  comme  dans  son  développement,  est  une 
œuvre  de  la  raison  et  de  la  foi  ;  elle  engendre  une  certitude  surnaturelle 
qui  lui  est  propre.)  pp.  108-119.  —  H.  Quilliet.  L'évolution  et  le  moder- 
nisme. L'évolution  vitale  et  la  hiérarchie.  (Expose  la  doctrine  catholique 
de  la  hiérarchie,  puis  la  doctrine  des  modernistes  snr  le  même  sujet 
d'après  les  documents  pontificaux.)  pp.  120-137.  =  Septembre.  — 
H.  Q\:\LL\F.J.  L'évolution  vitale  et  la  hiérarchie  (suite). (E.vpose  la  doctrine 
des  modernistes  sur  la  hiérarchie,  d'après  eux-mêmes,  et  en  fait  la 
critique.)  pp.  103-205.  — Ch.  de  Kirwan.  Le  moi  et  le  sous-moi  ou  la  dis- 
socia/ion psychologique  (Rn).  (Oppose  à  la  théorie  du  «système  poly- 
gonal »  du  D""  Grasset  la  théorie  édifiée  par  le  D""  Surbled  pour  expliquer 
les  cas  de  dissociation  psychologique,  théorie  basée  sur  les  rapports  du 
cerveau  et  du  cervelet.)  pp.  206-214.  —  H.  Goujon.  Idée  synthétique  de  la 
théologie  surnaturelle  (suite).  (Signale  l'importance  des  conclusions 
théologiques  et  précise  l'assentiment  qui  leur  est  dû.  Expose  ensuite  la 
nature,  les  caractères  et  la  méthode  de  la  théologie  spéculative,  de  la 
théologie  positive  et  de  l'apologétique.)  pp.  215-228. 

RAZON  Y  FE.  Juillet.  —  L.  Mlrillo.  El  mudcrnismo  y  la  critica  del 
Pentateuco.  (Analyse  et  réfute  les  affirmations  contenues  dans  le  Pro- 
gramma- Riposta  des  modernistes  sur  l'authenticité  du  Pentateuque.) 
pp.  277-289.:=  Septembre.  E.  Ugarte  de  Ercilla.  Tronco  de  la  filosofîa 
modernis/a  (suite).  Étudie  le  processus  des  erreurs  modernistes  en 
psychologie.)  pp.  42-59. 


RECENSION    DES     REVUES  847 

REVUE  AUGUSTINIENNE.  15  Juillet.  —  Pl.  Anciaux.  Uinlenlion  requise 
pour  recevoir  validement  un  sacrement.  (La  volonlé  interne,  dans  le  sujet, 
de  recevoir  le  rite  sacré,  reste  de  rigueur  pour  la  validité  du  sacrement.) 
pp.  5-11.  —  M.  DÉMERY.  La  conversion.  (Conclusion  :  La  conversion  est 
un  acte  intelligible  produit  par  l'action  de  Dieu,  mais  qui  ne  violente  en 
rien  la  nature  ou  les  facultés  de  l'homme.  Dans  son  essence,  c'est  une 
affaire  d'intelligence  et  de  volonté  ;  es  émotions  n'y  entrent  que 
comme  des  éléments  secondaires  pour  soutenir  et  fortifier  l'action  de  la 
volonté.)  pp.  12-3.5.  =  15  Août.  —  S.  Crèteur.  Notre  connaissance  de 
Vêtre  matériel  et  singulier.  (Si  nous  avons  un  concept  abstrait,  nous 
possédons  les  éléments  d'un  jugement  portant  sur  la  réalité.  Il  suffit 
de  revenir  par  voie  de  réflexion  sur  ce  concept  pour  prononcer  ce 
jugement.  Ainsi  tombe  l'opposition  exagérée  que  l'on  tendrait  à  main- 
tenir dans  l'ordre  de  la  connaissance  entre  l'esprit  et  l'être  matériel 
ou  singulier.)  pp.  14o-16o. 

RE"VUE  BÉNÉDICTINE.  Juillet.  —  E.  Flicoteaux.  Un  problème  de 
littérature  liturgique.  Les  «  Eclogae  de  officîo  missae  »  d'Amalaire.  (u  Les 
Eclogae  ne  sont  pas  sorties  des  mains  d'Amalaire  telles  que  nous  les 
avons  aujourd'hui  ;  elles  ne  sont  qu'une  compilation  faite  postérieu- 
rement à  Amalaire,  et  composée  d'extraits  de  VFxpositio  missae  en  deux 
parties,  écrite  vers  814,  adressée  à  Pierre  de  Nonantola,  et  dont  nous 
avons  encore  quelques  fragments  dans  le  mss.  102  de  la  bibliothèque 
de  Zurich.  »)  pp.  304-3-20.  —  D.  LT.  Berlière.  7Vo?s  traités  inédits  sur  les 
Flagellants  de  1349.  (^Texte  de  trois  traités  contenus  dans  le  mss.  64 
de  l'hôpital  de  Gués.  Le  premier,  contre  les  Flagellants,  est  de  Gilles 
van  der  Hoye  (de  FenoJ,  doyen  de  N.-D.  à  Courtrai  ;  le  second,  en 
faveur  des  mêmes,  a  pour  auteur  Alard  de  Denterghem,  prévôt  de 
St-Martin  à  Ypres;  le  troisième,  contre  les  Flagellants,  est  d'un  ano- 
nyme.) pp.  334-357. —  D  D.  De  Bruyne.  Une  lecture  liturgique  empruntée 
au  quatrième  Uvre  d'Fsdras.  (Le  missel  contenu  dans  le  mss.  B  63  de 
la  Vallicelliana  contient  une  épître  empruntée  à  IV  Esd.,  ii,  42-48, 
preuve  que  ce  livre  était  regardé  comme  canonique.  Le  texte  appartient 
à  la  recension  espagnole  avec  des  leçons  spéciales.)  pp.  358-360.  — 
D.  A.  WiLMART.  La  question  du  Pape  Libère.  (Se  rallie  à  la  conclusion 
de  Mgr  Duchesne  {Mélanges  d'archéologie  et  d^ histoire.,  t.  XXVIII,  1908.) 
Les  quatre  lettres  de  Libère  sont  authentiques,  la  première  Sfudens 
paci,  serait  de  356  ;  Libère  aurait  donc  faibli  en  exil.)  pp.  360-367. 

REVUE  BIBLIQUE.  Juillet.  —  M.  J.  Lagrange,  Les  nouveaux  papyrus 
d'Éléphantine.  (Texte,  traduction  des  trois  papyrus  araméens  faisant 
partie  d'un  lot  de  manuscrits  trouvé  récemment  à  Éléphantine  par 
M.  Rubensohn,et  publiés  pour  la  première  fois  par  M.  Sachau.  Notes  sur 
leur  écriture,  leur  langue  et  aperçus  historiques.)  pp.  325-349.  —  M.  J. 
Lagrange,  Le  Règne  de  Dieu  dans  le  Judaïsme.  (Expose  d'abord  la 
conception  du  règne  de  Dieu  dans  les  écrits  pharisaïques,  livre  des 
Jubilés,  Psaumes  de  Salomon,  dans  la  littérature  rabbinique.  Étudie 
ensuite  sous  ce  titre  :  Règne  de  Dieu  dans  le  judaïsme  les  idées  expri- 
mées dans  les  Livres  sibyllins,  dans  Ilénoch  et  dans  l'Assomption  de 


848         REVUE    DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

Moïse.  Il  est  remarquable  que  les  écrits  pharisaïques  et  les  apocalypses 
se  rencontrent  dans  la  même  conception  essentielle  du  règne  de  Dieu. 
Les  divergences  se  produisent  touchant  la  nature  précise  de  ce  règne 
attendu  et  le  mode  de  son  établissement.)  pp.  350-366.  —  H.  Vincent, 
La  troisième  enceinte  de  Jérusalem  (suite^.  (Continue  l'enquête  com- 
mencée dans  le  n°  précédent  par  l'examen  des  données  plus  directe- 
ment relatives  au  parcours  de  la  troisième  enceinte  que  Josèphe  fournit 
incidemment.  Aboutit  au  tracé  suivant  :  De  l'angle  nord-est  du  Temple 
à  la  tour  angulaire  voisine  du  monument  du  Foulon  ;  de  cette  tour 
angulaire  nord-est  à  la  tour  Pséphina  qui  est  à  l'angle  nord-ouest  ;  de 
la  tour  Pséphina  à  la  tour  Hippicus,  au  milieu  du  mur  occcidental  actuel. 
Comme  moyens  de  préciser  le  développement  de  l'enceinte  vers  le  nord, 
Josèphe  fournit  l'indication  de  la  distance  entre  l'enceinte  et  le  Scopus, 
entre  l'enceinte  et  le  tombeau  des  princes  d'Adiabène.)  pp.  367-381.  — 
H.  Vincent,  Amulette  judéo-araméenne .  (Étude  sur  une  amulette  trouvée 
en  1896  à  Amwàs,  portant  des  figures  et  un  texte.)  pp.  382-394. 

REVUE  DU  CLERGÉ  FRANÇAIS.  1*^'  Juillet.  —  L.-Cl.  Fillion.  Ce  que  les 
rationalistes  daignent  nous  laisser  de  la  vie  de  Jésus.  (Les  «  théologiens 
modernes  »  prétendent  que  le  tableau  de  la  vie  de  Jésus  fut  tracé  dès  le 
début  au  point  de  vue  de  la  foi,  et  non  pas  à  celui  de  la  fidélité 
hislorique.)  pp.  5-23.  —  V.  L.  Bernies.  Dieu  est-il?  Éiude  critique  sur 
lavaleur  de  la  démonstralion.(Le  positivisme  récuse  le  processus  rationnel, 
le  criticisme  et  les  écoles  plus  ou  moins  apparentées  avec  lui,  comme  le 
dogmatisme  moral,  l'immanentisme,  le  pragmatisme,  s'élèvent  contre  le 
processus  purement  intellectuel,  dit  intellectualisme.  Criticistes  et  posi- 
tivistes ont  également  tort.  Ils  mutilent  l'âme.)  pp.  24-59.  —  A.  Boudinhon. 
Les  origines  de  l'Élévation.  (Histoire  du  mouvement  qui  al)Outit  à  la 
pratique  de  l'hostie  montrée  à  l'assistance.)  pp.  60-70.  =  15  Juillet.  — 
E.  Baudin.  Le  droit  de  propriété  dans  le  Nouveau  Testament.  (Il  ne  faut 
pas  demander  à  l'enseignement  de  Jésus  une  condamnation  ou  une 
consécration  quelconque  d'une  forme  de  la  propriété,  mais  seulement 
une  doctrine  morale  et  religieuse  sur  l'usage  de  la  propriété  et  sur  la 
vocation  providentielle  des  biens  de  ce  monde.  Il  ne  faut  pas  davantage 
chercher  dans  l'Évangile  la  doctrine  de  l'universalisation  ou  de  la  per- 
pétuité du  paupérisme.  S.  Paul  continue  et  précise  les  enseignements 
de  Jésus  sur  la  propriété.)  pp.  130-158.  —  A.  Boudinhon.  Les  angines  de 
VÉlévalion.  (Origine  historique  de  la  pratique  des  fidèles  de  regarder 
l'hostie.)  pp.  158-169.  =  1*""  Août. —  L.-Cl.  Fillion.  Ce  que  les  rationalistes 
daignent  nous  laisser  de  la  vie  de  Jésus  suite).  (Expose  tout  ce  que  les 
critiques  rationalistes  voudraient  supprimer  dans  les  Évangiles  en  vertu 
de  leurs  divers  principes.)  pp.  257-283.  —  L.  Palfray.  Science  et  foi. 
(Le  devoir  des  catholiques  est  de  faire  un  vigoureux  effort  pour  prendre 
la  tête  du  mouvement  scientifique.)  pp.  284-293.  =  15  Août.  —  A.Villien. 
Histoire  des  Commandements  de  l'Eglise.  Sixième  Commandement.  (Ce 
précepte,  très  développé  à  l'origine,  n'a  fait  que  se  restreindre  et  se 
réduire  à  sa  f)lus  simple  expression.)  pp.  403-418.  —  V.  L.  Bbrnies. 
Dieu  est-il  ?  Elude  critique  sur  la  valeur  de  la  démonstration.  (Critique  les 
principales  thèses  du  matérialisme  et  du  panthéisme.)  pp.  419-439.  = 


RECENSION     DES     REVUES  849 

l'^'Sept.  — P.  Batiffol.  Nouvelles  études  documentaires  sur  la  sainte 
Eudtarisiie.  (Analyse  criti  ^ue  du  livre  de  M.  Rauschen  :  Eucharistie  und 
Busssakrameni  in  den  erslen  secJis  Jahrhunderten  der  Kirche.  Freiburg, 
Herder,  1908.)  pp.  513-548.  =5  Sept.  —  L.  Ci.  Fillion.  Ce  que  les  ra- 
tionalistes daignent  nous  laisser  de  la  vie  de  Jésus.  (Montre  que  l'école 
libérale  abuse  de  l'a  priori  philosophique,  et  que  la  méthode  (|u'elle 
emploie  n'a  de  critique  et  de  scientifique  que  l'étiquette.)  pp.  641-66o. 
—  V.  L.  Bernies.  Dieu  est-il  ?  Etude  critique  sur  la  valeur  de  la  démons- 
tration. (Prouve  que  le  panthéisme  statique  ou  dynamique  est  une 
doctrine  philosophiquement,  théologiquement,  moralement  irrece- 
vable.) pp.  688-716. 

REVUE  D'HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE.  Juillet.  —  J.  Flamion.  Les 
actes  apocryphes  de  Pierre  (suite  —  à  suivre).  (Les  actes  apocryphes  des 
Apôtres  appartiennent  au  genre  littéraire  appelé  «  roman  grec  >,  comme 
le  prouvent  :  la  matière  mise  en  œuvre  :  les  prodiges  et  les  morceaux  de 
rhétorique,  les  procédés  littéraires  :  organisation  simpliste  et  caractère 
abstrait  des  personnages.)  pp.  465-490.  —  J.  Lebon.  lYotes  sur  Christian 
de  Stavelot,  (Quelques  preuves  en  faveur  de  l'authenticité  des  ouvrages 
attribués  à  Christian.  —  Il  n'a  pas  professé  comme  le  croit  Diimmler, 
«  la  conception  protestante  d'une  présence  et  d'une  perception  spiri- 
tuelles du  corps  et  du  sang  du  Seigneur  dans  l'Eucharistie  ».)  pp.  491- 
496.  —  L.  Salembier.  A  propos  du  grand  schisme  d'Occident.  (Indication 
de  diverses  sources  (Archives  vaticanes,  bibliothèque  nationale,  etc.)  de 
l'histoire  du  grand  schisme  encore  inexplorées.)  pp.  497-505. 

REVUE  DE   L'INSTITUT  CATHOLIQUE  DE  PARIS.  Juillet-Août.  — 

Cl.  Piat.  Méthodologie,  d'après  Bacon  et  Descartes  (2«  art.)  (Conclusion  : 
«  Bacon  et  Descartes  rejettent  à  l'unisson  et  le  syllogisme  et  l'autorité  ; 
en  matière  de  science,  ils  se  prononcent  nettement  pour  la  méthode 
immanente,  celle  qui  se  borne  à  l'étude  directe  et  indépendante  de 
l'objet.  De  plus,  ils  représentent  l'un  et  l'autre...  un  retour  fervent  et 
résolu  à  l'observation  des  faits  :  l'enquête  pour  eux  n'est  point  close  ; 
elle  est,  au  contraire,  à  recommencer.  Et  cette  enquête,  ils  la  poursui- 
vent l'un  et  l'autre  par  deux  moyens  à  la  fois,  le  sens  et  la  raison...  » 
Mais  «  Bacon  se  fie  surtout  aux  sens,  Descartes  presque  uniquement  à 
la  raison...  )>)  pp.  308-324.  —  L.  Cl.  Fillion.  Le  Folklore  et  VAncien 
Testament.  (Compte-rendu  de  l'ouvrage  de  M.  Oskar  Dahnliardt:  Natur- 
sdgen,  eine  Sammlung  nalurdeutender  Sagen,  Màrchen,  Fabeln  und 
Legenden.  /"  B.  Sagen  zum  Allen  Testament.  Leipzig,  Teubner.  1907.) 
pp.  325-344. 

