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Revue des Sciences
Philosophiques & Théologiques
2e Année. — Revue des Sciences, — N» i'
Revue
des
cieoces fiîiioso
et
Théologiques
DEUXIÈME ANNÉE
BUREAUX DE LA REVUE
Le Saulchoir, à KAIN (Belgique).
FEB 2 S i960
Intellectualisme et liberté
chez Saint Thomas
SUITE (1)
B. — LE PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE
ET LA LIBERTÉ.
« Siifficiens motivum alicujus potentiae non est nisi objectum,
quod totalifer hahef rationem motivi (ver respectum ad voluiitatejn
hoc est bonum perfectum): si autem in aliquo deficiat non ex
necessitati movehit. » 1^ 11"^, 10. 2. ad 1.
Nous avons déduit la liberté de la raison. L'homme est libre,
avons-nous dit, parce qu'il possède non seulement Vimage moyen-
ne du bien, mais Vidée du bien (2); parce qu'il ne se contente
1. Cf. Sevue des Sciences philosophiques et théologiques, octobre 1907.
2. Rappelons que pour Aristote et S. Thomas l'idée diffère essentiellement
de l'image commune, parce qu'elle contient la raison d'être de ce qu'elle re-
présente, tandis que l'image contient seulement à l'état de juxtaposition ce
qu'elle nous fait connaître. (Objectum formate et adaequatum intellectus nostri
est ens ; objectum proprium ejus est gnod quid est rei sensibilis, seu ratio
rei intima. IS 12, 4.) L'image commune de l'homme contient mécaniquement
juxtaposés et associés les caractères communs à tous les hommes : raisonnable,
libre, moral, religieux, sociable, doué de parole...; tandis qna l'idée rend tous
ces caractères intelligibles en montrant leur raison d'être dans le premier
d'entre eux; elle exprime le quod quid est de l'homme : ce qui fait qnç
l'homme est homme, ce n'est pas la liberté, ni la moralité, ni la religioQ, ni
la sociabilité, ni la parole, c'est la raison, car de la raison toutes les autres
notes se déduisent. L'idée de rationabilité diffère à son tour de l'image
commune correspondante en ce qu'elle rend la rationabilité infdUgihle : elle
en montre la raison d'être dans la relation essentielle de l'intelligence à
l'être : raisonner, c'est trouver la raison d'être du moins connu dans le plus
connu, ce qui ne peut être le fait que d'une faculté qui a pour objet formel
l'être et non pas la couleur, l'odeur ou le son. Rien n'est intelligible qu en
fonction de l'être. « lUud quod primo intellectus concipit quasi notissimum et
in quo omnes conceptiones reso'vit est ens ». (De Veritatc, q. 1, a. 1). L'in-
telligence surtout n'est intelligible qu'en fonction de l'être, qui est le fond
de toutes ses idées, le lien de tous ses jugements et vde tous ses rai-
sonnements.
Quelle est donc la différence de l'image commune du bien et de l'idée du
bien ? L'image commune du bien est une image qui nous rappelle la Bensation
de plaisir provoquée par la présence de tel ou tel objet délectable; l'idée
du bien, au contraire, nous dit ce qu'est le bien, elle rattache toutes
ses notes à un élément fondamental et cet élément à l'être. Pour tout
fl REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
pas de connaître, comme l'animal, des choses qui sont bonnes,
mais qu'il sait de chacune d'elles qu'elle est bonne et pourquoi
elle est bonne. Notre intelligence connaît la raison de ])ien, ce
qui fait que le bien est bien, de là elle s'élève à l'idée du Bien
parfait; par suite, nous l'avons montré, son jugement practico-
pratique reste indifférent (au moins d'une indifférence d'exer-
cice) à l'égard de tout objet et de tout acte qui n'est pas exempt
de tout mélange de mal ou d'imperfection. Une intervention de
la volonté est nécessaire pour vaincre cette indifférence du juge-
ment, et cette intervention ne saurait être elle-même infaillible-
ment déterminée par l'intelligence puisqu'elle ne se produit préci-
sément que pour déterminer l'intelligence. C'est pourquoi l'hom-
me, placé à deux reprises dans les mêmes circonstances, peut
\me fois agir et une autre fois ne pas agir. — La liberté se
déduit de la parenté de notre volonté avec l'universel, c'est-à-dire
avec la raison.
Cette théorie de la liberté permet-elle de résoudre l'objection
fondamentale du déterminisme, celle tirée du principe de raison
suffisante ?
Le principe du déterminisme ou principe d'induction s'énonce :
la même cause dans les mêmes circonstances produit nécessaire-
ment le même effet. Ce principe est un dérivé du principe de rai-
son suffisante : le changement de l'effet serait absolument sans
raison suffisante s'il se produisait sans que se fût produit aupa-
ravant dans la cause ou dans les circonstances un changement
pour le déterminer. Soit la cause A et son effet B, si de A pouvait
résulter une fois, non pas l'effet B, mais l'effet B', ce changie-
ment de B en B' serait sans cause et sans raison. Le principe du
le monde, le bien c'est ce qui ' est de nature à provoquer en nous, par la
connaissance que nous en avons, le désir, l'amour, l'espérance, par sa pré-
sence, la joie, par son absence, le tristesse, d'une façon générale, tous les
mouvements do l'appétit. Et de mêma que tous ces mouvements de l'appétit
dérivent de l'amour, tous les caractères du bien dérivent de l'un d'entre eux :
le bien est ce qui est capable de provoquer l'amour : bonum est id quod
omnia appetunt. Quelle est maintenant la raison d'être de cette « appétibilité »,
de ce pouvoir mi'a le bien d'attirer l'appétit? Pourquoi le bien nous attire-
t-il, est-il désirable? Parce qu'il peut accroître notre être, combler en nous
un vide, nous perfectionner. Mais pour nous perfectionner, il doit être lui-
nii'rne perfection, •plénitude d'être, à qui rien ne manque, capable de se ré-
pandre au dehors. « Unumquodque est appetibile secundum quod est perfectum,
in tantuni est autem perfectum unumquodque, in quantum est actu. » I'^ ,
q. b, a. 1). « Ratio formalis boni consistit in porfectione ut fundat appetibi-
litatem » (Jean de S. Thomas, in I--""). — Et comme nous nous élevons
par le prmcipe de raison suffisante des êtres m.ultiples à l'Être absolu, des
ventes multiples à la Vérité absolue, nous nous élevons aussi des biens
multiples, partiels et limités au Bien suprême qui ne peut manquer d'aucune
perfection concevable : est Ipsa plénitude essendi.
INTELLECTUALISME ET LIBERTE CHEZ SAINT THOMAS /
déterminisme est donc, comme le principe de raison suffisante
d'où il dérive, certain a priori : la même cause dans les mêmes
circonstances produit nécessairement le même effet. — Or, la
liberté telle que nous l'avons définie est une violation de ce prin-
cipe. Donc la liberté telle que nous l'avons définie est Impossi-
ble.
On peut répondre à cette objection en distinguant sur le mot
cause : la même cause qui par nature est déterminée ad uniim
produit nécessairement dans les mêmes circonstances le même
effet, p e. la chaleur, l'électricité, le magnétisme. Mais il n'en va
pas de même de la volonté qui par nature n'est déterminée qu'au
bien universel et non pas à tel bien particulier. — Nous n'avons
pas à réfuter ici le déterminisme physiologique, sa réfutation est
celle de l'empirisme. Saint Thomas se contente de dire : les
influences physiques ou physiologiques ne peuvent déterminer
directement l'acte de volonté; comme nos passions et nos habitu-
des, elles sont préalablement soumises au jugement de la raison,
lequel demeure indifférent parce qu'il a pour norme le bien uni-
versel (1).
Mais alors l'objection se précise : même si la volonté n'est
pas par nature déterminée à tel bien particulier la difficulté sub-
siste. La volonté en tous ses actes doit suivre le jugement de
l'intelligence. Or, l'intelligence jugerait sans raison suffisante si
les circonstances restant les mêmes elle changeait son jugement.
Donc les circonstances restant les mêmes la volonté ne peut chan-
ger son élection.
A cette instance on répond ordinairement : la volonté en tous
ses actes doit suivre le jugement au point de vue de la tepécifica-
tion; mais elle le précède au point de vue de l'exercice. Par con-
séquent c'est d'elle qu'il dépend que l'intelligence juge ou wb
juge pas, ce qui suffit pour qu'il y ait liberté d'exercice.
1. « Ex parte corporis et virtutum corpori annexarum potest esse homo ali-
dualis naturali giialitate, secundum qiiod est talis complexioiiis, vel talis
dispositionis, ex quacumque impressione corporearum caiisarum, quae non
possunt in intellectivam partem imprimere, eo guofl non est alicujus
corporis actus. Sic isitur qualis unusquisque est secundum corporeani quali-
tatem, talis finis videtur ei : quia ex hujusmodi «lispositione homo xncli-
natur ad eligendum aliquid vel repudiandum. Sed istae indinationes suhja-
cent judicio rationis, oui obedit inferior appetitus, lit dictum est (q. 81, a. 3).
Unde per haec libertati arbitrii non praejudicatur. Quaiitates autem super-
venientes sunt, sicut habitus et passiones, secundum quas aliquis magis in-
clinatur in unum, quam in alterum. Tamen istae etiam indinationes subjacent
judicio rationis. Et hujusmodi etiam quaiitates ei subjacent, in quantum in
nobis est taies quaiitates acquirero, vel causalitcr, vel dispositive, vel a no-
bis excludere. Et sic nihil est, quod libertati arbitrii repugnet » I^ , q. 83, a.
1, ad ô""»..
8 FEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Cette réponse n'est pas définitive. L'objection se précise à
nouveau : même si la volonté précède l'intelligence au point de
rue de l'exercice, la liberté d'exercice n'est pas sauvegardée
mais seulement la spontanéité des Jansénistes. Il est évident en
effet que le pur exercice s'il a lieu dépend de la volonté, mais
il ne peut dépendre d'elle seule qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas
acte exercé: c'est là précisément l'objet de la délibération. Cela
doit dépendre de l'intelligence et l'intelligence ne peut en aucun
cas se soustraire aux exigences du principe de raison suffi-
sante. I \ ' ' ' ' '. [ i;
Ce principe apparaît en effet comme un dérivé du principe
d'identité et comme lui il doit régir toutes les modalités de l'être,
a priori rien ne lui échappe. Il s'énonce : « Tout ce qui est a sa
raison d'être » ou « tout est intelligible ». Il se rattache au prin-
cipe d'identité par l'intermédiaire du principe de contradiction.
Exposons brièvement cette réduction à l'impossible pour don-
ner à l'objection toute sa force : Soit le principe d'identité : Ce
qui est est, tout être est lui même, est identique à lui-même,
A est A. — Le principe de contradiction est une forme négative
du précédent : Un même être ne peut pas à la fois exister et
ne pas exister, être ce qu'il est et ne pas l'être, p. e. être rond et
non-rond. Cette formule conduit à une seconde : un même être
ne peut pas à la fois et sous le même rapport être déterminé de
deux manières différentes, être tel et autrement, p. e. être rond
et carré ; car à la fois et sous le même rapport il serait et il ne
serait pas ce qu'il est : le carré est autre que le rond tet par con-
séquent non-rond. C'est, on peut dire, le principe des contraires
ou des disparates qui s'excluent nécessairement d'un même su-
jet. De là nous sommes conduits au principe de raison suffisante :
S'il y a contradiction à dire : le rond est carré, le rouge est vert,
il n'y en a plus à dire : le carré est rouge, puisque le rapport
d'attribution n'est plus le même : parler du carré c'est se placer
au point de vue de la forme, parler du rouge c'est se placer
au point de vue de la couleur. Mais il y a encore contradiction
à dire : le carré en soi et comme tel, c'est-à-dire immédiatement
et sans condition, est rouge ; car ce qui fait que le carré lest carré
est autre que ce qui fait que le rouge est rouge. Le carré ne
peut être rouge par soi et sans condition. Nous arrivons ainsi à
cette troisième formule du principe de contradiction : « l'union
ou l'identification inconditionnelle et immédiate du divers est im-
INTELLECTUALISME ET LIBERTE CHEZ SAINT THOMAS 9
possible », ou bien : « le divers ne peut en soi et comme tel (per
se primo, .<o.ô' <y-ÙTO y. 71 -hj-iiTo) être un et le même »; ce qui est évi-
demment une forme négative du principe d'identité. — Mais c'est
aussi une forme du principe de raison d'être : « Tout être a sa
raison d'être en soi ou dans un autre; en soi lorsqu'il est un et
le même, dans un autre lorsqu'il est union du divers ». Ex. : Tout
être a en soi ce qui le fait tel être lorsque par lui-même ou par ce
qui le constitue en propre il est tel, c'est ainsi que le rouge est
rouge par soi. Un être a en soi la raison de son existence lorsque
par lui-même ou par ce qui le constitue en propre il est existant,
c'est-à-dire lorsqu'il est à l'existence comme A est A, lorscfu'il
est l'existence même, Ipsum esse, ce qui n'est vrai que de Dieu.
Par opposition, tout ce qui est union du divers, c'est-à-dire tout
composé et tout devenir n'ayant pas en soi sa raison d'être,
requiert une raison d'être extrinsèque. Se refuser à affirmer que
l'union du divers dépend d'une raison d'être extrinsèque ou d'une
condition, c'est dire que cette condition n'est pas requise, que
l'union inconditionnelle du divers est possible, que le divers par
soi et comme tel est un et le même; ce qui est la négation du
principe d'identité. — De ce principe de raison d'être dérivent les
principes de raison proprement dite, de causalité, de finalité;
la cause formelle ou la différence spécifique est raison propre-
ment dite des propriétés, mais la raison d'être peut être aussi
cause efficiente et cause finale (1). Il est donc certain a priori
qu'un commencement absolu, sans cause efficiente et finale, ré-
pugne.
Nous avons emprunté l'essentiel de cette réduction du principe
de raison au principe d'identité au Précis de Philosophie de M.
Penjon (p. 106-111). Elle est tout à fait conforme à la doctrine
d'Aristote et de saint Thomas et ne demande qu'à être précisée
pour ce qui est de la causalité et de la finalité par les idées
1. Quant au principe de substance supposé par notre thèse, il est une simple
détermination du principe d'identité. Notre intelligence, dans sa toute pre-
mière appréhension, connaît d'une façon confuse l'èire, rà Ôf, le quelque
chose qui est, de même que les sens connaissent d'abord confusément un
continu amorphe et mouvant. Ce quelque chose qui est devient d'une façon
précise sujet un et permanent (sunstance) lorsque l'intelligence remarque la
multiplicité de ses phénomènes transitoires; le multiple en effet n'est in-
telligible qu'en fonction de l'un et le transitoire qu'en fonction du permanent
ou de l'identique, parce que l'être de soi est un et le même (p. d'identité).
L'idée confuse de substance est déjà dans l'idée d'être, elle est précisée par
l'idée confuse de phénomène ou d'accident, et elle permet ensuite de préciser
cette idée de l'accident dans la définition duquel elle entre; cognoscimus com-
ponendo et dividende (I 85, 3 et 5).
10 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de puissance et d'acte (1). Saint Thomas fait cette réduction lors-
qu'il écrit : « Omne ciuod alicui convenit non secundum quod
ipsum est, per aliquam causam ei convenit, nam quod causam
non habet primum et immediatum est. » (C. Génies. L. II, c. XV.
§ 2); ou encore : « quae secundum se diversa sunt non conve-
niunt in aliquod unum, nisi per aliquam causam adunantem ipsa »
(P, q. 3. a 7). Ce qui a pour traduction exacte : l'union incon-
ditionnelle et immédiate du divers est impossible. — C'est une doc-
trine reçue d'Aristote et conservée dans l'École qu'on manifeste
la vérité des premiers principes par une réduction à l'impossi-
ble (2). Par le principe de contradiction on ne démontre pas la
vérité des autres principes, mais l'impossibilité ou la répugnance
qui suit de leur négation; cela suffit à les rattacher au principe
d'identité et à l'idée d'être, premier objet de noti'e intelligence :
« Illud quod primo intellectus concipit quasi notissimum et in
quo omnes conceptiones resolvit est ens. » (De Veritate, q. I,
a 1.) ;
Si tel est le lien du principe de raison suffisante à l'être, objet
formel de notre intelligence, ne faut-il pas affirmer a priori que
ce principe aussi bien que le principe d'identité régit toutes les
modalités de l'être, que rien ne lui échappe; partant qu'un com-
mencement absolu répugne et que la liberté telle que nous l'avons
définie est manifestement impossible?
Telle est, je crois, l'objection dans toute sa force : Rien n'est
intelligible qu'en fonction de l'être, des principes d'identité et de
raison d'être, or l'acte libre au sens qui est le nôtre, avec l'ini-
tiative de l'intervention volontaire qu'il implique, serait un acte
sans raison, donc inintelligible ou absurde. Si l'on admet le primat
de l'intelligence il faut se résoudre à ne plus jamais retrouver la
liberté. Si donc on veut rendre la morale possible il faut rejeter
l'absolue nécessité des premiers principes comme lois du réel,
subordonner en tout et pour tout l'intelligence au vouloir, en
Dieu tout au moins, et dire avec Descartes que la vérité du prin-
cipe de contradiction dépend de l'arbitraire de la Volonté absolue.
« Si l'on ne met la liberté au sommet de tout, elle n'a de place
nulle part; si elle n'est tout elle n'est rien.» Ch. Sécrétan donnait
1. Voir plus loin, fin de cet article.
2. AnisïOTE. Met. 1. IV (Cornm. de S. Thomas, leç. 6 à 17), 1. XI (Comm.
do S. Th., leç. 3 à 7). — Zigliara. De la Lumière intellectuelle, t. III, p. 2.5.5. —
SuAREZ. Disp. Meth., Disp. III, sec. III, § IX.
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAIXT THOMAS 11
à choisir: ou la formule de Parméiiide, le principe d'identité, ou la
philosophie de la liberté (1).
*
* *
La théorie de la liberté que nous avons exposée permet-elle de
répondre à cette objection? Au premier abord il ne le semble
pas. La liberté thomiste, nous l'avons vu, se présente comme un
milieu entre la liberté d'indifférence au sens de liberté d'équilibre,
telle que la conçoivent, à la suite de Scot et des nominalistes,
les Molinistes (2), quelques cartésiens et Reid, et le déterminisme
psychologique, tel qu'il est conçu par Leibnitz. Ce milieu est-il
possible ? Est il possible d'affirmer contre Soot le principe de l'in-
tellectualisme, subordination de la volonté à l'intelligence, sans
aller jusqu'au déterminisme leibnitien? Si la volonté par défini-
tion est subordonnée, ne fautil pas dire que toutes ses démar-
ches sont déterminées par l'intellect?
La possibilité d'une position intermédiaire est niée par les
tenants des opinions extrêmes, en vertu du même principe : le
déterminisme est la conséquence fatale de l'intellectualisme. Poar
mieux comprendre le sens et la portée de cette objection, nous
allons l'exposer telle qu'elle se trouve chez Leibnitz, dans la
Théodicée ; nous rappellerons ensuite quelle forme elle avait prise
che.i les Molinistes et Suarez. — Pour répondre, nous commence-
rons par nous séparer de ces derniers; et nous aborderons en
dernier lieu la réfutation du déterminisme psychologique.
L'objection chez Leibnitz et chez les partisa)is de la liberté
d'équilibre
Leibnit;" qui a recueilli sur ce sujet les recherches des théolo-
giens scolastiques, qui la lu saint Augustin, saint Thomas, Bannez
et Alvarez, comme aussi Molina et Fonseca, admet avec nous que
« Vinielligence est comme l'àme de la liberté » {Théod. III, § 288) ;
que la liberté suppose la spontanéité, c'est-à-dire l'exemption d9
toute contrainte extérieure (§ 301) et aussi V indifférence; maj«!
il précise: pourvu qu'on n'entende par indifférence rien de plus
1. La Philosophie de la Liberté, 2e éclit., p. 439.
2. Sur la position de ces théologiens, cf. Salmanticenses, op. cit., V. p. 424.
Ils refusent d'admettre que l'élection sniv? infailliblement le dernier jugement
pratique. Ce dernier jugement formulé, la volonté peut (etiam in sensu com-
f)osito) agir autrement. S'il n'en était pas ainsi, disent ces scolastiques, la
ibcrté serait détruite : Si voluntas in omnibus sequatur ductum intellectus, des-
truitur libertas.
1:2 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
que contingence (1). La contingence, c'est « l'exclusion de la né-
cessité logique ou métaphysique » (§ 288), mais non pas l'exclu-
sion de la nécessité morale qui est le propre de l'entendement et
qui incline infailliblement sans nécessiter (§ 310).
Notre dernier jugement pratique est indifférent, selon Leibnitz,
au sens de contingent; c'est-à-dire que le jugement contraire, ou
tout au moins le jugement contradictoire, est possible, n'implique
pas contradiction; mais il n'est pas indifférent en ce sens que le
jugement contraire ou contradictoire serait compossiMe avec les
circonstancer extérieures et les dispositions intérieures où se trou-
ve celui qui juge. Admettre cette compossibilité, admettre que dans
les mêmes circonstances (in sensu composito), l'homme peut une
fois agir et ràne autre fois ne pas agir, n'est-ce pas retomber dans
la thèse scotiste et moliniste de la liberté d'indifférence au sens
de liberté d'équilibre {Théod. I, § 46. III, § 303); et n'est-ce pas
nier le principe de raison suffisante qui veut que rien n'arrive sans
raison déterminante? Or « sans ce grand principe nous ne pour-
rions jamais prouver l'existence de Dieu et nous perdrions une in-
finité de raisonnements très justes et très utiles, dont il est la fon-
dement; et il ne souffre aucune exception, autrement sa force se-
rait affaiblie. Aussi n'est-il rien de si faible que ces systèmss, où
tout est chancelant et plein d'exceptions. » [Théod. I, § 44). ^- Il est
bien évident que le dernier jugement pratique n'est pas absolu-
ment nécessaire comme une conclusion de géométrie, le jugement
contradictoire ne répugne pas. Mais il est nécessaire d'une néces-
sité m.orale en vertu du principe de raison, ou du principe du meil-
leur; dans telles circonstances déterminées, il ne peut être en
même temps meilleur d'agir et meilleur de ne pas agir; pour une
seule et même situation il ne peut y avoir qu'un meilleur et non
pas deux. Et si l'on juge qu'il est mieux d'agir, les circonstances
restant les mêmes, on ne peut effectivement abandonner ce juge
ment et juger qu'il est mieux de ne pas agir.
Cette argumentation de Leibnitz, reprise par Kant (négation de
la liberté phénoménale), sera toujours la principale objection con-
tre le libre arbitre. L'intelligence qui paraissait fonder la liberté
1. « Juscju'ici nous avons énurnéré les deux conditions de la liberté dont Aris-
tote a par.é, c'està dire la spontanéité et l'intelligence, qui se trouvent join-
tes en nous dans la délibération; au lieu que les bêtes manquent de la
seconde condition. Mais les scolastiques en demandent encore une troisième
qij'ils appellent l'indifférence. Et en effet, il faut l'admettre, si l'indifférence
signifie autant que contingence; car j'ai déjà dit ci-dessus que la liberté
G oAo^'^*"'",^ ""° nécessité absolue et métaphysique ou logique. » Théod. III,
§ 302. — 1, § 46.
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAINT THOMAS 13
par la connaissance du bien universel, paraît maintenant la suppri-
mer au nom dn principe de raison; la puissance de choisir gui sub-
siste semble ne plus conserver de la liberté que le nom. Faculté
fatale, l'intelligence ne peut que comparer les divers partis possi-
bles avec le principe de raison suffisante qui est la règle même
du choix. D'où il faut conclure que nos décisions sont certaines
d'avance et prédéterminées par nos états de conscience précédents.
« Tout est certain et déterminé d'avance dans l'homme comme
partout ailleurs, et l'âme humaine est une espèce d'automate spi-
rituel » {Tliéod. I, § 52). — Si cela est vrai, nous ne sommes |plus,
semble-t-il, qu'une série de phénomènes dont l'enchaînement est
régi par les lois de l'association des idées lorsque nous ne réflé-
chissons pas, par le principe de raison suffisante lorsque nous
réfléchissons. L'automate rationnel peut-il être appelé une per-
sonne, est-il vraiment maître de ses actes, siii juris ; n'est-il pas
plutôt une pièce de l'univers, un groupe de phénomènes perdu
dans l'immense série? Est-il vraiment source d'activité, a-t-il des
initiatives véritables? Ne se borne-t-il pas plutôt à transmettre
l'activité reçue? En dépit de sa raison, il est moins agent qu'il
n'est agi.
Voilà pourtant, selon Leibnitz, « la liberté telle qu'on la
demande dans les écoles théologiques » {Théocl. III, § 288). « La
volonté esi déterminée par la bonté prévalente de l'objet.... C'est
aussi le sentiment de tous les anciens, de Platon, d'Aristote, de
saint Augustin » {Théocl. I, § 45). Je ne sais si Leibnitz cite
quelque part saint Thomas comme étant de son avis, mais il paraît
le penser, puisqu'il ajoute en parlant de Baimez et Alvarez 3
« Ainsi on n'a pas besoin de recourir, avec quelques nouveaux tho-
mistes, à une prédétermination nouvelle immédiate de Dieu, qui
fasse sortir la créature libre de son indifférence, et à un décret de
Dieu de la 'prédéterminer, qui donne moyen à Dieu de connaître
ce quelU fera : car il suffit que la créature soit prédéterminée par
son état précédent, qui l'incline à un parti plus qu'à l'autre;
et toutes ces liaisons des actions de la créature et de toutes les
créatures étaient représentées dans l'entendement divin et con-
nues à Dieu par la science de la simple intelligence, avant qu'il
eût décerné de leur donner l'existence. Ce qui fait voir que pour
rendre raison de la prescience de Dieu, on se peut passer, tant
de 1m. science moyenne des Molinistes que de la prédétermination,
telle qu'un Bannez ou un Alvarez (auteurs d'ailleurs fort profonds)
l'ont enseignée » {Théod. I, § 47). — Leibnitz a certainement rai-
14 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
son : si la Toloiité créée est infailliblement déterminée par son
état précédent, la thèse thomiste des décrets divins prédétermi-
nants, moyens pour Dieu de connaître les futurs libres, est ruinés,
et la science moyenne des ^lolinistes peut trouver enfin le médium
qu'elle cherche depuis si longtemps (1).
Il est incontestable que la thèse de la nécessité des décrets
prédéterminants était enseignée bien avant Bannez et Alvarez,
elle est nettement exprimée chez saint Thomas : P, q. 14, a. 5 et 8.
— q. 19, a. 4 et 8. — q. 57, a. 4. — C. Génies I, c. 68 et alibi...
Il est non moins sur que saint Thomas rejette le déterminisma psy-
chologique (cf. De Malo, q. 6, 1, ad 15). Pour lui le déterminisme de
fait n'est assuré que par la prémotion physique. Elle seule peut
opérer suaviter et fortiter, sans froisser la liberté, parce que l'ac-
tion divine, cause propre de l'être en tant qu'être des créatures
et de leurs actes, est aussi cause des modes premiers de l'être,
mode nécessaire, ou mode contingent, ou mode libre; elle produit
non seulemeni la substance de l'acte libre, si l'on peut ainsi parler,
mais encorti l'acte libre dans tout ce qu'il est et jusque dans la mo-
dalité qui le fait libre. C'est un mystère conséquent au mystère de
l'acte créateur : Celui qui peut produire à son gré l'être en tant
qu'être, c'est-à-dire créer, produit aussi à son gré et comme cause
propre les modalités premières qui divisent l'être, nécessité et li-
berté. « Voluntas divina est intelligenda extra ordinem cntium ex-
istons, velut causa quaedam yrofundcns totum eus et omnes ejus
dit ferentias ; sunt autem differentiae entis possibile et necessa-
rium; et ideo ex ipsa voluntate divina originantur nécessitas et
contingentia in rébus» In I FcriJicrmenias, leç. 14. — Cf. VI Met-
leç. 3. — r. 19. 8. — 22. 4. ad. 3.)
C'est à te même endroit du Pcrihermenias (c. 9) qu'Aristote lui-
même affirme que le libre-arbitre serait détruit si de deux propo-
sitions singulières contradictoires sur les futurs en matière contin-
gente (A sera, A ne sera pas), l'une est déterminée comme vraie
et l'autre déterminée comme fausse. Certainement Leibnitz se
trompe lorsque après avoir nié que « les futurs contingents libres
soient privilégiés contre cette règle générale de la nature des cho-
ses » (d'avoir une raison déterminante), il cite Aristote comme
étant de son avis. [Théod. I, § 45).
1. « C'est plaisir de voir comment ils (les Molinistes, partisans de la. science
moyenne) se tourmentent pour sortir d'un labyrinthe, où il n'y a absolument
aucune issue... Ils ne sortiront donc jamais d'affaire sans avouer qu'il y a
une prtdotermination dans l'acte précédent de la créature libre, qui l'in-
clme à se déterminer. » (Théod. I, § 481 La science moyenne ne peut en
effet se comprendre que si l'on admet le déterminisme des circonstances, dont
les Molinistes se scandalisent si fort en psychologie.
IXTELLECTUAIJSME ET ElBEKTÉ CHEZ SAL\T TlIOiMAS lo
Saint Thomas admet donc contre les partisans du déterminisme
psychologique que le tout dernier jugement pratique n'est pas
détermine par nos états antécédents. Un thomiste peut souscrire à
ces paroles de Lequier : « la liberté s'applique au dernier juge-
ment qui motive l'acte libre et non pas seulement à l'acte propre-
ment dit de volonté ». Nous admettons avec Ch. Renouvier que
« nous pouvons arrêter, suspendre ou bannir » une représentation,
nous pouvons être cause de nos représentations mêmes; et le
motif est bien en un. sens, comme l'a dit M. Dolfus, un « auto-
motif ». M. Ravaisson voyait dans cette doctrine ce qui a été dit
de plus profond sur le rapport de la volonté et du motif dont elle
dépend, c'est la doctrine même de saint Thomas (1).
Connnent dès lors répondre à l'objection leibnitienne? Pour
le fond des choses, dira un leibnitien, vous ne différez pas des
partisans de la liberté d'équilibre ; c'est cette même liberté d'équi-
libre que vous placez avant le dernier jugement, au lieu de la
placer après. La volonté d'appeler, de retenir ou d'écarter tel
motif, de considérer le devoir sous tel ou tel aspect, ne peut être
elle-même sans motif. Le milieu que vous cherchez est illusoire;
un philosophe intellectualiste ne peut admettre une indifférence
dominatrice de la volonté qui implique en fin de compte im libre
jeu de cette faculté sous l'intellect, on a beau limiter ces initiatives
du vouloir, n'est-ce pas admettre ces commencements absolus, ces
« coups victorieux de la volonté » dont parlent les libertistes.
Les Molinistes et Suarez déclarent également de leur côté qu'il
n'y a {m^ de milieu entre leur position et la négation de !a liberté.
Votre solution, disait Suarez aux thomistes, ne fait que reculer la
question : l'acte de volonté qui précède le dernier jugement devrait
être précédé lui-même d'un autre jugement, en vertu du principe
que vous alléguez : nihil volitum nisi prsecognitum ut conveniens.
et ainsi de suite à l'infini. (Cf. Suarez Disp. Met. XIX. sect. VL)
Dès lors c'est le déterminisme : si voluntas in omnibus sequatur
ductmii intellectus, destruitur libertas.
Cette objection avait été posée par saint Thomas dans toute
sa rigueur, De Malo q. 6. a. 1. 15® obj. (2). 11 s'était contenté, pour
1. Descartes parle à peu près de la même manière : Lettre à un B. P.
Jésuite, éd. V. Cousin, IX, p. 168-170.
2. « Si voluntas respectu ad aliqua volita non ex necessitate noveatur, ne-
cesse est dicere quod se haboat ad opposita : quia quod non necesse est esse,
possibile est non esse. Sed oame quod est in potentia ad opposita, non redu-
citur in actuni alicujus eorum nisi per aliqnoJ ens actu, quod facil illud quod
erat in potentia esse in actu. Quod autem facit aliquid esse actu dicimus
esse causam ejus. Oportebit ergo, si voluntas aliqiiid determinate vult, quod sit
aliqua causa (fuae faciat ipsani hoc velle. Causa autem posita, necesse est
■16 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
y répondre, de rappeler les principes de sa thèse, nous allons voir
en effet qu'il contiennent une solution, et que l'intellectualisme
peut faire une place à une véritable liberté.
Mais montrons d'abord que la liberté tliomiste n'est nullement
la liberté d'équilibre reculée d'un cran, avant le jugement pratique.
Fidèle au principe intellectualiste, cette théorie n'admet aucun
acte de volonté qui ne soit formellement déterminé par l'intel-
lect.
La liberté thomiste n'est pas la liberté cVéquilibre, tous ses actes
sont forinellement déterminés par Vintclligence.
L'acte de volonté par lequel l'intelligence est appliquée à juger
de telle manière, répondent les thomistes à Suarez, est celai-là
même qui suit le jugement (1). Eil il n'y a là aucune contradiction
si l'on entend bien l'axiome d'Aristote : causae ad invicem sunt
causae in diverso génère, v-où àAlr,AMv ai-ix. (2). C'est ici que nous
reconnaîtrons volontiers une part de vérité dans les analyses de
M. Bergson et de M. Le Roy lorsqu'ils affirment que tout est dans
tout. Pouv nous aussi tout est dans tout, mais sans confusion, et
le réel n'échappe pas à l'intelligence. Cela ne peut s'entendre que
grâce à ces distinctions conceptuelles et réelles, défigurées par
effeclum poni, ut Avicenna probat (lib. VI, Met. c. 1 et 2) quia si causa
posita, adhuc est possibile effectum non esse, indigebit adhuc alio reducente
de potentia in aclum; et sic primum non erat sufficiens causa. Ergo voluntas
ex necessitate movetur ad aliquid volendum. » {De Malo, q. 6, a. 1, lô'' obj.).
Cette même objection est faite d'une manière plus brave, 1^ 11^^ , 10, 2.
« Objectum voluntatis comparatur ad ipsam, sicut motivum ad mobile, ut
patet 3 de Anima (tex. 54, to. 2). Sed motivum si sit sufficiens, ex necessitate
movet mobile; ergo voluntas ex necessitate potest moveri a suo objecto. »
1. « Infallibilis conuexio aclus voluntatis cum ultime judicio practico intel-
lectus non officit ejus iibertati : quia etsi voluntas potestate consequenti non
possit a tali judicio dissentire, bene tamen potestate anteccdenti, qua intellectum
ad sic judicandum libère applicuit. Et quia efficacia illius judicii tota est
ex hac libéra appIicaUonc, nihil adimit libertatis. Si vero petas per quem
actum voluntatis fiât talis applicatio? Respondotur posse fieri per vumdem,
quem dirigit illud judicium, ob mutuam causalitatem in diverso génère quae
solet in ea constitui : nam judicium in génère causse formalis extrinsecse
dirigit voluntatem, ut sic determinate eligat: et voluntas in génère efficientis
app.icat inleliectuai quoad exercilium, ut determinale sic judieet. Sed haec
ratio tune solum potest habere locum quando in intellectu et voluntate praeces-
scrunt aliqui actus, unde possit pra?dicta causalitas deduci. » Salmânt. t. V,
p. 426, § is. Cette fin de phrase fait allusion au tout premier acte de la
vie psychologique. L'intelligence ne peut être appliquée à son tout premier
jugement par la volonté qui est encore à l'état du pure puissance, il faut ici
une intervention spéciale de Dieu, premier moteur des intelligences. On dit
que Dieu, pour cet acte, donne lui-même le dictamen (I^ . 82, 4, ad 3). Dans
ce premier instant, la créature ne peut pécher, elle no jouit pas d'une pleine
liberté : non est plénum dominium. La liberté de ce premier acte paraît
très voisine de la liberté leibnitienne. •
2. Met. IV, c. Il, 515; 24 (Didot).
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAINT THOilAS 17
la « philosophie nouvelle », dans lesquelles elle veut toujours
voir, bien à tort, des distinctions quantitatives et spatiales. M. Le
Roy parlait récemment à propos du miracle et de la foi de « ces
conditionnements réciproques, de ces rapports d'antériorité mu-
tuelle, de ces cercles indénouables discursivement qui caracté-
risent à tous les étages les démarches de la vie (1). » Rien de
plus vrai que l'existence de ces rapports d'antériorité mutuelle;
mais faut-il y voir autant de cercles indénouables pour la pensée
discursive, déclarer le réel inintelligible et se réfugier dans une
philosophie de l'action? Aristote et les partisans de la philosophie
du concept ne le pensent pas. Après avoir rendu le devenir intelli-
gible en fonction de l'être par la distinction des quatre causes,
Aristote reconnaît et explique les rapports mutuels de ces causes.
— Le devenir suppose nn être indéterminé (puissance ou matière)
qui acquiert une détermination (acte ou forme); cette détermina-
tion progressive de la puissance suppose un principe détermi-
nant (cause efficiente), et la puissance n'est susceptible d'être dé-
terminée ainsi et non pas autrement que parce qu'elle est ordon-
née à tel acte et non: à tel autre; potentia dicitur ad actum, c'est
la plus haute formule du principe de finalité chez. Aristote. —
De là il suit que les causes sont causes les unes par rapport aux
autres à des points de vue divers, xat à/lAv^Acov olÏtlx. La matière
reçoit et limite la forme, la forme détermine et contient la ma-
tière, la cause efficiente réalise ce par quoi elle est finalisée (2).
Ces rapports d'antériorité mutuelle doivent se retrouver par-
tout où les quatre causes interviennent, c'est-à-dire dans tout
devenir, « ils caractérisent à tous les étages les démarches de la
vie ». Le vivant agit sur l'aliment, mais l'aliment agit sur lui et
le refait. Le connaissant s'assimile son objet et pourtant se laisse
assimiler par lui. Dans l'ordre de la grâce, il est des exemples
classiques chez les théologiens : Dans la justification de l'im-
pie, la contrition est en un sens disposition à la grâce et en un
autre sens effet de la grâce. « Tu ne me chercherais pas si tu
ne m'avais déjà trouvé. » (3). Notre-Seigneur Jésus-Christ disait de
1. Le Roy. Annales de Philosophie chrétienne, déc. 1906.
2. « Effiiiens est causa finis quaiitiiiu ad cuse quideni, quia inovendo pordu-
cit eft'iciens ad hoc ut sit finis; finis autem est causa efficientis, non quan-
tum ad esse sed quantum ad rationem causalitatis » S. Th. In Met. Y, leç. 2.
3. « Ex parte mobilis, naturaliter recessus a termine praecedit àccessuni
ad terminum, prius enim est in subjecto mobili oppositum quod abjicitùr et
poslmodum est id quod per motum assequitur mobile. Sed ex parle agentis
est e converse; agens enim per formam, quae in eo praeexistit, agit ad
removendum contrarium, gicut sol per suam lucem agit ad removendum tene-
26 Année. — Revue des Sciences. — No i. 2
18 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Madeleine : « Remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit inul-
tum; oui autem minus dimittitur, minus diligit » (Luc. VU. il.)
Dans le péché, selon les partisans de la grâce intrinsèquement
efficace, la défaillance de l'homme, dans l'ordre de causalité
matérielle, précède le refus que Dieu lui fait de sa grâce efficace
et en est la raison; dans un autre oflre de cause toutefois, cette
défaillance suppose l'absence de grâce efficace et ne se produirait
pas sans elle (1). — Autre exemple classique : je ne croirais pas
de foi surnaturelle que Dieu a fait une révélation, si l'Église ne
me proposait pas cette vérité, et je crois que la proposition de
l'Église est infaillible parce que Dieu l'a révélé. Il n'y a pas cercle
vicieux, causae ad invicem sunt causae in cliverso génère; Dieu
révèle (cause principale), l'Église propose cette révélation (cause
instrumentale), — Selon certains théologiens, Vappetitus boni
reprominsi en un sens suppose la foi puisqu'il est surnaturel, et
en un autre sens la précède, puisque c'est lui qui fixe l'intelli-
gence du croyant.
La même loi doit donc régir les rapports de l'intelligence et
de la volonté au tenne de la délibération ; la réponse des thomistes
n'est pas un artifice, elle se prend de la définition même du deve-
nir. — Dans le cas du dernier jugement pratique et de l'acte de
volonté qui le précède et qui le suit, il n'y a aucune priorité
de iemp.'i (2) ; c'est au même instant que la volonté applique l'intel-
ligence à juger ce qu'il faut choisir et qu'elle reçoit la direction
de l'intelligence en choisissant. Il y a seulement ici priorité de
nature, et priorité réciproque suivant le point de vue auquel on
se place. Dans l'ordre de causalité formelle extrinsèque (idée
directrice)', il y a priorité du jugement, puisque le jugement dirige
actuellement la volonté pour qu'elle choisisse de telle façon; mais
dans l'ordre de causalité efficiente il y a priorité du vouloir qui
bras; et jdeo ex parte solis prius est illurainare, cfuarn tenebras removere :
ex parte autem aeris iilumiuaudi prias est purgari a tenebris, q;iam con-
sequi lumen ordine naturae; licet utruinque sit simul lempore. Et qu.a in-
fusio gratiae et remissio culpae dicuutur ex parte Dei justificantis, ideo or-
dine naturae prior est gratiae infusio, quam culpae remissio. Sed si su-
mantur ea, quae sunt ex parte hominis justificati, est e converso; nam prius
est ordine naturae liberatio a culpa, quam cousecutio gratiae justificantis. »
l^' l^^ q. 113, a. 8, ad 1.
1. « Denegatio auxilii, non nisi in subjecto déficiente est, non ante deficien-
tiara et tiinn'u defectus scquitur ad ncgalionem auxilii. » Je.\n de S. Thomas,
in I^-", q. 19, disp. 5, a. 6, § 61.
2. « Motus liberi arbitrii, qui est velle, non est successivus, sed instantaneus.
et ideo non opçrtet quod justificatio impii sit successiva » I^liae^ q. 113, a. 7,
ad 4. Utrmn justificatio impii fiât in instanti, vel successive. — Ct 1*, q.
95, a. 1, ad 5um.
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SALNT THOMAS 19
applique l'intelligence à juger de telle façon, priorité du vouloir
qui peut suspendre l'enquête intellectuelle ou la laisser se pour-
suivre (1). La volonté est ainsi cause de l'attrait même quelle '
subit, en ce sens qu'il dépend d'elle de porter l'intelligence à
juger que tel bien est de nature cà l'émouvoir; elle est cause de
la direction qu'elle reçoit, en tant qu'elle meut l'intelligence à
lui imprimer cette direction.
Kant dira plus tard : la causalité empirique, qui se réalise dans
le temps, implique le déterminisme, mais là où s'exerce la causalité
intelligible (nouménale) il tiy a point d'avant ni d'après; cette,
causalité est la liberté même (2). Les thomistes ne se croient pas
quittes à si bon compte et ne pensent pas avoir résolu tout le
problème après avoir écarté la priorité de temps.
Reste à savoir si la causalité efficiente, tout en étant dans une
dépendance relative à l'égard de la causalité formelle extrinsèque
(idéej, ne conserverait pas une priorité absolue sur les autres cau-
ses, lorsqu'il faut agir? On ne saurait le mettre en doute. La
causalité formelle de l'idée ne s'exerce actuellement qu'en vertu
d'une application qui relève de la causalité efficiente; si l'artiste
veut agir, il lui faut une idée directrice, mais cette idée n'exerce
sa causalité formelle que si l'artiste par son action l'emploie comme
directrice de son action (3). Quand il s'agit d'action à exercer,
c'est la causalité efficiente qui en définitive est première, c'est
elle qui a l'initiative. Elle ne s'exerce à la vérité qu'en entrant
sous la dépendance relative de l'idée, mais il dépend d'elle de
s'exercer ou de ne pas s'exercer; le fait de l'exercice ne saurait
être commandé par la détermination formelle. Causae ad invicem
sunt causae in diverso génère, sed causa efficiens ceteris causis
actu causantibus simpliciter est prior.
Par cette réponse les thomistes se séparent nettement des parti-
sans de la liberté d'équilibre; ils affirment qu'il ne saurait y avoir
d'efficience exercée sans détennination formelle, il ne saurait y
1. Salmant. op. cit., t. V, p. 426, § 18. Loc. cit.
2. Critique de la liaison pure, Dialeclique Iransceudautale, ch. II, d'^ sec-
tion, III.
3. « Quaelibel causa est in suo génère secundum quid prior alia, sed causalitas
efficientis est simpliciter prior quam causa materialis et formalis actu causan-
tes... Unde praedxta volitio est simpliciter prior : si quidem causa formalis ex-
trinseca non causât in actu secundo aliquam operationem, nisi applicatur
ab eo, qui ea ulitur, proJucendo in génère causae efficientis praedictam opex'a-
tionem; ita quiiem ut prior simpiiciter sit influxus causae efficientis in prae-
dictam operationem... cpia causa formalis extrinseca non causât actu opera-
tionem in suo génère, nisi quia applicatur ab efficient!, ut patet in artifice
et ejus idea. » Salmant., t. IV, p. 680, § 270.
20 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
avoir un acte de volonté qui ne soit pas formellement déterminé
par l'intellect; voluntas in omnibus suis actibus sequitur ductiun
intellectus. Mais il dépend de la volonté d'entrer dans cette dépen-
dance relative à Tégard du motif, et le même acte de volition q:ii
suit le jugement en un sens le précède.
I/iiiicUcctuaUsme thomiste contient dans ses principes premiers
une réfutation du déterminisme psychologique.
Nous évitons par là la liberté d'équilibre, mais évitons-nous
le déterminisme psychologique ? Il ne le semble pas. Trop de psy-
chologues croient avoir refuté Leibnitz en disant : « l 'intelligence
est de sa nature représentative, contemplative et non active et
motrice. Elle éclaire donc la volonté, elle indique le but, mais
c'est la volonté qui s'y porte par son pouvoir automoteur (l). »
Leibniti: pourrait répondre : « la priorité de la causalité efficiente
admise et entendue selon le principe causae ad iniicem sunt causac,
elle sauvegarde seulement la spontanéité, le pur exercice de l'acte-,
mais non pas la liberté au sens qui est le vôtre. J'accorde que la
volonté est en nous premier principe dans l'ordre d'exercice, et
il est clair que si elle n'appliquait pas l'intelligence à considérer
il n'y aurait jamais volition. Mais vous n'expliquez nullement
que, placés à deux reprises dans les mêmes circonstances, nous
puissions dans un cas juger qu'il convient d'agir et dans l'autre
juger qu'il ne convient pas d'agir. La priorité de la causalité effi-
cient? n'implique pas cette initiative que vous attribuez à la
liberté, initiative qui serait une violation du principe de raison
suffisante., » Rappelons que si le principe de raison est solidaire
du principe d'identité qui régit toutes les modalités de l'être, il
doit lui-même régir toutes les modalités de l'être; une chose sans
raison d'être est contradictoire; elle est ce qu'elle est par soi
ou par autre chose, il n'y a pas de milieu. Un commencement
absolu répugne.
A cette dernière instance, qui ne pouvait échapper à Saint
Thomas nous trouvons comme réponse, dans le De Maîo q. (î. a.
1. ad 15 : la volonté a toujours une raison suffisante, mais elle
ne saurait avoir une raison suffisante infailliblement déterminante.
« Dicendum quod non omnis causa ex necessitate inducit effec-
tum, etiamsi sit causa sufficiens; eo quod causa potest impediri,
lit quandoque effectum suum non consequatur; sicut causae natu-
1. Rabier. Psychologie, 2e éd., p. 649.
INTEM.FXTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SATXT THOMAS 21
raies, qiiae non ex necessitate producimt suos effôctus, sed ut in
pluribus, quia in paucioribus impediuntur. Sic ergo^ illa causa,
qiiae facil voluntatem aliqiiid velle, non oportet quod ex necessitate
hoc faciat : quia potest per ipsam voluntatem impedimentura
praestari, vel removendo talem considerationem quae inducit eum
ad volendum, vel considerando oppositum, scilicet quod hoc quod
proponitur ut bonum, secundum aliquid non est bonum. » — Cette
réponse serait tonte verbale, si on ne la rattachait au principe fon-
damental de la théorie aristotélicienne et thomiste de la liberté :
la disproportion radicale du bien universel et du bien particulier,
du bien total et du bien partiel, l'hiatus infini qui les sépare.
Il est dit, dans le corps de ce même article : la liberté d'exer-
cice subsiste même à l'égard du bonheur, « quia potest aliquis
non velle tune cogitare de beatitudine; quia etiam ipsi actus in-
tellectus et voluntatis pariieulares siint. » — Leibnitz n'oublie-
t-il pas de considérer que l'indifférence de notre jugement a sa
raisoTi dernière dans l'universalité absolue de l'objet de la vo-
lonté ou dans l'amplitude infinie de notre puissance d'aimor?.
Les circonstances extérieures et les dispositions intérieures sont
impuissantes à déterminer infailliblement ce dernier jugement
pratique : il vaut mieux agir que ne pas agir. Tant que agir a
ses avantages et ses inconvénients, comme ne pas agir a les siens,
nous sommes en présence de deux biens finis, mêlés de non-bien ;
or deux biens finis si différents soient-ils l'un de l'autre restent à
l'infini du Bien pur, sans aucun mélange; et si deux distances in-
finies sont inégales, ce ne sera jamais, comme le dit quelque part
Descartes, que in ratione finiti. Dès lors, il ne saurait y avoir de
raison suffisante absolument déterminante du passage de V Infini
à telle quantité ou qualité finie plutôt qu'à telle autre; ou ce qui
revient au même, il ne saurait y avoir de raison suffisante infail-
liblement déterminante du passage de l'un au multiple, de l'uni-
versel en particulier'. Il y a là un abîme infranchissable qu'aucun
principe de l'ordre intelligible ne peut combler, pas plus le prin-
cipe de raison que celui de contradiction. Nous verrons cette dis-
proportion apparaître beaucoup plus nettement lorsqu'il s'agira
de la liberté divine, de la souveraine indépendance de V Ipsum
esse à l'égard de tout le créé, de sa supériorité infinie au-dessus
de tous les mondes possibles; mais c'est le même problème qui se
pose ici dans l'homme : celui des rapports de l'un et du multiple,
du pur et du mêlé, de l'universel et du particulier, de l'infini et
du fini.
2-2 REVUF. DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Dans la Somme, l^ IP. 10. 2, saint Thomas répond à la même
objection : « siifficiens motivum aliciijus potentiae non est nisi
objectum, quod totaliter habel rationem motivi (per respectara
ad voluntatem hoc est bonum perfectum, cui nihil déficit"); si
autem iii aliqiio deficiat non ex necessitate movebit. » Saint Tho-
mas, on le voit, dit tantôt que le motif est suffisant, et tantôt qu'il
ne l'est pas. A vrai dire, il est suffisant dans son ordre et non
pas absolument.
Pour saisir le sens de cette réponse et voir comment la liberté
psychologique est fondée sans que la nécessité des principes et
des conclusions de la morale soit compromise, il faut nettement
distinguer, comme nous l'avons fait, le jugement spéculativo
pratique qui dicte ce qui est bon en soi partout et toujours, indé-
pendamment des circonstances (il faut être juste) et le jugement
practico-pratique qui dicte ce qui est bon pour noua, hic et nunc
(il est bon pour moi en cet instant d'accomplir cet acte de justice).
— La vérité du premier jugement, disait Aristote, est un - vérité
absolue, veritas ejus accipitur per conformitatem ad rem; 1 1 vér.'té
du second est relative à la disposition actuelle de l'appétit, veritas
ejus accipitur per conformitatem ad appetitum rectum (1). Le
jugement spéculativo-pratique en effet concerne l'ordre de spéci-
fication : p. e. en soi l'acte de justice est un bien conforme à la
droite raison, l'acte d'injustice ne peut être qu'un biei appa-
rent. Le jugement practico pratique, au contraire, au moins celui
qui est absolument requis pour qu'il y ait liberté (2), concerne
l'ordrti d'exercice; et ce jugement, disons-nous, est indifférent
malgré la pression des dispositions intérieures et des circons-
tances extérieures actuelles; p. e. hic et nunc l'acte de justice
est un bien pour moi et aussi il n'est pas un bien, je puis le
poser ei aussi m'abstenir de le poser, ne serait-ce que parce que
je considère qu'il est bon d'expérimenter ma liberté, en refusant
de répondre à l'attrait des plus forts motifs (3). Tant que ne pas
1. Efhic., VI, c. II, S. Th., leç. II. — S. Th., I» II", q. .ô7 a. 4 et 5, ad 3.
« Veruni intellectus speculativi accipihir per conformitatem ad rem (et non po-
test infaTibiliter conformari in rébus continsentibus), verum autem intellec-
tus practici per conformitatem ad appetitum rectum (quae quidem conformitas
solum invenitur in contingentibus quae possunt a nobis fieri). »
2._ Seule la liberté d'exercice est de l'essence de la liberté; pour être libre
à l'égard d'un objet, il n'est pas nécessaire de pouvoir l'aimer ou le haïr,
le préférer à un autre ou lui en préférer un autre, il suffit de pouvoir l'aimer
ou ne pas l'aimer. Pour être maître de son acte, il suffit de pouvoir
agir ou ne pas agir.
3. Dans ce cas, le stat pro ratione voluntas devient motif, objet d'un
jugement; il n'est pas, comme le veulent les partisans de la liberté d'équilibre,
pure initiative de la volonté. Cf. Billuart, IV p. 127.
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAINT THOMAS 23
agir a seb avantages et inconvénients comme agir a les siens,
je suis en présence de deux biens finis mêlés de non-bien; si
inégaux que soient les deux partis, le jugement practico pra-
tique qui concerne l'exercice, pour autant qu'il relève de la seule
intelligence, reste en un sens indifférent. Une intervention de la
volonté est nécessaire pour vaincre cette indifférence. La volonté
iniervien- donc ici non pas seulement pour Vexercice pur et simple
(il n'y aurait que spontanéité, libertas a coactione) mais, si l'on
peut dire, pour la spécification de l'exercice, pour qu'il y ait ou
qu'il n'y ait pas acte exercé (1), et c'est là l'essence de la liberté
d'exercice, seule requise pour qu'il y ait liberté.
Ces deux jugements sont manifestement très différents l'un de
l'autre. Nous pouvons recevoir le jugement spéculativo-pratique
de celui qui nous enseigne la morale ou de celui qui nous donne
un conseil; tandis que le jugement practico-pratique est exclu-
sivement nôtre, absolument incommunicable. Confondre le se-
cond avec le premier c'est être amené à dire avec Platon 'jne la
vertu est une science {V II , 58. 5.); c'est aussi requérir pour
la science des dispositions morales (aùvô'A/î rn '^->/;ç) qu'elle n'exige
pas nécessairement (Ihid.).
Prenons l'exemple de l'homme qui est sur le point de céder
à la tentation. Placéi à deux reprises dans les mêmes circonstances,
il peut une fois juger qu'il convient de pécher, une autre fois
juger qu'il convient de faire son devoir ou tout au moins de ne
pas agir. Le jugement practico-pratique reste indéterminé, même
1. Kappelons le texte de saint Tliomas cité plus haut, où il définit ce
que c'est qu'être maître de son jugement. Nous ne sommes pas m.aîtres
d'adhérer ou de ne pas adhérer à un premier principe, à une conclusion
démontrée, la volonté intervient seulement ici pour l'exercice pur et simple
pour appliquer l'intelligence à considérer et à juger; mais s'agit-il de for-
muler un jugement déterminé avec un motif objectif insuffisant, la volonté
doit en outre intervenir d'une façon spéciale pour suppléer à cette insuffi-
sance objective; et dans ce cas, nous sommes maîtres de notre jugement.
« Sunt quaedam apprehensa, quae non adeo convincunt intellectum, quin
possit assentire vel dissentire, vel saltem assensum vel dissensum suspendere
propter aliquam causam. Et in talibus assensus ipse, vel dissensus in potestafe
nostra est et sub imperio cadit » I^ Il^e , q. 17, a. 6. — Nous avons cité
plus haut, dans l'exposé de la théorie thomiste de la liberté, d'autres textes
non moins convaincants de saint Thomas et de ses commentateurs. —
C'est ici un cas semblable à celui ià la foi (« intellectus credentis determina-
tur ad unum, non per rationem, sed per voluntatem; et ideo assensus hic
accipitur pro actu intellectus, secunclum quod a voluntate determinatur
ad unum. » II^^ II'»^, q. 2, a. 1, ad 3. — « Actus fidei est actus intellectus
déterminât! ad unum ex imperio volnntatis » 11^ lia*, q. 4, a. 1.) Il y a
seulement cette différence qi-xe dans la foi le mouvement de volonté est mo-
tivé extrinsèquenient par les jugements de crédibilité et de crédentité qui lui
sont antérieurs, ici le mouvement de volonté n'a d'autre motif que celui
auquel il donne la prévalence en vertu du principe : causae ad invicem
sunt causàe in divcrso génère.
2i REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
en fonction des circonstances. L'intelligence affirme sans doute
par son jugement spéculativo-pratique que le bien honnête est
supérieur en soi au bien délectable, elle peut encore voir qu'étant
données nos bonnes dispositions habituelles le bien honnête est
habituellement préférable non seulement en soi, mais 2)our nous;
mais s'agit-il de décider hic et nunc de Vexercice même de cet
acte particulier par lequel nous allons vouloir effectivement ce
bien honnête, alors l'intelligence laissée à elle-même reste dans
l'indétermination. Pourquoi? C'est qu'il n'est plus ici question de
considérer ce bien partiel, au point de vue de la spécification,
dans son rapport avec les principes de la droite raison, ou dans
son rappoit avec les habitudes qui sont comme h la surface de
notre volonté; mais, puisqu'il s'agit ù.' exercice, il faut considérer
ce bien partiel dans son r^apport avec la volonté même et dans
ce qu'elle a de foncier puisqu'elle doit s'engager tout entière dans
l'acte à émettre. Or le bien honnête en question, n'étant pas
exempt de tout mélange de mal ou de peine, reste inadéquat à
la capacité de la volonté, et aussi bien inadéquat que le serait
le bien délectable; cette inadéquation est une disproportion in-
finie et en un sens toujours la même; differt tantum in ratione
finiti. L'intelligence ne saurait donc avoir une raison suffisante
absolument déterminante lorsqu'il s'agit de formuler le dernier
jugement pratique, car il n'y a pas de raison absolument détermi-
nante pemiettant de passer de l'Infini à telle quantité ou qualité
finie plutôt qu'à telle autre.
« liaison suffisante qui ne suffit pas », dirait Pascal, comme
dans la question de la grâce. Ce mot où il voyait une critique à
l'adresse des thomistes est à sa façon un trait de lumière. Partout
où il y ,1 des causes ad invicem, n'avons-nous pas ce même fait
de causes suffisantes dans leur ordre, mais n'aboutissant pas
par elles-mêmes? A plus forte raison lorsqu'il s'agit de passer
de l'Infini au fini. La question de la suffisance de la grâce doit
se solutionner par les mêmes principes que celle de la suffisance
du motif (1)
1. Cf. Tean de s. Thomas In /■"" p. bnmm. Theol., q. 19, disp. 5, a. 6,
§ 61... « Solvuntuf argumenta ex defectu auxilii. » — La grâce actuelle suffisante
est une grâce transitoire, prévenante et excitante, qnî produit en nous des
mou\-emenls indéîibérés de la volonté, pieuses émotions, bonnes aspirations,
qui inclinent à l'élection. Elle nous dispose ainsi immédiatement à poser
l'acte délibéré, salutaire,' sans pourtant nous le faire produire effectivement
Comme le motif, elh donn« le pouvoir, non l'agir. Aussi certains thomis-
tes (Cf. BiLLUART, III, p. 395) concèdent-ils que l'expression « grâce suffi-
sante » prête à la critique au point de vue grammatical, car cette grâce n'est
Bas absolument suffisante si l'on entend suffisante pour agir effectivement,
'autres remarquent plus justement qu'elle est suffisante "dans son ordre;
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAINT THOMAS 25
Cette réponse à Tobjection déterministe est prise, on le voit,
du principe même de notre théorie :
Spécifiée par le bien universel, la volonté ne saurait être in-
vinciblement attirée par aucun bien mélangé de non-bien, tant
qu'il est présenté comme tel. Elle est si l'on peut dire d'une profon-
deur infinie, abîme que seul le Bien absolu peut combler, puis-
sance d'aimer que seuls les attraits de Dieu vu facel à face peuvent
émouvoir jusqu'en sa racine et invinciblement captiver, elle ne
peut s^^ porter de toute son inclination et de tout son poids que
vers l'objet qui apparaît en toute évidence comme la plénitude
de tout bien. En dehors de l'essence divine intuitivement connue,
aucune raison suffisante ne détermine infailliblement l'exercice
même du vouloir; le jugement qui règle cet exercice reste indif-
férent en ce sens que l'attrait d'un bien fini, honnête, utile ou
délectable^ sollicite la volonté sans pouvoir l'atteindre en son
fond. Il appartient à la volonté d'aller aie devant de cet attrait
qui est incapable de venir tout à fait jusqu'à elle; cest par là
ainsi disons-nous : le pain suffit pour se nourrir, mais encore faut-il le
digérer; l'intelligence suffit pour apprendre à se conduire dans la vie, mais
encore faut-il l'appliquer, l'exercer; la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ
suffit à sauver tous les hommes, mais encore faut-il qu'ils adhèrent au
Christ. — Et de même que l'homme peut ne pas se rendre au motif suffisant,
il peut aussi résister à la grâce suffisante, et se priver ainsi de la grâce effi-
cace qui lui aurait été donnée sans cette résistance, et qui lui était pour
ainsi dire offerte dans la grâce suffisante. Toute la difficulté consiste alors
à expliquer la responsabilité du pécheur dans cette résistance à la grâce.
On ne peut le faire qu'en ayant recours aux principes qui nous ont permis
de concilier l'intellectualisme et la liberté. Cette résistance à la grâce suffi-
sante provient de notre propre défectibilité et non pas de Dieu, elle est
essentiellement une défaillance et comme telle n'exige qu'une cause dé-
ficiente, perdiNo tua ex te Israël. Elle ne se produirait pas sans doute^ si
Dieu n'avait pas permis le péché, et s'il avait donné au pécheur la grâce
efficace; mais dans l'ordre de causalité matérielle, cette résistance précède
le refus que Dieu nous fait de sa grâce efficace; causae ad invicem_ sunt
causae in diverso génère; c'est, à l'envers, le même problème que celui étudié
par saint Thomas à propos de la justification I^ Il^e, 113, 8. Utrum gratiae
infusio sit prima ordiiie naturae inter ea, quae requinmfur ad justificationem
impii. Comme la justification est avant tout une œuvre de Dieu en nous,
il est vrai de dire que simpliciter l'infusion de la grâce précède la contrition
et la rémission du péché, et que c'est Dieu qui nous convertit et qui nous
sauve; tandis que le péché étant dans ce qu'il a de formel, l'œuvre de la
créature déficiente, il est vrai de dire que simpliciter notre résistance précède
le refus que Dieu nous fait de sa grâce efficace ; ce n'est donc pas Lui^ qui
nous abandonne le premier, et c'est bien le péclieur qui se perd lui-même.
— Quant à la motion divine requise pour l'acte même du péché, elle ne
sauvegarde la liberté et la responsabilité du pécheur que parce qu'elle implique
une motion adéquate au bien universel et une motion inadéquate à tel bien
particulier (rapport du fini et de l'infini); la motion adéquate est celle qui
constitue le mode libre de l'acte, elle nous porte confusément vers tout le
le bien hiérarchisé, y compris la grâce efficace offerte, de sorte que ce
n'est qu'après Uii refus de notre part que la motion inadéquate incline et
restreint notre volonté à tel bien apparent contraire à la loi de Dieu. —
Toujours les mêmes principes de solution : 1° causae ad invicem sunt causae
in diverso génère; 2o l'acte libre tire son indétermination du rapport du fini
à l'infini qu'il implique essentiellenaent.
26 PEVUE DES SCIENXES PIIII.OSOPIIIOUES ET THÉOLOGIOUES
qu'elle détermine le jugement qui doit la déterminer elle-même,
causae ad invicem sunt causae. Pour la même raison, elle maintient
l'intelligence dans la considération qui lui plaît, suspend l'en-
quête intellectuelle ou la laisse se poursuivre; c'est d'elle qu'il
dépend en dernière analyse que tel jugement soit le dernier. —
L'acte libre est une réponse gratuite, partie des profondeurs infi-
nies de la volonté, à la sollicitation impuissante d'un hien fini.
N'est-ce pas ce qui a fait dire à Descartes : « la volonté est
infinie.... il n'y a que la volonté seule ou la seule liberté du franc-
arbitre que j'expérimente être si grande que je ne conçois point
l'idée d'une autre plus ample et plus étendue, en sorte que c'est
elle principalement qui me fait connaître que je porte l'image
et la ressemblance de Dieu ». (4^ Médit.) — De notre point de
vue, un intellectualiste peut dire avec J. Lequier : « Qui ne s'est
senti avec un plaisir mêlé d'épouvante, exercer en soi, sur soi,
son pouvoir créateur et former sa personne. Quel hommei a entre-
n\ sans vertige la grandeur, la majesté, la divinité de l'homme,
quand l'idée réelle de la liberté, explosion de la conscience, lui
découvrait tout à coup le fond de son être. Un éclair qui montre
un abîme! » {Recherche d'une vérité première, frag. p. 85).
Nous reconnaissons par là la part de vérité qui se cache dans
la philosophie de la liberté. Nous admettons en un sens des ini-
tiatives du vouloir, nous affirmons que dans l'ordre des causes
secondes la volonté est source d'action et non pas seulement un
intermédiaire qui transmet ce qu'elle a reçu, nous accordons en
un sens ce que voulait Lequier : par la liberté « non pas devenir ;
mais faire et en faisant se faire »; faire, c'est-à-dire introduire
dans le monde une série de faits qui ne résultent pas nécessaire-
ment des antécédents posés; et en faisant se faire, c'est-à-dire
faire sa personnalité, son caractère. Tel est le rôle que peut jousr
celui qui axe se contente pas de connaître, mais qui en même
temps sait vouloir.
Nous revenons ainsi au fondement de notre thèse : le principe
radical de la liberté est l'intelligence en tant qu'elle connaît la
pure raison du bien; le principe prochain est l'amplitude infinie
de la volonté spécifiée par le bien universel. Le principe radical
de l'élection ou acte libre est l'indifférence du jugement, le prin-
cipe prochain est l'indifférence dominatrice de la volonté à l'égard
de tout bien qui lui est présenté comme mélangé de non-bien.
* «
INTELLECTUALISME ET LIBERTE CHEZ SAIXT THO:\rAS 2/
Mai;; il reste une dernière difficulté. Avouer, au sens où nous
rentendons, une raison suffisante qui ne suffit pas, n'est-ce pas
avouer une contradiction? Le principe de raison suffisante n'est-il
pas solidaire du principe d'identité et comme lui sans exception
ou restrictior possible?
Remarquons d'abord que si notre théorie apportait une restric-
tion au principe de raison suffisante, cette restriction ne serait pas
imposée par la nécessité de sauvegarder la morale, mais par la
disproportion du fini et de l'iniini, du particulier et de l'uni-
versel.
Au reste cette restriction n'est qu'apparente. Bien plus, elle
n'est cfu'une conséquence de l'apparente restriction apportée au
principe d'identité lorsque, avec Platon et Aristote, on affirme que
le non-être est; le non-être, c'est-à-dire la puissance, l'être indé-
terminé, milieu entre l'acte et le pur néant. Si l'on peut parler,
au sens où nous l'entendons, d'une raison suffisante qui ne suffit
pas, c'est qu'on a pu précédemment affirmer que le iion-ptre est.
Cette réalité du non-être ou de la puissance s'est imposée on
effet à. Platon et à Aristote lorsqu'ils se sont efforcés de rendre
intelligible en fonction de l'être l'opposition de l'un et du mul-
tiple, du parfait et de l'imparfait, du pur et du mêlé, de l'uni-
versel et du particulier, de l'infini de perfection et du fini, c'est-
à-dire l'opposition des termes entre lesquels précisément se place,
selon nous, la liberté ou la raison suffisante qui ne suffit pas.
Platon dans le Sophiste établit l'existence du non-être pour
expliquer la multiplicité des êtres qui tous sont de l'être et qui
par conséquent diffèrent les uns des autres par autre chose que
par l'être. La multiplicité qui est donnée en fait l'oblige à « por-
ter la main sur la formule de Parménide et à affirmer que le
non-être est » milieu entre l'être et le pur néant, limite de l'être (1).
— Par l'opposition de l'être pur et du mélange d'être et de non-être
s'explique aussi l'opposition du parfait et de l'imparfait, de l'uni-
versel et du particulier, — Aristote précise ce concept par son
analyse du devenir; le non-être relatif devient la puissance qui
seule permet de rendre le devenir intelligible en fonction de
l'être : Ex ente non fit eus, quia jam est ens; ex nihilo nihil
fit; et tamen fit ens; ex quo fit? ex quodam medio inter Uihilum
et ens, et hoc médium vocamus potentiam (2), — Désormais la
1. Le Sophiste, 241 D, 257 A, 259 E. Cf. Brochard. De l'Erreur, 2e éd.,
p. 15-27
2. I PTiyi., c. 8. S. Thomas, leç. XIV.
28 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
matière est conçtie comme une puissance, qui est à la fois sujet
du devenir substantiel, et principe d'individuation : une multi-
plicité d'individus de même espèce ne s'expliqne cjne si l'on
admet la puissance (matière) comme limite de l'acte qui leur est
commun (la forme). Plus tard on dira- : la multiplicité des êtres
en généra] ne s 'explique que si l'on admet la puissance (essence)
comme limite de l'acte qui leur est commun (existence). — Le
concept de puissance est le concept fondamental de l'aristotélisme,
il est à 1?. base de la théorie des quatre causes, (d'où dérive celle
de l'union de l'âme au corps) de la théorie des facultés (1), de la
théorie de la connaissance (intellectus est potentia passiva quae
potest omnia fieri; l'intelligence est de nature intentionnelle, es-
sentiellement relative à l'être). C'est encore sur ce concept que
repose le fondement de la morale; le principe de finalité trouvée
en effet sa plus haute formule dans la définition même de la puis-
sance : potentia dicitur ad actum. S'il y a en nous une puissance
ordonnée au bien rationnel, qui est bien en soi ou bien honnête,
non seulement il convient que cette puissance tende vers ce bien
(optatif), mais elle doit y tendre (obligation); c'est là toute sa
raison d'être.
Ce milieu entre l'être et le pur néant s'impose donc absolument
pour rendre intelligibles en fonction de l'être la multiplicité et
le devenir qui sont comme une quasi-violation du principe d'iden-
tité. Ce monde multiple et changeant d'une certaine façon ji'est
pas, disait Platon, c'est pourquoi il ne saurait exister par soi ;
le principe d'identité et ses dérivés nous obligent à le rattacher
à rEtr<.^ pur ou à « la partie la plus brillante de l'être », au
Bien pur sans mélange de non-bien. En ce dernier seul se vérifie
rigoureusement la formule de Parménide « l'Etre est ». Dieu lui-
même se révélant aux hommes a dit : Ego siim qui sum.
Nécessaire pour rendre intelligible la multiplicité et le deve-
nir, ce milieu entre l'être et le pur néant impose une Jimite à
l'intellectualisme. La puissance n'est pas positivement intelligible
en elle-même, mais seulement dans son rapport avec l'acte,
« Unumquodque cognoscibile est, secundum quod est in actu »
(L. 12. 1.) Ijn composé de puissance et acte (matière et forme;
essence et existence) ne saurait être positivement intelligible en
tout ce qu'il est. Socrate, Platon et Aristote tenaient que l'indi-
1. Loin d'être artificielle et toute verbale comme le disent les nominaliste^
cette théorie des facultés, supposée par notre thèse, est la seule qui rende
l'activité psychologique intelligible en fonction de l'être.
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAINT THOMAS 29
vichi est ineffable, qu'il n'y a de science que de l'universel; c'est
que le principe d'individuation est la matière, c'est-à-dire l'indé-
terminé. Partout où il y aura puissance, c'est-à-dire dans tout
créé, mélange d'être et de non-être, de bien et de non-bien, il y
aura indétermination; c'est-à-dire absence relative d'intelligibi-
lité.
Aussi ne devons-nous pas nous étonner si la détermination du
libre-arbitre qui se pose précisément entre l'universel et le par-
ticulier, entre l'un et le multiple, entre le bien pur et le bien
mélangé, n'est pas positivement intelligible en tout ce qu'elle est.
Comment y aurait-il une raison suffisante infailliblement détermi-
nante pour émettre l'acte libre, pour passer de l'universel à tel
particulier plutôt qu'à tel autre, de l'infini à telle quantité ou
qualité fini(i plutôt qu'à telle autre? A l'indétermination dans
l'effet possible doit répondre une indétermination dans la cause
qui le produit : aucun non-être n'a droit à l'être, parce que non-
être, bien qu'il puisse être. Si donc il est, c'est grâce à l'ineffable
et plus que mystérieuse liberté, analogue dans l'ordre de l'action
à ce qu'est Yessence et la matière dans l'ordre de la passivité.
De même que l'essence finie qui limite l'existence est un non-
être qui est, de même que la matière qui limite la forme est aussi
un non-être qui est, de même le motif de la liberté est iune raison
suffisante qui ne suffit pas. C'est le mystère inéluctable des rap-
ports du droit et du fait. ^
Plus que mystérieuse, la liberté, car d'elle aussi on peut dire
ce que saint Thomas dit de la matière première : Dieu lui-même
ne peut connaître la matière en elle-même, indépendamment des
composés, « nam materia secundum se neque esse habet, nequ3
cognoscibilis est» (I 15, 3, ad 3.) — La supercompréhension des
causes invoquée par Molina ne pourrait jamais permettre à Dieu
de prévoir avec certitude comment dans telles circonstances pré-
cises se décidera telle liberté créée, s'il ne décrétait lui-même d3
la prémouvoir dans tel sens plutôt que dans tel autre. Il y a là
de l'indéterminé qui n'est pas intelligible même pour Dieu. Vou-
loir, comme ]\Iolina et Suarez, une prescience sans décrets libres
prédéterminants, c'est fatalement aboutir au détemiinisme des
circonstances; seul ici Leibnitz est conséquent avec lui-même
comme il le fait remarquer aux Molinistes (Théod. l, § 48.)
« C'est au premier abord une singulière hardiesse, a écrit M.
Brochard, que d'admettre l'existence d'un élément irréductible
30 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÊOLOGIQUES
à la pensée et, comme disent les Allemands, illogique. Cepen-
dant cette conception présente certains avantages... (elle permet
d'admettre) le libre-arbitre qui existe au moins à titre d'apparenos
et auquel l'intellectualisme ne peut faire aucune place (1). »
Cet élément, qu'on l'appelle comme on voudra, n'est autre que
le iion-être platonicien ou la d-J^jy.aiq aristotélicienne. M. Brochard
lui-même a montré à plusieurs reprises que l'existence du non-
être est « "une des idées maîtresses du système de Platon. (Seul
le non-être) rend possible la communication ou la participation
des idée^ entre elles, par suite l'existence du monde, la possibilité
du jugement affirmatif et celle de l'erreur (2). » — Cette affirma-
tion contient aussi implicitement, selon nous, la solution du pro-
blème de la liberté. Bien loin d'être exclue par l'intellectualisme,
la liberté est fondée par lui; tandis que l'empirisme ne fera jamais
place qu'à la spontanéité ou au hasard.
Cette solution apparaîtra d'une façon plus nette lorsque nous
poserons le problème en Dieu, lorsque nous étudierons la souve-
raine indépendance de VIpsum esse à l'égard de tout le créé,
la liberté de l'acte créateur, du choix du monde et du choix des
élus. Nous comprendrons mieux que tout mélange d'être et de
non-être si parfait soit-il resie à rinfini du pur être, que sa réali-
sation ne pose pas une perfection de plus; qu'il ne peut y avoir
de raison infailliblement déterminante qui entraîne la réalisation
de tel fini plutôt que de tel autre, tout fini restant à l'infini de
L'Infini. ■ — Vouloir donner une explication parfaitement intelli-
gible de la coexistence du fini et de l'infini, c'est, nous le verrons,
vouloir nier le libre-arbitre.
Mais dès maintenant cette solution ne paraît-elle pas s'im-
poser à tous ceux qui admettent avec Platon, Aristote et saint
Thomas la priorité de l'être sur Vintelligence? Secrétan a cru
sauvegarder la liberté en niant l'objectivité des premiers principes.
Bien au contraire, la liberté n'a de place dans un intellectualisme
que s'il est en même temps T:;éaliste. S'il y a priorité de l'êtrei,
conçu comme un absolu, sur l'intelligence, conçue comme rela-
tive à l'être, il n'est pas nécessaire que tout dans le réel soit
positivement intelligible, que le passage de VIpsum esse au créé,
de l'Infini au fini, de l'Un au multiple, de l'universel au particulier
1. Brochard. De l'Erreur, 2^ éd., p. 265.
2. Année philosophique, 1906, p. 17. — De l'Erreur, 2e éd., p. 15-27.
INTELLECTUALISME ET LIBERTÉ CHEZ SAINT THOMAS 31
se puisse déduire du principe de raison. L'intellectualisme se
limite lui-même en se posant comme un réalisme, et en distinguant
dans l'être, auquel il reconnaît une priorité sur la pensée, un élé-
ment pleinement intelligible, l'acte, et un autre élément foncière-
ment obscur pour l'intelligence, mais nécessaire pour résoudre les
arguments de Parménide et expliquer en fonction de l'être la mal-
tiplicitc et le devenir.
Leibnitz rejette cette solution, parce que au fond, comme le
remarque M. Boutroux, « Leibnitz ne fait point, comme Platon,
dépendre l'intelligence de la vérité. ]\Iais placé au point de vue
modeine de la glorification de la personnalité, il vjit dans une
intelligence et une volonté le support indispensable de la vérité
(Erdm. 562. b.) » (1). Par là, comme par sa négation de la matière
et de la puissance qu'il ramène toujours à la force, Leibnitz tend
vers l'idéalisme absolu. On peut se demander si l'aboutissant
normal de sa philosophie ne serait pas l'intellectualisme absolu
de Hegel qui ramène Vêtre à la pensée, ce qui est à ce qui doit
être, le fait accompli au droit, le succès à la moralité. Or, de
ce point de vue, il faut affirmer que la réalité fondamentale est
devenir, et l'on doit nécessairement exclure le principe de contra-
diction de la raison et de la réalité, pour en faire une loi de la
logique inférieure, de l'entendement, qui travaille sur des abs-
tractions. Faire du devenir la réalité fondamentale, c'est nier le
principe d'identité comme loi fondamentale du réel ou ce qui
revient au même c'est affirmer que la nature intime des choses est
une contradiction réalisée. Nier l'Acte pur ou le Bien pur qui est
à l'être comme A est A, c'est mettre l'absurdité à la racine de
tout. Sur ce point les libertistes absolus comme M3il. Bergson et
Le Pto>- rejoignent rintellectualisme absolu de Hegel (2j.
1, Boutroux. La Monadnlogie. Notice, p. 84. — Ollé-Laprune dit de
même : La thèse rationaliste se présente à nous sous cing aspects : « l'être
se ramène à la pensée, le vouloir se ramène à la pensée; la raison ne sup-
pose T.ea d'autre où elle se fonde; la foi naturelle ou surnaturelle se réduit
à la raiïon; la raison exerce un contrôle suprême sur toute connaissance ».
Cf. La Baison et le Rationalisme, cité dans les Annales de Fhilos. chrétienne,
1907, Avril, p. 21.
2. Voir dans cette Revue, année 1907, p. 738; et Revue Thomiste, nov. 1907.
« Le Panthéisme de la Philosophie nouvelle et la preuve de la tra,nscendanco
divine » — On relève une contradiction semblahle chez Ch. Secrétan. Il
écrit : « Une liberté sans intelligence est impossible; elle se confondrait avec
le hasard, gui n'est pas une loraie de la causalité, mais sa négation : or
c'est bien l'idée de la liberté gue nous avons obtenue. Une puissance gui
déterminerait elle-même sans conscience la loi suivant laquelle elle se réa-
lise! Il n'y a là que des mots contradictoires. Non, l'être libre est intelligent;
il est inutile d'insister sur ce point. » La Philosophie de la Liberté. 2e éd. t. I,
XVIJe leç., p. 403. — « Mais tout au contraire, dit à ce sujet M. Pillon, il
importe beaucoup d'y insister », car il faudrait dire si l'intelligence dans
32 REVUE DES SCIE.N'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUE.S
Saint Thomas échappe au déterminisme psychologiqtie tout en
maintenant la subordination de la volonté à l'intelligence, parce
qu'il affirme plus hautement que Leibnitz la dépendance de l'in-
telligence à l'égard de l'être. — Le seul milieu possible entre
l'intellectualisme absolu de Hegel et le libertisme absolu de Secré-
tan et des partisans de « la philosophie nouvelle » n'est pas l'intel-
lectualisme leibnitien, c'est cette philosophie du concept, réaliste
an premier chef, qui a été préparée par Socrate, développée par
Platon et systématisée par x^ristote; philosophie qu'on pourrait
appelCi.- 'philosophie de Vêtre par opposition à la philosophie du
phénomène ou à la philosophie du devenir, ou encore philosophie
de rident ilé et de la non-contradiction. Les théologiens qui affir-
ment la liberté divine et hmuaine au nom de la Révélation, pré-
tendert rester fidèles aux principes du véritable intellectaalisma,
qTii n'est autre que cette philosophie du concept et de l'être : A
rintelligence l'ordre de spécification et des essences, à la volonté
l'ordre d'exercice ou des existences et des individus. — Il n'y a
aucune antinomie entre l'intellectualisme et la liberté, si rintellec-
tualisme est en même temps un réalisme, si l'intelligence con-
sent à se laisser mesurer par l'être et ne prétend pas le mesurer.
(A suivre.)
Kain. R. Garrigou-Lagrange, 0. P.
l'Absolu conditionne la liberté comme chez nous, ce qui serait la ruine du
système de Secrétan, ou si c'est l'inverse et si « la liberté absolue se confond
avec cette contingence radicale dont on nous dit qu'elle est la négation de la
causalité. Voilà le dilemme qui se posait et qui méritait bien quelque atten-
tion. Secrétan passe outre, sans faire aucun effort pour y échapper. » Pillon.
La Philosophie de Ch. Secrétan, p. 33.
La Philosophie et la Foi
chez les disciples d'Abélard
L'influence d'Abélard se manifeste à des degrés divers dans
les œuvres de la seconde moitié du XII^ siècle et de la ;première
moitié du Xllfc siècle. Plusieurs historiens de valeur l'ont niée (1);
mais ne pouvant méconnaître le changement opéré dans la mé-
thode théologique qui, vers le milieu du XIL siècle, de positive
et patristique devint spéculative, ils ont daté ce mouvement tan-
tôt de saint Anselme (2), tantôt do Hugues de Saint-Victor (3).
Cependant, dès 183G, Victor Cousin (4) et, à sa suite, Ré-
musat (5) avaient reconnu l'importance de l'œuvre d'i\.bélard en
qui ils avaient salué, sans précisément le prouver, le fondateur
de la méthode scolastique. Dans ces dernières années, les travaux
du P. Denifle (6), du P. Gietl (7) et de M. Kaiser (8) ont dé-
montré, à ne plus laisser de doute, en quelle intime dépendance
vis-à-vis d'Abélard sont les « Sommes des Sentences » du Magister
On nebene, de Roland, de Hugues de Saint \lctor, de Pierre Lom-
bard et de quelques autres Sommistes.
■Mais tandis que ces théologiens orthodoxes empruntèrent à Abé-
lard la méthode surtout, l'école plus hardie de Chartres hérita
plutôt de l'esprit raisonneur de ce dialecticien, et des tendances
panthéistes de Scot Érigène.
1. V.ACAXDARD. Ahclard. 8a lutte acec S. Bernard, sa doctrine, sa méthods,
p. 462-463. Paris, 1881. — Vie da S. Bernard, t. II, p. 179. Paris, 1897.
— Deutsch. Fêter Ahdlard, p. 427. Leipzig, 1883.
2. Ragey. Histoire de 8. Ansehu", t. I, p. 116-117 et 283. Paris, s. d.
o. Mignon. Les origines de la Scolastique et Hugues de Saint-Victor, t I.
p. 193. Paris, s. d. (1895). — J. Kilgenstein. Die Gotteslehre des Huçjo von
Sankf-Victor. Wûrzburg, 1897.
4. V. Cousin. Ouvrages inédits d'At)élard, p. 200 i^iiitroduction). Paris, 1836.
5. RÉMUSAT. Ahélard, I, p. 273. Paris, 1845.
6. H. Denifle. Archiv fur Litteratur- und Kirchengeschichte, R.l. I, Berlin,
1885.
7. GiF.TL. Die Sentenzen Rolands... Fribourg / Br. 1891.
8. Kaiser. Abélard critique.
2^ Année. — Revue des Sciences. — N" i. 3
3i REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
L'ÉCOLE DE CHARTRES.
L'École de Chartres au XII^ siècle était très florissante. On
y enseignait toutes les branches du Trivium et du Quadrivium,
accordant, comme cela était de tradition depuis Fulbert et Yves,
beaucoup d'importance à la médecine et à la mathématique. La
philosophie aussi était en honneur. ]\I. l'abbé Clerval, dans sa
remarquable étude sur Les Écoles de Chartres au moyen âge,
établit ^.diV y Heptateuchon de Thierry et plusieurs textes de Jean
de Salisbury que, dès 113G-1141, on enseignait à Chartres tous
les livre?; de l'Organon d'Aristote, dont Thierry fut probable-
ment le premier vulgarisateur (1).
L'esprit qui règne dans ce centre d'études est sensiblement
différent de celui des auteurs de sommes, respectueux de l'au-
torité patristique. Chez les Chartrains, les tendances inconsciem-
ment rationalistes et même panthéistes sont plus accusées que
chez Abélard, pour qui les maîtres les plus célèbres de Chartres
Bernard, Thierry et Gilbert de la Porée, eurent de visibles sympa-
thies. Ces philosophes s'affranchirent des Pères. « Ils bâtirent leur
» système, dit JM. l'abbé Clerval, en dehors de l'autorité tradi-
» tionnelle avec une liberté audacieuse et inconsciente; ils se
» préoccupèrent seulement de ne pas La contredire ouvertement.
» Leur point de départ exclusif leur fut fourni par les philo-
» sophes profanes et par les philosophes chrétiens qui les avaient
» copiés, tels que Denys le pseudo-Aréopagite et Scot Érigè-
» no (2). »
D'ailleurs, les Chartrains font profession d'Aristotélisme; mais
n'ayant pas encore la métaphysique, ni la physique du Stagirite,
ils imaginent de remplacer ces ouvrages par ceux de Platon
et des néo-platoniciens (3).
Aussi bien, l'influence de Platon et de Scot Érigène explique-
t-elle historiquement le réalisme outré et les tendances panthéistes
de l'Écoh- de Chartres.
Pour le problème qui nous intéresse ici plus spécialement,
1. A. Clerval. Les Écoles de Chartres au moyen âge, p. 245. Paris, 189-5.
2. A. Clerval. Les Écoles de Chartres, p. 247.
3. Jean de Salisdury. Mctalog. II. 19, P. L., t. 190, roi. S77, A. <v L't Aris-
totfles planior sit, Platnnis sentontiam docent.... uiquiddin omncs Aristote-
lem proiitcntur » — apud Clerval, op. cit., p. 247.
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LKS DISCIPLES D ABELARD ou
celui des rapports entre la science et la foi, nous ne trouvons 'pas
beaucoup de renseignements « ex professo » chez les tenants
de cettf! École. 11 nous faudra déterminer leur position en la
matière par leur façon de traiter de Dieu et de la Trinité. C'est
précisément à ce point de vue que nous allons considérer briè-
ventent les philosophes les plus représentatifs du groupe char-
train, à savoir : Thierry de Chartres, Gilbert de la Porrée et Guil-
laume de Couches.
Thierry de Chartres (f 1150/1155). — Frère puîné de Bernard
de Chartres, Thierry jouit de la renommée d'un vigoureux dia-
lecticien. L'auteur de la Metamorphosis Goliae le cite parmi les
maîtres célèbres de Paris en 1141 :
Ubi Doclor ceruitur ilie Carnolensis
Cujus lingiia velteineiis Iruncat veiut ensis (1),
et son ancien élève, J. de Salis bury, l'appelle « artium studiosis^
simus investigator » (2). Ces jugements sont confirmés par un
historien moderne de la philosophie médiévale qui considère
Thierry comme la personnification de l'intense mouvement scien-
tifique des écoles de Chartres, au milieu du XII^ siècle (3),
Les principaux ouvrages de Thierry sont un traité De sex
dierum operihus et surtout YHeptateucîwn, un vrai traité des
sept arts libéraux, d'où l'on voit que Thierry connaît fort bien la
logique d'Aristote dont il enseigne, probablement le premier au
moyen âge, l'Organon tout entier (4).
Pendant son séjour à Paris, Thierry subit fortement, semble-t-il,
l'ascendant du vigoureux dialecticien qu'était Abélard. Il le défen-
dit au Concile de Soissons (5) ; mais peu après il se jeta avec fou-
gue dans le camp ultra-réaliste (6).
Quant au problème des rapports mutuels entre la science et la
foi, Thierry ne paraît pas s'en préoccuper spécialement. On ne peut
connaître sa manière d'envisager cette question qu'en considérant
de plus près ce qu'il dit de Dieu et de la Trinité.
Selon ce philosophe, quatre genres de raisonnements nous con-
1. Apud Clerval, op. cit., p. 171.
2. J. DE Salisbury. Metalog., I, 5. P. L., t. 199, col. 214.
.3. Dl Wulf. Hist. de la philosophie médiévale, p. 19G.
4. Ci.ERVAL, op. cif., p. 246.
5. P. L. t. 178. Hist. cahiiiiif., ch. IX, col. l-lÛ-151.
G. Ci.ERVAi, op. cit., i'. 254.
36 RLVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
duiseiit à la connaissance du Dien créateur; ce sont les preuves
fondées sur l'arithmétique, la musique, la géométrie et l'astro-
nomie. En théologie, il faut se servir de ces arguments, qui,
faisant apparaître l'habileté du Créateur, montrent que notre ensei-
gnement est raisonnable (1).
Ces paroles sont claires. Elles témoignent des intentions apolo-
gétiques de ce philosophe qui, à l'exemple d'Abélard, veut faire
taire par la raison les objections des incrédules. Il essaiera de
démontrer, sans le secours de l'Écriture, l'existence d'un Dieu
unique.
C'est à ce sujet que, dans une page toute néo-platonicienne, il
lui arrive d'écrire que l'unité ou la divinité est la forme d'être
(forma essendi) pour toutes choses : « Unde vere dicitur : omne
quod est, ideo est, quia unum est. »
Au premier abord, ces propositions ont pu être interprétées
à la manière panthéistique, mais elles perdent de leurs allures
hétérodoxes si l'on s'attache au contexte et à l'avertissement
de Thierry de ne point entendre par forma essendi un principe
constitutii dans l'ordre essentiel (comme la forme substantielle
chez saint Thomas), mais un principe (ï existence. La forma essendi
ainsi comprise, la proposition suivante de Thierry : « Praesentia
» dii'initatis singulis creaturis totiim et unicum esse existit, ut
» eiiani ipsa materia ex praesentia divinitatis haheat existera » (2),
• 1. B. Hauréau. Notices et Extraits de quelq. ms. latins de la Bihl. nat. t. I,
p. 63. Paris, 1890. « Adsint igiLur quatuor gênera ratioiium quae ducunt homi-
nem ad cognitionem creatoris, scilicet anthmeticae probationes et musicae
et geometricae et astronomicae, quibus instrumeutis in bac theo'.ogia ut bre-
viter utendum est, ut et artificium creatoris in rébus appareat et quod propo-
suimus rationabiliter ostendatur. »
2. En raison de son importance, nous reproduisons ce texte presque sans sup-
pression, en adoptant la correction proposée par M. C. Baeumker {Ârchiv fiir
Geschichte der Philosophie, Ed. X (lo97), p. 137). « Omne quod est idco est quia
ununi est » au lieu de « in deo est ». Le texte cité sa trouve dans B. Hauréau.
Notices et Extraits, t. I, p. 63. « Omneni alteralitatem unitas praecedit, quoniam
imitas praece lit binarium, quod est principium omnis alteralitatis; alterum enim
seniper de dunbus dicitur. Omnem igitur mufabilitatem praecedit unitas;
siquidem omnis mutabilitas substantiam ex binario sortitur..... sed muta-
bilitati omnis creatura subjecta est, et quidquid est vel aeternum est vel
creatura. Cum igitur unitas omnem creaturam praecedit aeternam esse necesse
est. Et aeternum nihil est aliud quam divinitas : unitas igitur ipsa dinnitas
est. At divinitas singulis rébus forma essendi. est, nam sicut aliquid ex
luce lucidum est, vel ex calore calidum ita singulae res esse suum ex
divinitate sortiuntur. Unde Deus totus et essentialiter ubique esse vere per-
hibetur. Unitas igitur singulis rébus formam essendi est. IJnde vere dicitur :
omne quod est ideo est quia unum est. Sed cum dicimus singulis rébus
divinitatem esse formam essendi, non hoc dicimus quod divinitas sit aliqua
lorma quae in materia habeat consistere, cujusmodi est triangulatio vel qua-
drangulatio vel aliquid consimile : sed hoc idcirco dicimus quoniam praesentia
di\initatis singuhs creaturis totum et unicum esse existit, ut etiam ipsa
materia ex praesentia divinitatis habeat existere, non ipsa divinitas aut ex
ipsa aut in ipsa. »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES D'ABÉLARD 37
reviendrait à dire cfue la présence de la divinité donne à toutes
choses et à la matière elle-même d'exister, ou en d'autres termes,
que Dieu, présent à toutes choses, leur donne et leur conserve
l'existence (1).
Ailleurs Thierry déclare que Dieu est la cause efficiente du
monde, que sa Sagesse en est la cause formelle, sa Bonté, la cause
finale, et les quatre éléments, qu'an commencement Bien créa
de rien, en sont la cause matérielle (2). Cela paraît indiquer qu'il
n'est pas panthéiste, ou du moins qu'il l'est avec la même incon-
séquence que Scot Érigène chez lequel on trouve une semblable
doctrine.
Dans toutes ces argumentations, effleurées seulement dans notre
travail restreint, Thierry fait montre d'un esprit vigoureux et
spéculatii au premier chef. Aussi, nous ne sommes pas étonnés
de le voir appliquer ses prohafiones arithmeticae à l'incompréhen-
sible mystère de la Trinité. « L'unité, dit-il, ne peut engendrer
que l'égalité qui précède naturellement tout nombre. Mais ce qui
précède naturellement tout nombre est éternel. L'unité est donc
-éternelle. Or, deux choses éternelles étant impossibles, l'unité et
l'égalité sont une seule chose. La substance éternelle est dite :
personne du Père, en tant qu'elle est l'unité, et personne du Fils
en tant qu'elle est l'égalité. Le mode ou l'égalité de l'unité, les an-
ciens philosophes l'ont appelé tantôt l'esprit divin {mentem divi-
nitatis) tantôt la providence et la sagesse du Créateur. Ils avaient
raison; car. la divinité étant l'unité même, celle-ci est l'existence
unique de toutes choses (3). »
1. Cf. S. Thomas. Sum. Theol. ^, Q. VIII, art. I.
2. Hauréau. Notices et Extraits, t. I, p. 52. « Mimdanae ii^itur subsis-
tentiae causae sunt quatuor : efficiens, ut Deus; formalis ut Dei sapientia,
finalis lit ejusdem benignitas : materialis, quatuor elementa... Quia A-ero omnis
ordinatio iiiordinatis adhibetur oportuit aliquid inordinatum praecedere... Si
quis igitur subtiliter consideret muudi fabricam, efficientem ejiis causam Deum
esse cognoscel, formalem vero Dei sapientiam, finalem ejusdem benignitatem,
materialem vero quatuor elementa qiiae et ipse creafor in principio de nihilo
crcavif. »
3. Hauréau. Notices et Extraits, t. I, p. 65-66. « Unitas igitur per se et
ex sua substantia nihi! aliud gignere potest nisi aequaiitatem. Manifestum.
eigo ex bis quae praedicta sunt quod omnem numerum naturaliter praecedit
aequalitas
Ât id quod praecedit omnem num.erum, ut supra diximus aeternum est;
aequalitas igitur unitatis et ejus ab unitate generatio aeLerna est. At duo
aeterna vel plura esse non possunt, unitas igitur et aequalitas unitatis unum
sunt. Quamvis autem unitas et ejus aequalitas penitus sint una substantia,
tamen, quoniam seipsum nihi! gignere potest, et alia proprietas est genitorem
esse, quae proprietas est unitatis, alia vero proprietas est genitum esse, quae
est proprietas aequalitatis, idcirco ad designandum bas proprietates, quae
sunt unitatis et aequalitatis, aeterna identitate divini philosophi vocabulum
personae apposuerunt, ita ut ipsa aeterna substantia dicatur persona genitoris,
38 REVIT. DES SCIE^■CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Ces théories, non seulement côtoient le panthéisme, mais en-
core elleo! accusent des tendances rationalistes, d'ailleurs incons-
cientes, plus prononcées que chez Abélard. Thierry, en effet, ne
se sert guère de l'argument d'autorité dont il ne dit mot, lorsqu'il
énimièro les quatre sortes d'arguments à employer en théologie.
11 ne professe pas non plus, comme Abélard, que le mystère est
incompréhensible; et, plus que ce dernier, il s'efforce de dé-
montrer la Trinité, qu'en fait il supprime par ses sul)tiles spé-
culations néo-platoniciennes.
Sans doute Thierry, en chrétien de ])onne foi qu'il fut, se serait
défendu d'être rationaliste; mais son ultra-réalisme d'une part,
et le manque de distinction entre le domaine de la foi st celui
de la raison, d'autre part, le poussent, à la suite de Scot Érigène,
dans une voie fatale au point de vue de l'orthodoxie, et lui
font subordonner de fait, sinon en théorie, la foi à la raison
humaine.
Gilbert de la Porrée (1070-1154). — Gilbert, né à Poitiers en
1070 selon les uns (1), en 107G selon d'autres (2), fréqufenta
d'abord les écoles de sa ville natale, dirigées par Bernard de
Chartres, un platonicien. Plus tard il se rendit à Paris où il fut
tour à toui élève de Guillaume de Champeaux, et condisciple,
puis élève d'Abélard. Là le platonisme qu'il avait puisé dans les
leçons de ses premiers maîtres fut fortement envahi par l'esprit
aristotélicien (3). Après avoir terminé ses études théologiques
sous Anselme de Laon, Gilbert enseigna pendant quelques an-
nées à Chartres; puis nous le voyons, vers 1140 à Paris (4) où
il professa la dialectique et la théologie. Présent au Concile de
Sens, en 1141, où devait être condamné Abélard, Gilbert jeta en
passant ce vers d'Horace à son ancien maître et ami :
« A'am tua res agitur, paries cum proximus ardel. » (o)
secundum hoc quod ipsa est imitas, persona vero geniti secimdum quod ipsa est
aequalitas. . ."
. . . . . Istum autem modum sive unitatis aequalitatem antiqui philosophi
tum mentem divinitatis tuin providentiam, tum creatoris sapientiam appellave-
runt. Piaeclare; nam cum ipsa diviiiitas sit ipsa imitas, ipsa igitur unitas re-
rum omnium esse unicum (>st. »
1. Berthaud. Gilbert de la Porrée et sa Thilosophic, p. 24. Poitiers,
1892.
2. De Wulf. Hist. de la Philosoph. médiévale, p. 204.
3. Berthaud. Op. cit., p. 40.
4. B. Hauréau. Hist. de la Philosoph. scolas., 2<^ édit., t. I, p. 448.
5. HoRAT. Lib. I. Episf. ad Lollium, v. 84.
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES D'aBÉLARD 39
Cependant, la renommée de Gilbert grandit et rÉvéque de Poi-
tiers l'appela auprès de lui pour l'enseignement.- de ses cbrcs.
Gilbert mourut évèque de Poitiers en 1154, laissant de nom-
breuses œuvres. Les plus importantes sont, le Liber sex princi-
piorum, deux commentaires des traités de Boèce De Trinitate,
et De (hiahus naturis in Cliristo. Le Liber de cmisis, que MM.
BeithaUd (1) et Clerval (2) attribuent à Gilbert, n'est pas de
lui (3j.
En logique Gilbert connaît les traités d'Aristote, nouvellement
introduits par Thierry de Chartres. Sa doctrine des universaux
a été jugée assez diversement (4). D'après lui, toute la nature
s'expliquerait par des séries de formes plus ou moins aniverselles,
subordonnées les unes aux autres, qui communiquent l'existence
aux êtres qu'elles contiennent. Les formes universelles ont simul-
tanément une existence universelle dans tous les individus du
genre ou de l'espèce, et une existence singulière dans les choses.
Ainsi nous avons chez Gilbert les universels ante rem (formae
secundae), et les universels in re (formae nativae). (5). Cette
doctrine réaliste de Gilbert, par subordination des formes nées
aux formes secondes, éternelles et immuables, rappelle nettement
Plotin et son disciple chrétien, Scot Érigène. Gilbert, fidèle en
cela à la tradition de ses maîtres chartrains, semble avoir fait
grand usage des œuvres de Scot Érigène, du moins à en juger
par certains points de contact avec ce philosophe (6).
Souvent le réalisme a été accompagné de tendances scepti-
ques; l'indifférence et même le mépris que certains mystiques
platoniciens témoignent à la Science en sont la preuve histori-
que.
1. Berthaud. Op. cit., p. 129-190.
2. Clerval. Les. Écoles de Chartres, p. 168, 246, 261.
3. C. Baeumker. Archiv fur Gesch der Philos., Bd. X; neue Folge, Bd. III,
p. 281.
4. De ^VuLF. Ihid., p. 206. — Berthaud, op. cit., p. 246, ssq.
5. Jean de Salisbury. P. L., t. 199. Met.ulog. II. XVII. — « Universalitatem
formis nativis attribuit, et in earum conformitàte laborat. Est autem forma na-
tiva originalis exemplum, et quae non in mente Dei consistit, sed rébus creatis
inhaerei. Haec graeco eloquio dicitur eZSos habens se ad ideam \it exemplum
ad exemplar, sensibilis quidem. in re sensibili, sed mente concipitur insensibilis,
singularis quoque in singulis, sed in omnibus universalis. »
6. Chez Gilbert les formes individuelles sont déterminées par l'ensemble
des accidents. Chez Scot Érigène, la forme est un mode particulier de la
qualité, donc quelque chose d'accidentel, et la matière est l'union des deux
accidents de quantité et de qualité. Ct. P. L., t, 122, De divisione naturae. III,
14. — Un autre signe de parenté avec Scot Érigène est l'importance que
Gilbert attache à la notion d'essence. Voir à ce sujet R. Ad. Lipsius, Gilhertm
Porretanus. Separatabd. aus Ersch u. Grubers, Allgcmeiner Encyclopédie I
Section, 67. Ed., p. 7 asq.
•40 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Ces tendances, on les retrouve chez Gilbert. Sans doute, cet
écolâtre aime sincèrement la science. Il l'a défendue contre les
« Cornificiens » et tous ses efforts allaient à favoriser les études
dans les écoles de Chartres et de Poitiers. ^lais cette science
est, selon lui, sujette à la mutabilité des choses de ce monde,
sa nécessité liée à leurs vicissitudes, est chancelante, puisqu'il
n'y a rien d'absolument nécessaire dans les choses auxquelles
la seule habitude a imposé le nom de nécessité (1).
Si donc la raison natiirelle n'arrive pas à cette nécessité et
à cette certitude dont elle est assoiffée, il faut ou nier, avec les
sceptiques absolus, la possibilité de toute connaissance réflexi-
vement certaine, ou encore échafauder toute connaissance sur
la foi, comme font les fidéistes. C'est à cette dernière solution
que se range Gilbert. Et, quoiqu'il ne veuille pas confondre la
théologie et la philosophie (2), et qu'il parle de leurs méthodes
différentes (3), il déclare cependant que la foi catholique est
dite à bon droit la source de la connaissance, non seulement
théologique, mais de toute connaissance, et qu'elle en est le
fondemenl le plus certain et le plus solide (4). Aussi la spéculation
théologiquo n'admet-elle, en aucune manière, les lois naturel-
1. 1)1 Boctium, P. L., t. 64, col. 1303-1304. «In cœleris facultatibiis, in quibus
semper con&uetudini regulae generalitas atque nécessitas accomodalur, ??ow ratio
fiderii, sed fides seqiiifiir rationem. Et qnoniam in temporalibus nihil est quod
'/iiulahiîifati non sit ohnoxium. Tota illorum consuefudini accomodafn nécessitas
nuiai. Nam in eis quidquid praedicatur necessarium, vel esse, vel non esse
quodam modo, nec esse, nec non esse necesse est. Non enim absolute necessa-
rium est, cid nomen necessitatis sola consuetudo accommodât. »
2. In Boet., I. P. L., f*. 64, col. 1255, « Omnium quae rébus percipiendis
snppeditant rationum aliae communes sunt mulforum generam, aliae propriac
aliquorum. »
3. In Boet., L, P. L., t. 64, col. 1255. « Age igitur, ingrediamur et dis-
piscianius. id est incipiamus, et diversis speculandi modis aspiciamus
unumquodque id est naturalia et theologica prout potest intelligi atque capi,
naturatiu siio modo et theologica suo. »
4. In Boet., P. L., t. 64, col. 1304. « In theologicis autem nbi est A'eri no-
mînis atque abso!uta nécessitas, non ratio fidem, sed fides praevenit rationam.
In lus enim non cognoscentes credimus, sed credentes cognoscimus. Nam
ahsquc rationum principiis fides concipit, non modo illa quibus intelligendis
humanae rationes suppeditare non possunt, verura etiam illa quibus ipsae
possunt esse principia. Spiritus enim qui ex Deo est dat hanc ipsi fidei prae
rationibus dignitatem, et in theologicis, et etiam in bis qnae infra theologica
snnt, naturaUbus scilicet, et hujusmodi aliis quorum rationibus philosophorum
fidem spintus hujus mundi supposuit. Nam et in naturalibus et in aliis, om-
nem rationem spiritualium ^;des antevenit, nt fïde magis priusquam ratione
omnia judicent. Ac pcr hoc, non modo theologicarum, sed etiam omnium rerum
inte ligendarum, catholica fides recte dicitur esse exordium, sive nulla incer-
Utudme nutans, sed etiam de rébus mutabilibus certissimum atque firmissimum
fundamentura. »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES D'aBÉLARD 41
les (1). La raison non plus ne prévient la foi, mais la foi la
raison; car la foi conçoit sans les principes de la raison, non
seulement les choses qui dépassent les preuves rationnelles, mais
encore celles que la raison peut démontrer. C'est l'Esprit-Saint
qui donne cette dignité à la foi, et en théologie et dans les con-
naissances inférieures. C'est encore lui qui substitue la foi aux
raisonnements des philosophes; car, même dans les choses na-
turelles, la foi précède la raison; en sorte que ces philosophes
jugent tout plutôt par la foi que par la raison! (2).
Il serait difficile de ne pas trouver dans ces textes, et tant
d'autres que nous pourrions encore citer (3), l'expression des
thèses caractéristiques du fidéisme, dans la forme qu'il devait
prendre sous l'influence de la théorie de la connaissance ultra-
réaliste et subjectiviste de Plotin et de Scot Érigène. D'une part,
Gilbert fait ressortir la mutabilité, l'incertitude de la science .et l'im-
puissance de la raison ; d'autre part, il exalte la foi, immuable et cer-
taine, qui par une illumination divine, — c'est là une pensée néo-
platonicienne, — se trouve à la base de toute connaissance théo-
logique et profane. Cependant, il ne faudrait pas s'imaginer que
cette défiance de Gilbert à l'endroit de la raison l'ait empêché
d'appliquer à la théologie sa dialectique très serrée et aussi S3n
réalisme. Il s'autorise de l'exemple de Boèce qui se sert de l'ar-
gumentation théologique pour démontrer que l'essence du Père
et du Fils et de leur commun Esprit est singulière et simple (4).
Dans cette argumentation théologique il faut prendre soin de
procéder d'après les raisons propres à la théologie et ne pas
juger par les propriétés des choses concrètes de la nature ou
des abstractions de la science (5). Gilbert met aussi en garde
1. In Boet.^ P. L., t. 64, col. 1303... « Nattiralium legcs theolocjica speculatio
non omnino admittit, tum quia, sicut dictum est, in simplici Deo nomen cujus-
libet diversitatis, error parvulorum abhorret, non taraen eam sicut in re
propter difficultatem obscura et propter obscuritatem difficili fieri solet, mul-
tis vel probatarum Scripfurarum testimoniis persuadet, vel necessariarum in-
ventionum connexionibus probat, vel eorum quae incidenfer et quasi a latere
(lisputationis emergere possent amplificatione explanat; sed quia nec male-
volus, nec tardus est suus, cui scripsit, auditor, sola propria unuuiquodque
praedicandi ratione demonstrat. »
2. Voir la note précédente.
3. Cf. Par exemple, P. L., t. 64, col. 1310. — Ibid., col. 1303.
4. In Boetium de Trinitate, P. L., t. 64, col. 1268. « Nunc quod Patris et
Filii et Spiritus amborum una sit singularis et simplex essentia, qua sola
unusquisque iUorum est id quod est, theologica utens spéculation?, demons-
trat. »
5. In Boetium de Trinitate, P. L., t. 64, col. 1268. « In divinis quoque, quae
non modo disciplina verum etiam re ipsa abstracta sunt, intellectualiter versari
42 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET TIIÉOLOGIQUES
contre les dangers des comparaisons : il ne faut ni les rejeter
tout à fait, ni en exagérer la valeur, comme ont fait les Sabel-
liens (1). Au reste, Gilbert n'est pas fidèle à cette ligne de con-
duite. Comme tous les théologiens de son époque, il s'engage
dans do subtiles spéculations sur la Trinité. Par l'application
malheureuse de son réalisme à ce mystère incompréhensible en-
tre tous, il montre son ignorance d'un principe de délimitation
du domaine révélé, d'avec le domaine naturel; et il s'écarte du
dogme catholique en affirmant que les personnes divines, le Père,
le Fils, le Saint-Esprit, ne peuvent se dire substantiellement de
la divinité (2), L'erreur de Gilbert est grosse de conséquences :
elle aboutit à la négation de l'unité divine. Mais son auteur
fut un chrétien convaincu qui retira les propositions incriminées,
après que le Concile de Reims, en 1148, les eût condamnées (3).
Par son maître, Bernard de Chartres, et par son platonisme
réaliste, plus ou moins dépendant de Scot Érigène, Gilbert se
rattache à l'École de Chartres. A l'exemple des Chartrains et de
son maître Abélard, l'évêque de Poitiers fait aussi grand cas
d'Aristote dont il emploie la logique dans les spéculations théo-
logiques. Mais il se sépare du philosophe du Pallet, aussi bien
que de Thierry de Chartres, par la solution fidéiste qu'il adopte
dans la question toujours pendante des rapports mutuels entre
la foi et la raison.
De Gilbert de la Porrée procède, presque tout entière, la théo-
rie &' Alain de Lille (t 1203) sur les relations entre la science et
la foi : Son manque d'originalité (4), surtout dans le sujet qui
nous intéresse (5), peut nous dispenser de plus longs développe-
oportebit. Ici est, ex .propriis rationibus theo!ogicorum ilia cnncipere, et non
ex .naturaliter coucretoruin ant, disciplinaliter abstractorum propriefalibiis
judicare. »
1. In Boetium de Trinifafr, P. L., t. fi4, col. 1279. « Errant tamen aligui
in comparationibus imo ex oomparationibus, aut cum si qnid est in eis dis-
simile, illas omnino abjiciendas existimant, ant in his propter qnae non sit
illarum inductio, easdeni usurpant, ut Sabelliani. »
2. Ibid., col. 1308. « Recte intulimus haec non substantiaîiter dici, ex eo
quod non de omnibus vel divisim, vel simul suppositis Pâtre, et Filio, et
!-'piritu Sancto, dicuntur; si enim quodiibet borum substantiaîiter praedicaretur,
cerium est quod et de singulis divisim, et de omnibus simul suppositis sin-
gulariter diceretur : quoniam omnium illa quae sunt substantia, est tantum
modo una. »
3. De Wulf. Hist. de la philos, méd., p. 207. — Cf. La profess^lou
qu'il fait du principe d'autorité. P. L., t. 64, col. 1310.
4. Voir Baumg.\rtner. Die Philoftophie dssAlanus ah Insidis im Zuscim-
niDilwnge mil den Anscliamingen des 12ten Jahrîi. dargestellt, p. 6-23.
ô. Comparer aux textes de Gilbert cités plus baut, p. 8, note 1 et noto 4,
les paroles suivantes d'Alain [Begulae, Prol. P. L., t. 210, col. 621 B.)
« Tum celerarum regularum tota nécessitas nutet quia in ronsnetudine sola est
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES d'aBÉLARD 43
menls, que le lecteur trouvera d'ailleurs dans la magistral iiio-
nographic consacrée par M. le Professeur Baumgartner au phi-
losophe lillois.
Guillaume de Conches (1080-1155) — Guillaume, né à Cou-
ches près Évreux, appartient à l'École de Chartres par son maî-
tre Bernard de Chartres. Nous avons de lui un ouvrage De
vliilosophia mnndi libri IT (1), que Migne attribue faussement
à HonoriuR d'Autun. Parmi ses autres écrits moins importants,
il y a un traité intitulé Dragmaticon (au lieu de Dramaticon),
où Guillaume de Conches, homme très prudent, si nous en croyons
M. l'abbe Clerval (2), rétracte plusieurs des thèses défendues par
lui dans Ir. PJiilosophia ))m}idi.
L'auteur de la philosophie du monde, — l'un des moindres
parmi les maîtres chartrains, — procède par cfuestions et par
réponses à la façon d'un catéchisme. La philosophie y est dé-
fiaie : « Eoriim qaae sirnt et non videntur et eorum quae siuit
et videntur vera comprehensio. » (3). Son objet est donc double.
D'une part, les choses invisibles : Dieu, l'âme du monde, les dé-
mons, les âmes humaines. D'autre part, les choses corporelles.
Celle énumération montre déjà qu'il s'agit ici d'une philosophie
religieuse peu distincte de la théologie.
Pour connaître une chose parfaitement, il faut savoir, à son
sujet, d'abord si elle existe, puis comment elle se comporte avec
les dix catégories aristotéliciennes. Aussi, ne connaissons-nou^
qu'imparfaitement ce qu'est Dieu, quoique nous sachions qu il
existe (4). Guillaume de Conches prouve comme Abélard, l'exis-
tence de Dieu, souverain ordonnateur, et, comme lui, il prétend
que nous pouvons arriver par les créatures à la connaissance
de la Trinité (5).
Toute la doctrine trinitaire de Guillaume, telle qu'on la trouve
dans la PhiJosopJiia mundi, ou dans une lettre de l'abbé de
consisiens pênes consuetum natura decursum, nécessitas theo!ogicarum maxi-
marum absoluta est... » Les mots et tournures soulignés se trouvent déjà chez
Gilbert, presque dans le même contaxte.
1. P. L., t. 172, col. 39, sq. — Cf. Ueberweg-Heixze, op. cit., p. 200;
Prantl, Geschichte der LogiJc, p. 83.
2. Clerval, op. cit., p. 265.
3. P. L., t. 172, col. 39.
4. P. Lr., t. 172. Dr philos, mnndi, 1. c. IV.
5. P. L., t. 172, ihid., c. V., col. 44.
44 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Sainr-Thierry à saint Bernard, ressemble par le fonds et même
par 11 forme, à la doctrine d'Abélard, dont l'orthodoxe abbé l'ac-
cnsc de confirmer et de multiplier les erreurs (1). Guillaume dis-
tingue dans la Trinité, la Puissance, la Sagesse et la Volonté
(Abélard avait dit Bonté), que les saints ont appelées : Père.
Fils et Saint-Esprit (2). Si l'Écriture dit que le mystère de la
génération divine ne se peut raconter, c'est qu'elle veut faire en-
tendre la difficulté de l'entreprise, mais nullement son impossi-
bilité (3).
L'influence d'Abélard est manifeste. Comme le philosophe du
Pallet, Guillaume de Couches est accusé de Sabellianisme. Au
reste, à eu juger par ce que nous connaissons des ouvrages de
Guillaume, d'ailleurs très inférieurs à ceux de Thierry de Char-
tres ou de Gilbert, et à plus forte raison, à l'œuvre d'Abélard,
nous pouvons croire que Guillaume ne soupçonnait guère, moins
encore que ses pr'^décesseurs, la gravité de la question des rap
ports entre la foi et la raison. En voulant prouver par la raison
le mystère de la Trinité, Guillaume commet une erreur; mais,
nous en avons la conviction, une erreur inconsciente qui ne per-
met pas, ce nous semble, de l'accuser de rationalisme théolo-
gique (4).
Pierre Lombard fin du Xî- siècle à 11G4.) — Parmi les au-
teurs, alors nombreux (5), de « Livres de Sentences » le plus
célèbre, et aussi le plus représentatif, est, sans conteste, Pierre
Lombard, dit le « Maître des Sentences — Magister sententia-
ruuL » — Il fit ses premières études à Bologne et à Reims. Venu
à Paris, il entendit les maîtres de Saint- Victor et Abélard. Vers
1. P. L., t. 180, col. 333. Episf. Guill. ahhaf. S. Th-oâorici ad Bernardiim.
« Etenim post theologiam Pétri Abaelardi, Guillelmus de Conchis novam affert
pliilcscphiam, confirmans et multiplicans quaecumque ille dixit et impudentius
addens adhuc de suo plurima, quae ille non dixit. »
2. P. L., t. 180, col. 333. « Est ergo in divinitate potentia, sapientia et
voluntas. Has très Sancti personas vocant, vocabula illis a vulgari propter
affinitatem quamdam transferentes, potentiam appellantes Patrem, Sapientiani
Filium, voluntatem Spiritum Sanctuni. »
3. Epist. Guill. abbat. b.Theodorici. P. L., t. 180, col. 333. « De generatione
voro divina quod, inquit, propheta dicit generationem ejus quis "enarrabit?
{Isa. LUI» difficultatem ostendit non impossibUitatem. »
4. Cf. Baeu.mker. Wilhelm von Couches. AVetzer ii. Welte's Kirchni^exi-
loti, Bd. XIL c. 1600. Freiburs, B. 1901. « (Wilhelm von Conches) teilt auch
Abàlards theologischen Rationalismus, nach dem das « Wie » (quaiiter factum
sit) der Glaubcnsiitze durch die Vernunft zn bestiramen sei. »
5. Nous connaissons les « Sentences» du Mss de St-Florian, du « Ma-
gister Omnebene », de Roland (Alexandre III), de Hugues de St-Victor, de
Robert Pulleyn et de Pierre de Poitiers.
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES d'aBÉLARD 45
1140, i' enseigna probablement la théologie à TÉcole de Notxe-
Dame. En 1159, il devint Évêqiie de Paris, mais il semble avoir
résigne sa charge une année après. Il mourut en 1164 (1), lais-
sant des Commentaria in Fsalmos (2), des CoUectanea in omncs
D. Fauli Apostoli epistuîas (3) et son œuvre maîtresse, les
Senieniiarum libri IV (4), qui lui assura jusqu'au XVIIo siècle,
la gloire d'être tin auteur classique, commenté par les plus grands
théologiens.
Ce dernier ouvrage reflète bien la double influence qu'a subie
le maître lombard durant ses études à Paris. La méthode est
celle du « Sic et Sou » d'Abélard, auquel plus d'un développe-
ment est aussi emprunté (5). Pour le fonds, Hugues de Saint-
Victor, plus encore qu'Abélard, sert de modèle à notre philosophe,
à telles enseignes que l'on a pu le considérer comme le pla-
giaire du Victorin, ou comme le véritable auteur des « Sentences »
de celui-ci (6).
A proprement parler, Pierre Lombard n'est pas un philosophe,
mais uit théologien. Souvent il s'exprime en termes fort désobli-
geants sur le compte des dialecticiens (7) et des philosophes an-
ciens (8). Même il lui arrive de vouloir rejeter de la théologie
les arguments philosophiques (9).
Mais son but étant de démontrer la foi par l'Écriture et de la
défendre par des raisons catholiques (c'est-à-dire d'autorité), et
des comparaisons convenables contre les raisonneurs bavards (10),
1. JoH. Nep. Espexberger. Die Philosophie des Pefrus Lombardus und ihre
Stellung im Xllten Jahrhundert, p. 1. Munster in W., 1901.
2. P. L., -t. 191, coK 61, sq.
3. P. L., t. 191, col. 1297, sq.
4. P. L., t. 192. — Voir aussi l'excellente édition des « Sentences » pu-
bliée avec les commentaires de S. Bonaventure à Quaracchi.
5. EsPENBERGER. Op. cit., p. 5; Kaiser. Op. cit., 309-31.5.
6. EsPENBERGEH. Op. Cit., p. 5. — ■ A. MiGNON. Les Origines de la Scolastique
et Hugues de Saint-Victor, t. I, p. 182, ssq.
7. Voir note 10.
8. In Ps. CXL, 7. P. L., t. 191, col. 1237-1238. « Potentes docti qui de
moribus judicant ut Plato, Aristoteles, Pytagoras absorpti sunt juncti petrae
id est comparati Christo crucifixo... coniparati Christo, per se videntur
aliquid dicere sed junge, id est compara illos Christo, et nihil sunt; mortui
jacent; stulta sapientia eorum est. »
9. betit. III. disf. 22. I. P. L., t. 192, col. 802-803. « lUae enim et hujus-
modi argutiae in creaturis locum habent sed fidei sacramentum a philosophicis
argumenlis est liberum. »
10. bent. I. dist. 2. 3. P. L., t. 192, col. 526. « Augustinus docet, primo
secundum auctoritaies sanctarum sripturaruni, utrum fides ita se habeat de-
monstrandum est. Deinde adversus garrulos raciocinatores elatiores qtiani capa-
ciores rationibus catholicis et similitudinibus congruis ad defensionem et
assertionem fidei utendum est. » Cf. August. De Trinit. 1, 2, -153, P, L.,
t. 42, col. 822.
40 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
il doit d'abord concilier les textes apparemment contradictoires
de l'Écriture et des Pères. Pour ce faire, quoi qu'il en ait, le
maître des « Sentences » est obligé de faire appel à la philo-
sophie. Ici comme ailleurs, il se ressent de la double influence
d'Abélard, et plus encore, de Hugues de Saint-Victor.
Pour le problème des universaux, que notre théologien ne traite
jamais « ex-professo », il semble s'en tenir à un éclectisme pru-
dent, qui l'empêche de pénétrer un peu avant dans la question
et de s'attacher déterminément à l'une des écoles régnantes. Il
paraît cependant pencher du côté du réalisme (1). Nous ne trou-
veioiis non plus étrange que le Lombard, disciple surtout de
Hugues de Saint-Victor et de saint Augustin, nous parle d'une
certaine lumière intérieure qui éclaire celui qui comprend (2).
Cette lumière, — nous le disons sous bénéfice d'inventaire, —
a bien des ressemblances avec Tillumination néo-platonicienne,
admise par la plupart des théologiens du temps.
Manque de profondeur et d'envergure, voilà comme on pour-
rait caractériser les tendances philosophiques de Pierre Lom-
bard.
La même impression se dégage aussi de l'étude des rapports
entre la science et la foi, tels que les conçoit notre théologien.
Après ce que nous ayons vu, il va de soi que l'autorité et
la foi pure et simple, tiendront le haut bout. Rarement la raison
aura son mot à dire pour faire naître la foi; mais on emploiera
cei)endant assez fréquemment le raisonnement pour la défendre
confie les dialecticiens bavards (3). Au reste, la science en soi.
1. Senf. I. dist. 19. 9. P. L., t. 192, col. 576. « Sicut enim dicuntur Abra-
ham, Isaac, Jacob, tria individua ita très homines et tria auimalia. »
Ihid., 10. « Sed nec species est, essentia divina et persona individua, sicut
Homo species est, individua autem Abraham, Isaac et Jacob. Si enim essentia
species est ut homo sicut non dicitur unus ho^mo esse Abraham, Isaac et
Jacob, ita non dicitur una essentia esse très personas. — Sent. I. 5. 8.
P. L., t. 192, col. 537; 25, 5; 28, 1. « Intelligentia enim dictorum ex causis
est assumenda dicendi; quia non sermoni res, sed rei sernio subjeclum e^t. »• —
Cf. EsPENBERGERi Op. cit., p. 21, 24.
2. In I Epist. ad Corinf. u, 12. P. L., t. 192, col. SI. « (Visione) quae
dicitur intellectualis ea cernuntur quae n^^c cernuntur corporea nec ullas gerunt
formas similes corporum, velut ipsa mans et omnis affectio bona. Quo enim
alio modo ipse intellectus nisi intelligendo conspicitur? NiiUo. » — In ps. LXI.
P. L., t. 191, col. 417, B. et C. « Ad intelligendum Deuni, dilatavi animam
meani, quia relictis illis exterioribus instrumentis sensum corporalium sub-
jacentibus, ad seipsum rediit animus meus et cœpit se contemplari ut videat pe
ut novorit te apud so, ut intelligat an aliquid taie sit Deus ipsius. — In Ep.
ad Ephcs. P. L., t. 192, col. 203, C. « Omnis qui iutolligit quadam luce inleriore
illustratur. Est ergo quaedam lux intus quam non habent qui non intclligunt. »
.3. Scnf. I, disf. II, 3. P. L.. t. 192, col. 526. « Deinde adversus garrulos
ratiocinatores elatiores magis quam capaciores, rationibus catholicis et simi-
litudinibus congruis ad defensionem et assertionem fidei utendum est. »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES D ABELARD 4/
c'est-à-dire, la science sans la charité, est inutile; elb enile (1)
mais toutefois, elle n'est pas impuissante, puisque les anciens
ont su démontrer par la seule raison, l'existence de Dieu et ses
attributs (2).
Lorsque la foi est en question, le langage du maître des Sen-
tences est différent. Alors, dit-il, il faut laisser les arguments de
la raison et les arguties philosophiques et « croire aux pêcheurs
et non aux dialecticiens » (3). Cependant, Pierre Lombard ne
rejette pas complètement les motifs de crédibilité; bien plus, il fait
observer que déjà les apôtres, pour rendre croyable leur ensei-
gnement, faisaient des miracles (4); et que les païens eux-mêmes
sont arrivés par la contemplation des créatures, à ce praeamhulum
fidci qu'est la connaissance du vrai Dieu unique et spirituel (5).
Quant à la foi, notre jMaître la considère essentiellement, comme
une « Tirtiis qiia creduntur, qiiae non videntur » (6) ou comme dit
l'apôtre : « Fides est substantiel reriim spera?idarum, argumentum
1. In Ep. I ad Corinth., c. VIII. P. L., t. 192, col. 1601. « Addite scien-
tiae charitatem, et iitilis erit scieutia. Per sô enim iuulilis est scientia, cuin
cliaritate utilis est : per se inflat iii superbiam, ut daemones, qui Graeco
nomine a scientia sic sunt nominati, in quibus scientia est sine charitate. »
2. lu Ep. ad Boni. I, 20, 23. P. L.. t. 191, col. 1327. « Per cœlum et
terram et alias creaturas, quas immensas et perpétuas esse intellexerunt
(auiiqni) ipsum Conditorem incomparabilem, immensum, aeternum mente
conspexerunt ». Cf. aussi Sent. I, dist. III, 1-5. P. L., t. 192, col. 529, ssy
3. Sent, in, dist. 22, I. P. L., t. 192, col. 802-803. « Illae >3nim et
hujus modi argutiae in creaturis locum habent, sed fidei sacramentum a phi-
losophicis argiDiientis est tiberum. Unde Ambros. in lib. I, de Fide, c. 5,
in fine; aufer argumenta, ubi fides quaeritur. In ipsis gymnasiis suis jam dia-
lectica jaceat; piscatoribus creditur, non dialecticis. »
4. In Ep. ad Eom. c. I, 16. P. L., t. 191, col. 1322. « Cum res exij^it
fiunt miracula quibus commendatur doctrina. Quia enim incredibile videbatur
quod praedicabatur, ideo signis et prodigiis ab apostoîis factis affirmabatur,
ne diffiderent homines de his quae dicebant qui tanta faciebaut. (Ambrosius) »
5. In Ep. ad Rom. c. I, 17. P. L., t. 191, col. 1323-1324.
6. In Ep. ad Heh., c. XI, 1. P. L, t. 192, col. 488. — Iw Ep. a\I Rom.,
c. I. 17. P. L., t. 191, col. 1324. « Et quia de fide fit 'menti o
bic videndum est quid sit Ifides, et quot modis accipiatur fides, et de
quibiis sit: Fides est virtus qua creduntur qicae non videntur, apparentla non
habent fidem sed agnitionem. Fides enim est quod non vides credere. (Aug.) »
— Cf. aussi Sent. III, 22, 7. P. L., t. 192, col. 806 : « Notandum quoquo
est quod fides proprie de non apparentibus tantum est. Unde Gregor., in homi-
lia super Ezecniel : Apparentia non habent fidem sed agnitionem. Idem cum
Paulus dicat (Hebr. XI) : Fides est substantia rerum sperandarum argumen-
tum non apparentiura; hoc veraciter dicitur credi, quod non valet videri.
Nam credi jam non potest quod videri potest. Thomas aliud vidit et aliud
credidit; hominem vidit et Deum confessus est... Ut enim Augustinus alibi ait,
(super Joan. 27 tractatu 27) : Credimus ut cognoscamus non cognoscimus ut
credamus. Quid enim est fides nisi credere quod non vides? Fides ergo est
quod non vides credere, veritas quoi credidisti videre. Unde recte fides
dicitur argumentum vel convictio rerum non apparentium; quia si lidos
esl ex PO convincitur et probatur aliqua esse non apparentia, cum fides
sii nisi de non apparentibus. »
48 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
non appareritiiim » {Hebr. XI). Son objet propre, ce ne sont que
les choses que l'on ne voit pas, — non apparoiîia ; — car les
choses apparentes n'engendrent pas la foi, mais la connaissance
(agnitionem). x\iissi, quand on dit : « en croire ses yeux », ce
n'est pas là la foi proprement dite, mais un motif de crédibilité;
les choses ^iies font <ïue nous croyons celles que nous ne voyons
pas (1). D'ailleurs, l'inévidence de l'objet de la foi ne la rend
pas moiiicj certaine : L'Apôtre affirme cette certitude de la foi
en la définissant : « argumentum non apparentium », c'est-à-dire
la démonstration, la certitude, la preuve des choses non apparen-
tes (2).
Jusqu'ici, Pierre Lombard n'a pas dit la raison formelle de la
foi, l'autorité d'un Dieu révélateur; mais du moins il a délimité
nettement son objet matériel aux choses non apparentes. Lais-
sons-lui maintenant la parole pour nous expliquer ce qu'il entend
par choses non apparentes et par vision. « Il nous faut savoir,
dit-il, qu'autre est la vision intérieure et autre la vision extérieure.
Les choses sujettes à celle-ci ne peuvent tomber sous la foi; mais
il n'en est pas ainsi de celles qui sont saisies par la vision inté-
rieure, même si elles sont comprises (3). » Il y a donc des vérités
qui sont simultanément crues et comprises par la raison natu-
relle. Aussi, le prophète Isaïe dit-il, selon les Septante : « Nisi
credideritis, non intelligetis (4). » De là à la thèse d'Augustin et
d'Anselme il n'y a qu'un pas. Le Maître des Sentences le fran-
chit et conclut que l'on ne peut savoir et comprendre certaines
données de la foi sans d'abord les croire, et qu'on ne peut croire
d'autres vérités sans d'abord les comprendre (5).
1. In Ep. ad Hebr., c. XI, 1. P. L., t. 192, col. 488. « Si aulem di-
cuntur créai quae videiitur, sicut dicit unusquisque oculis suis credidisse,
non ipsa est quae in nobis aedificatur fides, sed ex rébus quae videntur agifur
in nobis, ut ea credaniur quae non videntur. Et est argumentum vel con-
victio non apparentium id est praemonstratio, et certitudo, et probatio reruni
quae non apparent. »
2. In Ep. ad Hebr., c. XI, 1. P. L., t. 192, col. 488. (Voir la note
précédente).
3. Sent. III, distinct. 24, c. 3, initium. P. L., t. 192, col. 808. —
« Sed sciendum est quoJ cuni visio alia sit interior, alla cxterior, non est
fides de subjectis exteriori visioni ; est tamen de his cfiiae visu interiori îit-
cumque capiuntur. Et quaedam utique sic capiuntur, ut inlelligantur. »
4. Sent. III, 24, 3. P. L., t. 192, col. 808. « Quaedam ergo fide credunlur
quae intelliguntur naturali ratione; qaaedam vero quae non intelliguntur.
Unde propheta Isaias, VII, juxta LXX interprètes : Nisi credid-^ritis non intel-
ligetis. »
5. Sent. III, 24, 3. P. L., t. 192, col. 809. « Unde coUigitur non posse
sciri et intelligi crodenda quaedam, nisi prius cred.antur; ot quaedam non
credi nisi prius inte'.ligantur, et ipsa per fidem amplius intelligi. Nec ea quas
prius creduntur quam intelligantur, penitus ignorantur, cum fides sit ex
auditu. Ignorantur tamen ex parte quia non sciuntur. »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI CHEZ LES DISCIPLES D'aBÉLARD 49
Quant au mystère, l'homme ne l'ignore qu'en partie (1), et,
selon le Lombard, il faut que nous comprenions (inteUigamus)
le Créateur par ses œuvres, et que nous voyions la Trinité dont
l'empreinte apparaît dans les créatures (2).
Ce texte qui semble bien absolu, trouve son tempérament dans
un autre passage du même commentaire de l'Épître aux Romains,
et dans quelques lignes du 1'-'" livre des Sentences. Dans ces en-
droits, le Maître nous apprend que l'empreinte de la Trinité
dans les créatures, qui nous esquisse, en quelque sorte (aliqua-
tenus), une image de la Trinité, n'est cependant pas telle que
nous puissions, par la seule contemplation des choses créées, sans
le secours de la révélation, acquérir une notion suffisante de ce
mystère. Aussi les Anciens n'ont-ils vu la vérité que « per um-
hram et de longinquo » et leur science s'est tue au sujet de la
Trinité (3), quoiqu'ils connussent en Dieu ce que l'Écriture a
accoutumé d'attribuer spécialement et distinctement aux trois
personnes, à savoir : la puissance, la sagesse et la bonté.
Le Lombard, rendu prudent par le sort d'Abélard, dont on
sent ic. l'influence, n'insiste pas sur ces trois termes de puis-
sance, de sagesse et de bonté, pour y retrouver la formule de la
Trinité chrétienne, mais il conclut que les Anciens, par Tordre
qui règne dans le monde, sont arrivés à la connaissance du Créa-
teur (4).
1. Voir la note précédente.
2. In Ep. ad Bom., XI, 33-36. P. L., t. 191, col. 1493. « Oportet igitur ut
Creatorem per ea qnae facta sunt, intellects conipicientes Trinitatem inteUiga-
mus, cujus Trinii-atis vestigiiun in creaturis apparet, in illa enim Trinitate summa
est origo omnium rerum et perfectissima pulcliritudo, et boatissima dilectio. »
— La fin de ce texte, comme nous le fait observer M. Kaiser, [op. cit., p.
311-312), contient un écho de la doctrine trinitaire d'Abélard : le Père c'est
« Origo rerum » ou la puissance, comme disait Abélard; la « Perfectissima
pulchrifudo », c'est le Fils; et la « Beatissima dilectio », c'est le Saint-Esprit.
— L'influence augustinienne, nous la trouvons dans les exemples de vestiges
de la Trinité que le Lombard nous cite : Cf. Sent. I, 3, 6. P. L., t. 192,
col. 531. « Jam ergo in ea (in anima humana) Trinitatem guae Deus est
inquiramus. Ecce enira mens meminit sui, intellis^it se, diligit se; hoc si
cernimus, cernimus Trinitatem, nondum quidem Deum, sed imaginem Dei.
Hic enim quaedam apparet trinitas memoriae, intelligentiae, et amoris. »
3. Sent. I, 3, 6. P. L., t. 192, col. 530. « Ecce ostensum est qualiter in
creaturis aliquatenus imago Trinitatis indicatur : non enim per creaturarum
contemplationem sufliciens notitia Trinitatis potest haberi vel potuit, sine
doctrinae vel interioris inspirationis revelatione. Unde illi anliqm philosophi
([uasi per umbram, et de longinquo videruut veritatem, déficientes in contuifu
Trinitatis, ut magi Pharaonis in tertio signo. Exod. 8. Adjuvamur tamev
in fide invisibiliuni per ea quae facta suut. »
4. In Ep. ad Rom., I, 20-23. P. L., t. 191, col. 1.328-1329. « Ad quod
di' imus eos (les Anciens) hanc distinctionem sumniae Trinitatis quani Fides
Caiholica profitetur nullatenus habuisse vel haherc potuisse absque doctrinae,
vel inlernae inspirationis revelatione. Fit enim revelatio tribus raodis, per opéra,
per doclrinam, per inspirationem. Revelavit eis Deus per opéra veritatem, sed
2e Année. — Revue des Sciences. — N° i. 4
bO REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGiQÛES
Le peu que nous venons de dire des doctrines triuitaires du
maître Lombard, — en dire davantage n'entre pas dans le dessein
d'un travail d'histoire de la philosophie — montre que ce théo-
logien n'a pas encore trouvé la raison formelle qui lui permette
de délimiter nettement le domaine de la foi et de la raison, de la
théologie et de la philosophie. Si cependant nous constatons que
Pierre Lombard a évité les erreurs graves, nous nous l'expli-
querons moins par son attachement à l'Église — Abélard proteste
en avoir autant — que par le manque de profondeur et de con-
séquence systématique dcins son œuvre de compilation.
Ces défauts, furent, d'ailleurs, la cause du succès des livTes de
Sentences : Pierre Lombard a fourni un cadre commode que les
commentateurs pouvaient remplir à leur gré, « in via Thomae »
ou « in via Scoti. » Avec de pareilles qualités, il est assez na-
turel que le Maître des Sentences n'ait pas fait avancer la question,
toujours ouverte, des relations mutuelles entre la foi et la science,
et de la délimitation de leurs domaines respectifs. Même il n'est
point étonnant qu'à ce point de vue, — et à d'autres, — il soit
resté en retard sur son maître Abélard, et que l'envergure de
Hugues de Saint- Victor, qu'il pille si fréquemment dans son œuvre,
lui fasse défaut.
Fribourg (Suisse). Th. Heitz.
non per doclrinam vel per inspirationem. Viderunt ergo de longinquo veritatem
sed non appropiuquaverimt per humilitateni. Non ergo luas ti-S perscnas
ideo dicuntur intedexisse, quoi eas distincte veraciter et propriae intellexe-
rint : Sed quia illa esse cognoverant in Deo, qaae illis, tribus personis in
Sacra Scriptura fréquenter soient distinctini ac specialiter attribui, scili-
cet potentia, sapientia, bonitas... quod quare fiât, non est oliosuai inquirere.
Sicui enim ex motibus et adniinistratione corporis animam, quam non vides,
intelligis, sic ex adniinistratione totius mundi, et regimine omnium, Creatorem
intellexeriint. »
La notion du Lieu
théologique
Çuemadmodiim Arisfofeles in, Topicis projmsuit communes
locos quasi argumeiitorum. sedeset notas, ex qitihus omnis
argamentatio ad omnem disjmtationem inveniretur : sic
nos pecuUares quosdam Theologiae locos proiumimys, ex
quihus Theologi omnes suas argumentationes, sice ad
conjirmandum, sice ad refellendum inveniant.
MELCHICR CANO, De locis theologicis. 1. I, c. III.
SOUS le nom de Lieux théologiques, on rencontre fréquemment
des ouvrages qui renferment un grand nombre de questions,
des traités entiers même, totalement étrangers au concept des
Lieux théologiques. Tels ces tiaitts De Ecclesiâ. au triple point
de vue théologique, apologétique et canonique, ces questions
prolixes touchant l'Essence de l'Inspiration de l'Écriture Sainte,
rHerméneutic[ue et l'Introduction aux Saints Livres, le Déve-
loppement de la Tradition apostolicfue, etc., qui enflent démesu-
rément et finissent par absorber le De Locis (1). Celui-ci était,
dans l'intention de son fondateur, un pur traité de méthode,
une sorte de logique spéciale de la théologie.
Ainsi compris, les Lieux théologiques sont exigés par la natu-
re même des choses. C'est le sort des sciences arrivées à
un certain degré de développement, et surtout des sciences faites,
de prendre conscience de la totalité de leurs moyens et de
systématiser définitivement leurs méthodes. Ce que l'on con-
cède à la Logique et aux Mathématiques, pourquoi ne le passe-
rait-on pas à la Théologie?
Comme pour les autres disciplines, la pratique a devancé ici
la théorie et la science théologique la systématisation de ses
règles. Ces règles existaient, elles étaient, pour la plupnrt, for-
1. Cf ScH.^EZLER. In^rod. in S. Tlisoî-ji/lum, c. III, § pracvia informatio, a.
Il, n. L
52 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
mnlées et utilisées (1) : il leur mancfuait d'être systématisées.
Deux circonstances, le développement d'une certaine scolasti-
que intempérante d'une part, les attaques des protestants d'au-
tre part, firent sentir la nécessité urgente de la mise au clair des
vrais principes et des véritables règles de méthode de la théo-
logie. La fin à poun^oir commandait impérieusement le carac-
tère méthodologique du traité. Rien de plus significatif, à cet
égard, que l'immortel Proœmium qui inaugure le De Locis de
Cano et débute par ces mots : Saepe mecum cogitavi, Lector
optime, boni ne plus is attulerit hominibus, qui multarum rerum
copiam. in disciplinas invexit, an qui rationon paravit et viam
quâ discipUnae ipsae facilius et commodius ordine iradercntur.
La réalisation répond au programme. L'ouvrage comprend deux
parties ; la première, consacrée aux règles qui régissent la dé-
couverte, i« l'invention», des principes ou éléments constitutifs
de la théologie, la seconde, qni devait contenir trois livres dont un
seul est achevé, consacrée aux règles de la mise en œuvre de
ces principes. Dans la première, Cano étudie la nature propre
de chacun des lieux théologiques. Écriture Sainte, ^lagistère de
l'Église, Tradition, etc., afin que les principes qu'il détermine
soient fondés sur la nature des choses. 11 le fait avec discré-
tion et mesure, marcfuant bien la subordination des questions
ontologiques, et des controverses qu'il soulève, au but métho-
dologicfue poursuivi. Pour lui, les dix lieux théologiques ne sont
rien moins que des prétextes à thèses métaphysiques, théolo-
giques, historiques, canoniques, exégétiques, comme ils le sont
devenus depuis. Ce sont vraiment, comme le promet le passage
que nous avons pris pour épigraphe, les éléments d'une Logique
théologique construite sur le modèle des Topiques d'Aristote.
C'est cette conception que nous voudrions ici restaurer et pré-
ciser. Aucune pensée de mésestime ou de dénigrement à l'égard
de nos devanciers ne nous inspire. Nous ne comprenons que trop
bien ce qui est advenu. En présence d'objections de plus en
plus multipliées et difficiles à résoudre, on a voulu fortifier les
bases ontologiques qui fondaient l'autorité des Lieux théologi-
qiies, en faire l'apologétiqiie ou la théologie. L'intention était
excellente. La réalisation n'a eu qu'un inconvénient c'est de
submerger sous ces développements ce qui faisait Vidée- mère
des Lieux théologiques. La plupart des étudiants savent à peine
1. Cf. Cano. De Locis, 1. xii, c. IIl,^ § Divus Thomas mihi et auctor et
nidfjister fuit hujus operis comporundi.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 53
pourquoi l'on accole à des traités qui approfondissent le fond des
choses cette singulière épithète de lieux. Il nous est arrivé d'agir
comme ces théologiens qui, sachant que la foi du chrétien s'appuie
sur la parole de Dieu, Yeritas prima dicens, remontent de ce motif
prochain et immédiat de la foi aux réalités qui le justifient h
son tour, critériologiquement d'ahord puis même ontohgiquement,
Veritas 'prima in cognoscendo, veritas prima in essendo, et, sans
s'apercevoir qu'ils ont passé d'un ordre à un autre, déclarent
que le motif de l'assentiment de la foi est l'infaillibilité divine
ou même la Vérité transcendante de l'Etre divin. C'est voguer
en plein per accidens. Or, il n'y a de connaissance rigoureuse-
ment vraie, de science, que si l'on se maintient dans ce que les
scolasticfues appelaient le per se, c'est-à-dire dans les lois et
relations qui jaillissent des choses considérées sous des points de
vue nettement et formellement définis. En ce qui concerne les
Lieux théologiques, ce point de vue est celui de la Méthode de
la Théologie. Que l'on fortifie tant que l'on voudra les ])ases
ontologiques qui fondent l'autorité des sources de la Théologie,
mais que ce soit dans des traités spéciaux, dont les Lieux
théologiques recueilleront les résultats, comme la Logique d'Aris-
totc, pour citer un exemple, recueille les résultats de la Théorie
métaphysique des Prédicaments, en vue de leur utilisation logique !
Mais, que tous ces développements hétérogènes cessent d'occuper
la place prépondérante dans une Méthodologie. A notre époque,
si justement préoccupée des questions de méthode, où la spé-
cialisation est proclamée la loi même du bon travail, où les
sciences ne demandent qu'à laisser à chacun sa place au soleil,
pourvu qu'on réponde sans ambages à cette question posée à
l'américaine : qu'êtes vous, que prétendez-vous, quel est votre
point de vue, quels sont vos principes et vos règles de méthode ?
la Théologie catholique doit répondre par un exposé de principes
digne de son long et illustre passé de labeur. Certes, si une
science a pu constituer sa méthode définitive, c'est bien elle,
l'ancêtre et la nourrice de la plupart des sciences modernes.
Or cette réponse existe, et, sauf le rajeunissement des détails
qu'une durée de plus de quatre siècles de réflexion théologique
et de progrès scientifique requiert et justifie, elle est tout entière,
si on sait bien en comprendre l'intention première et profonde,
dans l'œuvre solide et plus actuelle que jamais de Melchior
Cano.
54 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Le plan de cette recherche est très simple. Dans une première
section, nous montrerons que c'est dans une Topique que la
Théologie trouve normalement son introduction méthodique. La
deuxième section dira l'intention et retracera les grandes ligne^
des Topiques d'Aristote, dont la rigoureuse organisation scien-
tifique garantit l'exceptionnelle solidité. Dans les sections sui-
vantes, nous ferons valoir dans ses détails le parallèle des
lopiques aristotéliciennes et du Traité des lieux théologiqaes
tel que l'entendait Cano. Ce parallèle, nous l'espérons, mettra
en bonne lumière la signification précise de ce traité et sa valeur
méthodologique définitive.
I
TOPIQUE ET THÉOLOGIE.
Au premier abord, 1? rapprochement de ces deux mots semble
anormal. De l'aveu de tous les théologiens, la Théologie est
une science (1). La Topique se présente plutôt comme un art :
art dialectique, s'il s'agit de la Topique proprement dite; art
oratoire, s'il s'agit de cette topique qui est à la base de la
Rhétorique. Comment une science pourrait-elle avoir un art pour
introduction? Pour résoudre cette objection, il suffira d'analyser
successivement les éléments constitutifs de la Topique et de la
Théologie, et d'en instituer la comparaison.
L — Les éléments des Topiques.
La Topique ou Dialectique résulte de la rencontre de deux
éléments, un élément formel ou logique et un élément matériel.
De l'élément logique nous ne parlons que pour mémoire :
c'est le syllogisme, qui ne diffère pas foncièrement du syllogisme
ordinaire, encore que les dialecticiens préfèrent, à cause des
commodités qu'ils y trouvent, l'espèce de syllogisme que l'on
nomme enthymème (2).
La matière de la Dialectique, au contraire, lui est spéciale.
Elle est déterminée à deux points de vue : 1° par la nature des
principes qu'elle emploie; 2° par l'espèce de questions qu'elle est
apte à résoudre.
1. S. Thomas, Sunima théologien, I P., Q. I, a. 2.
2. San Se terino. Logicae. Il» purs, c. Il, a. X, De generibus argumentationum
dialectkarum, dans Philosophia christiann cum antiquâ et nova compirata,
Naples, 1878, vol, III, p. 315-332.
LA NOTION DU LIEU THEOLOGIOUE OO
1° Les principes de la Dialectique ont pour premier carac-
tère, d'être des principes communs, c'est-à-dire qui n'appartiennent
en droit à aucune science particulière. Je dis en droit, car, en
fait, ils sont parfois empruntés à ces sciences, mais, en ce cas,
la Dialectique ne les considère pas dans leur valeur scientifique
intrinsèque, elle abandonne cette valeur tout entière à la science
dont ces principes relèvent et dont ils continuent d'être l'unique
p]opriéto (1). C'est à un autre point de vue qu'ils la concernent.
Quel est ce point de vue? Le second caractère des principes de
la Dialectique va nous l'apprendre. — Ce second caractère c'est
qu'ils soient tels que Vopinion commune des hommes les ratifie.
Or, les vérités scientifiques ont cette propriété, conséquence de
leur valeur rigoureuse, qu'elles reçoivent l'approbation de tous
ceux qui les connaissent. C'est à ce titre que, parmi beaucoup
d'autres énonciations de moindre valeur intrinsèque, elles ont
leurs entrées dans la Dialectique.
Il ne faudrait pas croire, en effet, qu'en raison de leur carac-
tère de principes communs, les principes dialectiques excluent
la précision et la certitude. Tout au contraire, considérés en
eux-mêmes, ils sont précis, fondés, et certains. Comment, sans
cela, seraient-ils encore des principes? On veut dire seulement
que, considérés non plus dans leur teneur interne, mais en
regard d'une question posée, ils ne sont pas catégoriquement dé-
cisifs, comme le sont des raisons démonstratives; que la ré*
ponse qu'ils fournissent laisse place à une opinion opposée, ce
que ne ferait pas une réponse scientifique (2).
Et la raison de cela, ainsi qu'on peut le conclure du second (de
leurs caractères, c'est qu'ils limitent leurs ambitions à ce qui
rencontre l'approbation des hommes, quand bien même les raisons
qui motivent celle-ci ne seraient pas scientifiques, quand bien
même elles ne résoudraient que très imparfaitement la ques-
tion. En un mot, la Dialectique s'empare du terrain vague de la
])robahihté, de ïkvdoloy, dédaigné par les sciences spéciales qui se
piquent de rigueur et de nécessité; elle entreprend de l'utiliser,
de l'aménager, de lui faire produire tout ce qu'il peut, d'annexer
ainsi toute une province délaissée, et comme une marche de fron-
tières, au domaine de la vérité. Réduite à ce critère extrinsèque
1. Cf. Cassiodore. De artibus ac discipl. liberalium artlmn, c. III, § De
DiaUctieis locis. Migne, P. L., t. LXX, col. 1177 sq.
2. Nous appelons scientifique une connaissance certaine, évidente, expli-
calive des choses. Nous ne prenons pas ce mot dans le sens inadéquat que
lui donnent les théories scientifiques modernes.
56 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de rapprobation des hommes, la Dialectique rend à la science le
double service, de pressentir et de préparer des investigations
et des démonstrations plus décisives, de prolonger des lueurs de
vérité, au-delà des limites que la science éclaire, en des parties
du savoir qui sont souvent pour l'humanité les plus intéressantes.
Une frontière sera toujours disputée : soyons reconnaissants
à la Dialectique d'assujettir, autant qu'elle peut l'être, celle-ci
à l'esprit humain.
^^ En second lien, la matière de la Dialectique est déterminée
par l'espèce de question qu'elle est appelée à résoudre, ou, ce
qui revient au même, par l'espèce de conclusion qu'elle peut
fcimuler. Cette question est celle de la qualité. En effet, des
quatre questions auxquelles l'esprit humain en revient toujours,
an sif, quicl sit, propter quid, qnale sif, la première est supposée
par la Dialectique, comme, du reste, par la Science. On ne pose
de questions que si l'on a un sujet de les poser. Si l'existence iie
certains sujets n'est pas donnée par l'expérience, si elle fait
quesiioît c'est l'occasion d'une induction ou d'une démonstra-
tion o. posteriori préliminaires, prolongeant le témoignage des sens
à l'aide de principes intellectuels, jusqu'à ce que le sujet scienti-
fique soit donné. Mais ce labeur est antérieur à la science pro-
prement dite de cet objet. Quel inconvénient n'y aurait-il pas
d'ailleurs à attribuer à la Dialectique, dont le moyen de conviction
est l'opinion, la solution de la question an sit l Ce serait s'exposer
à des discussions indéfinies sur des sujets insignifiants, sur
les faits' et gestes de chimères. — D'autre part, les questions
quid sit et propter quid, n'étant solubles ([ue par la connaissance
des essences des choses, sont, de ce fait, du domaine exclusif de
la Science. — Reste donc la question de la qualité, rb ôVi, qui
se formule ainsi : TJtrum taie praedicatum insit suhjecto. Puis-
que les trois premiers problèmes lui sont soustraits, la question
de la qualité, ou du prédicat, devra, semble-t-il, constituer le
problème propre de la Dialectique.
Elle l'est, en effet. Ce n'est pas que la Science ne puisse par-
fois s'en préoccuper dans une certaine mesure et à un point
do vue spécial, mais cette préoccupation est secondaire pour
elle. Je m'explique. La connaissance des qualités, on dirait au-
jourd'hui, dans un sens un peu différent, la connaissance des
phénomènes (1), est antérieure à la connaissance des essences
1. La différence consiste en ce que, pour les modernes, la connaissance des
Xjhénoniènes ne concerne que le fait phénoménal; pour les anciens, elle
LA NOTION DU LIEU TIIÉOLOGIQUE 57
spécifiques. Elle est objet de constatation brute et d'intuition
directe. De la donnée composite formée par la représentation
d'un ensemble de qualités s'abstraient et, ultérieurement, se
concluent, les formes où les essences spéciales qui répondent
à la question quid sit et serviront à résoudre le propter quid.
Or, sans doute, une fois déterminés le propter quid et le quid,
on pourra essayer d'en déduire certaines qualités données dans
l'expérience et l'intuition, par exemple les propriétés ou les grou-
pements spécifiques des qualités accidentelles, et si cette ten-
tative réussit, dans la mesure de cette réussite et sous cet angle
de l'attribution nécessaire, la question : Vtrum praedicatum in-
sit suhjecto, relèvera de la Science. ]\Iais, d'abord, cette dé-
duction est impossible pour les qualités les plus nombreuses, à
savoir les accidents communs, qui sont dans un sujet sans
avoir de connexion essentielle avec lui. Ensuite, même en ce
qui concerne les qualités essentielles, la déduction rigoureuse
n'est pas toujours assurée de réussir; elle est sujette à bien des
erreurs du genre de celle qui jadis faisait de la blancheur la ca-
ractéristique des cygnes ou, c'est tout un, érigeait en dogme in-
tangible, il n'y a pas bien longtemps, le principe de la conser-
vation absolue de l'énergie. On voit dans quelles limites res-
serrées, et sous combien de conditions restrictives, la solution
du problème de la Qualité relève de la Science. Et cependant, là
où la Science cesse, la question demeure. Il y aura donc, pour
cette question, une phase post-scientifique. D'ailleurs, antérieure-
ment à la détermination des essences, et donc antérieure-
ment au labeur scientifique, il y a toute une période de tâtonne-
ments, de comparaison des phénomènes, d'essais de raccorde-
ments par analogie, par induction, etc., des phénomènes entre
eux et avec l'essence encore inconnue qu'ils recouvrent (1). A
vrai dire, la portion la plus considérable de nos connaissances
est encore dans cette période de recherche. Or, la formule la
plus générale vers laquelle s'oriente cette inquisition, est précisé-
ment celle de la question du prédicat : An praedication suhjecto
insit. ^ moins de renoncer à aborder des problèmes certains,
sous prétexte que l'on n'en peut avoir la connaissance scien-
tifique, il faut traiter les questions que ne résoud pas la Science
par une méthode non-scientifique, et qui donne cependant deS
comprenait, de p'.us, l'intuition spontanée de la quiddité des phénomènes par
l'intelligence.
1. Un type de cette phase préscientifique nous est oftert dans le 1. I du
De Anima d'Aristote.
58 revit: des scienxes philosophiques et theologiques
résultats appréciables. La Dialectique est précisément cette mé-
thode. Oh voit donc que, même en matière scientifique, à deux
moments au moins, savoir : avant et après la science, la question
de la qualité se pose et appelle une intervention de la Dialecti-
que.
Et comme dans la période d'invention qui précède la Science,
les prédicats essentiels eux-mêmes, le genre, la définition, n'ont
pas encore manifesté la liaison nécessaire qui les rattache au
sujet, cette liaison sera considérée justement, dans cette période,
comme une liaison aussi peu nécessaire que celle d'une qualité
commune, ou d'une propriété de fait qui n'a pu faire sa preuve
devant l'esprit. Et il y aura en conséquence quatre grandes ques-
tions dialectiques correspondant aux quatre qualités fondamentales
la question du genre, de la définition, du propre et de V accident,
le tout à résoudre ex communihus et ex concessis ah opinione.
II. — Les éléments de la Théologie.
Comme la Dialectique, la Théologie comprend deux éléments,
sa forme, le raisonnement, que nous ne nommons que pour mé-
moire, étani. identique au syllogisme qu'utilise la Science; sa ma-
tière, déterminée, comme la matière de la dialectique : 1° par la
nature de ses principes, 2° par l'espèce de c[uestions qu'elle est
appelée à résoudre.
1° Les principes de la Théologie sont les articles de foi (1). Or.
la foi est un moyen de connaissance qui ne s'appuie pas, ':"omme
les sciences spéciales, sur la vérité intérieure des choses, sur le quid
et le propter quid. Elle regarde toutes les vérités de son domaine
comme résultant delà rubrique commune : Dieu Va révélé. Les arti-
cles de foi, comme tels, n'appartiennent donc à aucune science
spéciale. En ce sens, ce sont des principes communs. Ce carac-
tère était le premier caractère des principes de la dialectique. —
En outre, et c'est son second caractère, la vérité de foi n'a
sa valeu:"" de conviction que pour ceux qui ont la foi. Un hé-
rétique ne lui donne pas son assentiment. Une argumentation
qui s'appuiera sur des principes de foi, procède donc, d'une cer-
taine manière, ex concessis. Elle n'est reçue que par les fidèles,
en raison de l'approbation que leur foi donne aux articles de
foi. L' ï'jdoloy dialectique apparaît ainsi h la base de la Théo-
logie.
1. Summa theol. Q. I. a. VIII, in corpore.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 59
Ici s'imposent des résen^es analogues à celles que nous avons
faites au sujet des deux caractères des principes dialectiques.
Et d'abord, de ce que les principes de la Théologie sont des prin-
cipes communs il n'en faudrait pas conclure à l'absence de pré-
cision et de certitude intrinsèque. Il n'y a rien, au contraire, de
plus précis et de plus certain en soi que la vérité énoncée par
un témoin dont la véridicité est certaine, et c'est le cas. Cela
n'empêche pas cette vérité de n'être connue, comme telle, que
par un moyen de preuve commun, banal, qui s'applique indiffé-
remment à toutes espèces de vérités, scientifiques, d'expérien-
ce, etc., et donc, d'être pour une connaissance ultérieure un
principe commun, extrinsèque aux rapports internes des termes
des conclusions qui en seront tirées.
Ensuite, de ce que l'approbation du fidèle est le nerf de la vale!iir
des principes de la Théologie, il n'en faut pas conclure, ique
les principes de la Théologie sont probables à la manière des
piincipes de la Dialectique. Car, cette approbation est due, en
raison de la véridicité absolue du témoignage divin, ce qui
n'est pas le cas de l'approbation d'opinion qui fonde la valeur
des principes dialectiques. Néanmoins, l'exigibilité absolue de
leur concession ne fait pas sortir les principes de la Théologie,
qui ne sont tels qu'en tant que reçus en nous, du rang de
piincipes valables ex concessis, puisque le témoignage divin qui
la fonde ne fait pas l'évidence sur leur teneur intime et que
l'acte d(^ foi est libre. Elle marque plutôt le suprême degré et
comme la limite absolue de la valeur probante que peut commu-
niquer à des principes l'approbation qu'ils rencontrent.
2° La matière de la Théologie est déterminée par les questions
qu'elle peut résoudre. Soit la question Utrum gratia sit aliquid
creatum. Le sujet Grâce est donné, le prédicat fait question.
La question posée est celle du quid sit ? Pouvons-nous, en Théo-
logie, la résoudre par la manifestation du rapport intime du
sujet et du prédicat? Évidemment non, car nous ne connaissons
pas, par la foi, la quiddité de la grâce divine, nous ne con-
naissons que ce qui nous en est révélé ; d'où le seul sens dans
lequel nous puissions entendre la question proposte est, au fond,
celui-ci : Vtrum gratiam esse quid creatum sit revelatmn. Il en
est de même pour toutes les questions théologiques. Or, c'est
là une question de qualité et de prédicat. La révélation, formelle
ou virtuelle, constitue l'attribut visé par toutes les questions théo-
logiques et la modalité inhérente à toutes les solutions qu'on
leur fera. Ici encore coïncidence analogique avec la Dialectique.
60 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
III — Comparaison et solution.
Nous pouvons, après ces explications, lever l'antinomie si-
gnalée au début de cette Section entre la nature de la Topique
et la nature de la Théologie, entre la probabilité qui est la carac-
téristique des arguments de la première et la nécessité qui fait
de la seconde une science.
La Théologie, en effet, n'est pas une science comme les autres.
Sa forme logique est la même, mais ses principes diffèrent :
ils ne sont pas tirés de l'analyse du sujet comme les princi-
pes des sciences, mais sont communs et tirent leur valeur probante
du critère extrinsèque du consentement,, d'ailleurs obligé, qu'ils
rencontrent. Sous ce rapport, le seul que nous visions en ce mo-
ment, ils offrent une analogie de structure avec ce que l'on
nomme en dialectique des principes probables : Probahilia sunt
quae ut mox auclita, approhantur, sice ah omnibus, sive a plu-
rimis, sive a doctis.
Et cela suffit pour que nous puissions regarder la Théologie
comme de nature dialectique, tout en lui conservant sa certitude
absolue de science.
La probabilité dialectique, en effet, n'exclut pas la nécessité;
elle en abstrait. Il se peut, par exemple, que ce qui cause (l'appro-
bation de ses principes soit, dans certains cas, l'évidence d'une
nécessité intérieure entre un terme et un autre. Pour la Science,
cette inclusion sera l'essentiel, le consentement universel qui en
résulte une conséquence accidentelle; pour le dialecticien, c'est
le consentement qui est essentiel; la nécessité est l'accident.
Pour la Science une proposition nécessaire est celle qui ne peut
être autrement : pour le dialecticien, une proposition probable
est celle qui est admise par un certain nombre d'esprits, qu'elle
puisse ou ne puisse pas être autrement, blêmes différences en
ce qui regarde l'argumentation issue des principes. Pour la Scien-
ce, la conclusion tirée da principes nécessaires a une vérité né-
cessaire. En dialectique, de principes probables, nécessaires ou
non en soi, on ne tirera jamais qu'une conclusion probable,
quand même it<lle serait en matière nécessaire. On voit que la
certitude absolue se concilie fort bien dans la Dialectique, avec
la probabilité, au sens primitif du mot, des principes et des con-
clusions.
Or, c'est cette certitude absolue, que la Théologie est fon-
dée à réclamer de ses principes. Il suffit, pour qu'elle l'aie,
que, ce qui ost dans la dialectique naturelle une limite supérieure.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 61
éventuelle et indifférente à ses visées, de la probabilité, lui soit
garanti. Elle l'est, toutes les fois que la parole du Dieu ab-
solumeiiL véridique témoigne directement ou par des intermédiai-
res infaillibles en faveur de ses principes. Que si cette parole
nous parvient dans certains cas par des intermédiaires moins
assurés, les principes de la Théologie sui\Tont alors le sort
qui leur est fait par ces intermédiaires et donneront prise à
l'opinion contraire, comme les principes dialectiques. Les credir
hilia sont donc les analogues des prohahiUa de la dialectique,
réserve faite de leur certitude, en droit absolue.
Et il n'y a pas à dire que ce dont Dieu témoigne étant né-
cessairement vrai, les vérités de foi sont des principes néces-
saires. Car s'il est nécessaire que Ce dont Dieu témoigne soit
vrai, il ne s'ensuit pas qu'il soit vrai d'une vérité nécessaire;
tout au contraire, la présence d'un témoignage, au lieu d'une in-
clusion de termes, comme raison de sa vérité, marque avec
évidence que cette vérité appartient au genre du probable tel
que nous l'avons défini. A l'objection posée en langage scolasti-
que : Quod Deus dixit, necessario verum est, nous répondrions
nccessarium verum, Nego, necessario veruni, probabilifer seu cre-
dibiUter, Concedo (1).
II
IDÉE d'ensemble DES TOPIQUES d'aRISTOTE
Le problème général de la Dialectique consiste, nous l'avons
dit (2), à chercher si un prédicat convient à un sujet donné. Son
moyen général de solution réside dans l'emploi de principes
communs et probables (3). Cela est désormais acquis.
Puisque nous nous proposons de décrire la méthode théolo-
gique en fonction de la méthode dialectique, il nous faut main-
tenant préciser, et amener la discipline, que nous venons de ca-
ractériser par ses deux extrêmes, au point où elle sera utilisable
par le Dialecticien de la Théologie. Pour arriver à ce résultat il
est nécessaire, d'une part, de resserrer davantage les termes du
problème dialectique, de manière à le diviser en questions spé-
ciales, faisant appel à des principes de solution spéciaux; d'autre
1. Cf. A. Gardeil. La Crédibilité et V Apologétique, p. 86-91. Paris. Le-
coffre, 1908.
2. P. 56.
3. P. 55.
62 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
part, de déterminer, avec précision et en regard des questions,
ces principes eux-mêmes. C'est à cette double tâche qu'Aristote
consacre la majeure partie du livre I de ses Topiques. Les livres
suivants, II à VII, contiennent la nomenclature raisonnée des
principes ainsi découverts appelés par lui Lieux dialectiques.
Il ne sera pas inutile, croyons-nous, pour éclairer notre marche,
de donne:' une idée d'ensemble des divers moments de la mé-
thodologie dialectique, d'après l'analyse définitive que nous en
a laissé Aristote. Celle-ci comprend, en substance, trois parties :
La division des Questions, La notion du Lieu dialectique, I^a
théorie des Instruments d'invention des Lieux dialectiques.
I. — La division des Questions dialectiques (1).
Une question bien posée, a-t-on dit, est à moitié résolue. C'est
le motif qui engage Aristote à faire précéder l'apparatus des
moyens de solution et de leurs instruments d'invention, d'une
détermination plus précise du problème général de la Dialecti-
que.
Il y a quatre manières pour un prédicat de convenir à lun
sujet, et partant, quatre questions dialectiques spéciales : 1" Le
prédicat appartient à l'essence du sujet mais le déborde en ex-
tension. Soit par exemple, la prédicat animal et le sujet liomme.
L'animalité est de l'essence de l'humanité, mais ne constitue
pas toute cette essence : elle la déborde. La question : l'homme
est-il un animal? est, de ce fait, nettement caractérisée. Elle
relève du problème du genre, le genre étant par définition de
l'essence du sujet qu'il caractérise, auquel il est d'ailleurs supé-
rieur en extension. — 2° Le prédicat est de l'essence du sujet
et constitue toute cette essence. Il ne peut, pour cette raison, con-
venir à un autre sujet. Soit le prédicat animal raisonnable en
regard du sujet homme. Nous avons ainsi un second problème
spécifiquement distinct, le problème de la définition, 3° Le pré-
dicat n'est plus de l'essence du sujet, mais il est avec lui en telle
relation qu'il ne peut être attribué à :un autre sujet. Soit le su-
jet homme, et le prédicat sourire. La bête ne sourit pas; parmi
les animaux, l'homme seul sourit, parce que seul il a l'intel-
ligence qui se manifeste dans le sourire. Le prédicat, tout extrin-
sèque qu'il soit à l'essence du sujet, est ici, avec elle, eii relation
nécessaire. D'où un troisième problème, celui de la propriété.
1. Topic. 1. T, c. III-M.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 63
4^^ Enfin, le prédicat n'est ni de l'essence du sujet, ni relié ,avec
lui par iine relation nécessaire. Soit homme et blanc. Quatrième
problème dont l'objet est Vaccident.