REVUE  DE  MÉTAPHYSIQUE   ET  DE  MORALE.  Juillet.  -  R.   Ber- 

THELOT.  Sur  le  Pragmatisme  de  Nietzsche.  (Exposé  du  pragmatisme  de 
Nietzsche.  Ses  origines  :  influence  des  Romantiques  et  des  philosophies 
utilitaristes.)  pp.  403-447.  —  L.  Vialleton.  La  loi  biogénétique  fonda- 
mentale de  Haeckel.  (Résumé  de  conférences  données  à  la  Faculté  des 
lettres  de  Montpellier  et  publiées  sous  le  titre  Un  problème  de  l'Evolu- 
tion, in-8°,  Contet  et  fils,  Montpellier.  —   Explication  de  la  loi   biogé- 


8o0         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

nélique.  Difficultés  soulevées  contre  elle,  en  particulier  par  Oscar  Hert- 
wig  )  pp.  448-463.  —  J.  Dagxan-Bouveret.  L'Aphasie  et  les  locali- 
sations cérébrales.  (Historique  de  la  question  depuis  Gall  et  Bouillaud 
jusqu'aux  «  remarquables  travaux  »  de  M.  Pierre  Marie.  Points  de 
psychologie  et  de  méthode  que  ceux-ci  mettent  en  lumière.)  pp.  466-491. 
—  G.  MiLHAUD.  La  philosophie  de  Newton,  par  M.  L.  Bloch.  (Analyse  et 
critique.  M.  Bloch  tend  à  exagérer  la  portée  des  travaux  de  Ps'ewton, 
aux  dépens  du  Cartésianisme.)  pp.  492-506.  =:  Septembre.  —  Études 
sur  le  mouvement  philosophique  contemporain  à  l'étranger.  Allemagne  : 
M.  J.  Benrubi.  pp.  347-382.  —  Angleterre  :  M.  J.-S.  Mackenzie.  pp.  383- 
606.  —  htats-Unis  :  F.  Thilly.  pp.  607-634.  —  Italie:  G.  Amendola. 
pp.  633-663.  —  Scandinavie  :  H.  Hôffding.  pp.  666-673.  —  Sud-Amé- 
rique :  F.-G.  Calderon.  pp.  674-681. 

REVUE  NÉO  -  se OL ASTIQUE.  Août.  —  Cl.  Piat.  L'expérience  du 
Divin.  (Il  y  a  un  fond  de  relativisme  intellectuel  dans  la  pensée  des 
intuitionnistes  :  ils  se  sont  réfugiés  au  dedans,  parce  qu'ils  ont  cru  que 
le  dehors  était  à  jamais  inaccessible.  C'est  là  un  vice  radical  qui 
compromet  tout,  jusqu'à  leurs  propres  théories.)  pp.  345-367.  —  M.  De 
WuLF.  Le  mouvement  philosophique  en  Belgique.  (Retrace  l'histoire  de 
la  philosophie  en  Belgique  depuis  le  X'  siècle  jusqu'en  1423.)  pp.  368- 
388.  —  A.  Gemelli.  Le  fondement  biologique  de  la  psijchologie.  (La 
biologie  a  procuré  des  avantages  incontestables  à  la  psychologie  en 
étudiant  les  éléments  concomitants  et  les  coefficients  de  l'activité 
psychique,  et  surtout  en  fixant  les  méthodes  de  recherche  expérimen- 
tale pour  étudier  et  décrire  les  phénomènes  de  l'activité  psychique  ; 
mais  d'un  autre  côté,  elle  lui  a  manifestement  nui  en  prétendant 
renfermer  dans  le  domaine  des  manifestations  delà  vie  organique,  celui 
des  manifestations  de  la  vie  psychique.  La  biologie  est  distincte  de  la 
psychologie  par  l'objet  et  la  méthode.)  pp.  389-409. 

REVUE  DE  L'ORIENT  CHRÉTIEN.  2.  —  F.  Xau.  Le  calendrier 
d'Aboul-Barakat,  traduit  en  latin  par  Renaudot.  (Ce  calendrier  a  été 
compilé  à  la  fin  du  XIII"  ou  au  commencement  du  XIV«  siècle.  Il  est  par 
conséquent  antérieur  aux  synaxaires  de  Michel,  évéque  de  Malig  (vers 
423.)  pp.  113-133.  —  F.  Nau.  Un  extrait  de  la  Didascalie  :  La  prière  de 
Manassé  (avec  une  édition  de  la  version  syriaque).  (  «  Nous  tenons  pour 
l'instant  que  la  prière  de  Manassé  a  paru  pour  la  première  fois  dans  la 
Didascalie  (grecque,  dont  le  texte  est  aujourd'hui  perdu),  et  qu'elle  a 
rayonné  de  là  dans  toutes  les  littératures.»)  pp.  134-141.  — 
F.  TouRNEBiZE.  Élude  sur  la  conversion  de  V Arménie  au  Christianisme 
(suite  et  fin).  (Housig  et  Nersès,  le  réorganisaleiir  de  l'Église  armé- 
nienne :  tentative  de  schisme  par  Bab.)  pp.  142-163.  —  S.  Vailhé.  Saint 
Euthyme  le  Grand,  moine  de  Palestine  (suite—  à  suivre).  (Gliapitre  III: 
Fondations  monastiques  de  saint  Euthyme.)  pp.  181-191. 

REVUE  DE  PHILOSOPHIE,  l-^'  Juillet.  —  Abbé  Gayraud.  Les  vieilles 
preuves  de  l'existence  de  Dieu.  I.  —  (Réponse  aux  objections  formulées 
sur  ce  point  par  M.  Le  Roy.  Dans  les  vieilles  preuves,  le  médium  de 


RECENSION     DES     REVUES  831 

démonstration  n'est  pas  lié  essentiellement  aux  parties  caduques  de 
l'ancienne  philosophie  naturelle.  —  Dans  sa  critique  de  la  preuve  du  1" 
moteur,  M.  Le  Roy  défigure  la  notion  aristotélicienne  du  mouvement  ; 
quoi  qu'il  en  dise  :  «  le  mouvement  ne  se  conçoit  pas  sans  rien  qui  se 
meuve,  sans  un  sujet,  une  matière,  un  «  quelque  chose  »  en  mouve- 
ment. »  Pour  le  nier,  on  ne  saurait  invoquer  «  la  science,  qui  n'a  pas  à 
se  prononcer  sur  la  réalité  ou  l'irréalité  de  ce  qui  se  trouve  hors  du 
champ  de  l'observation  et  de  l'expérimentation  et  qui  ne  relève  que  de 
la  métaphysique.  »)  pp  3-25.  —  P.-J.  Cuchiî.  Le  procès  de  Vabsohi  (fin). 
(L'auteur  étudie  cette  fois  l'absolu  mental  dans  sa  valeur  représentative, 
tel  qu'il  se  manifeste  dans  l'idée  et  surtout  dans  le  jugement  universel; 
si  le  jugement  contient  l'universalité  ;  celle-ci  est  donc  impliquée  dans 
le  concept  ou  idée.  Critique  des  positivistes  et  associationnistes  sur  la 
formation  et  la  valeur  de  l'universel.  Les  antimétaphysiciens  condam- 
nent les  idées  universelles  au  nom  d'idées  universelles,  les  jugements 
absolus  au  nom  d'autres  jugements  absolus  ;  c'est  donc  que  le  mode  de 
penser  absolu  et  métaphysique  s'impose  à  l'esprit  humain.)  pp.  26-43. 

—  A.  Valensun.  La  théorie  de  V expérience  d'après  Kant.  (Exposé  et  para- 
phrase du  système  kantien  sur  la  détermination  du  concept  de  catégorie, 
la  déduction  métaphysique  des  catégories,  la  déduction  transcendanlale 
à  ses  trois  degrés,  le  schématisme.)  pp.  4.3-"7,  —  R.  Turro.  Psychologie 
de  l'équilibre  du  corps  humain  (fin).  («  Quoique  le  corps  humain  soit  une 
véritable  machine,  il  faut  qualifier  de  volontaires  ceux  d'entre  les  mou- 
vements qui  sont  adaptés  à  une  fin  prévue,  car  leur  mécanisme  est 
préétabli  par  un  principe  psychique  supérieur  en  agissant  sur  les 
différentes  pièces  de  la  machine.»)  pp. 58-72. ^l^'' Août. — A.  Bouyssonie. 
De  la  réduction  à  l'unité  des  principes  de  la  raison.  (On  ne  peut  réduire 
le  principe  de  raison  suffisante  au  principe  d'identité,  ce  dernier  n'est 
pas  le  principe  suprême;  il  y  a  trois  principes  premiers  irréductibles. 
Il  n'y  a  pas  contradiction  mais  seulement  inintelligibilité  à  nier  le  prin- 
cipe de  raison  suffisante,  parce  qu'il  exprime  une  relation  et  non  une 
identité.  Il  n'est  pas  analytique,  mais  synthétique  a  priori.)  pp.  107-122. 

—  Abbé  Gayraud.  Les  vieilles  preuves  de  l'existence  de  Dieu  II.  —  (Les 
objections  faites  par  M.  Le  Roy  contre  l'argument  de  la  cause  première 
et  l'argument  des  causes  finales,  procèdent  de  son  monisme  phénomé- 
nisle  qui,  selon  lui,  serait  seul  d'accord  avec  la  ><  science  ».  La  science 
qui  n'atteint  l'être  que  dans  sa  superficie  phénoménale  n'a  aucun  droit 
de  contredire  les  affirmations  de  la  raison  qui  pénètre  plus  avant  et  se 
livre  à  ses  recherches  philosophiques.  S.  Thomas  ne  fait  pas  intervenir 
subrepticement  dans  ces  preuves  l'argument  ontologique.)  pp.  123-142. 

—  P.  DuHEM.  Le  mouvement  absolu  et  le  mouvement  relatif.  fXVI.  L'in- 
fluence parisienne  h  l'École  de  Padoue  :  Paul  Nicoletli  de  Venise  ;  Gaétan 
de  Tiène.)  pp.  143-165.  =  l^'^  Septembre.  —  Mgr  Le  Roy.  Chez  les  Pri- 
mitifs africains  (l^""  Art.)  (Étudie  les  croyances  des  indigènes  sur  l'âme 
humaine,  la  mort,  les  mânes.)  pp.  223-240.  —  Séraphin  Belmond.  L'exis- 
tence de  Dieu  d'après  Duns  Scot  (1"  Art.)  (Pour  Scot,  il  est  nécessaire 
de  démontrer  cette  proposition  «  Dieu  existe  »,  car  elle  n'est  évidente 
ni  quoad  7ios,  ni  même  quoad  se.  Cette  démonstration  ne  peut  être 
qu'une  démonstration  a  posteriori.   Elle  remonte  de  l'effet  à  la  cause 


852         REVUK    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

première  par  la  série  des  causes  essentiellement  subordonnées,  c'est-à- 
dire  des  causes  opérant  simultanément.  Si  l'on  remonte  dans  le  passé 
la  série  des  causes  accidentellement  subordonnées  (père,  aïeul,  bisaïeul, 
etc.),  il  faut,  à  un  moment  donné,  sortir  de  la  série  de  ces  causes  de 
même  nature,  toutes  contingentes  par  conséquent,  et  s'élever  à  une 
cause  d'un  autre  ordre,  affranchie  de  toute  dépendance,  transcendante.) 
pp.  240-268.  —  P.  Chovet.  Les  principes  de  la  raison  sont-ils  réductibles 
à  lunité.  (Réponse  à  M.  Bouyssonie.  Le  principe  de  raison  suffisante  et 
le  principe  de  causalité  se  rattachent  au  principe  d'identité  ;  «  l'idée  du 
néant,  produisant  l'être  ou  devenant  l'être,  est  contradictoire.  Rien 
égalera  toujours  rien,  et  ceci  n'est  encore  autre  chose  que  le  principe 
d'identité.  «  La  vieille  doctrine  scolastique  a  ainsi  l'avantage  de  ramener 
tout  le  problème  de  l'origine  des  idées  à  l'acquisition  de  la  seule  idée 
d'être...  il  suffit,  en  efîet,  de  comprendre  le  sens  «  de  ce  petit  mot  «  est  » 
pour  en  voir  sortir  aussitôt  tous  les  premiers  principes.  »)  pp.  269-274. 

—  P.  Dlhem.  Le  mouvement  absolu  et  le  mouvement  relatif  (10*"  art.) 
(XYIL  La  philosophie  réactionnaire  de  l'École  de  Padoue.  Les  huma- 
nistes, Giorgio  Valla. —  XVIII.  Les  Averroïsles,  Agostino  Nifo.)  pp.  273- 
287.  —  P.-J.  CucHE.  Les  deux  aspects  de  Vimmanence  et  le  problème  reli- 
gieux. (Analyse  critique  du  livre  de  M.  Éd.  Thamiry,  portant  ce  titre.) 
pp.  288-302.^ 

REVUE  PHILOSOPHIQUE.  Juillet.  —  L.  Weber.  La  finalité  en  biolo- 
gie et  son  fondement  mécanique.  («  Nous  ne  croyons  plus  aux  causes 
finales,  c'est-à-dire  à  la  causalité  d'idées  causatrices  et  directrices. 
Néanmoins...  nous  ne  pouvons  interpréter  les  faits  biologiques  qu'en 
fonction  d'idées  finalistes.  Pour  rendre  compte  de  celle  apparence... 
nous  ne  disposons  que  de  deux  principes,  la  sélection  naturelle,  et  l'a- 
daptation fonctionnelle,  au  sens  lamarkien.  La  sélection  agit,  sans  doute  : 
elle  achève  les  ébauches  d'adaptation,  elle  ne  les  commence  pas.  Quant 
au  principe  lamarkien,  il  convient  de  l'accepter  dans  un  sens  physique  ; 
dès  qu'on  le  rattache  à  des  hypothèses  psychologiques,  à  des  notions 
d'effort,  de  tendances  au  mieux,  etc.,  on  sort  de  la  science  positive.  ») 
pp.  1-22.  — G.  Rageot.  Le  problème  expérimental  du  temps.  (Ce  n'est  ni 
à  la  métaphysique  ni  à  la  science,  mais  seulement  à  la  psychologie  qu'il 
appartient  d'aborder  le  problème  du  tetnps.  Les  formes  primitives  de 
la  durée  apparaissent  dans  la  conscience  élémentaire  (sensations  viscé- 
rales et  musculaires).  La  notion  des  changements  extérieurs,  compa- 
rés avec  les  nôtres,  nous  permet  d'abstraire  l'idée  même  du  temps, 
c'est-à-dire  d'un  «  changeant  rythmique  en  général  et  régulier.  ») 
pp.  23-47.  —  M.  Mauss.  L'art  et  le  mythe  d'après  Wundt  (Analyse  et 
critique  du  livre  de  Wundt  :  Mythus  und  Religion.)  pp.  48-78    =   Août- 

—  A.  Fouillée.  La  volonté  de  conscience  comme  base  philosophique  de  la 
morale.  (La  «  volonté  de  conscience  »  est  le  principe  philosophique  de 
la  théorie  des  idées-forces  :  tout  être  doué  de  vouloir  veut  être  aussi 
conscient  que  possible  ;  il  veut  la  plénitude  de  la  pensée,  du  sentiment, 
de  l'action.  Cette  mutuelle  implication  entraîne  la  loi  des  idées-forces, 
où  représentations,  émotions  et  appétitions  sont  posées  comme  insépa- 
rables, si  bien  qu'une  idée  complète  enveloppe  sentiment  et  impulsion. 