ArJstote démontre, tant par induction que par déduction, que
ces quatre problèmes épuisent les modes selon lesquels un prédi-
cat peut convenir à un sujet. Ses commentateurs l'ont justifié de
n'avoir pas constitué des problèmes spéciaux pour Vespèce et
la différence, en remarquant que, dans leur usage topique, ces
termes offrent les mêmes caractères que le genre. (1) On nous
permettra de ne pas insister. Nous n'avons pas l'intention d'ex-
poser dans leur intégrité, ni surtout de justifier, les Topiques
d'Aristote (2), mais de faire saisir le rôle et la portée de chacmie
des étapes de sa méthode dialectique, dans un but de comparaison
avec la méthode théologique (3).
1. San Severino, op. et edit. cit., c. Il, a. 1. p. 193.
2. Pour cette justification, je renvoie au remarquable exposé de San
Severino.
3. !^e pourrait-on pas préciser à leur tour les quatre problèmes dialectiques
fondamentaux, et, en serrant de plus près leurs termes, faciliter le déga-
gement de leurs principes de solution? Aristote semble nous y autoriser, en ce
qui regarde du moins les problèmes de la définition et du propre. Le pre-
mier, à l'entendre, se pose selon cinq modalités qui en fout autant de sous-
problèmes de la Définition : 1° La définition convient-elle à tous les sujets
contenus sous le réel défini? 2° Est-ce avec raison que le Genre est utilisé
pour définir? 3° La définition propre d'une chose par sa propriété se con-
vertit-elle avec le sujet défini? 4° Comment reconnaître si une définition don-
née est bonne? 5° Comment reconnaître s'il y a définition? (1) Le pro-
blème du propre comporte deux modalités, selon que l'on se demande
1° si la propriété d'un sujet a été bien déterminée, ou 2o si une propriété
donnée est effectivement la propriété du sujet en vue. — Mais toutes ces
déterminations, si elles sont commodes, n'offrent pas le caractère a priori
de celles qui constituent les problèmes fondamentaux auxquels elles se
rapportent. Les trois premières ont été suggérées par le rapprochement du pro-
blème de la définition avec les trois autres, dont ils sont des aspects.
Aussi Aristote renvoie-t-il pour leur solution, respectivement aux problèmes
de Vaccident, du genre et de la propriété. D'ailleurs, le premier d'entre eux est
le seul à viser la question dialectique, qui est celle du rapport du prédicat à
uii sujet, mais il la _\àse sous un rapport accidentel, ne prenant pas le
sujet formellement, mais matériellement, à savoir du côté des individus qui
intégrent ce sujet. D'où son renvoi à la question de l'accident. Quant aux
deux autres, ils ne traitent pas le problème dialectique susdit (pas plus d'ail-
leurs que le quatrième de la définition et le premier de la proprié'é), mais
ils enquêtent touchant une question préliminaire, concernant uniquement
\e prédicat et nullement le rapport du prédicat au sujet. Il suffit de les
relire pour s'en convaincre. Nous avons donc affaire à quatre questions
présupposées à la nôtre et partant extrinsèques. Restent deux sous-problè-
mes : le 5e de la définition et le 2e du propre, qui coïncident avec les
deux problèmes du même nom. — D'ailleurs les deux autres problèmes, celui du
genre et celui de Vaccident, n'ont pas, chez Aristote, de subdivisions, en tant qT.ie
questions. Leurs subdivisions se tiendront du côté des réponses qu'on leur
fait et seront établies par des considérations tirées de la matière du sujet
et du prédicat à l'aide ae ce que nous nommons avec Aristote Ii\s instruments
dialectiques. II n'y a donc, a priori, que quatre questions dialectiques for-
mellement distinctes.
1. Ce cinquième sous-problème se divise Ini-même en deux questions : 1" La définition est-elle faite à l'uide
d'éléments premiers en soi et plus counus par nous ? 2'> La définition procéde-t-elle de ses vrais éléments,
(tterite et différence) '' Nous n'insistons pas sur ces détails inutiles à notre but.
64 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
La division du problème de la Dialectique en quatre problè-
mes spécifiques a, comme contre-partie immédiate, la division
a 'priori de ses principes de solution en quatre chefs ou titres gé-
néraux d'argumentation, qu'Aristote a noimnés d'un mot qu'il
nous faut maintenant expliquer les lieux du Genre, de la Défini-
tion, du Propre et de V Accident.
II. — La Notion du Lieu dialectique.
Il n'est pas difficile de savoir ce qu'Aristote entend par Lieu
dialectique. Les faits parlent ici plus haut qua la théorie. Les
faits sont représentés par les six livres des Topiques, du II*' au
VIl^', où Aristote a recensé minutieusement et justifié, en les
sériant d'après leurs quatre titres généraux, tous les principes
de solution possibles des cpatre problèmes dialectiques. Qu'y
trouvons-nous? Tout simplement des propositions probables, plus
ou moins générales, toutes prêtes à entrer comme prémisses dans
les syllogismes dialectiques, aptes à leur servir de majeures puis-
qu'elles sont générales, et au besoin aussi de mineures, lorsque la
question se prête à une certaine généralité de solution, ou encore
lorsque, faute de mineure spéciale appropriée, on est obligé de se
contentej d'une réponse très générale, ce qui ne sort pas de la note
d'une doctrine de la probabilité. Citons au hasard. Voici les pre-
miers lieux du genre : Si un genre prétendu ne peut être attribué
à une espèce ou à tin individu de cette espèce, ce n'est pas en réa-
lité un genre. — L'attribut qui ne convient pas essentiellement à
tous les sujets auxquels il peut être attribué, ne saurait être leur
genre. — Le prédicat auquel convient la définition cVun accident
n'est pas le genre du sujet de cet accident. Et ainsi de suite.
Il est donc bien certain que la nomenclature des lieux dialec-
tiques n'est pas autre chose, pour Aristote, qu'une liste détaillée de
propositions générales.
A l'appui de ce témoignage, il ne sera pas inutile de joindre
celui de la Rhétorique du Philosophe. A vrai dire, les moyens
de conviction dont dispose le rhéteur ne sont pas tous d'ordre
logique. 11 fait appel aux ornements du discours, aux mœurs ora-
toires, et à bien d'autres procédés. Cependant le rhéteur, puis-
qu'il parle, s'adresse aux intelligences, et dès lors, il lui faut \ni
fond toujours prêt d'arguments capables de les persuader. Quelle
ressource mieux appropriée à ce but que les lieux dialectiques,
qui, par leur probabilité, sont supposés jouir de la commune
approbation de leurs auditeurs, et, par leur généralité, sont aptes
LA NOTIOX DU LIEU THÉOLOGIQUE 65
à servie: instantanément d'amorce à toutes sortes d'arguments?
Aussi, toute rhétorique complète contient une topique simplifiée,
et qui, sans prétendre épuiser méthodiquement, comme la Topi-
que dialectique, toutes les manières possibles dont un prédicat
est susceptible de convenir à un sujet, énumère les principales,
celles dont l'usage est le plus fréquent et va davantage au but
du rhéteur. Aristote a recensé ces lieux topiques de la Rhétori-
que, et ici encore ce sont des propositions que nous renoon-
trons (1). Mais, dans sa Rhétorique, il ne s'est pas contenté de
les recenser, il a défini expressément le Lieu, ce qu'il n'avait pas
fa:t dans sa Dialectique, et, grâce à l'affinité des deux doctrines,
la notion du lieu dialectique que les faits nous avaient suggérée,
s'en trouve éclaircie et confirmée. « Parlons maintenant, dit-il,
des éléments des enthymèmes (2); j'entends par élément et lie^a
d'enthymème une seule et même chose (3) ». Or les éléments
d'un syllogisme sont, selon sa conception courante, les propo-
sitions dont le syllogisme se compose (4). Voici, du reste, quel-
ques lignes plus loin, une déclaration explicite : « Nous avons
exposé presque complètement les Lieux, dit le Philosophe, puis-
que, sur chaque sujet, des propositions ont été choisies; de telle
sorte que c'est désormais chose faite que l'indication des Lieux
d'où nous tirerons des arguments sur le bien et sur le mal, sur
l'honnête et sur le honteux (5) etc. »
Aucun doute ne saurait donc subsister. Les lieux dialecti-
ques sont;, pour Aristote, des propositions probahles et généra-
les. Mais pourcjiioi les appeler des Lieux? Le voici. En vertu de
leur caractère de probabilité, dû à ce qu'elles relèvent d'un moyen
banal de comdction, le consentement commun, ces propositions
n'appartiennent de droit à aucune branche spécialisée de la con-
naissance, mais peuvent s'appliquer à toutes ou a plusieurs.
D'ailleurs, en vertu de la généralité de leurs termes, elles consti-
tuent des principes universels qui planent au-dessus des prin-
cipes propres de chaque science. Ces deux caractères com-
binés prédestinent chacune de nos propositions générales à servir
1. Rhét., I. II, c. XXIII, édit. Didot, t. i, p. 275.
2. L'enthymème est le syllogisme propre du rhéteur.
3. Rhét., ibid., cxxii, § 13. Edit. Didot p. 374, 375.
4. San Severino, opère et edit. cit., c. ii, a. 9, p. 287. Sau Séverine cite
à l'appui un passage des Métaphysiques, mais il semble s'être illusionné sur
sa signification et sur sa portée pour sa thèse, comme on peut s'en convaincre
en. lisant l'explication de ce passage dans le commentaire de S. Thomas.
Métaph., 1. V, leç. iv, édit. Parme, f. xx, p. 388.
5. Il Rhét., loc. cit., § 16.
26 Année. — Revue des Sciences. — N" i. 5
66 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de majeure à plusieurs argimients, gui trouveront en elles com-
me leur lieu naturel, celui où l'on sera sûr, par exemple,
si l'on cherche à résoudre un problème dialectique suscepti-
ble de se résoudre par la définition, de rencontrer tous les prin-
cipes approuvés qui régissent la matière de la définition. On voit
que la métaphore se soutient très bien. Un exemple pour en
faire ressortir ce que c'est l'occasion, ou jamais, de nom-
mer la topicité : Soit cette proposition : Si contrario con-
trarium inest, et contrarium contrario. On peut subsumer,
en matière morale : sed bonum jiivat, et conclure : ergo malum
nocet; en matière logique : sed affirmatio est causa affirmationis,
et conclure : ergo 7iegatio est causa negationis, etc. (1).
III. — Instruments d'invention des Lieux dialectiques.
Pour passer des quatre titres généraux des principes d'argu-
mentation dialectique, donnés par la division des questions, à
cette multitude de propositions qui les remplissent, Aristote for-
mule certaines règles générales qu'il appelle «Les instruments
aptes à nous pourvoir de syllogismes et d'inductions (2). »
Ces Instruments sont au nombre de quatre à savoir : la re-
cension des propositions, la distinction des ambiguïtés, le colla-
tionnement des différences, l'examen des ressemblances.
Au fond, il n'y a qu'un seul instrument d'invention des lieux :
la recension des propositions. Les trois derniers instruments,
comme l'a remarqué Aristote, sont plutôt des auxiliaires que
des instruments à part. Ils travaillent sur un premier fond de
données fournies par le premier instrument, et, par ce concours,
aboutissent à un choix plus judicieux et plus intégral de.
Lieux (3;.
Cependant, précisément parce que le premier instrument joue
ce rôle spécial de fournir la matière foncière des Lieux dialec-
tiques, il s'explicite dans plusieurs règles particulières qu'Aris-
tote énumère au chapitre XII^ de son premier livre (4). En voici
des extraits : On devra recueillir toutes les propositions proba-
1. La notion aristotélicienne du lieu dialectique a été reproduite et déve-
loppée conformément à cette doctrine, par tous les grands commentateurs
(lu Philosophe, Théopliraste, Alexandre, Thémistius, Boèce, Cassiodore, Aver-
roés, Albert le Grand. Cf. la dissertation de San Severino gur VHistoire du Lieu
dialectique, opère et edit. cit., a. ix, p. 287-301.
2. Topiques, 1. i, c. xi, éd. Didot, p. 180. Cf. B.\rthélemy Saint-Hil.\ire, De
la Logique d'Aristote. Deuxième partie, c. VI.
3. Ihid. Cf. S.\N Severino, opère et edit. cit., p. 335.
4. Edit. Didot, p. 180.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 67
bles, approuvées comme telles, soit par la multitude, soit par
les doctes, soit par un seul sage faisant autorité. — On devra
noter, par la même occasion, les propositions contraires aux pre-
mières et celles qui ont de l'analogie avec elles. — L'enquête
devra s'étendre aux documents écrits, s'adresser à l'histoire, pren-
dre son bien dans les diverses sciences, relevant ici des pro-
positions de Morale, là des propositions de Physique ou de Lo-
gique. Pas d'autre critère de ce premier choix, même en ma-
tière nécessaire; que la probabilité des propositions, puisque c'est
par là que la Dialectique se distingue de la Philosophie qui a
pour norme la vérité en soi des choses. — On devra prendre des
propositions aussi universelles que possible, sans négliger' de
pousser leur division jusqu'aux extrêmes limites, (où elles de-
viennent particulières) de manière à pouvoir en faire d'une plu-
sieurs et réciproquement. — Ce dernier précepte engage déjà
le concours des autres instruments.
Le second instrument, la distinction des ambiguïtés, rwv rSk-
).a/6j; Iv/ouvjwj, a pour but de multiplier les lieux dialectiques
au sein d'une proposition déjà recensée comme probable, mais
dont les termes sont équivoques. Une première règle pour dé-
noncer l'ambiguïté sera de faire appel aux oppositions. Si, en
effet, plusieurs termes s'opposent au terme qui sert de prédicat
à une proposition probable, c'est le signe que celui-ci est ambi-
gu, et que l'on peut tirer de la proposition qui le renferme plu-
sieurs propositions. Soit le terme aigu; en phonétique il a pour
contraire le terme grave; en armement, le terme émoiissé ; en
médecine le terme chronique; etc., autant de propositions. Aris-
tote passe en revue, à cette intention, toutes les sortes d'oppo-
sitions, la contraire, la contradictoire, la privative et pour cha-
cune d'elles donne des préceptes propres à féconder, pax l'oppo-
sition, une proposition probable. — Une autre règle sera de
rendre les termes aux catégories. Le terme hon, par exemple,
a une autre signification selon qu'on l'applique aux aliments,
à la médecine, à la morale, au quando et au quantum. — D'autres
règles sont prises des genres intermédiaires non subalternés et
de leurs différences. Je renvoie pour tous ces détails à Aristote (1)
et, pour le reproche de subtilité que l'on serait tenté de lui faire,
à San-Severino qui en endosse allègrement la responsabilité (2).
Voici maintenant le collationnement des différences. Il faudra
1. Topic, 1. ï, c. XIII, édit. Didot, p. 181 sq.
2. Op. cit., p. 343, § ne vero quis nobis quasi quisquilias...
08 ■ REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
s'attacher de préférence aux termes qui diffèrent peu. — Il faudra
chercher les différences au sein des genres. — Au contraire
les ressemblances devront être recherchées de préférence dans
des genres divers, surtout dans les plus distants les uns des
autres. Sans négliger cependant celles qui se trouvent au sein
d'un même genre...
Encore une fois, nous n'insistons pas, notre seul but étant
de faire constater au lecteur que, dans l'esprit d'Aristote, les
Instruments sont bien des règles de découverte, d'invention,
jouant dans la Dialectique un rôle intermédiaire qui est, de
jmsser des titres généraux d'argumentation aux propositions im-
médiatement susceptibles de s'adapter à n'importe quel aspect
des questions auxquelles coi'respondent les titres généraux (1).
IV. — Conclusion.
Lieux dialectiques proprement dits et Lieux communs (2).
Une conséquence de la Théorie aristotélicienne des Lieux est
la distinction de deux sortes de propositions générales, capables
d'entrer dans les arguments qui répondent aux questions dialec-
tiques. Au moment que nous avons entrepris cette théorie, la
seule donnée dont nous disposions consistait dans les quatre
grands titres généraux qui différencient a priori les lieux dia-
lectiques, lieux du Genre, de la Définitioyi, du Propre et de
VAccident.
Or, remarque très importante, ces quatre grands caractères diffé-
rentiels peuvent eux-mêmes être formulés en propositions géné-
rales, n suffit d'expliciter le rapport que l'essence de chacun d'eux
est apte à développer en regard des sujets dont le Problème
dialectique fondamental a pour but de chercher les prédicats.
Par exemple, on formulera la propriété foncière de la Définition
vis-à-\is du sujet défini par elle, et l'on aura cette proposition
évidente pour qui sait ce que c'est qu'une définition : Défini et Dé-
finition s'équivalent, ou, si l'on préfère les circonlocutions cicéro-
1. Cf. SiLVESTER Maurus, hi Aristot Top., Brecis paraphrasis, 1. I, c. XI.
XII, édit. Ehrle, Paris, 1885, t. I, p. -403. Ce rôle si simple et si bien en
place, a été méconnu par certains critiques. San Severino reproche à Thionville,
dont il vante d'ailleurs l'ouvrage De la Théorie des Lieux communs dans
les Topiques d'Aristote, et des principales modifications qu'elle a subites
iusQuà nos jours (Paris, 1838), de s'être complètement mépris au sujet
des Instruments dont il fait des lieux dialectiques d'un ordre spécial. San
Severino, op. cit., p. 333, note.
2. Cf. BoÈcE, In Topica Ciccronis comment.. 1 I, ^Iigne, P. L., t. LXIV
col. 1052-10.54.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 69
niennes : Definitio adhibetur, qitae quasi involutum evolvit id de
quo quaeritur (1). Il n'est pas douteux, et les rhéteurs le savaient
bien, qu'en dépit de sa très grande généralité, cette proposition
ne puisse ser\àr de lieu pour la solution telle quelle d'un grand
nombre de questions dialectiques. En faisant subir la même
opération aux quatre caractéristiques différentielles, nous serons
en possession de quatre Lieux suprêmes — maxlmi — qui rachè-
teront par leur é\ddence ce qui leur manquera de faculté immé-
diate d'adaptation aux modalités spéciales des questions.
Mais ces Lieux suprêmes se diviseront à leur tour, grâce aux
Instruments, dont le rôle est de multiplier les Loci (2). C'est ce
que Boèce énonce ainsi : Argumenti enim sedes partim proposilio
maxima intelligi potest, partim maximae propositionis differen-
tia (3). Pour trouver ces différences il n'y a qu'à analyser les
caractéristiques différentielles latentes dans chacun de nos pré-
dicats généraux, en commençant, pour procéder avec ordre et
ne rien omettre, par celles qui tiennent à l'essence même des
quatre prédicats, en continuant par celles qui sont prises de
leurs différences spécifiques, de leurs propriétés, de leurs con-
séquences nécessaires, de leurs contraires et de leurs accidents.
Voyons l'application de ce procédé au Lieu suprême de la dé-
finition. DéfÎ7ii et définition s'équivalent. Aristote en tire les
trois propositions suivantes : — Ce qui ne convient pas à la
définition du Sujet ne convient pas au Sujet lui-même ; — Si
la définition d'un attribut ne convient pas au Sujet, l'attribut
ne lui conviendra pas davantage; — Si la définition d'un attri-
but ne convient pas à la définition du Sujet, l'attribut à son
tour ne convient pas au Sujet (4). Le nerf de ces trois propositions,
il suffit de les relire pour que cela saute aux yeux, est l'identité
du Défini et de la Définition, et donc le Lieu même de la Défini-
tion dans toute son universalité. Mais combien plus explicite
est leur teneur et comme elle serre de plus près la question!
1. Topica, c. Il; cf. San Severino, op. cit., p. 291.
2. Haec ergo siint instrumenta quibus inveniuntur loca particidaria uniuS'
cujnsque qiiaesifi locorum universalium. Averroes, in Topic, 1. i, in calce
Venise, 1503, p. 265, verso.
3. De differ. Top., 1. II. Migne, P. L., t. LXIV, col. 1185. Pour toute cette
exposition, cf. San Severino. op. cit., p. 293.
4. Topic, I. II, c. II, § 3, édit. Didot, col. 187. Cet exemple est em-
prunté au livre qni concerne les Lieux de l'Accident absolu, ce qui tient
à ce que les différents loci se prêtent un mutuel secours. Mais sa place est
parmi les Lieux de la Définition ad refeUendiim, et Aristote a eu soin de
la marquer 1. vi. c. i, § 1, en renvoyant, nour le détail, aux Lieux de l'Accident
dont la description précède, chez lui, les Lieux de la Définition {ihid., § 2, édit.
Didot, 235) afiu de ne pas se répéter.
70 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Comme elle emmanche plus directement la réponse, et, c'est en-
core le cas de le dire, combien la première était commune et
combien celle-ci est topique (1)! Il est des exemples nombreux
où cette division peut être poussée plus loin, jusqu'à ce que l'on
rencontre selon le mot d'Averroès loca particularia uniusciijusque
quaesiti locorum universalium. On aboutit alors à des séries
de propositions, graduées selon une échelle descendante d'uni-
versalité. Il y a les Lieux dialectiques suprêmes, les intermé-
diaires ou majeurs, les Lieux dialectiques proprement dits, ou
spéciaux. Cette division est analogue à la division que l'on fait,
en Logique, des Genres et des Espèces en Genre suprême tpii
n'est que genre, en Espèces spéciales qui ne sont qu'espèces, en
essences intermédiaires, tour à tour genres et espèces, selon
qu'elles regardent leurs conséquents ou leurs antécédents. Mais
on n'en retient d'ordinaire, en dialectique, que deux membres:
les Lieux communs que comprennent les deux premiers et les
Lieux topiques qui sont à proprement parler les Lieux dia-
lectiques. Cette distinction est des plus importantes pour l'in-
telligence des lieux théologiques que nous ne perdons pas de
vue. Aussi malgré le développement qu'a pris ce résumé, bien
sommaire pourtant, de la théorie des Lieux dialectiques d'après
iVristote, devons-nous faire à son sujet encore deux remarques.
La première concerne une conception du Lieu dialectique, en
usage chez les rhéteurs, qui repose sur une confusion entre les
Lieux commmis et les Lieux spéciaux. Voici les textes fonda-
mentaux de Cicéron qui la définissent: 1° Vt igitur earum, rerum,
quae absconditae simt, demonstrato et notato loco facilis inventio
est, sic, cum pervestigare argumeniuin aliquod volumus, locos nosse
1. Pour fixer les idées, prenons le premier des trois Lieux cités plus haut
de la Définition. Le prédicat Définition du lieu suprême de la Définition
s'y trouve remplacé par cette différentielle : ce qui convient à la définition du
sujet. On va voir l'usage dialectique de cette substitution : soit ce problème
qu'Aristote cite pour l'illustrer : L'honnête homme est-il envieux? el (peovepos
à (Tirovôaîos. Analysons le prédi cat (pdovepos. Il vient : Envie = faiblesse
provoquée par la vue du bonheur des autres, = passion indigne de l'honnête
homme (cpavXov). Subsii nions ce résultat de l'analyse à la proposition générale
qui constituo notre lieu sous sa forme explicite. Il vient :
Majeure (topique) : Ce qui ne convient pas à la définition du sujet ne
convient pas au sujet lui-même.
Mineure (d'analyse) : Or, l'envie ne convient pas à la définition de l'hon-
nête homme.
Conclusion : Donc un honnête homme n'est pas envieux (1). — Si noug
n'avions eu pour moyen de solution que le principe général : le Défini et sa
Dr /i II il Ion s' équi calent, il nous eût fallu pour rejoindre la même conclusion
tout un échafaudage de syllogismes.
1. Cf. AUIST. Topic. 1. H, c. Il, § 3, p. 187.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 71
dehemus. Sic enim appellatae siuit ah Arisfotele hae quasi sedes,
e qiiibKS argumenta promuntur. Itaque licet definire locimi esse
argumenti sedem ; argumentum autem ratio7iem quae rei dubiae
fidem faciat. (1) 2° Kis igitur locis, qui suut expositi, ad omne
argumentHUi reperiendum, tanquam démentis quihusdam, signi-
ficaiio et de))wnstratio datiir (2). 3° Idemque locos, sic enim appel-
laf, quasi argumentorum notas, tradidit, unde omnis in utram-
que portem traheretur oratio (3). Comme le note excellemment
San-Severino, toutes ces explications n'apportent rien de nou-
veau : elles ne font que substituer à la métaphore Lieu, d'autres
métaphores, sedes argumenti, notas, qui n'apprennent rien de
plus (4). Mais voici qui est plus grave. En parcourant les listes
de lieux données dans les ouvrages que l'on vient de citer
et dans les Fartitions oratoires (5), on s'aperçoit que les Lieux
dialectiques ne représentaient pas, pour Cicéron, des propositions
générales, mais des termes simples, p. e., les mots Définition,
Genre, qui servent de caractéristiques différentielles aux pro-
positions qui, seules, pour Aristote, constituent les Lieux. De
plus, de ces caractéristiques il n'a pris que les plus générales,
celles qui servent de point d'attache aux lieux communs d' Aris-
tote, et il y a entremêlé des termes qui chez Aristote concer-
naient les Instruments, par exemple : la différence, la ressem-
blance. A n'en pas douter, les Lieux dialectiques ne sont dans la
pensée de Cicéron que des signes indicateurs, argumentorum
notas, comme il dit, qui marquent, comme une sorte de signet,
nota, Vendrait où se trouvent des arguments. Qu'une question soit
posée^ l'orateur parcourra, d'un regard, la série de ces moyens
quasi-mnémotechniques, s'arrêtant à celui qui peut faire l'ace à
la question. Si c'est par exemple la Définition, il pose aussitôt
en principe : le défini et la définition s'équivalent, et il l'applique
au sujet.
Il n'est pas difficile d'apprécier le genre d'art auquel appar-
tient une telle notion. C'est tout ce qu'il y a de plus inférieur :
nous sommes ici en plein procédé de rhétorique; les Lieux ne
1. C'iCERO, Topica, c. II, édit. Paiickoucke. Paris. 183.5, t. V. p. 220. — Cf.
BoÈCE, in Top. Cic. comment., 1. I. Migne. P. L., t. LXIV, col.> 1054.
2. Ihid., c. V, traduction Delcasso : « Les lieux que je viens d'exposer sont
des signes, des marques infaillibles qui nous font découvrir les arguments ;
ils en sont comme les principes. » Edit. cit., p. 231.
3. Orator, c. XIV, edit. cit., p. 38.
4. Opère cit., p. 290.
5. C. Il, edit. cit., p. 203, sq.
72 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
sont plus qu'une recette simplifiée et maniable, à l'usage çles
orateurs. Ce sont des endroits où il y a des argmnents, « comme
dans les fonds sablonneux certaines espèces de poissons, et
dans les fonds rocheux certaines autres », insistera douloureu-
sement l'excellent Quintilien (1). Ce sont des loca argiDuentoruni,
mais ce ne sont plus ce que San-Severino nomme si justement
des loca argumentationis, le mot argumentation désignant ici,
selon la force même du vocable, l'argument en acte, en exercice,
vivant, en passe de se formuler : majeure, mineure, conclusion.
Nous aurons à revenir sur cette première remarque, car Mel-
chior Cano, qui connaissait cependant bien la Dialectique d'Aris-
tote, a emprunté à Cicéron la définition de ses Loci.
La seconde remarque concerne l'emploi des Lieux communs,
en dialectique. Tandis que les lieux dialectiques spéciaux entrent
toujours dans les raisonnements, explicitement et comme pré-
misses, les Lieux commans n'y entrent pas toujours de cette
manière. Ils y sont parfois à l'état implicite. Ils dirigent l'argu-
mentation du dehors, de haut et, sans se mêler à sa teneur, en
font la force. C'est ce qu'Averroès traduit en disant, d'après ïhe-
mistius, que les Lieux, s'ils sont essentiellement des prémisses
de syllogismes, ne s'y trouvent pas toujours secundum se, mais
parfois sua sententiâ et potestate (2). Si par exemple nous vou-
lons montrer que le sage n'est pas emueux, nous dirons :
L'en\'ieux s'afflige du bonheur d'autrui,
Celui qui s'afflige du bonheur d'autrui n'est pas un sage.
Le sage n'est donc pas envieux (3).
Cette argumentation est fondée sur cette proposition générale :
Des déimitions diverses entraînent des essences diverses, laquelle
n'entre pas dans le syllogisme dont elle est cependant le nerf.
Or cette proposition est un des Lieux majeurs de la Définition.
On voit ainsi que les Lieux peuvent être sous-entendus, sur-
tout quand ils sont évidents, ce qui est le cas des Lieux les
plus généraux, .des Lieux communs, bénéficiaires privilégiés de
ce mode d'emploi. Cette remarque sera de grande conséquence
pour l'intelligence des Lieux théologiques.
1. Jnstit. orat., 1. V., c. X, cité par San Severino, p. 292.
2. Dans le Tractatus de locis annexé à son commentaire du I. I des
Toixqups. Ave.rr. Comment., Venise, 1503, p. 266 recto. Cf. Boèce. In Top.
Cufroms, 1. I. Migne, P. L., t. LXIV, col. 1051; C.\ssiodore, op. cit., § De
SyUogismis, Migne. P. L., t. LXX, col. 1181.
3. Cf. p. 70, en note.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 73
Notre enquête logique est terminée. Il nous faut maintenant,
conformément à l'intention annoncée au début de cet article,
exposer la théorie des Lieux théologiques, parallèlement à celle
des Lieux dialectiques, ce que nous ferons en parcourant saccessi-
vement les trois moments de la théorie aristotélicienne : les
Questions, les Instruments, les Lieux (1).
Kaiii. (A suivre).
Fr. A, Gardeil.
1. Dans l'exposé de la dialectique aristotélicienne, nous avons interverti
cet ordre gui est conforme à la marche génétique de la théorie. C'est qu'il
était bien difficile de faire comprendre les Instruments, avant d'avoir exposé
la notion des Lieux, que les Instruments sont destinés à découvrir. Main-
tenant, il n'y a plus aucun inconvénient à suivre l'ordre naturel.
Les Assemblées
du Clergé de France
sous TAncien Régime
MATERIAUX ET ORIGINES
« T L esl peu d'institutions de l'Ancien Régime qui soient aussi
X intéressantes que les anciennes Assemblées du Clergé de
France », écrivait récemment M. Hauser (1). Et de fait, aucune
création similaire ne se retrouve ailleurs en Europe (2). En Fran-
ce, ces assemblées ont permis à l'Église de S3 donner et de se
conserver une organisation temporelle puissamment centralisée;
elles ont joué un rôle considérable en matière doctrinale, disci-
plinaire, juridictionnelle et financière; elles ont maintenu le prin-
cipe de l'impôt librement consenti ; enfin, elles ont à beaucoup
d'égards servi de type, bien plus que le Parlement anglais, aux
corps délibératifs de l'époque révolutionnaire.
Et cependant depuis leur disparition, à part les réunions de
1680 et 1682, elles ont été bien oubliées en. France même (3),
encore qu'il en soit question dans l'un ou l'autre ouvrage (4)
1. Bévue historique, t. XCIV (1907), p. 77.
2. Il faut cependant mentionner les Congregaciones de las sautas Iglesias
de Léon y CastiUa. Cf. Rapport sur les. travaux du Séminaire liistoriqwi pen-
dant l'année académique 1905-1906, dans l'Annuaire de l'Université catholique
de Louvain, 1907, p. 388. Louvain, 1907.
3. Ainsi, il n'en est pas question dans Sicard, L'ancien clergé de France,
I. Les évêques avant la Révolution. Pajis, 1893.
4. Voir, p. ex., A. Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français
8*^ édit. pp. 627 svv. Paris, 1907; J. Briss.a^ud, Manuel d'histoire du droit
français. {Sources, Droit public. Droit privé), p. 630. Paris, 1900-1904,-
E. Méric, Ze clergé sous l'ancien régime, 2e édit., pp. 175 sv. Paris, 1892. —
Dans ces derniers temps surtout les sources manuscrites et imprimées de
ces assemblées ont été utilisées et certains épisodes de leur histoire ont
été traités dans plusieurs monographies. Citons : L. Bourg.\in, Contribution
du clergé à l'impôt sous la mo7iarchie française, dans la Mevue des questions
historiques, t. XLVIII (1890), pp. 62132; A. Cognet, Antoine Godeau, évêque
de Grasse et de Vence, un des premiers membres de l'Académie française (1605-
1672). Paris, 1900; G. Dubois, Henri de Pardaillan de Gondrin, archevêque
de Sens (1646-1674). Alençon, 1902; J. Aulagne, Un siècle de vie ecclésiastique
en province. La réforme catholique du dix-septième siècle dans le diocèse
de Limoges, Paris, 1906. — Les liistoriens allemands et italiens se sont l^eaucouv
LES ASSEMBLEES DU CLERGE DE FRANCE /5
et qiio jadis M. A. ^laary leur ait consacré une série d'articles
dans la Bévue des Deux Mondes (1).
Et voici qu'actuellement on s'y intéresse de divers côtés. A
partir de 1903, le Séminaire historique de Louvain attaquait
ce sujet, comme en témoignent les Rapports sur les exercices
académiques 1903-1904 et 1904-1905 (2). En 1906, paraissait, dans
la Bibliothèque de l'École des Hautes Études, à Paris, un volu-
mineux travail de jM. L. Serbat, sur « Les Assemblées du Clergé
de France. Origines, Organisation, Développement 1561-1615.
(154'- fascicule de la section des Sciences historiques et philo-
logiques) (3). — En 1905 et 1906, M, l'abbé Bourlon pu-
Ijliait plusieurs articles dans la Revue du Clergé frariçais, t. XLII,
XLill, XLV et XLVI, repris depuis dans la Collection «Science et
Eeligiori » sous le titre : Les Assemblées du Clergé sous l'Ancien
Régime (Paris, 1907).
Certes, en abordant ici à notre tour ce sujet, nous n'avons
pas la prétention de refaire une étude si judicieusement élaborée
par ^1. Bourlon d'après les sources imprimées, et surtout par
j\I. Serbat d'après les documents manuscrits; mais nous avons
tâché de combiner leurs résultats, comme ceux de M. Laferrière,
avec nos propres recherches, pour mettre brièvement en relief
les origines- juridiques et économiques de cette remarquable ins-
titution et pour attirer, une fois de plus, l'attention des historiens
de l'Église sur la richesse des matériaux que les Archives du
Clergé de France offrent à leur activité.
I. — LES ARCHIVES DES ASSEMBLÉES
On peut distinguer deux grandes catégories de sources d'après
leur état de publicité : les Archives manuscrites et les Archives
imprimées.
préoccupés de l'assemblée de 1682, de même que leurs confrères de tous pays et
plusieurs, tels Rauke et G. F. Pliilipps, ont utilisé les archives imprimées du
clergé de France ; mais aucun n'a porté son attention sur l'histoire même
des assemblées envisagée dans, son ensemble. Ainsi la liste bibliographique de
Serbat (pp. 15-16) ne contient l'indication d'aucun ouvrage allemand.
1. Les Assemblées du Clergé en France sous l'ancien régime, dans la Revuï
des Deux-Mondes, t. XXXI (1879), pp. 751-796; t. XXXIl (1879), pp. 509-
555; t. XXXY (1879), pp. 265-300; t. XL (1880), pp. 621-667.
2. V. Annuaire de VVniversité catholique de Louvain 1905, pp. 421-437
Louvain, 1905; Item, 1906, pp. 499-519. Louvain, 1906.
3. Le même sujet avait déjà été partiellement traité, au point de vue
économique et juridique, par Cauwès {Les commencements du crédit public
en France. Les rentes sur l'Hôtel de Ville au xvie siècle, dans la Revue
d'économie politique, tomes IX et X. Paris, 1895) et par J. Laferrière {Le
Contrat d" Po'issij {(1561). Paris, 1905).
76 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
L Archives manuscrites. — Les principaux fonds corres-
pondent à ceux repris dans les imprimés. Il est donc inutile de
nous y attarder ici. Quelques observations seulement.
La plus grande partie de ces Archives reposent aujourd'hui aux
Archives nationales à Paris (série G : administration financière,
dans la catégorie G^ administration spéciale et dans la catégo-
rie G^ cartons 1-6) (1).
Indépendannnent des inventaires actuellement en cours de con-
fection, il existe dans ces Archives de bonnes tables mauuscrites.
— Do plus nous possédons à l'état à.' imprimé un Inventaire
dressé en 1645 (2).
Toutefois, certaines épaves des Archives manuscrites se re-
trouvent aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, à la Bibliothè-
que Mazarine et à la Bibliothèque de V Institut; mais à côté des
documents d'archives proprement dits, il y a là beaucoup de
sources littéraires (3).
Enfin, pour des raisons que l'on peut tirer de l'histoire de
cette institution, il doit exister dans les anciennes archives diocé-
saines de France, un certain nombre de pièces concernant les
Assemblées, archives dont ne parle pas M. Serbat. — De fait nous
possédons, à la Bibliothèque royale de Belgique, un fonds consi-
dérable d'archives concernant les anciennes assemblées du Clergé
de France. Il a jadis fait partie de la Bibliothèque de Saint-Sul-
pice et provenait, conune l'indique un ex-libris armorié sur le
premier plat intérieur de plusieurs volumes, « Ex Catalogo hi-
bliothecae Caumartinae, L. 482 », c'est-à-dire que vraisemblable-
ment il avait appartenu à Jean-François-Paul Lefebvre de Cau-
martin, qui fut évêqiie de Vannes et de Blois et mourut en
1733 (4).
II. Archives imprimées. — On peut les ramener à quatre
groupes dont les trois premiers sont essentiels.
1) Les Frocès-verhaux des Assemblées. — Deux catégories sonl
à signaler :
a) Les Frocès-verbaux particuliers de chaque Assemblée. Dès le
1. Cf. Serbat, o. c, pp. 5-7; Ch. V. Langlois et H. Stein, Les Archices
de l'histoire de France, pp. 282-9. Paris, 1891.
2. PV. Collection, t. III, p. j., pp. 23-25.
3. Cf. Serbat, o. c, pp. 8-11.
4. Ce fonds a récemment été répertoiié par le R. P. J. Van den CJheyn..
dans sou Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque: royale de Belgique,
t. VI, nos 4414-4441. Bruxelles, 190S.
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 77
début, les secrétaires ont eu pour fonction principale de dresser
les procès-verbaux de chaque séance. A partir de 1635, le procès-
verbal de chaque assemblée a été régulièrement imprimé.
h) Conformément à une décision de l'Assemblée de 1762, fut
confectionnée et publiée à Paris de 1767 à 1780 une Collection
des Procès-verbaux des Assemblées-générales du Clergé de France,
depuis l'année 1560, jusqu'à présent, rédigés par ordre de matières,
et réduits à ce qu'ils ont d'essentiel. (Nous la citons : PV. Col-
lection). — Elle est l'œuvre des abbés Duranthon, Desaulzet
et Gandin. Elle comporte 9 volumes en 8 tomes (1). Cette col-
lection est munie d'une table des plus utiles, décidée à l'Assem-
blée de 1770 et publiée à Paris en 1780 sous le titxe : Précis
par ordre alphabétique ou Table raisonnée des matières contenues
dayis la nouvelle Collection des Procès-Verbaux des assemblées
générales et particulières du Clergé de France, avec une indication
des articles portes dans cette table générale. 1 vol. in-folio, xxvi-
2.324 colonnes.
On peut faire des réserves sar la valeur de cette collection
composée dans un but pratique. — M. Serbat l'a trop dé-
préciée. C'est un vaste résumé des procès-verbaux particuliers,
élaboré d'après un ordre systématique, mais il a été rédigé par
des auteurs Jdes mieux outillés, très compétents et très cons-
ciencieux. Il est fort commode à consulter. Peut-être M. Serbat
ne l'a-t-il pas assez compulsé; car il donne parfois comme inédits
des textes qui se trouvent dans cette belle collection.
2) RA, Les Rapports de l'Agence du Clergé de France. — De-
puis leur établissement en 1579, les deux agents généraux, nom-
més d'abord de deux en deux ans et puis, à partir de 1625, de
cinq en cinq ans, devaient à leur sortie de charge faire aux
Assemblées « un rapport si fidèle et si exact [« sur les affaires
qui se seront passées de leur temps »], que la Compagnie puisse
en avoir une parfaite connaissance (2). »
Jusqu'en 1660, ces rapports sont mentionnés, sans grands dé-
tails, dans le Procès-verbal de l'Assemblée. — A partir de cette
date, ils furent imprimés et insérés dans le Procès-verbal par-
ticulici' de chaque assemblée. Enfin, depuis l'Assemblée de 1705,
le Rapport des agents fut publié séparément. Voici le titre du
1. Ces 9 volumes sont les seules pièces de tous les imprimés du clergé
de France que signale Moxod, BibliograpJtie de l'histoire de France, u" 447.
Taris, 188S.
•2. Cf. RA. Précis, p. m.
78 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
premier : « Rapport de Messieurs les anciens agens géné-
raux dic Clergé de France, fait dans l'assemblée générale
tenue à Paris au couvent des grands Augustijis en l'ayuiée
MDCCV avec les Pièces justijïcatives. A Paris, chez la veuve
François Muguet, MDCCX. » Un vol. in-fol. de 57.DCXX pages,
plus la table des pièces justificatives et la table alphabétique des
matières. — 14—7 pages. — Cet usage a persisté jusqu'à la
Révolution. Comme le titre l'indique, chaque rapport comporte
deux parties : la relation proprement dite et les pièces justifica-
tives.
En vertu d'une décision de l'Assemblée de 1775, fut exécuté
et imprime à Paris, en 178G, chez Guillaume Desprez, un « Pré-
cis des Rapports de l'Agence du Clergé de France par ordre de
matières, ou extraits raisonnes desdits rapports, co7icernant les
principales affaires du Clergé, qui se sont passées depuis l' année
i66o, jusquen l'année lySo, avec une table alphabétique des
matières... » Un vol. in-fol. de xvi-1.849 colonnes, — C'est l'œu-
vre des abbés du Saulzet et Gandin.
3) Recueil des Actes, Titres et Mémoires concernant les affaires
du Clergé de France (Nous le citons : Ri^TM), — 13 vol. in-
folio, Paris 1716-1750, plus un volume à.' Abrégé publié d'abord
en 1752 et puis en 1764 avec additions. — Une édition en 14 vo-
lumes in-4o, reproduisant page par page et mot pour mot les
13 volumes et l'Abrégé de 1764, fut ensuite imprimée à Paris
de 1768 à 1771.
Antérieurement à l'année 1646, on avait édité à diverses re-
prises des recueils rudimentaires. En 1646, fut publiée la pre-
mière collection digne de ce nom, celle qui a servi de base et
de type à celle de 1716-1750. Entre-temps, une édition, augmen-
tée et refondue quant au plan, parut en 1675, en 6 vol. in-folio.
Ces anciennes collections n'offrent plus guère d'intérêt que
pour les transformations de la jurisprudence. Pour les documents,
leur utilité a été supprimée par la collection de 1716-1764 ou de
1768-1771.
Les 12 premiers volumes comprennent les pièces officielles,
avec quelques considérations, concernant les matières suivantes :
1° La foi et la doctrine de l'Église (tome I); 2^ Les Ministres"
de l'Église (tomes II, III et IV); 3« Le culte divin (tome
V); 4^' La juridiction ecclésiastique (tomes VI et Vil); 5*^ Les
biens d'Église, les bénéfices (tomes VIII-XIl). — Signalons spé-
cialement dans cette partie : a) le tome VIII : Les Assemblées
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 79
du Clergé. Les différents départements des décimes. Les receveurs
et les bureaux des décimes. Les droits et fonctions des agents
généraux du clergé et les délibérations pour la conservation de
ses archives ; b) le tome IX : Recueil des Contrats passés par le
Clergé avec nos Rois, au sujet des impositions sur le Clergé, et ses
receveurs généraux pour en faire le recouvremeyit ; c) les tomes X,XI
et XII : Les Bénéfices et pensions ecclésiastiques et autres biens
ecclésiastiques. — 6° Suivent au tome XIII : Les Cahiers [de plaihtes
et doléances\ présentés et les Remontrances et harangues faites aux
rois et aux reines par le Clergé de Lrance, tant aux Etats-généraux
qicaux Assemblées générales et particulières du clergé ; ensemble
plusieurs édits, déclarations et arrêts, donnés en conséquence des
cahiers et remontrances du clergé ; et 7" au tome XIV : L'Abrégé du
RATM concernant les affaires du Clergé de France, ou Table
raisonnée en forme de Précis des matières contenues dans ce Recueil,
divisé en deux parties, dojit la première, plus considérable, renfernie
chaque matière de doctrine et de discipline; les questions, les décisions,
la jurisprudence et les différents jugements. La seconde, servant de
Nomenclature, rappelle les noms et contient sommairement tout ce
qui concerne : 1° plusieurs provinces du royaume ; 2° les différents
diocèses ; j° les Chapitres, les Abbayes, les Prieurés, les Chapelles,
les Cures oïl Paroisses, les Universités, les Collèges, les Hôpitaux,
etc. ^° Les Ordres religieux et militaires /plusieurs Corps et Commu-
nautés ecclésiastiques et religieuses ; 5° quelques auteurs et autres
particuliers.dont il est parlé dans les mémoires. — Après la deuxième
partie de ce tome,on trouve deux tables particulières : a) l'une donne
la liste des bulles des papes qui sont rapportées en entier da?is le
RA TM ou dans le Rapport de l'Agence de ij^s et de 1750 ; b) l'autre
donne la liste chronologique des <i ordonnances, édits, déclarations et
principales lettres patentes qui se trouvent dans les Mémoires du Cler-
gé.i> — Vient alors un « Catalogue des manuscrits et imprimés formant
la Collection la plus complète des Procès-Verbaux des Assemblées
générales ordinaires et extraordinaires du Clergé de France, avec les
Rapports de l'Agence depuis leur origine jusqu' à présent ; et les diffé-
rents Recueils des actes. Titres et Mémoires, ainsi que plusieurs pièces
concernant le clergé de France », plus uii « Supplément de quelques
pièces, dont il n'est point parlé dans le Catalogue ci-dessus ».
Comme nous l'avons dit, il y a deux éditions in-folio de cet
Abrégé, l'une de 1752, l'autre de 1764, laquelle a été matériel-
lement reproduite dans l'édition in-4o de 1771. — L'édition de
1764 comprend les additions suivantes : certains articles ont été
80 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ajoutés ; d'autres ont été traités avec plus d'étendue; les rapports
de l'Agence avaient été utilisés dans l'édition de 1752, mais seu-
lement les Rapports antérieurs à 1720 : l'édition de 1764 utili-
se les Rapports de 1720 à 1750.
4) A ces trois collections on peut ajouter, sous le nom de Varia,
des ouvrages de tout genre, soit sources d'archives, soit sources
liltéraires, imprimées ou manuscrites, concernant également les
Assemblées du Clergé. — Comme nous connaissons les trois
collections essentielles, il nous suffira de renvoyer pour ces varia
au Catalogue signalé de RATM Abrégé, et à Lelong, Biblio-
thèque historique de la France, nouvelle édition par Fevret de
FoNTETTE, nos 6825-6955 (Paris, 1768).
II. - LES ORIGINES DES ASSEMBLÉES
Les assemblées du Clergé trouvent leur point de départ et leur
raison d'être dans le contrat de Poissy de 1561 : 1° Le Clergé
s'engage librement à payer les dettes de la Royauté; 2° le Roi
s'engage à respecter le reste des immunités du Clergé. — Désor-
mais l'on aura des Assemblées où le Clergé votera des subven-
tions à la Royauté; d'autre part le Clergé, en retour de ses sub-
sides, présentera à la Royauté ses plaintes et doléances, pour
obtenir des satisfactions d'ordre temporel et spirituel. En même
temps, il créera des organismes administratifs et judiciaires, ca-
pables d'assurer soit la rentrée des fonds destinés à la Royauté,
soit l'obtention et l'exécution de ses revendications auprès du
pouvoir civil.
Mais comment en est-on arrivé à ce contrat de Poissy?
1. — LES ANTÉCÉDENTS.
Si Charles IX fit appel au Clergé, c'est que la Royauté était
chargée de dettes dont elle ne pouvait attendre la libération que
de la part du Clergé.
En ce moment, la plus lourde charge de la Royauté française
était sans doute les Rentes sur l'Hôtel-de- Ville de Paris.
Quelle était cette dette, quelle était sa nature? Il convient de
s'en rendre compte. Ainsi s'éclairera l'objet du contrat de Poissy
et son importance au point de vue des transformations juridiques
et économiques de l'emprunt.
Je m'explique. Pour faire face à ses nécessités pécuniaires,
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 81
outre les revenus du Domaine et le produit normal de l'impôt,
la Royauté française avait cherché des ressources, au moyen âge,
dans l'aliénation du domaine; mais dès le XIV*' siècle s'intro-
duisit le principe que le domaine de la Couronne était inaliéna-
ble (1). Restait la voie de l'emprunt. Mais l'emploi de ce moyen
se heurtait, à une double difficulté : la loi du royaume n'admet-
tait pas que les obligations pécuniaires contractées par un roi
s'imposassent en droit à son successeur (2) ; la loi canonique
prohibait le prêt à intérêt (3).
Pour obvier au premier obstacle, les rois empruntaient pour
un temps limité et avec l'obligation pour eux de rembourser le
capital à un terme fixé.
Pour tourner le second, ils cachaient l'emprunt et le carac-
tère de cette opération, en dissimulant par divers artifices les
intérêts dont ils étaient chargés (4). Rien plus, quand ces em-
prunts étaient demandés au Clergé, ils n'étaient souvent, du
moins à partir de Charles VIII, que des impôts déguisés sur les
églises (5).
Le système normal était toutefois celui des rentes consti-
tuées (6). On ne peut prêter une somme d'argent, mais on peut
la donner et stipuler que le preneur et ses ayant cause paieront
une rente sur tel fonds produisant des revenus. C'est le système
des rentes constituées, des rentes perpétuelles, des rentes fon-
cières. Il reçut l'approbation dés canonistes et des papes Mar-
tin V, en 1425, et Callixte III, en 1455.
Cependant, depuis la fin du XIII'' siècle, les rentes foncières
1. A. EsMEiN ^ 0. c, pp. 328 svT. ; P. Viollet, Histoire des instituiions
politiques et administratives de la France, t. II, pp. 161 et sva". Paris,
1898.
2. A. EsMEiN ^ 0. c, pp. 328 svv. — V. Loyseau, Des offices..., li\'. II,
ch. II, n<j 35, p. m : ^< C3 qii3 vos roys pavent ordinairement les detïes
personnelles de leurs prédécesseurs, est par honneur, dévotion et charité,
sans y être tenus. »
3. Canon 25 du concile de Latran en 1179 (Cf. C J. v. Hefele, Concdien-
iirschichte, 2e édit, t. V, pp. 715-716. Fribourg en Br., 18S6. — \"oir le
texte latin du canon dans Ch. J. Hefele, Histoire des Conciles d'après les
documents originaux. Trad. par Delarc, t. VII, p. 509. Paris, 1872); Clem.,
lib. V, tit. 5, c. unicum.
4. Aussi on ne peut considérer les emprunts antérieurs à François h'^
comme des emprunts publics au sens moderne, ainsi cpie l'a prétendu A
ViiHRER {Histoire de la dette publique en France, t. I, pp. 1-12. Paris.
1886).
5. P. Imbart ue LA Tour, Les origines de la Réforme, t. I. La Fn-ance
moderne, p. 95. Paris, 1905.
6. Cf. P. Viollet, Histoire du droit civil français accompagnée de notions
d<' droit canonique et d'indications l>iJjliographiques, 3e édit., pp. 722 suivv.
Paris, 1905.
2e Année. — Revue des Stiences. — No i. 6
82 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et les rentes constituées deviennent rachetables, excepté ies ren-
tes dues à l'Église.
A l'époque moderne s'introduit le système des rentes person-
nelles. A rencontre des canonistes et des bulles de Martin V et
de Callixte III, des auteurs se montrèrent d'avis qu'il fallait ad-
mettre la légitimité des rentes constituées, non assignées sur des
fonds (1). Celles-ci étaient considérées comme des dettes per-
sonnelles, pour la sûreté desquelles des biens étaient hypothé-
qués. — Dès lors, on peut servir des rentes à ceux qui ont sim-
plement fourni de l'argent. On les appelle indifféremment rentes
hypothéquées, volantes, courantes, personnelles. La théorie fut
admise par le Parlement de Paris et la bulle de Pie V^ Cum omis,
de 1569, ne put en empêcher l'application en France, car ce do-
cument pontifical ne fut pas reçu dans ce royaume.
La légitimité des rentes personnelles admise, on pense bien
que la Royauté française s'est empressée d'user de la permis-
sion.
Comment? Elle emprunte, elle constitue des rentes person-
nelles, par souscriptions d'une grande quantité de bailleurs de
fonds. Comme garantie — puisque ce sont des rentes hypothé-
quées — elle donne les recettes domaniales ou fiscales. Bientôt,
elle fait appel à l'intervention des municipalités.
Le premier acte connu de ce genre, est le contrat de François I'"
avec la ville de Paris : en 1522, il crée les premières rentes sur
l'Hôtel-de-Ville de Paris (2).
En quoi consiste le contrat?
La ville prête au roi 200.000 livres (3). Le Roi s'engage à lui
1. Cf. E. Van Roey, Le Contractus germanicus ou les controverses sur
le 5'>io au xvie siècle en Allemagne, dans la Revue d'histoire ecclésiastique,
t. III (1902), pp. 902 SAT". ; Le même, De justo auctario ex confractu crediti.
Dissertatio historico-vioralis, pp. 9 sw. Louvaia, 1903.
2. Voir les textes dans A. Vûhrer, o. c, t. I, pp. 429 svv. Cf. Cauwès,
Les commencements du crédit public en France. Les rentes sur l'Hôtel de
ville au XVIe siècle, dans la Revue d'économie politique, t. IX (1895), pp. 100 svv.;
J. LaferrÎèrÊ, 0. c, pp. 14 svv. Cf. H. Lemonmer, ies guerres d'Italie
La France sous Charles VIII, Louis XII et François /er (1492-1547) pp. 241
sv. (E. Lavisse. Histoire de France, t. V, 1.) Paris, 1903.
3. Pour des causes diverses, on trouve de nombreuses différences dans
l'évaluation de la valeur intrinsèque de la livre tournois sous François 1er.
Ainsi, pour l'année 1530, les auteurs varient d'estimation depuis 3 fr. 82
jusqu'à 5 fr. 67. (Voir Mémoire sur les monnaies du règne de François ier,
en tête des Ordonnances des rois de France publiées par l'Académie des
sciences morales et politiques. Règne de François I^^, t. I (1515-1516), pp.
CLXXXV SN'A'. Paris, 1902). — Plus grandes encore sont les div^ergences dans
l'évaluation de la puissance d'achat {Ibidem, pp. cxci svv); la valeur com-
merciale de la livre tournois à cette énoque est estimée différemment 3, 4, 5, 6 et
même 10 fois supérieure à celle d'aujourd'hui.
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 83
payer une rente au denier douze (8,40 0 0). Comme sûreté, il lui
donne engagement ou hypothèque sur les aides, gabelles et autres
impositions sur la ville de Paris.
On remarquera qu'en soi c'est une constitution de rentes vo-
lantes, personnelles. De plus, le roi n'a plus affaire à quantité
de particuliers, mais uniquement cà la ville de Paris. En outre,
celle-ci s'adresse aux particuliers. Elle leur demande de l'ar-
gent et en retour elle leur constitue des rentes, sans autre garan-
tie que le crédit de la ville de Paris, qui leur inspirait confiance
beaucoup plus que la Royauté. Encore, le capital des rentes
était toujours remboursable par le roi, mais il n'était jamais
exigible de la part de la ville vis-à-vis du roi, ni des rentiers
vis-à-vis de la ville.
Du coup même cet emprunt créait la dette publique et la rente
volante ou mobilière. Le système réussit. Aussi les constitutions
de rentes se multiplient, en même temps que se multiplient les
dépenses de la Royauté. En janvier 1561, celle-ci avait une dette
de 43.483.939 1. 9 sols, 6 deniers, et les rentes constituées sur
l'Hôtel-de-Ville comptaient, dans ce chiffre, pour 7.560.056 1. 16
sols, 8 deniers tournois (1).
Quel moyen de solder? Le roi s'adresse au Clergé.
*
* *
En vertu de quel droit le roi s'adresse-t-il au Clergé? Ici encore
il importe de rappeler l'attitude antérieure du Clergé en matière
de contributions.
A l'époque féodale, l'Église payait un impôt d'amortissement,
destiné à compenser les droits de mutation que les biens ecclé-
siastiques auraient payés, s'ils n'étaient pas tombés en main-
morte. — Une fois ce droit acquitté, les biens ecclésiastiques pro-
prement dits échappaient à l'impôt.
Cependant les Capétiens travaillèrent et réussirent à les sou-
mettre à cette charge (2). Comment?
D'une part s'élabora la théorie de la garde royale universelle
sur les églises et les couvents du royaume et la Royauté prétendit
que « les terres de l'Église étaient restées sous l'empire de la
puissance publique. » La conséquence était d'abord que les procès
1. Voir les chiffres dans Laferrière, o. c., pp. 32 svv. Cf. RATM,
t. IX, p. 6.
2. Cf. A. EsMEiN *, 0. c, pp. 622 svv.
84 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
concernant les biens ecclésiastiques rentraient dans la compétence
de la justice royale, ensuite que le roi avait le droit de surveiller
l'usage et de contrôler l'emploi du patrimoine de l'Église. En face
de ce système, s'élevait d'autre part le principe de l'immunité;
mais la Royauté obtint de l'Église des exceptions à cette règle.
Déjà Louis VII (1137-1180) s'adressa à elle pour obtenir des
contributions et elle y consentit. Bientôt les principes d'excep-
tion furent formulés par les conciles, les papes et les canonistes.
Le troisième Concile de Latran (1), en 1179, autorisa les contribu-
tions extraordinaires des ecclésiastiques, à condition que les biens
des laïcs fussent insuffisants pour faire face aux nécessités et
que les subsides fussent consentis par l'évêque et le clergé de
chaque diocèse. Le quatrième Concile de Latran, en 1215, ajouta
une troisième condition : l'autorisation expresse de la papauté (2).
Au cours du XIIL siècle. Innocent IV (1243-1254), de même que
les canonistes, reconnut même que dans certains cas les biens
ecclésiastiques pouvaient être atteints par l'impôt ordinaire et per-
manent (3).
Comment la théorie précédente fut-elle appliquée en France ?
Il n'étail pas difficile de montrer les nécessités financières
de la Royauté ni d'établir que les biens des laïcs étaient insuf-
fisants pour y pourvoir. D'autre part, les rois avaient bien des
moyens d'amener le Clergé de France à consentir à ses demandes
et d'obtenir l'autorisation de la Papauté. De fait, ils perçurent
d'abondantes contributions sous forme de décime (4), et ce sera
la forme que garderont les principales subventions à l'époque
des Assemblées.
Louis VII est le premier qui, en 1147, leva une décime « pour le
cas de croisade. » Sous le même prétexte de la croisade, Philip-
pe n Auguste (1180-1223) voulut également, mais en vain, perce-
voir une décime en 1188 (5). Il recommença avec plus de succès
1. Canon 19, texte dans Hefele, o. c, trad. Delarc, t. VII, p. 507; C. 4. X.
De imm. eccl., III, 49.
2. Canon 46. Voir C. 7, X, De imm. eccL, III, 49.
3. Innocent IV, Super libros Decretalium, sur le C 1, X, De censibus, III,
39, et sur le C. 4, X, De imm. eccl, III, 49. Cf. Esmeix **, o. c, p. 624, n. 5.
4. La décime, on le sait, est le 1/10^ du revenu annuel net de tout béné-
ficier; quant à la manière d'établir la décime (taxatio) et de la percevoir,
nous n'avons pas à nous en occuper ici.
5. LucHAiRE. Loias VII. Philippe-Auguste. Louis VIII (113/-1226), pp.
242 svv. (E. La VISSE, Histoire de France, t. III, 1.) Paris, 1901. — Déjà
une tentative de ce genre avait eu lieu en 1184, d'après A. Cartelieri
(Bccue historique, t. LXXIII (190!)), pp. 6i svv.); en 118.5, d'après A. Lu-
chaire {Bévue historique, t. LXXIJ (1900), pp. 334 ssv.)
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 85
en 1215 et 1218. Une fois l'exception admise en pratique, les déci-
mes deviennent très fréquentes. Au xiiF siècle, sous ses succes-
seurs, Louis VIII (1223-1226), saint Louis IX (1226-1270), Phi-
lippe III le Hardi (1270-1285) et Philippe le Bel (1285-1314),
malgré le conflit de ce dernier avec Boniface VIII, les décimes se
répètent très souvent (1).
La fréquence s'accentue au xive siècle. Pour cette époque, nous
avons aujourd'hui des renseignements très précis grâce à MM. Ch.
Samaran et G. MoUat. Jusqu'à Benoît XIII d'Avignon (1394-
1424), à presque toutes les années l'on constate la levée d'une
décime. Le plus généreux des papes fut Grégoire XI (1370-1378) :
il fut convenu que « dans toutes les provinces où les aides
avaient cours, les clercs y contribueraient comme de simples laï-
ques » et que « partout ailleurs ils payeraient au roi un dixième
des revenus de leurs bénéfices (2). »
Pour le XY^ siècle, nous avons moins d'informations; mais le
système des décimes a persisté, à telles enseignes qu'à plusieurs
reprises le haut Clergé de France blâme le pape des concessions
de décimes faites par lui seul à leur roi. Nous savons d'ailleurs
qu'en fait des décimes furent accordées aux monarques français
en 1432, 1438 (3), 1489 et 1492 (4).
Au xvF siècle, elles se multiplient. Plusieurs furent octroyées
à Louis XII (5). Sous prétexte d'une guerre contre les Turcs,
François I'-'" obtient, en 1516, une décime sur le Clergé de France.
On dresse alors le « Département général des Décimes », qui
a servi de base à la levée des décimes pendant presque toute
l'époque moderne (6). Dès lors, sous ce règne et celui de Henri II,
1. Ch. V. Langlois, Saint Louis. Philippe le Bel. Les derniers Capétiens
directs {1226-1328), pp. 69 sv. et 241 svv. (E. Lavisse, Histoire de France,
t. III; 2). Paris, 1901. — Sur les décimes à l'époque de i'hilippe le
Bel, voir surtout L. Bourgain, Contribution du Clergé à l'impôt sous la
monarchie française, dans la Revue des questions historiques, t. XLVIII (1890),
pp. 65 svv.
2. V. Ch. Samaran et G. Mollat, La fiscalité pontificale en France
au xivc siècle, pp. 12 sw. {Bihliothèque des Écoles Françaises d'Athènes et de
Borne, série in-S», fasc. 96.) Paris, 1905.
3. Cf. NoëL Valois, Histoire de la Pragmatique Sanction de Bourges sous
Charles VII, pp. llx, lxx sv. et xcl {Archives de l'Histoire religieuse de
la France, t. IV.) Paris, 1906.
4. Imbart de la Tour, Les origines de la Réforme, pp. 94 sv^ Paris,
1905.
5. Ibidem, p. 96.
6. Cf. L. Serbat, 0. c, pp. 21 sv. ; RATM, t. VIII, pp. 751 svv.i —Une
copie de ce département, en 4 volumes manuscrits in-folio, repose à la Biblio-
thèque rovale de Belgique (n" 4440). Cfr. J. Van den Gheyn, o. c, t.
VI, pp. 66s svv.
86 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
presque toutes les années, la Royauté lève, de gré ou de force,
des décimes et souvent 2, 3, 4 et même jusque 9 décimes la
même année, sans compter divers autres dons extraordinaires (1).
En fait, les décimes étaient devenues permanentes. Elles vont
bientôt le devenir en droit, à partir du Contrat de Poissy. Il fal-
lait pour cela le consentement du Clergé, puisqu'en principe les
décimes étaient une contribution consentie.
Le consentement du Clergé à cette taxe est un élément si
importanc dans la genèse des Assemblées, que nous devons bien
nous y arrêter quelques instants.
Nous savons déjà qu'il fallait l'autorisation du pape et l'assen-
timent du Clergé, pour que la Royauté pût légitimement imposer
celui-ci.
Jusqu'au xyi'' siècle l'autorisation du pape fut généralement
recherchée et obtenue. Toutefois, une exception importante avait
eu lieu lors du conflit de Philippe le Bel et de Boniface VIII eti
d'autres exceptions s'étaient produites au xiv^ et au xv° siècle (2).
A partir de François I^^'", on demande encore parfois le consen-
tement de Rome, lorsque c'est utile, par exemple en 1529 et en
1553; mais la Royauté réussit à implanter le principe que le
consentement du pape n'était pas nécessaire. François F'' émit
cette proposition que « /a propriété des décimes était sienne exclu-
sivement » et qu' « étant seigneur et patron de tous les bénéfices de
France, il lui paraissait avoir la liberté de de?nander quelque
secours sans consentement d' autrui » (3).
Plus tard, aux États généraux d'Orléans, le chancelier ^fichel
de l'Hôpital « dit du Roi, que tout sujet lui doit le service du
bien et de la vie; que ce n'est pas de nous, mais de Dieu et de
la loi ancienne du Royamne, qu'il tient sa couronne... Que le Roi
doit pourtant estimer que les biens de ses sujets lui appartiennent,
Jmpeî'io, non dominio et proprietate » (4). Paul III avait protesté
contre François I^^"^ mais en vain. Cependant, bien plus tard en-
1. Cf. L. BouRGAiN, art. cité, pp. 80 sw.
2. P. DcPUY, Preuves, des libériez de VÉglisp gallicane, ch. XXXIX. 3e édit.,
t. II, pp. 224 svv. Paris, 1731. Cf. Esmein », o. c, pp. 626 sv.
3. Cf. Serbat, 0. C; p. 235, n. 1.
4. PV. Collection, t. I, p. 2.
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 87
core, Pie V en 1568 (1), Grégoire XIII en 1574 (2), 1575 (3),
1573 (4), Sixte-Qiiïnt en 1586 (5) et 1587 (6), intervinrent pour
autoriser Charles IX et Henri III à lever des subsides sur le
Clergé et à aliéner des biens ecclésiastiques. Et même, à l'Assem-
blée de Melun (1579-1580), Henri III permit aux Prélats de recou-
rir à l'autorisation pontificale (7). Il n'est donc pas vrai que ce
serait à partir de 1553 que les rois n'auraient plus demandé l'au-
torisation de Rome pour la levée des décimes (8).
Mais le roi pouvait-il se passer du consentement de son Clergé ?
En 1188, l'Église de France, l'archidiacre Pierre de Blois en tête,
avait protesté contre la demande de Philippe-Auguste; mais elle
s'était résignée en 1215 et en 1218 (9). En 1294, les évêques pri-
rent l'initiative du consentement dans des Assemblées provincia-
ses (10). Depuis Philippe le Bel, le roi généralement s'adressa aax
évêques et ceux-ci réunis en assemblées ou synodes provinciaux,
votaient les subsides demandés (11). Le Clergé était jaloux de son
droit de vote. Au xv«^ siècle, dans les Assemblées tenues en
1409 et 1410 à l'occasion du Grand Schisme, le Clergé s'opposa
aux concessions de décimes faites par le pape seul sans son propre
coijsentement (12). En 1489, le Parlement remontrait au roi «qu'au
regard dud. dixième on n'avoit pas acoustumé d'en mectre... sans
appeler l'Église et l'Assemblée. » Quelques années plus tard, en
1. Baronius, Annales ecclesiastici, continuation 0. Raynaldus, anno 1568,
nos 165-167, t. 36, pp. 104 svv. Paris, 1882. — Cf. Serbat, o. c, p.52,
n. 3.
2. Baronius, Annales ecclesiastici, continuation A. Theiner, anno 1574,
no 67, t. I, pp. 290 sw. Rome, 1856.
3. Le même, 0. c, anno 1575, n" 94, et pièces justificatives nos 24-28^
t. II, pp. 121 et 496 svv. Rome, 1856.
4. Ibidem, anno 1576, nos 74^ 75 et 77-79, et pièces justificatives nos
47-50 et 52-53, t. II, pp. 221 svv. et 549 svv. — C'fr. Recueil des Remonstrancefs,
edicts, règlements, arrests, contracts et autres choses concernants le clergé de
France, t. Il, pp. 73 svv. Paris, 1625.
5. Recueil cité, t. II, pp. 98 svv. — P. Dupuy, Preures des libériez
de l'Église gallicane, ch. XL, n" 5, 3" édit., t. II, pp.^ 255 svv. Cf. Durand
DE Maillane, Les libériez de l'Église gallicane jjrouvées et commentées sui-
vant Vorclre et la disposition des articles dressés par M. Pierre Pithou
et sur les recueils de M. Pierre Dupmj, conseiller d'État, t. I, pp. 402 svv.
Lyon, 1771.
6. Durand de Maillane, 0. c, t. I, p. 416.
7. PV. Collection, t. VII, p. 72.
8. Cf. PV. Collection, t. I, pp. 202 sv\.
9. A. Luchaire, 0. c, l. c
10. Cf. L. Bourgain, art. cité, pp. 67 sv.
11. Cf. Ch.-V. Langlois, 0, c, pp. 242 sw.
12. Cf. Serbat, 0. c, pp. 20 sv.
88 REvur; des sciences philosophiques et théologiques
1492, le chapitre de Tours protestait à son tour que « nul... ne peut
ne doit imposer tribuz ou décimes sur les personnes, biens et
bénéfices... ecclésiastiques... sinon en nécessité urgente., et qu'il
soit concédé et octroyé Uhere par les dits prélaz... » (1). Quelques
années plus tard, en 1501, le chapitre de Paris appelle au futur
Concile de la décime levée par Alexandre VI à son profit : nul/a
super hoc episcoporiim et cleri gallicanae ecclesiae vel saltem singula-
riun dioecesiiun cotisenciojie vel convocatione habita. » (2)
Bien des fois et notamment à l'occasion de la dîme de 1516, le
Clergé de Normandie se montra particulièrement énergique à
revendiquer son droit de voter ces taxes (3).
François P"" aurait aimé se passer du consentement du Clergé,
comme le prouve le lit de justice tenu au Parlement en 1527 ; mais
le Clergé résista et à cette même séance on entendit émettre cette
opinion « que l'on doit demander en particulier aux archevêques,
évêques et autres prélats de ce royaume, ce qu'ils voudront de
leur chef donner et après les exhorter qu'ils eussent à assem-
bler leur Clergé, pour sur eux imposer ce qu'ils pourroient rai-
sonnablement porter : et sembleroit advis que ce seroit pour par-
venir à lever plus grande somme, que si on levoit par déci-
mes (4). » François I^r et Henri II réussirent bien à forcer et
à escamoter le consentement du Clergé (5J; mais ils ne purent
renverser le principe de la nécessité de ce consentement.
A plusieurs reprises, en 1527, 1528, 1536, 1537, 1538, 1549,
1551, 1552 et 1557, nous voyons la Royauté respecter ce prin-
cipe en s'adressant tantôt à une réunion extraordinaire des pré-
lats qui se trouvaient à Paris (1527, 1537, 1551, 1552 et 1557),
tantôt aux Assemblées ou Conciles provinciaux (1528,1536 et 1538),
tantôt aux Assemblées diocésaines (1538 et 1549) (6). Plus tard,
le Clergé, appuyé par les Parlements, réclamera contre le roi
Henri III et contre les papes Grégoire XIII et Sixte-Quint la
nécessité de son propre consentement pour les subsides et les
aliénations de biens ecclésiastiques (7).
1. Cf. p. Imbart de la Tour, o. f., p. 95, 11° 5.
2. Cf. L. Serbat, 0. c, p. 20.
3. Cf. L. BouRGAiN, art. cité, pp. 80 sv.
4. DuPUY, Preuves des libertez de VÉglise gallicane, ch- XXXIX, n» 26,
3e édit., t. II, pp. 239 sv.
5. Cf. L. BouRGAiN, art. cité, pp. 80 svv.
6. Ibidem ; Cf. L. Serbat, 0. c, pp. 25 sw.
7. PV. Collection, t. I, pp. 301 svv., pp. 371 sw. et Pièces justificatives,
pp. 51 sv, RATM. t. XIII, itp. 165 svv.; DupuY, Preuves des libertez de l'Église
pallicane, ch. XL, n»^ 3, 4, 5, 6 et 7. t. II. vn. 253 svv. Cf. H. de lépinois,
La Ligue et les Papes, pp. 37 svv. Paris, 1883.
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 89
Ainsi subsiste le principe et s'ébauchent les diverses Assem-
blées qui seront bientôt régulièrement organisées et hiérarchisées :
les Assemblées diocésaines, les Assemblées provinciales et les
Assemblées générales.
Tous les éléments générateurs de la nouvelle organisation sont
constitués : nous connaissons les besoins : les dettes de la Royau-
té;,nous savons d'avance à qui le roi s'adressera : le Clergé réuni
en Assemblée; nous connaissons sous quelle forme le subside
sera octroyé : les décimes. L'essentiel était d'emporter le consen-
tement du Clergé. Ce fut la raison d'être de l'iVssemblée de
Poissy.
2. — LE CONTRAT DE POISSY-
Il est superflu de rappeler que la situation de la Royauté était
devenue des plus difficiles sous François II (1559-1560). L'état
des finances était déplorable, nous l'avons vu. A l'intérieur, les
partis politiques et religieux se constituaient et s'agitaient; au
dehors, l'Angleterre était menaçante.
La Régente, Catherine de Médicis, se mit en quête d'im remè-
de (1). Une Assemblée de notables fut convoquée à Fontaineblea'a
au mois d'août 1560. — Les Protestants et d'autres encore de-
mandaient un Concile national pour résoudre la crise religieuse.
Pour solutionner le problème financier, après délibérations, l'avis
de Charles de ^Marillac, archevêque de Vienne, prévalut : Fran-
çois II convoqua les États généraux.
Ils se réunissent à Orléans sous Charles IX (1560-1574), en
décembre 1560. Deux points sont à noter ici. On s'en prend aux
biens de l'Église et Grimaudet, avocat du roi au présidial d'An-
gers, prononce un réquisitoire contre les richesses du Clergé.
En exposant l'état des finances publiques, le chancelier Michel
de l'Hôpital avait d'ailleurs indiqué que c'était de ce côté-là qu'il
fallait chercher un remède à la détresse financière. Les Députés re-
fusèrent de voter les subsides demandés, pour la raison qu'ils
n'avaient pas de mandat et que d'ailleurs ils étaient trop pauvres.
C'est pourquoi de nouveaux États généraux sont réunis à Pon-
toise et en même temps se tient à Poissy une Assemblée, de
caractère religieux (1561). Le Tiers, la Noblesse et une compa-
1. Voir P V. Collection, t. I, pp. 1 svv. ; G. Picot, Histoire des États géné-
raux considérés au point de vue de leur influence sur le gouvernement de la
France de 1355 à 1614, Ire édit., t. II, pp. 9 sw. Paris, 1872; Mariéjol,
La Réforme et la Ligue. — L'édit de Nantes (1.559-1598), pp. 19 sw.
(E. Lavisse, Histoire de France, t. III, 1.) Paris, 1904.
90 BEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
gnie du Clergé siègent à Orléans; une autre compagnie du Clergé
siège à Poissy avec un groupe de Protestants.
La réoniop. de Poissy avait été convoquée pour quatre objets :
l'élection des membres du Clergé à envoyer au Concile de Trente;
la réforme de l'Église; une conférence avec les Protestants (de
là le célèbre Colloque de Poissy); l'octroi d'une subvention au
Roi. « Vous amènerez aussi en vostre compagnie, avait écrit Char-
les IX aux évèques, celuy qui aura esté député par vostre diocèse
pour nous faire entendre la résolution qui aura esté prise par
les prélats et bénéficiez d'iceluy sur l'aide et secours dont ils
ont esté requis pour la subvention de nos affaires... et qu'il ait
pouvoir et procuration suffisante de tout vostre dit diocèse (i). »
Fidèle à ce dernier point de son programme (2), le gouverne-
ment demande au Clergé un subside de 15.000.000 de livres.
Le Clergé trouve la charge excessive. Mais la Cour allègue que
les affaires religieuses exigent de l'État des dépenses énormes;
et, d'autre part, aux États généraux d'Orléans on avait proposé
des mesures radicales contre les biens de l'Église et aux États
de Pontoise, qui se tenaient en même temps, des discours violents
s'élevaient contre le Clergé : ainsi, le sieur Bretaigne, vierg ou
maire d'Autun, au nom du Tiers, proposait la vente des propriétés
de l'Église, sauf à laisser une habitation aux ecclésiastiques et
affecter les revenus d'une partie du produit de la vente à des
usages religieux. La Noblesse n'était guère mieux disposée :
elle ne voulait accepter aucune charge pour elle et proposait de
la rejeter pour 1,3 sur le Tiers-état et pour les 2,3 sur le
Clergé, alléguant que les biens ecclésiastiques appartenaient à la
nation. Cette thèse s'affirmait aussi au dehors et l'opinion pu-
blique, du moins celle des classes représentées par le Tiers, se
montrait favorable aux atteintes, même les plus radicales, à la
propriété ecclésiastique (3). Aussi le Clergé jugea nécessaire et
prudent de faire un sacrifice et, le 21 octobre 1561, après négo-
ciations, quant au chiffre, quant à la forme et quant à la durée,
il conclut avec la Royauté un contrat dont voici les clauses essen-
tielles (4).
1. [Dupuy], Instructions et lettres des rois tres-chrestiens, et de leurs am-
hassadeurs, et autres actes concernant le Concile de Trente, p. 80. Paris,
1654. Cf. Serbat, 0. c, p. 33.
2. Sur les délibérations de l'assemblée de Poissy concernant la question
financière, voir PV. Collection, t. I, pp. 12 svv. ; Serbat, o. c, pp. 34
s\'v. ; Laferrière, 0. c, pp. 130 svv.
3. Cf. Laferrière, o. c., pp. 61 sw.
4. Voir le texte du Contrat dans RAT:\I, t. IX, pp. 1 svv.
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 9i
Et toat d'abord, les engagements du Clergé.
1° Pendant six ans, du 1"" janvier 1562 au 31 décembre 1567,
le Clergé lèvera sur lui-même par cotisation de décimes et autre-
ment et il fournira annuellement au roi la somme de 1.600.000
livres tournois « en l'acquit et rachat des domaines, aides et ga-
belles et rentes constituées sur les recettes, tant générales que par-
ticulières dud. royaume, et autres qui sont engagées à l'Hôtel-
de-Villo de Paris (1). »
2'^ « Lesquelles six années expirées, et ladite somme de seize
cents mille livres payée et acquittée par chacune d'icelles, comme
dit est. iceux du Clergé seront tenus, et pour ce faire se sont obli-
gés et obligent comme dessus, de remettre le Roi en la ^Dossession
et jouissance de tous les domaines, aides et gabelles, étant de
présent vendus et aliénés à ladite ville de Paris, pour cause de
deniers que les particuliers habitans et autres ont ci-devant four-
nis à constitution de rente, montant en sort principal sept mil-
lions cinq cents soixante mille cinquante-six livres seize sols huit
deniers tournois, à commencer du premier jour de janvier 1567
(\7st.) ».'De ce chef, le Clergé devait, « pour racheter le reste du
domaine engagé à la ville de Paris », payer directement à la ville
même de Paris « six cent trente mille livres et tant de livres de
rente » annuelle pendant dix ans (2).
De son côté, dans le contrat même, le roi promet qu' « il ne
sera demandé ni levé sur lesd. du Clergé aucunes décimes, francs-
fiefs et nouveaux acquêts, emprunts et dons gratuits, et main-
tiendra et conservera lesd. du Clergé, tant en général que parti-
culier, en la jouissance et perception de tous et chacun leurs biens,
desquels leurs prédécesseurs et eux ont par ci-devant joui et
jouissent encore à présent, et si aucunes forces leur étoient faites,
les fera réparer et remettre au premier état. »
Le Clergé voulut interpréter la première partie de cette clause
en ce sens que le roi renonçait, même après l'année 1567, au
subside habituel qu'il percevait antérieurement sous forme de
décime, mais la Royauté n'admit pas cette interprétation : l'ex-
emption des décimes devait s'entendre de la période nécessaire
à l'exécution des engagements pécuniaires de Clergé (3).
La seconde promesse était d'un grand prix pour le Clergé. A
1. Il s'agit du « rachat des Domaines, Aides et Gabelles du Roi, engagés
hors de la ville de Paris ». Voir P V. Collection, t. I, p. 41.
2. PV. Collection, t. I, p. 41.
3. Cf. Laferrière, 0. c, pp. 171 svv.
92 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
rencontre de toutes les menaces récentes et actuelles, il voyait
la Royauté lui garantir l'intégrité de son temporel.
En outre, le Clergé présenta au roi un cahier de plaintes et
doléances en 22 articles et à raison de sa subvention, le 25 oc-
tobre suivant, il y eut plusieurs articles accordés concernant le
maintien de la religion catholique et le temporel de l'Église;
mais ces articles n'avaient pas la même valeur que le contrat;
car, si c'était en retour de ce subside cfue le Roi accédait aux
demandes de l'Assemblée, son acte était cependant essentiellement
un acte de l'autorité royale ; même à plusieurs des articles pré-
sentés, il n'y eut pas de réponse de sa part ou la réponse fut
négativo (1).
3. — l'exécution du contrat de poissy.
La Clergé exécute ses engagements; mais le roi viole simple-
ment les siens.
En 1563, un édit royal ordonne une aliénation partielle des
biens ecclésiastiques (2); et si, au cours de son exécution, il est
retiré, c'est sur les demandes d'une Assemblée du Clergé réunie
d'urgence, et moyennant un gros subside (3).
De plus au lieu d'employer le subside annuel de 1.600.000 li-
vres au rachat du domaine, etc., hors de Paris, Charles IX contrac-
te de nouveaux emprunts sous forme de rentes constituées sur
l'Hôtel-de-Ville de Paris en leur assignant comme gage la sub-
vention du Clergé (4). Ainsi les contributions ne sont pas consa-
crées au rachat du domaine en dehors de PariSj mais elles servent
de gage à l'Hôtel-de-Ville, alors que ce gage eût dû reposer sur les
recettes domaniales ou fiscales de la Royauté. En soi, il n'y
avait aucune aggravation de charge pour le Clergé; mais plus
ta.rd l'Hôtel-de-Ville de Paris prétendra avoir gage sur les biens
ecclésiastiques, alors que la subvention du Clergé aura été
payée.
*
* *
1. Voir le texte dans RATM, t. IX, pp. 11 s\^'. — C'est donc à tort gue,
P. \'. Collection, t I, p. 23, on dit qu' « il y eut 22 articles accordésL »
2. Le Parlement ne voulut pas l'enregistrer; mais Charles IX tint un lit
de justice. Voir P. Dupuy, Preuves des libériez de l'Église gallicane, ch. XXXIX,
n^ 29.. t. II, pp. 24.5 s\'^^
3. Voir le procès-verbal de l'Assemblée Générale de 1563, P V. Collée-
tion, t. VIII, pp. 38 svv. Cf. Serbat, o. c, pp. 40 s\^.
4. Voir le procès-verbal de l'Assemblée de 1675, PV. Collection, t. V, pp.
194 svv. Cf. Serbat, o. c. pp. 37 s\-a'.
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 93
A l'expiration de la première période, • « on prétendit conti-
nuer la levée des seize cent mille livres, et on expédia des com-
missions pour cette somme : les Provinces refusèrent de payer,
fondées sur les termes de leur contrat, et pour empêcher le trou-
ble et la confusion, le roi fut supplié de convoquer » l'assemblée
de 1567 (1).
En voici les principaux résultats au point de vue financier (2).
Moyennant un don gratuit de 700.000 livres, le Clergé obtient
la ratification du contrat de Poissy et conséquemment la sup-
pression des charges qui n'y sont pas insérées, c'est-à-dire des
rentes constituées de 1561 à 1567.
L'Hôtel-de-Ville de Paris passe un contrat avec le Clergé (3).
En vertu de ce contrat, le roi est déchargé de ses obligations et
la ville de Paris le remet en possession de ses domaines. D'autre
part, le Clergé devient débiteur, à la place du roi, de la somme
de 7.560.056 1. 16 s. 8 d. vis-à-vis de l'Hôtel-de-Ville de Paris,
plus les arrérages des rentes, les gages du receveur de la ville
et autres frais accoutumés.
Le roi permet au Clergé de percevoir par ses propres agents
les taxes et de juger des litiges en cette matière.
Après quelques pourparlers, l'Hôtel-de-Ville accepte cette com-
binaison'.
*
-* *
D>> 1567 à 1577, le Clergé remplit de nouveau exactement ses
obligations, mais le nouveau contrat fut encore violé par la
Royauté (4), Le roi s'approprie les sommes destinées à rembour-
ser l'Hôtel-de-Ville pour dégager le domaine engagé et même cons-
titue de nouvelles rentes sur les subventions futures. En outre,
il exige des subventions extraordinaires et procède à de nou-
velles aliénations de biens ecclésiastiques.
Aussi aux États de Blois (1576-1577), le Clergé s'insurge.
Entre 1561 et 1567, il avait payé, y compris les 9.600.000
livres convenues à Poissy, tant par aliénation et ventes que par
autres surcharges, 21.344.000 1. et plus; depuis 1567 jusqu'en
1576, on a ajouté des surcharges pour 41.087.257 1. 10 s. 3 d..
1. PV. Collection, t. I, p. 41. Cf. t. V, p. 195.
2. P V. Collection, t. I, pp. 44 svv.
3. Voir le texte dans RATM, t. IX, pp. 22 svv.
4. Voir les observations sur l'Assemblée rie 1.573, P \'. Collection, t. I, pp.
63 sv. et Procès verbal de l'Assemblée de 1675, P V. Collection, t. V,pp. 195
sw. Cf. Serbat, 0. c, pp. 49 sw.
94 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
en toiiî. environ 62.000-000 (1). Les Commissaires du roi don-
nèrent un chiffre moins élevé, mais reconnurent qni'il était entré
dans les caisses royales environ 50.000-000 (2). Le Clergé avait
donc payé largement beaucoup plus qu'il ne s'était engagé. Il
refuse de payer de nouveau.
D'autre part, l'Hôtel-de-Ville n'était pas remboursé : il voulait
l'être.
Aussi de 1576 à 1579, la situation fut troublée.
En 1579, sur les plaintes réitérées du Clergé, une Assemblée
fut réunie à ]\Ielun (3). Après bien des discussions, le Clergé passe
un contrai avec le Roi (4) et s'engage à payer pendant 6 ans
encore la somme annuelle de 1.300.000 livres; au bout de ce
temps, se tiendront des États généraux ou sinon une Assemblée
du Clergé. Le Clergé ne s'engage donc pas pour le fond, et ne
veut pas assumer de responsabilité à l'égard de l'Hôtel-de-Ville ;
car le contrat porte que le Clergé consent à cette subvention
« après avoir protesté ne pouvoir avouer ni reoonnoître aucun-
nement être obligé par lesdits contrats (ceux de 1566, 1567, etc.),
et sans que ce qu'ils accordent présentement, ni les paiements qui
se pourront faire des deniers qui se levront sur eux, en vertu du
présent accord, leur puisse aucunnement préjudicier aux droits,
noms, raisons, exceptions et défenses qu'ils ont contre lesdits
contrats, ni aux répétitions de deniers et actions qu'ils pour-
raient avoir en conséquence d'iceux. »
Ce contrat de Melun est le fondement de tous les autres.
Comme il n'y eut pas d'États généraux à la date convenue,
en 1585, se tint mie nouvelle Assemblée du Clergé (5). Le contrat
fut renouvelé pour dix ans (6) et dans la suite il fut toujours re-
nouvelé de dix en dix ans sous les mêmes réserves ; car le Clergé
niait la valeur juridique du contrat de Poissy et d'ailleurs il avait
1. P V. Collection, i. I, pp- 92 svv. ; Procès-verbal des États de BloLs, P V.
Collection, t. V, ad calceni, supplément au tome premier, pp. xxxiv svv. (Les
cîiiffres indiqués se trouvent ibidem, p. lvi.) Cf. P- Richard, La papauté
et la ligue française. Pierre d'Êpinac, archevêque de Lyon (1573-1599), pp. 108
sw. Paxis, 1901.
2. Cf- Serbat, 0- c, p. 82.
3. P V. Collection, t. I, pp. 150 svv. Cf. P. Richard, o. c, pp. 143 s\-v. ;
Serbat, o. c, pp. 89 svv.
4. Texte du contrat dans RATM, t. IX, pp. 65 svv.
5. P V. Collection, t. I, pp. 271 svv. Cf. Serbat, o. c, pp- 115 svv.
6. Texte dans RATM, t. IX, pp. 100 sv%%
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ DE FRANCE 93
rempli les obligations qu'il lai imposait. (1); mais en pratique il
continua à servir régulièrement les rentes sur l'Hôtel-de- Vaille.
En même temps les assemblées s'étaient accoutumées à accor-
der un don gratuit au roi.
D'autre part, la nécessité de renouveler le contrat assura la
périodicité des Assemblées (2).
En outre, depuis la réunion de Poissy, les Assemblées présen-
taient régulièrement au roi leurs cahiers de plaintes et doléances
en matière religieuse comme en matière temporelle; elles s'oc-
cupaient des intérêts généraux de l'Église de France; elles avaient
dû aviser à leur propre organisation intérieure et établir une
série d'institutions centrales, provinciales et diocésaines d'or-
dre électoral, administratif et judiciaire fortement organisées et
savamment centralisées : les Assemblées diocésaines et les Assem-
blées provinciales électorales ; l'agence générale du Clergé ; les
bureaux et les syndics diocésains des décimes; les chambres pro-
vinciales ou souveraines des décimes ; le receveur et le contrôleur
général des décimes, sans compter quantité d'officiers et de fonc-
tionnaires subalternes. A cet égard, l'Assemblée de Melun (1579-
1580) a joué un rôle capital. Mais nous n'avons pas à traiter ce
point. Nous n'avons voulu qu'exposer la genèse de ces majes-
tueuses et puissantes Assemblées du Clergé de France.
Le3 conditions générales de la France à ce moment, disons-le
pour finir, ont grandement favorisé la constitution de ces Assem-
blées. Si le Clergé a consenti à fournir des sommes relativement
considérables, il ne faut pas oublier que l'on menaçait l'ensem-
ble de son temporel et qu'au surplus la Royauté alléguait des
motiiâ d'ordre national et religieux pour exciter sa générosité.
Si le Clergé a pu imposer la nécessité de son consentement, se
constituer en corps délibératif et rattacher aux Assemblées un
ensemble d'organismes importants, il ne faut pas oublier da-
vantaga que ce fut à l'époque troublée des guerres de religion,
alors que le gallicanisme royal traversait une crise intense et
qui les théories les plus radicales battaient en brèche l'absolu-
tisme de la Royauté.
Louvain. A. Cauchie.
1. Voir le Procès-verbal de l'Assemblée de 1675, P V. Collection, t. V, pp.
193 svv. Cf. Laferrière, o. c, pp. 175 svv.
2. Le Clergé a toujours maintenu la nécessité de son consentement. Voir,
p. e., les procès-verbaux des assemblées de 1725, 1726 et 1750, P V. Collection,
t. VII, pp. 71 svv.; pp. 574 et 653 svv.; t. VIII, Ire part., pp. 218 et 251 svv.
Notes
Canonicité et Authenticité.
LES deux termes «canonicité», «authenticité», n'ont pas, on le
sait, acquis du premier coup leur sens déterminé. Aujour-
d'hui encore un peu d'incertitude règne sur la nature précise de
leur contenu. Le terme authenticité en particulier s'emploie quel-
qiiefois dans un sens qui le rapproche beaucoup de celui de
canonicité, ou bien il reçoit une extension trop vaste, propre
à engendrer la confusion. Nous n'avons pas l'intention, de refaire
l'historique de ces deux concepts. Nous voulons plutôt chercher à
fixer leur valeur absolue. Simple contribution à la terminologie de
l'Introduction biblique.
I. Canonicité. — Aucun livre saint n'a pu être canonisé sinon
à caus3 même de son inspiration. Ce principe est universellement
admis. On peut donc légitimement partir de la notion même de
livre inspiré pour se former une idée nette de la canonicité.
Or le livre inspiré implique dans sa définition plusieurs éléments :
l" En vertu de son origine un rapport actuel avec Dieu sa cause
surnaturelle, 2° En vertu de son contenu et de sa fin une apti-
tude à devenir la règle infaillible de la foi et des mœurs; 3" Une
aptitude à être connu comme inspiré, car si le livre ne pouvait
être reconnu conmie tel, il n'atteindrait jamais sa fin, il ne pour-
rait pas devenir règle infaillible de la foi et des mœurs.
Et nous disons « aptitude ». En effet, le li\Te par cela même
qu'il est actuellement inspiré n'est pas nécessairement connu
comme tel. Car « l'action inspiratrice du Saint-Esprit sur les écri-
vains sacrés étant un fait psychologique d'ordre surnaturel, elle
ne pourra être attestée avec certitude que par un témoignage di-
vin (1). » Et ce témoignage divin est lui-même objet de foi sur-
naturelle. Or la foi n'est pas sans condition mise en rapport avec
le livre sacré. Entre cet objet et l'intelligence intervient une auto-
torité qualifiée par le Christ pour reconnaître, constater le carac-
1. Cf. E. M.WGENOT. Dictionnaire de la Bible. T. III, col. 888. Paris, 190a
NOTES 97
tère inspiré des Livres saints et déclarer officiellement leur valeur
comme règles infaillibles de foi et de mœurs.
Avant la déclaration de l'Église il y a donc dans ces écrits
une aptitude, mais une simple aptitude à remplir le rôle qui
leur est assigné par leur fin. Après cette déclaration, le livre
inspiré, reconnu comme tel, entre dans Vexercice de cette aptitude.
Cet exercice même, ainsi conditionné, constitue ce que nous
appelons la canonicité d'un Livre Saint.
On peut donc définir la canonicité : Le fait pour un Livre
sacré d'exercer, en vertu de la reconnaissance officielle par l'Égli-
se de son caractère inspiré, le rôle de règle infaillible de la foi
et des mœurs.
IL Authenticité. — L'authenticité d'un livre implique le rapport
de ce livre, à son auteur. Tout écrit se trouve lié, rattaché à la
personne et au nom de l'écrivain qui l'a conçu, composé, rédigé,
ou même simplement compilé, de telle sorte qu'il peut et doit
lui être attribué. Si ce rapport d'attribution est fondé en réalité,
le livre est dit authentique. Par contre il est inauthentique si ce
rapport qu'on disait exister n'existe pas.
Or le Livre saint est totalement attribuable à Dieu comme
auteur principal et totalement à l'homme comme auteur secon-
daire. Il est donc authentique à un double titre. Mais l'authen-
ticité en tant que divine s'identifie avec l'inspiration. Car Dieu
est l'auteur des Livres saints pour autant qu'il les inspire, La
signification du terme se trouvera dès lors limitée, et très ordinai-
rement on entend désigner par là le rapport d'attribution qui relie
un livre sacré à tel où tel auteur humain déterminé.
Le mot « déterminé » paraît inexact. Car l'on dit souvent d'un
ouvrage même anonyme qu'il est authentique si, par exemple,
l'analyse intrinsèque révèle des idées, des coutumes en harmo-
nie avec l'époque ou le milieu qu'on assigne à sa composition.
A bien considérer, le terme « authentique » reçoit, dans ces cas,
seulement une application diminuée, imparfaite. Et l'on sera plus
d'une fois obligé de s'en tenir là. Mais si l'on veut satisfaire aux
exigences absolues du concept, définir l'authenticité d'un ouvrage
c'est le placer en regard d'un nom, d'une individualité autorisée à
en revendiquer l'attribution. Sans exclure les formes inférieures et
comme embryonnaires de la notion, il semble donc légitime,
dès lors qu'on la considère en soi, d'y faire entrer le mot « déter-
miné ».
On peut donc définir l'authenticité, appliquée à la Bible : L'ai-
2e Année. — Revue des Sciences. — No i. 7
98 REVUr, DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
trïbution vraie d'un Livre saint à Vauteiir humain déterminé qui
l'a écrit.
III. Rapports. — De ces définitions il résulte qu'e;^ soi les ca-
ractères de canonicité et d'authenticité ne s'impliquent pas mutuel-
lement.
1° Un écrit sacré n'est pas canonique précisément parce qu'il
appartient à tel ou tel auteur, mais à cause de son inspiration.
Et pour le comprendre il faut distinguer avec soin motif et
critérium. Le motif est ce pourquoi un livre est canonisé. Le
critérium est le signe extérieur qui permet à l'Église de recon-
naître le caractère inspiré du livre et de le déclarer règle de
foi et de mœurs. Or il est incontestable qu'à ce titre de critérium
l'attribution d'auteur a joué un certain rôle quoique non pas
exclusif dans l'histoire du Canon. ]Mais au moment précis où
l'autorité ecclésiastique promulgue son décret officiel, l'attribu-
tion d'auteur passe au second plan, et l'inspiration apparaît com-
me le véritable motif de la définition.
2'^ De même absolument parlant, un écrit n'est pas authentique
par cela même qu'il a été déclaré canonique. Cette déclaration
manifeste à la foi du fidèle l'aptitude infailliblement régulatrice
du Livre inspiré. Or ce caractère dérive premièrement du rap-
port qui unit le Livre à son auteur principal, surnaturel, et non
du rapport qui l'unit à sa cause seconde à son auteur humain.
Toutefois accidentellement et en fait il peut arriver que la
canonicité entraîne l'authenticité, au moins dans une certaine
mesure. D'abord le seul fait d'avoir été pour l'Église un cri-
térimii même partiel de canonicité donne à l'attribution d'au-
teur telle que l'a reçue et acceptée l'autorité officielle, une va-
leur et 'un poids qu'on ne saurait ignorer, ni écarter sans de
graves tnotifs Un autre cas, assez fréquent, est celui où le Livre
canonique contient la mention expresse de son auteur. Il y aura
lieu, dès lors, de préciser la portée de cette affirmation d'après
les règles ordinaires appliquées à ces sortes de problèmes.
Kain. Th. Mainage, 0. P.
II
Saint Thomas et l'Histoire Inspirée.
Au cours de ces dernières années, de vives discussions se
sont élevées entre théologiens catholiques touchant les rè-
gles à suivre dans l'interprétation et la critique des parties histo-
NOTES 99
riqiies de l'Écriture. Le problème étant solidaire de cet autre :
comment les écrivains inspirés concevaient-ils l'histoire et en-
tendaient-ils l'écrire? c'est à résoudre cette dernière question
qu'on s'est particulièrement appliqué. A cette occasion, plusieurs
assertions des Pères, spécialement de saint Jérôme, ont été rap-
pelées et soumises à un sérieux examen. En revanche, je ne
vois pas qu'on se soit communément expliqué sur un passage
similaire de saint Thomas, qui se lit dans la Somme Théologique,
V W Q. XCVIII, art. III, ad 2""". En voici le texte :
« Ad secundum dicendum quod, sicut Augustinus dicit, XII
super Gen. ad Litf., in Exodo dicitur : Locutus est Dominus
Moysi facie ad faciem; et paulo post subditur : Ostende mïhi
gloriam tuam. Sentiehat ergo quod videbat ; et quod non videbat,
desiderabat. Non ergo videbat ipsam Dei essentiam et ita non
immédiate ab eo instruebatur. Quod ergo dicitur quod loque-
batur ei facie ad faciem, secundum opinionem populi loquitur
Scriptura qui putabat Moysen ore ad os loqui cum Deo, cum per
subjectam creaturam, id est per angelmu et nubem, ei loqueretur
et appareret... » (1).
Naturellement, saint Thomas a dans l'esprit que l'auteur ins-
piré, Moïse, sait que cette « opinio populi » est fausse. Il remar-
que, en outre, après saint Augustin, que l'Écriture, quelques
versets plus loin, laisse suffisamment entendre la vérité. Il n'est
pas douteux que le Docteur Angélique n'attache de l'importance
à ces deux points. En fait-il la condition sine quâ non de la ipos-
sibilité de l'explication qu'il propose? Plus précisément, consen-
tirait-il à voir dans les lois mêmes de certains genres littéraires,
par exem^ple, l'équivalent des deux circonstances qu'il suppose
ou signale dans le cas de ce verset de l'Exode? Je n'ose le décider.
Il reste que, à tout le moins sous réserve de certaines conditions,
saint Thomas ne voit aucune difficulté à dire que l'historien
inspiré peut, sans compromettre le principe de l'inerrance abso-
lue de l'Écriture, raconter un fait « secundmn opinionem populi »,
quoique cette opinion du peuple soit fausse. Il n'éprouve même
pas le besoin de couvrir cette manière de voir de l'autorité de
saint Jérôme, dont cependant il ne devait pas ignorer les prin-
cipes sur ce point. ■
Kain. A. Lemonnyer, 0. P.
1. On n'oubliera pas, si ou lit le corps même de l'article, de se référer
au commentaire de Cajetan qui en précise le sens. -
Bulletin de Philosophie
I. — MÉTAPHYSIQUE.
J'ai consacré en entier le précédent bulletin de métaphysique à
retracer brièvement le mouvement pragmaliste. L'attitude d'esprit qu'il
manifeste, actuellement si commune, m'avait semblé mériter une
attention spéciale. Tout en continuant à suivre le développement de cette
tendance philosophique et à noter les aspects successifs qu'elle revêt, je
ferai la part aussi large que possible aux productions des diverses
écoles. Un ordre rigoureux est difficile à suivre et bien des obstacles
s'opposent à un classement méthodique des doctrines, aucune étiquette
n'étant complètement satisfaisante. Voici donc les grandes divisions,
arbitraires mais commodes, qu'il m'a paru bon d'adopter. I Théorie de
la Connaissance ou Épislémologie. II Sijstèmes Philosophiques. 111 Ques-
tions Spéciales.
I. — Théorie de la Connaissance.
En épistémologie, les discussions concernant la notion et l'acquisition
de la vérité ont été rajeunies par les résultats de la critique des sciences
et les points de vue les plus récents de la psychologie. Si les articles
publiés sur ce sujet embarrassent par leur multitude, les travaux
d'ensemble sont rares. Aussi, le nouvel ouvrage par lequel M. Fargf.s
vient de clore la série des « Études » bien connues dans lesquelles il
vulgarise les doctrines aristotéliciennes et thomistes, pourra rendre de
réels services. Il en rendrait même davantage s'il réalisait mieux les
promesses de son titre. Le livre est intitulé : La Crise de la Certitude.
Étude des Bases de la Connaissance et de la Croyance avec la critique du
Néo-Kantisme, du Pragmatisme, du Neivmanisme, etc. (1). L'etc. surtout
est alléchant, mais on s'aperçoit à la lecture que la discussion des
théories les plus nouvelles ne joue qu'un rôle épisodique dans l'ensemble
de l'ouvrage. Kant, Stuart Mill, l'aine, les traditionalistes, sont les prin-
cipaux adversaires que M. Farges s'attarde à réfuter. Toutefois cette pré-
occupation à l'endroit de systèmes déjà vieillis sous leur forme primitive,
est en somme concevable, si l'on prend le livre pour ce qu'il est, c'est-à-
dire pour un grand manuel de critériologie et, à cet égard, il a d'incon-
testables mérites d'ordre et de clarté.
La question fondamentale est celle de l'existence de la certitude
objective, c'est-à-dire d'une certitude basée sur la conformité de la con-
naissance à sou objet.
1. Paris, Bercho et Traliii, 1907. 1 vol. iii-So de 396 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 101
M. Farges, avec la philosophie traditionnelle et le sens commun, affirme
cette existence que Kant et tous les penseurs qui s'inspirent de son
crilicisme considèrent comme illusoire. L'erreur de ces derniers
s'explique par leur postulat originel, le subjectivisme ; l'esprit ne
saurait sortir de lui-même et ne connaît, par suite, que ses propres
phénomènes. 11 y a là un sophisme facile à démasquer. De ce qu"i4 est
impossible à l'esprit de sortir de soi, il n'en résulte nullement qu'il
ne connaisse que soi. il atteint en lui-même des réalités qui lui sont
étrangères. L'action de l'objet extérieur est dans le sujet; l'esprit restant
en lui-même saisit cette action sans se l'attribuer et la projette au dehors
à la place qui lui convient.
D'autre part, nos moyens de connaître cette réalité indépendante
de la conscience ne sont pas forcément des agents de déformation, ils
ne sont pas fatalement voués à l'erreur. Les sens ont visiblement la
structure d'organes récepteurs et passifs ; l'exiguïté de leur nombre,
leur spécification rigoureuse, si elles restreignent le champ de nos
expériences, n'en compromettent pas la valeur. C'est à tort qu'on assi-
mile l'abstraction à la falsification ; suivant l'antique formule, l'abstrac-
tion n'est pas un mensonge. L'idée, par les éléments qu'elle extrait des
sensations, nous représente des aspects réels du monde. L'erreur
consisterait à prendre une vue partielle pour une intuition totale,
mais nous pouvons nous en garder, 11 y a, en tout cas, certaines idées
au sujet desquelles on ne saurait errer, dont les rapports s'imposent à
l'esprit avec une clarté sans égale, ce sont celles qui forment les juge-
ments analytiques. Étant à priori, ces jugements offrent le type de la
certitude absolue. La nécessité qui les caractérise ne dérive pas de la
structure de l'esprit qui ne saurait concevoir leurs contradictoires, mais
de la nature même des termes en présence. Le raisonnement déductif,
basé sur un principe analytique, participe à sa certitude et Kant lui-
même ne l'a pas contesté. L'induction n'a, le plus souvent, qu'une valeur
conditionnelle mais qui suffit pour la pratique. Par ailleurs, qu'il soit
déductif ou inductif, le raisonnement ne peut se ramener à une associa-
tion d'images, car il est basé sur la perception de rapports entre les
idées, tandis que l'association n'est qu'un mécanisme aveugle.
Après l'examen des critères intrinsèques, M. Farges aborde celui des
critères extrinsèques. Je ne ferai que signaler les chapitres concernant
le témoignage humain et le témoignage divin, oi^i l'on trouve çà et là
des considérations visant certaines conceptions contemporaines de la
méthode historique. Notons aussi que le Xewinanisme est compté parmi
les essais de réduction des critères extrinsèques. La discussion prend
ici quelque ampleur, malheureusement les sources n'ont pas été con-
sultées directement et c'est aux disciples de Xewmaa que l'on demande
un exposé de sa doctrine. C'est là un procédé dangereux et qui ne
saurait recommander une critique. Opposé à toute réduction des critères,
qu'ils soient extrinsèques ou intrinsèques, M. Farges reconnaît cepen-
dant une condition commune de leur validité, qui est l'évidence. Sa
nature, obscurcie par le subjectivisme, peut se définir par la visibilité de
l'objet. L'évidence n'a pas besoin de preuve et se discerne par elle-même;
il importe toutefois de bien examiner les conditions dans les(iuelles elle
102 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
se produit et de délimiter le champ oîi elle s'exerce. Toute méthode est
une mise en œuvre des critères et, comme les critères, les méthodes
varient suivant les objets auxquels elles s'appliquent. Le doute uni-
versel, comme méthode, n'est acceptable que s'il est fictif et considéré
seulement comme procédé de recherche. La méthode mathémalique est
purement déductive ; la méthode expérimentale arrive quelquefois à des
résultats certains; le plus souvent elle n'atteint qu'une probabilité plus
ou moins grande. Toutefois, ceux qui ne veulent voir dans les sciences de
la nature qu'un ensemble de symboles conventionnels ne sauraient
justifier leur opinion par leur expérience de l'investigation scientifique.
Elle dérive du subjectivisme kantien auquel ils se sont inféodés et de
la peur de la métaphysique. La certitude morale est une vraie certitude ;
moins lumineuse que les autres, elle est plus profonde, car elle s'empare
de l'homme tout entier.
Ceux que les solutions données par M, Farges aux problèmes actuels
de l'épistémologie ne satisferaient pas complètement, liront avec le plus
grand profit l'intéressant travail de M. de Tonquédec : La Notion de Vérité
dans la « Philosophie Nouvelle » (1). Ils y trouveront, sous une forme
aux contours parfois imprécis mais toujours correcte et distinguée, un
exposé objectif et une critique intelligente des développements que
MM. Le Roy et Wilbois ont donné, sur le point qui nous occupe, à la
philosophie de M. Bergson. Pour les penseurs de cette école, la vérité,
on le sait, n'a rien d'absolu, car elle se confond avec la vie de l'esprit ;
elle suit docilement toutes les sinuosités de son devenir et ne signifie
rien de plus que les divers moments de son expérience. Libre comme
l'évolution qui l'emporte, elle ne revêt des apparences rigides que par
suite des habitudes prises par l'individu et par la race, habitudes dont
l'esprit d'invention et l'effort de la philosophie doivent nous dégager.
Celle-ci, par la critique des notions du sens commun, simples instru-
ments de la pratique, et des concepts scientifiques qui, plus précis et
plus affinés, s'ils augmentent notre puissance d'agir, s'écartent encore
plus du réel, doit nous faire retrouver le fond mouvant des choses. Par
elle, synthétisant nos intuitions partielles de l'univers, nous nous insé-
rerons dans ce flux indistinct et indéfini qui, par une finalité immanente
tend toujours à se dépasser lui-même et qui, sous cet aspect, n'est autre
que la divinité.
M. de Tonquédec n'hésite pas à reconnaître, et fort justement, à mon
avis, que le grand mérite de la « philosophie nouvelle y> a été d'attirer
l'attention sur l'écart qu'il y a entre l'intuition et le concept, sur la
richesse de la première et la pauvreté relative du second, mais il se
refuse à enlever à nos idées toute valeur de connaissance. Celte valeur
est indéniable puisque le concept est considéré comme un schéma de
l'action et que celle-ci fait partie du réel. Si le concept déforme,
comment les intuitions qu'il prépare nous donneraient-elles la réalité
sans aucune déformation ? D'ailleurs, si l'idée laisse tomber un grand
nombre d'éléments réels, elle nous en découvre que l'intuition est
1. Études, 1907, 20 Mars, pp. 721-748; 20 Mai, pp. 1.33453; 5 juillet,
pp. 68-82; 5 Août, pp. 335-361.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 103
impuissante à saisir. L'idéalisme absolu auquel aboutit la nouvelle école
repose sur ces deux principes. 1°). Si le réel est distinct de la connais-
sance, il est impossible qu'elle l'atteigne. 2'^). A supposer qu'elle l'atteigne,
elle n'aurait aucun moyeii de savoir si elle lui est conforme. Le premier
de ces principes n'est qu'un simple postulat; quant au second, il est
sans force dès lors qu'on affirme que la connaissance atteint immédia-
tement son objet. Dire que la connaissance n'est qu'une production de
son objet, c'est détruire ce qu'elle a d'original. Pourquoi ne pas admettre
à la base ce que l'on admet au second degré pour la réflexion, un objet
distinct de l'acte qui le saisit ? Confondre le réel avec la pensée, c'est
aussi, pour la philosophie nouvelle, se heurter à une antinomie inso-
luble, puisque pour elle la pensée est devenir et la matière immobilité.
La notion de vérité libre soulève des difficultés non moins graves. Il
y a toujours une part de détermination qui n'est pas arbitraire dans les
constructions de la science (1) et, dans le domaine du sens commun, si
nos représentations sont relatives à notre action, celle-ci ne peut
modifier à son gré les conditions où elle s'exerce ; le morcelage, par
exemple, s'impose à elle. Quant aux jugements à priori, alors même
qu'on refuserait à l'esprit toute structure définie, il n'en faudrait pas
moins expliquer les nécessités qu'il est, en fait, obligé de subir.
On invoque l'évolution et la formation d'habitudes passées en nature;
cela pourrait suffire s'il s'agissait de consécutions empiiiques, mais
c'est à des rapports logiques que nous avons affaire. Par ailleurs, l'évo-
lution continue à laquelle on voudrait soumettre la vérité, est-elle
possible dans un système oîi les intuitions semblent n'avoir aucun lien
d'unité ? Une direction, une orientation ne pourraient remplir ce rôle
que si elles tendaient vers un but dont elles recevraient leur spécification
et, dans ce cas, rien n'empêcherait de les saisir dans un concept. L'évo-
lution suppose donc la présence de l'idée et si l'on répugne tant à
l'admettre, c'est que l'on a toujours en vue l'idée claire et distincte qui
est le terme dun travail d'analyse, mais l'idée à son début ne se présente
pas sous cette forme. « L'idée est une action avant d'être un résultat. » (2)
Dans grand nombre de cas, la vérification d'une idée peut être fournie
par la multiplicité de ses applications et la durée de son influence, mais
le critérium de succès ne se suffit pas à lui-même. Ce succès n'est un
signe de vérité que s'il est un progrès, il faut donc un critère pour
en juger.
Ce rôle de critérium assigné au succès est une des idées sur lesquelles
1. « La science choisit ; mais parmi les données du sens commun. Elle
les traduit en un langage artificiel, mais ce langage ne les coiistitue pas.
Elle symbolise un fait par un autre, mais c'est parce que les deux s'accom-
pagnent dans le donné. Elle néglige certaines variations, mais, sous les
variations, il y a des similitudes qu'elle n'invente pas et qui lui permettent
de classer les phénomènes. Dans la recherche scientifique, on ne sait ja-
mais toutes (souligné dans le texte) les conditions où l'on opère, et l'on
est, par suite, toujours exposé à voir ses prévisions déjouées dans les
résultats d'ensemble; mais on connaît quelque chose (id.,) des antécédents
et par suite on peut prédire quelque chose (id.,) des conséquents; au reste
si une inconnue intervient, ce n'est jamais pour interrompre le déterminisme,
mais pour le compliquer. » Etudes, 5 juillet" 1907, p. 71.
2. Etudes, 5 août 1907. p. 347.
104 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
les pragmatistes reviennent le plus souvent ; ils ont continué à dévelop-
per cette conception en essayant de montrer qu'elle n'avait rien d'irra-
tionnel. Nous avons tout d'abord à signaler deux ouvrages importants :
l'un est de W. James, Pragmalism, a neiv Name for some old Ways of
thinking (1). C'est une série de huit conférences données d'abord à
Boston, au « Lowell Institute »> en novembre et décembre 1900, puis à
la « Cûlumbia University » à New-York, en janvier 1907. L'autre est un
recueil de vingt essais publiés par F, C. S. Schiller, sous le titre de
Studies in Humanism (2). Les conférences de James sont destinées à
vulgariser le pragmatisme, tandis que les essais de Schiller ont un
caractère plus technique. Bien que la polémique tienne encore une
place beaucoup trop grande dans l'œuvre de ce dernier et que les traces
de mauvais goût y soient encore nombreuses, les parties constructives
sont devenues plus importantes et l'on ne peut que s'en réjouir, car
elles sont vraiment sérieuses, intéressantes, et témoignent d'un réel
souci de résoudre les difficultés. Je ne reviendrai pas sur les articles
qui figurent dans ce volume et dont j'ai déjà parlé dans mon précédent
bulletin (3), et je ne m'occuperai dans cette section que des théories de
James et de Schiller qui ont trait à l'épistémologie.
Pour le grand psychologue américain, le pragmatisme est tout d'abord
une méthode qui permet d'écarter les discussions oiseuses en métaphysi-
queet d'aboutir à dessolutions satisfaisantes (-4). Elle consiste àse deman-
der quelles conséquences peut avoir une affirmation donnée et à la juger
d'après ces conséquences. Mais le pragmatisme n'est pas seulement une
méthode ; MM. Schiller et Dewey en ont fait une théorie de la vérité.
Envisagé sous cet aspect, il apparaît comme une explication « fonction-
nelle )) de la connaissance. 11 fait de nos idées les inslrumenls de notre
action, elles sont vraies en tant qu'elles sont efficaces. Le cas étudié de
préférence par les deux philosophes cités plus haut est celui où nous
nous formons des opinions nouvelles. Nous changeons alors le moins
possible à nos connaissances déjà acquises et la conception qui s'impose
à nous comme vraie est celle qui procure l'assimilation la plus aisée
des expériences récentes par les croyances anciennes.
Ce qu'il y a de plus ancien dans les concepts qui nous servent à orga-
niser nos connaissances ne provient d'ailleurs pas de nous (5). Il faut
y voir le résultat de découvertes géniales d'ancêtres préhistoriques, qui
se sont conservées à travers l'expérience des temps postérieurs, parce
qu'elles ont toujours permis d'atteindre les fins pratiques en vue des-
quelles les hommes pensent. Mais on doit restreindre l'application de
1. Longmans, Green and C^. Loudon, Bombay and Calcutta. 1907. 1 vol.
in-So de XIII-309 pages.
2. Macmillan and C. London 1907. 1 vol. in-8o de XV492 p.
3. Ce sont les suivants : The Définition of Praiimatisni and Humanism (Rev.
(hs Se. PJi. et Th., .Janvier 1907, p. 114 et 125.); The Amhiijuitu of Truth {ibid.,
p. 127); Empiricism and The Ahsolute {ihid., pp. 124 et 125); Truth and
Mr Bradley (ibid., p. 121) Faith, Beason and Beligion {ibid., p. 128).
4. Lecture IL What Pragmatisni Means. — Pragmalism, pp. 43-81.
5. Lecture V. Pragmatisni and Common Sensé. — Pragmatism, pp. 165.
194.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 105
ces notions au domaine où elles ont leur pleine valeur, c'est-à-dire au
domaine du sens commun. Quand il s'agira de science ou de critique
philosophique, d'autres concepts leur seront substitués. Demander quelle
série de concepts est la plus vraie, est une question qui n'a pas de sens,
car chacune est vraie dans le plan où elle est mise en œuvre et ceci
confirme la théorie instrumentale. Pour en prendre une vue plus nette,
il faut analyser la notion de vérité, ce que les intellectualistes ont négligé
de faire (1). Les pragmatistes admettent comme eux qu'elle peut être
regardée comme l'accord de l'idée avec la réalité, mais il reste à se
demander en quoi consiste cet accord. Concevoir les idées comme des
reproductions, comme des copies, soit des objets, soit des pensées
divines, c'est leur assigner un rôle bien futile. « Les idées vraies sont
celles que nous pouvons assimiler, valider, corroborer et vérifier. Les
idées fausses sont celles pour lesquelles cela est impossible » (2). La
vérité n'est donc pas statique, elle consiste en un processus, le processus
même de vérification, et, par vérification, il faut entendre le fait
qu'une idée nous guide avec succès à travers l'expérience. Toutefois
une vérification complète est rarement nécessaire ; la possibilité de
vérifier suffît dans une foule de cas. Ce qui crée l'illusion intellectua-
liste, c'est la répétition de certains phénomènes qui se portent garants
les uns des autres, la fixité de certains éléments ; mais, ceux-là même
qui paraissent les plus stables ont cependant à subirriniluence de notre
liberté. Une réalité indépendante de la pensée humaine semble être bien
difficile à trouver. C'est cette constatation qui sert de base au système
que M. Schiller s'efforce d'édifier sous le nom d'Humanisme (3).
Nous trouvons l'exposé très net de cette thèse dans l'essai intitulé :
The Making of Tralh (4). Supposer des faits indépendants de notre
connaissance ou bien une vérité éternelle qui la domine, c'est s'engager
dans des difficultés inextricables, car il restera toujours à montrer
quelle relation existe entre ces faits indépendants, cette vérité éternelle
et les faits qui sont des faits pour nous, les vérités qui sont des vérités
pour nous. Reportons-nous donc au processus de la connaissance
humaine telle qu'il se déploie dans le présent; voici les divers momenis
qu'on peut y distinguer. « 1) Nous nous servons d'un esprit qui a
quelque expérience antérieure et qui possède quelque connaissance et 2)
a ainsi acquis (ce dont il a grandement besoin) une certaine base dans
la réalité qu'il consent à accepter comme 'fail\ car 3) il lui faut une
'plate-forme' d'où il puisse continuer d'agir sur une silualion, qu'il a en
face de lui, 4) afin de réaliser quelque dessein ou de satisfaire quelque
intérêt qui définit pour lui une 'fin' et constitue pour lui un 'bien'. 5)
En conséquence, il entre en contact expérimental avec la situation par
quelque intervention volontaire, qui peut commencer par une simple
affirmation et contiimer par des conclusions raisonnées, mais qui, toii-
1. Lecture VL Pragmatism's ConceiAion of Truth. — Pragniatism, pp.
197-236.
•2. Ibid., p. 20L
3. Lecture VH, Fragmatism and Humanism. Pragmatism, pp. 239-270.
4. Schiller. Studie'? in Humanism. Essay VH, pp. 179-203.
1U6 REVUE DES SCIEAXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
jours, quand elle est complète, aboutit à un acte. 6) Il est guidé par les
résultais (conséquences) de cette expérience qui tendent à vérifier ou à
discréditer la base provisoire, les 'faits', affirmations, conceptions,
hypothèses et postulats originels. 7) D'oîi, si les résultats sont satisfai-
sants, le raisonnement employé est considéré comme ayant été bon
pro tanto, les résultats exacts, les opérations accomplies valides, tandis
que les concepts employés et les affirmations énoncées sont jugées
vraies. » (1)
Il pourrait sembler, d'après cette description, qu'il y a au moins un
élément qui s'impose à notre esprit et qui n'a pu subir son influence au
premier moment, c'est cette base dans la réalité qui est déclarée néces-
saire pour que notre action puisse s'exercer sur une situation donnée.
Mais M. Schiller nous avertit que le mot de fait auquel on reconnaît une
si grande valeur est un mot ambigu. Le fait « trouvé » et non « formé »
que l'on peut, en ce sens, appeler indépendant est la « réalité primaire »,
antérieure à la distinction de l'apparence et de la réalité ; c'est de
l'expérience brute, et tout ce que l'expérience renferme est réel à ce point
de vue (imaginations, rêves, illusions, hallucinations, erreurs). Un travail
de sélection s'accomplit sur cette réalité primaire et alors seulement
nous distinguons le fait réel de ce que nous rejetons comme une simple
apparence. Dans celte sélection, nos desseins, nos désirs, nos émotions
sont intervenus ; à ce plan de la connaissance, il n'y a donc pas de fait
purement objectif. On a cru trouver dans l'existence des faits désa-
gréables dont nous sommes obligés de tenir compte une objection contre
la théorie humaniste ; mais, au contraire, déclare M. Schiller, ils en sont
un élément indispensable. Il ne faut pas confondre déplaisant et objectif ;
ces faits ne font pas irruption en nous, ils sont « acceptés » comme les
autres, au moins provisoirement, et, de plus, par cela même qu'ils sont
désagréables, ils nous excitent à des efforts qui tendront à les rendre
irréels.
Toute connaissance en effet est intéressée, implique un but quel-
conque. L'expérience que provoque le désir est active, c'est une expéri-
mentation. Elle est nécessaire pour la validation d'une affirmation.
Cette validation peut être complète, mais elle ne vaut cependant que par
rapport au but poursuivi. Si le succès n'est que partiel, nous n'attei-
gnons qu'une vérité approximative qui nécessite d'autres recherches ;
si nous subissons un échec, il n'en faut pas conclure immédiatement à
une résistance « absolue » du réel, l'échec peut tenir à l'emploi de
méthodes défectueuses et, en tout cas, cette hypothèse éliminée peu à
peu par des insuccès répétés, il resterait seulement que la réalisation
de nos desseins n'est pas possible dans l'expérience « actuelle ». Cette
limitation possible dans le présent n'est pas la seule à laquelle se
heurte la doctrine pragmatiste. Si la production de toute vérité suppose
des vérités préexistantes, ne doit-on pas arriver finalement à une vérité
qui n'ait pas été « faite » ? A cela il faut répondre que, sans doute, on ne
peut concevoir qu'une vérité ait jamais été tirée de rien, mais que s'il
existe un élément primitif qui n'a pas été produit par notre esprit, cet
1. >Studies in Humanis)», p. 185. Les mots sont soulignés dans 11- texte.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 107
élément resle en dehors de nos prises, et il est légitime au point de vue
de la méthode de considérer toute vérité comme ayant été « faite ».
La solution dernière de cette question n'appartient pas à l'épistémo-
logie mais à la métaphysique, et M. Schiller y est revenu dans un autre
essai '/'he Making of Bealilij, dont nous parlerons plus loin. Indiquons
dès maintenant les raisons préalables qui engagent le philosophe huma-
niste à refuser tout caractère absolu à la vérité et à la réalité. Elles sont
exposées dans le huitième essai -.Absolute Truth and AbsoluteRealilij {1).
La Vérité et la Réalité absolues sont deux conceptions que le désir
d'échapper au scepticisme et le besoin de trouver un refuge contre les
fluctuations de l'expérience ont introduites dans la philosophie. Mais le
remède est pire que le mal. Ces deux notions sont inutiles, car la Vérité
et la Réalité absolues ne peuvent avoir aucun contact avec la vérité et la
réalité humaines et elles sont pernicieuses, car, si l'on perçoit le
contraste qu'elles forment, on aboutit au scepticisme qu'on voulait
éviter et, si ce contraste reste inaperçu, on est voué à la stagnation.
Tout progrès devient à la fois impossible et inexplicable. Ce n'est pas au
commencement de la connaissance ni en dehors de l'esprit humain
qu'il faut placer l'Absolu, mais bien dans l'avenir, comme un idéal vers
lequel nous tendons progressivement.
Il est donc urgent de redescendre de l'Absolu abstrait et inefficace à
la contemplation des processus réels de la connaissance. C'est faute de
ce contact nécessaire avecle devenir psychologique que la logique intel-
lectualiste est finalement tombée dans un complet scepticisme. Elle ne
sortira d'embarras qu'en s'unissant étroitement à la psychologie, telle
est l'affirmation développée dans le troisième essai : The Relations of
Logic and Psi/cholog>i (2). Pour avoir une idée juste du rapport des deux
science?, il faut d'abord en délimiter le domaine respectif. On a trop
restreint celui de la psychologie. Non seulement celle-ci décrit les phéno-
mènes mentaux, mais elle doit reconnaître en eux les « valeurs » qu'ils
présentent et les étudier. Toutefois il ne lui appartient pas de juger de
ces valeurs, ce rôle revient à la logique. La logique est une science
normative qui tire son origine de l'existence de fausses prétentions à
la valeur de vrai. « Elle peut se définir V évaluation systématique de la
connaissance actuelle Ci). » Ces derniers mots montrent bien que la
logique a ses fondements dans la psychologie et l'on s'en convaincra
encore davantage, si l'on observe que sans la psychologie qui nous donne
le « contexte» d'une affirmation, on ne peut saisir le sens de cette affir-
mation. En efTet, il n'y a pas de sens ordinaire ou typique, comme
l'imaginent les intellectualistes ; une affirmation est en relation avec la
personnalité tout entière. Loin donc de «dépersonnaliser» la logique, il
faut « l'humaniser » en y réintégrant à la fois les applications possibles
de la connaissance et l'individualité du sujet connaissant.
Il serait intéressant de comparer ces vues sur les rapports de la
logique et de la psychologie avec celles que l'on rencontre dans l'œuvre
1. Stndies in Humanism, pp. 204-22.3.
2. Ihiâ., pp. 71-113.
3. Studies in Rumanimi. p. 78.
108 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de subtile analyse que Newinan a inlitulée Grammaire de rAssenliment ;
bien que Tinspiralion en soit différente, on trouverait plus d'un rappro-
chement. A ceux qui le voudraient la chose est devenue facile grâce à
l'excellente traduction que Madame Gaston Paris vient de donner de cet
ouvrage (1).
Ce ne sont plus seulement des analogies partielles avec les théories de
Schiller que présentent les idées de M. Dewey, c'est une complète simi-
litude. Cela ressort nettement d'une étude récente qu'il vient de publier
sur les rapports du fait et de l'idée : The Control of Ideas h\j Facts (2).
Le problème que la logique fonctionnelle hérite des épistémologies
monistes qui ne l'ont pas résolu, qu'elles soient idéalistes ou réalistes,
est celui de l'accord entre les idées et les faits. Elle essaie d'en fournir
une solution. Une idée n'est pas l'inutile copie d'un objet présent ; elle
apparaît en même temps que la réflexion et la recherche, elle n'est
nécessaire que si l'individu se trouve en face d'une situation qui offre
un aspect troublé, interrompu, inharmonique et qu'il s'agit d'harmo-
niser ; par exemple, la situation d'un homme perdu dans les bois. Ce
que l'on appelle les faits, ce sont les éléments fragmentaires de la
situation. Loin d'être ce qu'il y a de plus réel, ils ont, par la discordance
qu'ils présentent, perdu de leur réalité et c'est l'idée ((ui doit la leur
rendre complète. L'idée exprime les rapports de ce qui est actuellement
perçu avec ce qui n'est pas encore entré dans le champ de la conscience,
elle est essentiellement un plan d'action. Si ce plan d'action lors([u"on
l'applique, amène au résultat désiré, on déclare que l'idée était vraie.
L'accord entre l'idée et les faits signifie donc le succès de l'idée.
Les explications fournies par les pragmatistes, si elles ont offert à la
controverse un objet mieux défini, ne l'ont pas rendue moins vive. Il est
des philosophes comme M. Joun E. Russell, ([ui repoussent complète-
ment le principe du pragmatisme (3). Aucune épistémologie ne lui
a procuré de certitude et la nouvelle ne lui parait pas apporter le salut,
car pour se convaincre de la vérité du pragmatisme; il faudrait adopter
la notion spéciale du vrai que ce système essaie d'accréditer et c'est
précisément l'exactitude de cette notion qui est en question. M. Schiller
vit dans cette argumentation un signe évident que M. Russell n'avait pas
un bieu vif désir de sortir du doute (i). Le pragmatisme doit être, il est
vrai, librementchoisi, comme beaucoup d'autres alternatives qui s'offrent
en philosophie ; il ne s'impose pas à priori, mais on peut se convaincre
de sa vérité, si l'on consent à en faire l'expérience. \ quoi M. Russell
répondit (5) : L'expérience demandée n'aboutirait pas, même en se
plaçant au point de vue pragmatiste, car la réussite de la tentative ne
prouverait rien concernant la notion de vérité. 11 s'agit en effet de savoir
1. Bloud et Ci<^. Paris, 1907; 1 vol, in 8^ de 408 p.
2. Journal of Fhilosophy, Psychology and Scientific Metliods, 1907, 11
Avril, pp. 197-203; 9 Mai, pp. 253-259; 6 Juin, pp. 309-319.
3. Pragmatism as the Salvation froni Philosophie Doiiht. Journ. of Phil.
Psych. and Scient. Meth. 31 Janvier 1907, pp. 57-64.
4. The Pragmatic cure of Douht. Journ. of Phil., P-sych. and Scient.
Meth. 25 Avril 1907, pp. 235-238.
5. .4 Replu to Dr. Schiller. Ibid., pp. 238-243.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE d09
si l'on peut identifier le satisfaisant et le vrai. Si le choix que l'on
demande de faire est raisonnable, c'est-à-dire basé sur des motifs, l'on
fait un appel implicite à la conception usuelle de la vérité. — La discus-
sion porta ensuite sur un autre point. M. Schiller ayant prétendu (1) que
M. Russell avait modifié la thèse soutenue dans un précédent article, en
ce sens que la conformité de la pensée avec un milieu donné ne serait
plus l'unique condition du vrai, mais seulement l'un de ses éléments, ce
dernier fit observer (2) qu'il n'avait pas varié sur ce point que c'est la
partie de la réalité totale qui n'est pas déterminée par l'intention
du sujet qui décide quelle est l'idée vraie. La controverse se termina par
une réplique de M. Schiller ( ) qui louclie à trop de points particuliers
pour pouvoir être résumée ici, et qui affirme de nouveau que pour
le pragmatisme l'idée vraie est une idée qui peut être appliquée par
l'action et vérifiée.
Pendant ce temps W. James répliquait (4)à un article du Prof. Pratt(o)
qui avait dénié au pragmatisme le droit d'admettre, sans se contredire,
qu'une idée est vraie alors qu'elle est seulement « vérifiable ». et
il montrait que la notion de vérité potentielle n'a rien d'incompatible
avec sa propre doctrine. 11 engageait aussi une discussion avec M. John.
E. Russell (6), discussion qui aboutit seulement à montrer que le point
de vue pragmatisle et le point de vue intellectualiste sont irréductibles,
la vérité étant définie d'un côté par la possibilité de vérification, de
l'autre par le simple accord de l'idée et de l'objet, la vérification fût-elle
impossible. Cependant James espérant faire accepter ses idées au
moyen d'explications plus complètes est encore revenu sur ce sujet (7).
La conception pragmatiste de la vérité est concrète, elle signale
tous les intermédiaires empiriques entre l'idée et l'objet. L'insuffi-
sance est du côté de la théorie intellectualiste qui est abstraite. Le
reproche de subjectivisme n'est nullement fondé; le pragmatisme
lient compte de tous les éléments objectifs de la question.
M. Ralpd. Barton Perry (8) a fait une intéressante critique de l'épis-
témologie pragmatiste dans un article intitulé." A Itevieu- of Pragmaiism
as a Theorii of Knowledge. Il accorde que toute connaissance est
relative à une intention particulière de connaître, pourvu qu'on laisse
à ce principe toute sa généralité et qu'on ne l'entende pas d'intentions
purement utilitaires. Il reconnaît aussi que la preuve de la vérité d'une
connaissance quelconque doit être contenue dans le processus même
1. Pragmaiism versus Skepticism. J. of Fh., Ps. and Se. Meth.. 29 Août
1907, pp. 482487.
2. A Last Word to Dr. Schiller. Ibid., pp. 847490.
3. ritima Baiio ? Ibid., pp. 491494.
4. Prof essor Pratt on TrutJt. J. of Phil. etc.; 15 Août 1937, pp. 464-
467.
5. Trutfi and its Vérification. J. of Phil, pp. 320-324.
6. Confrorersy -aboiit Truth. Journ. of Phil etc., 23 Mai 1907, pp. 289-
296.
7. A Word More Abont Truth. Jour», of Phil. 18 Juillet 1907. pp.
396-406.
8. .7. of Phil, 4 Juillet 1907, pp. 365-374.
1 10 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
qui engendre cette connaissance ; mais il refuse de voir dans la satis-
faction qu'elle procure, l'élément essentiel de la vérité. C'est parce que
l'idée coïncide avec le réel qu'elle est satisfaisante, et la satisfaction
n'est qu'une conséquence de la vérité.
En deliors des travaux de langue anglaise, signalons un exposé très
consciencieux du pragmatisme et de l'humanisme par le P. Marcelino
ÂRNAiz(l). Il reproche à ces doctrines de méconnaître les tendances
spéculatives de notre esprit et de substituer aux attraits de l'idéal
l'impulsion des instincts aveugles de l'individu. Le pragmatisme, quant
à la forme, est plus voisin de Kant que de l'empirisme anglais.
Dans une série d'articles publiés sous le titre de fiole de la \ olonté
dans la Connaissance (T), M. Labeyrie expose et critique successivement
les principales théories volontaristes contemporaines. Il y a beaucoup de
choses dans ce travail qui témoigne de lectures étendues et qui se distin-
gue par une fidélité constante aux conceptions traditionnelles, mais la
forme souvent verbeuse et déclamatoire, nuit beaucoup à la clarté des
exposés et à la valeur des considérations critiques. Comme ces articles
paraissent destinés à être réunis en volume, je me réserve d'y revenir
et me contente d'indiquer ici le jugement de M. Labeyrie sur le Prag-
matisme et l'Humanisme. Le vice fondamental de ces doctrines est
l'allirmation de l'évolution universelle et indéfinie qui enlève tout point
fixe et rend impossible toute certitude absolue.
J'ai déjà essayé dans un récent article (3), de déterminer la part de
vérité que le pragmatisme et l'humanisme me semblaient contenir ;
on pourra s'y reporter. Je veux seulement noter ici que certaines
objections faites au pragmatisme (p. ex. : l'existence de faits désagréa-
bles qui s'imposeraient à la connaissance) doivent prendre une nouvelle
forme pour garder toute leur force. Une analyse très soigneuse de la
notion de « valeur » fournirait, je crois, les meilleurs éléments d'une
critique sérieuse de la théorie fonctionnelle de la connaissance.
Nous assistons en ce moment à la renaissance du réalisme (4) qui,
pour être moins bruyant dans ses manifestations que le pragmatisme,
ne tardera pas sans doute à attirer l'attention qu'il mérite, ne fût-ce
que comme réaction contre le dogme idéaliste régnant. Les principaux
représentants de l'école néo-réaliste sont, en Angleterre, MM. C. E. Moore
et M. Bertrand Russell, en Amérique, MM. W. T. Montagne, L. B. Me
Gilvary et J. E. Boodin. Comprenant combien il était difficile de faire
accepter les doctrines qu'ils tentent de faire revivre, ils ont commencé
par écarter ce qu'ils considèrent comme de fausses conceptions du
réalisme et par combattre les arguments que l'idéalisme lui oppose.
1. Fragmatismo y Humanismo. Paru d'abord dans la Cultura Espanola.
Mai 1901, pp. 616-627 et Août 190 ^ pp. 8.55-S67; reproduit dans La du-
dad de Dios, 20 Septembre et 5 Oct. 1907, pp. 89-102 et 191-204.
2. La Science Catholique, Juin, Juillet, Août, Septembre, Octobre, Novembre
1906. Bévue des Sciences Ecclésiastiques et La Science Catholique. Décembre
1906, Janvier, Février, Mars, Avril, Mai 1907.
3. Cf. Bévue des Sciences Philos, et Théolog. Juillet 1907, pp. 433-418.
4. Je parle du réalisme dans cette section, car ainsi que toutes les doc-
trines qui naissent ou renaissent actuellement, il a commencé par se placer
sur le terrain de l'épistémologie.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 111
Dans un article intitulé Currenl Misconcepiions of Realism (1),
M. Montagne constate le renouveau du réalisme et relève les erreurs
que les idéalistes commettent à son sujet. Ils le confondent avec un
triple dualisme dont il est pourtant indépendant en soi. Ils l'identifient
d'abord avec le dualisme psycho-physique ou épiphénoménisme qui
considère la conscience comme un phénomène superllu^ incapable
d'avoir un effet, d'introduire des difîérences dans le monde des objets.
En second lieu, ils voient en lui un dualisme métaphysique pour lequel
les objets sont absolument transcendants à la connaissance et ne pos-
sèdent aucune des qualités que nous leur attribuons. Enfin, ils le
considèrent comme un dualisme épistémologique où la seule connais-
sance directe qui nous soit accordée est celle de nos idées qui sont
numériquement distinctes, comme phénomènes, des objets qui en sont
inférés. Sans doute, ces doctrines ont été soutenues par des réalistes,
mais le réalisme ne les implique pas. Il consiste essentiellement dans
cette affirmation que les objets sont indépendants, au moins partielle-
ment, vis-à-vis de la connaissance. Cela n'exclut pas une influence
indirecte de la connaissance sur les objets, sous la forme de réaction
subséquente ; cela n'entraîne pas non plus l'agnosticisme, car il n'y a
aucune absurdité à supposer que l'objet ne change pas de nature en
entrant dans le champ de la conscience. Enfin, contrairement à ce
qu'imaginent les idéalistes, le réalisme s'accommode d'une épistémo-
logie moniste. Pourquoi la pensée en serait-elle réduite à ne connaître
qu'un substitut de l'objet, au lieu de s'étendre jusqu'à l'objet lui-même,
si éloigné qu'il soit dans le temps ou l'espace ?
The FhysioJogical Argument against Realism (2) est une vigoureuse
critique de M. Me Gilvary contre le principal argument des idéalistes,
l'argument physiologique. Du fait que, selon la science et le sens
commun, les organes des sens et le système nerveux sont les intermé-
diaires obligés de la sensation, on a généralement conclu que nous ne
percevions que nos propres modifications et non les qualités d'objets
indépendants. Mais s'il en est ainsi, la perception du cerveau est tout
aussi subjective que celle du monde extérieur et alors l'argument
physiologique disparait. En effet, lorsque nous avons la sensation
d'une qualité, nous n'avons pas conscience du phénomène cérébral
que l'on suppose être sa condition, ce phénomène n'existe donc pas
en vertu même de la conception idéaliste, suivant laquelle être c'est
être perçu. Si l'on veut échapper à cette conclusion, il faut admettre
que le phénomène cérébral est réel sans être perçu et dans ce cas le
principe de l'idéalisme est définitivement ruiné. Les contradictions où
tombe ce système viennent de ce qu'il ne distingue pas entre la cons-
cience et ses objets, et pourtant elle s'oppose à eux, comme ce qui reste
qualitativement invariable s'oppose à ce qui est perpétuel changement
de qualités. La seule variation qu'admette la conscience est d'apparaître
et de disparaître. Mais, comment concevoir que nous percevions
actuellement un objet qui n'existe plus dans l'ordre de la nature, si
1. Journ. of Phil. etc., 14 Février 1907, pp. 100-105.
2. Journ. of. Ph. Psg. and Se. Meth., 24 Oct. 1907, pp. 589-601.
112 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
nous prétendons atteindre l'objet lui-même ? Cette dilTiculté, sur laquelle
les idéalistes insistent beaucoup, peut être résolue, si l'on distingue les
relations temporelles des choses entre elles, des relations temporelles
des choses comme objets de conscience. L'étoile disparue des deux n'y
reparaît pas quand elle est perçue, elle reparaît dans l'ordre des objets
de conscience où elle est immédiatement présente. Immédiatement
présent ne veut pas toujours dire présent sans intervalle de temps,
mais aussi présent par soi-même, sans intermédiaire. D'ailleurs, même
au point de vue du temps, il est contradictoire pour un idéaliste d'afïir-
mer que nous percevons un état de l'objet légèrement postérieur à son
état actuel, puisque cet état actuel, n'étant pas perçu, doit être consi-
déré, suivant lui, comme inexistant.
Dans la note qu'il intitule The Anti-Ilealislic » Hou: » ? (1) M. Bernard
C. EwER reconnaît que la conception réaliste est sujette à de nombreuses
difFicultés: p. ex. l'analogie d'une perception fausse et d'une percep-
tion vraie au point de vue de la transcendance, la difTérence de trans-
cendance entre la sensation et l'idée ; mais l'affirmation même de
la transcendance ne doit pas compter parmi ces difficultés. La transcen-
dance constitue un fait irréductible qu'aucune théorie n'a réussi
à expliquer, sinon en ce qui concerne des détails secondaires. Les
antinomies apparentes nous invitent seulement à un exposé plus exact
du fait, mais ne doivent pas nous faire douter de sa réalité.
M. BoDE avait reproché (2) au néo-réalisme de classer parmi les
objets des phénomènes où la conscience entre comme condition d'exis-
tence (émotions, souvenirs, volitions, etc.) et de ne pas fournir un
moyen d'échapper à ces deux alternatives : ou bien les qualités perçues
sont les qualités des objets réels et un objet pourra présenter en même
temps des qualités qui s'excluent, ou bien les qualités perçues sont
distinctes des qualités réelles et nous n'atteignons plus l'objet.
M. MoNTAGUE répondit (3) que pour le réalisme, la conscience, est une
relation entre des ol)jels de la nature. Il n'est pas nécessaire de la
concevoir comme une relation objective, cependant, pour sa part, c'est
ainsi qu'il la conçoit. Il estime qu'en dernière analyse, elle est explicable
en termes d'espace et de temps. Étant objective, la conscience ne
peut enlever leur caractère d'objets aux réalités dans lesquelles elle
entre comme condition. Quant au second point, M. Montagne fait
observer que, s'il n'a pas résolu le problème de la perception, le
réalisme lui a fait faire un grand pas en considérant l'objet perçu et
l'objet pbysique comme étant de même espèce, c'est-à-dire comme
appartenant au même ordre spatio-temporel. Son opinion personnelle
est que les corps sont des centres d'énergies reçues et émises. Ces
énergies, lorsqu'elles atteignent notre système nerveux, s'y changent
en énergies potentielles dont la tension constitue la sensation. Les
sensations, reliées en un système, forment un centre de tension ou
1. J. of. rit. etc., 7 Nov. 1907, pp. 630-633.
2. Btalism and Objectivity. Ibid., 9 Mai 1907, pp. 259-263.
3. Contemvorory Bealism and the Prohhms of Perception. Ibid., 4 Juillet
1907, pp. 374-383.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 113
« moi » d'où leurs divers courants d'énergie sont projetés de nouveau
comme un champ d'objets perceptuels en dehors et en arrière et
réintégrés dans le même espace et le même temps réels où leurs causes
sont situées. Les objets perçus sont donc, au moins partiellement,
identiques en substance aux objets réels. Si leurs qualités subissent un
changement profond lorsque l'énergie passe du milieu physique dans
le milieu physiologique, il faut considérer que notre activilé de per-
ception contribue comme les autres forces à la nature des objets. Toute
apparence est de soi une réalité, mais nous réservons ce nom
d'apparences à des réalités qui n'ont pu s'harmoniser les unes avec les
autres ou avec le système total des objets perçus. Une chose «telle
qu'elle est en elle-même », c'est une chose telle qu'elle est pour l'univers
pris dans sa totalité ; ma perception n'est qu'un point de vue sur
cette chose.
Il y a là déjà un essai de théorie réaliste de la connaissance ; ce sont
aussi les côtés positifs de cette philosophie que M. Me Gilvary essaie de
mettre en lumière dans les deux articles suivants : The Slream of
Consciousness (1) et Prolegomena lo a tentative lîealism (2) Dans le pre-
mier, il se sert des atfirmations de W. James pour établir contre ce der-
nier que le courant de la conscience tombe lui-même sous la conscience,
qu'il est connu par une expérience directe et non pas seulement par
rétlexion. La conscience d'avoir conscience n'apparaît qu'avec la
conscience d'un objet, mais il ne faut pas faire de la conscience un objet
pour elle-même ; la relation qu'elle soutient avec elle-même est une
relation d'un genre unique. Le second article s'efforce d'établir la
légitimité d'un retour au réalisme. Les difficultés opposées par l'idéalisme
disparaissent si l'on identifie l'objet perçu avec l'objet réel, si l'on
n'affirme pas qu'un même objet est en même temps et sous le même
rapport dans la conscience et en dehors d'elle, mais seulement à des
moments divers et sous des rapports différents. L'indépendance de
l'objet vis-à-vis de la connaissance signifie seulement qu'il n'est
pas nécessaire pour lui d'être dans la conscience pour exister et que,
lorsqu'il est dans un esprit, il peut être aussi dans un autre. Le réalisme
apparaît comme possible dès qu'on distingue la sensation de
son objet.
The Neiv Realism (3) est le titre d'un arlicle où M, John E. Boodin
expose sa conception particulière du réalisme. Il écarte d'abord ces
deux sophismes que le semblable seul peut connaître le semblable et
que ce qui n'est pas matériel n'est pas réel ; puis, à l'encontre d'un grand
nombre de philosophes qui ont décerné à « l'immédiat » une véritable
apothéose, il affirme que le réel est l'intelligible ouïe nouménal et
que nous n'en prenons possession que par des constructions concep-
tuelles et par un dessein créateur.
On ne peut que souhaiter le développement[du mouvement néo-réaliste
qui, attaquant des principes considérés comme inexpugnables par
1. Jouru. of FMI etc., 25 Avrif 1907 pp. 225-235.
2. Ihid., 15 Août 1907, pp. 449-458.
3. Journ. of Ph. etc., 26 Septembre 1907, pp. 533-542.
2e Année. — Revue des Sciences. — N° i. 8
114 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
l'idéalisme, rend possible le retour à cerlaines lliéories actuellement
méconnues. Le heurt de ces deux grands courants de la pensée philo-
sophique montrera ce qu'ils ont d'incomplet et meltra en valeur les
ressources du conceplualisme thomiste.
Toutefois, j'estime qu'on se ferait illusion en croyant à un retour
pur et simple auK anciennes positions. Le réalisme n"a retrouvé quelque
faveur qu'en se libérant de certains concepts qui l'entraînaient hors de
sa voie. N'y a-t-il pas là une indication invitant à reprendre le problème
de la connaissance avec une sincère préoccupation de faire face aux
difficultés soulevées par la critique soit idéaliste, soit réaliste et qu'on
ne peut traiter légèrement ?
II. — Systèmes Philosophiques.
Deux ouvrages s'imposent ici à l'attention : L'Lcohilion Créatrice
de M. H. Bergson '^^1) et VEssai sur les tjlémenls Principaux de la Repré-
sentation de M. 0. Hamelin (2), œuvres d'inspiration bien diflërente,
quoiqu'elles offrent çà et là des points de contact, mais remarquables
toutes deux par l'effort soutenu de réflexion dont elles témoignent. Je
vais essayer d'en mettre en relief les idées principales en suivant l'ordre
des chapitres.
M. Bergson a voulu dans son livre proposer une théorie de la vie
fondée sur la théorie de la connaissance que ses précédents travaux
ont rendue familière aux philosophes. Je crois utile, tout d'abord, de
donner le plan de l'ouvrage tel que l'auteur lui-même le trace: « Dans
un premier chapitre, nous essayons au progrès évolutif les deux
vêtements de confection dont notre entendement dispose, mécanisme et
finalité ; nous montrons qu'ils ne vont ni l'un ni l'aulre, mais que l'un
des deux pourrait être recoupé, recousu, et, sous cette nouvelle forme,
aller moins mal que l'autre. Pour dépasser le point de vue de l'entende-
ment, nous tâchons de reconstituer, dans notre second chapitre, les
grandes lignes d'évolution que la vie a parcourues à côté de celle qui
menait à l'intelligence humaine. L'intelligence se trouve ainsi replacée
dans sa cause génératrice, qu'il s'agirait alors de saisir en elle-même et
de suivre dans son mouvement. C'est un effort de ce genre que nous
tentons, — bien incomplètement, — dans notre troisième chapitre. Une
quatrième et dernière partie est destinée à montrer comment notre
entendement lui-même, en se soumettant à une certaine discipline,
pourrait préparer une philosophie qui le dépasse. Pour cela, un coup
d'œil sur l'histoire des systèmes devenait nécessaire, en même temps
qu'une analyse des deux grandes illusions auxquelles s'expose, dès
qu'il spécule sur la réalité en général, l'entendement humain » (3).
De V Evolution de la Vie — Mécanisme et Finalité. — La discontinuité
1. Paris, Alcan, 1907. 2me édit. 1 vol in-8o de VIII-404 p.
2. Paris, Alcan, 1907. 1 vol. in-8o de IV-476 p. Cet ouvrage est une thèse
soutenue en Sorboune le 29 avril 1907. M. Hamelin était "chargé de cours
à la Sorbonne; une mort prématurée vient d'enlever à la philosophie fran-
çaise ce penseur si distingué.
3. Êvdl. Créât., pp. VII-VIII.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 115
apparente de la conscience est une illusion due à la discontinuité des
actes d'attention. La vie intérieure est durée, c'est-à-dire changement
continu ; le passé se conserve tout entier pour la volonté, aussi la durée
est-elle irréversible et chaque état nouveau est une création. « Pour un
être conscient, « exister » consiste à changer, changer à se mûrir, se
mûrir à se créer indéfiniment soi-même. » (1) Telle est la vie ainsi que
nous la trouvons en nous. Les corps inorganiques, sous la forme où
nous les percevons et les systèmes clos comme les construit la science,
ne sont pas susceptibles de durée, mais ils le deviennent si on les réin-
tègre dans le tout où ils ont été découpés. Le corps vivant est isolé par la
nature elle-même, bien que son individualité ne soit pas parfaite. Le
vieillissement qu'il subit est l'effet de la même poussée qui a développé
l'embryon. Tandis que pour un corps brut, l'état présent peut s'expli-
quer par les conditions qui précèdent immédiatement, l'état présent
d'un corps vivant dépend de tout son passé. Aussi l'évolution de la vie
a-t-elle beaucoup de rapport avec celle d'une conscience et elle apparaît
également comme une création. Des deux systèmes qui se présentent
comme des interprétations du progrès évolutif, le mécanisme radical et
le fînalisme radical, aucun n'est satisfaisant, car leur commun défaut
est de n'accorder au temps aucune influence réelle. Cependant le
fînalisme, plus souple, pourrait être utilisé si l'on ne s'en servait que
pour l'explication du passé. Chacune des formes de la théorie évolu-
tionniste n'est qu'un point de vue particulier sur la réalité totale
et il importe de s'en faire une idée plus compréhensive, bien que forcé-
ment plus vague. Cette représentation plus complète nous est fournie
par la notion d'un « élan originel » passant de germe en germe à
travers les organismes et constituant la cause profonde des variations
régulièrement transmises.
Les Directions divergentes de l'évolution de la vie. Torpeur, intelli-
gence, instinct. — Les directions divergenles suivant lesquelles la vie
s'est développée ne sont dues ni à l'adaptation, qui en explique seule-
ment les «sinuosités», ni à la réalisation d'un plan tracé d'avance;
elles ont leur cause dans la nature même de la vie qui est une tendance
aux virtualités multiples. L'harmonie entre les organismes, harmonie
d'ailleurs relative, provient de l'état indistinct de toutes ces virtualités
dans l'élan primitif. Il ne faut donc pas chercher à distinguer les divers
règnes par des caractères absolument difTérents ; ce qui les sépare,
c'est bien plutôt le développement ou la régression de certaines ten-
dances communes à l'origine. Ainsi, tandis que la plante est tombée dans
une torpeur presque complète, qu'elle puise ses aliments directement
dans le sol, qu'elle a perdu la mobilité et par suite la conscience,
l'animal paraît organisé tout entier pour le mouvement et pour l'action.
Dans le règne animal, le développement de la vie s'est fait suivant deux
voies divergentes, l'une conduisant à l'instinct, l'autre à l'intelligence.
Il y a ici une diff"érence de nature et non pas de degré, et cette diffé-
rence peut être nettement définie, tant au point de vue de l'action qu'à
celui de la connaissance. Sous le premier rapport, l'instinct est « la
1. nid., p. 8.
11"6 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
faculté d'utiliser et même de construire des instruments organisés »,
rinlelligence est « la faculté de fabriquer et d'employer des instruments
inorganisés ». Sous le second, l'instinct est la connaissance innée des
choses, l'intelligence la connaissance innée des rapports, Tun est seul ca-
pable de trouver ce que l'autre est seule capable de chercher. C'est de la
destination primitive de l'intelligence que découlent tous les caractères
qui la distinguent, sa puissance vis-à-vis des objets matériels, son
aptitude à se représenter le discontinu, l'immobile, à décomposer et à
recomposer des ensembles et, d'autre part, son incapacité radicale à
comprendre la vie. L'instinct, au contraire, est en union intime avec la
vie et nous en livrerait le secret s'il pouvait réfléchir sur lui-même et
étendre son objet. Il deviendrait alors <■ l'intuition» et nous mettrait en
contact immédiat avec le réel. Ces considérations sur les orientations
divergentes de la vie montrent qu'il ne faut pas concevoir ses formes
inférieures comme des échelons par lesquels elle a atteint l'intelligence,
mais comme des poussées dissociées de l'élan originel, qui n'ont
abouti que dans une seule direction. On peut regarder la vie comme
« un courant de conscience » qui, pénétrant dans la matière et cherchant
à l'organiser, aurait échoué plus ou moins partout, excepté dans la voie
conduisant à l'humanité, où il a complètement réussi.
De la signification de la vie. V ordre de la nature et la forme de rinlelli-
gence. — Ni la psychologie, ni la métaphysique ne nous ont fait voir
jusqu'ici comment « s'engendre » l'intelligence, car la psychologie, dans
ses explications, suppose l'intelligence humaine déjà donnée dans l'ani-
mal sous une forme rudimentaire, et les diverses métaphysiques sont
fondées sur le principe de l'unité de la nature et sur la croyance à
l'aptitude naturelle qu'aurait l'intelligence à embrasser la réalité totale.
Il faudrait, au contraire, replacer l'intelligence dans le milieu d'où elle
est sortie et montrer comment elle en est sortie. Si l'on invoque l'impos-
sibilité d'engendrer l'intelligence sans l'intelligence même, la diiricullé
peut être levée en montrant que le cercle vicieux où s'enferme l'enten-
dement peut être brisé par l'action. Les constructions de la science
positive doivent subir une correction métaphysique. Si l'on se place é
ce dernier point de vue, la spiritualité et la matérialité apparaissent
comme deux processus de sens opposé et l'on passerait de l'un à
l'autre par inversion ou interruption, ce qui revient au même dans le
cas présent. L'intelligence va dans la direction de la matérialité, elle
va même plus loin en ce sens que la matière elle-même, car la matière
est imparfaitement étendue, tandis que l'intelligence conçoit l'espace
pur. Celle-ci tend à la géométrie dans toutes ses opérations et ce qui fait
que l'intelligence réussit dans une certaine mesure, en formulant les
lois du monde physique, c'est que le mouvement constitutif de la maté-
rialité est analogue au sien et que la matière n'est pas soumise à un
système défini de lois mathématiques (1). La croyance à un ordre
1. Il est intéressant de signaler ici une analogie avec les théories de
Schiller sur la production de la réalité dont rous parlons plus loin. Le
monde physique est présenté par les deux penseurs conune indéterminé dans
une mesure qu'on ne saurait fixer, mais tandis que pour Bergson le succès
BULLETIN' DE PHILOSOPHIE 117
positif de lanalure provient de la présence en nous de l'idée de désordre,
c'est-à-dire de l'absence de tout ordre ; mais c'est là une pseudo-idée.
Désordre signifie en réalité absence d'un ordre qu'on s'attendait à
trouver, et non absence de tout ordre. 11 y a deux ordres dans la nature :
Tordre vital et l'ordre géométrique, et c'est parce qu'ils sont mêlés dans
l'expérience que nous nous formons l'idée d'un ordre général de la
nature et que nous confondons les lois de la matière inorganique avec
les genres des êtres vivants. La vie est une poussés ascendante que la
matière, courant inverse, retarde dans sa marche et arrête même ça et
là ; c'est une accumulation progressive d'énergie qui tend à une variété
de plus en plus grande d'actes libres.
Le mécanisme dnémalographique de la pensée el Villusion mécanistique.
Coup d'œ'il sur ihhloire des sf/stèvies. Le devenir réel et le faux évoiu-
tionnisme. — Pour achever de frayer la voie à la nouvelle métaphysique, il
reste à dissiper deux illusions théoriques : celle qui consiste à confondre
avec la durée des séries d'états que nous en avons détachés, et celle qui
fait de la réalité une création absolue qui vient remplir un vide.
Pour commencer par cette dernière, l'idée d'un néant total qui serait
antérieur au réel, est une idée contradictoire ; car, si l'on peut se repré-
senter, soit un néant de perception interne, soit un néant de perception
externe, on ne peut imaginer la suppression simultanée des deux. La
représentation du vide inclut deux éléments : l'un intellectuel, une idée
plus ou moins nette de substitution ; l'autre émotionnel, un désir ou un
regret éprouvé ou imaginé. L'intelligence ne conçoit le vide que sous
Tinfluence du désir ou du regret et elle transporte cette idée du domaine
de l'action dans celui de la spéculation. Cette analyse de l'idée de néant
permet de conclure « quune réalité qui se suffit à elle-même n'est pas
nécessairement une réalité étrangère à la durée » (1). Et ceci amène à
examiner la seconde illusion. L'intelligence étant faite pour l'action
cherche dans le devenir des points d'appui qui lui permettent de se
poser au moins provisoirement. Elle est ainsi conduite à concevoir des
qualités distinctes, des corps aux contours nettement tranchés, des
actes discontinus. Pour se représenter la vie, elle se sert d'un procédé
analogue à celui du cinématographe et déroule une série de vues
partielles de la durée sur un mouvement impersonnel et abstrait. Cette
méthode peut suffire pour l'action, mais elle engendre en métaphysique
des problèmes insolubles qui ne sont que des pseudo-problèmes, comme
les arguments de Zenon. Ces arguments tombent d'eux-mêmes quand
on se place au point de vue de l'intuition. Le chapitre se termine par
une revue des principaux systèmes à la lumière des considérations qui
précèdent. Comme il en a été parlé dans le bulletin d'Histoire de la
Pliilosophie, je n'y reviens pas ici (2).
On trouvera dans une étude critique de M. L. Weber une analyse de
l'ouvrage beaucoup plus développée que celle que j'ai pu donner ici
de l'intelligence vient de ce qu'elle est « accordée » sur la matière et ré-
ciproquement, pour Schiller, ce succès tient uniquement à la plasticité du
monde.
1. P. 323.
2. Cf. Revue des Sciences PJtil- et Théol., octobre 1907, pp. 735-738.
118 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et en même temps des remarques fort intéressantes sur les théories
qu'il contient (1). La différence entre l'inorganique et l'organisé n'est
peut-être pas aussi profonde que M. Bergson le prétend ; le cristal n'a-
t-il pas une sorte d'individualité comme l'être vivant? Les considé-
rations finalistes ne peuvent être aussi aisément écartées qu'il le dit
et elles réapparaissent à chaque instant dans ses propres raisonnements.
L'intelligence a été sans doute à l'origine une faculté de fabrication,
mais elle a su s'affranchir peu à peu de ce rôle servile et ses princi-
pales découvertes sont dues en grande partie à cette libération. La
physique dont les progrès nous font déplus en plus percevoir le mouve-
ment dans le monde et nous révèlent que la matière est loin d'être
inerte, n'a pas eu, pour en arriver là, à changer ses procédés essentiels ;
il n'y a donc pas à l'opposer à l'intuition.
Une observation analogue à cette dernière critique a été faite par
M. É. BoREL (2) en ce qui concerne l'idée que M. Bergson se fait de
l'intelligence géométrique. Cette idée, « adéquate à l'intelligence
géométrique des Grecs », ne l'est plus à l'intelligence géométrique
actuelle qui est « beaucoup moins rigide et beaucoup plus vivante » (3).
Ces critiques sur la rigidité que M. Bergson attribue à l'intelligence
me semblent fort justes. L'intelligence est-elle donc cette pièce méca-
nique au fonctionnement uniforme, qu'il a démontée devant nos yeux,
d'un tour de main si sûr? N'est-elle pas plutôt elle-même quelque
chose de vital, communiquant sans cesse avec les autres activités de la
vie ? Ne puise-t-elle pas à chaque instant dans l'intuition, pour nous
révéler ce que celle-ci ne présente que d'une manière confuse ? Peut-
être pourrait-on reprocher à cette philosophie nouvelle, bien que cela
semblât paradoxal, d'abuser de l'abstraction ; n'est-ce pas, en effet, par
une abstraction continuelle exercée sur les données que présente la
conscience actuelle, que l'on prétend retrouver les éléments intuitifs et,
parce qu'elle est dirigée en ce sens, l'abstraction, devenue inconsciente,
en serait-elle pour cela moins dangereuse ?
De la métaphysique de l'intuition, nous passons avec M, Hamelin à
une philosophie purement notionnelle. L'Essai sur les Eléments Princi-
paux de la Représentation n'est pas une œuvre exclusivement critique,
comme on pourrait s'y attendre; elle est au contraire essentiellement
constructive. Le caractère « ultra-abstrait» de l'ouvrage, pour employer
une expression de l'auteur, rend nécessaires quelques explications préa-
lables. Le point de vue adopté est celui de l'idéalisme phénoménisle
absolu, rejet de toute chose en soi, réduction des êtres à des groupes
de relations. La méthode est synthétique. Au lieu de partir du donné
psychologique afin d'en distinguer les éléments au moyen de l'analyse,
on recherche tout d'abord, par une abstraction poussée à la dernière
limite, la notion la plus simple et l'on y ajoute par le jeu de la dialec-
tique des déterminations successives qui acheminent peu à peu vers la
1. Bcvuc de Met. et de Mor., Sept. 1907, pp. G20-670.
2. L'Évolution de l'Intelligence géométrique. Ibid., Nov. 1907, pp. 747-
754.
3. Ibid., p. 747.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE M9
plénitude du concret cet élément si pauvre à l'origine. Le concret est
en effet conçu comme l'épanouissement de l'abstrait, il n'y a entre eux
aucun abîme et à cet égard la philosophie de M. Hamelin se pi-ésente
comme un rationalisme absolu pour lequel il n'y a pas, en soi, de mys-
tère. Le ressort de sa dialectique est la relation avec ses trois moments :
thèse, antithèse et synthèse, et l'on aperçoit facilement le rapport de
cette métaphysique avec celle de Hegel. Elle en diffère toutefois, parce
qu'ellese fondesur l'opposition de contrariété et non sur celle de contradic-
tion qui ne peut se produire que lorsque l'être est complet et encore
en ce qu'elle se donne comme une philosophie de l'entendement et
du fini. Elle vise à satisfaire la raison et aussi « au besoin, la con-
science chrétienne » (1).
Voici, très sommairement décrites, les étapes successives par
lesquelles la notion primitive arrive à s'égaler au concret.
Relation. — L'élément le plus simple est la relation pure, la relation
sans aucun contenu. La thèse et l'antithèse ne s'excluent que comme
moments d'un même genre et elles se concilient dans la synthèse.
Nombre. — Le nombre se présente ensuite comme un rapport déjà spé-
cifié. «Le nombre est le rapport oîi l'on pose que l'un est sans l'autre « (2).
Il forme l'antithèse du rapport pur où l'interdépendance domine. Le
nombre ne se fonde ni sur l'espace, ni sur le temps ; il leur est anté-
rieur et s'applique par conséquent à l'inétendu et à l'intemporel. La
nouvelle analyse n'a pas conduit à une notion plus générale du nombre ;
on peut donc faire usage, en métaphysique, de la notion ordinaire.
Temps. — Le temps est « une quantité continue, se développant
en une série irréversible, simple et unique » (3). Le temps est la
synthèse de la relation et du nombre. Il est antérieur au mouvement,
bien que ce dernier lui serve de mesure, antérieur aussi à la qualité et,
sur ce point, M. Hamelin s'oppose nettement à la conception bergso-
nienne. Si le temps était qualité pure, il serait impossible qu'il y eût
en lui succession, car la succession est essentiellement quantitative. Le
temps est réel, car c'est un concept et non une intuition, comme le
voulait Kant.
Espace. — L'espace est une « quantité oîi les parties ne s'excluant
qu'en un certain sens, se présentent en séries simultanées, réversibles
et multiples » (4). L'espace est l'antithèse du temps ; comme lui, il est
concept et non intuition. On peut continuer d'en emprunter la notion
à l'espace euclidien, malgré l'apparition de géométries nouvelles consi-
dérant d'autres espaces.
Mouvement. — Le mouvement, synthèse du temps et de l'espace, est
essentiellement quantitatif. Ici encore la théorie bergsonnienne est
rejetée ; un processus de qualités pures ne peut pas plus constituer le
mouvement que le temps. Le mouvement est un concept ; il n'est
continu que parce qu'il est abstrait et sa continuité ainsi envisagée
\. P. 33.
2. P. 38.
3. P. 52.
4. P. 73.
120 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
n'est pas contradictoire. La relativité du mouvement n'est pas totale et
l'on peut concevoir un mouvement absolu.
Qualité. — La qualité est le simple qui apparaît comme l'antithèse
du composé (mouvement, temps, espace). Sans exclure la composition,
le simple est neutre vis-à-vis d'elle ; la qualité implique pourtant une
espèce de composition qui tient à la relation qui la constitue. IndifTé-
rente à une extension plus ou moins grande, elle est irréductible à la
quantité qui cependant lui sert partout de support et qui se trouve même
en elle idéalement sous la forme de l'intensité.
Altération. — L'altération consiste dans la succession de deux
qualités distinguées par un intervalle. C'est une synthèse du mouve-
ment et de la qualité. L'intervalle n'est pas un temps vide entre deux
qualités ; ce qui fonde l'unité de l'altération, c'est que le contraire
appelle le contraire. Le principe de la relativité joue ici le rôle de la
matière aristotélicienne et d'une façon plus satisfaisante.
Spécification. — Antithèse de l'altération, la spécification est ainsi
définie : « Spécifier, c'est poser un élément [genre^ lui opposer une
détermination Ldifférence] qui lui manque, et, par la synthèse de l'élément
et de cette détermination, former le composé [espèce" » (1). Le genre
est un élément au sens propre du mot, puisque les réalités sont compo-
sées de concepts. Spécifier et composer ne sont qu'une seule et même
opération. L'on peut ainsi éviter les écueils du nominalisme et du réa-
lisme. Les universaux ne sont plus des idées séparées des choses, ce
sont des « moments » des choses, mais celles-ci, d'autre part, ne doi-
vent être conçues que comme des groupes de relations. L'individuation
ne provient pas de la matière mais de la forme.
Causalité. — Elle forme la synthèse de l'altération et de la spécifica-
tion. La causalité est « l'enchaînement nécessaire des phénomènes par
un dynamisme mécanique rationnel » (2). Enchaînement nécessaire,
car une succession uniforme ainsi qu'un antécédent inconditionné ou
une pure harmonie sont insuffisants ; dynamisme, car ce n'est pas une
nécessité vide. La causalité est de plus mécanique, cela « veut dire que
la causalité est uue détermination qui procède du dehors, qu'elle n'a
rien de commun avec une activité léléologique; que, dans la mesure où
l'idéalisme le permet, elle est un enchaînement réel et non pas idéal;
enfin, qu'elle est progressive et non pas analytique » (3). Enfin, la cau-
salité est rationnelle parce qu'elle est fondée sur la corrélation qui est
un rapport aussi intelligible que celui de contenant à contenu. Il y a un
cas où la construction de la causalité est possible, c'est celui de la cau-
salité mécanique proprement dite. On peut alors ramener la force où se
traduit cette causalité à la tension et à la pression qui elles-mêmes se
réduisent à des notions parfaitement intelligibles.