RECESSION     DES     REVUES  853 

La  «  volonté  de  conscience  »  est  le  principe  de  la  philosophie  morale  ; 
lu  morale  en  effet  est  la  volonté  de  conscience  devenant  pratique  et 
trouvant  en  soi,  avec  son  propre  but,  sa  propre  règle  d'action  :  prendre 
de  plus  en  pins  conscience  de  tous  les  autres  comme  de  soi-même  et 
devenir  ainsi  volonté  de  conscience  universelle.)  pp.  113-137.  —  M.  Mil- 
LiouD.  La  formalion  de  l'idéal.  (Il  y  a  trois  étapes  dans  la  formation  de 
tout  idéal  :  l'élaboration  d'une  image,  l'extériorisation  de  cette  image 
et  l'action  en  retour  que  cette  image  exerce  sur  l'homme.  L'auteur 
étudie  successivement  les  divergences  entre  l'idéal  individuel  et  l'idéal 
collectif,  ce  que  l'idéal  reçoit  de  nous,  son  extériorisation,  sa  nécessité 
pour  le  développement  de  la  vie  morale.)  pp.  138-159.  —  Oh.  Richet. 
La  guerre  et  la  paix  au  j) oint  de  vue  philosophique  (Le  pacifisme  peut 
s'accorder  avec  la  morale  la  plus  rigoureuse  et  être  défendu  par  une 
argumentation  rationnelle,  tel  ce  dilemme  :  après  une  guerre,  le  traité 
de  paix  qui  sera  conclu  sera  conforme  au  droit  ou  non.  Si  oui,  le  litige 
aurait  été  certainement  résolu  dans  le  même  sens  par  un  tribunal 
d'arbitrage  équitable.  Si  non,  ce  traité  est  brutal,  violent,  inique,  et 
c'est  un  mal  pour  les  deux  pays  et  pour  le  monde  entier.  Réfutation  des 
principales  objections  des  bellicistes.)  pp.  160-172.  =  Septembre.  — 
A.  ScHiNZ.  A  nli- Pragmatisme .  L.  Pragmatisme  et  modernisme.  (Le  prag- 
matisme est  avant  tout  le  produit  d'un  tempérament.  C'est  au  sein  du 
peuple  américain  qui  est  sans  traditions  dans  le  passé  et  dont  le  tem- 
pérament est  tourné  vers  l'action  et  les  résultats  pratiques,  que  devait 
fleurir  la  philosophie  pragmatiste.  Ailleurs,  par  ex.  en  Angleterre,  le 
courant  de  la  tradition  de  la  spéculation  pour  elle-même  rend  moins 
facile  la  diffusion  du  pragmatisme  ;  à  plus  forte  raison  dans  les  autres 
pays  d'Europe.  L'auteur  étudie  le  rapport  du  pragmatisme  et  des  idées 
religieuses,  particulièrement  en  Amérique  où  a  religion  est  reconnue 
comme  facteur  social  nécessaire,  m.oins  pour  ses  dogmes  que  pour  son 
utilité  comme  maintien  des  idées  morales.)  pp.  2:2o-2oo.  —  D''  Jajmkele- 
ynCH.  Du  rôle  des  idées  dans  l'évolution  des  sociétés.  (Deux  catégories 
de  facteurs  composent  une  civilisation  donnée  :  les  facteurs  matériels 
(richesses,  conditions  extérieures  de  l'augmentation  du  bien-être)  et 
les  facteurs  immatériels  ou  idéologiques  (richesses  des  idées  de  toutes 
sortes,  complication  des  sentiments  dans  leurs  manifestations  sociales, 
etc.)  Les  facteurs  idéologiques  ont  une  place,  sinon  prépondérante,  du 
moins  importante,  dans  l'évolution  d'une  civilisation.  Cette  évolution 
est  proportionnelle  aux  idées  et  aux  principes  qui  existent  dans  le 
groupe  social,  à  la  conscience  qu'il  en  prend  et  aux  conséquences  qu'il 
sait  en  tirer.  La  continuité  de  «  l'élan  social  «  est  assurée  par  des  indi- 
vidualités marquantes  dont  le  rôle  consiste  à  opposer  Vidée  au  fait.) 
pp.  2.36-280. 

REVUE  PRATIQUE  D'APOLOGÉTIQUE.  1"  Juillet.    —  J.  Baylac.  Le 

modernisme  et  ses  origines  philosophiques.  (Le  modernisme  est  une  for- 
me de  rationalisme,  un  abus  ou  un  mauvais  usage  de  la  raison.  Le 
modernisme  ne  diffère  pas  essentiellement  du  kantisme.)  pp.  481-300. 
—  A.  Hamoîsî.  Mysticisme  et  Subconscience.  (La  subconscience  n'est  pas 
une  explication  suffisante  de  tous  les   phénomènes   mystiques,  on    n'a 

Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N"  4.  55 


854         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

pas  prouvé  qu'il  u'y  eût  rien  de  surnaturel  dans  le  mysticisme  chrétien.) 
pp.  501-514.  — G.  MiCHELET.  Une  récente  théorie  française  sur  la  religion. 
(Relève  les  apriorismes  dans  l'inlerprétation  sociologique  delà  religion. 
Ni  le  fait  du  totémisme,  ni  celui  de  l'obligation  pour  les  fidèles  de  croire 
aux  vérités  religieuses  acceptées  par  leur  groupe  ne  suffisent  à  démon- 
trer l'origine  sociale  de  la  religion.)  pp.  515-528.  =  16  Juillet.  —  Mgr 
Douais.  La  cour  séculière  juge  et  non  bourreau.  (La  théorie  du  bras  sécu- 
lier bourreau  est  en  contradiction  avec  l'esprit  et  la  législation  de  l'É- 
glise, et  aussi  avec  l'application.)  pp.  561-576.  —  Cl.  Piat.  De  l'expé- 
rience avant  Bacon.  (Trois  courants  se  dessinent  à  partir  duXllI*'  siècle  : 
le  courant  de  la  science,  celui  de  l'art  et  celui  de  la  philosophie.  Or, 
aucun  d'eux  ne  demeure  étranger  à  l'expérience,  et  dans  les  deux  pre- 
miers, on  a  préparé  et  parfois  même  dépassé  l'esprit  et  les  règles  de  la 
méthode  Baconienne.)  pp.  577-594.  r=  l'^'  Août.  —  J.  V.  Bainvel.  Un  essai 
de  systématisation  apologétique.  (Examen  critique  du  jugement  porté 
par  le  P.  Garueil  {La  crédibilité  et  T Apologétique)  sur  l'Apologétique 
subjective,  morale  et  fidéiste.)  pp.  641-659.  =  5  Août.  —  A.  Moulard. 
Le  catholique  et  la  question  dn  pouvoir  coercitif  de  V Église.  (L'Église 
n'a  jamais  cessé  de  revendiquer  comme  un  droit  le  pouvoir  coercitif, 
mais  un  catholique  peut  en  toute  sûreté  de  conscience  se  déclarer  pour 
la  réduction  de  ce  pouvoir  à  la  contrainte  morale.  En  faisant  appel  au 
bras  séculier,  le  catholique  doit  reconnaître  que  l'Église  a  défendu  ses 
droits  les  plus  légitimes  et  ceux  de  l'État.)  pp.  721-736.  =  1*^'  Sept.  — 
J.  Legendre.  La  science  et  la  Religion  d'après  un  livre  récent.  (Détermine 
dans  quelle  mesure  l'ouvrage  de  M.  Boutroux  (Science  et  religion),  peut 
servir  à  l'apologétique  catholique.)  pp.  803-814.  —  P.  Cruveilhier.  Un 
nouveau  recul  de  la  critique  indépendante  dans  la  question  du  Mono- 
théisme d'Israël.  (Malgré  de  graves  lacunes,  la  théorie  de  Baenstch,  se 
rapproche  de  la  théorie  traditionnelle.  —  Loin  de  prêter  une  religion 
semi-barbare  aux  Hébreux  contemporains  de  Moïse,  c'est  à  leur  époque 
3t  non  au  VIII^  siècle  que  le  professeur  d'Iéna  fait  apparaître  le  mono- 
théisme d'Israël.  Il  rejette  également  le  cadre  évolutioniste  dans  lequel 
l'école  de  Kuenen  et  de  Wellhausen  avait  prétendu  enfermer  l'histoire 
religieuse  du  peuple  hébreu.)  pp.  814-839.  ^^  15  Sept.  —  L.  de  Grand- 
maison.  Le  Développement  du  Dogme  Chrétien.  (Étudie  les  causes  et  les 
modalités  du  développement  dogmatique,  en  détermine  la  nature  et  la 
portée.)  pp.  881-905.  —  J.  Touzard.  L Argument  prophétique.  (Établit 
que  le  développement  de  la  religion  prophétique  trahit  une  action  spé- 
ciale de  Dieu,  montre  que  cette  même  action  divine  a  présidé  à  la  trans- 
formation du  judaïsme  en  christianisme.)  pp.  906-933. 

REVUE  DES  SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES  ET  LA  SCIENCE 
CATHOLIQUE.  Juillet.  —  M.  E.  Roupain.  Dieu  dans  l'histoire.  (La  foi 
ne  gêne,  ni  la  liberté,  ni  l'impartialité  des  recherches.  Elle  n'entrave 
que  le  zèle  prématuré  et  indiscret  de  ceux  qui  veulent,  sans  aucun 
droit,  traiter  les  Livres  saints  comme  des  livres  ordinaires.)  pp.  660- 
686.  — M.  E.  Roupain.  La  peine  de  mort.  (Pour  le  juste  exemple,  l'ex- 
piation, la  sécurité  sociale,  et  pour  la  sanction  proportionnée  de  l'ordre 
méprisé,  lapeine  de  mort  restera  nécessaire  contre   les  crimes  atroces.) 


RECENSION     DES     REVUES  855 

pp.  687-694.  —  M.  Gombault.  Le  senthnenl  religieux  et  la  psi/cho-phy- 
siologie.  (Il  est  injuste  d'attaquer  le  mysticisme  orthodoxe  par  des 
textes  empruntés  aux  faux  mystiques  et  que  l'Église  a  censurés.  Le 
langage  des  mystiques,  bien  qu'emprunté  à  celui  de  l'amour  humain, 
doits'interpréter  en  unsens  spirituel.)  pp.  693-707.  —  M.  A.  Michel'. 
U infaillibilité  pontificale.  (Détermine  les  conditions  de  l'infaillibilité 
pontificale  et  montre  que,  par  eux-mêmes,  le  décret  Lamentabili  et 
l'Encyclique  i^ascenc?/ présentent  les  caractères  de  documents  promul- 
gués par  le  Pape  ex  cathedra.)  pp.  708-733.  =  Août.  —  M.  E.  Roupain. 
Dieu  dans  l'Histoire.  Les  Synoptiques  et  V Exégèse  moderniste.  (La  mé- 
thode moderniste  use  d'à  priori  dans  sa  critique  et  son  exégèse,  néglige 
une  série  de  faits  d'histoire  dont  l'ensemble  donne  raison  à  l'opinion 
traditionnelle  sur  l'intégrité  des  Synoptiques.)  pp.  803-824.  —  M.  Gom- 
bault. Le  sentiment  religieux  et  la  psycho-physiologie.  (L'état  extatique, 
pas  plus  que  les  autres  états  contemplatifs,  n'accuse  aucune  souffrance 
notable  d'aspect  purement  physiologique  et  de  nature  morbide.) 
pp.  823-837.  —  M.  Hurault.  La  Théologie  de  Guillaume  de  Champeaux. 
(Exposé  de  sa  doctrine  sur  Dieu  et  la  Trinité.)  pp.  838-848. 

REVUE  THOMISTE.  Juillet-Août.  —  R.  P.  Garrigou-Lagrange.  Le 
sens  commun,  la  philosophie  de  l'être  et  les  formules  dogmatiques. 
(Expose  la  théorie  classique  du  sens  commun.  Le  sens  commun  est  à 
l'état  rudimentaire  non  pas  une  philosophie,  mais  la  philosophie,  ou  la 
philosophie  de  l'être  opposée  à  celle  du  phénomène  et  à  celle  du 
devenir.  L'objet  propre  du  sens  commun  est  ce  que  Tintelligence 
perçoit  immédiatement  dans  ïêtre,  son  objet  formel,  c'est-à-dire  les 
premiers  principes  spéculatifs  et  pratiques  et  les  grandes  vérités  qui  s'y 
rattachent  :  existence  de  Dieu,  distinction  de  l'intelligence  et  des  sens, 
liberté,  immortalité.  Le  sens  commun  s'élève  à  ces  vérités  par  un 
raisonnement  très  simple,  mais  qu'il  est  impuissant  à  formuler  rigou- 
reusement et  à  défendre.  La  philosophie  de  l'être  justifie  ces  certitudes 
spontanées  en  établissant  leur  rapport  avec  Vêtre  et  avec  le  principe 
d'identité.)  pp.  239-300. — R.  P.  Richard.  De  la  nature  et  du  rôle  de 
Vinduction  d'après  les  anciens.  (L'induction  n'est  la  méthode  totale 
d'aucune  science.  Qu'il  aboutisse  à  une  simple  notion,  ou  à  une  propo- 
sition générale  de  concordance  ou  de  non-concordance,  son  travail 
n'est  jamais  que  préliminaire  à  la  véritable  explication  scientifique. 
L'induction  ne  fait  pas  connaître  la  cause  intrinsèque  et  nécessaire  de 
l'union  du  prédicat  avec  le  sujet.)  pp.  301-310.  —  R.  P.  Pègues.  La 
question  XLIV  de  la  Somme  Théologique.  (Commentaire  de  la  question 
de  saint  Thomas  sur  la  procession  des  créatures  par  rapport  à  Dieu  et 
sur  la  cause  première  de  tous  les  êtres.)  pp.  311-340. 