Finalité. — La fin est l'antithèse de la cause, elle n'est donc pas une
cause ; mais son influence sur les phénomènes n'en est pas moins réelle.
Le point d'attache de la finalité dans la causalité est fourni par cela
1. P. 170. J'ai ajouté les mots entre crochets.
2. P. 206.
?,. P. 228.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 121
même que l'efTel comme tel n'est qu'un simple résultat; il y a donc là
une indétermination qui subsiste, car résultat pur, sous certains rapports,
équivaut à résultat fortuit. Si le hasard existait, il serait dû à Findé-
pendance des causes, autrement dit à l'absence de finalité. Qu'un
résultat devienne une fin, cela n'est nullement déterminé par les condi-
tions que présente la cause. La finalité n'est pas hors du temps, comme
le veut Kant ; elle s'exerce toujours dans la conscience, mais la cons-
cience n'en est pas un élément intégrant. La finalité consiste dans l'idée
conçue comme une « organisation qui s'invente elle-même » (1). Elle
n'est pas contingente, mais forme le complément nécessaire du
mécanisme.
Personnalité. — Dernier moment qui aboutit au concret, la person-
nalité est la synthèse de la finalité et de la causalité. L'être, une fois
complet, ne peut plus avoir de relation qu'avec lui-même; cette relation
se traduit par un caractère interne qui est la liberté. La liberté implique
que l'être est pour lui-même ; être « pour soi » constitue la conscience,
synthèse de l'objet et du sujet. La conscience est un élément intégrant
de l'être, elle est coextensive à l'être. La représentation revêt les trois
aspects théorique, pratique et affectif. La pensée théorique provient
d'un arrêt de l'action, car de soi toute pensée incline à l'acte. Le cerveau
n'est pas le sujet, mais l'agent des fonctions psychiques ; d'autre part,
il n'y a pas d'abîme entre l'esprit et le corps, puisque tous les deux sont
de la pensée. L'acte fondamental de la pensée est le raisonnement; le
jugement et le concept n'en sont que des appauvrissements, aussi la
pensée discursive est-elle supérieure à l'intuition. La représentation
pratique pose la question de la liberté. Celle-ci peut se définir : la syn-
thèse de la nécessité et de la contingence. La conscience, naissant du
besoin de choisir, s'identifie ainsi avec la liberté. Le primat appartient à
la représentation pratique, mais l'intelligence ne dérive pas de la volonté.
La représentation affective est tlécrile comme le moment de la repré-
sentation oîi l'objet est pour ainsi dire fondu dans le sujet. Le plaisir
est corrélatif de l'activité, il s'explique par la tendance. A la fin de ce
chapitre, M. Hamelin aborde le problème de la réalité première qu'il ne
fait qu'effleurer. 11 se rallie au théisme malgré les difficultés qu'il y
trouve et il en donne une interprétation conforme à son système.
L'élude de M. Cu.\rtier (2) sur l'ouvrage que nous venons d'analyser
est surtout un plaidoyer en faveur de la tentative dialectique si hardie
qu'il présente. Il faut reconnaître que les résultats de cette tentative ont
été heureux sur plus d'un point et qu'ils constituent un excellent correc-
tif aux affirmations de la philosophie intuitionniste concernant l'enten-
dement; mais cela est loin de lever tous les doutes quant à l'eft'icacité
de la méthode. On a beau multiplier les intermédiaires abstraits, la
richesse du réel apparaît encore presque sans proportion avec eux.
Suivre cette méthode de construction totale, c'est attribuer implicitement
à l'esprit humain le pouvoir de créer le monde, car celui-là seul pourrait
en retracer la formation qui l'aurait réellement formé. Quelles que soient
1. P. 324.
2. Eev. de Met. et de Mor., Nov. 1907, pp. 797-820.
122 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIOUES
les insuffisances de la méthode analytique, elle s'impose au moins au
début ; n'étant pas les auteurs de l'univers, il nous faut tout d'abord
l'interroger, si nous voulons savoir ce quil est.
Cette interprétation du monde d'après les donnéesde la science, la phi-
losophie naturaliste prétend nous la fournir. Dans un pelit livre écrit
d'une façon claire et intéressante et intitulé : Les Bases de hi Philosophie
Naturaliste (1), M. André Cresson a voulu « faire un exposé de vulgari-
sation, court, impartial, accessible à tous, des principes les plus fonda-
mentaux sur lesquels repose » (2) cette philosophie. Sans se donner
comme l'un de ses adeptes, il a jugé utile de faire connaître ce système
comme l'un des grands points de vue auxquels on peut considérer
le monde. Après avoir esquissé dans un premier chapitre (L'ancien
Anthropomorphi.sme) la philosophie du moyen âge, géocentrique,
anthropocentrique et finaliste, il montre dans le suivant (Le Monde
Inorganique et la Science) comment les découvertes astronomiques
de Galilée, Kepler, Newton, ont détruit la conception géocentrique;
comment aussi, par une conséquence naturelle, l'idée anthropocentrique
a été condamnée à disparaître. Elle ne disparut pourtant qu'au
moment oii les sciences physiques, chimiques et biologiques lui
portèrent le dernier coup. Le monde s'est révélé alors comme soumis à
un déterminisme inflexible ; on a pris conscience de l'écait immense qui
existe entre les forces de la nature, les objets réels et les représentations
que nous en avons et l'on a été amené à concevoir la réalité dernière du
monde physico-chimique, comme « une force aveugle et de quantité
constante agissant soit seule, soit sur des atomes, sans but et sans cons-
cience, suivant des lois exclusivement mécaniques « (3). Cependant cette
idée qui n'est pour le savant qu'une hypothèse commode et que le natu-
ralisme transforme en affirmation catégorique, semble se heurter à des
difficultés insurmontables quand il s'agit d'expliquer les phénomènes de
la vie (ch. m, la Vie et la Science). Apparemment la tînalité est partout
dans le domaine de labiologie : les organes paraissent faits les uns pour
les autres et la conservation de l'individu paraît leur but dernier. Toute-
fois, le naturalisme, fort de cette constatation qu'un grand nombre de
faits vitaux sont susceptibles d'être expliqués par les lois physico-
chimiques, ne veut voir que des résultats dans ce que l'on prend pour
des fins. Les théories de Lamarck et de Darwin lui ont fourni de pré-
cieux arguments en montrant que l'adaptation n'est pas l'efTet d'une
intention, mais qu'elle résulte automatiquement du jeu de certaines
lois, comme celles de la sélection naturelle et de la réaction de la fonc-
tion sur l'organe. Les expériences de Fasteur, toutes significatives
qu'elles soient pour l'état présent du monde, ne tranchent pas la ques-
tion de l'origine de li vie. L'impossibilité de produire la vie en partant
des éléments inorganiques tient peut-être seulement à ce que nous ne
pouvons réaliser toutes les conditions dans lesquelles la vie aurait
primitivement apparu.
1. Paris, Alcan, 1907. 1 vol. in-16 de 111-178 p.
2. P. I.
3. Page 39.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 123
Non seulement celte difficiillé ne décourage pas le naturalisme dans
sa tentative d'explication raécaniste, mais il s'efforce encore de l'étendre
à l'esprit de l'homme (cli. iv, L'Esprit et la Science) et aux sociétés
(ch. V, La Société et la Science). L'homme n'est une exception dans la
nature, ni par son intelligence dont on retrouve les traits fondamentaux
chez certaines espèces animales, ni par sa volonté dont la liberté n'est
qu'une illusion. L'évolution suffit à expliquer la présence chez. l'homme
de certaines facultés, comme les aptitudes scientifique et métaphysique,
la moralité, etc. Les phénomènes mentaux dépendent si étroitement
des modifications cérébrales que l'on peut considérer celles-ci comme
leurs causes. Les sociétés, comme les individus, sont le produit des
races qui les forment, du milieu oi^i elles vivent et du moment où
elles apparaissent. L'influence que l'on voudrait attribuer dans la cons-
titution et le développement des sociétés à la délibération, aux inven-
tions, aux idées, est illusoire, puisque ces phénomènes loin d'être des
causes sont plutôt des résultats. On peut considérer (ch. vi, Conclusion)
la philosophie naturaliste comme une hypothèse séduisante par sa
simplicité ; mais si elle compte parmi les conceptions les moins inco-
hérentes, elle ne pourra cependant jamais être qu'une croyance
comme tout autre système.
Je n'ai pas à apprécier ici les théories exposées par M. Cresson
puisqu'il ne les présente pas comme siennes, je ferai seulement
remarquer qu il a peut-être exagéré les probabilités du naturalisme et
que la critique des sciences a rendu problématiques un grand nombre
de résultats que cette philosophie considérait comme certains. (1)
On en trouvera une preuve dans l'opuscule un peu confus mais très
suggestif de Sir Oliver Lodge : la Vie et la Matière (2). Le monisme ma-
térialiste de Haeckel y est particulièrement visé. Cette doctrine philoso-
phique aie tort de négliger ou d'estimer au-dessous de leur valeur cer-
taines catégories de faits qui ne cadrent pas avec ses lignes générales.
Son principe fondamental, la loi de substance, n'est qu'une expression
des deux lois combinées de la conservation de l'énergie et de la conser-
vation de la matière. La première de ces lois n'a pas l'universalité qu'on
voudrait lui donner et quant à la seconde qui pourrait s'appeler aussi
bien loi de constance de l'inertie, elle est sujette à correction. En effet,
l'inertie n'est pas un élément invariable, elle augmente avec la vitesse
et avec la distance des électrons. Ce qu'il y a de juste dans la loi de
substance, c'est l'affirmation de la persistance, non d'une forme ou
d'une autre du réel, mais du réel lui-même. Haeckel n'arrive à faire
sortir la vie de la matière qu'en dotant la matière des attributs qu'il
s'agit d'expliquer. L'idée de Dieu qu'il propose est trop inférieure pour
satisfaire, sinon çà et là quelques individus, au moins l'humanité en-
tière. 11 se peut que l'esprit et la matière ne soient sous des formes su-
périeures que les deux aspects d'une même réalité, mais cela n'est pas
1. Le R. P. De Munnynck a très bien montré que les bases de la philosophie
niécaniste étaient plutôt psychologiques que cosmologiques. Cf. Eev. des Bc
PJii'. d Théol., janv. 1907, pp. 1-19.
2. Traduit de l'Anglais par J. Maxwell. Paris, Alcan, 1907. 1 vol in-16
de 148 p.
124 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
vrai de Tespril dont nous avons conscience et de la matière que nous
connaissons. Le cerveau n'est pas forcément la cause des phénomènes
psychiques, il peut en être simplement Finstrument. Quand même on
arriverait à produire la vie dans un agrégat moléculaire complexe, il ne
serait pas prouvé par là même que la vie n'est pas immatérielle. La vie
est « en dehors des catégories de la matière et de l'énergie, quoiqu'elle
puisse diriger ou contrôler les forces mécaniques, les régler et déter-
miner les points d'application ; elle est toujours soumise aux lois méca-
niques, elle complète ces lois ou s'y associe, sans jamais les contrarier
ou les traverser (1). »
Signalons ici un exposé du monisme envisagé d'un point de vue plus
large dans un article de M. P. i^ Cvcue : F lude sur le Monisme C^).
Le Monisme y est défini « la conception unitaire de la nature et de l'es-
prit », ce qui inclut les deux solutions matérialiste et idéaliste. Cette
conception philosophique est caractérisée par la loi d'immanence qui
énonce l'unité de la réalité dernière à la fois force et pensée d'où tout
dérive par évolution. La notion de cette réalité unique à deux aspects
permet le passage subreptice du physique au mental et réciproquement,
qui est la grande ressource de la dialectique moniste. Quant aux « uni-
tés dynamiques » oîi se particularise le grand courant de « l'évolution
autonome», trois entre autres ont été proposées: la cellule pensante,
l'idée-reflet et l'idée-force. Un coup d'oeil sur l'histoire des systèmes
fait découvrir sans peine les racines du monisme sous les deux formes
qu'il a prises.
W. James, dans le livre dont nous avons déjà parlé, reprend, au point
de vue pragmatiste, la question de l'un et du multiple dans l'univers (3).
Il constate que, s'il y a dans le monde un certain nombre d'éléments
d'unification dont il passe en revue les principaux, son unité est loin
d'être parfaite. Pour le pragmatisme, le monde est un, exactement dans
la mesure ori ses parties sont reliées par quelque connexion définie, il
est multiple exactement dans la mesure oîi quelque connexion détlnie
fait défaut ; aussi, le monisme étant absolu par nature, le pragmatiste se
rallie au pluralisme.
Passant de l'épistémologie à la métaphysique, M. Schiller nous
donne quelques indications sur la réalité telle qu'il la conçoit, dans son
XIX** Essai : Jlie Making of Healily (4). Du fait que nous produisons la
vérité et la réalité subjectives, nous ne pouvons pas immédiate-
ment conclure que la réalité objective est également un produit de
notre connaissance. Il faut bien distinguer, en effet, entre les cas
oîi le réel est produit et celui oîi il est seulement découvert, et,
par ailleurs, l'humanisme a reconnu la nécessité d'un point de
départ de la connaissance. Mais ce n'est pas là le point de vue définitif.
On peut considérer la réalité initiale comme une simple potentialité
et ne chercher l'absolu que dans lavenir. Nous observons que des
1. P. 120.
2. Bcvue de Phihso-phie, 1er Août 1907, pp. 117-154.
3. Pragmatism. Lecture IV. The One And The Many, pp. 127-162.
4. Studies iti Htoiiariism, pp. 422-451.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 125
changements s'opèrent dans nos semblables et chez les animaux
supérieurs, lorsqu'ils ont conscience que leurs actions ou les
phénomènes de leur vie intérieure sont connus de nous. Pourquoi ne
pourrait-on pas supposer que notre connaissance introduit des modifi-
cations analogues dans ces domaines de l'univers que nous regardons
comme plongés dans l'inconscience ou privés d'organisation ? Si cela
paraît étrange, c'est que nous avons de la connaissance une idée beau-
coup trop étroite. Les choses nous connaissent à leur manière dans le
plan où nous les rencontrons et nous répondent par leur résistance, leur
pesanteur, etc. II n'est donc pas impossible que notre action contribue
à la formation de la réalité entière; il y a du moins tout avantage à le
supposer, car c'est l'hypothèse la plus féconde.
C'est l'idée même de réalité que IM. Albert Léon s'applique à définir
dans un article qui porte précisément ce titre : La Notion du Réel (1).
Le point de vue de l'idéalisme absolu y est opposé à la conception sco-
lastique dont on retrouve des traces dans Descartes et Leibnilz et à la-
quelle Kant a donné sa forme définitive. Distinguer, comme le voulaient
ces philosophes, entre l'objet simplement pensé et l'objet pensé comme
réel, c'est-à-dire comme existant, est chose impossible, car la connais-
sance ne peut poser la réalité d'un objet en dehors d'elle-même et, le
pourrait-elle, elle n'aurait aucun moyen de comparer cet élément exté-
rieur à la représentation qu'elle se ferait de l'objet de cette réalité.
Penser un objet, pourvu qu'on le pense adéquatement, c'est le penser
comme existant. Le problème est donc de savoir comment la pensée ne
considère pas tout comme réel et acquiert la notion de la possibilité et
de l'erreur. Il faut en chercher la solution dans la nature de la pensée
individuelle qui procède par voie de sélection et d'organisation pro-
gressive, et qui est amenée a concevoir comme irréel ce qui n'est pas en-
core systématisé. Les notions de réalité et d'irréalité dérivent à la fois
des lois de notre pensée comme pensée et de cette même pensée comme
pensée humaine.
Un opuscule du D"" J. Compagnion nous présente les deux premiers
chapitres d'une Critique thomiste du Thomisme (2). L'erreur des
thomistes est d'affirmer que toute réalité estinfinieou finie, sans songer
qu'il y a une troisième alternative qui est la notion d'indéfini. Le di-
lemme ainsi énoncé conduit au panthéisme, car on a beau insister sur
la limitation de l'être fini, on n'en maintient pas moins qu'en deçà de
cette limitation l'être fini « est ». Or, l'être est toujours semblable à lui-
même et l'on ne peut pas être réellement sans être absolument. L'idée
d'être fini est de plus contradictoire, car elle implique à la fois la fixité
et la limitation ; or, ce qui est limité est essentiellement variable et c'est
ce qu'exprime la notion d'indéfini où la limite est conçue comme per-
pétuellement mobile. Le principe de contradiction tel que le formulent
les thomistes est inacceptable; il ne peut valoir quedans la vie pratique,
mais conduirait à des erreurs en philosophie. Ce principe, en etTet, ne
reconnaît que l'être et le non-être et ne fait aucune place à la relativité.
1. Bévue de Met. et de Mot:, mai 1907; pp. 348-.362.
2. Chez l'auteur à Moulle (Pas-de-Calais). 1907. In-lÔ de 88 p. ,
126 revul: des scienxes philosophiques et theologiques
A ce dernier point de vue, deux contradictoires peuvent être impliquées
Tune par l'autre; par exemple, je suis {au sens relatif) et je ne suis pas
(au sens relatif), et c'est précisément l'union de ces deux contradictoires
qui constitue l'idée de l'être créé, comme elle constitue la notion
du non-infini, véritable antithèse de l'infini. — Cette critique semble
reposer sur une conception inexacte du thomisme ; dans cette philoso-
phie, la limite de l'être fini n'est pas extérieure à cet être comme semble
le supposer l'auteur ; elle marque son empreinte dans l'essence même de
l'être et réside dans la potentialité. Cette potentialité n'est jamais complè-
tement réduite et ainsi l'être fini demeure un être changeant, sans être
pour cela un êtreindéfini. Quant au principe de contradiction, leD''Compa-
gnion, dans toutes les formules qu'il prétend avoir empruntées au tho-
misme, a constamment oublié une clause qu'il suffit de rétablir pour
enlever toute force à ses objections. Pour qu'il y ait contradiction, il ne
suffit pas que l'opposition de deux notions soit simultanée, il faut
qu'elle se produise sous le même rapport. En ce sens, il y a donc contra-
diction entre l'être et le non-être même envisagés au point de vue
relatif, et il est vrai de dire : dans la mesure oh je suis actuellement,
je ne puis pas ne pas être actuellement. Le principe de contradiction,
énoncé comme nous venons de le faire, apparaît donc aussi valable en
philosophie que dans la vie pratique.
III. — Questions Spéciales.
Dieu. — Existence, Personnalité, Transcendance.
Jamais peut-être, depuis longtemps, les préoccupations théologiques
n'ont été plus universelles que dans ces dernières années et cela
se marque d'une façon saisissante dans l'intérêt excité par les problèmes
concernant l'existence et la notion de Dieu. C'est à l'expérience reli-
gieuse qu'on s'adresse de préférence pour y chercher des éléments de
solution et ceci suffit à faire soupçonner toute l'utilité que peut pré-
senter un livre comme celui de M. Xavier Moisant, qui a pour titre :
iJieu. L'expérience en mélaph'/sique (1). Le but de l'ouvrage est de
déterminer le rôle de l'expérience, sa portée et ses limites dans la
discussion des problèmes qui se posent en Ihéodicée. La question ne
peut pas être résolue à priori ; aussi l'auteur cherche-t-il à la trancher
en examinant quelles données l'expérience nous fournit concernant
l'existence de Dieu, sa personnalité, les attributs divins, l'énigme du
mal et enfin les enseignements du christianisme sur la divinité.
Existence de Dieu. — L'athéisme prétend s'appuyer sur l'expérience,
lorsqu'il énonce ces quatre affirmations : « que les phénomènes et les
êtres se suivent, sans cause initiale, que personne n'a dressé le plan du
monde, que l'homme n'a point de Maître à servir, et qu'il ne trouvera
nulle part le Bien réalisé » (2). Mais, l'expérience le dément chaque
fois, montrant que le monde ne se suffit pas, qu'il n'est en lui-même,
1. Paris, :Marcel Rivière, 1907. 1 vol in-8o de XIII-300 p.
2. P. 5.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 127
ni intelligent, ni désordonné, que Dieu est nécessaire comme principe
de l'obligation morale, enfin que le désir du bonheur parfait est naturel
en nous. Quelles que soient d'ailleurs les formes particulières qu'il
prenne, positivisme, agnosticisme, panthéisme, l'athéisme se heurle
partout aux constatations de l'expérience humaine. Mais, d'autre part,
faut-il accorder que Dieu soit objet d'expérience immédiate, comme le
veulent les ontologistes ? Ce serait aller trop loin ; les philosophes de
celte école confondent des attributs créés avec des attributs divins.
Lorsque les expériences mystiques n'ont pas un caractère surnaturel,
l'analyse psychologique permet de découvrir ou, tout au moins, de sup-
poser des antécédents finis qui les expliquent.
Le Dieu Personnel. — On a voulu trouver dans la constitution
monarchique des sociétés l'origine de la notion de personnalité divine
et associer celle-ci au sort de la première ; on a invoqué le témoignage
des sciences de la nature qui nous montrent l'univers gouverné par des
lois et non par une volonté suprême ; enfin, on prétend avoir appris de
la psychologie que la tendance à personnaliser se rencontre surtout
dans les esprits oii la raison ne domine pas encore, et que la conscience
est inférieure à l'inconscient. A l'encontre, l'expérience historique
témoigne que le personnalisme, en théodicée, ne provient pas d'une con-
ception politique et par ailleurs, elle ne prouve pas que la démocratie
soit la meilleure forme de gouvernement. Les lois physiques n'ont
qu'une vérité, une efficacité, un être relatifs et laissent place à une
volonté toute-puissante. La psychologie constate que la pensée spécu-
lative a ses maladies et ses illusions, aussi bien que la pensée concrète
et rien dans ses découvertes n'a rendu illusoire la notion métaphy-
sique de personne et la supériorité de la conscience.
La DfUerminalion des Atlribuls divins. — Plusieurs méthodes se
présentent ici. On peut déduire les attributs divins de la notion de Dieu ;
on peut les induire de l'observation des perfections créées ou bien s'y
élever par une sorte d'intuition ou simplement les accepter par la foi.
Mais un travail de discernement s'impose ; on peut craindre de divi-
niser des abstractions ou des vices, ce qui est pire encore. L'expérience
aidée du raisonnement nous guidera dans ce choix. C'est ainsi qu'une
observation plus attentive montrerait aux pragmatistes que les attributs
les plus métaphysiques de la divinité ne sont pas sans influence sur la
conduite humaine.
Le Problème du Mal. — Consultée sur ce problème, l'expérience
semble donner des réponses contradictoires et aucune des solutions
théoriques proposées n'apporte de satisfaction. Supposer Dieu fini,
c'est accepter la possibilité du mal ; si le mal est la condition du bien,
doit-on vouloir celui-ci à ce prix? Et si Dieu l'a voulu, a-t-il bien agi ?
La réparation future de tous les maux ne suffit pas à adoucir les souf-
frances actuelles, non plus que cette considération que le mal contribue
à manifester la force et la justice de Dieu. L'inévitable antinomie à
laquelle on se heurte, amène à soupçonner que le problème d'un monde
meilleur est un problème qu'on ne devrait pas poser ; i-ien, d'ailleurs,
ne nous y oblige. 11 faut y substituer le problème salutaire de la lutte
128 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
contre le mal et celui-ci qui comporte une solution : Dieu peut-il tirer
le bien du mal ?
L'Expérience Psychologique et le Dieu du Christianisme. — L'apolo-
gétique d'immanence est née du besoin de se placer sur le même
terrain que l'incrédulité moderne et de réagir contre ce qu'il y a de
trop extérieur et de trop autoritaire dans un certain catholicisme. Elle
n'est sans doute pas inutile ; elle peut arriver à persuader un incroyant
de la limitation de ses forces et des défaillances de sa raison ; mais la
psychologie, à laquelle elle en revient toujours, est impuissante à
discerner l'action delà grâce ou à retrouver le dogme chrétien. Quant à
l'expérimentation religieuse qui prétend amener à la foi par la pratique,
fùt-elle légitime pour l'incroyant, elle ne donnerait pas de résultats
acceptables pour la raison. L'expérimentation, pour être rationnelle, doit
être en rapport avec les croyances qu'on possède et ne pas les devancer.
L'Expérience en Théodicée. — Par expérience il faut entendre la
connaissance immédiate des données qui s'imposent à nous dans l'ordre
intellectuel comme dans Tordre sensible. Son rôle en théodicée est de
nous aider à choisir et à formuler les problèmes, de nous fournir les
principes de nos raisonnements et de nous guider dans l'appréciation
des conclusions.
C'est précisément l'expérience religieuse qu'invoque M. Le Roy
lorsqu'il s'agit de reconstruire la notion de Dieu, après avoir rejeté
comme dépassée la conception traditionnelle. Le titre qu'il a donné à
son important travail: Comment se pose le problème de Dieu? (1)
indique suffisamment que c'est moins une solution complète qu'il
propose, qu'une nouvelle manière d'envisager la question. Son
premier article est consacré à examiner la valeur des preuves que l'on
a coutume de donner de l'existence de Dieu, et leur valeur est déclarée
nulle sous la forme quelles ont revêtue jusqu'ici. Pour rendre la
discussion plus claire, M. Le Roy a réparti ces preuves en trois grou •
pes, suivant qu'elles sont tirées : a) du monde physique, b) du monde
moral, ou c) des conditions à priori de la pensée.
a) Preuves tirées du monde physique. — La preuve par le mouvemen
que l'on rencontre tout d'abord, apparaît comme insuffisante, car elle
se fonde sur des postulats à présent inacceptables : la distinction du
moteuF et du mobile, la conception du mouvement comme quelque
chose qui passe d'un objet à un autre. Le principe même de l'argument
est devenu ruineux ; « — les choses étant mouvement, — il n'y a plus
à se demander comment elles reçoivent celui-ci » (2). Il est donc
superflu de faire appel à un premier moteur. — La preuve par le mou-
vement n'est qu'un aspect de la preuve par la contingence du monde
qui n'est d'ailleurs pas plus solide. Comment prouver qu'un être est
vraiment contingent? N'est-ce pas là une simple apparence qui tient à
ce que nous l'avons abstrait du tout continu où il a sa réalité? Mais,
supposé que chaque être, pris à part fût contingent, comment démontre-
1. Hev. de Met. et de Mor., mars 1907, pp. 129-170 et juillet 1907.
470-513.
2. P. 135.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 129
rait-on la contingence du tout? Alléguera-t-on son imperfection?
Alors on fait appel à l'argument ontologique en liant l'idée d'existence
nécessaire à l'idée de parfait. Et s'il faut une cause nécessaire, pourquoi
ne pas s'en tenir à une nécessité immanente? Si l'on exige une cause
complètement transcendante, on se met dans l'impossibilité d'apercevoir
un lien quelconque, une analogie quelconque de causalité, entre cette
cause première et la première cause seconde qui appartient à un plan
totalement différent. — L'argument par les causes finales, fondé sur la
finalité externe, a contre lui la science et la critique philosophique qui
n'admettent que la finalité interne ; il suppose une conception juri-
dique des lois de l'univers : le principe de l'analogie qu'il établit entre
notre activité et celle de la nature est contesté par la psychologie ; il
considère l'ordre comme surajouté après coup à des éléments déjà
existants. Enfin, quand toutes ces difficultés seraient écartées, il ne
nous conduirait pas à concevoir un Dieu créateur et infini, mais seule-
ment un esprit ordonnateur. — Contre la preuve par les degrés d'être,
on peut objecter la difficulté de concevoir une essence typique pour
chaque chose. Le plus et le moins sont des notions obscures quand il
s'agit de réalités spirituelles, et, en tout cas, il ne s'ensuivrait pas que
le maximum nécessaire fût un être. Le conclure, c'est commettre
une pétition de principe. D'ailleurs, tous les arguments dont on vient
de parler offrent le même vice radical, celui d'être fondés sur le >< mor-
celage » du réel, postulat dont la philosophie bergsonienne a suffisam-
ment montré l'inanité en métaphysique.
b) Preuves tirées du monde moral. — Le consentement universel
n'est pas décisif. Même en laissant de côté l'hypothèse d'une erreur
universellement répandue, les témoignages concordants que l'on invoque
ne portent que sur une croyance qu'il resterait à interpréter et dont
il faudrait examiner les bases. — Les aspirations de l'àntle humaine ne
prouvent pas l'existence de leur objet ; exigent-elles d'ailleurs autre
chose que le progrès indéfini vers la réalisation du parfait? Il y a
pourtant dans cet ordre de considérations le germe d'une preuve solide,
mais à la condition de voir dans le désir l'affirmation même de Dieu. —
Peut-on dire que Dieu est nécessaire pour expliquer l'idée d'obligation?
Mais il faudrait avoir montré que l'impératif absolu de la morale ne
peut provenir ni de la nature, ni de la société, ni de l'instinct vital ou
de la raison. D'autre part, l'absolu du devoir ne nous oblige pas à
conclure à un législateur, il suffit de concevoir la moralité comme « la
fin suprême et la suprême loi de l'univers» (1).
c) Preuves tirées de la raison pure. — Sous la forme que lui donne
St Anselme, l'argument ontologique conclut de l'idée d'être parfait à
l'existence d'un tel être. Une question préalable surgit aussitôt. Dieu
est-il concevable ? L'idée d'être parfait, infini, . n'est-elle pas contra-
dictoire ? Cette question résolue, le raisonnement serait inefficace,
car il faudrait y voir ou une simple tautologie, ou une synthèse à priori
dont l'évidence resterait douteuse. — La preuve par les vérités éternelles
se heurte à un doute sur l'existence de semblables vérités, on ne peutmê-
1. Page 159.
26 Année. — Revus des Sciences. — No i. g
130 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
me pas affirmer l'existence de formes nécessaires de l'esprit, seule l'acti-
vité de lapensée apparaîtcomme nécessaire et éternelle. — L'idée d'infini
ne nous fournit pas non plus l'argumentdéfinitif. Pour pouvoir conclure
de la présence en nous de l'idée d'infini à l'existence de l'être infini,
il faudrait que cette idée de l'infini fût l'idée du parfait, mais pour
concevoir le parfait, il faudrait être le parfait lui-même. Si au contraire
l'idée d'infini n'est que l'idée de l'indéfiniment perfectible, alors elle
n'exprime que le caractère essentiel de la pensée, son pouvoir créateur,
et cela ne nous conduit pas à l'existence d'un Dieu transcendant et
personnel.
S'efïorçant de reconstruire après avoir détruit. M, Le Roy, dans son
second article, cherche la véritable preuve de l'existence de Dieu et la
notion qu'on peut rationnellement se former de la divinité. Il résuite
du travail critique auquel il s est livré, que l'on ne peut pas démontrer
Dieu ; Dieu réalité concrète, Dieu liberté suprême, ne saurait être
déduit mais seulement perçu. C'est donc à l'expérience qu'il faut recou-
rir, aune expérience interne « immanente, impliquée dans l'exercice mê-
me de la vie » (1). C'est l'expérience humaine du passé jointe à notre expé-
rience personnelle qui nous révélera les sources de la croyance en Dieu,
et le contenu de l'idée qu'on doit s'en faire. Mais tout d'abord, afin de
savoir si cette croyance correspond à quelque chose de réel, il faut
définir cette dernière notion. Résistance à la dissolution critique et
fécondité inexhaustible, voilà les caractères que l'on peut assigner à
la réalité. Or l'idée de Dieu présente ces deux caractères, elle porte donc
sur une réalité. Dieu est affirmé comme *■ réalité morale, comme réalité
autonome, indépendante, irréductible, et même peut-être comme
réalité première » {2) ; mais on n'atteint encore ainsi que le divin : pour
affirmer Dieu, il faut « affirmer le primat de la réalité morale » (3). On
n'en a le droit qu'après avoir montré que le matérialisme et le rationa-
lisme sont inacceptables : c'est précisément la conclusion à laquelle
arrive la philosophie de l'intuition. Celle-ci nous amène à concevoir la
réalité première comme la « pensée-action ». Dieu n'est autre que
cette pensée-action à laquelle on attribue trois caractères fondamen-
taux ; aj d'être un devenir ; b) d'avoir une orientation définie ; c) d'être
liberté, bien que cette liberté ait des limites. Quant à la personnalité
divine, elle est définie non pas au moyen de concepts, car l'analogie
elle-même est impuissante à cet égard, mais au moyen d'attitudes pra-
tiques. « Dieu est tel en soi qu'il doit être par nous traité comme une
personne, ou, en d'autres termes, Dieu est pour nous un centre de devoirs
et nous devons le regarder comme un êujet de droits » (4). Formule toute
pragmatique, comme le sont aussi les notions d'immanence et de trans-
cendance appliquées à Dieu. L'immanence exprime ce qui de lui est
1. Page 475.
2. Page 489.
3. Page 492.
4. Page 501. Ce passage et les deux précédents sont soulignés dans le
texte.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 131
devenu en nous et dans le monde ; la transcendance, l'infini qui reste
à devenir.
Ces conclusions si éloignées des idées habituelles en théodicée
relèvent d'une philosophie qui, toute séduisante qu'elle soit, est loin
d'être acceptée du grand nombre. Elle ne peut donc prétendre à parler
au nom de la pensée moderne. Celle-ci revêt des formes multiples, et,
à la prendre dans son ensemble, il n'est pas prouvé qu'elle soit prête
à considérer le fameux « morcelage » comme un simple postulat
pratique. Le monisme idéaliste qui est au fond de la « philosophie
nouvelle >^ n'apporte qu'une solution illusoire au problème de l'existence
de Dieu, car fondre en une réalité unique des éléments comme la
pensée et l'action, sans les avoir préalablement réduits l'un à l'autre,
c'est avouer implicitement qu'ils sont irréductibles, et admettre par là
même un « morcelage » fondamental qui en ramènera bien d'autres (1).
La critique des preuvesthomistes de l'existencede Dieu par M. Le Roy,
est examinée dans un article du R. P. Garrigou-Lagkangë (2). Après
avoir justement relevé que des philosophes comme M.Jacob et M.
Couturat, tout aussi informés que M. Le Roy des exigences de la
pensée contemporaine, se placent à un point de vue diamétralement
opposé, il fait observer que Si Thomas n'a pas voulu prouver explici-
tement la transcendance de Dieu par les cinq arguments classiques ;
celle-ci n'est établie qu'à la question 3, article 6, par la preuve sui-
vante. Le devenir dans le monde suppose la puissance, la puissance
ne pouvant s'actuer elle-même, il faut en arriver en dernière analyse
à un acte pur qui soit le principe de toute actuation. Cet acte pur
excluant le devenir est par là même distinct du monde. La transcen-
dance résulte aussi de la simplicité de l'acte pur opposée à la multi-
plicité de l'univers. St Thomas n'a pas recours à l'argument ontologi-
que, car, au lieu de conclure de la perfection de Dieu à son existence
il passe au contraire de l'existence de l'être nécessaire à son infinie
perfection. Le primat de l'être est rejeté par M. Le Roy, de même que le
postulat du (' morcelage ». Cependant le morcelage, plus ou moins
utilitaire quand il s'applique au continu sensible, s'impose à la pensée
quand il s'opère sur l'intelligible et sur l'être, car alors il est fondé sur
des raisons d'être. La science qui n'atteint l'être que superficiellement
ne saurait être invoquée pour le condamner. — Je me contente de rappe-
ler ici l'article du même auteur intitulé : Le Dieu fini du Pragmatisme
qui a paru récemment dans cette revue (3). On pourra s'y reporter utile-
ment pour la pleine intelligence des preuves thomistes.
La discussion engagée entre M. Sertillanges et M. Gardair sur la
nature de la connaissance que nous pouvons avoir de Dieu, s'est
terminée par un dernier article de M. Gardair (4), et une courte répli-
1. Obligé de me borner ici à cette criticpie très générale, je crois bien de
signaler, outre le livre dont j'ai parlé plus haut, l'excellent ouvrage de
M. Sertillanges : Les Sources de la Croyance en Dieu (Paris, Perrin) et celui de
M. C. Piat De la Croyance en Dieu (Paris, Alcan); on y trouvera d'utiles
éléments pour l'appréciation des criticpies de M. Le Roy.
2. Revîie Thomiste, juillet-Août 1907, pp. 313-331.
3. Revue des Se. Pliil. et ThéoL, avril 1907, p. 252 sv.
4. La Transcendance de Dieu. Bev- de Philosophie, ler février 1907.
132 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
que de M. Sertillanges (1). M. Gardair se défend des accusations de
panthéisme et d'anthropomorphisme portées contre lui. Il affirme que
sa pensée est bien que Dieu est réellefnent transcendant comme source
de l'être, mais il entend la transcendance autrement que M. Sertillan-
ges. Tandis que pour ce dernier, l'être de Dieu consiste en un simple
postulat dont l'insuffisance du créé est le seul contenu réel, M. G.
veut que les créatures nous représentent Dieu dans une certaine
mesure et nous permettent dans cette même mesure de nous en faire
une idée positive.
Dans le même fascicule, M. Sertillanges répond que cette conclusion
repose sur une équivoque. Cette équivoque consiste à donner au mot
être un double sens tout en laissant croire qu'il n'a qu'une signification
unique. On affirme à la fois que Dieu est être et qu'il est plus que
l'être. On éviterait cette faute de logique en considérant Dieu comme
le postulat suprême du réel, et l.on trouverait là le moyen de répondre
aux objections de Kant comme à celles du néo-criticisme et du néo-pa-
ganisme qui nous parlent d'un Dieu fini.
Sans se rallier à cette thèse du Dieu fini, M. Dessoulavy expose les
difficultés qui ont amené certains penseurs à la soutenir. Ces difficultés
sont a) l'impossibilité de définir et par conséquent d'expliquer
lidée d'infini, ce qui la réduit à jouer tout au plus le rôle de postulat,
comme l'éther dans les théories physiques, b) l'impossibilité d'une
démonstration rigoureuse de l'infini. Ainsi que le fait M. Le lloy, M. Des-
soulavy observe qu'il est difficile de prouver la contingence du monde
considéré dans son ensemble ; la preuve par la contingence se ramène
à la preuve ontologique. D'autre part, un Dieu fini expliquerait mieux
l'existence du mal. Les objections qu'on élève contre la personnalité de
l'infini peuvent être écartées par la méthode d'analogie bien entendue,
telle que l'a exposée M. Sertillanges. La preuve de l'infini par la création
implique deux postulats : o) le monde a été créé ; b) la création suppose
un pouvoir infini. Par contre, le Dieu fini s'accorde mal avec les exi-
gences du sentiment religieux qui, affirmant une dissemblance de plus
en plus grande entre l'homme et le divin, nous conduit à une expé-
rience de l'absolu par contraste, notion réelle mais vague, qui devient
irréelle quand on essaie de la définir (2).
Cette conclusion ne serait pas acceptée par M. Schiffmacuer qui
considère (3j qu'il y a une analogie fondamentale entre le monde
divin et le nôtre, entre l'objet de la théologie (4) et l'objet de la science
de la Nature et que les perfections de Dieu ont leurs analogues dans les
phénomènes du monde sensible. La théologie naturelle emploie le
même procédé de raisonnement que les autres sciences, qu'elles soient
constructives ou expérimentales c'est-à-dire, le raisonnement par ana-
logie et (i chaque démonstration par la science de l'existence dune loi
L Ihid.
2. L'Infini Confus. Bévue de Philos., 1er mars 1907.
3. L'idée de Dieu et lidée du Cosmos. Ibid., Ifi- juin 1907, pp. 541-555.
4. Entendez ïliéologie naturelle.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 133
naturelle, en établissant davantage que le réel n'est qu'un cas de pos-
sible, établit davantage la valeur des constructions de la théologie ».
M. Gardair a essayé de résoudre les objections élevées contre l'infini
dans un article intitulé : Vinfimlé divine (1). Si cette notion semble
contradictoire, c'est qu'elle est mal comprise. Dieu est infini, c'est-
à-dire que nulle perfection ne lui manque et il est en même temps le
principe dune infinité potentielle. Les critiques dirigées par M. Dessou-
lavy contre la preuve par la contingence ne semblent pas décisives. Elle
ne se ramène pas à la preuve ontologique, car elle prend son point de
départ dans un fait d'expérience et aboutit à l'existence d'un être néces-
saire, puis elle montre que la perfection infinie est incluse dans l'essence
de cet être et donnée avec elle. Les attributs opposés du monde et de
Dieu suffisent à prouver la transcendance de Dieu. Bien que l'être
divin soit le principe de l'infinité potentielle des espèces et des indi-
vidus, il ne se confond pas avec le principe d'évolution immanent au
monde, si toutefois ce principe existe. Ce dernier relève complètement
de l'infini transcendant et actuel. Nou's ne concevons l'être actuelle-
ment infini qu'au moyen de l'être abstrait, mais nous n'attribuons pas
à Dieu l'abstraction de cette notion.
Tout en admettant l'immanence divine, certains penseurs vou-
draient ne pas sacrifier la transcendance qui semble nécessaire à la
conscience religieuse. C'est le cas de M. Henry Jo.nes qui essaie de fonder
la transcendance sur l'immanence même (2). Il trouve dans l'expérience
des croyants la double affirmation de l'omniprésence de Dieu et de sa
transcendance. La foi ne se préoccupe pas d'ordinaire de mettre ces
notions d'accord, mais lorsqu'elle réfléchit à leur contenu, elle sent
qu'un travail d'harmonisation est nécessaire. Jusqu'ici en traitant des
rapports de Dieu et du monde, on semble n'avoir envisagé qu'une
totale différence ou une unité complète. Ce qui a poussé quelques
philosophes à concevoir un Dieu fini, ou même, comme James, des
dieux finis dont on peut dire seulement qu'ils sont plutôt bons que
mauvais, c'est qu'il n'ont pas imaginé de milieu entre un Dieu imma-
nent entraînant l'abolition de toute personnalité et un Dieu extérieur
mais fini. Cependant la conscience religieuse exige à la fois l'identifi-
cation de toutes les volontés avec les volontés divines et l'irréductibilité
des personnes. Dieu ne peut-il pas être immanent dans l'homme sans
absorber sa personnalité, d'une manière analogue à celle dont la cons-
cience est immanente à son contenu, tout en restant elle-même et en le
transcendant ? Bien plus, il semble que l'homme puisse devenir davan-
tage lui-même en devenant plus semblal)le à Dieu par une union plus
intime avec lui.
De son côté, M. Patton voudrait sauvegarder l'intinilé divine en
poussant l'immanence jusqu'à ses dernières limites (3). Non seulement
Dieu est dans le monde, mais dans le monde il n'y a rien en dehors de
Dieu. L'infini esf un nom qui désigne le total des êtres existants. Tou-
1. Rec. dr FhlL, 1er octobre 1907, pp. 319-3.35.
2. Divine Immanence. The Hibbert Journal, juillet 1907, pp. 745-767.
3. The yeic Theism. The Hibbert Journ. Jaiiv. 1907, pp. 361-369.
134 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
tefois, ceci ne détruit pas plus la personnalité de Têtre divin que la
multiplicité des événements d'une vie humaine ne détruit la personna-
lité humaine. Dieu est un principe unificateur analogue à notre person-
nalité, mais au lieu d'être le lien des événements d'une vie humaine, il
assure la cohésion de toutes choses. Nos personnes sont individuelles,
car elles ne font la synthèse que d'un groupe restreint de phénomènes,
mais la personne divine ne saurait l'être, puisque tout ce qu'enferme
Tunivers fait partie de sa vie.
Cette même idée apparaît incidemment dans un article de M. Josiah
Royce : Immortality (1). 11 n'y a qu'une volonté en nous tous, qui est
la volonté divine ; nous ne sommes que des expressions variées du
divin. Mais, de plus, et c'est ce qui assure notre individualité, Dieu a
besoin de nous, de la diversité de nos personnes, de notre liberté. 11
n'arrive à la perfection que par la lutte contre le mal, il considère la vie
du monde comme sa propre vie et cependant il est dans un éternel
présent, un présent qui n'exclut pas le temps, mais l'embrasse dans sa
totalité.
Dans sa Vlll'^'^ Conférence sur le Pragmatisme: Pragmatism and
Religion (2), James reconnaît une valeur pratique à l'Absolu, mais il
considère que la conception pluraliste s'accorde mieux avec le prag-
matisme. Ceux qui ont recours à l'Absolu ce sont les esprits délicats et
faibles qui cherchent à se rassurer, à se mettre l'âme en repos par une
vue optimiste du monde ; ceux qui le rejettent, ce sont les esprits rudes
et forts qui acceptent le monde tel qu'il est et n'en attendent rien de
bon, s'exposant volontiers aux risques à courir. Entre les deux, le
pragmatisme ouvre une voie qui est celle du méliorisme théiste. Le
monde peut s'améliorer, se perfectionner et même finalement arriver
à être parfait au moyen de notre action secondant celles de puissances
qui nous sont supérieures. Les risques ne sont pas supprimés, mais il
faut savoir les affronter, c'est là ce qui donne vraiment du sérieux à la
vie.
La plupart de ces études sur Dieu se réclament de la conscience reli-
gieuse. Insuffisante par elle-même, elle peut nous fournir de précieux
éléments d'information qu'il faut discerner avec soin. Sous sa forme la
plus haute, elle a toujours proclamé en même temps que la présence
de Dieu dans tous les êtres qu'il a créés, son ineffable transcendance.
Dieu est en nous. Dieu se distingue de nous, il est infiniment plus que
nous, ce qui nous permet tous les espoirs, voilà ses deux affirmations fon-
damentales. Ceci suffit pour rejeter la légitimité, sinonde la méthode, au
moins de la théodicée immanentiste.
Paris. F. Blanche.
II. _ COSMOLOGIE.
Le domaine que s'attribue la cosmologie proprement dite n'est
pas très fécond en ce moment. On le travaille sans relâche ; c'est
1. Ibid., juil. 1907, pp. 724-744.
2. Pragmatism, pp. 273-301.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 135
entendu ; mais les idées générales vraiment nouvelles ne sont pas
nombreuses. Les questions traditionnelles se discutent ; mais les
solutions prennent assez naturellement place dans les cadres déjà
formés ; et il suffira de prendre acte de quelques travaux saillants
pour déterminer le progrès que peuvent avoir réalisé les problèmes
cosmologiques.
Concept fondamental du corps. — Les recherches sur les substances
radio-actives sont évidemment trop incomplètes, pour qu'elles puissent
servir de base à la spéculation philosophique. Elles ont cependant fixé
de nouveau l'attention sur un problème qui ne manque ni d'intérêt, ni
d'importance pour la définition de la quantité. Si vraiment dans la
(* dégradation », dans la « dématérialisation » progressive des corps, on
aboutit à des particules dont la masse est nulle, il sera désormais
impossible de confondre celle-ci avec la quantité. On sait que c'est là
l'opinion du professeur Nvs (1). — Les preuves de sa thèse se réduisent
au fond à des analogies ingénieusement soulignées, des coïncidences
dans les propriétés qui seraient parfaitement susceptibles d'une autre
interprétation. Nous croyons que la notion de quantité est infiniment
plus primitive, plus pauvre que celle de la masse. Elle n'implique par
soi que la distinction de parties homogènes ; elle est même antérieure
à l'idée d'un rapport d'extraposition de ces parties ; et paraît dans tous
les cas indépendante de l'aspect dynamique des substances corporelles,
aspect auquel la notion de masse est indissolublement, parce qu'essen-
tiellement, liée. — Il n'a pas fallu les spéculations hardies, et très
discutables encore, des électronistes pour nous en convaincre. Mais il
nous a paru opportun, devant les tendances que manifeste en ce
moment la physique ultra-atomique, de signaler une thèse faible dans
un livre qui jouit d'une haute et légitime considération dans les écoles
catholiques.
Il ne serait peut-être plus nécessaire de parler encore des idées
d'OsTWALD, et des applications aventureuses que reçoit dans son sys-
tème la notion d'énergie. La dernière édition de ses célèbres Vorlesungen
ûher Naturphilosophie date de 190o, et son système est universellement
connu. Mais dans le premier numéro de l'excellente Rivista di Scienza,
nous trouvons un exposé nouveau et une défense de « l'Énergétique », de
la plume du maître (2). Ce travail est remarquable à plusieurs titres.
Ostwald signale une connexion, — combien lâche, — entre son Éner-
gétique et le Pragmatisme. Les deux doctrines poursuivent un but
unique : nous délivrer de ce que Mach a appelé des « Scheinprobleme »,
c'est-à-dire des problèmes dont la solution ne peut avoir pour nous
aucune importance, parce qu'elle ne modifie en rien nos idées sur les
réalités constatables, parce qu'elle ne peut rien nous faire prés'oir. A ce
litre la matière inerte est une hypothèse absolument stérile ; et si l'on
avait résolument marché dans la voie indiquée en 1842, par Robert
Mayer, il y a longtemps que la dualité : matière-énergie, aurait disparu.
Nous ne connaissons que de l'énergie, pas autre chose ; et il ne nous
1. D. Nys. Cosmologie. 2e éd. p. 302.
2. Zur niodernen Energetik. Biv- di Se. I, p. 113.
i36 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
importe pas de connaître autre chose. C'est au delà du connu, pour
remplir cet imaginaire «au-delà», que cette absurde matière a été
supposée ; et son invention n"a eu pour résultat que de compliquer les
doctrines et d alourdir la marche de la science. L'énergie suffit à tout ;
elle seule fait prévoir les phénomènes qui à un litre quelconque nous
intéressent ; elle seule correspond aux exigences légitimes de l'esprit
humain, et peut donner quelque cohérence à notre système du
monde.
La marche progressive du dynamisme est intéressante. La scolastique
avait de la nature corporelle un concept précis : le corps était la suO-
slantia praedita quanlitate de nos vénérables manuels. Comme définition
préalable, comme p;"o<o//ié.se, dirait Ostwald, c'est-à-dire comme point
de départ d'examen et de discussion, la formule est parfaite. Mais une
fois la solution aristotélicienne écartée, l'antinomie fondamentale entre
la simplicité de nature et l'essentielle composition quantitative devient
un tourment intolérable. Leibniz sacrifie la quantité ; l'extension n'est
plus que « l'ordre des phénomènes simultanés possibles ». La voie des
négations était ouverte ; on ne s'y est plus arrêté. Les monades de
Leibniz étaient substantielles ; mais on a bientôt vu qu'on n'avait que
faire de cette substantialité : la matière est devenue un complexus de
forces. — Mais pourquoi encore ces forces ? le mouvement actuel ne
suffît-il pas ? On n'a pas tardé de le prétendre, et l'énergétique actuelle
est sortie de là. Le système moderne est moins choquant, parce que
moins radical, ou au moins moins affirmatif ; mais au fond on obéit à
la même tendance. Leibniz a donné l'impulsion ; le crilicisme de Kant
l'a justifiée devant le monde philosophique ; et Ostwald est leur conti-
nuateur logique.
On peut se demander cependant si de l'excès même de la doctrine ne
doit pas sortir une réaction. Laissons intactle problème de l'objectivité.
Ce n'est guère la peine de rompre violemment avec le sens commun, si
l'on n'obtient pas au moins la cohérence logique subjective pour prix du
sacrifice. Or nous croyons qu'Ostwald et son école aboutiraient infailli-
blement à des contradictions internes, s'ils voulaient pousser à fond
l'analyse rationnelle de leur « énergie ». L'illustre chimiste remarque,
avec trop de raison, hélas ! que les philosophes ne prennent conscience
des progrès accomplis par les sciences particulières, que lorsqu'ils sont
vieux et même dépassés et vieillis. Mais il a le courage de rappeler à
ses collègues qu'ils tombent exactement dans le même travers au sujet
des idées philosophiques. Les « introductions » aux traités spéciaux
sont instructives sous ce rapport. — Ostwald ne se trouverait-il pas un
peu dans la même situation ? Il y a certaines idées philosophiques, pas
nouvelles assurément, mais jeunes encore, qu'il paraît singulièrement
négliger. Si l'on parcourt tous les caractères qu'il attribue à l'énergie,
toutes les fonctions qu'elle doit remplir, on arrive à cette conclusion
fatale qu'elle possède toutes les propriétés, et implique toutes les
exigences du mouvement local. Et qu'on n'imagine pas que ce soit là une
image analogique 1 11 est trop manifeste que les deux idées ne coïnci-
dent nullement ; l'énergie fait trop de choses auxquelles le mouvement
ne peut point prétendre. Mais l'énergie possède, à côté de beaucoup
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 137
d'autres, tous les caractères du mouvement ; et elle perd toute sa valeur
explicative vis-à-vis des phénomènes les plus fondamentaux, si on l'en
dépouille.
Or on n'est pas encore parvenu à dégager la notion de « mouvement
local » de celle de « lieu » ; la logique pourrait bien établir a priori
que cette entreprise d'épuration est condamnée d'avance ; et un lieu
réel n'est réel et actuel que lorsqu'il est occupé à un titre quelconque.
Mais alors, occupé par quoi ? Et qu'on ne dise pas que la « présence »
n'est encore qu'une manifestation d'énergie. On peut et on doit recon-
naître qu'un déploiement d'énergie est indispensable pour qu'une
«présence» nous soit connue; mais il ne s'agit pas des conditions de
notre connaissance; nous déterminons ici les exigences logiques du côté
objectif de nos représentations. Bref, on voit repoindre ici ce « sujet »
tant abhorré ; et une fois engagés sur ce chemin, il n'est pas impossible
qu'on aille jusqu'à la substance matérielle, quantitative, que les dyna-
mistes ont lâchée depuis Leibniz,
Ce ne sera, certes, pas la « masse inerte et immuable », véritable fan-
taisie !iltra-scolasti([ue qui n'a aucune valeur ni réelle ni explicative, et
dont Descartes seul porte la responsabilité. Les accidents actifs ne sont
pas le revêtement extrinsèque d'une impassible substance. La substance
elle-même est féconde par ses énergies potentielles. Mais les modifica-
tions supposent le modifié. Celui-ci seul peut rendre compte de la per-
manence, de la continuité du réel sous le flux évolutif du cosmos.
Nous sommes bien loin cependant de croire que tout ce mouvement
pour « l'énergétique » ait été stérile.Ilaura fourni la protestation la plus
autorisée, la critique la plus efficace du mécanicisme radical qu'on ait
fournie depuis Leibniz. A. ce titre, les travaux théoriques d'Ostwald auront
une valeur permanente et une place honorable dans la « Naturphiloso-
phie » qui s'élabore.
Problème de la Divisibilité. — Le vieux problème de la divisibilité
n'a pas fait un pas eu somme. Quelques-uns, comme le savant profes-
seur Nys, s'en tiennent exclusivement à la vieille réfutation d'Aristote ;
et il faut bien reconnaître qu'au point de vue dialectique elle est inatta-
quable. D'autres, au contraire, considèrent cette réfutation comme
exclusivement dialectique, c'est-à-dire comme efficace contre les suppo-
sitions arbitraires de Zenon, mais comme totalement impuissante à
résoudre objectivement léternel problème du continu. 11 n'y aurait donc
pas lieu d'en parler dans ce bulletin si le dernier ouvrage de M. Behg-
SON : L" Evolution créatrice, ne contenait quelques données qui nous
paraissent importantes dans le débat. Nous reviendrons bientôt sur ce
livre, intéressant à plus d'un titre. Nous ne voulons pas en discuter les
bases ; M. Rageot n'a-t-il pas écrit que le Bergsonisme échappe à la
discussion par sa nature même, et s'accepte comme une poésie (1) ! Même
son charme poétique ne parvient pas à nous convaincre de la solidité
de son point de départ. Cependant, lorsque M. Bergson souligne la
tendance de l'intelligence vers le discontinu et le statique, il invoque
un fait que, depuis deux ans, nous nous sommes efforcé de mettre en
lumière dans nos leçons de cosmologie à la Faculté des Lettres de Fri-
1. Stimp. Philo soijhiqiie, juillet 1907, p. 7.3.
r38 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
bourg. Il y a là un élément psychologique du problème qui n'a pas
suffisamment fixé Tattention. Impossible de nous engager ici à fond
dans le débat ; mais il importe de signaler les visions « poétiques» de
M. Bergson. Elles confirment des idées moins élégantes, moins parées
assurément, mais peut-être plus solidement articulées.
Qu'on ne s'y méprenne pas ; il y a à prendre et à laisser dans ce que
M. Bergson écrit à ce sujet, à différents endroits de son ouvrage.
Discutant l'argument de la flèche (1), il fait remarquer à bon droit que
la flèche nest pas dans les lieux parcourus. Mais ce n'est pas un motif
pour éloigner le mouvement de sa trajectoire, moins encore pour le
considérer comme essentiellement simple. Il est donc bien entendu que
nous ne pouvons souscrire ni aux procédés intuitifs, ni aux conclusions
de M. Bergson ; mais il a souligné la donnée psychologique qui, à notre
sens, domine le problème de la divisibilité. C'est à ce titre que nous
voulons attirer l'attention sur ses fascinantes analyses.
La Vie. — Tout le monde connaît les idées que Driesch a émises et
défendues avec une rare sagacité, sur l'individualité des organismes ani-
maux. Des observations remarquables l'avaient conduit à cette conclu-
sion plus frappante encore : Que les animaux n'étaient pas et ne pou-
vaient pas être de simples machines; c'est-à-dire que toutes les théories
mécanicistes de la vie étaient impuissantes à rendre compte des phéno-
mènes observés, et qu'il fallait fatalement en arriver à une forme
rajeunie des vieilles doctrines aristotéliciennes. Le problème est repris
dans un remarquable article de Driesch, publié dans la Rivista di
Scienza (2). L'auteur y tient compte des faits invoqués par Wilhelm
Roux en faveur de la théorie des mosaïques ; mais il reste fidèle à ses
conclusions. Seules les entéléchies, les bonnes vieilles formes substan-
tielles des scolastiques fournissent une explication acceptable des
tendances que manifestent dans leur développement certains embryons
mis en pièces; et il nous paraît décidément impossible de se soustraire
à ces conséquences (3).
On s'y soustrait cependant ; mais il devient de plus en plus difficile
de découvrir, dans les publications actuelles, une justification sérieuse
de cette attitude. On sait que les faits débordent de toute part sur les
cadres mécanicistes auxquels on s'efforce de les réduire ; mais il faut
qu'ils s'y réduisent ! — Pourquoi? — Parce que seules les applications
mécanicistes sont intelligibles et satisfaisantes ; et que toute autre doc-
trine doit nous ramener aux fantaisies finalistes de la basse scolastique.
Nous connaissons bien cette fascination qu'exercent sur l'esprit
humain les doctrines qui n'empruntent leurs éléments qu'à l'ordre
quantitatif. Ici même nous nous sommes efforcé de rendre compte de
cette tyrannique tendance (4). Mais lorsque l'esprit humain connaît
1. Op. cit., p. 333.
2. H. Driesch. Die Physiologie der inâividuellen organischen Formbildung.
Loc. cit., I, no 2, p. 265.
3. On trouve un exposé lumineux des théories rivales dans le superbe
ouvrage du P. Wasmann, S. J., Die moderne Biologie und die Entwicklungs-
théorie. Freiburg i. Br., Herder, 1906. Un vol. gr. in-8o, 3e éd, de XXX-530 pp.
4. Bev. des Sciences philos, et théolorj., Janv. 1907, p. 5. Les bases psycholo-
giques du mécanicisme.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 139
ses faiblesses, lorsque surtout il prend conscience des liens qui limitent
son envergure spontanée, ces liens se brisent, et son pouvoir s'étend.
La quantité et les causes mécaniques ne présentent aucun avantage
objectif sur les autres. Elles aussi sont enveloppées de mystères. Elles
ne se distinguent des autres notions que parce qu'elles sont primor-
diales, antérieures ; nous les considérons comme « reçues », comme
« manifestes » , au delà nous ne découvrons plus rien ; et c'est pourquoi
c'est à elles qu'il faut s'en tenir ; à elles aussi qu'il faut tout ramener.
Les interprétations mécanicistes sont donc éminemment naturelles,
éminemment humaines, trop humaines pour qu'il ne faille pas s'en
méfier. Elles le sont trop dans tous les cas, pour qu'on y voie a priori la
mesure universelle des choses ; et l'on est en droit d'opposer aux biolo-
gistes, tenants du mécanicisme, une simple tin de non-recevoir.
11 y aurait lieu d'ailleurs de remettre sur le métier tout ce problème
du linalisme. Qu'il y ait de la confusion dans les idées, c'est ce qui
résulte clairement du fait que M. Bergson réduit à une erreur commune
les deux notions, contradictoires dans leur sens originel, de mécanicisme
et de finalité. Le R. P. Z. Martinez-Xuxez vient d'éditer tout un volume,
excellent d'ailleurs, sur la « Finalité dans la Science (1). » Or il n'y fait
pas allusion à une forme de la finalité qui, plus que toute autre, indi-
querait une adaptation intelligente extrinsèque, et serait par conséquent
la plus utile pour le but apologétique qu'il se propose (2).
11 y a une finalité intrinsèque qui n'est autre chose que la détermina-
tion essentielle de toute activité. Prise dans ce sens, ce n'est pas la
finalité qui est étonnante ; l'absence de finalité entraînerait l'absence
de toute action.
Il n'est pas rare que, pour démontrer le finalisme, on oublie tout à
coup que le mécanicisme n'est qu'un système, et un système des plus
discutés. Il est trop évident que les forces purement mécaniques ne
pourraient jamais mener les molécules de la matière brute à constituer
le moindre organisme, la moindre cellule. D'où l'on conclut qu'une
cause intelligente a mené la matière à cet agencement merveilleux
qu'elle possède dans les tissus vivants. — Mais le tissu vivant est-il
donc un simple agencement de molécules agissant suivant les lois de
la matière brute ? Le vivant contient un principe formel, une entéléchie
supérieure, en vertu de laquelle sa matière est ainsi agencée. Il ne s'agit
donc pas d'un arrangement qui suppose un ordinateur intelligent. Il y a
un fait totalement nouveau qui postule une cause ou intelligente,
ou intrinsèquement déterminée.
Le R. P. Martinez-Nufiez perd de vue cette alternative. Adversaire
1. P. Zacarias JIartinez-Nunez. La Finalidad en la Ciencia. Troisième
série de ses Études biologiques, Madrid, 1907. 1 vol. in-So de XI1418 p.
2. Nous devons remarquer cependant mie l'auteur n'a pas épuisé son
sujet, et qu'il nous en avertit lui-même : Un quatrième volume doit voir le
jour. — Nous nous permettons de recommander vivement ce travail, bien
que nous ne puissions pas partager toutes les idées du savant auteur.
Son opposition à l'idée évolutionniste (cfr. « La Herencia » dans la 2e série;
nous paraît d'un radicalisme que les faits ne justifient point. Mais le P.
Martinez-Nuiiez a étudié personnellement les problèmes qu'il agite, et montre
une sûreté d'information qui trop souvent, dans des ouvrages similaires,
brille par son absence.
140 REVUS DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
résolu de révolution biologique, il montre très bien que les formes
vivantes ne peuvent pas sortir de la matière brute, telle que nous la
connaissons, sans le concours d'une cause supérieure. Il prouve sans
peine que le darwinisme est impuissant, en bien des occurrences, à se
rendre maître des faits établis. Il y a donc autre chose. Mais quoi ? Une
cause supérieure intelligente, opérant pour une fin déterminée, expli-
querait à merveille l'organisation interne des vivants. Mais une cause
inconnue, déterminée intrinsèquement à tel effet, opérant d'une
manière aveugle, aboutirait au même résultat, et suffirait, en toute
rigueur, au moins comme explication immédiate.
Et c'est pourquoi cette finalité immanente, malgré toute l'importance
et l'intérêt énorme qu'elle présente, ne fait que serrer le problème de
plus près, sans réussir à le résoudre complètement. Il faut arriver à
la finalité extrinsèque, à celle qui se découvre dans l'homme lançant une
flèche vers un but déterminé, y sicut sagitta a sagittaute », comme dit
S. Thomas. Il faut que tel être soit pour tel autre, ou soit adapté à tel
autre totalement indépendant de lui-même. Et si cet adaptation est
constante, si sans cesse, par exemple, on voit surgir des êtres réalisant
« illud quod est optimum », c'est à dire correspondant aux conditions
extérieures de la nature, on pourra, sous certaines réserves, conclure à
une finalité universelle se révélant dans les êtres vivants. Tel serait, par
exemple, le fait que la respiration animale est adaptée à la fonction
chlorophylienne des végétaux.
Mais encore y aurait-il des réserves à faire. Dans la détermination de
finalités particulières les illusions sont faciles. Woltf prétend que la nuit
succède au jour afin que nous dormions, et afin qu'on puisse employer
certaines méthodes de pèche ! Les extravagances des finalistes ont
provoqué les plaisanteries, justifiées après tout, de leurs adversaires.
Voltaire imagine que le nez est fait pour les besicles, et Darwin démon-
tre que les vieilles filles remplissent dans la nature un rôle important :
elles concourent, d'une manière plutôt indirecte, à la fécondation des
trèfles! L'anthropomorphisme est toujours menaçant dans les interpréta-
tions finalistes de phénomènes biologiques particuliers ; il faut une très
fine analyse pour s'en défendre ; et il en résulte qu'il est infiniment plus
sage, si l'on veut conclure avec une entière certitude à l'ordre et la
finalité dans l'univers, de faire précéder ses considérations de quel-
que solide argument établissant la cause etliciente première. Des exemples
illustres doivent nous avertir que c'est bien là le procédé naturel.
L'Évolution. — L'Évolutionnisme passionne toujours les esprits. Les
publications qui s'en occupent ou s'en préoccupent se succèdent sans
relâche. Beaucoup pourraient sans aucun inconvénient passer à côté
de la question, et nous ne croyons pas que le bulletin de cosmologie
sera incomplet si nous ne signalons que quelques travaux typiques.
Avant tout, au point de vue philosophique, le dernier livre de
M. Bergson force l'attention. Rarement, l'abus des métaphores a été
poussé à ce point. Le style en prend un coloris plus intense; mais
l'éblouissement est à craindre, et l'idée perd de sa précision. On a dit
que toutes ces images sont autant d'arguments (1). C'est peut-être le
1. G. RAfiKor. Renie philonophijHc, juillet 1907.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 141
premier pas vers l'interprélation cabalistique du Maître. Pour notre
part, nous ne parvenons pas à voir la valeur probative de ce dévergon-
dage poétique ; et nous persistons à croire qu'un style plus sobre
serait un moyen de communication plus efficace avec des lecteurs, qui
demandent à la métaphysique autre chose que des constructions
scintillantes, qui ne se discutent plus comme des systèmes, mais
s'apprécient comme une épopée.
L'information en matière biologique constitue aussi un côté discutable
de l'ouvrage. On sent l'intermédiaire, le collectionneur de seconde
main. On s'étonne surtout de la confiance illimitée que l'auteur
accorde aux déductions les plus aventureuses des théoriciens scien-
tifiques.
Mais sous un style qui irrite, et à côté de matériaux qui provoquent la
méfiance, il y a une pensée profonde. Évidemment, ces nouvelles
études se rattachent aux idées bien connues de M. Bergson, et en sont
le complément naturel. Le « bergsonnisme » n'en est pas devenu plus
solide. Le principe de causalité, forme delà raison raisonnante à laquelle
échappe le réel, reste toujours une contradiction inadmissible. Mais
l'erreur même a permis au philosophe de mettre en lumière une face
trop négligée du problème fondamental de la causalité. A très juste
titre, M. Bergson affirme que la raison raisonnante est essentiellement
statique. Elle fixe les objets pour les regarder, et régit tout son pro-
cessus par le principe d'identité, tout en révélant les attaches de ce
principe avec celui de la raison suffisante dans sa forme idéale. C'est
là sa meilleure garantie. Elle lui permet le sortir d'elle-même et de se con-
naître comme objective. — Mais la causalité implique nécessairement
le divers. Deux stades de l'évolution cosmique ne se lient pas par
l'identité comme deux notions rationnellement distinctes, comme sujet
et prédicat. Le principe de causalité est en continuité avec celui de la
raison suffisante, comme ce dernier se rattache à l'identité fondamen-
tale. Mais il ne faut jamais perdre de vue que la cause est féconde par
définition, qu'il y a du nouveau, du non-réductible. Si l'on reste
fidèle à la terminologie traditionnelle, on ne parlera pas d'évolution
« créatrice » ; mais on comprend ce que veut dire M. Bergson, et si on
l'avait considéré davantage, bien des chicanes faites aux tenants de
l'évolutionnisme, auraient été impossibles. Il y a un jaillissement
continu de réalité dans l'univers; ce n'est donc pas seulement à l'origine
dune nouvelle espèce naturelle qu'il faut reconnaître l'intervention de
l'Absolu, comme par exception. Chaque modification, chaque mouve-
ment, même le moindre, nous introduit dans les abîmes féconds de
l'Être. A la lumière de ces principes, on se demande comment le
tîxisme peut reprocher au système rival de ne pas admettre dune
manière intermittente, cette action divine, que l'évolutionniste métaphy-
sicien reconnaît comme continue. Nous ne voulons pas insister pour ne
pas empiéter sur un terrain qui n'est point le nôtre.
Nous ne pouvons guère attacher d'importance, à notre point de vue,
au travail de M. l'abbé Tanguy sur VOrdre naturel et Dieu (1). L'auteur
1. Paris, Bloud, 1906. Un vol. in-8o de XIV -ISG p.
142 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
a senti le besoin, un peu surprenant, de réfuter chapitre par chapitre
le vieux Krafl und Stoff de Buchner. C'est une œuvre de prédicateur
et d'apologiste. On y trouve un nombre considérable de citations, qui
peuvent rendre service à ceux qui poursuivent le même but que
M. Tanguy. Mais il importe de remarquer que la plupart des questions
exigeraient une nouvelle mise au point.
A un niveau supérieur, nous trouvons un bon travail du professeur
GiusEPPE Calderoni : Uevoluzione e i suoi limiti (1). L'auteur étend ses
investigations à tout le domaine que les Allemands attribuent à la
« Naturphilosophie » ; et très souvent l'on rencontre des observations
originales et utiles, qui sans aucun doute rendront de sérieux servi-
ces aux apologistes, auxquels le professeur Calderoni parait destiner
son ouvrage. Nous croyons cependant que sur plusieurs points les
théories qu'examine et réfute l'auteur ont un peu vieilli ; et les idées
actuelles échappent souvent aux reproches qu'on peut à bon droit
adresser aux théories d'hier.
Dans la deuxième série de ses Études biologiques, le P. Martlxez-
NuNEZ a une bonne étude sur l'hérédité (2). Sans partager l'avis final de
l'auteur, nous nous faisons un devoir de rendre hommage au savoir
solide et étendu de l'auteur. Il est regrettable que les apologies scienti-
fiques n'aient pas toujours cette valeur.
Enfin nous nous faisons une joie de citer, parmi les travaux d'ensem-
ble, la nouvelle édition du superbe livre du P. Eric Wasmann : Die
moderne Biologie und die Entwicldungstheorie. Haeckel a le don
d'exaspérer l'auteur, qui finit par lui dire des injures (3). Nous le
regrettons ; car dans un travail aussi sérieux, dont le but primordial
n'est pas la polémique, un style plus serein serait plus reposant et
contribuerait à la dignité du livre. Nous croyons d'ailleurs que les
dernières élucubrations de Haeckel ne valent pas la peine qu'on s'en
occupe autrement qu'au point de vue de la propagande populaire. Mais
ce n'est là après tout qu'un détail. Le livre de Wasmann est une œuvre
magistrale, à laquelle on reviendra longtemps, si l'on a la préoccupation
du savoir solide, d'une méthode de recherches rigoureuse, et d'une
synthèse prudente, sincère, réfléchie (4).
1. Rome. Desclée, s. d., un vol. in-S» de VII-368 p.
2. La Herencia, Hipôtesis acerca del Sueîio, Optimismo cientifico. Ma-
drid, 1907. Un vol. in-8« de XXIV -332 p.
3. Le physicien Chwolson ne se défend pas du même langage dans
son excellente brochure : Das zwôlfte Gebot. Elle n'en est pas moins dune
importance considérable. L'auteur, avec mie compétence que personne ne
songe à contester, souhgne les invraisemblables erreurs, les affirmations ar-
bitraires, le dogmatisme ridicule de Haeckel; et rappelle à ce dernier le
« douzième commandement » (il y en a déjà beaucoup de « onzièmes ») : Tu
n'écriras pas sur un sujet que tu ignores. — Quelcfues considérations de Chwolson
sur la logique appliquée sont discutables; mais le travail dans son ensemble
est parfait.
4. La fameuse discussion entre le P. Wasmann et un grand nombre de
naturalistes est encore dans toutes les mémoires. Le savant jésuite a eu
l'beiucus^ idée d'éditer les trois conférences qui en avaient été l'occasion,
ensemMe avec un compte-rendu détaillé de la discussion elle-même. E. Was-
mann, S. J. Dpt Kampf um das Entwicklungsprohlem in Berlin. 1 vol. m-8o
de XIMG2 pp. Freiburg, Herder.) Les discours du P. Wasmann présen-
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 143
11 ne sera pas sans utilité de passer en revue quelques détails concer-
nant la question de l'évolutionnisme, à la lumière des dernières publi-
cations. Le lien génétique entre les différentes espèces est devenu
l'opinion commune. Le R. P. Martinez-Nunez et le professeur Calderoni
sont à peu près seuls à faire encore de l'opposition. Mais l'ouvrage du
Père Wasmann, et un excellent travail, signé trop modestement des
initiales J. M., publié par la Revue des Questions Scientifiques de
Bruxelles (1), mettent en évidence le fait que certains arguments clas-
siques de l'évolutionnisme ont au moins besoin d'être remis au point.
La célèbre loi biogénétique de Haeckel surtout fait assez mauvaise
tigure devant une critique objective, dégagée de toute préoccupation
doctrinale. Peut-être l'opposition menace-t-elle aussi de devenir
extrême. Le Père Wasmann semble bien admettre qu'il y a au moins
quelque chose. à prendre, en faveur de l'évolutionnisme, dans les formes
embryonnaires successives. Mais il paraît bien établi qu'on avait donné
à ces faits une portée que rien ne justifie. Dans le développement indi-
viduel de l'homme notamment, il n'y rien qui confirme la loi de
Haeckel.
Génération spontanée. — On connaît lopposition radicale de
Reixke dans la fameuse Philososophie der Botanik, contre toute géné-
ration spontanée. Les auteurs qui l'ont suivi dans cette voie se servent
généralement de ses recherches et reproduisent ses énergiques conclu-
sions. Mais on perd de vue que les termes employés prêtent parfois le
tlanc à la critique. H n'est pas exact de dire, par exemple, avec le Père
Wasmann, que la doctrine de la création et du Créateur personnel est
« un postulat de la science biologique » (2). La biologie, dans son con-
cept actuel, n'a d'autre postulat que son objet lui-même : la vie. Elle
peut, et à notre sens, elle doit se désintéresser de cette spéculation
philosophique ; la « philosophie de la nature » doit bien servir à
quelque chose. Le Père Wasmann lui-même paraît avoir des idées
exactes à ce sujet (3) ; mais ce « postulat scientifique » du créateur per-
sonnel revient à plusieurs reprises sous sa plume, et pourrait donner
occasion à des malentendus.
Reinke emploie d'ailleurs des expressions auxquelles personne ne
peut souscrire. Il estime la génération spontanée aussi impossible que
tent un intérêt considérable : ils précisent quelcfues points que son livre
laisse un peu dans l'ombre; et peuvent atteindre un public que ses écrits
plus spéciaux devaient rebuter. — ]\Iais le travail est important à un autre
point de vue : il constitue une page d'bistoire et une page de psychologie.
Nous avons là des exemples d'invraisemblable intolérance, de la part de
savants qm considèrent comme leur premier devoir le respect de toutes
les opinions sincères. En outre, à chaque pas on se heurte à des méprises
incroyables, aux conflits les plus flagrants avec les lois fondamentales de la
logique scientificpie, aux affirmations les plus naïves, — et cela de la
part d'hommes intelligents, de la plus haute culture, mais parlant de pro-
blèmes, hélas! qu'ils ignorent totalement. Quel dommage qu'on n'ait pas
affiché dans la salle le douzième commandement de Chwolson!
1. Ontogenèse et Phyîogénèse par J. M. S. J. Bévue des Ou. Scientif.,
]anv. et Avril 1907. . -^ i ,
2. Wasmann. Op. cit., p. 210 et .308.
3. Cfr. Oj). cit., p. 27.5.
1-44 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
la construction du triangle au moyen de deux droites. Il y a cependant
une différence, croyons-nous, entre la nécessité métaphysique et une
certitude de fait, surtout lorsqu'il s'agit d'une thèse négative. Nous
sommes certains qu'aucun fait constaté n'est venu donner Tombre d'une
vraisemblance à la théorie de la génération spontanée ; c'est-à-dire, au
fond, que jusqu'ici nous n'avons découvert dans la matière brute aucune
force, aucune propriété, dont leCréateur se seraitservi, comme d'une cause
seconde, pour faire jaillir de la matière le premier être organisé. Mais
cette découverte est-elle impossible ? Rien ne permet de l'aflirmer. Si on
la fait jamais, on n'aura pas plus de motif d'éliminer le Créateur ou
« l'ordinateur » de l'univers qu'on ne peut s'en passer philosophi-
quement à un stade quelconque de l'évolution universelle ; et malgré la
découverte, on ne construira pas de triangles au moyen de deux
droites.
De fait, la question n'en est plus précisément au point où lavait lais-
sée le génie de Pasteur. Elle est entrée de nouveau dans la phase expé-
rimentale ; et les recherches partent d'un point de vue qui n"a rien
de commun avec celui des anciens, ni même avec les observations
défectueuses de Pouchet. Jusqu'ici elles n'ont rien donné, au moins
pour le débat philosophique qui nous occupe. Il sérail naïf de croire
que les recherches sur les ferments solubles, sur le platine colloïdal,
sur la naissance des cristaux (plasmologie), ou les travaux de Stéphane
Leduc, de Burke, de Bastian aient tranché la question (1). Mais il n'est
pas impossible que quelques-uns des faits mis en lumière jettent un
jour nouveau sur certaines manifestations particulières de la vie végé-
tative ; et il n'est pas inutile de les suivre avec attention.
Polyphylogénèse. — Le nom est bien vilain, mais la doctrine qu'il
désigne a bien des vraisemblances en sa faveur. Sur la question de
savoir si tous les êtres vivants, animaux et végétaux, dérivent d'une
souche commune, M. Bergson, métaphysicien du vingtième siècle,
paraît avoir toute la naïve prétention d'un scolastique de la décadence.
A priori, par un invraisemblable paralogisme, il conclut avec une assu-
rance qui exclut tout doute, que la cellule animale et la cellule végétale
dérivent d'une forme unique ! (2) Les biologistes n'ont pas cette solide
confiance, qui étonne chez un philosophe aussi avisé. Les recherches
paléontologiques ne révèlent aucune convergence qui puisse justifier
cette conclusion : et les théoriciens qui ne substituent pas des spécu-
lations arbitraires aux faits constatés, ont une tendance croissante à
admettre des souches multiples comme « données ». Wasmann, l'auteur
anonyme de la Bévue des Questions Scientifiques, ainsi que le
D'^ Gemelli(3) sont de cet avis. La question théorique de la souche unique
reste ouverte ; mais nous n'avons pas plus de raison de la trancher par
l'aifirmative que celle de la génération spontanée.
1. II est étounant que le professeur Calderoni ne s'occupe pas de ces travaux.
Les conclusions qu'on en déduit peuvent inquiéter les lecteurs auxquels
il s'adresse.
2. Op. cit.. 122-123.
3. Prof. Agostino Dr Gemelli. Fer l'evoluzione, dans la Rivista di
Fisica, Mat. et Scienze Nat., nov. 1906.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 145
Les facteurs de l'évolution. — Assistons-nous à « l'agonie du Darwi-
nisme » ? La formule a été employée en Allemagne et paraît faire
fortune ailleurs (1). Les Anglais ne veulent pas admettre que toute la
synthèse de leur illustre compatriote soit perdue (2). Des Allemands,
préoccupés peut-être de la gloire de Weismann, leur prêtent d'ailleurs
un concours dévoué (3). Mais il faut constater que la foi dans la sélection
naturelle, comme principe des espèces vivantes, diminue tous les jours.
L'orthogenèse de Eimer, et surtout les travaux de De Vries occupent
tous les esprits, et font perdre du terrain, d'une manière progressive, au
darwinisme orthodoxe.
11 serait bien difficile, en efTet, de défendre encore l'idée flottante
que Darwin se faisait de l'espèce (4). La variabilité des formes vivantes
paraît enfermée dans des limites assez restreintes. Les lois de Mendel,
si longtemps oubliées, se sont tout à coup révélées judicieuses et
.fécondes ; et il a bien fallu recourir aux •< mutations » de De Vries, aux
« saltations » des Anglais, pour comprendre encore quelque chose aux
liens génétiques des espèces.
L'image que nous devons nous faire en ce moment de la succession
des formes vivantes dans le temps est assez complexe. Il y a des
espèces naturelles, distinctes des espèces syslémaliques, et leurs limites
peuvent se déterminer expérimentalement (o). Les « variations » ne
peuvent jamais dépasser leurs limites. Mais des causes qui échappent
totalement à nos investigations provoquent tout à coup l'instabilité
interne de l'espèce ; des formes nouvelles, sensiblement différentes des
premières, se révèlent avec tous les caractères des espèces naturelles
proprement dites. L'évolution est donc « discontinue » ; elle s'ac-
complit par sauts brusques. La constatation soulève des problèmes
redoutables ; mais nous n'avons qu'à nous incliner devant les faits.
Il serait illusoire cependant de prendre ces doctrines pour des vues
définitives. Reinke (6) paraît avoir établi que les mutations elles-mêmes
n'ont qu'une portée très restreinte. Darwin les connaissait, mais ne
leur a attribué aucune signification, parce qu'à son avis, les formes
nouvelles sont destinées à s'eftacer rapidement. On a fait observer
d'autre part, et non sans raison, que l'être vivant est une unité où tout
se tient. Le changement d'une partie entraîne celui d'une foule d'autres;
et il faudrait observer, pour que la mutation puisse être considérée
comme le facteur essentiel du processus évolutif, le changement syn-
chronique et brusque d'une foule d'organes. Ce fait indispensable,
l'observation ne l'a pas établi.
Les controverses poursuivent leur cours, et rien ne permet d'en
1. Cfr. Dietsche Warande en Belfort, 1907 no 8-9.
2. Cfr. Lettre de W. Thiselton-Deyer dans le Lit. siipp. du Times, 13
sept. 1907.
3. Cfr. p. exempt, l'art, de Ziegler dans la Riv. di Scicnza I.
4. Cfr. l'excellent travail de F. Raffaele : Il concetto di specie in biologia.
— Eiv. di Scienza, I et II.
5. Cfr. Blaringhem : Notion d'espèce et mutation; dans L'année psycho-
logique, Douzième année. — Lock : Récent progress in thé study of variation,
heredity and évolution.
6. Reinke : Einleitung in die theoretische Biologie.
2^ Année. — Revue des Sciences. — No i, lo
146 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
prévoir l'issue. Un point paraît acquis, c'est que la sélection naturelle,
c'est-à-dire l'utilité, nous laisse dans l'embarras devant une foule de
faits avérés, lorsqu'on part de l'iiypollièse d'une variation continue.
Ramon y Cajal rappelait tout récemment un cas frappant (1). Si l'on
passe par variations lentes de la vision « panoramique » des batraciens,
reptiles et oiseaux à la vision binoculaire de l'homme et du singe, on
doit passer par un état qui entraîne fatalement une diplopie. Expli-
quera-t-on celte imperfection manifeste par son utilité ?
D'autre part, la variation « discontinue » est mystérieuse, et affirmée
comme fait général, éminemment discutable. Le Père Wasmann trouve
quaucun système ne paraît s'appliquer à tous les cas, et que tous con-
tiennent probablement une part de vérité.
Il nous semble qu'une vue synthétique n'est pas impossible. La
mutation pourrait bien n'être que la conséquence de la variation con-
tinue. L'animal ou la plante est un tout, oîi toutes les parties sont soli-
daires. Imaginons que, par une tendance interne, l'être vivant modifie
sa forme; tous les organes seront constamment en équilibre.Mais il n'est
peut-être pas impossible de supposer que l'un ou l'autre caractère reste
en retard. Un état d'équilibre instable, peut-être un état de tension en
résultera ; le moindre déclic suffira pour que brusquement le caractère
se mette au pas des autres dans une nouvelle génération (2). De cette
manière la variation continue serait la règle, la mutation au contraire
l'exception. On comprendrait la rareté des cas décrits jusqu'ici ; et
l'objection tirée de l'équilibre des organes tomberait d'elle-même.
L'image que l'on se ferait du monde vivant serait au moins plus synthé-
tique, ce qui, dans le conflit des systèmes, est déjà un avantage.
Rien ne nous empêcherait d'ailleurs d'attribuer un rôle considérable,
bien qu'un rôle négatif, à la sélection naturelle qui, à certains égards,
n'est pas une hypothèse, mais un fait Si l'on admet les espèces natu-
relles, leur notion est double. Il faut d'abord les considérer comme un
ensemble de caractères positifs, qui, d'une manière plus ou moins
flottante, se retrouvent chez tous les individus de l'espèce. Mais, en outre,
la plupart des espèces sont nettement limitées. Entre chacune d'elles et
l'espèce voisine, il y a une distance sensible ; il y a là comme une
solution de continuité dans le système du monde. Il est fort naturel de
croire que la sélection naturelle l'a produite. Il est manifeste qu'à
certains points de vue les formes intermédiaires se trouvent dans un
état d'infériorité dans la lutte pour l'existence et qu'elles tendront dès
lors à s'éliminer.
Reconnaissons cependant que tout est hypothèse sur ce domaine,
et qu'il y a devant nous une possibilité de recherches infinie.
Fribourg (Suisse), octobre 1907. P. M. P. de Mlnnynck, 0. P.,
professeur à l'Université.
1. Ramon y Cajal. Préface à la deuxième série des études biologiques
du P. Martinez-Nunez.
2. Nous exprimons cette hypothèse en termes « mécaniques »; dans le
but d'obtenir plus de clarté. La transposition n'est pas impossible.
Bulletin de Théologie Biblique
ANCIEN TESTAMENT.
I. — Ouvrages Généraux.
LE petit livre que le Dr. Max Lôhr, de Breslau, a publié dans le
Sammlung Ginchen sous ce titre : Altteslamentliclie Religions-
geschichte (1), n'est déjà plus tout à fait une nouveauté. Je tiens cepen-
dant à le signaler à cause de son ré'el mérite. Ceux qui désireraient
prendre une connaissance rapide et pourtant précise de l'histoire de la
religion israélile et juive, telle que la conçoit présentement l'école de
Wellhausen, n'ont qu'à lire cet Abrégé. Je n'en détaillerai pas le contenu
ni même n'en préciserai les idées directrices. Je ne pourrais que
répéter ce qui a été dit ici même l'an dernier à propos de l'esquisse
semblable de M. Marti. {R. d. Se. Ph. et Th. 1, 1, pp. 132 et ss.).
Écrivant pour le grand public, M. Lôhr s'est senti pressé de s'expli-
quer, avec le plus de netteté possible, sur le caractère propre de la
religion de l'A. T. Nos lecteurs prendront sans doute un intérêt spécial
aux déclarations suivantes :
« Nous voyons dans la religion de 1' A. T. les premiers degrés de la
révélation de Dieu dans le Christ Jésus. Depuis l'époque la plus
ancienne dont parle l'A. T. s'accomplit, selon notre manière d'envisager
les choses, une communication personnelle et continue de Dieu à des
personnalités choisies, communication dont le contenu de plus en plus
élevé est en rapport avec la capacité croissante de recevoir de ces élus.
Cette révélation n'est pas à concevoir, dans le concret, comme un
phénomène magique, miraculeux. Son développement ne se produit
pas non plus uniformément en ligne droite. Cependant l'histoire de la
religion de l'A. T. présente une évolution spirituelle dont j'oserai dire,
risquant le mot fatal, qu'elle est en dehors des lois communes
{icunderbare), et qu'elle impose de faire appel, comme explication, à
l'hypothèse d'une action providentielle.
On n'est point parvenu à « expliquer » la personnalité de Moïse. Il a
fallu qualifier d' « énigme » le fait que le jeune peuple israélite, se
trouvant soumis à l'influence de la civilisation cananéenne, ait main-
tenu avec succès son originalité religieuse. L'entrée en scène répétée
de personnalités prophétiques, du VllI^ au 'VP siècle, a dû être signalée
comme un fait « unique » dans l'histoire du monde.
Ces données et d'autres de la religion de l'A. T. perdent pour nous
leur caractère d'énigmes dès que nous nous décidons à y voir une
action de Dieu dans l'histoire, et dans les idées que ces hommes
1. Petit iii-16 de 147 p., Leipzig, Goscheii, 1906.
148 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
représentent des révélations, ayant pour but une éducation divine de
Thumanité.
La principale difficulté à cette manière de voir git dans les commen-
cements de cette évolution religieuse.
Nous montrerons que ces commencements portent le caractère d'une
religion de la nature et, à cet égard, ne diffèrent en rien des religions
des peuples païens.
Mais il convient de signaler, en retour, que TA. T. lui-même a
conscience de la différence qui existe entre la forme initiale et la
forme mosaïque de la religion. Il fait commencer avec Moïse une
époque de révélation plus haute, 2 Moïse, 6, 3..., De plus, même dans
une religion de la nature, Ion trouve comme le pressentiment de l'être
divin, à savoir de son énergie éternelle et de sa divinité, cfr. Rom. I.
20., et, particulièrement dans le culte des morts, apparaît clairement
une orientation vers le point de vue moral.
En Israël, par opposition à tous les autres peuples de l'antiquité, s'est
effectuée, à partir de ces données initiales communes, une évolution
unique. L'A. T. rapporte ce résultat à la révélation que Dieu a commu-
niquée à ses envoyés. Nous-même nous n'avons pas là-dessus d'autre
conception... » p. 8 et ss.
2. — Monographies.
A. Période Ancienne. — Depuis plusieurs années, M. CheYiNE
travaillait à un commentaire de la Genèse destiné à Vlnternalional
Critkal Commentari/. Mais quand, l'an dernier, il remit son travail aux
directeurs de cette collection, M.M. Driver et Briggs, ceux-ci consta-
tèrent, sans beaucoup d'étonnement peut-être, qu'il s'écartait par trop
du programme qu'ils avaient entrepris de réaliser. Ils invitèrent donc
M. Cheyne à faire de son élude l'objet d'une publication indépendante.
Telle est, d'après l'auteur lui-même, l'origine du livre qu'il vient de
publier à Londres cliez Black : Traditions and Beliefs of ancient
Israël (1), et qui est une série de dissertations critiques et exégétiques
sur les sections importantes de la Genèse et des premiers chapitres de
l'Exode
Les idées de M. Cheyne nous étaient déjà connues par ses articles de
YEncyclopaedia Biblica (1902-1903), par les cinq fascicules parus dans
sa Crilica Biblica (1903-1904), par son Book of ihe Psalms (1904).
Cependant il ne les avait pas encore appliquées, d'une manière aussi
étendue, à l'explication des textes relatifs à l'histoire primitive d'Israël.
L'éminent professeur d'Oxford marche dans une voie qu'il a lui-même
ouverte et jusqu'ici il y marche seul. Il représente à lui tout seul un
système. Ce n'est ni l'évolutionnisme classique de Wellhausen ni le
Panbabylonisme de Winckler : c'est le Pan-Jérahméélitisme. Pardon du
mot 1 Voici ce dont il s'agit. M. Winckler, il y a quelques années, crut
découvrir que certains textes assyriens supposaient l'existence, non
seulement dans le nord de la Syrie, mais au Sud de la Palestine, d'un
1. In-8o de XX-591 p., Londres A. et C Black, 1907.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 149
royaume de Musri distinct de l'Egypte (Misraïm). Sur la carte qu'il
inséra en 1903 dans Tédition refondue par Zimmern et lui-même de
l'ouvrage de Schrader : Die Keilinschriflen und das Alte Testament, ce
mot de Musri et les formes apparentées barrent de leurs letlres rouges
le Négeb, un peu au-dessus du Djebel el-Maclira et de Pétra (1).
M. Cheyne a adopté ces vues et il a fait de Musri l'un des mots magiques
à l'aide desquels il se flatte d'arracher enfin à la Bible son secret. Il en
a un second et c'est Jérahméel. Jérahméel se lit en plusieurs endroits du
texte actuel de la Bible, i. Sam. xxvii, 10; xxx, 29, ; I Chr. ii, 9, 25,
26, et ss. ; xxxiii, 42, comme désignation d'un clan du Négeb issu de
Juda et apparenté à Caleb. Armé de ces deux petits mots et spéciale-
ment du second, M. Cheyne procède à une révision substantielle du
texte traditionnel de l'A. T. Dans cette révision il observe deux règles
tout à fait appropriées que VFxpository Times (2) formule en ces termes
humoristiques : 1° Lorsqu'un mot ressemble à un autre, c'est évidem-
ment cet autre déguisé ; 2° S'il ne lui ressemble pas, c'est cet autre
tout de-même. Le résultat immédiat de cette audacieuse critique c'est
que, dans le texte révisé de M. Cheyne, le mot Jérahméel figure à toutes
les pages.
Mais ce n'est là qu'un premier pas. Ces opérations critiques ont pour
conséquence ultérieure un bouleversement total de l'ethnographie,
delà géographie et de l'histoire d'Israël. De son ethnographie : Jérah-
méel apparaît à M. Cheyne comme un grand peuple dominant sur
presque toute la péninsule sinaïtique,avec l'Horebpour centre, et Israël
comme un clan récent et peu considérable de Jérahméélites. De sa
géographie : Israël, dans son ensemble, a pour patrie le Négeb. La
Palestine des Israélites, c'est tout bonnement le Négeb. De son histoire:
elle n'a pas d'autre théâtre que le Négeb et le Négeb lui suffit. Dans le
Négeb, en effet, se trouvaient réunis tous les peuples ou royaumes avec
lesquels la Bible met Israël en relations. Là étaient : Ismael, Aram,
Amalec ; Musri, Aschur, Jérahméel ; la Babylonie, l'Assyrie, l'Élam ;
les Philistins, les Phéniciens et Gog lui-même. Jamais pays ne fut aussi
peuplé. Aussi M. Cheyne a-t-il grand soin de nous dire que le Négeb de
jadis était mieux cultivé et partant plus fertile que celui que nous
connaissons Israël était si bien enfermé dans ce malheureux Négeb
que ni l'exode ni l'exil ne réussirent à l'en faire sortir.
Ce simple rappel des vues générales de M. Cheyne a paru indispen-
sable et suffira sans doute comme introduction à l'exposé de la théorie
qil'il propose touchant l'origine et le développement de la religion
Israélite. Celte théorie est l'élément intéressant du livre que nous
étudions. Elle peut se résumer ainsi : L'origine de la religion d'Israël
est à chercher dans la religion de Jérahméel. La religion d'Israël a
pris sa physionomie propre et s'est développée par voie de différenciation
et d'opposition vis-à-vis de la religion plus ancienne des Jérahméélites.
L'influence des autres systèmes religieux de l'Orient, égyptien, perse
et même cananéen et babylonien a été relativement peu importante.
1. Sur Musri et Misraïm, cf. Lagrange, Revue Biblique-, 1902, p. 256 et sv.
2. Dec. 1907, p. 104.
150 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Les Jérahméélites-Israélites adoraient anciennement une triade
divine : Aschhur ou Achtar, Jérahméel on Jarham et Jahvé ou, plus
communément peut-être, une simple dyade : .léraliméel-.Iahvé. Aschhur
était le Dieu spécial du district Jérahméélite d'Aschur. Peut-être à
l'origine était-il un esprit ou génie des arbres. Dans la suite il eut
comme symboles les acherim ou pieux sacrés. Il porte encore le nom
d' Achtar.
Aschhur-Achtar n'est le plus souvent qu'un double de Jérahméel
le dieu ethnique et principal des anciens Jérahméélites. Cette divinité
se présente avec des attributs nombreux. 11 y a lieu de distinguer
en Jérahméel le dieu d'un peuple nomade et le dieu d'un peuple
sédentaire et cultivateur. En la première qualité il revêt les
aspects suivants : 1° dieu des montagnes (avec référence spéciale au
Sinaï) ; 2° dieu de la tempête et du feu ; 3° dieu des pierres sacrées et
des rochers en général ; 4° dieu des sacrifices simples et des sanctuaires
primitifs. En la seconde qualité, il apparaît comme dieu de la végéta-
tion, dieu bienveillant et tulélaire, créateur et sage, guérisseur, etc.
Jahvé, d'abord simple compagnon de Jérahméel dans la dyade divine,
devint le dieu principal d'un clan récent de Jérahméélites, les Israélites.
La tribu sacerdotale de Lévi et spécialement le clan de Mocheh (^Moyse)
joua un rôle important dans cette évolution. Les prophètes, ceux du
VHP siècle et suivants surtout, firent du triomphe de Jahvé leur objec-
tif principal. Jahvé — dont le nom dérive de Jérahméel — reçut la
plupart des attributs de la divinité qu'il remplaçait, mais un élément
nouveau et caractéristique leur fut adjoint, l'élément moral.
Cependant il s'en fallut de beaucoup que Jérahméel disparût des
préoccupations religieuses d'Israël. Il subsiste comme divinité concur-
rente et c'est lui qui attire les Israélites et les provoque à l'apostasie
sous les noms de Baal, de Molech. Il subsiste dans le Jahvéisme
lui-même, en qualité de divinité déposée et à ce prix devenue orthodoxe,
dans le Mal'ak Jahvé, en Michel, dans le Fils de l'homme, etc.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de dieux. Capendant il n'est pas
douteux que la divinité primitive des Sémites n'ait été une déesse-mère,
une Astart. Tout porte à croire qu'a l'origine les Jérahméélites adoraient
une Astart à côté ou même au-dessus de Jérahméel. La ruah 'Elohim
{Gen. I, 2) suggère positivement une Jarhith, forme abrégée de Jérah-
méélith, la divine parèdre de Jéraliméel. Cette déesse s'est maintenue
jusque dans le Jahvéisme ancien. C'est elle qui figure comme parèdre
de Jahvé dans la formule Jahvé Sebaoth. Sebaoth = Chema^ith =
Achtart.
Je ne puis songer à pousser plus loin cette analyse, malgré que le
livre de M. Cheyne contienne beaucoup d'autres clioses encore. Ce qui
vient d'être dit sulfit sans doute à donner quelque idée de son système.
Dans un article publié par V Amprican Journal of llieologij sous ce titre:
Israël or Jérahméel, (1) M. H. P. Smhh nous avoue la stupeur dont il
fut saisi lorsqu'il aborda l'étude de la théorie de M. Cheyne. Il fut
longtemps à se demander s'il ne se trouvait pas en présence d'une
1. Octobre 1907.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE loi
colossale mystificalion. La brochure de AVuately : Historic Doubls
relative io IS'apoleon Buonaparte lui revint en mémoire. Celte fois en-
core ne s'agissait-il pas d'une réfutation par l'absurde des témérités de la
critique. Il lui fallut bien se convaincre qu'il n'en était rien et il écrit cette
phrase cruelle qui est à elle seule une réfutation: « To do aulhov justice,
he nowhere betrays ihe slightest sensé of humour. » Avec moins d'hu-
mour et plus de réelle justice j'appliquerai à M, Chejne le jugement
qu'il porte lui-même, dans l'Introduction, sur M. Edouard Meyer :
« M. peut bien être un critique de l'A. T. très désappointant. Cependant,
étant donné l'étendue de son savoir, il est inévitable qu'il apporte parfois
des contributions, directes ou indirectes, à son étude, soit d'une manière,
soit d'une autre. »
C'est avec un vif sentiment de soulagement que l'on passe du livre de
M. Cheyne, puissant à coup sur mais dans le paradoxe, à l'étude oîi
M. Adolphe Lods, maintenant professeur en Sorbonne, a traité cet impor-
tant sujet : La croyance à la vie future et le culte des morts dans lanti-
quité Israélite (1). La méthode en est infiniment plus acceptable et si
plusieurs des conclusions essentielles ne le sont pas^ une application
plus rigoureuse encore des procédés suivis par l'auteur suffit à faire voir
pourquoi et dans quel sens elles doivent être corrigées. Par sa seconde
et sa troisième parties surtout, le travail de M. Lods nous maintient en
face du problème, sinon des origines mêmes, du moins des formes
primitives de la religion Israélite.
Dans la première partie de son livre, M. Lods, après avoir rappelé la
suggestive histoire des discussions relatives au sujet qu'il étudie,
aborde : La notion de l'dme dans Vancien Israël. Les Hébreux
croyaient, depuis toujours, à l'existence dans l'homme d'un double. Ce
double était conçu comme animant le corps. On pensait qu'il lui était
possible d'émigrer hors du corps ad tempus et l'on n'avait aucun doute
qu'il ne survécût au corps. A ce double, les anciens Israélites donnaient
habituellement le nom de nephech, plus rarement celui de ruah. Le
nephechelle ruah n'étaient point conçus comme deux principes distincts.
L'anthropologie hébraïque, si l'on peut employer un terme aussi savant,
était dichotomique. Le double était identifié concrètement avec le
souffle (halitus). A une époque plus récente, probablement à partir de
la captivité, les Israélites semblent avoir conçu le souffle vital comme
quelque chose d'impersonnel, communiqué par Dieu dans la création
et qu'il retire et rappelle à lui au moment de la mort. Logiquement,
cette idée aurait dii entraîner la négation de toute survivance person-
nelle. Il n'en fut rien. L'âme résidait, d'une manière toute spéciale dans
le sang. D'oîi le caractère sacré du sang. Les anciens Hébreux attri-
buaient aux animaux et aux végétaux une âme qui ne semble pas
différer essentiellement de celle de l'homme. Ils étaient donc animistes,
au moins dans une certaine mesure.
Dans la seconde partie de son travail, M. Lods étudie : Le culte des
morts. Les deux premiers chapitres traitent respectivement des rites
1. Deux volumes gr. in-8o de VIII-292 p. et VI-160 p. Paris, Fisch-
bacher, 1906.
152 BEVUr DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
préservatifs et des rites proprement religieux. L'auteur procède
d'après le principe que voici : « Il nous paraît donc de bonne
méthode, lorsqu'un rite de deuil se retrouvera non seulement dans le
culte, mais dans d'autres tabous, d'en chercher l'origine de préférence
dans la crainte d'un esprit, qui sera naturellement ici l'esprit du mort, »
I, p. 81, c'est-à-dire simplement dans un souci de préservation. Comme ri-
tes funéraires proprement religieux, les suivants seuls sont retenus : la
lamentation funéraire, l'acte de se raser la tête (sacrifice des cheveux),
les incisions, les repas funéraires, les offrandes sur la tombe. Le
ch. III traite de la tombe et du Chéol. Les idées en rapport avec la
tombe, idées dont nous trouvons encore des traces à l'époque histori-
que, attestent que : « Le mort, pour l'ancien Israélite, continue à sentir,
à agir, à vivre, et il a droit à une vénération religieuse. » I, p. 184.
Quant au Chéol, voici ce qu'en pense M. Lods : « Les origines de l'idée
du Chéol ne sont probablement ni aussi simples, ni aussi modernes,
qu'on le dit souvent ; et il faut admettre provisoirement que les anciens
Hébreux ont pu, comme tant de peuples fort peu développés, la former
de très bonne heure, longtemps avant leur entrée en Palestine. » I,p. 212.
Le ch. IV a pour sujet le culte rendu aux morts après l'ensevelissement.
L'auteur v voit un culte au sens strict, de même nature que celui qu'on
rend à la divinité et il écrit : « Les morts sont des dieux, d'un rang très
inférieur sans doute, des sortes de génies familiaux et locaux, mais
enfin des élohim. Ils sont doués d'un savoir et d'un pouvoir surhumains,
on leur ofTre des sacrifices ; ils ont leurs lieux saints, leurs temps
sacrés ; on leur demande des oracles. » I, p. 263.
Dans la troisième partie, M. Lods se demande quel rapport existait
entre ce culte des morts et l'organisation de la famille et du clan Israé-
lites, Si ce culte des morls était un culte des ancêtres. Il estime que les
Israélites, avant d'adopter l'organisation patriarcale, ont connu le
matriarcat et qu'il subsiste des traces de cet état primitif même à la
période historique. Et relativement à l'objet principal de sa recherche,
il propose finalement la double conclusion suivante : « Pendant la
période d'organisation patriarcale, le culte des morts, bien que libre de
s'adresser à tous, spécialement aux morts puissants, aux héros, tendait
à se concentrer sur ceux qui étaient tenus pour les ancêtres de la famille,
de la michpahah, de la tribu, de la nation, le mot ancêtre étant pris au
sens précis de générateur humain par filiation paternelle du groupe en
question. » II, p. 105. « Certains indices font penser que l'on rendait,
dès l'époque du régime maternel, un véritable culte non seulement aux
morts en général, mais d'une part aux ancêtres dans le sens que ce mot
peut avoir dans les sociétés à filiation utérine, et d'autre part aux
esprits des hommes qui pendant leur vie avaient fait preuve de quelque
puissance surnaturelle. » II, p. 124.
Je note encore cette déclaration importante touchant les rapports qui
existent entre le culte des morls et l'origine de la religion chez les
Sémites : « Nous avons cru devoir renoncer à déterminer si cette
religion (le culte des morts) a été la religion primitive des Sémites. Il
nous a suffi de constater que, si haut qu'on puisse remonter, on la
trouve à côté dos autres formes de la religion sémitique : culle des
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 153
arbres, des sources, des pierres, des montagnes, des animaux, des
astres. La crainte et la vénération des esprits trépassés a été chez les
Sémites, comme dans la plus grande partie de l'humanité, Tune des
manifestations primordiales du sentiment religieux. » II, p. 126.
Il y a des points faibles à cette thèse, si remarquablement conduite
qu'elle soit. J'en signalerai deux qui sont de toute première importance.
M. Lods n'a point un assez vif sentiment de ce que le terme de culte et
même de culte religieux peut recouvrir d'idées, de sentiments, d'atti-
tudes d'âme divers, même dans une humanité peu développée. L'iden-
tité de nature qu'il établit entre le culte des morts et le culte de la
divinité, outre que bien des indices la contredisent, est solidaire de
cette analyse psychologique insuffisante. En outre, l'on ne voit pas
toujours clairement de quelle période de l'histoire d'Israël il veut parler
et ce qu'il entend au juste par antiquité Israélite, par ancêtres d'Israël.
Les Israélites n'avaient point conscience de remonter, comme peuple
spécial et branche autonome de l'arbre sémitique, au delà d'Abraham.
Il .semble que M. Lods. lui, ait souvent en vue des temps beaucoup plus
reculés. Mais alors que signifie dans ce cas le mot Israélite ? Cfr.
Lagrange, Bev. Bibi, juillet 11)07, p. 422 et ss.
M. W, 0. T. Oesterley a donné dans VFxpositor trois articles inté-
ressants sur La iJémonologie de l\\. T. (1), Malgré qu'il l'étudié surtout
d'après les Livres prophétiques et les Psaumes, il me paraît plus avan-
tageux de mentionner son travail en cet endroit. Ce problème de la
Démonologie israélile ofïre en effet de l'intérêt surtout en tant qu'il peut
contribuer à jeter quelque lumière sur les formes anciennes de la
religion d'Israël. Dans un premier article, servant d'introduction et
intitulé : 2'he Demonology in the Old Testament, l'auteur propose
certaines considérations générales qui lui paraissent rendre vraisem-
blable à priori l'existence dans l'A. T. d'une démonologie beaucoup plus
développée qu'on ne le croit communément. La croyance à des esprits
malfaisants est caractéristique d'une certaine phase du développement
religieux chez tous les peuples. Les Cananéens, les Arabes, les Baby-
loniens, peuples de même race que les Israélites, possédaient une très
riche démonologie. Le Judaïsme tardif est dans le même cas. Dans l'A.
T. même, nous constatons l'attention accordée aux serpents et la présence
d'une angélologie compliquée. Trouvant dans la démonologie cana-
néenne, arabe, babylonienne et juive un fond de croyances communes,
M. Oesterley estime légitime et important d'interpréter les passages
obscurs de l'A. T. à leur lumière. Dans un second article intitulé : The
Demonology of the Old Teilament illustrated froni the Propheiical
irrilings, l'auteur attire l'attention sur les textes où il est question des
animaux qui hantent les lieux déserts et les ruines (v. g. Isaïe, xiii, 21-
22) ; sur certaines catégories de personnes et spécialement celles qui
cultivent la nécromancie ; sur les ornements des femmes, dont beaucoup
sont des amulettes, et autres objets semblables. Il estime que les démons
se recrutaient en particulier parmi les esprits des défunts. Un troisième
et dernier article est intitulé : llie Demonologg of the Old Testament
1. 1907 : Avril, w. H16-332; Juin, pp. 527-.344; Août, pp.. 132151.
154 REVUE DES SCIE>XES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
illustrated hij Psalm xci. Ce psaume, que l'auteur croit postérieur à l'exil,
est recommandé par la littérature rabbinique contre les rencontres
démoniaques. Le thème général en est celui-ci : Il ne faut pas recourir
contre les démons aux formules magiques et aux incantations, aux
pratiques des sorciers et sorcières, mais à la seule protection de Jahvé.
Je note cette vue générale sur la démonologie dans l'A. T. : « Il y a
des raisons de croire que, depuis les temps les plus anciens, Israël
possédait une démonologie étendue, de caractère populaire, qui était la
commune propriété de la race sémitique. De sorte que, quand lin-
fluence babylonienne vint à s'exercer une seconde fois, au temps de
l'exil, elle trouva vraisemblablement un terrain préparé à recevoir les
semences nouvelles que les vents soufflant de Test pouvaient y jeter-
Cela, joint au fait que le ferme monothéisme de l'époque post-exilienne
éliminait, dans une large mesure, le danger de culte des démons,
expliquerait la démonologie très développée et ofïiciellement reconnue
du judaïsme tardif. » p. 132.
L'ouvrage de M. Lods et les articles de M. Oesterley nous ont un peu
éloignés de l'objet essentiel de l'histoire de la religion Israélite, qui est
l'origine et le développement du culte de Jahvé. La brochure de
M. GuNKEL : Elias, lahve und Baal, nous y ramène (1). Des trois
chapitres qu'elle renferme : I Die Erzàhlungen von Elias, aesthetisch
und literaturgeschichtlich betrachtet ; II Kritik der Erzàhlungen von
Elias als Quellen der Geschichtschreibung ; III Das hislorische Bild des
Elias im Zusammenhang der Religionsgeschichte Israels, seul le dernier
nous intéresse ici. Élie nous apparaît comme la personnification du zèle
religieux. Ce zèle se manifeste en deux rencontres capitales : lors de
l'introduction du culte de Baal en Israël par Âchab et lors du meurtre
juridique de Xaboth. Dans la première, Élie lutte pour le culte exclusif
de Jahvé en Israël. Il représente une conception monolâtrique exclusive
de tout syncrétisme, et qui peut se traduire ainsi : « Je suis Jahvé, ton
Dieu ; tu n'auras pas d'autres dieux à côté de moi. Car le nom de Jahvé
est « le jaloux » ; il est un dieu jaloux. » Ce n'était pas à proprement
parler une conception nouvelle, mais le renouvellement d'une idée essen-
tielle au Jahvéisme, que l'établissement en Canaan avait presque abolie.
Grâce à Élie, elle ne cessera plus d'agir. Il y a autre chose encore dans
la haine du prophète contre Baal. Le dieu tyrien ne lui apparaît pas
seulement comme un rival illégitime de Jahvé, mais comne une divinité
de caractère essentiellement différent. Son culte est fait d'actes impurs
et de pratiques magiques. Ce qu'Élie combat en lui, c'est un dieu de la
nature et dans son culte une religion de la nature. Au contraire, Jahvé
est pour Élie le dieu de l'Exode, un dieu austère, redoutable, guer-
rier. Lors du meurtre de Naboth, Élie représente une conception
morale de Jahvé. Il parle et agit au nom de Jahvé, dieu du droit et de la
justice, gardien et prolecteur de l'un et de l'autre. Cela non plus n'est
pas nouveau. Mais Élie a de cet aspect de Jahvé un sentiment extraor-
dinairement intense. En résumé, au milieu de la déliquescence reli-
1. Un vol. ia-lG de 76 p. {ReligionsgeschiditUche Volksbiicher) Tufniigue,
Mohr, 190(3.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE lo5
gieuse d'Israël établi en Canaan, Élie fait revivre dans toute sa pureté et
sa vigueur le Jahvéisme mosaïque, et il le transmet aux prophètes des
âges suivants. C'est là son rôle et c'est un rôle unique dans l'histoire de
la religion Israélite.
Les deux derniers fascicules, publiés en guise de supplément par la
Zeilschrifl fur die alUestamentliche Wissenschaft, sont dus à. MM. Max
LoHR et Martin Peisker. Tous les deux s'attachent à analyser le lien
religieux qui unissait Jahvé et Israël, mais ils considèrent le problème
de points de vue différents. La brochure du D'" Lôhr a pour titre :
Sozialismus und Individualismus im Allen Testament (1). La question
traitée est celle-ci : Dans l'A. T. la collectivité seule : nation, tribu,
clan, famille, pouvait-elle entrer en relations avec Jahvé, ou bien l'indi-
vidu, comme tel, pouvait-il aussi y prétendre ? M. Lôhr pense, avec
Roberlson Smith, que, dans les religions sémitiques en général, le sujet
de la religion c'est uniquement le groupe social à ses divers degrés.
Par contre il estime qu'il n'en est pas tout à fait ainsi dans la religion
israélite. L'individu comme tel, jusqu'à un certain point et dès l'époque
ancienne, peut aspirer à entier directement et personnellement en rela-
tions avec Jalivé. Dans l'histoire d'Israël il relève des cas d'individualisme
incontestable, ceux, par exemple, de Lot, de Caleb-Josué, de Josias, et
dans la législation ancienne la forme individualiste de certaines pres-
criptions, Èx. XXI, et ss., le «tu» individualiste du Second JJécalogue,
Ex. XXXIV. Les noms propres oii entre le nom de Jahvé trahissent la
même conception. A l'époque des prophètes, une différenciation sociale
et, conséquemment, religieuse encore plus marquée se produit. Les
prophètes eux-mêmes sont le vivant témoignage que l'individu est
apte à entrer personnellement eu relations avec Jahvé. Cependant cet
individualisme a ses limites. « L'individu, tout en étant un adorateur
véritable de Jahvé, entretenant avec lui des relations personnelles, se
sentait pourtant quantité sociale en tant que membre de la communauté
nationale, et cela dans une mesure importante. Ce sentiment de solida-
rité agissait, tantôt plus énergiquement et tantôt moins, sur sa vie reli-
gieuse individuelle elle-même. » — M. Lôhr a eu raison de réagir
contre la conception purement sociale de Smend, Stade et autres, en ce
qui concerne la religion israélite. Il eiit été bien inspiré d'introduire
de fortes réserves dans son acceptation des vues de Robertson Smith
relativement aux religions sémitiques en général, ne fût-ce qu'en consi-
dération de l'Assyro-Babylonieoù nous tiouvons des traces si marquées
d'individualisme religieux.
L'ouvrage du D'' Peisker: Die Beziehungen der IMchtisraelilen zii lalive
nach der Anschauung der allisraelitischen Quellenschriften (2), offre plus
d'intérêt encore qne le précédent. Trois questions y sont successive-
ment posées, examinées avec beaucoup de méthode, et résolues avec
clarté. La première se formule ainsi : Quelle est, dans les documents
anciens, l'extension des rapports entre Jahvé et les non-Israélites?
1. Comme sous-titre : Ein Beitrag zur alttestamentUchen Beligionsgeschichfe.
Un vol. inSo de 36 p. Giessen, A. Tôpelmann, 1906.
2. Un volume in-So de 9.5 p., Giessen, A. Tôpelmann, 1907.
136 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Cela revient, au fond, à se demander: Comment, dans ces documents,
conçoit-on Jahvé ? M. Peisker y découvre une double conception qu'il
qualifie d'hénothéisme et de monothéisme naïf. Dans le premier cas, on
se représente Jahvé comme le Dieu propre d'Israël à côté duquel sub-
sistent les dieux des autres peuples ; dans le second, on le considère
comme étant objectivement et, dans certaines limites, subjectivement,
le Dieu des païens eux-mêmes, en vertu d'une sorte de monothéisme
non point systématique, mais spontané. Il en résulte une dualité de
tendances, qui d'ailleurs s'entrecroisent et s'influencent l'une l'autre,
dans la manière de concevoir lesrelationsde Jahvé et des non-Israélites.
L'extension est fort restreinte pour l'hénolhéisme, très vaste pour le
monothéisme naïf. — La seconde question est ainsi formulée : Quel est le
contenu de ces relations entre Jahvé et les non-Israélites et, cette fois,
c'est non plus la nature de Jahvé, mais sa volonté qui se trouve en
cause. Nous avons d'abord le cas des rapports directs entre Jahvé et les
non-Israélites. Pour le monothéisme naïf, ce contenu, ou plus précisé-
ment la base d'appréciation dans ces relations, c'est la crainte de Dieu
et spécialement la foi dans laparole prophétique de Jahvé. Pour l'héno-
lhéisme, le non-Israélite commet une faute lorsqu'il méprise Jahvé mais
non point, en principe du moins, lorsque simplement il ne l'honore pas.
Nous avons ensuite le cas des rapports indirects, c'est-à-dire, par l'in-
termédiaire de relations avec Israël et à raison de ces relations. Les non-
Israélites causent-ils quelque dommage religieux à Israël, celui-ci est
l'objet, de la part de Jahvé, d'un intérêt si spécial que les non-Israélites,
ou bien ne sont l'objet d'aucune attention, ou même, à cause d'Israël et
en vue de le protéger, sont voués à la destruction. D'autre part, la
religion de Jahvé n'est pas tellement enfermée dans les limites d'Israël
qu'une reconnaissance de Jahvé par les non-Israélites, une conversion,
ne soit saluée avec joie, dans certains cas même recherchée, sans que
l'on puisse toutefois parler d'une obligation de prosélytisme. — La troi-
sième et dernière question consiste à se demander quels sont le carac-
tère et le sens des rapports entre Jahvé et les non-Israélites. La réponse
de M. Peisker mérite la plus sérieuse attention. La voici à peu près
textuellement. La conception d'après laquelle Israël et Jahvé seraient
unis par un lien naturel, Jahvé se résorberait en Israël, se heurte avant
tout à l'idée fondamentale des documents qui nous renseignent sur
l'Israël ancien, laquelle va plutôt à voir naïvement en Jahvé le Dieu de
l'humanité, à considérer les différents peuples comme parents et non
pas étrangers les uns aux autres, et finalement à expliquer la manière
diverse dont sont traités les Israélites et les non-Israélites par ce fait
que Jahvé porte à Israël un intérêt qu'il ne porte, à ce degré, à nul
autre peuple. Si ces affirmations sont justifiées, nous sommes en droit
de conclure que, d'après les vues mêmes de ces sources anciennes,
Jahvé est le Dieu d'Israël, non pas tant à raison de sa nature, qu'en vertu
du choix qu'il a fait de ce peuple entre tous les autres. — Pour préciser la
portée de cette conclusion, rappelons que l'auteur, au début de son
enquête, a expressément réservé le point de savoir si l'on peut identifier
absolument les données des plus anciens documents de l'histoire israé-
lile, tels que nous les avons, et la religion des anciens Israélites. L'on
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 157
pourrait prétendre, note-t-il, que la prédication prophétique a marqué son
influence dans la rédaction finale de ces documents. M. Peisker aurait dû
nous dire ce qu'il pense à ce sujet. Faute de l'avoir fait, quelque doute
subsiste sur le sens exact de sa conclusion. Il n'est cependant pas
téméraire de dire qu'il considère comme antérieures aux prophètes du
VIII'^ siècle une certaine idée monothéiste et la conception du lien qui
unit Jahvé à Israël comme d'ordre moral et non pas naturel. Étant
donné l'école à laquelle se rattache l'auteur, il faut lui savoir gré d'avoir
eu ce courage. J'exprimerai encore un regret, c'est qu'il ne nous ait pas
dit si, et dans quelle mesure, il considère ce «monothéisme naïf» comme
particulier à la religion Israélite.
Le sentiment du péché dans l'Israël ancien et sa notion n'avaient pas
encore été l'objet d'une étude aussi étendue que celle que M. le Pasteur
F. Bennewitz vient de leur consacrer sous ce titre : Die Sùnde im allen
Israël (1). Après s'être expliqué sur son dessein dans une Introduction,
l'auteur traite successivement des Sources, du sentiment du péché en
général, des éléments divers que révèle l'analyse de ce sentiment. En
matière de critique littéraire, il adopte, dans l'ensemble, les conclusions
de l'école Grafienne avec tendance, lorsqu'il y a doute, à préférer la
date la plus ancienne. Analysant les termes mêmes employés pour dési-
gner le péché et le qualifier, M. Bennewitz y découvre l'idée générale
d'opposition, consciente ou non, à la volonté de Jahvé. Une certaine
confusion semble régner entre la faute elle-même et son châtiment.
La période ancienne de la religion Israélite, telle que l'entend l'auteur,
prend fin avec l'entrée en scène des Prophètes du VHP siècle. Suivant
dans sa recherche la méthode régressive, qui s'impose d'ailleurs, il
commence par exposer la notion du péché dans le plus ancien des
Prophètes, Amos. L'élément moral y est très clairement marqué et tout
indique que ce n'est point là une nouveauté. M. Bennewitz remonte à
partir de ce point, de document en document, jusqu'à Moïse et au delà
jusqu'aux temps patriarcaux, accordant une attention particulière à la
conception du péché dans le Jahviste,et aux fautes rituelles. Un appen-
dice sur le péché dans la religion babylonienne clôt cette première
partie du livre. Assurément des conceptions diverses du péché se font
jour dans l'Israël ancien, solidaires des idées plus ou moins élevées que
Ion se fait de Jahvé. Cependant l'aspect moral du péché ainsi que
l'aspect moral de Jahvé se laissent apercevoir à toutes les époques, et,
malgré des fluctuations et des obscurcissements partiels ou passagers,
se laissent rattacher, d'une manière très spéciale, à l'action de Moïse.
Cependant ces conceptions semblent plonger leurs racines par delà Moïse
jusque dans la période patriarcale.
M. Bennewitz consacre la seconde partie de son ouvrage aux éléments
de la notion du péché : universalité du péché, ses degrés, son origine,
ses effets, son pardon. 1° Universalité. Les anciens Israélites avaient un
vif sentiment de l'universalité du péché. Croyaient-ils à une culpabilité
héréditaire dérivée d'Adam ? L'auteur ne le pense pas, mais admet la
croyance en une inclination congénitale au péché. 2° Degrés. Si l'on ne
1. Un vol. in-8'3 de XlI-271 p., Leipzig, A. Deichert, 1907.
158 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
distingue pas clairement entre fautes involontaires et inconscientes, et
péchés volontaires, il est excessif de dire qu'ils soient identifiés absolu-
ment. De même, si l'on ne trace pas une ligne précise de démarcation
entre devoirs moraux et obligations cultuelles, cependant les premiers
ont une prédominance marquée. 3° Origine. Dieu n'est pas conçu comme
étant, d'une manière générale, la cause ou l'instigateur du péché. Un
être malfaisant, que l'on se représente diversement aux difTérentes
époques, joue le rôle de tentateur. Mais l'origine proprement dite du
péché est dans l'homme et c'est à la volonlé humaine qu'appartient le
rôle décisif dans le péché. Le récit de la chute n'a pas l'intention d'être
une explication de l'origine du péché dans le monde, mais d'un certain
péché, d'ailleurs typique. A° Effets. Le péché devient source de nouveaux
péchés. La culpabilité et ses modalités diverses. A côté du sentiment de
la solidarité collective, celui de la responsabilité individuelle se mani-
feste. La mort est conçue tout ensemble comme le sort naturel de
l'homme et comme un châtiment du péché et spécialement de la chute.
Les idées que nous livrent sur ce point les documents anciens sont assez
peu systématisées. o° Pardon. L'idée de pardon demeure au second plan
des idées religieuses. Il y a des péchés irrémissibles. Comme moyens
d'obtenir la rémission, on emploie le paiement d'une amende, le sacrifice,
le jeûne, la lamentation, la prière, des lustrations. L'idée de substitu-
tion d'un animal à un homme semble admise, mais celle d'un homme à
un autre homme n'apparaît pas. — Je dois me contenter de ce bref
résumé de la monographie de M. Bennewitz. Elle est très riche de
renseignements, modérée dans ses tendances et il y a beaucoup à prendre
dans ses conclusions. B. se montre parfois trop afïirmalif. Son analyse
du récit de la chute et les déductions qu'il en tire appellent d'expresses
réserves. Je doute qu'il épuise le sens de ce chapitre étonnant.
Une commune tendance semble se révéler en plusieurs de ces
ouvrages. MM. L^hr, Peisker, Bennewitz et Lods lui-même donnent
l'impression qu'ils éprouvent le besoin de réagir contre certaines afTir-
niations de Bobertson Smith et de Wellhausen. Le fait serait particuliè-
rement significatif, étant donné qu'il se produit au sein même de l'école
évolutionniste et anthropologique et indépendamment du mouvement
panbabylonien. M. Lods ne croit pas pouvoir affirmer que les religions
sémitiques ont pris leur origine dans le culte des morts et, si peu que ce
soit, c'est déjà quelque chose. M. Lohr soutient l'existence aux temps
anciens d'un certain individualisme religieux. M. Peisker, pour la
période antérieure aux prophètes, parle d'un « monothéisme naïf », et
écarte l'idée d'un lien naturel entre Jahvé et son peuple. M. Bennewitz
accorde à l'aspect moral du Jahvéisme, toujours en ce qui concerne
l'Israël ancien, une importance et une action considérables. Se décide-
rait-on enfin à réviser des théories considérées, depuis trop longtemps,
comme d'inattaquables axiomes?
J'annexerai à ce groupe d'ouvrages l'étude publiée par l'éminent
anlhropologiste M. J. G. Fhazer : Folk-lore in the Old Testament (1). Elle
1. Dans le recueil qui a pour titre : Anthropological Essays presented to
E. B. Tylor etc., iii-4o de 416 p. Oxford, The Clareiidon Press, 1907,
pp. 101-174...
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 159
traite de plusieurs survivances prétendues, dans la religion Israélite, du
paganisme primitif. 1° Le signe de Caïn. Ce n'est pas une simple marque
tribale (RobertsonSmilh),maisun signe particulier aux meurtriers destiné
à les rendre méconnaissables pour l'esprit de leurs victimes ou à les pro-
téger contre cet esprit 2° Chênes et térébinthes sacrés. Ils tiennent une
place importante dans la religion populaire de la Palestine actuelle. Ils
en avaient une dans le Jahvéisme primitif, o" L'alliance sur le tas de
pierres. {Gen. xxxi, 17-35). Cet usage procède d'une croyance à la pré-
sence du divin dans la pierre en même temps qu'il se présente comme
un acte de magie par le moyen duquel on espère infuser au pacte la
solidité de la pierre. 4° Jacob au gué du Jabbok. Dans le récit primitif,
l'adversaire de Jacob devait être le génie de la rivière. Jacob lutte avec
lui spontanément, pour lui arracher sa bénédiction. Le génie se méta-
morphose pour échapper aux prises de Jacob. 5'^ Le faisceau de vie.
{I Sam. XXV, 29). Se réfère à la croyance d'après laquelle l'âme peut être
retirée du corps, sans amener la mort par le fait même. Si c'est un Dieu
propice qui la retire, ce peut être même une garantie d'invulnérabilité.
L'âme ainsi retirée du corps est attachée aune baguette ou à une pierre
allongée. Ces objets, liés en faisceau, sont précieusement mis à l'abri eî
cachés. 6° Défense de cuire un chevreau dans le lait de sa mère. Elle
repose sur l'idée de « sympathie ». La mère pourrait être lésée par cette
pratique, devenir stérile. 7° Les gardiens du seuil. Trois officiers étaient
attachés, en cette qualité, au temple de Jérusalem. Ils avaient mission
de veiller à ce que nul ne touche du pied le seuil. Le seuil était conçu
comme la demeure d'esprits et spécialement d'esprits des morts ; d'où
sa sainteté. 8° Le recensement considéré comme péché. Cette idée se
retrouve chez les sauvages. — M. Frazer, selon son procédé habituel, qui
est d'ailleurs celui de l'école anthropologiste, cherche le sens de ces
pratiques et de ces croyances dans l'étude comparée des folklores
anciens et actuels. Aussi suggestif que discutable.
Le travail extrêmement intéressant de M. H. Grimme, professeur à
l'université de Fribourg en Suisse, sur : Das israelitische Pfingstfest
und der Plejadenkult (1), s'inspire du point de vue Wincklérien. M.
Grimme fait d'abord la critique de l'interprétation agricole du cycle festal
d'Israël : fête des Azymes, de la Pentecôte, des Tabernacles, qui lui
paraît mal fondée. S'ociupant ensuite exclusivement de la Pentecôte, il
procède à l'exégèse des textes bibliques la concernant. Les formes exté-
rieures de la Pentecôte : son échéance et le comput qui sert à la fixer,
S(-s noms et ses rites, ne trouvent pas, à son sens, d'explication sutli-
sante dans les idées proprement israélites ou cananéennes. Un mot
qui revient sans cesse à propos de la Pentecôte et que l'on traduit ordi-
nairement par semaines : chahu'ôth oriente la pensée vers un septénaire
sacré et la recherche vers la Babylonie. Là, en effet, nous trouvons le
chiffre sept avec un caractère religieux. Le type le plus ancien de
septénaire sacré que nous y rencontrions est un groupe de sept
1. Un volume gr. in-8o de VIII-124 p., Paderborn, F. Schôningli. C'est
le premier fascicule d'une collection intitulée : StucUen zur Geschichte und
Kidtiir des Aîtcrtums et que dirigent les D. D. Drerup-Munich, H. Grimme-
Fribonrg, J. P. KirscliFril)ourg.
160 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
divinités. M. Grimme analyse les mythes babyloniens relatifs à ce
groupe de sept dieux (cfr. la série des textes magiques Ulukki Ihnnûti
n° 16, n" o, etc.)- Ces sept dieux, conçus primitivement comme malfai-
sants, sont les sept étoiles de la Pléiade. Le mythe babylonien voyage
et on le retrouve à des époques diverses en Assyrie, à Harran, dans la ré-
gion syro-cananéenne. Finalement le Milhriacisme l'accueille. En Canaan
il est attesté dès l'époque d"El-Amarna.
Revenant alors à la Bible, et l'étudiant à la lumière de tout cet
ensemble de données, M. Grimme y aperçoit des traces manifestes delà
conception qui voit dans les étoiles de la Pléiade des êtres animés et
divins. Le terme Chabu^ôlh, en particulier, se réfère à la Pléiade
considérée comme un septénaire divin. L'expression : Hag Chahu'olh,
qui désigne la Pentecôte, signifie : Fêle de la Pléiade, fête en l'honneur
de la Pléiade. Existe-t-il donc en dehors du monde israélite une fête de
la Pléiade ? oui, et tout d'abord, naturellement, en Babylonie. De même
à Harran. Mais en ces deux endroits le mythe relatif à la Pléiade est
subordonné et adapté à la glorification du dieu principal, ici Sin, là
Mardouk. En Israël nous avons affaire à une fête propre de la Pléiade.
Toute idée d'un emprunt direct à la Babylonie et à Harran est donc
exclue. D'ailleurs, d'une manière générale, M. Grimme ne croit pas
à l'influence directe de la religion babylonienne sur Israël. Mais la fêle
a suivi le mythe dans ses migrations et nous la retrouvons, sous sa
forme native, en pays phénicien et cananéen. C'est là que les Israélites
l'ont prise. Bersabée, l'antique lieu de culte, a dû servir d'organe de
transmission, Harran, toutefois, parait avoir fourni certains éléments.
Les Israélites s'approprièrent les formes traditionnelles de cette fête de
la Pléiade et lui conservèrent son nom, mais ils en changèrent totale-
ment la signification réelle et c'est en l'honneur de Jahvé seul qu'ils la
célébrèrent. La conclusion de ce travail est ainsi formulée : « Nous voici
au terme de notre recherche. Le résultat qu'elle a donné est que la fête
israélite de la Pentecôte plonge ses racines dans la plus lointaine
période de l'évolution religieuse de l'Asie antérieure que nous puissions
présentement, et peut-être jamais, atteindre. Née de la contemplation
du ciel étoile, elle n'a jamais cessé de prêcher l'idée de puissances
régnant sur le ciel et, conséquemment, exerçant une action sur la terre
et sur l'humanité. Cette conception a été l'un des facteurs essentiels du
culte de Mardouk, qui est bien la plus noble fleur du paganisme oriental.
A Harran, elle joue un rôle capital dans le culte de la Lune, qui, dans
l'Asie antérieure, marque un pas décisif vers le monothéisme. Reprise
par le législateur d'Israël qui l'introduit dans un système rigoureuse-
ment monothéiste, elle sert de cadre à tout un groupe d'idées centrales
du judaïsme primitif et tardif. Transformée finalement par le Catholi-
cisme, elle s'ouvre à ce concept nouveau que lonction par l'Esprit
signifie la perfection définitive de la religion. Ainsi la Pentecôte se
trouve rendre témoignage, comme nulle autre dans le cycle des fêtes
religieuses, au progrès continu de la religion vers le plus élevé et le
plus spirituel. » p. 122.
M. le professeur J. Heiin, de Wurzbourg, a traité dans : Siebcnzahl
und Sabbat bei den Babyloniern und ira Allen J'eslamenl. Eine religions-
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 161
geschichtliche Studie (1), un sujet assez voisin du précédent et d'après
une méthode semblable. Il est donc naturel d'analyser son ouvrage en
cet endroit. M. Hehn a en vue de préciser la signification du sabbat
israélite. C'est ce dessein qui le meut à rechercher quels rapports
peuvent exister entre le chabatlu babylonien et le septième jour, et
finalement quel est le sens, en Babylonie, du nombre sept et la raison
de sa valeur religieuse. Il commence par déterminer l'explication que
donnent les Babyloniens eux-mêmes du nombre sept et les applications
diverses qu'ils ont faites de ce nombre sacré. Il s'efforce ensuite de
retrouver l'origine et le sens primitif de ce nombre en une série de
chapitres qui sont les plus importants de son livre. Le nombre sacré
sept n'a rien à voir, primitivement, avec les sept planètes (Winckler,
A. Jeremias, Hommel), ni non plus avec les sept étoiles de la Pléiade
(Zimmern, H. Grimme). Sibitti (sept) paraît se rattacher à une racine
Chebû dont le sens serait : se rassasier, être rassasié. On obtiendrait
ainsi comme signification étymologique : multitude, plénitude, totalité,
d'où la fréquente substitution de kxchchatu à sibilli. Ce terme de sibitti
aurait servi d'expression au nombre sept parce que ce chiffre lui-même
est la mesure des phases de la lune (29 jours 1/2 divisés par 4 donnent
7 3/8). Telle est, pour M. Hehn, l'origine véritable de la semaine de 7
jours et du sens du nombre sept ainsi que de son caractère sacré.
L'auteur étudie ensuite la signification des nombres trois et quatre en
Babylonie et en Israël, puis il relève dans l'A. T. les cas nombreux où
sept apparaît comme nombre sacré.
La seconde partie de l'ouvrage est consacrée au sabbat biblique. Le
substantif chabbath est une forme hébraïque de l'assyrien chabatlu issu
de la même racine que sibitli, avec le sens de plénitude, rassasiement
et, secondairement : de contentement, d'intégrité, de perfection. Les
septièmes jours babyloniens, qui figurent dans les Hémérologes, ne
sont pas des jours de repos, mais simplement de suspension d'activité et
d'apaisement de la colère des dieux. Le nombre sept est le symbole de
l'expiation et de la purification. Les septièmes jours sont donc indiqués
pour l'office susdit. Ce n'est pas précisément qu'ils soient des jours
néfastes, où les dieux sont mal disposés, mais ils marquent la fin d'une
période, d'une phase lunaire et, de ce chef, suggèrent l'opportunité de se
purifier et d'apaiser la divinité. Jusqu'ici nous ne sommes pas en état
d'affirmer que le septième jour babylonien portait le nom spécifique
de chabatlu. En revanche il est manifeste que ce septième jour avait
exactement le même caractère que le jour appelé chabatlu. Aussi bien
ne pouvons-nous pas assurer que le terme chabatlu désignait une caté-
gorie déterminée de jours. Il est plus conforme aux faits de voir dans
chabattu un terme générique, éventuellement applicable au septième
jour. Le sabbat israélite n'était pas originairement le jour de la pleine
lune (contre Meinhold). Pas plus en Israël qu'en Babylonie, la sainteté
du nombre sept et sa signification n'ont rien à voir avec les sept
planètes (contre A. Jeremias). M. Hehn caractérise le rapport du sabbat
1. Un volume in-8o de 132 p. (Leipziger semitische Studien de A. Fischer
et H. Zimmern, II, 5), Leipzig, Hinrichs, 1907.
26 Année. — Revue des Sciences. — No i. ii
162 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Israélite au septième jour bal)yIonien en ces termes : « Chez les Baby-
loniens le chiffie sept est le nombre de la perfection, le septième jour
est considéré comme le terme d'une période, et, par suite, est consacré
à apaiser les dieux pour les fautes qui ont pu être commises pendant
ce laps de temps, et à leur demander leur bienveillance pour la nouvelle
période qui va s'ouvrir. Chez les Israélites, le septième jour est pareil-
lement le terme d'une période déterminée par les mouvement^ du ciel,
mais on y voit une invitation. pour l'homme à suspendre son labeur, et
il en vient à voir dans le sabbat un jour de repos. Le Sabbat Israélite,
tel qu'il apparaît dans l'A. T., même aux endroits les plus certainement
anciens, est un jour d'universel repos avec un caractère joyeux et
festal. Ce par quoi il diffère du septième jour babylonien devient ainsi
manifeste, en même temps que la solidarité des milieux oîi l'un et l'autre
sont nés se reconnaît à la souveraineté du nombre sept et la similitude
des noms. >> p. I2l. L'auteur repousse la thèse de Jastrow d'après lequel
le sabbat biblique aurait été, à l'origine, un jour néfaste. Il étudie fina-
lement les rapports établis entre le sabbat, la création et l'exode.
J'ignore la fortune réservée aux conclusions de MM. H. Grimme et
Hehn. J'ai déjà signalé leur désaccordsur l'origine ou la forme primitive
du septénaire sacré. Mais il est difficile de ne pas ranger ces deux
monographies parmi les plus sérieuses qui aient encore paru en matière
d'histoire comparée des religions babylonienne et Israélite.
B. Période prophétique. — Obligé de ne pas m'étendre outre
mesure, je serai bref relativement à cette période, importante cepen-
dant, de l'histoire de la religion Israélite. D'ailleurs peu de vues nou-
velles se sont fait jour dans ce domaine, cette année.
Les Poèmes du Serviteur de Jahvé dans Isaïe ont été étudiés par
MM. G. C. WoRKMAN et F. Feldmann. Le premier a publié sous ce litre :
The servant of Jehovah or the Passion - Prophecy of Scripture anah/sed
and elucidated (1), un travail de valeur commune, oîi il revendique ce
titre pour Lsraël lui-même. Le "econd, dans un ouvrage d'étendue à peu
près égale, mais en réalité de contenu plus riche et de trame plus
serrée : Der Knecht Gottes in Jsaias Kap. 40-55 (2), défend l'interpré-
tation individualiste et l'application directe à Jésus. Il signale que
cette exégèse retrouve faveur. Elle le mérite à tous égards.
Je signalerai, sans pouvoir l'étudier, n'ayant pas les documents suffi-
sants, toute une catégorie de travaux plus significatifs. Ce sont ceux qui
ont trait au Prophétisme lui-même, soit en Israël, soit chez les peuples
voisins. Parmi les derniers parus, je citerai : C H. W. Johns, The
prophets in Babylonia {The Interpréter, ayrû 1906); J. Béville, Le
Prophétisme hébreu. Esquisse de son histoire et de ses destinées, Paris.
1906; E. KoENiG, Die Prophétie in Israël iind bei den andern Vôlkern des
Altertums (Der alte Glaube, VIII, n° 11); B. Baentsch, Pathologische
Zûqe in Israels Prophetentum [Zeitschrift f. wiss. Theolorfie, 30,
p. 52-81) ; G. Stosch, Die Prophétie Israels in religionsgesdi. IVùrdigwig,
1907, etc.
C. Période juive. — M. le Pasteur Ludwig Couard a pubhé, avec dédi-
1. Un. volume ia-8o de XXVI-250 p., Londres, Longmans, 1907.
2. Ua volunu' gr. iii-S" de VIII-206 p., Fribourg eu Brisgau, Herder, 1907.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 163
cace au professeur E, Kautzsch, un très estimable exposé synthétique
intitulé : Die religiosen und sittlichen Anschauungen der allteslament-
lichen Apokn/phen U)id Pseudepigraphen (1). Il y étudie en autant de
chapitres : Les sources et leur utilisation ; Dieu ; Les anges ; Dieu dans
ses rapports avec le inonde ; L'homme et le 'péché ; La morale ; Vespé-
rance messianique; L'eschatologie. Parmi les caractéristiques de ce travail
je signalerai, après l'auteur lui-même : l'attention accordée aux idées
morales des pseudépigraphes et des apocryphes ; et la tendance déclarée
à rechercher dans les Livres canoniques de FA. T. les poinls d'attache
des conceplions développées dans la littérature post-canonique. M.
Couard est persuadé, et sans doute il n'a pas tort, que les influences
étrangères ont eu sur le judaïsme une action moins étendue et beau-
coup moins profonde surtout qu'on ne le dit parfois. Dans la morale des
pseudépigraphes et des apocryphes, il signale une tendance rigoureuse-
ment particulariste, non seulement par rapport aux païens mais, à
l'intérieur même du judaïsme, de secte à secte, de groupe à groupe, et
une tendance ascétique.
M. Couard souhaite que son petit livre puisse faciliter l'étude du
Recueil des Pseudépigraphes et Apocryphes de Kautzsch. Par son carac-
tère positif et descriptif, sans mélange d'hypothèses, il y est tout à
fait propre.
M. W. BoussET a donné récemment une seconde édition de son bel
ouvrage : Die Religion des Judentums imneutestamentlichen Zeitaltev {^).
La période étudiée est comprise entre la persécution d'Antiochus IV et
le soulèvement Macchabéen d'une part et d'autre part l'anéantissement
définitif de la nation juive sous Hadrien. L'ouvrage, dans sa seconde
édition, compte XV-6r7 pages, au lieu de XIV-512. II renferme une
introduction, un chapitre préliminaire sur les sources et huit sections
(au lieu de six, ou plus exactement de cinq, puisque le chapitre actuel
des sources formait la première section). Ces sections ont respective-
ment pour titre: Tendances universalisles et particularisme national;
Piété cultuelle et piété légale; Les formes nouvelles de la nouvelle
(légale) piété ; Les idées relatives au jugement; Le monothéisme elles
influences sous-jacentes limitatrices du monothéisme ; Dieu et Chomme ;
Les formes secondaires de la piété juive ; Le problème dliistoire reli-
gieuse. Ceux de nos lecteurs qui ont entre les mains la première édition
savent quelle abondance de matériaux et quels rapprochements, souvent
suggestifs, renferme ce livre. Tout cela s'est encore accru, spécialement
en ce qui concerne les points suivants : la substitution de la piété
légale à la piété cultuelle (ch. m) ; la piété chez les laïques ; les prin-
cipes de la morale; la vie de prière, etc.
M. Bousset n'a modifié sur aucun point important ses idées anté-
rieures. En revanche, la manière dont il les présente est nouvelle, et
peut-être d'aspect un peu moins paradoxal. Sans abandonner — ■ c'est
lui-même qui nous en avertit, et en vérité ce n'était pas nécessaire, —
la conviction que le judaïsme tardif tendait à s'organiser en Église et
1. Ia-12 de VI-248 p., GiitersLoh, Bertelsmami, 1907.
2. Un volume gr. in-8o de XV-617 p., Berlin, Reuther et Reichard, 1906.
164 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
que c'est lasignifîcatioD priacipale de son évolution, il n'a pas cru devoir
persister dans sa tentative de ramener à ce point de vue et de présenter
sous ce jour tout l'ensemble des manifestations de la piété juive. Il a
remanié, en conséquence, les divisions de son livre et laissé au second
plan la conception qui avait présidé, dans la première édition, à
l'organisation générale des matériaux. Mais M. Bousset est un esprit
synthétique et il lui fallait, à tout prix, une idée directrice et organisa-
trice. Il a cru la trouver dans la substitution, au sein du judaïsme, de
la piété légale à la piété cultuelle. Et dans cette substitution il découvre
à nouveau le principe et le signe d'un judaïsme évoluant du nationa-
lisme et du particularisme religieux vers l'individualisme et l'universa-
lisme. Mais enfin il ne parle plus autant d'Église juive et c'est déjà
quelque chose.
Dans son article intitulé : Le Judaïsme de la Dispersion tendait-il à
devenir une Eglise? {!), Mgr Batiffol a montré combien les vues de
M. Bousset sur ce point étaient chimériques. Sa conclusion mérite
d'être citée: « La vérité est, semble-t-il bien, que le judaïsme histo-
rique, celui que les pharisiens représentaient, était fondé sur l'idée de
peuple et sur l'idée de loi : on était ou on n'était pas enfant d'Abraham,
on observait ou on n'observait pas la T.oi. Ce particularisme était un
article essentiel de la foi juive, et l'idée d'Église lui est hétérogène.
» Le judaïsme hellénisé eut l'intuition d'un universalisme religieux,
mais il le conçut moins comme une foi réformée, que comme une
apologie de la foi traditionnelle, un argument pour forcer le respect des
Grecs. On l'a dit avec justesse, le judaïsme hellénisé défendait sa
religion au moyen de l'hellénisme, tandis que le pharisaïsme la défen-
dait contre l'hellénisme. Le judaïsme hellénisé n'a pas élargi l'idée du
peuple de Dieu, pas plus que restreint l'idée de la Loi ; son apologé-
tique fut une littérature, et rien d'autre. Le prosélytisme, enfin, fut une
application de cette apologétique, mais, comme elle, il concluait à la
circoncision. Quiconque n'aboutissait pas là était un allophyle, un
étranger, un impur, car le peuple et la Loi étaient au-dessus de tout. »
p. 209.
Malgré que je n'aie pas entre les mains la 4® édition, qui vient de
paraître, du second volume delà Geschichte des jûdischen Volkes im
Zeitalter Jesu Christi{^) de M. E. Schurer, je ne veux pas omettre d'en
faire mention ici. On sait que ce second volume est consacré à la situa-
tion intérieure du judaïsme, spécialement au point de vue religieux.
Moins systématique que l'exposé parallèle de M. Bousset, avec moins
d'ouverture aussi sur le monde religieux d'alors, en dehors de l'hellé-
nisme, l'étude de M. Schurer, si elle est peut-être moins suggestive,
n'en est que plus sûre et peut servir à contrôler les vues du professeur
de Goettingue. Elle garde donc une valeur de premier ordre. La nouvelle
édition présentée au public par l'auteur lui-même, dans la llieologische
Literaturzeitung [3), contient de nombreuses additions en note et dans
1. Revue Biblique, avril 1906, pp. 197-209.
2. Un volume in-8o de YI-680 pp. (au lieu de VI-584), Leipzig, Hiurichs,
1907.
3. 1907. 110 22. col. 607-608.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 165
le texte même. Elles affectent, en particulier, les questions suivantes :
Influences étrangères sur le judaïsme, Jésus Sirach et la liberté, les
Sadducéens (contre Hôlscher), les synagogues en Egypte depuis le
III' siècle av. J.-C, l'espérance messianique dans Jésus Sirach, le Fils
de l'homme, l'éternelle valeur de la Loi, la vie après la mort, l'espé-
rance messianique, etc.. M. Schiirer a utilisé pour ces additions et
éclaircissements les nouvelles découvertes de papyrus, manuscrits,
inscriptions, monnaies, et les travaux récents sur les documents déjà
connus.
M. G. HoELSCHER a entrepris de reviser la théorie, communément
admise depuis cinquante ans, qui fait des Sadducéens le parti de
l'aristocratie sacerdotale. C'est là l'objet principal de l'étude qu'il a
publiée sous ce titre : Der Sadduzàismiis . Eine krilische Untersuchunfj
zur spiiteren jûdischen Religionsgeschichle (\). La première section traite
de l'essence du Sadducéisme. Les Sadducéens représentent sous les
Hérodes les tendances qui s'incarnèrent dans les Hellénistes d'avant le
mouvement macchabéen. Ils sont, comme l'on disait à la fin de notre
XVIII' siècle, «le parti des lumières». Leur position doctrinale est
caractérisée par la négation de la Providence, de la résurrection et par
une large indifférence à l'égard de la Loi. La littérature rabbinique et
Josèphe, non moins que le N. T., les considèrent comme traîtres à la
foi juive authentique. La seconde section, qui est la section capitale,
a pour titre : Sadducéisme et Haut Sacerdoce. La base de la recherche
sur ce point est l'œuvre de Josèphe. M. Hôlscher découvre dans l'histo-
rien juif, dont l'attitude hostile au sadducéisme a été signalée plus
haut, une double tradition relativement au souverain pontificat. Dans
la Guerre Juive, il est uniformément favorable aux grands prêtres :
dans les Antiquités judaïques, il leur est généralement hostile. M. Hôl-
scher s'efforce d'expliquer celte diversité d'attitudes et surtout il insiste
sur le fait que, sauf en ce qui concerne la famille de Boethos dont
Josèphe dit positivement qu'elle était sadducéenne, l'historien ne
donne nulle part l'impression qu'il considère sadducéisme et aristo-
cratie sacerdotale comme des termes s'impliquant l'un l'autre. La sym-
pathie qu'il témoigne aux grands prêtres, dans la Guerre Juive,
s'oppose même formellement à celte supposition. Même dualité de
traditions dans le N.T. et la littérature rabbinique. M. Hôlscher explique-
rait la tradition hostile aux grands prêtres et l'accusation de Saddu-
céisme portée contre leHaut Sacerdoce pris en blocpar la haine desJuifs,
après la ruine de Jérusalem, à l'égard de Rome et de ses amis. L'aristo-
cratie sacerdotale, qui en avait été, fut considérée comme traître à la
foi nationale et impie. Le qualificatif de sadducéen lui fut assez natu-
rellement appliqué. La troisième section expose lorigine du Saddu-
céisme. A proprement parler, il ne remonte pas au delà de l'époque
Hérodienne. Tout ce que M. Hôlscher accorde, c'est qu'il constitue une
résurrection et une aggravation des tendances hellénisantes qui carac-
térisent les derniers Sadoqides et que le mouvement macchabéen
balaya. Jean Hyrcan, Aristobule, Alexandre Jannée n'étaient nullement
sadducéens.
1. Un. volume gr. in-8o de IV-116 p., Leipzig, Hinrichs, 1907.
166 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
M. ScHURER,dans une longue recension [Theologischb Literalurzeitung,
1907, n" 7, col. 200-203) et dans la récente édition du second volume de
son Histoire du peuple Juif (voir plus haut), s'est élevé avec force
contre la thèse de M. Hôlscher et il a protesté contre le traitement
infligé à Josèphe.
M. Vaganay nous a donné, comme thèse de doctorat en théologie,
une étude vraiment excellente sur Le Problème eschatologique dans le
IV^ livre d'Esdras (1). Après une Introduction où il étudie le problème
textuel, littéraire et historique, M. Vaganay traite en deux parties la
position, puis la solution du problème eschatologique dans le Pseudo-
Esdras. Voici la conclusion : « Ce qu'il y a peut-être d'original dans
cette apocalypse, c'est le caractère bien tranché decette opposition entre
l'eschatologie nationale et l'eschatologie individuelle. Une telle sépara-
tion répondait d'ailleurs à un état psychologique spécial de l'auteur.
Après la ruine de Jérusalem, la question messianique revêtait aux yeux
des Juifs plus d'importance que jamais. iNotre pseudo-prophète a voulu
aborder le problème, comme il se posait désormais devant sa conscience.
Convaincu de la corruption intime du monde présent et de la nécessité
d'une vengeance divine sur les pécheurs obstinés, il ne pouvait s'arrê-
ter seulement à la conception d'un règne de justice et de bonheur sur
cette terre, après le triomphe du Messie sur les ennemis d'Israël. Et,
d'autre pjirt, la pensée de la revanche lui tenait toujours à cœur. 11
n'avait abandonné aucune des espérances nationales de ses compa-
triotes. Il était resté, malgré les événements, fermement attaché aux
rêves d'avenir de ses ancêtres. Comment aurait-il pu concevoir un au-
delà céleste sans Messie? Il y avait donc réellement dans celte âme
un conflit de tendances. Une nouvelle solution eschatologique s'imposait.
L'auteur la trouva dans un Messianisme plutôt amoindri, préludant
aux destinées éternelles de l'humanité entière... » p. 120.
 la page précédente, il remarque à propos du Livre d'Hénoch
(éthiopien) : « ... L'auteur (Hénoch) divise le cours du monde en dix
semaines. La huitième symbolise la félicité messianique, la neuvième
et la dixième représentent le jugement général après lequel apparaît la
nouvelle création. N'avons-nous pas là en germe la théorie millénariste
ou Chiliasme ? » En tout cas : « L'idée d'un royaume terrestre provisoire,
précédant la rétribution définitive des individus, existait donc avant
Esdras. »
Il m'est impossible d'accorder même une simple mention à toutes les
études de détail qui en seraient dignes. Je citerai seulement divers
articles remarquables de notre collaborateur M. L. Gry : Le Roi-Messie
dans Hénoch, (Muséon, VI, p. 129-139) ; Le Messie des Psaumes de
Salomon, {ibid. p. 231-248) ; L'idée de Dieu dans les Apocryphes de l'A.
T. {ici même, I, p. 44-63) ; et une intéressante étude du R. P. Protin :
Le Messie souffrant dans la pensée juive. (Rev. August., X, 5-20).
D. Études Comparatives. — M. Daniel Voelter, professeur de théo-
logie à Amsterdam, vient de donner une troisième édition, sérieusement
revue, de son ouvrage estimé : Aegypten und die Bihel. Die Urges-
1. Un volume gr. in-8o de XII-121 p., Paris, Picard, 1906.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 167
chichle Israels imLicht der aegyplischen Mythologie (l). Les points suivants
y sont examinés : Abraham et sa famille ; Jacob et sa famille ; Moïse et
le Dieu du Sinaï ; L arche de Jahvé ; Samson. Il a lui-même résumé, et
fort clairement, ses vues dans cette conclusion : a ... Les tribus
sémitiques, qui séjournèrent, pour partie sur la frontière orientale de
l'Egypte, pour partie au nord de la péninsule Sinaïtique, et qui se
fixèrent ensuite dans cette Palestine si longtemps soumise à l'influence
égyptienne, ont vécu en contact, non seulement avec la civilisation
égyptienne, mais avec la théologie et le culte égyptiens et ont subi
profondément leur action... L'étendue de cette action de FÈgypte sur
la religion ancienne d'Israël se découvre spécialement en ceci que même
le Dieu du Sinaï, le Dieu de l'arche se laisse identifier avec les divinités
égyptiennes et que l'on ne saurait comprendre sa vraie nature en dehors
de cettecomparaison. L'identité de Jahvé, dieu du Sinaï et de l'arche, avec
le Chépéra égyptien et Ptah-Sokar-Osiris — ce qui en fait la person-
nification du soleil hivernal et nocturne, un dieu qui habite l'obscurité
etqui se révèle par le législateur Moïse, forme lui-même de Thot, dieude
la nouvelle lune — a joué un rôle important dans la transformation
spirituelle et morale du concept israélile de Dieu et dans l'évolution
monothéiste de la religion d'Israël. Il en est résulté que tout ce qui a
passé en Israël en fait de figures divines et de mythes divins d'origine
égyptienne, a été rabaissé au niveau de la sphère humaine et historique
et s'est déposé principalement dans les légendes de toute sorte relatives
aux patriarches et aux tribus. » p. 123.
M. AViEDEMAiNN, l'émineut égyptologue, tout en rendant hommage à
l'érudition de M. Vôlter, oppose à ses conclusions la simple et décisive
remarque que voici : « L'auteur peut bien accumuler les ressemblances
et les analogies, ainsi que cela se pratique souvent lorsqu'on compare
à diverses mythologies... des récits d'événements plus ou moins his-
toriques. Mais la conviction du recenseur est que l'on ne saurait fonder
sur le simple fait de ce parallélisme, sans plus, l'hypothèse d'une solidarité
réelle et d'emprunts. Or, ce qui manque dans cet ouvrage, c'est la preuve
que l'assimilation non seulement est possible sous bénéfice de certaines
présuppositions, mais qu'elle est réelle. » (Theologische Literaturzeitung,
1907, n° 20, col. 546.) Il reste que l'ouvrage de M. Vôlter est le livre à
lire sur ce sujet.
M. le professeur P. Jensen, de Marbourg, dans son gros volume :
Dus Gilgamesch-Epos in der Weltliteratur. Die Ursprùnge der alttes-
tamentlichen Patriarchen-, Propheten- und Befreier-Sage iind der neu-
testamentlichen Jesns-Sage (2) soutient une thèse qui n'est pas préci-
sément nouvelle, mais il la pousse si loin qu'on se demande vraiment, —
comme M. Smith à propos de M. Cheyne — s'il n'a pas eu l'arrière-pensée
d'en faire éclater à tous les veux la totale invraisemblance. Mais non ;
lui aussi parle sérieusement. C'est à croire que, pas plus que M. Cheyne,
il n'a le sens de l'humour, de l'humour qui est dans les choses.
Qu'on en juge par cet échantillon, «Jésus de Nazareth... n'a jamais vécu
1. Un volume gr. in-8o de 125 p., Leyde, Brill, 1907.
2. \]n volume gr. in-S^ de XVIII-IOSO p., Strasbourg, Trubner, 1906.
168 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
sur terre et jamais il n'y a subi la mort. Il n'est rien autre chose qu'un
Gilgamech israélite.... Comme jadis les Babyloniens dans leur Gilgamech,
ainsi les Chrétiens en leur Jésus — pour moitié — rendent un culte au
soleil s'enfonçant dans la nuée et disparaissant aux regards des hommes,
à notre grand soleil radieux, celui-là même qui déjà, il y a des milliers
de siècles, montait et descendait au ciel babylonien et forçait la sup-
pliante adoration et le culte reconnaissant du roi et du peuple de la
Babylonie. » p. 1029. La plus grande partie de l'histoire évangélique
n'est qu'un mythe. Les discours que les Synoptiques prêtent à Jésus
sont dun inconnu.
Ainsi en va-t-il pour presque toutes les figures caractéristiques de
la tradition israélite. M. Jensen ne voit partout que des Gilgamech
travestis. Chaque tribu a collaboré à cette vaste épopée mythique,
fournissant souvent plusieurs exemplaires nouveaux de l'antique héros
solaire. Lévi possède Moyse, Âaron, Éliézer, le grand-prêtre Josué,
Esdras, Daniel, Azarias ; Juda a créé Josué de Belh Chemech, Éléazar
fils dAminadab, David, Jacob, Ésaii, Joseph, Abraham , Isaac, etc.
Et ainsi des autres tribus. — Une part très importante de l'histoire d'Israël
s'écroule, ou, s'il reste, dans la poussière des décombres, quelques
matériaux plus résistants, il devient difficile de les distinguer et surtout
l'on ne sait plus qu'en faire. Il est donc dans la logique fatale de ces
comparaisons entre des mythes avérés et l'histoire d'aboutir à de
pareilles extravagances. Il faut dire que le livre de M. Jensen a causé
dans le monde savant une véritable stupeur. La réputation scientifique
de Téminent assyriologue est solidement établie, heureusement pour lui.
Tout le monde ne pourrait pas commettre impunément un ouvrage
pareil.
Après l'Egypte et l'Assyro-Babylonie, la Perse. Beaucoup de savants,
M. Bousset, par exemple, dans le livre recensé plus haut, croient pou-
voir affirmer que les idées religieusesdela Perse ontexercé une influence
sur le Judaïsme, spécialement en matière d'eschatologie. La question
vient d'être étudiée à nouveau par un éraniste d'autorité reconnue,
M. L. H. Mills dans un livre intitulé : Zarathuslitra, Philo, the Achaeme-
nids and Israël (1). M. Mills est professeur de philologie Zend à Oxford
et c'est lui qui a achevé la traduction de l'Avesta commencée par J.
Darmesteter pour la collection : The sacred Books of the East. L'on sait
que Darmesteter, vers la fin de sa vie, se prononça, non sans éclat,
pour la codification tardive de l'Avesta. Les Gàthas elles-mêmes, sous
leur forme actuelle, sont récentes, postérieures à Philon dont elles
dépendent sur certains points. C'est pour combattre cette manière de
voir que M. Mills a pris la plume. Son livre comporte deux parties. Dans
la première, il compare les doctrines des Gàthas à celles principalement
de Philon et de l'école Platonicienne. Les Gàthas ne doivent rien à la
philosophie grecque ni à Philon et c'est Philon qui leur est redevable.
Dans la seconde partie, il s'efforce de reconstituer les grandes lignes
du système religieux des Achéménides à l'aide des inscriptions et des
1. Un volume --r. in-S» de XIII-460 p., Chicago, The Opeu Court PubUs-
Inng Cf>, 1906.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 169
renseignements contenus dans la Bible ; puis, comparant ce système à
l'Avesta, il conclut dans le sens d'une homogénéité, d'une identité,
partielle mais caractéristique, de conceptions. Les Gâthas ne peuvent
être postérieures à 630 av. J.-C. On pourrait remonter à la rigueur
jusqu'à 930 et peut-être à 1000 ou 1200. Elles sont bien l'œuvre d'un
personnage historique du nom de Zoroastre. Même les parties non Gâ-
thiques de l'Avesta sont anciennes, certainement antérieures à Hérodote
(V* siècle av. J.-C), sous réserve d'additions beaucoup plus récentes.
L'auteur s'attache, en terminant, à préciser les relations existant entre
l'Avesta, qu'il conçoit résolument comme un système cohérent, ho-
mogène, et l'A. T. Il conclut, pour une part restreinte, à un dévelop-
pement parallèle des deux doctrines à partir de sources communes
fort lointaines et, pour une part beaucoup plus importante, à l'action du
Zoroastrisme sur la religion juive, à partir de l'exil. — L'étude du
professeur Mills, difficile à suivre à force de subdivisions, est de celles
qui s'imposent à l'attention. L'influence qu'il attribue au Zoroastrisme
a-t-elle été aussi considérable qu'il le pense ? J'abandonne volontiers
le soin d'en juger à de plus compétents. Cependant l'on ne peut s'em-
pêcher d'éprouver un insurmontable sentiment de défiance en voyant
assyriologues, égyptologues et éranistes, pour ne parler que de ceux-là,
réclamera l'envi, en faveur de ces peuples divers, l'honneur d'avoir
modelé à leur image la pensée religieuse d'Israël. On dirait que la
seule quantité négligeable en tout cela, c'est Israël lui-même. Et puis,
tant de prétentions diverses finissent par paraître difficiles à concilier.
Heureusement que le Panbabylonisme vient tout arranger en assurant
qu'au fond ces systèmes religieux ne sont que les formes multiples
d'une doctrine unique.
II. — NOUVEAU TESTAMENT
Cette fois encore il semble bien que l'activité ait été moindre dans ce
domaine que dans celui de la religion israélite et juive. L'on n'a guère
abordé que des problèmes particuliers. Naturellement les études qui
leur ont été consacrées ne laissent pas que d'être fort nombreuses. Je
devrai me borner à celles qui, pour une raison ou pour une autre,
paraissent offrir un intérêt spécial.
A. Les Évangiles Synoptiques. — Le livre, d'ailleurs intéressant, de
M. A. Harnack, Spnïcke und Reden Jesu. Die zireite Quelle des Mat-
thàus und Liikas (1) est proprement une étude de critique littéraire.
Il dépasse donc l'horizon de ce bulletin. Au sentiment de M. Harnack,
le recueil de Logia, utilisé comme seconde source — -. à côté de Marc —
par Matthieu et Luc, est indépendant du second Évangile. Il lui est,
en outre, antérieur, et représente, par rapport à lui, une forme pri-
mitive, moins élaborée et particulièrement digne de foi, de la tradition
évangélique (contre Wellhausen). Je signalerai le ch. VI de cet
1. In-8o de lV-220 p. {Beitràge zur Einleitung in clas Neue Testament, II)
Leipzig, Hinrichs, 1907.
"170 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ouvrage où l'auteur étudie le contenu du Recueil, la manière dont il
représente l'œuvre de Jésus et Jésus lui-même. En voici le résumé.
Les commandements de Jésus occupent le premier plan. Ils s'adres-
sent à chacun pris individuellement. Nulle trace d'organisation ni
d'Église. Nulle opposition de principe au Judaïsme. Nul sentiment
d'une Loi nouvelle se substituant à l'ancienne et faisant contraste avec
elle. En revanche, l'altitude de Jésus est ouvertement hostile aux
conceptions et aux mœurs religieuses des Juifs contemporains, et sa
sympalliie pour les Gentils très marquée. La morale qu'il prêche vise
à créer des dispositions intérieures. L'idée de royaume de Dieu se
rencontre souvent. Ce royaume est tout ensemble présent et futur. Le
point de vue eschalologique, quoique réel, ne doit pas être exagéré.
. La personne de Jésus, malgré que peut-être elle demeure au second
plan, n'en tient pas moins dans notre recueil et dans sa conception une
place importante. La passion n'est pas mentionnée. Le baptême est conçu
comme l'onction messianique de Jésus, la tentation comme une épreuve
messianique. Dans le discours sur la montagne, Jésus est plus que
prophète. L'expression « Fils de l'homme jî> est un titre messianique.
En résumé, nombreuses affirmations implicites de la messianité de
Jésus, pas de déclarations expresses. Le recueil de Logia est visible-
ment destiné à la seule communauté chrétienne qui professe déjà que
son maître est le Messie. Toute apologétique était donc superflue.
Cependant si l'on croyait ne pas devoir faire figurer dans notre
recueil les récils du baptême et de la tentation — dont la présence
n'est pas absolument certaine — on obtiendrait un tableau tout autre :
celui de Jésus évitant d'abord de prendre et même d'accepter le titre de
Messie et ne le revendiquant que plus lard et encore dans un sens
eschalologique, c'est-à-dire comme désignation d'un office et d'une
qualité essentiellement liés à la Parousie et dont il ne sera investi
qu'à cette date. Pour le moment, il ne serait qu'un envoyé de Dieu, un
prophète, un docteur. C'est la conception même que certains critiques
croient découvrir dans Marc. — On n'oubliera pas que le contenu et
l'existence même de ce Recueil de Logia, tel que le conçoit M.
Harnack, appartiennent au domaine de la conjecture.
Les Streitfragen der Geschichte Jesu {V, de M. Fr. Spitta doivent être
mentionnées ici à raison des sections II. III. IV.
Section II : Conversation de Jésus avec ses disciples à Belhsaïda (pp.
83-143). Il s'agit de ce que l'on appelle communément la Confession de
Pierre à Césarée {Malt, xvi, 13-22 ; Marc, vm, 27 33 ; Luc IX, 18-22).
Le mol de confession paraît tout à fait inexact à M. Spitta. Cette scène
ne représente, ni la première découverte de la messianité de Jésus par
les Douze, ni une reconnaissance solennelle de cette messianité. Il y a
longtemps que les Douze ont reconnu en Jésus le Messie. C'est bien plus
simple et bien plus modeste. Les Douze viennent d'achever la mission
que Jésus leur avait confiée. Le Maître leur demande ce que le peuple
dit de lui, puis ce qu'eux-mêmes en disent, viennent d'en dire. « Que
tu es le Christ de Dieu », répond Pierre, d'après I^uc qui a le texte
1. In-8o de VIII-230 p., Goettingue, Vandenhoeck et Ruprecht, 1907.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 171
primitif. Jésus leur défend de dire cela, de parler de lui en ces termes.
M. Spitta tient que la réponse de Jésus à Pierre, Matt. xvi, 17-19 n'est
pas à sa place. Ces paroles ont été prononcées beaucoup plus tôt, lors
du premier appel de Pierre, Cfr. Jo. 1, 42. La scène de Bethsaïda est
loin d'avoir l'importance qu'on lui attribue. Elle ne marque nullement
un « tournant » dans l'histoire de Jésus
Section III : Fils de David et Seigneur de David (pp. 144-172). Dans
la question de Jésus, rapportée J/a<<., xxii, 41-46; Marc, xii, 33-37;
Luc, XX, 41-44, beaucoup de critiques croient apercevoir l'intention
de protester contre la conception juive qui faisait du Messie le Fils
de David. M. Spitta n'est pas de cet avis. Prenant Luc pour base, il
conjecture que le récit primitif utilisé par les Synoptiques était ainsi
constitué : Ltic XX, 27, 36, 41''-44, 39, 40, La question des relations
du Christ avec David venait comme réponse à l'interrogation des Saddu-
céens touchant la résurrection. Comme exemple delà diversité des situa-
tions dans ce siécle-ci et dans l'autre, Jésus rappelle le cas typique du
Messie, fils de David au point de vue du siècle présent, Seigneur de
David au point de vue du siècle à venir. Bien loin de protester contre
ridée courante du Christ fils de David, Jésus la suppose fondée et en
fait la base de son argumentation. Si, d'autre part, on admet, ainsi
qu'on le doit, que Jésus se croyait le Messie et se donnait comme tel,
il en résulte que. d'après le plus ancien document qui nous soit accessible
{der synoplische Gruudsclirift), il se tenait pour issu de David. Il est
même vraisemblable que cette conviction joua un rôle dans le déve-
loppement de sa conscience messianique.
Section IV : Le Christ agneau {pp. 172-224). Que signifie au juste
ce prédicat symbolique ? Dans l'Apocalypse oii le terme àoviov (équi-
valent de l'inusité àp/iv, bélier) apparaît 28 fois, l'on découvre deux
conceptions qui s'entrecroisent : celle du bélier, symbole de chef et
celle delà brebis, type de victime. Dans la littérature juive tardive,
le Messie se trouve parfois représenté, en tant que défenseur et guide
du troupeau d'Israël, par un bélier (àpvt'ov et quelquefois àp^ô;) cornu.
Cfr. Hénocit, Testament des XII Patriarches. La formule du Baptiste
rapportée par le IV*^ Évangile et qui peut fort bien être historique :
« Voici l'agneau de Dieu », se rattache au symbolisme du bélier con-
ducteur et protecteur du troupeau. M. Spitta se demande si, dès le temps
de Jésus, on n'interprétait pas déjà Isaïe xvi, 1 dans le sens de la
Vulgale : Emitte Agnum, domine, dominatorem terrée. Les discours de
Jésus trahissent des conceptions et un symbolisme apparentés à ces idées.
Par contre, en dehors de ces divers documents, les écrits du N. T. ne
connaissent que la brebis type de victime. On entrevoit la substitution
de cette dernière idée à la première. Cette substitution fut l'œuvre de
la réflexion ciirétienne excitée et orientée par certaines données d.ç.
l'A. T. et par certains aspects de la vie de Jésus.
Jésus s'est-il cru le Messie ? S'est-il donné comme tel ? Cette ques-
tion demeure à l'ordre du jour. M. H. J. Holtz.mann vient de lui consa-
crer sous ce titre : Das messianische Dewusstsein Jesu. Ein Beitrag zur
Leben-Jesu Forschung (1), un livre qu'il appelle « l'œuvre rétrograde
1. Grand in-8o de VIMOO p., Tubingue, Molir, 1907.
172 REVUE DES SCIE^•CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
d'un théologien vieillissant ». Nous y trouvons d'abord un exposé des
derniers travaux sur ce sujet et des tendances diverses qu'ils mani-
festent. Il y a la tendance sceptique et négative des nombreux critiques
qui, faisant état surtout de Marc et vidant la formule « Fils de l'homme »
de tout contenu messianique, nient que Jésus se soit donné comme
Messie. Les critiques moins destructeurs qui entendent maintenir la
réalité historique de la Messianité de Jésus, conçoivent de manière
fort différente cette Messianité. Directe et rigoureusement juive pour
les uns, elle n'est pour les autres qu'une enveloppe, un vêtement ; c'est
ce qu'on appelle le Messianisme indirect. Encore partisans du Messia-
nisme direct ou indirect considèrent-ils Jésus comme actuellement
investi de la qualité de Messie. D'autres, au contraire, estiment qu'il
n'est Messie que par anticipation ; en réalité il n'apparaîtra dans ce rôle
qu'à la Parousie.
M. Holtzmann explique ensuite quelle est, parmi tant d'opinions
diverses, sa propre position. Jésus s'est donné comme Messie. Certains
faits caractéristiques de sa carrière publique : le voyage à Jérusalem, la
question relative à la filiation davidique, le procès final, et, aussi,
tout l'ensemble de ses actes et de ses paroles, son attitude générale, ne
laissent vraiment place à aucun doute. Ce qui est plus obscur, c'est la
nature de la Messianité de Jésus. M. Holtzmann estime que seule une
application raisonnable de la méthode psychokjgique peut éclaircir ce
problème. Il s'attache très spécialement à déterminer le sens de l'ex-
pression : Fils de l'homme. A partir du moins de la confession de Pierre
à Césarée, il faut dire qu'elle est, dans la bouche de Jésus, un titre
messianique et de caractère eschatologique. Jésus se donne comme
Messie au sens de la fameuse vision de Daniel. A-t-il toujours eu cette
conception eschatologique de son rôle ? Non, il est entré en scène,
comme Fils de Dieu ; il s'est fait d'abord de sa qualité et de son rôle
de Messie une idée toute morale, conforme à l'idéal du Deutero-Isaïe.
La conception eschatologique n'apparaît qu'à partir de la confession
de Pierre. Pourquoi, parmi les divers titres messianiques, a-t-il choisi
celui de Fils de l'homme ? Pour dérouter la foule juive dont les rêves
nationalistes l'inquiétaient.
Ces deux études de M. Spitta et de M. H. J. Holtzmann signifieraient-
elles que l'épidémie d'anti-messianisme qui sévit depuis une dizaine
d'années, commence à décliner ? On voudrait l'espérer (1).
La résurrection de Jésus, par contre, continue d'attirer sur elle
l'attention soupçonneuse de la critique. Après M. Arnold Meyer (2),
voici que le professeur Kirsopp Lake, de Leyde, entreprend d'établir
que nous ne pouvons décidément pas admettre le fait d'une réanimation
du cadavre de Jésus. Son livre porte comme titre : The hislorical
1. Je signalerai une fois encore comme ouvrages catholiques récents à
lire sur ce sujet : P. Batiffol, l.' Enseignement de Jésm, l^e éd. 1905; M.
Lepin, Jésus jSiessie et Fils de Dieu, etc., S^ éd. 1907. Le premier est édité
chez Bloud, le second chez Letouzey, Paris.
2. Die Auferstehung Christi (dans les Lebensfragen de H. Weixel). In-8°
de VlII-368 p., Tubingue, Mohr, 1905.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 173
évidence for the résurrection of Jésus Chrisl (1). M. Lake déclare ne
pas vouloir envisager l'aspect psychologique et philosophique du
problème ; il s'en tient à son aspect historique. Toute la question est
donc de décider si les témoignages historiques qui nous affirment la
résurrection de Jésus, la réanimation de son cadavre, sont recevables
en bonne critique. M. Lake étudie successivement les récits de la résur-
rection : dans S. Paul ; dans Marc ; dans Matthieu, Luc et la conclusion
de Marc ; dans le iv« Évangile; dans les Livres apocryphes. De ces
témoignages divers, il extrait ce qu'il estime être la forme primitive de
la tradition sur ce point. L'on se trouve finalement en face de cette
triple question : 1° L'expérience des femmes suffit-elle à établir que le
tombeau était vide ? 2*^ Prouve-t-elle que la résurrection eut lieu le
troisième jour ? 3° Dans quelle mesure le fait des apparitions justifie-
t-il la croyance à la résurrection. La réponse négative qu'y donne
M. Lake s'inspire des considérations que voici : « Établir la tradition
primitive, ce n'est pas tout à fait la même chose qu'établir les faits.
Cette tradition primitive n'est proprement que le jugement des premiers
témoins. Ce jugement peut être accepté ou contesté. En certains cas, il
n'y a nulle raison d'hésiter à s'y rallier. Dans le domaine de la recherche
historique, c'est même la situation ordinaire. Mais en d'autres occasions,
il est nécessaire d'examiner dans quelle mesure la tradition, dès son
origine, a pu être influencée, non seulement par ce que les témoins ont
vu de leurs yeux, mais par leur commune foi et par les explications
ajoutées consciemment et sur le moment même à leurs observations. »
p. 240.
Il m'est impossible de considérer les conclusions du professeur Lake
comme justifiées. Cela ne m'empêchera pas de reconnaître qu'il pose le
problème de la réalité historique de la résurrection de Jésus en des
termes plus acceptables qu'on ne le fait souvent. A ce point de vue, son
traAail marque un progrès sur le livre de M. A. Meyer.
M. le professeur Ladeuze vient de soumettre les arguments de ce
dernier à une pénétrante et souvent décisive critique dans sa brochure
intitulée : La Résurrection du Christ devant la critique contemporaine
(2). Contre le professeur de Zurich, il y fait voir : 1° Que S. Paul ne
concevait pas la résurrection des morts, et donc celle du Christ,
autrement que comme une réanimation du cadavre, et que le témoi-
gnage rendu par lui à la résurrection de Jésus est vraiment de tout
premier ordre ; 2° Que les contradictions alléguées entre les narrations
évangéliques ou bien n'existent pas ou bien ne sauraient infirmer leur
autorité substantielle ; 3° Que la prétention de vouloir reconstituer, à
l'aide de ces soi-disant contradictions, les étapes successives d'une
évolution qui aurait abouti à l'affirmation de la résurrection corporelle
de Jésus est absolument chimérique.
M. G. Herzog a étudié dans un article de la Revue cV Histoire et de
1. In-16 de YIII-291 p. (Croicm Theological Library), Londres, Williams
et Norgale, 1907.
2. In-8o de 32 p., Cli. Peeters, Louvain 1907. Reproduction d'une con-
férence donnée le 19 sept, devant les Anciens Étudiants de Bonne-Espé-
rance.
"174 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Littérature Religieuses : La conception virginale du Christ (1). La concep-
tion virginale n'entrait pas dans l'idée messianique du peuple juif. Les
généalogies à l'aide desquelles, au lendemain de la mort de Jésus, l'on
s'efforça d'établir sa filiation davidique et que nous ont conservées
Matthieu et Luc impliquent que Jésus est fils de Joseph et n'ont de
valeur probante que dans cette supposition. S. Paul ne fait nulle
mention de la conception virginale du Christ, ce qui ne s'explique que
s'il ne la connaît pas. Cette idée apparaît dans Matt., i, 18-20 et dans
Luc, I, 35, dont la composition nous reporte aux environs de 80. Elle
est le produit, non pas de l'église judéo-chrétienne, mais de l'esprit
hellénique. Elle fut suggérée à ces croyants d'origine païenne par le
titre de Fils de Dieu, combiné avec leurs souvenirs mythologiques.
Toutefois elle ne prit une définitive consistance qu'après qu'on lui eut
trouvé dans l'Écriture un point d'appui. Ce fut la prophétie de l'Emma-
nuel lue dans la traduction des Septante et quelques autres oracles
prophétiques relatifs au Messie. Les évangiles mêmes auxquels nous
devons les premières attestations de la naissance virginale nous laissent
voir que les choses se sont passées de la manière qui vient d'être dite.
Le dogme nouveau se heurtait à deux objections dont l'une avait sa
source dans un texte de Marc, m, :21, 31 et l'autre dans les généalogies.
Ne pouvant détruire ces témoignages gênants de la croyance ancienne,
ils leur firent subir une mise au point qui leur parut suffire à les rendre
inoffensifs. Bientôt d'ailleurs, celui que nous appelons S. Jean, puis les
Modalistes suggéreront d'autres manières d'expliquer en Jésus la
qualité de fils de Dieu. Devenue inutile, ignorée ou même niée par le
iv^ Évangile, la théorie de la conception virginale, qui avait jeté de
profondes racines dans la conscience chrétienne, n'en garda pas moins
sa place au catalogue des dogmes.
Je ne ferai pas à M. Herzog l'injure de penser qu'il a cru dire du
nouveau. La thèse qu'il soutient et les raisons dont il l'appuie étaient
depuis longtemps familières aux biblistes. A ce point de vue, on éprouve
quelque peine à s'expliquer l'émotion causée par cet article dans la
presse catholique de France. Nos Revues les plus estimées ont jugé
nécessaire d'en réfuter les assertions et d'en dénoncer la légèreté. C'est
qu'en cette affaire, elles ont vu autre chose qu'une thèse un peu vieille
déjà, appuyée de preuves dont aucune n'est proprement nouvelle, à
savoir un défi à la conscience catholique et qui venait on ne sait trop
d'où. La Revue Pratique d'Apologétique par la plume de M. Camuset,
(l" sept. 1907, pp. 701-701) : La conception virginale du Christ) ; les
Études, par celle de M. L. de Gramdmaison (20 mai, pp. 503-527 : La
conception virginale du Christ. A propos d'un article récent) ; la Revue
de ilnslitut calholique de Paris, par l'intermédiaire de M. Mangenot
(mai-juin, pp. 197-2:30: L/' conception virginale de Jésus); la Revue
kt/_7".s/ii;?!'e/?»e sous la signature du P. Protin (15 juillet, pp. 5-27: La
conception virginale de Jésus) ; la Revue du Clergé Français sous celle
de M. Lesètre (15 juillet, pp. 113-130 : La Vierge- Mère) ; la Revue
Biblique de juillet dans son Bulletin, etc., se sont attachées à montrer
1. Mars-avril, pp. 17-133.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 175
que les raisonnements de M. Herzog, susceptibles peut-être d'impres-
sionner le grand public, sont de mince valeur aux yeux de la critique.
L'on n'attend pas de moi que j'analyse tous ces travaux. Ils ont très
suffisamment mis en lumière l'inefficacité et souvent l'entière inanité
des arguments de M. Herzog. Par la variélé même de leurs aperçus, ils
constituent une mine très ricbe de faits et de considérations oîi devra
puiser quiconque voudra traiter à fond et d*une matière systématique
ce grave sujet. Cette étude, si elle reste à faire, s'en trouve facilitée (1).
— Il peut être intéressant de noter ici un récent article de M. Carr :
The Virgin Birih in St. John s Gospels (2). L'expression du Prologue :
aovoy-vov;, Traoà TT^frpô; doit se traduire : uniquement engendré du Père.
Elle se réfère à la naissance temporelle et inclut l'idée de conception
virginale. — Cette fois-ci, c'est voir la naissance virginale oîi elle n'est
pas.
B. Saint Paul. — Le R. P. Prat, S. J., vient de publier la première
partie de sa Théologie de saint Paul (3). Il expose lui-même, dans
l'Introduction, le plan général de son œuvre et le caractère de ce
premier volume. «On entrevoit dès lors les difficultés de notre tâche.
En suivant l'ordre chronologique, on sépare des faits unis par une
causalité commune et on disloque des doctrines dont le simple rappro-
chement serait une lumière ; en «'attachant de préférence à l'ordre
logique, on mêle ensemble des enseignements de toutes les époques
et plusieurs traits contemplés hors de leur cadre historique se présentent
sous un faux jour. Nous avons cru obvier à la plupart des inconvé-
nients en divisant ce travail en deux parties. La première replacera
les enseignements de l'Apôtre dans leur milieu naturel et, saisissant
sur le vif le progrès de ses révélations, s'efTorcera de mettre en relief
l'évolution ascendante de sa pensée. Ici peut-être tel lecteur sera-t-il
lente de trouver excessive la part faite à l'histoire. Il aurait raison si la
pensée d'un homme pouvait bien se comprendre indépendamment des
circonstances historiques qui lui donnent l'essor, ou si l'histoire des
apôtres n'était pas par elle-même de la théologie... Dans la seconde
partie, on essayera de donner une vue d'ensemble de la théologie du
grand Apôtre, d'en découvrir l'idée maîtresse, d'en marquer l'enchaî-
nement et d'en suivre les ramifications... » p. 3.
De ces deux parties, la première, celle que nous avons sous les yeux,
était assui-ément la plus facile à faire. Il n'en est pas moins agréable
de constater qu'elle est digne de la réputation scientifique de son
auteur. Le chapitre d'introduction, consacré à la Genèse de la pensée de
saint Paul est particulièrement intéressant. Après avoir marqué la
soudaineté de la conversion de Paul et l'importance capitale de cet
événement pour l'histoire delà pensée de l'Apôtre, le P. Prat écrit:
« Il serait toutefois excessif de dériver toute la théologie de saint Paul
1. On ne manquera pas d'utiliser aussi le travail du R. P. Durand :
L'Évangile de l'Enfance, publié dans la Revue pr. d'ApoL, Juin-Juillet, 1907.
2. Expository Times, août. pp. 521-522.
3. Grand in-8o de 11-604 p. {Bibliothèque de Théologie historique etc). Pa-
ris, Beauchesne, 1908.
176 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
du fait de la conversion, fécondé, si l'on veut, par l'expérience reli-
gieuse... Ni la nature, ni la grâce ne procèdent par bonds. L'éducation
religieuse de Paul, pas plus que celle des autres apôtres, ne devait se
faire en un jour. Après qu'une crise subite en a marqué les débuts, le
développement ultérieur prend un cours normal et progressif. Si la
vision de Damas fut l'amorce d'un système théologique, le système lui-
même sera le fruit d'une révélation lente et continue. « p. 50. Cela ne
veut pas dire qu'il faille rapporter à la révélation tout ce que saint
Paul a jamais prêché, même ce qu'il pouvait facilement connaître par
d'autres voies. Quant à cette révélation même, des événements provi-
dentiels pouvaient parfaitement en favoriser l'éclosion et la raison inter-
venir ensuite pour la féconder. L'esprit de saint Paul n'était ni passif
ni inerte.
Le corps même de l'ouvrage comprend sept Livres dont voici les
titres: L'Apôtre des Gentils ; L'Eglise de Corinthe ; Galates et Jiomains ;
La Captivité ; Les Pastorales ; L'EpUre aux Hébreux. Les Analyses des
épîtres suivent en appendice. On remarquera que la lettre aux Galates
est rapprochée de l'épître aux Romains et datée de la même année.
L'épître aux Hébreux est mise à part ; saint Paul, s'il en est l'auteur, n'en
est pas le rédacteur.
Dans les documents qu'il analyse, dans les situations qu il étudie, le
P. Prat s'attache aux seuls éléments théologiques, aux doctrines et
aux institutions. Des lettres aux Thessaloniciens, par exemple, il ne
retient que les idées eschatologiques. Les épîtres de la Captivité four-
nissent matière à trois chapitres : sur la Prééminence du Christ, sur
VÉglise corps mystique du Christ, sur la Christologie de VÉpîlre aux
Philippiens. Malgré la part plus large faite à l'histoire pure à propos
de certaines épîtres, celles au Corinthiens en particulier, malgré le
grand nombre des Notes philologiques et exégétiques, intéressantes
d'ailleurs, ce livre est vraiment ce qu'il veut et doit être, non pas une
biographie de saint Paul, ni un commentaire déguisé de ses épîtres,
mais un exposé analytique et chronologique des enseignements de
l'Apôtre. — Souhaitons la prompte publication de la seconde partie.
La thèse de doctorat en théologie, présentée par M. l'abbé A. Royet
aux Facultés Catholiques de Lyon : i^tude sur la Christologie des L pitres
de saint Paul (i) ne saurait évidemment être mise sur le même rang
que l'œuvre magistrale du R. P. Prat. Elle n'en a pas moins son mérite,
que j'ai plaisir à signaler. Si le sujet est plus restreint, la méthode est
la même. M. Royet s'attache, lui aussi, à suivre, d'aussi près que
possible, le développement des doctrines de saint Paul dans le
domaine de la Christologie. Il distingue trois groupes successifs d'épî-
tres : Thessaloniciens; Galates, Corinthiens, Romains; Éphésiens,
Colossiens, Philippiens. Le deuxième groupe lui fournit des ren-
seignements sur : Le Christ principe de vie ; Le Christ Seigneur;
La divinité du Christ. Les épîtres de la Captivité donnent lieu aux
paragraphes suivants : Le Christ et VÉglise; Le Christ et le inonde
/Transcendance) ; Le Christ-Dieu. Voici quelques extraits de la conclu-
1. In-16 de 120 p. Lyon,, E. Vitte, 1907.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 177
sion : « De celte étude... deux conclusions surtout semblent se déga-
ger : Le Christ est la source de toute vie ; le Christ est Dieu. La
première de ces propositions est exprimée par saint Paul avec la plus
grande clarté... La seconde semble appeler plus de réserves. Certes on
ne saurait nier que, pour saint Paul, le Christ n'ait une nature divine
en même temps qu'une nature humaine .. Mais dès qu'il faut définir
ce terme (0îô;), l'exposé de TApùtre s'embarrasse, et l'on a peine à
reconnaître sous ses formules l'absolue divinité qui est celle du Père.
La subordination du Christ médiateur et juge au Père semble augmen
ter encore la confusion. Aussi le semi-arianisme s'est-il appuyé sur plus
d'un passage des épitres. Il faut dire cependant que saint Paul ne se
prête aucunement à pareille interprétation. Si les termes dont il dispose
ne sont pas assez précis, s'il ne s'applique pas à distinguer dans le
Christ les deux natures pour donner à chacune ce qui lui revient, si en
un mot il ne fait pas de métaphysique, il a posé les bases des défini-
tions ecclésiastiques postérieures. Logiquement sa doctrine aboutit au
dogme catholique et ne peut aboutir que là. » pp. 118-119. La doc-
trine christologique de saint Paul et celle de saint Jean sont, sur
plusieurs points, toutes voisines, sauf qu'avec saint Jean le travail de
traduction de la révélation en langage philosophique est déjà commencé.
Cependant le IV* Évangile ne dépend pas des Épîtres.
Par une brochure intitulée : Die Grundgedanken der paulinischen
Théologie (1), le D"" Carl Clemen s'est proposé de prendre position dans
un débat qui divise, depuis des années déjà, les théologiens luthériens
d'Allemagne. Il s'agit de savoir quelle est l'idée centrale de la théologie
paulinienne. Jusqu'ici les théologiens protestants d'Allemagne disaient,
après Luther, que c'est la doctrine de la justification par la foi au sang
de Jésus. Maintenant bon nombre d'entre eux, et tout récemmeni
Weizsàcker, Kaftan, AVrede, prétendent que ce rôle revient à une
certaine conception éthico-mystique de la rédemption, d'après laquelle
ceux qui appartiennent au Christ seraient sanctifiés d'une manière
immédiate par sa mort et sa résurrection (2). M. Clemen, lui, croit
devoir maintenir l'ancienne opinion. Seule la doctrine paulinienne de
la justification par la foi au sang du Christ répond aux doutes dont
souffrait Saul; elle doit donc occuper la place centrale dans la théologie
et dans l'expérience religieuse de Paul. De plus les épîtres ne connais-
sent même pas celte prétendue conception d'une efficacité immédiate
de la mort et de la résurrection du Christ. — Personne ne se demande
si les deux points de vue ne peuvent se concilier.
M. Mangenot a exposé les enseignements des Actes sur : Jésus Messie
et Fils de Dieu, dans un article très solide de la Revue de VInstilut
Catholique de Paris (3). Voici la conclusion de la seconde partie de son
travail, qui est naturellement la plus importante : « Il ressort de toutes
1. In-8'J de 24 p., Tubingue, Mohr, 1907. Comme sous-titre : Mit beson-
dercr Bilcksicht aiif Kaftan und Wredc untersuoht.
2. Cfr. Weizsaecker, Das apostoUsche Zeitalter der christlichen Klrclic, 3®
éd. 1902, p. 133 et ss. — Kaftan, Jésus und Paulus, 1906, p. 33 et ss.
— Wrede, Paulus, 1905, p. 56 et ss.
3. Nov-Déc. 1907, p. 385-423.
2e Année. — Revue des Sciences. — - N° i. 12
178 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ces constatations que le Christ des Actes est bien le Christ Dieu et Fils
de Dieu, participant intimement aux pouvoirs et aux privilèges de Dieu.
Même en n'envisageant que les premiers chapitres- du livre, Stevens
reconnaît que les descriptions qu'ils donnent du caractère et de
l'œuvre absolument uniques du Christ lui paraissent tout à fait incon-
ciliables avec l'hypothèse d'une personne purement humaine... Les
apôtres se bornent à prêcher que Jésus était Dieu et Fils de Dieu ; et
c'est tout; ils ne disent pas comment il est Fils de Dieu et Dieu lui-
même. La doctrine de l'Incarnation n'est donc qu'implicite dans les
Actes et Rackham a pu dire que « les apôtres eux-mêmes ne réalisaient
pas entièrement au commencement ce qui était intellectuellement contenu
dans leur attitude envers leur Seigneur. Mais ils vivaient par leur foi
en lui » et leur foi s'est graduellement .développée dans leur intelli-
gence consciente. »p. 122.
C. Écrits Johanniques. — L'étude de M. E. F. Scott : 1 he Fourth
Gospel, its Piu'pose and Theologij (1) est assurément l'une des plus
importantes qui aient paru depuis nombre d'années sur ce sujet. Elle
compte douze chapitres : Caractère et but ; Sources et influences ; Pré-
occupations polémiques ; Préoccupations ecclésiastiques; La doctrine du
Loqos • « Le Christ, le Fils de Dieu » ; Vœuvre du Christ ; Vie ; La
communication de la vie ; Le retour du Christ ; Le Saint-Esprit ; Bésum.é
et conclusion. M. Scott, dans les questions d'auteur, de date, de valeur
historique, préfère à l'opinion traditionnelle dont MM. J. Drummond,
Sanday, Stanlon se sont constitués, en Angleterre, les apologistes, ce
qu'il appelle «la commune opinion des savants du Continent.» Le
IV« Évangile est l'œuvre d'un auteur inconnu, écrivant entre 100 et 120,
et qui ne représente aucune tradition historique indépendante des
Svnoptiques ;2).
M. Scott considère le lY* Évangile comme étant essentiellement une
réinterprétation du message chrétien, destinée à le rendre intelligible
à l'esprit grec. Cette union de l'ancien et du nouveau se trahit par un
dualisme très marqué. Le IV^ Évangile est tout ensemble juif et grec,
chrétien et alexandrin, particulariste et individualiste.
Trois idées constituent toute l'essence de la théologie johannique.
1° Jésus-Christ est en lui-même, et non seulement par ses actes et ses
paroles, la révélation de Dieu. 2° L'œuvre propre de Jésus-Christ a
été de communiquer la vie. 3° Cette vie se puise dans l'union, l'incorpo-
ration mvslique au Christ. Chacune de ses idées se présente sous une
double forme, mystique et philosophique, comme la traduction d'une
expérience intime et en qualité de théorie métaphysique. Sous leur
aspect mystique, elles ont leur source dans une révélation du Christ
à l'auteur, dans une expérience personnelle de ce qu'est le Christ.
Sous leur aspect philosophique, elles sont un emprunt à la philosophie
1. In-So de VII-379 p., Édimbourç, Claxk, 1906.
2. Le meilleur travail catholique que l'on puisse lire sur L'origine du
JTFe Evangile est, sans contredit, le récent ouvrage de M. Lepin publié
sous ce titre même; ia-16 de VII-508 p. Paris, Letouzey, 1907. On y verra
Îue les présuppositions littéraire^ de M. Scott ne répondent pas aux faits,
oute la savante architecture eségétique qu'il édifie sur elles devient, du même
coup, vacillante.
BULLETIN DE THÉOLOGIE BIBLIQUE 179
alexandrine qui constitue l'atmosphère intellectuelle de révangéliste.
Les jugements religieux, les expériences religieuses du IV* Évangile
gardent une valeur durable ; les conceptions métaphysiques à l'aide
desquelles il s'est efforcé, avec un succès d'ailleurs imparfait, de les
traduire, ont eu leur utilité mais sont maintenant périmées.
La brochure de M. le pasteur 0. Bertling ; Der Johatineische Logos
(1) est beaucoup plus sage. L'auteur défend résolument et parfois
avec bonheur, la composition du 1V« Évangile par un disciple immé-
diat de Jésus, Jean le presbytre, son accord essentiel avec les Synop-
tiques, et la valeur historique tant des récits que des discours qu'il
rapporte. Jean a emprunté à Philon, sans doute par des intermédiaires,
le mot et le concept de Logos, Mais c'était pour rendre une idée qu'il
ne devait nullement au philosophe, à savoir que Jésus était, en sa
propre personne et dans son être même, la révélation de Dieu. N'est-ce
point à la parole, au verbe que, dans l'homme, appartient cet office?
Le Dr. Bertling précise ensuite les détails de la doctrine du Logos dans
le iV Évangile et signale ses conséquences pour la Christologie. — Étude
de caractère apologétique et pratique, bien intentionnée, mais allant
rarement jusqu'au bout des intuitions johanniques.
11 ne me reste plus à mentionner qu'un exposé synthétique de M. le
professeur G. Hoennicke intitulé : Die neutestamenlliche Weissngnng
vom Ende (2). Dans un premier chapitre, l'auteur traite des antécédents
divers par lesquels se trouvent conditionnées les prophéties néo-testa-
mentaires de la Fin. Ce sont : le rôle attribué à l'Esprit dans les com-
munautés chrétiennes primitives, l'œuvre du Christ et l'ancien
Testament. 11 considère comme authentique, le fond du grand discours
eschatologique des Synoptiques. 'Jésus, à son sens, n'a pas annoncé
l'imminence ou même la proximité de la fin. Le second chapitre est
consacré au contenu des prophéties eschatologiques du N. T. Le
lecteur y trouve un résumé très succinct des prédictions de S. Paul,
de laSecunda Pétri, de l'Apocalypse de Jean. Dans un troisième chapitre
et sous ce titre : Der zeitgeschithtUche Charakter der neutestamenllichen
J^eissagung vom Ende, M, Hoennicke étudie l'eschatologie juive
et les grands faits de l'histoire au l*'^ siècle. Les prophéties eschato-
logiques du N. T. ont un étroit rapport avec l'apocalyptique judaïque
et avec l'histoire contemporaine. Jean connaît et s'approprie la croyance
populaire au retour de Néron. Le portrait de l'antéchrist par S. Paul
est tracé d'après Caligula et laisse reconnaître non pas un Pseudo-
Messie juif mais un païen impie. Le chapitre quatrième et dernier
précisela signification des prophéties eschatologiques du N. T., c'est-à-
dire les idées essentielles qui s'y trouvent impliquées, — Cette étude est
conduite selon la manière prudente et réservée qui caractérise la
collection de M. Kropatscheck et l'on ne peut que gagner à entendre
sur ce sujet un savant de compétence reconnue comme M. Hoen-
nicke.
Kain. A. Lemonnyer, 0. P.
1. In-12 de VII-72 p. Leipzig, Hinrichs, 1907.
2. In-12 de 51 p. (dans les Blblischen Zeit- und Streitfragen de Kropatscheck,
III, 6). E. Runge, Gr. Lichterfelde-Berlin.
CHRONIQUE
ALLEMAGNE. — Publications nouvelles. — Les Biblische Sludien
de Mgr Bardenhewer ne suffisent plus à l'activité biblique des catholi-
ques de langue allemande. Pour faciliter la publication des travaux qui
affluent, les professeurs Bludau de Munster et Nikel de Breslau prennent
la direction, le premier de NeuteslamentUche Abliandlungen, le second
dWlltsstamentliche Abliandlungen qu'éditera, à partir de 1908, lalibrairie
Âschendorff de Munster. Ces deux nouvelles collections paraissent à
dates indéterminées et par fascicules d'importance diverse, destinés à
former des volumes. Seront publiés dès le début de Tannée, dans les Neu-
teslamentliche Abliandlungen : D"" Meinertz, Jésus und die ffeidenmission
(Fascicule 1 et 2, environ 15 feuilles) ; D"" Steinmann, Der Leserkreis des
Galaterbriefes (Fasc. 3 et 4, environ 16 feuilles); dans les Allieslament-
liche Abliandlungen : D'' P. Heinisch, Der Einfluss Philos auf die àlteste
christliche Exégèse.
— Les professeurs E. Drerup de Munich, H. Grimme et J. P. Kirsch
de Fribourg en Suisse, ont commencé de publier chez F. Schoningh,
le grand libraire catholique de Paderborn, des Sludien zur Geschichle
und Kultur des Altertums. Im Auflrage und mil Unlerslùtzung der
Gbrresgesellschaft. Deux fascicules sont en vente. Du professeur H.
Grimme, nous avons une belle étude sur Bas israelilisclie Pfingslfest und
der Plejadenkuh ; du D'' Th. A. Abele : Der Sénat unter Auguslus. Le
travail annoncé de M. H. Francotte, professeur à l'université de Liège:
La Polis grecque, a sans doute déjà paru.
Pour 1908 on annonce : Drerup, Ein polilisches Pamphlet aus Alhen
404 V. Christus, E. Martini (Leipzig), Zur indireklen Ueberlieferung
des Laertios Diogenes-; J. P. Kirsch, Orient und Abendland in der Kunst-
entîoicklung des christ. Allerlums.
— Les PP. de LoË et Reicuert viennent de prendre l'initiative d'une
nouvelle collection ayant pour but d'étudier l'histoire des Dominicains
en Allemagne. Elle s'intitule Quellen und forschungen zur Geschichle
des Dominikanerordens in Deutschland et paraît à la librairie Otto Har-
rassowitz à Leipzig, par fascicules indépendants (2 ou 3 par an) de
format et de prix variés. Dans son objet rentreront, outre les questions
d'histoire générale, l'étude de la théologie et de la mystique représentées
par des personnalités comme Albert le Grand, Eckhart, Tauler, Henri
Suso, Jacques Sprenger, Jean Nieder, Jacques de Hochstraten, etc. On
annonce comme prochaines des biographies de maître Eckhart et
d'Albert le Grand. Le premier fascicule est déjà paru. (P. von LoË, Sta-
tistiches ûber die Ordensprovinz Teulonia, in-S'', 52 pp., 2 M.)
— Le R. P. A. Leumkuhl vient de donner une cinquième édition de
son Compendium theologiae moralis (Fribourg en B., Herder, 1907 ; in-
8°,XXIV — 110 pages). C'est un excellent manuel, destiné à en remplacer
d'autres du même genre qui désormais sont incomplets. C'est certaine-
CHRONIQUE 181
ment un des premiers qui contienne les derniers décrets du S. -Siège
et qui indique les modifications introduites par eux dans la discipline
de l'Église. Il est inutile de relever dans cette cinquième édition les
qualités de logique, de clarté et de précision signalées déjà dans les
éditions antérieures. J. n.
— Au cours de l'hiver dernier, une mission scientifique allemande,
concurremment avec la mission française dirigée par M. Clermont-
Ganneau, a fait procéder à des fouilles dans Tîle d'Éléphantine (Haute-
Egypte). Elle a mis au jour de nouveaux papyrus araméens dont l'étude
fut aussitôt confiée au professeur K. E. Sachau de l'université de Berlin.
Celui-ci vient de consacrer à quelques-uns d'entre eux un travail intitu-
lé : Drei aramàische Papyrusurkunden aus Elephanline dans les
Abhandlungen der Koenigl. Preussischen Akademie der Wissenschaflen
vom Jahre 1907 , (46 pages in-4). De ces trois documents, uu surtout
offre un exceptionnel intérêt. C'est une requête adressée par les prêtres
de la colonie juive d'Éléphantine, l'an 17 du règne de Daris (408 av.
J.-C.) au gouverneur perse de Judée, Bagohi, pour obtenir la permission
de reconstruire le temple de Jahvé à Éléphantine détruit par les prêtres
égyptiens du dieu Khnoum.
Les deux missions française et allemande viennent de reprendre ces
fouilles que le monde savant suit avec une attention passionnée.
M. Clermont-Ganneau a écrit dans Le Temps du 29 octobre : « Nous
avons aujourd'hui la certitude que le temple de Jéhovah s'élevait bien,
comme je l'avais soutenu, dans l'île même d'Éléphantine, et, selon toute
probabilité, dans le quartier juif dont nos ostraca caractéristiques nous
ont, d'autre part, révélé l'emplacement. Quelques coups de pioche
encore, et nous pouvons en mettre au jour les ruines vénérables et qui
sait? y découvrir enfin, dormant dans quelque geniza secrète, un exem-
plaire du livre sacré qui servait aux cérémonies du culte, une Bible
antérieure de cinq siècles à Jésus-Christ...»
Nominations. — La direction du Zeitschrift fur rvissenschaftlicJie
Théologie, vacante, par suite du décès d'Adolphe Hilgenfeld, a été
confiée au D"" F. Nippold, professeur ordinaire d'Histoire de l'Église à
l'Université d'Iéna.
— Le D'' B. Heigl, privat-docent pour l'exégèse du Nouveau Testament
à l'Université de Munich, a été nommé professeur extraordinaire au
Lycée royal de Freising, en remplacement du D'' Michel Seisenberger,
professeur ordinaire, qui a pris sa retraite.
— Le D'" Max Meinertz, privat-docent à la Faculté de Théologie
catholique de Bonn, a été nommé professeur extraordinaire d'exégèse
du Nouveau Testament au Lycée Hosianum (Braunsberg), en rempla-
cement du D'' H. Weiss, professeur ordinaire.
Décès. — La mort de M. Jacob Fueudenthal, professeur de philoso-
phie à l'Université de Breslau, survenue en juillet dernier, n'est déjà
plus un fait récent. Le D'^ Freudenthal était né en 1839. Après avoir
étudié aux Universités de Breslau et de Gœttingue, il enseigna d'abord
les langues classiques et la philosophie au Séminaire juif de Breslau.
S'étant ensuite habilité à l'Université de cette ville pour l'enseignement
182 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de la philosophie (1873), il y fut nommé successivement professeur
extraordinaire (1878) et professeur ordinaire (1888).
Pendant la première partie de sa carrière, il s'adonna surtout à l'étude
de la philosophie grecque ; pendant la dernière, Spinoza et le Spinozisme
absorbèrent le meilleur de son activité. Citons ses études sur Âristote :
Ueber den Begriff des Wovles tpav-acta bei Aristoleles ; Ueber die parva
naluralia des Arisloteles ; Ueber die Ideenassocialion bei Aristoteles; etc.,
l8o3 et ss. ; ses travaux sur la Philosophie alexandrine, en particulier ses
Hellenistische Sludie.n (3 fascicules), 1879 ; enfin ses publications relatives
à Spinoza, entre autres son classique Spinoza, Leben und Lehre, dont le
premier volume seul a paru (1898), et cette étude sur les origines de la
tenninoloi;ie métaphysique de Spinoza: Spinoza und die Scholasl ik
qu"il donna en l'honneur du jubilé doctoral de Zeller en 1887.
— Le D"^ L. Busse, professeur de philosophie à l'Université de Halle, est
mort le 12 septembre, en pleine maturité. Il était né en 1862. Docteur
en philosophie en 1883, il fut appelé à enseigner cette science à l'Uni-
versité impériale de Tokio (1886). Revenu en Allemagne, il débuta
comme privat-docent à Marbourg (1894), fut nommé professeur ordi-
naire à Rostock (1896), à Kœnigsberg (1898), à Munster (1904), et enfin
à Halle (1906), où il succédait au D"^ Vaihinger contraint à la retraite
par une maladie d'yeux.
Ouvrages principaux : Beilràge zur Fnlicickeîungsgeschichte Spinozas,
1883 ; Streifzûge durch die japanische elhische Lileralur der Gegenioart,
1892; Philoso])hie und Erkennlnislheorie, 1894; Die Wechsehuirkung
zwischen Leib und Seele, und die Geselz der Erhallung der Energie^
1^00 ; Geist und Kôrper, Seele und Leib, i903 ; Die Weltanschauungen
der grossen Philosophen der \euzeit, 2*= éd. 1903, etc.
Le D"^ Busse dirigeait depuis 1902 la Zeilschrift fur Philosophie und
Philosophische Krilik. C'est le D"" H. Schwarz, professeur extraordinaire
de philosophie à Halle, qui lui succède en cette qualité.
— On annonce la mort du D'' Karl Ruckert, professeur ordinaire de
littérature du Nouveau Testament à l'Université de Fribourg en Brisgau.
n était né en 1840. H a publié: Die Quellen der Aposlelgeschichle, 1863 ;
A^ach Palaestina und ueber das Libanon, 1881 ; Der Lage des Berges
Sion, 1898, etc.
ANGLETERRE. — Publications nouvelles. — La librairie Clark
d'Edimbourg édite une nouvelle collection intitulée : The Lileralure and
Religion of Israël. « Une série de volumes est sur le point d'être
publiée qui, évitant les discussions inutiles, décrira le développement
des idées religieuses d'Israël depuis les tout premiers temps jusqu'à
J.-C... La littérature a été divisée en groupes et chaque groupe confié à
un savant qui exposera succinctement l'origine des livres eux-mêmes,
dressera le tableau des idées religieuses qui s'y trouvent exprimées et
enfin marquera la place de ces idées dans l'ensemble de l'évolution
religieuse d'Israël. »
Voici la liste des ouvrages projetés et de leurs auteurs : Morris Jas-
TRow, de l'Université de Pensylvanie, Les Origines; A. R. S. Kennedy,
de l'Université dÉdimbourg, Institutions et Législation ; H. W. Hogg,
CHRONIQUE 183
de rUniversilé de Manchester, Histoire ; B. Gray, Mansfield Collège,
Oxford, Psaumes ; R. H. Kennett, de l'Université de Cambridge,
Prophètes pré-exiliens; W. H. Bennett, New Collège, London, Pro-
phètes post-exiliens ; J. Skninner, Westminster Collège, Cambridge,
Livres sapientiaux ; J. Moffatt, Broughty Ferry, Apologues historiques;
R. H. Charles, de l'Université d'Oxford, Littérature apocalyptique (2 v.).
L'ouvrage de M. Bennett, The Religion of the Post-Exilk Prophets,
vient de paraître.
— Depuis juillet dernier, la librairie Archibald Constable, de Londres,
publie : llie Oxford and Cambridge Review. Le nouveau périodique
doit servir de lien entre les deux grandes Universités. Il paraît trois fois
par an : en juillet, octobre et mars. Le prix de chaque fascicule est de
2sh. 6 d.
Voici le sommaire du n° 2 (Michaelmas Term) : Colonel G. Me Cabe,
Caplain J. Smith's Travels ; 'J. B. Burke, Haeckel and Haeckelism ;
Canon the Hon. E. Lyttelton, More ahoul Biometry ; F. C. S. Souiller,
Freedom and Responsihility ; « Jam Senior », Oxford' s anliquated
Machinery ; J, Stuart Mill, On social Freedom (suite, inédit) ; J. Pol-
LOCK, The Laiv's . Delays ; W. H. Beveridge, Settlements and social
Reform ; V. H. Walsh, Dévolution in Aiish-ia-Bungary ; L. B. J. Sollas,
Neglect of Education for Women ; H. Belloc, The Priest.
Congrès. — Le S""*^ Congrès International d'Histoire des Religions se
tiendra à Oxford du 15 au 18 septembre prochain. Comme les précé-
dents, ce Congrès comportera des Réunions plénières et des Réunions
de Section. Les Sections seront au nombre de huit : 1°^ Religions
des civilisations inférieures, y compris le Mexique et le Pérou :
2° Religions des Chinois et des Japonais ; 3° Religion des Égyptiens ;
4° Religions des Sémites; 5" Religions de l'Inde et de la Perse ; 6° Reli-
gions des Grecs et des Romains ; 7° Religions des Germains, des Celles
et des Slaves ; 8'^ Religion Chrétienne.
Le prix des billets de membres, donnant droit d'entrée aux réunions
et réceptions et à recevoir un exemplaire des Actes du Congrès, est d'une
livre st.. Celui des billets de dames, donnant simplement accès aux
réunions et réceptions, est de 10 sh. Les demandes doivent être adres-
sées à MM. J. E. Carpenter, 109, Banbury Road et L. R. Farneli, 101,
Woodstock Road, Oxford, secrétaires. Il en est de même pour les
travaux destinés à être lus et qui doivent être envoyés pour le 1 août
au plus tard. De plus, les membres qui ont dessein de lire quelque
travail sont priés d'en donner avis avant le 31 mai.
Jubilé. — Le 2 octobre dernier, M. Ed. Burnett Tylor, le célèbre
anthropologiste anglais, professeur d'anthropologie à l'université
d'Oxford, président de l'Institut Royal d'Anthropologie, a célébré le
75™^ anniversaire de sa naissance. A cette occasion, un groupe d'anthro-
pologistes anglais lui a offert un beau recueil de travaux édité par la
Clarendon Press sous ce titre : Anthropological Essays presented to
E. B. T. etc. On y relève des études signées de MM. A. Lang, J. Rhys,
J. G. Frazer, D. j. Cunningham, etc., etc. L'étude consacrée par M. Lang
à la carrière scientifique de Tylor et la bibliographie de ses travaux
184 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
dressée par Miss B. W. Freire-Marreco sont particulièrement pré-
cieuses.
L'Institut royal d'Anthropologie a offert à M. Tylor, le o novembre,
une médaille commémorative. Le volume en cours de publication du
Journal of the Royal Anthropological Inslitute lui a été, en outre,
dédié.
Signalons à cette occasion la récente création à l'université d'Oxford
d'un diplôme spécial d'anthropologie. Le Board of Ânlhopological
Studies de l'université de Cambridge réclame l'institution d'un diplôme
semblable.
Nomination. — M. J. G. Frazer vient d'être nommé titulaire de la
chaire d'anthropologie créée tout récemment à l'université de Liverpool.
Il y a quelques mois, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de
Paris le choisissait comme correspondant étranger.
Décès. -7- On annonce la mort de Sir William Thomson, lord Kelvin,
décédé à Belfast dans sa quatre-vingt-troisième année. L'illustre physi-
cien était chancelier de l'université de Glasgow, associé étranger de
l'Académie des Sciences de Paris, de l'Académie des Sciences de Berlin
et de Munich, président de la Société royale d'Edimbourg, de la Faraday
Society de Londres, etc. Son œuvre scientifique est de tout premier
ordre, mais échappe à notre compétence. De 1846 à 1899, lord Kelvin
fut titulaire de la chaire de Philosophie naturelle à l'université de
Glasgow. Il a publié en collaboration avec le prof. P. G. Tait : A Trea-
tise on Nalural Philosopluj.
BELGIQUE. — Académie. — La Section des Sciences morales et
politiques de l'Académie de Belgique a élu récemment membre corres-
pondant M. le professeur De Wulf, de l'université de Louvain, le
savant historien de la philosophie médiévale. Signalons à cette occa-
sion la traduction anglaise de son Infroducliun à la philosophie néo-
scolastique, 1904, que vient de publier M. P. Coffey, professeur de philo-
sophie à Maynooth Collège, Irlande, sous ce titre : Scholasticism old and
neic. An introduction to scholastic philosophy médiéval and modem,
Dublin, 1907. Le traducteur a ajouté un chapitre : Philosophy and the
sciences at Louvain,
— Parmi les sujets mis au concours par l'Académie royale de Belgique,
Section des Sciences morales et politiques, signalons, pour 1909 : Une
étude critique sur la philosophie de Guyau et ses applications. Un prix
de 600 francs sera décerné au -meilleur travail. Les Mémoires doivent
parvenir au secrétariat de l'Académie avant le 1 novembre 1908.
Nominations. — M. N. Baltuasar a été nommé chargé de cours à
l'Institut supérieur de Philosophie de Louvain, avec mission d'enseigner
la Théodicée.
— A l'université libre de Bruxelles, M. Dupréel remplace, comme titu-
laire des cours de Logique et de Métaphysique, M. René Berthelot qui
donne un cours libre en Sorbonne.
Décès. — Mgr Thomas Lamy, professeur honoraire de la Faculté de
CHRONIQUE 185
théologie de l'université de Louvain, est^décédé le 30 Juillet à Tâge de
quatre-vingts ans.
Après avoir conquis son doctorat avec une thèse intitulée : De Syro-
rum fide et disciplina in re eucharislica, 1859, Mgr Lamy fut appelé à
enseigner l'Écriture Sainte à l'université de Louvain, d'abord à la
« schola minor », puis au cours supérieur, où il remplaça Mgr Beelen.
Il garda ces fonctions jusqu'en 1900. En même temps que l'Écriture
Sainte, Mgr Lamy enseignait l'hébreu et le syriaque. Il était consulteur
de la Commission biblique et membre de l'Académie de Belgique.
Son œuvre scientifique est considérable et, dans le domaine de la
littérature syriaque surtout, de très haute valeur. Citons : Concilium
Seleuciae et CtesipJionti hahitum anno 4/0, 1868 ; Gregorii Barhebraei
CJironicon, 3 vol.^ 1872-1877 ; Acta beati Abrahae Kidunaiae monachi,
1891 ; Sancli Epliraem Syri hymni et sermones, 4 vol., 1882-1902. Dans
le domaine scripturaire, signalons les publications où il critiqua les
idées de Renan : Examen critique de la Vie de Jésus de M. E . Renan,
1863 ; Les Apôtres par Ernest Renan, 1866 ; L Antéchrist de M. Renan,
1873 ; M. Renan, la révélation et les langues sémitiques, 1858 ; plusieurs
commentaires et études exégétiques : Commentarium in Genesim, 2 vol.,
±^ édv 1883-1884. Il collaborait à de nombreuses Revues catholiques.
ESPAGNE. — Universités et Séminaires. — L'enseignement des
diverses branches de la Sociologie prend en Espagne des développe-
ments extraordinaires. C'est là certainement l'un des faits caractéristi-
ques de lavie intellectuelle de l'autre côté des Pyrénées. Bon nombre de
Séminaires ont inscrit un cours de sociologie dans leur programme. On
cite en particulier ceux d'Astorga, Jaca, Jaen, Madrid, Orense, Palencia,
Pampelune, Salamanque, Santander, Séville, Valence, Valladolid.
Dans plusieurs discours prononcés à l'occasion de la reprise des
cours universitaires, des sujets ressortissant à la Sociologie ont été
traités, A Valence le professeur J. A. Bernabé y Herrero a parlé de la
question agraire en Espagne ; à Salamanque le professeur N. Sanchez
y Mata, a pris pour thème : Le socialisme et la Démocratie chrétienne ;
à Barcelone, le professeur J. Estanyol y Colom a proposé : Quelques
réflexions sur le droit d'association.
— Le discours de réouverture à l'Université de Madrid a été prononcé
par le professeur B. Bonet y Bonet. Le thème choisi était : L'organisa-
tion de l'enseignement. Celte organisation parait défectueuse à l'orateur
qui réclame diverses réformes : l'institution d'un examen d'entrée, la
refonte du système d'examens et la substitution d'examens de grades
aux épreuves indépendantes sur chaque matière ; la réorganisation
des bourses d'études à l'étranger, etc.
ÉTATS-UNIS. — Universités. — Nous empruntons au Journal of Psy-
chology les renseignements suivants. La Philosophical Union de
l'université de Californie annonce comme sujet d'étude pour 19.07-1908 :
La Finalité de la religion chrétienne^ L'ouvrage publié sous ce titre
même par le professeur G. Burman Poster, de l'université de Chicago,
a été choisi comme texte. La dissertation inaugurale a été lue le 27
186 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
septembre par le professeur Ch. H. Rieber, de l'université de Californie,
sur : Le problème moderne de la Finalité de la religion chrétienne. Ont
été ensuite traitées : La formation delà religion d'autorité (23 octobre) ;
La dissolution de la religion d'autorité (22 novembre) ; La conception
nouvelle du monde et de la vie (13 décembre). Seront étudiées ulté-
rieurement : La conception naturaliste et la conception religieuse du
monde (31 janvier) ; L'essence du Christianisme : la question de
méthode (28 février) ; L'essence du Christianisme : les sources de la
vie de Jésus (27 mars) ; L'essence du Christianisme : Jésus (24 avril) ;
La finalité de la religion clirétienne (8 mars).
— M. 0. Pfleiderer, professeur à l'université de Berlin, a donné à
l'université Harvard, pendant le mois d'octobre, une série de con-
férences en allemand sur La Philosophie de la religion.
— M. le professeur W. Batesox, de l'université de Cambridge
(Angleterre), a donné en octobre et novembre au Peabody Muséum de
l'université de Yale les Selliman Lectures. Le sujet choisi était : 7'he
Problem of Genelics.
— L'université Harvard se propose d'entreprendre des fouilles
à Sebastije, l'ancienne Samarie, en Palestine. Des démarches ont été
faites pour obtenir de la Porte le fîrman nécessaire.
Nominations — M. E. Abbre, professeur adjoint de philosophie à
l'université Cornell, Ithaca, New-York, est nommé pi-ofesseur titulaire.
— M. C. W. E. Withney, de Bryn Mawr Collège, Bryn MavvT, Pen-
sylvanie, devient inslriictor de philosophie à l'université Princeton.
— M. L. E. Emerson, docteur en philosophie de l'université Harvard,
est nommé instructor de philosophie à l'université Michigan, Ann
Arbor, Michigan.
— M. D. E. Starch, instructor de psychologie à l'université de Jowa,
est attaché au laboratoire de psychologie de l'université Harvard et
nommé inslnictor de psychologie expérimentale au Wellesley Collège,
Wellesley, Massachusetts.
— M. G. Santayana, professeur adjoint de philosophie à l'université
Harvard, devient professeur titulaire.
— M. J. H. Breasted, l'éminent égyptologue, professeur à l'université
de Chicago, a été élu membre correspondant de l'Académie des
Sciences de Berlin.
FRANCE. — La deuxième partie du Tome I de VHisloire des Conciles,
de Hefele, traduite par un religieux bénédictin (Paris, Lelouzey et Ané,
1907 ; gr. in-8°, p. 633-1239) vient d'être livrée au public. On y retrouve
la même érudition que nous avons déjà notée à propos de la première
partie (cf. Rev. des Se. Ph. et Th., i ;19071, p. 819). Réparons un oubli
en signalant un nouvel avantage de ce travail. En marge du texte, a été
insérée la pagination Je la deuxième édition allemande. On peut par là
retrouver sans peine les références données d'après celle-ci. Dans ce
second volume, il faut faire une mention spéciale des neuf appendices
ajoutés par Dom H. Leclercq à la traduction. Ils traitent les sujets
suivants : 1° Le concile apostolique de Jérusalem ; 2° Le concile apos-
tolique d'Antioche ; 3** Chronologie des conciles de Carthage depuis
CHRONIQUE 187
l'an 251 jusqu'à l'an 256 ; 4° Un concile tenu à Séleucie-Ctésiphon
avant 323 ; 5° Les fragments coptes relatifs au concile de Nicée ; G**
Les diverses rédactions du concile de Nicée dans les collections occiden-
tales ; 7° De la composition des conciles provinciaux ; 8° Observations sur
le 6^ Canon du concile de Nicée. Les sièges suffragants d'Alexandrie,
d'Ântioche, de Rome et de Carthage ; 9** Les Canons dits apostoliques.
Une table analytique permet, dès maintenant, l'utilisation facile de
ce tome L
— C'est une vraie nouveauté que nous présente DomH. Lecleecq
avec son Manuel d'ArcJiéologie chrétienne depuis les origines jusqu'au
viii^ siècle. (Paris, Letouzey et Ané, 1907 ; 2 vol. in-8% 591-681 pages).
Par l'ampleur de la matière traitée, la richesse de l'érudition, aussi bien
que par les conclusions qu'il propose, cet ouvrage tianclie absolument
sur tous les manuels similaires, dont quelques-uns pourtant n'étaient
pas sans mérite. C'est le guide nécessaire à l'intelligence des monogra-
phies qui forment le Diciionnaire d'Archéologie, et son complément
obligé. Une partie préliminaire traite l'histoire, la chronologie, la
topologie, les sources littéraires, les définitions et la bibliographie de
l'archéologie chrétienne. Vient ensuite un remarquable chapitre sur les
influences (juive, mithriaque, classique, chrétienne) qui ont pu agir
sur les artistes. Abordant plus directement la matière, l'auteur étudie
les catacombes et les cimetières, puis les édifices chrétiens avant la paix
de l'Église. Trois copieux appendices terminent le premier volume :
i° Essai de classement des principaux monuments ; 2" L'art et les
cimetières juifs ; 3° Essai de classement des fresques des catacombes de
Rome et de Naples.
Le second volume est plus technique et comprend les chapitres sui-
vants : méthodes de constructions, l'architecture, la peinture, la mosaï-
que, statuaire et polychromie, le bas-relief, les ivoires, la glyptique,
orfèvrerie et émaillerie, la verrerie, la terre cuite, la fonte, la numisma-
tique, les tissages, les miniatures, artes minores. Cette minutieuse
étude aboutit à la conclusion que l'auteur formule en ces termes :
« S'il fallait, à tout prix, conclure: nous dirions que nous sommes,
pour notre part, disposés à chercher sur la côte d'Asie-Mineure et en
Egypte les origines de l'art chrétien et les formes primitives qui se sont
développées à Constantinople et en Occident à partir du i\* siècle. »
Nous ne pouvons examiner ici le côté technique de l'ouvrage : il est
trop étranger aux préoccupations de cette revue et dépasse, d'ailleurs,
notre compétence. Nous serons mieux dans notre rôle en signalant le
profit que l'historien des doctrines peut tirer de ce manuel. Il lui per-
mettra d'abord de s'orienter facilement et sûrement à travers les sources
monumentales de la primitive église ; il lui fournira surtout quelques
principes de critique dont il devra tenir compte dans l'interprétation.
Ainsi, par exemple, Dom Leclercq proteste contre l'exagération de
certains critiques, qui veulent trouver partout ou un symbolisme
chrétien ou une démonstration Ihéologique (I, p. 182). A ce point de
vue le chapitre sur les influences est du plus. grand intérêt.
Il est encore un mérite de cet ouvrage qu'il faut relever ; c'est
l'aisance et le charme de la rédaction. Sans doute on rencontre de ci
188 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de là quelques formules exagérées, mais malgré son érudition le livre
n'a rien d'aride et se lit même avec plaisir. L'impression est parfaite,
rillustralion très riche, bien choisie et bien rendue. Une table très
complète permet d'utiliser facilement les nombreux renseignements
contenus dans ces deux forts volumes.
— MM. Bros et Habeet ont entrepris la publication, chez Lethielleux,
à Paris, d'une Bibliothèque (T Histoire des Religions. Ils exposent en ces
termes leur dessein : « Nous nous proposons dans celte collection de
présenter au public cultivé l'histoire des diverses religions. Nos mono-
graphies ne seront pas des œuvres de pure érudition, mais un exposé
du développement de ces religions, conçu d'après les meilleurs travaux
et en faisant appel aux lois psychologiques et sociales... »
A déjà paru : A. Bros, La religion des peuples non civilisés (1907).
Sont annoncés : 0. Habert, La Religion de la Grèce antique ; M. Louis,
Doctrines religieuses des philosophes grecs.
— M. l'abbé B. Gaudeau va faire paraître le 15 janvier prochain, chez
Lethielleux, à Paris, le premier fascicule d'une nouvelle revue mensuelle,
intitulée : La Foi Catholique. Revue critique, anti-kantiste des questions
qui touchent à la notion de la Foi. Comme principaux articles de ce
numéro, l'éditeur signale : Caractéristiques de cette publication : son
objet, son esprit, son plan. — B. Gaudeau, L'Encyclique " Pascendi "
est-elle un document infaillible ? — Le même, Erreurs modernistes sur
le magistère de V Eglise et la liberté de la critique. — Le même. Les diffi-
cultés du traité théologique de la Foi. Suivent : Sotes bibliographiques
et : Publications modernistes en Italie. Cette revue publiera les confé-
rences d'apologétique que M. Gaudeau donne en ce moment à l'Institut
catholique de Paris sur le Syllabus et l'Encyclique relatives au
modernisme.
La Foi Catholique paraîtra le 13 de chaque mois, sauf août et
septembre, par fascicules de 96 pages. L'abonnement est de 10 francs
par an pour la France et de 12 pour les autres pays de l'Union postale.
Universités et Académies. — Les conférences d'Histoire des Reli-
gions, récemment établies à l'Institut Catholique de Paris, ont été
ouvertes par Mgr Le Roy à qui le premier trimestre a été réservé.
Il traite, en huit leçons, de La Religion des Primitifs (samedi 21
décembre — samedi 22 février) : 1° Introduction générale ; 2° La Dog-
matique des Primitifs ; 3° La Dogmatique des Primitifs (suite) ; 4'-' Le
Culte des Primitifs; o° La Mora e des Primitifs ; 6° La Magie; 7° Les
Religions comparées des Primitifs ; 8° Conclusions générales.
Pendant le deuxième trimestre, M. le baron Carra de Vaux exposera
La doctrine de rislam,e[, pendant le troisième, M. de La Vallée-Poussin
étudiera Le Bouddhisme de Vlnde.
— L'Académie des Sciences morales et politiques, sur le rapport de
M. Bergson, dans sa séance du 26 octobre, a ainsi afTecté le prix Le
Dissez de Penanrun (2000 fr.) : une somme de 1300 fr. à M. J. Evellin,
inspecteur général honoraire de l'Instruction publique, pour son ou-
vrage : La raison pure et les antinomies; une somme de 500 fr. à
M. G. Belot, professeur de philosophie au Lycée Louis-le-Grand, pour
son ouvrage : Etudes de morale positive.
CHROMQUE 189
— M. le duc de Loubat a été élu associé étranger de rAcadémie des
Inscriptions et Belles-Lettres, en remplacement du professeur Sophus
BuGGE, de l'Université de Christiania, l'éminent historien des mythes et
légendes Scandinaves, qui est mort il y a quelques mois. C'est aux géné-
reuses subventions du duc de Loubat que l'Ecole Française d'Athènes
doit d'avoir pu poursuivre les fouilles de Delphes et de Délos.
Retraites et Nominations. — M. Heuzey, de l'Académie des Inscrip-
tions et Belles-Lettres, conservateur du département des antiquités
orientales et de la céramique antique au Musée du Louvre et professeur
h l'École du Louvre, vient de prendre sa retraite. Il reçoit le titre de
directeur honoraire des Musées nationaux. Il est en outre chargé des
relations du Musée du Louvre avec la mission française de Chaldée
dont les travaux sont placés sous sa direction, ainsi que les négocia-
tions et les publications qui s'y rapportent.
— M. E. BouTROux ayant pris sa retraite, la chaire d'Histoire de la
philosophie moderne en Sorbonne a été attribuée à M. Lévy-Bruhl,
précédemment professeur adjoint.
Décès. — M. Victor Brochard est mort à Paris le 23 novembre. Il
était né dans le département du Nord en 1848. Successivement profes-
seur en divers Lycées, maître de Conférences à l'École normale supé-
rieure, titulaire delà chaire d'Histoire de la philosophie ancienne, 1894,
M. Brochard se révéla à toutes ces étapes de sa carrière comme un
maître de premier ordre. L'honneur lui appartient aussi d'avoir effica-
cement contribué à acclimater dans l'enseignement supérieur de l'his-
toire de la philosophie le point de vue et les méthodes rigoureuses de
l'histoire véritable, en même temps que d'avoir maintenu et ravivé,
parmi des courants d'idées tout autres, l'intelligence et l'estime de la
philosophie rationnelle des Grecs.
Principaux travaux: L'Erreur et De Assensione Stoici quid senserint
(thèses de doctorat), 1879 ; Les Sceptiques Grecs, 1887 ; Zenon dÉlée.
Ses arguments contre le mouvement, 1888 ; Descartes stoïcien {Revue
Philosophique, ix, p. 48 et ss.) ; La loi de similarité dans Vassociation
des idées (ibidem, ix, p. 237 et ss.) ; La Logigue de Stuarl Mill {ibidem,
\u, p. 449 et ss.) ; De la croyance {ibidem, xviii, p. 1 et ss.) ; Pyrrhon
et le scepticisme primitif [ibidem, xix, p. 317 et ss.) ; La méthode expéri-
mentale chez les Anciens {ibidem, xxiii, p. 37 et ss.) ; La philosophie de
Bacon (ibidem, 1891, I, p, 368 et ss.) ; La morale ancienne et la morale
moderne (ibidem, 1901, L p. 1 et ss.) ; La morale éclectique (ibidem
1902, I, p. 113 et ss.) ; Sur le Banquet de Platon [Année Philosophique
de PiLLON. I!I06) ; La morale de Platon [ibidem, 1905) ; Les a Lois » de
Platon et la théorie des idées [ibidem, 1902); Les Mythes dans la philo-
sophie de Platon (ibidem, 1900).
M. Brochard appartenait à l'Académie des sciences morales et politi-
ques depuis 1900.
— M*""^ Camille Bos, docteur en philosophie de l'Université de Berne
y et collaboratrice habituelle de la Revue Philosophique, est décédée à
Paris, le 1 novembre, dans sa trente-neuvième année. Elle a publié,
outre sa thèse de doctorat : La P.^ychologie de la croyance, 2*^ éd. 1908,
•190 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et: Pessimisme, Féminisme, Moralisme, 1908, une traduction de l'ou-
vrage de Haeckel : i^nigmes de l'Univers, dont les idées exerçaient une
vive séduction sur son esprit.
ITALIE. — Motu proprio sanctissimi D. N. Pii PP. X. de
sententiis Pontifîcalis Conoilii rei Biblicae provehendae praepositi
ac de censuris et poenis in eos qui praescripta adversics modernistarum
errores neglexerint.
Praestantia Scripturae Sacrae enarrata, ejusqiie commendato studio, Litteris
Encyclicis Providentissimus Deus, datis XIV calendas décembres a. MDCCC
LXXXXIII, Léo XIII, Noster iinmortalis memoriae Decessor, leges des-
cripsit quibus Sacroruni Bibliorum studia ratione proba regerentur; Librisque
divinis contra eiTores calumnias cpie Rationalistaium assertis, simul et ab opi-
nionibus vindicavit falsae doctrinae, qpiae critica sublimior audit; quas quidem
opiniones nihil esse aliud palam est, nisi Rationalismi commenta, quemadmodum
sapientissime scribebat Pontifex, e philologia et finitimis discipïinis detorta.
Ingravescenti autem in dies periculo prospecturus, qiiod inconsultarum de-
viarumque sententiarum propagatione parabatur, Litteris Apostolicis Vigi-
lantiae studnquc memores, tertio calendas novembres a. MDCCCCII datis^
Decessor idem Noster Pontificale Consiliom seu Commissionem de re Biblica
condidit, aliquot doctrina et prudentia claros S. R. E. Cardinales com-
plexam, qiiibus, Consnltomm nomine, complures e sacro ordine adjec-
ti suni viri, e doctis scientia Ibeologiac Biblioramqne Sacrorum delecti
natione varii, studiorum exegeticorum methodo atque opinamentis dis-
similes. Scilicet id cormnodum Pontifex, aptissimimi studiis et aetati,
animo spectabat, fieri in Consilio locum sententiis quibusvis libertate
omnimodo proponendis, expendendis disceptandisqiie; neque ante, secundum eas
Litteras, certa aliqua in sententia debere Purpuratos Patres consistera, quam
qnum cognita prius et in iitramque partem examinata rerum argumenta forent,
nihilqne esset postbabitum, quod posset clarissimo collocare in lumine verum
sincerumque propositarum de re Biblica quaestionum statum : hoc demum
emenso cursu, debere sententias Pontifici Summo subjici probandas, ac deinde
pervulgari.
Post diuturna rerum judicia consultationesque diligentissimas, quaedam félici-
ter a Pontificio de re Biblica Consilio emissae sententiae sunt, provehen-
dis germane biblicis studiis, iisdemque certa norma dirigendis perutiles.
At vero minime déesse conspicimus qui, plus nimio ad opiniones me-
tbodosque proni perniciosis novitatibus affectas, studioque praeter modum
abrepti falsae libertatis, quae sane est licentia intemperans, probatque se
in doctrinis sacris equidem insidiosissimam maxiraorumque malorum con-
tra fidei puritatem fecundam, non eo, quo par est, obsequio sententias
ejusmodi, quamquam a Pontifice probatas, exceperint aut excipiant.
Quapropter declarandum lUud praecipiendumque videmus, quemadmodum
declaramus in praesens expresseque praecipimus, universos omnes conscien-
tiae obstringi officio sententiis Pontificalis Consilii de re Biblica, ad doctrinam
pertinentibus, sive quae adliuc sunt emissae sive quae posthac edentur,
perinde ac Decretis Sacrarum Congregationum a Pontifice probatis, se
subjiciendi: nec posse notam tum detrectatae obedientiae tum temeritatis
de\'itare aut culpa propterea vacari gravi quotquot verbis scriptisve sen-
tentias bas taies impugnent; idque praeter scandalum, quo offendant ce-
teraque quibus in causa esse coram Deo possint, aliis, ut plurimum, temere
in bis errateque pronunciatis.
Ad baec, audentiores quotidie spiritus complurium modernistarum repressuri,
qui sophismatis artificiisque omne genus vim efficacitatemque nituntur adimere
non Decreto solum Lamentabili sane exitu, 'quoi V nonas Julias anni ver-
tentis S. R. et U. Inquisitio, Nobis jubentibus, edidit, verum etiara Litteris
Encyclicis Nostris Fascendi Dominici grcgis, datis die VIII mensis Septembria
CHRONIQUE 191
istius ejusdem anni, Auctoritate Nostra Apostolica iteramus confirmamusqiie
tum Decretum illud Congregationis Sacrae Supremae, tum Litteras eas Nos-
tras Encyclicas, addita excommunieationis poena adversus contradictores; illud-
que declaramus ac decernimus, si quis, quod Deus avertat, eo audaciae
progrediatur ut quamlibet e propositionibus, opiaionibus doctrinisque in al-
terutro documento, quod supra diximus, impiobatis tueatur, censura ipso
facto plecti Capite Bocentes Constitutionis Apostolicae Sedis irrogata, qxiae
prima est in excommunicationibus latae sententiae Roraano Ponti.'i^! simpliciter
reservatis. Haec autem excommunicatio salvis poenis est intelligenda, in
quas. qui contra memorata documenta quidpiam commiserint, possint, uti
propagatores defensoresque haeresum, incurrere, si quando eorura proposi-
tiones, opiniones doctrinaeve haereticae sint, quod qmdem de utriusqiie illius
documenti adversariis plus semel usuvenit, tum vero maxime quum moder-
nistanim errores, id est omnium haereseon collectum, propugnant.
His constitutis/Ordinariis dioecesum et Moderatoribus Religio-^arum Conso-
Ciationimi denuo vebementerque commendamus, A-elint pervigiles in magis-
tros esse, Seminariorum in primis, repertosque erroribus modernistarum im-
butos, novarum nocentiumque rerum studiosos, aut minus ad praescripta
Sedis Apostolicae, utcumque édita, dociles, magisterio prorsus interdicant :
a sacris item ordinibus adolescentes excludant, qui vel minimum dubita-
tionis injiciant doctrinas se consectari damnatas novitatesque maleficas. Simul
hortamur, observare studiose ne cessent libros aliaqxie scripta, nimium qui-
dem peicrebrescentia, qiiae opiniones proclivitatesque gérant taies, ut im-
piobatis per Encyclicas Litteras Decretumque supra dicta consentiant : ea sum-
movenda curent ex officinis librariis catholicis multoqTie magis e studiosae
juventutis Clerique manibus. Id si soliciter accuraverint, verae etiam soli-
daegue faverint institutioni mentium, in qua maxime débet sacrorum Prae-
sulum sollicitudo versari.
Haec Nos universa rata et firma consistere auctoritate Nostra volumus et
jubemus, contrariis non obstantibus quibuscumque,
Datum Romae apud sanctum Petrum die XVIII mensis Novembris, 9^
MDCCCVII, Pontificatus nostri quinto.
Plus pp. X.
Commission biblique. — Le R'"* Dom Gasquet, 0. S. B., le savant
historien de la Réforme en Angleterre, a été désigné comme président
de la Commission Bénédictine chargée de préparer une nouvelle édition
de la Vulgate Hiéronymienne. S. S. Pie X lui a adressé, à la date du 3
décembre, une lettre d'encouragement oi^i se trouvent décrits les travaux
à entreprendre.
Publications nouvelles. — La librairie Desclée de Rome publie
divers ouvrages traitant de questions pratiques intéressant la morale et
le droit canon. Citons du cardinal Gennari Quest'wni teologico-morali
di materie riguardanti specialmente i tempi noslri, (2* Éd., 1907 ;
gr. in-8° de XXXI-931.) Dans ce volume sont traitées, sans ordre
logique, 677 questions théologico-morales, d'une valeur inégale. Leur
intérêt tient à ce que ce sont des questions pleines d'actualité, se rap-
portant aux sujets les plus variés et qui n'ont guère été étudiées parles
auteurs anciens. Une table alphabétique assez détaillée supplée au
défaut d'ordre logique dans les matières. Il ne nous appartient pas de
formuler une appréciation quelconque sur l'œuvre de l'Éminentissime
Cardinal. Il nous suflit de faire remarquer que cette seconde édition des
Questions théologico-morales a succédé rapidement à la première, ce
qui est une preuve incontestable de l'utilité de ce livre, surtout pour le
clergé italien.
192 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
L'ouvrage du R. P. Dom P. Bastie:^, 0. S. B,, De frequeuti quolidia-
naque covimunione ad normam decreti « Sacra Tridenlina Synodiis »
(in-8, XIII-240, Rome 1907, Desclée), forme un excellent traité sur la
communion fréquente. Une première partie expose l'historique de la
question. La seconde est un commentaire doctrinal et pratique du décret
6'acra Tridentina Synodus promulgué par Pie X le 20 décembre 1905.
21 appendices rapportent les documents publiés par le S. -Siège depuis
le concile de Trente et relatifs à la communion fréquente. L'érudition
de l'auteur ne nuit pas à sa piété. Son livre contribuera à répandre
parmi les fidèles l'exercice de la communion fréquente. j. n.
Revues. — On annonce la disparition de deux Revues italiennes, les
Miscellanea di storia e cultura ecclesiastica, que dirigeait Mgr U. Benigni,
(Rome), et les Sludi Religiosi, de M. S. Mmoccui (Florence). La pre-
mière existait depuis cinq ans et n'avait jamais eu qu'une vitalité mé-
diocre. La seconde comptait sept années d'existence, au cours desquel-
les elle avait tenu une place importante dans le mouvement intellectuel
des catholiques italiens.
Plusieurs anciens collaborateurs des Sludi, « persuadés que la totale
disparition du mouvement d'idées, représenté jusqu'à ce jour et promu
en Italie par les Sludi Religiosi, constituerait un grave dommage scien-
tifique et moral pour le catholicisme italien,» ont décidé d'entreprendre
la publication d'une nouvelle Revue : La vila religiosa, Rivisla Cattolica.
Ce périodique paraîtra chaque mois, à partir de janvier 19o8, par fasci-
cules in-S" d'environ 70 pages, à la librairie Enrico Ariani, via Ghibel-
lina, 53-55, Florence. L'abonnement est de 8 fr. pour l'Italie et de 10 fr.
pour l'Étranger.
Sociétés savantes. — Le D' L. Pastor, l'éminent auteur de la Ges-
chichle der Pcïpsle, jadis professeur à l'université d'Inspruck, et main-
tenant directeur de l'Institut autrichien de Rome, a été nommé prési-
dent de l'Association catholique internationale pour le progrès des scien-
ces. Cf. Rev. des Se. Ph, et Th. I, p. 826 et ss.
Congrès. — Le Congrès annuel delà société italienne de philosophie,
tenu à Parme, en septembre dernier, est un témoignage nouveau des
progrès de la culture philosophique en Italie. Le discours d'ouverture
fut prononcé par le professeur Enriquez. Parmi les travaux particulière-
ment intéressants qui furent lus devant le Congrès, citons les études de
M. G. Villa (Pavie), sur VlnleUectualisme dans la philosophie conlem-
pomÏJîe, de M. B. Varisco (Pavie), sur Les conséquences psychologiques
de la logique mathématique, de M. Enriques, sur La valeur de la science,
etc.
RECENSION DES REVUES
ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. Oct. — La Rédaction,
L^ Enci/clique '< Pascendi Dominici gvegis ». (« L'Encyclique blâme ceux
qui usent de la métliode d'immanence en apologétique « avec si peu de
retenue qu'ils paraissent admettre dans la nature humaine, au regard de
l'ordre surnaturel, non pas seulementune capacité et une convenance...,
mais une vraie et rigoureuse exigence ». Si quelqu'un parmi nous a paru
tomber dans cette erreur, ou si des assertions insuffisantes et vagues
ont permis une telle interprétation, nous le regrettons profondément ;
nous désavouons formellement, sans réticence aucune, toute parole qui
aurait pu encourager cette méprise. ») p. 1-10. — Laberthonnière.
Dogme et théologie. II. (Montre en quel labyrinthe de difficultés insolu-
bles s'est engagé M. Le Roy. « La connaissance pratique à laquelle il est
réduit après avoir établi l'inconnaissabilité du dogme est sans issue...
Par elle nous ne sortons point de l'agnosticisme... On peut bien dire
encore que la formule dogmatique exprime une vérité, mais c'est une
vérité qui reste pour nous totalement et irrémédiablement étrangère.
Et si on transforme le dogme en commandement, nous ne pouvons
toujours que le subir, sans être jamais sur qu'un commandement diff'é-
rent ne vaudrait pas mieux ou au moins tout autant... A quelqu'un qui
viendra nous proposer une autre recette, nous ne pourrons rien répon-
dre avant de l'avoir également essayée et ainsi indéfiniment. » — C'est
pour sortir de cette impasse que M. Le Roy revient finalement à une
spéculation directe sur le dogme, spéculation très inférieure à celle des
grands docteurs, spéculation qui ne corrige en rien l'agnosticisme du
premier moment, sorte de concordisme « provisoire et toujours renouve-
lable », qui fait perdre de vue la vérité religieuse et nous ramène « au
laboratoire ».) pp. 10-65. — F. GALTBERT.^a foi du Nègre. (L'auteur, qui
a été appelé à vivre au milieu des peuplades de l'Afrique, veut montrer
par l'étude de l'âme du nègre, que la foi suppose un mouvement parlant
des profondeurs de l'âme humaine, et qu'elle a pour caractère d'être un
dogmatisme vivant et non un dogmatisme abstrait. Ce qui se retrouve
chez le nègre, d'une façon plus particulièrement frappante à cause de
son état primitif, c'est l'inquiétude, l'attente d'une délivrance définitive
et d'une plénRude qui ne laisse rien à désirer.) pp. 66-80. — H. Bré-
MOND. Le dernier des Coiisiniens. (A propos d'un livre récent de
1. Tous ces périodiques appartienaent au quatrième trimestre de 1907. Seuls
les articles ayant im rapport plus direct avec la matière propre de la Re\T.ie
ont été résumés. On s'est attaché à rendre, aussi exactement et brièvement
que possible, la pensée des auteurs en s'abstenant de toute appréciation. —
La Recension des Re\T.ies p, été faite par les RR. PP. Allô, (Fribourg),
Blanche (Paris), Garcia (Salamanque), Gillet, Tuyaerts (Louvain), Martin
(Huy), Garrigou-Lagrange, .Jacquin, Lemonnyer. Mainage, Noble, de Poll-
PiQUET, Roland-Gosselin (Kain), lecteurs en Théologie.
2' Année. — Kevue des Sciences. — N» i i-i
194 REVUE DES SCIE.N'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
M. C. Lalreille, Francisque Bouillier, le dernier des Cartésiens, avec
lettres inédites de Victor Cousi!».« Tout le monde saura gré à M.I.atreille
de ramener ainsi la littérature philosophique à cette brillante simplicité
qu'elle a désapprise depuis plus de vingt ans. Il n'est que temps d'en
revenir à ces beaux livres cousiniens aussi faciles que graves et
qu'on peut lire en chemin de fer. ») p. 80-90. — Correspondance. (Pro-
testation de M. G. Bertrin à qui M. l'abbé Dimnet reproche d'avoir attri-
bué au cardinal Dechamps des idées qu'il aurait au contraire com-
battues.) — Une page du cardinal Wechamps. (« L'homme, pris tel qu'il
est, dans l'état réel de sa nature, est une vraie pierre d'attente de la
révélation chrétienne, et celle-ci s'y adapte avec une si divine harmonie
que toute âme sincère semble se retrouver elle-même en la rencon-
trant. ») = Nov. — .1. Martin. Saint Epiphane. (Retrace la vie de saint
Épiphane, plus particulièrement la lutte contre l'Origénisme.) pp. 1]4-
150. — Ch. Calippe. Za destination et l'usage des biens naturels, d'après
saint Thomas d'Aquin. (« Le propriétaire de ces biens naturels n'est en
somme qu'un administrateur, un régisseur, un intendant des domaines
du maître souverain, un délégué de l'unique et suprême propriétaire. Le
propriétaire est le fondé de pouvoir de Dieu «.L'auteur examine les trois
raisons que fait valoir saint Thomas en faveur de l'appropriation
privée.) pp. 151-167. — G. Loumyer. Les sciences occultes au moyen âge.
(Montre les origines de l'alchimie dans les systèmes philosophiques
dérivés du panthéisme oriental, tels que les théories égyptiennes ou
chaldéennes sur la nature du monde et des dieux, le néo-platonisme et
la cabbale hébraïque. Ptetrace l'histoire de l'alchimie et de la magie, du
commencement du moyen âge au XIV^ siècle.) pp. 168-180. = Dec. —
L. LELEU.La mystique et ses attaches ontologiques. II. (L'ontologie dont il
s'agit ici n'est pas la métaphysique dont on fait remonter la création à
Âristote, « et qui tourne à vide la roue décevante des spéculations
nébuleuses et stériles sur l'essence même des choses » ; il s'agit « de
l'antique sagesse des antiques sanctuaires, science des rapports har-
monieux de toute la sphère vivante de l'existence, science des manifes-
tations complètes de lÈtre dans la vie, vraie science religieuse descen-
due d'en haut », qui est non seulement ontologie, mais ontosophie.
Elle n'est un mystère que pour les aveugles volontaires qui ont fondé
leur espérance sur l'injustice, selon ce que dit saint Paul aux Romains,
I. 4-5.) pp. 225-248. — Cn. Huit. Le platonisme en France au A] III' siè-
cle. (A aucune époque la civilisation antique n'a été si mal comprise et
si peu goûtée. Platon est en butte à l'ironie de Fontenelle, à l'indifférence
voulue de Bayle. Cependant, ce qui reste d'esprits sérieux en France est
d'un autre sentiment, tels d'Aguesseau et Montesquieu. De modestes
érudits abordent quelques points de détail du Platonisme.) pp. 279-21).').
ANTHROPOS. 4-5. — A. Bourlet, d. M. É. Les Thay. (Suite et à
suivre.) (Traite dans le paragraphe III de la vie religieuse du Thay, qui
consiste dans un culte des esprits et dans un culte des morts. Il y a
des esprits célestes et des esprits terrestres innombrables. Les âmes
des morts habitent l'empyrée. Le Dieu suprême est P6 Then, le père de
i'empyrée, avec une divinité, Mé Buii, pour épouse. Personnes consa-
RECENSION DES REVUES 193
crées, rites et coutumes religieuses. La vie du Thay est réglée jusqu'en
ses moindres détails par la coutume basée sur sa croyance aux esprits.)
pp. 613-632. — Fr. Mayr. The Zulu Kafir of Natal. (Suite et à suivre.)
(Étudie le vêtement, la parure des Zulus du Natal. Nombreuses illus-
trations. Parmi les mutilations usitées jusqu'à ces dernières années, si-
gnale la pratique de la circoncision sur les jeunes hommes de 25 ans.)
pp. 633-643. — J. Meier. Mythen und Sagen der Admiralitàtsinsulaner
(à suivre). (Donne, précédés d'une introduction critique, le texte et
la traduction de 18 récits mythiques répandus parmi les habitants
de l'archipel polynésien de l'Amirauté.) pp. 646-667. — A. M. de
S' Élie, 0. Carm. Les Racusiens, Ci/riens, Maronites ou Monotliélxtes.
(Se demande quelle est cette secte chrétienne dont parlent les anciens
auteurs arabes et qu'ils nomment Rakusiyyeh ? Ce mot est dérivé du
nom du patriarche monothélite d'Alexandrie fVIIP siècle), Cyrus,
devenu en arabe Qurus, puis Racus. C'est donc une secte monothélite.
Le poète Al-'Ahtal, le chantre immortel des Ommiades, semble avoir
été Racusien.) pp. 668-674. — Brun, des PP. Blancs. Notes sur les
Croyances et les Pratiques religieuses des Malinkés fétichistes (à suivre.)
(Ces Malinkés, de la famille Mandingue, sont des indigènes de la
Province de Kita, Afrique occidentale française. L'auteur n'estime pas
possible de fournir une définition du Fétichisme qui embrasse tout
l'ensemble des pratiques religieuses que l'on qualifie de fétichistes.
Mieux vaut décrire et analyser ces pratiques. Traite, en ce qui concerne
les Malinkés actuels : I. Du Culte des Morts : A. Croyances au sujet des
morts ; B. En quoi consiste le culte des morts : Sacrifices, Libations,
Offrandes. II. De la Croyance aux esprits et du Culte qu'on leur rend.)
pp. 722-729. — F. Reiter, S. M. Traditions Tonguiennes. ^Suite et à
suivre.) (Donne le texte, traduction et commentaire d'un récit relatif
à la production d'Ena, île située à l'est de Tonga.) pp. 743-734. ::= 6. —
A. BouRLET, de la S. d. M. É. Les Thay (fin). (Légendes Thay relatives
à un déluge, aux origines de l'humanité actuelle et de la civilisation )
pp. 921-932. — J. Meier, M. S C. Mythen und Sagen der Admiralitàtsin-
sulaner (suite). (Texte et traduction de légendes relatives : 1° à une
confusion des langues ; 2'^ au ciel, au soleil et à la lune.) pp. 933-941. —
J. Brun, des Pères Blancs. Notes sur les Croyances et les Pratiques reli-
gieuses des Malinkés fétichistes (fin). (Expose l'origine, toute récente, du
culte du Namaaupays de Kita, l'organisation de ses affiliés en confrérie
religieuse, les rites d'initiation, les sacrifices, la sortie nocturne du
Nama, ses victimes. Ce Nama est un esprit bon, distinct de Dieu,
protecteur contre les esprits malfaisants, représenté par une statue
grotesque en bois. Le culte qu'on lui rend a un caractère fétichiste
prononcé. Traite ensuite de l'idée de Dieu chez les Noirs et du culte qu'on
lui rend. Les Malinkés fétichistes reconnaissent un Dieu unique, créa-
teur et souverain maître de tout. Le nom qu'ils lui donnent Alla, Ngala
est d'origine musulmane, mais pas la croyance elle-même, semble-t-il.
Le culte rendu à Dieu est fort réduit.) pp. 942-934. — L. Cadière, de la
S. d. M. É. Philosophie populaire annamite (suite). (Étudie les idées
relatives aux Thàn ou génies, aux Ma ou esprits, aux Qui ou démons, à
rOng bà ou àme des ancêtres. Les Annamites, primitivement, croyaient
196 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
à deux catégories d'esprits: esprits bienfaisants, personnification des
forces l)onnes de la nature ou âmes humaines investies de puissance
surnaturelle; esprits malfaisants, personnification des forces hostiles
de la nature et surtout âmes humaines perverties Cet élément originel
a été recouvert par des apports d'esprits taoiques, confucéens et boud-
dhiques qu'on a identifiés aux précédents. La vie annamite est dominée
par cette croyance aux esprits. Illustrations.) pp. 955-969. — L. Besse.
Un ancien document inédit sur les Todus. (Donne le texte de deux
relations de voyage chez les Todas de l'Inde, la l"^" de 1602, la 2«
de 1604.) pp. 970 975. — R. A. Dlrand. Christian Influence on African
Folk-Lore. (Signale dans le folklore de l'Afrique orientale et méridio-
nale certaines survivances d'idéeset de pratiques chrétiennes introduites
par l'apostolat Dominicain au temps de la conquête Portugaise.) pp. 976-
980 — F. Camboué, s. J. Notes sur quelques mœurs et coutumes Malgaches
(à suivre). (Étudie surtout les habitants de l'Imérina. Dans ce premier
article relève les usages relatifs à l'enfant.) pp. 981-989. — E. Kougier.
Maladies et Médecines à Fiji autrefois et aujourd'hui (fin). (Pratiques
concernant les éléments, l'agriculture, la pêche, la santé. Médecines et
opérations chirurgicales.) pp. 994-1008. — W. Schmidt, S. V. D. Die
geh<nm,e Jùngli/hju'eihe der Karesau-Insulaner ( Deutsch-Neuguinea).
(Traite, d'après des renseignements fournis par un habitant des îles
Karesau, Bonifaz-Tamataï Prilak, des rites et chants de l'initiation (cir-
concision) des jeunes garçons.) pp. 1029-1056.
ARCHIVES DE PSYCHOLOGIE. Cet.— Iy^.Vlom^^ox. Automatisme téléo-
gique antisuicide. (Étudiant deux cas d'automatisme antisuicide, l'auteur
dégage les conditions suivantes de l'hallucination antisuicide. Il faut pour
le développement de celle-ci : 1° une constitution quelque peu névropa-
thique, très Imaginative, susceptible de dissociations passagères ; '2° un
tempérament suffisamment optimiste ; 3" un ensemble de circonstances
psychiquement assez déprimantes pour faire jaillir des idées noires ',
4" l'isolement moral.) pp. ll3-lo7. — Bernard Leroy. Escroquerie et
hi/pnose. (Étude expérimentale d'escroqueries qui se prolongèrent
pendant plusieur.s mois à l'aide de manœuvres hypnotiques pratiquées
sur une des victimes.) pp. 138-151. — M"^ M. Métral. Expériences sco-
laires sur la mémoire de Vorthographe. (Aperçu historique de pareilles
expériences, et exposé des résultats d'expériences pratiquées par l'au-
teur.) pp. lo:i-l59. — G. G. JuxG. Associations d'idées favxiliales. (Étude
expérimentale de classification et de psycho-métrie d'associations
d'idées observées chez des sujets appartenant à la même famille.) pp.
160-168.
BIBLISCHE ZSITSCHRIFT. 4. — P. M. Baumgarjex. Das Original der
Konstitution « l-Jlcrnus ille cœlestium » von I Miirz 1 590. (Entre le
texte original de la Bulle Elernus ille cœlestium (Arch. Secret. Yatic.)
et ses reproductions par l'imprimerie, il existe un nombre assez considé-
rable de variantes. On les explique en reconstituant le processus
matériel de la publication des Bulles tel qu'il était en usage au XVP
siècle), p. 337-351. — J. Doller. Die Entblossung des Volkes Israël am
RECENSION DES REVUES 197
Sinai(Ex. XXXII, 25). (Le verbe yns doit se traduire «être nu».
Cette interprétation s'appuie sur le sens du même mot dansles passages
parallèles. Elle se rattache à un usage religieux dont on retrouve la
trace chez les peuples de l'Orient ancien et moderne.) p. 352-358. —
G. ÂicuER. Zum Gloria ( Lk II, 14). (Le cantique des Anges suppose un
texte hébreu, d'origine judéo-chrétienne, dont le grec serait la traduc-
tion littérale. La partie la plus obscure « pax hominibus bonae volun-
tatis » doit être reconstituée « |i^;-i*^n'? di^'l:* », et se traduire « Paix aux
hommes du bon plaisir » (den Wohlgefallenden). L'expression a un
sens particulariste et désigne les Juifs.) p. 381-391. — M, Meinertz.
Afcj. XV, 34 iind die iVoglichkeit des antiochenischen Slreilfalles (Gai.
Il, i I sv.j nach dem Apostelkonzil. (L'épître aux Galales est postérieure
au concile de Jérusalem. On le prouve en établissant que le conflit
raconté par Paul {Gai. II. 11 sv.) est lui-même postérieur à cette réunion:
Ad. XV, 34 est une glose. Luc a présenté la suite des faits en raccourci :
(36-40). Silas est bien retourné à Jérusalem (v. 33), puis revenu (v. 40).
Cet espace de temps a suffi pour permettre entre Pierre et Paul la
rencontre et le conflit d'Antioche.) p. 392-402.
BULLETIN DE LITTÉRATURE ECCLÉSIASTIQUE. Nov. — J. Baylac.
Autour de V Encyclique (à suivre). (A propos d'une comparaison de
M. F. Charmes {Revue des D. M., 1 oct.) entre la condamnation du
modernisme et celle d'Aristote au XIII"' s., montre les différences entre
ces deux faits. « Nous voyons comment, par une mesure disciplinaire
et de sa nature transitoire, l'enseignement de la philosophie d'Aristote
a pu être interdit dans une Université ; nous voyons aussi comment,
sans contradictions, cette même philosophie, ou plutôt cette philosophie
corrigée, a pu devenir dans la suite la philosophie presque officielle de
la science sacrée. »j p. 241-252. — Le traité des Auges de S. Thomas,
thèse de M. Costes. (Soutenance du 22 juin 1907. D'une comparaison
détaillée et minutieuse entre S. Thomas et les auteurs qui l'ont précédé
ou suivi, tant au point de vue de la philosophie que de la théologie et des
méthodes employées, l'auteur conclut à la supériorité du traité des
Anges de S. Thomas.) pp. 253-260.
CIUDAD DE DIOS (LA). 20 oct. — L. Conde. Liga sécréta interna-
cional en contra del Indice g en favor de la cullura (suite). (Analyse les
affinités entre la supplique et le modernisme.) pp. 278-290. — M.
Gutiérrez. Sobre lafilosofia de Fr. Luis de Léon, (suite). (Expose les idées
de Fr. Louis de Léon sur la matière et la forme, l'habitus et la priva-
tion, l'union, la composition, l'individuation, la génération et la
corruption, la mutation et l'altération.) pp. 303-314 = 5 nov.— L. Conke.
Liga sécréta (fin). (Montre que le Saint-Office a eu des motifs sérieux
pour condamner quelques œuvres de Scliell. Donne copie des deux
protocoles du procès instruit par l'évéque de Wurzbourg contre ce pro-
fesseur.) pp. 371-381. = 20 nov. — M. Gutiérrez. Sobre la filosofia de
Fr. Luis de Léon (suite). (Louis de Léon divise les êtres en inorgani-
ques, organisés artificiellement, organisés naturellement et immatériels.
198 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Parmi les êtres organisés nalurellement, il énunière les cieux el parmi
les immatériels des mentes aethereae distincts des astres, des anges et
des âmes humaine. Qu'entend-il par ces cieux organisés et ces mentes
aethereae ? il ne le dit pas clairement.) pp. 487-496.
CIVILTA CATTOLICA (LA). 19 cet. — E. Rosa. // inodernismo e il
vecchio naturalismo. (Le modernisme condamné par Pie X est un
semi-rationalisme se rapprochant du naturalisme condamné par Pie JX.
Il est même plus dangereux, objectivement considéré, que ce dernier et
c'est pourquoi l'encyclique en a fait l'exposé pour le condamner.) pp.
129-141. r= 2 nov. — E. Rosa. // modernismo filosofico. (La philosophie
moderniste est un phénoménisme agnostique qui ne renseigne pas sur
un Dieu réel, mais sur une idée subjective de Dieu. Celle-ci s'exprime
sous l'action d'un besoin existant dans notre subconscience par des
formules plus rafTinées, par des dogmes. La religion n'est que la pro-
jection extrinsèque de ce labeur intérieur, ce n'est pas une connais-
sance, mais un besoin du cœur, une expression changeante de l'incon-
naissable.) pp. 257-269. — A. Ferretti. // Gur/au e una morale senza
obbligazione e sanzione. (En morale, les faits de conscience prouvent à
eux seuls l'existence de l'obligation mystique et de la sanction reli-
gieuse.) pp. 270-281. := 16 nov. — E. Rosa. Jl programma dei moder-
nisli ribelli. (Signale et réprouve l'ouvrage intitulé : // programma dei
modernisti. Riposta airenciclica di Pio A « Pascendi Dominici gregis. »
Relève les principaux points du système moderniste présenté dans ces
pages; comme ils prétendent, la critique est à la base de ce système,
celle-ci suppose déjà une philosophie naturaliste.) pp. 385-404. =
7 déc. — G. Zoccni. .S. Giovanni Grisostomo nel XV centenario délia
sua morte (407-1 907). (Retrace à grands traits la jeunesse de S. Jean
Chrysostome et sa formation, caractérise son éloquence.) pp. 519-537.
— E. Rosa. // modernismo filosofico. (La philosophie nouvelle (agnos-
ticisme et immanentisme) ne mérite même pas le nom de philosophie ;
elle ruine la logique, la psychologie, la métaphysique et même les
sciences-mathématique et physique.) pp. 538 558. = 21 déc. —
A. Ferretti. Il Nietzsche e Vimmoralismo. (Nietzche nie Dieu, l'immor-
talité de l'âme, et toute sanction dans une autre vie ; condamne les
vertus chez le surhomme, exalte la force, la dureté et les aspirations de la
nature.) pp. 651-664.
CULTURA ESPANOLA. août. — M. ârnaiz. Pragmatismo y humanismo.
(suite). (L'humanisme est la transposition psychologique de la théorie
logique du Kantisme. Il est essentiellement relativiste et sceptique. Il
s'oppose au sens commun.) pp. 855-867. = nov. — A. G. Izouierdo. Un
filôsofo catalan (Antonio Comellas y Cluet). (fin). (Résume les idées
méthodologiques et critiques développées par Comellas dans son livre
Introduction à la philosophie.) pp. 1099-1115.
ÉCHOS DORIENT. Sept. — M. Jugie. Le canon de V Ancien Testament
dans l'Église russe depuis le A VHP siècle. (Le premier qui exclut du
RECENSION DES REVUES 199
canon les deulérocanoniques, pour s'en tenir aux livi-es du canon
hébreu, fut Théofane Prokopovitch, théologien favori de Pierre le Grand.
Son enseignement, d'abord isolé, se propagea durant la fin rinKYriFs.
AuXlX'', les catéchismes approuvés par le Saint-Synode, aussi bien que
les ouvrages d'exégèse, le reproduisent universellement.) pp. 203-274. —
S. \.\iu\È..Origines de l'Eglise de Conslantiuople. (« La première pénétra-
tion connue du Christianisme à Byzance doit] se placer vers la fin du
II'' s. Quant au premier évêque byzantin, il est venu au plus tôt dans les
premières années du III« s., au plus tard dans les premières années du
IV«. ») pp. 287-295. = Nov. — Pl. De Meesteh. L'office décrit dans ht
Règle bénédictine et ï office grec. (Relève les nombreuses ressemblances
entre ces deux offices.) pp. 330-344. — M. Jugie. Les deulérocanoniques
dans r Eglise grecque depuis le XVIII" siècle. (Par des traductions des
ouvrages russes, par l'enseignement de quelques théologiens, par l'inco-
hérence des décisions du synode d'Athènes, la doctrine contraire aux
deutérocanoniques s'est insinuée jusque dans le peuple. Le patriarcat
œcuménique n'a pas jusqu'ici approuvé d'ouvrages soutenant celte
doctrine, mais il n"a rien fait pratiquement pour en arrêter la diffusion.)
pp. 344-337.
ÉTUDES. 20 Oct. — Stéph. Harent. Expérience et Eoi. (Retrace
l'origine de la théorie moderniste qui transforme la foi du chrétien en
expérience religieuse, montre que les écrivains catholiques chez qui
elle apparaît, la doivent à des influences étrangères, à des erreurs déjà
vieilles, à un mysticisme plus que suspect.) pp. 221-230. = b Nov. —
F. Prat. La théologie de saint Paul. (Examine les éléments constitutifs
de la pensée de saint Paul : d'abord l'apport humain fourni par sa riche
nature sous l'influence, complémentaire en même temps que contradic-
toire, de sa double éducation helléniste et judaïque ; ensuite l'apport
divin qui transforme l'autre sans l'absorber : la grande révélation du
chemin de Damas et la série des révélations successives dont le cours
ne s'arrête qu'au martyre.) pp. 333-383. = 20 Nov. — J. Lebreton.
L'Encgclique et la Théologie moderniste. (Oppose la conception moder-
niste et la conception catholique du Christianisme sur la connaissance
religieuse considérée dans son origine : la révélation ; dans son
expression: le dogme ; dans sa règle: l'autorité de la conscience et
l'autorité de l'Église.) pp. 497-324. =: 20 Dec. — L. Roure. Testament
philosophique de Sulhj-Prudhomme. (Mathématicien, raisonneur, poète,
tels sont les principaux traits qui caractérisent sa physionomie intellec-
tuelle.) pp. 783-801.
EXPOSITOR (THE). Oct. — A. Déissmann. The Philology of the Greek
5i/y/^. (Importance historique de la traduction des LXX particulièrement
au point de vue delà formation du Canon total, ancien et nouveau Testa-
ment. Découvertes archéologiques qui permettent de replacer le grec
populaire des LXX dans leur véritable milieu : ce sont surtout les textes
non littéraires, inscriptions privées, papyrus, ostraca.) pp. 289-:302. —
W. Ramsay. a Christian City in the Byzantine Age. (Cet article con-
tient la traduction et l'interprétation de plusieurs groupes d'inscriptions
200 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
découvertes dans les églises de Barata.) pp. 302-824. — W. Bacon. Thé
Disciple irhom Jésus loved. (De tous les textes dont on se sert ordinai-
rement pour identifier « le disciple que Jésus aimait » trois seulement
sont à retenir: Jo. xiii, 1-30; xix, 25-27; xx. La comparaison de ces
passages avec les synoptiques, le caractère général du quatrième Évangile
conduisent à une identification de personnage à la fois idéale et réelle.
Il symbolise d'abord le disciple uni à la vie du Christ ; et concrètement
il désigne l'auteur, mais surtout Paul « crucifié avec le Christ. » [Gai.
II, 20.) pp. ?>24:-339. — A. Cakr. The Authentkitij and Originalily ofthe
First Gospel. (L'authenticité du premier Évangile est conciliable avec
les données de la tradition et les résultats de la recherche scientifique.
L'originalité de S. Matthieu consiste dans le but qu'il poursuit et la
manière de grouper les matériaux en vue de ce but.) pp. 339-349. —
R. Mackintosh. Marriage Problems at Corinth. (Il existe à Corinthe deux,
partis extrêmes sur la question du mariage. Les uns veulent le rendre
obligatoire pour tous, les autres le rejettent absolument. Saint Paul
(/. Cor. vu) répond à ces deux partis. Le v. 7 et la manière dont Saint
Paul parle des vierges s'expliquent par l'idée de l'apôtre sur la proxi-
mité de la Parousie. La solution paulinienne du mariage est ensuite
envisagée au point de vue contemporain et protestant.) pp. 349-363. —
G. Wynne. Jhe Problem of the Epistles to the Thessalonians. (Malgré
leur caractère d'indiscutable authenticité, les épîtres aux Thessaloniciens
soulèvent une double question : Comment cette église a-t-elle pu être
fondée si rapidement? Comment, à peine âgée d'un an, a-t-elle pu
mériter déjà les éloges que Paul lui décerne ? La part faite aux circons-
tances, il reste que, pour expliquer ces difficultés, il faut recourir à
l'action de l'Esprit qui « souffle où il veut ».) pp. 364-372. — D. M'Intyre.
The Cloud of Unknoiring. (Analyse d'un manuscrit anglais écrit au
milieu du xiv^ siècle. C'est un traité de contemplation mystique appa-
renté aux doctrines d'Eckhart et à celles de Denys l'Aréopagite.)
pp. 373-384. = Nov. — A. Garvie. The Restatement ofthe Gospel for
To-Daij. (Comment l'Évangile doit-il s'adapter aux conditions qui lui
sont faites aujourd'hui sur le terrain spéculatif et pratique ? Spécula-
tivement il lui faut compter avec la méthode critique, dégager son
propre point de vue de celui de la science, ne se point solidariser trop
étroitement avec telle philosophie. Pratiquement, à l'extérieur, ses
missionnaires ont à présenter les trois grandes idées qu'il contient :
Dieu personnel, réalité du péché, nécessité de la pénitence. A l'intérieur,
pour faire face au problème social, ses prédications doivent chercher
leur inspiration, leur méthode et leur but dans la Croix, c'est-à-dire le
Sacrifice.) pp. 385-406. — W. Ramsay. Notes on Christian Historg in
Asia Minor. (Notes relatives aux sujets suivants : Persécutions de Saint
Paul à Iconium et à Antioche de Pisidie. Les cultes chrétiens d'Iconium.
Attitude de Paul vis-à-vis des empereurs. Renseignements complémen-
taires sur l'ancienne Barata.) pp. 406-424. — A. Deissmann. J'he Problem
of « Biblical » Greek. (Le pioblèiue se pose ainsi : le grec biblique est-
il une langue isolée, ou bien se rattache-t-il étroitement au grec tel
qu'on le parlait à l'époque des LXX ou du N. T. ? La seconde hypothèse
es! la seule historiquement vraie. Elle se confirme par toutes les décou-
RECENSION DES REVUES 201
vertes récentes. Beaucoup de sémitismes même, bien loin d'être particu-
liers à la Bible, appartiennent à la langue générale et vulgaire de ce
temps.; pp. 423-435. — E. Curtius. St Paul in Alhens. (Lorsque saint
Paul est appelé à prendre la parole sur le « marché » d'Athènes, en
vertu de son éducation grecque, il sut apprécier finement le caractère
religieux de l'ancienne cité. Mais le sémite n'était pas chez lui absorbé
par le grec, et ce dernier fait donne sa pleine signification au séjour de
l'apôtre à Athènes.) pp. 436-455. — T. Zahn. Missionary Methods in the
Times of the Aposlles. (La méthode de saint Paul (plus spécialement
étudiée), consiste à fonder des communautés surtout dans les grands
centres de l'empire romain, d'où la semence chrétienne pourra se
répandre ensuite aux alentours. Paul a voulu évangéliser toutes les
nations, et il l'a fait, y compris l'Espagne. Pour réaliser ce plan
immense, il s'aide de plusieurs collaborateurs.) pp. 466-472. = Dec. —
D. Margoliouth. J'he New Papyri of Elephautine. (Traduction et com-
mentaire historique du premier des trois papyrus découverts à Éléphan-
tine et publiés par E. Sachau (Ablunidlungen der preussichen Akademie
der Wissenschaften, 1907). Il contient une pétition adressée par les Juifs
d'Éléphantine à leur gouverneur Bagoas pour demander la permission
de reconstruire le temple de lahu, pillé et détruit trois ans auparavant.
En rapprochant ce fait des événements racontés par Josèphe (.!»/. xi, 7)
et Diodore de Sicile (xvii, 5, 3) on conclut que le document araméen
aurait été écrit vers 840 et serait presque contemporain de Néhémie. A
cette époque les juifs auraient donc possédé dans la Haute-Egypte un
temple organisé sur le même plan que celui de Jérusalem.) pp. 481-494.
— F. Griffitu. Note on Elephantine Papyri. (11 est difficile de dater les
papyrus de la 17* année de Darius II (408-407, A. C). La signification
de quelques mots est fixée d'après l'égyptien.) pp. 494-496. — S. Cook.
The Jeivish Temple of lahu, God of tlie Heavens, at Syene. (Le temple
de Syène n'était pas un édifice mesquin. Il y avait là des prêtres, des
offrandes, des vases sacrés ; on peut induire qu'il s'y trouvait un service
régulièrement organisé, et peut-être une littérature. On ne voit pas
même pourquoi Syène n'aurait pas eu des prophètes durant les jours
mauvais.) pp. 497-505. — A. Deissmann. Septuagint Philoloyy. (Expose
l'état actuel de la philologie des Septante ; Concordances, textes, dic-
tionnaires, grammaires et enfin exégèse de la Bible grecque.) pp. 506-
520. — J, Denney. Speaking Against the Son of Man and Blaspheming
the Spirit. (Le péché contre le Fils de l'homme consiste dans la manière
libre, désobligeante, irréfiécliie aussi, dont la foule s'exprime au sujet
de Jésus, quand par exemple, elle dit de lui : « Il est hors de ses sens. »
{Cf. Me. III, 21). Le blasphème contre le Saint-Esprit est le péché des
pharisiens qui après avoir constaté les effets du pouvoir divin de Jésus
le traitent de Béelzébub : c'est le péché même d'endurcissement :
aussi ne sera-t-il point pardonné.) pp. 321-532. — T. Barns. A Studg in
St John AAf. (Le ch. xxi du quatrième Évangile n"est pas l'œuvre de
Saint Jean, mais un écrit de provenance montaniste.) pp. 333-542. —
F. MoNTGOMERY HiTCHCOCK. J'he Buptist and the Fourlh Gospel. (Le qua-
trième Évangile, œuvre d'un disciple du Baptiste, est particulièrement
autorisé à mettre en pleine lumière le témoignage rendu par le Précur-
202 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
seur à Jésus. Il rend également compte des vacillations que semble
avoir subi sa foi messianique, d'après les Synoptiques.) pp. 543-553. —
W. Ramsay. D'' Sandœfs Criticism of Heceut lîesearcli. (Appréciation du
dernier ouvrage publié par le savant anglais : La vie du Christ dans la
recherche récente. Le chapitre sur le .symbolisme dans la Bible fait
l'objet d'un examen spécial. La méthode du D"^ Sanday est ensuite
caractérisée comme aussi son attitude intellectuelle vis-à-vis des pro-
blèmes historiques et des savants qui les abordent.) pp. oo4-36-2.
EXPOSITORY TIMES (THE). Oct. — J. H. Moulton. St Luke and the
Census. (Attire l'attention sur un papyrus grec de 104 ap. J.-C, récem-
ment publié par Kenyon. Il contient le texte d'un rescrit du préfet
d'Egypte ordonnant à toute personne résidant en dehors de son nome
d'y rentrer en vue d'un recensement. Éclaire le passage similaire de Luc
II. 1-8.) pp. 40-41. — J. H. MouLTON. A Jewish Proseucha and ils Water-
rate. (Signale, dans un compte de commissaires préposés au service des
eaux, peut-être à Hermopolis, et daté de 113 ap. J -C, le terme zb-/zlo-j
à côté de Tzooaevyr, et souhaite qu'on en précise le sens. Texte publié
par Kenyon.) p. 41. — A. Souter. An Interprétation of Eph. i, i 5. (Ex-
clut la leçon rriv y.yy.UT\v et traduit : « La foi qui est parmi vous et (la
foi qui est) parmi tous les saints. ») p. 44. = Nov. — Ch. S. Macalpine.
The sanctification of Christ. (Élude sur /o. x, o6 et xvn, 19. Dans le
premier cas àyta^w désigne la députation, la consécration du Christ à
l'œuvre du salut, par Dieu ; dans le second, l'acte par lequel le Christ
se voue, se consacre lui-même à la croix.) pp. 58-60 — W. F. Lof-
THOUSE. The Old Testament Books and their redactors. (Apologie des
résultats de la critique littéraire appliquée aux livres de l'A. T. Estime
toutefois qu'elle a donné à peu près ce qu'elle pouvait donner et qu'il
faut demander un surcroît de lumière à l'histoire et à l'archéologie.)
pp. 63-67. — D. Smith. « Things New and Old ». (Les choses anciennes,
c'est la Loi et les nouvelles l'Évangile. Traduit un sentiment profond
« de la continuité de l'ancien et du nouveau, du passé et du présent,
et de l'insufFisance de chacun d'eux pris en lui-même ».) pp. 67-69. —
V. Me. Nabb, 0. P. A Moot-Point of Pauline Christolog)/. (Groupe les
expressions à l'aide desquelles S. Paul s'essaye à définir la nature
intime du Christ et montre le travail d'approximation croissante que
révèle l'élude de I et II Cor., de Col., de Ph., et d'Heh.) pp. 92-93. =
Dec. — A. H. Sayce. The Archaeology of the Book of Genesis. (Compare
Gen. 1, 1-3 et le Poème babylonien de la Création.) pp. 137-139. — A. Smith
Lewis. The Star of BetÙehem. ^Propose pour iMalt. ii, 2, cette tra-
duction : « Car, étant en Orient, nous avons vu son étoile ».)pp. 139-140.
— M. D. GiBSON. Folk-lore in the Old Testament. (Critique une étude
publiée sous ce titre par J. G. Frazer, et conteste les explications qu'il
propose sur le signe de Caïn, Jacob luttant avec l'ange, la défense de
cuire un chevreau dans le lait de sa mère.) pp. 140-141.
IRISH THEOLOGICAL QUARTERLY (THE ). Oct. — J. O'Neill. Kant
as apologist of Theism. (En séparant d'une manière absolue la vérité
religieuse et la vérité scientifique, en prétendant unir au scepticisme
RECENSION DES REVUES 203
intellectuel vis-à-vis du monde invisible la croyance pratique à sa réalité,
Kant a été dupe de sa propre subtilité et il a tenté une entreprise inipos-
sible.) pp. 411-424. — J. M. Harty. The Living Wage : Ils elhical con-
ditions. (Examen des problèmes moraux que soulève l'application du
salaire sulfisant pour vivre et solution de ces problèmes.) pp. 425-437.
— H. Pope, 0. P. Literary criticism oftlie Gospel narratives. (Dans les
limites tracées par les enseignements de l'Église touchant l'Écriture, la
critique littéraire peut être appliquée à l'étude des Livres inspirés et
certaines difficultés paraissent insolubles sans son secours. Le montre
par un exemple pris dans les Évangiles : Matthieu, xxi et récits parallèles
de Marc, Luc et Jean.) pp. 438-457. — J. J. Toohey, S. J. The « Gram-
mar of assent » and the old philosophg. (Proteste contre l'interprétation
qu'wune nouvelle école de philosophie » donne de la pensée de Newman.
Conclut: «... les lignes générales de l'enseignement de Newman, les
doctrines qu'il développe avec prédilection et qui forcent l'attention du
lecteur sont toutes en accord avec la scolastique ».) pp. 466-487. —
W. Me Donald. The proof of infallibilitg. (Critique, comme peu con-
cluantes, les quatre preuves apportées par le cardinal Mazella en faveur
de l'infaillibilité de l'Église. Estime qu'on peut établir une preuve effi-
cace en montrant que l'infaillibilité est postulée par la coexistence de
ces deux caractères de l'Église : catholicité et unité.) pp. 485-498.
JAHRBUCH FUR PHILOSOPHIE UND SPEKULATIVE THEOLOGIE.
XXII, 2. — P. G. voN HoLTUM, 0. s. B. Der Akt des Glaubens. (Remar-
ques critiques au sujet de l'analyse qu'a fait de l'acte de foi leD'Scheeben,
Handhuch des kath. Dogmatik, 1 Ed., II theil, 6 hauptst., I. C'est à tort
que Scheeben ne voit le caractère de science vraie et parfaite que dans
la connaissance basée sur l'évidence, soit l'évidence immédiate, soit
l'évidence réflexe et distincte. Dans l'analyse de l'acte de foi proprement
dite, il donne trop d'importance à l'élément moral, soit qu'il considère
les dispositions subjectives du croyant, soit la raison formelle objective
de la foi. Un attrait intérieur pour la vérité à croire ou la personne qui
nous parle n'est pas absolument requis ; de même l'autorité qui nous
détermine à croire n'est pas principalement constituée par la force
morale et la dignité de la personne que nous croyons.) pp. 171-189. — ■
P. H. Kirfel, C. SS. R. Der H. Auf/f/stiims imd das Dogma der imiefleclcten
Empfangnis Mariens. (Â propos d'un livre récent : Die Mariologie des hl.
Angustinus, par le D'' Phil. Friedrich. Conclusions : 1. Le texte De nat.
et graf., c.36, prouve que saint Augustin a maintenu pour Marie l'immu-
nité du péché originel; le contexte n'est pas contraire à celte explica-
tion ; le saint Docteur peut donc être invoqué à bon droit comme
témoin de ce dogme. 2. De l'immunité de Marie de tout péché person-
nel saint Augustin a conclu à l'Immaculée Conception de la Vierge. Le
D"^ Friedrich n'est pas parvenu à établir le contraire. 3. Le texte de
ÏOpi/s linperf. contra Jut., 1. 4, c. 122, ne prouve guère davantage que
St. Augustin ait été l'adversaire de l'Immaculée Conception. Réponses
aux difficultés que présentent certains passages de l'illustre Docteur.)
pp. 241-268
204 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
JOURNAL (THE) OF PHILOSOPHY, PSYCHOLOGY AND SCIENTIFIC
METHODS. 12 Sept. — G. Stuart Flllerton. The Doctrine oftheEject. (Le
solipsisme n'est pas une conception naturelle à l'esprit humain. La
vraie question est de savoir comment nous arrivons à affirmer l'exis-
tence d'autres esprits ; à cet égard, l'argument unique est l'argument
par analogie du sens commun et de la plupart des psychologues.) pp.
oOo-olO. — F. Lyman Wells. Standard tests ofarithmetical Associations. (Étude
sur la valeur comparée de certains « tests » destinés à mesurer la
rapidité d'associations arithmétiques.) pp. 510-512. — Discussion. G. T.
ÏAWNEY. Professor FUe on the Exafigeration of the Social. (Tout en se
gardant du « sophisme du sociologue », il faut reconnaître que le
contact d'êtres semblables à eux et l'imitation réciproque ont été
nécessaires aux hommes pour s'élever au degré de connaissance
réfléchie qu'ils possèdent.) pp. 512-515. ^= 26 Sept. — J. E. Boodin.
The New Reulism. (Ces deux affirmations : le semblable seul peut
agir sur le semblable, et ce qui n'est pas matériel n'est pas réel, consli-
tuentdeux sopliismes. Le réel n'est pas l'immédiat, mais l'intelligible
ou le nouménal découvert au moyen d'intentions créatrices et de
constructions conceptuelles.) pp.583-oi2. — E. A. Kirkpatrick. A Broader
Ba sis for PsychoJogy Necessàry. (Il semble nécessaire d'élargir certains
points de vue et, par suite, le sens de certains termes déjà employés
en psychologie, comme intelligence, mémoire, perception, de manière
à ce qu'ils s'appliquent aussi bien aux faits inconscients qu'aux
phénomènes conscients, ou bien il faut désigner l'aspect commun de
ces phénomènes par des vocables nouveaux.) pp. 5-42-546. — Dis-
cussion. W. James. The Absolute and the Strenuous Life. (Si James a
insisté sur le caractère apaisant de l'Absolu c'est que lui seul peut pro-
curer le calme complet de l'âme ; il ne nie pas que l'Absolu ne puisse en
certains cas exalter l'activité humaine.) pp. 546-548.
JOURNAL DE PSYCHOLOGIE NORMALE ET PATHOLOGIQUE. Nov-
déc. — D'' Grasset. La Responsabilité des criminels devant le Coagrès
des aliénistes et neurologisles de Genève. (L'auteur répond aux critiques
formulées contre sa théorie de la responsabilité médicale. On sait que,
pour le D'^ Grasset, la responsabilité au sens médical est fonction de la
normalité des neurones psychiques. « Est responsable médicalement
celui dont les neurones psychiques fonctionnaient normalement au
moment de la bataille prévolitive qui a précédé l'acte incriminé. Est
irresponsable celui dont les neurones psychiques étaient complètement
altérés au même moment. A une responsabilité atténuée celui dont les
neurones psychiques étaient partiellement ou incomplètement altérés. »)
pp. 481-516. — Revaut d'Allonnes L'explication phijsiologique de
l'émotion. (Critique de la théorie de M. Pieron, partisan du « siège sous-
cortical » de l'émotion ; réponse aux objections de M. Pieron contre
la « théorie viscérale » proposée par M. Revaut d'Allonnes.) pp. 517-
524. — Société dk Psychologie, (Séance du 5 Juillet 1907.) Trois
communications : M. Kostyleff : Les contradictions dans V étude des per-
ceptions risuetles. pp. 525-53?>. — M. Bernard-Leroy : Remarques sur le dia-
(jnostic de certaineshalluci/iationsobsédantes- iip. 534-547 ; — MM. Marie et
RECENSION DES REVUES 205
Meunier : Note sur quelques enreyistrements ijrapliiques dans la maladie de
Parliinson. pp. oJ:7-oo3.
KATHOLIEK (DE). Dec. — J. Th. Bi^yssen. Ocertuigingslrmchf der
(iotlsbeu-ijzen. (Les preuves de Texistence de Dieu peuvent être connues
sans engendrer la certitude. La raison en est que l'évidence de la raison
démontrée peut être obscurcie par des influences venues de la volonté.
Celles-ci cependant ne peuvent, à elles seules, comme le veulent
quelques modernes, imposer la certitude à rinlelligence, mais elles
peuvent d'une part proposer leurs raisons à lintelligence et d'autre
part diriger son activité sur tel objet ou l'écarter de tel autre.) pp.
421 -Mo.
MONTH (THE) Oct. — B. C. A. Windle. Scientific facts and scientific
hijpotheses. (11 faut soigneusement distinguer entre faits scientifiques
et hypothèses scientifiques. Les premiers, quand ce sont vraiment des
faits scientifiques et non des hypothèses déguisées, sont certains ; les
secondes sont nécessaires, mais bien peu arrivent à la dignité de
vérité démontrée ; la plupart n'ont d'autre valeur scientifique que les
services qu'elles rendent. L'auteur indique l'attitude que doit prendre
le croyant vis-à-vis des hypothèses scientifiques.) pp. 337-345. = Nov.
— The Editor. Science and its counlerfeit. (La science est, de notre
temps, une réalité mais aussi un grand mot. Beaucoup se laissent
fasciner par ce mot et absorbent, sans critique et sans le moindre
soupçon de ce qu'est la science et ses méthodes, tout ce qui se présente
à eux sous ce pavillon. Met en garde contre les vulgarisateurs de toute
forme et contre leurs afïirmations tranchées.) pp. 477-487. = Dec. —
S. F. Smith. The revision of the Vulgate. (Histoire de l'édition Clémentine
de la Vulgate, puis exposé des principales opérations critiques que
demandera la revision de la Vulgate confiée aux Bénédictins.) pp.
561- 575. — H. Thurston. 71ie Blessed Sacrament and the hoir/ Grail.
(Résume d'abord les conclusions des divers articles qu'il a consacrés
à l'histoire du culte eucharistique. Le culte, sous la forme où nous le
connaissons, semble faire son apparition dans les premières années
du XIII^ siècle. Or c'est vers la même époque et plutôt un peu avant que
se manifeste l'étonnant mouvement littéraire dont le centre et l'objet
est le Saint-Graal, et où nous voyons prônées une attitude et des
cérémonies semblables à celles qui constituent le culte eucharistique.)
pp. 617-632.
MUSÉON (LE). 3-4. — L. de La Vallée. Poussin. Madhi/ama/,-avatara (à
suivre). (Traduction du Madhyamakavatara, œuvre de Candrakirti, boud-
dhiste de l'école Madhyamika (fin duVI^ ou début duVIP siècle). «Ce n'est
pas essentiellement une œuvre de polémique, mais vraiment une intro-
duction, et qui initie le lecteur, non seulement aux thèses dialectiques
et métaphysiques des Madhyamikas, mais encore, dans le sens le plus
large, au Grand Véhicule et à la doctrine du Bodhisattva. » L'auteur
de ce traité en a fait lui-même un commentaire dont la traduction-est
206 REVUi: DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
également donnée.) pp. 249-317. — E. Blochet. Etude sur VEsotérisme
musulman, (suite). (Le Soufi qui veut s'initier à la vie mystique et
entrer en communion avec l'Êlre Unique doit quitter le monde pour la
solitude. La retraite do quarante jours est plus spécialement méritoire.
Elle exige la réclusion absolue, le silence complet de la langue et du
cœur, un jeûne rigoureux, avec les conseils et sous la surveillance
d'un directeur spirituel.) pp. 318-342. — A. Roussel. Les idées religieuses
et sociales du Mahabliaratn (suite). (Idées de l'Adisparvan sur la mort et
le Destin. Le Destin, « c'est Brahme lui-même qui agit, non pas aveuglé-
ment, comme la Fatalité antique, la rJ//; des Grecs, mais irrésisti-
blement, comme elle, bien qu'avec intelligence et préméditation. C'est
plutôt la Providence. ») pp. 343-360.
NEW-YORK REVIEW (The). Sept.-Oct.— C.Delisle BuRxs.TAe Catho-
liciziiiy of Phi\o80iihtj. (Les progrès accomplis par les sciences naturelles
et historiques imposent d'éditler une nouvelle synthèse philosophique.
Celte œuvre ne saurait se réaliser sans la métapyhsique. Elle devra
aussi tenir compte de l'expérience accumulée par l'iiisloire des systè-
mes philosophiques.) pp. 111-128. — M. J. Lagrange, 0. P. The Jetrish
MilHari/ Coloiuj of Elephantine Umler the Persians. (Situation de Tile
d'Éléphantine. Documents qui nous font connaître la colonie juive :
papyrus de Strasbourg et papyrus d'Assouan. Les Juifs liabitent l'île
même; ce ne sont pas des soldats en activité de service, mais plutôt des
troupes de réserve. Ils n'ont pas de tribunaux à eux, mais en revanche
ils possèdent un temple dédié à Jahu. Quelques faits accusent chez ces
Juifs delà dispersion un esprit qui tend à les distinguer de leurs frères
hiérosolymitains.) pp. 129-144. — C. Pilater, S. J. ^4 Sfarfing-Poi)if in
EtJtics. (L'Éthique offre un terrain sur lequel l'apologète a le plus de
chance d'atteindre les non-croyants. Aces derniers toutefois, il convient
de présenter la morale sous son aspect eudémoniste avant de la leur
imposer comme une source d'obligation. La méthode préconisée est
celle d'Aristote, reprise par saint Thomas et qu'il faut se garder de
confondre avec l'utilitarisme d'un Stuart Mill.) pp. 145-162. — Fr. Mari.
Assyro-Bahylonian Eléments in the Biblical Account of the Fall. (On recon-
naît, dans le récit de la chute, la présence d'éléments assyro-babylo-
niens : le jardin des dieux; le mythe d'Adapa ; la légende de l'arbre de
vie... Tous ces traits, en passant de la religion polythéiste à la religion
monothéiste, ont subi une transformation radicale : mais leur emploi
parles écrivains hébreux était une nécessité historique.) pp. 163-180. —
F. Gigot. Studies on the Synoptic Gospels. (L'analyse littéraire de Me i,
21-22, Mt. VII, 28b, 29 et Le. iv, 31-32 montre que les trois évangélistes
reflètent fidèlement le témoignage delà tradition chrétienne relative au
fait que N.-S. enseignait comme ayant autorité ; elle confirme en outre
que les trois premiers évangiles n'ont pas été composés par des auteurs
absolument indépendants. Marc a écrit le premier et son œuvre a été
utilisée par Matthieu, puis par Luc. Enfin, malgré certaines différences,
les synoptiques offrent un caractère de ressemblance substantielle.)
pp. 181-200.
RECENSION DES REVUES 207
RAZON Y FE. Oct. — P. Villada. El décréta « Lamentabili sane exitu »
1/ el SHabus de Pio A : su valor juridico. (Le décret est une loi doctrinale,
universelle, obligeant au for interne. L'acte de condamnation dn Saint-
Office n'est pas infaillible, mais on peut soutenir l'opinion que l'acte du
Pape l'est. Toutes les propositions condamnées ne sont pas hérétiques.)
pp. 155-165. = Nov. — E. Ugarte de Ergilla. Mensurabilidad de las
sensaciones. (Exposé des doctrines courantes sur la mensurabililé des
sensations.) pp. 303-320. == Dec. — L. Murillo. La Enciclica « Pas-
cendi domimci gregis » sobre el modernismo (à suivre). (Commente la
partie doctrinale de l'Encyclique.) pp. 445-448.
REVUE AUGUSTINIENNE. 15 Oct — Livinief. La Vie chrétienne. A
propos d'un livre sur la Russie. (Examen critique de l'ouvrage de M. Wil-
bois : L'Avenir de VrL'glise russe. (Paris, Blond.) pp. 468-479.= 15 Nov. —
G. Beauquier. Le signe de V Emmanuel. (Place cette prophétie dans son
cadre historique, analyse son caractère messianique, montre sa réalisa-
tion historique.) pp. 529-561. — Sy. Créteur. Entre le relativisme et
Pontologisme. (La thèse scolastique de la connaissance, acceptée dans
son intégrité, est, aujourd'hui encore, seule capable de préserver des
erreurs qui sont la conséquence logique des théories modernes plus ou
moins entachées de relativisme ou d'ontologisme.) pp. 562-577. —
J. Deligny. Les cloches. (Sacrée par son origine, sa mission, sa bénédic-
tion, la cloche appartient à l'Église.) pp. 578-585.^ 15 Dec. — R. deChef-
di!;bien. Maître Philippe de Grève et laxhancellerie de Paris au X IIP siècle.
^Retrace l'histoire de sa vie, de ses œuvres, de ses démêlés avec l'Univer-
sité.)pp. 657-684. — Fl.Anciaux. La cause exemplaire. Notionde cette cause
et nature de sa causalité. (La cause exemplaire est une forme idéale que
toute cause intelligente cherche à reproduire au dehors aussi fidèlement
que possible. La cause exemplaire a une influence passive ; elle est
dans l'agent, mais dans l'agent elle ne produit pas, elle se tient à l'état
de modèle. Elle se ramène à la cause formelle, mais c'est une cause for-
melle extrinsèque.) pp. 685-704. — A. âlvéry. Mariologie Augustinienne.
(Les auteurs invoquent deux textes de S. Augustin pour ou contre le
dogme de l'Immaculée Conception a savoir : 1*^ De Nat. et Grat. c.xxxvi.
n. 42 ; 2° (7;j. imp. c. Julian. iv. c. cxxii. Aucun de ces textes ne possède
une valeur démonstrative. Le premier ne semble même pas laisser
soupçonner cette doctrine dans la pensée de S. Augustin. Le second est
très obscur.) pp. 705-719.
REVUE BÉNÉDICTINE. Oct. — D. G. Morin. Le Liber dogmatum de
Gennade de Marseille et les problèmes qui s'y rattachent. (« Le Liber eccle-
siasticorum dogmatum est vraiment l'œuvre de Gennade de Marseille,
et plus encore l'édition anonyme originale que la recension mise en cir-
culation sous son nom dès les environs de l'an 500 ; — Il est possible,
probable même, que trois ou quatre des chapitres additionnels de Vlndi-
cnlus de hivresiblis soi-disant hiéronymien sont, eux aussi, véritablement
de Gennade ; — Enfin les deiix passages du Liber dogmatum qu'on a cru
récemment impliquer le rejet de r.\pocalypse signifient, en effet, tout
208 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
autre chose : la réprobation des théories déduites indûment du livre
sacré par l'écrivain Nepos. ») pp. 44o-4o5. — D. P. de Meesïer. Eludes
sur la théologie orthodoxe.lil. (La création est lacté par lequel Dieu tire
Télre du néant ; elle est l'œiivre des trois Personnes ; tout a été créé
immédiatement par Dieu, dans le temps ou plutôt avec le temps. Le but
de Dieu dans la création, c'est d'abord de procurer sa gloire, puis le
bonheur de la créature. — Les anges : l'Écriture prouve leur existence ;
ils sont esprits, leur nombre est incalculable. Confirmés en grâce, ils
louent Dieu et sont ses ministres vis-à-vis du monde. Il y a de mauvais
anges.) pp. 510-52.5. — D. de Bruyne. Un petit apocryphe biblique dû à
Winilhaire de Sainl-Gall. (Une série de généalogies de Dieu à Abraham
placée en tête de l'Évangile de St Matthieu.) pp. 526-529. — D. G. Mori.n.
Sermo de Dominicse observaiione. Une ancienne adaptation latine d'un
sermon attribué à Eusèbe d'Alexandrie. (Texte de ce sermon. Il montre
que, dès le VU" s., « les homélies de l'énigmatique Eusèbe d'Alexandrie
étaient connues et utilisées en Occident. » Il y a des traces antérieures.)
pp. 530-534.
REVUE BIBLIQUE. Oct. — M. J.Lagrange. La Crète ancienne (suite).
(Continue l'étude de la religion. Subdivisions : b) Statuettes. 4. Les Sym-
boles, a) La double hache ou bipenne ;b) Protomes de taureau, cornes
de consécration ; c) La croix (signe abrégé de l'étoile) ; d) Sphinx ; e)
Pierres sacrées; f) Arbres sacrés ; g) Divers.) pp. 489-514. — H. Vincent.
La description du J'emple de Salomon. Notes exégétiques sur I Rois VI.
(Propose et motive un certain nombre de corrections au texte de ce ch.,
traduit le texte ainsi corrigé et l'éclaircit i)ar des notes destinées à pré-
ciser l'agencement général du Temple et la valeur des expressions tech-
niques relatives à sa structure et à sa décoration.) pp. 515-542, —
M. J. Lagrange. Le Décret « Lamentabili sane exitu » et la critique histo-
rique.{Commenle les propositions qui, dans ce Décret, concernent l'appli-
cation de la critique historique à l'étude du Clirist et de l'Évangile,
s'attache à montrer que si le Décret répudie justement des erreurs avan-
cées au nom de la critique et de l'histoire, c'est sans porter la moindre
atteinte à la juste liberté de la critique historique.) pp. 543-554. —
H. Pognon. Lettre au P. Lagrange... (Fournit quelques renseignements
sur une inscription araméenne trouvée par lui en Syrie. Elle est d'un
certain Zakir ou Zakar,roi de Hamat et de Laache (VIII^ siècle av. J.-C.)
et contient un récit de la victoire que ce personnage a remportée sur
Bar-Hadad, roi d'Aram,et six autres rois ses alliés. La stèle est dédiée
à une divinité nommée Alour.) p. 555-557. — A.Mallon, S.J. Un manuscrit
du Psautier Copte-Bohairique. (Ce manuscrit, conservé au scolasticat
d'Ore, Hastings, provient d'une bibliothèque de Lyon. Il date très pro-
bablement de 1459. En plus des 150 ps. , il contient dix pièces dont on
donne l'énumération.) pp. 557-559. — P.LADELZE.Z'oj'/^î/je du quatrième
Évangile. A propos du livre de M. Lepin. (Expose l'argumentation de
Lepin en faveur de l'attribution du IV*^ Évangile à l'apôtre Jean, y ajoute
des éléments nouveaux, faits ou observations, en souligne la force pro-
bante. Remarque toutefois que certaines particularités du texte et de la
tradition n'ont pas reçu toute l'attention qu'elles méritent et regrette que
RECENSION DES REVUES 209
Lepin n'ait pas examiné l'hypothèse, suggérée par ces particularités,
d'une rédaction de l'Évangile par un disciple, à tendances spéciales, de
l'apôtre Jean, au nom de ce dernier, sous ses yeux et son inspiration.)
pp. 539-585.
REVUE CATHOLIQUE DES ÉGLISES. Oct. — .(. Baruzi. Leib^iiz et l'idée
de Schisme, d'après des document& inédits. (Pour Leibniz le schisme est
un mal. Il cherche à le supprimer en réunissant les Églises. Il ne croit
pas cependant à l'unité possible des Églises : aucune n'atteint la vérité
absolue ; mais dans Tordre de vie, une vérité est incluse en l'union et
en l'amour ; c'est donc vers cet amour et cette union qu'il faut tendre.
« Nulle part l'Église ne sera mieux réalisée que dans l'eiïort que nous
instaurerons pour la créer, et par là même se trouve définitivement
niée la légitimité du « schisme ».) pp. 453-474. = Nov. — A. Villien.
Les travaux français de droit canonique et de Liturgie. (Énumère et
apprécie les principales œuvres parues en France sur ces matières,
durant les dernières années. « Secours demandés à l'histoire pour
expliquer la discipline, documentation plus abondante, critique plus
sévère, telles sont les caractéristiques d'un nombre toujours plus grand
d'études canoniques. ») pp. 5:59-550. := Dec. — F. W. Puller. La
communion anglicane dans ses rapports avec les parties qui la constituent.
(La communion anglicane comprend 10 Églises nationales aulocéphales.
Il y aurait avantage à mieux relier entre elles ces Églises, afin que le
« tout » agît sur chacune. On le peut par des conférences en temps
ordinaire, par des synodes dans des circonstances plus importantes.)
pp. 597-605.
REVUE DU CLERGÉ FRANÇAIS. 1^' Oct. — Ch. Bujon. Le Purga-
toire. (Énumère les difterents moyens à l'aide desquels le péché véniel
peut être expié ici-bas et conclut que tous ceux qui meurent en état de
grâce ne passent point forcément par les flammes du Purgatoire.) pp.
43-50^ =^ 15 Oct. - J. Bricout. Ce gui n'est pas du modernisme. (Dis-
tingue le modernisme de ce qui ne l'est pas^ en philosophie, en théologie,
en apologétique, en histoire.) pp. 129-145. — E. Vacandard. La prière
pour les trépassés dans les quatre premiers siècles. (Reproduction d'un
article du R. D'' Swete. [Journal of theolog'ical studies, 1" Juillet 1907J.
Conclusions : 1" Il n'y a pas de preuves que les morts aient été commé-
morés par leurs noms dans i'agape eucharistique dès l'âge apostolique
ou dans la période subapostolique. De telles commémorations ont pro-
bablement commencé au second siècle. Avant la fin du troisième siècle,
l'intercession pour les morts paraît avoir été un trait commun à toutes
les liturgies. Au quatrième siècle, l'usage d'offrir des prières, le sacrifice
eucharistique et des aumônes pour les morts, s'établit désormais comme
un important facteur de la vie chrétienne, tant en Orient qu'en Occident.
2° Il peut se faire qu'à l'origine on n'ait pas analysé le caractère de ces
prières et de ces oblations.) pp. 146-161. =-; 1'''^ Nov. — H. Lesètre.
Jésus ressuscité. (Réfute les principales objections piiilosophiques,
liistoriques, exégétiques, élevées contre le fait de la résurrection.) pp.
2*^ Année. — Revue des Sciences. — No i. 14
210 REVUL DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
241-263. — A. D. Seriillanges. Morale et Religion. (Trois propositions
résument les rapports précis de la religion et de la morale. I. En un
sens, la vie religieuse est contenue dans la vie morale. Les devoirs
envers Dieu et la vertu de religion concourent à intégrer la justice.
Leur rôle est de rendre honneur à Dieu en tant que principe, loi, fin
dernière de tout ce qui est. II. La morale est une partie de la religion
eu tant que celle-ci est une attitude générale à l'égard du divin. III. La
religion se présente comme la condition, sinon de l'existence, du moins
de l'extension et de l'efTicacité de l'idée morale dans le monde.) pp. 264-
2^^4. = 15 Nov. — G. MiCHELET. JS expérience religieuse d'après W. James.
III. Les faits religieux et la théorie de la subconscience. (Esquisse
d'abord la théorie de la subconscience, indique quelques-uns des cas
dont elle prétend fournir l'explication, puis énumère en les critiquant
les trois principales théories sur la nature des faits subsconcients. I. La
théorie physiologique des faits inconscients est en contradiction avec
les faits. II. La théorie des phénomènes psychologiques sous-conscients,
au lieu de confirmer la théorie de la multiplicité des consciences,
témoigne en faveur de l'unité réelle et persistante de la personne
humaine. III. La théorie animiste des faits psychologiques inconscients,
bien que niée par certains philosophes spiritualistes est scientifiquement
fondée et s'accorde avec la doctrine de l'École.) pp. 879-410. = l^"" Dec
— M. Lepin. La résurrection de Lazare. (L'élude minutieuse du texte
apporte un démenti formel à l'hypothèse qui voit dans la résurrection
de Lazare un simple tableau allégorique. Les traits d'invraisemblance
objectés à rhisloricité du récit johannique ne paraissent pas plus signi-
ficatifs que les indices qu'on prétend y trouver de composition artifi-
cielle.) pp. 467-496. — L. Maisonneuve. La notion du miracle. (Critique
la conception que M. Le Roy se fait du miracle. M. Le Roy confond la
cause formelle et la cause finale du miracle. L'idéalisme de M. Le Roy
s'appuie sur les théories du inorcelage, du déterminisme conventionnel,
du subjectivisme des sensations ; mais aucune de ces théories n'est
fondée. Le miracle n'est pas le produit de la foi, l'allirmer, c'est détruire
les bases mêmes de la foi. C'est l'aspect préternaturel d'un fait qui
détermine la conviction de ceux qui en sont témoins.) pp. 497-518. =
15 Dec. — E. Vacandard. Les fêtes de Noël et de l'Epiphanie. (En plein
iv«^ siècle, voire en 336, Rome célébrait la solennité de Noël le 25 décem-
bre. L'église occidentale imposa à l'Orient la fêle de Noël; en retour
l'Église grecque fit pénétrer dans l'Église latine, la fête de l'Epiphanie.)
pp. 593-615. — E. Mangenot. Le livre d'Bénoch. (Analyse d'après l'in-
troduction de l'ouvrage de M. Martin. Le livre d'Hénoch traduit sur le
texte éthiopien, Paris, Letouzey]. 1" Le texte original et les versions
anciennes. 2'' Le problème littéraire de la composition du livre. 3° Les
dates et auteurs. 4" L'histoire littéraire du livre d'IIénoch.) pp. 616-629.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE. Oct. — J. Mahé, S. J.
V Eucharistie d'après saint Cyrille d'Alexandrie. (S. Cyrille enseigne
que les fidèles sont vivifiés par la réception de l'Eucharistie ; elle les
unit, par une participation physique, au Christ, et aussi entre eux. Il
RECENSION DES REVUES 2ll
professe la présence réelle du corps historique du Christ dans l'Eiicha-
ristie.) pp. 677-696. — P. Doncceur, S. .1. Les premières interventions du
Saint-Siège relatives à r Immaculée Conception [XII'^-XIV'^ siècle)
(suite, à suivre). (La fête de la Conception de la Sainte Vierge fut
adoptée par la cour papale, dans le second quart du XIV«= siècle. Mais
l'objet de celte fête était assez indéterminé pour se prêter à tous les
partis théologiques, la cour romaine n'en professant aucun de préfé-
rence aux autres.) pp. 697-715. — D. R. Ancel, 0. S. B. Pnul IV et le
Concile. (Le Pape était peu favorable à la reprise du concile. Il jugea
plus pratique d'établir diverses Commissions en vue d'obtenir la
réforme, et prit des mesures souvent énergiques, pour en commencer
l'exécution.) pp. 716-741.
REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS. — Sept.-Oct. — J. Réville.
Les Origines de t Eucharistie ("2.^ ■av\., à suivre) (9. Le 4^ Evangile, au
chap. 6, fournit un témoignage de premier ordre, non sur l'institution
de l'Eucharistie par Jésus, mais sur la valeur qu'on lui accordait dans
« la petite élite des chrétiens mystiques d'Asie qui ont fondu la tradition
évangélique dans la tradition judéo-hellénique de leur temps >>. Il n'y a
pour eux dans l'Euchar. ni actions de grâces, ni témoignage de la soli-
darité chrétienne, ni sacrifice, ni relation à la mort du Christ, mais
l'équation pain = chair, vin =^ sang du Christ est déjà établie parmi eux,
quoique non universellement admise ; le pain et le vin sont tels en tant
qu'instruments de la communication de la vie du Verbe, et procurent la
vie éternelle à ceux qui ont la foi, en scellant leur union mystique avec
le Christ vivant. Ce discours du chap. 6, qui a conservé une note escha-
tologique, rattache l'Eucharistie au souvenir d'un repas oîi les disciples
de Jésus ont mangé du pain et des poissons. — 10. Dans l'Ep. aux
Hébreux, XIII, 10 sv., il n'y a à chercher aucune mention de l'Eucha-
ristie. — 11. Le plus ancien témoignage est celui de V Apôtre Paul,
I. Cor. v, 6-8 ; x, 14-22 ; xi, 17-34. R. examine : 1'^ la nature de la céré-
monie de Corinthe. C'est un repas collectif non quotidien, qui doit être
sobre et dont les éléments essentiels sont le pain et le vin ; il exprime
la communion des fidèles entre eux et avec le Christ, il faut s'y préparer
individuellement et intérieurement, mais ne contient pas trace de sacri-
fice, ni d'oblation, ni de sacrement. 2"^. La signification de ce repas pour
l'Ap. Paul. Ce repas a été institué par Jésus lui-même en souvenir de
lui. C'est une commémoration de sa mort, et il conserve aussi un carac-
tère eschatologique. 11 effectue la communion au « corps du Christ » par
la communion à la société mystique de tous les disciples du Christ avec
le Christ, et la « communion au sang du Christ », c'est la participation
à la nouvelle alliance consacrée par son sang. Réville, qui juge impos-
ble et « monstrueux » que le Christ ait voulu parler de son corps maté-
riel, interprète le zo ÙTrsp ij^{;yj de xi, 24, en ce sens : mon corps
mystique, qui est pour votre bien, pour votre salut. Pour lui, «ne pas
discerner le corps du Christ » (xi, 29), cela veut dire : ne pas compren-
dre ses devoirs envers le corps mystique. 3° La valeur historique du
témoignage paulinien. La donnée traditionnelle, extra-paulinienne,
pain :^ corps, vin = sang, a été interprétée par Paul, en suite de rêvé-
212 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
lations du Christ glorieux ; son commentaire (rb ûttèo ùlkmv, le cnlice de
la nouvelle alliance), il Ta introduit dans le texte. — 12. Là fraction du
pain des Actes des Apôtres signifie un repas religieux chrétien, d'abord
privé, quotidien, non cultuel, puis devenant public et dominical. C'est
tout. — 18. A propos de VEv. de Luc, xxii, 14-23, l'auteur se prononce
pour l'authenticité des codex orientaux et de la Vulgate, les autres textes
n'étant que des corrections destinées àsupprimer l'une des deux coupes.
Ce texte authentique est une combinaison de la tradition de Marc et de
celle de Paul. La Cène est un repas pascal où l'« Eucharistie » est une
prière d'actions de grâces instituée par Jésus, de signification eschatolo-
gique, mais n'ayant rien de sacrificiel; le pain est « assimilé » au corps
du Christ donné pour les Apôtres (au reste on ne peut trop savoir en
quel sens l'auteur du 3^ évangile l'a pris), et la coupe est la nouvelle
alliance. — 14. Les récits parallèles de 3Iallhieu,xx\'î, 17-30, et de Marc,
XVI, 12-26 représentent la Cène comme un repas pascal, à la fin duquel
on chante des hymnes ; c'est un repas de communion ; mais aucune
institution perpétuelle n'y est mentionnée; il sert d'atïirmation sensible
à l'alliance de Jésus avec ses disciples, consacrée par le sang du Christ,
en vue de leur réunion ultérieure dans le royaume de Dieu ; le pain est
le corps du Christ, le vin est son sang répandu en faveur de beaucoup,
sans autre détermination, ce qui n'est du reste pas, selon Réville,
susceptible d'une interprétation réaliste.) pp. 142-196. — G. Ferrand.
Textes magiques malgaches (Textes musulmans du Sud-Est de Madagas-
car, d'après les mss. o et 8 de la Bibl. nat. L'un aurait été apporté en
France en 1742, l'autre vient de l'ancien couvent de Saint-Germain-des-
Prés. L Conjuration de divers djinn, qui ont enseigné à Salomon celle qui
convenait à chacun d'eux. II. Invocations magiques. III. Anges protec-
teurs des différentes parties du corps, de la tête aux doigts de pied, cha-
cun avec son nom. Texte et traduction. "i pp. 197-218.
REVUE DE LINSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS. Nov.-Déc. —
E. Mangenot. Jésus Messie et Fils de Dieu d'après les Actes des Apôtres.
(Étude de la théologie du livre même des Actes et non de ses sources.
1° Jésus messie, a) Les premiers prédicateurs chrétiens sont cons-
tants et unanimes à présenter Jésus comme messie aux juifs et aux
païens, b) Ils prouvent la messianité de Jésus par ses miracles et les leurs,
par sa mort sur la croix, par sa résurrection et sa glorification, c) Le
messie prêché par eux a pour mission de fonder sur terre le règne
spirituel de Dieu. — 2° Jésus Fils de Dieu, o) Textes explicites en faveur
de la filiation divine, b) Enseignement implicite du livre entier. — « Le
Christ des Actes est bien le Christ Dieu, et Fils de Dieu, participant inti-
mement aux pouvoirs et aux privilèges de Dieu >>.) pp. 385-423.
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. Nov.— A. Job. L'œuvre
de Berthelot elles théories chimiques, (Développement et tendance géné-
rale des travaux du grand chimiste. « Il montre que la matière minérale
et la matière organique se transforment suivant Ips mêmes lois et sont
Soumises aux mêmes forces ; que dans les deux domaines la synthèse
RECENSIOX DES REVUES îll'i
est possible par les mêmes moyens », « il établit plus de liens entre la
chimie et les autres sciences. » La caractéristique de son talent est
« l'extraordinaire finesse de tact avec laquelle il pénètre le jeu des
allinités et des forces.») pp. 699-720. — H.Delacroix. Anahjse du
inijsticisme de Mme Guyon. (Extrait d'un ouvrage sur l'Histoire et la
'psychologie du nii/slicisme, qui paraîtra au début de 1908. — Caractères
des trois périodes successives, chronologiquement et logiquement
distinctes, qu'une étude historique (faite dans le chapitre précédent) a
révélées dans la formation des états mystiques chez Mme Guyon.)
pp. 721-746. — E. BoREL. L'évolution de Vintelligence géométrique.
(Lidée que M. Bergson se fait de l'intelligence géométrique est adéquate
à lintelligence géométrique des Grecs, mais l'intelligence géométrique
a évolué et actuellement elle est beaucoup moins rigide et beaucoup
plus vivante. — Nouveaux exemples sur l'intuition en mathématique. —
Importance de la notion de mouvement dans la géométrie moderne.)
pp. 7-47-754. — E. Mallieux. Le rôle de Vexpérience dans les raisonne-
ments des jurisconsultes. (Examine (f les difficultés principales que
peuvent faire naître la lecture et la confrontation des articles d'un code »
et cherche à établir que «les formules de nos codes, fruits de la vie,
n'acquièrent une portée que par un appel à l'expérience, au bon sens, à
la conscience morale et à la science des sociétés.») pp. 755-796. —
E. Chartier. Essai sur les éléments principaux de la représentation, par
Hamelin. (Étude critique.) pp. 797-820.
REVUE NÉO SCOLASTIQUE. Nov. — N. Balthasar. Le problème d
Dieu d'après la philosophie nouvelle. (Réponse aux critiques que M. Le
Roy adresse aux quatre premières preuves thomistes de l'existence de
Dieu. Conclusion : « Constamment ou a vu se poser ce dilemme : ou
admettre un acte pur. Cause incausée, Être en soi, perfection subsis-
tante et par conséquent Infini ; ou avec Heraclite, Hegel et les nomina-
listes modernes, affirmer comme Absolu un devenir sans lois, principe
de création incompréhensible et contradictoire dès que nous voulons le
penser. M. Le Roy choisit cette dernière alternative, espérant d'ailleurs
pouvoir remplacer la preuve de l'existence de Dieu par son expérience
vécue. ») pp. 449-489. — M. De Wulf. Première leçon d'esthétique.
(Définit ce qu'il faut entendre par jouissance d'art, critique artistique,
histoire de l'art, esthétique ; prouve que l'esthétique est une science
d'ordre philosophique ; détermine la place de l'esthétique néo-scolasti-
que dans l'histoire générale des idées esthétiques ; énumère les princi-
paux caractères de l'esthétique scolastique.) pp. 490-506. — A.Michotte.
A propos de la « Méthode d'introspection » dans la psychologie expérimen-
tale. (La méthode indirecte, c'est-à-dire celle oii l'on observe un phéno-
mène psychique provoqué par la perception de l'excitant, est réalisée
suivant le schéma de mesures de temps de réaction. Cette méthode est
susceptible de recevoir des développements considérables, tout en
conservant son caractère et sa valeur scientifique.) pp. 507-532. —
P. Mandonnet, 0. P. Le traité « De erroribus Philosophorum». (Le traité
De erroribus Philosophorum présente une collection d'erreurs tirées des
écrits d'Arislote, d'Averroès, d'Avicenne,d'Algazel, d'Alkindi et de Moïse
2-14 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Maimonide. Il se fait remarquer par l'étendue de l'information et l'in-
telligence des doctrines. Selon toute probabilité, l'auteur de ce traité
appartient à l'école dominicaine espagnole.) pp. o33-o52.
REVUE DE L'ORIENT CHRÉTIEN. 3. — F. Nau. Une didascaVie de
iXotre-Seigneur Jésus-Chnst ( iutroductio/i, texte grec et traduction).
(Cette didascalie est le récit apocryphe d'un entretien de Jésus avec les
apôtres, dans la vallée de Josaphat, après l'Ascension. On y place dans
la bouche du Christ et pour leur donner plus d'autoi'ité des préceptes
ecclésiastiques et des révélations sur différents mystères. La date de
l'écrit ne peut être précisée (entre le IV" et le XP siècle, plus probable-
ment à la fin du VII*^. Le texte grec est reconstitué d'après deux ma-
nuscrits, Frt/ic. et Paris.) pp. 225-254. — J. Bousquet. Récit de Sergia sur
Objmpias (introduction et traduction d'un récit légendaire). (Traduction
d'après un manuscrit grec (Bibliot. nat. 1453) relatif à sainte Olympias,
diaconesse qui vivait à l'époque de Justinien. La relation a été écrite
vers 630, en un style prolixe, par Sergia, supérieure du monastère con-
sacré à la Sainte en Chalcédoine.) 255-268. — S. Grkbaut. Littérature
éthiopienne pseudo-Clémentine (texte éthiopien et traduction du mgstére
du jugement des pécheurs) {h suiwre). (Ceile partie contient principale-
ment une longue louange adressée à Notre-Seigneur. L'Introduction
philologique renferme de brèves remarques sur la langue obscure et la
syntaxe peu classique de l'original éthiopien.) pp. 285-297. — S. Vailhé.
Saint f'Juthgme le Grand, moine [de Palestine (o76-473). (à suivre). (Le
biographe de saint Eulhyme, Cyrille de Scythopolis, est d'abord
présenté en quelques pages. Suit le premier chapitre de la vie du grand
réformateur Palestinien. Il offre un tableau d'ensemble du monachisme
en Palestine au IV*^ siècle.) pp. 298-312.
RE"VUE DE PHILOSOPHIE. Oct. — .1. Gardaih. L infinité divine. (Tout
en proclamant Dieu éminemment actuel et parfait, sans possibilité, en
lui-même, de développement interminable, il faut reconnaître en lui le
principe souverain dune mulliplicalion interminable de réalités possi-
bles.)pp. 310-335. — A.JousSAi.\./vrt Genèse de la notion du droit dans Vàme
individuelle. (Recherche les conditions psychologiques de l'apparition
de la notion du droit : le sentiment <lu droit personnel n'est que le
sentiment du vouloir-vivre aspirant à se développer sans entraves,
et s'aftlrmant explicitement dès qu'il rencontre des obstacles contraires
à son attente. La notion du droit d'autrui iiail d'abord en nous du
sentiment de la justice qui nous est due; puis nous substituons un
point de vue rationnel au point de vue de notre intérêt individuel, en
égalant le droit d'autrui au nôtre.) pp. 336-316. — P. Dl'hem. Le
mouvement absolu et le mouvement relu tif( suite). (L'auteur continue son
étude historique des problèmes discutés par les philosophes touchant
la nature et l'immobilité du lieu. Dans cet article il analyse les idées
des philosophes grecs posl-;iristotéiiciens qui sont demeurés attachés
à la notion du lieu selon le Stagyrite, puis les idées de ceux qui ont
substitué une autre théorie surpassant celle d'Âristote.) pp. 347-362 :=
RECENSTON DES REVUES 2lo
Nov. — X. MoiSANT. I.p problème du mnl. (Le problème da mal englobe
trois sortes de recherches : Le mal sollicite notre volonté à le combattre,
d'où la question pratique : comment en triompher ? Le mal fait échec
à nos eflbrls et à notre volonté : Comment la Providence peut-elle
réparer ces défaites partielles du bien et les faire servir au triomphe
final de celui-ci ? — Si cette dernière question comporte une solution,
celle qui demanderait pourquoi Dieu n'a pas créé un monde meilleur,
n'en comporte pas; il est vrai que ce problème n'exprime pas uneréelle
anxiété de notre àme : nous ne désirons pas en effet un autre ordre de
chosps que celui oîi trouve place notre personnalité ; on peut
même douter que les termes du prol)lème soient suffisamment précis et
qu'il donne une prise ferme à un examen rationnel.) pp. 429-446,
C. Sentroul et A Farges. Le Siihjectivisme kantien. (Discussion;,
pp. 447-480.
REVUE PHILOSOPHIQUE. Oct. — J. de Gaultier. La dépendance de
la morale et l'indépendance des mœurs. (Les phénomènes appelés mo-
raux doivent être placés sur le même plan de connaissance que tous
les autres ; il faut rétablir à leur endroit la relation d'antériorité du
phénomène par rapport à la loi ; en effet, les phénomènes relatifs à la
conduite sont donnés dans l'expérience comme les autres phénomènes,
en sorte que les lois dites morales sont une dépendance des mœurs ;
celles-ci à leur tour sont « indépendantes de la logique », c'esl-à-dire
qu'« elles échappent à tant d'effort de déduction, en vue de déterminer
quelles elles doivent être, en sorte qu'il n'est pas plus possible de les
déduire de l'ensemble de l'expérience qu'il n'est possible de les déduire
d'un à priori dogmatique. ») pp. 337-364. — L. Dugas. La définition
de la mémoire. (Le problème de la mémoire est celui du rapport de
la connaissance au moi. Ce n'est pas la persistance du souvenir, son
aptitude à renaître, mais c'est sa subjectivité, sa relation à la personna-
lité qui le constitue ce qu'il est ; et cela est aussi vrai pour la mémoire
intellectuelle que pour la mémoire affective.) pp. 365-382. — D. Parodi.
Morale et raison. (.\pprécialion critique de l'ouvrage de M. Gust. Belot :
Éludes de morale positive.) pp. 383-411. = Nov. — A. Fouillée. Doit-on
fonder la science morale, et comment? (Pages extraites de l'Introduction
de l'ouvrage de M. Fouillée qui va paraître sous le titre de Morale des
Idées-Forces. Pour M. F., la morale doit être « fondée» ; elle exige des
principes immanents qui lui permettent, en tant que science, de se
suffire à elle-même et d'être vraiment indépendante. Vue d'ensemble
sur la méthode, les fondements logiques, psychologiques, sociologiques,
cosmologiques et êpistémologiquès de la morale des idées-forces.)
pp. 449-475. — E. de Roberty. Le rôle civilisateur des abstractions : du
totémisme au socialisme. (Joui concept vaut par l'expérience qu'il repré-
sente; l'abstraction synthétise ainsi l'expérience collective du passé et
suggère, par sa valeur hypoUiélique, les conjectures de l'avenir rela-
tives au progrès social. L'auteur étudie sous cet angle la plus ancienne
des généralisations, « l'abslraction-ancêtre » du totémisme, puis l'abs-
traction du socialisme actuel, sorte de totémisme moderne, tendant,
2-16 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÈOLOGIQUES
par la connaissance (la généralisation et l'abstraction), à départiculariser
la classe économique.) pp. 476-494. — A, Rev. L'énergétique et le méca-
nisme au point de vue des conditions de la connaissance. (La théorie
physique ou énergétique, étant purement conceptuelle et n'envisageant
que nos perceptions actuelles, peut être un excellent moyen descriptif
pour résumer ce que nous savons — mais elle est sans vertu inventive
dans le domaine physico-chimique ; car une hypothèse vraiment
féconde doit être nécessairement une hypothèse imaginable, construite
en termes de perception et en langage sensible, offrant, en même temps
qu'un procédé de systématisation, un procédé de découverte : c'est
précisément ce que réalise le mécanisme.) pp. 495-517. — D"" Dromard.
Delà n plasticité y> dans Vassocialion des idées. (Les conditions de la
plasticité maxima correspondent au relâchement de la synthèse men-
tale, lequel se traduit lui-même par une prépondérance des facultés
imaginatives sur les attentives. Les conditions de plasticité minima sont
réalisées dans les circonstances inverses, oii les facultés attentives sont
prépondérantes par rapport aux pouvoirsjmaginatifs.) pp. ol8-o38. =
Dec. — J.-J. VAN Biervliet. La Psycliologie quantitative. IIL Psycholo-
gie expérimentale. (Après une brève histoire de la Psychologie expéri-
mentale contemporaine, l'auteur entreprend de passer en revue les
procédés de plus en plus parfaits de cette méthode. Dans ce premier
article il examine les enquêtes et questionnaires, puis les expériences
sur les masses, et fait voir les avantages et les désavantages de ces
procédés d'analyse psychologique quantitative.) pp. 561-587. —
Th. Ribot. La mémoire affective. Nouvelles remarques. (^Établit par de
nouvelles preuves l'existence de cette forme de mémoire qu'est la
mémoire affective ; preuves directes tirées de certains faits psycholo-
giques, physiologiques, pathologiques. Preuves indirectes tirées de la
stabilité de certaines dispositions qui ne s'expliquentquepar la mémoire
affective.) pp. 588-613.
REVUE PRATIQUE DAPOLOGÉTIQUE. 1«' Oct. — Dom Cabhol.
L'Idolâtrie dans V ftglise. (Critique de louvrage de P. Saintyves : Essais
de mythologie chrétienne. Les Saints, successeurs des dieux. (Paris.
Noiirry. 1907.) pp. 36-46. := 15 Oct. — Mgr P. Batiffol. L'idée de Vi^glise
chez les précurseurs et les contemporains de saint /renée. (Conclusion :
le christianisme est considéré comme une collectivité réelle, visible,
répandue sur toute la terre ; entre tous les groupes qui la composent, il
y a un lien interecclésiastique sensible à tous. La conformité des Églises
dans la foi tient à ce que la foi est considérée comme une doctrine
divine une fois reçue et ensuite transmise comme un dépôt. Rome est
pour tous les fidèles du monde un centre.) pp. 107-121 et 161-172. =
l'^'" Nov. — M. Lepin. Lliistoricité de l'Evangile de saint Jean d'après le
récit de la multiplication des pains. (Le quatrième évangéliste retient,
pour son préambule, des traits synoptiques dépourvus de signification
et en ajoute d'autres qui ne sont pas davantage expressifs; d'autre part,
il néglige, dans la narration de ses devanciers, les détails les plus
susceptibles d'enricliir son symbole. Sous la diversité de la forme, la
RECENSION DES REVUES 217
première partie du dialogue johannique n'a donc pas une portée autre
que celle du dialogue synoptique, au point de vue du symbolisme sup-
posé ; le reste du dialogue se montre aussi réfractaire à l'interprétation
de M. Loisy.) pp. 173-186. — J. Touzard. Sur l'Élude des prophètes de
V Ancien Testament. (Pour comprendre les prophètes de l'ancien Testa-
ment, l'historien doit étudier le milieu dans lequel ils ont vécu, leur
caractère particulier, leur activité, leur influence posthume.) pp. ,186-
200. = 15 Nov. — M. Lepin. Uhistoricité de VEvangile de saint
Jean d'après le récit de la multiplication des pains. (La relation
johannique du dialogue coïncide d'une façon exacte, pour la
physionomie d'ensemble, avec les trois relations synoptiques. Le récit
du miracle ne trouve pas son explication dans la préoccupation
symbolique et l'épilogue est bien dans la vraisemblance historique.)
pp. 236-252. = 1"^' Dec. — J. Lebreton. L'étude des Origines
chrétiennes. (Ces questions d'exégèse ou d'histoire qui s'agitent autour
de ses origines ne peuvent laisser l'Église indifférente ; ce sont ses titres
que l'on discute, et elle prétend pouvoir en établir la légitimité. On peut
tout en restant chrétien, fidèle à la foi et à l'Église, étudier loyalement
et scientifiquement l'histoire des origines chrétiennes.) pp. 297-311. —
J. Touzard. Le prophète Amos. (Étudie le milieu et la personne du pro-
phète Amos.) pp. 315-333. = 15 Dec. — J. Guibert. Zes commencements.
(Le fait de la dégradation de l'énergie et l'origine de la vie prouvent la
nécessité d'un créateur.) pp. 361-378. — J. Touzard. Le prophète Amos.
(Svntlièse des enseignements d'Âmos sur Dieu et ses rapports avec
Israël.) pp. 378-398.
REVUE DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET LA SCIENCE CATHO-
LIQUE. Sept, et Oct. — M.CoMBAULD. Le sentiment religieux et lapsgcho-
physiologie. (Avant-propos d'une étude où l'auteur traitera, dans une
première partie, des états mystiques étudiés du point de vue psycholo-
gique, dans une seconde, des phénomènes extraordinaires qui s'y ren-
contrent souvent et servent de prétexte aux objections de la thèse
naturaliste.) pp. 913-919. — J.-B. Ayrolles. La vénérable Fucelle victo-
rieuse de la science. (« L'inspiration est manifeste quand on étudie de
près le procès tout entier. Parmi tant de questions disparates, ardues,
posées avec l'intention d'arracher à l'incriminée une parole malson-
nante, sur laquelle put être étayée une condamnation déjà arrêtée,
pas un mot qui donne prise. ») pp. 948-973. — M. Daux. Un scolas-
tique du XII^ siècle trop oublié ; Honoré d'Autun. (Analyse ses ouvrages
d'enseignement classique, puis ses œuvres exégétiques, liturgiques,
dogmatiques et ascétiques.) pp. 858-88-4 et 974-1002.
REVUE THOMISTE. Sept.-Oct.— R. P. A. Mercier. Le miracle, phéno-
mène surnaturel. (Le miracle est l'œuvre de Dieu, mais de Dieu se
rapprochant librement de l'humanité, se mêlant anx choses humaines.
Il implique nécessairement un certain anthropomorphisme de Dieu.
C'est Dieu descendant au niveau de l'homme, s'identifiant par mode
d'union avec les diverses causes dont l'influence se fait sentir dans
l'existence humaine.) pp. 456-467. — R. P. Pèguks. 5? le mot i^Verbe», en
2-18 BEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Dieu, est un nom personnel. (Commentaire de l'a. I. P P. Q. XXXIV.
Extrait du troisième volume actuellement sous presse du Commentaire
français littéral de la Somme théologique de St Thomas d'Aquin. par le
R. P. Pègues.) pp. 488-487. — C. Sentroll. Le subjectivisme Kantien,
réponse à M. l'abbé Farges. (Aux critiques formulées par M. Farges
{Revue Thomiste, Juillet-Âoùt 1907. Comment il faut réfuter Kant),
l'auteur répond : P Qu'il est nécessaire, pour se placer sur le terrain
de Kant. de commencer par l'examen des propositions d'ordre idéal
plutôt que par l'examen de l'objectivité de la perception sensible ;
2" que cet examen n'exclut pas le second ; 3° que sa démonstration de
la vérité objective des propositions d'ordre idéal, reste valide.)
pp. 488-oll. = Nov.-Déc. — G. Bareille. Saint Jean Chrysostome,
docteur de VhJgiise. (Retrace les principaux épisodes de sa vie).
pp. .559-583. — DoM. P. de Puniet, 0. S. B. Za promesse de l'Eucha-
charistie (Jean, v\) interprétée par saint Jean Chrgsostome. (Pour saint
Jean Chrysostome, saint .lean a relaté les choses telles qu'elles se sont
passées dans la réalité. Son récit forme un tout homogène, dont les
différentes parties se groupent autour d'une pensée dominante :
l'annonce du dogme eucharistique.) pp. ;)84-6l2 — R. P. Garrigou-
Lagrange. Le l^anthéisme de la « Philosophie nouvelle » et la preuve de la
transcendance divine. (Chez M. Bergson, l'idéalisme empiriste de la
pensée-action part du principe nominaliste : « il y a plus dans le mou-
vement que dans l'immobile », en vient à regarder le devenir comme
la réalité fondamentale et définit Dieu « une continuité de jaillissement »,
une réalité qui se fait. Choses créées et chose qui crée sont autant de
réifications opérées par notre intelligence sur le devenir. — M. Le Roy
reproduit exactement cette doctrine absolument inconciliable avec le
Concile du Vatican ; la théorie métaphysique par laquelle il pense
philosophiquement sa foi pratique à la personnalité de Dieu, détruit
manifestement cette personnalité au lieu de l'expliquer ; Dieu ne se
conçoit plus sans le monde. — La preuve de la transcendance divine est
solidaire du principe d'identité : si le principe d'identité est loi fonda-
mentale de la pensée et du réel, la réalité fondamentale doit être à
l'être comme A est A, Ipsum esse. Acte pur.) pp. G12-642. — R. P. Bon-
homme. — Le texte biblique du théologien. (Détermine l'usage que peut
faire un théologien des textes de la Vulgate conformes et des textes
non conformes aux originaux.) pp. (31:5-662.
RIVISTADI SCIENZA. 3. — P. Enrioues. La morte. (D'une analyse de
la mort, lauteuc conclut qu'il n'est pas démontré que la mort soit une
conséquence nécessaire de la vie ; — que la nécessité de mourir, surtout
dans le règne animal, se répartit d'après les différences morphologiques
et la diminution du pouvoir d'assimilation ; — que la diminution de ce
pouvoir s'afïirme depuis la naissance de l'individu jusqu'à sa mort. Il
suit de tout cela que la mort n'est que la rupture brusque d'un équilibre
dans un système dynamique, où la faculté d'assimiler était en diminu-
tion progressive et continue.) pp. 106-120 — El). Claparède. La Fonc-
tion du Sommeil. (Trois questions à résoudre au sujet du sommeil :
1° Le sommeil est-il un phénomène accidentel, accessoire, secondaire,
RECENSION DES REVUES 2l9
un « Nebeneftekt » de la vie organique, ou en est-il une condition, une
fonction? ^^ Si! est une fonction, cette fonction est-elle passive ou
active ? S'il est une fonction active, quel est son mécanisme a) consti-
tutif, h) déclancheur, c) final? D'après l'auteur, qui étudie le sommeil
comme un phénomène biologique, ce phénomène est une fonclion ; il
est utile comme tel à la vie ; c'est une fonction active. Le mécanisme du
sommeil est plus difficile à préciser. Le sommeil est de nature réflexe,
un instinct. Ce n'est pas parce que nous sommes intoxiqués ou épuisés
que nous dormons, mais nous dormons pour ne pas l'être.) pp. 141-138.