RI"VISTA  FILOSOFICA.  Mai.  Juin.  Juil.  —  S.  Tedeschi.  Un' équivalente 
aprioristica  délia  metafisica  (la  Teoria  degli  oggetti).  (Expose  les  idées 
de  Meinong  sur  la  nécessité  de  sciences  qui,  à  l'exemple  des  mathéma- 
tiques, s'occuperaient  des  essences  sans  considérer  leur  rapport  avec 
l'existence,  sciences  de  l'objectif  et  non  de  l'objet,  et  conclut  en  regar- 
dant comme  indispensable  l'union  des  méthodes  empiriques  et  des  pro- 


856         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 

cédés  rationnels.)  pp.  289-303.  — Â.  Levi.  La  psicologia  délia  es-perienza 
indifferenziata  di  James  Ward  (suite  et  fin).  (Théories  de  AVard  sur 
l'intelligence,  le  concept  du  moi,  la  conscience  de  soi  et  l'action.)  pp. 
304-329.  —  Â.  TiLGHER.  Bramanesimo,  Buddismo  e  Cristianesimo  (suite 
et  fin).  (Le  Bouddhisme  n'est  pas  une  religion,  mais  une  morale,  morale 
entachée  d'égoïsme  et  dans  laquelle  la  doctrine  du  karma  est  loin  d'ap- 
paraître comme  un  principe  de  libération  et  de  vie.  La  grande  supé- 
riorité du  Christianisme  sur  le  Brahmanisme  et  le  Bouddhisme  consiste 
dans  sa  solution  du  problème  du  mal  ;  il  donne  de  la  valeur  au  fini  au 
lieu  de  proclamer  la  nécessité  de  le  détruire.)  pp.  330-348.  —  A.  Faggi. 
Eduardo  Zeller  e  la  sua  concezione  storica.  (Bien  que  Zeller,  critiquant 
la  conception  hégélienne  de  l'histoire,  ait  signalé  le  danger  de  consi- 
dérer l'évolution  de  la  pensée  philosophique  sans  tenir  compte  des 
influences  extérieures,  il  n'a  pas  su  l'éviter  complètement.)  pp.  349- 
354.  —  L.  M.  BiLLiA.  Le  idée  morali  nella  doltrina  di  un  psicologo  scan- 
dinavo.  (Loue  le  psychologue  norvégien  Kristian  Aars  d'avoir  fait 
ressortir  l'originalité  et  l'autonomie  du  jugement  moral.)  pp.  355-363.  — 
P.  F.  NicoLi.  Ilmelodo  délie  matematiche  e  linsegnamentoelementare  délia 
logica.  (Signale  après  Boral  et  Goblot  l'inexactitude  et  l'insuffisance 
des  notions  données  sur  la  méthode  mathématique  dans  les  cours  de 
logique  élémentaire.}  pp.  364-371.  — L.  Miranda.  Macho  Hegel?  (Le 
point  de  vue  de  Hegel  qui  affirme  le  pouvoir  de  la  raison  doit  être 
préféré  à  celui  de  Mach  dérivant  logiquement  de  la  position  kantienne 
et  arbitraire  comme  elle.)  pp.  372-380. 

RIVÎSTA  STORICO-CRITIGA  BELLE  SCIENZE  TEOLOGICHE.  Juillet- 
Août.  —  G.  Bonacgorsi.  yuovi  vianoscritti  hiblici  e  la  finale  di  S.  Marco. 
(Étudie  le  nouveau  fragment  ajouté  à  la  finale  de  S.  Marc  par  le  manus- 
crit de  Charles  Lang  Freer.  Critique  textuelle  et  grammaticale  du  mor- 
ceau. Avec  Harnack,  Bonaccorsi  croit  que  le  nouveau  fragment  ne 
faisait  pas  partie  de  la  finale  primitive  du  second  évangile.  Mais  il 
rejette  la  communauté  de  source  attribuée  par  le  critique  allemand  aux 
deux  péricopes.)  pp.  521-537.  —  Y.  Ermom.  La  cristologia  delTApoca- 
lisse.  («  La  christologie  de  l'Apocalypse  est  plus  dynamique  que 
statique  ;  l'auteur  est  plus  préoccupé  de  décrire  les  fonctions  et  les 
offices  de  Jésus-Christ  que  d'en  analyse!"  la  nature...  L'eschatologie  est 
son  thème  fondamental...  11  a  beaucoup  plus  utilisé  les  livres  prophé- 
tiques de  l'A.  T.  que  les  livres  du  N.  T.)  pp.  538-552.  —  G.  la  Piana. 
Chiesa  e  Stato  in  Francia.  (suite  —  à  suivre).  (Expose  les  théories  de 
Fénelon,  de  Saint-Simon  et  de  Fleury  sur  les  rapports  de  l'Église  et  de 
l'État;  caractérise  l'attitude  pratique  de  ces  trois  personnages  vis-à-vis 
des  essais  tentés  pour  la  réforme  de  l'Église  gallicane  ;  conduite  du  pou- 
voir vis-à-vis  des  protestants,  des  jansénistes  et  des  quiétistes;  institution 
par  Louis  XIV  du  conse?'/  de  Conscience;  collation  des  bénéfices,  con- 
ditions économiques  et  morales  faites  au  clergé  ;  éducation  des  clercs.) 
pp.  553-580.  =  Septembre  —  B.  Stakemeier.  La  Dottrina  di  Tertul- 
liano  sui  sacramenti  délia  Penilenza,  delV  Ordinazione  e  del  Matrimonio. 
(Après  avoir  signalé  la  nécessité  pour  l'historien  de  distinguer  entre  les 
écrits  de  Tertullien  orthodoxe  et  de  TertuUien  montaniste,  dès  lors  qu'il 


RECENSION     DES     REVUES  857 

s'agit  de  la  Pénitence,  de  l'Ordre  et  du  Mariage,  Tauleur  dégage  des 
œuvres  du  célèbre  apologiste  un  témoignage  en  faveur  de  la  doctrine 
de  l'Église  relative  à  ces  trois  sacrements.)  pp.  643-666.  —G.  la  Piana. 
ChiesaeSlato  m  Franaa  (suite  et  fin).  (Décadence  de  la  vie  religieuse 
au  début  du  XVIII*  siècle  et  difficultés  d'une  réforme.  Saint-Simon,  pour 
des  raisons  à  la  fois  morales  et  économiques,  propose  de  réduire  le 
nombre  des  moines  et  de  retarder  l'âge  de  la  profession.  Toutes  ces 
réformes  présupposent  le  règlement  des  relations  de  l'Église  de  France 
avec  Rome.  Sur  ce  point  délicat  Fénelon  est  ondoyant,  Saint-Simon 
radical.  Fleury  demande  la  stricte  observation  des  droits  des  deux 
parties.  En  fait,  ces  divers  projets  ne  reçoivent  pas  d'application  immé- 
diate, mais  ils  préparent  l'avenir.)  pp.  667-686. 

SGUOLA  GATTOLIGA  (LA).  Juillet.  —  G.  Nogara.  Crileri  storici  dei 
modernuLi  nel  fatto  délia  risurrezione  di  Gesù  Cristo.  (Exposé  des  théo- 
ries de  Le  Roy  et  Loisy  sur  la  résurrection.  Principes  philosophiques 
et  théologiques  qu'elles  supposent.  Elles  sont  la  négation  de  la  critique 
historique.)  pp.  33-67.  —  A.  Novelli.  Il  valore  apologetico  del  marti- 
rio.  (Expose  la  controverse  soulevée  sur  la  valeur  apologétique  du 
martyre  entre  P.  Allard  et  Laberthonnière.  Se  rattache  au  sentiment 
de  P.  Allard.)  pp.  83-98.  =  Août.  —  E.  Love.  Sulla  ubicazione  del 
Paradiso  Terrestre.  (Se  fondant  sur  le  travail  de  Riessler  {Theologische 
Quartalschrift,  1908,  2),  admet  avec  lui  que  le  Paradis  terrestre  «  était 
situé  près  de  la  grande  courbe  de  l'Euphrate,  oii  est  aujourd'hui  Balis, 
dans  le  voisinage  de  l'antique  Eraziga  ou  Uru-Azagga,  la  cité  sainte  »). 
pp.  188-199.  =  Septembre.  — G.  Mattiussi.  Conoscibllità  del  miracolo 
(à  suivre).  (Il  faut  partir  dans  l'étude  du  miracle  des  notions  du  sens 
commun.)  pp.  277-284.  —  E.  De  Giovanni.  La  demonologia  assira.  (Ex- 
pose d'après  les  sources  assyriennes,  surtout  les  incantations  magiques, 
ce  qui  a  trait  aux  démons  :  leur  genèse  et  leur  éducation,  leur  habitation, 
leur  nature  et  leur  puissance,  la  stérilité  dont  ils  sont  affligés,  leurs  rap- 
ports avec  les  dieux.)  pp.  304-315.  —  G.  Cevolani.  Le  proposizione 
incidente  nella  logica  tradizionale.  (La  logique  traditionnelle  a  tort 
d'admettre  des  propositions  incidentes  déterminatives.  Discussion  de 
la  critique  de  Rosmini  àce  sujet  et  de  celle  de  Peyretti  au  sujet  de 
Rosmini.)  pp.  338-344.  —  A.  Novelli.  Ancora  del  valore  apologetico  del 
martirio.    (Discussion.)  pp.  351-3.'>'t. 

TEYLERS  THEOLOGISCH  TIJDSCHRIFT.  3.  —  A.  Bruining.  Ten 
lioomsch  Modernist  aan  het  luoord.  (Expose  les  raisons  pour  lesquelles 
G.  Tyrrell,  dans  son  récent  ouvrage  «  Through  Scylla  and  Charybdis  », 
déclare  vouloir  rester  catholique,  malgré  sa  condamnation  par  le  Pape, 
et  malgré  les  multiples  défauts  du  catholicisme  traditionnel.)  pp.  344- 
371.  —  J.  VAN  Leenen  Martinet.  Ten  Theodicee.  (Propose  quelques 
réflexions  critiques  au  sujet  d'un  essai  de  théodicée  du  professeur 
Bruining.  Celui-ci  fait  suivre  une  courte  réponse.)  pp.  372-396.  — 
S.-J.  DE  BussY.  Gedachten  over  het  Pragmatisme  (à  suivre).  (Les  prag- 
matistes  manquent  de  clarté  dans  l'exposé  positif  de  leurs  doctrines,  et 
tombent  dans  bien  des  inconséquences.  Tantôt    ils  semblent  nier  la 


858         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THEOLOGIQUES 

possibilité  de  construire  une  métaphysique,  tantôt  ils  en  construisent 
une  eux-mêmes  ;  tantôt  ils  affirment  que  la  foi  religieuse  est  étrangère 
aux  conceptions  métaphysiques,  tantôt  ils  disent  qu'elle  en  fait  partie 
intégrante.)  pp.  397-41?, 

THEOLOGISCHE  QUARTALSCHRIFT,  3.  —  E.  Belser.  Die  Vulgata 
und  die  griechische  Text  im  Jakobusbrief.  (Montre  les  inexactitudes  de 
la  Vulgate  dans  l'Épître  de  S.  Jacques.)  pp.  324-339.  —  J.  Hontheim, 
S.  J.  Die  Abfohje  der  evangelischen  Perikopen  im  Diatessaron  Tatians. 
(L'Évangile  de  Saint  Luc  dans  le  Diatessaron.  —  Comparaison. —  Le 
Diatessaron  dans  le  commentaire  sur  les  Évangiles  de  Saint  Éphrem.  — 
Le  Diatessaron  et  les  Canons  d'Eusèbe.  —  Rapports  du  Diatessaron  avec 
certaines  harmonies  évangéliquesde  l'Occident.  — Durée  de  l'enseigne- 
ment de  Jésus  dans  le  Diatessaron.  —  Quelques  résultats  de  ce  travail 
pour  l'établissement  du  texte  évangélique.)  pp.  839-376.  —  J.  Dôller. 
Dreineue  aramâische  Papyri.  (Papyrus  découverts  en  1906  à  Éléphantine 
et  publiés  par  Sachau  en  1907.  Ils  complètent  sur  certains  points  les 
données  de  l'A.  T.  et  posent  de  nouvelles  questions  au  sujet  du  temple 
d'Éléphantine  et  de  la  colonie  juive  de  cette  île.)  pp.  376-384.  —  F.  Die- 
KAMP.  Die  Wnhl  Gregors  von  Nyssa  zum  Metropoliten  von  Sebaste  im 
Jahre  3S0.  (De  la  lettre  19  de  Grégoire  (migne,  P.G.  xlvi,  1072-1080)  il 
faut  conclure  que  Grégoire  de  Nysse  a  été,  contre  sa  volonté,  élu  métro- 
politain de  Sébaste,  non  d'Ibora,  en  380.  Les  aits  et  le  droit  d'alors  con- 
cordent avec  celte  hypothèse.)  pp.  384-401.  —  Chr.  Baur,  0.  S.  B.  Zur 
Ambrosius-Theodofiiiis-Frage.  (La  légende  racontée  par  Théodoret  et 
Sozomène  serait  empruntée  non  au  biographe  de  Saint  Ambroise,  Pau- 
lin, mais  au  panégyrique  de  Saint  Babylas  par  Saint  Jean  Chrysoslome. 
On  la  retrouve  dans  plusieurs  vies  de  saints.)  pp.  401-409  —  P.  Minges. 
Die  «  distinctio  formalis  »  des  Dans  Scotus.  (La  distinctio  formalis 
posée  par  Scot  ne  nuit  pas  à  l'unité  essentielle  de  l'homme  et  ne  conduit 
pas  à  admettre  l'universel  séparé,  au  sens  de  Platon.  En  théologie  elle 
met  en  lumière,  plus  que  la  doctrine  thomiste  qui  insiste  surtout  sur  la 
simplicité  divine,  l'objectivité  de  la  distinction  entre  les  attributs  de 
Dieu.)  pp.  409-436. 

ZEITSGKRIFT  FUR  KATHOLISCHE    THEOLOGIE,  3.   —   B.   Jansen, 

S.  i.  Die  Définition  des  Konzils  von  Vienne  ûber  die  Seele  (2®  arti- 
cle). (L  L'occasion  du  décret  conciliaire  :  il  fut  provoqué  par  le  parti 
adverse  des  Spirituels  qui  honoraient  Olivi  comme  leur  chef.  2.  La 
doctrine  erronée  d'Olivi  :  elle  ne  consiste  pas  à  admettre  dans  l'homme 
trois  âmes  (Palmieri).  Olivi  soutenait  que  l'âme  spirituelle  était  substan- 
tiellement une,  mais  n'était  pas  unie  au  corps  comme  forme,  d'une 
manière  immédiate.  Preuves  intrinsèques  et  extrinsèques.  3.  La  con- 
damnation de  la  doctrine  d'Olivi  par  le  Concile  :  le  corps  et  l'âme  cons- 
tituent une  substance  unique,  de  manière  que  l'âme,  informant  immé- 
diatement le  corps,  c'est-à-dire  communiquant  directement  à  celui-ci 
son  être,  constitue  avec  lui  un  seul  principe  d'être  et  d'action.  Ne  serait 
donc  hérétique  que  celui  qui  nierait  cette  unité  formelle,  bien  qu'il 
admette,  outre  l'âme  spirituelle,  encore  un  principe  sensitif  et  négatif.) 


RECENSION    DES    REVUES  859 

pp.  471-487. —J.  Stufler.  Die  Sûndenvergebung  bei  Irenàus.  (Réponse 
au  D^  Koch  :  des  écrits  de  saint  Irénée  on  ne  peut  conclure  que,  d'après 
ce  saint  Docteur,  les  lapsi  devaient  rester  privés  de  l'absolution  sacra- 
mentelle.) pp.  488-497.  —  Analeklen.  P.  Honorius  Rett,  0.  Fr.  M.  Die 
Josephsehe  in  ihrem  Original  und  ihre  Nachahmung.  {Prouve  la  validité 
du  mariage  de  la  B.  V.  Marie  avec  saint  Joseph  et  d'autres  unions  sem- 
blables engagées  i  sous  réserve  de  l'usus  matrimonial.  »  L'explica- 
cation  de  Suarez  résout  le  mieux,  d'après  l'auteur,  toutes  les  diffi- 
cultés.) pp.  590-596. —  H.  WiESMANN,  S.  J.  /  Sam.,  /,  22-36.  (Essaie 
de  corriger  le  texte  corrompu  de  ce  passage  et  en  donne  conséquemment 
la  traduction.)  pp.  597-601. 

ZEITSGHRIFT  FUR  DIE  NEUTESTAMENTLICHE  WISSENSCHAFT.  3. 

—  R.  Steinmetz.  Textkrilisclie  Untersuchung  zn  Rom.  1.  7.  (Les  mots  : 
ïv  'Pûiœr,  dans  l'épîlre  de  S.  Paul  aux  Romains  I,  7,  sont  omis  par  le 
codex  G  et  par  sa  traduction  latine  g.  Cette  omission  (de  même  que 
l'omission  des  mots  semblables  I,  15,  le  retranchement  de  XY-XVl 
et  l'annexion  de  la  doxologie  au  ch.  XIV)' provient  de  l'adaptation 
de  l'ép.  aux  Rom.  à  l'usage  liturgique  )  pp.  177-189.  —  Th.  Nissen.  Die 
Petrusakten  und  ein  bardesanitischer  Dialog  in  der  Aberkiosvita,  I. 
(Conformément  au  procédé  hagiographique  signalé  par  le  P.  Delehaye, 
l'auteur  de  la  vie  d'Abercius  a  mis  dans  la  bouche  de  son  héros 
plusieurs  discours  tirés  des  Actes  de  Pierre.)  pp.  190-203.  —  L.  Blau. 
Bas  neue  Evangelienfragment  von  Oxyrhgnchos  buch-  und  zaubergeschi- 
chtlich  betrachtel  nebst  sonstigen  Bemerkungen.  (Les  caractéristiques 
matérielles  des  fragments  évangéliques  récemment  édités  et  décrits  par 
Grenfell  et  Hunt,  matière,  format,  écriture,  les  apparentent  aux  exem- 
plaires de  la  Torah  que  les  Juifs  portaient  en  guise  d'amulette  et  qui 
étaient  de  dimensions  très  réduites.  Ces  fragments  doivent  provenir 
d'un  milieu  judéo-chrétien.  L'étude  de  leur  contenu  a  conduit  Preuschen 
à  des  conclusions  analogues.  L'auteur  éclaircit  quelques  points  de  détail 
en  vue  de  montrer  le  bien-fondé  des  conclusions  de  P.  (Cf.  R.  d.  Se.  PI/. 
et  Th.,  av.  1908,  p.  448.)  pp.  204-215.  —  J.  Boehmer.  Slndien  zur  Geo- 
grayhie  Palàstinas  bes.  im  Neuen  Testament.  (Les  Actes  YIII,  5,  visent 
la  ville  de  Sichem  ;  de  même  Joa.  IV.  Le  terme  grec  z-jyoïzoïwj  de  Josèphe 
est  la  lran.scription  du  mot  néo-hébreu  sç'no  =  torrent.  Magadan  = 
Magdala,  Mail.  XV,  39.)  pp.  216-229.  —  0.  Dibelius.  Studien  sur  Geschi- 
chie  der  Valentinianer.  L  Die  Excerpta  ex  Theodoto  und  Irenàus.  (Pour 
les  paragr.  43-65,  les  Excerpta,  réunis  par  Clément  d'A.  sont  tirés  du 
même  ouvrage  Valentinien  auquel  Irénée  a  emprunté  l'exposé  du  sys- 
tème valentinien  qu'il  a  placé  en  tête  de  son  ouvrage.  Il  est  difficile  de 
préciser  les  sources  et  le  caractère  du  reste  des  Excerpta  ;  il  semble 
qu'ils  représentent  pour  une  bonne  part,  la  pensée  de  Clément  lui- 
même.)  pp.  230-247. 

Le  gérant  :  G.  Stoffel. 


Superiormn  permissu.  \  De  licentia   Ordiiiarii. 


ERRATA 

Page  313,  fi«  ligne  :  au  lieu  de  :  Thomme  par  excellence,  li^cz  :  l'homme,  par  excellence. 
\ 

»     403,  8«  ligne  :  au  lieu  de  :  Urbain,  lixr:  :  Urban. 


Tables 


i 

Table  générale  des  Matières 

1.  —  Articles 

Gauchie  A.  Les  Assemblées  du  Clergé  de  France  sous  l'Ancien 

Régime 74-93 

Gardeil  A.,  0.  P.  La  Notion  du  Lieu  théologique  .     .     31-73  ;  246-276; 

484-303 

Garrigou-Lagrange  R.,  0.  P.  Intellectualisme  et  Liberté  chez 
saint  Thomas  (^suZ/gy! ;j-32 

Gry  L.  La  Création  en  sept   jours,  d'après   les  Apocryphes 
de  TA.  T 277-293 

Heitz  Th.  La  Philosophie  et  la  Foi  chez  les  disciples  d'Abélard        33-50 

—  La  Pliilosopliie  et  la  Foi  chez  les  mystiques  du  W"  siècle  .     322-335 

—  La  Philosophie  et  la  Foi  chez  Albert  le  Grand 661-673 

Humbert  A.    Le    problème    des    Sources    théologiques   au 

XYI'^  siècle. 704-742 

Laminne  J.  L'idée  d'évolution  chez  saii-t  Augustin  ....  306-321 
Noble  H.  D.,  0.  P.  La  nature  de  l'émotion  selon  les  modernes 

et  selon  saint  Thomas 223-243  ;  466-483 

Roussel   A.    Théologie    Brahmanique    d'après  le   Bhàgavata 

puràna.  III.  Trinité 294-307 

Schwalm  M.  B.  Les   deux   théologies  :  la   scolastique  et   la 

positive 674  703 

Sertillanges  A.  D.  L'idée  générale  de  la  connaissance  dans 

saint  Thomas  d'Âquin 449-463 

2.  —  Notes. 

Allo  B..  0.  P.  La  Variabilité  des  symboles  dans  l'Apocalypse  .  313-321 
De  Munnynck  P.  RI.,  0.  P.   L'Allochirie   des  représentations 

du  D--  Janet 336-339 

—  Un  cas  complexe  de  fausse  paramnésie 743-747 

Jacquin  M.,  0.  P.  Le  Rationalisme  de  Jean  Scot 747-748 

Lemounyer  A.,  0.  P.  Saint  Thomas  et  l'Histoire  inspirée     .     .  98-99 

Mainage  Th.,  0.  P.  Canonicité  et  Authenticité 96-98 

Roland-Gosselin  M.  D.,  0.  P.  Le  «Ménon»  et  le  «  Gorgias».  308-313 


862         REVUE   DES   SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 

3-  —  Bulletins. 

Bulletin  d'Apologétique  (A.  de  Poulpiquet^  0.  P.) 779-794 

Bulletin   d'histoire   des  Doctrines   chrétiennes   (M.   Jacquin, 

0.  p.) 374-400 

Bulletin  dhistoire  des  Institutions  ecclésiastiques  (M.  Jac- 
quin, 0.  P.) 603-613 

Bulletin  dhistoire  de  la  Philosophie  (M.  D.  Roland-Gosselin 

et  M.  Jacquin  0.  ?.) 749-778 

Bulletins  de  Philosophie  : 

I.  —  Métaphysique  (A.  Blanche) 100-134 

H.  —  Cosmologie  (P.  M.  De  Munnynck,  O.P.) 134-146 

III.  —  Psychologie  (H.  D.  Nohle,  0.  P.  ; 322-336 

IV.  —  Logique  (A.  Blanche) 337-370 

V.  _  Ouvrages  généraux  (H   D.  Noble,  G.  P.)  .                    .  370-373 

VI.  —  Morale  (M.  Gillet  0.  P.) 340-361 

Bulletin  de  Science  des  religions  : 

I. —  Religion  des  Peuples  non  civilisés  (A.  Lemonnyer, O.P.)  562-568 

II.—  Religion  Égyptienne  (A.  Deiber,  0.  P.) 568-377 

m.— Religions  sémitiques  (Th.  Mainage,  0.  P.)     ....  .378-588 
IV. —  Religions  des  Indo-Européens  et  de  l'Extrême-Orient. 

(B.  Allô,  0.  P.) 388-604 

Bulletin  de  théologie  biblique  (A.  Lemonnyer,  0.  P.)    .     .     .  147-179 

Bulletin  de  théologie  spéculative  (R.  M.  Martin,  0.  P.)  .    .    .  795-815 

4.  —  Chronique. 

Allemagne IHO,  401,  614,  816 

Angleterre .     .     182,  402,  615,  821 

Autriche »     403,  616,  823 

Belgique 184,  403,  617,     » 

Danemark »        »  618,     » 

Egypte »     413,  618,     » 

Espagne 185,  404,  619,  824 

États-Unis 185,  404,  619,  824 

France 186,  406,  620,  823 

Hollande »        »  »     825 

Italie 190,  411,  625,  826 

Mexique »        »  627,     » 

Orient »     413,  618,     » 

Suisse »     413,  »     828 

5.  —  Recension  des  Revues. 

193-224  ;  416-448  ;  629-660  ;  829-839. 


TABLE    GÉNÉRALE    DES    MATIÈRES 


8(13 


II 


Table    Analytique 

1.  —  Bibliographie  des  Bulletins  (l) 


Aabs  Kk.  Gut  und  Bose  ....  551 
Adam  K.  Der  Kirchenbegriiï  Tertul- 

lians 393 

Ahmed  bey  Hajial.  Les  idées  cos- 

mol.  des  anc.  habitants  de  l'Egypte  577 
AiCHEK  S.  Kantsbegriff  der  Erkenn- 

tnis 7.V.»,   77(J 

Albeets  h.    Die   Geistestaiife    ira 

Urchristentum 379 

d'AlÈS  A.  Pt/«/'   U honneur  de  2\.-D.     375 

—  La  Question   iaptismale  au  temps 

de  S.  Cyprlen 379 

—  La  réserve  des  trois  cas  et  VEdit 

de  CalVuTte 384 

Allô  B.  Fui  et  Systèmes  ....  779 
AlvÉKY  a,  Mariologie  augustinienne.  378 
Arnaiz  m.   Fragmatismo  y  Hurna- 

nismo 110 

ASTOX  W.  Shinto 603 


Bailey  C.  Ancient  Kome  ....  593 
Bainvel  J.  V.  La  Foi  et  lacté  de  foi  786 
Ballerini  J.  Brève  apologia.  .  .  793 
Baraduc.    La    force    curatrice     à 

Lourdes 787 

Baeton    Pebky    K.    a    Bevieir   of 

Pragmatism 109 

Batiffol    p.    Le   Judaïsme  de  la 
Dispersion  tendait-il  à  devenir  une 

Église] 161 

Bayet.  L'idée  de  Bien 511 

Belot.  Études  de  morale  positiye  .  513 
BenîsEWItz  F.  Die  Silnde  im  alten 

Israël L57 

Bebgson  h.    L'Evolution    créatri- 
ce   m,  137 

Bektling  0.  Der  Johanneische  Lo- 


gos. 


110 
179 

789 


556 


Berteest  g.   Histoii-e  critique  des 

événements  de  Lourdes.  .  .  . 
BiCKEL  E.  Platoniscites  Gebetslehen  . 
BiXET.  Enquête  sur  r Enseignement 

de  la  Philosophie 

BLAJSfC  É.  Dictionnaire  de   Philoso-  j 

phie 373 

Blanche  A.    Un  essai  de  synthèse 

pragmatiste 1 10     l 


BlaNiK  0.  Die  Lebre  des  hL  Augus- 
tin vom  Sakramente  der  Eucha- 
ristie    383 

Bloch  L.  La  philosophie  de  Newton  773 

'RO'D'E.  Realism  and  ohjectirity     .     .  112 

BOODIN  J.  E.  The  A'eio  Beaïism  .     .  113 

Bois  J.  Le  miracle  moderne   .     .     .  788 

BoiSrfAEiE.  L'oeuvre  de  Lourdes .  .  789 
Boeel  É.  L'Évolution  de  Vlntelli- 

gence  géométricpie 118 

Bouglé  C.  B.  Le  Solidarisme     .     .  516 

—  Idées  égalitaires 516 

—  La  Démocratie  devant  la  Science.  546 
Bourdon  B.  La  perception  du  temjjs.  346 
BOUSSET  W.  Die  Religion  des  Juden- 

thums 163 

—  Hauptprobleme  der  Gnosis.     .     .  390 
BovÉ  S.  El  sistema cientifico  Luliano.  769 
Bréhier  E.  La  théorie  des  Incorpo- 
rels dans  l'ancien  stoïcisme.     .     .  759 

—  Les  Idées  philosophiques  et  reli- 
gieuses de  Philon  d'Alexandrie.     .  761 

Beochard   V.    La  théorie  jAatoni- 

ciemte  de  la  jiarticipation 753 

—  Le  Dieu  de  Sjjinoza 774 

Bros.  La  Religion   des  peuples  non 

civilisés 562 

BuoNAluri  E.  Lo  Guosticismo    .     .  390 

—  Roscellino  di  Compiégne.  .  .  .  769 
Bueeatj   p.  La  Crise    morale    des 

temps  nouveaux 554 

BuryV.  Plato 758 


Calamiïa  p.   Lastronomia  nei  dia- 

loghi  di  G.  Bruno 771 

CALDERONiG.L'Evoluzione  e  i  suoi 

limiti  . 142 

Cantecor.  Etude  de  morale  posUire, 

par  M.  Belot 543 

Cabe.  Tlie  Virgin  Birth  inStJohiîs 

Gospel 175 

Cabeel  F.   Mas  Sociology  n  Aforal 

basis  ? 545 

CAEtJS  P.  The  Dharma 603 

Catheeinet.  Le  rôle  de  la  volonté 

dans  l'acte  de  foi 784 

Catheein  V.  Phllosophia  moralis  .     372 


1.  Les  articles  de  revues  ou  de  recueils  sont  indiqués  ici  en  italique. 


864         REVUE   DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQlîES 


Cavalleea  F.  Saint  Athanase  .  .  395 
Charles  P.  Le  Perceptionisme  .  .  346 
Chartieb.    Ussai  stir  les  élément-'^ 

pruicipaux   de   la   représentation. 

par  Hamelin 121 

Cheyne.  Traditions  and  Beliefs  of 

ancient  Israël 148 

Clemen  C.   Die  Grundgedanken  der 

paulinischen  Théologie    .     .     .     .     177 

Clodd  E.  Animism ôfii 

Cohen  H.    Kommentar    zu   Kants 

Kritik 776 

ÇoMMEB  E.  Hermann  Schell  .  .  .  813 
CoilPAGNlON   J.   Critique  thomiste 

du  Thomisme 125 

Couard  L.Diereligiosen...  Auschau- 

ungen      der      alttestamentlichen 

Apokryphen  u.  Pseudepigraphen.  163 
COUTURAT.  Pour   la   Logistique.     .     361 

—  La  Logique  et  la  Philosnp/iie  con- 
temporuirip 369 

Cresson  A.  Les  Bases  de  la  Philoso- 
phie naturaliste 122 

Crosnier  a.  Les  convertis  (Vider     .     792 
Coche  P.  J.  Étude  sur  le  Monisme  .     124 
CuMONT  Fr.  Les  Pieligions  orientales 
dans  le  paganisme  romain.  587,  595,  601 

Dagneaux.  Cours  de  Philosophie    .     372 
Dantu  g.  L'Éducation  d'après  Pla- 
ton  758 

De  Baets  m.  De  Sacramentis  in 
génère 805 

—  De  libéra  Christi  obedieniia    .     .     808 
Dehove  h.  Sur   la  perception  exté- 
rieure  341 

Delattre.  Le  Culte  de  la  Sainte 
Yierge  d'après  les  monuments  ar- 
chéologiques  612 

Delbos  V.  Kant.  Fondements  de  la 
métaphysique  des  mœurs     .     .     .     776 