RIVISTA STORICO-GRITICA BELLE SCIENZE TEOLOGICHE. Oct. —
V. Ermoni. La Teologia di san Paolo (suite à suivre). (Les moyens par
lesquels l'homme entre en communication avec la justice intérieure
méritée par le Christ, sont de deux sortes : extérieurs (sacrements) ;
intérieurs (dispositions morales de l'àme). On trouve dans saint Paul
des textes relatifs a) au Baptême, initiation à la vie du Christ et rite
purificateur qui ne doit rien à l'influence des religions orientales; b) à
la Confirmation, qui était administrée à peu près comme aujourd'hui ;
c) à la Pénitence, pour autant qu'elle est une conversion du cœur avec
la douleur du péché commis ; d) à l'Eucharistie, dont N.-S. a vraiment
ordonné la continuation après sa mort ; e) au Mariage enfin, auquel
l'apôtre assigne pour fin l'union du Christ et de l'Église.) pp. 721-738,
— F. Lanzoni. Le origini del cristianesimo e delV episcopato nelV Umbria
Romana. Note critiche (à suivre). (L'existence du Christianisme et d'un
épiscopat en Ombrie ne peut être attestée par des monuments contem-
porains des premiers siècles. Parmi les documents, le premier et le plus
ancien est le martyrologe faussement attribué à saint Jérôme (V*^ siècle).
Il permet de conclure que le Christianisme en Ombrie est antérieur à
305; un autre témoignage, emprunté à d'anciens bréviaires, rend pro-
bable l'existence d'un épiscopat ombrien à la même époque.) pp. 739-
7,56. = Nov. — F. Lanzoni. Le origini del cristianesimo e delV episcopato
neW Umbria Romana. Note critiche (suite). (Les passions des martyrs,
bien que, dans l'ensemble, dépourvues d'autorité, ont cependant une
valeur documentaire parce qu'elles supposent et respectent les listes ou
dyptiques des évêques. Avec leur témoignage, on peut suivre la trace du
Christianisme ombrien jusqu'à la fin du second siècle. L'origine aposto-
lique de cette église repose sur une légende accréditée principalement
aux XVP et XVlh siècles.) pp. 821-834. — G. Nicolo Sola. // teslo
greco inédite délia leggenda di Teofilo di Adana. (Texte et traduction
de deux nouveaux manuscrits contenant en grec la légende de l'Éco-
nome Théophile, personnage populaire en Europe, et qui vécut en Orient
entre 538 et 610. Le présent article édile le premier de ces textes,
découvert à la bibliothèque de Saint-Marc.) pp. 8oo-848. = Dec —
A. Manucci. Su le recenti teorie circa V evoluzione storica dei Sacramenti
(suite-à suivre). (Le Concile de Trente fut amené à examiner le problème
de l'institution des sacrements par le Christ, à propos de la Confirma-
tion et de l'Extrême-Onction. Sa décision fut préparée par un raisonne-
ment d'ordre théologique. Par le fait qu'ils procurent la grâce et consé-
queinment remettent les péchés, les sacrements ne peuvent avoir
.220 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
élé institués en dehors de la volonté du Christ. Toutefois, Dieu peut
conserver par devers Lui le décret d'institution sans le révéler ; il
suffit que Lui-même le fasse promulguer par les apôtres ou les pasteurs
de l'Église.) pp. 901-922.
SCUOLA CATTOLICA (LA). Oct. —G. Nogara. Venciclka. (Le moder-
nisme est l'erreur la plus périlleuse de ce temps, malgré la bonne foi
possible de certains de ses propagateurs. Le pape recommande le
retour à la scolastique : celle-ci n'est pas ennemie du progrès.) pp. 377-
387. — A. Cellini. La questione porusiaca (suite-à suivre). (Examine le
texte de Matt. XXYI, 64. Donne les diverses interprétations du mot
videbitis^a dopte la signification de « voir » dans le sens le plus commun
de vision organique et matérielle, à condition pourtant que celle-ci soit
considérée comme symbole d'une intellection inorganique et immaté-
rielle.) pp. 41 4-425. — B. Ricci. Giove, lahve, Crislo (suite-à suivre).
(Contre Delitzsch, prétendant que la loi mosaïque était inférieure aux
lois païennes, montre que le code de Moïse, dégagé des interprétations
pharisiennes, était éminemment moral et sage.) pp. 439-432. —
E. Love. Galileo e V Inquisizione. (A propos de l'ouvrage de A. Favaro
portant ce titre (Florence, 1907). Étude la plus complète sur ce sujet
d'après les documents du Saint-Office et des archives secrètes du Vati-
can. Expose, d'après lui, les débuts de la polémique contre Galilée.)
pp. 4.33-409. = Nov. — Card. A. Ferrari. Le teorie dei modernisti.
(Discours. La doctrine moderniste contient des erreurs sur la foi en
elle-même, dans ses rapports avec la science, dans son progrès et dans
sa défense ; sur les livres saints ; sur l'Église en elle-même, dans ses
rapports avec l'État ; sur les sacrements et les dogmes, c'est pourquoi
elle est « la synthèse de toutes les hérésies ». Les causes de ces erreurs
sont la curiosité et l'orgueil.) pp. .506-517. — F. S. Appunli di critica
hiblica (à suivre). (Contre Gutope, soutient que l'Évangile de saint Marc
n'est pas le premier en date.) pp. 318-526. — A. Cellini. La questione
parusiaca (suite-à suivre). (Jean, V, 23 : le contexte montre qu'il s'agit
là plutôt de la résurrection spirituelle que de la résurrection corporelle.
Jean, XXI, 22-23 : penche à entendre le donec vnniam de la ruine de
Jérusalem.) pp. 527-545.— D. Berga^siascrï. L' inquisizione et gli eretici a
Cremona (suite). (Cite quelques luthériens ou anabaptistes condamnés
au cours du XVI» siècle par l'inquisition de Crémone. Établit le lieu du
procès, des exécutions, le mode de sépulture des condamnés. L'inquisi-
tion disparut en 1773-1783.) pp. 554-565. — B. Riccl Giove, lahve,
Cristo. (suite-à suivTc). (Comparée aux religions païennes, la religion
hébraïque apparaît bien supérieure.^ pp. 565-571. — E. Love. Galileo e
l'Lvjuisiziune (suite à suivre). (Reproduit les principaux documents cités
par Favaro : la lettre par laquelle le P. Lorini, 0. P. dénonce Galilée,
une lettre de Galilée au bénédictin Castelli, divers passages de l'inter-
rogatoire, etc.) pp. 579-589. = Dec. — G. Ballerini. I miracoli di Cristo
e la crilica storica. (Les rationalistes nient le miracle au nom de l'histoire,
parce qu'il n'est jamais arrivé. Ils l'écartenl, non pour des motifs
historiques, mais à cause de leur préjugés rationalistes.) pp. 633-654.
— A. Cellini. La questione porusiaca (fin). (Tire quelques corollaires, et
RECENSION DES REVUES 'i2l
donne quelques preuves confirmatives de son explication du discours
communément appelé eschatologique.) pp. 670-686. — E. Love. GaliJeo e
rinqid.'^izio/ie (fin). (Expose le procès de 1633 en reproduisant de nom-
breux documents publiés par Favaro.) pp. 705-724. — B. Ricci. Giore,
Ifdve, Cristo (suite). (Dans le monde païen, grec et romain surtout, la
tendance vers un système unitaire, dirigé par un être suprême, fut un
acheminement vers le Christianisme. Le Judaïsme fut un rudiment de
la religion chrétienne.) pp. 725-730.
SLAVORUM LITTER^ THEOLOGIC^. 4. — Ad. Spaldak. De sacra-
mento pcenilentue, Thesis IV. (La contrition procédant d'un motif de
charité, par laquelle la bonté divine considérée soit absolument, soit
vis-à-vis de nous, est aimée pour elle-même super omnia appretialive
justifie toujours, avant la soumission actuelle au pouvoir des clefs.)
pp. 332-364.
STUDIRELIGIOSI. Juillet-Août. — A. Palmiiîri, La FiJosofia religiosa
ciel principe Truhetzlcoi (à suivre). (Retrace la carrière du philosophe
russe, ami et disciple de Soloviev, le prince S. N. Trubetzkoi décédé
en 1905. Trubetzkoi et Soloviev ont subi profondément l'influence de
l'école des Russes slavophiles, Kirieevsky, Khomiakov, Aksakov. Un
autre point à considérer pour comprendre la philosophie de Trubetzkoi
c'est le dédain de la théologie orthodoxe pour la spéculation rationnelle
qui, par suite, est totalement abandonnée à elle-même.) pp. 427-442. =
Sept. -Dec. — A. Palmier:. La Filosofia religiosa del principe Truletzlcoi
(fin). (Résume les idées de Trubetzkoi sur la métaphysique et l'épisté-
mologie, sa théorie du Logos, sa pliilosophie religieuse. Signale ce que
Trubetzkoi doit à Kant, au philosophe bavarois, F. von Baader (y 1841),
et la parenté de sa philosophie religieuse avec l'apologétique deBlondel,
Laberthonnière, Tyrrell.) pp. 602-670. — F. Mari. Mazdeismo e Giudaismo.
(Tableau des données les plus assurées touchant l'origine et l'évolution
du Zoroastrisme ; comparaison entre ce système religieux et le Judaïs-
me. Sur ce dernier point, conclut à une influence modérée du Parsisme
sur le Judaïsme. Celui-ci trouva dans le Parsisme de quoi développer
certaines idées qu'il possédait en germe.) pp. 671-709.
TEYLER'S THEOLOGISCH TIJDSCHRIFT. 4. — A. Bruining. De
roomsche leer van het donum superadditum. (Rectifie quelques fausses
interprétations de ses coreligionnaires protestants au sujet de l'ensei-
gnement catholique sur les rapports de la nature humaine avec les dons
surnaturels. De ce que, d'après la doctrine catholique, le péché originel
n'a pas corrompu radicalement la nature humaine, mais lui a seulement
enlevé les dons surnaturels en infligeant une blessure accidentelle, les
protestants concluent à tort que, pour les catholiques : 1° la nature
humaine serait, par elle-même, incapable de connaissance et de pratique
religieuses ; 2° la grâce sanctifiante serait un ornement tout extérieur,
sans aucun point d'attache avec la nature. — Les motifs qui ont poussé
l'Ëglise catholique à définir dans le sens susdit les effets du péché
222 HEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
originel sont : 1° l'impossibilité réelle d'une corruption totale de la
nature ; 2° la doctrine que l'homme ne peut, par les seules forces de la
nature, parvenir à sa plus haute perfection possible. — Enfin, l'affir-
mation catholique de la suffisance de lattrition pour la réception du
sacrement de pénitence, affirmation mal comprise chez les protestants,
n'a pas sa source dans la doctrine sur les effets du péché originel.)
pp. 564-597.
ZEITSCHRIFT FUR ALTTESTAMENTLICHE WISSENSCHAFT. 2. —
H. H Spoer. Versuch einer Erklàriniy von Psalm JS. (L'auteur, après
Graetz et autres commentateurs, traite de l'unité de ce psaume qu'il
estime post-exilique, notamment d'après des particularités linguistiques,
en plus de ses rapports avec le Deutéronome, etc. Il n'est pas un ; le
« Je » représente tantôt la communauté, tantôt un individu. Ce Psaume
semble composé de deux poèmes et d'un fragment : 1° 1 — 7 -j- li-j-
17 — 29 -|- 31, (Ps. A) où la figure de Dieu est avant tout éthique, et
celui qui parle un persécuté pour la justice ; 2° 30 -f- 32 — 51 (Ps. B),
chant guerrier oii un héros célèbre le dieu des batailles. Ce Psaume B
seraitconsacré à la louange de Jean Hyrcan (135-104 av. J. C.) et posté-
rieur à l'an 129. Les « pieux » l'auraient uni plus tard au Ps. A pour
donner au tout une couleur de messianisme plus spirituel ; 3° enfin, le
fragment 8 — 13 -(- 15 — 16, théophaniequi offre un bon parallèle avec
la lutte de Mardouk et de Tiâmat. Remarques critiques sur le texte.)
pp. Ii.j-l6l. — W. Caspari. Ueber semasiologische Unlersuchungen
am hebraischen Worlerbuche. (Par de nombreux exemples, après
avoir rappelé les relations des Israélites avec les Cananéens, Phéniciens,
Araméens, etc., l'auteur fait ressortir la grande importance de la « Wort-
forschung » étymologique, qui pourrait s'appeler psychologique
comme les recherches sur la synonymie, pour nous faire entrer dans
l'âme d'Israël, en nous faisant voir de quelles représentations sensibles,
correspondant à quels sentiments, ce peuple est parti pour se repré-
senter les réalités non sensibles.) pp. 162-261. — M. L. Margolis. Slu-
dien im griechischen alten Testament. ^Observations très nombreuses et
méthodiques sur le grec lui-même de l'A. T., la manière de traduire, les
connaissances linguistiques et l'exégèse des traducteurs, etc.) pp. 2l2-
270. — R. Smend. Nachlràgliches zur Textûberlieferung des Si/rischen
Sirach. pp. 271-275. — Margolis. Zu Seile 142 des vorigen Jnhrgangs.
(Discussion de détail contre Isr. Lévi.) pp. 276-277. — Ed. Kunig, W. Bâche,
S. Krausz et A. Marmorsteix. Zu den hehrO-ischen Finalbuchslaben. Sur
les lettres '• vsjds '' •) pp. 278-284. — Miscellen. (Bâche, Krausz,
Nestlé.) pp. 285-303.
ZEITSCHRIFT FUR KATHOLISCME THEOLOGIE. 4. — Joh. Stufler,
S.J. Die BehandluHfi der GefaUenen zur Zeif der decischen VerfoJgunq. (Des
lettres de Cyprien et du clergé de Rome, il appert qu'à Rome, comme à
Carthage, tous les lapsi pouvaient, déjà avant le milieu du III« siècle, en
cas de sincère pénitence, obtenir l'absolution sacramentelle. Cette
pratique ne fut pas d'abord introduite sous la persécution de Dèce, par
RECENSION DES REVUES 22;'>
la force des circoQslances, mais repose sur la tradition ancienne. 11
n'existe pas même de mémoire d'une pratique contraire, d'un refus
d'absolution. Thèse dirigée contre Harnack. {ReaJencyld. fiir pro/esf.
TIteol. V. Hauck^ Bd. 14. Art. : «Novatian» p. '2-29 svv.), Funk, {Kirchen-
gesch. Aihandlungen u. Uiifersuchungen.l, 1o8.),Batiffol, {Etudes dlnsfoire
çt de théologie positive, \\ 107). Examen des arguments de Harnack.) pp.
r)77-6l8. — D'" Jou. Ernst. Dis Tauftekre des « Liber de rebaptismate ».
(L'auteur maintient l'interprétation donnée par lui de ce traité pseudo-
cyprianique et la défend contre le sens qu'ont prêté à cet écrit le
D' Â. Beck {Der Katholik, 1900, pp. 40-64. Kirchliche Studien u.
Quetlen, 1903, pp. 1-57) et le Prof. Hugues Kocu {SonderabdrucJc ans deni
Vorhsimgsverzeirhnis des Icgl. Lyceum Hosianimi, Braunsberg, Grimme,
1907). Thèses fondamentales du D'" Ernst : l'auteur du traité distingue
un baptême d'eau et un baptême du Saint-Esprit. Le baptême d'eau ne
confère pas par lui-même la grâce, mais seulement un droit à son ob-
tention. La rémission des péchés et la grâce sont l'efTet du baptême du
Saint-Esprit, et, pour l'ordinaire, ce baptême est identique avec l'imposi-
tion des mains, la confirmation.) pp. 648-699. — Aiialekten. J. G. Hagen,
S. J. Astronomische <c Irrtiimer » in der Bihel. (Quelques idées venues à
l'auteur après lecture de l'article du P. Fonck, S. J. : Die )iaturirissen-
sdtaftlidiea Schivierigkeiten in der Bibel (même Revue, 1907, n.3, pp. 401-
432.) Les expressions astronomiques de la Bible sont-elles fausses? Le
principe d'où l'on part pour l'affirmer est le suivant : les expressions
bibliques sont fausses, quand, bien qu'elles s'adaptent aux apparences
extérieures, elles contredisent néanmoins le fond réel des choses. Mais
à ce compte, non seulement le langage vulgaire, mais encore le langage
technique fourmille d'erreurs astronomiques. Ce qui est faux, ce ne
sont pas les expressions bibliques, mais ce principe même.) pp. 750-
755. — D"" K. Fruustorfer. Ein assyrisch-bahyJonisches Gedirht und das
iibtisrhe BucJi Job. (Il s'agit d'un texte d'écriture cunéiforme traduit par
Zimmern dans la revue «Âlte Orient» Ann. 7, n. 3, pp. 28 svv. L'auteur
reproduit le texte, l'analyse, et établit le parallèle que présente cet écrit
avec le Livre de Job.) pp. 755-763.
ZEITSCHRIFT FUR DIE NEUTESTAMENTLICHE WISSENSGHAFT. 4.
— K. SciiÛTZ. Zion ersfen. Teil des Johannesevanyeliunt. (Signale dans les
six premiers chapitres du IV^ Évangile tel que nous l'avons, certaines
diflicultés d'ordre interne, en matière surtout d'indications de lieu et
de temps, qui tendent à établir que le texte primitif de cet Évangile a
subi d'importants remaniements.) pp. 243-255. — E. Wendling. Synop-
tische Studien. \. Die Versuchungsgeschichte. (Soutient, contre Harnack, que
lerécit de la tentation J/r^//. iv,l-ll dépend de Marc comme source, et sous
sa forme spéciale est l'œuvre non de Q., mais du Proto-Malthieu.
Luc a combiné Marc et le Proto-Matthieu.) pp. 256-273. — P. Glaue.
Ziir Erhtheit von Cyprians 3. Buch der Testinionia. (Maintient contre
Haussleiter et Harnack la non-authenticité du Livre m des Testimonia
attribués à saint Cyprien. Suggère comme auteur Commodien.) pp. 274-
289. — M. W. MuELLER. Die apolcatypiisrhen Reiter. (Les cavaliers de
224 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
l'Apocalypse n'ont rien à voir avec les mythes Babyloniens relatifs aux
sept planètes. Ils sont, originairement, l'expression mythique des phases
quotidiennes et annuelles du soleil, comme en témoigne le folk-Iore
d'un grand nombre de peuples.) pp. 290-316. — 0. Holtzmann. Die
Kilrzungen des Xoinens Jahve. (Maintient contre Schlirer qu'il était licite
aux Juifs de prononcer les formes abrégées du nom de Jahvé.) pp.
317-318.
Le fjérant : G. Stoffel.
Super iorum permissu.
De Ucentia Ordinarii.
IMP. DESCLÉE, DE BROITWER ET C'e, LILXE. — 4. 022.
La nature de rémotion
selon les modernes
et selon Saint Thomas
D\NS le Bulletin de Psychologie paru, en avril dernier, dans
la Revue des Sciences philosophiques et théologiques (1) nous
avons eu l'occasion de parler des deux théories modernes anta-
gonistes sur la nature de l'émotion : théorie pJiysiologique et
théorie intellectualiste. Après les avoir brièvement résumées, nous
avons esquissé, en regard d'elles, la théorie de saint Thomas,
dont nous avons dit l'originalité et dont nous avons laissé entre-
voir l'adaptation possible aux données expérimentales de la psy-
chologie d'aujourd'hui.
Nous voudrions reprendre avec plus d'ampleur cette compa-
raison, c'est-à-dire étudier avec plus de détails la position et les
arguments tant de la théorie physiologique que de la théorie
intellectualiste, puis exposer la théorie de saint Thomas et mon-
trer que si elle se sépare nettement des deux précédentes, elle
est cependant assez compréhensive pour adopter, à son profit,
la part de vérité qu'elles renferment.
Dans les pages qui vont suivre, et particulièrement dans celles
qui contiendront l'exposé de la théorie thomiste, nous emploie-
rons indifféremment et comme synonymes le mot d' « émotion »
et celui de « passion ». Sans doute quelques psychologues con-
temporains établissent une distinction entre l'émotion et la pas-
sion (2). Ce n'est pas le lieu d'examiner si cette distinction est
justifiée (3). Le serait-elle, que cela importerait peu dans l'étude
présente, pour la raison toute simple que le fait analysé par les
modernes et qu'ils nomment « émotion » est absolument le même
que le fait analysé par saint Thomas et qu'il nomme « passion ».
1. Tome I, année 1907, p. 312 et suiv.
2. C'est l'opinion de M. Ribot, Essai sur les passions. Paris, Alcan, 1907,
3. Cf. Rev. des Se Phil et Theol, loc. cit., p. 326,
2e Année. — Revue des Sciences. — No 2. 15
226 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Nous verrons donc : 1° les théories modernes de rémotion,
c'est-à-dire la théorie physiologique et la théorie intellectualiste;
2" la théorie de V émotion selon saint Thomas.
LES THÉORIES MODERNES DE L'ÉMOTION
1. — Théorie Physiologique.
On pourrait déjcà trouver les lignes générales de cette théorie
chez les mécanicistes français du XVIP siècle. ]\Iais nous n'avons
pas à faire ici l'histoire de la tliéorie. Nous nous contenterons de
l'exposer d'après ses défenseurs contemporains les plus attitrés,
savoir : le Docteur Lange, psychologue danois (1), et le Profes-
seur américain William James (2) qui, tous deux, dans des tra-
vaux indépendants, aboutirent aux mêmes conclusions.
Lange et James sont d'accord sur la méthode à employer dans
l'étude des émotions. Pour eux l'analyse subjective, introspec-
tive, est à rejeter : elle est trop confuse, disent-ils, et présente
des caractères individuels trop variables, pour qu'on paisse faire
sortir d'elle une tliéorie générale sur la nature de l'émotion.
Avant tout, ce sont les caractères objectifs de l'émotion, qu'il
importe de dégager ; et c'est d'autant plus facile, écrit Lange,
que « quand un honmie est triste ou gai, angoissé ou irritéi, il
n'est pas seulement atteint dans sa sensibilité personnelle et
subjective ; — en général, il laisse voir son état à ceux qui l'en-
tourent par toutes sortes d'expressions physiques involontai-
res.... » (3) « Ces expressions corporelles, continue le même au-
teur, offrent un point de départ, le seul assurément scientifique,
mais on ne s'est pas préoccupé jusqu'à présent de l'y cher-
cher (4). »
Une fois prise cette attitude méthodique d'observation tout
objective et impersonnelle, on nous décrit, par leurs manifestations
1. Mind, IX, 1884. What is an Emotion?; — The Principles of Psychology,
ch. XXIV, New-York, 1890. — Le Dr G. Dumas a traduit eu français
les écrits de Janies sur l'émotion, sous le titre : La théorie des émotions,
Paris, Alcan, 1903.
2. IJéber Geviiithbewegungcn, Leipzig, 1887 (trad. du danois); Les Émo-
tions, Paris, Alcan, 1895 (Trad. de l'allemand, par le Dr G. Dumas).
3. Les Émotions, p. 28.
1 Ibid.
l'émotion selon les .VODERNES et s. THOMAS 227
extérieures, les émotions les mieux caractérisées : la joie, la
tristesse, la colère, la peur, etc. James s'en remet à Lange pour
cette description ; car, pour lui, « cette littérature purement des-
criptive est une des parties les plus ennuyeuses de la psycho-
logie. » (1) Nous retiendrons l'avertissement du professeur amé-
ricain, et nous ne prendrons au psychologue danois qu'un très
bref résumé de ses prolixes développements.
Soit, par exemple, l'émotion de tristesse. Le trait caractéris-
tique de sa physiologie et par suite de sa physionomie extérieure,
est l'action paralysante qu'elle exerce sur les muscles volontaires.
Regardons un homme triste : il va lentement, les bras ballants ;
sa voix est faible ; volontiers il s'arrête, s'affaisse, se laisse
tomber ; son visage s'effile ; ses joues pâlissent, s'étirent et
pendent ; ses yeux paraissent grands, la paupière supérieure
ayant de la peine à se relever ; ses mouvements sont paresseux,
fatigués : il est anéanti. Tous les muscles volontaires semblent
ainsi borner leur axtion au minimum ; les muscles involontaires
se détendent eux aussi, particulièrement ceux des tuniques ar-
térielles, dont le rôle normal est d'amoindrir par leur oonslric-
tion le calibre des vaisseaux ; de la sorte le sang est exprimé
des petites veines : d'où l'anémie des tissus, la pâleur, le col-
lapsus des chairs, puis conséquemment, les frissons, le tremble-
ment, etc. — L'émotion contraire à la tristesse, la joie, a une
physionomie extérieure qu'on pourrait ainsi résumer : la sur-
activité de l'appareil moteur volontaire et une dilatation des
vaisseaux les plus fins. L'homme joyeux agit avec célérité ; son
activité semble décuplée ; il a besoin de se remuer, de gesti-
culer largement, de parler fort et beaucoup, de crier, de chanter ;
son visage s'épanouit, s'élargit, devient rond ; ses yeux brillent,
étincellent ; tous les muscles sont en agitation ; tous les petits
vaisseaux ont augmenté leur afflux sanguin : les joues se co-
lorent, rougissent et brûlent ; etc. — Inutile de poursuivre la
description détaillée soit des émotions de joie et de tristesse et
de leurs variétés, soit des autres émotions de peur, de colère,
qui elles aussi ont leur aspect physiologique propre. Ce qui nous
importe ici, ce ne sont pas ces faits, que personne n'a jamais
contestés, mais les théories greffées sur eux.
De quelle nature est donc, selon la théorie physiologique, le
rapport qui unit les émotions à leurs expressions organiques ?
La psychologie traditionnelle, nous dit-on, fait des émotions « des
1. La théorie de l'émotion, p. 57.
-228 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
forces, des substances, des démons (1) », bref des sortes d'en-
tités métaphysiques. Mais ce n'est là que de la métaphore. La
chose est bien plus simple. Les causes de l'émotion ne sont
point psychiques, mais selon Lange et James, indubitablement
physiologiques. La psychologie courante pense généralement
qu'une perception mentale d'un fait provoque un état psychique
affectif que l'on appelle émotion, et que ce dernier état psychique
provoque à son tour l'expression corporelle. « Ma tliéorie, écrit
James, soutient au contraire que les changements corporels sui-
vent immédiatement la perception du fait excitant et que le sen-
timent que nous avons de ces changements, à mesure qu'ils se
produisent, c'est l'émotion. Le sens commun dit : Nous perdons
notre fortune : nous sommes affligés et nous pleurons ; nous
rencontrons un ours : nous avons peur et nous nous enfuyons ;
un rival nous insulte : nous nous mettons en colère et nous
frappons. L'hypothèse que nous défendons (c'est toujours James
qui parle) est que cet ordre de succession est inexact, qu'un
état mental n'est pas immédiatement amené par l'autre, que les
manifestations corporelles doivent d'abord s'interposer entre eux
et que la formule la plus rationnelle consiste à dire : nous som-
mes affligés, parce que nous, pleurons ; irrités, parce que nous
frappons ; effrayés, parce que nous fuyons, et non pas : nous
pleurons, frappons et tremblons, parce que nous sommes affligés,
irrités ou effrayés selon les cas. » (2) ' — « Si je tremble, dit à
son tour Lange, en voyant un pistolet braqué sur moi, est-ce
qu'il se produit d'abord un état purement psychique, une an-
goisse qui détermine mon tremblement, mes palpitations de cœur,
et l'égarement de ma pensée ; ou bien ces phénomènes phy-
siques sont ils directement produits par la cause effrayante, et
l'émotion provient-elle exclusivement des troubles fonctionnels
de mon corps? » (3) Pour lui, comme pour James, l'état affectif
psychique qui, selon la psychologie ordinaire, précéderait et
provoquerait les mouvements organiques passionnels, n'est rien,
n'existe pas ; il n'y a donc pas lieu de le poser comme l'émo-
tion elle-même j celle-ci n'est pas autre chose que la sensation,
le sentiment, la cénesthésie de ces mêmes mouvements organiques.
Ainsi formulée, la théorie physiologique de l'émotion semble
bien paradoxale. Afin de ne pas la trop mal juger par ce premier
1. Ouv. cit., p. 96.
2. Ouû. cit., p. 60.
3. Ouv. cit., p. 98.
l'émotion selon les modernes et s. TIIOlStAS 229
coup cl'œil, il nous faut voir les preuves sur lesquelles elle cnoil
pouvoir s'appuyer,
La preuve invoquée par Lange est celle-ci : « Si les expres-
sions physiques des émotions peuvent se produire par tine voie
purement physique... l'hypothèse psychique ne sera plus néces-
saire. » Or il est facile de montrer, d'après des expériences quo-
tidiennes, que « les émotions peuvent être produites par beau-
coup de causes qui n'ont rien à faire avec les mouvements de
l'âme, et que, d'autre part, elles peuvent également être répri-
mées et domptées par des moyens physiques. » Ainsi le vin et
les boissons spiritueuses combattent la tristesse et la crainte ;
certains champignons, en particulier les agarics, peuvent pro-
voquer des accès de violence et de rage ; le haschich détermine
un état joyeux, une gaieté qui va jusqu'à l'exubérance désor-
donnée ; les douches froides, les bains, calment les états de colère
et la violence, etc. (1)
Enfin, dit Lange, « si quelque chose peut démontrer d'une
façon évidente l'inutilité de l'h^rpotlièse d'une émotion purement
psychique, c'est assurément le fait suivant : les émotions peu-
vent se produire, sans être provoquées par aucune impression
extérieure, aucun accident qui puisse agir sur notre vie mentale,
aucun souvenir, aucune association d'idées ; elles se produisent
m optimo forma et souvent avec la plus grande intensité dans
certains états morbides acquis par l'organisme ou transmis par
les parents. » (2)
James voulant établir le bien fondé de la tliéorie physiolo-
gique est bien moins hardi et plus habile que Lange dans son
procédé. Il avance une présomption a priori en faveur de la
théorie, lui ajoute quelques traits confirmateurs, enfin s'attache
à écarter les objections qu'on pourrait soulever. Suivons-le dans
cette marche progressive. Tout d'abord il commence par poser
comme certains et au-dessus de toute contestation, ces deux faits :
1° tout changement corporel, quel qu'il soit, est senti, d'une ma-
nière vive ou d'une manière obscure, au moment même où il se
produit; 2° une émotion humaine, sans aucun lien avec le corps,
ne saurait exister.
Ceci admis, James avance cette présomption en faveur de sa
théorie : Une émotion étant supposée exister dans sa plénitude,
essayons par un effort spéculatif (James sait fort bien que con-
1. P. 102 et suiv.
2. p. 109-110.
230 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
crètement la dissociation qu'il demande est irréalisable) de re-
trancher les éléments de sensation de cet état émoti'Onnel, et de
dire ensuite quels en sont les éléments résiduels. Demandons-
nous ce qui demeure de l'émotion, après cette ablation mentale ?
« Quelle espèce d'émotion de peur resterait-il, s'il n'y avait ni
sensation de battements de cœur ou de respiration peu profonde,
ni sensation de chair de poule ou d'agitations viscérales ? Il m'est
absolument impossible, dit James, de le concevoir. Peut-on se
figurer l'état de rage sans le bouillonnement intérieur, la colo-
lation du visage, la dilatation des narines, le grincement des
dents, l'impulsion à une action vigoureuse ?... De même pour le
chagrin : que serait-il, sans ses larmes, ses sanglots, son op-
pression du cœur, son angoisse dans le sternum? » (1) A la place
de la peur, de la colère, de la tristesse, il ne restera plus qu'une
perception cognoscitive pâle et décolorée, un jugement abstrait
d'après lequel tel objet sera froidement constaté comme dange-
reux, regrettable, affligeant. — Ainsi l'émotion, apparaît à la ré-
flexion, comme constituée seulement par la sensation des mouve-
ments et variations organiques.
Mais cette conception de James n'est, jusqu'ici qu'une hypo-
thèse. « Elle peut être vraie, dit-il, mais rien de plus, et il s'en
faut de beaucoup que la preuve définitive en soit faite. Le seul
moyen de montrer qu'elle est fausse serait de prendre une émo-
tion et d'y faire voir des qualités de sensation purement spiri-
tuelles dont on prouverait qu'elles s'ajoutent à toutes celles qui
peuvent provenir des organes affectés au même moment. » (2)
— « D'autre part nous obtiendrions une preuve positive de la
théorie si nous pouvions trouver un sujet absolument anesthésié,
intérieurement et extérieurement, mais non pas paralytique, de
telle sorte que les objets capables de provoquer l'émotion puis-
sent susciter de sa part les expressions corporelles ordinaires, et
qui, interrogé, affirmerait qu'il n'a ressenti aucune affection émo-
tionnelle subjective. » (3) Cette expérience, dite « cruciale » est
d'ailleurs impossible à trouver, puisqu'une anestliésie complète
supprimerait les réflexes et la \'ie (-4). James cite pourtant trois
cas d'anesthésie presque complète, où malheureusement pour son
interprétation — on a le droit de s'étonner qu'il invoque ces cas
— des états émotionnels se sont manifestés malgré l'anesthésie.
1. Ouv. cit., p. 64-65.
2. Ibid.. p. 70.
3. Ibid, p. 71.
4. G. Dumas. Intmrluction à La théorie des émotions de Lange, p. 10.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 231
A défaut de preuve positive, James avance, en faveur de la
théorie, des probabilités qu'il fait valoir en réfutant les princi-
pales objections que cette théorie soulève (1).
Vous n'avez, lui dira-t-on, aucune preuve évidente à l'app^ii
de ce postulat que des perceptions particulières produisent effec-
tivement des effets corporels très étendus par une SDrte d'in-
fluence immédiate, antérieure à l'apparition d'une émotion 'OU
d'une idée émotionnelle. — Au contraire, répond James, les cas
sont fréquents où les mouvements et réflexes physiques suivent
immédiatement la perception, sans aucun intermédiaire : la nar-
ration d'un fait héroïque nous envahit d'émotion comme une
vague soudaine ; une forme noire se mouvant dans l'ombre nous
fait brusquement trembler ; tel enfant en bas âge s'évanouit en
voyant un cheval saigner ; telle personne ne peut rester sans
frayeur près d'un canon qu'on tire, tout en sachant fort bien qu'il
n'y a aucun danger pour elle. Enfin la pathologie mentale —
c'est le même argument que celui de Lange — nous offre des
cas de phobies, d'accès de fureur, de joies délirantes, etc., dans
lesquels l'émotion n'a pas d'objet.
Si votre théorie est vraie, objectera-t-ion encore à James, on
devrait éprouver toutes les émotions dont on imite l'expression
physiologique ; or ce n'est pas le cas, puisqu'un acteur peut fort
bien simuler une émotion, tout en ne l'éprouvant d'aucune façon
cà l'intérieur. — James répond que la plupart des émotions sont
inimitables complètement, car elles possèdent des manifestations
physiques se produisant dans des organes que la volonté ne peut
aucunement influencer. Mais dans la mesure où l'expérience est
possible, elle paraît plutôt confirmer la thèse. En effet la fuite
aggrave une panique ; chaque accès de sanglots rend le chagrin
plus intense; dans la colère, nous nous « montons » jusqu'au
paroxysme par des explosions répétées d'expressions. Refusez-
vous à exprimer une passion, elle meurt ; comptez jusqu'à dix
avant de donner libre cours à votre colère, et ce que vous allez
faire vous semblera ridicule. Sifflez en passant dans un bois et
votre courage reviendra. D'autre part, enfermez-vous dans votre
chambre, restez assis dans une attitude languissante, apitoyez-
vous sur les hommes et les choses, répondez à tout d'une voix
dolente, et votre mélancolie s'accentuera. Au contraire, voulez-
vous chasser celle-ci : « Prenez un air réjoui, donnez une ex-
pression vive à votre œil, tenez-vous droit plutôt que courbé,
1. Ouv. cil., p. 74 et suiv.
232 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
parlez sur un mode majeur, faites des compliments enjoués, et il
faudra que votre cœur soit vraiment de glace, s'il n'arrive pas à
îse fondre peu à peu. » Quant aux acteurs, c'est une opinion ré-
pandue qu'ils n'éprouvent pas les émotions qu'ils imitent ; mais
James cite des témoignages contraires. Coquelin reste froid, c'est
entendu ; mais « le titanique Edwn Forest a assuré que le rôle
d'Othello le terrassait toujours. » La contradiction peut da reste
avoir une explication, et celle ci tourne à l'avantage de la théorie.
« La partie viscérale organique de l'expression peut se supprimer
chez certains hommes, mais non pas chez d'autres, et c'est de là
que dépend probablement la partie essentielle de l'émotion res
sentie. »
En résumé, les preuves positives apportées par la théorie phy-
siologique pour exclure du constitutif de l'émotion tout élément
psychique spécifique se ramènent à ceci : une émotion peut être
provoquée, in forma compléta, par la seule mise en jeu des phé-
nomènes physiologiques, que ceux-ci se déploient par l'interven-
tion immédiate de la représentation, par action directe sur eux,
ou par un mécanisme prédisposé et héréditaire. Et l'on tire cette
conclusion : Vémotion n'est pas autre chose que la conscience, la
cénesthésie des réflexes et autres mouvements somatiques.
En ne séparant pas James de Lange dans cet exposé de la
théorie physiologique de l'émotion, nous n'oublions point pour
cela leurs divergences, pas plus que celles d'autres partisans de
la même théorie : MM. Sergi, Sollier, Revaut d'Allonnes, etc.
Mais ces divergences sont accidentelles vis-à-vis de la théorie
générale. Elles portent seulement sur la question de savoir quels
sont, parmi les phénomènes physiologiques, ceux qui sont pre-
miers et déterminatifs des autres, indispensables et même spéci-
fiques dans leur ordre (1). Notons seulement au passage que,
pour Lange, les divers réflexes qui sont les facteurs de l'émotion
dépendent principalement de l'appareil circulatoire : si une re-
présentation, ou même une prédisposition héréditaire, provoque
des réflexes vaso-moteurs, c'est-à-dire un rythme anormal du
cœur, modifiant l'irrigation sanguine du cerveau, des viscères,
de la peau, il s'en suit des modifications dans l'activité fonc-
tionnelle des organes, et l'ensemble des sensations qui en ré-
1. Cf. Rev. des S'j. Phil. et theol. Bulletin de Psychologi-i, loo. cH. où nous
ayons résumé les principales divergences entre partisans de la théorie phy-
siologique, ri 'après un article de M. Eevaut d'Allonnes, paru dans le Journal
de Psychologie normale et palholopique : L'explication phi/siolojique de l'émo-
tion; janvier-février 1906, p. 14-25; mars-avril, p. 132-157.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 233
sultent constitue l'émotion. Bien que saint Thomas soutienne
une théorie générale tout autre que celle de Lange, néanmoins
il est d'accord avec lui — nous le verrons — sur la physiologie
même de l'émotion.
2. —"^Théorie INTELLECTUALISTE.
Au dire de M. Ribot, « la théorie intellectualiste, qui est de
vieille date, a trouvé sa plus complète expression dans Herbart
et son école ». (1)
On sait en effet que la psychologie d'Herbart a ceci de parti-
culier qu'elle prétend expliquer tous les phénomènes psycholo-
giques par les seuls éléments de la connaissance (2), Entraîné
par le désir de faire de la psychologie une science exacte, à expres-
sion mathématique, ce philosophe s'efforce de ramener toute
pluralité apparente des événements de conscience à ane unité
réelle qui les explique, et cette unité en laquelle tout se résume,
c'est la représentation. C'est ainsi que la volonté et le sentiment
ne sont que des résultantes d'idées en conflit. « Pour Herbart, tout
état affectif n'existe que par le rapport réciproque des représen-
tations ; tout sentiment résulte de la coexistence dans l'esprit
d'idées qui se conviennent ou se combattent ; il est la conscience
immédiate de l'élévation ou de la dépression momentanée de l'ac-
tivité psychique, d'un état de tension libre ou entravé, mais il n'est
pas par lui-même ; il ressemble aux accords musicaux et disso-
nances qui diffèrent des sons élémentaires, bien qu'ils n'exis-
tent que par eux. Supprimez tout état intellectuel, le sentiment
s'évanouit : il n'a qu'une vie d'emprunt, celle d'un parasite. » (3)
Herbart est amené à cette conclusion parce qu'il conçoit les
représentations comme des forces, dont l'entrejeu se règle selon
des rapports mécaniques : heurt, équilibre, arrêt, accélération.
« Lorsqu'une représentation franchit le seuil de la conscience et
s'élève, il se produit un état qui, dans la langae commune des
psychologues, s'appelle un acte intellectuel. Si, aa contraire, la
1. La Psychologie des sentimerits (Préface, p. IX). Paris, Alcan. — On trou-
vera une très bonne exposition de la théorie intellectualiste dans l'Intro-
duction du Dr G. Dumas à La théorie de l'émotion, par W. James, ouv.
cit. 1 I. ' -
2. PsycholoçjiP als Wissenschaff, neu gegriindet auf Erfàhrung, Metaphysik
und Mathemafil-. Tome VI des œuvres complètes, édit. Harstentein. — Con-
sulter sur la philosophie d'Herbart : Th. Ribot, La Psychologie allemande
contemporaine, Paris, Alcan, 1879; — H. Hôffdixg. Histoire de la philosophie
moderne. Tome II. Paris, Alcan, 1906.
3. Ribot. La Psychologie des sentiments. Préface, p. IX.
■234 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
somme d'arrêt s'accroît, la représentation est refoulée au-dessous
du seuil ; l'acte intellectuel cesse. Mais il peut se présenter un
autre cas : supposons qu'une représentation existe dans la cons-
cience ; si deux autres représentations de force égale et con-
traires tendent l'une à la refouler, l'autre à l'élever, il se pro-
duit un état d'équilibre. Cet état, qui résulte, on le voit, d'un
rapport entre les représentations, produit un sentiment » (1). Voilà
pourquoi Herbart peut dire : « Le sentiment (Gefilhl) se produit
lorsqu'une représentation reste dans la conscience par suite d'un
écjuilibre entre les forces qui l'arrêtent et celles qui tendent à
l'élever. » (2) Et Linder, fervent herbariien, donne cet exemple :
« Si nous prenons un sentiment tel que l'affliction causée par la
perte d'un ami, l'idée de cet ami est prise comme dans un étau
entre deux idées : celle de sa mort qui tend à produire un arrêt,
celle de ses bienfaits qui tend à un effet contraire. » (3)
Le psychologue autrichien Nahlowsky a exposé avec beaucotip
do talent la théorie intellectualiste de l'émotion et s'en est fait
l'ardent défenseur (4).
Il commence par éliminer de son explication tout ce qui, dans
l'affectivité, n'est pas réductible à des rapports de représenta-
tions : la fatigue, la faim, la soif, en un mot toutes les impressions
de la sensibilité organique. Il élimine encore certains états pro-
venant de la distraction, de l'amusement qui, eux aussi, ne s'ex-
pliqTieraient point par l'action réciproque des représentations,
mais par des causes différentes, comme l'action du monde exté-
rieur sur les représentations. Quant aux véritables sentiments,
il les explique en disant qu'ils ne sont pas, à proprement parler,
quelque chose de réel (etivas), mais une simple manière d'être,
agréable ou pénible, résultant de la coexistence et de l'interac-
tion, dans l'esprit, des représentations qui s'accordent ou ne s'ac-
coident pas. L'hypothèse fondamentale de la psychologie d'Her-
bart, que les représentations sont des forces qui luttent entre
elles, devient, chez Nahlowsky, le principe fondamental de sa
théorie de l'affectivité. « Les réactions récipioques des représen-
tations, dit il, se rangent sous deux chefs, et sont on des arrêts
réciproques ou des accélérations réciproques...; or, le sentiment
1. Cité dans Ribot. La l'sych. allemande, p. 22.
2. Ibid.
3. Lehrbuch der empirischen Psychologie, p. 117.
4. Nahlowsky. Das Gefilhlslehen in seinem wesentUchsten Erscheinungen
und Bezugen, Leipzig, 2e édit., 1884.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 23o
est toujours la conséquence de ces arrêts ou de ces accéléra.-
tjons. » (1) I I
^ ■' I i
On se dira peut-être, ajoute-t-il, « que l'arrêt ou l'accélératiDn
réciproque des représentations ne peuvent pas suffire à eux
seuls pour expliquer le sentiment ; en effet, si chaque arrêt ou
accélération avait un sentiment pour conséquence, l'homme se-
rait sans cesse agité par des sentiments, étant donné qu'à aucun
moment l'âme n'est en état de complet repos... Il doit donc y
avoir un facteur plus profond, une autre cause, d'où il résulte
que tantôt le sentiment se joigne à une accélération ou à "an
arrêt, et que tantôt il ne s'y joigne pas. Quel est ce facteur ?...
Si l'arrêt ou l'accélération des représentations s'opère norma-
lement, et par suite sans entraves spéciales, il nous reste ina-
perçu, parce cju'il s'opère dans un temps infiniment court, non
mesurable pour nous. Les représentations s'élèvent ou s'abaissent,
deviennent plus fortes ou plus faibles, et à la vérité si vite que
nous ne nous en apercevons pas (2). » Si alors il arrive que
l'arrêt ou l'accélération des représentations ne s'opère plus de
façon automatique, cette modalité dans l'état général de l'àme
est perçue par nous, et prend ce caractère que nous appelons un
sentiment. « Par suite, dit Nahlowsky, on peut définir le senti-
ment comme la perception immédiate de l'arrêt ou de l'accélé-
ration entre les représentations actuellement présentes dans la
conscience. » (3)
Quant à l'influence des phénomènes physiologiques et phy-
siques sur les sentiments, Nahlowsky ne la nie point, mais il nie
sa prépondérance et l'explique en fonction de sa propre théorie,
disant que ces diverses modifications organiques doivent d'a-
bord agir sur le système nerveux et les représentations avant
d'agir sur les sentiments. « Tous les changements fonctiomiels,
écrit-il (nutrition, circulation, respiration) doivent nécessairement
produire des modifications trophiques et fonctionnelles des nerfs,
et postérieurement aussi une modification de l'état du système
ners^eux cérébral. Comme, d'autre part, tout état cérébral est
accompagné d'états psychiques correspondants, ainsi toute cette
suite de changements physiques doit en même temps modifier
essentiellement le cours des représentations, de telle sorte que
1. Ibid., p. 42.
2. Ibid., p. 40.
3. Ibid., p. 44.
23G REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
les états affectifs soient modifiés aussi, puisqu'ils reposent sar
des représentations. » •
Les phénomènes organjqnes n'ont donc qu'une influence tout
indirecte sur le sentiment ; celui-ci reste bien dans sa nature
tout intellectuel : il n'est par lui-même q'u'un mode de la repré-
sentation et rien que cela.
La théorie physiologiqtue et la théorie intellectualiste semblent,
de prime abord, radicalement divergentes. Pour la première, l'é-
motion est tout entière en fonction des modifications somati-
ques dont elle est la conscience conséquente et pas autre chose.
Pour la seconde, l'émotion est préalable h, ces mêmes modifi-
cations organiques, elle n'est qu'un mode de la représentati'on
qui les provoque et elle est complètement constituée elle-même
avant eux. Pourtant, à y regarder de près, les deux théories se
rencontrent en un point commun que nous nous plaisons à rele-
ver, afiii de faire mieux saisir l'originalité de la théorie thomiste
que nous esquisserons tout à l'heure. La théorie physiologique
et la théorie intellectualiste en effet se rejoignent en ceci que
toutes deux ramènent l'émotion à n'être qu'un phénomène de
représentation : conscience représentatrice de mouvements ou
troubles organiques (périphériques, cérébraux, viscéraux ou au-
tres) ; ou bien, conscience représentatrice de l'interaction har-
monieuse ou désordonnée des représentations elles-mêmes : des
deux côtés, l'émotion n'est point un fait psychologique spéci-
fique, mais relatif, ou, si l'on veut relationnel. Pour les intellec-
tualistes, la donnée émotionnelle, c'est la représentation elle-
même, mais modifiée dans son intérieur par son propre entre-
jeu ; pour les physiologistes, c'est la conscience représentative
consécutive à telle ou telle variation organique. Chez les uns et
chez les autres, l'émotion n'est donc qu'une représentation parmi
les autres représentations : représentation affectée de tel mode
que l'on voudra (1), consécutive à tel mouvement somatique
1. Dans son livre : De la Méthode dans la Psychologie des Sentiments,
Paris, Alcan, 1899, p. 176, M. Rauh. exposant la théorie intellectualisto
d'Herbart, ne veut pas qu'on reproche à oelui-ci d'avoir identifié qualita-
tivevient le fait de conscience-connaissance, et le fait-sentiment. — Sans
doute, dirons-nous, Herbart a distingué entre le fait de la connaissance brute,
et celui des complexus de représentations, affectés du ton-sentiment. Mais
s'il y a distinction, ce n'est qu'une distinction modale. Il reste que pour
Herbart et les intellectualistes, le sentiment est bien dans Vordre spécifique
do la représentation, dont il n'est qu'une modalité : l'en distinguer spécifi-
quement serait atténuer, sinon contredire, semble-t-il, l'originalité même de
la position intellectualiste.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 237
que roii voudra, mais, en fin de compte, représentation, tou-
jours.
Cette coïncidence inattendue entre les deux théories ferait vo-
lontiers présumer la position incomplète que l'une et l'autre ont
prise dans la question. Celle-ci, en effet, ne serait-elle pas de
déteiTniner la nature de l'émotion, de se demander ce qu'elle est,
quels sont ses caractères propres dans l'ensemble des faits psy-
chologiques, et non point ce qui est senti, éprouvé, ce qui se pré-
sente dans la conscience, quand l'événement émotionnel se pro-
duit ? — Mais, dirat-on, à supposer que la question de la nature
de l'émotion ne soit pas assez nettement posée, aussi bien par la
théorie physiologique quo par la théorie intellectualiste, il reste
néanmoins que l'une et l'autre l'ont définitivement résolue, cha-
cune en leur sens : l'émotion n'est pas un phénomène psycho-
logique spécifique, mais relatif à la représentation : mode de la
représentation pour les intellectualistes, sensations représenta-
tives de tel ou tel mouvement organique pour les physiologistes.
Or nous ne croyons pas ces solutions définitivement établies
dans ce qu'elles ont d'exclusif. Nous pensons, au contraire, que
leurs résultats, d'ailleurs si considérables et si savamment acquis,
ne servent qu'à renforcer la position d'une troisième théorie, —
celle de saint Thomas — qui, d'une part, a la prétention de se
distinguer nettement des deux précédentes, car elle affirme la
spécificité du fait émotionnel, mais qui, d'autre part, ne répugne
pas le moins du monde à admettre, au profit de sa propre explica-
tion, et à leur place respective dans celle-ci, les analyses et les
expériences fournies par la théorie intellectualiste et par la théorie
physiologique.
II
LA THÉORIE DE L'ÊMOTION SELON SAINT THOMAS
Méthode d'investigation : Introspection et analyse objective.
Avant d'exposer la théorie de saint Thomas sur la nature de
l'émotion, une question préliminaire se pose : A quel point de vue
se place-t-il, quelle méthode d'investigation emploie-t-il, dans son
étude des phénomènes émotionnels ?
Part-il d'un a priori, ou bien d'une induction 3. base expé-
^38 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
rimentale ? — La réponse n'est point douteuse pour quiconque
voudra lire, sans idée préconçue et scolastico-phobe, le Traité
des Fassions de la Somme Théologique. On y verra — et la
suite de ce travail le montrera — que l'observation objective,
dont il fait son point de départ, est suffisamment vaste et com-
plète.
Mais l'observation elle-même peut être exclusive. Et quand il
s'agit d'un phénomène mixte, comme celui de l'émotion, qui peut
s'envisager d'un point de vue psychologique et d'un point de vue
physiologique, il y a lieu de voir lequel prévaudra et s'il faut
s'en tenir, pour découvrir la nature de ce fait complexe, à la
seule donnée physiologique, comme font les modernes partisans
de la thèse physiologique, ou à la seule donnée psychologique
comme inclinent à le faire de préférence les intellectualites, ou
bien enfin s'il ne vaut pas mieux qu'à la complexité du fait ré-
ponde la complexité de l'analyse et de l'observation.
Ici encore la réponse n'est pas douteuse. Saint Thomas envi-
sage parallèlement les deux côtés du j^roblème et les fait con-
courir à son explication, sans exclusivisme aprioristique. D'ail-
leurs, en cela, il ne fait que reprendre à son compte la méthode
d'Aristote.
Celui-ci, au début du chapitre premier du hepi >J'ïxh2, — si
suggestif au point de vue de la méthode en psychologie — tranche
résolument la question. Après avoir énuméré toutes les difficul-
tés d'une étude de l'âme,^ celles surtout qui ont trait aux pas-
sions, cfui n'appaiiiennent pas à l'àme seule, mais au composé, et
qu'il nomme, à cause de cela, des lôyoi h-Aol, des formes réa-
lisées dans la matière, après avoir dit qu'en raison de cet aspect
matériel c'est au physicien qu'il appartient d'étudier ces affections
de l'àme, Aristote se demande quel est le véritable physicien.
« Est-ce celui, dit-il, qui ne s'attache qu'à la matière et qui ignore
la forme, ou celui qui ne considère que la forme ? Ou plutôt ne
faut-il pas penser que c'est celui qui fait entrer l'mie et l'autre
[dans sa définition] ? » (1) Pour Aristote. comme nour saint
Thomas qui, dans son commentaire, approuve le Stagyrite, c'est
cette dernière alternative qui est la seule vraie et légitime. De
sorte, disent-ils d'un commun accord, que les définitions qui
concernent les passions devront être telles qu'elles renferment
1. tîs ovv 0 (pvatKàs toôtwv ; wÔTepov o irepl Trjv vXrji'. tov de \ôyov àyvoûii', rj o nepl rbv
\byov /làvov ; i} fiâWov à e't àfi<poïv. çKelvuiv ôè ôi] ris éKàrepos ; A, 1, 403 b.. 7-9.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 239
les deux éléments, l'élément formel ou psychique et l'élément
matériel ou physiologique (1).
Mais si Aristote et saint Thomas considèrent la définition
d'une chose comme l'expression formulée de sa nature intime
et l'aboutissant d'une induction qui, partant des propriétés ma-
nifestées d'une nature, conclut à cette nature même ; si, d'autre
part, dans le cas présent, la définition adéqtiate de l'émotion ou
passion doit comprendre les deux aspects inséparables, psy-
chique et physiologique, qu'elle renferme, il est hors de doute
que l'induction préalable devra se baser sur ime étude parallèle
de ces deux aspects.
Nous dirions aujourd'hui : pour saisir dans sa complexité ce
donné mi-psychique, mi-organique, qu'est l'état émotif, il faut
que l'observation introspective ou subjective, et robservation
objective ou physiologique se combinent et s'harmonisent ; il
faut que l'aspect psychique ne soit point éliminé de la considé-
ration au profit de l'aspect physiologique et vice versa. Tout ex-
clusivisme sur ce point est un vice radical de méUiode.
U Kinotion et les autres pliénomènes psychologiques.
Rôle de la connaissance dans le cycle émotionnel.
Maintenant que nous connaissons la position scientifique prise
par saint Thomas en face du problème de l'émotion, voyons
comment il entreprend de le résoudre.
Quel que soit le point de vue où l'on se place pour étudier I0
phénomène émotif, qu'on l'observe du dehors ou du dedans, ou
ce qui vaut mieux, des deux côtés à la fois, il apparaît a,vec
des caractères propres qui l'isolent et le distinguent de tous les
autres phénomènes psychologiques.
On sait que ceux-ci, pour saint Thomas, se rangent en un cer-
tain nombre de groupes irréductibles. Les phénomènes psycho-
logiques sont ou bien des phénomènes de connaissance ou bien
des phénomènes d'appétition. Cette distinction est motivée par
le caractère centripète des premiers (dans la représentation les
choses viennent dans l'âme, qui dans son rapport avec celles-ci
est particulièrement passive), s'opposant au caractère centrifuge
des seconds (dans l'appétition l'àme tend vers les choses d'une
1. Aristote : f' S'ourois t'xei, ^T]Kov ôtl rà Trdd'ri \6yoi ëvvXoi eiaiv. ioare oi opoi tolovtol...
(A, 1, 403a, 24-20); et S. Thomas :... illa (definitio' passioiiis) quae ex
utrisque est, s^ilicet ex materia et forma, est magis naturalis. (De anima,
Lib. I, Lect. 2).
240 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
façon particulièrement active). Ces deux classes de faits irréduc-
tibles se divisent à leur tour en raison de leur objet radicalement
distinct : abstrait et universel d'une part, concret et particulier
d'autre part. Il y a donc ainsi quatre groupes de faits dans la
psychologie humaine : les faits de représentation intellectuelle
et ceux d'appétition motrice de même ordre ; leur sujet est l'âme
seule qui les exerce indépendamment de l'organisme ; — puis
les faits de représentation sensible, et ceux d'appétition motrice
du même ordre ; leur sujet est mixte, c'est le composé : l'or-
gane animé dans la sensation, l'appétit moteur toujours accom-
pagné d'une altération corporelle dans l'appétition. Nous sup-
posons prouvée cette classification (1). On ne saurait en effet nous
demander d'engager la démonstration de toute la psychologie
thomiste à propos d'une question aussi spéciale que celle de
l'émotion.
Dès lors le problème qui se pose est celui de savoir à laquelle
de ces quatre classes de phénomènes psychologiques saint Tho-
mas rattache l'émotion. Est-elle un fait de connaissance ou un
fait d'appétition ? Et si elle est un fait d'appétition, est-ce d'ap-
pétition intellectuelle ou seulement sensible ? Suivons saint Tho-
mas dans son procédé pour l'établir.
L'émotion, nous dit-il, n'appartient pas aux facultés de con-
naissance mais aux facultés appétitives. Il en donne plusieurs
raisons. Retenons-en la plus immédiatement saisissable, parce
que la plus expérimentale. L'émotion ou passion a cela de carac-
téristique qu'elle se présente toujours accompagnée de mouve-
ments organiques et corporels — saint Thomas déterminera en
détail le rôle exact de ceux-ci dans les divers états émotifs ;
dans cet argmnent d'ensemble il les constate seulement comme
intégrant toute émotion. — Or des mouvements organiques et cor-
porels ne peuvent être que par l'appétit, seule faculté motrice,
et si la connaissance semble exciter pareils mouvements, ce ne
peut être que par l'entremise de l'appétit. La passion appartient
donc à la classe des phénomènes appétitifs et non pas à celle des
phénomènes de connaissance (2).
1. Voir Sum. TJieol, I* P., qu. LXXIX, art. 1.
2. « Passio animalis, cum per eam ex operatione animae, transmutetur
corpus, in illa potentia esse débet quae organo corporali adjungitur, et cujus
est corpus transmutare; et ideo hujusmodi passio uoti est in parte
intellectiva, quae non est alicujus organi corporalis actus ; nec iterum
est in apprehensiva sensitiva, quia ex apprehensione sensus non se-
quitur motus in corpore nisi mediante appetitiva, quae est immediatum
L. 'ÉMOTION SELON LES MODERNES ET S. THOMAS 241
Mais si la passion est proprement un phénomène appétitif,
cela ne veut point dire q;ue, pour saint Thomas, l'appréhension
OU connaissance ne joue un rôle dans l'ensemble du cycle émo-
tionnel. Ce rôle est au contraire prépondérant et indispensable,
bien que la connaissance, en tant que telle, n'entre point dans le
constitutif même de l'émotion. Avant d'aller plus loin dans l'a-
nalyse de celle-ci, il nous faut, avec saint Thomas, préciser l'in-
ter\'ention de la connaissance dans l'état émotif ; ce sera d'ailleurs
une façon indirecte et négative de corroborer cette première af-
firmation : l'émotion ou passion n'est pas un phénomène de re-
présentation, mais un phénomène appétitif.
Quel est donc au juste le rôle de la connaissance dans la
passion ?
A priori, comme a posteriori, il faut convenir tout d'abord
que si la connaissance intervient, il ne saurait être question de
la connaissance spéculative ou théorétique, mais seulement de
la connaissance pratique, ordonnée immédiatement à l'action,
pour laquelle elle fournit des motifs de convenance ou de discon-
venance vis-à-vis du bien ou du mal du sujet. Pour saint Thomas,
il n'y a pas, à strictement parler, de passions intellectuelles. Le
spéculatif pur peut être un passionné, tel le métaphysicien qui
se fâche parce qu'on récuse ses conclusions ; mais il est clair
qu'il se fâche non pas à cause des idées discutées, mais seule-
ment à cause des raisons pratiques de faire adopter sa spécula-
tion. La connaissance théorétique ou spéculative, en tant que
telle, ne fait donc point partie du cycle émotionnel. Celui-ci ne
comprend que la connaissance pratique, c'est-à-dire présentant
des motifs de bien ou de mal pour le sujet qui connaît.
^lais quel est le rôle de cette connaissance, ainsi précisée, dans
l'état émotif ? Le voici : elle est à la fois antécédente et paral-
lèle à l'émotion.
Tout d'abord elle est antécédente, parce que c'est elle qui dé-
tennine et provoque l'émotion. Mais ici il y a lieu de distinguer,
nous dit saint Thomas, entre la passion dite passion psycholo'
giqxie et la passion dite passion corporelle, par exemple entre la
tristesse et la douleur physique (1). Dans la passion psycholo^
moyens. » De veritate, qu. XXVI, art. III. — Voir encore Summa Theol.,
T* 1I^^ qu. XXII; art. II; — III 6'e»^. dist XV, qu. II, art. I, qu. 2;
— De Div. Nom., Cap. II, lect. IV; — II Ethic, lect. V.
1. Pour la distinction entre la « passio animalis » ou « passio animae »
et la « passio corporalis » voir De Veritate, qu. XXV, art. IX, et qu. XXV^T,
art. II, III, IX.
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 2. 16
242 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
gique (celle préàsément dont nous essayons, avec saint Thomas,
de recliercher la nature dans cette étude), la connaissance ou re-
présentation présente les raisons de bien ou de mal, auxquelles
suivent immédiatement le mouvement appétitif et conjointement
le mouvement organique, tous deux caractéristiques de l'émotion,
comme nous le verrons. Par exemple, la joie ou la tristesse sont
provoquées par une représentation directe ou une imagination
ou un souvenir ; à cette présentation succède immédiatement une
estimation de convenance ou de disoonvenance, d'avantages ou
de dangers, et le phénomène émotiomiel se déclare (1). Dans la
passion corporelle, la connaissance joue encore le rôle de cause
déterminante et provocatrice, mais, cette fois, elle n'est pas en
première ligne. Soit par exemple le plaisir physique éprouvé quand
après un refroidissement le corps se réchauffe devant le feu et
revient à sa température normale, ou encore la douleur physique
qui accompagne une lésion organique. Dans ce cas l'appréhen-
sion est encore déterminante, mais elle n'est pas en première
ligne ; ce qui est au commencement c'est la lésion organique ou
le phénomène thermique, appréhendés par le sens du tact (2).
Cette sensation agréable ou douloureuse peut d'ailleurs provo-
quer à son tour une véritable passion psychologique, joie ou
tristesse, en faisant surgir, par association, une connaissance
estimative de bien ou de mal, d'avantages ou de désavantages
pour le sujet; alors le choc appétitif et le mouvement sjmatique
caractéristiques de l'une ou l'autre émotion se déclarent. Ainsi
donc, dans la genèse de l'émotion, que la connaissance ou repré-
sentation soit à la première ou à la seconde étape, elle est tou-
jours cause antécédente et déterminante.
Mais de plus, avons-nous dit, la connaissance est parallèle et
concomitante à l'émotion ; et ceci ne souffre aucune difficulté.
Si, comme nous l'avons préjugé, en nous réservant de le déclarer
plus explicitement tout à l'heure avec saint Thomas, la passion
1. « ... passio (animalis) sicut in proprio subjecto est in appetitiva sensuali,
sed est in apprehensiva quasi causaliter, in quantum ex objecto apprehenso
motus passionis in appetitiva consurgit. » De Vrrit., qu. XXVI, art. IX, ad 5. —
Cf. Summa TheoL, I 11^% qu. XXXV, art. 1. — qu. XLI, art. III; —
qu. XLV, art. III et IV; — qu. XLVIII, art. II.
2. « ... tristitia et dolor hoc modo differunt : quod tristitia est quaedam
passio animalis, incipiens scilicet in apprehensione nocumenti, et terminatur
in operatione appetitus et ulterius in transmutatione corporis: sel dolor est
secundum passionem corporalem, unde Augustinus dicit (XIV De Civitate
Dei, cap. VII, in fin.) quod dolor usitatius in corporibus dicitur; et ideo
incipit a laesione corporis, et terminatur in apprehensione seiisus tactus, prop-
ter quod dolor est in sensu tactus ut in apprehendente, ut dictum est in
corp. art. » De Verit., qu. XXVI, art. III. ad 9.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 243
est un acte de l'appétit, accompagné de modifications organiques,
il est clair que ce phénomène appétitif est connu dans la cons-
cience avec sa modalité et qualité propres, de même que les va-
riations somatiques externes ou internes sont perçues, éprouvées,
senties, connues par le sens du tact ; car on sait qae pour saint
Thomas le tact n'est pas seulement périphérique, mais encore
interne et musculaire.
Ce rôle de la représentation dans l'émotion est très important
à remarquer. En effet, si la passion proprement dite peut être pro-
voquée non seulement par une connaissance interne ou externe
mais encore par une irritation organique, avec, comme intermé-
diaire, l'appréhension tactile de celle-ci ; si, d'autre part, comme
nous le verrons, toute passion véritable s'accompagne nécessai-
rement de mutation corporelle, laquelle est sentie et éprouvée
dans la conscience, toutes les expériences et observations des
physiologistes modernes trouvent leur explication. On a raison
de dire qu'une émotion peut, dans certains cas, se déclarer, dès
que l'on provoque artificiellement des modifications organiques,
et saint Thomas n'y contredit pas. Par ailleurs, il y a loin de ce
fait à une théorie qui restreindrait l'émotion à n'être qae la con-
science des réflexes organiques. Mais n'anticipons pas.
L'émotio7i, phénomène appétitif, mi-psychique, mi-organiqtie.
Il résulte de ce qui précède que la représentation ou connais-
sance est, selon saint Thomas, un facteur important du cycle
émotionnel : elle est déterminatrice et antérieure, concomitante
et parallèle à l'émotion ; mais il résulte aussi qu'elle n'entre pas
dans son constitutif; elle lui est nécessaire, mais reste en dehors
d'elle : Vémotion n'est formellement qu'un phénomène appétitif.
Mais encore il y a lieu de restreindre dans les facultés appé-
titives le champ de l'émotion. On sait que saint Thomas distingae
deux facultés appétitives : l'appétit intellectuel ou volonté et
l'appétit sensible. Or, pour saint Thomas, il n'y a véritable pas-
sion que dans l'appétit sensible, celui-ci seulement pouvant s'ac-
compagner de mouvements organiques, caractéristiques de la
passion. Si donc on parle de passions dans la volonté, comme le
fait le langage courant, c'est par analogie, en raison de la ressem-
blance des effets ; ainsi nous appellerons colère le vouloir de la
vengeance, haine, le vouloir du mal en autrui ; mais tous ces
vouloirs ne sont pas des passions proprement dites, mais des vou-
244 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
loirs tout net (1). Sans doute, un entre-jeu peut exister et existe
entre l'appétit rationnel et l'appétit sensible ; ils peuvent, dans le
même individu, se provoquer réciproquement ou se prolonger l'un
l'autre, et plus ou moins, selon les tempéraments natifs et les
habitudes acquises, car ils sont les facultés d'une seule et même
âme, dans l'unité du même composé. On peut vouloir le bien
moial rationnel avec un tel enthousiasme, que l'on vibre tout en-
tier, secoué d'une profonde émotion. La charité pour Dieu la plus
spiritualisée épanouit de ravissante joie le visage des saints et
leur fait verser des larmes de bonheur. Mais il est clair que dans
ces cas l'appétit supérieur n'est moteur de l'organisme qrie par
Tentremise de l'appétit sensitif, facteur immédiat de toute modi-
fication corporelle (2).
C'est donc dans les limites de l'appétit sensitif, seul capable de
provoquer un mouvement organique, qu'évolue le phénomène
émotionnel.
Maintenant que nous avons restreint le domaine de l'émotion
en l'isolant des faits de représentation et des vouloirs intellec-
tuels, il reste à voir ce que saint Thomas pense de sa nature
intime. Après avoir montré ce quelle n'est pas, il faut montrer
ce qu'elle est.
A vrai dire, nous l'avons déjà établi indirectement par les éli-
minations précédentes, et il suffira de l'expliciter.
1. « Passio proprie invenitur ubi est transmutatio corporalis. Quae (luidem
invenitur in actibus appetitus seasitivi; et nou solum spiritualis, sicut est in
appreheusione sensitiva, sed etiam naturalis. In actu autem appetitus in-
tellectivi non requiritur aliqua transmutatio corporalis : quia hujusmodi ap-
petitus non est virtus alicujus organi. Unde patet quod ratio passionis magis
proprie invenitur in actu appetitus sensiti\'i quam intellectivi. » Summa theol.,
la II ae q^^ XXII, art. III; — « Amor et gaudium et alia hujusmodi, cum
attribuuntur Deo, vel angelis, aut hominibus secundum appetitum intellec-
tivum, significant simplicem actum voluntatis, cum similitudine effectus, abs-
que passione. » ibid., ad 3. — Cf. qu. XLI, art. I; — De Verit., qu. XXVI,
art. IIÏ.
Il va sans dire qu'en excluant la passion-émotion de l'appétit supérieur
ou volontaire, saint Thomas ne nie pas en celui-ci le sentiment, c'est-à-dire
la frnitio ou délectation supérieure qui suit dans la volonté l'exercice par-
fait des facultés intellectuelles. Pour saint Thomas l'affectivité déborde la
sensibilité et peut se rencontrer dans toute l'échelle des actes psychologiques.
Et c'est là un autre point de divergence entre saint Thomas et les modernes.
Tandis que ceux-ci, tout en ne posant leur théorie que comme une explication
des émotions dites grossières, ne désespèrent pas d'expliquer un jour de la
même façon les sentiments dits suvérieurs, saint Thomas, au contraire, refuse
d'identifier les émotions-passions et les sentiments supérieurs : ceux-ci sont
dans un ordre distinct de l'ordre de celles-là.
2. « Sicut in nobis ratio universalis movet mediante ratione particulari,
ut dicitur in III de Anima, ita appetitus intellertivus, qui dicitur voluntas,
movet in nobis mediante appetitu sensitivo. Unde proximum motivum cor-
poris in nobis est appetitus sensiti\'us. » Summa theol., I^ P-, c[a- XX, art.
I, ad 1.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 245
Pour saint Thomas, l'émotion ou passion est un phénomène
psychologique spécifique, c'est à-dire ayant des caractères pro-
pres qui le distinguent de tout autre phénomène psychologique.
D'autre part, ce fait spécifique est un fait complexe, mi-psy-
chique, mi-organique et plus précisément un acte de l'appétit
sensible toujours et essentiellement accompagné de modifications
corporelles. Un acte de l'appétit sensible qui, — si c'était pos-
sible — ne serait pas accompagné d'une altération physiologi-
que, ne serait pas une véritable émotion, et réciproquement. Bien
plus, c'est en raison seulement de ces modifications et altérations
corporelles qu'un acte de l'appétit sensible mérite le nom de pas-
sion. « Passio... animalis, cum per eam ex operatione transmuta-
tur corpus, in illa potentia esse débet quae organo corporali ad-
jungitur, et cujus est corpus transmutari » (1). Saint Thomas
l'affirme en maints endroits, trop nombreux pour être cités, soit
en le disant de la théorie générale de la passion, soit de chacune
des passions étudiées en particulier, par exemple : « delectatio
habet rationem passionis, proprie loquendo, in quantum est cum
aliquâ transmutatione corporali » i2 1. Cajetan résumant la théo-
rie générale de saint Thomas dit : « Actus appetitus habent ra-
tionem passionis, secundum quod intervenit in eis aliqaa trans-
mutatio corporalis, et hujusmodi est annexa motui animae. » (3).
La passion est donc un fait spécifique, et, comme telle, elle est
un fait viixte ayant un aspect psychologique et un aspect physio-
logique. C'est pourquoi on ne peut comprendre positivement la
nature de la passion dans sa complexité, qu'en dissociant tout
d'abord ces deux aspects pour les analyser tour à tour, sauf à
les réunir ensuite dans leur unité foncière et vivante, en marquant
leurs relations nécessaires et réciproques.
Nous nous appliqpierons à cette analyse à la suite de saint
Thomas. On verra comment celui-ci sait user alternativement de
l'observation introspective et de l'observation objective et com-
ment les résultats qu'il obtient peuvent aisément s'harmoniser
avec les résultats que les physiologistes et les intellectualistes
modernes invoquent pour leur théorie respective. (A suivre).
Kain. H.-D. Noble, 0. P.
1. De Verit., qu. XXVI, art. III; — v; Actus appetitus sensitivi, inquan-
tuin habent transmutationem corporalem annexam passiones dicuntur. » Sum-
ma theol, l^ P.. qu. XX. art. I. al 1; — Cf. I^ TI c , qu. XXII, art. 1: ihid.,
qu. XLI, art. III; qu. XLV, art. III, etc., etc.
2. Summa theol., I^ TI^<^, qu. XXXI, art. IV, ad 2.
3. Comment, in I^ ll^^ gy XXII, art I.
La notion du Lieu
théologique
SUITE (l)
III
LES QUESTIONS THÉOLOGIQUES.
S'il y a parallélisme, il ne saurait y avoir conformité absolue
entre la théorie des Lieux dialectiques et celle des Lieux théolo-
giques. Les Topiques sont un traité de logique dont les ques-
ticns, comme les solutions, relèvent de l'analyse des termes
comme tels, de leurs propriétés et de leurs relations les plus
dégagées de toute matière. Les Topiques théologiques sont un
traité de logique spéciale, puisque la Théologie a une matière
déterminée par le point de départ de ses argumentations, à
savoir les vérités 7-évélées par Dieu. Melchior Cano l'a bien mar-
qué dans le texte qui sert d'épigraphe à ce travail : Quemadmodum
Aristoteles in Topicis proposuit communes locos... sic nos pecu-
liares quosdam Theologiae locos proponimus... L'application à
la Théologie des données qui constituent la théorie topique
d'Aristote, doit donc tenir compte de la matière spécifique de
la Théologie. Le parallélisme, si effectif qu'il doive tout à l'heure
nous apparaître, ne comporte qu'une ressemblance proportion-
nelle, analogique, entre les deux méthodes. C'est ce que nous
allons vérifier immédiatement à propos des Questions théologi-
ques (2).
1. Cf. Rev. des Se. FMI. et théol., Janvier 1908, p. 51 sv.
2. Faut-il dire : Prohlèmps ou Questions théologiques? En Topique, le mot
Problème ne fait pas difficulté. Le doute méthodique absolu, dont il éveille
l'idép, convient à une dialectique universelle. Les seules limites, à pren-
dre les choses en soi, que comportent ses points d'interrogation sont prises
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 24"
La Question théologique fondamentale, nous l'avons déjà établi,
est, en définitive, celle-ci : Telle énonciation est-elle révélée ? La
point de vue formel de la révélation est sous-entendu sous
les formules en apparences directes des diverses questions théo-
logiques, et en constitue le prédicat, unique et essentiel. Il suffit,
pour le manifester, de faire subir à renonciation interrogative
une modification analogue à celle dont la Logiqne établit la
légitimité pour la transformation des propositions modales de
re en propositions de dicto. Par exemple, demander en Théologie
si rame humaine est immor'telle, ou si le Christ a deux volontés,
c'est demander si Vimmortalité de l'âme ou les deux volontés
du Christ sont révélées par dieu.
Nous avons vu plus haut (1) Aristote précisant à priori la ques-
tion da prédicat, question fondamentale de la Dialectique, par
la détermination des quatre manières dont un prédicat peut con-
vem'r à un sujet. Ne pourrions-nous pas diviser la question théo-
logiqpie fondamentale d'après les manières dont, à priori, le prédi-
cat révélé peut convenir à une assertion donnée?
Le prédicat révélé peut être considéré de deux manières : 1°
dans sa nature générale de prédicat dialectique 2° dans sa nature
de prédicat dialectique spécial. Au premier titre, d'après ce que
nous avons longuement exposé dans la première section de ce tra-
vail, il possède deux propriétés : 1° il désigne une qualité du
sujet. Seule, en effet, la question de la qualité relève de la (dialec-
tique (2). 2° c'est un prédicat commun, extrinsèque à la nature
du sujet, relevant de ce moyen banal de prouver qu'est l'appro-
de l'absurdité, de la vanité des questions. Cependant, si l'on tient compte
des positions acquises situées au voisinage de la dialectique, on_ rencontre déjà
certaines limites extrinsèques qui défendent de soulever certaines questions,
par exeniple celles c£ui sont de nature à mettre en doute la morale ou la
religion. Cette pensée d'Aristote, Topic, 1. 1, c. IX, n. 9, édit. Didot, p. 179,
a été reprise et retournée sous tous ses aspects par San Severino, De itsu
duhitationis in scientiis, dans Philos, cliristiana ciun antiquâ et nova conipa,-
rata, vol. III, a. III-VI, p. 199-227. En Théologie, bien des solutions sont
fixées d'avance pour la foi, ou du moins pour la prudence chrétienne du
croyant. Le mot utrum, dès lors, ne va pas sans certaines réserves. Cf.
Cappom, in Summam theol. D. Thom. Aq., 1* P., Q. I, a. 1. Aussi l'appel-
lation de Questions théologiques, dont l'assonance est moins libertiste que
celle de Problème, a-t-elle prévalu. Ce qui n'empêche pas qu'on ne rencontre,
même en Théologie, ce que l'auteur des Concordantiae attribuées ta saint Tho-
mas, nomme un prohlema neutncm. Opusc. LXV (edit. Rom. LXXII), Opéra
S. Thom. Aq. Parma, 1864, t. XVII, p. 4U.
1. P. 62.
2. Cf. p. 56 et 59.
248 rtEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
bâti on de l'opinion, ici du témoignage (1). Essayons de déduire de
ces trois aspects les différentes questions théologigues communé-
ment énumérées par les théologiens.
I. — Questions naturelles et Questions surnaturelles.
Considérons d'abord le prédicat révélé comme Qualité, c'est-
à-dire comme destiné à affecter le Sujet de la question dont il
est le prédicat, d'un mode spécialisé. Le Sujet de la Question
théologique fondamentale est, nous l'avons dit, une proposition.
Le Christ a deux volontés, Dieu existe ; et cette question elle-même
demande si ces propositions sont révélées. Or, la qualité d'une pro-
position, comme telle, c'est sa vérité. Demander si une proposition
est révélée on n'est pas révélée, c'est, en somme, demander si elle
est vraie ou fausse, de ce genre de vérité que procure à une énon-
ciation le témoignage divin.
Mais, les propositions soumises à cette question peuvent être
de deux sortes. Tantôt elles possèdent, antérieurement à la ques-
tion, une vérité naturelle obtenue par la démonstration scien-
tifique ou un argument rationnel probable, tantôt elles deman-
dent à la révélation leur première qualification dans l'ordre du
vrai. Dan^ le premier cas, la révélation ne saurait affecter
qu'accidentellement la vérité des propositions qu'elle garantit :
dans le second cas, au contraire, elle peut avoir avec cette même
vérité un rapport nécessaire et essentiel. Les questions théologi-
ques qui visent à obtenir pour des propositions, déjà naturelle-
ment démontrées ou connues, le bénéfice de la vérité acciden-
telle que peut leur conférer la révélation, sont nommées par les
théologiens questions naturelles, en raison de la main-mise pre-
mière qu'a sur elles la raison naturelle (2). Les questions théolo-
1. Cf. p. 58.
2. A leur sujet, une explication, est nécessaire. On pourrait, en effet,
penser que ces questions naturelles ne sont théologiques que lorsque, abstrac-
tion faite des preuves rationnelles qni les appuient, on cherche à les résoudre
par la révélation. C'est là une erreur. Elles demeurent qiiestions théologiqi;es
alors même qu'elles demandent leur solution à la raison. Comment cela? Le
voici. Si, en suivant ce que nous avons nommé l'ordre naturel des réalités, la
raison passe avant la révélation, il n'en est pas de même au point de vue de
sa valeur comme critère de vérité. Ici, la révélation, manifestation directe de
la connaissance divine, règle de la nôtre, prime naturellement la raison. Lors
donc qu'il y aura communauté d'objet, une même question relevant des moyens
de preuv(> de l'une et de l'autre, la connaissance rationnelle ne saurait en
aborder la solution qu'en tenant compte de la valeur supérieure de la
révélation et en se réglant sur elle. La Raison n'est plus en ce cas rai-
son pure, mais raison théologique, c'est-à-dire, raison gouvernée et au be-
soin corrigée par les enseignements de la révélation. C'est ainsi qu'une ques-
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 249
giques qui tendent à obtenir pour des propositions, non accessi-
bles à la raison, le bénéfice du genre de vérité, essentiel pour
elles, qui ressortit à la révélation, sont nommées par les théo-
logiens, ([uestions surnaturelles (1).
II. — Questions topiques et Questions scientifiques.
Considérons maintenant le prédicat révélé dans le second de
ses caractères dialectiques, qui est d'être un prédicat commun
et extrinsèque à la nature intime du sujet. S'il est un cas où
ce caractère doive être accusé, c'est, à coup sûr, le cas où la pro-
position qui sert de sujet à la question, prétend exprimer le
Mystère divin en lui-même.
La note qualitative dont un prédicat commun et extrinsèque
est susceptible d'enrichir un sujet, est, nous l'avons dit, la proha-
bilité entendue dans le sens large de vérité essentiellement relative
à l'approbation que lui donne un témoignage extérieur autorisé.
Mais, la probabilité, si elle n'exclut pas la certitude absolue, qui
est située à sa limite supérieure, ne l'implique en aucune manière.
Les questions théologiques qui demandent à la révélation, prédi-
cat commun et extrinsèque, de qualifier certaines propositions
comme vraies, n'ont pas moins de droit à être comptées parmi les
questions théologiqiies lorsqu'elles visent à obtenir pour ces propo-
sitions une certitude relative, que lorsqu'elles ont en vue .me cer-
titude absolue. C'est là une conséquence de la nature dialectique
de lat héologie (2). De là résulte à priori ime nouvelle division des
questions théologiques, importante surtout pour les questions
surnaturelles, en Questions qui peuvent prétendre à obtenir une
solution probable absolument certaine et en Questions qui se
contentent d'une solution simplement probable. Et cette dernière
perspective, là où la certitude n'est pas de mise, n'est pas
à négliger en Théologie, si tant est que, selon le mot d'Aris-
tote rapporté par saint Thomas, cum de corporïbus coeles-
tlhiis quaestioîies possint solvi parvâ et topicâ solutione, contin-
tion. philosophique au premier chef, comme l'existence de Dieu, devient, alors
même qxi'elle attend sa solution d'arguments rationnels, une question vrai-
ment théologique. Et c'est là ce qui explique et justifie la présence, dans des
traités de pure théologie, de questions en soi philosophiques, comme celle de
l'existence de Dieu, à l'article III de la question II de la Somme Ihéologique,
dont les moyens de solution, empruntés à Aristote, mais dominés et conduits
par le mot de l'Exode rappelé dans le sed contra, sont de ce fait des moyens
de solution théologiques.
1, Cano. De Locis, I. XII, c. V.
2. Cf. p. 60-61.
230 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUEy
git aiiditori ut vehemens sit gaudium ejus (1). Or, en Théologie,
il s'agit de bien autre chose que de corps célestes. Ecce plus
quam Salomon hic ! Nous pourrons donc, de ce chef, di\dser les
questions théologiques, en questions topiques et en questions
scientifiques, prenant ici le mot Science dans son sens large
de connaissance absolument certaine, encore qu'elle ne soit pas
jjer causas.
III. — Questions de principes et Questions de conséquences.
Comme prédicat dialectique spécial, la Révélation a cela
de propre qu'elle est l'effet d'un témoignage divin. Ce témoignage
se réalise dans un certain nombre de propositions garanties par
Dieu, et qui reçoivent le nom de Dépôt de la Révélation. C'est à
ce Dépôt divin que viennent puiser tous les arguments théologi-
ques qui ser\^ent de réponse aux questions théologiques, lesquelles
doivent ce nom de questions théologiques précisément à ce
qu'elles ne demandent leur réponse, en dernière analyse, qu'à ces
divins lôyoï.
Or, la réponse aux questions théologiques, renfermée dans
ce Dépôt divin de la Révélation n'est pas nécessairement uni-
forme. Il peut arriver, en effet, que la proposition même qui sert
de sujet à la question se retrouve formellement énoncée dans le
Dépôt de la Révélation, qu'elle soit donc formellement révélée.
En ce cas la question n'a pas d'autre sens que celui d'une mise
à l'épreuve des principes mêmes de la théologie. C'est la ques-
tion dont Cano donne un exemple dans le chapitre XII de son XII^
livre De Locis, qpi'il intitule ainsi : Exemphim primum, uhi
principiiim theologiae in quaestionem vertitur. ]\Iais il peut arri-
ver aussi que la proposition qui fait l'objet de la question ne se
trouve pas formellement énoncée dans le Dépôt de la Révélation,
bien qu'on puisse l'en dégager à l'aide d'un raisonnement. On
dit, en ce cas, que la révélation de la vérité en cause est vir-
tuelle. Cano consacre à un exemple de ce genre de questions
le chapitre XIII de son XII^ livre, intitulé : Exemplum secimdum,
uhi Theologiae conclusio in quaestionem vertitur. Ainsi se trouve
justifiée à priori, la distinction de deux sortes de questions
surnaturelles, les unes tendant à faire qualifier comme immé-
diatement révélée la proposition qui sert de sujet à la question
théologique, grâce à cette proposition elle-même retrouvée au sein
1. Contra Goites, I. I, c. V.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 251
du Dépôt de la Révélation, les autres tendant à la faire qualifier
comme conséquence légitime de la vérité formellement révélée (1).
Avec cette distinction nous avons épuisé toutes les manières
dont le prédicat révélé peut être considéré dans la question
théologique fondamentale et dont, par conséquent, les ques-
tions théologiques peuvent être partagées à 'priori par une
méthode analogue à celle que suit Aristote dans la déduc-
tion qu'il fait des quatre grandes questions dialectiques. Nous
aboutissons ainsi à la reconnaissance du partage de la question
fondamentale de la Théologie en questions théologiques formelle-
1. Nous n'avons pas ici à insister sur les modalités des questions théologiqnes
de principes et de conséquences. Il n'est pas cependant tout à fait inutile d'en
dire deux mots, ne serait-ce que pour offrir une doctrine d'ensemble. En ce
qui concerne les questions qui mettent en cause une vérité formellement ré-
vélée, notons deux cas : lo le dictiim mis en cause est révélé non seule-
ment formellement, mais explicitement, et alors il n'y a pas, à proprement par-
ler, de question théologique le concernant. Les principes de la foi, qui sont les
éléments générateurs des solutions théologiques, ne sauraient faire question en
Théologie. Les questions qui les mettraient en discussion seraient aux véritables
questions tliéologiques ce que sont aux thèses légitimes des sciences ces po-
sitions qui ne tiennent pas compte de leur donné objectif, et que saint
Thomas nomme, après Aristote, des positlones extraneae. Cependant, en rai-
son de l'ignorance des fidèles ou de l'hostilité des hérétiques, elles ne laissent
pas d'être posées en fait, et, pour ce motif accidentel, leur annexion aux
questions théologiques s'impose. C'est, en effet, selon les principes chers à
saint Thomas, l'une des fonctions de la théologie, cette métaphysique sur-
naturelle, de défendre ses principes contre leurs adversaires, soit en argu-
mentant, à partir des principes de foi qu'ils conservent, pour leur faire admettre
ceux qu'ils révoquent en doute, soit, s'ils n'accordent rien, en manifestant la
fragilité de leurs objections (1). Et c'est par cette nécessité de réfuter les
hérétiques que Cano se disculpe de mettre en discussion, « contra institutum
meiim », dit-il (2) un principe de théologie qui ne devrait pas faire question.
2° Il est cependant un cas où une véritable question théologique concerne les
vérités formellement révélées. C'est lorsque celles-ci ne sont pas révélées expli-
citement, c'est-à-dire dans les termes mêmes où les énonce la question, mais
seulement dans des termes équivalents, dont il est nécessaire, par des explica-
tions, d'établir l'équivaLence (3) ? En ce cas, il y a vraiment matière à
question, au point de vue théologique, les vérités implicitement révélées
n'étant pas au point pour déterminer la foi explicite à leur contenu, — il y a
question théologique.
— Mais les questions théologiques par excellence sont celles où le dictum
qui fait le sujet de la question n'est pas formellement dans le Dépôt de la
révélation; lorsqu'il est nécessaire de recourir, pour l'en dégager, non plus à
une explication, mais à iin raisonnement formel, c'est-à-dire dans lequel la
conclusion sort des prémisses," non par désenveloppement de l'implicite^ comme
dans le cas précédent, mais par une véritable transition de la cause à l'effet.
Ce sont les questions de conséquences et non plus de principes. Les théologiens
en énumèrent de deux sortes : selon qu'elles demandent leurs solutions à des
prémisses formellement révélées, ou à des prémisses dont l'une est révélée, l'au-
tre rationnelle (approuvée d'ailleurs par la foi comme tout ce qui entre en théo-
logie. Cf. plus haut, p. 248 note 2). Dans le premier cas, la question théologique
bien que, logiquement parlant, elle vise une conséquence, peut être regardée, au
point de vue de la spécification, comme relevant des questions que soulèvent
les principes formellement révélés. Dans le second cas, au contraire, elle est
au premier chef une question relative aux conséquences de la révélation, et
le genre de vérité qu'elle vise est celui de la révélation virtuelle. C'est elle
que Cano nomme qiiaestio mixta, 1. XII<^, c. V. Cf. p. 271-272, Règle X.
1. Summa theol. I. P., Q. L, a. 8.
2. De lacis, 1. XII, c. XIU, au début. Cf. 1. II, c. IV, vers la fin.
3. Cf. BiLLUAiiT. Dissert, proœm. de Theol., a. VII.
252 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ment distinctes, irréductibles et désormais classées, à savoir :
. 1° les questions naturelles et les questions surnaturelles
2" les questions topiques et les questions scientifiques
3" les questions de principes et les questions de conséquen-
ces.
Avajit de passer aux Instruments d'invention des Lieux théo-
logiques, comme la suite de la Dialectique d'Aristote nous y in-
vite (1), il ne sera pas inutile de recueillir les conséquences de
cette division des diverses espèces de questions tbéologiques pour
la détermination a priori des titres généraux de l'argumenta-
tion théologique ou Lieux communs théologiques, qui doivent
leur correspondre comme les quatre lieux suprêmes de la Topique
correspondent aux quatre grandes questions dialectiques (2).
Cette détermination est même nécessaire pour qxie les Instruments
puissent faire leur œuvre, si tant est que les Instruments soient
destinés, en Théologie comme en dialectique, à découvrir : hca
'particularia uniuscu jusque quaesiti locorum universalium.
Pour déterminer les Lieux communs majeurs de la Dialectique,
Aristote a retourné, pour ainsi parler, les questions dialectiques
suprêmes, et fait, de ce qui était un intitulé de problème, un
chef de solution. C'est ainsi que les problèmes du Genre, de la
Définition, du Propre et de l'Accident, se sont transformés en
Lieux du Genre, de la Définition, du Propre et de l'Accident. Il
a suffi d'expliciter dans des propositions les caractéristiqaes dif-
férentielles de chacun de ces problèmes (3), pour formuler des
lieux communs suprêmes, desquels les instruments d'invention
ont dégagé les lieux dialectiques proprement dits. C'est une opéra-
tion analogue qu'il s'agit de faire sur les Questions fhéologiques.
Mais auparavant, il est nécessaire de réviser leur nomencla-
ture en vue de cet usage. Parmi les trois groupes dichotomiques
do questions théologiques que nous venons d'énumérer, il en
est un, le troisième, qui tire sa raison d'être de la forme lo-
gique de l'argumentation qui lui répond, ne procédant aucune-
ment d'une caractéristique matérielle spéciale. Qu'une question,
en effet, ait pour objet un principe de foi ou une conséquence de
ce principe, la matière de la solution reste la même, à savoir
1. P. 73, note.
2. Cf. p. 64.
3. Exemple : Les Loci a defniiione s'explicitant dans le lieu commun :
Défini et définition s'équivalent. Cf. p. 69.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 2o3
la révélation toute seule pour la première, la révélation et, dans
le cas des questions mixtes, la raison naturelle théologique pour
la seconde. Or, ce sont là les chefs de solution des questions
de la première dichotomie : questions naturelles et questions
surnaturelles. La distinction des questions de principes et des
questions dérivées ne donne donc pas lieu à la reconnaissance de
lieux communs théologiques distincts de ceux des deux pre-
mières questions. Quant aux questions topiques et aux questions
scientifiques, qui constituent le second groupe, elles ne supposent^
elles aussi, aucun élément matériel spécial et doivent être re-
gardées comme des modalités différenciant les questions de la
première dichotomie; en sorte que nous sommes définitivement en
présence : 1° des questions théologiques naturelles topiques et
scientifiques; 2° des questions théologiques surnaturelles topi-
ques et scientifiques, soit quatre genres de questions au lieu de six.
Appliquons à ces questions le procédé aristotélicien de trans-
formation de l'intitulé de la question en chef de solution, nous
obtiendrons les quatre grands titres généraux de l'argumenta-
tion théologique : 1° la raison théologique probable 2° la raison
théologique scientifique; 3° la révélation probable; 4° la ré-
vélation certaine. Il suffira d'expliciter ces caractéristiques dif-
férentielles en propositions pour obtenir quatre grands lieux com-
muns théologiques, qui pourront servir de point de départ au
travail des Instruments d'Invention des Lieux théologiques pro-
prement dits.
En regard des questions théologiques surnaturelles il vient:
1. Ce qui fait certainement imrtie du Dépôt de la Bévélation
offre aux questions théologiques surnaturelles un principe de solu-
tion efficace et nécessaire.
2. Ce qui fait probablement partie du Dépôt de la Bévélation
offre aux questions théologiques surnaturelles un principe de solu-
tion probable.
En regard des questions théologiques naturelles il vient :
3. Ce que la raison naturelle, approuvée par la Révélation, dé-
montre ajwdictiqviement, offre aux questions théologiques natu-
relles ou mixtes un principe de solution certaine.
4. Ce que la raison naturelle, approuvée par la Révélation, éta-
blit par des arguments probables, offre aux questions théolo-
giques naturelles ou mixtes un principe de solution probable.
Ces lieux commmis sont sans doute bien généraux, bien abs-
traits. Ce sont des cadres qu'il va falloir remplir. Déjà nous
254 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
entrevoyons ce qui est apte immédiatement à les étoffer, à savoir
quelque chose cormiie les dix lieax théologiqaes de Melchior
Cano qui sont dans toutes les mémoires. Le lieu commun de
la révélation certaine se concrétisera dans les lieux théologiques
de l'Écriture sainte, de la Tradition, de l'autorité de l'Église
Catholique, des Conciles et des Souverains Pontifes; le lieu
commun de la révélation probable dans les lieux théologiques de
l'autorité des Saints-Pères, des Théologiens et des Caiionistes ;
le lieu commun tiré des certitudes rationnelles dans le lieu théo-
logique de la raison naturelle; le lien commun tiré des pro-
babilités rationnelles dans les lieux théologiques de l'histoire et
de l'autorité des philosophes. Mais nous n'avons pas encore le
droit d'affirmer toutes ces déterminations. La déduction à priori
que nous venons d'opérer, en harmonie avec celle d'Aristote, ne
nous donne que les quatre lieux cominuns théologiques suprê-
mes. Pousser plus loin, choisir déjà des propositions matériel-
lement déterminées, c'est empiéter sur la tâche des Instruments
d'invention des Lieux théologiques dont le rôle propre, en Théo-
logie comme en topique, est de faire sortir de la virtualité
puissante mais vague des Lieux communs la multitude ordonnée
des Lieux spéciaux, capables d'amorcer immédiatement des ré-
ponses topiques à toutes les modalités des questions.
IV
LES INSTRUMENTS d'INVENTION DES LIEUX THÉOLOGIQUES.
Albert le Grand nomme Ars generalis la partie centrale de
la Dialectique aristotélicienne, consacrée aux Instruments d'in-
vention des Lieux dialectiques. Il réserve la dénomination d'Ars
specialis à la dernière partie, contenant l'invention même de
ces Lieux (1). On ne saurait mieux caractériser ces deux mo-
ments de la Théorie. La Doctrine des Instruments, en effet,
édicté les règles ou préceptes pratiques qui dirigent de haut
l'argmnentation dialectique en permettant d'en formuler les prin-
cipes immédiats ; l'Invention des Lieux applique ces règles ou
préceptes au donné dialectique qui, sous leur direction, passe de
l'état brut de collection d'opinions probables à l'état d'ensemble
différencié et organisé de principes adaptés à la solution des
questions.
1. In Topica, 1. I, tr. I, c. I; Opéra, Paris. 1890, t. II.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 255
La remarque générale faite précédemment (1) touchant le pa-
rallélisme des différents moments de la Dialectique théologigiie
avec les moments correspondants de la Dialectique aristotéli-
cienne se vérifie pour VArs generalis que nous abordons pré-
sentement. Entre VArs generalis des Topiques et la Doctrine
des Instrmnents théologiques, il y aura seulement proportion
analogique. Sans doute, les dénominations générales des quatre
instruments dialectiques, le recensement des propositions, la dis-
tinction des ambiguïtés, le collationnement des différences et l'exa-
men des similitudes (2), se retrouveront dans la Dialectique
théologique, mais les règles ou préceptes qui armeront intérieu-
rement ces instruments offriront un contenu bien différent. Cela
vient, ici encore (3), de ce que le prédicat 7-évélé désigne une ma-
tière très spéciale, tandis que le prédicat purement logique de
la question dialectique fondamentale exclut toute détermination
purement matérielle. Les règles ou piéceptes destinés à décou-
vrir les lieux dialectiques développent, en conséquence, les
propriétés des termes comme tels ; la formulation des règles
touchant la distinction des homonymes, par exemple, to Troca/w;
E/.ao-rov ÀÉ'/ôTat dvyy.<j9a.i dultlv, trouve son justificatif adéquat
dans un on-dit, liytry.L. Au contraire les règles ou les pré-
ceptes destinés à fournir des lieux théologiques se formulent en
regard des propriétés de la Révélation divine, doiuiée absolu-
ment étrangère à l'analyse des termes, et dont les exigences ne
nous sont même pas connues par une science rationnelle, étant
établies par la foi divine dont la Révélation représente l'objet.
Il est vrai que certaines sciences rationnelles sont mises à con-
tribution pour formuler dans le détail les instruments d'inven-
tion des Lieux tliéologiques ; mais les données qu'elles four-
nissent ne sont admises qu'à titre d'information, comme le
sont les outils indispensables pour construire les organes, les
pièces d'un instrument. C'est aux seules exigences du Donné
révélé que les règles ou préceptes d'invention des Lieux théolo-
giques demandent leur force directrice et régulatrice, qu'il s'a-
gisse de recenser les propositions, d'en distinguer les ambi-
guïtés, ou encore de les multiplier par la découverte de leurs
différences et de leurs similitudes (4).
1. P. 246.
2. Cf. p. 66.
3. Cf. p. 246.
4. Comme nous n'avons pas l'intention de rédiger un nouveau Traité de
Lieux théologiques, on nous permettra de faire état des Traités existants.
256 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Les traités modernes de Lieux théologiques, en dépit de leur
titre, ne contiennent que la partie de la Dialectique théologique
correspondant à YArs generalis, c'est-à-dire à cette théorie des
Instruments qae nous devons maintenant construire, et ainsi,
phénomène paradoxal, on ne rencontre pas de Lieux théologi-
ques proprement dits dans la plupart des traités de Lieux théo-
logiques, mais seulement des préceptes sur la manière d'en faire
ou d'en découvrir (1).
La théorie des Instruments d'invention des Lieux théologiques
comprend deux moments.
I. Dans le premier on passe des quatre Lieux théologiques su-
prêmes, abstraits et à priori (2), à des lieux communs concrets
et à posteriori, du type des dix lieux théologiques généraux de
Melchior Cano (3).
II. Dans le second, on détermine, d'après les exigences supé-
rieures de l'objet de foi, base de la Théologie, les instraments
d'invention qui amèneront les Lieux communs concrets et à
posteriori du type des dix lieux de ^lelchior Cano, à l'état de
lieux théologiques proprement dits, c'est-à-dire de propositions
prêtes à entrer dans les argumentations qui donnent la solution
des questions théologiques spéciales et de leurs modalités.
spécialement de ceux qui sont davantage conçus selon le véritable esprit
de la Topique théologique. Au premier rang, le De Lacis de Cano, le travail
consciencietix de Perrone, De locis Theologicis, p. II; la profonde Inlrodnctio
in S. Theologiam de Schaezler, la partie de la Summa apoLogctica de Ecclesia
du Père De Groot qui nous concerne, enfin, le De Locis du Père Jioa,chi;m
Berthier, Turin 1888, qui a codifié et rendu maniable le chef-d'œuvre un
peu exubérant de Cano, en le complétant et le modernisant avec un sens
de dialecticien de la Théologie très averti.
1. Cependant Cano, dans son Xlle livre, qui devait être suivi de deux
autres, a esquissé l'idée de VArs specialis théologique. Mais l'infinité de la
tâche l'a détourné de l'entreprendre intégralement, comme Aristote l'avait fait
pour les Lieux dialectiques, dans les livres II à VII da ses Topiques. C'était
là, selon Cano, une œuvre personnelle aux théologiens. (Cf. De Locis,
1. XII, c. XI). Aussi s'est-il contenté de les mettre sur la voie en donnant
quelques exemples typiques du travail qui incombait à chacun. (Cf. De Locis,
1. XII, c. XII-XIV).
2. Cf. p. 253.
3. Locorum ergo theologicorum elencliuni denario ?ios quidem numéro complecti-
mur, non iguari futuros aliquos, qui eosdcin hos locos i)i ininorcm 7iumerum redigaiit,
alios, qui velint esse majorem. : sed de eiiumerationis figura nihil morandum est ;
viodo nulhcs omnino locus vel superfi.uus }iunieret>a\ rel praetermiltatur necessarius.
De Locis, 1. I, c. III — On voit que le promoteur des Lieux théologiques
ne songe guère à faire du chiffre dix un nombre sacré et symbolique, en
harmonie avec celui dos Dix pirédicaments d'Aristote. Il est entendu, une
fois pour toutes, que c'est dans ce même esprit que, durant tout ce travail,
nous parlerons de dix Lieux théologiques..
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 257
I. — Passage des quatre Lieux communs théologiques à priori
aux Dix Lieux communs et à posteriori de Melchior Cano.
Le Donné révélé ne s'invente pas. Il se constate. C'est d'ail-
leurs dans ce sens large que, même en Dialectique, on parle d'ins-
truments d'invention. En Dialectique, le premier Instrument, nous
l'avons vu, a pour principal objet de collectionner des proposi-
tions probables, en les cherchant là où elles se trouvent, à savoir
dans les opinions du vulgaire ou des sages, dans les documents
scientifiques, historiques, etc. (1). Transposé en théologie, cet
instrument fondamental de la découverte des Lieux, ne change
pas de procédé. Seul le critère qui dirige ses recherches diffère.
Ce n'est plus l'approbation humaine, c'est la Révélation di-
vine ou, parfois, l'approbation de certains dires humains par
cette révélation. J\Iais la révélation, objet propre de la foi, elle-
même génératrice de la Théologie, possède à son tour un cri-
tère nécessaire, critère du même ordre divin que la foi à la-
quelle il est coordonné et qu'il dirige. Ce critère c'est le magis-
tère dt! l'Église catholique. Le dialecticien de la Théologie n'est
donc ,pas livré, comme le dialecticien d'Aristote, aux aléas de
l'investigation personnelle, à ces à peu près des réussites, qui,
au sorijr de son enthousiaste labeur, arrachent au Stagyrite,
conscient de l'inachevé de ses résultats en face de l'immensité
du domaine du probable, cet aveu mélancolique : Les voici donc
presque suffisamment énumérés, ces Lieux, qui nous fourni-
ront en regard de chacun des problèmes, d'abondantes ressour-
ces de solution! (2) L'Église lui garantit par avance la possibi-
lité d'une réussite inlégrale : Haec porro siipernaturalis revelatio
seaindum iiniversaiis Ecclesiae fidem, a Saiictâ Tridentinâ Synodo
dedaratam, continetur in libris scripiis et sine scripto traditionibus,
quae ipsius CJiristi ore ah apostolis acceptae, aut ah ipsis apostolis
Spiritû sanrlo dictante quasi per mayius traditae, ad nos usque
perveneriint (3).
Du coup, voilà circonscrit jusqu'à son extrême et définitix^e
limite, le champ d'investigation du dialecticien de la Théologie,
voilà son premier instrument de découverte orienté, fixé. En
1. Cf. p 66-67.
2. 0; tt.kv ol'v TJTTOi 8l 'wv evrrop-qcroix'-iv Trpn eKacrra tJjv irpo^\T)p.iTij}v èiriXiLpùv, axeSàv
iKavQs i^-qpid fievTaL. Topicorion, 1. VII, c. IV, n. 18. Opéra, édit. Didot, t. .',
p. 260.
3. Constitution Dei Films, c. II, Denziger, Enchiridion, n. 1633.
2° Année. — Revue des Sciences. — No 2. 17
2q8 REVU2 DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
ce qui concerne la matière foncière de son travail il n'a plus à
choisir, il n'a qu'à prendre. Et dans ce qu'on lui offre, il trou-
vera tout l'essentiel. Il est à pied d'œuvre.
Cependant, si le terrain est délimité, il faut avouer qu'il est
immense, vague et comme en friche. Avant de se mettre à l'œu-
vre, il ne sera pas superflu de s'entretenir des moyens, s'il en
existe, qui le rendront plus abordable, plus praticable, plus ex-
ploitable, si l'on peut ainsi dire.
Le magistère de l'Église s'offre une deuxième fois au Théo-
logien. Il se désigne lui-même, avec toute l'autorité qu'il a pour
la foi, comme le critère indispensable et authentique, parce qu'il
est divin, de l'Écriture et de la Tradition. Porro fide divinâ et ca-
tholicâ ea omnia credenda sunt quae in verbo Dei scripto vel
tradito continentur, et ah Ecclesiâ sive solemni judicio sive ordi-
nario et universali magisterio tanqiiam divinitûs revelata credenda
propoyiuntur (1).
Ainsi, aux deux dépôts concrets, absolument certains et offi-
ciels, mais figés, de la Révélation divine, se superpose une source
vivante de renseignements non moins officiels, l'enseignement
du jMagistère ecclésiastique. Celui-ci dénonce d'ailleurs lui-même
ses organes authentiques, autorité enseignante de l'Église uni-
verselle. Conciles œcuméniques, enseignement du Souverain Pon-
tife (2)-
Désormais l'entreprise du Dialecticien de la Théologie n'offre
plus rien d'impossible. Mais ce n'est pas assez pour satisfaire
sa curiosité scientifique. Tout n'est pas dit par l'Église. Le théo-
logien sait que, collatéralement à ce magistère officiel, des Saints
et des Théologiens travaillent à défricher le champ du Père de
famille. Certains d'entre eux ont eu l'incomparable avantage
de vivre dans un milieu encore pénétré des influences primitives
et ajoutent ainsi à la valeur du saint qui vit de la révélation et
du savant qui l'interprète, le mérite du témoin qui en a cons-
taté l'objective réalité. A mesure que s'éloignent ces temps de
la révélation originelle, d'innombrables travailleurs, Docteurs de
lÉglise, Théologiens de l'École, Canonistes même s'efforcent
sous la direction de l'Église, de pénétrer le sens et les virtua-
lités de l'enseignement révélé, et il est impossible que cet im-
mense labeur, effectué par des spécialistes, ne conlienne pour une
bonne part, une illustration pénétrante de la Révélation. Si Aristo-
1. Constitution Bd Films, c. III. Denziger, Enchiridion, n. 1641.
2. Constitution Tater aeternus, passim. Denziger, Enchiridion, n. 1667 ssg.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOttlQUE 259
te conseille justement à son dialecticien de recueillir les dires des
Sages, même parfois d'un seul sage de grande valeur (Aristote pro-
nonce le nom d'Empédocle) (1), n'est-il pas d'un bon dialecticien
de la Théologie de recueillir, non certes absolument comme
parole d'Évangile, mais comme témoignage ou explication au-
torisée du Dépôt de la Révélation, le témoignage des Pères^
l'enseignement des Théologiens, voire même des Canonistes?
L Église elle-même approuve et conseille ce recours à la Sagesse
chrétienne (2). De ce fait, voici annexé an Donné révélé un com-
mentaire perpétuel qui, par l'esprit de foi qui l'inspire, lui est
en quelque sorte homogène et en donne l'interprétation sinon
officielle toujours, du moins souvent officieuse. La providence
spéciale que Dieu ne peut manquer d'exercer sur le développe-
ment de sa parole révélée en garantit la vérité d'ensemble.
Ce n'est pas tout. Le travail des Docteurs et des Théologiens
ne s'opère la plupart du temps qu'en faisant appel à la raison
naturelle, et, non pas seulement aux lois formelles de la logique^
mais aux vérités qui sont le fruit naturel du travail de l'esprit
humain, aux faits qu'il garantit par son témoignage. Or, d'une
part la raison naturelle est, dans son ordre, la participation de
la lumière de Dieu, comme la révélation dans le sien ; d'autre
part, cette sorte de compagnonnage de la raison et de la Révéla-
tion dans l'esprit et dans les œuvres des théologiens fidèles n'a
pu so perpétuer, comme il l'a fait, à travers les siècles, sans
que fussent jugées et rejetées les déviations de la raison natu-
relle ennemies de la révélation, sans qu'au contraire l'étincelle
divine de vérité qu'elle renferme se trouvât dégagée par cette
sorte d'approbation, relative il est vrai (3), que communique à
une vérité naturelle le fait de servir efficacement, à prouver", à
développer, à faire mieux saisir la vérité révélée, supposée ab-
solument hors de conteste. L'Église, d'ailleurs, intervient, ici
encore, poui nous encourager à utiliser ce prolongement du Dé-
pôt révélé dans la Raison naturelle (4).
Cane, attentif à recueillir toutes les modalités de la Révélation,
quitte ici le premier instrument dialectique, qui seul lui a servi à
1. Topic, I. I, c. XII, n. 4, édit. Didot, t. I, p. 180.
2. Cf. Constitution Dei Filius, c. 11, in calce ; cf. Syllabus, prop. Xlll.
3. Relative, en ce sens, cpi'elle ne remplace pas une bonne démonstration
naturelle. Elle suppose la vérité établie par ses moyens naturels et n'en
juge qu'au point de vue de son harmonie avec le révélé. Cf. S.Thomas,
Sunima theol., 1, q. I, a. 6, ad 2.
4. Constitution Dei Films, c. IV". Denziger, Enchiridion, n. 1644-46.
'2G0 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÊOLOGIOUES
trouver tout ce qui précède, et utilise le troisième, la considération
des différences, pour distinguer deux aspects de la raison natu-
relle. Elle peut, en effet, être considérée en soi et dans sa va-
leur abstraite, ou dans le témoignage autorisé des savants. Dans
le premier cas, elle donnera sur l'objet révélé non seulement
des probabilités mais des certitudes absolues dans leur ordre,
comme celles qui ressortissent aux preuves de l'existence de
Dieu. Dans le second, si le témoignage concerne des doctrinesy
nous aurons l'autorité des grands philosophes, s'il concerne des
faits nous aurons l'autorité de l'Histoire. Mais, qu'on le remarque
une fois de plus, abstraite ou concrétisée dans le témoignage
humain, la raison ne prouve en théologie qu'en vertu de l'appro-
bation, ou du laissez-passer tout au moins, que lui donne la
Révélation. Ce n'est plus la Raison pure; c'est, nous l'avons
dit déjà, la Baison théologique.
Nous voici donc en possession de toutes les grandes différen-
ciations du Donné révélé réel, concret, de ce donné qui, nous
l'avons dit, doit être capable de résoudre les questions théologi-
ques sans distinction, toutes, à un titre ou à un autre, abou-
tissant finalement à demander pour leur sujet le bénéfice de
la révélation (1). Déjà, nous avons fixé les quatre formules géné-
rales do réponse aux quatre questions théologiques suprêmes (2j.
Le moment est venu de remplir ces lieux communs à priori, par
les données concrètes et à posteriori que nous venons de recon-
naître. Il suffit d'un coup d'œil en arrière, sur les caractéris-
tiques différentielles de celles-ci, pour les voir se classer d'elles-
mêmes sous les quatre lieux communs suprêmes de la Théologie.
H -t
( ^■
Apodictiques.
Donné révélé -
1. Écriture sainte.
2. Traditions divines et apostoliques.
~ -r. °
^ f ^
" £ H
3 -^
Critère officiel '
, 3. Autorité de l'Église.
Magistère de
4. Conciles.
l'Eglise
'^ .j. Magistère du Souverain Pontife
. u
Probables.
6. Témoius de la tradition : Saint.^ Pères.
7. Interprètes du
Canonistes.
Donné révélé, Docteurs, Théologiens scolastiques,
1. Cf. p. 58, 59, 247.
2. Cf. p. 253.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 561
.S -• r ^^^' Apo'^i<"tiq"es. ] 8. Raison naturelle.
s § -S' il o I r 9- Autorité des Philosophes (et des Juristes).
.ÎJ I = o o S 1
.§ 5 s o o A
"g "^ V IT. Probables. l
10. Autorité de l'Histoire.
Ce tableau est rédigé conformément à la conception cicéro-
nienne qui énumère les Lieux en fonction des termes qui dé-
signent leurs caractéristiques différentielles (2). Mais, nous avons
dit pourquoi et comment, ces termes peuvent être explicités
dans des propositions et revêtir ainsi la forme d'énonciations
qui en fera des Lieux d'argumentation (3). Déjà, à la fin de
la précédente section nous avons donné les propositions qui déve-
loppent les quatre grandes différentielles à priori des Lieux théo-
logiques (4). Pour compléter cette tcàche, il nous reste à faire su-
bir la même transformation aux différentielles des Lieux théo-
logiques que nous venons de découvrir, en les rangeant sous ces
quatre grands Lieux communs théologiques dont ils sont les
déterminations concrètes et à posteriori. Il vient :
A. Eu regard des questions théologiques naturelles.
Lieu commun suprême I : Ce qui fait certaine?nent partie du
Dépôt de la Révélation oifre aux questions théologiques surnatu-
relles un principe de solution efficace et nécessaire (5).
Lieux communs concrets dérivés :
1 . L'Écriture Sainte est un principe de solution efficace et
nécessaire.
2. Les Traditions divines et apostoliques, etc.
3. L'autorité de l'Église, etc.
4. L'Enseignement des Conciles, etc.
5. Le magistère du Souverain pontife, etc.
Lieu commun suprême II : Ce qui fait prohahlenunt partie
du Dépôt de la Révélation offre aux questions théologiques surna-
turelles un principe de solution probable (6).
Lieux communs concrets dérivés :
6. Le témoignage des Saints Pères est un principe de solu-
tion probable.
1. Apodictiques dans l'ordre rationnel, probables, au sens large du mot, en
regard du donné révélé en tant qu'objet de foi, d'où saint Thomas a pu dire :
Sacra doctrina hujasmodi auctoritatibus utitur quasi extraneis argumentis et
PROBABiLiBus, Summa theol., 1 P., Q. 1, a. 8, ad 2um.
2. P. 70.
3. P. 68, 2.52.
4. 5 et 6. P. 253.
262 REVUE DES SCIEACES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
7. La Doctrine des Docteurs de l'Église, des Théologiens sco-
lastiques, des Canonistes est on principe de solution probable.
B. En regard des questions théologiques naturelles ou mixtes.
Lieu commun suprême III : Ce que la raison naturelle ap-
prouvée par la Révélation démontre apodictiquement est pour les
questions théologiqiies naturelles ou mixtes u?i principe de solution
certain (1).
Lieu commun concret dérivé :
8. La démonstration philosophique, sous le contrôle de la
Foi, est un élément de solution certain.
Lieu commun suprême IV : Ce qite la raison naturelle ap-
prouvée par la Révélation établit par des arguments probables
ojfre aux questions théologiques naturelles ou mixtes un principe
de solution probable (2).
Lieux communs concrets dérivés :
9. L'autorité des Philosophes (et des Juristes) est un élément
de solution probable,
10. L'autorité de l'Histoire des Dogmes et des Institutions ecclé-
siastiques (3) est \m. élément de solution probable.
Avec cette classification d'ensemble s'achève le passage des
quatre Lieux communs tbéologiques à priori aux dix Lieux com-
muns à posteriori de Melchior Cano.
IL — Détermination des Instruments d'invention
des Lieux théologiques proprement dits.
Les règles ou préceptes qui constituent les Instruments d'in-
vention des Lieux théologiques sont l'expression des droits
de la Foi divine (et, partant, de la Théologie), sur le Donné
révélé qui est son objet d'attribution. Les exigences de la foi
sont uniformes, mais la nature et les propriétés du Donné ré-
vélé diffèrent en raison des différentes parties qui l'intègrent.
1 et 2. P. 253.-
3. En désignant, comme Cano, par les épithètes de probables et certains
les Lieux théologiqnes, nous entendons faire nôtre l'observation de cet
auteur au sujet de ces qualifications : Nolim enhn qtiispiam Jioc ducatur errore^
ut si lociisfirmus est. omnia argumenta inde ducta firma arbitretur: aut si è contrario
infirmns est locus. omnia ex eo accepta infirma esse. E sacris quippe litteris interdum
argumenta probabilia ducuntur... Atque, è diverso, historiae humanae auctoritas,
imhecilla ipsa cum sit, certa aliquando argumenta suppeditat. De loris, l. xii, c. xi.
Les Instruments d'invention ont précisément cette utilité de distinguer les
conditions où un Lieu théologique certain donne toute sa mesure de celles
où il tempère son efficacité.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 263
Autres sont les propriétés de l'Écriture Sainte, autres celles du
Témoignage des Saints Pères, et ainsi de suite. Pour s'appli-
quer aux différents domaines du Donné révélé, les exigences
de la foi devront tenir compte de leur nature et de leurs pro-
priétés; celles-ci fourniront la matière différenciée des règles
ou préceptes, auxquels les droits de la foi communiquent la
vertu régulatrice et obligatoire. Nous devrons donc faire pré-
céder la détermination de ces règles ou préceptes de la déter-
mination de la nature et des propriétés des différentes parties du
Dépôt.
Les propriétés de chacim des dix lieux théologiques sont mul-
tiples ; multiples, en conséquence, les règles ou préceptes qui
s'y rattachent, car il y a souvent plusieurs préceptes pour une
seule propriété. Nous ne pouvons, ni ne devons, dans cet ar-
ticle d'Introduction méthodologique, suivre dans son détail la con-
fection de chacun des Instruments destinés à aménager pour
l'usage théologique nos Dix Lieux communs. La chose est faite
d'ailleurs équivalemment dans les traités que nous avons cités
et auxquels on pourra recourir. Notre tâche propre n'est pas,
répétonsle, de faire un Traité de Lieux théologiques, mais de
marquer la juste idée et l'exacte signification, au point de vue
de la méthode, du travail que représentent les bons traités de
Lieux théologiques existants, de rendre évidente, grâce au lapis
lydius de la partie correspondante de la Dialectique d'Aristote,
la nature précise de l'ouvrage qui s'y accomplit, de situer défi-
nitivement ce traité dans l'ensemble de la méthodologie théo-
logique.
Aussi concentrons-nous notre effort sur un seul des Dix Lieux
thf';Ctlo[^^i"ores sur le premier que nous rencontr-ins, lÉcriture
Sainte, puisqu'aussi bien il faut choisir. Qu'il soit entendu que
l'Écriture Sainte n'intervient ici qu'à titre d'exemple, d'illustra-
tion concrète d^une doctrine méthodologique, et qu'en consé-
quence, même en ce qui la concerne, nous ne donnons pas un tra-
vail complet et définitif (1).
Nous partagerons en deux paragraphes cette étude du Lieu
1. En. particulier, pour le recensement des Instruments, nous aurons davan-
tage en vue les règles ou préceptes essentiels gui se trouvent dans tous
les manuels, que certaines règles délicates et longues à expliquer, qui
gouvernent certaines questions scripturaires particulières récemment soule-
vées. Cf. J-R. Bonhomme, Le Texte hihliqiie du Théologien, Bévue thomiste, hoaî
1907. Nou?i ambitiO'nnons avant tout de nous faire comprendre, et il serait,
par suite, inopportun de prendre pour exemple, au lieu de ce qui est acquisi,
ce qui est encore à l'étude.
264 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
commun théologiqae de rÉcritare Sainte : 1° Détermination,
par l'analyse des propriétés de la Sainte Écriture, de quatre
sortes d'instruments d'invention appropriés ; 2° Détermination
des règles ou préceptes qui constituent organiquement chacun
des quatre instruments d'invention des Lieux théologiques scrip-
turaires.
1° Les quatre instruments d'invention des Lieux théologiques
scripturaires.
Un coup d'œil sur la table des matières des traités de Lieux
théologiques existants nous fera constater que tous les préceptes
relatifs au Lieu commun théologique de l'Écriture Sainte se
groupent, d'après ces trois considérations : nature, propriétés,
analogues de l'Écriture Sainte.
A. Sa nature. — C'est d'être l'œuvre littéraire de Dieu, agis-
sant par mode d'inspiration surnaturelle et efficace sur le juge-
ment intellectuel et la volonté d'un écrivain pour lui faire conce-
voir, rendre littérairement, vouloir écrire, et finalement écrire ce
que Dieu veut être écrit, cela seul, et en la manière que l'au-
teur divin entend qu'il soit écrit. Cette définilion descriptive n'est
que l'explication, authentiquée par des déclarations officielles et ad
mise aujourd'hui par tous les théologiens, de la donnée de foi :
Dieu est Vauteur de VÉcriture Sainte. Deux corollaires de por-
tée immédiatement méthodologique s'y rattachent, le premier
concernant la nomenclature des livres saints reconnus par l'É-
glise catholique comme inspirés, le second concernant l'étendue
de l'inspiration divine à ce que l'on appelle les parties du texte
inspiré. Ces deux corollaires donneront lieu à des préceptes et
à des règles, touchant soit la canonicité de ces recueils de pro-
positions révélées ou lieux théologiques immédiats, que sont
tous et chacun des Saints Livres, soit la valeur, au point de
vue de l'autorité divine, de toutes et chacune de ces mêmes
propositions. Ces préceptes et ces règles constitueront l'Instru-
ment fondamental d'invention des Lieux théologiques apparte-
nant à l'Écriture Sainte, à savoir la recension de ces proposi-
tions, transposée du rô izoorkazic, Ix^jCiv d'Aristote.
B. Ses propriétés. — L'Écriture Sainte a des propriétés de
deux sortes : les unes ressortissent à sa nature générique de
d'ccument écrit, d'écriture; les autres à sa nature propre d'Écri-
ture inspirée.
a) La propriété du document écrit, par opposition à la parole
non écrite, est un certain mode spécial de conservation. Verha
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 263
volant, scripta manent. Cette conservation s'effectue tantôt par
la persistance dans son intégrité primitive du texte original, tan-
tôt SOUS le couvert de versions et traductions dans d'autres
langues. De là, deux modalités de la propriété d'intégrité des
documents écrits. C'est un fait historique que l'Écriture Sainte
s'est conservée sous ces deux modalités. Le dialecticien de la
Théologie devra en tenir compte pour l'établissement des instru-
ments théologiques ressortissant à l'Écriture Sainte, si tant est
que l'un des quatre instruments d'invention des lieux soit le
collationnement des Différences rà; oiy.'i.o^'y-i tlonv- Il appli-
quera aux différenciations du texte sacré, original, traductions,
éditions, les principes qui ressortent des droits de la foi sur son
objet, et de là naîtront des règles ou préceptes qui seront pour
l'invention des lieux théologiques le pendant du troisième instra-
ment dialectique.
h) La propriété de l'Écriture Sainte comme telle est la plura-
lité des sens qu'elle peut receler sous un seul énoncé. Écou-
tons saint Thomas : « Hoc specialiter est in sacra scriptiirâ, et
non iti aliis, cum ejus auctor sit Deiis, in cujiis potestate est,
quod non soluvi voces ad desigtiandiini accommodet, qnod etiam
honio facere potest, sed etiatn res ipsas. Et ideo in aliis scientiis
ah hoinine traditis, in quitus no7i possnnt accommodari ad signifi-
candiun nisi tantutn verba, voces sohnn significant. Sed hoc est
proprium in ista scientia ut voces et ipsae res significatae per eas
significent. » (1).
D'où la distinction de deux sens principaux de l'Écriture
Sainte, le sens littéral qui est perpétuel, et le sens spirituel ou
mystique qui intervient toutes les fois que l'auteur divin l'a eu
en vue (2). Le sens littéral comporte à son tour, d'après les don-
nées admises commmiément en Herméneutique, deux modalités
selon qu'il est rendu par des mots pris dans leur acception
propre ou métaphorique ; le sens spirituel est allégorique, moral
ou anagogique CS). Le sens d'un texte, en général, est d'ailleurs
1. In Epist. ad Gai., c. Y^ , lect. 7a. Cf. Summa theol., h^ P., Q. 1, a. IQ-
2. Cf. Berthier Tract, de locis theol., n. 174.
3. r^ous ne voulons pas toucher, dans cette étude de principes, aux ques-
tions controversées comme celles de la pluralité de sens littéral sur une
seule lettre : « Si l'on entend par sens littéral, dit saint Thomas, celui que
l'auteur a en ^•ne, comme l'iauteur de l'Écriture sainte est le Dieu qTii
comprend toutes choses d'un seul regard, il n'y a pas d'inconvénient à
dire, avec saint Augustin, dans le livre XI des Confessions que, même
selon le sens littéral, dans un seul et même texte de l'Ecriture se trouvent
plusieurs sens. » Cf. Zapletal, Hermeneufica, c. III; A. Blanche, Le Sens
littéral des Écritures, d'après Saint Thomas d'Aquin, Revue thomiste, 1906.
p. 192. Pour l'interprétation de ce texte de saint Thomas, cf. Berthier, p.
161, note 5.
266 REVUE DES SCIEAXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
dit explicite s'il ressort des mots sans qu'il soit besoin d'expli-
cation, implicite lorsqu'il suffit d'une simple explication de ter-
mes pour le rendre manifeste, conséquent lorsqu'il est néces-
saire, pour le tirer du texte, de faire appel à un raisonnement
ou à des procédés extensifs plus larges encore.
La conséquence de cette pluralité des sens de l'Écriture est de
rendre ambigus les termes et les énoncés qui constituent son
texte, et de la rendre inutilisable de plain-pied pour l'usage
théologique. Il est nécessaire de trouver un moyen autorisé de
faire disparaître cette ambiguïté. Ce moyen, le parallélisme de
nos deux dialecticpies ne nous le laissera pas ignorer. Le second
des instruments topiques a précisément pour but de distinguer
les ambiguïtés des termes et de multiplier, grâce à cette distinc-
tion, les lieux dialectiques probables. En faisant rayonner les exi-
gences de la foi et de la théologie issue de la foi, siu' ]es par-
ticularités de l'Écriture qui ressortissent à la pluralité de ses
sens, le dialecticien de la théologie formulera des règles ou
préceptes d'interprétation qui permettront d'amener les divers
sens de la lettre au point de \'ision distincte, de les rendre
aptes à fournir des lieux théologiques précis. Ainsi se trouve cons-
titué un troisième instrmnent d'invention des Lieux théologi-
ques.
C. Ses analogues. — ^'ous excluons de cette dénomination
les « Livres sacrés de toutes les religions sauf la Bible », dont
l'intérêt, très grand pour la Science, est nul pour la Théologie,
si, du moins, l'on prend ces livres en tant que religieux et
sacrés. L'analogie d'un texte avec l'Écriture Sainte peut être
envisagée au quadruple point de vue de l'inspiration, de la
canonicité, des versions et éditions, de l'interprétation. A.M point
de vue de l'inspiration, on peut citer les sources documentaires
de l'Écriture, les livres inspirés perdus; au point de vue de la
canonicité, les apocryphes ; au troisième point de vue, les ver-
sions et éditions hérétiques, hypescritiques ou en langue yvI-
gaire; au point de \iie de l'interprétation, le sens accommoda-
tice. C'est là une matière prédestinée pour l'emploi d'un instru-
ment d'invention des Lieux théologiques, correspondant à Vexa-
men des similitudes, h tov àu.oîo-j o-xi']/t;, d'Aristote, qui for-
mulera, d'après les exigences de l'objet de foi, des règles et
préceptes, soit pour interdire, soit pour régler l'usage de ces
documents pour la solution des questions théologiques.
Il résulte de ces considérations que le dialecticien de la Théo-
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 267
logie dispose, pour résoudre les questions solubles par cette
partie du donné révélé que contient l'Écriture sainte, de quatre
instruments d'invention appropriés, dont il nous faut mainte-
nant décrire l'organisation interne en règles et préceptes immé-
diats de détermination des lieux théologiques scripturaires.
2° Les règles ou préceptes qui constituent l'organisme interne des
Instruments d'Invention des Lieux théologiques scripturaires.
Premier instrument. — La Recension des propositions.
A. En regard de la propriété de Canonicité.
Principe justificatif : La canonicité d'un livre n'étant autre
chose que l'habilitation du contenu de ce livre à devenir offi-
ciellement règle de foi et, par là, principe de la Théologie (ce qui
implique le fait de son inspiration divine), ne peut résulter adé-
quatement que de la sentence d'une autorité divine comme est
l'autorité de l'Église. Ce corollaire est évident pour qui se rend
compte que la canonicité des livres saints est intermédiaire
entre l'Inspiration de l'Écriture Sainte et l'assentiment de la
foi divine (1). Médium non exit ah extremis suis. Laisser la
reconnaissance de la canonicité à la merci d'un moyen de trans-
mission de certitude inférieure à la divine, serait infirmer, de-
vant la foi et la théologie, l'autorité absolue que l'Écriture
Sainte doit à l'Inspiration du Saint Esprit. La sentence authen-
tique concernant la Canonicité a d'ailleurs été rendue à plusieurs
reprises et définitivement par l'Église (2).
RÈGLE UNIQUE : Toics Ics iieux thêologiques scripturaires sont
renfermés dans les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament
déclarés canoniques par l' Eglise, spécialement par le Concile de
Trente, Session IV.
B. En regard de VÉtendue de V Inspiration.
Principes justificatifs: De la doctrine de l'Inspiration di-
vine de l'Écriture se déduit immédiatement le corollaire de son
inerrance absolue, si, du moins, on la prend au sortir des mairie
de l'auteur inspiré. Or, la vérité et l'erreur se rencontrent
1. Cf. ScHAEzLER, Introduclio in S. Theol, c. III, sect. I, Q. I, a. 3, dont
nous détachons cette pensée fondamentale : «. Onmis asse^isus^ alium suppoiiens
assensum ut fundamentum suum, necessario ejusdeni firmitatis est atque hic, non ma-
joris. Ut igitur veritas divina per sacras Litteras manifestata suscipiatur fide divinâ
ad hoc necessarium esi^ ut etiam ipsu/n factarn inspirationis divina fide suscipiatur
adev que pr opter testimonium Dei. »
2. Ct. Denziger, Enchiridion, n. 49, 59, 112, 125, 1399, 600, 666, 1636,
1656.
2G8 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÊOLOGIQUES
1)1 intellectû componente et dividente (1), c'est-à-dire toutes les
fois que l'on affirme ou que l'on nie, ce qui a lieu chaque fois
que l'on énonce un jugement. Il résulte que l'Inspiration di-
vine doit s'étendre jusqu'à toutes et chacune des propos iti on f3
ou parties de propositions oontenues dans l'Écriture Sainte.
Ce corollaire doit s'entendre sous le bénéfice des remarques
suivantes :
1) Les propositions ne doivent pas être séparées du con
texte inspiré ni celui-ci de l'idée, de l'intention, du genre lit-
téraire que l'auteur divin a eus en vue.
2) Les mots qui constituent la proposition, bien qu'ils ne
donnent pas prise à la vérité et à l'erreur si on les considère
isolément, c'est-à-dire comme objet de simple appréhension, une
fois entrés dans une proposition de l'Écriture, et devenus dans
une certaine mesure solidaires de sa signification, participent
au charisme de l'Inspiration, en sorte qu'on ne saurait les chan-
ger sans altérer la vérité de l'Écriture, bien qu'on puisse leur
substituer des équivalents. C'est leur signification i7i ordine ad
propositiojwm, non ce qu'il y a de particulier dans le mot qui
est inspirée (2).
3) Dans certains cas, principalement si une révélation objec-
tive est conjointe à l'inspiration (cas des dictées, de certaines
prophéties, de certaines paroles du Christ) les mots matériel-
lement considérés peuvent avoir {per accidens donc) une valeur
d'inspiration absolue.
4. En regard de la foi, et par suite de la Théologie, l'Écri-
ture Sainte contient des vérités divinement garanties par l'ins-
piration, de deux degrés : les unes per se intenta, correspondant
à l'objet nécessaire de la foi, à savoir id per quod honio beatus
efficitur (3), qiiae videnda speramus in patria (4), d'un mot, les
articles de foi ; les autres, non qiiasi principaliter intenta scd
ad praedictorum manifestationem (5), ou encore, ex quibiis (ne-
gaiis) consequitur aliquid contrarium fidei (6), à savoir quae
1. C'est oe que l'on exprime imparfaitement en disant qu'elle s'étend usque
ad res et sententias, si l'on prétend par là exclure de l'inspiration propre-
ment dite (pour le soumettre à une autre loi de préservation assez vague
que l'on dénomme assistance,) le choix des mots el des expressions, qui
sont les composants essentiels, quoique ad placihim dans une certaine me-
sure, de toute proposition.
2. Cf., pour cette distinction, A. Gardeil. La Rdativité des formules dog-
matiques, n. 11 ssq. Revue thomiste, janvier 1903, t. XI, p. 645 ssq.
3. Svmma theol, 11^ Il^e;, Q. Il, a. V, c.
4. Ibidem, Q. I, a. VI, ad lum; cf. a. VIII.
5. Ihidem.
6. Ibidem. I. P. Q. XXXII, a. IV.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 269
per accidens, aiit secundario (1), aut indirecte (2) ad fidem per-
tinent (3).
RÈGLr I. — Toutes et chacune des propositions contenues
dans la Sainte Écriture, telle qu'elle est sortie des mains de
l'auteur inspiré, sont susceptibles, en soi, de constituer des lieux
théologiques scripturaires.
RÈGLE II. — Ces propositions, pour constituer des lieux théo-
logiques, doivent être rattachées au contexte inspiré, an genre lit-
téraire que l'auteur divin a eu en vue, à l'intention générale qu'il
s'est proposée.
RÈGLE III. — Parmi ces propositions, celles qui expriment
explicitement des articles de foi, exigeant eux-mêmes de tous
la foi explicite (4), constituent des lieux théologiques scrip-
turaires absolument certains, infaillibles ; celles, au contraire,
qui expriment des vérités n'appartenant à la foi que secunda-
rio, per aecidens, indirecte, ne constituent des lieux théologiques
scripturaires certains, que quatido hoc constiterit (aliciii) in doc-
trina fidei contineri {à), ce qui n'a lieu, sauf le cas d'évidence,
qu'après détermination de l'Église, ou encore, posiquam mani-
festuin est, et praecipue si sit per Ecclesiam determinatum, quod
ex hoc sequitur aliquid contrarium fidei (6).
RÈGLE IV. — La détermination de l'Église n'est pas néces-
saire pour qu'une proposition ou un ensemble de propositions
scripturaires, contenant imjylicitement un article de foi ou une
vérité définie, puissent être reçus comme lieu théologique certain;
mais elle est souvent utile à cause du manque d'évidence des
explications par lesquelles on passe de l'implicite à l'explicite;
elle est nécessaire pour garantir l'inspiration matériellement ver-
bale du texte sacré lorsque les mots eux-mêmes sont indispen-
sables pour maintenir l'objectivité des articles de foi (7).
1. Ibidem, IIMlae, Q. n^ a. V.
2. Ibidem, I. P., Q. XXXII, a. IV.
3. Exemples : Quod Abraham hahuii duos filios ; quod ad tactiim ossium Elisaei
suscitatus est mortuus ; quod Dacld fuit filius Isai ; Samuel fuisse fillum Helcartae,
omnia (hujusmodi) quae iii sacra scripturâ divinitus tradita continentur. Ibidem^
locis cit.
4. Cf. Summa theol, 11^ P., Q. H, a. V-VIII.
5. Summa theol. , P II*', q. II, a. V.
6. Ibidem, I P., q. XXXII, a. IV. Cette différence dans la manière d'arriver h.
la reconnaissance de la certitude divine nécessaire au lieu théolooique seripturaire,
n'infirme en rien cette certitude une fois qu'elle est avérée : Haec vero tametsi non
fidei sint, nec Theologiae pj'aecz'pua capita, sed his e.v accidenti conjuncta et quasi
principia secundaria, accipit tamen ea Theologus, non aliter ac philosophas pritwipia
per se nota, sine medio et ratione, perinde ut articulo'i fidei acceperat. Cano, De Locis,
1. xu, G. m, circafi)iem.
7. On cite comme exemple le mot est dans la formule eucharistique de la Cène.
270 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Deuxième instrument. — La distinction des ambiguïtés.
Princi'pes justificatifs. — L'instrument judicatoire des divers
sens de la Sainte Écriture susceptibles de fonder la théologie doit
être d'ordre divin comme la foi. Le raisonnement que nous avons
fait pour prouver que le critère de la canonicité des livres saints
est d'ordre divin suffit à établir cette conclusion. Dès lors le ma-
gistère de l'Église s'impose au premier chef comme règle d'inter-
prétation. Aussi le Concile du Vatican, déclarant la pensée du Con-
cile de Trente dans un décret sur le même sujet, a-t-il prononcé
que : ÎJi rebtis fidei et inoriim, ad aedificationeni doctrinae chris-
tianae pertinentium, is pro vero sensu Sacrae Scripturae habendus
sit quein teniiit ac tenet Sancta ATater Ecclesia, citjiis est jiidicare
de vero sensu et interpretatione Scriptnrariim sanctariim.
Les premiers mots : in rébus fidei, etc., manifestent avec pré-
cision que le droit dont il s'agit vise premièrement et direc-
tement le sens de l'Écriture qui nous concerne, puisque c'est
lui qui contient des lieux théologiques. A ce critère principal, le
même concile en ajoute un second en prohibant d'interpréter
l'Écriture contra imanimem consensum patrum. Enfin le pape
Léon XIII dans l'Encyclique Providentissiinus indique une troi
sième norme : In ceteris analogia fidei sequenda est.
RÈGLE L — Les propositions de l'Écriture canonique dont le
sens littéral explicite ne fait aucun doute sont aptes, par elles-
mêmes et sans déclaration de l'Église, à fournir des lieux théo-
logiques très-certains et très-efficaces (1).
RÈGLE II, — Le sens littéral implicite est apte de soi à four-
nir des lieux théologiques absolument certains et efficaces. En
pratique, comme une explication de termes est nécessaire pour
passer du sens implicite au sens explicite, une vérité qui n'est
qu'implicitement contenue dans l'Écriture, n'est jamais, sauf dé-
claration de l'Église, l'équivalent d'un principe de foi (2).
RÈGLE III. — Le sens littéral, explicite ou implicite, dont l'exis-
tence n'est pas absolument certaine ne peut donner que des lieux
théolcgiques probables (3).
RÈGLE IV. — Les propositions de l'Écriture dont l'Église a
défini le sens littéral (4) (qae ce sens soit explicite ou implicite
1. Cf. Berthier, De Locis, édit. cit., p. 214.
2. Cf. Berthier, ibid., p. 219.
3. Cf. Berthier, ibid., p. 215-216.
4. On trouvera des listes de ces propositions dans le De Locis de .1. Ber-
thier, n. 208, p. 180, et dans VHer mènent ica biblica de Zapletal, c. XI.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 271
dans le texte), lou même le sens spirituel (1), constituent, enten-
dues en ce sens, des principes de foi qu'il serait hérétique (2) de
contredire (3), et donc des lieux théologiques de toute certitude,
infaillibles.
RÈGLE V. — Les propositions de l'Écriture que l'Église em-
ploie à l'appui de ses définitions, mais sans définir que le sens
dans lequel elle les prend est leur vrai sens, soit littéral, soit
mystique, constituent, prises dans cette acception, des Lieux
Lhéologiques très certains, mais non infaillibles, auxquels il serait
téméraire mais non hérétique de contredire (4).
RÈGLE VI. — Les interprétations de l'Écriture, usitées par les
Pères, les Docteurs ou les Théologiens, qui sont rapportées à l'ap-
pui d'ime définition, non ex sententiâ Ecclesiae, sed ex sententiâ
aucforum (c'est le cas de la Bulle IneffahiUs) constituent en
faveur du dogme défini des lieux théologiques certains mais non
infaillibles (5).
RÈGLE VII. — Dans les choses concernant la foi et les mœurs
(et donc du ressort de la théologie), le sens d'un texte scriptu-
raire qui a pour lui « le consentement unanime des Saints Pè-
res » constitue un lieu très certain auquel il serait téméraire de
contredire (6).
RÈGLE VIII. — Les propositions de l'Écriture qui renferment
un sens spirituel voulu par l'Auteur divin constituent, prises en
ce sens, un lieu tliéologique certain et efficace, mais qui, réduit
à ses propres moyens, est inutilisable en pratique (7).
RÈGLE IX, — Les propositions de l'Écriture qui renferment
un sens spirituel attesté par un auteur sacré, par l'Église ou la
Tradition, constituent, prises en ce sens, du fait de cette décla-
ration authentique, des lieux théologiques certains ou probables
selon le degré des garanties (8).
RÈGLE X. — Le sens conséquent, c'est-à-dire celui qui se dé-
1. Pour le sens spirituel défini, cf. Z.vpletal, loe. cit., qui donne comme
exemple : Ecce virgo concipiet, Is. VII, 1-4, appliqué à la Sainte Vierge.
2. Nous utilisons ici le lieu théologique de l'autorité de l'Église dont relève
la qualification des propositions avec ses règles et préceptes.
3. Contredire n'est pas ajouter au sens défini par l'Église, ni développer
des conséquences du texte qui sont cà côté du sens défini. Cf. J. Berthier,
De Locis. P. I, 1. I, a. II, § 2, sect. 1, n. 209, sq. p. 181.
4. Cf. Berthier, ibid., p. 180, 214.
5. Cf. Berthier, ihid., p. 181.
6. Cf. Berthier, ihid., p. 182.
7. Non propter defectum anetoritatis sed ex ipsâ naturâ simiUtudi)i>s inqiiâfundatur.
Umi enim res plurihus similis esse potest... etc. Saint Thomas, Quodlibet vu, a. xiv
ac? 4""\ Cf. Berthier, op. cit. p. 216.
8. Cf. Berthier, ihid., p. 217-219.
272 REVUE DES SCIE.N-CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
duit d'un texte scripturaire par un véritable raisonnement, donne
aux propositions qui l'énoncent une autorité certaine. Si le sens
littéral du texte est explicite ou défini, le sens conséquent con-
titue un lieu théologique certain, auquel il serait erroné de con-
tredire. Si le sens conséquent résulte du rapprochement de deux
textes scripturaires, sa certitude est majeure, comme celle des
conclusions théologiques du même genre; elle serait inférieure
si le principe universel, qui fait la force de tout raisonnement,
était un principe rationnel, la mineure seule étant scripturaire! ;
moyenne, si ce principe était une proposition de l'Écriture, la
mineure demeurant rationnelle (1).
RÈGLE XL — Si le sens d'une proposition scripturaire op-
posé à Vanalogie avec la foi est toujours faux, il ne suit pas que
le sens conforme à cette analogie soit toujours le vrai sens du
texte (2) et qu€, pris en ce sens, il constitue un lieu théologique
scripturaire.
RÈGLE XII. — Éclairés par leur rapprochement avec les doc-
tiines authentiquement formulées et définies de la foi, certaines
picipositions de l'Écriture, plus ou moins obscures, par exem-
ple celles qui concernent les deux concessions, à Pierre et aux
apôtres, du pouvoir de lier et de délier, s'éclairent, comme les
parties en face du tout, et deviennent par contre-coup des lieux
théologiques scripturaires manifestes pour ces vérités de foi.
Troisième instrument. — La recherche des Différences.
Principes justificatifs : L'Introduction à l'Écriture Sainte re-
cense, sous le nom d'éditions du texte primitif ou de traductions
en langues autres que celles de l'original, les différenciations
qui, de fait, et conformément aux lois qui régissent la vie des
documents écrits, modifient le texte de l'Écriture Sainte. Les ori-
ginaux de ce texte étant perdus, c'est par ces éditions et traduc-
tions que la Théologie sera en rapport avec l'Écriture inspirée.
Dès lors, la nécessité s'impose pour la Théologie d'exercer sur
elles un contrôle, en se plaçant au point de vue des exigences de
la foi, principe de la Théologie. La raison de cette nécessité, à
savoir qu'im assentiment comme celui de la foi, point de départ
de la Théologie, ne peut, sans perdre de son absolu, dépendre
d'une règle de certitude inférieure à la divine, vaut pour les édi-
tions et traductions, aussi bien que pour le fait de l'inspiration
et l'interprétation (3). Ici encore il faudra recourir à l'autorité
1. Cf. Vacant. Etudes sur la Constitution « Dei Filins ». T. Il, p. 29.3.
2. Cl. Zapletal, Hcrmeneutica, § -!7, n. 2, a,.
3. Cf. p. 267 et p. 270.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 273
de l'Église, critère divin du texte inspiré. Le sentiment de l'Église
résulte soit de l'usage qu'elle fait de certaines éditions ou traduc-
tions, soit de la sentence que portent sur elles les Pères, les Doc-
teurs, le consentement des Théologiens, soit enfin d'une appro-
bation ou même d'un jugement officiel de caractère dogmatique
comme celui que les Conciles de Trente et du Vatican ont rendu
en faveur de la Vulgate.
RÈGLE I. — Il est certain, de foi catholique, que des textes
passés dans l'usage de l'Église universelle, comme les Septante
et le texte grec du Nouveau Testament (1), sont aptes à fournir
des lieux théologiques scripturaires certains. On peut adjoindre
à cette classe de textes, mais dans un degré de certitude infé-
rieur, des textes reçus dans des Églises particulières, versions sy-
riaque, copte, italique, avec l'approbation de l'Église.
RÈGLE II. — Le texte de la Vulgate, le seul qui ait été déclaré
authentique par un jugement dogmatique solennel de l'Église, a
la valeur du texte inspiré primitif (2) pour tout ce qui regarde la
foi et la règle des mœurs; et donc les propositions de cette nature
qui s'y trouvent contenues constituent, à l'égal de l'original (3),
des lieux théologiques certains.
RÈGLE III. — Les éditions actuelles du texte hébreu de l'An-
cien Testament offrent, au témoignage des Pères, des Docteurs et
des Savants catholiques une conformité avec les textes primi-
tifs (4) suffisante pour que l'on puisse faire appel à l'autorité
de leurs leçons pour déterminer dans certains cas d'une manière
nrobable, en vue de l'usage théologique, le texte des propositions
de la Sainte Écriture (5).
RÈGLE IV. — Les textes hébreu et grec offrent de nombreu-
ses utilités (6) pour la juste intelligence et la formulation véri-
dique de nombreux lieux théologiques scripturaires.
1. Cf. J. Berthier, De Locis, édit. Turin, 1SS8, p. 120-133, 139.
2. Dans les limites où le texte ne contient pas per accidens d'incorrections
d'interpolations, etc.; voir sur ce sujet les spécialistes. Cf. aussi Berthier,
loc. cit., p. 144, sq. De Groot, op. cit., q. XVI, a. V", n. V, VI; Bon-
homme, art. cit.
3. et. p. 269.
4. Cf. l'argumentation de J. Berthier, De Locis, n. 134 ssq.
5. Cano refuse au texte hébreu toute autorité doctrinale. De Locis, 1. II,
c. XIII, concl. 3 et 4. Il ne concède aux éditions du texte original qu'ime
valeur d'utilité secondaire et accidentelle, c. XV. Mais les exemples qu'il
donne pour justifier cette valeur d'utilité sont bien près de leur conférer
une valeur doctrinale probable. Cano semble s'être exagéré la corruption
du texte révisé par les Masisorètes et surtout la portée du décret du Concile
de Trente sur la Vulgate. Cf. J. Berthier, De Locis, p. 118, 144 sq.
6. Cf. Cano, De Locis, I. XII, c. XV.
26 Année. — Revue des Sciences. — N° 2. 18
274 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Quatrième instrument. — L'examen des Similitudes.
A. Sources docmnentaires et livres perdus.
La question des sources documentaires de certaines parties de
l'Écriture est à l'étude et le sera sans doute toujours. Aux sour-
ces documentaires se rattachent les monuments archéologirpies
et les inscriptions, enfin les livres perdus mentionnés dans la Bible,
parfois comme faisant autorité. En l'absence de toute garantie
d'inspiration, ces documents relèvent des investigations scien-
tifigues. Cependant, comme leur rapprochement avec les écrits
inspirés peut être pour ceux-ci tantôt une cause d'obscurcisse-
ment, de difficultés, d'objections, tantôt au contraire une con-
tribution utile à leur intelligence, ils méritent la considération
du Théologien, qui d'après la règle générale tirée des exigences
de l'objet de foi, devra fixer les conditions d'admission de ces
données parmi les lieux théologiques extrinsèques et auxiliai-
res ressortissant au quatrième titre général des Lieux théolo-
giques, l'autorité de l'Histoire et des Philosophes. Les livres
perdus, auxquels renvoie l'Écriture rentrent dans cette catégo-
rie à moins qu'elle ne les mentionne comme inspirés, car dans
ce cas il y a lieu de leur donner une note à part.
RÈGLE I. — Toute théorie documentaire est somnise au ju-
gement de l'Église et doit être rejetée par le Théologien même anté-
cédemment à ce jugement si elle est en désaccord avec les règles
concernant l'inspiration, la canonicité, l'interprétation, l'authentici-
té du texte qui constituent les trois premiers instruments d'inven-
tion des lieux théologiques (1). Elle peut être admise, et les docu-
ments authentiques dont elle excipe peuvent servir à déterminer
avec probabilité le sens des lieux théologiques scripturaires, si elle
est en règle avec ces préceptes (2).
RÈGLE II. — Les livres perdus simplement mentionnés par la
Bible doivent être considérés comme des documents humains et,
s'ils \'iennent à être retrouvés, traités au jpoint de vue de l'usage
théologique conformément à la règle précédente.
RÈGLE III. — Les Livres perdus mentionnés dans l'Écriture
Saijite comme l'œuvre d'un prophète ou d'un Voyant, ou attri-
bués à des auteurs comme Isaïe ou saint Paul (3j, qui ont d'ail-
leurs participé au charisme de l'inspiration, sont, à les consi-
1. Par exemple la théorie de F. Leuormant, cf. C. Pesch, De inspiratione
S. Scriptiirae, n. 338.
2. Cf. Goinmunication de la Commission pontificale pour les Études biblicfues,
•27 juin 1906.
3. Cl. J. Berthier. p. 222.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIOUE ^75
dérer en soi, probablement susceptibles de fournir des \lë\ix théo-
logiques scripturaires. La déclaration de leur canonicité par
l'Église serait nécessaire pour les habiliter. Autrement ils de-
meureraient, comme leurs analogues des écrits apocryphes, dotés
d'une autorité probable ressortissant à la Tradition ou aux Saints
Pères.
B.Les livres apocryphes de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Les uns sont conservés dans les éditions de la Bible, d'autres
sont mentionnés comme faisant autorité par la Bible ou par divers
auteurs. Dans le N. T., on distingue des Évangiles, des Actes, des
Épîtres et des Apocalypses apocryphes. Quoi qu'il en soit de leurs
origines très diverses, ces documents ont ce caractère commun
que, se donnant comme inspirés, ou présentant certains signes
d'inspiration, ils ont été exclus soit positivement, soit négati-
vement par l'Église du Canon des Écritures. Dès lors, ils n'ont
pratiquement par eux-mêmes qu'une valeur de document humain.
Pour l'usage théologique, l'on devra donc les examiner tant au
point de vue de la coïncidence de leur contenu avec l'Écriture
inspirée qu'au point de vue des exigences de la foi catholique.
C'est la. seule règle générale que l'on puisse donner, la situation
de ces livres étant très différente, puisqu'ils s'étagent du IIP
hvre d'Esdras, qui n'est dans sa majeure partie qu'une repro-
duction des deux premiers livres et des Paralipomènes, aux
rêveries des gnostiques.
C. Les éditions critiques et les éditions et versions des héré-
tiques en langue vulgaire.
RÈGLE I. — Les textes critiques et les versions savantes des
originaux peuvent fournir des lieux théologiques de même autorité
que les textes dont ils sont l'exacte reproduction, sous la réserve
du jugement de l'Église et de Vanalogia fidei.
RÈGLE II. — Les éditions et versions des hérétiques, si elles
sont destinées à propager l'hérésie doivent être rejetées : si
elles ont une valeur critique, ou de fidélité textuelle, elles peuvent
rendre certains services, après avoir été examinées et corrigées
par l'autorité compétente ou par les théologiens qui les utilisent.
D. Le sens accommodatice.
C'est un sens qui n'est pas de l'intention de l'auteur divin ;
celui qui l'emploie se sert d'une proposition de l'Écriture p'our
exprimer sa propre pensée, qu'il lui plaît de voir dans le texte,
mais qui n'y est pas.
Règle I. — Le sens accommodatice n'a par lui-même au-
cune valeur pour la théologie.
•276 REVUE D^S SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
RÈGLE II. — Les propositions de l'Écriture entendues au sens
accommodatice peuvent avoir pour la théologie la valeur de l'au-
torité dont elles représentent l'enseignement oii la pensée, ma-
gistère de l'Église, Pères, usage liturgique, théologien. Par acci-
dent donc, le sens accommodatice peut fournir des Lieux théo-
logiques certains : quelquefois, il n'aura qu'une autorité pro-
bable, la plupart du temps cette autorité sera nulle, sinon pour
l'édification subjective, du moins pour la science théologique.
Telles sont les principales règles qui développent organique-
ment et d'une manière appropriée à leur but les quatre instru-
ments d'invention des lieux théologiques scripturaires. Il n'y
auiait aucune difficulté, avec les matériau?: que nous offrent les
Traités de Lieux tliéologiques existants, à rédiger un appara-
tus semblablement ordonné pour les autres Lieux communs con-
crets. Nous l'avons fait, pour notre propre compte, et sans à
coup, pour la Tradition, matière délicate entre toutes. Pour le
magistère de l'Église il' y a fort à faire pour dégager la partie
critériologique du traité de sa gangue ontologique. Berthier sem-
ble y avoir réussi. Chose singulière, à partir des Lieux théolo-
giques probables, les Traités de Lieux théologiques les plus
touffus comme ontologie se ressouviennent qu'ils sont des trai-
tés de méthodologie et formulent des conclusions immédiate-
ment convertibles en règles d'invention, ce qui simplifie beau-
coup la tâche. Supposonsla achevée, et chacun des Lieax com-
muns généraux munis d'instruments appropriés à sa nature, de
règles et préceptes tout prêts à diriger le travail du théologien,
l'invention intégrale des lieux théologiques n'est plus qu'une
question de mise en œuvre, dans laquelle rien ne sera laissé au
hasard. Sans doute l'œil du Maître, le regard aux aguets de
l'aitiste qui veille àu bon fonctionnement de ses instruments
sera toujours nécessaire; VArs generalis que nous venons d'es-
quisser ne donne que des procédés, des recettes presque méca-
niques; mais c'est déjà quelque chose, si l'on songe que faute
de procédés et de recettes, les créations du génie humain lui-même
restent le plus souvent à l'état de projet ou d'ébauche.
(A suivre.)
Kain. Fr. A. Gardeil, 0. P...
La création en sept jours,
d'après les Apocryphes
de FAncien Testament
LES Apocryphes juifs de l'Ancien Testament donnent volon-
tiers à Dieu le titre de Créateur, parce qu'il a l'avantage,
apprécié surtout en ce temps, d'éveiller directement dans l'es-
prit du lecteur le souvenir de la domination primordiale de Dieu
sur toute créature, en même temps qu'en son cœur le sentiment
de sa transcendance incontestée sur le monde, et l'on sait déjà
que le récit de la Genèse est l'une des sources, ou, plus juste-
ment, la seule source où le Juif de cette période puise sa con-
naissance de Dieu ^. Après avoir signalé ce fait, en utilisant
pour l'illustrer les textes que nos Apocryphes présentent épars,
il convient d'y revenir encore, en étudiant, cette fois, exclusi-
vement, les documents plus étendus qui montrent Dieu s'ac-
quittant pendant sept jours de son œuvre créatrice. Ces nou-
velles éditions de Gcn. I-II, 4, se permettront de modifier leur
prototype sur plus d'un point, et, en notant, au cours des récits
ces modifications diverses, l'on pourra atteindre, en quelque
manière, les préoccupations théologiques qui s'imposent aux écri-
vains, deviner peut-être aussi les idées religieuses étrangères
qui, soit directement, soit plutôt après maint intermédiaire, ont
vraisemblablement exercé sur eux quelque influence, constater
enfin — et ceci est le point le plus intéressant — comment ils
savent maintenir en tous cas transcendante et pure la person
nalité de Dieu.
Les documents qui viennent ici en question sont les saivants,
Jubilés II, W Esdras VI 38-55, et Hénoch slave XXIV-XXXL Ce
dernier récit apportant des détails tout nouveaux, et dérangeant
d'ailleurs sur quelque point l'agencement traditionnel des sept
jours, devra être étudié avec plus de longueur : je le mets donc
1. Cf. Revue des Se. Ph. et Th. I, (1907), pp. 45 et suiv.
.278 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
à part, et joins pour l'instant l'une à l'autre, nonobstant la dif-
férence des livres qui les contiennent, les deux narrations des
Jubilés et d'Esdras qui s'entendent assez, même dans les détails,
et, en tous cas, en prennent moins à leur aise avec le texte
sacré.
Dans la lecture des deux documents qui viennent d'être nom-
més, une chose frappe tout d'abord, c'est le soin qu'ils prennent
l'un et l'autre de faire rentrer dans les six jours primordiaux
l'œuvre tout entière de la création. Le temps est strictement déli-
mité pendant lequel Dieu travaille, et rien n'a dû se passer en
dehors de cette période. Au commencement. Dieu avait créé le
ciel et la terre, et c'était seulement après l'apparition de la lamière
qu'il avait compté le premier jour. Voilà ce qu'on lisait dans les
livres de Moïse, lesquels, sans doute, ne visaient pas à une exac-
titude trop grande : mais, fallait-il entendre par là que le ciel et
la terre avaient été faits en dehors de la semaine primitive ? Non
assurément, et il était prudent de le dire. « Au 'premier jour,
(Dieu) fit le ciel d'en-haut et la terre... », précise l'auteur des
Jubilés, et celui d'Esdras, plus attaché à la lettre sacrée, et n'en
voulant point perdre quel détail que ce soit, « loquens locutus es
al) initio creaturae tuae in primo die, dicens : Fiat coelum et
terra ». Dès lors, toute possibilité d'erreur est écartée : tout
le monde comprendra que le n"'c."S-i3 génésiaque ne désigne point
le commencement des temps, quelque période vague et indéter-
minée, mais bien le commencement de la création, c'est-à-dire,
le premier jour. — Après avoir enregistré tout le développement
de l'apparition des êtres en ce monde, et avant de noter le repDS
auquel Dieu s'astreignit au sabbat primitif, quelle distraction
était donc survenue à Moïse pour qu'il écrivît : « (Dieu) acheva
au septième jour son œuvre qu'il avait faite » {Gen., II, 2) ?
Le septième jour étaitil donc commencé, quand le Créateur
interrompit son travail, et le repos du premier sabbat n'aurait-
il point été absolu ? Ce serait une grande erreur que de le
croire. « (Dieu) finit tous ses travaux le sixième jour^, tout ce
qui existe dans le ciel et sur la terre...» (Jub., 16). Ces recti-
fications suggestives dénotent chez nos auteurs un souci assez
vif de maintenir l'institution sacrée de la semaine, et d'affir-
mer, sans erreur possible, la nécessité du repos sabbatique,
repos entier, absolu, tel que le commande la Loi. En ce qui con-
cerne Esdras, il faut ajouter une autre remarque encore.
1. Le samaritain et les Septante ont rléjà la correction.
LA CRÉATION EN SEPT JOURS 279
On a va que le premier Fiat créateur était transporté chez
lui en tête de sa narration, au moment où s'exerce pour la pre-
mière fois l'action divine : le ciel et la terre se sont faits alors
subitement, et voici qu'il y a encore « un Esprit et des ténè-
bres » qui planent^, non point précisément au-dessus des eaux
chaotiques qu'on ne mentionne pas -, mais vraisemblablement
au-dessus des éléments même qui viennent d'être créés. Le texte
continue alors : « tune dixisti de tliesauris tuis proferri lumen lu-
mînosum quo appareret opus tiium »; et les meilleures versions
s'accordent ici en substance -^ L'auteur se sert du style indirect,
et il affirme que la lumière a été tirée par Dieu de ses trésors
célestes. Elle ne fut donc point créée en ce moment même, mais
existait déjà, avant que s'exerçât pour la première fois l'action,
divine, dans les trésors de Dieu. Si Esdras recule le Fiat créa-
teur au moment même de la formation du ciel et de la terre,
c'est donc encore qu'il ne voulait point le laisser en la place
qu'il tient dans la Genèse, et, de fait, on eût été surpris de l'y
rencontrer à nouveau, si l'effet s'était déjà produit par' avance
et indépendamment de l'ordre divin. L'Ancien Testament avait
jadis rapproché la Imnière de la persomie même de Dieu*,
et les Targums, continuant dans le même sens, en viendront
à remplacer le nom divin par la périphrase ""n xip^ ^. Il en va
d'autre sorte en notre texte : on ne nous propose point pré-
cisément quelque identification de l'aspect extérieur de Dieu
avec la lumière ^, mais on affirme qu'avant la création la In
1. Hilgenfeld traduit le passage: rjv rôre irveOfia éiri<p€ pofievov Kui (TKÔTO
irepiecpépeTo. Si l'original portait quelque chose de ce genre, la conjecture
est permise que l'auteur avait pu s'appuyer sur les Septante, et donner
deux sujets au verbe èincpé pero, justement les deux substantifs cfui pré'
cèdent.
2. Du moins, dans les vers, lat., syr. et éth. — Ar''- : Et spiritus venit
super aquas . — Ar^ : Et Spiritus et Verbum super aquas yolitabant. —
Quant à la version armén., elle juge d'autant plus nécessaire de parler
avec longueur des eaux primitives, qne les meilleures versions n'en di-
saient mot.
3. Syr. :... de thesauris tuis proferri splendorem luminis, ut apparerent opéra
tua.
Aeth.: ...Mi veniat lumen ex cubili tuo et videatur opus tuum.
Ar^.: Dixisti : Fiant lumina, ut lucem dent super creaturam quam fecisti.
Ar^. : Et imperasti, et lux ex promptuariis tuis exiit, ut quae creaveris
manifestarentur et qnae effeceris palam fièrent.
Arm. : (arrangement tout différent), tu jussisti splendere lumen.
La première version arabe est donc seule à mentionner ici le Fiaf de la
Genèse, et la création proprement dite de la lumière.
4. Cf. mon article, The iclea of Liglit in The 0. T. dans la New-York
Reoiew. II (july 1906), p. 70.
5. Cf. Weber, p. 165.
6. Contre Gunkel (dans Kautzsch, p. 367, note e) qui conclut : « ûas
Licht gehôrt zu Gottes Wesen ».
280 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
mière existait auprès de Dieu, il faut le remarquer, du reste,
SOUS la dépendance complète de Dieu. L'idée est assez nou-
velle, et il me paraît qu'elle peut s'expliquer par cette con-
ception, que Dieu devait avoir sa résidence, ses trésors, ses
promptuaria, déjà constitués avant la création : avant que tou-
tes choses existassent, il fallait bien que Dieu eût sa demeure
pour qu'il y habitât i. La chose paraît assez importante à Esdras,
pour qu'il modifiât en conséquence le récit traditionnel de la
Genèse II se peut donc que telle ait été la représentation de
plusieurs à cette époque, représentation populaire assurément,
et qui rappelle en quelque manière celle que nous présentent
les documents babyloniens : Anû, « le père des dieux », rési-
dait, lui aussi, dans un ciel tout inondé de lumière. — Sur
l'ordre de Dieu, la lumière primordiale va projeter son éclat
hors du monde suprasensible, et éclairer le ciel et la terre
nouvellement créés, jusqu'alors plongés dans les ténèbres. La
fin du développement d'Esdras, qui rappelle en quelque ma-
nière les dires de Josèphe^, a été conçue pour faire le pen-
dant de Gen., 2 (ap. LXX), ri dï y^ r,v ahoy-o^.
S'il faut en croire l'auteur des Jubilés, l'action de Dieu amena,
le premier jour, sept créatures à l'existence : quatre d'entre
elles sont expressément nommées, les cieux d'en-haut, la terre,
les eaux, les esprits ; et, dans l'énumération qui suit, on nous
laisse le soin de distinguer les trois qui manquent encore. D'a-
piès Rônsch ^, ces trois éléments seraient les abîmes, l'obscurité
et la lumière; Littmann* pense plutôt aux anges de la nature,
aux anges des saisons (divisions de l'année), aux anges de la
lumière et des ténèbres (divisions du jour). Le sentiment du
premier critique peut s'appuyer sur le rapprochement qui se
fait de lui-même entre « tous les esprits qui servent devant
(Dieu)... » et « tous les esprits de ses œuvres » : mais, si l'on
peut en rester à notre texte actuel, cette dernière incise n'est pas
complète, et il faut la donner dans toute sa longueur, « tous
les esprits de ses œuvres dans les cieux et sur la terre et dans
1. L'on peut dire aussi — et je crois la chose assez probable — que
l'auteur a été influencé par la traduction des Septante à Jerem. X, 14 :
e^riyayi <f>û>s èK drjcravpûjv avroO. Les traducteurs çrecs avaient trouvé dans leurs
mss., ou, du moins avaient lu, au lieu du texte Massor., vmvXO nn XW
ce qai suit "O miX XVV (cf. DuHM, 102).
2. Taùrrjs (r. 7^5) d'ùrràipiv ovk êpxofJ.éfris. àWà fiadd fièv KprirTOfiév-q^ (TKÔTei... A. J. l. 1.
3. Das Buch der Jubilàen, p. 260, Leipzig, 1874.
4. Dans les Pseudepigraphen de K.a.utzsch, p. 42, note a.
LA CRÉATION EN SEPT JOURS 281
tous les abîmes ». Et alors s'évanouit la cinquième des œuvres
distinctes que Rônsch avait énumérées. Cette même incise vient
aussi se jeter entre les sixième et septième œuvres mention-
nées par Littmann, ce qui rend par suite caduc tout son sys-
tème de division. — Une chose ressort clairement de notre texte,
c'est que l'auteur des Jubilés s'est essayé à une classification
d'anges. Les anges de la Face et ceux de Sainteté ^ forment
deux groupes distincts en cette classification, puisque d'autres
passages du livre les signalent comme étant d'espèces différentes
(II 18, XV 27, etc.); quant à tous les autres qui sont ici mention-
nés et qui président au vent, aux nuages sombres, à la neige, etc.,
ils ne peuvent que former une classe à part, ce sont les anges
des éléments. Nous avons donc affaire à une division tripartite
des esprits créés au premier jour 2. Il est vrai que cela ne nous
avance en rien, car il demeure au moins très probable que toutes
ces catégories rentrent dans la dénomination générale qui pré-
cède, « tous les esprits...., tous les esprits de ses œuvres ».