Del  Prado  N.  De  Gratia  et  libero 
arbitrio 805 

Delvaille  j.  La  vie  sociale  et  l'É- 
ducation   556 

Dennett  R.  e.  At  the  Back  of  the 
Black  Man's  Mind 568 

Deplocge  s.  Le  confit  de  la  Morale 
et  de  la  Sociologie 541 

Descartës  R.  Œuvre.-; 772 

Dessoulavt.  L'Injini  confus.     .     .      132 

Dewey.  The  Control  of  Ideas  hy 
Farts '.108 

DiELS.  Die  Fragmente  der  Vorsokra- 
tiker 749 

von  Di  Pauli  a.  Die  Irrisio  des 
Hermias 394 

DOMASZEWSKI.  I>ie  Festcyclen  der 
rômischen  JCalenders 594 


DONCŒUR  L.  Les  premières  interven- 
iio)is  du  Saint-Siège  relatirex  à 
V Immaculée  Conception  ....     379 

DoTTiN  G.  Manuel  pour  servir  à 
l'antiquité  celtique 597 

Dbaseke  j.  Mnjîuss  d.  Joh.  Scotus  .     768 

Drews  a.  Plotin 762 

Deiesch  h.  Die  Physiologie  der  in- 
dividuel, organ.  Formbildung  .     .     138 

DuBRAY  Ch.  A.  The  theory  of  psy- 
chical  dispositions 329 

DuPRAT  G.  L.  La  Bolidarité  sociale.     547 

DuPUY  L.  L  hallucination  au  point 
de  vue psyclwlogiqne 347 

Durkheim,  Règles  de  la  Méthode 
sociologique 540 

DUSSAUD.  Eschmoun 583 

—  Les  Arabes  en  Syrie 584 

Eggersdorfek  F.  X.  Der  hLAugus- 

tinus  als  Pàdagoge 398 

Eisler  R.  Leib  und  Seeie.  ...  328 
Erman  a.  La  Religion  égyptienne  .  569 
EfiNST.  Bie  Tauftehre  de^  Liber  de 

rehaptismate 380 

EWER  B.  C.  The  Anti-Jtealistio 
((  IIoiv  r> 112 

P'arges.  La  crise  de  la  certitude.  .  100 
Feldmann   F.   Der  Knecht  Gott«s 

in  Isaia» 162 

FoNSEGRiVE.  Morale  et  Société  .     .  554 
Fouillée  A.  Morale  des  Idées  for- 
ces   548 

Franon  e.  Pour  l'idée  chrétienne  .  793 
Franz    K.    Babylonische  Beschwô- 

rungsrehefs 582 

Frazer  j.  g.  Adonis,  Attis,  Osiris  591 

—  Folk-lore  in  the  Old  Testament  .  158 
Friedrich  Ph.  Die  Mariologie  des 

hl.  Augustinus 377 

GardAir.     La     Transcendance    de 

Dieu 131 

—  L'Infinité  divine 133 

GabdeilH.  Crédibilité     ....  781 

—  La  notion  théologique   ....  795 
Garrigou-Lageange  r.  Les  preu- 
ves tlwmistes  de  Vexistence  de  Dieu.  131 

—  Le  Dieu  fini  du  Pragmatisme.     .  131 
Gaultier  P.  L'Idéal  moderne   .     .  553 
Gayet  a.   La  civilisation  pharaoni- 
que        569 

Gazagnol  g.  Au-delà 809 

Gemelli  a.  Del  valore  delV  esperi- 

menlo  in  psicologia 335 

DE  Genouillac  h.  L'Église  chré- 
tienne au  temps  de  saint  Ignace 
d'Antioche 388 


TABLE    GÉNÉRALE    DES    MATIÈRES 


865 


605 
330 
159 
766 


Gentile.  Giordano  Bruno.     .     .     .     771 
GiBON  F.  La  marche  ascendante  de 

la  criminalité  juvénile     ....     560 
GOEDECKEMEYEK  A.  Gedanliemjang 

...  der  ariatotelischen  ^letaphysik  .     758 
GoRLAND  A.    Der  Gottesbegriff  bei 

Leibniz 775 

GOETZ   K.   G.    Die   heutige  Abend- 

mahlsfrage 381 

GoMEZ  IZQUIEEDO  A.  Xuevas  Direc- 

ciones  de  la  Logica 361 

GOTTSCHICK  J.  Ethik .555 

Graxdeeath.  Histoire  du  Concile 

du  Yaticaû 

Grasset.   Introduction   physiologi- 
que à  l'étude  de  la  Philosophie.     . 
GrimmeH.  Das  israelitische  Pfingst- 

fest 

Grunwald  g.  Geschichte  der  Got- 

tesbeweise  im  Mittelalter    .    . 
GuERBER  H.  A.  The  Myths  of  Gree- 

ce  and  Rome 592 

GUNKEL.  Eli.is,  Jahve  und  Baal.     .     151 

Haddon  a.  C.  Magic  and  Fetichism.     565 

—  Tlie  Religion  ofthe  Torrea  Strait.^ 
Islanders 567 

Hamelix  0.  Essai  sur  les  Éléments 
...  de  la  Représentation  .     .     .     .     111 

Hannequin  a.  Études  d'histoiie 
des  sciences 771 

—  Fragment  d'une  étiide  s.  Spinoza.  775 
Harent  s.  Udj>érience  et  foi  .     .     .     782 

—  Croyance    .     , 781 

Harnack   a.   Spriiche    und  Reden 

Jesu 169 

Harrold  Johnson.  Some  essentials 

of  moral  Education 557 

Hastings   Rashdall.   The  theory 

of  Good  and  Evil 

Hatjpt  p.  Purim 

Hay  Wood  m.  Plato.^  Psycholugij  . 
Hedley  J.  C.  La  sainte  Eucharistie. 
Hehn  j.  Siebenzahl . . .  bei  den  Baby- 

loniern  und  im  A.  T 

Heim  K.   Bas  Wesen  der  Gnade... 

bei  Alexander  Halesius  .     .     .      . 
Hemmer  h.,  Lejay  p.  et  Laurent 

A.  La  (C  Doctrine  des  Apôtres  »  et 

l'Épître  de  Barnabe 

HerzoG  g.    La   Sainte    Vierge  dans 

l'histoire 375 

—  La  Conceptionrirginale du  Clirist.  174 
Herzog  R.  Ans  dem  Asiilepieian  m/i 

Kos 591 

HiCKS  D.  Ai-istotle  de  Anima.  .  .  758 
HiLGERS    J.  Die  Biicherverbote  in 

Papstbriefen 607 

Hoelscher  g.  Der  Sadduziiismus  .  165 


.514 
583 
753 
809 

160 

100 

388 


HoENNiCKE  G.  Die  Neutestament- 
liche  Weissagung  vom  Ende     .     .     1 79 

HoLTZiiANN  H.  J.  Das  messianische 
Bewusstsein  Jesu 171 

HoLTZMANNj.ModerneSittlichkeits- 
theorien  und  christliches  Lebens- 
ideals 555 

HowiTT.  The  native  Tiibes  of  S.-E. 
Australia 565 

HuGON  É.  Cursus  Philosophiae  tho- 
misticae 370 

—  La  causalité  instrumentale  eu 
théologie 806 

Jacob.    Conférences  de  morale  indi- 
viduelle et  de  morale  sociale    .     .  557 
James  W.  Pragmatism.     .     104,  124,  134 

—  Prof  essor  Pratt  on  Truth    .     .     .  109 

—  Controversy  ahout  Truth    .     .     .  109 

—  A  Word  More  about  Truth.     .     ,  109 
JA.STROW  J.  The  subccinscious     .     .  337 
Jasteow  m.   Die  Religion  Babylo- 
niens und  Assyriens 578 

Jaussen.  Les  coutumes  des  Ara- 
bes   586 

Jensen  P.  Das  Gilgamesch-Epos.     .  167 
J.  M.  Ontogenèse  et  Phylogénèse  .     .  143 
Jones  C.  Logic  and  Identity  in  diffé- 
rence     369 

Joi^KS  H.  Pi  ri  ne  Immanence  .     .     .  133 
DE  JoNGHE.  E.  Les  Sociétés  secrètes 

au  Bas-Congo 568 

Joseph  a  Spiritu  Sancto.  Ueber 

die  Arten  der  Kontemplation    .     .  813 

JuNGLAS  J.  P.  Leontius  von  Byzanz  399 

JuNGMANN  K.  René  Descartes    .     .  772 

Kaufmann  F.  Altgerinanische  Re- 
ligion   597 

KiDD  R.  The  tvro  principal  laws  of 
sociology 545 

KlRFEL  H.  Per  hl.  Augustinus  u. 
das  Pogma  der  unbefiecliten  Emp- 
fàngnis  3fariens 378 

KiRSOPP  Lakë.  The  historical  évi- 
dence for  the  résurrection  of  J.-C.     172 

Klaatsch  h.  Schlusslericht  iiber 
seine  Reise  nach  Australien.     .     .     566 

von  Kleemann.  Platonische  Unter- 
suehung 758 

KOCH  H.  Zeit  und  Heimat  des  Liber 
de  i'ebajjtisJ>iate 380 

—  Die  Tauflehre  des  Liber  de  rebap- 

380 
386 
399 
803 

327 


tismatc 


—  Pie  SUndeiirergebung  bei  Irenàus. 

—  Yincenz  von  Lcrin  und  Gennadius 
KoNiNGS  M.  De  gratia  actuali  .  . 
Kostylepf  N.    Les   substituts    de 

l'âme  dans  la  philosophie  moderne. 


866         REVUE    m.s    SCIENCES    PHILOSOPHIQUES    ET    THÉOLOGIQUES 


Keose  h.  a.  Katholische  Missions- 
statistik '91 

Labauche  L.  Leçons  de  théologie 
dogmatique 799 

Lab  byrie.  JRSle  de  la  volonté  dans 
la  coiimiissance 110 

DE  La  Buiolle  P.  Un  épisode  de 
Vhistoire  de  la  3{orale  Chrétienne.     394 

Lachelier.  La  Proposition  et  le 
Syllogisme 369 

Ladeuze  p.  La  Késurrection  du 
Christ  (levant  la  critique  contem- 
poraine     1  "3 

Lagorgette  J.  Le  Fondement  du 
Droit  et  de  la  Morale 550 

Lagrange  m.  J.  La  Crète  ancienne.     589 

Lahr  Ch.  Cours  de  Philosophie  ,     .     372 

Lalande  a.  Précis  raisonné  de  Mo- 
rale pratique 556 

—  Le  mouvement  logique  ....  369 
Lang  a.  The  making  of  Religion    .     563 

—  Australian  Prohlems 566 

DE  La  PaQUERIe  J.L.  Eléments  d'A- 
pologétique   792 

LASSON  Ad.  Aristoteles'  Metaphysik     758 
Laurent  A.  Cf.  Hemmer  H. 
Lavrak D.  La  suggestion  et  les  gué- 

risons  de  Lourdes 789 

Lebreton   j.  L'Encyclique     et   la 

théologie  moderniste 797 

LeclÈre  a.  La  morale  rationnelle  .  552 
Lefebvre.  La  notion  du  surnaturel.  787 
Lehmann  Ed.  Die  Anfànge  der  Be- 

ligion 56-1 

Lejay  p.  Cf.  Hemmer  H. 
LÉON  a.  La  notion  du  Réel  .  .  125 
Leonissa  j.  Zuv  Konteinplation  .  .  818 
Leopold  m.  Leihnizens  Lehre  .  .  776 
LiEnOY E.B.Xature des halluci7iatio}is  347 
Le  Roy  E.  Comment  se  pose  le  pro- 
blème de  Dieu^ 128 

Ligeard  h.  Vers  le  Catholicisme    .     794 

—  Le  rapport  de  la  nature  et  du 
surnaturel 785 

Lloyd  a.  h.  The  Philosopliy  oJ Fia- 
to  as  a  Méditation  on  Death.     .     .     757 

Lods  Ad.  La  croyance  à  la  vie  fu- 
ture ...dans  l'Antiquité  Israélite  .     151 

LoHR  M.  Alttestamentliche  Reli- 
gionsgeschichte 147 

—  Sozialismus  und  Individualismus 

im  A.  T 155 

LOTTIN  J.   La  Statistique  morale  et 

le  Déterminisme 560 

Lucas  de  PesloUan  C.  Sur  les  fon- 
dements de  V  Arithmétique    .     .     .     363 
LuQUET  G.  H.    Idées  générales   de 
Psychologie 322 


Lyon  G.  Enseignement  et  Religion.     557 

Macchioro  V.  77  sinvretisnw  reli- 
tjioso  e  Vepigratia 595 

Mac  Gilvary  The  physiologie  al  Ar- 
gument againts  Pealisin  ....     111 

—  The  Stream  of  Conseiousness    .     .     113 

—  Prolegomena  to  a  tentative  Rea- 
lism 118 

Macnicol  N.  Action  and  Réaction 
of  Christianity  ami  Hinduism  in 
Lidia 602 

MahÉ.  L' Eucharistie,  d'ajjrès  saint 
Cyrille  d' Alexandrie 382 

Maisonneovë.  La  notion  du  mi  racle    787 

Malapert  P.  Leçons  de  Philosophie    326 

Mallet  F.  L'unité  compilexe  du 
jirohlème  de  la  fui    ......     782 

]\lANDONNET  P.  Le  traité  De  Errori- 
hus  P]iilosopltorum 769 

Mangenot  e.  Jésus,  Messie  et  Fils 
deDieu,  d'après  les  Actes.    .     .     .     177 

Mannheim  a.  Geschichte  der  Philo- 
sophie   771 

I\lANNTTCCl  U.  Irenaei  ad  versus 
haereses  libri  quinquc 392 

Martinez-Nunez  Z.  La  Finalidad 
en  la  ('iencia 139 

—  La  Herencia 142 

M ASPÉRO  G.  Causeries  d'Egypte.     .     577 
Massey  g.  Ancient  Egypt.     .     .     .     574 
Maud  Soynt.  The  Gospel  of  Krish- 
na and  of  Christ    602 

Maumus  V.  La  défense  delà  foi.     .     794 
Maximilien  de  Saxe.  Praelectiones 

de  Liturgiis  orientalibus ....  608 
Mercier  A.  Le  prctermiturel.  .  .  787 
Meyer.  Institutiones  Jurisnaturalis  559 
MiCHELET  G.  Les  faits  religieux  et 

la  théorie  de  la  suiconxcience    .     .     887 
MiCHOTTE.   A  j)ropos  de  la    ca  Mé- 
thode d'introspection  »  datis  la  psy- 
chologie expérimentale     ....     384 
Milhaud  g.  La  philosophie  de  New- 
ton     776 

Mills  L.  H.   Zarathushtra,  Philo  .     168 

—  Avesta  Eschatology 599 

Mogk  E.  Germanische  Mythologie  .     596 
Moisant  X.  Dieu.  L'Expérience  en 

métaphysique 126 

^lONTAGNE.  Théorie  de  V automatis- 
me conscient 338 

MoNTAGUE.  Current  Misconceptions 
of  Realism 111 

—  Contemporary  Real  U  m  .     .     .     .     112 

MORET  A.  La  Magie 572 

MoRiLLA  H.  S.  Augustin  defensor  de 

la    Concepcion    Immaoulada      de 
Maria 378 


TABLE    GENERALE    DES    MATIERES 


867 


MosELLi  E.  Morale ôô7 

MiJLLER  J.  Die  Verurteilung  des 
Modemismus  durch  Piu'i  X.     .     .     796 

—  Die  Encyclica  und  Ehrhard's 
Kritit 796 

Nagel  a.  JDer  Chinesische  Kucheii- 
gott  Tsau-Kyun 603 

Nayrac  J.  p.  Physiologie  et  Psycho- 
logie de  l'attention      3i7 

Netjbert  E.  Marie  dans  l'EgUse 
anténicéenne 375,     611 

NÈVE  P.  La  Philosophie  de  Taine     .     776 

Newman  h.  Grammaire  de  l'assen- 
timent      108 

—  Du  Culte  de  la  Sainte  Vierge  .     .     611 
Niederhuber  j.    e.    Die  Eschato- 
logie des  hl.  Ambrosius  ....     396 

0'  Donnell  m.  j.  Penance  in  the 
Early  Chm-ch 386 

Oesterlet  W.  0.  T.  'Jlie  Demuno- 
Jogij  oftheOJd  Tedament     .     .     .     1.53 

Olivier  Lodge.  La  Vie  et  la  Ma- 
tière    123 

OSTWALD.  Zu)'  modernen  Energetïk.     13.5 


Paris  G.  Grammaire  de  l'assenti- 
ment. Trad 

Patton.  The  Sew  Theism  .... 

Paulhan  F.  La  contradiction  de 
V  homme 

Peibce  a.  h.  An  appeal  from  the 
prevailiiig  iloctrine  of  a  detached 
consciousness 

Pbisker  m.  Die  Beziehmigen  der 
Nichtisraeliten  zii  Jahve.     .     .     . 

Pesch  C.  Praelectiones  dogmaticae. 

Ppleiderer  0.  Die  Entwicklung 
des  Christentums 

PlERl  51.  Sur  la  comptabilité  des 
A.riomes  de  VAinthmctiqite  ,     . 

PiLLSBURG.  L'attention     .... 

PoiNCAHÉ  H.  Les  mathématiques  et 
la  Logique 

Poulain  A.  Des  Grâces  d'Oraison  . 

Prat  F.  Théologie  de  saint  Paul.     . 

Pratt.  Truth  and  its  verilication    . 

Proal.  L'éducation  et  le  suicide  des 
enfants    

Prost  j.  Essai  sur  la  Philosophie 
cartésienne 

PrÙm  e.  Der  Phaido/i  Hier  Wesen 
11.  Bestimmung  des  Menschen   .     . 

Relnach  s.  Cultes,  Mythes  et  Eeli- 


108 
1.33 


348 


336 

155 

798 

374 

361 
353 

360 
811 
175 
109 


gions 


560 
772 

757 

598 


Reiners  j.  Der  Aristotel.  Eealismus 
in  der  Friihscholastik 764 


Reinstadler  L,  Elementa  philoso- 
phiae  scholasticae 371 

Renel  Ch.  Les  reUgions  de  la  Gaule 
avant  le  christianisme     ....     597 

Riehl  A.  Der  Philosophische  Kriti- 
zismus 770 

Rivière  J.  S.  Justin  et  les  Apolo- 
gistes du  second  siècle    ....     392 

Robin  L.  La  théorie  platonicienne 
des  Idées  et  des  Nombres  d'après 
Aristote 749 

—  La  théorie  platonicienne  de 
l'amour 752 

RoDiER.  Les  prédites  de  Vimviorta- 

litê  de  l'âme  d'après  le  «  Phédon  ».  756 
ROEKRiCH  E.  L'attention  spontanée 

et  volontaire 348 

Rogala  s.  Die  Anfànge  des  arianis- 

cheu  Streites 395 

Ronald  M.  Burrows.  The  Discove- 

ries  in  Crète 590 

RosMiNi  A.  Compendio  di  Etica.  .  559 
Roure  L.  En  face  du  fait  religieux.     810 

—   Un  chi-étien 791 

DU  RoussAUX.   Éthique.  Traité  de 

Philosophie  morale 558 

Rocsselot  p.  Problème  de  l'amour 

au  M.  A 765 

Royce  J.  Immortali*>j 134 

RoYET  A.  Étude  sur  la  Christologie 

des  Épîtres  de  S.  Paul  .  .  .  .  176 
Russell  D.  The  Principles  of  ma- 

thematics 360 

—  Les  paradoxes  de  la  Logiqve  .  .  363 
Russell  J.  E.  Pragmatism  as  tlie 

Sal  rat  ion  from.  philosojjhie  Douht.     108 

—  A  Reply  to  Dr  Schiller.     ...     108 

—  A  Last  Word  to  Dr  Schiller  .     .     109 


Samtér  g.  Der  Ursprung  des  Laren- 

kultes 594 

Saudreau.  Les  degrés  de  la  vie  spi- 
rituelle       811 

—  La  vie  d'union  à  Dieu    ....  811 

—  L'état  mystique 811 

—  Les  faits  extraordinaires  de  la  vie 
spirituelle 812 

Savio.   Logica  Raziocinativa  e  In- 

duttiva 368 

SCHEFTELOWi  I  z.  Les  Apocryphcs  du 

Rigvéda 602 

SCHiFFiiACHER,   L'idée  de  Dieu  et 

l'idée  du  Cosmos '  132 

Schiller  F.  C.  8.  Plato  or  Protagoras  757 

—  Studies  in  Humanism     .     .     104,  124 

—  The  Pragmatic  cure  of  Doubt.     .  108 

—  Pragmatism,  versus  Skeptieism     .  109 

—  UUima  ratio 109 


868         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES   ET    THÉOLOGIQUES 


SCHMID  Fr.  Bie  Gewalt  der  Kirche 
iezûglich  der  Saltramente     .     .     . 

ScHMiDT  H,  Yeteres  philosophi 
quomodo  judicaTerint  de  precibus. 

Schneider  H.  Kultur  und  Dencken 
der  alten  Aegypter 

SCHKEIDER  W.  Das  andere  Leben  . 

SCHRAîJK.  Babylonische  Siihnriten 
mit  Eiicksicht  auf  Priester  und 
Biisser 

SCHÛRER  E.  Geschichte  des  jUdis- 
cben  Volkes  im  Zeitalter  j.  C. 
(4«éd.) 

SCHULTZ  W.  nTGArOPAS     .     .     . 

Scott  S.  T.  The  Fourth  Gospel  .     . 

Seeberg  R.  Lehibuch  der  Dogmen- 
geschichte 

Segerstedt  t.  Les  Asuras  dans  la 
religion  védique 

Settz  J.  Die  Verehrung  des  hl.  Jo- 
seph     

Sertillanges  a.  D.  Réponse  à 
M.  Oardair 

Shearman  a.  t.  The  Development 
of  symbolic  Logic 

Sidney  Haetland  E.  Conceming 
the  rite  at  the  temple  of  Mylitta    . 

Skeat  W.  W.  Pagan  Races  of  the 
Malay  Peninsula 

Sollier.  Essai  critique  et  théorique 
sur  l'association  en  psychologie     . 

Spitta  Fr.  Streitfragen  der  Ges- 
chichte Jesu 

Strehler  B.  Das  Idéal  der  Katho- 
lischen  Sittlichkeit 

Strehlow  C.Die  Aranda-  und  Lorit- 
ja-Stâmme  in  Zen tral- Australien  . 

Stufler  j.  Zur  Kontroverse  ilher 
das  InduJgenzedilit  de.'^  Papstes 
Kallistus 

— Die  Buxsdiszijjîin  der  ahendlmidis- 
chen  Kirclie  bis  Kallutus     . 

—  Bie  Sundenrergeiung  hei  Orige- 
nes 

—  Bie  Behandlung  der  Gefallenen 
zur  Zeit  der  deci^chen  Vej'folgmig. 

Taparelli  R.  De  Gratia  Chi-isti.  . 
Tanguy.  L'ordre  naturel  et  Dieu. 
Taylor  a.  e.  Aristotle  on  bis  pre- 

decessors 

Thamiry  e.    Les  deux  aspects  de 

l'immanence 

Thurston  h.  The  early    Cultus  of 

the  hlessed  SacrameTvt    .... 

—  Stipends  for  Masses 

de  Tonquédec.  La  notion  de  Vérité 

dans  la  «  Philosophie  nouvelle  »   . 
TOUZAKD  J.  L^argument  prophétique. 


809 
592 


569 
810 


581 

1(5-1 
749 
178 

374 

fiOl 
613 
131 
357 
582 
567 
354 
170 


566 


385 

385 

386 

386 

804 
141 

758 

797 

609 

609 

102 
786 


Trivero.  11  problema  del  Bene  .     .  551 

Troilo  e.  La  filosofia  di  G.  Bruno.  771 
Turmel  j.  s.    Jean    Clirysostome  et 

la  Confession 387 


Urban  j.  Be  vis  quae  theologi  catho- 
lici  jjraestare  jmsswnt  erga  eccle- 


siam  russtcam 


r90 


Vacaxdard  e.  lertullien  et  les  trois 
péchés  irrémissibles 383 

—  La  Prière 2>our  les  Tréjiassés  dans 

les  quatre  premiers  siècles  .  .  610 
Vaganay.   Le  problème  eschatolo- 

gique  dans  le  IV''  livre  d'Esdias  .  166 
Yailati.  The  Attack  on  Distinctions  370 
Van    Biekvliet.     La    Psychologie 

qiiantitatire .     .......     331 

Van  der  Meersch  J.   De  moder- 

nismo 796 

Van  Nookt  G .  De  Vera  religione.  .     793 

—  De  Deo  uno  et  trino.     802 

—  De  gratia  Christi     .     802 
ViLLARD  A.   L'Incarnation   d'après 

saint  Thomas 807 

Vital  Lehodey. Les  voies  de  l'orai- 
son mentale 811 

Voelter    D.    Aegj^pten    und     die 

Bibel  (3'=  éd.)     .  ' 166 

Vollers  K.  Die  Weltreligionen  in 
ihren  geschichtlichen  Zusammen- 
bange 588 

Warde  Fowleu.  Religion  and  citi- 
zenshij}  in  early  Rome   ....     593 

TVassmann  e.  Die  moderne  Biologie 
und  die  Entwicklungstheorie  .     .     142 

—  Der  Kampf  um  das  Entwick- 
lungsproblem  in  Berlin  .     .     .     .     142 

Waybaum.  Les  caractères  affectifs 

de  la  2}erception 347 

WÉBER  L.  L'évolution  créatrice  par 

H.  Bergson 117 

Wenzel    a.   Die    Weltanscbauung 

Spinozas 3 

Whitehead.   Introduction   logique 

à  la  géométrie 363 

Wide  s.   Chthonische  und  himmlis- 

chp  Gotter 591 

Williams  M.  V.  Six  Essays  on  the 

Platonic  Theory  of  l'Lnowledge  .  755 
WiNTER.  Sur   r  introduction  logique 

à  la  théorie  des  fonctions  .  .  .  363 
WoRKMAN   G.  c.   The   Servant    of 

Jebovab 162 

Wundt  m.   Der    Intellektualismus 

in  der  erriechiscben  Ethik   .      .     . 


TABLE    GENERALE    DES    MATIÈRES 


809 


ZaenkerO.  Der  Primat  des^Willens 

TOT  dem  Intellekt  bei  Augustin     .     81)8 
ZiDEK  0.  De  Ecclesiae  catholicitate .     7itl 


ZiEHEN  L.  Leges  Graecorum  sacrac 
e  titulis  collectae 


092 


2.  —  Chronique. 


Pie  X.   Motu  proprio 


Documents  pontificaux. 

•     .     .     190    I    Commission  Biblique 


191,  625 


Publications  nouvelles. 


/.  —  Ouvrages, 


Abele  Th.  A. . 
d'Annibale  J. 
Bannwart  C. . 
Bastien  P. .  . 
Benuett.  .  . 
Boudinhon  A. 
Boulenger  F. . 
Brémond  H.  . 
Bros  A.  .  . 
Bund  J.  .  . 
Campbpll  J.  . 
CofEey  P.  .  . 
Cook  H.  A.  . 
Denziager .  . 
Uesmons  F.  . 
DeWulf    .     . 


180 
411 
614 
192 
183 
408 
407 
621 
188 
621 
822 
184 
616 
614 
40R 
184 


Drerup .     .     . 

180 

Elliût  W.  A.  . 

616 

Francotte  H. . 

180 

Gennari     .     . 

191 

Getino  L.  G.  A 

404 

Goyau  G.  .     . 

621 

Grimme  H.     . 

680 

Haddon  A.  C". 

616 

Haine    .     .     . 

621 

Harnack    .     . 

621 

Hawker  J.  (i. 

616 

Hefele  .     .     . 

186 

Heinisch  P.    . 

180 

Kautzsch  E.  . 

614 

Kirsch  J.  P.    . 

180 

Knabenbaucr. 

406 

Leclercq  H 187 

Lehmkuhl    A.     .     .     .  180 

von  Loë  P 180 

Macfayden     .     .     .     .  616 

Martini  E 180 

Meinertz 180 

Nardi  M.  B    .     .     .     .  625 

OwenG 616 

Pannier  E 406 

Quentin  H 408 

Sachau  K.  1'^.     .     .     .  181 

Sattel  G 614 

Strowski 621 

Thatcher  G.  W.  .     .     .  616 

TurmelJ 622 

Zapletal 413 


2.  —  Pèriodiqtœs. 


Archivura  Franscisc.  Historicum.     .  411 

Bibliophoros 826 

Foi  (La)  Catholique 188 

Irish  (The)  Church  Quarteriy  .     .     .  402 


Oxford  (The)  and  Cambridge  Keview.  1 83 

Philosophical  Eeview 620 

Questions  (Les)  Ecclésiastiques    .     .  408 

Rivista  di  Filosofia  Cristiana  .     .     .  700 


■3.  —  Collections  et  Recueils 


Acta  I.  Conventus  Velehradensis  .     . 
Alttestamentliche  Abhandlungen 
Anthropological  Essays  presented  to 

E.  B.  Tylor    .     .    ' 

Bibliothèque  d'Histoire  religieuse.     . 
Bibliothèque  d'Hist.  des  Pieligions     . 

Biblische  Studien 

Chrysostomica 

Cursus  Scripturae  Sacrae     .... 
Encyclopaedia     of     Religion     and 

Ethics 615    et 

Essais  Philosophiques  et  Psychologi- 
ques   

Literature    (The)    and    Religion   of 

Israël    

ae  Année.  —  Revue  des  Sciences.  —  N» 


403 
180 

183 
622 
188 
180 
412 
406 

821 

619 

182 


Neutestamentliche  Abhandlungen    . 

Pensée  (La)  chrétienne 

Quellen  u.  Forschnngen  zur  Gesch, 
des  Dominikanerordens  in  Deut- 
schland 

Rapport  sur  les  travaux  du  sémi- 
naire historique  (Louvain)    .     .     . 

Religion  (Die)  in  Geschichte  und 
Gegenwart 

Studien  znr  Geschichte  und  Kultur 
des  Altertums 

Studien  zur  Philosophie  und  Reli- 
gion  

Textes  et  doc.  pour  Tétude  hist.  du 
Christianisme.     .     .         .     .     .     . 


180 
620 


180 
403 
816 
180 
6U 

407 

s6 


870         REVUE    DES   SCIENCES   PHILOSOPHIQUES    ET    TIlÉOLOGIQUES 


Universités.  " 


Alcala  de  Henarès  .     .  824 

Apollinaire  (Rome).     .  827 

Baltimore 824 

Caire  (Le) 618 

Californie 185 

Cambridge    .     .     (il(i.  822 


Fribourg  (Suisse")    .     .  415 

léna.     r 816 

Leipzig 816 

Londres 615 

Lyon 409 

Madrid  .       185,     404,  824 


Oxford  .     .     .     .615, 

Paris 

Puebla  (Mexique)  . 
Salzbourg  .... 
Univ.  grégor.  (Rome) 
Washington   .     .     . 