Les trois créatures qui nous manquent ne doivent rentrer en
aucune manière dans les quatre premiers groupes qu'on a dis-
tingués avec toute la clarté possible : leur mention est donc
à chercher dans cette fin de phrase qui malheureusement pré-
sente un texte fort corrompu. Par bonheur, nous n'en sommes
point réduits ici à la seule version éthiopienne, et le De men-
suris et ponderihus (chap. XXII) de saint Épiphane est an témoin
précieux du texte qu'il nous faut interroger. Or, dans ce travail,
la phrase se poursuit en cette manière : « les œuvres de Dieu
dans les deux et sur la terre, rà; à.^'Jaaovç, zr,v ze ÙTroxàrco ry}^
Ti Kc.l opBpov 3. » Dans cette fin d'énumération, l'on peut distin-
guer sans grande difficulté les trois choses qui, elles aussi,
furent créées par Dieu en ce premier jour, et ce sont, les abîmes
qui s'ouvrent au-dessous de la terre et du chaos, c'est-àrdire
1. On de « Louange », si, avec Praetorius, on admet une confusion entre
OP^Ù, et *^rL.
2. Ronsch exprime aussi cet avis en quelque autre endroit fp. 101).
3. Cf. P. G. XLIII, 276. Ce texte est, dans une certaine mesure, garanti
par la_ vieille version latine, qui lit : « ad haec, abyssos ac voragines creavit
quae intra terrain sunt ac chaos, et tenebras; seciita est vespera, oiox, diei
lux, ac diluculi ». Une autre lecture, celle qu'adopte Rônsch (p. 259), pré-
sente le texte :... Kal tov xdons rà ctkôtos... Quant au Cod. Marcian., il glose assu-
rément ici : Tas Te èv à^vaaoïs, rrjv re VTroKaru ttjs à^vaaov tQv îiôàruv twv t€ èir&vw
Trts yrjs, é^ 06 vwèp (tkotos éari, Kai aKÔros... Ces diversités de lecture prouvent
incontestablement que le texte, ici non plus, n'est point assuré.
28:2 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
des eaux primitives déjà existantes ^ ; l'obscurité du soir et de
la nuit, la lumière de l'aurore et du jour 2. Sur ces trois choses,
'deux sont mentionnées au second verset de la Genèse sans
qu'on sache comment, depuis quand, par qui elles furent cons-
tituées, les ténèbres et l'abîme. Ceci ne correspondrait-il pas à
l'original, et n'aurions-nous point trouvé là les éléments que nous
cherchions encore? L'auteur des Jubilés aurait écrit avec un souci
constanr d'affirmer que Dieu a créé toutes choses : tout ce que
Moïse mentionnait en son récit avant qu'il ne fût question du soir
du premier jour, tout cela^ sans aucune exception, avait été fait
ce premier jour. Alors étaient venus à l'existence, 1) le ciel, —
2) la terre, — 3) les eaux, — 4) les esprits angéliques nn
D'nVs 2, — 5) les abîmes, — 6) les ténèbres primitives, analogues
à celles qui obscurcissent tout le soir et dans la nait, — 7) la
lumière primordiale enfin, qui est celle dont nous jouissons en-
core à l'aurore et pendant le jour. Les anges prennent la place de
l'Esprit de Dieu *, et ainsi tous les êtres mentionnés dans les 4 pre-
miers versets de la Genèse sont affirmés explicitement créatures de
Dieu. On les a comptés un à un, il y en a sept : dès le prin-
cipe, le nombre fatidique affirme donc son caractère mystérieux
et sacré.
Ce qui fut créé au premier jour est, sans doute, un monde
supérieur, en tout cas, un monde non développé, des cieux et
peut-être une terre d'en-haut, roj; àywrÉoow»; oipâvoi;; : la terre que
nous foulons fut constituée seulement le 3'^ jour dans l'état où
elle se trouve aujourd'hui. Dans l'intervalle avait été fait le firma-
ment qui devait servir de cloison entre les eaux supérieures et
les inférieures : firmament qui, dans l'estimation d'Esdras, n'est
1. L'axiteur parle des abîmes au pluriel, et mentionne celui qui est au-dessous
de la terre, et celui q^^ii est au-dessous du chaos. Il distingue donc entièrement,
au second verset de la Genèse, la terre restant informe et vide, et les eaux :
Vahvne qni, dans le texte sacré, est cité entre les deux, se place en réalitéi
au-dessous de l'une et au-dessous des autres.
2. En dernière analyse, Ronsch a donc eu raison de distinguer comme il
l'a fait les trois derniers êtres créés par Dieu en ce jour.
3. L'auteur n'aura voulu tenir compte qne du second mot : du reste, Joh,
XXXVIII, 7, a pu être considéré comme une preuve manifeste que les anges
furent créés avant la formation de la terre, donc aussi au premier jour.
Plus tard, Beresch. rab., viendra combattre cette opinion, pour couper court
à quelque difficulté théologique.
4. Ils ne prennent pas la place de la lumière, selon que le croyait
saint Isidore de Séville (Orig. I, 20), lequel se reportait vraisemblable-
ment à notre livre des Jubilés : « Primo die, Deus in lucis nomine con-
didit angelos ». Cette dernière conception rappellerait plutôt les écrits rab-
biniqnes qui considèrent les anges comme des êtres de feu. (Cf. Weber,
p. 166).
LA CRÉATION EX SEPT JOURS "283
point une créature brute, mais plutôt mi être spirituel, Spi-
ritum firmamenti'^. Puis les eaux inférieures se sont rassem-
blées en un même lieu, et la terre présente est apparue. Cela
ne satisfait point entièrement l'auteur des Jubilés : est-ce que
la mer a été créée par Dieu indirectement, parce qu'il fallait
bien que les eaux allassent quelque part, alors qu'elles s'écar-
taient de l'aride ? Non, l'intervention du Créateur fut directe.
« Et il créa pour (les eaux primitives inférieures), toutes les
mers, chacune selon ses réservoirs, et tous les fleuves, et tous
les réservoirs des eaux sur les montagnes et sur toute la terre,
et tous les étangs, et toute la rosée de la terre ». La mention de
l'eau iiienfaisante et qui féconde le sol amène la mention des
plantes et des arbustes qui ne manquent pas d'y croître ; la
mention des arbustes et de la végétation si appréciée en ces
pays d'Orient attire, à son tour, celle « du jardin Eden en
Eden ». Lui aussi fut créé en ce jour, qui était le troisième.
Dans le passage correspondant de son livre, Esdras prend
soin de dire que la création fut bien ordonnée, car la mer occupa
le septième de l'espace, les six autres parties étant réservées à
la terre. Puis il continue : « Conservasti (sex partes aridas),
ut ex his sint coram te minisirmitia seminata adeo et culta ».
Cet adeo parfaitement inexplicable dans une phrase assez mys-
térieuse est lâché par les versions syr., éth., et ar., et il paraît
bien qu'on doive le couper en deux et lire la fin du texte, « se-
minata a Deo et culta », suivant l'hypothèse depuis longtemps
proposée. Quant au terme ministrantia, le syriaque le rend de
telle sorte qu'on puisse supposer un original ipyoQôatvoi', l'éthio-
pien, qui nous domie la lecture ^rhCfr, a dû trouver quelque
1. Gunkel fait ici la remarque que « l'esprit dxi firmament » jiùf correspond
à un « dieu du ciel païen » (Anû, Baal samajim, etc.) Le rapprochement,
quoique fondé, n'est pas vrai sous tout rapport : les Ba'alim n'étaient point
chargés de séparer en deux les eaux primitives, et il en faut dire autant
d'Ajiû, le abu ilâni, dieu suprême, qu'on ne saurait confondre avec ce
Spiritus firmamenti, être céleste subordonné. S'il fallait trouver dans l'his-
toire des religions quelque parallèle à cet Esprit du firmament, j'aimerais
mieux alléguer les dieux égyptiens Shu ou Bes qui s'interposent entre
le Ciel et la Terre, les arrêtent dans leur embrassement, et, empêchant
par la suite tout rapport intime entre eux, gardent la Terre sous leurs
pieds, tandis qu'ils soulèvent le Ciel au-dessus. Étant donné le récit génésiaque,
les Eaux chaotiques prennent ici la place du couple primitif : elles sont, on
le sait, des deux sexes, et maintenant, depuis le temps de la création lec
l'intervention de ce Spiritus firmamenti. elles sont écartées de deux côtés,
leur mélange fécond est empêché, et les eaux du sexe masculin sont retenues
au ciel, tandis que celles du sexe féminin demeurent ici-bas. [Hen. eth.
LIV, 8). — On remarquera cependant que, dans les livres juifs, le monothéisme
et la souveraineté suprême du Dieu unique sont soigneusement mainte-
nus.
284 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
chose de pareil dans son texte et l'a rendn assez clairement.
IM'ous en venons donc ainsi à la traduction suivante : « Voas
avez séché et gardé six parties* de la terre, afin que, parmi elles,
il y en ait (? une) gue, devant vous, ils travaillent, laquelle
avait été ensemencée par Dieu et plantée ». C'est encore d'Eden
qu'il est question, et la description poétique qui suit notre texte
s'y applique au mieux. Ainsi, Esdras, d'un côté, ne contredit
point le renseignement de Gen. II, que la plantation d'Eden
s'était faite après la création de l'homme, et, de l'autre, de-
meure d'accord avec l'auteur des Jubilés, que le jardin de déli-
ces avait dû être créé ^ le troisième jour.
Puis la semaine primordiale se continue et voici qu'appa-
raissent de nouvelles œuvres. C'est le soleil, la lune et les
étoiles qui reçoivent déjà l'ordre de servir l'homme (ZF Esclr.),
et ceci montrera toute la folie des idolâtres qui, adorant les
astres, se prosternent tout simplement devant leurs propres ser-
viteurs. Puis ce sont les créatures animées, les monstres géants
en premier lieu, qui sortent des mains créatrices : Dieu crée
lui-même les poissons et les oiseaux, les animaux de la terre et
le gros bétail (Jubil.). Son action s'exerce sans intermédiaire,
et point n'est besoin que les eaux, que la terre reçoivent l'ordre
de produire des êtres vivants {Gen. I, 20, 24). Tout être dépend
directement de Dieu 2, car il a été produit par lui seul, et profite
sous l'action du soleil que Dieu a créé. — Sur ce point, le quatriè-
me livre d'Esdras est d'un sentiment tout opposé. Les eaux furent
mises dans l'obligation de produire Behemoth et Leviathan, les
volatiles et les poissons; la terre dut donner naissance aux bes-
tiaux, aux animaux sauvages, à ceux qui rampent : et tout se
fit suivant l'ordre reçu. Cette disposition des choses n'est-elle pas
1. Les anthropomorphismes de J sont plus respectés par Esdras qfue
par l'auteur des Jubilés : ce n'est point directement la création du iardin
d'Eden qu'on nous fait connaître, mais bien la conservation d'un coin
de terre seminata a Deo et cidfa.
2. L'homme aussi dépend directement de Dieu. Alors gu'il apparaît en ce
monde sur l'ordre du Créateur, était-il androgyne, comme Ronsch (p. 261,
note) l'a pensé? Je ne le suppose pas, et il me semble que Jiib. II, 14, est
tout simplement une trajiscription de Gen., I, 28 : ce qui gêne en ce
contexte, est la suppression du « Crescite et multiplicamini », qui, dans
le livre canonique, légitimait la mention de l'un et de l'autre sexe. Mais
ceci même n'a-t-il point été omis à dessiein, pour que rien ne semblât
laissé à la libre discrétion de l'homme, et que celui-ci en toutes choses
parût sous la dépendance directe du Créateur? Ce serait un sentiment du
même genre qui aurait porté plus loin encore à une modification du texte
sacré : « Dieu leur dit: Remplissez la terre et assujeltissez-la., dominez... »
écrivait l'auteur de la Genèse, et celui des Jubilés transcrit : « Dieu fit
l'homme maître de tout ce qnii est sur la terre... »
LA CRÉATION EX SEPT JOURS 285
plus admirable, et l'hommage plus éclatant, qui est rendu à la
puissance infinie du Créateur ? « Et il arriva que les eaux muet-
tes et sans âme donnèrent le jour à des êtres qui ont une âme,
afin qu'à cause de cela les nations racontent vos merveilles ». Que
la création soit médiate ou immédiate, il importe peu : l'essen-
tiel 6st que la grandeur de Dieu, sa suprématie sur toute créature
soient hautement proclamées ! Le point de vue peut varier d'un
auteur à l'autre : l'intérêt théologique reste le même qui les guide
dans la disposition de leur récit.
Après Dieu, le peuple d'Israël est l'objet de toutes les préoc-
cupations de nos deux écrivains : les récits qu'ils nous donnent
ont-ils d'autre but que de rappeler la place toute spéciale occupée
dans la création par le peuple auquel ils appartiennent? « Haec
omnia dixi coram te, domine, quoniam dixisti quia propter nos
creastl saecuïum » (Esdr.). Le premier homme était à peine créé
— on ne dit plus « à l'image et à la ressemblance de Dieu », car
il est manifeste que Dieu ne peut se refléter dans tme image et
montrer quelque ressemblance avec un habitant de ce monde, —
et déjà le Créateur annonçait aux anges qu'il allait faire un peuple
qui lui serait consacré (J^^6.). Cette idée même l'a inspiré pendant
toute son œuvre : dans ses six jours de labeur, vingt-deux créa-
tures sortirent de ses mains, et voici que Jacob marquera la
vingt deuxième génération sortie des lombes d'Adam ^ ; le sep-
tième jour qui vient à la fin de la semaine créatrice est sanctifié
par Dieu, et il en va tout de même de Jacob succédant aux hom-
mes d'avant lui : l'un est sanctifié en même temps que l'autre,
l'un est sanctifié parce que l'autre le doit être. Les nations ne
comptent point, disait le Pseudo-Esdras, et l'auteur des Jubilés
déclare qu'Israël seul fut choisi pour faire ici-bas ce que Dieu
et ses anges font au ciel, observer le sabbat et son repos sacré.
Que nos deux Apocryphes trahissent ainsi les préoccupations
diverses d'une théologie juive correcte, on n'en saurait être sur-
pris : leurs auteurs, des Palestiniens, sans refuser d'admettre
telle tradition d'origine douteuse, ne restent point, pour autant
qu'il semble, sous l'influence directe des idées religieuses étran-
gères, et, malgré certaines retouches intentionnelles du texte
sacré, visent à nous donner une reproduction exacte de la Genèse.
La situation est tout autre pour celui qui écrivit le livre slave
1. Les 22 œuvres de la création seront comparées plus tard aux 22 lettres
de l'alphabet hébreu, ou aux 22 livres de la Bible : mais ceci ne présente
point un tel intérêt.
286 REVUF DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
d'Hénoch : ses préoccupations furent-elles aussi toutes diffé-
rentes, voilà ce qu'il faut maintenant rechercher.
Le nouveau récit de la création est fait par Dieu même. On
n'aura plus affaire ici à un être céleste subalterne, pareil à ceux
qu'on introduit d'ordinaire dans les Apocalypses pour qu'ils don
nent les explications nécessaires ; quelque nouvel ange de la Face
ne viendra point entretenir Hénoch comme son consort entrete-
nait Moïse (Jub.) : c'est le Créateur qui parle, et il est le seul qui
puisse parler sur ce sujet avec compétence. « Même pas à mes
anges je n'ai conté mes secrets, et je ne les ai point informés de
leur origine, et ils n'ont point compris ma création infinie que je te
conterai, à toi, en ce jour ». Nous allons entendre une doctrine
secrète, et, si l'on fait intervenir Dieu même pour la garantir,
c'est qu'on a l'impression qu'elle a besoin d'une garantie sé-
rieuse, que son énoncé enfin différera beaucoup des récits tra-
ditionnels, suffisamment garantis déjà et, sans discussion, accep-
tés de tous.
Toutes les choses qu'Hénoch a sous les yeux — il se trouve
pour lors au ciel, à la gauche du Tout-Puissant — tout cela
fut complété par Dieu. Est-ce à dire qu'il y eût des êtres, des
êtres célestes, qui aient existé à côté de Dieu, avant toute créa-
tion ? On n'en dit rien explicitement. On dit même le contraire,
et, en XXIV 2, la création ex nihilo est formellement affirmée,
mais il se peut que l'on doive s'entendre sur les termes, et
qu'il s'agisse là tout simplement d'une sortie soudaine de l'être
hors d'un monde supérieur, et d'un développement méthodique
des choses sur l'ordre de Dieu (comparez verset 5). En tous cas
la personnalité de Dieu et un certain monde invisible parais-
sent tout d'abord coexistants : la pensée de l'auteur n'est
point allée à chercher ce qu'il y avait antérieurement, et si ce
monde invisible devait son existence à l'intervention d'un Créa-
teur. La chose paraît d'autant plus surprenante, que l'invisible
dont il est fait mention correspond très exactement au ciel et à
la terre de Gen. I 1, lesquels, d'après Moïse, avaient été créés
au commencement. Dans ce monde suprasensible. Dieu semetit
d'un mouvement régulier, tout comme la nn génésiaqne au-
dessus des eaux chaotiques. Ce mouvement se dirige de l'est à
l'ouest et retour, comme celui du soleil, mais lui, en revanche,
est im'nterrompu : sous l'influence de ce mouvement tous les
êtres seront créés. Cette comparaison du soleil et de Dieu hâ-
tant par son mouvement supérieur Téclosion des choses \àsi-
LA CRÉATION EN SEPT JOURS 287
bles au sein de l'invisible, est à rapprocher, en quelque maniè-
re, de Jubilés II 11-12 : on se rappelle qu'en ce passage, l'or-
dre donné aux animaux de croître et de se multiplier, avait
été omis, et qu'au lieu de cela, on mentionnait ici l'action évidem-
ment fécondante et avantageuse du soleil sur les animaux comme
sur les plantes, ce qui était montrer l'exécution providentielle
de l'ordre donné.
Voici donc venu le premier moment de la création. Dieu com-
mande dans les profondeurs {Gen. 2, « à la surface de l'abîme »),
et ordonne que les choses visibles sortent de l'invisible où elles
se trouvaient par avance, et où elles se sont développées jus-
qu'à maturité. Ce qui sortit fut Adoil, créature très grande, de
couleur rouge, très brillante. « Et je lui dis : Éclate en deux,
Adoil, et laisse être visible ce qui sort de toi. Et il éclata en
deux, et il sortit une grande lumière ». Singulier récit 1 Qu'est-
ce bien que cet Adoil, et que faut-il penser de son nom ?
Charles ^ suggère l'étymologie *?« i' . Mais quelles transforma-
tions ont pu changer "px n^ en Adoil ? Et, d'un autre côté, que
la main de Dieu éclate tout-à-coup et qu'il en sorte une grande
lumière, dépasse tout de même trop les limites mêmes du fan-
tastique. Une chose est sûre, et c'est que Adoil doit correspon-
dre à un groupe de mots sémitiques : le nom divin forme, sans
errem- possible, le dernier élément du mot-, et se recomiaît aussi
facilement ici que dans les autres dénominations de ce même
livre, Satanail, Samuil, Ragnil, etc. Il n'en faut point rester là.
— Les chapitres XXXV et XXXVI d'Hénoch sont taillés sur un
même patron, et la suite de l'histoire fait apparaître encore une
personnalité mystérieuse qui sort de l'invisible : entre Arl-Jias
et AdoiL il doit y avoir nécessairement quelque rapport, et l'éty
mologie de l'un de ces noms fera trouver l'étymologie de l'autre.
D'après Charles, il serait possible qu'Arkhas correspondît ààp/y-,
et j'avoue que ceci pourrait se baser sur une exégèse fantaisiste
de Gen., I :1 (d'après le grec) : « dans la Arkhé, Dieu créa le ciel
et la terre». La création première aurait été supposée médiate,
et Dieu aurait été censé créant seulement un œuf quelconque.
1. The Secrets of Enoch, p. 32, n. 1. Oxford, 1896.
2. Il m'est difficile de comprendre pourquoi Loisy (Z7n nouveau livre
d'Hénoch, dans Revive d'hist. et litt, rel., I, 42^ n'a point remarqTié la
chose. Entre Adoil et Satanail, il y a ime ressemblance de finale qui n'est
point le fait du hasard et ne comporte pas deux explications. Et l'auteur
de II Hen. sait bien à quoi s'en tenir sur le sens du dernier élément
qxii entre dans la formation de ces mots. « Le diable devint Satan après
cfu'il eut quitté les cieux; son nom' était auparavant Satana-il » (XXXI, 4).
288 BEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Arkhé, lequel aurait contenu en germe le ciel et la terre. Mais il
y a bien à cela quelques difficultés, et d'abord celle-ci, que les
deux noms mystérieux n'auraient point la même origine et n'ap-
partiendraient point par leur étymologie à la même langue. Et
puis, nous n'en sommes plus au commencement, puisque le pre-
mier jour de la création a commencé, et ceci est décisif. Loisy
estime qu'Arkhé « est plutôt l'hébreu y'yi^r\, la terre, altéré dans
sa transcription, et retenu par l'auteur, comme Adoil, pour ne
pas employer les mots communs ». Certes l'altération serait assez
grande, puisqu'elle porterait à la fois sur les deux premières
radicales contractées en un même son, et la dernière lue r\ -. la
chose est-elle si vraisemblable? Je remarquerai plutôt que l'un des
ms. d'Hénoch apporte, au lieu d'Arkhas, la lecture suggestive, Taz-
his, ce qui en vieux slave signifie poids, et que cette même qualité
de pesanteur et de solidité est d'ailleurs expressément attribuée
à l'être mystérieux,, « la chose solide..., Arkhas sortit solide et
lourd » (vers. 1). D'un autre côté, il me paraît intéressant de
noter qu'au chapitre XXVII le firmament génésiaque n'est point
nommé en la place qui lui revient, et qu'il est remplacé là même
par la locution, une substance épaisse, ce qui ne rend point net-
tement l'idée de solidité inhérente au mot employé par les Sep-
tante (TTîpÉcoua ; de plus, on voudra bien remarquer que les œu-
vres des deux premiers jours génésiaques furent, au sentiment
de notre Apocryphe, accomplies en un même jour qui est le pre-
mier (XXVII, 4), ce qui n'empêche pas, du reste, que l'auteur
n'ait, en contant la création de ce premier jour, jeté à deux re-
prises différentes, après l'apparition d'Adoil d'abord (XXV 3),
après l'apparition d'Arkhas et la formation de la « substance
épaisse » ensuite (XXVII 3), le petit refrain. Et Dieu vit que
ceci était bon, qui indique dans la Genèse la fin du travail quo-
tidien du Créateur. De tout ceci, ie conclus, et il me semble qu'on
peut le faire avec sécurité, que notre Apocryphe a dédoablé le
firmament biblique, — dans quel but, nous le chercherons bien-
tôt, — et que le mot mystérieux, Arkhas, est tout justement i;^p"in^
du texte sacré. On ne saurait trouver invraisemblable que ie fir-
mament soit ainsi placé comme base des choses inférieures (Loisy),
car l'auteur n'envisage pas le firmament lui-même ; mais, ayant à
exprimer l'idée d'une chose «solide et lourde», qui puisse, dès
lors, rester tout en bas du m'onde pour en être le plancher inférieur,
se jugeant d'ailleurs obligé d'emprunter ses expressions au texte
1 . Kt non pas l'inarticulé l'^pi (Charles).
LA CRÉATION EN SEPT JOURS 289
sacré, il tire parti du mot r''p-in que les LXX avaient rendu
précisément aTîc-é«|y.a. Peut-être faut-il reconnaître enfin que ce
pouvait être « pour ne point employer les m'ots communs », que,
dans sa transcription, il laissa tomber tout juste la syllabe ac-
centuée, et ne nous donna point un 'Ap/îaç, comrie on l'aurait
attendu.
S'il faut reconnaître dans ArJchas, le firmament créé ou ame-
né par Dieu en ce monde visible, Adoil qui fut créé antérieure-
ment et reconnu déjà comme bon par le Créateur ne peut être que
la lumière. Ceci s'accorde au mieux avec notre texte : « sa couleur
(celle d'Adoil) était rouge, d'une grande splendeur », et c'est l'éclat
même de la lumière. Enfin ceci rend clair le texte qui suit, et l'ex-
plication s'impose : « la lumière sortait de la lumière » (XXV 3).
Adoil est donc bs* iix. Pour quelque motif que ce soit, peut-être
encore pour donner au mot une tournure mystérieuse, peut-être
plutôt pour qu'on ne confondit point cette première créature de
Dieu avec l'ange bien connu 'Uri'el^, l'auteur de l'Apocalypse
changea dans le mot l'ordre des radicales, "pNns, et une confu-
sion entre les lettres n et nous donna enfin la lecture que
nous avons aujourd'hui.
Adoil est donc la lumière, ou, ce qui est plus exact, un objet
(être) lumineux (XXV 1), contenant en soi la lumière même, la-
quelle déjà, sous l'action de Dieu, en est arrivée au dernier période
de sa formation. L'éclosion va avoir lieu et Dieu commande : alors
Adoil éclate, et la lumière diffuse paraît et remplit le monde. Dieu
en personne s'en trouve tout enveloppé, et c'est alors qu'il se fait à
lui-même un trône, le trône de la magnificence divine dont par-
lent les théologiens, et sur lequel repose la nin*» nna . « Et je
dis à la. lumière : Va t'en en haut, et établis-toi au-dessus de
mon trône, et sois le fondement des choses par en haut ». Dieu
s'était préoccupé de poser des fondations au monde qu'il voulait
créer (XXIV, 5) : voici maintenant que le plancher supérieur est
en sa place ; reste à faire et à disposer le plancher inférieur.
Dieu renouvelle son ordre dans les profondeurs et appelle hors
de l'invisible « la chose solide » qui s'y trouve. Arkhas paraît
puis éclate à son tour ; et c'est le monde grand et noir qui sort
de son enveloppe, grande et noire-, elle aussi, comme la lumière
1. D'après 11 Hen., XXIX, les anges furent créés à un autre moment, qui
peut bien n'être plus compris dans ce premier jour.
2. La lecture très rouge, présentée par qq. mss. en XXVI, 1, est assurémeat
défectueuse, et provient de l'influence de XXV, 1 sur un rédacteur aui ne
comprenait pas le sens du récit.
2" Année. — Revue des Sciences. — N" 2, lO
290 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et le monde supérieur tout brillant étaient sortis tout à l'heure
d'une enveloppe rouge et brillante. C'est qu'en effet l'élément
supérieur portait en soi le gemie de la création supérieure (XXV
1); l'élément inférieur, de son côté, est gros déjà de toutes les
choses qui se développeront par en bas (XXVI 3). Mais comme la
lumière, après avoir enveloppé le trône de Dieu, était placée au
dessus pour faire le plafond du monde, le (rzipirùay. inférieur
doit descendre constituer la base des choses. « Et je lui dis :
Va t'en en bas, et établis-toi, et sois le fondement des choses par
en-bas ». Dieu a accompli son dessein : avant de faire le monde,
il en fallait tracer les limites, et voici que se tiennent fermement
établis le dessus et le dessous.
Nous voilà loin de la Genèse, bien que les éléments du récit
sacré puissent se reconnaître ici ou là, sous une forme altérée
à la suite d'influences étrangères. Il y a bien des chances pour
que la mythologie égyptienne ait inspiré plusieurs détails de
notre récit. Les choses invisibles au milieu desquelles évolue
le Créateur ressemblent assez au Nu primitif, près duquel et sur
lequel agissait le dieu. Cet Adoil qui éclate doit être comparé à
l'œuf du soleil : on sait qu'au Livre des Morts, l'astre du jour
est appelé « Vœuf que le dieu Séb fait toiïiber sur la terre..., Vœuf
de la grande caqueteuse », et cette dernière périphrase revient
plusieurs fois dans la littérature sacrée d'Egypte. Ici, la lumière
a pris la place du soleil, et il le fallait bien d'après le récit de
Moïse ; l'œuf, ou plutôt la forme primitive de l'être créé, ne pro-
cède plus personnellement de Dieu : c'eût été concevoir la divi-
nité comme un homme et admettre dans la créature quelque chose
de divin ! Cette créature reste plutôt sous la dépendance de Dieu :
si le monde invisible produit Adoil et Arkhas, c'est que l'action du
Créateur, comparable à l'action du soleil ici bas, lui avait départi
la fécondHé nécessaire ; si, à l'heure convenable, le monde invi-
sible amène au jour les éléments dans leur état premier, si la
chrysalide se brise à son tour, quand il le faut, pour laisser
sortir ces mêmes éléments constitués dans leur état parfait et
final, c'est que Dieu a parlé et donné un ordre auquel tout obéit.
Enlevez Dieu « créant toutes choses » (XXIV 5) : que restera-
t-il ? Peut-être ce monde invisible, mais condamné dès lors à
une stérilité perpétuelle, ne pouvant rien produire qui, à son
tour, dépose en lui-même, puis développe en son sein, le germe
initial d'où, en leur temps, sortiront les êtres. Et encore cela
même ne subsistera point selon toute vraisemblance : les choses
LA CRÉATION EN SEPT JOURS 291
invisibles sont l'espace dans lequel Dieu s'agite ; leur existence,
dès lors, paraît liée à celle même de Dieu, et il se pourrait qu'el-
les fussent, comme les trésors lumineux d'Esdras, l'habitation
première censée nécessaire à la divinité. Alors la théologie de-
meure substantiellement la même, et sous une forme touîe nou-
velle, sous un vêtement de taille et de fabrique sûrement étran-
gères, 1© fond ne diffère point tant de ce que nous connais-
sons déjà. Les eaux et la terre avaient dû, sur l'ordre de Dieu,
amener à l'existence, monstres marins, oiseaux, poissons, rep-
tiles : voilà ce qu'affirmait Esdras qui voulait suivre de près
le récit de Moïse ; la lumière elle-même, et les deux fondements
de l'univers sont sortis médiatement du monde invisible, sur
l'ordre de Dieu : et c'est l'enseignement d'Hénoch qui ne se
tient point pour obligé de suivre d'aussi près le texte sacré.
Le Créateur a donc établi, en leurs places respectives les
bases opposées de l'univers, et, dans l'espace qu'elles enserrent
se superposent, la lumière qui occupe l'hémisphère supérieur,
les ténèbres épaisses qui demeurent en-dessous : au-delà de ces
limites {Prov. IX 29), on aurait tort de chercher quelle chose que
ce soit. « Rien n'est plus haut que la Imnière (XXV 4),.... et il
n'y a pas autre chose au-dessous des ténèbres (XXVI 3) ». Reste
à faire une cloison transversale qui sépare les deux parties exis-
tantes du monde : Dieu parle, et voici que se crée une subs-
tance épaisse ; c'est de l'eau ^, qui nécessairement doit devenir
« ferme » pour se maintenir de la sorte en équilibre, au-dessus
des ténèbres, au-dessous de la lumière. Cette cloison humide est
elle-même entourée de lumière par Dieu : dès lors, on ne sera
point surpris, que les sept couches circulaires {Frov. IX 27) su
perposées que le Créateur va distinguer maintenant, présentent
une partie sèche et une autre qui ne le soit pas, celles qui cor-
respondent respectivement à l'élément lumineux et à l'eau soli-
difiée. Les cieux qui semblent de cristal {Ezech. I 22) sont en
mouvement, et ils connaissent les sentiers que Dieu leur a fixés :
plus tard, il^ seront le séjour des sept étoiles, les planètes Kro-
nos, Aphrodite, Ares, le Soleil, Zeus, Hermès et la Lune, que
Dieu créera au quatrième jour (XXX 2-7) 2. Pour l'instant, notre
1. Ce sont les eaux chaotiques {Gen. 2), que l'auteur jusqu'ici n'avait
point encore utilisées. La chose est garantie par ce fait, que le texte
présente ici une assimilation tout à fait déconcertante. — « C'est ainsi que
je fis les eaux, c est-à-dire les abîmes », — assimilation qui ne peut s'ex
pliquer que par une référence à Gen. 2 (à la surface de l'abîme = au-dessus
des eaux).
2. Il est inutil© de faire remarquer que ces étoiles sont vraisemblablemont
292 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
auteur n'a point à s'étendre davantage, et il lui faut plutôt se
résumer, en rejoignant le texte de la Genèse, et harmonisant
tant bien que mal son propre récit : « Je fis une séparation
entre la lumière et les ténèbres (cf. Gen. 4), c'est-à-dire (!) entre
les eaux d'ici et de là {Gen. 7)...., et le soir et le matin mar-
quèrent le premier jour ».
Ce dérangement obligatoire de l'ordre traditionnel ayant pro-
duit un certain désaccord entre notre Pseudépigraphe et les textes
bibliques, il en résulte tout un désarroi dans la suite du récit,
et on éprouvera d'autant plus de peine à y retrouver l'ordre his-
torique des événements, que notre auteur semble avoir voulu
se reprendre, et s'attacher, fermement cette fois, à l'ordonnance
du texte sacré (XXXVIII 4, 5) i. Les eaux inférieures dessèchent
leurs flots, sur l'ordre de Dieu, et le Créateur en fait de grandes
pierres solides ; ces pierres sont réunies en un amas ferme, et
voilà la terre qui existe. De la pierre, Dieu tire un feu puissant,
et avec le feu il fait les bataillons des saints anges. C'est tou-
jours le même procédé : la création immédiate et momentanée
n'est point reçue, et elle se trouve remplacée par une produc-
tion en deux temps qui s'effectue sur l'ordre et par l'entremise
de Dieu. Comme au livre d'Esdras, la terre reçoit l'ordre de
faire pousser des arbres ; la mer, celui d'amener à l'existence,
poissons, oiseaux, reptiles, voire même tout quadrupède qui a
souffle de vie ^ ; la sagesse divine ici personnifiée, celui de réu-
nir les sept substances qui doivent entrer dans la composition
de l'homme ^. Les grands luminaires se forment aussi sur l'ordre
divin, et Dieu ne doit intervenir en personne que pour les mettre
en place. Après que la terre a fait sortir de son sein les arbres,
à fruits et les plantes, Dieu peut planter le Paradis ^ au froi-
des dieux dégradés de l'antiquité, soumis plus tard en tout point à l'au-
torité du Dieu unique, créateur, et gouvernant tous les êtres : ceci a été
écrit suffisamment, et II Hen. ne présente aucune nouveauté sur ce point.
1. Nous n'avons point à entrer ici dans tous ces détails. Ce serait même
sortir de la guestion qui nous occupe que de rechercher avec les criti-
ques, si, au sentiment d'Hénoch, la création des anges tomba le premier
iour, comme l'enseignaient les Jubilés, ou si elle eut lieu le second, ainsi
qu'il paraît assez que ce soit le cas.
2. La dignité de l'homme exige, sans doute, que le sixième jour soit en-
tièrement réservé à sa création.
3. On remarquera qu'ici, non plus, l'homme n'est point fait « à l'image
et à la ressemblance de Dieu. » Dans ses sept parties constituantes, il y a
pourtant quelque chose qui le rapproche de son Créateur, et c'est son
esprit, lequel procède « de l'Esprit (de Dieu) et du vent ». Hénoch sent
le besoin de distinguer les deux UvOfia., celui cfui appartient à l'être
même de Dieu, et l'autre qui souffle en ce monde.
4. Du reste, la Genèse est formelle sur ce point : le paradis fut planté
par Dieu (II, 8).
LA CRÉATION EX SEPT JOURS 293
sième jour. Mais notre auteur qui s'iuspirait ici du texte des
Jubilés ^ s'arrête à temps et se garde bien de transcrire ce qu'il
y voyait, que Dieu créa Eden : Dieu crée toutes choses (XXIV b,
XXX 1), mais ceci revient à dire qu'il ordonne à un élément
préexistant d'amener à son tour quelque chose en l'existence,
tandis qu'il se réserve d'intervenir lui-même en second lieu pour
mettre en sa place ou compléter (XXIV 2) l'œuvre nouvelle.
Trois Pseudépigraphes bien différents ont été, dans cette étude,
mis en parallèle sur un même point. Leurs auteurs vivaient à
des époques assurément diverses de notre période ; les préoc-
cupations qui les agitaient, eux et leurs lecteurs, ne se ressem-
blaient guère. Si deux d'entre eux restaient profondément péné-
trés de l'esprit juif, n'acceptant en général, à côté des récits
des Saints Livres, que des traditions acclimatées déjà par avance
dans leur patrie, le troisième n'avait point trop de scrupule à
s'approprier les dires merveilleux et les légendes sacrées d'autres
peuples. Malgré des divergences aussi complètes, une préoccupa-
tion identique est à remarquer chez eux tous : ils tiennent à main-
tenir intègre la transcendance et la sublimité du Dieu unique créa-
teur. Tout ce qui est mentionné aux premiers versets de la Genèse
doit être, coûte que coûte, placé sous la dépendance directe de
Dieu : s'il est question au livre de ^loïse, de terre et de cieux, de
ténèbres et d'abîme, d'esprit en mouvement et d'eaux primitives,
c'est que tout cela fut formé par le Créateur. Comment se fit cette
formation ? JN^os documents là-dessus ne sont point d'accord.
Peut-être l'apparition des êtres en ce monde se produisit-elle immé-
diatement, sur l'ordre d'En-Haut; peut-être les choses sont-elles
sorties d'autres créatures préexistantes, d'après le commande-
ment divin. Peu importe, au fond : la grandeur de Dieu demeure
tout aussi manifeste dans une hypothèse que dans l'autre. j\Iettez
la création immédiate, il en faudra conclure que toutes choses
dépendent directement du Créateur; qu'elle se soit produite en
double jeu, et on devra reconnaître que Dieu est infiniment
puissant sur les créatures, pour avoir pu tirer ainsi une nouvelle
existence d'un milieu qui, en principe, ne la contenait pas.
Fribourg (Suisse). Léon Gry.
1. • Juh. Il, 7. I II Hen. x.xx. 1.
C) rà ^iJXa rà Kapiriuà Te Kai âKapira. I a) rà ^v\a rà KapTrifid Kai rà 6pea (erreur
h) tout ce qui pousse.
a) la semence qui est semée.
de lecture).
h) toute sorte d'herbe.
c) et toute semence qui est semée.
Théologie Brahmanique
d'après le Bhâgavata purâna
SUITE (l).
TRINITE
APRÈS avoir étudié l'essence et l'unité divine, d'après le Bhâ-
gavata Purâna, nous examinerons les traces qu'on y découvre
des dogmes de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption
que Paul Janct prenait, il y a quelque vingt ans, pour sujets
des conférences philosophiques données par lui à la Sorbonne,
devant 'un auditoire étonné d'entendre ce dernier survivant de
l'école de Cousin conduire ainsi la philosophie jusqu'au cœur
du catholicisme dont il évoquait souvent l'autorité, ce qui faisait
dire à l'un de ses auditeurs les plus' anciens et les plus assi-
dus : « IV!. Janet a changé son fusil d'épaule ». C'est à moi-même
qu'il parlait ainsi. J'aurais pu répondre : « Non, M. Janet ne
fait que nous redire, au nom de la seule philosophie, ce que, bien
des siècles avant lui, avait proclamé la philosophie hindoue^
mais en d'autres termes, et sous une inspiration différente. »
Brahmâ, le dieu Brahmâ, s'exprimait, un jour, en ces termes,
à ce sujet, et certes, il devait savoir à quoi s'en tenir là-dessus:
« La Bonté, la Passion, les Ténèbres, ce sont là les trois qua-
lités de l'être qui n'a réellement pas de qualité, mais qui en
revêt, à l'aide de sa Mâyâ, pour créer, conserver et détruire
l'Univers (2). »
Les qualités de l'être qui n'a pas de qualité, ou en d'autres
termes, les déterminations d'un être qui n'a ni terme, ni li-
mite, car c'est là le sens de cette expression en apparence contra -
1. Cf. Bev. d. Se. Phil. et Théol, I (1997), pp. 266-280 et 68G-702.
2. 2. V. 18.
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 293
dictoire, composent ce qu'on appelle le Triyuna, ou triple lien,
et rappellent la Trimûrti ou la triple forme, la triple manifes-
tation de Brahme, sous les noms de Brahmà, de Vishnu et de
Ci va.
Brahmà crée, ou plus exactement émet l'Univers, l'expres-
sion, surtout l'idée de création étant aussi étrangère à la philoso-
phie hindoue qu'à la philosophie grecque; il s\a,git d'émanation
comme nous le verrons. Vishnu conserve l'œuvre de Brahmà^
durant chaque période cosmique. Celle-ci terminée, le rôle
de Çiva commence, le rôle de destructeur.
Les trois chefs du panthéon brahmanique sont Brahmà, Vis-
hnu et Çiva, dans l'ordre où on les énumère toujours. ^Mais il est
arrivé que le premier des trois est précisément celui qui occupe
le moins de place dans la religion pratique de l'Inde. Le Brah-
manisme, aujourd'hui encore, se partage en adorateurs de Vishnu
et en adorateurs de Çiva; et tandis que cette religion couvre
l'Inde de temples en l'honneur de ces derniers, elle n'en a érigé
qu'un, un seul, à celui dont pourtant elle semble emprunter le
nom (1).
On pourrait remarquer aussi qu'iui très grand nombre de
nos églises sont dédiées au Verbe incarné, tantôt sous un vocable,
tantôt sous un autre, plusieurs au Saint-Esprit, point ou fort peu
à Dieu le Père, simple mais curieuse coïncidence.
Le plus clair du culte rendu à Brahmâ consiste à placer son
nom en tète de la triade hindoue. Serait-ce que leur ayant donné
l'existence, les Hindous l'estiment incapable de la leur conser-
ver ou de la leur retirer, et que, par suite, ils n'attendent plus
de lui ni bien, ni mal? C'est possible, la prière ayant pour ob-
jet, le plus souvent, une faveur qu'il s'agit d'acquérir ou un
châtiment, un fléau que l'on désire éviter, la reconnaissance en-
vers la TDivinité arrivant en dernier lieu, quand elle arrive.
Je viens d'écrire le mot de triade. Il est certains chiffres qui
sont réputés sacrés chez tous les peuples de l'antiquité, comme
ceux de trois, sept, neuf et douze. Dans l'Inde, celui qui semble
avoir joiué de tout temps le rôle principal, c'est le chiffre trois. C'est
ainsi qu'il y a la trimûrti dont nous nous occupons présente-
ment, le triguna déjà mentionné, c'est-à-dire la Bonté, la Passion,
les Ténèbres (Sattva, Rajas, Tamas), le trivarga, c'est-à-dire, le De-
voir, l'Intérêt, le Plaisir (Dharma, Artha, Kâma), ou, en d'autres
1. RoussELOT, L'Inde des Rajahs, p. 258 : « Pochkar a l'honneur de pos-
séder le seul temple gui soit consacré à Brahmà. dans toute l'Inde. »
296 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
termes, ce qtii s'impose, ce qui sert, ce qui charme. Chemin
faisant, nous trouverons d'autres groupes de trois, et d'abord
dans ces paroles qu'ajoute Brahmâ immédiatement après celles
qu'il nous faisait entendre tout à l'heure :
« Ces qualités, dit-il au sujet de Triguna, en devenant l'ori-
gine de la matière, de la connaissance et de l'acte, enchaînent,
quoiqu'il n'en reste pas moins toujours affranchi, l'Esprit -.'nvelop-
pé par Màyà, (et réduit par elle) à la condition d'effet, de cause
et d'agent. » (1)
Ainsi donc, à la 'matière, la connaissance et l'acte correspon-
dent l'effet, la cause et l'agent; ou, si l'on veut rétablir l'ordre
Logique : l'agent, se déterminant avec connaissance de cause,
produit l'effet, c'est-à-dire la matière. C'est l'Esprit, l'Etre su-
prême qui, dans son intelligence et sa volonté, se détermine
librement à émettre le monde extérieur, à le conserver, puis
à le détruire, cela sous trois noms différents qui sont plutôt
des noms de fonctions que des noms de personnes.
J'ai dit que l'Esprit se détermine lihreuient, et pourtant Brahmâ
qui préside lui-même, ne l'oublions pas, à la création, le donne
pour enchaîné par la Mâyâ dont il est comme enveloppé. C'est
qu'un enchaînement qui est l'effet de l'Illusion, de la Magie,
ne peut être qu'illusoire, et dès lors on comprend fort bien que
cet esprit, enchaîné par des liens factices, n'en reste pas moins
libre, de la même façon qu'il peut avoir des qualités et cepen-
dant n'en pas avoir, comme on l'a vu plus haut.
Voilà comment aussi se justifie l'épithète d'immuable, acyuta,
appliquée si fréquemment à Vishnu, personnifiant non plus seule-
ment le dieu conservateur, mais Bralime ou la Divinité entière.
Dieu est immuable, en ce sens qu'il ne gagne ni ne perd rien au
triple jeu de sa Mâyâ, c'est-à-dire lorsque, sous les trois noms
que l'on sait, il crée, conserve et détruit le monde, lequel au de-
meurant n'est qu'une illusion.
DanB le même passage du Bhâgavata, Brahmâ dit encore,
en parlant de son collègue Vishnu :
« C'est lui, c'est Bhagavat avec ses trois attributs, c'est Adho-
kshaja (2) dont la voie échappe complètement au regard qui
est, ô Brahmane, mon Seigneur et celui de tous les êtres (3) ».
1. 2, V. 19.
2. Né sous l'essieu, ou si l'on écrit : Adho' Icsaja, né sous les sens, c'est-
à-dire devenu accessible aux sens.
3. 2, V. 20.
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 297
Saint Paul, lui aussi, déclare les voies de Dieu incompréhensi-
bles : Investigabiles viae ejus (1). Il va sans dire qu'il n'y a rien
à conclure de ce rapprochement, quelque remarquable que soit
l'expression.
La triple fonction de créateur, conservateur et destructeur des
êtres dont il demeure dès lors le souverain Maître est attribuée
par Brahmâ au seul Vishnu qui n'est autre ici que Brahme.
Il en résulte que la Trimiîrti n'est que sa triple manifestation.
C'est ce que nous verrons de plus en plus clairement, au fur et à
mesure que nous avancerons dans la lecture du Bhâgavata:
un seul Dieu en trois personnes.
Brahmà dit encore : « Le ^Maître de ]Màyà, désireux d'exister
sous des formes multiples, revêt par la puissance d'Illusion
qui est sienne le temps, l'action et la condition (2) ».
C'est toujours par trois que procède Bhagavat; le rythme ter-
naire est celui qu'il adopte de préférence. On devine sous cette
phraséologie la préoccupation de notre poète, à la fois théolo-
gien et philosophe : ramener tout à trois et trois à un.
Le sohtaire Uddhava définissait Bhagavat avec lequel il avait
longtemps vécu, durant son vingtième et dernier avatar, c'est-
à-dire lorsque ce Dieu, qui n'est autre que Vishnu, s'était in-
camé une dernière fois dans la personne de Krishna : « Le
souverain Maître des trois qualités qui n'a point d'égal, loin
d'avoir un supérieur, et qui trouve, dans sa propre splendeur, et
dans sa perfection, la satisfaction de tous ses désirs (3) ». Bha-
gavat n'ayant ni supérieur, ni égal, est au-dessus de tous les
êtres, qu'il s'agisse des Dieux ou des hommes. Ici, on le con-
sidère, moins comme faisant partie de la Trimûrti, que comme
planant au-dessus d'elle; et, s'il s'agit toujours cependant de
Vishnu, c'est en sa qualité de Brahme, ou de Turîija, de Qua-
trihne, comme on dit encore en parlant de ce concept de la Di-
vinité. La Trimûrti est, en fin de compte, assez peu de chose^
si on l'isole de Bhagavat, mais précisément on ne l'en saurait
isoler, puisque Bhagavat n'est autre que Vishnu, ce même Vishnu
à qui Brahmâ, dans un hymne débordant de lyrisme, adresse ces
paroles qui nous semblent assez étranges dans la bouche de la
première personne de cette Trinité :
« Enfin, après un si long temps, tu m'es connu aujourd'hui;
1. Eom. XI, 33.
2. 2, V. 21.
3. 3, 11, 21.
298 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
mais c'est la faute des hommes s'ils ignorent la nature de Bhaga-
vat, car il n'existe, ô Bhagavat, rien autre chose que toi; ce
qui semble exister n'est pas réel, puisque ce n'est que par les
transformations des qualités de Mâyâ que tu parais multiple (1). »
Brahmâ est assez peu fondé à nous reprocher à nous, pau-
vres mortels, notre ignorance au sujet de son collègue que lui-
même a si longtemps ignoré, d'autant plus qu'il le contemple à
découvert, tandis que les hommes ne le peuvent apercevoir qu'à
travers les apparences multiples qu'il revêt précisément pour
les tromper.
Lorsque Brahmâ lui parlait ainsi, Vishnu, après l'une de ces
périodes cosmiques dont j'ai déjà dit un mot, et sur lesquelles
j'aurai peut-être l'occasion de revenir plus tard, était étendu sur
le serpent Ç-esha, flottant sur les eaux, qui n'était lui-même
que l'un de ses propres avatars. Du sein de Vishnu endormi
sortait un lotus entre les pétales duquel émergeait Brahmâ qui
s'apprêtait à créer mie (nouvelle terre et de nouveaux cieux.
Dans ce même hymne de reconnaissance et d'amour, Brahmâ
disait encore : « Adoration à celui qui anéantit incessamment
l'erreur de la distinction par la majesté de sa propre forme;,., à
l'Être supérieur, à celui qui aime à se jouer avec ce qui pro-
duit l'émanation, la conservation et la destruction du monde (2) ».
C'est avec la Trimûrti que Bhagavat se joue ainsi, supposé
môme qu'il ne se joue pas d'elle, au moins dans la personne de
Brahmâ et de Çiva, qui pourraient se croire quelque chose en
dehors de lui, lorsqu'ils ne sont que ses manifestations comme
Dieu créateur et comme Dieu destructeur. Une fois de plus, l'auteur
du Bhâgavata nous prêche l'unité de l'essence divine dans cette
triphcité de persormes. Nous sommes bien obligés de le sui-
vre daiioî toutes ses apparentes divagations, mais il aura tou-
jours soin, avant de nous engager à sa suite dans ce dédale
de formules et d'images, de nous mettre en main un fil con-
ducteur qui nous permettra de le traverser sans courir le ris-
que de nous égarer.
Après avoir parlé comme nous venons de le voir, Brahmâ
ajoute aussitôt :
« Je me réfugie auprès de cet Être incréé (3) dont, au moment
de quitter la vie, les hommes privés d'espoir n'ont qu'à pronon-
1. 3. IX, 1.
2. Ibid., 14.
3. Le mot sanscrit est a-ja, qui n'est pas né, qui est sans commencement.
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 299
cer les noms, ces noms qui désignent les incarnations, les qua-
lités, les actions sous lesquelles il se cache, pour aller aussitôt,
affranchis des souillures de nombreuses naissances, voir la vé-
rité à découvert (1) ».
Toujours le rytlime ternaire, on le voit.
Les diverses, les multiples appellations de Vishnu ont une
vertu de sanctification absolument irrésistible, témoin l'histoire
d'Ajâmila que le poète raconte plus loin. La voici en quelques
mots. Ajâmila était un grand pécheur. Tout Brahmane qu'il fût,
il s'était rendu coupable des crimes les plus énormes et il affi-
chait l'impiété la plus scandaleuse. Il était sur le point de mourir,
lorsque, désirant quelque soulagement à ses souffrances, il ap-
pela son fils qui accourut à son chevet. L'enfant se nommait
Nàrâyana. En prononçant ce mot, le coupable endurci ne son-
geait à rien moins qu'à Vishnu dont c'est aussi l'un des noms.
Les messagers de Yama, le dieu des morts, lâchèrent soudain
l'agonisant qu'ils tenaient déjà dans leur filet. Ces syllabes sa-
crosaintes rendirent aussitôt la vie du corps au vieux pécheur et
de plus celle de l'àme, car, à partir de ce jour, il se montra
aussi édifiant qu'il l'avait été peu jusqu'alors. Le nom de Dieu
auquel il ne pensait pas l'avait sauvé par sa vertu; il lui avait
suffi, pour ainsi dire, de l'épeler matériellement.
L'Être se voile, non seulement sous les apparences qu'il revêt
dans ses divers avatars, mais encore dans ses actes, lorsqu'il
s'agit do créer, de conserver, ou de détruire l'univers, et alors
Brahmâ, Vishnu et Çiva ne sont plus que le triple masque, pour
ainsi dire, de la Divinité unique et suprême. Cette vérité que
l'Élu contemple à nu dans le monde supérieur mais qu'il a tant de
peine a entrevoir dans celui-ci, Brahmâ nous la révèle en ces
termes :
« Adoration à Bhagavat, l'arbre du monde qui, après avoir di-
visé sa propre racine, poussant trois troncs, moi, Giriça et Vi-
bhu (2) lui-même, pour créer, conserver et détruire l'univers,
s'est développé, toujours unique, en rameaux infinis » (3).
L'importance de cette parole, mise par le poète dans la bouche
de Brahmâ, n'échappera pas au lecteur. Nous y trouvons une
profession de foi en un Dieu triple et un qui ne laisse rien à
désirer.
1. 3, IX, 15.
2. Autres noms d-e Çiva et de Vishnu.
3. 3, IX, 16.
HOO REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Ici Bhagavat n'est pas plus Vishnu en particulier que Ci va
ni Brahmâ; il est à la fois ces trois dieux, bien qu'unique;
il est la racine qui pousse un triple tronc, lequel se ramifie à
l'infini. Ces rameaux sans nombre, ce sont les créatures. La
même sève circule dans cet ai'bre de \ie : les Dieux et les hom-
mes, sans parler des animaux et des plantes, y puisent en commun
leur alimentation. Cette image identifie, dans la plus large me-
sure, les uns et les .ajutres; mais la sève est transmise par la
racine au triple tronc et par celui-ci aux branches. De plus, sans
parler de la succession des feuilles de cet arbre, si un rameau
disparaît, il en pousse un autre aussitôt, tandis que les troncs de-
meurent toujours les mêmes, comme aussi et surtout la ra-
cine que l'on pourrait à la rigueur supposer existante, sans
la tige de l'arbre, alors que cette dernière, dans aucune hypo-
thèse, ne saurait vivre un instant sans la racine. De même, l'exis-
tence des rameaux dépend de celle de la tige. Et maintenant,
si nous écartons • cette figure, employée par Brahmâ, pour n'en
garder que l'idée, la réalité, nous arrivons à cette doctrine que
tout s'appuie sur l'Être Suprême, les Dieux aussi bien que les
hommes et les autres créatures. On peut émonder l'arbre sans
en ébranler le tronc, couper celui-ci, sans que la racine soit arra-
chée, mais que l'on extirpe cette dernière, tronc et branches,
tout, du même coup, s'écroule et s'ensevelit dans une même
ruine.
Le poète, à ce propos, raconte par la bouche de Maitreya l'his-
toire de l'ascète Atri, le premier de ceux qui co)inaissent le
Veda (1), observe-t-il. Désireux d'avoir un fils, Atri s'adonnait
dans ce but aux mortifications les plus rigoureuses, vivant re-
tiré avec son épouse au milieu des monts Rikshas.
« Là, au milieu d'une forêt d'Açokas et de Palâças fleuris, où
le bruit des eaux de la Nirvindhyâ se faisait entendre de tous
côtés, le solitaire, s'étant rendu maître de son cœur, en retenant
sa respiration, se tint pendant cent ans sur un pied, insensi-
ble aux impressions agréables ou désagréables, et ne se nour-
rissant que d'air. Je cherche un mile auprès de Celui qui est
le Seigneur mêtne de VTJnivers ; puisse-t-il m'accorder des en-
fants, semhlables à moi ! Tel était l'objet de ses méditations.
» Cependant, voyant les trois mondes consumés par le feu
qui sortait de la tête du solitaire, et dont l'ahment était l'em-
1. 4, 1, 17.
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 301
pire que le sage exerçait sur sa respiration, les trois Dieux dont
la gloire est célébrée au loin par les Apsaras, les Solitaires^
les iGandharvas, les Siddhas, les Vidyâdharas et les Uragas, se ren-
dirent à son ermitage. Le sage qui se tenait debout sur un pied^
l'esprit illuminé par la présence de cette apparition, vit les chefs
des Dieux (1) ».
Atri s'étonna, lorsqu'il n'implorait qu'un Dieu, d'en voir trois
répondre à son appel et se présenter devant lui.
« C'est Bhagavat seul, le premier des Dieux, que, désireux
d'avoir un fils, j'ai pris pour l'objet de ma pensée. Comment
se fait-il donc que vous soyez venus ici, vous qui êtes si loin
môme de la pensée des êtres corporels ? Répondez-moi bien-
veillamment, car ma surprise est extrême,
» Maitreya dit (à Vidura) : Après avoir entendu ces paroles^
les trois chefs des Dieux, ô guerrier, répondirent d'une voix
douce au Rishi, en souriant :
» Les Devas dirent : Oui, elle est conforme à la vérité, l'idée
que tu t'es faite (de nous); la réalité n'est pas autre. Brahmane,
ô toi qui as conçu une bonne pensée. Cet être (unique), objet
de ta méditation, c'est nous-mêmes qui sommes devant toi (2). »
J'ai tenu à citer ce passage en entier, malgré sa longueur; vu
son importance; j'aime à penser que le lecteur ne m'en saura
pas mauvais gré.
Si les Hindous ont eu la notion d'un Dieu en trois personnes,
là s'arrête l'analogie de leur symbole avec le nôtre, et l'idée de
procession leur demeura toujours inconnue, qu'il s'agisse de
filiation ou de spiration. Mais, en dehors du christianisme, nulle
religion n'a connu Dieu comme celle des Hindous, surtout si
l'on attache à Dieu le Père, l'idée de puissance ou d'être, à Dieu
le Fils l'idée de science ou d'intelligence, et à Dieu le Saint-
Esprit celle de bonheur ou d'amour. Où trouver ailleurs, en effet,
une expression analogue à celle, par exemple, que nous four-
nit la glose du Vishnu-Purâna : Sac — cid — ananda ; Brahma,
c'est-à-dire Être — Intelligence — Bonheur : c'est Brahme, c'est
Dieu. Notons que la doctrine de ce Purâna est la même que
celle du Bhâgavata et que ces deux poèmes qui ont pour objet
le même Vishnu sont aussi à peu près de la même époq^ue.
L'expression : Cet être, c'est nous est particulièrement remar-
1. Ihid., 18, 23.
2. 4, 1, 28-30. Cf. Bhagavadgîtâ, XI, 15 et secf. : Arjuna voit tous les
Dieux dans la personne de Krïjhna.
302 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
quable. Ce sont les passages de ce genre que l'on y rencontre
assez fréquemment qui ont valu à ce poème, depuis de longs
siècles déjà, et qui lui gardent encore sa valeur, son intérêt,
Moins que jamais, nous n'avons le droit de nous désintéresser
des problèmes que soulève l'étude de ces anciens cultes, sur-
tout lorsqu'on vient à réfléchir que les religions de l'Inde d'au-
trefois, comme aussi ses spéculations philosophiques, lui ont
été empruntées par l'Orient tout entier, moins, peut-être, les
peuples sémitiques, et encore les Assyriens, les plus puissants
parmi ces derniers, comme aussi les plus civilisés, les fouilles pra-
tiquées sur l'emplacement de Ninive et de Babylone en fournissent
la preuve, ont-ils été, sous le double rapport religieux et philosophi-
que tributaires de la Bactriane, c'est-à-dire du Mazdéisme, du Zend-
Avesta. Or si le Mazdéisme n'est pas lui-même l'obligé du Védisme
et par conséquent de l'Inde, comme on l'a professé longtemps^
comme d'assez nombreux Indianistes le croient encore, du moins
les deux doctrines ont-elles beaucoup de parité, et remontent- elles
à une commune origine, celle de la famille indo-iranienne. D'au-
tre part, nous n'avons plus de l'Avesta et de sa doctrine que
des fragments plus ou moins informes, tandis que les documents
védiques et védantiques nous sont parvenus en très grand
nombre et nous permettent d'avoir une idée exacte de ces vieilles
spéculations philosophiques et religieuses. On peut consulter, à
ce sujet, Eugène Burnouf dans son magistral Commentaire sur
le Yaçna, paru en 1833, et dans ses belles études sur la langue
et les textes de l'Avesta. L'œuvre de ce maître n'a pas viedlli.
Poursuivons notre lecture du Bhâgavata et voyons ce qu'il dit
«acore du dogme trinitaire.
Bhavânî ou Satî, fille de Daksha et femme de Çiva, s'étant pré-
sentée devant son père, pendant qu'il sacrifiait aux Devas, celui-
ci ne fit aucune attention à elle, non plus que les assistants, tant
ils étaient absorbés tous par la cérémonie que du reste la moindre
distraction eût rendue vaine. Furieuse de ce qu'elle prenait pour
un manque d'égards, la jeune déesse accabla Daksha de re-
proches et se laissa mourir en retenant ses souffles. Se laisser
mourir, soit de faim, soit en retenant sa respiration, comme ici,
ou de toute autre façon, c'est le grand argument employé par les
Hindous, aujourd'hui encore, paraît-il, quand il s'agit pour eux
de se faire rendre justice. Un créancier, par exemple, menacera,
son débiteur, volontairement insolvable, de se laisser périr d'ina-
nition ou de se tuer à sa porte, s'il s'obstine à ne pas le rem-
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 303
bourser. Il est rare que le délinquant résiste à un pareil ar-
gument, tant il redoute la malédiction que cette mort attirerait
sur sa tête et celle de sa famille.
Çiva, cependant, quand il apprit la mort de son épouse, fit
sortir de sa chevelure un géant qui lui demanda aussitôt : « Que
me faut-il faire? » Çiva lui dit : « Détruis Daksha et son sa-
crifice. Tu es le chef de mes braves, une portion de moi-mê-
me (1) ». Le géant partit à la tête des Rudras, guerriers à la
solde de Çiva, surnommé Rudra, lui aussi, c'est-à-dire celui
qui pleure et surtout celui qui fait pleurer les autres. Avec leur
aide, il détruisit le sacrifice et coupa la tète cà Daksha.
Çiva finit par s'apaiser. Il rétablit le sacrifice de Daksha qu'il
ressuscita, mais en substituant une tête de bélier à la sienne.
Plein de reconnaissance pour Rhagavat à qui il attribuait cette
double grâce, Daksha célébra les louanges du Dieu qui lui parla
en ces termes :
V. Je suis Brahniâ, Çarva (2), la Cause première de l'Univers^
l'Esprit, le Seigneur et le Témoin (universel); celui qui est intel-
hgent par lui-même et qui n'a pas d'attributs. M'unissant, ô
Brahmane, avec la Mâyâ dont je dispose et que constituent les
qualités de créateur, conservateur et destructeur de l'Univers^
je prends des noms conformes à mes œuvres. Au sein de cet
Esprit Suprême qui est l'unique et absolu Brahme, l'homme
ignorant distingue Bralimâ, Rudra et les créatures (3) ».
Ainsi donc Rrahme, la'vec lequel Vishnu s'identifie, seul exis-
te. C'est lui et lui seul qui, sous le triple nom de Brahmâ,^ ,de
Vishnu et de Çiva, crée, conserve et détruit les mondes, en em-
ployant sa Mâyà, cette puissance d'illusion qui donne le chan-
ge à l'ignorant, et le persuade, qu'en dehors de Brahme-Vishnu,
il y a encore Brahmâ, Çiva et les créatures, tandis qu'en réa-
lité il n'y a qu'un être, et que cet être, c'est lui, Vishnu, lui^
Brahme, lui, le Turîya.
Vishnu, s'adressant toujours à Daksha, conclut :
« Celui qui ne distingue pas l'un de l'autre les trois Dieux
qui n'ont qu'une même nature et qui sont l'âme de tous les
êtres, celui-là obtient le repos (4). »
Ce repos, c'est la délivrance, c'est le Salut. Donc, pour être
1. 4, V. 4.
2. Autre nom de Çiva.
3. 4, VII, 60-52.
4. Ibid., 54.
504 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
sauvé, il faut croire à un Dieu unique en trois personnes. Trois
relations, une seule nature, une seule âme répandue dans tous
les êtres qu'elle vivifie : tel est ce que je pourrais appeler le
bilan des croyances hindoues, d'après le Bhâgavata. En dépit
de divagations plus folles les unes que les autres, à travers les
symboles les plus fantaisistes, on retrouve toujours ce dogme
fondamental qui est comme le tuf sur lequel repose cette phi-
losophie brahmanique, inspirée du Védantisme. Les traditions
anciennes, renfermées dans ce Purâna, convergent toutes vers
le dogme d'un Dieu en trois personnes qui vit dans tous les
êtres, ou, pour parler plus exactement, dans lequel vivent tous
les êtres, puisqu'ils émanent de lui et qu'ils ne sont que des
parcelles, en nombre infini, de son infinie nature. Nous ne sommes
plus en face de croyances incertaines, flottantes, mais d'une foi
absolue et ferme.
Toutefois, n'oublions pas qu'il s'agit de trois personnes inéga-
les erî toutes choses, qui, étudiées et vues de près, se résolvent
en trois fonctions du même principe. Encorie une fois, il ne faut pas
qtie les mots nous en imposent.
J'ai déjà parlé du Turîya, du Quatrime. Bhava rendant hommage
à Vishnu, sous cette quatrième forme du quadruple Mahâpurusha,
forme obscure, nommée SamJcarshana, (1) s'exprime ainsi :
« Adoration à Celui dont la première forme qu'il ait revêtue,
à l'aide des qualités (de sa jMàyâ), fut l'intelligence qui est
Brahmâ incréé, Brahmâ dont la sagesse est l'asile, et de la triple
splendeur duquel je suis sorti moi-même, pour créer les êtres
qui participent des qualités de la Bonté, de l'Obscurité, de la
Passion (2). ;>
Ce Samkarshana, ainsi nommé parce qu'il fut arraché du sein de
sa mère, et qtd s'appelait aussi Rama, parce qu'il devait faire
la joie des mondes, et BaJa vu sa puissance et sa force (3), c'était
encore Krishna, c'est-à-dire le Noir, à cause de son teint, le héros
du Bhâgavata, Vishnu incarné. Il est le Quatrième, si on le con-
sidère comme distinct de la Trimûrti, et au-dessus d'elle (4).
Dans un autre passage, le poète, parlant de cette Trimûrti qu'il
assimile aux trois états de veille, de rêve et de sommeil sans
rêve, d'après une spéculation chère aux philosophes védantiques,
1. 5, XVII, 16.
2. Ibid., 22.
3. 10. XI. 13.
4. 11, XV, 16; 12, XI, 22.
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 305
mais dont nous n'avons pas à nous occuper ici, dit formeilement :
« Tuiîya domine les Trois (1) » c'est-à-dire les trois états et
par conséquent les trois personnes de la Trimûrti.
Vishna est donc, à la fois, la seconde personne de cette Tri-
mûrti et Turîya, l'Être qui est au-dessus de tous les autres et
qui les renferme tous. Ce terme de Turîya, entendu de la sorte^
et c'est ainsi qu'il doit l'être, ne dérange nullement ce que j'appel-
lerais volontiers l'économie de la Trinité hindoue, puisque nous
savons que celle-ci se résout dans l'unique Brahme, considéré
sous trois aspects différents, dans son triple rôle de Créateur,
de Conservateur et de Destructeur.
C'est bien ainsi que l'entendait le même Çiva, lorsqu'il disait
encore à Vishnu, à Bhagavat :
« Dieu des Dieux, toi qui remplis le monde, souverain de l'Uni-
vers qui n'est autre que toi, tu es Yâme, la cause et le Seigneur
de tous les êtres. Tu es la cause du commencement, de la durée
de la fin de l'Univers, tu es le monde visible différent de cette
cause en dehors de laquelle il existe, tu es la Personnalité, tu es
Brahme, Vérité et Intelligence, car tout changement est étranger
à l'Être immuable (2) ».
Comment, en effet, éprouverait-il quelque changement, celui
qui est à la fois tous les êtres dans tous leurs états, toutes leurs
modifications? Vishnu qui est Brahme est tout; les noms sous
lesquels on le désigne peuvent varier, mais lui ne varie pas, il
ne change pas, il est immuable; ses appellations sont innom-
brables, lui est un en trois personnes. Et ces trois personnes,
nous ne sommes plus à l'apprendre, n'ont pas de raison d'être
subjective : elles n'existent qu'objectivement, c'est-à-dire par rap-
port aux créatures, lorsqu'il s'agit de leur donner, conserver ou
enlever l'existence. Ainsi donc, plus nous avancions dans l'étude
de cette fameuse Trimûrti, plus nous avons pu nous convaincre
qu'elle n'a guère que le nom de commun avec la Trinité chré-
tienne. Et encore ce nom n'est-il pas le même et n'a-t-il pas
le même sens : d'un côté, il s'agit d'une triple transformation
essentiellement transitoire de Dieu; de l'autre, d'un Dieu en
trois personnes substantielles et infinies.
Mais n'est-ce pas déjà quelque chose que ce que j'appelle plus
haut le rythme ternaire, tel que l'entend le Bhàgavata?
Précédemment, nous avons vu Bhava ou Çiva se déclarer issu
1. 11, XXV, 20.
2. 8, XII, 4 et 5.
2e Année. — Revue des Sciences. — No 2.
300 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de Brahmâ et s'attribuer le rôle de créateur, qui appartient en
propre à celui-ci. C'est là un double accroc à l'économie du
poème et je ne sais comment il a pu être ainsi donné à son
œu^Te par l'auteur lui-même, car rien ne prouve qu'il s'agis-
se d'une interpolation. C'est probablement l'une de ces hautes fan-
taisies familières au génie hindou. Quoi qu'il en soit, la Trinité,
telle qu'on vient de l'expliquer, n'en demeure pas moins un dog-
me bien établi du Brahmanisme, quel que soit le rôle départi à
chacune des personnes divines.
Le fameux Asura Hiranyakaçipu voulait contraindre Prahrâda,
son vertueux fils, à déserter le culte de Vishnu, et sur son re-
fus il lui demanda : « Qui donc, ô insensé, t'a donné l'audace
de transgresser, comme si tu n'avais rien à craindre, les ordres
d'un père dont le courroux fait trembler les trois mondes avec
leurs souverains? »
Prahrâda répondait noblement : « C'est Celui qui n'est pas
seulement ma force, mais qui est aussi la tienne, ô roi, et celle
des autres êtres doués de force; celle de Brahmâ et des êtres
élevés et inférieurs, mobiles et immobiles qui lui sont soumis.
Il est le Maître, il est le Temps à la marche rapide; il est
l'énergie, la vigueur, l'existence, la force, les sens. Souverain
des trois quahtés, cet Être supérieur crée, conserve et détruit seul
l'Univers à l'aide de ses énergies (1) ».
Voilà Brahmâ et Çiva réduits à ne plus être tout au plus
que des instruments aux mains de Vishnu, puisqu'on attribue à
celui-ci, et à lui seul, la création et la destruction des mondes^
de même que leur conservation. Tous deux, nous l'avons vu, pro-
clament du reste bien haut la supériorité de leur collègue. L'au-
teur du Bhâgavata qui est Vishnouite se plaît à mettre dans la
bouche même de l'un et de l'autre cet aveu d'une supériorité
que seuls ils auraient pu contester, si elle n'avait été incon-
testable.
Pendant que Vishnu était encore enfermé dans le sein de
Devakî où il s'était incarné sous la forme de Krishna, Brahmâ
et Çiva lui dirent :
<i Tu es vrai dans tes desseins, vrai dans les actes qui les
suivent, trois fois vrai; tu es la matrice du vrai et tu résides
dans le vrai ; tu es le vrai du vrai, le régulateur de l'ordre et du
vrai ; tu es l'essence du vrai. Nous venons à toi comme à notre
refuge. Toi seul tu es Vorigine, le réceptacle, le soutien de ce qui
1. 7, vin, 7 :).
THÉOLOGIE BRAHMANIQUE 307
est; ceux-là de qui ton pouvoir magique voile l'intelligence t'aper-
çoivent multiple, mais non les sages (1) ».
On ne peut avouer plus explicitement que Vishnu est non
seulement au-dessus de tous les êtres, mais qu'il les contient
tous, ou mieux, qu'ils ne sont que ses manifestations infinies.
Brahmâ et Çiva n'exceptent pas les Dieux; ils ne s'exceptent
pas eux-mêmes.
Ce texte, et c'est pour cela que je le cite le dernier, se rapporte
aux trois dogmes principaux de la théologie hindoue, savoir
l'Essence unique de Dieu nettement proclamée, la Trimûrti, puis-
que nous y voyons Brahmâ, Vishnu et Çiva, enfin l'Incarnation^
ces paroles s'adressant à Dieu fait homme et descendu dans le
sein de la femme qu'il s'est choisie pour mère.
Or, n'oublions pas que dans le Bhâgavata où nous trouvons
cette doctrine remarquable, ignorée de toutes les autres reli-
gions naturelles, indiquée seulement dans le Mosaïsme, il ne
s'agit point de spéculations purement théoriques, mais de croyan-
ces largement populaires.
L'exclamation sacro-sainte, om (pour a, u, m), jaillit à chaque
instant des lèvres du peuple hindou; c'est une sorte d'oraison
jaculatoire, c'est un cri d'amour lancé vers le Dieu Un et Trine.
Suivant le Çahdakalpadruma, dictionnaire publié par le Pandit
Râdhâkântadeva, au commencement du siècle dernier, et ce fut
d'ailleurs toujours l'opinion commune. Va symbolise Vishnu, Vu
Çiva et Vm Brahmâ. Cette pieuse interjection se rencontre déjà
dans les Upanishads. Les Hindous ne se lassent pas de répéter ce
cri de confiance et d'amour; ils le regardent comme une sauve-
garde dans le péril; c'est l'appel pressant adressé à leur Père
céleste par ses fils, et ils ne do'utent pas qu'il soit entendu.
De plus, c'est une affirmation perpétuelle, bien que souvent in-
consciente, de leur foi dans un seul Dieu en trois personnes^
quelle que soit la nature attribuée à celles-ci.
Fri bourg (Suisse). A'. Roussel.
1. 10, II, 26, 28.
Notes
I
Le " Ménon " et le " Gorgias "
LA connaissance exacte de la formation et du développement
de la pensée platonicienne est dépendante, on le sait, du
degré de précision avec lequel on aura su fixer l'ordre chronolo-
gique des dialogues. Il n'est donc jamais inutile de revenir sur
l'un ou l'autre détail de ce dernier problème, surtout si pour le
résoudre on est obligé d'avoir recours — comme c'est le cas pour
les rapports du Ménon et du Gorgias — à une étude plus appro-
fondie de la manière littéraire, polémique et dialectique de Pla-
ton : à y réussir le profit serait double. Mais, par un tel moyen,
peut-on même espérer le succès ? La difficulté n'est-elle pas insur-
montable, vu la diversité, l'alternance inattendue e! compliquée des
intentions et des points de vue, les subtilités logiques où se plaît
l'esprit chercheur, mobile et caustique de Platon ? Si au cours d'un
même dialogue il faut souvent faire effort, et parfois en vain, pour
suivre au travers de leur trame complexe la continuité de chaque
discussion, aurons-nous encore quelque chance de la reconnaître
d'un dialogue à l'autre ?
Un principe au moins paraît sûr : c'est qu'il faut en première
ligne déterminer le sujet philosophiq'ue principal des dialogues et
considérer d'abord à ce point de vue quelles relations chronolo-
giques ils supportent ; les exigences logiques ou seulement psy-
chologiques d'une évolution intellectuelle en manifestent le sens
avec une précision suffisante, tandis que les intentions secondai-
res, surtout polémiques, dépendent plus des circonstances, et, dans
leur ordre de succession, peuvent se renverser avec moins d'in-
convénient et plus de vraisemblance ; les indications qu'elles peu-
vent donner ne viennent donc qu'au second rang.
Or, précisément, l'opinion de Th. Gomperz (1), reprise naguère
par August Ritter von Kleemann (2), sur la priorité du Gorgias
1. Les Penseurs de la Grèce, 11, trad. fr., p. 390 ss., Pans, 1905.
2. Flatonische IJntersuchungen, II, Menon. — Arch. f. Gesch. d. Phil. N.
F., XIV, 1. — oct. 1907, p. 50 ss.
NOTES 309
vis-à-vis du Ménon, repose en grande partie (1) snr l'importance
attribuée aux éléments secondaires de ces dialogues.
Je voudrais montrer que, même à ce point de vue, la priorité
du Ménon demeure très compréhensible, et qu'elle s'impose, à
comparer l'enseignement philosophique du Ménon et du Gorgias.
La priorité du Gorgias, pense Th. Gomperz, est la seule expli-
cation possible de l'appréciation indulgente portée dans le Ménon
sur les hommes d'état athéniens, indulgence qui fait contraste
« avec les amers sarcasmes dont les abreuve le Gorgias ». Il
conjecture même que cette « réhabilitation » constitue « l'ori-
gine et la raison d'être du Ménon » (2). Von Kleemann a relevé
l'exagération évidente de cette dernière hypothèse (3). La première
est-elle beaucoup mieux fondée ?
Là première allusion aux politiques d'Athènes se trouve dans le
Protagoras (319 E ss.), amenée par la thèse socratique sur l'en-
seignement de la vertu. La vertu peut-elle être enseignée? Il
ne le paraît pas, dit Platon, puisque tant de grands citoyens,
bons et vertueux, n'ont pas été capables de rendre meilleurs
leurs propres enfants. Et il cite en exemple Périclès. Ici pas un
mot de blâme. Bien au contraire c'est la supériorité, reconnue
par tous, de ces grands hommes qui fait douter Platon de la
doctrine de son maître. Ce doute le travaille, puisqu'il apporte
une preuve, jusque-là inédite, de la définition de la vertu par la
science (357 B). Il essaie visiblement de fortifier ce point fonda-
mental de la morale socratique qui est toute la raison d'être
du précédent, comme lui-même le remarque (361 A). On peut
même voir, dans cette tentative, le but premier du Frotagoras.
Le point d'interrogation final confirme cette manière de voir
et montre que l'objection demeure dans l'esprit de Platon, malgré
la vigueur avec laquelle il vient de mettre en lumière l'unité
de l'enseignement de Socrate.
Voyons maintenant le Gorgias. Le prétexte qui motive la di-
gression sur la valeur de Thémistocle, Cicéron, Miltiade et Pé-
riclès, est la question de savoir quel genre d'éloquence ils ont
pratiqué : celle qui a pour but de flatter le peuple ou celle
qui le rend meilleur (503 A ss.). Ce n'est certes pas le dernier
genre, car il est avéré que tous à la fin de leur carrière furent
1. Von Kleemann en particulier présente d'autres argumen s as^^ez peu dé-
cisifs.
2. 0. c, pp. 390, 391.
3. 0. c, p. 53.
.310 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
maltraités par les Athéniens (515 D ss.). Ceux-ci ne s'étaient
donc guère améliorés. Mais cela même est un signe que ces
orateurs n'étaient pas de bons chefs. Un éleveur n'est pas bon
qui forme des animaux vicieux (516 B). Leur aptitude aux af-
faires était réelle (517 B), mais ils n'ont pas su former des
citoyens justes, ce qui est pourtant la raison d'être d'un chef
d'État (516 C). Par suite, il faut le dire, ils furent de mauvais
politiques, de mauvais citoyens. Exception n'est faite que pour
Aristide, mais plus loin et comme en cachette, dans le mythe
qui termine le dialogue (526 B).
Dans le Ménon réapparaît l'opposition entre la doctrine de
la vertu-science qui peut être enseignée, et le cas des grands
hommes, Théniistocle, Périclès, Thucydide et Aristide (ces deux
derniers remplaçant Cimon et Miltiade) (1), qui ont manqué l'édu-
cation de leurs fils (93 C ss.). Mais ici la philosophie de Socrate
est bravement sacrifiée : on ne peut dire de tels hommes qu'ils
furent méprisables, il vaut mieux concéder qu'il y a une vertu
inférieure fondée non plus sur la science mais sur 1' « opinion
droite » (96 E ss.). Telle fut la vertu de ces grands citoyens.
Ils la tenaient de la divinité elle-même (100 B).
L'appréciation du Ménon diffère donc sensiblement de celle
du Gorgias. « Que devons-nous, écrit Gomperz, considérer comme
le plus probable? Que Platon s'est appliqué, de propos délibéré,
à mettre en évidence son passage d'un paradoxe modéré à un
paradoxe sans mesure, l'abandon de la théorie soigneusement
pesée et fondée sur laquelle reposait le premier? Ou bien qu'il
a voulu faire entendre assez clairement au lecteur qu'il a en-
fin appris à modérer et à limiter une opinion outrée, qui blessait
profondément les sentiments les plus ^àfs de ses compatrio-
tes? Assurément cette seconde alternative (2) ». C'est un bon
sentiment, et M. Th. Gomperz ne pouvait faire valoir le détail
de sa preuve avec plus de pénétration et d'habileté. Mais l'in-
convénient des dilemmes est parfois de simplifier, plus que de
raison, les problèmes. N'est-ce pas ici le cas?
Supposons le Ménon antérieur au Gorgias : au début de la
discussion finale, le jugement de Platon sur les hommes d'État
reproduit celui du Protagoras, c'est-à-dire en somme l'opinion
1. Sans doute pour la raison indiquée par Gomperz (o. c, p. 392) : Mil-
tiade était le père de Cimon. — Mais dans l'hypothèse qu'il soutient, Platon
aurait dû mientionner cette exception à la fin du Ménon (100 A).
2. n. r.. p. 391.
NOTES 3 1 1
courante (1). Mais sous l'influence de la même difficulté soulevée
déjà clans le premier dialogue, il modifie à la fois et sa manière
de voir sur les politiciens d'Athènes et sa confiance dans la
théorie de la vertu-science. Jusqu'ici, estimant bons et vertueux
Périclès, Thémistocle, etc., il leur attribuait implicitement la
science qui définit la vertu, c'est-ià-dire l'intelligence, la con-
naissance raisonnée du bien et du mal. Dès lors qu'il n'admet
plus l'universalité de sa définition, et malgré que ce soit pour ne
pas médire de ses illustres concitoyens, il doit leur attribuer un
degré de vertu inférieur ; il les fait descendre au rang des devins,
de ces hommes inspirés q;ui ne savent rien de ce qu'ils disent
(uLYidhj tl^ÔTz; côv Ikyo-j'ji. — 99 D), qui agissent bien, sans intelligence
(otTtvï; voCv y.yj lyovTic, noWx y.où ^j.zyyXxvM.rori^O'javj r<yj î:oxTTt}V(n. — 99 C),
qui sont conduits par 1' « opinion droite ». Il concède sans res-
triction leur impuissance à enseigner la vertu (98 E).
La continuité de ce point de vue avec celui du Frotagoras est
hors de question et il s'explique sans effort par le doute persis-
tant provoqué chez Platon par la contradiction aperçue entre la
théorie de Socrate et un fait d'expérience flagrant (2).
Est-il invraisemblable que ce pessimisme se soit aggravé? Non^
si de nouveaux motifs sont intervenus. Or c'est le cas du Gorgias.
— Platon ne vient-il pas de découvrir la différence entre le plaisir
et le vrai bien de l'homme? ne l'a-t-il pas démontrée par « des
raisons de fer et de diamant » (509 A) ? Après cela, il ne peut
faire la moindre concession sur la raison d'être des chefs d'État:
ceux-ci doivent procurer aux hommes, aux sociétés, le bien vé-
ritable, la vertu (515 B. C). Et Platon maintiendra cette idée dans
la République et jusque dans les Lois (I. 630 C). Par suite, d'après
la méthode socratique qui assimile la morale aux arts, un chef de
gouvernement n'ayant pas atteint ce but est un mauvais ouvrier,
quelles que soient, par ailleurs, sa vogue et la sympathie igno-
rante des foules (459 C).
Remarquons à quel point le débat s'est élargi. Le Ménon de-
mandait si Thémistocle ou Périclès avaient été, vis-à-vis de leurs
fils, de bons maîtres de vertu; il s'agit maintenant de l'éducation
du peuple. Dans le Ménon, Platon leur reconnaît, malgré tout^
1. W. LuTOSLAWSKi. The origin and groivth of Plato's Logic, p. 214.
Longmans, Green and 0°, London, 1905.
2. Une suite aussi naturelle serait loin d'exister du Frotagoras au Gorgias.
Cf. les explications de Th. Gomperz, o. c, p. 360.
312 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
une vertu inférieure, capable, par hasard (1), de grandes actions;
d'après le Gorgias, leur supériorité n'est admise que dans nn ordre
tout matériel (517 B); ils ont failli à leur mission la plus haute.
— La progression est très normale. Et le dernier jugement est
sans rémission (2), comme il est visible aux ¥«= et VIP livres
de la Bépiihlique où les philosophes seuls sont déclarés vrais
gardiens de l'État. A quoi bon alors la prétendue « réhabilita-
tion » du Ménon dont le plus clair serait après tout de montrer
que ces mauvais politiques n'ont même pas su être de bons pères
de famille? ,
Mais l'antériorité du Ménon est bien plus encore exigée par
l'enseignement de l'un et l'autre dialogue sur la vertu.
Revenons, en effet, au Protagoras. Comme tous les dialogues
qui le précèdent il ne connaît d'autre définition de la vertu que
celle de Socrate : la vertu est une science. Nous l'avons même re-
marqué, il en apporte une justification nouvelle : la vertu doit
être une mesure, un calcul des jouissances et des inconvénients de
chacun de nos actes.
(Jr cette définition est partout supposée par le Ménon qui se
termine en la déclarant trop étroite, sans pour cela la rempla-
cer {?>). Car, sans doute, VbrM, dôlx ne prétend pas être adéquate
à l;i verlu. Et il est signifié formellement aux dernières lignes
du dialogue qu'une nouvelle étude s'impose pour savoir ce qu'est
la vertu en elle-même (100 B). Affirmation qui n'est pas ironique,
pour cette raison que la première partie du dialogue (71 D — 79 E)
est consacrée à déterminer les conditions d'universalité d'une
bomie définition, de manière à préparer le rejet de celle adoptée
jusqu'alors (97 B C).
Dans ces conditions serait-il admissible que le Gorgias ait été
composé avant le Ménon, s'il donne de la vertu une définition
toute nouvelle, conservée dans les dialogues postérieurs? Évidem-
ment non. Il y aurait là tout au contraire une réponse directe à
la question finale du Ménon. C'est ce qu'il reste à établir.
L'objet principal du Gorgias est de distinguer le bien du dé-
lectable, de montrer, à l'encontre du Protagoras, que la fin
dernière de l'activité humaine est le bien et non la jouissance;
i. Qeia noïfxi, au sens où l'entend Zeller. Die Philos, der Griechen, III*.
p. 594*.
2. L'exception même faite, dans le mythe final, en faveur d'Aristide, le
prouve. C'est un moyen détourné, et le seul, de le sauver de la débâcle.
3. L'opinion de von Kleemann (Archiv, 1. c, p. 62) est trop visiblement ins-
pirée par le souci de reculer le Ménon jusqu'après le Banquet.
NOTES .'^13
c'est une réfutation de l'hédonisme; mais il détermine aussi
quel est ce bien, fin de l'homme : c'est son bien propre, la belle
oîdonnance, l'harmonie qui convient à sa nature; ainsi harmo-
nisé l'homme est bon; or tout être est bon par la présence
d'une vertu spéciale; cette harmonie de tout lui-même est donc la
vertu de l'homme par excellence, la <y(xiQ^po'jxjvf\ , qui d'elle-
même assure la piété, la justice et la force (506 D — 507 C).
Nous sommes bien loin de Socrate. La vertu n'est plus essen-
tiellement une connaissance, mais un état. Le vertueux n'est
plus comparé à l'artiste qui sait son art, mais à Vœuvre d'art
(503 E ss.). L'unité de la vertu n'est plus l'unité de la science,
mais elle suit au bon ordre de l'âme (507 A, B).
C'est la doctrine même longuement développée dans la
Eéjjuhliquc (1). Tout être possède, pour bien agir, une vertu qui
lui est propre. Celle de l'âme est la justice (IV. 353 A — 3&4
A). Sa présence a pour effet l'ordre et l'harmonie (IV. 443 D ss.)_,
elle est la santé, la beauté, la vigueur de l'âme (IV. 444 E).
La science et la sagesse n'en sont plus que l'élément princi-
pal (id. et IX. 586 E). Même si la contemplation des Idées et
du Bien prend une place de plus en plus grande (2), la concep-
tion du Gorgias demeure. Elle est rappelée dans le Phédon
(93 C ss.), dans le Philèhe (64 E) et dans les^Lois (III. 689 D).
La continuité du Gorgias et de la République paraît donc bien
manifeste, comme celle du Gorgias avec le Ménon, du Ménon
avec le Frotagoras. Séparer ces deux derniers dialogues par
le Gorgias est introduire dans l'évolution de Platon un retour
et ime complication inutiles et invraisemblables.
Kain i\l.-D. Roland-Gosselin, 0. P.
II
La Variabilité des Symboles dans l'Apocalypse
NOTRE formation littéraire^ renouvelée ou continuée des Grecs^
nous met souvent mal à l'aise devant les productions de
l'esprit oriental. Nous ne savons même pas trop bien comment
1. Cf. Brochard. La morale de Platon. Année philosophique. 16' an., 1903,
p. 5 ss.
2. Id., p. J3 ss.
314 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
les anciens Orientaux composaient un livre, ni quelle idée ils
se faisaient d'un livre, ni ce que signifiait pour eux l'attribution
à tel ou tel auteur. Quand il s'agit d'œuvres symboliques, nos
difficultés vont s'aggravant. L'Apocalypse, qui est l'écrit le plus
mystérieux et le plus oriental du Nouveau Testament, a souffert
d'une manière inouïe, chez les critiques protestants, de ces exi-
gences de l'esprit humaniste, sur les lits de Procuste où les
« Literarkritiker » l'ont dépecée à l'envi, sans arriver à en fa-
ciliter beaucoup l'intelligence.
De fait — à moins que nous n'appartenions à certaines écoles
ultra-modernes, plus musicales que littéraires, qui usent de pro-
cédés avec lesquels la majorité des critiques bibliques n'ont
pas l'air d'être familiers — notre culte de la précision, nos idées
sur la correspondance du signe au signifié, nous portent à nous
astreindre, nous, aux conditions qui suivent, même dans le genre
littéraire de l'allure la plus libre, dans l'allégorie.
Soit une série de réalités ou de pensées que nous entreprenons
de représenter allégoriquement. Je les désigne par A, B, C,... etc.
Nous leur attacherons à chacune leur symbole, qui leur demeurera
fixé indissolublement, ime fois pour toutes, dans le cours de
l'œuvre : soit «, (3, y,... etc. Une fois constitués les groupes aussi
naturels et logiques que possible, A-a, B-/3, C-y,... etc., nous
n'irons pas introduire ex abrupto un groupe A-^, ou B-a, quand
même A et B, a et /3 seraient des idées assez voisines, ou des
signes assez voisins. Il serait malséant, suivant notre commune
manière de voir, d'ouvrir cette porte aux confusions.
^lais certainement l'auteur de l'Apocalypse avait d'autres
mœurs littéraires, voulues ou non. Impossible, tant qu'on ne les
a pas comprises, d'apprécier critiquement et scientifiquement son
œuvre.
Reprenons nos deux séries A, B, C,... et a, /3, y,... Suppo-
sons les réalités A et B liées entre elles par quelque analogie, de
fond ou de surface, qui, dans tel cas, peut se réduire à la com-
munauté d'un seul détail. Non seulement nous trouverons chez
l'Apocalyptique les groupes quasi-naturels A-.a et B-|3, mais toutes
les combinaisons que voici :
A- a A<^ A — /3,
ou encore
a — A ^<^ a — B.
B
NOTES 315
Parfois, vouions-nous dire, une seule et même réalité, signi-
fiée déjà par son propre symbole, s'en détachera pour s'intro-
duire momentanément sous le symbole d'une réalité voisine;
ou bien, inversement un seul et même symbole servira successi-
vement à représenter deux ou plusieurs réalités, reliées par quel-
que association d'idées qui peut être lointaine. Ces extensions
et ces échanges ne paraissent soumis à aucune règle détermina-
ble. Ce n'est pourtant point de la pure fantaisie; il se peut qu'une
logique profonde rythme ces ondulations ; pourtant, un observateur
pressé jugera ce symbolisme, par endroits, flottant comme les
attributions qti'on fait aux personnages des drames qui se jouent
en rêve.
Voilà une première remarque. Je la justifie par quelques ex^
emples frappants.
D'abord une seule et même réalité représentée, en raison de
ses différents aspects, par différents symboles, dans des vi-
sions simultanées, ou du moins étroitement connexes.
Aux premiers chapitres, nous avons vu Jésus apparaître en
« Fils d'homme » porteur d'emblèmes divins, et donner au voyant
le message pour les sept églises. Au chap. IV, une voix, sa
voix (IV, 1, cfr. I, 10) appelle le prophète à une vision du
ciel. Là se déroule la scène sublime de la grande liturgie autour
du trône de Dieu. Jésus n'y est point d'abord visible; le « Fils
d'homme » ne reparaîtra que dans un fragment du chap. XIV.
Mais quand il s'agit d'ouvrir le livre aux sept sceaux, le Sau-
veur surgit sous la forme toute différente de l'Agneau « comme
mimolé », aux sept cornes et aux sept yeux. Le Fils de l'Homme
est-il encore dans le fond du tableau? — Ce n'est pas tout. Quand
l'Agneau a rompu le premier sceau du livre, apparaît un cavalier
au cheval blanc, avec son arc et sa couronne. Il y a d'excellentes
raisons de croire, avec de bons exégètes, que ce cavalier est
le même que celui du chapitre XIX, c'est-à-dire le Verbe ide
Dieu, encore Jésus (1). Ainsi voilà une persorme unique, Jésus,
apparaissant simultanément sous trois formes qui semblent ab-
solument indépendantes et irréductibles. La première, il est vrai,
(le Fils d'homme) s'efface momentanément dans la pénombre;
une autre, l'Agneau immolé, occupe le centre du tableau; la
troisième, l'Archer royal, se dresse devant l'Agneau et le Voyant
à la fois. Ainsi une réalité indivisible, mais multiple d'aspects,
la divine personne du Sauveur, se présente à nous sous le voile
1. J'essaierai d'en faire la preuve dans une autre note.
310 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOSIQUES
d'un tiiplo symbolisme, suivant qu'il est le Révélateur divin, le
Rédempteur divin ou le Triomphateur divin.
Voyons la contre-partie, c'est-à-dire des symboles distincts,
mais connexes, qui alternent entre eux pour la représentation
des mêmes réalités, chaque réalité pourtant ayant eu originaire-
ment son symbole propre.
Aux chap. XIII et XVII, la Bête qui monte de la mer, avec ses sept
têtes et ses dix cornes, représente l'empire païen de Rome (1). Les
têtes sont primo et per se, des empereurs. Cependant, au chapitre
XVII, ce seront « des collines aussi. » a <„. Cette dualité de
signification mettra mieux en relief l'union étroite de la Bête
maudite avec la courtisane Babel, la Rome des sept collines.
Mais le lien des rois et des collines est on ne peut plus acciden-
tel.
Les têtes, disons-nous, représentent respectivement des empe-
reurs. Mais, parmi les empereurs, Néron a paru comme une
incarnation véritable de l'essence diabolique du monstre aux
sept têtes. Il résulte de cela une continuelle alternative entre le
symbole de Néron et le symbole de l'empire-païen.
Ainsi :
au c. XIII, la tête a été blessée à mort, puis guérie;
au c. XVII, c'est la Bête elle-même qui est ressuscitée (XVII^
8.)
La Bête a un nom, exprimé par le chiffre 666. Ce nombre,
suivant la seule interprétation plausible, s'écrit en lettres pJ "iDp,
Néron César. Ainsi Néron n'est qu'une tête de la Bête, et pour-
tant la Bête tout entière, qui est l'empire, et autre chose encore,
s'appellera Néron de son nom propre. Néron est en partie le
Néron historique, en partie un Néron typique; l'historique n'in-
tervient que parce qu'il pouvait servir de type (2). De la sorte,
un membre du corps, une tête, devient le type de tout le corps,
et de ce qui est symbolisé par le corps. Cette tête a d'abord sym-
bolisé directement un empereur; mais comme cet empereur re-
présente éminemment ce qu'il y a d'horrible dans le corps entier,
1. Selon moi, elle est d'une signification encore bien plus étendue, et je
le démontrerai ailleurs. Mais l'empire romain est au moins le « primum
analogatum ».
2. C'est un des points où Bousset n'a pas vu clair, dans son commentaire
si remarquable. Je pourrais montrer aussi comment le huitième roi (toujours
le Néron typique) est le même que « les dix rois » symbolisés par les dix
cornes.
NOTES 317
son symbole, la tête, représente aussi le corps entier et Jes
attributions symboliques de la tête passeront au corps, celles
du corps à la tête, indifféremment. Parce que c'est la même réa-
lité foncière que corps et tête représentent, la domination poli-
tique du Dragon, qui ne sera anéantie qu'à la grande victoire
du Verbe.
Ceci nous amène à une deuxième remarque. La confusion de Né-
ron et de l'empire, de la Bête et d'une de ses têtes, nous offre un
bel exemple de symboles qui ne sont pas seulement flottants, mais
qui se symbolisent les uns les autres, d'un symbolisme à plusieurs
étages, pour ainsi parler (1). On trouvera le même phénomène dès
les premières pages du livre. Il s'agit des Anges des sept églises.
Jésus commande à Jean d'écrire à ces sept Anges qui, dans
la vision d'introduction, sont dits représentés par les sept étoiles
que le Fils de l'Homme tient en sa main. — Remarquer que, au
tîours de la même vision (III, 1, cfr. I, 20.) ces sept étoiles si-
gnifient les sept « esprits de Dieu », lesquels sont probablement
tout autre chose que des Anges. C'est une combinaison du type
A
Des esprits bienheureux ne peuvent guère être l'objet des re-
proches, parfois assez véhéments, et des menaces que le Voyant,
au noni de Jésus, adresse à ces Anges. Il serait en effet gratuit
d'attribuer à l'auteur de l'Apocalypse les mêmes idées qu'à l'au-
teur du Livre des Songes d'Hénoch sur la responsabilité des
Anges préposés par Dieu à la garde des hommes. Tout au plus
a-ton le droit de croire que les « soixante-dix pasteurs » de cet
apocryphe et les « sept Anges » du livre inspiré ressortissent
du même symbolisme. Dans l'Apocalypse, ces Anges sont donc
la figure de quelque chose ou de quelqu'un; il s'agissait pour
l'auteur d'exhorter des frères, et non de spéculer sur les fautes
des êtres célestes, comme l'a fait l'apocryphe, pour rejeter sur
leur dos une partie de la responsabilité des fautes et des malheurs
humains. Aussi 'voit-'on souvent dans ces Anges les « chefs »
des Églises. Pourtant le ton et la teneur des louanges et des re-
proches, des menaces et des promesses convient bien mieux si
tous ces avertissements sont adressés à des collectivités que
s'ils l'étaient à des individus, car un prélat, en bonne justice, ne
peut être que par une fiction littéraire tenu pour strictement
1. 11 serait intéressant de noter des exemples du même fait dans le Qua-
trième Évangile.
318 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
responsable de tout ce qui se passe dans son église. Les prélats,
si prélats il y a, sont donc identifiés à la communauté; si le
Voyant leur parle, c'est pour que la communauté entende. Nous
trouvons donc un symbolisme qui descend ainsi par degrés suc-
cessifs.
Etoiles — AXGES
I
Prélats
. I
EGLISES.
En fin de compte, les étoiles représentent, au ciel les « esprits
de Dieu », sur terre les sept églises d'Asie.
Ce manque de fixité et û.' immédiation dans les symboles crée,
à coup sûr, de multiples difficultés d'exégèse. Il ne faut pas
s'étonner si des esprits trop géométriques ont de la peine à s'y
reconnaître.
C'est en cela que les « critiques littéraires » trouvent leur
grand argument pour soutenir que l'Apocalypse Johannique est
une compilation, à peu près comme le livre d'Hénoch; compila-
tion (faite avec impéritie, il faut bien le dire,j d'éléments déjà
cristallisés qu'un « rédacteur » aurait collectionnés partout; puis
il eût cherché à y mettre mécaniquement une espèce d'unité,
en les agglutinant au moyen de quelques gloses ou notes rédac-
tionnelles. L'exécution, du reste, eût trahi l'intention, car foutes
ces retouches ou ligatures n'arriveraient qu'à donner l'impression
d'une plus grande hétérogénéité et d'un plus grand désordre.
Faut-il entrer dans les sentiers, très peu convergents d'ailleurs,
que ces critiques nous ont tracés?
Non, pour la raison très suffisante que la théorie de la com-
pilation ne fournit du genre de fluctuations ci-dessus analysé
aucune explication qui puisse nous satisfaire. D'abord il n'y a pas,
bien entendu, à tenir compte de l'opinion de ces philologues
qu'une certaine matérialité de vues ou de culture, jointe à la ma-
nie du découpage, empêche de remarquer l'unité d'inspiration, de
doctrine, de langue et de cadres, de « scénario », qui s'affirme
à travers les vingt-deux chapitres du livre. Même dans l'hypo-
thèse — sur laquelle nous faisons d'ores et déjà toutes nos réser-
ves, — où l'auteur aurait continuellement utilisé des sources, il
faudrait reconnaître qu'il les a élaborées, et élaborées profon-
dément, pour les faire servir au but de son enseignement bien
NOTES 319
un et bien défini (1). C'est un auteur, pas un rédacteur. Il se
montrait parfaitement capable d'unifier tout ce que, dans l'hy-
pothèse, il aurait emprunté. Mais s'il n'a pas voulu mettre plus
d'unité entre les éléments qu'il aurait groupés ainsi, cela révèle
chez lui une trempe d'esprit toute particulière (2). Or, quand
un homme sait faire de l'unité, et que pourtant il a eu si peu
cure d'en mettre une parfaite dans le détail de son symbolisme,
sera-t-il invraisemblable de supposer que cette variabilité est
bien conforme aux tendances naturelles de son esprit et qu'elle
s'introduira spontanément dans ce qu'il aura imaginé, ou aperçu
en vision, le détail matériel des visions, même divines, dépen-
dant naturellement des habitudes imaginatives de celui qui les
éprouve? Ainsi il n'y aurait nul besoin de recourir, pour expli-
quer certaines « incohérences » du symbolisme, à l'hypothèse qu'il
a juxtaposé péniblement des sources disparates.
Mais ceci n'est qu'un argument ad liominem. Car nous estimons
qu'il ne faudrait pas tant parler de 1' « incohérence » de ces
images apocalyptiques. Un prophète chrétien du P"" siècle, de
culture exclusivement juive, aurait-il dû partager les goûts et
les répugnances dont nous a doués la culture humaniste? Les
visions, puisqu'en réalité c'est de visions qu'il s'agit, doivent-elles
se plier à la régularité logique de notre esthétique? Il serait
audacreux de poser ces postulats. En fait, il y a toujours, sous
les symboles les plus changeants qui se présentent à son esprit
et S0U3 |Sa plume, une réalité foncière qui établit une affinité
entre tputes ces figures, dont chacune la représente sous
un aspect spécial. Cet ultimum quid est un « tout poten-
tiel », comme un scolastique dirait. Dans les exemples ci-dessus
analysés, c'est Jésus, roi de l'Univers, ou bien le Pouvoir ter-
restre et diabolique.
1. C'est ce qui a été démointré sans réplique par Bousset, une autorité
à laquelle il serait peut-être téméraire de préférer celles de Spitta, de
Volter ou d'Erbes. — Même la récente théorie de Jean Weiss n'affaiblira pas
cette ferme coinclusion.
2. 0]i pourrait objecter que IV Esdras est aussi une œuvre une et person-
nelle, de l'avis de critiques comme Schtirer, Gunkel et autres, qui nous
sembleait avoir parfaitement raison, et cei>endant cette belle Apocalypse reste
pleine d'incobérences, même doctrinales. Oui, mais son auteur, à la diffé-
rence de Jean, n'a guère montré d'intention d''unifier les diverses tradi-
tions qu'il trouvait dans ses sources. Son respect de la tradition l'a empêché
de faire autre chose que les « enchâsser » dans son œuvre propre, comme
dans une monture beaucoup plus précieuse, en fait, que les pierreries dont
il l'ornait. Pour Jean, c'est autre chos(e; il avait sa doctrine et entendait bien
y ramener tout ce qu'il a pu emprunter ailleurs.
320 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
On peut, insister, et déclarer que pourtant cette liberté un peu
fantaisiste dans l'usage des symboles est quelque chose de rare,
de peu naturel. Je consens à n'y voir pas uniquement un trait
de race (quoique dans les prophètes, notamment dans le second
Isaïe, on ptit relever des phénomènes analogues), mais la note
d'un esprit individuel. jNIais le cas de cet auteur, ainsi exposé,
serait-il tellement artificiel, tellement unique en son genre, qu'on
dût n'y voir que la « construction » d'une exégèse trop complai-
sante pour la tradition?
Je ne le pense pas, car ailleurs, dans le Nouveau Testament,
on trouve des exemples presque aussi frappants de virtualisme
de style. Et c'est dans un livre dont on ne peut sérieusement
contester l'unité, à aucun point de vue. Je veux dire le Qua-
trième Évangile.
Ouvrons-le au chapitre VI. On peut tenir pour démontré, avec
le plus grand nombre des critiques modernes, contre quelques
exégètes anciens, qu'en tout le discours du Seigneur (VI, 26-59)
il s'agit de l'Eucharistie. L'idée de l'Eucharistie sacramentelle,
du pai7i du ciel, commande le choix de toutes les images, les allu-
sions à la manne, les expressions fortes et réalistes telles que
(xâol, rpwycov ; c'est une àXy;Ôy;; /5p^Ô(7t:, une x/:r,Sri; 7z67lz . Pas
mi seul instant l'idée de repas eucharistique ne sort du champ
de la pensée. Seulement, la « res sacramenti », comme aujour-
d'hui nous dirions, étant l'union spirituelle au Christ et à son
Père, le chapitre développera, sous divers aspects, la théorie
de cette union, acquise comme un effet de l'Incarnation et de la
Passion, que l'Eucharistie présuppose. Aucun procédé scolastique,
pas même de progression logique et régulière; mais une logi-
que réelle commande tous les développements en volutes de
l'enseignement du Seigneur en ce beau discours. Sans perdre un
seul instant de vue l'idée de la communion réelle, par mandu-
cation, par mode de boisson, au corps et au sang du Christ,
l'Évangéliste passe du tout aux parties potentielles, du général
au particulier, de la grâce invisible au sensible sacramentel, de
la fin au moyen, de l'effet à l'instrument ou à la cause; et
inversement. jNIais chaque aspect implique tous les autres, et
tout so rattache au pain eucharistique, dont la manne et les
pains multipliés au désert furent une figure.
Je laisse faire au lecteur lui-même le rapprochement naturel
avec les exemples d'un virtualisme analogue ci-dessus relevés
dans l'Apocalypse, ce livre d'un ton. d'un but et d'une matière si
NOTES 321
différents. Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur la portée que
pourraient prendre de telles comparaisons, menées avec vigueur
dans une étude générale de la question johannique. Il me suffit
d'avoir montré que cette variabilité presque déconcertante du
symbolisme de l'Apocalypse se trouve des analogies en un des
livres canoniques dont les critiques songeraient le moins à con-
tester l'unité d'inspiration et de composition.
Fribourg (Suisse). E. Bernard Allô. 0. P.
2* Année. — Revue des Sciences.
Bulletin de Philosophie
III
PSYCHOLOGIE
I. — Ouvrages Généraux
Dans son ouvrage : Idées générales de Psychologie (1), M. G. H. Luquet a
pour dessein avoué d'iniroduire dans l'enseignement les idées philo-
sophiques de M.Bergson. Son vœu le plus cher, nous dit-il, « serait d'être
considéré pour ce livre, par le public et par M. Bergson lui-même,
comme étant avec lui dans un rapport analogue à celui de Wolff à
Leibniz. » Son procédé est exclusivement dogmatique. 11 ne s'attarde
donc pas à réfuter les théories contraires aux siennes, d'abord parce
qu'il y voit un grand inconvénient pédagogique, et ensuite surtout
parce que les théories générales de M. Bergson et de M. Luquet étant
les seules qui soient pleinement d'accord avec l'expérience, l'exposé
de ces dernières contient implicitement la critique des autres.
Il faut reconnaître que cet exposé de la psychologie bergsonienne est
merveilleusement clair, plus clair que chez le maître, le style en étant
plus sobre et moins enguirlandé de métaphores.
Le point de départ de cette philosophie est que la science psycholo-
gique est distincte, par sa méthode et son objet, de toute autre science.
La vie psychique est une réalité sui generis. En elle, des caractères qui
semblent contradictoires pour la logique habituelle, fondée sur les
habitudes d'un esprit qui jusque-là s'est occupé exclusivement du
monde extérieur, non seulement ne s'excluent pas mais s'appellent.
Elle a une logique à part, régie par le « principe de continuité » et ainsi,
a tandis que dans les autres domaines un fait ou un objet est ce qu'il
est et n'est pas ce qu'il n'est pas, en psychologie il est en un sens ce
qu'il n'est pas et n'est pas absolument ce qu'il est. » C'est la conscience
spontanée qui nous montre en elle cette fusion de l'identité et du chan-
gement, du passé et du présent ; elle saisit le <> moi » dans sa « durée >%
c'est-à-dire dans son état actuel, qui est fusion et synthèse, résumant la
conscience passée et gros déjà des états de conscience futurs. Cette
connaissance de la vie psychique par la conscience spontanée est sans
doute naturelle et légitime : elle nous révèle en bloc la totalité de notre
état de conscience actuel. Mais quel que soit le caractère de continu et
de synthèse de celui-ci, il est des éléments qui lui échappent ; tout notre
moi ne se révèle pas, mais seulement une partie ; car on doit admettre
1. In-8", Paris, Alcan, 1906.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 323
l'existence de l'inconscient. Dès lors il faut la conscience réfléchie,
pour analyser plus en détail Tunité confuse que donne seulement la
conscience spontanée, pour classifier les phénomènes psychiques et
établir les relations qu'ils ont entre eux. Et l'auteur procède à cette clas-
sification, sur la valeur scientifique de laquelle il nous dit ne se faire
aucune illusion ; il s'agit en effet d'une classification artificielle et plutôt
symbolique, destinée surtout à établir un vocabulaire et une termino-
logie des faits psychologiques, commode et facile à retenir.
Mais la conscience réfléchie est-elle le seul moyen de perfectionner la
connaissance que nous avons de nous-mêmes par la conscience spon-
tanée? L'ancienne psychologie opposait à la réflexion l'introspection.
« Il y a lieu de conserver cette opposition, mais en l'interprétant dans
un sens exclusivement empirique. » Jadis, la psychologie était calquée
sur la biologie. Elle était donc amenée surtout, comme celle-ci, à se
donner comme tâche une simple classification des faits psychiques. Et
à cela s'employait spécialement la réflexion. Mais la biologie a évolué;
de nos jours, elle ne se sert plus de la classification que comme d'un
moyen pour déterminer les lois générales de la vie, de même la psycho-
logie doit se transformer parallèlement et substituer à la classification
des phénomènes psychologiques l'étude de leurs relations.
Ce progrès d'ailleurs est encore insuffisant. La réflexion en effet est à
la conscience spontanée ce que la connaissance scientifique est à la
connaissance vulgaire. Or la science est avant tout utilitaire. Aux
« images fuyantes » que les sens nous donnent de la nature, le savant
« substitue des points matériels, des molécules, des forces d'attraction
et de répulsion, etc., en un mot des symboles purement hypothétiques,
dont l'unique rôle est de servir de support Imaginatif aux relations
quantitatives que la science vise à établir entre les phénomènes et qui
sont pour elle l'essentiel, parce que c'est par elle que nous pouvons,
dans une certaine mesure, prévoir les phénomènes de la nature...
en faciliter la production. » Au contraire de la science, l'art n'est
plus utilitaire mais positif; il s'occupe, non pas des rapports des
choses et de leur utilité, mais de leur individualité et de leur réalKé en
tant que connue de façon désintéressée. Cet art d'atteindre la réalité
psychique par une connaissance exacte, sans préoccupations pratiques
intéressées, c'est l'introspection. « Au lieu de viser à saisir, comme la
réflexion, le semblable sous le divers, l'introspection cherche à retrou-
ver les différences sous les caractères communs ; elle est la réflexion du
psychologue et non plus de l'homme d'action sur la conscience réfléchie
aussi bien que sur la conscience spontanée; à l'égard de toutes deux elle
fait machine en arrière. Par opposition au point de vue utilitaire de la
conscience réfléchie comme de la conscience spontanée, c'est une sorte
de dilettantisme, c'est presque de la conscience de rêve ; elle a un
caractère non scientifique, mais esthétique. Elle veut, sous la conscience
réfléchie et même sous la conscience spontanée, sous la couche rigide
produite par l'influence congelante de l'action, atteindre l'eau courante
du stream of ihought, des données immédiates de la conscience. »
C'est donc à l'introspection que l'auteur fera surtout appel dans la
suite de son ouvrage, « faisant machine en arrière par rapport à la
3:24 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUFS
réflexion, sans jamais d'ailleurs en perdre de vue les résullals et en les
prenant pour point de départ. » Étudier de la sorte la réalité des faits
psycliiques, c'est surtout étudier les relations qui existent entre eux :
leur succession, \e\iT solidarité, leur continuité.
Quand on parle de la succession des états de conscience, on veut dire
qu'ils se conditionnent, se pénètrent, se fusionnent, et non pas qu'ils se
succèdent par pluralité numérique. « Il n'y a jamais modification totale
de la conscience; tout état de conscience participe de l'état immédiate-
ment antérieur ;... une rupture apparente du cours de la conscience, n'est
en réalité qu'une nuance plus forte, une couleur plus vive, se détachant
sur la trame ininterrompue de la vie psychique. Dans la conscience il
n'y a jamais de révolutions, mais une perpétuelle évolution. »
JjCs états de conscience sont de plus liés par une étroite solidarité,
c'est-à-dire que chacun d'eux est à la fois un et multiple, qu'il n'y
a pas d'états purs distincts entre eux. et provenant de facultés dis-
tinctes. Celles-ci « ne sont que des abstractions. » « D'une manière
générale, tout état de conscience est à la fois affectif, intellectuel et
actif : il n'y a qu'une difTérence de dosage dans les proportions relatives
de ces éléments; chaque état de conscience comprend, outre le phéno-
mène affectif ou représentatif ou aciif qui est au premier plan, des élé-
ments psychiques appartenant aux deux autres classes, plus reculés et
moins visibles, mais qui ne sont pas moins toujours présents. »
Le caractère souple et fuyant des opérations psychiques manifeste
encore leur conlinnilé. Elles ont entre elles une parenté d'essence et ne
difTèrent pas en nature, mais seulement en degré; c'est ainsi que l'au-
tomatisme sort de la volonté et que la volonté retourne à l'automatisme,
que le concept ne diffère pas de l'image, que le concept et l'image ne
diffèrent pas de l'affirmation, du jugement, que la consécution empi-
rique ne diffère pas de la raison, que l'égoïsme confine à l'altruisme
et engendre la justice, etc. Les premiers principes d'identité et de
causalité n'ont pas de valeur objective, mais ne sont que des
croyances sous forme vécue plutôt que pensée. Le principe d'identiié
énonce une confiance toute subjective dans la constance des lois de
l'esprit à travers l'écoulement de la vie consciente, analogue à la con-
fiance dans la constance des lois de la nature à travers le temps qui
constitue le principe de causalité ; et cette confiance est, dans les deux
■;as, aussi spontanée et aussi peu justifiée sous sa forme primitive. Les
lois de la nature ne sont en effet que des approximations, ou mieux des
conventions utilitaires, et dans la vie consciente il n'y a pas deux états
identiques.
Quant au caractère fondamental de l'activité de l'esprit, il consiste
dans un choix, une sélection constante opérée dans le donné externe ou
interne. L'expérience n'est pas ce qui s'imprime automatiquement en
nous; alors que nous croyons saisir la réalité telle qu'elle est, nous ne
laissons pas de la construire par la sélection. Celle-ci joue dans toutes
nos opérations psychiques un rôle analogue à celui des résonnateurs en
acoustique, qui isolent un son en le captant de préférence ; et c'est ainsi
que la perception est une sélection entre les sensations présentes ; la
mémoire, entre les sensations passées, etc. Toutes les opérations psy-
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 325
chiques impliquenL donc sélection ou allenlion; la conscience en général
ayant déjà pour rôle fondamental d'opérer celle sélection dans le donné
interne, de choisir les étals clairs qu'elle retient dans le tlol indistinct
de son écoulemenl. Et c'est ainsi que par ce choix entre les données de
l'expérience, noire esprit construit non seulement l'art, mais la science,
la morale, etc.
La sélection constatée comme un fait, il faut l'expliquer. Or tonte
explication psychologique est téléologique ; en d'autres termes, expli-
quer un pliénomène psychologique, c'est dire à quoi il sert, c'est
rendre compte de son intérêt pratique ou théorique, et l'un revient .
à l'autre. Si nous nous représentons nos étals internes à la manière
d'objets extérieurs, c'est que le monde extérieur nous apparaît comme
le seul théâtre possible de notre action. Si nous solidifions et hyposta-
sions des étals subjectifs affectifs comme le plaisir et la douleur, si nous
généralisons les images concrètes pour les réduire à des concepts, si
nous réunissons ceux-ci en jugements, et ceux-ci encore en raison-
nements, c'est toujours pour le même motif : l'intérêt, la facilité de
l'action.
— Telles sont donc, dépouillées de leur présentation souple et vivante,
les principales idées de la psychologie de M. Luquet ou de son maître
M. Bergson. Nous ne pouvons songer à les discuter les unes après les
autres ; chacune d'ailleurs se colore de nuances infinies où la part du
vrai se mêle à la part de l'inadmissible selon nous. Disons un mot seu-
lement des a priori métaphysiques, qui commandent toute celte psycho-
logie. Le principal, c'est la négation du principe de contradiction comme
régissant la réalité psychique ; celle-ci est l'union de l'identique et du
changement, de l'un et du divers, de la permanence et du flux mobile
incessant; le fait de conscience « est en un sens ce qu'il n'est paset n'est
pas absolument ce qu'il est ». « En un sens », oui, sans doute, dans l'ap-
parence de l'expérience interne ou externe, et M. Luquet a fort bien
reconstitué cette donnée immédiate de l'expérience psychologique : suc-
cession, solidarité, continuité des phénomènes de conscience. Mais il y a
longtemps déjà que l'on a été tenté de nier le principe de contradiction à
cause des apparences sensibles. Âristole nous dit que les Sophistes ont
été amenés par là à contester les premiers principes de la raison. En
effet la première constatation empirique se heurte au devenir, et le
devenir, à la fois, d'une certaine façon est et nest pas. Ne serait-ce pas
toujours chez M, Luquet celle même apparence immédiate de la réalité
psychique, vue comme un devenir, c'est-à-dire comme quelque chose
qui à la fois est et n'est pas, qui l'induirait à nier l'application du prin-
cipe de contradiction au devenir psychique de la conscience mouvante,
àrestreindre cette application au réel conçu comme solide etslatique, et
finalement à ne donner au principe de contradiction qu'une portée toute
quantitative et spatiale ?
Mais il est faux que ce principe ne soit qu'une vue de l'esprit quan-
titative et spatiale : il est impliqué immédiatement dans la toute pre-
mière notion du réel ou de lôtre, avant que celte notion même se pré-
cise ou se particularise en réel quantitatif et statique ou en réel quali-
tatif et dynamique, — et le devenir lui-même, qui implique composition
326 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et union du divers, ne peut avoir en lui sa raison d'être et demande à être
expliqué par autre chose que lui, par ce qui par soi est être.
Et voilà pourquoi ce flux mouvant du devenir de la conscience,
reconstitué par l'introspection, loin d'être le point d'arrivée de la
science psychologique comme le veut M. Luquet, n'en est au contraire
que le point initial, la base d'expérience agrandie, merveilleusement
détaillée, si l'on veut, par l'analyse bergsonienne, mais enfin base d'ex-
périence seulement, d'où partira la raison^ régie par le principe d'iden-
tité et son dérivé, le principe de causalité, à valeur absolue et non seule-
ment empirique, pour édifier la systématisation philosophique.
Comme l'intelligence ne peut se passer de principe premier, M. Luquet,
éludant le principe d'identité pour rendre compte de la réalité psy-
chique, est obligé d'invoquer le principe de finalité : «Expliquer un
phénomène psychologique, c'est dire h quoi il sert», c'est en faire une
utilité pour l'action. Mais comment, avec les négations précédentes,
fonder la vérité de ce principe de finalité? Celui-ci indique que la raison
d'être du moyen est dans une fin. Et comment cela serait-il perçu par la
simple expérience qui n'atteint que les faits et non pas leur raison
d'être ?
Philosophiquement, la doctrine exposée et défendue par M. Luquet se
réduit donc à un empirisme utilitaire, comme le marquent d'ailleurs ces
lignes décevantes par lesquelles il termine son ouvrage : « C'est pai"
l'utilité vitale, par une finalité immanente qui d'ailleurs n'implique nulle-
ment une intelligence directrice, Providence ou nature, et peut fort bien
se concilier avec le mécanisme, que s'expliquent en dernière analyse
l'existence de la conscience, ses modalités et son développement, ses
caractères réels et les caractères apparents qu'elle présente à une obser-
vation superficielle. »
M. Paulin Mal.\pert consacre le P*^ volume de ses Leçons de Philoso-
phie à la Psychologie (1). Cet ouvrage n'est ni un cours, ni un manuel à
proprement parler, mais un exposé des grands problèmes psychologiques,
où les écoliers et aussi les philosophes trouveront le plus grand profit.
L'auteur s'est efforcé, dit-il, « de poser les questions avec autant de
précision que possible, de rassembler les principales données de fait les
mieux établies, d'indiquer les diverses hypothèses explicatives qui en
ont été proposées, surtout pour dégager la part de vérité que chacune
contient. » M. Malapert remplit fidèlement ce programme, et son
ouvrage est remarquable de précision, de réserve et de prudence dans
l'affirmation, d'abondante érudition dans l'exposé des faits et des hypo-
thèses, de clarté et de fermeté dans l'argumentation.
Nous ne pouvons songera analyser les questions traitées par l'auteur
puisqu'elles embrassent toute la psychologie, ni même à signaler ses
vues personnelles d'ordinaire très nuancées et inclinant de préférence
aux solutions de juste milieu. Indépendamment de quelques critiques
de détail qu'appelleraient certaines solutions, nous devons faire des
réserves sur la conception générale de la science psychologique selon
1. hi-8o. Pans, Juven, 1907.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 327
M. Malapert. Sa psychologie ne veut être qu'expérimentale et positive,
et par conséquent « distincte de toute spéculation métaphysique, s'inter-
disant toute incursion dans le domaine des essences» ; car « la question
des rapports de Tàme et du corps, du psychique et du biologique, ne
saurait recevoir une solution scientifique pas plus dans un sens que
dans l'autre ». C'est donc la conception positiviste de^ la science que
M. Malapert met à la base de ses études psychologiques; d'où la consé-
quence forcée de rejeter — cela va de soi — la théorie des facultés, puis
aussi d'admettre, pour l'examen des faits psychologiques, le point de vue
du parallélisme : «hypothèse la plus commode en ce sens qu'elle permet
d'éliminer tout sous-entendu métaphysique et de se placer exclusive-
ment en face des données de fait, et aussi qu'elle maintient l'origina-
lité, incontestable, des deux ordres de phénomènes.» Inutile de dire que
nous n'acceptons pas cette conception minimiste de la science psycho-
logique. Cette réserve faite, il convient de louer, dans l'intéressant et
suggestif ouvrage de M. Malapert, un exposé d'ensemble, condensé,
sagement critique, clairement ordonné, des faits que nous révèlent
l'expérience et l'analyse psychologique.
La psychologie moderne, nous répète-t-on, est une «psychologie sans
âme ». Mais il ne suffit pas de supprimer l'âme, il faut arriver à la
remplacer. M. X. Kostyleff s'y essaie dans son livre : Les subsliiuts de
Vdmc dans la philosophie moderne (1). « La notion des phénomènes
psychiques, nous dit-il, est tout à fait hétérogène à celle du substratura
psychique de la vie. On croit facilement saisir l'essence même d'un phéno-
mène psychique en poursuivant les excitations nerveuses dans leur pro-
cessus de pénétration, jusqu'au moment où elles deviennent conscientes ;
on cherche au bout de ce processus les substituts physiques de l'âme,
mais on est forcé d'avouer que les données psychologiques — les images
mentales, les souvenirs, les idées — y restent tout à fait étrangères. »
Comment donc arriver à une conception générale de la vie mentale
sans « la grande entité et les petites entités» : l'âme et ses qualités?
Ce n'est pas facile : l'examen critique fait par M. Kostyleff des théories
proposées nous en persuade ; et la théorie particulière du même auteur,
et qui n'est pas si neuve qu'il semble le penser, nous maintient dans la
même conviction.
M. Kostyleff divise son ouvrage en quatre parties. Dans la première il
étudiela conception chimique de la vie d'après Le Dantec; dansia seconde,
la conception mécanique de la vie d'après Zehnder ; dans la troisième,
la critique des données psychologiques en particulier d'après les théories
de Mach. Dans la quatrième partie de son étude, Kostyleff, adoptant les
théories de Mach, les perfectionne^ substituant aux unités psycholo-
giques un groupement de réflexes. Pour lui, la vie mentale sera parfai-
tement et scientifiquement comprise si, à l'idée d'âme, on substitue
l'idée d'un groupement de réflexes. « Il suffit de remplacer le mot
images par le mot réflexes pour que la loi de l'assimilation fonction-
nelle nous explique, d'une manière tout à fait précise, comment ces
1. In-8o, Paris, Alcan, 1906.
"328 REVUIC DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
derniers peuvent êlre renforcés, restaurés, étayés, etc. Par exemple, un
enfant ayant un nombre très limité de réflexes, ne pourra percevoir
des images très complexes. Un adulte au contraire possédant déjà toute
une collection de réflexes aura des images plus compliquées. La forma-
lion des idées abstraites, des jugements s'expliquera de la même façon.
Voilà donc scientifiquement établie l'unification de notre savoir tou-
chant la vie psychique. Ce qui au « profane » se révèle subjectivement
comme une « mosaïque de sensations », n'est objectivement, et pour le
savant, que l'ensemble de réflexes périphériques et internes qui attei-
gnent les centres corticaux. » Et cela même est le véritable substitut
de l'âme, sa seule réalité.
Véiilablement, M. KostylefT se contente à bon compte. Nous le
laisserons à sa fragile sécurité. Son livre, d'ailleurs très ériidit et inté-
ressant par les matériaux scientifiques qu'il met en œuvre et la critique
des conceptions chimique et mécanique de la vie, ne nous apparaît pas
moins, dans ses conclusions positives, comme un nouvel exemple des
tentatives infructueuses de « la psychologie sans âme ».
Le D"" Rudolf Eisler, dans son livre : Leib und Seele (1), oîi il expose
et critique les théories récentes sur les rapports du physique et du
mental, fait plus de cas que l'auteur précédent d'une explication psy-
chique des faits psychologiques. Partisan d'un parallélisme, au moins
méthodique, il veut qu'on considère les faits biologiquesd'unepart et les
faits de conscience d'autre part, comme une série causale parallèle à une
autre série causale, chacune formant un « système clos ». Pas d'inter-
action de Tune à l'autre. Une pensée ou un sentiment fait naître, non un
mouvement, mais une image kinesthésique, une « représentation de
mouvement », à laquelle correspond, mais comme extériorisation
seulement, la modification biologique. Les dispositions organiques
constituent la condition nécessaire, mais non suffisante, des faits psy-
chiques. Ce principe des causations distinctes et fermées les unes les
autres devient ainsi une règle méthodologique caractérisée par la difTé-
rence des recherches psychologiques et des recherches biologiques.
Ce même principe des causations distinctes permet d'écarter l'objection
lirée du principe de la conservation de l'énergie ; l'énergie psychique
n'ayant rien de commun avec cette énergie physique ou biologique,
tributaire, selon la science, du principe de conservation. Le parallé-
lisme permet ainsi de concevoir une conservation de l'énergie psychique
totale, parallèle à la conservation de l'énergie physique totale.
Mais ce parallélisme ne vaut que comme méthode. Il se résout
philosophiquement, selon le D"" Eisler, en un monisme idéaliste. Le
fait physique ou biologique n'est qu'une abstraction, due exclusivement
à la considération de l'extériorisation du psychique. D'autre part il
faut entendre ce monisme idéaliste comme phénoméniste et non subs-
lantialiste, le substantialisme soit dualiste, soit monadiste ne reposant
sur aucune donnée de l'expérience. Et le D"" Eisler fonde son opinion
sur une théorie de la connaissance entendue à la manière du criticisme
1. ln-8^', Leipzis. Barth.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 329
pliénoméiiisle. Une des conséquences de celle posilion est ia négation
de l'immorlalité individuelle : s'il n'y a que des états du moi, et non un
moi substantiel, ce moi empirique devra se dissoudre après la dissolu-
tion du vivant. On peut admettre en revanche une immortalité «supra-
personnelle » de Fâme, par limmortalité des oeuvres, des actions
réciproques des individus, de l'humanité au sens positiviste du mol.
Il faut faire deux parts dans ces conclusions que le D"^ Eisler prétend
fondées uniquement sur l'e.xpérience. Celles qui contredisent le « maté-
rialisme psycho-physique » et le substanlialisme dualiste cartésien sont
acceptables de ce chef. Celles qui al»outissent au phénoménisme idéa-
liste et à sa conséquence, la négation de l'immortalité, sont moins
l'expression de l'expérience que l'interprétation apriorislique de
celle-ci, au nom du criticisme phénoménisle. Et à cause de cela même
nous ne les admettons pas.
La thèse subslantialisle de l'âme, entendue au sens thomiste, vient
d'être défendue avec une singulière vigueur par M. Ca. A. Dubray, de
l'Université catholique de Washington, dans son livre : The Iheory
of psycJiical dispositions (1). A propos de la question spéciale des
dispositions psychiques, constatées comme /a//s dans l'habitude et la
mémoire, l'auteur établit que, pour en rendre raison, il faut admet-
tre une âme substantielle, forme d'un composé.
L'auteur commence par constater les faits: notre expérience passée
n'est pas complètement disparue ; si elle peut redevenir présente, c'est
que, dans l'inlervalle, quelque chose de l'expérience passée est
demeuré.
Vient ensuite l'exposé historique du problème. Il est particulièrement
remarquable par l'abondante information dont il témoigne. Les théories
anciennes sont rangées en deux groupes, selon que le fait de la
rétention est attribué à l'âme (Platon, saint Augustin, Leibnilz, l'École
Ëf'ossaise, etc.), ou plus spécialement attribué au corps (Descartes,
.Malebranche, Locke, Condillac, etc.) Les théories modernes sont
distribuées en trois classes : celles qui admettent la nature psychique
des dispositions (Lolze, Lipps, etc.) ; celles qui proposent une explica-
tion psycho-physique (Ebbinghaus, Hoffding, Wundt, James, Baldwin,
etc.); celles enfin qui donnent une explication purement physique
i^Maudsley, Ribot, Richet, Sollier, etc.).
Après cet exposé historique, l'auteur examine la nature des disposi-
tions psychiques. Tout le monde doit reconnaître que la disposition
implique deux choses : un état actuel, une tendance à reproduire un
fait de conscience passé. La disposition passe de la puissance à l'acte
par l'effet d'une excitation. Inconsciente par nature et inexpérimentable
directement, elle est connue par ses effets, dont le principal est de
faciliter la répétition des actes. Voici d'ailleurs ses principaux carac-
tères : 1° Toute disposition est une modification produite par un état
précédent et y correspond ; elle est ce qui demeure d'un état de
conscience ou d'une série d'états ; 2^ Elle est permanente ; elle est
1. In-8o, New-\ork, Macmillan and Co.
330 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
l'étape enlre deux états de conscience transitoires ; 3° Elle est latente,
inconsciente, connaissable indirectement par ses effets ; A" Elle se
fortifie parla répétition et s'affaiblit quand celle-ci fait défaut ; 5° Sa
direction peut changer, par exemple dans l'association des idées.
Les dispositions psychiques étant conclues comme des faits, il faut
en rendre compte. L'auteurexpose et rejette successivement les théories
modernes deTépiphénoménisme, du parallélisme psychophysique, du
monisme, comme incapables de justifier ces faits. A ce même point de
vue, il critique la théorie du « courant de la pensée » de James ; —
celle de Hume : le moi, faisceau de perceptions successives ; — celle de
Stuart Mill : la série des états de conscience se connaissant elle-même
comme série ; — celle de Taine : le moi, tissu continu d'événements ;
— celle de Bradley, pour qui les dispositions ne sont pas des phéno-
mènes, mais des fictions légitimes pour expliquer l'apparition des phé-
nomènes, etc.
Ces théories étant éliminées, M. Dubray établit que l'existence des dispo-
sitions nous force à admettre un être permanent (permanent being) qui
conserve les dispositions et en maintient l'unité. «La conception scolas-
tique de l'âme semble remplir les conditions requises pour une théorie
des dispositions psychiques. Elle ne nous fait pas connaître ces disposi-
tions directement et immédiatement, mais elle rend leur existence pos-
sible. Nous avons ainsi un sujet permanent et identique, qui est modi-
fié dans ses diverses facultés par les dispositions qu'il reçoit, un sujet
dont les opérations sont facilitées, qui peut posséder réellement son
passé, le conserver, le reconnaître comme tel... Mais, en même temps
qu'elle explique la possibilité des dispositions purement psychiques, la
théorie ne néglige pas néanmoins les dispositions physiques. » Le
corps entier, jusque dans ses plus petites fibres, est pénétré par l'âme,
et tire d'elle toute son activité ; il concourt aux fonctions psychiques en
conservant les dispositions nécessairement psychopliysiques. « Ainsi,
toutes les facultés, dispositions et habitudes, les séries organiques et
mentales, le corps et l'âme, sont combinés en une harmonieuse unité
qui fonde la réciprocité de leur influence. La théorie aristotélicienne et
scolastique est ainsi moyen terme entre le dualisme cartésien et le
monisme spinozisfe. » Elle est la réponse la plus satisfaisante en ce qui
concerne l'explication des dispositions psychiques.
Acceptant de tous points cette conclusion, nous ne pouvons que féli-
citer M. Dubray d'y avoir abouti avec autant de modération que de
fermeté et le louer de la critique érudite et objective qu'il a faite des
théories opposées à la théorie aristotélicienne.
En terminant cette revue des ouvrages généraux de psychologie,
signalons le livre du D"^ Grasset ; Introduction physiologique à Vétudede
la Philosophie (1) qui réunit une série de conférences faites à la Faculté
des Lettres de Montpellier sur la physiologie du système nerveux de
l'homme. Ce livre <■ n'a la prétention ni d'enseigner la physiologie du
système nerveux aux étudiants en sciences et en médecine, ni de rem-
1. hi-8" avec -47 figures dans le texte; Paris, Alcan, 1908.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 331
placer renseignement de la psychologie aux élèves en lettres ; il n'a
qu'un but : essayer de fournir aux élèves en philosophie de la Faculté
des lettres une introduction physiologique nécessaire à leurs études
philosophiques ultérieures. » Personne ne pouvait mieux remplir ce but
que le D"" Grasset, physiologiste, clinicien renommé et averti de tous
les problèmes psychologiques. D'ailleurs, les conclusions originales de
ses ouvrages antérieurs se retrouvent dans celui-ci: distinction du système
nerveux d'avec la psychologie, indépendance delà biologie et des doc-
trines philosophiques ou religieuses, et même localisation cérébrale
distincte des deux psychismes, que le D'^ Grasset maintient toujours
malgré l'assaut des contradictions retentissantes que cette hypothèse
lui a attirées. A remarquer comme très suggestif le chapitre sur Vémolion
et la mimique, dans lequel l'auteur se prononce, du point de vue phy-
siologique, contre la théorie physiologiste et la théorie intellectualiste de
l'émotion. Pour lui l'émotion est un processus psychique actif spécial
formé de deux ordres d'éléments, également constitutifs de l'émolion :
les éléments psychologiques et les éléments physiologiques.
II. — MÉTHODES PSYGHOX-OGIQUES.
M. Vax Biervliet, dans une série darticles parus dans la Revue
philosophique (1), a fait l'histoire des méthodes de la psychologie
moderne, dite scientifique. Il divise cette histoire en trois périodes :
celle de la psychopl)ysique (Fechner), celle de la psychophysiologie
(Wundt), et enfin celle de la psychologie expérimentale qui dure encore
et à laquelle — selon M. Van Biervliet — l'avenir appartient. Cette
élude dépasse le point de vue historique : analytique et théorique, elle
nous montre la genèse des méthodes psychologiques et en critique les
résultats. Relevons-en les principales conclusions.
La psijchophijsique. — La question posée par l'auteur dans cette
première étude est celle-ci : La base expérimentale de la psychophy-
sique est-elle solide ? La réponse est négative.
Fechner, considérant l'homme comme une machine construite d'après
une formule mathématique stéréotypée, résolut de plier aux méthodes
de numérations les sciences psychologiques, et ainsi de mesurer les
rapports exacts entre l'âme et le corps. On connaît la loi qu'il formula
comme résultat de ses recherches : La sensation croit (en intensité)
comme le logarithme de C excitation qui la fait naître — ou plus sim-
plement : Vexcitalion croissant en proportion géométrique (telle que 1, 2,
4, 8, 16, etc.), les sensations correspondantes croissent seulement en pro-
gression arithmétique (telle que 1,2, 3, 4, 5, etc). — La base expérimen-
tale sur laquelle Fechner s'appuie est triple : les travaux de Weber et
la loi qu'il crut en pouvoir déduire ; les observations et les recher-
ches éparses recueillies dans les ouvrages de savants qui n'étaient ni
psychologues ni même physiologistes ; enfin les recherches systéma-
tiques de Fechner lui-même. Cette triple base était insuffisante. —
1. Janvier 1907, pp. 1-32; février, p. 140-175; juin, pp. 561-592; décembre.
pp. 561-587; janvier 1908, pp. 48-70.
332 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET TIIÉOLOGIQUES
Weber, à la suite d'expériences, avait formulé cette loi : La pluspelile
différence perceptible entre deux excitations de même nature est toujours
due à une différence réelle qui croit proportionnellement avec ces excita-
tions mêmes. Or, si l'on peut admettre sans peine que des différences
perceptibles sont dues à des différences réelles de l'excitation, et encore
que, si ces excitations croissent^ la sensation croît en même temps, il
est impossible d'admettre que ces deux accroissements soient rigou-
reusement proportionnels suivant une valeur mathématique ; et ce ne
sont pas les expériences de Weber qui pourraient là-dessus nous
convaincre. En effet, les chiffres exprimant la sensibilité tactile des
diverses régions du corps ne sont nullement constants, les hommes
n'étant pas, comme le croyait Weber, des macliines vivantes toutes
semblables. De plus, dans ses recherches sur la sensibilité à la pesan-
teur, ses expériences ont porté sur un nombre insuftisant de sujets ;
il n'a pas tenu compte des variations moyennes entre les différents
résultats obtenus ; enfin la valeur des fraction's qui expriment les diffé-
rences de poids perçus est trop approximative pour permettre l'interpré-
tation qu'il en propose. — La deuxième base de la loi de Fechner est
elle-même peu solide : les recherches diverses faites par des mathémati-
ciens comme Bernouilli, par des physiciens comme Bouguer, Masson,
n'avaient pas une valeur objective sutfisante, appuyées qu'elles étaient
sur des expériences peu appropriées. — Les recherches de Fechner lui-
même, entreprises pour vérifier la loi de Weber, sont sujettes à caution :
il n'a expérimenté que sur un nombre insuffisant de sujets (sur nu
seul pour les sensations de poids) ; le dispositif des expériences
laissait grandement à désirer; enfin il n'a pas tenu comple de l'état
psychologique des sujets ni surtout de leur attention. De plus, — chose
curieuse — tous les résultats obtenus par Fechner, dans de pareilles
conditions, sont en somme contraires à la loi de Weber,
L'œuvre de Fechner a été critiquée par Hering et Delbeuf qui en ont
montré l'insuffisance expérimentale et surtout ont réduit la portée de la
loi psychophysique. « Celle-ci, a pu dire Delbeuf, sauf pour les sensa-
tions de lumière et de son, est une fantasmagorie. » — Si Hering et
Delbeuf ont considérablement ébranlé l'œuvre de Fechner, ils n'ont
pourtant pas nié la possibilité de faire une psychophysique, et avec eux
d'autres savants (Helmhollz, Plateau, Wundt, Merkel, Ebbiughaus,
Stumpf, Miinsterberg, Féré) ont tenté d'améliorer la loi de Fechner, de
perfectionner sa technique expérimentale, ou bien encore, sa formule
même, la loi logarithmique et les diverses expressions mathématiques
de l'œuvre du physicien de Leipzig.
Mais tous les psychophysiciens ont commis cette erreur fondamen-
tale de considérer la sensation comme un phénomène simple et élémen-
taire. A priori, sans doute, on peut croire possible de mesurer la sensa-
tion ; mais concrètement celle-ci est engagée, selon les individus et les
divers états d'un même individu, dans un remous de sensations conco-
mitantes, de souvenirs, d'émotions, et la réaction ne pourra jamais
être prévue selon une loi absolument fixe. D'autre part, les psychophy-
siciens, hantés par la conception de l'homme-machine et, par suite,
préoccupés d'aboutir à une formule mathématique uniforme, n'ont été
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 333
altenlifs qii'.mx condilions matérielles de leurs expériences et ont
négligé les précautions qui assui-ent l'égalité des condilions morales, des
dispositions subjectives des sujets observés. De là la médiocrité des
résultats de la psychologie quantitative dans sa première phase.
La psrjchophiisiologie. — « Tout phénomène conscient, dit Van Bervliet,
a commencé par être un mouvement extérieur, lequel est lui-même
devenu courant nerveux, modification des centres inférieurs et supé-
rieurs ; et tout phénomène conscient finit par une modification centrale
motrice, un courant nerveux moteur et une contraction musculaire;...
si l'on admet que la phase consciente est fonction de la sensation,
et le mouvement fonction de la phase consciente, il semble facile de
déterminer et de mesurer cette phase par ses deux bouts accessibles. »
C'est ce que Wundt, le fondateur de la psychophysiologie, a tenté de
faire, en mesurant les phénomènes extérieurs qui précèdent et suivent
les processus psychiques.
Les travaux de Wundt et de ses élèves pour mesurer la durée des
phénomènes conscients ont donné « des indications plutôt que des
résultats. » Le temps de réaction, le plus accessible des phénomènes
psychiques mesurés, est loin d'être fixé. Toutes choses égales d'ailleurs,
ce temps varie considérablement d'un sujet à l'autre, et, chez un
même sujet, d'un jour à l'autre, voire d'un moment à l'autre. Les
recherches sur la durée des phénomènes conscients plus complexes,
tels que le choix, les représentations simultanées multiples, les asso-
ciations, les jugements, aboutissent à des résultats encore moins appro-
ximatifs que pour la durée du temps de réaction. « Aussi voyons-nous,
dit Van Biervliet, que les temps de réaction simple varient du simple
au double pour les stimulations de son ; tandis qu'ils varient du simple
au quintuple pour la durée d'association, et cela, chez un même sujet. »
La psychologie expérimentale. — Les psychophysiciens trahissent
encore, dans leurs travaux, des préoccupations métaphysiques. AVundt,
par exemple, voulait surtout, en psychologie, aider l'introspection en y
ajoutant l'expérimentation physiologique. La psychologie scientifique,
sous sa troisième forme, c'est-à-dire la psychologie expérimentale,
étudie les phénomènes conscients en dehors de toute préoccupation
métaphysique, et seulement comme faits mesurables et observables.
Elle est née, en dehors de la philosophie proprement dite, de la mise
en commun des travaux des aliénistes, neuropathologistes, cliniciens,
anthropologisles, embryologistes, psychologues de profession, péda-
gogues. En plus du dessein d'pcarter de ses recherches toute préoccu-
pation métaphysique, la psychologie expérimentale a celui de rem-
placer l'introspection par l'examen objectif du plus grand nombre
possible de sujets variés. Au début du mouvement de cette nouvelle
psychologie quantitative, nous voyons préconiser la méthode des
questionnaires qui ont pour but de substituer à l'examen subjectif
privé un examen public portant sur des centaines, et même des
milliers de personnes. Puis on remplaça le questionnaire écrit par le
questionnaire oral, et on imagina le procédé d'enquête objective
au moyen de « tests » ; enfin, dans des laboratoires spéciaux, on insti-
tua les mêmes expériences successivement sur le plus grand nombre
334 BEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de sujets, marquant avec précision les variations et dressant des
moyennes.
Aous ne suivrons pas M. Van Biervliet dans son analyse des avan-
tages et des désavantages de ces méthodes successives. Notons seule-
ment avec lui que celles-ci sont impuissantes, quel que soit leur désir,
à éliminer l'introspection, car ces expériences de laboratoire prétendues
si objectives, c'est encore « de l'introspection interprétée deux fois, par
le sujet d'abord, par l'expérimentateur ensuite. » Disons enfin que
nous ne partageons nullement la confiance exagérée de M. Van Biervliet
en l'avenir de la psychologie expérimentale telle qu'il nous la décrit,
et telle qu'il la vante, comme seule scientifique. Certes, il n'est que trop
vrai que cette psychologie, qui veut obstinément rester quantative, n'a
rien à voir avec les problèmes transcendants de l'àme, de la liberté,
etc. Aussi bien, on ne lui demande pas son intervention dans ces pro-
blèmes : ses résultats, appréciables dans leur ordre, ne vont pas
jusque-là. Mais est-ce un motif pour croire que ces résultats, très
médiocres à l'heure actuelle mais qu'on escompte pour l'avenir, sont
appelés à devenir la seule base de la psychologie complète ? Est-on
vraiment autorisé, en face du peu que l'on a obtenu, à garder le
naïf optimisme qui fait écrire à M. Van Biervliet : « Actuellement l'être
humain n'apparaît plus comme une entité mystérieusement formée
sous l'influence des causes inaccessibles », ou encore : « La mentalité
de l'artiste se décompose en éléments mesurables. L'homme le plus
intelligent, le plus esthète, le plus moral, est le produit de la culture
de certains centres particulièrement développés sous l'action du
milieu, renforcée par celle de l'hérédité. » De telles affirmations sont
bien faites pour nous persuader que la psychologie expérimentale, telle
qu'elle est pratiquée la plupart du temps, reste infidèle à son point de
vue de se départir des préoccupations métaphysiques. Tant qu'elle ne
s'interdira pas, non seulement dans l'intention, mais réellement et
pratiquement, d'absorber toute la psychologie ; tant qu'elle n'évitera
pas d'adjoindre à ses recherches des préoccupations aprioristiques à
couleur matérialiste, elle compromettra d'autant la portée scientifique
de ses résultats.
Dans un article de la Revue Néo-Scolastique intitulé : A propos de la
a Méthode d'introspection » dans la ps'jchologie expérimentale (1), M-
MiCHOTTE étudie quelques-unes des conditions que doit avoir la « méthode
d'introspection » pour devenir une méthode expérimentale véritable et
fournir des résultats scientifiques. Ses considérations portent spécia-
lement sur la 'ï méthode indirecte », dans laquelle « l'excitation produit
indirectement le phénomène » et dans laquelle aussi « l'observation se
fait indirectement, grâce à la mémoire immédiate. » Wundt admet
que la méthode indirecte peut avoir une valeur scientifique, mais à
condition seulement que les événements à observer soient simples et de
constitution élémentaire. Le but de M. Michotte est de montrer que cette
méthode est susceptible de se développer, qu'il est possible de l'em-
ployer d'une manière vraiment scientifique, tout en la faisant porter sur
1. Nov. 1907, pp. 507-532.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 335
les phénomènes plus compliqués des activités psychiques supérieures.
Et l'auteur répond à toutes les objections, en particulier à celles élevées
par Wundt contre la possibilité de l'application de la méthode indi-
recte dans le domaine indiqué. « Est-ce à dire, écrit-il, que celle-ci
pourra à elle seule aboutir à la solution de tous les problèmes psy-
chiques élevés ? Il serait sot de le prétendre. Tel n'est pas notre point
de vue, mais il nous paraît du moins que la méthode doit être épuisée,
qu'il faut tacher de lui faire donner ce qu'elle peut. » Cette étude du
professeur de l'Institut de philosophie de Louvain se recommande par sa
clarté, son objectivité, sa technique précise et sa juste modération.
C'est à l'initiative de S. É. le cardinal Mercier, alors qu'il dirigeait ce
même Institut de Louvain, que le R. P. A. Gemelli, 0. M., dans sa bro-
chure : Del valore dell esperimento m psicologia (1), rapporte l'intro-
duction de la méthode expérimentale dans les études psychologiques,
chez les philosophes catholiques. A son tour, le R. P. vient plaider, à
juste titre, la nécessité et l'urgence de ces recherches expérimentales.
Son travail comprend l'histoire rapide de la méthode expérimentale, la
mise en valeur et la limitation de sa portée scientifique, enfin la réfu-
tation des objections de quelques pliilosophes spiritualistes en défiance
vis-à-vis de cette même méthode. — Notons seulement, dans cet inté-
ressant travail, l'accueil bienveillant que fait l'auteur aux données
expérimentales, mais en même temps les sages limites qu'il leur impose,
dans les services qu'elles peuvent rendre à la psychologie complète,
c'est-à-dire à la science de l'âme. Le phénomène psychique étant irré-
ductible au phénomène physiologique, l'étude de celui-ci pourra bien
nous renseigner efficacement sur la manifestation extérieure du phéno-
mène total, sur sa genèse, son développement, sa durée, ses variations
selon les individus ; elle pourra bien compléter l'observation interne,
mais elle ne saurait découvrir les lois psychiques dans les lois de
l'activité somatique, et, à plus forte raison, aboutir à une explication sur
la nature de l'âme, son origine, ses rapports avec le corps. Le R. P,
montre la médiocre valeur psychologique des découvertes de la psycho-
logie nerveuse, signale les excès de l'expérimentation, spécialement en
psychiatrie, et dans l'étude quantitative des processus des phénomènes
supérieurs. Ces réserves faites, l'expérience, en psychologie, se présente
comme légitime, scientifique dans son ordre, c'est-à-dire soumise à des
lois rigoureuses, celles bien connues posées par Wundt et que le R. P.
approuve pleinement. Au reste, la psychologie aristotélicienne, avec sa
doctrine foncière du composé humain, restera dans la ligne de son
système, en adoptant l'expérience psychologique, contenue dans de
sages limites.
(Euvre de vulgarisation plutôt qu'étude technique, le travail du R. P,
Gemelli témoigne néanmoins d'une solide connaissance de la psycho-
logie contemporaine et des principaux résultats de ses travaux. En
accueillant ceux-ci et en modérant leurs prétentions, le R. P. vise à la
conciliation entre la psychologie traditionnelle et la psychologie nouvelle:
1. 64 pages. Milan, La Scuola cattoiica.
330 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
disons qu'il réussit pleinement à nous convaincre de la légitimité et de
la nécessité de cet accord,
III. — Questions Spéciales.
I. Le Subconscient
Le problème du « subconscient » ou «. inconscient » ou « subliminal »
reste à l'ordre du jour, depuis surtout que W. James a cru voir dans le
subconscient « un chaînon médiateur entre le divin et l'humain » et
une base d'explication psychologique de certains faits religieux, comme
celui de la conversion. Plusieurs travaux récents ont combattu cette
interprétation « mystique » du subconscient, niant le rôle quasi drama-
tique que certains psychologues lui attribuent, s'efTorçant de ramener
aux faits connus les faits extraordinaires dont on prétend qu'il serait
la cause mystérieuse,
M, A. H, Peirce, dans son mémoire : An appeal f'rom ihe prevailing
doctrine of a delached consciousness (1), attaque avec vigueur la théorie
qui vient d'être indiquée. Ne pas faire d'hypothèses inutiles, choisir
l'explication la plus simple, se régler sur la loi de parcimonie en psycho-
logie comme dans les autres sciences : tel est l'excellent principe qui
commande toute la critique de Peirce.
Celui-ci rappelle d'abord les preuves invoquées pour affirmer l'exis-
tence du subconscient ; 1° faits pathologiques : amnésie, anesthésie,
aboulie des hystériques, retour de langues oubliées, souvenirs que le
moi normal ne reconnaît pas ; 2° faits normaux, mais inaccoutumés :
écriture automatique, vision dans le cristal, créations du génie, etc.
Tous ces cas sont explicables, selon Peirce, non par le subconscient
entendu à la manière de Myers ou de James, mais seulement par des
particularités ei dispositions cérébrales. Ainsi, lécriture automatique
est ramenée à des désordres cérébraux comme ceux qui rendent raison
de la chorée, de l'alaxie locomotrice, de la paralysie générale; la vision
dans le cristal, aux processus nerveux qui résultent dune forte atten-
tion ; les troubles de la personnalité, à une irritation permanente due
à un choc antérieur d'une région corticale étendant son influence à
d'autres régions adjacentes ; et ainsi des autres faits invoqués : élabo-
ration du génie, souvenirs renaissants dans le rêve, dans l'hypnose,
sous l'influence de stimulants et de narcotiques : les conditions suffi-
santes de tous ces faits « sont cérébrales et seulement cérébrales. »'
Deux parts sont à faire dans cette critique de la théorie subliminale.
On peut approuver les reproches faits à celle-ci d'avoir invoqué, pour
rendre compte des faits dits subconscients, une sorte d'entité mysté-
rieuse à laquelle on attribue, dans le psychisme, un rôle extraordinaire,
et que l'on décrit par des métaphores beaucoup plus qu'on ne l'explique
véritablement. Mais est-ce à dire que la théorie cérébralisle proposée
par Peirce suffise à interpréter ces faits? Mous ne le pensons pas et
nous verrons tout à l'heure les critiques qu'on peut soulever contre
cette théorie.
1. In-8o 36 p.; Boston et New-York, Hougtou et C».
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 337
M. Joseph Jastrow, dans son livre The Subconscious {1), réagit égale-
ment contre la théorie de ce moi subliminal, dans lequel certains voient
un double du moi conscient, un facteur spécial dont l'influence, explo-
sant en des circonstances exceptionnelles, mettrait en déroute notre
conscience ordinaire en la réduisant au silence. Et l'auteur reprend
tous les faits mis en avant, les analyse, les précise, expose le rôle du
subconscient. De cet exposé découle cette idée générale qu'il n'y a
pas en nous deux activités psychiques indépendantes, que s'il faut
admettre le subconscient, c'est comme une fonction naturelle en
rapports intimes avec la conscience, sujette avec elle aux mêmes influen-
ces, partie avec elle d'une commune synthèse. Quant aux formes anor-
males de la vie mentale, bien loin de s'associer aux facultés les plus
hautes, elles se manifestent bien plutôt comme des défaillances et des
perles. Malheureusement, les conclusions de M. Jastrow, si elles ont ce
bon résultat de contredire le rôle exagéré prêté au subconscient par
la théorie du moi subliminal, s'appuient sur des preuves commandées
par des à priori évolutionnistes. D'autre part, la nature du subconscient
selon M. Jastrow reste imprécise. On ne sait s'il opte pour la théorie
physiologique selon laquelle l'inconscient est cérébral et ne devient
psychique qu'en cessant d'être inconscient, — ou bien pour la théorie
qui conserve à l'inconscient des caractères psychiques, mais atténués et
réduits à l'extrême limite.
Dans notre précédent Bulletin de Psychologie nous avons eu l'occa-
sion d'analyser l'ouvrage de W. James sur V Expérience religieuse (2)
et d'exposer les critiques qui lui ont été faites par M. G. Michelet dans
une série d'articles en cours de publication dans la Revue du Clergé
français. M. Michelet vient d'achever l'examen du livre de James et
d'apprécier l'application de la théorie de la subconscience faite par
le psychologue américain dans le but d'expliquer certains phénomènes
mystérieux de la vie religieuse, comme les conversions. Dans les deux
derniers et remarquables articles (3) de M. le Professeur de l'Institut
catholique de Toulouse, relevons spécialement ce qui a trait à la théorie
du subconscient.
Après avoir brièvement esquissé l'histoire de cette théorie, rappelé
les faits normaux et pathologiques dont elle veut rendre compte, et les
applications qu'on a été amené à en faire dans la psychologie reli-
gieuse, l'auteur examine tour à tour les différentes interprétations
qu'on a données ou qu'on peut donner sur la nature de ces faits. Les
théories qu'on a proposées sont ainsi énumérées : 1° théorie physiolo-
gique des faits inconscients ; 'i" théorie des phénomènes psychologiques
sous-conscients ; 3'^ théorie animiste de faits psychologiques entière-
ment inconscients.
1° Théorie physiologique des [ails inconscients. — D'après cette pre-
1. London, Con&table: Boston, Hougton in-12; XI-549 pp.
2. Bev. des Se. Ph. et Th., 1907, p. 326-334.
3. Rev. du Clergé Français; 111 Les faits religieux et la théorie de la
subconscience, 15 nov. 1907, pp. 379-410; IV. La théorie de in subconscience
et la variété des expériences religieuses, l"-''' janv. 1908, pp. 2.5-47.
2^ Année. — Revue des Sciences. — No 2. 22
338 RLVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
mière conception," tous les faits inconscients dont il est question doivent
s"entendre de phénomènes organiques auxquels la conscience peut
s'ajouter comme un luxe, mais qui n'en sont pas modifiés dans leur
nature. L'inconscient existe, mais il ne peut être que d'ordre physiolo-
gique. » On le voit, c'est la théorie de la conscience reflet, de la cons-
cience épiphénomène (Huxley, Maudsley, Carpenter, Ribot) qui est à la
base de cette explication (1). Si les faits de conscience sont essentielle-
ment des faits physiologiques qui ne deviennent conscients qu'acci-
dentellement, par épiphénomème, par éclairement intérieur, le problème
de l'inconscient n'offre plus de difficulté. L'inconscient constitue l'état
premier de tous les faits psychologiques ; tous les phénomènes delà vie
normale l'impliquent. Quant aux phénomènes anormaux, ils ne font que
l'accuser de façon plus frappante ; et, au nom de la loi de parcimonie, on
s'efforce de les ramener aux faits connus, c'est-à-dire de se servir vis-à-
vis d'eux de l'explication physiologique ou cérébrale.
Pour M. Michelet, « certains phénomènes normaux ou anormaux
contredisent ouvertement cette interprétation cérébraliste », et il est
impossible de revendiquer, en faveur de celle-ci, la loi d'économie dont
elle se réclame. Et tout d'abord l'hypothèse physiologique n'est nulle-
ment simple. La nature des phénomènes cérébraux étant loin de nous
être parfaitement connue, l'école expérimentale est obligée de faire inter-
venir des métaphores à la place des explications. De plus, l'hypothèse
cérébraliste est en désaccord avec la méthode scientifique. Ainsi, l'écri-
ture automatique ne saurait être seulement le résultat d'une activité
réflexe, comme la chorée ou l'ataxie locomotrice ; elle témoigne d'une
intelligence qui connaît, dirige, discute. De même, les faits de somnam-
bulisme spontané ne peuvent se ramener à un pur automatisme, car ils
révèlent nettement une intelligence dans la coordination des actes,
leur adaptation à une fin, leur modification en cours d'exécution. De
même encore, les dédoublements de la personnalité ne sauraient être
la conséquence des seules lésions corticales : il faudrait que ces lésions
disparaissent périodiquement pour expliquer le passage ou le retour
dune personnalité à l'autre. De même enfin, les phénomènes de céré-
bration inconsciente, dont il faut d'ailleurs reconnaître l'existence, ne
sauraient se résoudre en un automatisme cérébral : ce serait « accorder
à la cérébration une valeur bien supérieure à celle de 1 intelligence
ordinaire, puisque c'est à elle que l'on rapporte même les manifesta-
tions du génie. »
2° Théorie des phénomènes psychologiques sous-conscients. « A l'opposé
des philosophes de la conscience épiphénomène qui tendaient à réduire
le coté psychologique, les partisans de la seconde interprétation rappro-
chent, jusqu'à presque les identifier, la conscience et la vie... Loin
1. Signalons avec M. Michelet, le remarquable article du R. P. AIgntagne
0. P. {Revue thomiste, mai 1907) sur l'exposé d'ensemble de la théorie de
.l'automatisme conscient. Le R. P. montre les applications qui ont été faites
de cette hypothèse dans les théories des mouvements automatiques, des émo-
tions (Lange, James), et dans l'explication des diverses formes de la con-
naissance. Nous aurons à cœur de donner un compte rendu plus détaillé
de cette intéressante étude, quand elle sera terminôo.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 339
d'être un luxe, la conscience leur paraît inhérente à toute manifes-
tation psychologique, sinon organique... Il faut admettre dans l'homme
une multiplicité de centres de conscience. A l'arrière-plan de la cons-
cience principale, vivent dans l'ombre les souvenirs, les images, reliés
en synthèses plus ou moins cohérentes, mais accompagnés d'une véri-
table conscience ;... leur position en dehors du champ ordinaire d'aper-
ception nous les laisse habituellement ignorer ; mais cette inconscience
n'est que relative, et seulement vis-à-vis du moi prédominant. Ces syn-
thèses ont leur vie propre, leur lumière propre, leur action propre...
C'est à cette manière d'être qu'il convient, nous dit-on, de réserver
proprement le nom d'état subconscient. »
Bien qu'opposées sur la nature du subconscient, la théorie cérébra-
liste et celle des sous-consciences s'accordent en ces points : toutes deux
nient l'existence et la distinction des facultés de l'âme, le moi n'est
qu'une somme, une coordination, une continuité d'états psychologiques
et physiologiques; toutes deux atïirment l'impossibilité de phénomènes
psychologiques dépourvus de toute conscience.
L'hypothèse de la multiplicité des consciences est acceptée par Colse-
net, Binet, Pierre Janet, Flournoy, Delacroix, Myers, Prince, James,
mais avec des interprétations différentes sur la nature et l'origine du
subconcient. Binet, Pierre Janet, Delacroix, Flournoy, se tenant à une
explication psychologique, estiment que l'unité de conscience est le fait
primitif ; c'est seulement par l'efTet de certaines conditions que les syn-
thèses psychologiques se dissocient, s'émiettent : la multiplicité en
consciences secondaires n'est donc que le produit d'une scission dans
l'agrégat primitif. Pour James et Myers, qui ajoutent à la théorie psy-
chologique une surcroyance métaphysique, « ce qu'il y a de primitif,
c'est le subconscient, ce qu'il y a de secondaire, de dérivé, c'est la cons-
cience du moi ou conscience dominante, résultat d'une adaptation aux
besoins pratiques. « Cette subconscience non exprimée, primitive et
souterraine, c'est le 7noi subliminal.
Dans la discussion de l'hypothèse de la sous-conscience, M. Michelet
distingue lui aussi l'explication psychologique et la surcroyance méta-
physique. Et vis-à-vis de la première, il marque sa position dans les
trois propositions suivantes : 1° Il existe réellement des synlhèses psy-
chologiques, constitutives de l'idée du moi, non de la personnalité,
réalité métaphysique supposée par ces synthèses ; 2° Dans les synthèses
s'effectuent des scissions, des désagrégations ; 3° Les désagrégations
n'entraînent nullement des multiplications ou des divisions de cons-
cience. L'auteur estime que la doctrine spiritualiste sur les deux pre-
miers points « a été trop nettement présentée » par M. Piat (La personne
humaine) « pour qu'il y ait rien à ajouter. » Il s'applique donc exclu-
sivement à l'examen de la troisième.
La théorie de la multiplicité des consciences, antérieure à toute unité
psychologique et à ses divisions subséquentes, est éliminée au nom de
la loi de parcimonie : no)i sunt entia multiplicanda sine necessitale. Rien
ne justifie, sinon des vues aprioristiques, cette floraison de petites indi-
vidualités de conscience. Quant à l'hypothèse de la multiplication des
consciences à partir de l'agrégat primitif, elle méconnaît le rôle synthé-
^40 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
tique de la conscience. « Pourquoi la dissociation des synthèses psycho-
logiques, dit M. Michelet, entraînerait-elle l'émiettement des conscien-
ces ? Cette conscience n'est-elle pas un éclairement immatériel qui ne
peut être découpé en parties? Elle constitue une aperceplion simultanée
par le sujet des pliénomènes qui sont produits en lui et par lui ; elle est
une, en vertu même de l'unité de l'êlre qu'elle reflète et qu'elle exprime.
Supprimez cette unité fondamentale et vous supprimerez à la fois, et la
possibilité des synthèses psychologiques, et la saisie par l'esprit de
leur association. Il n'y a de coordination possible ([ue par une unité
antérieure, bien loin que la coordination puisse créer cette unité. Or,
l'existence même de cette synthèse et le fait primitif de l'unité de cons-
cience, cette théorie associationniste est dans l'impossibilité de les justi-
fier. En réalité, elle ne peut parler d'émiettement que parce qu'elle
supposait implicitement que chaque fait psychologique était accompagné
de sa lumière propre et qu'à côté du faisceau des phénomènes groupés
momentanément, il y avait le faisceau de leurs clartés : d'où facilité
pour rompre celte unité factice. » Et passant à un bref examen des faits
pathologiques sur lesquels la théorie de la multiplicité des consciences
s'appuie de préférence, l'auteur montre que leur analyse témoigne en
faveur de l'unité réelle de la personne humaine. Les scissions produites
dans la série psychologique « ne sont jamais complètes, soit parce
qu'entre les groupes il y a des points de contact, des tangences et même
des compénétrations, soit parce que, sous la multiplicité phénoménale
apparente, l'unité substantielle persiste. »
3° Théorie animiste des faits psi/clwlogiques inconscients. — Cette
position se distingue à la fois de la thèse cérébraliste et du système de
la sous-conscience. Elle peut sembler se rapprocher de la premièi-e, en
ce sens qu'elle admet, comme celle-ci, que la conscience n'est pas essen-
tielle à tous les phénomènes psychiques, et que, pour elle, le subcons-
cient doit s'interpréter dans le sens rigoureux d'inconscient absolu et
non pas relatif, comme dans la théorie de la sons-conscience. Mais ce
n'est là qu'une ressemblance de surface ; pour le cérébraliste, « sensa-
tions, images, mémoire appartiennent à l'ordre des faits physiologi-
ques et demeurent tels lorsque, accidentellement, ils deviennent cons-
cients » ; pour l'animiste au contraire, ces mêmes faits « ont des condi-
tions organiques, mais n'existent que comme réalités d'un ordre supé-
rieur. » De plus, pour les théoriciens de la cérébration inconsciente,
il y a des jugements, des raisonnements, des volitions véritablement
inconscients; pour l'animiste, la possibilité de l'inconscience est restreinte
aux phénomènes de la vie sensible : sans doute, les faits intellectuels
sont plus ou moins attentifs, et par suite plus ou moins conscients ;
sans doute encore, la volonté est concrètement influencée par des ten-
dances habituelles ; mais cette influence n'est pas déterminisme, et dans
les faits intellectuels, pensée est inséparable de conscience.
Certains spiritualistes ont nié à priori la possibilité de phénomènes
psychologiques inconscients. Mais chez eux la contradiction témoigne
de la persistance des postulats cartésiens de la pensée essence de l'âme,
et par suite de la pensée essentiellement consciente, de la confusion entre
l'ordre de la vie sensible et celui de la vie intellectuelle. — Quant aux
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 341
preuves de la possibilité de l'inconscient dans le domaine restreint de la
vie sensible, l'auteur les trouve dans les différents faits normaux et
pathologiques invoqués par les deux théories précédentes pour soute-
nir leur hypothèse respective. Il termine en invoquant l'autorité des
philosophes spiritualistes (le cardinal Mercier, MM. Domet de Vorges,
Farges, Blanc) qui ne trouvent pas impossible de concilier la psycholo-
gie aristotélicienne avec l'interprétation donnée de l'inconscient. Celle-
ci s'accorde avec lu théorie générale de l'acte et de la puissance, puisque
les faits psychologiques inconscients demeurent aptes à être perçus du
sujet, si certaines conditions se réalisent ; elle cadre particulièrement
avec la théorie thomiste du « sensus commuais » « a quo percipiantur
actiones sensuum, sicut cum aliquis videt se videre. »
Nous avons suivi avec complaisance M. Michelet dans son exposé
critique des diverses théories sur l'inconscient, admirant l'abondance
de son information, la précision de ses analyses, la fermeté de son
argumentation, la souplesse et même l'élégance de sa langue philoso-
phique. Quelques points de détail auraient pu être poussés davantage,
en particulier dans l'exposé de la théorie animiste ; mais la vue d'en-
semble du problème de l'inconscient, dans son histoire, son exposé, sa
critique des diverses hypothèses (et cette appréciation d'ensemble était
surtout le but de l'auteur) nous paraît excellente et recommandable au
premier chef. Ces mérites d'ailleurs doivent être relevés à l'endroit de
tout le travail de M. Michelet sur L'expérience religieuse de W. James(l).