822 
«22 
627 
403 

827 
620 


Académies,  Écoles,  Congrès,  Sociétés  savantes  et  Bibliothèques 


Académie  royale  de  Belgique 

Association  cath.  intern.  pour  le  progrès  des  Sciences.     .     .     . 

Bureau  impérial  d'Anthropologie  (Londres) 

Cercle  de  Philosophie  (Rome) 

Commission  biblique 

Congrès  international  des  Américanistes  (Vienne) 

»  »  d'Antliropologie  criminelle  (Turin)    .     . 

»  »  d'Ai-cbéologie  (Le  Caire) 

»  »  d'Éducation  morale  et  sociale  (Londres). 

»  »  d'Histoire  des  Religions  (Oxford)  .     .     . 

n  »  de  Mathématiques  (Rome) 

»  ))  des  Orientalistes  (Copenhague^     .     .     . 

>.  »  de  Philosophie  (Heidelberg) 

»  »  de  Psychologie  (Genève) 

»      allemand  de  Psychologie  expérimentale 

"      historique  de  Barcelone 

»      des  neurologistes  et  aliénistes  français 

"       positiviste  international  (Naples) 

»      des  Séminaires  d'Espagne 

»       de  la  Société  italienne  de  philosophie     .... 

Conventus  Velehi-adensis 

Institut  autrichien  d'Archéologie  (Athènes) 

»     d'Etudes  catalanes 

»     imp.  allemand  d'Archéologie  égyptienne  (Le  Caire).     . 

»     cathol.  allemand  d'Archéologie  orientale  r.Térusalem  i  . 

Orient  (The)  in  London 

Séminaires  d'Espagne 

Society  for  Philosophical  luquirj-  (Washington) 

»       n  Philosophy  and   Psychology  (Washington)     .     .     . 
Union  des  Univci'sités  américaines 


412 


413, 
402, 
183. 


401. 


617 
192 
615 
827 
626 
617 
412 
618 
615 
822 
412 
618 
818 
414 
816 
619 
409 
412 
619 
192 
403 
616 
404 
413 
413 
616 
185 
620 
405 
405 


Fouilles  et  Découvertes 


Sebastige  (Palestine)  ....  186 

Mssde  la  Bible  (Hte  Egypte)     .  404 


Xepata. 


413 


Prix  et  Concours 


Académie  des  Inscr.  et   lî.  L.  .  617 

t>        des  Se.  mor.  et  po'.  .  ISS 

>i         roy.  de  Belgique.   .  .  184 

>'        des  làncei    Rome).  .  827 


Fr.  Cumont  .     .     .     . 
KantgeselLschaft     . 
Université  de  Vienne. 


617 
614 
616 


TABLE    GENERALE    DES    MATIERES 

Conférences 


AUo  B.,  à  Fribourg  (Suisse).     .  415 

Bateson  W.,  à  Yaîe  (E.-U.)      .  186 

Bum,  à  Cambridge 616 

Garcia  M.,  à  Salamanque.    .     .  619 


Institut  cath.  de  Paris.  .  . 
Monlton  J.  H. ,  à  Cambridge. 
Pfleiderer  0.,  (Univ.  Harvard) 


Anniversaires  et  Jubilés. 


Balmès 824 

Darwin  (Cambridge) 402 

HurterH 617 


871 


188,  622 
616 
186 


Jacques  I",  roi  d'Aragon      .     .     .     .     61!» 

Tylor  B.  E 183 

Université  d'Oviédo 619 


Abbee  E    .     . 
Aicher  G    .     . 
Alexander  A.  lî 
Balfour  A.  J  . 
BalthazarX  . 
Benedite  G 
BerthelotK    . 
Beth.     .     .     . 
Bonet-Maury  G 
Breasted  J.  H 
Brebant  L. 
Breton .     . 
CarrH  .     . 
Comtesse  P 
Conze    .     . 
Cooke  G.  A 
Cory  Ch.  S 
Deissmann  A 
Delbos  .    . 
DeWulf    . 
Dupréel     . 
Ehrle    .     . 

Emeisoi]  L. 
Evellin .     . 
Feldmaun  F 
Fonck  L    . 
Fowler  W. 
Frazer  J.  G 


186 
615 
620 
409 
184 
410 
184 
824 
409 
186 
616 
622 
825 
415 
410 
823 
620 
615 
622 
184 
184 
410 
186 
409 
819 
827 
616 
184 


Nominations. 


Gressmanii  . 
Groizard  A  . 
Hammond  W.  .\ 
HeberdcjPv.  . 
Heigl  B.  .  . 
Hermann  J 
Heuzey.  .  . 
Hudson  J.  W. 
Joakum  CI.  S. 
Kennedy  .  . 
Knopf  R.  .  . 
Ledi'ain.  .  . 
Lévy-Brubl  . 
Lidzbarski  M. 
de  Loubat.  . 
Lovejoy  A.  0 
Maître  Cl.  E. 
Margerin  .  . 
Maspero  G.  . 
Maximilieu  de  Saxe 
Meinertz  M  . 
Meyer  Ad.  . 
Niederbuber  J 
Nippold  F.  . 
Nôldecke  Th  . 
Noon  W.  D  . 
Pastor  L  .  . 
Poincaré  H     . 


Ev 


4U9. 


401 
619 
406 
616 
181 
824 
189 
825 
825 
824 
403 
410 
189 
401 
189 
620 
410 
825 
617 
828 
181 
824 
615 
181 
403 
405 
192 
617 


Pottier  . 
Rauh     . 
Ray  Leigh. 
Revillout  E. 
Ricbardson  E 
de  Ridder  . 
Ridgeway  W 
Rosebery    . 
Santayaua  G 
Schlôgl  N  . 
Seeberg  A . 
Senart  .     . 
Starch  D.  E 
Steuernagel  C 
Stratton  G.  M 
Stufler  J    .     . 
Thureau-DaugiH 
Tilhnann  Fr  . 
Tisserant  E    . 
Van  Berghem  ]\I 
Virolleaud  Cli 
VoIzJ.  R  .     . 
Watson  J.-B. 
Weber  S     .     . 
Weiss  J.     .     . 
Withney  C.  W 
Zaraguëta  J  . 


410 
622 
822 
410 
620 
410 
402 
402 
186 
823 
401 
623 
186 
401 
406 
617 
410 
820 
827 
410 
409 
405 
825 
401 
615 
186 
404 


Boutroux 189 

Cbeyne  T.  K.     .     .     .  616 

ChiapeUi  A     .     .     .     .  627 

Heuzey 189 


Baljon  J.  M.  S   .     .     .  825 

Barbier  de  Meynard  A  410 

Bigg  Ch 823 

Boissier  G 624 

BosC 18;) 


Retraites 

Neitmann  W.  A .     .     .  823 

Nôsgen  K.  Fr    .     .     .  615 

Pierret 410 

ReviUout  E    .     .     .     .  410 


Nécrologie. 


Broobard  V 
Busse  L     . 
Chamard  . 
Charaux 
Christ  P     . 


189 
182 


825 
415 


Rubeus  Du  val 
Seisenberger  M 
Weiss  B.     .     . 


Coconnicr  Th. 
De  Loes  A.  . 
Derby  .  .  . 
Derenbourg  H 
Dieterich  A    . 


410 
181 
615 


623 
415 
616 
623 

820 


872 


REVUE    DES   SClEiNXES    PHILOSOPHIQUES    ET    THEOLOGIQUES 


Franco  G 413 

Freudenthal  J    .     .     .  181 

Glaser  Ed 820 

Kelvin 184 

Koeberle  J.  A     .     .     .  Olô 

Lamy  Th 184 

de  Lapparent  A.     .     .  624 


Paulsen  Fr 821 

Pfleiderer  0    ....  820 

Réville  J 624 

Robles  E.  G   .     .     .     .  824 

de  Rougemont  J     .     .  828 

Riickert  K     ....  182 

Schneider  Fr.     .     .     .  401 


von  Sickel  Th     .     . 
Sophus  Bugge     .     . 

TaylorCh 

Thomsom  W.     .     . 
de  1a  Vega  de  Armijo 
ZeUer  Ed  .     .     .     .  " 


617 
189 
823 
184 
619 
401 


Renseignements  biographiques  et  bibliographiques 


Baljon  J.  M.  S.  .     .     .  825 

Barbier  de  Meynard  A.  410 

BiggCh.     ..'...  823 

Boissier  G 624 

BosC 189 

Breton 622 

Brochard  V 189 

Busse  L 182 

Chamard 825 

Charaux  Cl.  ('h.     .     .  825 

Christ  P 415 

Coconnier  Th.     .     .     .  623 


Cooke  G.  A 823 

Derenbourg  H.  .     .     .  623 

De  Devonshire   .     .     .  402 

Dieterich  A 820 

Franco  G 413 

Freudenthal  J.   ...  181 

Glaser  Ed 820 

Kelvin 184 

Koeberle  J,   A.  .     .     .  615 

Lamy  Th 185 

De  Lapparent  A.     .     .  624 

Maximilien  de  Saxe  '  .  828 


Meyer  Ad 824 

Paulsen  Fr 821 

Pfleiderer    O.     .     .     .  820 

Poiucaré  H 409 

RéviUe  .J 624 

Ruckert  K 182 

Von  Sickel  Th.  .     .     .  617 

Taylor  Ch 823 

Tisserant  E 827 

ZeUer    Ed 401 


3.  —  Recension  des  Revues. 


Annales  de  Philosophie  chrétienne  ('i'aW.?,  Blond  et  Cie).     .     .     .  193  416 

Anthropos  (Môdling,  bel   Wien,  Autriche) 194  417 

Archiv  fiir  Geschichte  der  Philosophie  (Berlin,  G.  Reimer j    .     .       »  418 

Archiv  fiir  Religionswissenschaft  C  Ze//;.-;^,  ^.  ^'r.  7i3Mft?j^7-     ...       »  419 

Axc\Atq%  àe'^s^cholo^xe  (Genève,  H.  Kilndi g) 196  » 

Biblische  Zeitschrift  f^m^;?/r<7;.  ^;-..^.S<'^'rfe;-; 196  420 

Bulletin  de  l'Instit.  général  psychologique  (Paris,  14,  r.  de  Coudé).       »         » 

Bulletin  de  littérature  ecclésiastique  ('P«;v>,  J*.  ief/ne/?e?<.>'^     .     .  197  420 

Catholic  (The)  University  Bulletin  (  Washington) »  » 

G\\ià&à(h2i)  de 'Dios  (Madrid,  Monasterio  de  el  Escorial)     .     .     .  197  421 

Civilta  (La)  cattolica  ( Roma,  via  Ripetta,  246) 198  421 

Ciiltura  espanola  (Madrid,  S.  Vincettte,  56) 198  421 

Échos  d'Orient  (Paris,  5,  r.  Bayard ) 198  421 

mnàei  (Paris,  50,r.  de  Balylone) 199  422 

Études  Franciscaines  (Paris,  Ch,  Povssielguej »  423 

Expositor  (The)  (London,  Hodder  and  Stoughton) 199  423 

Expository  (The)  Times  (Edimiurg,  T.  and  T.  Clarch  j    ....  202  424 

Harvard  (The)  theological  Review  (Xeio-York.theMacmillan  C).      »  425 

Hibbert  (The)  Journal  fi(>«<?o«,  Williams  and  Xor  gâte  )  .     ...       »  426 
Interpréter  (The)  (London,  Simjfkin,  Marshall,  Hamilton,   Kent 

and  C) »  427    638    839 

Irish  (The)  Theological  quarterly  (Buhlin,  M.  H.  Gill  and  Son)  .  202  427     639     840 
Jahrbuch  flir  Philosophie   n.    Spekulative  Théologie  (Paderborn, 

F.  Schbningh) 203  428     639     841 

Journal  (The)  of  Philosophy,  Psychology  and   Scientific  methods 

(Neiv-Tork,  the  Science  Press) 204  429     640     842 

Journal  de  Psychologie  normale  et  pathologique  (Paris,  F.Alcan).  204  430 
Journal  (The)  of  Theological  Studies  (London,  H.  Froicde)     .     .       >         )^ 

KathoUek  {De)  (Utrecht) 205       > 

Mind  (London,  Macmillan  atul  O") »  431     642     844 

Month  (The)  (London,  Longmans,   Grcen  and  C) 205  »       643       » 


629 

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631 

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lABLE    GÉXÉHALE    DBS    MAllÈKES  873 

Muséon  (Le)  (Louvain,  J.-B.  Istas) ,     .     .     .     .  205 

New  York  (The)  Review  (New-  York,  St  Joseph' s  Seminary)     .     .  206 
Princeton  (The)  theological  Review    (Princeton.  N.  J.,  The  Prin- 
ceton University  Press) » 

Questions  (Les)  Ecclésiastiques  ('if'ZZe,  25,  r.  rf'^7î^Ze<er/«) .     .     .      » 

Razon  y  Fe  (Madrid,  Piazza  de  S.  Domingo,  14) 207 

Revue  Augustinienne  ^/'rtm,  5,  r.  i?ayarrf^ 207 

—  Bénédictine  ( Maredsous,  Belgique) 207 

—  Biblique  (Paris,  V.  Lecoffre) 208 

—  Catholique  des  Églises  ('i'<m«,  5J  r.  rf«?.*  &i«#s-Pèms-j.     .     .     .  209 

—  an  Clergé  han^&is  (  Pari  s,  Letcmxey  et  Ané  ) 209 

—  d'histoire  ecclésiastique  (Louvain) 210 

—  de  l'histoire  des  religions  f  Paris,  J^.  Le/w«a;J 211 

—  de  rinstitut  Catholique  de  Paris  (Paris,  1er,  de  Vaugirard)    .  212 

—  de  Métaphysique  et  de  Morale  (Paris,   Arm.    Colin)  ....  212 

—  Néo-Scolastique  (Louvain) 213 

—  de  l'Orient  Chrétien  (Paris,  A.  Picard ) 214 

—  de  Philosophie  ^Pa/v's,  iV, -Btn'^re^ 214 

—  Philosophique  (Paris,  F.  Alcan) 215 

—  pratique  d'Apologétique  (Paris,  O.  Beauohes'iieJ 216 

—  des  Sciences  ecclésiastiques  et  la  Science  catholique  (Paris  et 
Arras,  Sueur- Charrvey  ) 217 

—  Thomiste  (Pans,  Librairie  Saint-Paul) 217 

Rivista  filosoiica  (Pavie) » 

—  ai  ^GiQnza,  (  Bologna,  X.  Zaniohelli) 218 

—  Storico-critica  délie  Scieuze  teologiche  ^JSwrta,  IV.  Ferrari)    .  219 

Scuola  cattolica  (La)  (Milano,  S.  Andréa,  10) 220 

Slavorum  Litterae  Theologicae  (Pragne,  Uohlicek  et  Sievers)  .     .  221 

Studi  Religiosi   (Firenze) 221 

Teyier's  Theologish  Tijdschrift  (Haarlem) 221 

Theologische  Quartalschrift  f /"«Sirt^e/i,  J..  iœw;7/^j » 

Zeitschrift    flir   die   Alttestamentliche    Wissenschaft     (Giesseu, 

A.  Topelmann) 222 

—  flir  katholische  Théologie  (Innshruck,  F.  Ranch) 223 

—  fiir  die  Neutestaraentliche  "Wissenschaft  (Giessen,  A.  Topel- 

maJin) 223     447     659     859 


» 

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IMPRIMK    PAR    DÉSOLÉE,    DE    BROUWER    ET    Oie 
41,  RUE  DU  METZ,  LILLE.  —  4.997 


'•     "  .  ^-^