2. La perception extérieure.
M. H. Dehove, dans une série d'articles parus dans la Revue de
Philosophie (i) »\ir La Perception extérieure, vient de tenter la «réhabili-
tation » du perceptionisme, ce « scandale de la psychologie actuelle »
1. Le cadre du présent Bulletin ne nous permet pas de suivre en détail
M. Michelet dans sa critique de l'application de l'hypothèse du subconscient
à l'explication des faits religieux des conversions. Disons-en cependant quel-
ques mots. On a vu ce qu'il fallait penser de l'iiypothèse de la subconscience
selon James : elle reste, au point de vue psychologique, une hypothèse gra-
tuite et non proiivée scientifiquement. On pourrait déjà, à ce titre, récuser
son application aux phénomènes religieux. Mais pour mieux établir son
insuffisance, M. Michelet se demande : A supposer qu'il existât, le subcons-
cient, à la manière de James, pourrait-il rendre compte de l'origine et du
caractère des faits religieux? et il répond : l'explication de l'origine de la
religion par le subconscient ne rend pas compte de la spécificité même
du fait religieux; les conversions lentes s'expliquent par une conviction
raisonnée et non par la poussée du subconscient; dans les conversions sou-
daines obtenues dans l'Église catholique, les circonstances qui les précè-
dent, les accompagnent ou les suivent, sont d'une autre nature que dans
les conversions citées par James; les extases diffèrent des autres phéno-
mènes psychologiques par leurs causes, leur mode de connaissance, et leur
mode d'action consécutif; l'interprétation métaphysique du subconscient, don-
née par James, ne satisfait ni le psychologue, ni le théologien, ni le mé-
taphysicien.
2. L'enseignement philosophicpe : Sur la inrception extérieure; octobre et
novembre 1906; janvier et février 1907.
•342 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
dont la seule proposilion « est décidément offensive des oreilles
modernes ». Cette réhabilitation est fondée : 1° sur la critique des
théories adverses — théorie de rilhision et théorie de l'inférence ; —
2° sur l'examen des difficultés que l'idée de perception directe soulève
et qui pourraient bien ne pas être aussi décisives qu'on le prétend
d'habitude. Cette étude critique est très finement menée par M. Dehove,
avec modération et avec fermeté tout à la fois, dans un slyle un peu
abrupt, mais dont la rudesse se fait oublier en raison des idées origi-
nales qu'il enserre. De ces idées relevons les principales, en suivant la
marche même de l'auteur.
Le problème que les théories de la perception extérieure veulent
résoudre est celui de l'origine de l'idée du monde extérieur. Ce pro-
blème se dédouble ainsi : 1" il s"agil de rendre compte de l'idée d'exis-
tence distincte en général, de non-moi, d'objet indéterminé ; 2° il faut
montrer comment cette idée se détermine, se remplit pour ainsi dire et
devient la représentation concrète du monde extérieur. C'est sur le pre-
mier point que le perceptionisme garde une position très forte, selon
M. Dehove. Et c'est en regard de ce premier aspect de la question, qu'il
va critiquer successivement la théorie de l'illusion et celle de l'infé-
rence.
1. Critique de Tillusionisme. —Si l'illusionisme explique à merveille
comment, une fois acquise notre première idée d'existence distincte,
nous formons, grâce à un processus d'associations multipliées, notre
représentation concrète actuelle du monde extérieur, la même théorie
est incapable, sans pétition de principe, d'expliquer V acquisition de
notre première idée d'existence distincte.
Pour rilhisionisme, toutes nos sensations sont d'abord données
comme inhérentes aux organes et comme faisant partie du moi. Com-
ment donc arrivent-elles à se détacher des organes et, en s'extériorisant,
à nous apparaître comme un non-moi ? Cette projection, selon Rabier
et Taine, a lieu, grâce à Tassocialion de ces impressions avec l'idée d'un
mouvement accompli, c'est-à-dire d'une distance parcourue. C'est ainsi
que la première association entre les sensations tactiles et visuelles et
l'idée des organes où se rencontrent leurs conditions immédiates est
vaincue dans le sens de l'objectivité par une seconde association entre
les mêmes sensations et l'idée du mouvement, c'est-à-dire de distance.
Et pourquoi le triomphe de cette dernière association? Parce que, dit
Taine, notre attention se portant de préférence sur l'association qui
nous est utile et non sur l'association qui ne présente pas d'intérêt pour
nous, il arrive que l'association entre la sensation et l'idée de l'organe
s'efface comme inutile tandis que l'association de la sensation et de ses
conditions extérieures devient prépondérante, les associations intéres-
santes et profitables au sujet tendant à subsister seules ; et ainsi, à
chaque sensation tactile et visuelle, est inséparablement associée l'idée
d'un objet.
M, Dehove ne trouve pas, et ajuste titre, cette explication suffisante.
Elle échoue dans son efTort principal qui est de montrer comment l'idée
du non-moi. de l'objet, naît dans notre esprit. Si à l'origine mes sensa-
tions ne sont que subjectives, comment revêtiraient-elles l'apparence
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 343
illusoire d'objels? Mon propre phénomène ne peut m'apparaîire comme
un objet, si je ne sais, par ailleurs, ce que c'est qu'objet; je ne puis le
projeter hors de moi, si je ne sais auparavant que mon moi a un
dehors. L'illusionisme prend donc, à un certain point de son explica-
tion, pour accordé ce qui est en question et fait ainsi une pétition de
principe.
Mais, diront les illusionistes, il ne s'agit pas d'associer certaines sen-
sations privilégiées à l'idée d'un objet extérieur, d'un non-moi, mais
simplement à l'idée de distance, de mouvement. M. Dehove montre
très bien que cette réserve ne se maintient pas dans les explications
données par les psychologues qu'il combat ; ceux-ci sont peu à peu
amenés à glisser plus loin que la seule idée de distinction de l'organe
affecté ; ils font porter l'association sur les conditions extérieures
de la sensation, par conséquent sur l'objet, le non-moi, et ainsi abou-
tissent toujours à la pétition de principe.
L'association n'explique donc pas l'idée d'objet ; elle ne fait que la
postuler, et c'est dire qu'elle ne peut en rendre compte. Mais l'illusio-
nisme ne se tient pas pour battu. Avec Taine, il revêt un aspect nou-
veau qui semble éviter le reproche de pétition de principe qu'on lui
oppose d'ordinaire. Selon la théorie ainsi modifiée, l'idée d'objet n'est
pas du tout arbitrairement postulée, pour la raison fort simple que
toute sensation est, de soi et par nature, objectivée spontanément.
Toute sensation est essentiellement hallucinatoire ; elle ne cesse de
l'être, c'est-à-dire de s'objectiver, qu'en raison de représentations con-
currentes plus fortes, d'ordinaire des sensations contradictoires (réduc-
teurs antagonistes) qui la réduisent à l'état de pure conception subjec-
tive, et cela en vertu d'un mécanisme psychologigue que Taine appelle
la rectification. Du moment que la représentation n'est pas « réduite »,
elle entraîne par soi l'affirmation de sa propre objectivité ; qu'à cette
objectivité corresponde ou non un réel objectif, peu importe à la ques-
tion. Dès lors, le problème est déplacé et transposé, puisqu'il s'agit moins
de faire comprendre pourquoi certaines représentations sensibles s'ob-
jectivent que de faire comprendre pourquoi toutes ne s'objectivent pas.
Mais pour être retourné ce problème n'est point pour cela prouvé, dit
M. Dehove. Taine ne fait reposer sa solution que sur un postulat non
démontré : l'objectivation spontanée des images, et il ne nous en donne
pas la preuve dans le fait que, dans l'hallucination in sensu vnlgari, oii
il n'y a certainement qu'une image, le jugement d'extériorité est
impliqué.
En effet, une explication ne peut s'affirmer comme la seule vraie que
si elle est la seule manière plausible d'expliquer les faits dont elle pré-
tend rendre compte. Or précisément l'hypothèse proposée par Taine
n'est pas la seule manière d'expliquer les faits dont il s'agit, et l'on n'a
pas démontré que la liaison de l'image à la perception ne puisse pas
représenter un rapport de dépendance causale, non pas de la perception à
l'image, mais de toutes deux ensemble à une cause commune qu'il resterait
à déterminer. En d'autres termes, l'objectivation spontanée des images ne
serait point innée, mais acquise. Celle seconde hypothèse est aussi plau-
sible que celle de Taine. Mais entre les deux qui décidera? M. Dehove
;{44 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUKS
croit à " l'incontestable supériorité de la seconde hypothèse ». i^a pre-
mière en effet tourne dans un cercle vicieux : «car enfin ces réducteurs
antagonistes qui refoulent l'image à l'arrière-plan, dans la sphère des
pures conceptions, pourquoi et comment se sont-ils eux-mêmes objec-
livés? Est-ce en vertu de la même illusion foncière et originelle ? Mais
alors de quel droit leur accorder la primauté ? De quel droit les considé-
rer comme seuls valai)les à l'exclusion d'autres images qui ont exacte-
tement les mêmes titres qu'eux, à se faire accepter comme objectives?...
Avec une tendance acquise au contraire, les réducteurs antagonistes
conservent toute valeur, et tout danger de scepticisme — car c'est là
qu'on serait finalement acculé — est à jamais écarté. »
En dehors des considérations d'ordre critique qu'on pourrait
apporter pour rejeter l'hypothèse de l'objectivation spontanée, il reste
un (ail d'expérience inconciliable avec celle-ci, le fait que les perceptions
hallucinatoires ne renferment aucun élément originel, mais qu'elles
empruntent tout leur contenu aux perceptions vraies. L'aveugle-né n'a
pas d'hallucinations visuelles: le sourd de naissance n'a pas d'halluci-
nations auditives. Les perceptions vraies ne sont donc pas explicables
par les perceptions hallucinatoires, puisque l'objectivité fictive et ima-
ginaire de celles-ci ne se comprend que par l'objectivité réelle de
celles-là.
2. Critique de la théorie de iinférence. — Selon cette théorie nous ne
percevons originellement que les états du moi, nos impressions subjec-
tives; mais remarquant que, parmi ces états, il en est dont nous ne
sommes pas maîtres et que nous ne pouvons modifier, nous sommes
amenés, par application du principe de causalité et du principe de subs-
tance, à aliéner, puis à extérioriser la cause de ces états. Et ainsi naîtrait
en nous, par voie d'inférence, l'idée d'objet, de non-moi.
Abordant la critique de la théorie de l'inférence, M. Dehove refuse
tout d'abord d'admettre comme décisive l'objection qu'on oppose
d'ordinaire à cette même tliéorie : les animaux, les enfants nouveau-
nés, incapables de raisonnement, ont pourtant, malgré cela, l'idée
d'objet extérieur. — « Il n'y a aucune nécessité, réplique l'auteur, de
supposer, pour expliquer leur conduite, qu'ils se distinguent nettement
du monde extérieur à eux... Il est probable que l'animal ne voit pas
les choses hors de lui, pas plus d'ailleurs qu'en lui...; il n'a sans doute
pas plus l'idée du monde extérieur que de son propre moi. »
Mais, en restant sur le terrain des faits, une objection plus forte se
présente contre la théorie de l'inférence: il y a des phénomènes inté-
rieurs qui en nous se produisent ou disparaissent, indépendamment de
notre volonté, « qui sont en nous sans nous et même parfois, malgré
nous », et pourtant nous ne les aliénons pas, nous ne les extériorisons
pas, par exemple, les plaisirs, les douleurs. — Répondra-t-on que la diffé-
rence tient à ce que ces derniers états sont affectifs, tandis que ceux
queje puis aliéner sont représentatifs. Mais alors, «ce n'est plus parce que
ces états psychologiques sont indépendants de ma volonté, que je les
extériorise, mais parce qu'ils sont représentatifs ; tout au moins, est-il
nécessaire, pour que l'extériorisation ait réellement lieu, que ce caractère
représentatif s'ajoute à la simple indépendance par rapport au moi. Or
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 345
voici l'inconvénient, semble-t-il: comme représentatif équivaut à objectif,
et comme, d'autre part, s'extérioriser et s'objectiver c'est tout un, cela ne
revient-il pas à dire que ces états s'objectivent parce qu'ils sont objec-
tifs, parce qu'ils s'objectivent? » C'est donc toujours la pétition de prin-
cipe, le même naïf appel au fait de l'objectivation comme donné, quand
il faudrait l'expliquer.
Si M. Dehove rejette la théorie de l'illusion et celle de l'inférencedans
leur explication psychologique du passage du moi au non moi, il recon-
naît, de bonne grâce, l'intervention de l'association, de l'illusion, du
raisonnement, dans le mécanisme de la perception, même normale.
Mais ce rôle ne va jamais qu'à « intégrer » ou à corriger la perception,
par ailleurs objective.
3. Critique du perce plionisme. — « C'est dans la première sensation de
résistance, ou plutôt dans la première rencontre d'un obstacle extérieur
faisant échec au développement spontané de notre activité, que nous
atteignons le non-moi par une appréhension immédiate, par une per-
ception directe en un mot. « C'est ainsi que M. Dehove définit le percep-
tionisme, et il le défend en critiquant les objections qu'on lui oppose.
La première objection est d'ordre scientifique : les qualités secondes
^couleur, son, odeur, etc.) n'existeraient pas objectivement ; dans la
réalité elles se réduiraient à des vibrations, à des mouvements. —
Réponse: L'affirmation scientifique, à supposer qu'elle soit péremptoi-
rement établie, revient uniquement à ceci, que les qualités secondes ont
pour condition des mouvements, ni plus ni moins. Elle ne peut rien dire
de plus, à moins de dépasser son point de vue et, au nom du mécanisme
métaphysique, de réduire la qualité à la quantité. — Quant aux qualités
premières (étendue, résistance) il est bien évident que l'objection scienti-
fique ne saurait les atteindre, puisque c'est justement à elles que les
physiciens mécanicistes prétendent ramener toutes les autres, dans le
monde objectif.
La deuxième objection est d'ordre philosophique. On pourrait aussi
l'appeler psychologique, fondée qu'elle est sur l'impénétrabilité de la
conscience. Elle ne met plus seulement en question la réalité du fait de
la perception immédiate des objets extérieurs, mais sa propre possi-
bilité. La conscience, dit-on, enfermée en elle-même, ne peut pénétrer
dans les objets, ni les objets en elle. Si l'objet pénètre dans la conscience,
ce ne peut être que par procuration, en se faisant image, sensation.
Or la sensation est un état du moi et ne peut envelopper une existence
distincte. Il est donc contradictoire qu'une réalité étrangère, par hypo-
thèse, à la sensation, puisse être appréhendée dans la sensation elle-
même. — Réponse : Cet argument est un cercle vicieux ; toute la question
est précisément de savoir si la sensation n'est que subjective, si tout ce
que nous connaissons ce sont nos sensations ; présupposer cela comme
établi, c'est démontrer la conclusion par elle-même. Et M. Dehove met
en lumière le malentendu qui se trouve derrière celte objection et qui
réside en une perpétuelle confusion entre la conscience primitive, spon-
tanée, et la conscience réfléchie. 11 est clair que celle-ci se prend elle-
même et ses propres états pour objet. Mais la conscience réfléchie
suppose de toute nécessité la conscience spontanée, parce qu'on ne
346 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
commence p;is à réfléchir, parce qu'on ne réfléchit pas en l'air et à vide,
parce que, avant de réfléchir, il faut qu'il y ait quelque chose à quoi
puisse s'appliquer la réflexion et que la réflexion ne peut conséquemment
pas faire naître : et ce quelque chose est le fait psychologique primitif,
tel que l'accuse la conscience spontanée et directe.
Dans la dernière partie de son étude, M. Dehove insiste sur l'abus fait
du cogito de Descartespar les psychologues idéalistes, ceux-ci ayant vu
dans ce cogito une première donnée représentative, alors que pour
Descartes, c'était là, avant tout, une fiction critique, un point de départ
critériologique. — Le même auteur invoque ensuite en faveur du
perceptionisme l'autorité de Spencer, de Fouillée, de Bergson. — Enfin,
il termine son intéressante étude en disant que si le perceptionisme
consacre, dans une certaine mesure, l'afïirmation du sens commun, du
moins il ne prend point celui-ci pour point de départ, mais y aboutit, ce
qui est différent et ne saurait d'ailleurs gêner un philosophe.
Dans la même i?euî<e rfe Philosophie (1), M. P. Charles, après avoir
félicité M. Dehove « de son étude approfondie, impartiale et sagement
modérée » conteste plusieurs de ses arguments. Il ne veut pas que
Spencer, Fouillée et Bergson soient comptés parmi les partisans du
perceptionisme, et il nous semble avoir raison, au moins en ce qui con-
cerne les deux derniers. Avec raison aussi, il reproche à M. Dehove de
n'avoir pas solutionné les objections métaphysiques faites à la thèse tra-
ditionnelle. iXous exprimerons, à notre tour, le regret que le distingué
professeur de la Faculté catholique de Lille n'ait donné que des preuves
négatives du bien-fondé du perceptionisme, c'est-à-dire les raisons cri-
tiques de rejeter les autres théories et les objections principales qu'on
lui oppose — et à ce point de vue son étude est de première valeur. —
Mais une explication détaillée et positive du mécanisme psychologique
du perceptionisme en eût complété la défense, en précisant la théorie,
en marquant, par exemple, la part delà relativité possible de la percep-
tion directe, même vis-à-vis de son objet propre ; et ainsi, pensons-nous,
auraient été solutionnées d'avance les quelques objections de détail
apportées par M. Charles, et sur lesquelles nous n'insisterons pas.
Signalons quelques études intéressantes sur les modalités ou les alté-
rations de la perception :
Dans la //(?yM(? Philosophique {"i), M. B. Bourdon (La perception du
temps) étudie les conditions de la perception proprement dite du temps.
Tout phénomène psychologique est susceptible de s'accompagner d'une
perception de durée. Cette perception directe n'a lieu que dans les
courtes durées ne dépassant pas quelques secondes. L'appréciation du
temps se fait par des moyens indirects quand il s'agit de longues
durées. Bien que le temps et l'espace soient très souvent associés dans
notre expérience, il n'y a cependant pas ressemblance de nature entre
les deux.
Indiquons encore, dans la même Revue, l'article de E. -Bernard Leroy:
1. Juin 1907. L'ienseignement philosophique. Le perceptionisme, p. 632.
2. Mai 1907. p. 449 et suiv.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 347
yalure des hallucinations (1), et celui de M. L. Dupuis : L hallucination
au point de vue psychologique (2). Selou E. -Bernard Leroy, ni l'intensité
des représentations, ni leur localisation dans l'espace, ni la richesse des
détails imaginés, ni l'exagération de l'attention, ne sulfisent à caracté-
riser ou à expliquer l'hallucination ; mais deux conditions paraissent
nécessaires pour la rendre parfaite : 1° un mode de succession parti-
culier des groupes d'images ; au lieu de se succéder selon les lois
psychologiques normales de l'association des images et en même temps
de se modifier, au gré du sujet, sous les efforts d'attention volontaire,
ces groupes d'images apparaissent comme plus ou moins indépendants
de ces lois ; 2° une sorte de déclanchement spontané de l'attention
automatique. Ces deux conditions ont une source unique : l'exagération
de l'attention automatique, corporelle, avec diminution de l'attention
volontaire. — M. L. Dupuis critique successivement les diverses théories
de l'hallucination ; il caractérise celle-ci comme une désagrégation
spécifique de la conscience personnelle. L'esprit humain n'a que deux
façons essentielles d'être halluciné, parce qu'il n'y a en lui, comme
possibles, que deux diathèses morbides principales, correspondant à
ces deux aspects de l'activité psychologique que Janet a appelés la syn-
thèse mentale et la fonction du réel. Parmi les hallucinations, les unes
sont caractérisées par la tendance à sortir du moi et à réaliser la cons-
cience monoïdéique, les autres se forment au centre du moi et doivent
être considérées conmie des efïlorescences tardives du sentiment
d'incomplétude, comme Tune des phases embryogéniques de la person-
nalité délirante.
Dans le /ow/'?ifl/ f/e Psychologie normale et pathologique, le Docteur
Waybaum étudie Les caractères affectifs de la perception (3). Une
grande partie de nos perceptions sont purement représentatives, tandis
que d'autres ont des propriétés affectives, c'est-à-dire aboutissent à
provoquer une émotion. Parmi celles-ci, l'auteur distingue deux grandes
espèces qu'il examine en détail. Dans une première espèce importante,
la perception devient affective, parce que la masse de stimulants ou de
sensations quelle apporte dépasse notre état intellectuel habituel, ou se
trouve en contradiction avec lui. Dans une seconde catégorie de cas non
moins fréquents, la perception possède le ton affectif parce quelle ne
fait que transmettre l'état affectif venant du dehors.
3. L'attention.
L'Académie des Sciences morales et politiques avait mis au concours
pour l'année 1905 le sujet de VAttenlion. Deux mémoires ont été récom-
pensés, celui de M. J. P. Nayrac et celui de M. E. Rœhrich. Ils ont été
publiés, le premier sous le titre : Physiologie et Psychologie de V atten-
tion (4) ; et le second sous celui de : L'attention spontanée et volontaire,
1. Juin 1907, p. 593 et suiv.
2. Ibid., p. 620 et suiv.
3. Juillet-août 1907, p. 289 et suiv.
4. 1 vol. iii-8, Paris, Alcan, 1906, 223 p.
348 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
son fonclionnement, ses lois, son emploi dans la vie pratique {i). Ces
deux ouvrages se complètent réciproquement et leurs différents points
de vue en se prolongeant Tua l'autre aboutissent à une revue générale
et à une mise au point du problème psychologique de Yattention.
Comme le dit M. Ribot dans sa Préface au livre de M. Xayrac, celui-
ci a voulu « établir le bilan consciencieux et complet des études
récentes sur l'attention » ; pourtant il a réussi à faire plus qu'une
« remémoration » : prenant part lui-même au débat, donnant des
conclusions et le résultat de ses recherches personnelles.
L'auteur délimite d'abord sa méthode, puis son sujet. Sa méthode ne
sera pas purement introspective, « la psychologie idéaliste ayant fait
son temps », mais elle sera principalement « extrospective » et atten-
tive surtout aux expériences de laboratoire ; ainsi le veut le courant
de la psychologie contemporaine. Comment d'ailleurs M. Nayrac ne
suivrait-il pas ce courant, puisqu'il est moniste matérialiste, — tout
son ouvrage le prouve — l'idéation n'étant pour lui que le résultat delà
structure fine du cortex psychique, c'est-à-dire du cerveau tout simple-
ment. Par suite, l'histoire de la question de l'attention dans la psycho-
logie ancienne ne l'intéresse pas : « le passé ne peut nous éclairer
intelligemment sur les conditions actuelles de notre problème. » Abor-
dant donc lui-même « de façon intelligente » ce problème, il étudie
d'abord la physiologie et la psychologie normales, puis la physiologie et
la psychologie pathologiques de l'attention, ensuite la rééducation et
l'éducation de l'attention.
L'attention s'accompagne de réactions organiques et le chap. II,
Physiologie de l'alteniion, les passe en revue, avec abondance, préci-
sion et clarté : immobilité relative et tension volontaire des muscles,
augmentation de l'acuité des sens externes, accélérations ou inhibitions
respiratoires et circulatoires, vaso-dilatation cérébrale, modifications
thermiques, variations de la pression sanguine, de l'hypoglobulie,
perturbations viscérales diverses, modifications chimiques variées,
phénomènes de fatigue physique et psychique. Après avoir parlé de
l'influence des toniques du système nerveux sur l'attention, l'auteur
parle des oscillations indispensables qui l'accompagnent, de sa persis-
tance atténuée, mais non éteinte, durant le sommeil. Examinant ensuite
le problème de l'origine centrale ou périphérique de l'attention, il se
prononce pour la théorie de l'origine centrale, se séparant ainsi de
M. Ribot. Tout acte d'attention provoque immédiatement des phéno-
mènes physiologiques centraux, lesquels se trouvent accompagnés,
mais par voie de conséquence seulement, de phénomènes périphé-
riques.
hdi psychologie de l'allention est moins étudiée et moins clairement
décrite, surtout en ce qui concerne la psychologie philosophique de
l'attention. Celle-ci ne saurait constituer une faculté spécifique, circons-
crite. — Et, pour le dire en passant, M. Nayrac a une véritable phobie
des facultés « à cloisons étanches » ; il en exagère à plaisir la signifi-
1. 1 vol. in-16, Paris, Alcan, 1907, 174 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 349
calion (parlant par ex. de celte volonté, sorte de « déité égarée dans le
corps de Thomme ») sans doute pour se donner raison de les redouter,
comme si jamais l'ancienne psychologie, en posant les facultés, avait
pensé briser par là l'unité de l'activité psychique ! — L'attention n'est
donc pas une faculté, elle ne se confond pas non plus avec la volonté;
mais avec celle-ci et avec l'efTort psychique elle constitue le groupe de
« l'adaptation menlale » dont elle est le moment intermédiaire. Cette
adaptation mentale est donc un même phénomène à triple face, un
tout à trois attributs : effort, attention, volonté. Tout cela reste bien
vague, aussi approuvons-nous pleinement cette critique qui a été faite
de la position de M. Nayrac : « L'adaptation mentale est plutôt un efTet
de l'attention ; même en certains cas, celle adaptation dérive de l'ins-
tinct, parfois de l'habitude, sans qu'on puisse l'altribuer en propre à
l'attention . F'aire de l'elTort, de l'attention, de la volonté, les trois
moments d'un même phénomène, c'est préjuger la nature intime de ce
phénomène, que d'ailleurs M. Nayrac pose comme organique en fait;
c'est formuler une distinction inadéquate, puisque M. Nayrac distingue
l'attention spontanée et l'attention volontaire ; c'est formuler une dis-
tinction inintelligible, puisque M. Nayrac nie le libre arbitre, et ainsi
on ne voit plus en quoi la volonté diffère de l'effort et de l'attention (1) »
L'auteur continue la psychologie de l'allenlion en nous parlant de
ses degrés, de ses objets, de ses formes. L'attention est susceptible
d'une infinité de degrés qu'il est bien difficile de saisir avec netteté,
car « elle est subordonnée, dans son intensité, à la qualité de l'obser-
vateur, à la nature de l'objet et à toute autre condition physique et psy-
chique. » « Elle peut se manifester sous la forme spontanée ou volon-
taire, parce qu'elle correspond ainsi à ses deux objets principaux :
1° l'objet sensoriel ; 2° l'objet intellectuel. L'attention spontanée est le
plus souvent en rapport avec la qualité, la spécificité de chacun. L'atten-
tion volontaire est la création même de l'homme, elle constitue son
meilleur instrument d'investigation scientifique ; elle crée en outre
« l'attention habituelle » qui a pour but d'économiser noire effort et
qui nous permet d'employer ailleurs notre activité. » En résumé,
rattention apparaît, « comme un phénomène général à mécanisme
actif qui se caractérise par la concentration volontaire ou involontaire
de notre activité psychique ou organique, au profit d'une idée ou d'un
groupe d'idées. » Et ces dernières lignes contiennent la définition la
plus claire de l'attention que nous ayons trouvée dans ce chapitre de la
Psychologie de l'attention; mais enfin nous sommes peu renseignés
sur la nature même de ce « phénomène général à mécanisme actif »,
les explications proposées ne nous satisfaisant pas, pour les raisons
susdites.
Après avoir étudié la physiologie et la psychologie normales de l'atten-
tion, M. Nayrac en examine la physiologie et la psychologie patholo-
giques, c'est-à-dire sa dissolution progressive dans certains états
morbides.
Les facultés psychiques étant sous la gouverne de l'attention, dès
1. Lucien Roure. BuUefin de Psychologie, p. 338. Étndef!, 20 oct. 1907.
350 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
que celle-ci disparait, celles-là disparaissent à leur tour. Et l'organisme
traduit une désagrégation analogue. Les mélancoliques, excités,
maniaques, délirants, etc., qui sont gravement atteints dans leurs fonc-
tions physiologiques, sont précisément les plus pauvres en attention.
L'auteur détaille les divers troubles présentés au cours des maladies
mentales par les sens extérieurs, la respiration, la circulation, les fonc-
tions digeslives, etc.
Au point de vue psychologique, il indique cinq grandes étapes de la
dissolution de l'attention, correspondant à cinq groupes correspondants
de maladies. La première série de malades mentaux (psychasténiques,
hystériques, persécutés, etc.) se caractérise par l'existence encore
presque intacte de l'attention spontanée, mais avec abolition presque
complète de l'attention volontaire et permanence toutefois de l'atten-
tion affective. La deuxième (paralytiques généraux, déments simples
et crétiniques) comporte une diminution très sensible de l'attention
spontanée et de l'attention sentiment. Dans la troisième (hypocon-
driaques, déments avancés, excités maniaques, etc.), la désagrégation de
l'attention volontaire se révèle nettement avec l'idée fixe, l'obsession,
le monoïdéisme involontaire, ou bien les malades ne vivent psychique-
ment que par la spontanéité et l'impulsivité. Dans la quatrième (persé-
cutés typiques, mélancoliques anxieux) l'attention se désagrège de plus
en plus. Dans la cinquième (idiots, aphasiques, etc.) l'attention propre-
ment dite disparaît (1).
Dans un dernier chapitre l'auteur traite de la rééducation de l'atten-
tion, exposant les moyens de refaire plus ou moins le pouvoir d'atten-
Ijon ; — enfin il indique les règles psycho-pédagogiques qui doivent
présider à l'éducation de l'attention.
En résumé l'ouvrage de M. Nayrac nous laisse l'impression d'un très
sérieux travail d'érudition, dont le plus grand intérêt est dans l'ex-
1. Il est inadmissible — en se plaçant au strict point de vue psychologique
— de ranger les mystiques, comme le fait M. Nayrac, sous la même rubrique
qne les idiots et les aphasiques au psychisme le plus appauvri. Qu'il y
ait des psychasténiques et des déments à obsession mystique, nul ne le
nie; mais que tout mysticisme soit un état morbide, voilà qui est niable
tout simplement. Il suffit du reste de citer certaines assertions de M. Nayrac
pour en faire apprécier l'esprit estra-scieutifique : « Le mystique qui pour-
suit avec acharnement le monoïdéisme mental ou la vision en Dieu, qui est
impatient de réaliser l'unité de son être avec la personnalité du Créateur,
en arrive rapidement, quoique progressivement, à l'anesthésie et à la dis-
location générale de son inteUigence. Au lieu d'élargir le champ de son action,
il le limite à un tel point, qu'il fiait par glisser lourdement dans un monde
infini et sans issue » (p. Iô8\ et plus loin : « entre le mystique en extase
et l'idiot qui contemple béatement un troupeau qui passe, il n'y a aucune
différence;... le mystique en extase a une attention aussi vague que celle
qui caractérise le dégénéré commun » (p. 177). — La différence, au contraire,
est totale, et même elle ne saurait être plus radicale : si le monoïdéisme du
béat stupide est l'absence même de toute attention volontaire, celle-ci n'ayant
pas de quoi s'appliquer, le monoïdéisme d'une saint© Thérèse en extase est
précisément conditionné par l'attention volontaire la plus concentrée qui se
puisse imaginer. Si, chez la sainte, la distraction et l'inattention existent vis-
à-vis de ce qui n'est pas la réalité divine qu'elle contemple et vers laquelle
toute son affectivité est tendue, ce n'est là, précisément, que la conséquence
de cette concentration d'attention vers l'objet supérieur qui la captive.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 351
posé d'ensemble de la situation actuelle de la question de l'attention,
au point de vue surtout des expériences qu'elle a provoquées et dont
l'auteur établit le bilan et les résultats acquis. Le point de vue psycho-
logique estécourlé, et les conclusions sur la nature même de l'attention
restent vagues. Enfin des préoccupations aprioristiques de système
viennent parfois, dans le cours du livre, influencer les explications et
les faire dévier de la stricte rigueur scientifique;
L'ouvrage de M. Rœhrich sur l'attention offre plus d'intérêt psycho-
logique que le précédent, bien qu'il n'égale pas celui-ci en fait d'éru-
dition et de renseignements touchant l'aspect physiologique et les
formes pathologiques de l'attention. M. Rœhrich s'est proposé d'étudier
les phénomènes de l'attention tels qu'ils se présentent à l'observation
psychologique, sans se préoccuper « des problèmes métaphysiques qui
peuvent surgir à ce sujet », sans prendre parti dans le débat entre
monistes idéalistes et dualistes, entre phénoménistes kantiens et réa-
listes. » Parmi ceux-ci, en efTet, les uns, renonçant à connaître la chose
en soi, doivent conclure que l'attention est une activité qu'on ne peut
définir : ce qui est « se contenter à bon compte » ; les autres ramenant
lout à des facteurs d'ordre sensible, en appellent aux progrès futurs de
la physiologie pour éclaircir les derniers mystères, inexpliqués aujour-
d'hui : ce qui est « se faire de singulières illusions ». Se gardant de
pareilles aventures, M. Rœhrich déclare s'en tenir, dans son étude de
l'attention, au « réalisme naïf, consistant dans une description des
données immédiates de l'expérience, sans aucune ingérence des opi-
nions philosophiques de l'observateur, ou d'une théorie quelconque sur
la relation du psychique et du physique, » Incomplète, à notre avis,
comme méthode de psychologie générale philosophique, ce point de vue
restreint a pourtant ses avantages dans l'étude spéciale d'un phénomène
aussi complexe que l'attention.
L'auteur part d'une définition usuelle de l'attention : « l'état psy-
chique d'unepersonne consciente, qui, spontanément ou volontairement,
fait un elîort pour connaître un ou plusieurs objets sensibles, une ou
plusieurs idées, à l'exclusion d'autres objets ou d'autres idées. » D'après
cette définition, l'attention est spontanée ou volontaire. Dans l'attention
spontanée, «l'initiative ne vient jamais du moi, mais toujours d'une
cause extérieure qui surprend ou sollicite le moi. » Dans l'attention
volontaire, « l'initiative vient du moi qui se propose de mieux con-
naître. »
Sur cette définition et cette division, de sens commun, dirions-nous,
se fonde la division de l'ouvrage. La première traite, en cinq chapitres,
de l'attention spontanée ou involontaire ; la seconde partie, en deux
chapitres, de l'altention volontaire, de ses caractères et de son fonction-
nement.
Vattention spontanée peut revêtir deux formes : être primitive ou
aperceptive. L'attention primitive, c'est « l'état psychique du moi qui
après avoir subi le choc d'une impression sufTisamment vive, cherche
à connaître l'objet ou le fait d'oii lui est venue cette impression. » « Elle
se manifeste sous la forme d'une simple réaction sensorielle accom-
352 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
pagnée ou suivie d'un jugement élémentaire, car elle a toujours pour
fin un acte de connaissance. » Elle résulte directement de la tension
musculaire qui caractérise l'adaptation sensorielle ; car elle s'exerce
surtout dans le domaine des cinq sens ; quand l'attention dépasse ce
domaine, elle prend une autre forme.
L'attention primitive joue un grand nMe dans la vie pratique : elle est à
la base de tout travail scientifique ; provoquée par des moyens métho-
diques (metteurs en scène, réclamistes, charlatans de toutes sortes), elle
excite l'intérêt du public ; elle est obligatoire dans l'éducation des
jeunes enfants ; l'art lui-même vise à frapper l'attention primitive. Il y
a des lois de l'attention primitive concertée ; en voici quelques-unes :
elle ne dépend pas du degréd'intensité du stimulant objectif, mais de son
degré de vivacité ; pour qu'elle se produise, il faut que l'adaptation de
l'organe sensoriel au stimulant objectif aboutisse à un jugement ou à
une interprétation quelconque vraie ou fausse, exacte ou approxi-
mative ; - la mesure du temps qui s'écoule entre l'impression objective
etla réaction du sujet sous forme de jugement est plus longue dans le
cas d'une surprise que si l'impression est attendue, etc. 11 y a aussi des
règles pratiques de provoquer méthodiquement l'attention primitive : il
faut prendre soin que les impressions successives aillent en progressant,
soit en intensité, soit en vivacité ; — il faut veiller à ce que chaque
impression isolée soit bien nette, etc.
L'attention par aperceplion est une forme particulière de l'attention
spontanée : u c'est l'état d'un homme dont l'attention est éveillée par
l'apparition d'une impression ou d'une notion nouvelle parmi les im-
pressions et les notions préalablement accumulées dans le cerveau. »
Tandis que, dans l'attention primitive, la réaction consistait en un étal
avant tout physiologique, une tension musculaire de l'organe sensoriel,
suivie et complétée par un jugement élémentaire, dans l'attention aper-
ceptive, nous nous trouvons en face d'une fonction d'ordre intellectuel
qui a pour but d'absorber une représentation ou une idée nouvelle dans la
masse des idées existant dans l'esprit. Voici le mécanisme de l'attention
aperceptive : 1. A un moment donné il existe dans l'appareil mental des
masses associées de notions et d'impressions ; 2. Le choc d'une impres-
sion nouvelle a pour etfet de tirer de l'état d'inconscience un ou plu-
sieurs groupes de notions analogues d'entre celles qui sont accumulées
dans la mémoire, et de les ramener à l'état de conscience ; 3. A ce mo-
ment il se forme un état de tension sous forme de curiosité, d'attente,
d'intérêt ; 4. Enfin il se fait une absorption de la notion nouvelle dans la
musse des notions préexistantes. Cette dernière opération, qui est l'aper-
ception proprement dite, constitue ou ébauche un acte de connaissance.
L'attention aperceptive, comme l'attention primitive, peut être con-
certée, c'est-à-dire provoquée méthodiquement, dans l'art oratoire et
l'art dramatique, dans la littérature, dans la pédagogie surtout. En voici
les règles : « Pour qu'il y ait aperception, il ne suffit pas qu'une notion
soit nouvelle, il faut qu'elle semble nouvelle ; » — « pour faciliter l'aper-
ception, il faut que la notion nouvelle soit semblable, mais non pas iden-
tique aux notions acquises ; » — « les notions nouvelles doivent se
relier aux notions anciennes au moyen de transitions consistant en
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 3o3
notions intermédiaires procurant une série ascendante d'éclaircissements
successifs ;» — entre deux points culminants de l'attention aperceptive,
il faut ménager un temps d'arrêt. .
La seconde partie de l'ouvrage de M. Rœhrich traite de l'attention
volontaire. Celle-ci a pour élément essentieWe/y'or/ voulu. Mais cela ne
suffît pas, car TefTort voulu intervient dans une foule d'actes qui n'ont
rien de commun avec l'attention. Il faut y adjoindre deux autres élé-
ments distincts : Vanticipation d'un but, c'est-à-dire la représentation
au moins approximative de la chose f[u'on veut mieux connaître, puis le
choix, c'esl-à-dire la détermination élective, entre plusieurs objets ou
entre plusieurs idées, de l'objet ou de l'idée que l'attention veut mieux
connaître. Après avoir étudié les ditïérents aspects de ces éléments dis-
tinclifs de l'attention volontaire, l'auteur décrit le fonctionnement de
celle-ci, ses rapports avec la mémoire, l'aperception, l'observation, dis-
tingue l'attention directe de l'attention indirecte, l'attention fixée sur un
objet de l'attention partagée ou distributive, c'est-à-dire se dirigeant
sur plusieurs objets sans rien perdre de son énergie.
En terminant, M. Rœhrich indique le lien réel et intime entre toutes
ces formes de l'attention : elles contiennent toutes une parcelle, si
petite qu'elle soit, de tension d'effort ou de volition et elles aboutissent
toutes à des jugements ou à des actes de connaissance.
L'ouvrage dont nousvenons de suivre les principales idées est certai-
nement très riche en analyses psychologiques. Le chapitre sur l'atten-
tion aperceptive est, à ce point de vue, particulièrement remarquable.
Et pourtant une obscurité demeure sur la nature même de l'attention.
M. Rœhrich, comme tout à l'heure M. Nayrac, ont contribué, chacun à
leur manière, à nous montrer la complexité même de ce phénomène
psychologique, à en détailler les divers éléments composants et les diffé-
rents aspects ; mais leurs intéressants travaux laissent subsister entière
la solution de l'ancienne psychologie : Vétat d'attention n'est pas le fait
d'une faculté spéciale, c'est seulement un mode intensif de la représen-
tation, conditionné soit par l'intensité ou par la nouveauté de l'objet,
comme dans l'attention spontanée primitive ou aperceptive, soit par une
détermination volontaire élective, dans un but de connaissance plus
informée, comme dans l'attention volontaire (1).
4. L'Association psychologique.
On sait le rôle exagéré donné à l'association dans l'école phénomé-
niste et positiviste : tous les phénomènes psychologiques doivent
trouver leur explication dernière dans l'association ; celle-ci est l'anté-
cédent premier, l'élément psychologique le plus simple, dont tous les
autres phénomènes seraient des complications dérivées. M. SoLLiER,dans
L Le professeur Pillsbury a écrit récerameat un ouvrage sur L'Atten-
tion (in-12, Paris, Douin), gui ne manque pas d'intérêt : recension d'une
multitude de faits, critique des théories qui prétendent expliquer le phéno-
mène d'attention. Toutefois la théorie fiersonnelle du professeur Pillsbury
reste imprécise. Faut-il croire qu'il la résume complètement quand il dit :
l'attention « n'est rien de plus que l'action réciprocpie des différentes cellules
nerveuses? » Cela n'est vraiment pas suffisant.
26 Année. — Revue des .Sciences. — N" 2. 25
354 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
SOQ livre: Essai critique et théorique sur lassociation en psychologie {i),
vient de reprendre ce problème de l'association, dans le but de subs-
tituer une théorie nouvelle aux théories anciennes qu'il croit défec-
tueuses.
Deux parties peuvent être distinguées dans cet ouvrage: une étude
critique du phénomène de l'association et des théories proposées pour
l'expliquer, puis l'exposé de la solution particulière de l'auteur,
appliquée aux différents aspects de la question.
Un premier reproche que l'on doit faire, selon M. Sollier, aux asso-
ciatiouistes est d'avoir restreint outre mesure les phénomènes de l'acti-
vité psychique capables d'être soumis aux lois de l'association. On a
restreint celles-ci arbitrairement et par une erreur de méthode fonda-
mentale, à l'association des idées, des représentations, tandis qu'il
importe d'examiner avec autant de soin l'association des mouvements,
celle des sensations, tant avec des sensations de même ordre ou d'ordre
différent qu'avec des images et des représentations, celle des sentiments
et celle des états affectifs ou émotionnels, comme celle des états cénes-
thésiques. — Cette restriction du champ de l'association s'applique égale-
ment à l'étude d'ensemble de ce phénomène. Les associationistes n'ont
guère considéré que la « reviviscence » des étals de conscience, ou l'évo-
cation des idées et représentations, tandis qu'ils passaient sous silence
les phases de la création, de la conservation, de l'évolution, qui sont
pourtant des plus importantes et exigent une étude spéciale et attentive.
: — Quant aux définitions qui ont été données de l'association elles pèchent
toutes par quelque endroit. On ne doit, selonM. Sollier, considérer comme
phénomène d'association que celui, « où deux (ou plusieurs) événements
psychiques (cérébraux), conscients ou inconscients, surgissent toujours
simultanément ou dans un ordre de succession nécessaire et invaiiable,
réversible ou non. »
L'auteur établit ensuite le bilan des recherches faites jusqu'à ce jour
touchant l'association. Les points admis se résument à bien peu de
chose, en dehors de simples constatations de la façon dontse présentent
les associations. Les psychologues ne s'accordent que sur la nécessité
de ramener à l'unité les lois de l'association, encore voyons-nous autant
de modes proposés de réduction que d'auteurs. Ils s'accordent encore
quand il s'agit d'étudier expérimentalement les conditions qui favorisent
ou entravent le développement, la force, la vitesse des associations, la fré-
quence relative de leurs diverses formes ; mais, au reste, les expériences
de psychométrie entreprises dans ce but ne font guère que confirmer
ce que déjà nous donnait l'observation vulgaire. — Quant aux points
controversés entre psychologues, on peut signaler l'existence des asso-
ciations médiates, celle des représentations libres, celle surtout des lois
mêmes de l'association, c Les lois qu'on a données de l'association des
idées et au nom desquelles on prétendait expliquer très simplement le
mécanisme de la pensée, sont non seulement contestées et contestables,
mais ne présentent même aucun des caractères inhérents à une loi.
Ce ne sont que de simples formules, inexactes souvent, insuffisantes
1. Paaris, Alcan, 1907. (Leçons faites à l'Université Nouvelle de Bruxel-
les pendant le semestre d'liiv«r 1904-1905.)
BULLETIN" DE PHILOSOPHIE 355
toujours, des formes sous lesquelles nous apparaît rassocialion. Elles ne
sont en aucune façon explicatives du phénomène associatif, ni même
des associations d'idées qu'elles visent seules. La loi de contiguilé,
dernier rempart de l'association psychologique, est elle-même battue
en brèche, car la contiguïté n'explique pas plus pourquoi et comment
une association s'établit et se reproduit, que la ressemblance, la succes-
sion ouïe contraste, sans compter les représentations libres. Ces soi-
disant lois sont surtout très incomplètes, car elles laissent de côté un
nombre considérable de facteurs de Tassociation. » M. SoUier passe
ensuite en revue un certain nombre de contradictions, non entre les
auteurs, mais chez tel ou tel auteur se servant tour à tour d'assertions
contradictoires. — Il signale enfin les /acM/res dans les divers travaux
sur l'association : celle des recherches sur Tassociation des sentiments,
des états affectifs et cénesthésiques, des mouvements, soit entre eux,
soit avec les autres modes d'activité psychique ; celle des rapports de
l'association avec la psychologie individuelle, avec la personnalité ;
celle enfin des phases de conservation, d'organisation, de systémati-
sation des associations. Toutes ces recherches spéciales ont été presque
entièrement omises par les associalionistes.
Après la critique des résultats, celle des théories. On peut ramener à
quatre les conceptions qui peuvent être proposées pour expliquer le
phénomène de l'association : 1° Conceptions psi/ckologiques ; 2° Concep-
tion anatomique ; 3° Conceptions physiologiques ; 4" Conception
dynamique. L'auteur élimine comme insuffisantes les trois premières,
avant de faire valoir la quatrième qui est la sienne propre.
1° Les théories psychologiques, dans les diverses explications qu'elles
proposent, font de l'association le résultat d'affinités s'exerçant entre
les états de conscience. Cette affinité restant inexpliquée ne saurait
expliquer l'association elle-même.
2° La théorie anatomique est plus satisfaisante ; elle ne suffit cependant
pas. Elle se ramène à faire de chaque cellule le siège d'une représentation,
ce qui semble contredit par les découvertes récentes de l'histologie.
3° La, lhéor\e physiologique se rapproche davantage des faits; mais
il est une question que ses partisans laissent dans l'ombre et qui est
cependant essentielle ; c'est celle de l'aiguillage du courant nerveux.
Qu'un même centre soit relié à un grand nombre d'autres, c'est très
bien ,• mais pourquoi le courant nerveux se tlirige-t-il vers tel centre
de représentation plutôt que vers tel autre ? De cela la théorie physio-
logique ne formule même pas d'hypothèses, mais donne seulement des
lois à priori.
4" La. Ihéoùe di/namique, celle de M. SoUier, reste donc seule en
cause. Elle est, d'après son défenseur, « la seule qui puisse concilier
les conditions complexes dans lesquelles se présente l'association.. » Au
point de vue dynamique, le courant nerveux apparaît « comme une
modification d'ordre moléculaire, se poursuivant dans une série d'élé-
ments et s'accompagnant, dans chacun d'eux, d'une décharge d'énergie. »
« IL suffit dès lors d'admettre qu'à tout état psychique correspond un
état dynamique spécial... pour comprendre que chaque fois que cet
étal,cérél»ral se rei>Poduira, le même état psychique se reproduira aussi.»
;io6 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Mais commeat se reproduira-t-il? Comment se fera l'aiguillage du
courant nerveux qui ira pour ainsi dire le revivifier? La réponse est
simple : « 11 n'y a pas d'aiguillage ». Il y a seulement, entre les diffé-
rents centres, des phénomènes de résonance nerveuse, comparables à la
résonance électrique ou acoustique.
La conception dynamique ainsi entendue explique les diverses phases
de l'association, dont les autres théories omettent de rendre compte.
Elle explique en particulier comment l'association se crée : « pour que
deux impressions... puisent s'associer, il est nécessaire et suffisant
qu'elles correspondent à un même étal dynamique cérébral ou à deux
états dynamiques assez voisins pour que la vibration de lun puisse
gagner l'autre et le faire vibrer à l'unisson » ; comment elle se conserve : ce
qui persiste, « c'est la tendance de l'état dynamique du centre aperceptif,
correspondant à une impression, à se reproduire et à provoquer dans
le centre récepteur une représentation de cette impression » ; —
comment elle se reproduit, et c'est toujours par résonance nerveuse.
L'ouvrage de M. Sollier n'est pas sans mérites : il faut les reconnaître
très grands en ce qui concerne la mise au point du problème de l'asso-
ciation, la réduction des prétentions outrées de l'école associa-
tioniste, la critique de certaines lois à priori et de certaines théories de
l'association vraiment insuffisantes, l'essai de précision de l'aspect
physiologique de l'association. Quant à la théorie même que met en
avant cet auteur, elle appelle d'importantes réserves. Elle présume trop
d'elle-même en s'affirmant comme explicative de tout le phénomène de
l'association. 11 est vrai que M. Sollier est moniste, comme il nous en
prévient, et moniste matérialiste, comme tout son livre nous en per-
suade, et qu'ainsi l'association lui paraît expliquée suffisamment par un
mécanisme cérébral de résonance nerveuse. Mais il est clair que cette
affirmation ne saurait avoir une portée d'explication définitive que par
l'adjonction de l'a priori moniste, lequel est discutable et que nous
n'admettons aucunement. >'ous ne faisons d'ailleurs aucune difficulté
de poser une base d'ordre physique pour l'association des images
sensibles, quelle que soit d'ailleurs cette base. Mais cela même ne
suffit pas à rendre complètement compte de l'association élective des
images sensibles, ni surtout de l'association des idées vraiment intel-
lectuelles ; il y faut l'intervention d'un principe aperceptif actif, indé-
pendant de l'ordre physique matériel dans l'association des idées,
irréductible complètement à ce même ordre physique dans l'association
élective des images. Au reste, cette « résonance nerveuse » — qui, en
soi, ne serait pas inadmissible, si elle ne voulait être qu'une interpré-
tation de l'aspect physiologique de l'association, et non pas son expli-
cation adéquate — n'est fondée que sur l'analogie de la résonance électri-
que,qui estelle-même fondée sur l'analogie de la résonance acoustique. A
superposer ainsi des analogies, on ne peut guère aboutir qu'à des méta-
phores. Aussi la théorie de M. Sollier reste-t-elle plus ingénieuse que
probante. Elle est moins une explication qu'une traduction, en termes
physiologico-dynamiques, d'ailleurs hypothétiques, des faits d'associa-
tion que nous révèle l'observation psychologique.
Kain. H.-D. Noble, 0. P.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 337
IV
LOGIQUE.
LA renaissance des études logiques est un fait qui attire dès main-
tenant l'attention. En dehors de la voie traditionnelle, se des-
sinent des directions très diverses. Toutefois, c'est sur le terrain de la
Logique Symbolique ou Logistique que l'activité semble se concentrer.
Aussi, tenant compte des étroites limites où doit s'enfermer ce travail,
je consacrerai une section spéciale à cette nouvelle discipline, me con-
tentant de signaler sous des désignations plus générales quelques
travaux récents qui offrent d'autres tendances.
I. — Logistique.
Bien qu'elle soit en pleine formation (certains disent même qu'elle en
est encore aux essais), la Logique Symbolique a déjà tout un passé. C'est
ce passé que M. A. T. Suearman a voulu retracer dans son livre : The
Development of Symbolic Logic. (1) L'analyse de l'ouvrage fournira une
introduction toute naturelle aux questions dont s'occupe cette science
et permettra de suivre avec plus de facilité les discussions dont je
parlerai plus loin. Le sous-titre nous avertit de ne pas considérer ce
travail comme purement historique ; et, en effet, ce n'est d'un bout à
l'autre qu'un minutieux examen des diverses théories, destiné à mettre
en lumière la thèse qu'adopte l'auteur. D'après M. Shearman, les sys-
tèmes proposés n'offrent pas de divergences fondamentales, ils ne
diffèrent qu'en apparence. En réalité, il y a un Calcul Logique qui se
développe depuis l'origine et auquel les auteurs de Symboliques ont
apporté successivement leur contribution. Boole est regardé comme le
véritable initiateur du mouvement bien que précédemment Lambert,
Pioucquet et Holland, s'inspirant des idées de Leibnilz et de Wolf eussent
déjà tenté quelques efforts dans cette direction.
(Ch. i). — La question qui se présente en premier lieu est celle de sa-
voir à quels objets doivent s'appliquer les symboles. On trouve à cet
égard trois conceptions différentes. 1*^) Les symboles peuvent, dans
certaines conditions, représenter les termes, dans d'autres, les propo-
sitions. 2°) Il est indifférent d'user des symboles pour les termes ou pour
les propositions. 3°) Les symboles ne doivent exprimer que l'une de ces
deux espèces d'éléments logiques et, alors, généralement, l'on estime
qu'il faut les restreindre aux propositions. iM. Shearman adoptant les
vues de Boole, Yenn et Schrôder, pense que les lettres peuvent repré-
senter des classes ou des propositions, mais qu'il faut observer que les
règles ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Lavariété des symboles
employés par les différents logiciens n'est pas le signe d'oppositions
1. The Development of Symbolic Logic. A Crifical-Hiatorical Sludy of
thc Logical Calculus. 1 vol. Ia-12 de XI-272 p. London. Williams and Nor
gâte. 1906.
358 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
réelles entre leurs principes, elle tient simplement à ce que presque tous
ignoraient les travaux de leurs prédécesseurs. Quant aux propositions
dont s'occupe le symboliste, elles sont assertoriques de leur nature ; si
cependant l'on veut tenir compte des modalités, (possibilité, fausseté,
vérité, etc.), comme le fait M. MacColl, il faut alors introduire de nou-
veaux termes et les propositions dénoteront ainsi le rapport du sujet
pensant avec chaque implication.
(Ch. II). — Les symboles désignant les termes ou les propositions
peuvent être reliés entre eux par d'autres signes exprimant certaines
relations que l'on appelle opérations logiques. Ces symboles d'opérations
ne sont pas indispensables, comme on l'a cru longtemps. L'œuvre de
Keynesen fait foi ; il arésolu sans leur aide des pi-oblèmes très com-
pliqués. Si l'emploi des signes mathématiques a l'avantage de mettre
en relief l'analogie des opérations logiques avec celles dont se servent
les mathématiques, les longues discussions au sujet de la légitimité d'un
tel emploi ont relardé le développement de la Logique Symbolique.
Après ces considérations générales sur les symboles d'opérations,
M. Shearman examine et discute les divers sens attribués aux signes + ,
— , -^ , ^ et quelques autres; il fait ensuite de brèves remarques sur
la manière dont on a symbolisé les propositions particulières et montre
que les hypothétiques ne peuvent être traitées de façon adéquate que
si l'on applique les symboles aux propositions et non aux classes.
(Ch. m). — En ce qui concerne la manière de résoudre les problèmes,
une comparaison est établie entre les procédés de Boole, Yenn, Keynes
et Schrôder. La méthode de Venn marque un progrès sur celle de Boole,
elle facilite le traitement des propositions universelles et met en plein
relief la force des propositions particulières. Schrôder se distingue par
une brièveté relative et par le soin qu'il prend de rendre directement
intelligibles toutes les formes intermédiaires d'une solution. Quant aux
méthodes de Keynes qui ont beaucoup d'affinité avec celles de Schrôder,
elles sont la simplicité même. Boole n'a jamais fait usage de diagrammes;
Keynes, après avoir montré l'insuffisance des figures d'Euler, en a ima-
giné de nouvelles, plus exactes, mais compliquées. Venn et le Docteur
Warquand en ont également construit qui peuvent s'appliquer à un
nombre de termes plus ou moins grand. L'utilité des diagrammes est
assez restreinte et, la plupart du temps, ils sont avantageusemeot rem-
placés par les méthodes littérales.
(Ch. iv). — La plupart des logisticiens se sont placés au point de vue
de l'extension des concepts pour établir leurs systèmes de symi»olique ;
toutefois, quelques tentatives se sont produites en vue de baser un
calcul sur la compréhension ou intension. L'essai le plus remarquable
en ce genre est celui de Castillon. Ses efforts n'ont pas été heureux et
ont abouti à des résultats inacceptables. Dans son système, les notions
d'universel et de particulier ne peuvent être obtenues que par une péti-
tion de principe, la conversion des universelles négatives est impossible,
la conversion d'une particulière affirmative conduit à une universelle
affirmative, le mot « quelque » y est employé sans précision et l'on ne
peut arriver à un traitement consistant des propositions hypothétiques.
Le seul moyen d'établir une « Logique Intensive » serait, comme l'a
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 359
indiqué Venn, de « prendre tous les attributs qui sont communs aux
membres d'une classe ». Mais on adopterait ainsi un procédé long et
artificiel, si on le compare à celui qui est basé sur les classes et les
propositions.
(Ch. v). — Bien que .levons et M. MacColl se soient fondés sur l'ex-
tension dans les recherches auxquelles ils se sont livrés, ils sont cepen-
dant tombés dans de graves erreurs. Ni l'un ni l'autre, malgré leur
talent, n'ont contribué d'une manière notable au développement de la
Logique Symbolique. M. MacColl a confondu les fonctions proposition-
nelles avec les propositions et il s'abuse quand il prétend être le seul à
tenir compte des modalités de l'assertion. Il n'en est aucune qui ne
puisse être traitée suivant les règles de la Logique Symbolique ordinaire.
Sa thèse des deux univers du discours, l'un renfermant les objets réels,
l'autre les irréels, est insoutenable et contradictoire; il suffît de regarder
le réel et l'irréel comme deux compartiments d'un seul et même univers
du discours.
(Ch. vi). — MM. Peirce, Mitcliell et Johnson ont développé la théorie
de la quantification simple en celle de la quantification multiple par la
synthèse de propositions avec deux agrégats de sujets ou davantage.
Les recherches dans cette direction ont été substituées à celles qui
concernaient le traitement général des copules, problème qui apparaît
comme insoluble. Il faudrait en effet, dans chaque cas, quelque donnée
supplémentaire en dehors de celles que présentent les prémisses et
aussi des axiomes particuliers analogues au « dictum de omni » pour le
syllogisme ordinaire. Le dernier progrès réalisé en Logistique a été la
réduction du raisonnement mathématique au raisonnement logique par
MM. Peano et Russell. Auparavant, l'on estimait que la déduction change
de nature suivant qu'elle s'applique à des éléments qualitatifs ou à des
éléments quantitatifs. Par l'analyse des idées mathématiques, ces
auteurs sont arrivés à découvrir des notions générales qui, exprimées
au moyen de variables et de constantes logiques, définies elles-mêmes
par un nombre déterminé d'indéfinissables, peuvent être soumises aux
règles ordinaires de la Logique Symbolique. Celle-ci s'est donc identi-
fiée par là même avec le raisonnement déductif.
(Ch. vu). — Le chapitre final contient des considérations sur l'utilité
de la Logique Symbolique. Au point de vue de l'éducation de l'esprit,
sa valeur ne saurait être estimée trop haut. Les services qu'elle est
capable de rendre aux sciences naturelles ne peuvent être qu'indirects.
Il en est de même pour la vie pratique. Toutefois cela ne veut pas dire
qu'elle ne puisse conduire à la découverte de vérités nouvelles, si l'on
entend par là des combinaisons justifiées de sujets et de prédicats
formées pour la première fois ou, pour la première fois, saisies dans
toute leur force. En philosophie, la Logistique amène à concevoir dans
l'univers une dualité irréductible.
L'ouvrage de M. Shearman témoigne d'une parfaite connaissance des
matières dont il traite, mais les idées préconçues qui l'ont empêché de
faire une véritable histoire de la Logique Symbolique, la manière
obscure dont il fait allusion à des théories qu'il suppose connues, la
brusque introduction de formules à l'intelligence desquelles rien n'a
360 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
préparé, en rendent la lecture extrêmement pénible et font qu'on ne
peut l'utiliser autant qu'on le souhaiterait.
Si l'on veut trouver un exposé complet des principes de la Logistique
actuelle, il faut recourir à l'ouvrage de M. Peano : Le Formulaire M alhé-
malique, et à celui de M. Russell : J'Iit Principles of Malhemalics.
M. CouTURAT a donné de ce dernier travail une analyse très étendue
dans la Revue de Mélaphysique et de Morale (1). Ne pouvant songer à
fournir un aperçu, même sommaire, des théories contenues dans ces
ouvrages, je me bornerai à signaler ici brièvement les controverses
qu'elles ont suscitées.
Les efforts des logisticienspour absorber les mathématiques dans la
logique provoquèrent les critiques de M. Poincaré (2). Dans un long
article, il essaya de montrer pourquoi il ne pouvait admettre, comme
M. Couturat, que les plus récents travaux eussent prouvé qu'il n'y a
pas de jugements synthétiques à priori, que l'on peut réduire à la
logique l'ensemble des mathématiques et que l'intuition ne doit y jouer
aucun rôle. Reprochant à la Logistique d'être une science purement
formelle oi^i l'on n'a pas besoin de comprendre ce que l'on fait, il
affirme que l'intuition apparaît dès le début dans le choix des postulats.
Mais, ce choix une fois fait, elle intervient encore, puisque l'on ne
saurait se passer en mathématiques du principe d'induction complète (3)
et de beaucoup d'autres de nature semblable. II est vrai que les logis-
ticiens font de ce principe une définition, c'est-à-dire une convention,
mais ils n'ont pas prouvé l'existence logique de l'objet détini. Deux
conditions étaient nécessaires : montrer que les postulats d'où dérive
la définition ne sont pas contradictoires, et ensuite, si l'on modifie la
forme de la définition, établir qu'elle s'applique au même objet, comme
auparavant. Ils n'ont rempli ni l'une ni l'autre. La notation symbo-
lique ou pasigraphie n'a pas l'impoitance qu'on lui attribue et peut
dissimuler des appels subreptices à l'intuition. M. Hussell a introduit
dans la logique un certain nombre d'innovations heureuses, comme
la fonction propositionnelle, mais les principes qu'il prend comme
point de départ ne sauraient être considérés comme des définitions que
si l'on peut montrer qu'ils n'impliquent pas contradiction ; or, il
faudrait recourir pour cela au principe d'induction complète supposé
encore inconnu. M. Russell n'a pas donné de démonstration de l'exis-
tence des nombres entiers. La seconde partie de l'article est consacrée
à l'analyse d'un travail de M. Hilbert, puis à établir la nécessité du prin-
cipe d'induction pour la théorie des nombres transfinis et aussi pour la
géométrie. La conclusion est que « le principe d'induction ne peut
1. Les Principes des Mathématiques. Janvier, mars, juillet, septembre 1904.
Janvier 100.5.
2. Les Mathématiques et la Logique. B. de Met. et de Mor. Nov. 1905 ci
ianvier 1906, pp. 815-835 et 17-34.
3. M. PoLncaré donne cette formule du principe d'induction complète :
« Si une propriété est vraie da nombre 1 et si l'on établit qxi'elle est vraie
ie n + 1 pour\Ti qu'elle le soit de n, elle sera vraie de tous les nombres
entiers. » p. 818.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 361
pas être regardé comme la définition déguisée du nombre entier ([) )).
M. Couturat prit la défense de M. Russell (2) et reprocha tout d'abord
à M. Poincaré d'avoir basé ses critiques sur une simple analyse, au lieu
de se reporter à l'original, et d'avoir assimilé aux travaux du logicien
anglais ceux de M. Hilbert où Ton ne trouve pas trace de calcul logique.
Puis, après avoir discuté les assertions de M. Poincaré louchant le
manque d'infaillibilité de la Logistique, les obstacles qu'elle apporte à
l'invention, les différences qui la distinguent de l'ancienne Logique, il
s'efTorça de répondre aux attaques dirigées contre certaines thèses
particulières. Les cercles vicieux qu'on peut relever dans les expres-
sions du langage ordinaire traduisant les formules symboliques
n'existent pas dans celles-ci. La contradiction signalée par M. Burali-
Forti dans la théorie des nombres ordinaux transfinis ne tient pas à
l'emploi des symboles, elle provient des principes de la logique des
classes. La définition mathématique ne suppose pas nécessairement
l'existence de l'objet défini. L'existence logique ne consiste pas dans
l'absence de contradiction, mais dans le fait qu'une classe n'est pas
vide. Ce qu'il importe de démontrer, c'est l'existence de la classe, et non
celle de l'individu comme tel. Voici quels sont les rapports réciproques
entre l'absence de contradiction et l'existence d'une classe : « ... Si une
définition est contradictoire, aucun individu n'en remplit les conditions,
et par conséquent la classe correspondante n'existe pas... Et récipro-
quement, si une classe existe, c'est-à-dire contient quelque élément,
on pourra en conclure, comme dit M. Poincaré, que sa définition n'est
pas contradictoire. L'existence apparaît ainsi comme le critérium de
la non-contradiction (3) ». La méthode proposée par M. Poincaré pour
prouver qu'un système de postulats n'est pas contradictoire, est une
méthode inapplicable et logiquement illégitime. Contrairement à ce
qu'aflirme ce savant, M. Russell a bien donné une démonstration de
l'existence des nombres entiers et s'attache tout particulièrement à
établir les théorèmes d'existence. C'est aussi sans fondement que les
logisticiens sont accusés de changer subrepticement la définition du
nombre au cours de leurs raisonnements. Les deux définitions dont il
est question, si on les exprime symboliquement, peuvent se déduire
l'une de l'autre par une transformation purement logique.
En même temps que la réponse de M. Couturat, paraissait une étude
de M. Mario Pieri sur un point auquel il vient d'être touché, la non-
contradiction d'un système de postulats (4). Pour être sûr qu'un
ensemble de postulats est compatible, il suffit de trouver un exemple
pour lequel les propositions soient toutes vraies. Mais, pour démontrer
la compatibilité, il faut prouver Vexistence rationnelle d'un élément qui
vérifie à la fois toutes les propositions, pourvu qu'on raisonne dans
l'enceinte d'un système déductif dans lequel aucune des propositions
1. P. 31, souligné dans le texte.
2. Pour la Logistique. R. de Met. et de Mor., Mars 190G, pp. 208-230.
3. P. 234. Les mots sont souligaés dans le texte.
4. Sur la Compatibilité des Axiomes de V Arithmétique. B.de Met. et de Mor.
Mars 1906, pp. 196-207.
.362 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
en question ne figure comme prémisse, et dont les propres prémisses
soient déjà reconnues ou acceptées à priori comme compatibles. La
preuve directe et absolue de la compatibilité des axiomes arithmétiques
ne peut se rencontrer dans le domaine de l'arithmétique, mais il est
possible qu'on la trouve dans celui de la logique pure. Les mots « un »,
« chaque », « quelque » appartiennent au discours et par là même à la
logique avant d'appartenir à l'arithmétique, et s'ils contiennent des frag-
ments de l'idée générale de nombre, aucun d'eux n'exprime la notion
tout entière ; cela suffît à éviter la pétition de principe. Se fondant sur
ces considérations, M. Pieri établit ensuite la compatibilité des axiomes
arithmétiques de Dedeklnd et Peano dans un domaine A de logique
pure.
Dans sa réplique à M. Couturat (l), M. Poincarélui accorde un certain
nombre de points qu'il regarde comme secondaires, mais il revient sur
les deux questions de l'infaillibilité de la Logistique et de la possibilité
d'une démonstration du principe d'induction complète. La Logistique
doit être infaillible sous peine de n'être pas et l'on ne peut répondre
que l'erreur se produit ici comme en arithmétique, faute d'appliquer les
règles ; c'est au contraire en s'y conformant que l'on est tombé dans la
contradiction et M. Russell, pour y échapper, s'apprête à rejeter certains
principes du système de M. Peano. L'absence de contradiction est bien
le critérium de l'existence logique ; en effet, pour prouver l'existence
de l'individu dans une classe, il faudra montrer que l'atlirmation
qui place l'individu dans la classe n'impHque pas contradiction.
M. Pieri a bien aperçu cette nécessité et il admet que la compatibilité
des principes fondamentaux de la logique est un postulat. Une démons-
tration de la compatibilité d'un système de postulats mathématiques
est nécessaire ; elle ne peut se faire que par récurrence, ce qui suppose
le principe d'induction complète. Celui-ci doit être alors considéré, non
comme une définition, mais comme un jugement synthétique.
M. Poincaré passe ensuite à l'examen d'un mémoire de M. Russell (2)
écrit en vue de résoudre les antinomies qui se sont produites dans le
domaine de la Science de l'Infini créée par Cantor. Pour arriver à une
solution, M. Russell a ébauché successivement trois théories : la « Zigzag
Theory », la « Theory of limitation of size » et la « no classes Theory » ;
il se rallie finalement à cette dernière. <• Quoi qu'il en soit, conclut
M. Poincaré, la Logistique est à refaire et on ne sait trop ce qu'on en
pourra sauver » (3). Aucune des démonstrations tentées du principe
d'induction complète n'est exempte de cercle vicieux. A moins que l'in-
tuition n'y intervienne, la Logistique n'est pas seulement stérile, « elle
engendre l'antinomie » [A). La croyance à l'existence de l'infini actuel
1. Les Mathématiques et la Logique. R. de Met. et de Mor., ^lai 1906, pp.
294-317.
2. On somes difficulties in the theory of Transfinite Numbers and Order
Types; Proceedings of the London Mathematical Society, 7 mars 1906, p.
29-53.
3. Page 307.
4. Ihid., p. 316.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 363
uboutilà la contradiction et cette croyance est essentielle à la logistique
de M. Russell.
Ces attaques assez vives amenèrent une réplique du logisticien
anglais (1). Les changements qu'il propose ne sont pas si profonds que
l'imagine M. Poincaré et n'ont pas pour effet de bouleverser l'oeuvre de
M. Peano. La théorie « pas de classes » ne diffère pas tant de celle que
présentent les u Principles of Malhemalics ». Que la Logistique dut être
infaillible, c'est ce que M. Russell a cru quelque temps, mais il reconnaît
maintenant que sur ce point, elle est dans les mêmes conditions que
toute autre science ; l'intuition y est indispensable, mais elle en règle et
surveille l'emploi. S'il faut appliquer « aveuglément » les principes de
cette discipline, c'est en ce sens qu'on ne doit pas chercher à éviter les
obstacles auxquels ils peuvent se heurter. Il importe au contraire de
préférer, à titre d'épreuve, les cas où ils pourraient se trouver en défaut.
Le cercle vicieux n'est pas une particularité des collections infinies,
mais, « la clef des paradoxes doit se trouver dans l'idée du cercle vicieux »
et il est vrai « que tout ce qui concerne d'une manière quelconque tout
ou quelque ou un quelconque des membres d'une classe ne doit pas être
uîembre d'une classe « (2). Ceci peut s'exprimer encore par cette formule
que M. Russell appelle principe du cercle vicieux : « Tout ce qui contient
une variable apparente, doit être exclu des valeurs possibles de cette
variable » (3). La théorie « pas de classes » arrive à résoudre les anti-
nomies auxquelles donnent lieu les nombres transfinis. Une doctrine
analogue peut s'appliquer au cas du sophisme de l'Épiménide.
Comme conclusion provisoire à cette controverse, M. Poincaré se con-
tenta de prendre note des concessions de M. Russell sur la nécessité de
l'intuition en logistique et sur le rôle du cercle vicieux comme source
des paradoxes de cette science. Remettant la critique de la théorie « pas
de classes » au moment où elle serait suffisamment développée, il
revenait sur le principe d'induction complète dont il proposait cette for-
mule : «Tout nombre fini est inductif», formule qui n'est, dans sa
pensée, ni une définition, ni une proposition démontrable, et maintenait
que la croyance à l'infini actuel est une cause de contradictions insur-
montables.
Je ne puis que signaler ici l'article de M. Whiïehead : Introduction
logique à la géométrie (i), où il fait intervenir la notion de fonction pro-
positionnelle dans la définition de cette science, et celui de M. Winter
Sur rintroduction logique à la théoHe des fonctions (5), qui contient un
essai très intéressant de délimitation du domaine de la Logistique. Men-
tionnons enfin les articles sous forme de lettres de M. C. Lucas de
Peslouan qui présentent une critique si piquante et d'ailleurs exagérée
de la logique mathématique (6).
1. B. Russell. Les paradoxes de La Logique. E. de Met. et de Mor.. Sept.
1906, pp. 627-650.
2. P. 634, les mots sont soulignés dans le texte.
3. Ihid.
4. IL de Met. et de M,or., janvier 1907, pp. 34-39.
5. Jbid., mars 1907, pp. 186-216.
6. Sur les fondements de l'arithmétique. Revue de Philosophie, avril, mai,
jum 1907, pp. 372-397, 489.509, 568-593.
364 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
II. — Études logiques Diverses
I. Ouvrages généraux.
Sous le liLre de N^ueoas Direcciones de la Logica (1), M. Alberto
GoMEz IzQUiERDO, pi'ofesseuF de Logique à l'université de Grenade,
nous présente l'exposé et la critique d'orientations logiques qui
ne sont pas toutes aussi nouvelles que ce litre le ferait croire. Il
y a déjà quelque temps, par exemple, que la logique de Hegel, ainsi
que celle d'Hamilton et de Stuart Mill, sont connues des pliilosophes
et quelques autres encore. En se bornant aux doctrines qui gardent
encore toute leur fraîcheur, l'auteur aurait pu leur donner un plus grand
développement et l'ouvrage y aurait gagné en clarté et en intérêt. Tou-
tefois, tel qu'il est, le livre ofîre une réelle valeur et si l'on regrette
de constater assez souvent une érudition de seconde main, certains
chapitres témoignent d'une sérieuse étude des sources et d'une connais-
sance directe du sujet. La critique des systèmes s'inspire de vues assez
larges.
Une courte introduction nous fait connaître le plan de l'ouvrage et la
méthode suivie par l'auteur. M. Izquierdo répartit en cinq classes les
tendancesqu'il se propose d'étudier : Logique Idéaliste, Logique Posi-
tiviste, Logique des Sciences, Logique Extra-Rationnelle ou des sen-
timents, Logique Traditionnelle. Le dernier chapitre présente ses con-
clusions. Sans descendre dans les détails, il se borne à mettre en relief
les traits saillants de chaque doctrine et, pour éviler les inexactitudes et
les réfutations trop faciles, au lieu d'examiner des systèmes imper-
sonnels, il s'attache aux idées des représentants les plus autorisés de
chaque école. Il a pris soin également, pour empêcher toute confusion,
de séparer nettement l'exposé de la critique.
Logique Idéaliste. — Passant très rapidement sur les idées de Fichte
et de Schelling auxquels il reproche de substituer à la logique comme
discipline de la raison une systématisation capricieuse, M. Izquierdo
s'jittarde un peu plus à Hegel dont il caractérise ainsi la doctrine
logique. L'idée pure est l'essence de l'absolu et de l'univers. Les choses
sont produites par l'évolution de l'idée, évolution dont le ressort est la
contradiction. Au premier moment, l'idée se pose, puis fait surgir sa
négation et un troisième concept opère la conciliation ou synthèse La
notion, divisée dans le jugement qui exprime l'identité entre l'indivi-
duel (sujet) et l'universel (prédicat), est reconstituée au moyen du
syllogisme qui en réunit de nouveau les éléments en une synthèse supé-
rieure. — Ces conceptions se heurtent à plusieurs difïicultés. Comment
concevoir que l'absolu puisse sortir de l'idée pure la plus imparfaite et
la plus indéterminée? Comment comprendre que l'être engendre "sa
propre négation ? D'autre part, considérer le jugement comme affirmant
l'identité de l'individuel et de l'universel, c'est en avoir une idée incom-
plète ; renonciation attribuant à un sujet un prédicat accidentel est ua
véritable jugement.
1. 1 vol. in-12 de 279 pages, iladrid, Victorian Suarez, 1907.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 365
Schleiermacher, sans aller, comme Hegel, jusqu'à identifier l'être et
ridée a pourtant exagéré le parallélisme des formes de l'un et de l'autre.
Le jugement doit sans doute représenter les objets réels et leurs rela-
tions, mais il n'est pas nécessaire que les actes de l'intelligence aient
en eux-mêmes les caractères de ces objets. Krause fait un pas de plus
vers la séparation de la logique et de la métaphysique, en mettant le
point de départ de la connaissance scientifique dans l'analyse de la
conscience et de ses relations avec le monde extérieur ; mais comme il
maintient d'autre part l'unité de principe de la réalité et de la science
humaine, il ne peut échapper à la contradiction. Les additions qu'il a
faites à la logique traditionnelle, en y introduisant par exemple la psy-
chologie, au lieu de constituer un progrès, ne font qu'y apporter de la
confusion.
Logique Formelle. — Adoptant la distinction kantienne de la matière
et de la forme, Ilamilton réduit la logique à n'être que l'étude de la
conséquence et le seul but qu'il lui assigne est d'écarter les contradic-
tions ; la vérité d'un jugement ne la concerne en rien. Il n'aperçoit
dans l'idée que l'aspect quantitatif et cherchant à l'approfondir, il ima-
gine la théorie de la quantification du prédicat. Les rapports entre les
idées deviennent des relations de contenant à contenu et c'est sur ces
relations que le syllogisme est fondé. — Le point de vue de Hamilton
abstrait artificiellement de la véritable fin de la logique qui est d'attein-
dre la vérité à laquelle tendent naturellem.ent les procédés qu'elle étu-
die. C'est à tort qu'il donne à l'extension des concepts un rôle prépon-
dérant ; celle-ci n'est que la conséquence de la compréhension ; en
outre, la quantification du prédicat, loin d'augmenter la clarté du rai-
sonnement, ne fait que l'encombrer et l'obscurcir.
La.logique algorithmique ou symbolique est traitée fort brièvement
par M. Izquierdo et n'a pas reçu de lui l'attention qu'elle mérite. 11 se
contente de signaler qu'elle se base sur les analogies qui existent entre
les opérations logiques et les opérations algébriques et que la déduction
s'y ramène à la substitution comme dans la solution d'un système d'é-
quations. Il lui paraît d'ailleurs impossible de remplacer les mots par
des symboles dans l'expression des actes de la pensée, à cause du
manque de souplesse de cette notation. La logique algorithmique est
donc destinée à rester une curiosité scientifique.
La logique formelle déduite des modèles mécaniques telle que l'a
exposée A. Pastore, est appréciée avec plus d'indulgence. La thèse fonda-
mentale de ce logicien consiste a affirmer l'équivalence des idées pri-
mitives des sciences. De même qu'en physique pour représenter certains
ordres de faits, on se sert de modèles mécaniques, ainsi pourra-t-on
procéder en logique. Et M. Pastore a imaginé tout un ensemble de
roues reliées par des courroies de transmission au moyen duquel il
arrive à symboliser tous les rapports logiques, et dont il prétend faire
un instrument de découvertes.
M. Izquierdo reconnaît que les modèles mécaniques peuvent rendre
d'utiles services quand il ne s'agit que d'exposer des théories, mais qu'il
faut renoncer à y voir un moyen d'investigation. La tendance à l'uni-
366 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
fication des sciences doit être maintenue dans certaines limites, sons
peine d'en appauvrir le contenu.
Logique Inductive. — Les idées de Stuart Mill, qui est le principal
représentant de cette école, sont exposées avec exactitude et avec une
suffisante ampleur. Elles sont si connues qu'il nous paraît inutile
d'y insister : Conception tout empirique de la science, l'induction érigée
en méthode principale dont la déduction n'est que l'auxiliaire, critique
du syllogisme auquel est substituée l'inférence du particulier au parti-
culier, seul raisonnement valable, méthodes de recherche expérimentale,
etc. Bain a développé les doctrines de St. Mill et les différences qu'on
peut relever entre eux ne portent guère que sur la méthode et le plan
d'exposition. Spencer a introduit des modifications plus importantes.
Pour lui, la logique est une science purement objective qui s'occupe des
relations existant entre les choses et non des lois de la pensée. — La
logique empirique a rendu de grands services en énonçant les conditions
de la recherche des lois de la nature, mais en supprimant les principes
universels, elle a fait disparaître les facteurs nécessaires de la science ;
la science, en effet, est une interprétation de la réalité et cette interpré-
tation repose sur les principes de la raison.
Logique des Sciences. — Systématiser les méthodes et procédés expéri-
mentaux et mettre en lumière la contexture intime de toutes les sciences,
tel fut le but des initiateurs de ce mouvement, Sigwart et Wundt. Ni l'un
ni l'autre n'acceptent les doctrines kantiennes, ni ne tombent dans les
exagérations de l'empirisme. La connaissance est considérée comme le
produit commun des lois de l'esprit et des données sensibles. Sigwart
assigne à la logique un rôle purement formel, l'estimant incapable
d'atteindre la vérité proprement dite et lui demandant seulement d'arri-
ver à des propositions universellement valables. Son œuvre se divise en
deux parties : l'Analytique et la Technique : la première cherche
quelles conditions doit réunir toute connaissance pour être logiquement
parfaite ; la seconde montre jusqu'à quel point la conformité peut
s'établir entre nos jugements et les choses pour que ces jugements
hoient universellement valables. — Bien que Sigwart ait voulu éviter les
écueils de l'idéalisme et de l'empirisme, il accorde encore trop au
premier en considérant l'existence du monde extérieur comme un
postulat, en maintenant la logique dans Tordre des considérations
formelles et en assignant comme critérium suprême l'évidence subjective
de la proposition nécessaire.
Wundt fait de la logique une science normative qui a pour fonction
de rechercher quelles sont, parmi nos idées, celles qui ont une valeur
législative (gesetzgebende) pour l'organisation de notre savoir. Aussi
commence-t-il par une tliéorie de la connaissance qui s'inspire de
l'hypothèse évolutionniste. Le concept y est défini comme la synthèse
d'une représentation individuelle prédominante accompagnée d'une
série de représentations connexes vérifiées par l'aperception
active. Celte synthèse est d'abord décomposée par le jugement qui
établit ensuite une relation nouvelle entre ses éléments. Le raisonne-
ment n'est qu'une extension du processus du jugement. L'œuvre de
Wundt s'achève par la Méthodologie. Traitant assez brièvement de la
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 367
méthode en général, il en répartit les procédés en trois groupes :
analyse et synthèse, abstraction et détermination, induction et déduction;
il a donné de grands développements à la méthodologie spéciale. — On
peut s'étonner que Wundt, qui voit dans l'idée et dans le raisonnement
des faits d'oi'dre supérieur aux représentations sensibles, ait eu recours
à la méthode évolutionniste qui ne pouvait aboutir dans ces conditions.
D'ailleurs, ce n'est pas dans des germes obscurs, mais dans des principes
évidents qu'il faut chercher le fondement des sciences. La théorie du
jugement est insuffisante ; si nous procédions toujours par décomposi-
tion d'une représentation en ses éléments, les jugements négatifs ne
s'expliqueraient pas.
Logique Extra- Rationnelle. — Trois tentatives pour faire rentrer
des phénomènes distincts des faits de connaissance dans le domaine de
la logique sont ici brièvement retracées et examinées. M. Lapie s'est
basé sur le parallélisme rigoureux qui lui semble exister entre l'intelli-
gence et la volonlé et sur la possibilité d'expliquer les caractères des
phénomènes volontaires par ceux des phénomènes intellectuels pour
construire une logique de la volonté. L'acte volontaire est la conclusion
d'un syllogisme dont les jugements sur la fin et sur les moyens consti-
tuent les prémisses. La quantité n'a aucune influence dans ce raisonne-
ment, mais seulement la qualité et la modalité. Celle-ci se présente sous
deux formes : possibilité et justice d'une action. 11 n'y a de conclusion
qu'avec des prémisses aftirmatives. — Cette réduction des phénomènes
volontaires aux faits intellectuels est sans doute très séduisante pour la
raison, mais n'y a-t-il pas là une simplification illusoire? L'automatisme
a bien plus de part à nos résolutions que M. Lapie ne le suppose et la
volition telle qu'il la décrit ne peut èlre qu'une volition idéale. 11 a aussi
le tort de confondre la relation physique entre une cause et son effet avec
la relation morale entre un acte et sa sanction, et de ne pas tenir
compte de l'élément irréductible de l'impulsion volontaire.
M. Rauh s'est appliqué à mettre en lumière l'intervention de la
logique dans la morale. Être logique dans sa conduile, c'est ne pas
changer de principe tant qu'il n'y a pour cela d'autres motifs que
l'égoïsnie ou linlérét. Cette contradiction avec soi-même est assez facile
à éviter, car les lois morales ne sont pas absolues et par ailleurs, il ne
faut pas confondre le défaut d'extension ou la limitation d'une maxime
avec la contradiction. — Cette théorie constitue un paradoxe inexpli-
cable : si les lois morales n'ont rien d'absolu, comment la contradiction
serait-elle possible?
Dans la logique des sentiments telle que la conçoit M. Ribot, il ne
s'agit pas d'étudier l'influence des sentiments sur le raisonnement, mais
bien d'établir la logique spéciale aux sentiments en tant qu'elle s'oppose
à la logique rationnelle. Tandis que dans celle-ci la conclusion dépend
tout entière des prémisses, dans l'autre, la fin à laquelle tend l'émotion
est antérieure aux prémisses et les conditionne. Dans ce domaine, le
principe de contradiction n'a pas d'application. — Il semble qu'on abuse
ici d'une métaphore ; la logique des sentiments ne peut se distinguer
complètement de la logique rationnelle. Les valeurs morales et émotion-
nelles ne sont pas exclues de la considération de cette dernière et le
•368 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
raisonnement intellectuel peut tendre à une fin pratique. La contra-
diction dans le domaine des sentiments n'est qu'upparente et tient à la
mobililé extrême de ces phénomènes.
Logique Traditionnelle. — Avant la difîusion des doctrines de Kant,
les scolastiques s'en tenaient aux questions classiques. Dans le but de
défendre contre le criticisme l'objectivilé de la connaissance, ils ajou-
tèrent à la logique une partie où ils étudiaient les sources de nos
idées, la nature du critérium suprême et indiquaient le point de vue
initial auquel il faut se placer pour ces recherches. Ils nommèrent cette
partie la logique critique. Après une brève esquisse des théories de
Balmès et de Tongiorgi sur ce sujet, M. Izquierdo donne une analyse
détaillée de deux ouvrages espagnols : la Logique Fondamenlale de
M. Lofez y Maktino, professeur à l'université de Valence, et les
Principes de Logique Fondamentale de M. Fajarnes, professeur à l'uni-
versité de Madrid. Il présente le premier travail comme un mélange
bizarre et sans valeur de krausisme espagnol et de scolastique. Tout
autre lui apparaît l'œuvre de M. Fajarnes qui, en restant attaché aux
conceptions traditionnelles, a su les rajeunir par la manière nouvelle
dont il les expose et surtout par l'originalité avec laquelle il traite le
problème critique. C'est une des meilleures justifications du dogmatisme
qu'un scolastique ait écrite.
Conclusions. — Une brève synthèse présente en raccourci les princi-
pales orientations logiques exposées dans l'ouvrage, puis l'auteur
développe trois conclusions : 1° Il serait très utile de consacrer une
étude spéciale aux connaissances immédiates ou qui paraissent telles,
car les erreurs y sont fréquentes et pourtant plus faciles à éviter que
les fautes de raisonnement. 2" On a eu tort de vouloir étendre la Logi-
que en y ajoutant la logique des sciences et les recherches critiques
sur la valeur de la connaissance et sur le critérium suprême. En effet,
c'est à chaque science à tracer ses procédés et à traiter de sa méthode ;
quant au problème critique, il relève de la métaphysique. 3° Enfin, la
logique n'a qu'une valeur éducative très médiocre et n'est d'aucun
secours pour le travail scientifique. Celte dernière conclusion qui paraît
due aune réaction contre l'importance exagérée attribuée en Espagne
aux études logiques par les programmes ofliciels, me semble trop
pessimiste et d'un scepticisme assez superficiel. Si la logique est d'une
utilité restreinte pour l'invention, elle n'en reste pas moins finstrument
de contrôle indispensable et rien n'est considéré comme détinitivement
acquis avant d'avoir satisfait entièrement à ses exigences.
M. Savio a fait paraître en 1907 une troisième édition de son ouvrage:
Logica Raziocinativa e Indultiva{i). Parmi les nombreuses additions
qu'on y remarque, la plus importante est une histoire de la logique
qui, sous une forme abrégée, présente un ensemble très complet On y
voit même figurer la dialectique hindoue et celle des rabbins. Les
questions traditionnelles sont exposées avec une grande clarté ; il ne
semble pas que des vues bien définies aient présidé à la rédaction
de la partie critique où l'on rencontre des éléments assez disparates.
1. 1 vol. in-8o de 381 p. Ronia, Francesco Ferrari.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 369
Quant à la logique induclive, elle est traitée avec tous les développe-
ments désirables et les étudiants pourront y puiser une connaissance
exacte du sujet.
2. Monographies.
Citons d'abord l'article si remarquable de M. Couturat : La
Logique et la Philosophie Conlemporaine (1), où sont passées en
revue les principales tendances qui s'opposent actuellement au déve-
loppement de la logique ou en méconnaissent la nature. Le psycholo-
gisme qui la ramène à la psychologie et à la morale, le sociologisme qui
en fait un produit de la vie en société, le moralisme qui lui substitue
l'intuition, le pragmatisme enfin qui confond le vrai avec ses consé-
quences pratiques.
Sous ce titre: Le Mouvement Logique (2), M. Lalande, après avoir
signalé le réveil des études de logique et sommairement décrit les
directions très diverses, incohérentes même, qu'elles prennent, examine
en détail cinq ouvrages : la Logique du R. P. Hugon, 0. P. (3), les
travaux de M. M. Wolf (4), Suearman (o), A. Pastore (6) etB. Croce (7)'
et termine par l'analyse d'un article de M. Vailati(8).
iM. Lachelier a publié un article fort intéressant sur La Proposition et
le Syllogisme (9). Il établit une distinction entre les propositions d'inhé-
rence comme : Tout homme est mortel, et celles qu'on pourrait appeler
propositions de relation. Ex. : Fontainebleau est moins grand que
Versailles. Les propositions d'inhérence sont subdivisées en cinq
classes : propositions singulières, collectives déterminées, collectives
indéterminées, universelles et particulières. Cette classification entraine
des conséquences importantes pour le syllogisme. Les trois figures du
syllogisme ont chacune leur rôle propre et aboutissent à une conclusion
de nature spéciale. Quand on les compare entre elles, la première seule
garde toujours un caractère positif, les deux autres ont vis-à-vis d'elle
et vis-à-vis d'elle seule un rôle négatif consistant, pour la seconde, à
renverser la mineure et pour la troisième, à renverser la majeure du
syllogisme de première figure.
Logic and Ldentitg in Différence {10) e&l le titre d'une étude où Miss
Constance Jones s'applique à définir la notion de l'unité dans la diffé-
1. R. de Met. et de 2Ior., ^lai 1906, pp. .318-3-41.
2. Rev. Philosophique, Mars 1907, pp. 256-288.
3. 1 vol. in-12 de VIII-508 p. Paris, Lethielleux.
4. The Existential Import of Categorical Prédication. 1 vol. in-12, XII-264 p.
Cambridge, University Press. 1905.
5. Cf. p. 357.
6. Logica Formate, dedotta dalla considerazione di modelli meccaiiici. 1 vol.
in-12 de 23-258 p. Torino, Fr. Bocca, 1906.
7. Lineamenti di una Logica, corne scienza del concetto puro. 1 vol, in-4o
de 140 p. Naples, Giaruiii e F^li, 1905.
8. Pragmatism and Mathematical Logic. The Monist, oct. 1906, p. 481-491.
9. R. de Met. et de Mor., Mars 1906, pp. 135-164.
10. Proceedings of The Arisiotelian Society, pp. 81-92. London, Williams and
Norgate, 1907.
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 2. 24
• 370 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
rence. Elle en reconnaît deux types principaux : l'identité dans la
diversité ou identité numérique et la ressemblance dans la différence
ou identité qualitative. L'identité dans la diversité est indispensable à
l'inférence sous toutes ses formes aussi bien qu'à l'atTirmation. Le
rapport de ressemblance dans la différence est à la base de la classifi-
cation et rend possible le raisonnement inductif.
Sur le sujet connexe des distinctions, M. Vailati a écrit quelques
pages du plus haut intérêt (1). Il montre comment les philosophes
essayant de supprimer les distinctions et les oppositions pour atteindre
l'unité complète, n'ont abouti qu'à les consolider ou à les déplacer et
même à en augmenter le nombre.
Paris. F. -A. Blanche.
V
OUVRAGES GÉNÉRAUX DE PHILOSOPHIE.
LE R. P. HuGON, 0. p., a entrepris la publication, en latin, d'un
Cours de philosophie thomiste, dont quatre volumes sont déjà
parus : Logica minoret major (2) ; — Philosophianaturalis. Prima Pars :
Cosmologia (3) ; — Philosophia naluralis. Secunda Pars : Biologia et
Psychologia (4) ; — Metaphysica. Frima Pars : Metaphysica Psycho-
logica (5). Viendront prochainement, en deux volumes subséquents,
la V^ partie de la Métaphysique ontologique : l'être et ses pro-
pi-iétés, — enfin la 2°'« partie de la Métaphysique ontologique :
divisions de l'être. Dans la préface de son ouvrage, l'auteur nous aver-
tit qu'il omettra volontairement l'Éthique et la Théodicée : en effet, cet
ouvrage n'est dans sa pensée qu'une introduction, une « propédeutique »
à la théologie de saint Thomas, et l'on sait que dans la Somme Théolo-
gique le point de vue philosophique du traité de Dieu et de la morale
est représenté à l'état complet.
On voit par ces seules indications qu'il ne s'agit point ici d'un manuel
étriqué et de courte haleine, mais d'un véritable cours de philosophie,
exposant et élucidant les questions d'une façon large et copieuse. Ces
questions, nous ne voulons pas les analyser : elles, sont celles de la
philosophie spiritualiste traditionnelle, résolues du point de vue du plus
pur thomisme. Le contact immédiat avec la pensée du Docteur angé-
îique, avec celle aussi de ses commentateurs attitrés, en particulier de
Jean de Saint-Thomas, a permis au R. P. Hugon de s'assimiler, au
cours de longues années de professorat, la doctrine philosophique de
l'école dominicaine et de la rendre, non par juxtapositon de textes
alignés, — comme on le fait souvent, — mais d'une manière toute per-
1. The Attack on Distinctions. Journ. of. Phil. Fsijch. and Se. Methods.
19 déc. 1907, pp. 101-109.
2. Paris, Lethielleux, s. d., 1 vol. iii-8o carré, 508 p.
3. Paris, Lettiielleux ,s. d., 1 vol. in-8o c-arré, 326 p.
4. Paris, Lethielleux, s. d., 1 vol. in-8o carré, 342 p.
5. Paris, Lethielleux, s. d., 1 vol. in-8o carré, 256 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 371
sonnelle, en la synthétisant à nouveau, sans que cela nuise en rien à la
fermeté des développements et à l'exactitude des conclusions. En
tablant ainsi sur cette base traditionnelle, l'auteur n'a pourtant rien
négligé des ressources d'information de la science d'aujourd'hui :
c'est ainsi, par exemple, que la Cosmologie a sa thèse foncière, l'hylé-
morphisme, très bien illustrée et défendue par les progrès de la chimie;
de même la Psychologie fait constamment appel aux données des
sciences biologiques.
En faisatit grand honneur à l'érudition du R. P. Hugon, cet ouvrage
de pensée mûrie contribuera avec succès à la diffusion delà doctrine
philosophique de saintThomas. Les professeurs des grands séminaires,
pour lesquels une étude textuelle et directe de saint Thomas et de ses
commentateurs est souvent — faute de temps — fort difficile, trouve-
ront dans ces volumes un exposé ample et clair de la philosophie
thomiste, en même temps qu'un heureux essai d'harmonisation de cette
doctrine avec les conclusions scientifiques les mieux établies de notre
époque.
De moindre importance et de moindre envergure que le précédent,
le cours de philosophie scolastique : Elementa philosophiie scholas-
ticse{l), du D"^ Leb. Reinstadler, mérite cependant, par ses sérieuses
qualités, d'attirer l'attention. Il s'agit cette fois d'un manuel, où les
questions sont brièvement traitées, avec la rigidité forcément imposée
aux ouvrages élémentaires. Il est spécialement destiné aux élèves, et
l'auteur s'en remet au professeur pour développer les thèses succincte-
ment proposées ; ces développements étant d'ailleurs facilités par de
nombreuses références et d'abondantes citations. Il ne faudrait pas
croire pourtant que les thèses ne soient qu'ébauchées ; car elles sont
traitées de façon assez complète et satisfaisante. L'auteur déclare
vouloir s'inspirer de la doctrine de saintThomas : il s'en inspire surtout
à travers la Philosophia Lacensis des PP. Jésuites, le Cours de philoso-
phie de Mgr Mercier et les écrits et enseignements du P. Lepidi. Un
certain flottement se révèle dans sa pensée, quand il rencontre les
thèses foncières caractéristiques de la philosophie thomiste, dont les
conséquences, pour l'ensemble du système, ne semblent pas avoir été
sutrisamment entrevues. Sur les questions controversées, le D'' Rein-
stadler est donc volontiers conciliateur, par exemple sur la question
de la distinction réelle entre l'essence et l'existence, sur celle
du concours divin : les opinions de l'école thomiste lui semblent
d'ordinaire plus logiques et même «plus vraies», mais il ajoute:
« quse (sententia) magis placuerit illam bona cum pace quisque
teneat. » En Critériologie, en Psychologie, en Cosmologie, parties de
son ouvrage plus particulièrement développées, l'auteur s'inspire
immédiatement de l'école néo-scolastique de Louvain. Et nous ne l'en
blâmons pas. En fin de compte, nous pensons que cet ouvrage, étant
donné son esprit général et la clarté de son exposition, réalise fort bien
1. Fribourg en Brisgau, Ilerder, 1907; 2 vol. in 1-2 XXVIIl-466 p.; XVIII-
487 p.
372 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
le but qu'il se propose: être un manuel destiné aux débutants en philo-
sophie scolastique, particulièrement aux élèves des séminaires. Il les
préparera solidement à la théologie en leur donnant goût aux études
philosophiques.
La sixième édition de la Philosophia moralis du R. P. Victor Cathrein,
S. J., vient de paraître (1). Les mérites de cet ouvrage sont trop connus
pour que nous y insistions. Il fait partie, on le sait, du Cursus philoso-
phicus in usum scfiolarum auctoribus pluribus pliilosopJdce professoribus
in collegiis Valkenburgensi et Stonyhurstensi, S. J.. On sait également
que ces auteurs soutiennent en métaphysique et en morale, les doctrines
traditionnelles dans l'école jésuite : non-distinction réelle entre
l'essence et l'existence, probabilisme, etc.
M. l'abbé Dagneaux, avantageusement connu déjà par ses Leçons
de métaphysique (2) et son Histoire de la philosophie (3), vient de
publier un Cours de philosophie (4), dont le mérite ne le cède en rien
à celui de ses ouvrages précédents. Professeur de philosophie depuis
vingt-sept ans, l'auteur avait toute compétence pour écrire un manuel
traitant brièvement de l'ensemble des questions philosophiques.
S'adressant à des débutants, l'auteur évite de les accabler de détails
trop techniques; il procède toujours par les divisions les plus simples,
les plus classiques, soucieux de clarté dans l'exposé des diverses opi-
nions, de précision dans les raisons qu'il fait valoir. C'est à l'ensei-
gnement de saint Thomas que cet ouvrage emprunte le sens de ses
principales conclusions ; rien n'y est négligé pourtant des informa-
lions nécessaires, prises à la philosophie moderne.
Les mêmes qualités d'ordre et de méthode, de précision et de clarté,
le même souci d'information, — mais avec un exposé plus abondant —
se retrouvent dans la huitième édition, récemment parue, du Cours de
Philosophie [o, du R. P. Cu. Laur, S. J,. Cet ouvrage n'est pas un traité
de philosopljie scolastique, mais un cours spécialement destiné aux
candidats au baccalauréat es lettres et rédigé conformément au pro-
gramme officiel. La marche du traité suit scrupuleusement l'ordre même
du programme, non pas que l'auteur estime cet ordre le meilleur, — il
nous en avertit — et qu'il veuille par là enciiaîner la liberté du profes-
seur ; mais « uniquement afin que professeurs et élèves sachent oîi
trouver ce qu'ils cherchent. » Le succès de librairie de ce livre indique
assez la valeur de l'enseignement philosophique qu'il renferme. Remar-
quons comme particulièrement excellents les Appendices qui, après
chaque question, précisent des points particuliers, déterminent les
conséquences théoriques et surtout pratiques des doctrines proposées.
1. Fribourg en Brisgau, Herder, 1907; 1 vol. in-8o XVIII-562 p.
2. Paris, Lethielleux, s. d., 1 vol. in-S» carré.
3. Paris, Lethielleux, s. d., 1 vol. in-8o carré.
4. L Psychologie; =— IL Logiqiie, Morale, Métaphysique, Esthétique, Paris,
Lethielleux, s. d., 2 vol iû-12.
5. Psychologie, Logique; — IL Morale, Métaphysique, Histoire de la
philosophie; Paris, Beauchesne et C^e, 1908; 2 vol. in-8o, 553 et 560 pages.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 373
M. l'abbé Élie Blanc vient de publier un Diclionnaire de Philoso-
phie (1), à la fois bibliographique, historique et dogmatique. Dans une
intéressante Préface, l'auteur passe en revue, analyse et critique les
différentes œuvres lexicographiques qui ont précédé la sienne. Certaine-
ment ce nouveau Dictionnaire rendra de notables services. L'histoire
de la philosophie ancienne y a sa place, mais moins prépondérante que
celle de la philosophie moderne. Sans rien omettre des indications
nécessaires sur la vie, les œuvres, les doctrines des philosophes
d'autrefois, l'auteur accorde cependant plus d'attention aux philosophes
contemporains, surtout aux philosophes français et aux ouvrages publiés
ou traduits en notre langue. Les renseignements bibliographiques,
malgré quelques lacunes (très pardonnables, étant donné la recension
immense que suppose une pareille œuvre) sont des plus précieux. Mais
ce Dictionnaire est avant tout doctrinal et nettement dogmatique.
M. Blanc dit avec raison: «un dictionnaire de philosophie, ne fùt-il
qu'un simple lexique, est nécessairement doctrinal ; il est forcément
l'expression d'un système, d'une école, d'un groupe, tout au moins
d'une tendance, sous peine d'enregistrer simplement les opinions de
tout le monde et de perdre tout caractère. » (Préface, p. vu.) Ce dogma-
tisme qui, chez M. Blanc, s'inspire de la philosophie spiritualiste, est,
d'ordinaire, d'allure modérée ; les opinions des adversaires ne sont
pas ignorées, mais elles sont exposées et discutées consciencieusement.
Le volume qui contient environ 4. 000 articles, disposés par ordre alpha-
bétique, est complété par deux tables méthodiques dressées, l'une
selon l'ordre logique, l'autre selon l'ordre historique.
Kain. H. D. Noble, 0. P.
1. Paris, Lethielleux, s. d., 1 vol. grand in-8o carré, 1247 pages.
Bulletin d'histoire des doctrines
chrétiennes.
I. — Ouvrages Généraux.
M. 0. Pfleiderkr vient de réunir en volume, sous le titre de « Déve-
loppement du Christianisme », une série de conférences données devant
le grand public (1). Dans son intention, elles forment avec celles qu'il a
déjà publiées précédemment : « La Religion et les Religions », « Les
origines du Christianisme », une sorte de trilogie que domine une même
idée et dont le but est de fournir un coup d'œil d'ensemble sur la vie reli-
gieuse de Thiimanité, depuis ses débuts à notre époque. Dans le présent
travail, M. Pfleiderer montre comment le christianisme a évolué du pre-
mier siècle à l'époque de la Réforme, et au sein même de celle-ci. La pre-
mière partie, la seule qui rentre dans le champ de ce Bulletin, comprend
les chapitres suivants: 4. Paul et Jean, Apologistes et Aniignostiques ;
2. Les Alexandrins Clément et Origène ; 3. Dogme et morale ; 4. Culte et
institutions ; 5. Aurelius Augustinus ; 6. L'Église romaine-germanique ;
7. Scolastique et Mystique ; 8. Fin du moyen-âge. Il ne faut pas chercher
dans cet exposé rapide la rigueur scientifique ou même le récit continu
des faits : l'auteur marque les grandes lignes sans sarrêter au détail,
mais il se montre conférencier habile et avisé dans le choix des sujets,
tous significatifs, et dans la forme agréable qu'il donne à sa parole.
Quant aux idées, lui-même les caractérise dans une introduction, en les
rattachant à celles de Baur et de l'école de Tubingue. En conséquence il
s'oppose nettement aux tendances manifestées par Ritschl et Harnack.
Ni le travail théologique de saint Paul, ni les influences de la pensée
grecque, ne lui semblent une corruption du Christianisme. C'en est le
développement, c'est-à-dire « un devenir normal et finaliste dans lequel
tout est fruit et semence, chaque manifestation étant conditionnée par
celles qui précèdent et conditionnant celles qui suivent. » Il est vrai que
M. Pfleiderer entend par là une évolution allant jusqu'à transformer la
substance même du christianisme. Finalement celui-ci n'est, pour lui,
qu'une forme nécessaire peut-être, mais en tout cas passagère, de la vie
religieuse de l'humanité.
Je ne puis que signaler ici la réédition faite par M. R. Seeberg de son
Lehrbuch der Dogmengeschichte. T. I. (Leipzig, Deichert, 1908). N'ayant
pas cet ouvrage sous la main, il m'est impossible de signaler les amélio-
rations apportées par l'auteur.
1. Die Entwicklung des Christentums. Munich, J. Lehinann, 1907; iii-8,
VIII-270 pp.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 375
II. — MONOGRAPHIES DE DOCTRINES.
La Sainte Vierge. — Dans la Revue d'histoire et de littérature reli-
gieuses (1), M. G. Herzog a donné un complément à son article sur
La Conception Virginale. Cette nouvelle étude s'intitule :Za Sain/e Vierge
dans l'histoire, avec, en sous-titre, l'indication des chapitres suivants :
1. La virginité « in partu » ; 2. Débuts de la croyance à la sainteté, de
Marie ; 3. Progrès de la sainteté de Marie ; 4. Nouveau progrès de la
sainteté de Marie ; 5. La conception de Marie de S. Augustin à S. Bernard ;
6. La conception de Marie depuis S. Bernard jusqu'à Duns Scot ;
7. L'immaculée Conception. — Plus encore que dans le précédent
travail la méthode de l'auteur décèle une fantaisie incompatible avec
l'histoire, et on aurait tort de se fier au semblant d'érudition qui s'étale
au bas des pages. Enumération incomplète des documents, traductions
tendancieuses, inexactitudes de détail facilitent la tâche de démolition
que semble s'être assignée l'auteur.
Dans un article récent (2), M. A. d'AiÈs a critiqué les premières pages
de celte étude et mis à nu les vices de méthode qui larendent caduque (3).
Mais la meilleure et la plus efficace réfutation de pareilles thèses se
fera toujours par la composition de monographies sérieuses et objectives.
Or voici que précisément deux excellentes études viennent fournir une
réponse aux difficultés soulevées, après d'autres, par M. G. Herzog.
De toutes deux on peut dire en vérité qu'elles comblent une lacune dans
l'historiographie catholique.
La première due à M. E. Neubert (4), est une thèse présentée à l'uni-
versité de Fribourg (Suisse) pour l'obtention du doctorat en théologie.
Elle traite de la période anlénicéenne et comprend deux pai-ties : 1.
Marie dans le dogme ; 2. Marie dans la piété. La première « comprend
les affirmations dogmatiques que les discussions christologiques des
trois premiers siècles ont fait porter sur Marie, à savoir sa maternité
humaine, sa virginité dans la conception de Jésus et sa maternité
divine, ainsi qu'une étude sur les origines de l'article du symbole
« natus ex Maria virgine » ; la seconde partie traite des questions dans
lesquelles Marie a, dans une certaine mesure, attiré pour elle-même
l'allention pieuse des fidèles, c'est-à-dire de sa virginité perpétuelle, de
sa sainteté, de sa coopération à la Rédemption, et du culte de véné-
ration et d'invocation dont elle a été l'objet. »
D'une étude minutieuse et purement historique des sources primitives,
autres que les écrits inspirés, se dégagent les conclusions suivantes.
1. Septembre-décembre 1907; pp. 483-607.
2. Pour l'honneur de Notre-Dame dans Études, 20 fév. 1908, pp. 453-472.
3. Depuis, M. L. Saltet a montré dans le Bulletin de Littérature ecclésias-
tique (mars 1908) que cette soi-disant étude critique était « le travail d'un
éJionté plagiaire... Herzog, sans le dire, a tout simplement démarqué et
tourné contre nous certains chapitres de VHistoire de la théologie positive die
M. Turmel. »
4. Marie dans l'Église anténicéenne (Bibliothèque théologique). Paris, J. Ga-
balda, 1908; in-12, xvi-203 pp.
376 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Dès l'origine, le chrislianisme dut se défendre contre le docétisme qui
ruinait l'Incarnation. Il le fit en affirmant contre lui que Jésus est réelle-
ment né de Marie. « La lutte contre les négateurs de la naissance véri-
table, assez énergique dès les débuts, fut particulièrement vive à partir
du milieu du 11*^ siècle. Elle a trouvé son expression la plus parfaite dans
Tertullien, et tout en perdant de son importance après lui, elle s'est
poursuivie jusqu'à la fin delà période anlénicéenne.
» En même temps que la maternité humaine, la conception virginale
devenait un des grands dogmes du christianisme primitif. Cette croyance
qui, dès sa fixation dans les Évangiles, semble avoir été acceptée sans
contestations par les différentes Églises, fut mise en plein relief: 1° par
la lutte contre les Juifs et les Païens qui la niaient ou la travestissaient;
2'^ par la lutte contre les hérétiques dont les uns la rejetaient, et dont
les autres en méconnaissaient la signification ou en faisaient un argument
contre la vérité de la maternité. » S. Justin insiste tout spécialement sur
ce point.
« La maternité divine de Marie dut aussi être affirmée, du moins quant
au contenu de la croyance, dans la lutte contre les hérétiques, qui tous
refusaient de reconnaître l'union en un seul être des natures divine et
humaine. Cependant la manière dont la question était posée n'exigeait
pas l'emploi de l'expression « Mère de Dieu » : mais on trouve des
expressions équivalentes chez tous les Pères anténicéens... Peut-être
Origène a-t-il déjà prononcé le mot Gîoro/.oç. Mais on ne peut citer
aucun Père anténicéen qui s'en soit certainement servi, quoiqu'il ait cer-
tainement existé avant la lutte arienne.
» Les affirmations relatives à Marie, à cause de la corrélation intime
qui les unissait aux affirmations christologiques, servaient aussi à
garantir la saine doctrine sur le Christ. » Aussi l'article : « Né du Saint-
Esprit et de la Vierge Marie », fit-il partie du premier symbole connu,
le symbole i-omaiu, qui allait servir de base à tous les symboles posté-
rieurs ; et là où il n'existait pas encore le contenu de cet article était
au nombre des vérités que tout fidèle devait connaître.
« La question de la virginité in parlu, dès qu'elle s'est posée explici-
tement, a été partout résolue affirmativement, sauf par Tertullien... Il
en est à peu près de même delà question de la virginité /?os/ partum...
A partir d'Origène, nous ne rencontrons plus que des hérétiques pour
rejeter cette croyance. » — « La sainteté de Marie, déjà nettement carac-
térisée par saint Luc, est constamment affirmée durant la période
anténicéenne. La piété des fidèles a essayé de compléter les traits évan-
géliques de la physionomie religieuse de la Vierge. L'exemption de toute
faute en Marie est supposée par la façon de parler de tous ceux qui ont
fait allusion à ce point, sauf par Tertullien qui n'a guère vu en Marie
qu'une femme ordinaire et par Origène, qui, pour des raisons théolo-
giques et exégétiques, attribue à Marie une infidélité passagère. Cette
sainteté de Marie a pour principe sa qualité de Mère du Sauveur, et elle
est d'ordinaire mentionnée à propos de sa virginité. Marie apparaît
comme un idéal de vertu... Elle domine les autres saints, quoique non
encore aussi ostensiblement que dans la suite. — En même temps qu'on
considérait les rapports religieux qui unissaient Marie à son Fils d'une
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRETIENNES 377
façon spéciale, on s'aperçut aussi qu'elle devait lui être associée d'une
manière particulière dans l'œuvre même qu'il était venu accomplir... Le
côté actif de cette coopération, déjà marqué par S. Justin, a été mis en
relief surtout par . S. Irénée, dont la doctrine sera acceptée par les géné-
rations suivantes. — Marie ne semble pas avoir été honorée d'un culte
liturgique pendant les trois premiers siècles, ce qui n'est pas fait pour
nous étonner si Ton se reporte à la conception liturgique des premiers
temps ; mais elle fut certainement un objet de vénération pour les fidèles.
Cette vénération s'est traduite dans les récits sur la conception et l'enfan-
tement virginal, dans l'art des catacombes, dans les homélies des Pères
et surtout dans ce travail de glorification qui a fait d'elle un personnage
à part à côté de Jésus. On ne peut citer aucun témoignage certain
établissant qu'on ait prié la Mère de Dieu dès cette époque, mais le
silence des documents s'explique aisément, et la comparaison avec les
autres bienheureux qu'on invoquait au moins à partir de la moitié du
11^ siècle, ainsi que le pouvoir spécial d'intercession attribué à Marie ne
permettent pas de douter qu'à elle aussi aient été dès lors adressées
les prières des fidèles. »
Un autre travail du D"" Piiii. Friedrich s'occupe spécialement de St Au-
gustin et de sa théologie delà Vierge (1). Là, comme dans la plupart des
questions, le docteur africain a une importance spéciale : il résume la
tradition théologique antérieure et prépare la science de l'avenir. Son
témoignage est donc particulièrement significatif et il y avait avantage
à le formuler. Le D' Friedrich s'y est appliqué d'une façon complète et
méthodique, distribuant la matière en une série de chapitres qui épui-
sent le sujet : origine de Marie, sa virginité, sa maternité divine, grâces
et vertus, impeccabilité, sa place dans le plan divin, sa dignité et son
culte.
Avant de commencer l'analyse des textes, l'auteur, en quelques mots,
rappelle l'état de la théologie au moment où commence l'activité litté-
raire de S. Augustin. Descendant de David, Marie, sans le concours
d'aucun homme, a conçu dansson chaste sein le Sauveur et l'a engendré
sans perdre sa virginité. De plus, malgré son mariage, elle a gardé celle-
ci intacte après la naissance de son fils. Elle est Mère de Dieu. Par suite
d'une spéciale élection elle a reçu des grâces de choix, auxquelles elle fut
fidèle. La question de son impeccabilité est encore ouverte.
S. Augustin a accepté ce legs de l'antiquité chrétienne et l'a encore
développé. Au dire du D"- Friedrich (p. 273), la Mariologieaugustinienne
se caractérise par la mise en lumière de quatre propriétés de la Vierge :
virginilas in partu, vœu de virginité, maternité spirituelle et immunité
de tout péché personnel.
La descendance davidique de Marie a une grande importance pour la
mtssianité de Jésus; aussi S. Augustin, en se basant sur l'Écriture, la
soutient contre le manichéen Fauste. — Il professe très nettement la
virginité de Marie ante partum, in parlu, post partum, et il regarde, l'une
des deux premières au moins, comme vérité de foi. H explique la
1. Die Mariolof/ie des hl. Auguslinus. Cologne, J. P. Bachem, 1907; ia-S",
280 p.
378 revul: des sciences philosophiques et théologiques
seconde par un miracle. Quant à la troisième il nie l'existence de rap-
ports conjugaux entre Marie et Joseph après la naissance du Sauveur ;
ceux qu'on appelle les frères de Jésus sont en réalité ses cousins. Bien
plus, il affirme que Marie, dès avant la conception du Sauveur, avait fait
vœu de chasteté, et en même temps il soutient avec non moins de rigueur
l'existence du mariage entre Marie et Joseph.
L'explication qu'il donne de la maternité divine repose sur sa doctrine
christologique. Marie est vraiment Mère de Dieu, parce qu'elle a
réellement concouru à la conception du Christ et que le moment même
de la conception fut celui de l'union hypostatique ; il n'y eut donc jamais
dans le sein de la Vierge que la personne du Verbe.
S. Augustin a-t-il tenu la doctrine de l'Immaculée conception ? On a
beaucoup discuté et depuis fort longtemps sur ce sujet. L'examen établi
sur ce sujet par le D'' Friedrich est particulièrement remarquable. Il est
conduit avec une méthode rigoureuse qui, tenant compte de la chrono-
logie, des circonstances, du contexte, s'interdit toute conclusion hâtive.
L'opinion de l'auteur est que les deux textes invoqués pour faire de S.
Augustin un tenant de l'Immaculée conception sont insuffisants. L'un
{De natura elgratia, c. xxxvi, n. 42) ne parle que des péchés personnels,
l'autre {Opits imperf. c. Julianum, iv, c. 122) demeure beaucoup trop
vague pour qu'on puisse rien en tirer. Il est même possible que la pensée
d'Augustin sur ce point n'était pas nette, surtout au moment où il devait
lutter contre les Pélagiens.
Ces conclusions ont été combattues par le P. H. Kirfel, c. ss. r. (1)
qui veut faire de St Augustin un témoin du dogme de l'Immaculée Con-
ception. Il soutient que le D"" Friedrich n'est pas parvenu à établir le
contraire, mais on peut, avec non moins de raison, se demander si lui-
même est arrivé à faire la preuve de ce qu'il avance. — La même
position est défendue par le P. H. Morilla (2).
Par contre, dans la Revue Augustinienne (3), le P. Auguste Alvéry ne
fait guère que reproduire l'argumentation du D"^ Friedrich et, somme
toute, se rallie à son sentiment. 11 ajoute : « Sans doute nous pouvons
nous étonner que le sublime génie d'Augustin ne se soit pas élevé
jusqu'à la hauteur de cette doctrine, alors surtout qu'en fondant l'immu-
nité de Marie de tout péché personnel sur sa plénitude de grâce et
l'honneur du Christ, il en avait en quelque sorte établi les fondements.
Mais il ne nous est pas permis d'enseigner qu'il lui a été hostile. S'il n'a
pas tiré la conclusion si facile de ses propres prémisses, c'est que, dans
l'ardeur de sa lutte contre le Pélagianisme négateur du péché originel,
cette vérité ne s'est pas présentée à ses yeux. Au reste il possède une
gloire relativement plus belle, c'est de n'avoir rien écrit de positif contre
le futur dogme, malgré les innombrables occasions qu'il en eut... »
Le P. L. DoNCŒUR a commencé à étudier Les premières interventions
1. Der H. Augustinus und das Dogma der u7iheflechten Empfdngnis J^Jariens dans
Jahrbuch fur Philosophie und spelidative Iheologie (xiii, 2), pp. 241-268.
2. San Augustin defensor de la Concepciôn Immaculada de Maria, dans La
Ciudad de Dios, 5 Mars 1908, pp. 385-391.
3. 1.5 déc. 1907. Mariologie augustinienne, pp. 705-719.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 379
dti Saint-Siège relatives à V Immaculée Conception (XII^-XI\^ siècles) (1).
C'est une histoire assez obscure. Au XIP siècle, le Saint-Siège, sans
donner positivement son adhésion à la fête de la Conception de la sainte
Vierge « ne lui ménage plus les marques d'une significative tolérance. »
Il semble pourtant plus probable « que jusqu'en 1315 ou 1320, la fête ne
parutpas dans les usages liturgiques dits romains, approuvés par le
pape. » Dans le second quart du XIV^ s. elle fut adoptée par la cour
papale. Mais l'objet de cette fête était assez indéterminé pour se prêtera
tous les partis théologiques, la cour romaine n'en professant aucun.
Le Baptême. — L'ouvrage du D"" H. Alberts C^), malgré son titre, n'est
pas à proprement parler un ouvrage d'histoire, bien qu'on y rencontre
des données qui s'inspirent des faits primitifs. C'est bien plutôt un
ouvrage de propagande, à tendances mystiques, en faveur de la doctrine
anabaptiste. Le baptême d'eau n'est que la préparation du baptême de
l'Esprit, qui amène un changement dans les mœurs ; seuls les adulles
sont à même de le recevoir. Chemin faisant, l'auteur nie la Trinité qui,
selon lui, n'est pas mentionnée dans l'Écriture.
C'est surtout sur la controverse baptismale, dont S. Cyprien d'une part
('lie pape S. Etienne d'autre part furent lesprotagonistes,que s'est portée,
en ces derniers temps, l'altention des historiens. Le problème était
celui-ci : quand des hérétiques se présentaient pour entrer dans l'Église
Catholique, devait-on accueillir ces transfuges comme de vrais chrétiens,
dûment baptisés dans l'hérésie, ou bien considérant ce baptême comme
nul, les obligerait-on à recevoir le baptême de l'Église ? « La tradition
romaine était ferme dans le premier sens ; sur d'autres points de la
chrétienté, on hésitait. » Ainsi en était-il en Afrique et dans plusieurs
régions de l'Asie Mineure.
M. A. d'ALÈs a refait, après d'autres, l'histoire des débats durant les
années 2oo-2o7 (3). Sa critique des documents, l'interprétation qu'il en
donne, tout en demeurant personnelle, utilise largement les travaux du
D'^ Ernst sur ce sujet. Le point précis du débat était en ceci que S. Cyprien
requérait pour la validité du sacrement conféré selon le rite chrétien, au
nom de laTrinité, l'orthodoxie du ministre, tandis que le pape ne la récla-
mait pas. Celui-ci s'appuvait sur la tradition catholique contre laquelle
S Cyprien ne pouvait o[)poser que de mauvaises raisons. La théologie
sacramentaire de Tévêque de Carthage était encore loin de la précision
voulue. « Avec sa manière concrète d'entendre toutes choses, il consi-
dérait la personne du ministre un peu comme le vaisseau d'où la grâce
doit s'épancher sur les âmes. Dès lors comment imaginer que la grâce
découle d'une âme qu'elle n'a pas remplie ? Sa sévérité pour les ministres
indignes des sacrements, quels qu'ils fussent, est une conséquence
logique de ce principe... Il restait à élaborer toute une métaphysique du
sacrement, qui, en montrant dans le rite de l'Église une action accomplie
1. Bévue d'histoire ecclésiastique, Juillet, Avril et Octobre 1907.
2. Die Geistestaufe im Vrchristentum. Berlin, chez l'auteur, 1907; iu-S»
175 pa^es.
3. La (Question baptismale au temps de S. Cyprien dans Bévue des Questions
historiques, avril 1907, p. .353-400.
380 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
au nom du Christ, élèvera refficacité du ministère au-dessus des acci-
dents de personne, »
Parmi les ouvrages que suscita cette querelle, le Liber de rebaplismafe
est un des plus curieux. L'auteur, un Africain sans doute, dont le nom
n"est pas connu, y soutient les idées romaines. On ne s'accorde pas sur
la date de sa composition : le D"^ Ernst la place un peu avant septembre
2o6. Récemment, le D"^ H. Koce (1) l'a reportée un peu plus tard. Il fau-
drait la chercher dans l'espace de temps qui va de septembre 236 au
début de la persécution de Valérien, 257.
Mais c'est son contenu qui suscita le plus de discussions. Il y a une
dizaine d'années déjà, le D"^ Ernst posa comme suit la théorie baptismale
de l'anonyme. « Au dire de S. Cyprien et de ses partisans, le Saint-Esprit
et la grâce ne sont que dans l'Église. Mais le baptême d'eau des chrétiens
n'a pas pour mission de conférer de soi la grâce du Saint-Esprit. Il ne
donne qu'un droit à la communication future du Sainl-Esprit et de sa
grâce. Même régulièrement administré dans l'Église, le baptême (d'eau)
ne confère pas de soi la grâce salutaire. Rémission des péchés et grâce
sont l'œuvre du baptême de l'Esprit, et celui-ci, dans le cours ordinaire
des choses, est identique avec l'imposition des mains, la confirmation,
qui, d'après la pratique habituelle de l'ancienne Église, était conférée en
même temps que le baptême d'eau, mais pouvait aussi, lorsque celui-ci
avait précédé, être administré à part. Et donc, dans de nombreux cas,
le baptême de l'Esprit est, extraordinairement, conféré sans sacrement,
sans imposition des mains, même sans baptême d'eau précédant » (2).
Ainsi donc, d'après Ernst, l'anonyme se serait séparé de l'opinion com-
mune de son temps en soutenant que le baptême ne confère pas la grâce,
et qu'il n'est pas un sacrement complet : le baptême et la confirmation
n'auraient formé qu'un seul sacrement.
Cette interprétation fut attaquée, avec plus ou moins d'à propos, par
divers auteurs. Le savant professeur de Braunsberg, D"" Hugo Kocu,
vient, à son tour, de reprendre l'étude du problème dans une brochure
intitulée : Lie Tauflehre des Liber derehaptismale (3). Ilrejette les conclu-
sions fondamentales du D"^ Ernst, sans toutefois se rallier complètement
à aucune des opinions opposées. Selon lui,« l'auteur du Liber de rebap-
tismate s'en tient, au sujet de l'efficacité du baptême, au point de vue de
l'Église et se meut dans les voies tracées par les autres écrivains
ecclésiastiques.
» Dans le baptême d'eau des chrétiens, par la foi et en vertu de l'effi-
cacité spéciale du nom de Jésus qu'on invoque, les péchés sont remis,
les âmes purifiées... Le baptême forme le commencement delà vie de la
foi et de la grâce. Ce baptême d'eau est une sorte de baptême de l'Esprit
dans le Nouveau Testament, non pas comme s'il conférait le Saint-
1. Zeii und He'imat des Liber de rehaptismate, dans Zeitschrift fiir die
tieutestainentliche Wissenschaff, 1907, 3, pp. 190-220.
2- Die Tauflehre des Liber de rebapfismate, dans Zeitschrift fiir Katho-
lische Théologie, 1907, 4, p. 648-649.
3. Braunsberg, H. Grimme, 1907; ia-8o, 62 p.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 381
Esprit lui-même, mais en tant qu'il en prépare la communication et que
déjà en lui le Saint-Esprit opère. La collation du Saint-Esprit, de
façon normale, suit immédiatement le baptême par l'imposition des
mains (la confirmation), de façon extraordinaire, par Dieu lui-même.
Si ce n'est pas un évêque qui a conféré le baptême, l'imposition des
mains doit être suppléée. Par là le baptême est complété; néanmoins,
pour obtenir le salut, il suiïit à lui seul... Si le baptême et la confir-
mation sont conférés ensemble, comme c'est la règle, ils forment cepen-
dant non lin seul, mais deux sacrements qui, même séparés, sont com-
plets en eux-mêmes.
» L'auteur du Liber de rebaptismate ne conteste pas la valeur du bap-
tême des hérétiques. Pour lui, elle repose dans le pouvoir du nom de
Jésus et le caractère objectif de l'invocation de ce nom dans le baptême.
Évidemment ce baptême n'est pas utile au salut, car son action inté-
rieure est empêchée par la fausseté de la foi. C'est une forme vide
qui n'obtiendra son contenu et son opération salutaire que par la
pénitence et la conversion de ceux qui errent dans la foi... Le converti
sera reçu dans l'Église par la confirmation... L'anonyme ne distin-
gue pas au sujet de la valeur du sacrement entre les différents héré-
tiques... »
Le D"" Ernst, dans une réplique (1), a examiné les arguments du D''
Koch.U ne peut être question de présenter ici le détail de la discussion, il
faut noter que l'auteur de ce travail conclut en affirmant que, « sur la
question capitale, il regarde sa position comme absolument indemne. »
Eucharistie. — M. le D'' K. G. Goetz, privat-docent à Bâle, vient de
donner une seconde édition de son travail sur la question eucharistique.
Il n'a fait que modifier légèrement le titre (2) et ajouter une triple table.
L'ouvrage se divise en trois parties d'inégale longueur. Les deux pre-
mières exposent les controverses eucharistiques : 1° au moyen âge, 2° à
l'époque de la Réforme. La troisième, de beaucoup la plus importante
dans la pensée de l'auteur, se rapporte aux discussions soulevées durant
le XIX* siècle sur ce sujet. En réalité elle forme une étude sur le fond
même de la question.
On sait les opinions de l'auteur. Pour lui, l'Écriture seule peut nous
dire ce qu'est l'Eucharistie, et encore la tliéologie ancienne, y compris
celle de la Réforme, a eu le tort de croire que le Nouveau Testament,
dans ses divers livres, offrait une même notion de ce fait. D'après
M, Goetz, il n'en est rien, et de toute nécessité il faut distinguer les
actes de Jésus des interprétations qu'en ont données les écrivains
primitifs. Voici, pour autant qu'on peut s'en rendre compte, comment
la scène se passa. Jésus, à son dernier repas, dans la nuit oii il fut livré,
a dû vraisemblablement entretenir ses disciples de la prochaine sépara-
1. Loc. cit., p. 699.
2. Die heutige Ahendmahhfracje iiiihrer geschichtUchen Ento-icJdung, ein Versuck
zur Lôswiij. (Leipzig, Hinrichs, 1907; in-8°, viii-328 pp.) au Uea de Die Ahend-
inahlsfrage in ihrer geschichtlichen EntiricJdung. Ein Versiich ihrer LOsuiig, que
portait l'édition de 1904.
382 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
lion et ensuite de leur réunion future. A la fin du repas, il a encore
rompu le pain pour ses disciples et leur a tendu la coupe, formant ainsi
pour eux. une image sensible de lui-même, grâce aux paroles qu'il
ajoute : Ceci est ma chair et mon sang. De sorte qu'après sa mort, ils se
le représenteront par ce signe : ce que sont pour leur corps la nourriture
et le breuvage, Jésus l'est pour leur âme. Saint Paul, et par lui saint
Luc et les deux autres synoptiques, trouvèrent ce fait trop simple et le
proposèrent autrement aux fidèles. Du simple geste testamentaire de
Jésus, ils firent une Pâque nouvelle, abrogeant l'ancienne.
Ces théories, ainsi que leur critique, relèvent du Bulletin de théologie
biblique, oîi elles trouveront place (1). Il fallait cependant les mentionner
ici, car elles forment le point de départ des idées de M. Goelz sur la
tradition qui traite de l'Eucharistie. Les écrivains ecclésiastiques n'ont
fait, au cours des âges, qu'augmenter le contre-sens primitif de saint
Paul, et de développement en développement ils en sont arrivés à matéria-
liser de plus en plus ce signe, et à professer au moyen âge cette double
affirmation : que dans la communion on reçoit réellement, matérielle-
ment, dit l'auteur, la chair et le sang de Jésus, et que la messe est la
reproduction réelle du sacrifice de Jésus sur la croix.
Comme ces théories sont, aux yeux de M. Goetz, radicalement fausses,
il ne leur prête d'attention qu'autant qu'elles présentent un essai d'ex-
plication des textes scripturaires. Pour le reste, il n'éprouve pas vis-à-
vis d'elles l'embarras de quelques-uns de ses coreligionnaires et ne cher-
che pas à les interpréter dans un sens favorable aux doctrines protes-
tantes. Si l'analyse qu'il fait des œuvres de Paschase Radbert et de
Ralramne, par exemple, est contestable sur certains points, il n'hésite
pas cependant, pour ce qui regarde le dernier, à se rallier aux conclu-
sions du catholique Naegle et pense qu'on ne peut trouver, chez lui,
un exposé du pur symbolisme.
Mais tous les protestants ne professent pas vis-à-vis de la tradition
des opinions aussi dédaigneuses, et plus d'un même essaie de trouver,
pour ses idées personnelles, un point d'appui chez les écrivains ecclé-
siastiques les plus anciens et les plus autorisés. Parmi ceux-ci il faut
ranger saint Cyrille d'Alexandrie et surtout saint Augustin.
Tout récemment, le P. Maiié, S. J., a consacré au premier une étude
sérieusement documentée (2), oîi, à l'enconlre des prétentions de Steilz,
Harnack et Michaud, il montre par de nombreux textes que saint
Cyrille professe la présence réelle du corps historique du Christ dans
l'Eucharistie.
M. 0. Blank apporte sur saint Augustin et l'Eucharistie une bonne
monographie (3). Ses conclusions n'ajoutent rien de bien nouveau à
1. Eii attendant on peut voir la très judicieuse réfutation présentée par
M. P. Ladeuze : Les controverses récentes sur la Genèse du dogme eucharistique
(La Bévue d'Apologétique, 16 nov. 1906).
2. L'Eucharistie, d'après saint Cyrille d'Alexandrie, daus Revue d'histoire ecclé-
siastique, octobre 1907, pp. 677-696.
3. Die Lehre des hl. Augustin vom Salcramente der Eucharistie. Dogmengeschicht-
lirhe Stiulie. Paderborn, F. Schôningh, 1907 ; in-8°, iv-136 pp.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 383
celles qu'avait déjà présentées Schanz, mais son étude néanmoins
dépasse celle de son prédécesseur par son caractère exhaustif : tous les
textes où le saint Docteur traite de l'Eucharistie, ont été examinés et
critiqués. La méthode suivie est excellente. Parmi les écrivains ecclésias-
tiques, nul plus que saint Augustin ne doit être lu en fonction des
circonstances dans lesquellesil écrit. Une grande partie de ses traités
sont des ouvrages polémiques ; il faut donc, dans l'interprétation, tou-
jours tenir compte du point de vue auquel il se place, d'autant plus que
le bouillant Africain a, dans son langage, une tendance aux extrêmes.
M. Blank a donc bien fait de grouper les traités par ordre de temps et
de matière. Vis-à-vis des Manichéens, des Donatistes et des Pélagiens,
l'aspect de la question varie ; il n'est pas le même non plus dans des
sermons adressés au peuple fidèle ou dans des écrits à tendances apolo-
gétiques comme le De civitale Dei. Enfin il faut noter que jamais l'évê-
que d'Hippone n'a traité spécialement de l'Eucharistie et que souvent,
lorsqu'il en parle, il se réfugie dans le vague imposé par la discipline
du secret.
Voici les principaux résultats de cette enquête. Aucun des textes invo-
qués contre la présence réelle n'exclut nécessairement celle-ci, bien
qu'on doive concéder que quelques-uns d'entre eux puissent facilement
être mal compris, si on abstrait du contexte et des passages évidem-
ment favorables à la présence réelle. — Saint Augustin a spécialement
affirmé la signification spirituelle de l'Eucharistie et la valeur morale de
sa réception. C'est là son rôle propre dans le développement théologi-
que de cette doctrine. Mais il l'a fait en des termes tels qu'ils semblent
parfois difficilement cadrer avec les manières de parler usitées aujour-
d'hui parmi les théologiens. 11 est important, pour les interpréter, de
saisir la pensée directrice de l'auteur. S'il nomme, par exemple, l'Eucha-
ristie une figure, un symbole, un signe du corps du Christ, il faut
considérer que celui-ci, sous le voile des accidents du pain, n'est pas, ù
proprement parler, le corps du Christ sous ses propres apparences ;
c'est le sacrement du corps du Christ. De plus, tout en étant le corps réel
du Christ, l'Eucharistie est le symbole de son corps mi/slique. Idéechère
à saint Augustin. — Quant aux passages oii l'évêque d'Hippone semble
nier qu'on reçoive réellement le corps du Christ, il exclut seulement
l'idée «rossière des Capharnaïtes. — Si enfin la réception spirituelle est
affirmée être la chose principale, cette opinion est vraie à condition de
n'être pas exclusive, car la réception physique sans l'autre, ne saurait
procurer la vie éternelle.
Pénitence. — Comme il fallait s'y attendre, la controverse engagée
autour de l'édit de Calliste et dont il a été fait mention dans le précédent
bulletin, a continué. M. Vacandard (1), le premier, a repris la plume à la
suite d'une recension dans laquelle M. Lebreton se ralliait à l'opinion de
MM.Esser et d'Alès et jugeait la théorie adverse ^( trop facilement accep-
tée. » Il terminait son article par ces lignes oîi il a voulu « résumer et
préciser son opinion. » « D'après TertuUien, il y a trois péchés propre-
1, TertuUien et les trois péchés irrémissibles à propos d'une récente controverse
dans Revue du Clergé français, 1^^ avril 1907.
?84 REVU?: DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET TIIÉOLOGIQUES
ment mortels que l'Église — c'est-à-dire pour lui l'Église de Rome et
l'Église d'Afrique et par induction toutes les Églises — refuse de remettre
aux fidèles baptisés : Ce sont Timpudicité, l'homicide et l'idolâtrie.
» Calliste est le premier pape qui ait fait une brèche à cette disci-
pline en proclamant qu'il était tout disposé à réconcilier les adultères,
comme il en avait le droit et le pouvoir. La réalité de ce fait est attestée
par saint Hippolyte aussi bien que par TertuUien.
» On n'a pas de preuve que l'Église romaine ait, avant Callisle, admis
les adultères à la réconciliation. Le Pasteur d'Hermas, vers le milieu du
IP siècle, préconisait cette indulgence. Mais nous ignorons si sa voix fut
entendue.
» La sévérité de cette discipline pénitentielle forme-t-elle une tradi-
tion qui remonterait aux apôtres ? Il nous semble téméraire de l'affir-
mer absolument, mais on n'a pas non plus de motif de le nier.
» Kmbrassait-elle toutes les Églises? C'est ce qu'on ne peut dire avec
certitude. Le principe posé par saint Denys de Corinthe en faveur de
l'indulgence était-il une brèche déjà faite vers 170 à la discipline exis-
tante ou bien confirmait-il l'usage de son Église ? Nous l'ignorons...
» Calliste remit-il les péchés d'homicide et d'apostasie comme il fai-
sait pour l'impudicité ? Gela ne nous parait pas probable. En tout cas, on
n'aperçoit pas nettement de cas de réconciliation des apostats avant le
pape Corneille et saint Cyprien, c'est-à-dire avant les environs de
230. Un peu plus tard l'homicide fut lui-même rayé du nombre des pé-
chés irrémissibles. » (1).
Au fond le nœud delà question et l'objetprincipal de la controverse
sont dans l'interprétation des textes du De Pœnilenlia et du De Piidi-
citia de TertuUien. Si l'on est à peu près d'accord pour ce qui regarde
le second, pris absolument, il n'en va pas de même vis-à-vis du premier.
TertuUien y enseignait-il l'universalité de la réconciliation ecclésias-
tique ? M. d'ALÈs, dans une réponse à M. Vacandard (2), soutient l'affir-
mative. « En somme, dit-il, ce que le De Pudicitia dénie à trois sortes
de pécheurs, c'est la réconciliation ecclésiastique, et ce que le De Pœni-
tentia offrait à tous les pécheurs sans distinction, c'était la réconciliation
ecclésiastique ))(3). S'il y achangement, c'est donc chez TertuUien devenu
montaniste et non dans la pratique de l'Église romaine. Les témoi-
gnages, même réunis, de TertuUien et d'Hippolyte, ne sont pas suffisants
pour faire admettre que Calliste a innové : « car deux hommes en colère
peuvent, sans s'être donné le mot, faire séparément écho à une même
calomnie. Que tel soit précisément le cas de TertuUien et d'Hippolyte,
nous avons de bonnes raisons de le penser, et ces raisons nous sont
fournies par eux-mêmes » (4).
Même après cette démonstration, M. Vaca.ndard maintient sa pre-
mière conclusion à laquelle il ne voit rien, « absolument rien à chan-
1. L. c, p. 129-131.
2. La réserve des trois cas et Védit de Calliste, suite d'une controverse, dans
Revm du Clergé français, 1^»- mai 1907, p. 337-365.
3. L. c, p. 354.
4. L. c, p. 357.
BULLETIN D HISTOIRE DES DOCTRINES CHRETIENNES 385
ger. » (1) D'après lui, « dans le De Pœnitentia, Tertullien enseigne que
le pardon est accordé à tous les péchés, mais il n'indique pas si tous les
péchés sont pardonnes par le tribunal ecclésiastique. Dans le De Pudi-
citia, il enseigne pareillement que le pardon est accordé à tous les
péchés, mais il ajoute que certains péchés seulement sont remis par le
tribunal ecclésiastique et que d'autres sont réservés à Dieu. »
Tandis que la question était ainsi débattue en France, en Autriche, le P.
Stufler, d'Inspruck, soutenait vigom-eusement, contre leD"" Funk, l'opi-
nion de M. Esser (2), dans une série d'articles publiés par le Zeitschrift
fur katholische Théologie. Le dernier (3) vient même de déplacer quel-
que peu le terrain de la discussion. Tandis que les deux partis admet-
taient que dans ce contlit aucun principe dogmatique n'était engagé,
le P. Stuller affirme le contraire (4). Tous les catholiques, selon lui,
avant comme après l'édit de Calliste, le Tertullien du De Pœnitentia
comme les autres, professent que Dieu accorde en cette vie le pardon à
tous les pécheurs pénitents, même aux impudiques, et qu'en consé-
quence l'Église rfoji de son côté les recevoir. Par contre Tertullien, dans
le De Pudicilia et les Montanistes nient que Dieu fasse miséricorde en
cette vie à ceux qui se sontrendus coupables descrimes'capitaux, quoique
après la mort ils puissent rentrer en grâce. Le point fondamental
de la discussion n'est donc pas de savoir si l'Église, en vertu de déci-
sions disciplinaires, acceptait ou non àla pénitence les grands pécheurs,
mais d'établir si Dieu lui-même leur accorde le pardon.
La thèse soutenue par MM. Esser etd'xMès recevrait un sérieux appui
si l'on constatait dans l'Église, avant l'édit de Calliste, la rémission des
trois fautes réputées capitales. Le P. Stufler a pris à tâche d'en montrer
l'existence (5) même en Occident. Pour faire la preuve, il invoque des
faits et des doctrines. Parmi les premiers, voici ceux qui sont relevés.
Saint Irénée raconte que le gnostique Cerdon fut de nouveau admis dans
la Communauté chrétienne après sa chute, Marcion, si l'on en croit saint
Épiphane, aurait pu être absous du crime d'impudicité. Saint Polycarpe,
de passage à Rome, y réconcilia avec l'Église plusieurs hérétiques. Par
l'intermédiaire des martyrs de Lyon, quelques lapsi obtinrent la même
faveur. Eusèbe raconte que sous le prédéce^sseur immédiat de Calliste,
Zéphyrin, un certain Natalis fut réintégré dans la communauté chré-
tienne. Ces faits ainsi rapportés, le P Stufler conclut que l'Église occi-
dentale, durant le second siècle, non seulement connaissait une
pénitence post-baptismale, par laquelle on pouvait obtenir le pardon
divin, mais même admettait, pour tous les pécheurs pénitents sans
1. Ibid., p. 365-367.
2. M. Esser a mainteau, lui aus(si, son opinion clans i>lusieurs articles
publiés par le KathoUk (1907, II, pp. 184 sv. et 297 sv; 1908, I, p.
12 sv., isv.).
3. Zur Kontroverse ilher das Indulgenzedild des Papstes KalUstua, janvier 1908,
p. 1-42.
4. « Der Streit zwisclien beiden Parteien berûhrte also niclit eine bloss
disziplinâre Massregel, sondern war durchaus dogmatiscJier Natiir. » P. 21.
5. Die BussdiszipUn der abendlnndisrhen Kirche bis KalUstus, dans Zeitschrift
fiir latholisclie Théologie, juil. 1907.
2e .\nnée. — Revue des Sciences. — No 2, ,-
386 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
èxcepLion, hérétiques, lapsi, impudiques, la réconciliation ecclésiastique.
La même doctrine ressort des enseignements de deux auteurs romains,
Clément et Hermas. Ce dernier surtout est très significatif ; sa doctrine
pénitentielle peut se résumer dans les propositions suivantes : 1. Tous
les péchés commis après le baptême, même les plus graves, peuvent
être remis. 2. Il faut entendre par là, non seulement le pardon divin,
mais encore la réconciliation ecclésiastique. 3. Avant le Pasteur il y
avait déjà une seconde pénitence.
Dans l'Église orientale on ne trouve pas trace d'un rigorisme pareil
à celui que préconisent TertuUien elles Montanistes. Seul, un passage
d'Ov\gène (De Orat., 28) pourrait faire difficulté. C'est pourquoi le P.
Slufler lui a consacré un article spécial (1). Il y soutient que, ni l'en-
semble de la doctrine d'Origène sur la pénitence, ni le contexte immédiat
n'autorisent uneinterprétation rigoriste. Le docteur alexandrin professe
seulement que les évêqaes doivent traiter les péchés d'idolâtrie, d'adul-
tère et d'impureté autrement que les autres. Il ne faut pas les remettre
« par la seule prière », mais au préalable le coupable devra être exclu
temporairement de la communauté ecclésiastique et subir une pénitence
publique.
Enfin le même auteur recherche si la décision prise en 251 par les
Synodes carthaginois et romain de recevoir les /a/js/ après pénitence
fut une nouveauté dans la discipline pénitentielle (2). De l'examen des
lettres de S. Cyprien et d'autres documents de cette époque il conclut
que, dès avant le milieu du III^ siècle, les idolâtres étaient, comme tous
les autres pécheurs, réintégrés dans l'Église, dès qu'ils avaient satisfait
aux conditions imposées. Ce ne fut pas la persécution de Dèce qui, par
la force des circonstances, à cause du grand nombre des lapsi, amena
cette pratique ; celle-ci repose sur une tradition plus ancienne.
Tout récemment le D"^ H. Koch (3), remplaçant dans la discussion son
maître Funk, si malheureusement enlevé à la science, soumit à un
examen approfondi plusieurs textes de S. Irénée. Tous manifestent,
selon lui, que dans l'opinion de l'évêque de Lyon il n'y avait pas de
réconciliation ecclésiastique après le baptême. L'un d'eux {Adv. haer.,
IV, 27) est particulièrement intéressant, Irénée invoquant en celte
matière l'autorité de ses maîtres, les presbylres asiates. El ainsi, au
jugement de M. Koch, les églises d'Asie elles-mêmes n'auraient pas
uniformément tenu et enseigné la doctrine de la réconciliation.
La thèse doctorale du Rév. M. J. 0' Donnell est, comme son titre l'in-
dique, d'un intérêt plus général (4). Elle envisage les divers aspects de
la pénitence durant les premiers siècles. L'auteur, tout en restant
fidèle à la méthode historique, vise à présenter une réfutation du célèbre
ouvrage du D"" Lea, A history of Auriculai- Confession and Indulgences
\. Die Silndenmnjelung hei Origenes, ibid avril 1907, p. 193-228.
2. Die Behandlung der GefaUenen zur Zeit der desischen Verfoljuiig ; ibid., oct.
1907, p. 577-618.
3. Die Siindenvergebung bei Irenûus dans Zeitschrift fur die neutestamentliche
Wisse?ischaft, 1908, I, p. 35-4G.
4. Penance in the Earhj Ckurch ivith a shoii Slelch of subséquent Developement
Dublin, M. II. Gill and Son, 1907 ; in-12, VII [-151 pp.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 387
(Philadelphie el Londres, 189G). 11 comble ainsi une lacune de la litté-
rature historique chez les catholiques de langue anglaise. Son étude
est limitée aux deux premiers siècles de l'histoire de l'Église. Le dépouil-
lementdes sources a été fait d'une façon consciencieuse et les principaux
problèmes abordés avec méthode. L'interprétation est parfois un peu
optimiste, mais l'ensemble demeure solide.
Voici les principales conclusions : Dès l'origine, l'Église se reconnaît
le droit de remettre les péchés commis après le baptême. — De fait,
remettait-elle tous les péchés ou, pour des motifs d'ordre disciplinaire,
en réservait-elle quelques-uns, plus graves, au pardon divin ? L'auteur
admet que, même avant Calliste, cette réserve n'existait pas et le prouve
par des textes impliquant l'idée d'un pardon universel. Sur ce point
l'auteur se rattache donc à l'opinion professée par MM. Esser et
d' Aies, dont il semble pourtant ignorer les travaux. — Il y avait une
pénitence et une absolution publiques pour les péchés très graves. —
Tous les péchés graves devaient être confessés, publiquement parfois,
habituellement en secret ; les péchés véniels, en général, ne l'étaient
pas. — L'absolution était donnée par les évêques ou les prêtres spécia-
lement délégués à cet effet. Plus probablement elle était donnée après
l'accomplissement de la pénitence. Il est difficile de déterminer sa
forme; c'était, semble-t-il, une formule déprécatoire, avec imposition des
mains. — En dehors de l'absolution au lit de la mort, on ne remettait
pas une seconde fois les fautes graves pour lesquelles on avait subi la
pénitence publique. >
Il y a longtemps déjà que l'on discute les témoignages de S. Jean
Chrysostome sur la Confession. Depuis quelque temps, certains histo-
riens catholiques (1) renoncent à retrouver chez lui des traces de la con-
fession auriculaire. M. Turmel (2) vient de se rallier à cette opinion,
après examen des textes. Voici d'ailleurs ses conclusions : « 1, S.Jean
Chrysostome ne mentionne jamais la confession auriculaire ; 2. il s'est
efforcé de maintenir en vigueur la discipline de la pénitence publique
à laquelle étaient soumis les grands pécheurs, et qui comportait des
œuvres de pénitence jointes à la pratique des vertus chrétiennes, l'ex-
clusion delà table sainte, la sortie de l'église après la première partie
de la messe ; 3. en moraliste sévère qu'il était, il a astreint (ou en tout
cas menacé d'astreindre) à cette discipline des gens, comme les jureurs,
qui jusque-là avaient été exempts ; 4. surtout il a refusé l'Eucharistie
à tous les pécheurs qui, sans avoir rien fait pour prouver leur conver-
sion, se présentaient à la table sainte ;5. il a donc reconnu au prêtre le
pouvoir d'excommunier le pécheur el de le réconcilier avec l'Église ;
6. il a demandé au prêtre de travailler par de saintes industries à
éveiller dans lame du pécheur le sentiment du repentir et il a expliqué
dans le De sacerdolio que le prêtre remet ainsi les péchés commis après
le baptême ; 7. sur tous les points que nous venons d'énumérer, il est
le témoin de l'usage d'Antioclie et ne doit rien à Nectaire. »
1. Cf. Rauschen. Éléments de patrologie et d'histoire des dogmes. Trad,
Ricard, p. 192. Paris, 1908.
2. S. Jean Chrysostome et la Confesùon, dans Revue du Clergé français, l'"' janvier
1907, pp. 234 308.
388 REVUE DES SCIE^■CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
III.— MONOGRAPHIES D'AUTEURS.
Pères apostoliques. — La collection des Textes et documents publiée
par MM. H. Hemmer et P. Lejay, vient de donner une excellente édition
de la « Doctrine des Apôtres » et de l'Épître de Barnabe, avec une
élégante et exacte traduction due à M. A. Laurent (1). Le texte est celui
de Funk, avec des notes critiques très soignées ; on y a ajouté, pour le
premier de ces ouvrages, l'ancienne version latine, qui ne comprend que
la première partie, dite des Deux voies.
Une copieuse introduction rédigée par M. Hemmer traite les questions
d'histoire littéraire afférentes à la « Doctrine des Apôtres », et relève les
éléments qu'elle fournit pour l'histoire des doctrines et des institutions
ecclésiastiques. Pour en apprécier la valeur, il importe d'être fixé au
moins sur la date et le pays d'origine. ^L Hemmer incline à en placer la
composition vers 8o et à en chercher l'auteur en Syrie, ou en Asie
Mineure. « Elle nous apporte des enseignements souvent uniques sur la
pratique des premières communautés, sur le baptême, les jeûnes, les
temps de la prière, l'eucharistie, le ministère delà parole, la hiérarchie,
la pénitence. » Il importe, avant tout, de signaler les passages qui nous
décrivent l'organisation de la communauté. Il y a d'obord, suivant la
Didachè,\es ministres delà parole. Ils sont de trois sortes qui répondent
exactement aux trois catégories énumérées par St Paul (/ Cor., xii, 28),
apôtres, prophètes et docteurs. « La caractéristique générale de ces
prédicateurs, c'est qu'ils sont itinérants. — Ils circulent de ville en ville,
n'ayant charge d'aucune communauté, mais de l'Église entière... Ils sont
parmi les Églises un lien vivant, qui supplée à ce qui peut leur
manquer de cohésion en l'absence d'une hiérarchie solidement consti-
tuée. Leur autonomie est complète. Aucun supérieur ne les envoie :
L'exercice de leurs charismes ou dons spirituels, suffit à les accréditer
comme envoyés de Dieu... La hiérarchie sédentaire et locale est loin de
tenir dans la Didachr et dans la pensée de l'auteur la place que tiennent
les prophètes et les autres ministres de la parole. » Les membres en sont
choisis, par voie d'élection, pour une communauté dont ils font partie.
« Ils sont subordonnés aux ministres de la parole dont ils semblent être
simplement les substituts... La Didachè ne mentionne pas les presbytres
et ne donne aucune indication sur les droits respectifs des évêques et
des diacres. »
S. Ignace. — L'évêque d'Antioche, quelques années plus tard, présente
la hiérarchie ecclésiastique à un autre stade de son développement. Ses
lettres fournissent sur l'état de l'Église à son époque des renseignements
très précieux. Dans une thèse fort bien agencée (:2), M. H. de Gexouillac
les a recueillis et en a fait un vivant exposé. Voici son plan : 1. Étude
1. H. Hemmer, G. Oger et A. Laurent. Les Pères Apostoliques, I. (Textes
et documents pour l'étude historique du christianisme, publiés sous la direc-
tion de H. Hemmer et P. Lejay.) Paris, Picard, 1907; in-12, cxvi-122 pp.
2. L'Eglise chrétienne au temps de S. Ignace d'Antioche. Paris, G. Beauchesne,
1907; iii-8o, xii-258 p.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 389
du milieu ; 2. Le ciiristianisme au temps d'Ignace ; 3. Le corps de
l'Église ; 4. L'église mystique ; 5. Les églises ; 6. Les hérétiques.
Le milieu politique et religieux a-t-il exercé une influence sur le
christianisme et son organisation? La réponse de l'auteur est discrète
et judicieuse. On ne peut nier cette action, mais elle fut surtout indi-
recte. « Qu'il y ait eu une influence des institutions de la religion impé-
riale sur l'organisation de l'Eglise chrétienne, on l'accordera bien, mais
on ne peut pas y voir, avec M. Monceaux, le décalque de la hiérarchie
ecclésiastique sur les cadres de l'organisation romaine... Il n'y eut donc
pas d'imitation consciente et systématique, mais des coïncidences ; le
culte impérial, comme le christianisme, utilisa des cadres préexistants,
déjà éprouvés par le temps. »
Les chapitres III et l'V sont particulièrement importants : on y trouve
l'exposé des doctrines de S. Ignace Bur la hiérarchie. « La systémati-
sation abstraite des idées n'est pas son fait. Ce qu'il envisage c'est la
réalité concrète, les communautés existantes en Asie Mineure. » Elles
s'appellent è>cx.À/;(7Îat, ont une hiérarchie à trois degrés, évêques, prêtres
et diacres. Les dignitaires, à ce qu'il semble, sont élus dans une
assemblée des fidèles. Leurs pouvoirs sont de droit divin. Et tout cet
organisme est présenté non comme une nouveauté, une institution en
voie de formation, mais comme un fait déjà ancien. L'épiscopat monar-
chique existe sans conteste et il semble qu'aux yeux de S. Ignace toutes
les Églises en jouissaient.
« Il est sûr que non seulement chacun des presbytres était subor-
donné à l'évêque, mais encore que le Conseil même des anciens ou
presbyterion ne devait avoir comme tel qu'un rôle presque honorifique
et laissant intègre l'indépendance d'action de l'évêque... (Celui-ci)
est le chef du culte, à lui incombe la garde de la doctrine et le soin des
âmes. » — Les prêtres forment une collectivité, « leur rôle est exacte-
ment celui d'un Conseil, analogue à nos Chapitres... Au point de vue
liturgique, l'évêque peut déléguer à quelqu'un d'eux le pouvoir de
célébrer l'eucharistie, et probablement aussi l'agape et le baptême, » —
Les diacres font partie intégrante de la hiérarchie ; ils sont les instru-
ments dévoués de l'évêque. Jl est possible que les diacres fussent déjà au-
tour de lui les messagers de l'eucharistie, et qu'ils aient une part dans la
prédication. En tout cas, ils sont souvent chargés de missions de
confiance et vont comme ambassadeurs d'Église à Église. — En dehors
de ces trois degrés, saint Ignace mentionne « les vierges qu'on appelle
veuves». Elles représentent probablement les premiers essais du mona-
chisme dans l'Église.
En plus d'un endroit, saint Ignace insiste sur l'union mystique du
Christ avec son Église. Il en est la vie. « Il est notre vie dans le mystère
de sa passion et de sa résurrection ; il devient notre vie par la foi et
par l'amour ; il est tout spécialement notre vie dans l'eucharistie. »
Le Gnosticisme. — Il y a deux manières d'envisager le Gnosticisme,
Les uns l'étudient de préférence dans ses manifestations du II' siècle et
pensent que la forme sons laquelle il apparut alors marque son apogée.
Pour d'autres au contraire, celle-ci n'est qu'une corruption du vrai
390 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
gnosticisme sous Tinnuence des doctrines juive et chrélienne, avec
lesquelles il entra en contact. Aussi, ils s'essaient à retrouver à travers
le gnosticisme chrétien la forme primitive qu'il suppose. Des deux
ouvrages qu'il convient de signaler sur ce sujet, celui de M. E. Buo-
NAïUTi (1) représente la première de ces conceptions, un autre, de
M. W. BoussET, (2) se rattaclie à la seconde.
Le professeur italien a pour but de situer la gnose dans son milieu
historique, d'indiquer les sources qui nous la font connaître, d'exposer
ses principales manifestations (les gnostiques de la légende, — les
grands maîtres de la gnose, — les épigones du gnosticisme), enfin de
marquer son caractère doctrinal, ses rapports avec l'Église et la
société. Grâce à une profonde connaissance des sources, l'auteur a pu
présenter sur ce sujet des vues originales, exposées dans une rédaction
aisée. Trop volontiers cependant il recherche les comparaisons aven-
turées, et une certaine redondance du style nuit parfois à la précision
que réclame l'histoire.
A prendre la gnose telle qu'elle se présente au Il<= et au III* siècles, il
croit pouvoir y distinguer un double contenu, l'un « social et anthropo-
logique », l'autre « théologique et métaphysique », dérivé très probable-
ment de courants de pensée antérieurs au christianisme. En elle-même,
elle est un phénomène d'ordre religieux qui se manifeste dans les
grands centres et demeure l'apanage d'une élite. Elle forme une sorte
de réaction aristocratique contre le christianisme répandu parmi le
peuple, et c'est Alexandrie, son principal foyer, qui lui donna ce carac-
tère intellectualiste. Tandis que les masses rêvaient d'un millénarisme
glorieux, d'une terre regorgeant de fruits, où les corps mêmes des élus
seraient comblés de jouissances, le gnosticisme professe le mépris de
la chair ; à l'attente d'une récompense il oppose la confiance en une
participation à la nature du plérôme ; à la foi en l'égalité par la vertu
et le baptême, il oppose la distinction entre les matériels et les spirituels.
Quant à la doctrine gnoslique, ses postulats fondamentaux sont :
1° la transcendance absolue du divin, et, en conséquence, 2° l'existence
d'une série intermédiaire d'êtres, de perfection diverse, s'étageant entre
l'infini et le monde ; enfin 3° la rédemption considérée comme l'élimi-
nation progressive de la matière, l'existence de celle-ci étant le résultat
d'une faute.
Contre M. Harnack, M. Buonaiuti remarque fort justement que ni
l'établissement de la hiérarchie dans l'Église, ni ce qu'on appelle son
hellénisation ne dépendent de la gnose, puisque ces deux faits sont
antérieurs au premier contact qui se produisit entre elle et le christia-
nisme. L'auteur cependant ne nie pas toute influence soit dans l'ordre
intellectuel, soit dans l'ordre liturgique.
Tandis que M. Buonaiuti juge presque oiseuse la recherche des ori-
1. Lo Gnosticismo. Storia di antichc lotte religiose. Rome, Ferraxi, 1907;
ia-12, 288 pp.
2. Hauptprohlemc der Gnosis. (ForscMingen ziir Religion und Literatur des
Alicn und Neucn Testaments, lirsg. von. W. Bousset und H. Gunkel, H. lO.j
Gœttingue, Vaudenhoeck et Ruprecht, 1907; in-8o, vi-398 pp.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES ^91
gines lointaines de ce nmouvement vu le peu de solidité des conjectures
qu'on peut émettre, M. Bousset n'a pas craint de consacrer un gros volume
à ce travail. Et cela s'explique car, je l'ai déjà marqué plus haut, les deux
auteurs ont une idée différente de la gnose. M. Buonaiuti la trouve au
IP siècle, le professeur de Gœttingue la cherche plus loin dans le passé.
Pour lui la gnose du II* siècle n'est pas « une puissante manifestation
intellectuelle, ni une marche en avant, mais bien plutôt un recul, une
réaction de l'ancien syncrétisme contre les tendances à l'universalisme
religieux. Mémo ces chefs d'école qui, plus tard, reçurent les illuminations
de l'esprit grec, ne sont pas les hommes de l'avenir mais les représen-
tants du passé qui. par des compromis laborieux, mais intéressants au
point de vue intellectuel, cherchaient à sauver encore une cause
perdue. » C'est pour tenter la reconstitution dun mouvement religieux
n'ayant de soi rien avoir avec le christianisme, que M. Bousset établit
ses minutieuses analyses.
Il les poursuit durant sept chapitres qu'il est à peu près impossible de
résumer, vu l'abondance des détails. En voici les titres : 1. Les « Sept »
et la Mr-Tip ; 2. La « Mère » et le « Père inconnu » ; 3. Le dualisme
de la gnose; 4. L'homme primitif (Urmensch) ; 5. «éléments et
Hypostases « ; 6. Le Sauveur gnostique ; 7. Les mystères.
Le but de l'auteur a été d'amasser une somme considérable et variée
de doctiines, de pratiques appartenant à la gnose et de les comparer
aux autres manifestations religieuses de l'antiquité. Et cette idée a
commandé la méthode de son travail qui se réduit à peu près à ces
deux points, dépouillement très copieux des sources et comparaison
des résultats avec les idées et pratiques des religions connexes.
Les conclusions sont présentées dans un dernier chapitre. En
comparant les sectes gnostiques les plus anciennes, Ophites (Irénée),
Nicolaïtes (Hippolyte et Épiphane), Archontiques (Épiphane), on peut
arriver à une idée de la gnose primitive. En voici les grandes lignes : « Un
dieu suprême, inconnu et innommé, dont l'essence est la lumière ; près
de lui la Mv;-yîp et, au-dessous de ce monde supérieur, les êtres demi-
dieux, demi-démons, les sept princes des planètes... A la tête des sept —
du moinsdans la forme primitive — Jaldabaoth, à tête de lion, ([ui paraît
identifié avec le Dieu de lÂncien Testament; c'est de là qu'en partie vient à
celui-ci le nom de Sabaoth. Un mythe de la création de l'homme parles
sept enseigna que les hommes, ou du moins quelques-uns d'entre eux,
dès l'origine portaient en eux un élément supérieur, provenant du monde
de la lumière et en vertu duquel ils pouvaient s'élever au-dessus du
monde des sept jusqu'au monde suprême de la lumière, du Père inconnu
et de la Mère céleste. Dans leurs mystères, les Gnostiques apprenaient
avant tout la manière dont leur âme, après la mort, pourrait s'élever à
travers le mond<^ des archontes. » Quant aux origines de ces idées, « la
doctrine fondamentale d'un Dieu suprême inconnu et des Sept qui lui
sont soumis est sortie du choc des idées religieuses de la Perse et de la
Babylonie. Dans l'idée de l'origine céleste de l'âme humaine et de sou
retour au lieu d'où elle est sortie par la pratique d'exercices de piété, on
peut voira la fois des influences grecques et orientales. La question de
la M/'ryio est plus compliquée et sa genèse moins facile à saisir ».
392 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Il y a dans l'ouvrage de M. Bousset des comparaisons hâtives, des con-
clusions forcées : toute similitude n'implique pas dépendance ; mais,
il demeure précieux à cause des nombreux matériaux qui y ont été
accumulés.
Apologistes. — En faisant connaître aux lecteurs de la collection La
Pensée Chrétienne les idées principales des Apologistes du 11*^ siècle (1),
M. J. Rivière les a considérées comme formant un même bloc oîi la per-
sonnalité des auteurs particuliers disparaît. Le procédé, au premier abord
peut sembler étrange ; mais, comme le remarque justement Mgr Batiftbl
dans la pénétrante introduction qu'il a placée en tète de l'ouvrage « autant
s'efface l'individualité de ces apologies, autant s'accuse la physionomie
du groupe : l'œuvre des Apologistes est une... C'est chez tous, ou bien
peu s'en faut, avec une attitude unique d'esprit, un petit nombre d'idées
communes qui peuvent, sans trop d'injustice, donner l'illusion dun
système. »
Ils sont d'abord, et cela va de soi, apologistes ; ils défendent le chris-
tianisme contre les accusations portées par les païens, et même, pour le
faire plus sûrement, attaquent à leur tour le paganisme. Mais ils ont fait
plus, en étudiant le contenu de la doctrine chrétienne. Pour la présenter
sous la forme la plus acceptable aux hommes du dehors, ils en ont fait
une philosophie. Il est incontestable qu'en agissant de la sorte ils ont
quelque peu exténué le christianisme. Mais cela tient à la position qu'ils
prenaient. « On ne peut oublier que nos Apologistes ont écrit pour
(.( ceux du dehors », pour les non-chrétiens et avec le dessein de concilier
au christianisme leur attention, leur sympathie : l'apologétique tient
toujours des défauts de l'exorde insinuant. On s'explique ainsi que, sur
les questions de doctrine, ils se contententde généralités. On manquerait
de sens historique, si on faisait aujourd'hui de leurs réticences des
négations, ou si, à la moindre de leurs affirmations, on donnait une
valeur dogmatique. » Pourtant, S. Justin fait exception et sa théologie
est plus riche que celle des autres .\pologistes.
Tout cela, M. Rivière l'a rendu sensible dans son livre par le choix
heureux et l'agencement des textes.
S. Irénée. — La Bibliotheca Sanctorum P atrum el Scriplorum ecclesiasti-
co;'M?n, publiée à Rome, a déjà donné quelques bonnes éditions des Pères :
celle du Contra Hxreses de S. Irénée due à M.U. Mannucci, et dont les
deux premiers livres ont déjà paru, comptera parmi les meilleures (2). Le
texte a été sérieusement revu et collationné sur quatre mss. du
'Vatican ; des notes explicatives et critiques très copieuses facilitent l'in-
telligence du texte ; une introduction enfin présente sous une forme
concise les données afférentes à la vie, aux œuvres et au rôle théolo-
gique de l'évéque de Lyon. L'auteur signale avec raison l'importance
1. Saint Justin et les Apologistes du second siècle. (La Pensée chrétienne).
Paris, Blond, 1907; in-16, xxxvi-346 pp.
2. Irenaei Adversus ha"reses libri qiiinque. P. 1-IL (Bibliotheca Sanctorum
Patrum et Scriftorum cc-^lcsiasticorum). Rome, Direction de la Bibliotheca
13-15 via dei Crescenzi, 1907; in-S», 476 pp.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 393
d'Irénée comme adversaire du gnosticisme. Il en demeure aussi le témoin,
car il nous a fait de plusieurs écrits gnostiquès un résumé, dont
les découvertes récentes ont permis de contrôler l'exactitude. Comme
théologien, il marque une époque. A proprement parler, il est même le
premier théologien dans l'Église, et les écrivains postérieurs lui sont
largement redevables. Il est des points qu'il a spécialement mis en
lumière et qui, depuis, sont demeurés acquis, p. ex. l'importance doc-
trinale de la tradition et du magistère ecclésiastiques.
Tertullien. — L'ouvrage de M. K. Adam étudie, comme son titre l'in-
dique (1), le concept d'Église chez Tertullien. Mais en réalité il est d'un
intérêt plus général, car, à propos de ce point particulier, il permet de
saisir l'évolution intellectuelle du célèbre Africain. Le montanisme sépare
en deux périodes la vie littéraire de Tertullien et M. Adam a raison de les
étudier séparément. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que
le Tertullien catholique avait déjà dans ses idées certaines tendances qui
le disposaient à devenir l'adepte du montanisme. C'est ce que fait bien
voir l'auteur.
Mais peut-on parler, à propos de l'apologiste africain, d'une doctrine
sur l'Église '? A vrai dire, il ne l'a jamais nettement. définie, il semble
même que ses conceptions eschatologiques l'empêchaient de le faire.
Croyant à la fin prochaine du monde, il ne jugeait pas l'Église une ins-
titution durable. Il n'insiste que sur un point, la nécessité pour les
fidèles d'être des saints dans l'attente du jugement final.
Néanmoins Tertullien, au début de sa carrière du moins, était encore
trop sous l'influence de l'organisation ecclésiastique traditionnelle pour
que son intelligence y échappât complètement. Il formule donc, de-ci
de-là, quelques idées qu'il y a avantage à grouper. Elles se ramènent à
trois points : règle de foi, discipline, sanctification.
L'Église, pour lui, est avant tout un organe doctrinal. La règle de
foi ne consiste pas dans l'Écriture, mais dans l'enseignement concor-
dant des Églises, sous la direction de i'Esprit-Saint. Les évêques en
sont les témoins qualifiés, mais témoins purement humains, n'ayant
qu'une autorité disciplinaire. D'ailleurs, pour Tertullien le dogme est
un capital mort que l'on conserve, mais qui n'est pas susceptible de
nouveaux développements. En conséquence de ses idées sur le pouvoir
doctrinal des évêques, Tertullien ne pouvait accorder au siège de
Rome l'infaillibilité proprement dite ; il lui reconnaissait cependant une
autorité spéciale, fondée, non sur la primauté de saint Pierre, mais sur
ce fait que trois apôtres ont concouru à la fondation de cette Église et
lui ont par là conféré une autorité spéciale.
La discipline a pour objet tout ce qui tend à la pratique. C'est le
second lien qui, avec la règle de foi, retient les chrétiens. L'évêque est
chargé de l'appliquer. Il est le chef absolu, devant lui les prêtres et les
diacres ont un rôle très effacé. A côté d'eux, dans l'Église, les veuves et
les martyrs ont une place à part. Ces derniers interviennent, comme
1. Der Kirchenhegriff TertidUans. (Forschiingen zur christlichen Llicrutur-
und Dogmengeschichte hrsg. Von Dr A. Ehrhard xind Dr J. P. Kirsch, VI, 4).
Paderborn, F. Schôningh, 1907; in-8o, viii-229 pp.
394 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
inlercesseurs,dans l'administration delà pénitence conférée par l'évêque.
L'Église, enfin, détient et confère la grâce qui vient du Christ. Les
sacrements sont le trésor oii celle-ci repose. Dans la pensée de Tertul-
lien, le vrai sacrement c'est le baptême ; il opère sans le concours des
hommes qui le confèrent. Â côté de lui l'Eucharistie qui nourrit « par
le pain sacré dans lequel le Christ est présent. » Tant qu'il demeura
catholique, Tertullien admit la pénitence après le baptême, et pour
toutes les fautes même capitales. Le Dr Adam se rallie donc par cette
iuierprétation à l'opinion soutenue par MM. Esser et d'Alès. Le pouvoir
sanctificateur s'exerce par le sacerdos, l'évêque surtout.
Une seconde partie présente les idées de Tertullien devenu montaniste.
Ainsi qu'il a été noté plus haut, il ne faut pas chercher une brusque
scis.sion dans les doctrines de l'ardent catholique devenu fervent disci-
ple de Montan. Il suffit pour s'en convaincre de lire les chapitres consa-
crés à ce sujet par M. Adam (pp. 121-151). S'il faisait déjà une part
considérable à TEsprit durant la première période, pendant la seconde
elle devient absolument prépondérante. Désormais Tertullien professe
que le Paraclet est venu accomplir, terminer ce que le Christ et les
Apôtres avaient laissé in;ichevé. C'est lui le vrai chef : en conséquence
l'autorité des évêques, celui de Rome y compris, est diminuée sur le
triple terrain doctrinal, disciplinaire et sacramentel.
M. P. de Labriolle a examiné Un épisode de lliistoire de la Morale
chrétienne, La lutte de Tertullien contre les secondes noces (1). Il montre
la progression rigoriste s'atfirmnnt dans les traités Ad iixorem. De
Exhorlalione caslitatis et De Monogamia. C'est la condamnation absolue
des secondes noces ; si finalement Tertullien n"a pas rejeté le mariage
lui-même, c'est probablement par crainte de tomber dans les erreurs
gnostiques qu'il combattait, même comme montaniste.
Hermias. — L'importance doctrinale de VIrrisio philosophorum,
œuvre d'un certain Hermias qu'il est impossible pour l'instant de
déterminer, n'est pas très considérable. L'auteur cherche moins à donner
une réfutation logiquement ordonnée des philosophes païens qu'à les
tourner en ridicule. De plus on peut difficilement utiliser cet ouvrage à
cause de l'incertitude qui règne non seulement sur son auteur, mais
même sur la date de sa composition, qui, suivant les diverses opinions,
varie du II" au VP siècle. Aussi c'est ce point qu'on tente en premier
lieu d'éclaircir. A. Freiherr von Di Pauli vient de s'y essayer à son
tour (2). Il conclut en plaçant cet ouvrage avant 220. Les raisons sur
lesquelles il se base sont celles-ci : 1. LIrrisio a été utilisée par la
Cohortatio ad gentiles composée vers 220 ; 2. Le titre indique une haute
antiquité ; 3. De même le récit de la chute des anges ; 4. Le néo plato-
nisme n'est pas mentionné.
Il est juste d'ajouter que M. J. Draeseke (3) tente une réfutation de
1. Annales de Philosophie chrétienne, juillet 1907; pp. 362-388.
2. Die Trrisio des Hermias. ( Foi-schuiif/en zur christlichen Literatur- und Dngmeii-
geschichte bps^r. von D"" A. Eiirhard und D"" J. P. KiRSCH, vu, 2) ; Paderborn, F.
Schôningl), 1907 ; in-8°, 53 pp.
3. Theologische Literaturzeitung , 15 fév. 1908, pp. 111-113.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 395
tous ces arguments et maintient complètement l'opinion qu'il avait
émise sur ce sujet en plaçant la composition de VLrisio, au plus tôt, à
la fin du IV* siècle.
Saint Athanase. — En 1896, dans le Zeilschrift fur Kirchengeschichle,
Seeck soutint des conclusions qui renversaient toute l'histoire des débuts
de l'arianisme. Mais les hypothèses critiques émises sur la valeur des
documents qui en forment la base, l'appréciation portée sur les divers
personnages qui y prirent part, étaient trop opposées à ce qu'on avait
regardé jusque-là comme acquis pour qu'elles fussent acceptées sans
contrôle. Son effort avait porté spécialement contre saint Athanase.
L'Évéque d'Alexandrie aurait, selon lui, dissimulé certains faits dans
l'histoire des origines de l'arianisme ; il serait l'inventeur de la légende
sur la mort d'Arius; enfin il aurait falsifié deux lettres impériales. Pour
ce qui est de quatre autres documents falsifiés, certainement falsifiés,
Seeck hésitait à retrouver là encore la main d'Athanase. Ce sont ces
conclusions que le Dr SiG. Rogala vient de soumettre à un examen
approfondi (1). Il suit pas à pas son devancier et si son travail perd un
peu, pour ce motif, en ampleur et en intérêt, la démonstration n'en est
que plus rigoureuse. Il établit à l'opposé des affirmations de Seeck la
véridicité et l'autorité historique d'Athanase. Sans doute, remarque-t-il,
il faut reconnaître qu'il était intéressé dans les événements racontés
par lui ; sans doute aussi on retrouve dans ses écrits les restes de la cha-
leur du combat ; mais lorsqu'il rapporte un fait historique nous pouvons
lui accorder toute confiance, même lorsqu'il uest pas complèlementdéga-
gé d'un certain subjectivisme dans sesjugements sur les personnes et les
événements. Le Dr Rogala en fait la preuve par des arguments qui
relèvent plus de l'histoire littéraire que de l'histoire des doctrines : il
n'y a donc pas lieu d'y insister ici.
M. F. Cavallera, dans l'ouvrage qu'il consacre à saint Athanase (2),
est du même avis sur ce point (p. 19). Mais ce qu'il met en relief avant
tout c'est la place de l'évêque d'Alexandrie dans l'histoire de la théolo-
gie trinitaire. Il forme avec quelques autres la seconde génération de
ceux qui furent mêlés aux longues querelles dogmatiques suscitées par
Arius et ses partisans. Plus jeune que les Pères de Nicée, il appartient
à un milieu antérieur à celui dont Basile et les deux Grégoire furent les
plus illustres représentants. Cette simple position chronologique expli-
que la plupart des divergences qu'on a relevées contre ceux qui le pré-
cèdent et ceux qui le suivent. Il y a distinction, non opposition. « Saint
Athanase n'est pas un théologien dans le sens technique du mot. C'est
un docteur qui commente le dogme, tel que la tradition et l'Écriture le
lui transmettent. Faisant face à des ennemis qui portent la lutte au
point vital, il n'a pas le temps de spéculer sur les idées ; il commettrait
même parfois une faute de tactique à essayer de bâtir une théorie pour
1. Di' Anfange des arianisehen Streites (Forschungen zur Literalur- ïind
Dogmeri(j'.schichte hrsg. voa Dr A. Ehrhard und Dr J. P. Kirsch, VII, 1).
Paderborn, F. Schôningh, 1907; in-S», iv-115 pp.
2. Saint Athanase (295-373). {La Pensée chrétienne.) Paris, Blond, 1908;
in-lG, xvi-352 pp.
396 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
mieux faire accepter sa doctrine. On peut scruter les œuvres trinitaires
de saint Athanase, on n'y trouvera point les éléments de ce qu'on est
convenu d'appeler un système. »
« Si au point de vue de la spéculation théologique sa valeur est peut-
on dire nulle, au point de vue dogmatique, elle est incomparable.
Nul au IV^ siècle ne me parait le surpasser pour Fampleur dans le
développement de la doctrine, la richesse de l'information scripturaire
et, en dépit des défauts qui lui sont communs avec son temps, l'à-propos
de ses citations bibliques ; surtout par la profondeur de sens chrétien
qui lui fait conime naturellement chercher, en toute doctrine, le côté
par où elle pénètre jusqu'au plus intime de l'àme pour la vivifier, l'exci-
ter, rénover en elle la vie spirituelle et l'énergie pour le bien. »
S. Ambroise. — Le D"" Joii. Ev. Niederhubf.r, à qui l'on doit déjà une
étude sur la doctrine sotériologique de S. Ambroise (1), vient de publier
sur l'eschatologie du même docteur un nouveau travail qui se recom-
mande par l'abondance de l'information, l'heureuse distribution des
matières et la clarté de l'exposition (2). Si une plus large place avait été
faite à l'étude comparative des doctrines, afin qu'on put mieux saisir
l'originalité de S. Ambroise vis-à-vis de ses prédécesseurs, cette œuvre
serait de tous points excellente.
Deux grandes parties divisent cette monographie : 1. Fins dernières
de l'individu : 2. Fins dernières de la race humaine et de l'univers.
I. Individu. — La mort est la séparation du corps d'avec l'àme, celle-ci
demeurant immortelle. Tous les hommes sont soumis à la mort ; S. Am-
broise pourtant relève quelques exceptions mentionnées par r.\ncien
Testament ; il ne dit pas si plus tard ces quelques privilégiés devront
subir le sort commun. En soi la mort est un mal, mais elle est cepen-
dant la délivrance de bien des maux d'ordre physique et moral. L'àme
délivrée du corps est plus active dans ses fonctions.
Après la mort, tous les hommes doivent passer par le feu, c'est-à-dire
le jugement. 11 n'est pas le même pour tous : les justes le traversent pour
aller directement au paradis, les infidèles et ceux qui ont des péchés
graves restent dans le feu qui devient un feu vengeur ; ceux enfin qui
n'ont que des fautes légères traversent le feu, mais non sans être restés
quelque temps soumis à ses atteintes, c'est un feu purificateur et
douloureux dans ses effets. Le jugement définitif pour les pécheurs ne
se fera qu'au jugement dernier.
S. Ambroise admet certainement les suffrages pour les morts. Parmi
eux il range les prières privées, le sacrifice de la messe, l'aumône,
l'invocation des martyrs et des apôtres. Leur but est de recommander
les âmes à Dieu, afin qu'elles obtiennent le repos parfait.
Quant au bonheur céleste, S. Ambroise le représente comme une
béatitude parfaite, consistant, d'une part, dans l'absence de toute peine, et
1. Die Lehre des hl. Ambrosius vom Reiche Gottes aiif Erden. [lors-
chungen zur christlichen Literatur- und Dogmengeschichte hrsg. von Dr A.
Ehrhard xmd J. P. Kirsch, IV^ 3-4). Mayence, Kirchheim, 1904.
2. Die Eschatologie des heiligen Ambrosius. {Forschungen... VI, 3). Padcrljorn,
F. Schoningh, 1907, in-8o, XI 1-274 pp.
BULLETIN d'histoire DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 397
dautre part dans Tuaion avec Dieu, la participation à sa gloire, la vision
sans ombre de sa face. Parmi les biens accidentels, il compte ce qu'il
appelle res habilationis, c'est-à-dire les charmes de la demeure céleste
et la société des anges et des saints. Celte béatitude est une récompense
subjectivement variable selon les mérites et causant une différence de
gloire au ciel.
La damnation est infligée aux démons, aux impies, aux infidèles et
aux pécheurs coupables de fautes graves. Elle consiste d'abord dans
l'exclusion du royaume de Dieu et des biens qu'il comporte, en consé-
quence, dans la séparation d'avec Dieu et les saints. A ce châtiment
s'ajoutent des peines positives ; elles sont liées avec le lieu de séjour des
damnés, l'enfer. S. Ambroise le place dans les régions inférieures et se
le représente comme un lac de feu, matériel, semble-t-il. Les damnés
sont punis aussitôt après leur mort et leur châtiment est éternel.
II. Univers. — Le second avènement du Christ aura lieu à la fin du
monde. Le saint docteur ne détermine pas l'époque d'une façon plus
précise. Personnellement il le croit prochain. Certains signes précé-
deront sa venue. Et d'abord, lapparition de l'Antéchrist. Celui-ci sera un
individu sortant de la tribu de Dan. S. Ambroise le distingue du démon ;
il lui assigne des avant-coureurs en la personne de quelques hérési-
arques. Quant à son œuvre, c'est l'opposition à Dieu lui-même, et la
séduction des hommes. Les jours de l'avènement du Christ seront
marqués par d'autres signes, malheurs dans l'ordre physique, chutes
morales. Enfin, parmi les signes immédiats, S. Ambroise range : l'évan-
gélisation du monde entier, la conversion du peuple juif et le retour
d'Élie.
Les corps ressusciteront: lévèque de Milan le prouve par des raisons
de convenance, par des textes de l'Ancien et du Nouveau Testament ;
enfin par un argument qui lui paraît évident. Il est basé sur la justice
divine : le corps de l'homme a eu part au bien ou au mal, il doit être, lui
aussi, puni ou récompensé. La résurrection est l'œuvre propre de Dieu,
à l'exclusion de tout agent intermédiaire. Le Christ en est la cause
exemplaire et méritoire. Tous les hommes, justes et pécheurs, ressusci-
teront. Contre la doctrine de la métempsycose, S. Ambroise affirme qu'ils
retrouveront leurs corps individuellement identiques. Tous seront
immortels, mais tous n'auront pas les mêmes qualités. Seuls les corps
des justes auront : la clarté, l'incorruptibilité, la subtilité. — D'après le
D' Niederbuber, S. Ambroise n'a pas enseigné le millénarisme.
Le saint docteur regarde comme un fait admis de tous qu'il y aura
un jugement final, il coïncidera avec la venue du Christ et la résurrection.
Le juge est Dieu, mais il a confié son pouvoir au Christ. Avec celui-ci,
siégeront les apôtres, les justes, les anges mêmes. Le démon jouera le
rôle d'accusateur. Ce sera un jugement vengeur, s'exerçant vis-à-vis de
tous, justes et pécheurs, et portant sur tous les actes du corps et de l'âme.
S. Ambroise semble admettre que certains damnés seront pardonnes.
11 faut voir là une intluence de l'Origénisme dont les traces se retrouvent
en plus d'un endroit de ses œuvres.
Le monde, unique selon l'évêque de Milan, doit avoir une fin comme
398 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
il a eu lin commencement. Pourtant cette fin ne sera pas une annihila-
tion, mais un renouvellement.
S. Augustin. — Il faut mentionner ici, bien que le sujet dont il traite
ne rentre pas directement dans l'histoire des doctrines chrétiennes,
Touvrage du D"" F. X. Eggersdorfer (1) sur la pédagogie de S. Augustin.
C'est un travail fort remarquable et qui ne peut qu'aider à mieux com-
prendre les doctrines et l'influence de l'évêque d'Hippone. Chez lui, en
effet, philosophie et théologie ne se séparent pas des théories sur l'ins-
truction et l'éducation. Celles-ci ne sont que la conséquence de celles-là :
M. Eggersdorfer le fait bien voir.
Voici les grandes lignes de son travail. Une introduction expose l'édu-
cation romaine telle qu'Augustin dut la recevoir dans sa jeunesse.
Quant à ses idées personnelles, on peut en distinguer une double mani-
festation correspondant à deux périodes de sa vie. La première va jus-
qu'à son épiscopat, et se caractérise par l'application de la philosophie
et du mysticisme néo-platonicien à l'éducation. L'auteur expose les prin-
cipes, le but et les moyens scientifiques pour y arriver. Il retrace
ensuite la réalisation de ce programme dans l'école de Cassiacum.
Durant la seconde période, S. Augustin est avant tout évêque, il vise à
former des catécliumènes et des clercs. Un chapitre expose la part qu'il
laisse à la culture païenne. Enfin une conclusion suit à grands traits
les traces de son influence durant le moyen âge et jusqu'à la Renaissance.
L'ouvrage de M. le pasteur 0. Zaenrer traitant du « Primat de la vo-
lonté sur l'intelligence dans S. Augustin » (2) n'est pas, comme le titre
pourrait le faire supposer, de caractère philosophique. La façon dont
l'auteur envisage le problème est avant tout théologique etcela tient à la
conception même de S. Augustin, qui ne distingue pas en pratique les
deux aspects. Si l'on peut faire des réserves sur certaines interprétations
de détail, constater que l'auteur diminue plus qu'il ne convient le rôle
de l'intelligence dans la notion augustinienne de la foi, et trouver enfin
qu'il écarte trop facilement l'influence néo-platonicienne sur les œuvres
de l'épiscopat, il reste cependant que le sens général de la thèse est
vrai. Toutefois les conclusions de M. Zànker ne sont peut-être pas aussi
nouvelles qu'il semble le croire. S'il avait consulté davantage les auteurs
catholiques, il les élit trouvées énoncées déjà, par exemple, dans le
remarquable article consacré à S. Augustin par M. Portalié. (Diction-
naire de Théologie catholique, t. I, c. 2332-2333.)
C'est avec raison que l'auteur met à la base du problème la notion
augustinienne de Dieu. Il est la vérité que cherche l'homme, mais
celui-ci ne l'atteindra jamais sans certaines qualités du cœur. La mau-
vaise volonté nous écarte de la vérité. La possession de celle-ci sera la
1. Der heilîge Angustinus als Pàdagoge und seine Bedeutung fur die
Geschichte der Bildung. [Strassburger theologische Studien hrsg. von Dr A.
Ehrhard Tind Dr E. Muller, Vlll, 34). Fribourg en Brisgan, B. Herder,
1907; in-8o XIV-238 pp.
2. Der Frimât des Willens vor dem Intellekt hei Augustin. [Beitrâge zur
Forderung christlicher Théologie hrsg. von Dr A. Schlatter und Dr W.
LùTGERT, XI, 1). Gûtersloh, E. Bertelsman_. 1907; m-8o, 150 pp.
BLLLETIN d'hiSTOIRE DES DOCTRINES CHRÉTIENNES 399
récompense de la vertu, pailiculièrement de rimmilité. Ainsi donc dans
la foi la volonté joue le premier rôle. Il en sera de même dans la béati-
tude.
Vincent de Lérins. — J'ai déjà eu occasion de signaler les divergences
d'opinion au sujet du semi-pélagianisme attribué à Vincent de Lérins.
L'affirmative me semblait plus probable. M. Hugo Koch vient de la lor-
tifîer encore (1) : il a fait la démonstration quasi matérielle du semi-péla-
gianisme de Vincent de Lérins, en montrant les rapports intimes exis-
tant entre les Objectiones Vincentiame réfutées par S. Prosper et le
Cummonilorium. Ce dernier ouvrage, au dire de M. Koch, est une réplique
aux Responsiones de S. Prosper. « Il est la protestation d'un homme déjà
en face de la mort contre les « nouveautés » africaines, le testament
d'un semi-pélagien décidé, l'inquiet Caveant consules d'un fidèle attaché
à son Église par un amour ardent et enthousiaste. Vincent de Lérins
quitta cette terre en adversaire irréconciliable de l'Auguslinisme. »
Léonce de Byzance. — On pouvait croire qu'après les travaux de
[jOûfs, de Riigamer et d'Ermoni, les œuvres et la doctrine de Léonce de
Byzance étaient complètement connues. (2) Le D'' J. P. Junglas vient de
prouver le contraire par une récente étude sur ce sujet. Elle apporte
en effet plus d'un élément nouveau et déplace des conclusions commu-
nément admises.
L'auteur, par exemple, montre que l'hypothèse de Loofs, d'après
Inquelle Léonce aurait composé un ouvrage important, dont le titre aussi
bien que le contenu sont aujourd'hui perdus, n'est pas admissible La
question des sources est traitée plus complètement qu'on ne l'avait fait
jusqu'ici. Il ressort de cette enquête que Léonce de Byzance a extrait la
plus grande partie de ses Florilèges des œuvres d'Ephrem d'Anlioche
et de Pamphile de Jérusalem, à qui il est redevable pour beaucoup dans
ses connaissances lliéologiques. En dehors d'eux, il a surtout utilisé
S. Basile et S. Grégoire de JNazianze. Il n'est pas, comme l'a soutenu
M. Ermoni, le premier aristotélicien parmi les écrivains ecclésiastiques ;
à proprement parler, il n'est même pas aristotélicien, mais néo-plato-
nicien ; il doit à Porphyre l'aristotélisme qu'on retrouve dans ses œuvres.
Sa doctrine est à peu près exclusivement christologique, il traite
spécialement du mode d'union des natures dans le Christ. Il ne fait pas
que suivre S. Cyrille d'Alexandrie : on constate même entre eux des
différences assez notables. Tandis que l'évêque d'Alexandrie, par
exemple, regarde le nom du Christ comme désignant le terme d'un
acte, l'onction, Léonce, avec le.s théologiens de l'école d'Antioche, le
prend comme désignant toute la personne. Si pour le fond des idées
ils sont d'accord, la terminologie de Léonce est beaucoup plus précise,
1. Vincenzvon Lerin und Gennadius. (Texte und XJntersuchungen zur Ges-
cJiichte der altchristlichen Literatur, 3e série, I, 2). Leipzig, Hinrichs, 1907,
in-So, p. 37-58.
2. Leontius von Byzanz, Studien zii seinen Schriften, Quellen und Anschauun-
gen. (Forschungen zur christlichen Literatur- und Dogmengeschichte hrsg. von
Dr Ehrhard und Dr J. P. Kirsch, Vil, 3). Paderborn, F. Schoningh, 1908 •■
iii-8o, XII-166 pp.
400 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
il traduit S. Cyrille en formules conformes au concile de Chalcédoine.
Léonce se sert couramment contre les Monophysites de Texpression
èvjTroT-a-ov pour exprimer le mystère de l'k'voTt; v.xb' ■j-ôiTy.nvj. Le D""
Junglas en recherche les origines. D'après lui. elle est bien antérieure à
Léonce (contre Bardenhewer) et a ses origines non dans la logique aris-
totélicienne (contre Loofs et Harnack), mais dans la psychologie néo-
platonicienne.
Alexandre de Haies. - Il est bien difficile de donner la pensée
exacte d'Alexandre de Haies et surtout de marquer sa vraie place dans
le mouvement intellectuel de son époque, tant qu'on n'aura pas une
édition critique de son œuvre déjà fort discutée au xiii"^ siècle, et que
les ouvrages de quelques-uns de ses contemporains n'auront pas été mis
au jour. Pourtant le D'' K. Heiji s'est attaché à étudier sa doctrine sur
la grâce (1). Pour lui, Alexandre de Haies forme l'intermédiaire entre le
pur augustinisme professé encore par Pierre Lombard, et ce qu'il appelle
le néo-semipélagianisme ecclésiastique. La naissance de celui-ci aurait
coïncidé avec l'introduction de l'aristotélisme dans la théologie, et c'est
ce dernier qui peut en fournir l'explication. Grâce à la notion aristoté-
licienne des causes, le concept de la grâce est précisé. Elle devient une
forme accidentelle de l'âme, et comme pour l'introduction de toute
forme il faut une préparation de la matière, on arrive à expliquer philo-
sophiquement l'axiome des anciens : « facienti quod in se est Deus
non denegat gratiam ». Et de ce chef la rigidité de la prédestination
s'atténue.
Dans son ouvrage, M. Heim examine la réalisation de ce thème chez
Alexandre de Haies. 11 traite du concept de grâce chez le docteur fran-
ciscain, de ses relations avec la psychologie humaine, dans la prépara-
lion, la coopération, enfin de ses rapports avec prédestination. Son étude,
un peu compacte, est suffisamment objective : il cite de nombreux textes
et, sauf quelques cas, les interprète exactement. Pour la prédestination
il restreint trop, semble-t-il, les idées d'Alexandre de Haies en les limi-
tant à la prédestination à la gloire, exclusive de la prédestination à la
grâce. Je n'ai pas vu qu'il citât un texte curieux et difficile à expliquer
en un sens orthodoxe: « nam collationis ;;rfl/?ceet gloriae potest esse
ratio prsescientia meritorum. » (I. P., Q. xxviii, M. m, a. 3, éd. Venise,
1375.} 11 y aurait des réserves à faire sur ce qu'il nomme le néo-semi-
pélagianisme et sur le rôle qu'il attribue à l'aristotélisme.
Kain, M. Jacquin, 0. P.
1. Das ^^'escn der Gnade und ihr Verhdltnis zu den nntiirlichen FunMionen
des Menschen hei Alexander Hahsius. Leipzig, M. Heinsius, 1907; ia-S»,
152 pp.
CHRONIQUE
ALLEMAGNE. — Congrès. — M. le professeur Windelband, prési-
dent, et M. le professeur Elsenhans, vice-président du Comité d'orga-
sation, annoncent que le 3* Congrès international de philosophie se
tiendra à Heidelberg, du l^"" au 3 septembre 1908. Le programme
comprend 4 séances générales et les réunions de Sections. Ces Sections
seront au nombre de 7 : Histoire delà philosophie ; Pliilosophie géné-
rale, métaphysique et philosophie de la nature ; Psychologie; Logique
et théorie de la connaissance ; Morale ; Esthétique ; Philosophie reli-
gieuse.
Le prix des cartes de membres est fixé à 20 marks, celui des cartes
de dames à 10. Langues ofTicielles : français, allemand, anglais et
italien. Adresser toutes demandes et communications à M. le professeur
Th. Elsenhans, Plock, 79, Heidelberg.
Nominations. — Le D"^ Simon Weber, professeur extraordinaire
d'apologétique à la Faculté de Théologie de l'Université de Fribourg en
Brisgau, a été nommé professeur ordinaire de la Littérature du N. T. et
d'apologétique.
— M. Alf. Seeberg, professeur ordinaire d'exégèse du N. T. à
l'Université de Dorpat, a été appelé en la même qualité à celle de
Rostock.
— Le D"^ Gressmann, privat-docent à Kiel, a été nommé professeur
extraordinaire de théologie de l'A. T. à l'Université de Berlin.
— Le D"" C. Steuernagel, privat-docent d'exégèse de l'A. T. à l'Uni-
versité de Halle, devient professeur extraordinaire.
— M. M. Lidzbarski, l'éminent épigraphiste, privat-docent de philo-
logie sémitique à l'université de Kiel, a été nommé professeur ordinaire
à l'Université prussienne de Greifswald.
Décès. — Le D'^ Fr. Schneider, professeur ordinaire d'exégèse du
X. T. au Lycée royal de Regensburg, est décédé dans les premiers jours
de février.
— M. Edouard Zeller, l'illustre historien de la philosophie grecque,
est mort à Stuttgart le jeudi 19 mars à l'âge de 94 ans. Il était né en
1814 à Kleinbottwar dans le Wurtemberg. Il étudia successivement à
l'Université de Tubingue, puis, en 1836, à celle de Berlin. Répétiteur
à Tubingue en 18:39, privat-docent en 181:0, il fut appelé comme profes-
seur de théologie à Berne en 1847, puis à Marbourg en 1834. En 1862, il
fut nommé professeur extraordinaire de philosophie à Heidelberg et en
1872 il passa en qualité de professeur ordinaire à l'Université de Berlin.
Il avait pris sa retraite en 1894 et s'était retiré à Stuttgart. Il y célébrait
en 1906 le jubilé de ses 70 ans de doctorat.
Ouvrages principaux : Platonische Sdidien, 1889 ; Die Philosophie
2' Année. — Revue des Sciences. — N" 2 26
402 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
der Grirchen in ihrer geschichtlichen FiUwicklung, 3 Bande, 1844-1852,
(Bd. 1, 5» édition 1892, Bd. 2, 4« éd. 1889, Bd. 3, 4« éd. 1902); Grundriss
der Geschichle der griechischen Philosophie, S^ éd. 1907 ; Platos Gastmahl
ueberselzl und erlàuterl^ 1857 ; De Hennodoro Ephesio et Hermodoro Plo-
tonico, 1859 ; Vortr'àge und Abhandlungen, Band 1, 1865 (2'' éd. 1875),
Band 2. 1877, Band 3, 1884; Geschichte der deutschen Philosophie seit
Leibnilz, 1873. — Bas theologische System Zwinglis, 1853 ; Die Aposlel-
geschichfe nach ihren bihalt und Ursprung^ 1854; Staat und Kirche,
1873, etc.
M. E. Zeller était membre de l'Académie des Sciences de Berlin,
de l'Académie des Sciences de Munich, etc. Rappelons enfin qu'il avait
fondé en 1842, avec le concours de nombreux savants, le Theologisches
Jahrbuch.
ANGLETERRE. — Publication nouvelle. — Le mois de Janvier a vu
paraître à Dublin le premier fascicule d'une nouvelle revue théolo-
gique : The Irish Church Quarterb/. Elle a pour directeur M. Hugh
J. Lawlor, professeur d'histoire ecclésiastique à l'Université de Dublin
(Trinity Collège).
Voici le sommaire du n° paru : A. Trail, Irish Church Finance since
DisestabUshemenl ; Rt Rd J. Dowden. A Contribution toivards the Study
of the Prayer of Humble Access; AV. Sherlock. The Imitation of Christ ;
L. A. PoOTER, Edward Hincks, D. D., Egyptologist and Assyriologist ;
.1. H. Bernard, The Traditions as lo the Death of John the Son of Zebedee ;
C. B. Price, Rome and Modernism. — Le prix d'abonnement est de6sh.
Congrès. — A Londres se tiendra, du 23 au 26 septembre prochain,
le 1^'' Congrès interyiational d' Education morale et sociale. M. L. Bour-
geois est président du Comité général. L'anglais, le français et l'alle-
mand seront admis pour les communications.
Anniversaires. — Le Conseil du Sénat de l'Université de Cambridge
a adopté une motion tendant à la célébration par l'Université de fêtes en
l'honneur de Ch. Darwin dont le centenaire tombe l'an prochain. Le
savant naturaliste est né en 1809. Ces solennités marqueraient en même
temps le cinquantenaire du célèbre ouvrage de Darwin : Eorigine des
espèces, qui fut publié en 1859. La semaine du 20 juin 1909 est indiquée
comme date à choisir. Des invitations seraient adressées aux autres
Universités anglaises et aux principales Universités étrangères.
Nominations. — Lord Rosebery a été choisi comme chancelier de
l'Université de Glasgow en remplacement de lord Kelvin décédé. Il avait
été recteur de cette Université en 1899, de celle d'Edimbourg en 1882 et
1883, de celle d'Aberdeen de 1878 à 1881.
— M. W. UiDGEWAY, professeur d'archéologie à l'Université de Cam-
bridge, a été élu président du Royal Anthropological Institute de
Londres. Il succède à M. D.J. Cunninghnm.
Décès. — Le duc de Devonshire est mort à Cannes le 24 mars. Il était
chancelier des Universités de Cambridge el de Manchester, En 1877, il
avait été élu recteur de l'Université de Glasgow.
CHRONIQUE 403
AUTRICHE. — Congrès. — Les Actes du premier Congrès de Veleh-
rud (cfr. //. des Se. Ph. et Th. I, p. 861 el sq.) viennent d'être publiés en
une brochure in-S*^ de 114 pp. On les trouve à la librairie Rohlicek et
Sievers de Prague. Ils contiennent, outre le compte rendu des séances
du Congrès et le catalogue des livres déjà réunis à l'abbaye de Veleh-
rad et qui constituent le premier fonds de la bibliothèque Cyrillo-Métho-
dienne, le texte des Mémoires lus devant les congressistes assemblés.
Voici la liste de ces intéressantes études: J. Urbain, De iis, quse theologi
Calholici praestare possint et debeant erga ecclesiam russicam ; A. Pal-
MiERi, De tendentiis catkolicis in Iheologia Russica ; Fr. Grivec, De unio-
???'s cum Russia conatibus : M.Haluscynskyj, De nova illustratione epi-
cleseos ex liturgia ecclesiae orientaîis pelila ; A. Spaldak, De Russorum
débita relalione ad ecclesiam catholicavi ; F. Snopek, Melhodiuni
orlhodoxiim fuisse.
Universités. — Le 6« Congrès des catlioliques autrichiens, qui s'est
tenu à Vienne en novembre dernier, a approuvé le projet de créer une
Université catholique à Salsbourg. Le cardinal-archevêque de cette ville
a fait connaître qu'il espérait pouvoir ouvrir, dès l'automne prochain,
une ou deux Facultés. Cinq millions de francs environ ont déjà été
réunis pour cette grande entreprise.
Nominations. — M. Th. Moldecke, professeur honoraire de philologie
sémitique à l'Université de Strasbourg, a été élu membre d'honneur
de l'Académie des Sciences de Vienne.
— M. R. KiNOPF, de l'Université de Marbourg, a été nommé professeur
ordinaire d'exégèse du N. T. à la Faculté de théologie évangélique de
Vienne.
BELGIQUE. — Publications nouvelles. — Le Rapport sur les travaux
du Séminairp historique de l'Université de Louvain (1906-1907) est, comme
d'habitude, très riche. Des trois sections dirigées par M. le chanoine
Cauchie la première nous intéresse davantage. Nous aurons montré
l'importance et la variété des travaux qui s'y traitent en signalant quel-
ques titres : J. Bogaert, L'exégèse juive au moyen âge ; J. Lebon, Un
professeur d'Ecriture Sainte au IX^ siècle, Christian de Slavelot ; J.
Lecouvet. Rupert de Deutz ; J. Lottin. Cajelan et les études bibliques au
commencement du A F/® s«èc/e ; E. Van Cauvvelaert. Le << De Bepublica
ecclesiastica » de Marc Antoine de Dominis ; A. Vander Heeren, L'Insti-
tution des Sacrements ; G. Denteneer, Introduction générale à l'histoire
des religions. Il est à souhaiter que quelques unes de ces études abou-
tissent à des publications.
— Il est trop tard pour annoncer l'ouvrage de M. le D'' F. Desmons,
Gilbert de Choiseul, évèqiie de Tournai ( 1 67 l~l 689). (Tournai, Caster-
man, l9o7 ; in-8° XVI-622 pp.) Nous tenons néanmoins à le signaler à
ceux qui s'intéressent à l'histoire des idées religieuses en France au
XVII^ siècle. L'importance du personnage dépasse de beaucoup les
limites d'un diocèse e\ la sagace érudition de son biographe, en mettant
au jour de nombreuses pièces inédites, a su lui donner tout son relief.
Dans ce livre plein de choses il convient de faire ici spéciale mention du
chapitre V : L'œuvre doctrinale de Choiseul,
404 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
ESPAGNE. — Publications nouvelles. — Le P. L. G. A. Getlno, 0.
P., déjà avantageusement connu par ses travaux historiques, vient de
consacrer un important volume au fameux Augustin Fr. Louis de Léon,
célèbre à la fois par sa science, l'élégance de son style et ses démêlés
avec l'Inquisition, [Vida y Procesos del Maestro Fr. Luis de Léon, Sala-
manque, imp. de Calatrava; in-16, xvi-o76 pp.) La première partie de
son travail est consacrée à la biographie, la seconde étudie plus spécia-
lement les procès. Le sujet était difficile à traiter : bien des légendes
l'ont déjà envahi et la passion contre l'inquisition a troublé plus d'un
jugement. Le P. Getino a tenté de donner une histoire véridique en
s'appuyant sur de nombreux documents dont beaucoup étaient encore
inédits.
Nous apprenons que le savant dominicain a commencé la publication
du Cartulaire de l'Université de Salamanque. Nous souhaitons le
meilleur succès à cette entreprise.
Universités. — L'évêque de Madrid-Alcala, qui naguère annexait à
son Séminaire une Faculté d'Écriture Sainte, vient de créer pour les
étudiants de théologie une chaire de philosophie supérieure. Il y a
nommé comme premier titulaire Don Juan Zaragûeta, ancien élève de
l'Institut Supérieur de Philosophie à l'Université de Louvain.
Sociétés savantes. — La Cultura Bspa/lola publie l'information
suivante : Sous le patronage de la Députation provinciale de Barcelone,
vient de se fonder en cette ville un Institut d'Études Catalanes. Il a
pour objet de procéder à des recherches scientifiques sur tous les élé-
ments de la civilisation catalane. Il comprend quatre sections : Histoire,
Archéologie, Littérature et Droit. Il publiera des Textes, Mémoires,
Monographies, Collections. On annonce la publication prochaine par le
professeur A. Rubid y Lluch d'un volume de Bocumenls para rhisloria
de la cultura cataiana. L'Institut compte actuellement huit membres :
J. Masso y Torrents, A. Rubio y Lluch, M. de los Santos Oliver, J. Miret
y Sans, J. Puig y Cadafalch, G. M. de Brocâ, P. Corominas, J. Pijoan.
ÉTATS-UNIS. — Découverte. — M. Gaston Migeon, professeur à
l'École du Louvre à Paris, a publié dans le Journal des Débats du 18
février, la note suivante :
« Au mois de janvier 1907, M. Charles Freer, le grand industriel de
Détroit (Michigaai, États-Unis), me rejoignait au Caire, et nous eûmes du plaisir
à visiter ensemble les marchands. II en est un bien curieux, qui occupe à
Ghizeh plusieurs maisons bondées des choses les plus hétéroclites amon-
celées sous une épaisse poussière. Après d'interminables palabres et de
mystérieuses négociations, M. Ch. Freer parvint à se rendre possesseur
de plusieurs manuscrits découverts dans les ruines d'Akmin, dans la Haute-
Egypte.
» Il ignorait totalement qiuelle en pouvait être la valeur archéologique;
seules la beauté ou la grâce des enluminures encore fraîches sur les parche-
luins, la conservation des couvertures où pendaient encore des débris de
chaînettes de suspension, l'avaient enchanté. Grâce à d'astucieuses dissimu-
lations, il put sortir ces manuscrits d'Egypte, et quelques semaines après
il les examinait plus attentivement en Amérique, dans son cabinet de tra-
vail, où fee trouvaient réunis les plus éminents professeurs des Universités
américaines.
CHRONIQUE 403
» Leur avis réfléchi fut qu'ils se trouvaient là devant des manuscrits
originaux de la Bible, que le docteur H.-A. Sanders déclara même pouvoir
dater du cjaiatrième au sixième siècle de l'ère chrétiemie, et qui purent
fort bien avoir été sauvés de la Bibliothèque d'Alexandrie avant que les
armées du calife Omar ne l'eussent dévastée.
» Le premier manuscrit contient le Deutéronome et Josué. Le second
contient les Psaumes, semble bien plus complet cfue celui du Vatican, et doit
être le plus ancien manuscrit de la série. Le troisième renferme les quatre
Évangiles en entier, probablement écrits au cinquième ou sixième siècle. Le
quatrième, en très mauvais état, contient les Actes et les Épîtres.
» Deux des manuscrits sont écrits en grand© onciale, et deux en petite.
» La comparaison avec les fameux manuscrits alexandrins de la Bible
conservés au British Muséum est instructive. D'un côté comme de l'autre,
quatre volumes, parchemin de même espèce, tous les mots se suivant sans
être espacés jusqu'à la fin du paragraphe, les manuscrits de M. Freer étant
un peu plus grands de format.
» On sait que les manuscrits alexandrins du British Muséum furent offerts
par l'entremise de son ambassa.deur au roi Charles 1er, en 1628, par Cyril-
lus Lucaris, patriarche de Constantinople.
» Mais ce qui fait le très grand intérêt de la découverte de M. Ch. Freer,
c'est que ses manuscrits compléteront considérablement les manuscrits du
British Muséum où beaucoup de mots manquent, où des fragments de texte
souvent assez considérables font défaut. Ils peuvent donc être le point de
départ d'une revision littérale de la Bible. t
» La noble générosité de M. Charles Freer, son complet désintéressement
ne permettent pas de douter un seul instant que ces manuscrits ne pren-
nent le chemin d'ujie des plus grandes Biblioithèques de son pays. II
se donnera la satisfaction d'en assurer préalablement la publication qu'il
offrira au monde savant. »
Universités. — L'Union des Universités américaines a tenu son
assemblée annuelle, les 9 et 10 janvier, à TUniversité de Michigan,
Ann Ârbor, Michigan. Quatorze Universités étaient représentées.
Diverses questions intéressantes furent mises en discussion : L'objet
de l'Union; les possibilités de coopération intellectuelle entre les Étals-
Unis et l'Amérique latine ; la dissertation doctorale, etc. L'Université
catholique de Washington était représentée par le Dr. Pace, doyen de la
Facullé de Philosophie. (The Ccilholic Universili/ Bulletin ).
Société savante. — La 3* assemblée annuelle de la Soulhern Sociel;/
for Philosopluj and Psycliology, s'est tenue à Washington les 26 et 27 fév.
Plusieurs mémoires intéressants ont été lus : Elmer E. Jokes. Psychic
Effecls of Aneslhetics ; R. M. Ogden. The Pictorir/l Représentation of
Distance ; i. W. Baird. /In Expérimental ,Studi/ of Ihe Effcienci/ and the
Développement of Memory /« Children ; H. J. Pearce. A Télépathie
Experiment ; J. F. Messenger. Universal Imperatives ; E. H. Griffin.
A comparison of Spitioza''s « Ethics» and Spencer s « First Principles » ;
G. L. Raymond. Inspiration from the Point of View of Psychology ;
E, E.RiCHARDSON. The Teleological Judgement ; W. D, FuRRY.7'/«e Esthetic
Expérience : Its Nature and Function in Epistemology. Signalons encore
une discussion introduite par le professeur J. M. Baldwin sur: The
Présent Status of Logical Theory. f Journal of Philosophy, Psychology
and Scienti/ic Methods du 12 marsy.
Nominations. — Les RR. PP. W. D. Noon et J. R. Yolz, 0. P., pro-
406 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
fesseurs au Collège Ihéologique des Dominicains à AVasIiinglon,
ont été nomm 'S à FUniversité Saint-Thomas de Manille, Philippines.
— Le D'' W. A. Hammond, professeur adjoint de philosophie grecque
et (le philosophie du Moyen-Age à la Cornell University, Ithaca, New-
York, a été élu «Sage professor » de philosophie ancienne à la même
Université.
— Le D. G. M. Sthatton, professeur de psychologie expérimentale
à la John Hopkins University, Baltimore, et directeur du Laboratoire
de psychologie, passe à l'Université de Californie, en qualité de profes-
seur de psycholo;;ie.
FRANCE. — Publications nouvelles. — Le commentaire des deux
Livres des Macchabées que le R. P. Knabenbauer, S. J., a publié récem-
ment dans le Cursus Scriplurse Sacrœ (un vol, gr. in-8° de 440 pages),
est à ranger parmi les meilleurs de cette collection. Tout le monde sait
que les Livres des Macchabées, considérés isolément ou bien au point
de vue de leur accord, présentent de très spéciales difficultés. Ces diffi-
cultés, le savant Jésuite les a reconnues, examinées avec beaucoup
d'objectivité et si Ton ne peut dire qu'il les a toutes résolues d'une
manière définitive, il convient dereconnaître qu'il a apporté un précieux
appoint à leur éclaircissement. Parmi les principes de solution auxquels
il fait appel, il en est deux qui méritent une mention spéciale. Le
premier est formulé à la page 29 en ces termes : « Nam nemo potesl
auctori vitio vertere vel eum reprehendere, si opiniones popularium
fideliter narrât... Nemopostulabit ab auctore sacro, ut ejusmodi opinio-
nes refutet, corrigat vel eas ut partim falsas partim exaggeratas tradu-
cat. Undenam id prfesfare posset ? » Le second est formulé dans l'In-
troduction au deuxième livre qu'il vise exclusivement : « Ante omnia
advertendum est ipsum auctorém clare et aperte profiter! se epitomen
fecisse ex majore opère Jasonis (2, 26 seq.) ; unde si quid minus accu-
rale narratum est, non epitomatoris culpa est. » L'auteur estime
d'ailleurs qu'il est peu nécessaire de faire appel à cette donnée, attendu
qu'il n'est pas manifeste que le second Livre des Macchabées contienne
des inexactitudes. Le premier Livre se trouve dans une situation moins
avantageuse et dans certains cas le recours au premier principe énoncé
s'impose. Pour la composition du premier Livre, le R. P. propose une
date postérieure à 105 av. J.-C, pour celle du second, l'année 12o au
plus tard et pour l'ouvrage de Jason, l'année 162 environ.
— M. le Chanoine E. Panmer, Doyen de la Faculté de Théologie de
Lille et Professeur d'Écriture Sainte, publie Les Psaumes d'après r hébreu
(un vol. gr. in-8°, xxviii-422 p. ; Lille, Giard, 1908). La suscription
latine qui précède le titre : Psallerium juxla hebraicavi veritatem, pour-
rait éveiller de prime-abord l'idée de cette confiance quelque peu exces-
sive que saint Jérôme lui-même en son temps accordait au texte hébreu
tel qu'il l'avait sous les yeux. H n'en est rien. L'auteur est trop bien
informé sur les questions délicates de critique textuelle que soulève
principalement le psautier pour accepter sans discussion le texte masso-
rélique, lequel « bénéficie d'une unité factice, les éditeurs Juifs ayant
négligé ou supprimé impitoyablement toutes les divergences des manus-
CHRONIQUE 407
crits. » La Vérité Hébraïque est donc celle qni est au terme d'une ('lude
critique approfondie, éloignée d'ailleurs de toute tendance systématique
et de toute construction fantaisiste.
Préoccupé de faire passer dans la traduction toutes les nuances de
l'original, M. Pannier a pris le parti d'exécuter une double version :
l'une en latin « oîi l'élégance a été entièrement sacrifiée à la littéra-
lité et à la précision », l'autre en français, oîi l'élégance, si délibérément
immolée précédemment, reparaît avec bonheur. Une disposition typo-
graphique heureuse permet d'embrasser d'un même coup d'œil la
Vulgate (psalterium-gallicanum) et ces deux nouvelles traductions. Un
prologue ordinairement très succinct précise le contenu de chaque
psaume et, dans la mesure du possible, les questions de date, de pro-
venance et de métrique.
Très substantielle également l'introduction générale. L'auteur y
présente les résultats généraux de son enquête sur l'origine littéraire,
la métrique et le texte du Psautier. On a déjà parlé du texte. Au point
de vue métrique, M. Pannier se garde de vouloir faire rentrer tous les
psaumes dans un même moule, opération qui « suppose trop d'altéra-
tions ou exige de trop fréquents remaniements du texte. » La division
en deux strophes « est plus fréquente ». « La strophe la plus commune
est celle de deux stiques. » Mais ces règles générales soufîi-ent de très
notables exceptions. Même variété dans la répartition des accents.
H est impossible de rendre un compte détaillé des opinions de l'auteur
relativement à l'origine et à la date des psaumes. Il suffira de signaler
que pour lui la composition des trois premiers livres est antérieure à
la première destruction de Jérusalem, tandis qu'au contraire les deux
derniers livres sont « d'une composition ou d'une compilation plus
tardive». En tous cas, le recueil total semble avoir été clos vers le
lll*^ siècle. L'existence de psaumes macchabéens n'est donc pas probable
La raison que M. Pannier fait valoir en faveur de l'authenticité davidi-
que de quelques pièces ou fragments (d'ailleurs peu aisés à identifier)
mérite d'être signalée : « ...il est certain que le culte se développa en
même temps que la royauté, sous David et Salomon, et aussi sous
l'influence extérieure égyptienne et phénicienne, peut-être même dès
lors assyrienne ou babylonienne : il dut donc y avoir dès lors égale-
ment des chants religieux analogues à ceux de l'Egypte et de l'Assyrie ;
or il n'est pas vraisemblable qu'on les ait laissés de côté plus tard, pour
y substituer des poèmes plus récents. »
En résumé, une critique éclairée et en même temps modérée, l'exac-
titude si patiemment recherchée dans la traduction du texte original,
assurent au livre de M. Pannier une place très honorable parmi les
travaux français d'exégèse. T. M.
— Le dernier volume paru des Textes et docianents pour l'étude histo-
rique du Christianisme, publiés sous la direction de M. Hemmer et P. Le-
.i\Y (Paris, Picard, 1908), est consacré à ^'/'e^o/re de Nazianze. M. Fernand
BouLKNGER y douue le texte grec et la traduction française des Discours
fnnehres en Vhonneur de son frère Oésaire et de Basile de Césarée. Le texte
des Bénédictins a été de nouveau coUationné, et non sans profit, sur
les deux manuscrits de la Nationale. Une bonne introduction, outre
408 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
de copieuses notes critiques et explicatives, fournit une courte notice
biographique de saint Grégoire, et des études littéraire et historique
sur les deux discours publiés. Ce volume continue dignement une Col-
lection déjà très appréciée.
— Dom H. Quentin, 0. S. B. vient de faire paraître dans la collection
Études d'histoire des dogmes et d'ancienne littérature ecclésiastique, un
ouvrage du plus haut intérêt. Il est intitulé : Les martyrologes historiques
du moyen âge, élude sur la formation du martyrologe romain. (Paris,
J. Gabalda et Cie, 1908, in-8°, xiv-7-4o pages). L'auteur y étudie les
divers martyrologes, de celui de Bède à celui d'Âdon de Vienne, dont
le texte abrégé par Usuard a servi de base au martyrologe romain
actuel. Il traite les problèmes soulevés par la succession de ces diverses
œuvres et apporte sur ce sujet des conclusions nouvelles. Ainsi, grâce à
une étude comparative des manuscrits, il est parvenu à identifier le
martyrologe de Florus de Lyon, utilisé par Adon devienne. Pour chacun
d'eux, il recense et examine les manuscrits, donne le texte, recherche
ses sources et parvient à établir la valeur historique des petites notices
consacrées à chaque personnage. Au passage, il découvre les erreurs et
signale les fautes. C'est un travail de premier ordre, nécessaire à quicon-
que s'occupe d'hagiographie, il ne saurait laisser indifférents les théolo-
giens. Il touche, en efîet, accidentellement à des questions qui relèvent
de leur compétence. En montrant, par exemple que tous ces martyrologes
sont des compilations privées, il limite et précise la portée de l'approba-
tion ecclésiastique accordée au martyrologe romain qui en dépend.
Des tables excellentes (manuscrits, noms de saints, noms et matières
principales) permettent d'utiliser facilement ce vaste répertoire.
— M. A. BouDiNuoN a réuni en volume ses articles sur Le Mariage et les
Fiançailles. Nouvelle législation canonique, (in-8 carré de 106 p., Paris,
Lelhielleux.) — C'est le commentaire du décret du 2 août 1907, ÎV'e temere
destiné à remplacer le fameux décret Tametsi du concile de Trente et
relatif à l'intervention du prêtre dans la célébration du mariage. Le
distingué professeur de droit canonique à l'Institut catholique de Paris,
était tout désigné pour donner au clergé français une explication simple
et pratique du nouveau décret. Son commentaire suit pas à pas le texte
et ne mentionne que les modifications introduites dans la législation
canonique relative à la célébration des Fiançailles et du Mariage. Curés
et professeurs de droit canonique le consulteront avec empressement et
avec fruit. Cependant son interprétation concernant les mariages mixtes
dans les pays où le Saint-Siège les avait considérés comme valides,
demande à être modifiée. D'après une déclaration de la Congrégation
du Concile, du 25 janvier dernier, ils ne sont valides qu'en Allemagne.
La déclaration de Benoît XIV au sujet des mariages mixtes est suppri-
mée; mais le Saint-Siège semble se montrer disposé à étendre la
Constitution Provida à laquelle fait allusion le décret Ne temere à
d'autres pays où les mariages mixtes malheureusement sont fréquents.
J. In.
— Sous la Direction de MM. Quilliet et Chollet, professeurs à la
Faculté de Théologie de l'Institut catholique de Lille, une nouvelle revue
théologique paraît depuis janvier sous ce titre ; Les Questions Ecclésias-
CHRONIQUE 409
liques.EWe se propose principalement de combattre les erreurs modernes,
que le décret Lamentahili et l'encyclique /*asce/?t// ont réprouvées, et de
mieux faire comprendre les vérités que ces erreurs attaquent. Elle
souhaite de faire connaître et aimer la forte et saine théologie de l'Église
catholique romaine, et promet de tenir ses lecteurs au courant des
progrès de la science ecclésiastique. La plupart des anciens collabora-
teurs de la Reoue des Sciences ecclésiastiques lui ont engagé leur
concours.
Les Quesliotn Ecclésiastiques paraissent le 10 de chaque mois en un
fascicule in-8 d'au moins 96 pages. Prix d'abonnement : France, 12
francs; Europe, 13,50; hors d'Europe, 13. Administration : lo, rue
d'Angleterre, Lille.
Universités. — M. Ch. Virolleaud, l'assyriologue connu, maitre de
conférences d'assyriologie à l'Université de Lyon, a été chargé du cours
nouveau d'histoire des religions à la même Université. Sa leçon d'ou-
verture n'a que trop justifié les craintes que nous exprimions dans notre
.Numéro de Juillet dernier (Cfr. I{. d. Se. Ph. et Th. I. p. 601).
Congrès. — Le IH"^ Congrès des neurologistes et aliénisles français
se tiendra à Dijon du 3 au 9 aoi!it prochain. Parmi les questions mises
à l'ordre du jour et qui sont de nature à intéresser les psychologues,
citons : Les enfants anormaux (Rapporteur : D' Charon) ; Troubles
mentaux par anomalies des glandes à sécrétion interne (Rapporteur :
D"" Laignel-Lavastine). — Secrétaire : D'' Garnier, directeur de l'Asile
des aliénés de Dijon.
Académies. — M. Henri Poincaré a été élu membre de l'Académie
Française en remplacement de M. Sully-Prudhomme. Ancien élève de
TÉcole Polytechnique, docteur es sciences, M. H. Poincaré a été suc-
cessivement chargé de cours à la Faculté des Sciences de Caen, puis en
Sorbonne oîi il est présentement professeur d'astronomie mathéma-
tique. Il enseigne également l'astronomie à l'École Polytechnique. Il
est membre de l'Académie des Sciences et docteur honoris causa des
universités d'Oxford, de Cambridge et de Glasgow, membre corres-
pondant d'Académies de Londres, Berlin, St-Pétersbouig, Vienne,
Rome, Amsterdam, Copenhague, Stockholm, Munich, Washington, etc.
A côté d'ouvrages spéciaux d'autorité exceptionnelle, il a publié deux
livres que tout le monde a lus : >S'c2>?îce e/ ////po//«ès(?, et La Valeur de
la Science.
— L'Académie des Sciences morales et politiques, dans sa séance du
•2i mars, a élu membres correspondants de la Section de morale
MM. G. Bonet-Maury, professeur d'Histoire ecclésiastique à la Faculté
libre de théologie protestante de Paris, et A. J. Balfol'R. ancien premier
ministre d'Angleterre, chancelier de l'Université d'Edimbourg, membre
de l'Académie Britannique.
— M. EvELLiN, inspecteur général honoraire de l'Instruction publique,
a été élu par l'Académie des Sciences morales et politiques, à la séance
du 28 mars, membre titulaire de la section de philosophie, en rempla-
cement de M. V. Brochard.
410 BEVUr DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
— L'Académie des Inscriptions et Belles Letttres a élu correspon-
dants étrangers : M. Max Van Berchem, le savant épigraphisteet archéo-
logue auquel on doit le Corpus inscriptionum Arabicarum paru dans
les Mémoires publiés par les membres de la Mission archéologique fran-
çaise du Caire, Tome xix ; M. Coxze, membre de la Direction générale
de rinstitut impérial allemand d'Archéologie et de l'Académie des
Sciences de Berlin, membre étranger de l'Académie des Sciences de
Munich ; le E. P. Ehrle, S. J. préfet de la Yaticane.
Retraites et Nominations. — M. Rubens Dlval, professeur au
Collège de France, a donné sa démission. Il a reçu le titre de professeur
honoraire du même Institut. La chaire de langue et littérature ara-
méennes qu'il occupait a été transformée par décret ministériel en
chaire de numismatique de l'antiquité et du moyen-âge.
— MM. PiERRET, conservateur des Antiquités égyptiennes au musée
du Louvre et professeur d'archéologie égyptienne à l'école du Louvre,
et E. Revillout, conservateur-adjoint du même département et profes-
seur de démotique, de copte et de droit égyptien à la même école, ont
été admis à la retraite et nommés Conservateurs honoraires des
musées nationaux.
— Ont été nommés au musée du Louvre: conservateur des antiquités
égyptiennes en remplacement de M. Pierret, M. G. Bénédite précé-
demment conservateur adjoint ; conservateur des antiquités orientales
et de la céramique antique, en remplacement de M. Heuzey,
M. Ledrain, précédemment conservateur-adjoint ; conservateur-adjoint
des antiquités orientales, M. F. T^UREAL•-DA^GI^^ attaché au même
département ; conservateur adjoint des antiquités grecques et romaines,
M. de RiDDER. précédemment professeur à la Faculté des Lettres de
l'Université d'Aix.
M. PoTTiER, membre de l'Institut, conservateur adjoint des antiquités
orientales et de la céramique antique, remplace à l'École du Louvre
M. L. Heuzey comme professeur d'archéologie orientale et de céramique
antique. M. G. Bénédite succède à M. Pierret en qualité de professeur
d'archéologie égyptienne à la même École.
— M. E. Revillout a été appelé à continuer à l'Institut catholique
de Paris, l'enseignement qu'il donnait jusqu'ici, avec tant d'autorité,
h l'École du Louvre.
— M. Cl. E. Maître, agrégé de l'Université et ancien élève de l'École
normale Supérieure, professeur de japonais à l'École française
d'Extrême-Orient, à Hanoï, a été nommé directeur de cet établissement
scientifique pour une période de six années, en remplacement de
M. A. Foucher appelé à d'autres fonctions.
Décès. — On annonce la mort de M. A. Barbier de Meynard,
membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, professeur
de langue et littérature arabes au Collège de France^ administrateur
de l'École spéciale des langues orientales vivantes, etc. Il était âgé de
84 ans. Parmi les nombreux ouvrages relatifs à la littérature et à
l'histoire arabes, persanes, turques etc., nous citerons : la traduction
du traité d'Al Gliazzali, Le Préservatif de Verreur, 1877 ; celle de
CHRONIQUE 411
l'ouvrnge de Maçoudi, Les Prairies d'or (avec le texte arabe) 1801-1867 ;
Le Dictionnaire géographique, historique et littéraire de la Perse, extrait
de Jagout, 1861 ; la première traduction française du Boustan de Sadi,
1880; une Notice sur T Arabie méridionale d'après un document turc,
1883 ; etc.
ÎTALÎE. — Publications nouvelles. — Suhnmila Theologiie moralis.
Auclore J. d'Annibale, S. Uoiiiance Ecclesiœ Cardinali. Edilio quinta.
3 Vol. in-8°, vm-loOO p. Romœ. Desclée. 19U8. — C'est le titre modeste
d'un ouvrage qui se dislingue des autres traités de Morale d'abord par
son plan. Il comprend' trois parties : Dans la première sont exposés les
Prolégomènes ou Traités généraux de la théologie morale : De Personis,
de Actibus humanis, etc. ; dans la seconde les devoirs de droit naturel,
communs à tous les hommes ; la troisième traite des devoirs particuliers
aux chrétiens touchxant les choses saintes et religieuses. Ce n'est pas le
plan généralement adopté dans les manuels de ce genre. L'autre carac-
tère, c'est que les développements et les controverses se trouvent en
bas des pages, et avec une telle profusion, que parfois ils en occupent
plus des deux tiers. Plusieurs questions y sont traitées, alors qu'elles
devraient être mentionnées dans les chapitres où on les cherche natu-
rellement, V. g. la 4* excommunication réservée aux Ordinaires. La 5*
édition de ce manuel, œuvre du cardinal J. d'Annibale, alors qu'il était
professeur au séminaire de Rieti, a été revue et complétée, sans doute
par un de ses disciples. Les opinions soutenues par l'auteur et les
solutions données à certaines questions examinées sous des aspects
nouveaux, ont acquis d'autant plus de valeur et d'autorité que Léon
XIII l'avait revêtu de la pourpre cardinalice et qu'il comptait utiliser sa
science pour le bien commun de l'Église. J. N.
— Les PP. Franciscains de Quaracchi près Florence, qui ont déjà bien
mérité des études tliéologiques par leur belle édition des Œuvres de
S. Bonaventure, entreprennent de publier un nouveau périodique
entièrement consacré à l'histoire de l'Ordre des Mineurs. Il a pour titre :
Archivum Franciscanum ffistoricum. La direction en a été confiée au P.
G. GoLUBOViTCH, le palt^stinologue connu, assisté du P. M. Bihl. Habi-
tuellement rédigé en iatin, V Archivum admettra cependant à l'occasion
le français, l'italien, l'espagnol, l'anglais et l'allemand. Chaque fascicule
comportera six Sections: articles de fond, textes inédits, codicographie,
bibliographie, extraits de Revues, chronique. Publication trimestrielle,
en cahiers in-8° de 130 pages. Prix d'abonnement : 12 fr. pour l'Italie,
14 pour l'Étranger.
Le premier Numéro-, que nous avons sous les yeux, est extrêmement
fourni et d'une excellente tenue scientifique. Nous ne doutons pas que
cette publication n'apporte, en particulier, de précieuses contributions
à l'histoire de la philosophie et de la théologie de l'École franciscaine.
— Le Comité qui s'est constitué à Rome sous la présidence d'honneur
du cardinal V. Vannutelli et la présidence effective du R. P. Gaïsser,
recteur du Collège pontifical grec, en vue de célébrer le XV^ anniversaire
de la mort de S. Jean Chrysostome, a décidé de publier un recueil
d'études se rapportant à la vie et, aux œuvres du grand Docteur de
412 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
l'Église grecque. Ce recueil comprendra 24 mémoires, rédigés respec-
livemenl en latin, italien, français, allemand, anglais et groupés sous
le titre général de Chrysoslomica. Studi et ricerche inlorno a S. Giovanni
Chrisoslomo. Les savants, eux aussi au nombre de 24, auxquels ces
mémoires ont été demandés, sont parmi les plus compétents en ces
matières. Tout permet donc de penser que ce recueil sera digne de la
grande mémoire que Ion veut honorer. Il paraîtra en trois fascicules à
la librairie Pustet de Rome. Le prix de souscription est fixé à 10 francs.
Commission biblique. — La 6" session d'examens pour la licence en
Écriture Sainte s'est tenue au Vatican à la mi-novembre. Les sujets
suivants ont été proposés pour l'examen écrit : I. Exégèse. 1° Exégèse
du discours de N. -S. aux bons et aux méchants au jugement dernier,
Mallh., XXV, 31-46 ; 2° Exégèse du récit de la résurrection de la fille de
Jaïre dans les trois synoptiques : Jfatth., ix, 18-19, 23-25; Marc, v,
21-24, 35-43 ; Luc, vn, 40-42, 49-.")6 ; 3'' Exégèse de la parabole du bon
Samaritain : Luc, x, 25-37. (Un des trois sujets au choix).
II. Histoire. Ce qu'étaient les procurateurs romains en Palestine et leur
rôle dans l'histoire évangélique et apostolique.
III. Inlroduclion. Introduction spéciale à l'Évangile de saint Marc.
Ont subi avec succès l'épreuve écrite et l'épreuve orale: M. l'abbé J.
Cascua, du diocèse de Bayonne, M. l'abbé L. Gontard, du diocèse de
Grenoble, le R. P. G. Mezzacasa, Salésien.
Congrès. — Le 4« Congrès international de mathématiques va se
réunir à Rome dans quelques jours. L'ouverture en est fixée au 4 avril
et la clôture au 11. Parmi les quatre sections qu'il comporte, la der-
nière offre un intérêt plus direct pour nous. Elle groupe les questions
philosophiques, historiques et didactiques relatives aux mathématiques.
Les introducteurs sont pour cette Section, les professeurs Eneiques,
LoRiA, Yailati.
Toutes les séances de travail se tiennent dans les salles de l'Académie
des Lincei. Les conférences et communications faites au Congrès seront
réunies en un volume dont la préparation est confiée au « Circolo Mate-
matico >; de Palerme.
— Nous lisons dans la Bivisla Filosoficd de janvier-février ; Le profes-
seur Fr. Cosenlini, au nom du Circolo di CuUura de Naples, annonce la
réunion dans celte ville, du 27 avril au 3 mai prochain, d'un Congrès
Positiviste international. Le programme, qui est immense, comprend :
I. Partie générale. Le positivisme et le mouvement scientifique contem-
porain ; Les exigences du positivisme ; Métaphysique et science; Doc-
trine de la Connaissance, méthode. La théorie de l'évolution et les
données nouvelles de la science ; L'histoire du positivisme. II. Partie
spéciale. Applications : Psychologie, Morale, Pédagogie, Science des
Religions, Philosophie du droit. Sociologie, Philosophie de l'histoire,
Anthropologie générale, Anlhroposociologie. Anthropologie et Socio-
logie criminelles. Économie sociale, Science politique.
— Le 7* Congrès international d'anthropologie criminelle s'ouvrira à
Tuiiti le 28 avril prochain. Il sera présidé par le professeur C.
LOMBKOSO.
CHRONIQUE 413
Décès. — Le R.P. G. Franco, S. J., collaborateur ordinaire de la Civilta
Cattolica depuis plus de 40 ans, est mort le 15 janvier. Il était né
en 1824.
Le P. Franco laisse une œuvre littéraire considérable. Nous signale-
rons seulement parmi ses écrits ceux qui ont trait à l'hypnotisme et au
spiritisme : Lo Spiritismo, 4« éd. 1907 ; Jdea chiara dello spirilismo (bro-
chure), 1885 ; Stalo dello spirilismo nelVanno 1892 (brochure), 1892 ;
ISuove bugie sullo spirilismo (brochure), 1890 ; Lipnotismo lornalo di
mada. Sloria e disquisizione scienlifica (son œuvre principale) 4« éd.
1899 ; Un quesito dlpnotismo, 1894 ; L'ipnolismo e i suoi fenomeni
volf/ari, medii, supei-io/i, iS9H; FicJcmafi e Lombroso a Torino ossia VipnoUsmo
chiaroveggente, 1890; Presentimenti e felepatie, 2" éd. 1900; La nuova teoria
délie suggestioni deslinala a spiegare Vipnolismo.
ORIENT. — Congrès. — Le 2"'^ Congrès international d'Archéologie
se tiendra au Caire à Pâques de 1909.
Sociétés savantes. — Le Gouvernement allemand vient de fonder
au Caire un « Institut impérial allemand pour l'archéologie égyptienne ».
Le D' BoRcnARDT, précédemment attaché scientifique au consulat
général d'Allemagne du Caire, en a été nommé premier directeur.
M. Borchardt poursuit depuis quelque temps déjà aux Pyramides
d'Abousir des fouilles qui ont donné des résultats importants pour
l'histoire de la 5® dynastie. La « Deutsche Orient-Gesellschaft »
annonce l'intention, lorsque ces recherches seront achevées, d'en
entreprendre de nouvelles à Tell El-Amarna.
— Au cours de sa réunion plénière annuelle tenue à Paderborn en
novembre dernier, la Goerresgesellschaft a décidé la création à Jérusa-
lem d'un Institut catholique allemand d'archéologie orientale. On sait
qu'il existe dans la même ville depuis 1903 un « Deutsche evangelische
Institut fiir Altertumsforschung des hl. Landes » dont le D"^ G. Dalman
est Directeur.
Fouilles. — Sous les auspices du Gouvernement anglais du Soudan,
le R. P. A. Deiber, 0. P., notre savant collaborateur, a entrepris des
recherches sur l'emplacement de Napata, la capitale de l'antique
royaume de Kousch.
SUISSE. — Publication nouvelle. — Le R. P. Zapletal, professeur
d'exégèse de l'A. T. à l'université de Fribourg, a publié récemment un
travail très intéressant sur le Cantique des Cantiques : Bas Holtelied
(In-8'' de vni et 120 pp., Fribourg, 0. Gschwend, 1907). L'Introduction,
qui forme la moitié du volume, étudie, d'une manière extrêmement
positive et précise, les questions suivantes : le nom du Livre, ses divi-
sions, son unité, sa teneur matérielle, son interprétation. allégorique,
son interprétation mythique, son auteur et sa place dans le canon
hébreu. Nous avons ensuite, formant le corps de l'ouvrage, une édition
critique du texte massorétique distribué en poèmes, strophes, vers et
sliques, un commentaire philologique et une traduction.
S'autorisant de l'exemple de plusieurs exégètes catholiques et en
■414 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
particulier de celui, tout récent, du très estimé P. HonLlieim, S. J., le
P. Zapletal s'attache exclusivement à éclaircir le sens umtériel du
Cantique. La signification plus haute qu'il revêt dans la pensée et
l'intention de l'auteur sacré et qui constitue plus probablement son
sens littéral comme écrit inspiré, ne saurait être pleinement comprise
et goûtée, si l'on n'a pas au préalable déterminé avec précision le
caractère et la nature de cet ensemble de figures qui lui servent de
base et de moyens d'expression. Le savant exégète se refuse avec raison
à voir dans le Cantique un drame ; c'est un recueil de poèmes indépen-
dants qui n'ont entre eux d'autre lien que la parenté des thèmes qu'ils
développent. Il estime qu'on n'est pas davantage fondé à y voir une
sorte de recueil officiel des pièces qui se récitaient au cours des noces,
encore que plusieurs poèmes se réfèrent aux cérémonies et réjouis-
sances des fêtes nuptiales. Les héros de ces idylles sont le plus souvent
des fiancés mais parfois, semble-t-il, de jeunes époux. Et en somme
ce n'est pas se tromper que d'y voir avec les anciens un carmen epitha-
laiidum. Les métaphores, descriptions, situations qui forment la trame
matérielle du Cantique et la mentalité qu'elles supposent sont illustrées
et éclaircies par de très nombreuses données parallèles empruntées à la
poésie égyptienne et arabe et aux usages orientaux. L'Ancien Testa-
ment lui-même fournit des éléments de comparaison très significatifs
et il en ressort que le Cantique, soit dans sa teneur matérielle, soit
dans sa signification symbolique, ne saurait être considéré comme un
phénomène isolé dans la littérature religieuse d'Israël. Cette étude
soignée projette sur le Cantique une lumière parfaitement noble en
même temps que précise.
Congrès. — M. M. Th. Flournoy, président, et P. Ladame, vice-prési-
dent du Comité d'organisation du G'^ Congrès internationnal de Psycho-
logie, annoncent, dans les Archives de Psychologie de février, que cette
assemblée se tiendra à Genève du 31 août au 4 septembre 1909.
Rappelant certaines observations formulées par le professeur Ferrari
de Bologne, secrétaire du dernier Congrès qui s'est tenu à Rome, ils
suggèrent quelques modifications opportunes à l'organisation tradition-
nelle. Il conviendrait de limiter l'étude et la discussion à un nombre
restreint de questions particulières et d'une spéciale actualité. Des
rapports et contre-rapports les concernant devraient être publiés
d'avance, de manière que les membres puissent préparer objections ou
communications. Une exposition d'appareils avec examen et démons-
tration rendrait les plus grands services. Les mémoires imprimés ne
sauraient, en ces matières, valoir l'examen direct et les explications
verbales. Il serait opportun de mettre à l'ordre du jour l'étude d'une
terminologie psychologique, c'est-à-dire la détermination de termes
équivalents dans les principales langues européennes, en matière sur-
tout de dispositifs expérimentaux.
Les organisateurs sollicitent relativement à ces trois points l'avis des
personnes compétentes et d'autres suggestions de même nature. L'on
ne peut qu'applaudir à ces efforts tendant à une organisation plus
rationnelle et plus pratique de ces sortes d'assemblées.
CHRONIQUE 415
Universités. — Le R, P. Allô, professeur d'exégèse du N. T. à l'uni-
versité de Fribourg, a inauguré cette année des conférences sur les
Religions du monde gréco-romain à l'époque du Nouveau Testament. Pen-
dant le semestre qui vient de s'achever, il a traité, en guise d'introduc-
tion, des Cultes publics de l'ancienne Grèce. Ces conférences, qui sont
fort suivies, prendront toute l'année scolaire et au delà.
Mentionnons à cette occasion les autres cours intéressant l'Histoire
des Religions qui se donnent à l'université de Fribourg. Le R. P.
Zapletal a choisi comme sujet d'études pratiques pour son séminaire le
Livre des Juges, qu'il explique spécialement en fonction de l'histoire
des religions. M. le professeur Roussel donne à la Faculté des Lettres
des conférences sur Les Religions védiques et M. le professeur Zeiller
étudie, à la même Faculté, Les Religions du monde romain à l'époque
du Ras-Em,pire.
Nomination. — M. le Pasteur P. Comtesse remplace M. G. Godet,
décédé, comme professeur d'exégèse du N. T. à la Faculté de théologie
de l'Église libre de Neuchâtel.
Décès. — M. le Dr. Paul Christ, professeur de théologie systématique
et pratique à l'université de Zurich, est décédé le 14 janvier. Il était né
en 1836. De 1900 à 1902 il avait exercé les hautes fonctions de recteur.
On cite parmi ses ouvrages : Christliche Religionslehre, 1897 ; Religiose
Betrachtungen, 1881; Pessimismus und Sitlenlehre, 1882; Lehre vom
Gebetin dem N. T., 1886 ; Die sittliche Weltordnung, 1894 ; Grundriss
der Ethik, 1905.
— On annonce également la mort de M. A. De Loes, professeur de
théologie pastorale et recteur de l'université de Lausanne.
RECENSION DES REVUES
(I)
ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. Janv. — II. Brémond.
Autour de IVewman. (A propos du livre de M. Prezzolini : // callolicismo
rosso. Pour M. Prezzolini, hier pragmalisLe et aujourd'hui sous l'in-
fluence de Hegel, le catholicisme rouge ou néo-catholicisme a pour chef
Newman. Les catholiques rouges lui apparaissent comme d'intrépides
chirurgiens accourus, in extremis, au secours de l'Église moribonde.
Les uns (philosophes immanentistes) taillent dans l'ossature du dogme,
les autres (critiques) dans les chairs vives de l'histoire. Mais la mou-
rante est aussi une autorité, et comme telle, elle congédie les critiques
et les philosophes qui s'étaient flattés de l'espoir de la sauver, bien
inspirée d'ailleurs de ne pas vouloir de leurs services, car les uns et les
autres ne pourraient la ranimer sans détruire ses organes essentiels.)
pp. 337-369. — Ed. Schiffmacher. La limite de Vlnfini. (Entreprend
d'établir que, grâce au concept de relation, « le panthéisme et le mono-
théisme peuvent se concilier sous les formules de la métaphysique
chrétienne. Un seul Dieu en trois personnes, voilà la conception fonda-
mentale de la métaphysique chrétienne ; elle part donc de l'idée d'une
relation telle qu'elle laisse la distinction la plus parfaite se poser, sans
détruire l'unité la plus absolue... N'est-il pas possible de concevoir le
Cosmos de la même manière que le christianisme conçoit Dieu : c'est-
à-dire comme une relation de telle nature que la distinction la plus
entière, celle du Créateur et de la créature, par exemple, s'y rencontre
avec l'unité la plus une, celle de la substance infinie ? On aboutit ainsi
à une idée de Dieu en rapport avec la notion que les découvertes
scientifiques nous donnent du Cosmos. ») pp. 370-402. = Fév. — Chr.
Maréchal. Sénancour. (A propos du livre récent de M. J. Merlanl,
Sénaticour {ll~0-iS't6) poète, penseur religieux etpubliciste. Sa vie, son
œuvre, son influence. Dans « ce malade de la lignée de Rousseau » M.
Maréchal voit « un chrétien impuissant à s'avouer tel, un chrétien
honteux et tremblant », dont l'intelligence pervertie par les Encyclo-
pédistes repousse le christianisme, tout en en reconnaissant la fécondité
aux heures où il est sincère.) pp. 449-470,— Al. Leclère. Simple Exégèse.
Quelques considérations sur les quatre Évangiles et les Épîtres de
StPaul. St Paul, qui est formel sur la divinité de Jésus, a écrit la plus
grande partie de ses lettres avant que les évangiles synoptiques fussent
composés. Et tout nous porte à croire que le fond le plus transcendant
1. Tons ces périodiqiies appartiennent au premier trimestre de 1908. Seuls
les articles ayant un rapport plus direct avec la matière propre de la Re\Tie
ont été résumés. On s'est attaché à rendre, aussi exactement et brièvement
que possible, la pensée des auteurs en s'abstenant de toute appréciation. —
La Recension des Revoies tv. été faite par les RR. PP. Allô, (Fribourg),
Blanche (Paris), GarcL'V (Salamangue), Gillet, Tuyaerts (Louvain), Martln
CHuy), Garrigou-Laghange, .Iacqui.n, Lemoxxyeh. Mainage, Noble, de Poul-
PIQUET, RoLAND-GossELiN (Kain), lecteurs en Théologie.
RECENSION DES REVUES 417
de l'évangile johannique était en l'âme des synoptiques, puisqu'il était
déjà, dans l'enseignement de St Paul, connu et certainement approuvé
par les synoptiques.) pp. 471-478. — L. Labehtuonnière. Dogme et Théo-
logie. III. (En quoi s'opposent la thèse de M. Le Roy et celle de
M. Lebreton. Pour M. Le Roy une chose est d'abord intangible : l'auto-
nomie de l'esprit ; c'est pour lui une idée claire qu'il ne songe pas un
seul instant à critiquer. Ce qu'il soumet à la critique, c'est uniquement
la notion de dogme : que doit être le dogme pour être compatible avec
l'autonomie de l'esprit? Il doit nous définir la réalité divine par l'atti-
tude et la conduite qu'elle exige de nous. — La marche suivie par
M. Lebreton est exactement inverse : il commence par affirmer au nom
de l'orthodoxie que le dogme est essentiellement et primordialement
d'ordre spéculatif, pour reconnaître ensuite que «la formule dogmatique
ne livre son sens plein qu'à l'âme qui en vit. » « Mais, tandis que
M. Le Roy accomplit sa marche en pleine lumière », sans pourtant par-
venir à donner de la cohérence à l'ensemble de ses idées, « M. Lebreton
accomplit la sienne, si j'ose dire, en pleine confusion. ») pp. 479-o:il.
= Mars. — V. Ermom. Les formes religieuses et la clnssificalion des
religions. (La complexité du phénomène religieux rend difficile la classifi-
cation des religions. L'auteur signale l'imperfection des classifications
données jusqu'ici et propose une division générale basée sur « l'obser-
vation psychologique et les attestations historiques »> qui distinguerait
les religions « en relatives ou imparfaites et absolues ou parfaites. »
« Toutes les religions autres que le Christianisme sont relatives et
imparfaites... L'analyse scientifique a fini par découvrir les lacunes et
les vides des autres religions ; le progrès les a éliminées comme ne
répondant plus à l'état actuel de l'humanité civilisée. ») pp. 561-590. —
P. DE Labriolle. Saint Ambroise et l'exégèse allégorique. (En faisant
usage de l'exégèse allégorique, saint Ambroise « a obéi beaucoup moins
à des scrupules d'ordre intellectuel, du genre de ceux dont Origène
s'était inspiré, qu'à des préoccupations pastorales et pratiques. » Signale
en terminant que, si l'exégèse allégorique a rendu des services à la science
ecclésiastique, elle a toujours éveillé la défiance dans les milieux chré-
tiens.) pp. 591-603. — J. Martin. Saint hpiphane. La connaissance reli-
gieuse. (Expose la doctrine de saint Épiphane sur la connaissance reli-
gieuse : tandis que l'hérétique n'écoute que sa propre sagesse, l'ortho-
doxe aborde l'Écriture et le dogme en s'appuvant sur la tradition et sur
l'Église, pp. 604-618.)
ANTHROPOS. 1. — P. LouPiAS. Tradition et légende des Batutsi.
(Traditions recueillies au Ruanda, Afrique orientale, et relatives à la
création, à un paradis céleste primitif, à une faute suivie d'expulsion
sur la terre, à un médiateur d'origine céleste. L'auteur insiste sur la
ressemblance de ces traditions avec les récits bibliques.) pp. 1-13. —
F. Dahmen, s. J. The Paliyans, a Hill-Tribe of tlie Palni Hills, South
India (Origine, langue, organisation sociale, coutumes, rites religieux
de ce clan montagnard et nomade du Sud de l'Inde, en qui l'on recon-
naît un reste des races primitives du pays.) pp. 19-31. — W. Scumidt.
Les origines de l'idée de Dieu. Etude historico-critique et positive (à s.}.
2^ Année. — Revue des Sciences. — Nu 2. 27
41S REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
(Début d'une élude d'histoire comparée des religions touchant l'origine
de la religion et du concept de Dieu. Définit au préalable la religion :
la reconnaissance d'un ou de plusieurs êtres personnels qui s'élèvent
au-dessus des conditions terrestres et temporelles, et le sentiment de
dépendance vis-à-vis d'eux. Il est requis que ce sentiment de dépen-
dance se traduise par des actes extérieurs. La magie constitue le con-
traste le plus prononcé avec la religion. Expose ensuite la succession et
les caractéristiques des diverses écoles de science comparée des reli-
gions et de leurs principaux représentants, depuis le début du XIX* s.,
en Europe et en Amérique. Signale l'école philologique ou naturaliste,
puis l'école anthropologique et son système préféré, l'animisme, qui a
tout envahi. Un retour offensif de l'ancienne école mythologique natu-
raliste, mais modifiée, se dessine sur le terrain sémitique avec le
Panbabylonisme, et même par delà ces limites avec Stucken. D'ailleurs,
celte école elle-même, sous sa forme originelle, maintient encore son
existence et ses prétentions (E. Siecke). La doctrine évolutionniste
inspire toutes ces tendances diverses.) pp. 125-102.
ARCHIV FUR GESCHIGHTE DER PHILOSOPHIE. Jauv. — Max
Leopold. Leihnizens Lehre von der Kurperwelt ah Kernpunkl des Sys-
tems (fin). (II. Le monde des corps et le monde des esprits ; a) harmo-
nie du devenir, causalité et téléologie ; b) le principe du parallélisme
psycho-physique ; c) le monde des corps, phénomène « bien fondé ». —
III. — L'organisation et révolution du monde. — Conclusion : le point
central du système de Leibnilz est sa théorie du monde des corps. La
négation de relations spatiales réelles entre les forces l'oblige à trans-
poser le dynamisme mécanique en un dynamisme métaphysique. H
trouve le principe qui assure la ressemblance et l'unité des monades de
l'organistue et de l'univers, dans la distinction de la force en active el
passive. Le monde entier est soumis à la loi de l'évolution ; en tant que
phénomène il est corporel. La causalité devient téléologie.) pp. 145-165.
— Antoniades. Die Slaatslehre des Mariana. (Étude historique des théo-
ries politiques et sociales du jésuite Mariana. — Fait suite à l'ouvrage
du même auteur : Die Slaatslehre des Thomas ah Aquino. Leipzig,
Robolsky, 1890, couronné par l'université de Heidelberg en 1881.)
pp. 166-195. — ScHWARZ. Beilrâge zur Kantkriiik. (Critique des princi-
pales conclusions de Kant concernant, le problème de la connaissance.
Ses préjugés rationalistes devaient l'empêcher d'eu donner une solution
satisfaisante.) pp. 196-217. — A. Mïjller. Die Religionsphilosophie Teich-
miillers. (La religion, d'après TeichmuUer, est le sentiment qui suit en
nous à la conscience de Dieu et s'exprime au moyen de l'union organi-
sée des activités de connaissance, de sensibilité et d'action. Elle se
divise suivant la nature de cette conscience. Élude de ses difïérentes
formes et de leurs rapports.) pp. 218-239. — W. Schultz. IlYBArOPAI.
(Essai d'interprétation, légitimé par d'autres exemples, du sens secret
de nrevTOPAS et de son rapport avec la mystérieuse XEiPAKirs, par la
méthode du symbolisme arithmétique en usage chez les Pythagoriciens.)
pp. 240-252. — Elsenhans. Berichl ûber die deutsche Litteratur zur
vorkantischen deutschen Philosophie des 18. Jahrhunderls. pp. 255-284.
RECENSION DES REVUES 419
ARCHIV FUR RELIGIONSWISSENSCHAFT. 13 Dec. — A. van
GnNNEP. Le Rite du refus. (Dans le refus si fréquent que les personnages
élevés aux hautes dignités de l'Église, aux premiers siècles, opposaient
ù leur élection, en alléguant leur indignité, ainsi que plusieurs califes,
et tout récemment encore, les chefs du Nyab, ainsi qu'autrefois une
foule d'im<âms de sectes berbères, p. ex. des ibadhites, van Gennep
voit, à côté de l'action des sentiments personnels, des survivances
d'un ancien « rite du refus » qui seraient demeurées dans le Christia-
nisme et l'Islam, et dont l'origine s'expliquerait très naturellement par
le désir d'échapper aux tabous multi pies qu'entraîne la fonction des chefs
chez les primitifs : ainsi, de nos jours encore, chez les roitelets du
Loango, qui sont chargés à la lettre de faire la pluie et le beau temps.
Exemple très caractéristique (en note additionnelle) d'un rite du refus
contemporain, chez les Habbés, population non-miusulmane du plateau
central nigérien.) pp. 2-10. — L. Radekmacher. Schellen und Fluchen.
(Étudie une scène de l'Oreste d'Euripide, oîi, dans l'invocation au tom-
beau d'Agamemnon, le mot o^ziàn, avec le défunt roi pour objet,
apparaît dans un passage d'authenticité d'ailleurs douteuse (vv. 1227-
1230). Est-ce qu'on grondait, invectivait les morts pour obtenir leur
appui, comme on en usait avec les démons? Le mot àpào-Qat, qui sert
parfois à rendre l'idée de «prier» (ào/jcrîr' ''Eoivùc, Odyss. ii, 136), signi-
fiait originairement «maudire», comme, dans un ordre d'idées tout
voisin, zvyjfjOyL signifiait « faire une promesse » ou « se vanter » d'un
service rendu. Ces termes indiquent donc, par opposition à At'a-a-îo-Qai,
« supplier humblement », qu'on prend l'être que l'on prie par l'amour-
propre, l'intérêt ou la reconnaissance. Il a donc bien pu exister parallè-
lement des «invectives aux morts »^ comme aux Euménides, etc., et
ce n'est que dans un sens dérivé que àoàc-Qat, avec les Erinyes
comme régime, a signifié les évoquer comme instruments de la ma-
lédiction à exécuter contre un tiers.) pp. 11-22. — A. Nagel. Der
chinesische Kûchengotl ( Tsau-Ky un ).(Dains la religion chinoise des temps
antérieurs au bouddhisme, ce « dieu de la cuisine », c'était tout simple-
ment Vesprit du foyer ou les mânes des cuisinières, et, étant le protec-
teur du foyer, il le devenait, par extension, de la famille. Les légendes
bouddhistes, sous diverses formes, l'évhémérisent ; mais c'est toujours
un esprit qui tient une grande place dans le culte familial, parce qu'il
est le ministre de la grande divinité du bouddhisme chinois, r« Empe-
reur du Ciel » ou « Empereur des peiles». Sa signification religieuse
en Chine. Lieux et temps réservés à son culte. Les diverses fêtes, dont
la plus importante est celle qui se célèbre dans chaque maison le
2-iejour du 12^ mois, jour oii il monte du foyer vers l'Empereur du Ciel
pour lui faire un rapport détaillé, comme surveillant et gardien, de ce qui
s'est passé dans la famille. — Rapprochements avec d'autres divinités du
feu, en particulier Agni.) pp. 23-43. — R. Osteoff. Etymologische Beilrage
zur Mythologie und Religionsgeschichte . (3. '^Iptç. En faisant de cette déesse
« la rapide », de la même racine que Ïzij.cci, «je me presse », on est
obligé de séparer tout rapport primitif entre Iris et l'arc-en-ciel qui
porte le même nom. O. rétablit ainsi le lien. De même que la Voie Lactée,
l'arc-en-ciel a été considéré comme la voie des dieux, un chemin vers
420 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
le ciel.'Ioti^Ft-o',-; signifie « bande » ou « chemin » ; la signification de
« cercle coloré » est post-homérique. Par une métonymie qui n'est
pas rare, la déesse messagère des dieuK s'appelait, de son côlé, "lot; "
via=viatrix. D'ailleurs, Iris est peut-être une forme abrégée de
quelque chose comme Ftpi-Tiopo;. Elle n'a pas encore de signification
naturiste chez Homère, mais il était inévitable qu'elle devînt la déesse
de l'Iris arc-en-ciel.) pp. 24-74. — R. Hirzel. Der Selbslmord[dL suivre).
(On ne voit pas qu'au temps d'Homère il s'attache aucune prohibition
religieuse ou aucune flétrissure au suicide. De même chez les vieux
Germains. Chez les peuples du Nord, on peut y élre poussé par des
causes locales et temporaires ; mais les anciens Grecs, amoureux de la
lumière du soleil, n'en usaient pas beaucoup. Toutefois, après Hésiode
et les poètes gnomiques, les troubles sociaux, ceux des guerres médi-
qiies, le pessimisme qui va toujours se développani, rendent le suicide
assez ordinaire. L'art et la littérature y contribuent, jusqu'à la comédie,
qui y fait souvent allusion.) pp. 7.'5-104. — II. Berichle. I. Friedrich
Kaufmann. Allgennanische Religion. (Kaufmann, en critiquant les plus
récents écrits sur la religion des Germains, touche à plusieurs points
de principe et de méthode sur la science des religions.) pp. 105-126. —
II. W. Caland. Indisclip Religion. (Sur les travaux parus de 1004 à
1906.) pp. 127-141. — m. Milleilungen und Himveise. pp. 142-160.
BIBLISCHEZEITSCHRIFT. 1.— P. J.Hontheim, S. LSludienzu Ct.2, 8
— o, 5. (Ce passage du Cantique forme un lied complet. L'action se
déroule en une journée. Le matin, le fiancé cherche la fiancée (II 8-17) ;
le soir, la fiancée cherche le fiancé (III 1-5). Au point de vue métrique,
la première partie comprend trois strophes (II 8-10 ; 11-13 ; 14-17) ; la
seconde, deux strophes (III 1-3 ; 4-5.) pp. 1-14. — P. F. Zorell, S. J.
.Zu Thr. I . {Déïend le chapitre premier des Lamentations contre une
critique qui tend à modifier en beaucoup d'endroits, non seulement les
xoyelles mais encore les consonnes du texte massurétique.) pp. 15-24.
— A. Steinmann. Jenisalem und Antiochien. (Le concile de Jérusalem
déclare que la loi mosaïque n'est pas obligatoire pour les chrétiens
d'origine païenne. Mais il ne définit pas l'attitude que doivent prendre,
vis-à-vis de cette même loi, les chrétiens d'origine juive. Cette nature
du décret apostolique a pour conséquence immédiate le conflit d'An-
tioche.) pp. 30-48.
BULLETIN DE LITTÉRATURE ECCLÉSIASTIQUE. Janv.— J. Baylac.
Autour de l EncgcUque. (« La philosophie des modernistes est d'origine
et d'inspiration kantiennes. ...La philosophie kantienne aboutit à Vag-
nosticisme et à Yimmanenlisme condamnés par l'Encyclique Pascendi. »
L'attitude des modernistes est contradictoire, « il y a confiit entre leur
philosophie et leur foi ».) pp. 1-23. — R. Hourcade. Essence et existence, à
propos d'un livre récent (v. plus bas), pp. 24-33.= Fév. — R. Hourcade.
Essence et existence... (v. plus bas), pp. 59-69. = Mars. — L. Saltet.
Un insigne plagiat : « La Sainte Vierge dans l'histoire », par G. Herzog.
(« Herzog, sans le dire, a tout simplement démarqué et tourné contre
nous certains chapitres de l'Histoire de la théologie positive de M. Tur-
RECENSIOX DES REVUES 421
mel. y>) pp. 73-89. — R. Hourcade. Essence et existence... (Défend la
thèse de la distinction réelle intégrale, contre le R. P. Piccirelli, S. J ,
et montre que la distinction réelle s'impose, soit que l'on envisage le
rapport de l'essence à l'actualilé, soit que l'on confronte l'actualité avec
la raison de nécessité qui est l'attribut transcendantal de l'essence. Il
signale ensuite les erreurs commises par le P. Piccirelli dans son inter-
prétation des textes de saint Thomas.) pp. 90-99.
CIUDAD DE BIOS (LA). 20 Dec. — P. M. Gctiérrez. Sobre la fîlosofia
de Fr. Luis de Leôn. (Expose les idées de Fr. Louis de Léon sur l'homme,
sur l'union de l'àme et du corps et leur influence réciproque, sur la
connaissance.) pp. 628-G43. =^ 5 Janv. — P. M. Gutiérrez. Sobre la fîlo-
sofia... (Idées de Fr. Louis sur l'appétit et l'immortalité de l'àme.)
pp. 34-47. = 20 Janv. — P. M. Gutiérrez. Sobre la fîlosofia... (Idées de
Fr. Louis sur la connaissance humaine de Dieu.) pp. 215-221. = 5 Mars.
— P. H. MoRiLLA. San Agustin defensor de la concepciôn Immaculada
de Maria. (Soutient avec le P. del Val que saint Augustin a enseigné
l'Immaculée Conception de la Vierge.) p. 38.5-391.
CIVILTA CATTOLIGA (LA). 18 Janv. — E. Rosa. // modernismo teolo-
gico. (Le type du croyant tel qu'il est présenté par l'Encyclique Pascendi
n'est pas un être de raison. On en a la preuve dans un ouvrage publié
sous le nom du D'' Sostene Gelli {Psicologia délia Religione, Rome,
1905), qui fait de la foi une intuition d'ordre sentimental. Cette doctrine
se rapproche des anciennes erreurs condamnées par le concile du Vati-
can.) pp. 146-160. = 15 Fév. — E. Rosa. // modernismo teologico. (Le
modernisme théologique dérive du kantisme et du mysticisme de
Schleiermacher et de Ritschl; il aboutit à la négation du Christianisme.)
pp. 385-399. — C. Fërretti. Lo Schopenhauer e la morale pessimista.
(La morale pour Schopenhauer exclut toute loi et toute obligation.
Selon lui, la volonté est la seule chose en soi, l'intelligence n'étant
qu'une faculté secondaire: « par elle toutefois, la volonté inconsciente
devient consciente, et reconnaissant alors qu'elle n'est au fond que
désir, par conséquent besoin, par conséquent douleur, elle ne trouve
d'autre idéal de la vie que de se nier elle-même ». Schopenhauer con-
damne le suicide comme inutile, la libération se fait par la chasteté
absolue empêchant la propagation de la souffrance, l'ascétisme et le
nirvana.) pp. 400-411. =r^ 21 Mars. — E. Rosa. // modernismo teologico e
il concilio Vaticano. (Les définitions du concile du Vatican (De revela-
tione, de Fide, de Fide e^ m/io»g) atteignent les modernistes avec leur
subjectivisme, immanentisme et naturalisme.) pp. 662-680.
CULTURA ESPANOLA. Fév. — E. Dl'prat. Estudios de fîlosofia con-
temporànea. La fîlosofia de M. H. Bergson (à suivre). (Analyse de \ In-
troduction à la Métaphi/sique et de l'Essai sur les données immédiates de
la conscience de M. Bergson.) pp. 185-202.
ÉCHOS D'ORIENT. Janv. — M. Jlgie. Saint Jean Chrysostome et la
primauté de saint Pierre. (Saint Jean Chrysostome a enseigné que saint
422 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUKS
Pierre est venu à Rome et y est mort; il lui reconnaît une primauté
de juridiction.) pp. 5-15.
ÉTUDES. 5 Janv. — J. Brucker. VFglise et la critique biblique. (Le
principe général de la critique n'est point, par lui-même, en opposition
avec la foi ou avec l'Église. Le préjugé rationaliste est la vraie cause du
conflit entre l'Église et la critique.) pp. 5-19. = 20 Janv. — L. Baille.
Philosophia perennis. (Quand l'Encyclique impose la philosophie di^
saint Thomas, elle n'édicte pas une simple mesure disciplinaire, elle
exige que nous donnions à la scolastique du chef de l'École l'assen-
timent intérieur de l'esprit.) pp. l4o-lt)6. = 5 Fév. — L. Roure. Scolns-
iiques et Modernistes. (L'esprit scolastique, qui est un esprit sagement
rationnel, est aussi un esprit éminemment religieux. L'esprit moderniste
déforme le rôle de la raison, ôte à la religion son fondement en même
temps qu'il la découronne de son action sur la pensée humaine. Finale-
ment le modernisme est antireligieux.) pp. 289-307. = 20 Fév. — A.
Eymieu. Le rôle de lliabilude dans le gouvernement de soî-m^n?^ (voir plus
bas). — A. d'Alès. Pour V honneur de Notre-Dame. (Réfutation de l'article
de M. Herzog, La Sainte Vierge dans l'histoire (Rev. dliist. et de litt.
relig. sept.-déc. 1907). « A vouloir relever toutes les assertions gratuites,
toutes les omissions, toutes les références fausses, tous les paralogismes
de l'auteur, on aurait vite fait d'écrire un volume ».) pp. 45?)-472. ■=
5 Mars. — J. de Tonouédec Comment interpréter Vordre du monde?
(Examine les raisons que M. Bergson oppose à ce qu'il appelle le fi na-
lisme radical. Un ceitain finalisme, objecte M.Bergson, n'échatppe pas au
reproche d'anthropomorphisme, mais le finalisme en Dieu est analo-
gique. L'objection des désordres partiels atteint plutôt certaines idées
accessoires au finalisme que le principe même de la doctrine. Enfin,
l'ordre vital ne supprime pas la nécessité d'une pensée ordonnatrice, la
vie suppose des fins cherchées et des moyens choisis.) pp. 577-597. —
A. Eymieu. Le rôle de l'habitude dans le go\ivernement de soi-même. (Les
faits prouvent que l'habitude lait disparaître les difficultés du commen-
cement. Ces difficultés viennent de l'organisme, de son inertie malé-
rielle qui résiste au changement et de son activité vitale qui subit le con-
trecoup des idées contraires ; elles viennent de l'esprit, du choix à faire
pour décider, et de l'attention à fournir pour exécuter. L'habitude fait
l'acte plus facile, plus précis, plus fort et plus rapide dans l'exécution,
plus achevé dans l'intention. Il est néeessaire de se faire des habitudes
Lien choisies, autrement l'instinct choisira pour nous et choisira mal.
Les trois facteurs de l'habitude sont l'intensité, la multitude et la fré-
quence.) pp. 443-452 et 617-636. =:= 20 Mars. — J. Lebreton. La révé-
lation du Fils de Dieu. (Étudie l'état d'esprit des auditeurs du Christ,
la conception qu'ils se faisaient du Messie, explique la lenteur du
Christ à se révéler. Les miracles sont des preuves décisives de sa mis-
sion ; ils ne sont qu'une manifestation imparfaite de sa nature. Ses
paroles permettent de la pénétrer plus intimement.) pp. 722-749. — L.
Roure. Scolasliques et Modernistes. (Expose la doctrine scolastique sur
Id vérité ontologique et la vérité logique et montre que l'opposition enlie
RECENSION DES REVUES 42H
les scolasliques et les modernistes n'est pas autre chose que l'opposi-
tion entre le dcfi^matisme modéré et le scepticisme.) pp. 767-789.
ÉTUDES FRANCISGiMNES. Mars. — P. René. Des dons surnalurels qui
accompagnent la grâce sanctifîanle (à suivre). (L'auteur explique, à la
suite de saint Thomas, dont il préfère sur ce point la doctrine à celle
de Scot, la nature et la raison d'être des vertus surnaturelles, des dons,
des béatitudes et fruits du Saint-Esprit.) pp. 227-236.
EXPOSITOR (THE). Janv. — W. Ramsay. The Moming Slar and t lie
Chronologii ofthe Life of Christ. (Essai sur la chronologie de la vie du
Christ basée sur ce principe : Tous ceux qui vivent en plein air et tirent
leurs comparaisons des phénomènes de la nature doivent être le plus
souvent inspirés dans leur choix par l'observation immédiate des temps
et des lieux où ils parlent. La portée de cette loi étant délimitée, on
l'applique auxrécits évangéliques.)pp. 1-21. — J. Orr. 71ie Résurrection
of Jésus. I . The présent State of the Question. (Les principaux arguments
que Ion fait valoir actuellement contre la réalité de la Résurrection sont :
l'impossibilité à priori du miracle ; les conclusions de la critique textuelle
et littéraire ; l'étude comparée des religions ; le principe que l'idée et la
vertu spirituelle du Christ ne sont pas solidaires de sa Résurrection ;
enfin pour admettre la réalité d'apparitions physiques il faudrait que la
psychophysiologie eût d'abord établi scientifiquement la possibilité des
manifestations d'Oulre-Tombe.) pp. 35-51. — J. Moulton et G. Milligan.
Lexical Notes front Papyri. (Publie, par ordre alphabétique, la liste des
mots grecs des papyri et ostraca, découverts jusqu'à maintenant, que
l'on retrouve dans les livres canoniques de l'Ancien et du Nouveau
Testament. Celle première partie va de à^ap-/;; à àr,dioc.) pp. 51-60. —
A. Deissmann. New Testament Philology. (Passe en revue les grands
travaux relatifs à la Philologie du N. T. : Concordances, grammaires
générales et spéciales, dictionnaires, études lexicographiques.) pp. 61-
75. — S. CooK. Supplemenlary Notes on the Neiv Aramaic Papyri. (Ces
notes concernent des détails de traduction ; la relation possible des
papyri avec le livre d'Esdras, entin les conditions religieuses de la
colonie juive d'Éléphantine.) pp. 87-96. = Fév. — R. Stbacuan. The
Personality of the Fourlk Evangelist. (L'auteur du quatrième évangile
est un personnage « de chair et de sang », qu'une élude objective de
l'œuvre permet d'isoler et de caractériser. Il a été témoin oculaire des
faits qu'il rapporte. Rien ne prouve absolument qu'il n'ait pu appar-
tenir au groupe des apôtres.) pp. 97-117. — D. Margoliouth. Ecclesiasies
and Ecclesiaslicus. (La Sagesse de Ben Sira connaît et utilise le Kohelelh.
Il y a entre les deux auteurs la différence qui sépare le penseur audacieux
et original d'un paraphraseur de textes empruntés aux livres sacrés.)
pp. 118-126. — J. Rendel Harris. D' Gregory on the Canon and Texl of
the New Testament. (Compte rendu critique du récent ouvrage publié
par le D'' Gregory sur l'histoire du Canon et du Texte du Nouveau
Testament.) pp. 127-141. — J. Orr. The Résurrection of Jésus. 2. Ils
nature as Miracle. (L'accord est unanime sur le fait que les apôtres ont
cru à la Résurrection du Christ. Or tous les documents attestent que
424 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
celte foi a eu un objet réel, concret. Il faut donc, ou bien se ranger à
l'hypothèse inadmissible de ceux qui veulent que le Christ ne soit pas
mort, ou bien reconnaître dans la Résurrection un fait miraculeux. La
possibilité du miracle ne saurait d'ailleurs être philosophiquement
rejetée.) pp. 142-157. — G. Findlay. The Parable oflhe Pearl-Merclianl.
(Le marchand de perles dont il est question Ml XIII 45-46 est le Christ
lui-même en quête des âmes. Toutefois les qualités que le récit attribue
au divin négociant (jugement et décision) doivent être celles de tous
ceux qui appartiennent au corps du Christ.) pp. 158-17Ô — J. Moulton.
Lexical Xotes from the Papyri (suite-à suivre.) (cr.QxvxfjLx - àvy.yyi/jM.)
pp. 170-185. = Mars. — A. Gakvie. Studies in the Pauline Theology. 2 The
Expérience of Paul ià suivre). (Entre l'enseignement de Jésus et la
doctrine de Paul il n'y a pas d'antinomies : Paul continue le ministère
du Christ. Pour l'établir, l'auteur commence par étudier l'expérience
religieuse que l'apôtre des Gentils a eue du Christ, car celte expérience
a élé la source première de la théologie paulinienne. Histoire psycholo-
gique de Paul jusqu'à sa conversion.) pp. 193-207. — J. Harris. The
présent Slale of ihe Controverse over Ihe Place and Time of the Dirlh
of Christ. (Le récit de la naissance du Christ d'après Luc est confirmé
par les renseignements que fournissent les papyrus égyptiens.) pp. 208-
223. — J. MoFFATT. 77ie i\eic Schàrer. (Signale les améliorations réalisées
par le savant Allemand dans la nouvelle édition (Leipzig, 1907) du
second volume de la Geschichte des Jùdischen Volkes im Zeilalter Jesu
Christi.) pp. 223-233. — J. Orr. l^he Résurrection of Jésus. 3 The Gospel
Narratives and Critical Solvents (suite-à suivre). (Il y a une certaine
dépendance de Matthieu et de Luc vis-à-vis de Marc. Mais cette dépen-
dance est loin d'être exclusive, témoin le récit de la Résurrection où
l'autonomie de chaque évangéliste se révèle très nettement. On ne peut
donc discréditer l'une ou l'autre de ces narrations en invoquant le
principe de leurs mutuelles relations.) pp. 233-249. — J. de Zwaan.
Shaking ouf the Lap. (Secouer son manteau est une espèce de malé-
diction encore en usage aujourd'hui chez les Orientaux.) pp. 249-252. —
A. Eagar. St Luke's Account of the Last Supper : a Critical Note on the
Second Sacrement. (Avec plusieurs autres critiques, l'auteur se pose la
question de savoir si les paroles du récit de St Luc : « faites ceci en
mémoire de moi » et tout le verset 2Ô du ch. XXII appartiennent au texte
primitif de l'Évangile.) pp. 252-264. — J. Moultox and G. Milligan.
Lexical Notes from the Papyri (à suivre), (à/ô/oo; - avw.) pp. 262-277.
EXPOSITORY TIMES (THE). Janv. — C. T. P. Grierson. The Last
Darj. (Étudie l'ensemble des passages du X. T. relatifs au Dernier
Jour. Dans le discours eschatologique des Synoptiques, Jésus parle,
non seulement de la Parousie, mais d'avènements historiques. Ainsi
s'explique Luc, xxi, 32. Le règne millénaire de l'Apocalypse doit s'en-
tendre d'un règne et d'un avènement spirituels. Il s'agit d'une ère de
prospérité, encore à venir, pour l'Église. If Thess. ii, 1 et ss. corres-
pond à Apocalypse xx, 7-10. Les descriptions des « signes » de la Parou-
sie et de la Parousie elle-même sont pour une grande part symboliques.)
pp. 162-167. — A. H. Savce. The Archaeoloyy of the Book of Genesis.
RECENSION DES REVUES 425
(Éclaircissements relatifs à Genèse i, 4-12, tirés des documents assy-
riens. C'est une mise au point, une édition nouvelle, du commentaire
archéologique jadis publié par l'auteur dans cette même Revue.) pp. 176-
178. — A. G. RoBiNSON. Lord of Hosts. (Signale que l'expression « Jahvé
des armées » ne se trouve pas une seule fois dans le Pentateuque,
tandis qu'elle est familière aux Prophètes, aux Livres historiques, aux
Psaumes. Si la composition du Pentateuque s'est effectuée en la manière
que disent les critiques modernes, comment expliquer cette abstention
concordante de tous les écrivains qui sont censés avoir collaboré au
Pentateuque relativement à celte formule familière à leurs contempo-
rains ?) pp. 188-189. — E. Nestlé. A Neic Testimony for Codex Bezae.
{Le Codex Bezae emploie l'abréviation ancienne pour le nom de J. -G.,
tandis que le Vaticanus, le Sinaiticus et VAlexandrinus ont générale-
ment une forme plus récente.) p. 189. = Fév. — X. Lord of Hosts.
(Complète et corrige les assertions de A. G. Robinson (voir plus haut).
Bon nombre de livres historiques, prophétiques, sapientiaux n'ont pas
« Jahvé des armées ». S'attache à expliquer son absence dans le Penta-
teuque.) pp. 235-236. — Agnes S. Lewis. iVath. ii, 2. (L'auteur avait
proposé de lire ce passage : « Nous avons vu en Orient son étoile. »
L'Archevêque du Sinaï, Dr. Porphyrios Logothetes, l'informe que
l'Église grecque orthodoxe l'entend ainsi.) p. 237. = Mars. St
Langdon. Buhijlonian Lllerary Rédaction. — (A propos de deux psaumes,
l'un adressé à Enlil et remontant au 3* millénaire avant Jésus-Christ,
l'autre adressé à Ninib, filsd'Enlil, VP-V^ siècle avant Jésus-Christ, dont
il donne la traduction, étudie les procédés de composition et, par la
même occasion, ceux de l'évolution théologique en Assyro-Babylonie. Le
second psaume est une application et une adaptation à Ninib du poème
en l'honneur dEnlil.) pp. 254-257. — A. H. Sayce. The Archaeology of
the Book of Genesis (suite). (Éclrcissements relatifs à 6^en. I, 14-20,
tirés des documents Âssyro-Babyloniens.) pp. 260-26:3. — A. II. Sayce.
Was TidaJ, King of Nations, a Hittite F (Le roi Héthéen qui a conclu
avec Ramsès II le traité récemment découvert par Winkler à Boghaz
Keuï s'appelle Dud-Khaliya. Sur les inscriptions égyptiennes son nom
est écrit Tidal, Todal. D'autre part Dud-Khaliya rappelle Tudghula,
équivalent cunéiforme de la forme biblique Tid'al. Ne s'agirait-il pas du
même personnage? Signale quelques données historiques qui encou-
ragent à voir dans l'allié biblique de Chedorlaomer un roi hélhéen.)
p. 283.
HARVARD THEOLOGICAL REVIEW. Janvier. — F. G. Peabody. The
Call to Iheolocjy. (Signale et blâme l'indifférence à l'endroit de la théo-
logie qui existe spécialement dans les diverses dénominations proles-
tantes aux États-Unis. L'éducation théologiqne des ministres eux-mêmes
est plus que médiocre : on leur impose de consacrer un temps consi-
dérable à l'étude de l'hébreu, par exemple, alors qu'au terme de leurs
années de formation, il n'en est peut-être pas un sur dix qui soit en état
de s'en servir pratiquement. S'ils étudient, ce sont les sciences sociales
qui ne sont pas leur affaire et oii ils n'auront jamais la compétence et
l'autorité d'un laïque. Plus tard ils s'adonnent exclusivement à l'admi-
420 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUtS
nislratioQ religieuse de leur Congrégation et aux œuvres de charité et
de philanthropie. Pourtant « l'avenir de la religion organisée dépendra
— non pas uniquement de la création de nouvelles formes de piété et
des progrès du culte et de l'action extérieure — mais, dans une mesure
sans précédents, d'un renouveau, parmi ceux qui représentent la reli-
gion, d'autorité et d'influence intellectuelles. » Expose quelques raisons
positives de cultiver la théologie.) pp. 1-9. — A. C. Me. Giffert. Modem
Ideas of God. (Dans les conceptions modernes de Dieu distingue deux
tendances. L'une, que représentent Hegel, Schleiermacher, Herder, se
rattache au monisme de Spinoza. L'autre, qui est celle de Ritschl, Jacobi,
Fichte, perpétue le moralisme et le pragmatisme de Kant.) pp. 10-27.
— W. A. Brown. h our Proleslantism still Protestant? (Avec Harnack
contre A. Sabatier répond affirmativement, mais justifie cette réponse
en proposant une classification et une définition des formes historiques
du Christianisme, qui s'écartent de celles de Harnack. Il voit dans la
définition de l'infaillibilité papale « la déclaration publique de l'éman-
cipation de l'Église de la tyrannie du passé >>, un acte qui, d'une certaine
manière, atténue les différences entre Catholicisme et Protestantisme.)
pp. 28-47. — B. W. Bacon, .4 Turning Point in Synoplic Criticism.
(Expose les résultats auxquels ont abouti, en matière de critique litté-
raire, les travaux consacrés depuis cinquante ans aux Synoptiques.
Considère comme acquise la priorité de Marc sur Matthieu-Luc, qui l'ont
utilisé comme source en même temps qu'un recueil de discours du
Seigneur, Q. Signale ensuite les diverses tendances en matière de
critique historique des Synoptiques et répudie énergiquement l'inter-
prétation purement eschatologique de Schweitzer.) pp. 48-69. — D. G,
L\oîi. Récent Excavations in Palestine. (Expose l'histoire et les résultats,
d'importance plutôt indirecte pour la période hébraï(iue, des fouilles de
FI. Pétrie à Tell el-Hesy (189u), du D^ Bliss au même endroit (1891-92).
du D"- Bliss et de R. A. St. Macalister dans la Cheplielah (1898-1900).
de Macalister à Gezer (1902 et ss.), de Sellin à Ta'anach (1902-05), du
D^ Schumacher à Tell Mutesellim (1903-0.-)), de Sellin à Jéricho (1907).
Recommande « le livre admirable du P. H. Vincent de l'École Domini-
caine de Jérusalem » Canaan d'après l'exploration récente, Paris, 1907.)
pp. 70-96. — Th. N. Carver. The Economie Basis of the Problemof Evil.
(Cherche l'origine du mal moral dans le mal physique ou plus précisé-
ment dans le manque d'harmonie entre l'homme et la nature, qui est
une donnée économique. ) pp. 97-111, — Ch. F. Dole. The divine /*/"o-
vît/ence. (S'attache à concilier l'existence d'une Providence et la réalité
du mal, en insistant sur la valeur éducatrice de la souffrance. «Dieu
lui-même ne peut obtenir de valeurs humaines sans souffrances
humaines. « Mais il sympathise à nos souffrances, il les partage.)
pp. 112-125.
HIBBERT JOURNAL (THE). Janv. — Sir 0. Lodge. The Immortality
of the Soûl. l. The Transitonj and the Permanent. (La réalité ne com-
porte ni création ni destruction, mais seulement des changements.
L'immortalité de l'âme n'est qu'un cas particulier de cette loi univer-
selle.) pp. 2î)i-304. — N. ScHMiDT, The « Jerahmeel » Theory and the fUs-
RECENSION DES REVUES -427
toric Importance of Ihe Negeb. (Fournit quelques renseignements sur le
Negeb obtenus au cours de voyages d'exploration, esquisse l'histoire de
cette région considérée par l'auteur comme le berceau des légendes
patriarcales, du Mosaïsme, du Jahvisme, du royaume Davidique, etc.)
pp. 322-342.
INTERPRETER (THE). Janv. — H. E. Ryle, Bishop of Winchester.
The Wisdom Littérature ofthe Bible. (Première conférence sur les Livres
Sapientiaux donnée par le Dr Ryle et recueillie par H. E. Winton.
L'évèque de Winchester y retrace successivement l'histoire des « Sages »
en Israël et de la « Sagesse » Israélite. Classification des domaines
divers de cette Sagesse etdes écrits où elle s'est exprimée.) pp. 129-137.
— H. B. SwETE. The Gospels in the Second Centunj. (Décrit le mouve-
ment qui, dans la seconde moitié du deuxième siècle, aboutit à la cano-
nisation de nos quatre Évangiles et d'eux seuls, précise l'état du texte à
cette époque, et expose les premiers essais qui furent faits de les tra-
duire en d'autres langues que le grec.) pp. 138-155. — C. F. Burney.
The Rise of a Helief in a Future Life in IsraeL IV. 71ie Apocahjptic
Littérature. (Caractérise la littérature apocalyptique et marque ses rap-
ports avec la littérature prophétique. Étudie haïe xxiv-xxvii (attente
d'une résurrection des Israélites pieux) ; Daniel (résurrection plus éten-
due et dont bénéficient même les méchants) ; Hénoch éthiopien et ses
conceptions messianiques.) pp. 156-174. — W. J. Davies. War Jésus a
Disciple of John the Baptist ? (Plus grand que Jean, Jésus est cependant
son disciple et le mouvement auquel il a donné impulsion, plus large
et plus profond que celui de Jean, se rattache pourtant à ce dernier,
l'absorbe et le développe. La conscience messianique de Jésus, quoique
existant déjà sous forme de pressentiment, reçut afîermissement des
actes et déclarations de Jean.) pp. 175-186. — T. W. Crafeh. The Conne-
xion between St. Jude and i/<e iya(;/?///cfli. (Signale le parallélisme entre
le début du Magnificat, Luc i, 46, 47, 49'', 51, et l'épitre de saint Jude,
24-25 ; il l'explique par une réminiscence de la part de saint Jude qui
aurait connu le cantique de la Mère de Jésus.) pp. 187-191. — B. Weld,
0. S. B. « The Bridge of Asia ». (Il s'agit de la Palestine ou plus préci-
sément de la plaine de Saron. Montre par un sommaire exposé de l'his-
toire des guerres anciennes dans l'Asie antérieure que la plaine de
Saron vit en effet passer toutes les expéditions militaires des grands
empires et leur servit de route.) pp. 202-212.
IRISH THEOLOGICAL QUARTERLY (THE). Janv. — J. Shine. The
Place of Modernism as a Philosophy of Religion. (Comme philosophie
religieuse, le Modernisme exposé dans la récente Encyclique offre quatre
caractéristiques principales : substitution du sentiment à la connais-
sance, participation de toute l'âme à chacun de nos actes, volontarisme,
conception évolutionniste de la vérité. L'auteur situe ces théories dans
l'ensemble de la spéculation philosophique récente à laquelle il montre
que Kant surtout a donné le branle.) pp. 22-31. — J. Me. Rory llie Au-
Ihorship of the Fourlh Gospel (.Nouvel exposé des témoignagnes histori-
ques en faveur de l'attribution du IV« Évangile à Jean l'Apôtre qui en est
428 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
tout ensemble l'auleiir et le rédacteur.) pp 50-72. — "\V. Me Donald. The
Livinrj Wage. (Admet le droit de l'ouvrier au salaire suffisant pour vivre,
mais critique quelques unes des bases morales que le Dr Harty assigne
à ce droit. Relient uniquement le principe du juste prix et expose la
manière dont il le conçoit. N'admet pas que « l'acheteur soit obligé de
payer un prix qui permette à l'employeur de donner à ses ouvriers le
salaire suffisant pour vivre ») pp. 73-82. — .1. Me. Caffrey. The Origin
and Développement of Calhedral and Collégiale Chapters in the Irish
Chnrch (à suivre). (Les Chapitres de chanoines séculiers n'apparaissent
en Irlande qu'à la fin du XII'' siècle. iN'y a-t-il pas eu avant cette date
de vie canoniale ? L'organisation ecclésiastique d'Irlande était-elle, à la
période celtique, purement monastique ? L'auteur, après avoir esquissé
l'histoire de la vie canoniale sur le continent, montre que saint Patrice
a introduit en Irlande, non pas un régime purement monastique, mais,
en même temps que des groupements de moines et de vierges, des
organisations ecclésiastiques mi-monastiques et mi-séculières analogues
à celles qu'il avait pu voir dans le midi de la Gaule. Le monasticisme
de l'Église irlandaise n'a jamais existé.) pp. 83-94.
JAHRBUCH FUR PHILOSOPHIE UND SPEKULATIVE THEOLOGIE.
XXII, 3. — P. Jos. Leumssa, 0. M. Cap. Zur Konlemplation. ^Quelques
remarques au sujet de l'article du P. Joseph du Saint-Esprit, même
revue, XXII, p. 436 svv.: Das Wesen der konlemplation. h'3i\ileuv y reven-
dique une place pour saint François de Sales dont il résume la doctrine
sur la matière, et donne, d'après l'original français des œuvres de
l'abbé Saudreau, la notion de contemplation exposée par ce dernier. A
rencontre du P. Joseph du Saint-Esprit, il la croit conforme à l'exposé
des anciens maîtres, et maintient la distinction de contemplation ordi-
naire et extraordinaire, telle que l'explique Saudreau.) pp. 276-284. —
P. DoM. M. PRiJMMER, 0. Pr. Bilderverehning und Kreuzesanbelung
nach dem NI. Thomas von Aquin. ^Commentaire de la qu. 25 de la
IIP Partie de la Somme Ihéologique à l'efTet de trancher un débat mené
dans le Tablel (n"* de Juin à Septembre. Trois principes résument la
doctrine de saint Thomas sur ce point: 1. Dieu seul peut être adoré
par un culte de latrie. C'est de foi. 2. La vénération que l'on porte à
l'image s'adresse directement au prototype, à la personne représentée
par l'image. 3. Les choses inanimées ne sont pas de soi susceptibles de
vénération ; il faut toujours qu'elles soient mises en rapport avec un
être raisonnable. Saint Thomas n'a absolument rien enseigné, qui soit
contraire aux Conciles de Xicée ou de Trente), pp. 284-305. — Fr. W.
SeuLossiNGER, 0. Pr. Die Erkenntnis der Engel. {l" avl'icle) Des Pr^eain-
bula traitent de l'existence et de la nature des anges. L'existence des anges
nous est clairement prouvée par l'Écriture. Il est de foi que ce sont des
êtres raisonnables, personnels, doués de liberté et spécifiquement dis-
tincts de l'homme. La spiritualité des substances angéliiiues n'est pas
objet de foi, mais un point de doctrine proximum fidei. — Connais-
sance des anges. La réalité de leur connaissance est mise hors de
doute par la sainte Écriture, les Pères et le magistère ecclésiastique.
Examen delà connaissance naturelle desanges. 1. Leur faculté cognas-
RECENSION DES REVUES 429
citive: ce n'est pas leur essence, mais une puissance distincte de l'es-
sence. Cependant, il n'y a en eux ni intellect possible, ni intellect agent,
au sens strict de ces mots; mais tout simplement une intelligence.
2. Les formes de ^intellect angéliqiie : Il n'a pas besoin de formes pour
connaître sa propre substance; des formes lui sont nécessaires pour la
connaissance des choses extérieures à son essence, non pas pour les
connaître secundum rationemcommunem — son essence lui suffit pour
cela — , mais pour les connaître secundum sua propria.) pp. 325-3i9. —
Pf. 0. WiTZ. Zum Begri/fder Apologetik.) Réponse aux remarques faites
par le Prof. Weber touchant la notion d'apologétique, défendue par
l'auteur (Schill, Jlieologische Prinzipienlehre-, 2'So.) pp. 3.50-333.
JOURNAL (THE) OF PHILOSOPHY, PSYCHOLOGY AND SCIENTIFIC
METHODS. 10 Oct. —G. Stuart Flllertgn. The Dociiine of the Eject.
II. (Après avoir essayé de fonder sur une connaissance immédiate la
croyance à d'autres esprits semblables aux nôtres, M. Taylor a dû
revenir à la preuve du sens commun ou argument par analogie qu'il
avait d'abord regardée comme insuffisante.) pp. o61-o67. — Discussion.
A. Vt,\ MooRE. Professor Per^nj on Pragmatism. (Bien que M. Perry ait
été plus exact que beaucoup d'autres dans son exposé du pragmatisme,
il a cependant commis quelques erreurs. Il a eu tort de lui attribuer la
distinction du sujet et des idées dans le processus logique et la concep-
tion d'une réalité inaltérable comme point de départ delà connaissance,
La vérité ne consiste pas plus dans l'identité de l'idée avec le réel que
dans leur correspondance.) pp. 567-377. = 24 Oct. E. Bradley Me
GiLVARY. 71ie Physiologicai Argument against Bealism. (L'argument
physiologique impuissant contre le réalisme se retourne contre l'idéa-
lisme. Ou bien, en effet, les modifications cérébrales n'existent que
lorsqu'elles sont perçues et elles ne peuvent être, en ce cas, des condi-
tions de la perception, ou bien elles existent sans être perçues et alors
le principe de l'idéalisme est ruiné.) pp. .389-601. — Rowland Haynes.
Allention Fatigue and the Concept of Infinitg. (L'épuisement de l'atten-
tion provenant de la considération d'éléments indifférenciés dans cer-
taines images est la condition psychologique essentielle de la conception
d'infini.) pp. 601-606. = 7 Nov. — G. Stuart Fullerton. 7'he Doctrine
of the Eject. III. (Bien que l'inférence par laquelle nous affirmons l'exis-
tence d'autres esprits ne soit pas susceptible d'être vérifiée dans les
mêmes conditions que les hypothèses des sciences de la nature, elle
n'en est pas moins rationnelle et il est inutile pour la justifier de recou-
rir à l'instinct comme le fait M. Strong.) pp. 617-623. — Percy Hugues.
Concrète Conceptual Sgnthesis. (Ce n'est pas dans le sens d'une généra-
lisation de plus en plus haute, mais dans celui d'une synthèse concep-
tuelle concrète toujours plus riche que doivent s'orienter l'histoire et la
géographie. Dans l'enseignement de ces sciences, il faut faire ressortir
la différence radicale de ces deux procédés.) pp. 623-630. — Bermard
C. Ewer, 7'he Anti-Realistic « Bow ? ». (Si la conception réaliste de la
connaissance est sujette à de nombreuses objections, l'affirmation de la
transcendance qui est un fait primitif et irréductible ne doit pas être
regardée comme une véritable difficulté.) pp. 630-633. = 21 Nov. — .\.
430 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Ek.nest Davies. Imagination and Thought in Human Knowledge. {Le rôle
de l'imaginafion dans la connaissance a été jusqu'ici négligé en épisté-
mologie ; il est cependant possible de concevoir l'imagination de telle
sorte qu'elle serve comme instrument de vérité.) pp. 645-655. — S. Ivory
Fkanz. Psycliology ai livo International Scientific Congresses. (Compte
rendu des travaux de psychologie présentés au 7« congrès international
des physiologistes de Heidelberg [Août 1907] et au 1" congrès inter-
national de psychiatrie, neurologie et psychologie d'Amsterdam [Sep-
tembre 1907].) pp. 655-639. — Wendel T. Bush. Sub Specie jEternilalis.
(Il importe de distinguer en métaphysique les « problèmes principaux »
qui surgissent de la condition actuelle du monde des « problèmes secon-
daires » constitués par des contradictions entre des conceptions tradi-
tionnelles ou entre celles-ci et l'expérience contemporaine.) pp. 659-673.
=^ 5 Dec. — Mary Whiton Calkins. Psychology : What is it about? (La
définition et la classification, en dépit de la méfiance dont elles sont
l'objet, doivent jouer en psychologie un rôle important sinon primordial.
Représenter la psychologie comme la science des idées (états de con-
science) ou comme la science des fonctions mentales, c'est en donner
une définition inadéquate ; elle est, en réalité, la science du moi qui
possède ces idées, qui accomplit ces fonctions.) pp. 673-683. — E.
Bradley Me GiLVARY. Realisiii and Ihe Physical World. (Le dilemme où
l'on prétend enfermer le réalisme — ou toutes les qualités perçues sont
identiques aux qualités réelles, ou aucune ne l'est, — laisse place a une
troisième alternative : l'identité existe en certains cas, en d'autres elle
est absente. Énumération des critères au moyen desquels nous pouvons
distinguer les premiers des seconds.) pp. 688-682. = 19 Dec. — G. Yai-
LATi. J'he Altack on Distinctions. (Les efforts tentés par la critique
philosophique pour abolir les distinctions communément admises,
n'aboutissent qu'à introduire de nouvelles distinctions presque toujours
plus nombreuses et plus importantes que les premières.) pp. 701-709.
— Discussion. S. Edward Lang. Logic and Educational Theory. (Réponse
aux critiques élevées, par le Prof. Hibben, dans sa recension del'ouvrage
de l'auteur : A Primer of General Melhod, contre le point de vue prag-
matiste de ce livre.) pp. 709-713. = 2 Janv. — Arthur 0. Lovejoy. The
Thirteen Pragmatisms. I. (\\ faut distinguer soigneusement dans le prag-
matisme la théorie de la signification des propositions de celle du
critérium qui permet d'en établir la légitimité. Il faut distinguer aussi
les conséquences pratiques impliquées dans une proposition, qu'on y
adhère ou non, de celles qui dépendent de l'adhésion qu'on y donne.)
pp. 3-12. — Mary W. Calkins. Psychology as Science of Self. I. Is the
Self Body or Bas it Body? (Le moi n'inclut ni n'exclut le corps; le moi
a un corps dont il est distinct bien qu'en relation étroite avec lui. La
fonrtion propre de la psychologie est de décrire les faits de conscience ;
les explications empruntées à la physique, à la physiologie et même à la
biologie, fussent-elles complètes et vérifiées, ne peuvent être considérées
que comme un supplément à cette œuvre fondamentale.) pp. 12-20.
JOURNAL DE PSYCHOLOGIE NORMALE ET PATHOLOGIQUE. Janv.-
Fév. — G. Dumas. Qu'est-ce que la psychologie pathologique ? (La psycho-
RECENSION DES REVUES 431
logie y)Mlliologique a pour objet d'établir les lois psychologiques de nos
états morbides et de conclure, si possible, aux lois psychologiques de nos
étals normaux. L'auteur étudie en particulier comment laméthode princi-
palement unalytique de la psychologie pathologique doit se distinguer de
la méthode synthétique employée par le médecin aliéniste en vue du
traitement des affections mentales. Un principe important qui doit gou-
verner la psychologie pathologique dans son étude, c'est qu'il faut
moins s'attacher au contenu logique de l'esprit de l'aliéné observé, que
chercher à découvrir les lois biologiques, ou les lois psychologiques
élémentaires qui régissent son automatisme inconscient.) pp. 10-22.
= Mars-Avril. -- H. Piron. La question du siège des émotions et la
théorie périphérique. (Répond aux critiques et difficultés soulevées par
M. Revaut d'Allonnes touchant l'hypothèse de la localisation corticale
de l'émotion.) pp. J6(!-lfi8.
NEW-YORK REVIEW (THE). Nov-Déc. - Th. Gerhard. Divine
Personality. (Notion de la personnalité d'après saint Thomas et la philo-
sophie moderne. De quelle manière les éléments essentiels de la person-
nalité se trouvent réalisés en Dieu.') pp. 243-2.57. — D. Barry. 7 he True
Funclion of Expérience in Belief. (L'expérience des œuvres de la grâce
divine dans nos âmes et la valeur que possèdent certaines doctrines au
point de vue de la vie spirituelle concourent, avec l'autorité de Dieu,
à convaincre l'intelligence de la vérité religieuse et à édifier la vertu
dans les cœurs.) pp. 2.')8-267. — F. Duffy. The Current Science-Philoso-
phy. (Le philosophe ne saurait ignorer les résultats positifs de la
science. Mais la science ne peut prétendre se substituera la philosophie.
L'impuissance du monisme à expliquer les rapports de la matière et de
l'esprit en est une preuve.) pp. 268-291. — A. Roussel. A Sludy in
Buddhism (à suivre). (L'auteur aborde une série d'études sur le
bouddhisme. La première est consacrée à la persoime même du Boud-
dha: « Nous nous efforcerons de distinguer, dans la vie du Bouddha,
les éléments historiques et les éléments légendaires, en examinant, au
point de vue critique, ce qui est connu ou tout au moins affirmé sur sa
jeunesse, les commencements et la durée de sa prédication et sur sa
mort. ))^ pp. 292-312. — G. Oussani. The Virgin Birlh of Christ and
modem Criticism (à suivre). (Après avoir résumé l'histoire de la contro-
verse relative au dogme qui affirme la naissance virginale du Christ,
l'auteur établit que ce dogme est en même temps un fait historique
inattaquable et qu'il n'a pu être le résultat d'un simple développement
théologique.) pp. 313-341.
MIND. Janv. — IIurert Foston. ISon-PhenomenaUly and Otherness.
(Il faut chercher le fondement assuré de notre croyance à des êtres
distincts de nous dans la conscience de notre activité en tant qu'elle
s'oppose à la conscience de nos sensations et aussi dans le sentiment.
On trouve là de part et d'autre des éléments qui dépassent le plan des
phénomènes.) pp. 1-19. — The Editor. Immediacy, Mediacy and Cohé-
rence. (11 existe des connaissances immédiates, données sensibles ou
principes évidents par eux-mêmes. La cohérence prise en elle-même ne
432 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
peut pas être le critérium unique de la vérité ; elle doit, en dernière
analyse, avoir pour fondement quelque connaissance immédiate. Examen
de quelques objections.) pp. 20-47. — Mary II. Wood. IHalo's Psycholo-
gy in its bearing on the Development of Will (à suivre). (Platon a consi-
déré l'esprit comme un tout et ne l'a pas divisé en facultés. Étude du
développement de Tesprit dans sa philosophie, de ses idées sur l'appé-
tit et l'émotion.) pp. iS-TS. — Ç,\^\En\W.E\X). A Poxthumous Chapler
hy J. S. Mill. (L'écrit posthume de Mill intitulé : On social Freedom,
dénote un changement d'opinion sur le rôle des motifs en morale et
achève de mettre en lumière la ressemblance de son éthique avec celle
de Hutcheson.) pp. 74-78.
QUESTIONS ECCLÉSIASTIQUES (LES). Janv. — J. Â. Chollet. La
morale modernisle. (Il y a une morale moderniste, elle est évolutionniste
et subjective. Par là elle s'oppose à la morale catholique qui ne peut
s'accommoder de l'évolution, est avant tout objective et en conséquence
immuable dans ses préceptes.) pp. 13-24. — J. Pra, S. J. htude ihéolo-
gique sur V Eucharislie. (Les scolastiques modernes, qui ne s'accordent
pas entre eux. difTèrent des anciens scolastiques sur la transsubstan-
tiation et le mode sacramentel de présence du Sauveur dans l'Eucha-
ristie.) pp. 38-52. = Fév. — J. A. Chollet. La morale moderniste
(2^ art.). (Le modernisme, ayant vidé de son contenu l'idée d'un Dieu
personnel, ayant supprimé les fondements objectifs de l'action morale,
s'est réfugié dans la conscience, et dans la conscience commune^ pour y
trouver la source de nos obligations. Mais la conscience commune ne
peut éclairer l'action humaine, car elle n'existe pas toujours ; elle ne
peut avoir force obligatoire, car elle n'a pas plus de force obligatoire
que les consciences individuelles dont elle est formée ; enfin elle est
impuissante à fournir des sanctions proportionnées et suffisantes.)
pp. 97-107. — J. Pra, S. J. Elude Ihéologique sur V Eucharistie (2^ art.).
(A rencontre de quelques théologiens modernes, l'auteur établit théolo-
giquement l'opinion des théologiens scolastiques, reprise par le R. P.
Billot, selon laquelle le corps du Christ a par concomitance dansl'Eucha-
ristie ses dimensions, sa stature, sa figure, ses qualités naturelles, la
transsubstantiation ne modifiant rien en lui.) pp. 122-134. — H. Qlilliet.
Eévolution et le modernisme. (L'évolution est posée à la base de toute
la théorie moderniste. Voulant critiquer celle-ci, l'auteur envisage
d'abord l'évolution vitale appliquée au dogme. Dans ce premier article
il détermine l'idée catholique du dogme et de son développement. Les
deux éléments objectifs qui constituent l'essence même du dogme sont
la révélation de Dieu et la proposition de l'Église ; quant au développe-
ment dogmatique, il est ainsi circonscrit : l'identité substantielle des
concepts révélés doit se retrouver sans autre changement qu'un change-
ment modal, passage de l'état confus à l'état défini, de l'implicite à
l'explicite.) pp. 1.35-148. = Mars. — T. Thamiry. Science et Foi. (Entre
la science et la foi il y a la métaphysique et c'est sur le terrain de cette
dernière seulement que les conflits sont possibles. Les dogmes étendent
le champ de notre vision intellectuelle sans violer l'immanence de notre
vie rationnelle. L'homme n'est pas condamné au nominalisme scienti-
RECENSIOX DES REVUES 433
fique et à l'agnosticisme religieux.) pp. 193-204. — H. Quilliet. L'évolu-
tion el le modernisme. Ch. I. L'évolution vitale et le dogme. (Expose
l'idée moderniste de la foi, du dogme et de leur développement, d'après
les actes du Saint-Siège.) pp. 219-244.
RAZON Y FE. Janv. — L. Murillo. La enciclica Pascendi dominici
gregis sobre el modernismo. (Repousse, au point de vue tliéologique, les
conséquences déduite; de Vimmanentisme, surtout en ce qui regarde
les Sacrements, l'Écriture Sainte et l'Église. Examine ensuite la valeur
philosophique, logique, critique du système moderniste.) pp. 24-39. —
E. Ugarte de Ercilla. Derechos armônicos y exclusivos de la fîlosofia
escolàstica à la psicologla expérimental. (Seule la philosophie scolastique
peut présenter un système, des théories, des titres ou documents pour
donner une valeur aux travaux de psychologie expérimentale, parce
que seule elle peut justifier ces trois faits indiscutables : l'irréductibilité
des phénomènes psychiques aux phénomènes physiologiques, leur
corrélation mutuelle et une certaine hégémonie des uns sur les autres.
Prouve cette affirmation en réfutant le monisme matérialiste, le pan-
psychisme moniste, le parallélisme, le dualisme cartésien et celui de
l'influxus physique et en défendant le dualisme scolastique.) pp. 61-75.
=^ Fév. — A. M. DE Elorriaga. £1 magisterio de la Iglesia segiïn el mo-
dernismo (à suivre). (Expose les affirmations des modernistes sur le
magistère de l'Église, recherche leur fondement, établit leurs relations
avec le nouveau Syllabus.) pp. 160-170. = Mars. — A. M. de Elorriaga.
El magisterio... (Réfute les affirmations des modernistes sur le magi-
stère de l'Église par la Constitution Pastor yElernus du concile du
Vatican.) pp. 339-352.
REVUE AUGUSTINIENNE. 15 Janv. — L. Talmont. Philonel la pensée
chrétienne primitive. (Il y a deux hommes en Philon : le Juif à l'ortho-
doxie rigide, à la piété profonde, qui s'inspire et se nourrit de l'Écriture ;
l'helléniste que séduisent la philosophie et la littérature grecques.)
pp. 5-20. — Tu. RÉTAUD. Neivman et le Neivmanisme. La psychologie de
la foi. (Newmian a eu tort de croire qu'on peut se passer de la philosophie
pour étudier la foi et d'affirmer que la raison n'arrive jamais qu'à des
probabilités.) pp. 21-36. — J. Derambure. Melchisédech, type du Messie.
(Royauté, sacerdoce, nom, condition biblique, altitude, tout converge
autour de la royauté et du sacerdoce messianiques.) pp. 37-62. —
J. Grillon. Qu'est-ce que V habitude ? (U h dihiinde est une qualité spéciale.
En elle-même, l'habitude est un phénomène stable, la disposition un
phénomène instable.) pp. 63-70. = 15 Fév. — S. Protin. La théologie
de saint Paul. Genèse de la pensée de saint Paul. (Pour saisir la genèse
de la théologie de saint Paul, il faut en rechercher les éléments, et du
côté de sariche nature, et du côté des révélations de Jésus. Si loin que
s'étende l'influence religieuse et doctrinale de la première apparition
du Christ, il ne faut pas y chercher toute la théologie de saint Paul. Son
élaboration se poursuit pendant les trois années de retraite en Arabie
et celles qu'il passa dans la demi-obscurité de Tarse.) pp. 162-185. —
A. UiNTERLEiDNER. L'effet immédiat des Sacrements. (L'effet immédiat des
2^ Année. — Revue des Sciences. — N" 2. 28 •
434 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Sacrements serait la grâce sacramentelle, mais la grâce sacramentelle
considérée au sens large, c'est-à-dire la grâce sanctifiante ou grâce
des vertus et des dons, accrue des fruits accessoires spéciaux à chacun
d'eux.) pp. 186-194. = 15 Mars. — J. Deligny. La bénédiction de la fin
de la messe. (La coutume de faire suivre Vite missa est de la bénédiction
est empruntée aux usages romains. Les évêques durent insensiblement
usurper ce rite d'abord réservé au Pape. Celte bénédiction ne fut per-
mise au.K prêtres que vers le XI^ siècle.) pp. 31G-321.
REVUE BÉNÉDICTINE. Janv. — D. G. Morix. Les « Dicta » d'Hériger
sur C Eucharistie. (« L'opuscule sur l'Eucharistie attribué à Hériger par
Sigebert et le catalogue de Lobbes de 1049 est bien véritablement cette
petite collection de textes, de tout point impersonnelle, que contiennent
les trois mss. de Gand, de Bruxelles et de Liège. — Mais rien n'empê-
che que le traité de l'anonyme de Cellot, autrement dit le Dicta abbatis
Herigeri, ne soit également l'œuvre de l'abbé de Lobbes, comme l'avait
cru Mabillon; au contraire, la comparaison des Dicta avec YExaggeratio
induit naturellement à admettre l'identité d'auteur. L'attribution à Ger-
bert doit, décidément, être abandonnée. — Mabillon a encore deviné
juste quand il a proposé d'identifier le Dicta rujusdam sapientis du
recueil de Gembloux avec la lettre perdue de liaban Maur à Eigil de
Priim ; mais il ne s'est pas aperçu que la seconde moitié de cette lettre
était dirigée contre un adversaire autre et plus haut placé que Pascase
•Radbert... ») pp. 1-18. — D. P. De Meester. études sur la théologie
orthodoxe (Suite). (3. Le monde matériel. La cosmogonie de la Genèse
(attribuée à Moïse) est vraie. Une double création : tirer du néant la
matière puis l'organiser. Il faut rejeter tout transformisme. 4. L'homme.
Origine : récit de la Genèse. Nature : composé de corps et d'âme, non
de corps, âme et esprit. Peu de spéculation sur la nature de l'âme. Ori-
gine de l'âme : quelques théologiens soutiennent le traditionisme, d'au-
tres le créationisme, médiat ou immédiat.) pp. 72-82. — D. G. Morin.
Le commentaire inédit sur les LAX Psaumes du ms. 18 d' Einsiedeln.
(Date probablement du YIII^ s., et fut composé soit dans la région de
Home, soit en Germanie. L'auteur, un certain Adelbert pourrait être,
ou le premier abbé de Pfavers (Fabariae), ou le B. Ambroise Autpert,
abbé de Saint-Vincent au Vulturne (2'^ moitié du YIII« s.), pp. 88-94.
REVUE BIBLIQUE. Janv. — A. Durand. Les frères du Seigneur.
(L'exégèse qui fait de ces personnages des frères de Jésus, nés de la
même mère, est incompatible avec le dogme de la perpétuelle virginité
de Marie. Au sujet de leur degré de parenté avec Jésus, il n'existe
aucune donnée dogmatique proprement dite. L'on tend présentement à
les considérer comme des cousins paternels de Jésus et à les diviser en
deux groupes issus, le premier de Clopas, frère de Joseph, et le second
de Marie, femme d'Alphée, sœur de Joseph.) pp. 9-35. — M. J. Lagr.^xge,
Le règne de Dieu dans l'Ancien Testavient. (Dans l'A. T. le règne de
Dieu s'entendait de trois manières : Dieu était roi d'Israël, roi du monde
et roi des élus. Ce dernier titre se référait à l'eschatologie particulière.
II apparaît seulement dans les livres grecs de l'A. T. La conception
RECENSION DES REVUES 435
« roi d'Israël » est plus ancienne que celle de « roi du monde », formu-
lée en termes catégoriques pour la première fois dans Daniel. Mais ce
ne sont point des idées tellement distinctes que Tune ait supplanté
l'autre ; c'^st toujours le même Dieu et le même Roi.) pp. 36-61. —
P. Dhorme. L Élégie de David sur Saïil et Jonathan. (Traduction et
exégèse du morceau connu sous le nom, injustifié, de « Chant de l'arc »,
//. Sam., i, 17-27.) pp. 62-74.— D. De Bruyne. Une concordance biblique
d'origine pélagienne. (Il s'agit d'une Concordia epistolarum Pauli, qui
existe en deux recensions, l'une plus brève et que l'auteur tient pour
primitive, l'autre plus longue et représentant une amplification tardive
de la première. La recension brève et primitive ofïre quelques particu-
larités en petit nombre qui sont signalées.) pp. 75-83. — M. Lepin. A
propos de l'origine du Quatrième Evangile. (Prenant occasion d'une cri-
tique de M. Ladeuze expose les raisons qui le portent à affirmer la com-
position directe, et pas seulement médiate, de l'Évangile par le fils de
Zébédée) pp. 84-102. — M. J. Lagrange. Za Revision de la Vulgate.
(Signale quelques-unes des questions qui se posent à l'occasion de la
mission confiée aux Bénédictins de réunir les matériaux d'une nouvelle
édition de la Vulgate latine, et qui s'étaient déjà posées à l'époque du
Concile de Trente. Faut-il se borner à donner une édition critique de
l'œuvre de saint Jérôme ou entreprendre de critiquer cette œuvre et d'y
faire des corrections ou même d'essayer une nouvelle traduction ?)
pp. 102-113.
REVUE CATHOLIQUE DES ÉGLISES. Janv. et Févr. — L. Venard.
Les r. tildes bibliques en France, depuis 15 ans. (Revue des principales
publications scripturaires, et indication de leurs tendances. « La
science biblique a fait chez les catholiques de très notable progrès-
... Il n'est pas douteux qu'il n'y ait en exégèse un sage progressisme
que le Souverain Pontife encourage... L'écueil serait de vouloir élever
trop tôt de vastes synthèses qui risqueraient de reposer sur des données
insuffisamment établies. L'œuvre est aux patientes- analyses, aux études
de détail »). pp. 3-17 ; 69-87.
REVUE DU CLERGÉ FRANÇAIS, l^-" Janv. — E. Vacandard. Les
fêtes de Noël et de V Epiphanie. (Décrit la manière dont se célébrait,
au cours des siècles, leur solennité.) pp. 5-24. — G. Michelet. L'expé-
rience religieuse d'après M. William James. (L'explication de l'origine
de la religion par le subconscient est une fantaisie psychologique et ne
rend pas compte de la spécificité du fait religieux. Les conversions
lentes s'expliquent par une conviction raisonnée et non par la poussée
du subconscient. Dans les conversions soudaines obtenues dans l'Église
catholique, les circonstances qui les précèdent, les accompagnent ou
les suivent, sont d'une autre nature que dans les conversions citées
par James. Les extases diffèrent des autres phénomènes pathologiques
par leurs causes, leur mode de connaissance, et leur mode d'action
consécutif. L'interprétation métaphysique du subconscient, donnée par
James, ne satisfait ni le psychologue, ni le théologien, ni le métaphy-
sicien.) pp. 25-47. = 15 Janv. — M. Lepin. La résurrection de Lazare
436 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
(Le récit de la résurrection de Lazare s'iiarmonise siifïisamment avec
Je cadre général et les données particulières de la tradition synoptique.
Les premiers Évangiles gardent le silence sur cet épisode important,
mais on y rencontre des omissions pareilles à celle qui est en question.
Les renseignements que Tévangéliste nous fournit sur ces personnages,
ne sont pas dérivés des textes synoptiques : ils ne peuvent venir que
d'une information indépendante et personnelle.) pp. 129-155. =
1*'' Fév. — F. Mallet. L'unité complexe du 'problème de la foi. Méprises
et éclaircissements. (Réponse aux critiques formulées contre son étude
sur la Foi et la Science [Revue du Clergé français, l®"" et 15 Août 19061.
Montre qu'on a méconnu complètement le problème qu'il s'était proposé
en parlant des motifs de la volonté, des idées nées de l'action droite et
bonne, des dispositions morales qui sont une condition de l'efTicacité
des motifs de crédibilité ; signale l'inconvénient de distinctions, qui.
commodes pour l'analyse spéculative, sont fausses dès qu'on prétend
y assujettir la réalité même ; expose l'unité du problème de la foi en
décrivant les relations réciproques des motifs de crédibilité, de l'inter-
vention de la volonté, de la grâce.) pp. 257-285. = 45 Févr. —
E. Mangenot. Les Evangiles synoptiques. (Analyse critique de l'Intro-
duction du récent ouvrage de M. Loisy [Les Evangiles synoptiques. 2 vol.
in-8, chez l'auteur, à CefTonds, près Montier-en-Der (Haute-Marne) ].
Caractérise la méthode suivie dans le commentaire.) pp. 390-416. —
E. BouRGiNE. Jésus et l'idéal des pacifistes. (Ce n'est pas le vague huma-
nitarisme, qui facilitera la marche ascendante des pacifistes vers l'idéal,
mais le christianisme. Seule, par les principes qu'elle proclame et par
l'action qu'elle exerce, la doctrine de Jésus peut faire régner intégra-
lement, dans le cœur des hommes, la justice, la charité, la fraternité,
et, par-dessus tout, cette bonne volonté sans laquelle il ne saurait
exister de paix durable.) pp. 417-427. = l*"" Mars. — L. Désers. La
crise religieuse au point de vue intellectuel. (Réfutation des objections
courantes contre Dieu, le miracle, la Bible.) pp. 513-541. = 15 Mars.
— E. HuGUENY, 0. P. Imperfection et péché véniel. (L'imperfection n'est
qu'un nom. L'omission délibérée de l'œuvre de conseil est toujours,
dans le juste, ou mérite, ou péché véniel.) pp. 641-660. — J. Tirmel.
La Sainte Vierge dans l'histoire. (Résume la brochure de M. Herzog
[La Sainte Vierge dans l'histoire. Paris. Nourry] ; expose l'interpré-
tation de Suarez, Cano, Petau sur le témoignage de la tradition relati-
vement à l'Immaculée Conception, à l'impeccabilité de la Sainte Vierge,
à sa virginité in parla el post parlum.) pp. 661-670.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE. Janv. — E. Tobac. La diy.y.to-
aûvri Qeov dans saint Paul. (Par justice de Dieu, S. Paul exprime ce concept
avant tout eschalologique de la volonté salvi tique commeattribut divin.)
pp. 5-18 — F. CuMONT. Une inscription manichéenne de Salone. (Publiée
par Mgr Bulic ( Bulle tin o di archeologia Dalmata, t. xxix (1906), p. 134.)
Fait mention d'une vierge manichéenne. M. F. C. la croit de l'époque de
Julien ou de Constantin. Probablement première inscription de ce genre
trouvée dans l'empire romain.) pp. 19-20.
RECENSION DES REVUES 437
REVUE DE LINSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS. Janv.-Févr. —
L. Clotet. La Papauté depuis l'avènement de Grégoire le Grand jusqu'en
Van SOO. (Événements et caractères généraux de celte période, u L'his-
toire de la Papauté aux vu*' et viii* siècles contient une étape de cette
marche générale du monde chrétien qui n'a de spécial à cette époque
que les conditions où elle a eu l'occasion de s'accomplir. »j pp. 22-39. —
J. GuiBERT. Le Déterminisme. («Pour porter à la notion de liberté un
coup mortel, les matérialistes ont tenté de réduire l'univers, y compris
les pensées et les actes volontaires de l'homme, à un déterminisme
rigide. Or, le déterminisme très réel, établi par Dieu même pour assurer
l'ordre dans l'univers, n'est pas si rigide que l'homme et Dieu ne
puissent y introduire des actions volontaires. ») pp. 60-86.
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. Janv. — É. Boutrolx.
William James et l'expérience religieuse. (Analyse la doctrine de \V.
James: détermination de l'élément religieux — sa valeur — ses rapports
avec la science. On a contesté, sans raison décisive, que l'expérience
religieuse dont parle James fût une véritable expérience : ce qui est
vrai, c'est que cette expérience est mélangée de foi, comme, dans la
pensée de James, toute autre connaissance. On s'est demandé plus
justement jusqu'à quel point elle méritait d'être appelée religieuse: la
foi renferme des éléments intellectuels, extérieurs et traditionnels, qui
lui paraissent indispensables. James néglige aussi, à tort, le caractère
social de la religion, qui peut avoir en lui-même une valeur religieuse ~'
et constitue, de toute façon, l'une des parties essentielles de la religion
même personnelle.) pp. 1-27. — H.Bergson. A propos de l\<. Évolution.
de iintelligence géométrique ». (Réponse aux observations de M. Borel.
Celui-ci s'est mépris sur la pensée de l'auteur de V Évolution créatrice.)
pp. 28-33. — H. BouASSE. Évolution de la matière et physique des corps
solides. (Â propos de l'ouvrage de M, G. Le Bon. « On ne révolutionne
pas la Science : les physiciens n'ont pas à craindre de voir réduire à
néant leurs résultats expérimentaux et leurs théories, en raison même
de la nature de la certitude de ces résultats et de ces théories. Corré-
lativement, la Science progresse sans se perfectionner : ... Ses procédés
logiques sont restés identiquement les mêmes depuis les premiers temps
de son existence plus ou moins consciente. — Le progrès de la Science
consiste à appliquerlesméthodes toujours les mêmes à des sujets de
plus en plus nombreux ».) pp. 'ài-ôi. — G. Dwelsiiauvers. De l'intuition
dans l'acte de Tesprit. (Extrait d'un livre qui paraîtra prochainement
sous ce titre : la Synthèse mentale, ch. I, §3, fin. « C'est de l'intuition
que part l'analyse et c'est à elle qu'elle aboutit. » Distincte du savoir
réfléchi et objectif, elle « explique la croyance au monde extérieur et
imprime le mouvement à toute notre activité synthétique ».) pp. oo-
63. — G.Cantecor. Étude de morale positive, par i]L Belot. (Analyse la
doctrine de M. Belot : critique des méthodes, — détermination critique
des vraies conditions du problème moral, — détermination systéma-
tique du contenu et de l'esprit de la vraie morale. Le point de départ de
M. Belot est contestable : il laisse indéterminé le sens précis et spéci-
fique du terme « moral. » — La méthode expérimentale ne suffit pas à
438 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
expliquer pourquoi l'homme est moral et s'impose certaines règles, ni
pourquoi l'ulililé sociale serait une fin absolue et obligatoire.) pp. 66-
9:2. — De Parodi. Le Pragmalisme, d'après MM. W. James et Schiller,
(Analyse et critique. Sources '< multiples, lointaines et profondes » ;
équivoques el ambiguïté du pragmatisme ; il est pragmatiquement
impossible de s'y tenir.) pp. 93-112. — M. Winter. Sur la logique du
Droit. (Réponse à M Mallieux. — « La logique fixe les conditions géné-
rales nécessaires que doivent vérifier les raisonnements des juristes,
elle ne détermine pas toutes les conditions suffisantes du discours
juridique. ») pp. 113-117.
REVUE NÉO-SCOLASTIQUE. Févr. — C. Sentroul. La vérité dans
l'art. (Délimite d'abord la question, en établissant : 1" que certaines
œuvres d'art ne sont pas susceptibles de vérité ; 2° que certaines
œuvres intellectuelles tiennent un caractère artistique de la mise en
évidence de la vérité même ; montre ensuite que Tart n'est pas propre-
ment une imitation réaliste. L'œuvre d'art d'imitation est belle fonda-
mentalement à raison du réel imité, donc à raison de la vérité ; elle ne
diffère en beauté d'avec le réel qu'à raison de ce qu'elle ne représente
pas ou de ce qu'elle refuse aux sentiments qui gêneraient le plaisir
esthétique.) pp. 5-47. — J. Lottin. La statistique morale et le déter-
minisme. (Analyse la nature des régularités ou lois statistiques, déter-
mine le rapport qu'il y a entre les lois statistiques et les questions
relatives au déterminisme individuel et au déterminisme social. I. Les
résultats de la statistique morale sont explicables par la seule influence
des motifs d'action, supposés déterminants. II. Les régularités statis-
tiques n'offrent aucune preuve du déterminisme qui régirait les phéno-
mènes moraux. III. Les régularités statistiques permettent, dans une
certaine mesure, les inductions sociologiques.) pp. 48-89. — N. Bal-
THASAR. Le problème de Bien d'après la philosophie nouvelle. (La philo-
sophie nouvelle est un édifice harmonieux ; une seule chose lui manque,
m.iis elle est fondamentale : c'est une base solide. Le devenir en effet
ne peut être le fond de l'être que si l'on nie la portée des principes
d'identité et de causalité. Ce sont ces mêmes principes qui font la force
el la fécondité de la philosophie de l'être.) pp. 90-124.
REVUE DE L'ORIENT CHRÉTIEN. 4. — S. Vailhé. Saint Euthyme le
Grand, moine de Palestine (suite-à suivre). (Chapitre II. Saint Eutliyme
et saint Théodiste.) pp. 337-355. — Fr. M. J. Lagrange. Le sanctuaire
de la Lapidation de Saint Etienne à Jérusalem (à suivre). (Réponse au
R. P. Siméon Vailhé qui, après avoir autrefois fermement placé le sanc-
tuaire de la Lapidation au nord de Jérusalem, le transporte aujourd'hui
à l'est, dans la vallée du Cédron. Or, 1*^ l'inscription trouvée dans la
vallée du Cédron en 1904 a été rapportée à Jérusalem de Bersabée, son
vrai lieu d'origine ; 2° les difficultés de critique textuelle qu'on oppose
au témoignage de Théodosius (Breviarius de Bierosoh/ma, vers 630)
et à la lettre du prêtre Lucien, ne résistent pas à un examen appro-
fondi.) pp. 414-428.
RECENSION DES REVUES 439
REVUE DE PHILOSOPHIE. Janv. — D^ G. Dromard. Les éléments
violeurs de rémolio» esthétique. (Le plaisir de Fémolion esthétique vient
de Tactivité qu'elle suppose pour reconstituer et amplifier par nos
impressions personnelles l'idéal exprimé et suggéré par l'œuvre d'art.)
pp. 0-16. — E. Peillaube. V organisation de la mémoire (suite). (II. La
vie latente des souvenirs. § I. L'action du temps sur l'évolution des
souvenirs.) pp. 17-26. — J. Martin. Une histoire des idées esthétiques.
(Analyse de VHistoria de las Ideas Estelicas en Espaùa, por el Doctor
D. M. Menendez y Pelayo, de las Reaies academias Espaiiola y de la
historia, caledrâtico de la Universidad de Madrid. — 7 vol., Madrid,
Ferez Dubrull 1883, et suiv.) pp. 27-55. = Fév. — G. de Beaupuy.
L'argument de saint Anselme est « a posteriori >>. (« L'argument
ontologique, attribué à saint Anselme, ne lui appartient pas; sa preuve,
à lui, de l'existence de Dieu, telle qu'il l'a conçue et exposée, s'appuie
tout entière sur la révélation, ou sur une démonstration a posteriori. »)
pp. 120-133. — P. DuHEM. Le mouvement absolu et le mouvement relatif
(à suivre) (viii, Jean Duns Scol. ix. L'école scotisle. — Jean le chanoine)
pp. 134-150. — Et. Rome. Le « dualisme pascalien. » (Étude critique de
l'ouvrage de E. Janssens : Jm Philosophie et l'Apologétique de Pascal.
Alcan, 1906. ) pp. 152-170. =3 Mars. — A.-D. Sertillanges. Lame et la
vie selon saint Thomas d'Aquin. (La méthode de S. Thomas en psycho-
logie est physique et objective ; rarement il se sert de l'introspection. —
L'être vivant est celui <• qui se meut lui-même », par opposition au non-
vivant dont le mouvement naturel est donné par l'engendrant comme
un complément de sa nature. La formation, la conservation et l'évolu-
tion générale du vivant s'expliquent par la théorie des formes, des
« idées directrices ^) immanentes. La forme du vivant s'appelle âme. La
direction et l'action de l'àme, à l'intérieur du composé, doivent donc
être compris comme la direction et laction d'une forme, c'est-à-dire
d'un principe déterminant mais partiel, qui ne détruit pas à son profit
l'unité parfaite d'existence, de vie el d'opération, attribut essentiel du
seul composé.) pp. 217-231. — P. Duiiem. Le mouvement absolu el le
mouvement relatif [h. suivre.) (\. Guillaume d'Occam. xi.Walter Burley.)
pp. 246-265. — F. Warralv. La Raison pure et les Antinomies. (Étude
critique de l'ouvrage de F. Evellin, Alcan, 1907.) pp. 266-274.
REVUE PHILOSOPHIQUE. Janv. — A. Lalande. Pragmatisme, huma-
nisme, vérité. (Analyse critique de deux ouvrages récents, le Pragma-
tisme de W. James et les Sludies in Humanism de M. F. C. S. Schiller.)
pp. 1-26. — F. Paulhan. La contradiction de Vhomme. (Naturellement
la morale sociale s'oppose à la morale individuelle et s'accorde en
même temps avec elle, q.omme la vie de l'individu et la vie de la société,
dont ces morales sont l'expression idéalisée, s'accordent et s'opposent.
Cest de cette situation troublée et de ce mélange d'accords et d'oppo-
sitions que naît toute notre morale. Description des illusions créées par
les conventions du milieu social pour diriger et orienter la morale indi-
viduelle.) pp. 27-47. — J. J. van Biervliet. La psychologie quantitative
(fin.) (Étudie les procédés des expériences de laboratoire de la psycho-
logie expérimentale, signale les défauts des recherches entreprises
440 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
jusqu'à ce jour et l'idéal de précision vers lequel elles doivent tendre.
Conclusion de toute l'étude de l'auteur sur la psychologie quantitative :
la psychologie expérimentale, malgré le peu d'importance de ses résul-
tats jusqu'alors, est la véritable psychologie scientifique de l'avenir.)
pp. 48-70. = Fév. — M. Milliold. Essai sur Vhistoire valurelle des idées.
(Par où, comment et pourquoi certaines idées réussissent-elles à s'établir
en nous, à nous mouvoir avec la force du préjugé et même avec la
persistance de l'instinct, tandis que d'autres échouent? Aperçu des
diverses formes de réduction, d'action, d'évanescence, forme person-
nelle, forme fictive, qu'une idée peut prendre dans un esprit.) pp. 113-
144. — F. Pauluan. La contradiclion de lliomme (fin). (Un des premiers
moyens de l'instinct social pour séduire et dompter l'instinct
individuel, c'est la théorie du devoir. Le devoir est essentiellement
conditionnel et hypothétique; en l'imposant, le sens social veut faire
triompher le principe d'autorité. Le devoir est impératif, son autorité
est extérieure, abstraite et anonyme. Mais en même temps l'autorité du
devoir est illusoire et menteuse, en ce qu'elle masque son caractère
tout relatif et ses origines extérieures, en se faisant passer pour un
absolu inconditionné. L'obligation morale prend l'apparence de l'auto-
rité, précisément parce qu'elle n'a pas de raison assez forte, pour se
faire légitimement obéir.) pp.l4o-168.=^ Mars. — P.Gavltier. L'indépen-
dance de la morale. (La science objective ne peut servir à édifier une
morale parce qu'elle n'atteint que l'extérieur des choses, alors que la
morale est tout intérieure, objet et œuvre de conscience. De plus la
science objective ne peut constater que le fait, non régler le droit, et
par suite l'idéal, le devoir et l'obligation pratique. Appuyer la morale
sur la science, c'est l'obliger à devenir une « science des mœurs », c'est-
à-dire une science d'observations purement historiques et sociales ;
mais ainsi comprise, la morale scientifique travaille à faire descendre
l'amoralisme dans la conduite ; si la loi morale n'est fondée sur rien,
il est loisible et juste de s'y soustraire quand elle contrarie nos appétits.)
pp. 236-273.
REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE, l"^-^ Janvier. — Mgr Le Roy.
hnroduclion générale à i histoire de la religion des Primitifs. (Leçon
d'ouverture du cours d'Histoire des Religions, donnée à l'Institut
catholique de Paris. Mgr Le Roy se propose d'exposer l'ensemble des
croyances, de la morale et du culte chez les Négrilles et les Bantous.)
pp. 441-461. — M. Lepin. Lliistoricité de l'Evangile de saint Jean d'après
le récit de la marche sur les eaux. (L'exactitude des détails, la façon dont
ils sont présentés au fur et à mesure du récit donnent l'impression d'un
écrivain personnellement renseigné et sans autre préoccupation que
celle de la réalité.) pp. 462-476. = 15 Janv — L. de Grandmaison. Le
développement du Dogme chrétien. (Précise les notions générales préli-
minaires à la question et en retrace l'histoire jusqu'au XIX* siècle.)
pp. o21-.342. — H. LiGEARD. Le rapport de la nature et du surnaturel.^
d'après les théologiens scolasliques du YlfJ' au XVIII^ siècle. (Expose
les rapports de la nature et du surnaturel d'après l'école thomiste.)
pp. o43-oo2. =: 1"" Fév. — J. Guibert. Les Origines de l'homme. (Après
RECENSION DES REVUES 441
avoir exposé les raisonnements des évolutionnistes, l'auteur montre
1" que l'évolution n'est pas la cause universelle, 2° que l'homme est plus
qu'un animal, 3° que l'histoire de l'homme n'est pas celle d'un animal
qui progresse.) pp. 600-620. — H. Ligeard. Le rapport de la nature et du
surnaturel, d'après les théologiens scolastiques du XIIl^ au XVflP
siècle. ( Selon la théorie thomiste, le surnaturel est le terme idéal auquel
peut aboutir l'activité humaine ; le don gratuit qui lui en est fait met
ainsi le comble à tous ses désirs. La relation unissant la nature au sur-
naturel n'est qu'un pur rapport d'harmonie et de convenance, à aucun
titre elle ne crée dans la nature un droit strict au surnaturel. L'école
scotisle fait du surnaturel une entité créée et extérieure à la nature,
et admet que la nature est portée vers le surnaturel par un appélit inné.)
pp. 621-G40. = i5 Fév. — A. Crosnier. Les convertis d'hier. (Examine
les motifs de la conversion de : Brunelière, Bourget, Huysmans, Coppée,
Relté.) pp. 695-716. = l^"" Mars. — J. Touzard. L'argument prophétique.
(Définit la manière traditionnelle d'exposer l'argument de la prophétie,
expose les critiques actuelles dont elle est l'objet, se propose d'y
répondre en montrant la nécessité de lui rendre son ampleur primitive.)
pp. 757-772. — H. Ligeard. Le rapport de la nature et du surnaturel
d'après les théologiens scolastiques du XIIl" au XVIII'^ siècle. (Expose la
théorie de l'école augustinienne. D'après elle, l'état de nature pure est
impossible, non pas sans doute absolument et pris en lui-même, du
point de vue de la toute-puissance divine, mais du point de vue de la
convenance morale, en tant qu'il s'harmonise moins à l'infinie bonté de
Dieu, à sa justice, à sa sagesse.) pp. 773-784. — A Crosnier. Les conver-
tis d'hier. (Réfute les critiques de M. Sageret (Les grands convertis), et
montre que leur conversion, loin d'avoir diminué leur talent littéraire,
l'a augmenté.) pp. 785-800. = 15 Mars. — J. Touzard. M. Guignebert
et l'Ancien Testament. (Relève les erreurs de fait commises par M. Gui-
gnebert relativement à la notion catholique d'inspiration, de révélation,
ainsi qu'à l'histoire du canon de l'ancien et du nouveau Testament.)
pp. 837-860. — H. Ligeard, Les rapports de la nature et du surnaturel
d'après les théologiens scolastiques du XIII'' au XVIII^ siècle. (Expose
l'utilisation apologétique de la théorie scolastique. Entre le problème tel
aue l'a posé la théologie scolastique et la question telle que l'a rendue
nécessaire l'état actuel des esprits, il va de singulières ressemblances.
En face de la tendance philosophique actuelle, qui fait du contenu
même de la vie de l'âme la. base et le fondement de toute vie religieuse,
il n'est d'autre procédé à c^'^ployer que de montrer à l'homme qu'il ne
peut se limitera son activîcé subjective ; sortant-de lui-même, il doit
attendre du dehors la solution du problème de sa vie et de sa destinée;
ensuite viendront les preuves qui montreront qu'en fait, le catholicisme
est bien la révélation à laquelle il doit adhérer.) pp. 861-877.
REVUE DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET LA SCIENCE CATHO-
LIQUE. Janv- — M. Go.MBAULT. Le sentiment religieux et la psycho-phy-
siologie. (Étudie r « idée confuse » chez les Mystiques. Pour le
contemplatif chrétien, ce Dieu perçu sans forme, in confuso, mais sans
-confusion, peut bien être et est en réalité l'Inexprimable, il n'est jamais
442 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
rinconnu). pp. 97-106. — M. Levriek. Dale légale de la Pàque Juive
(Conclusion : « La Pàque a lieu le XIV Nisan. Le feslin pascal se célèbre
dans la nuit de ce même quatorzième jour. Les jours Juifs commencent
par le soir ou la nuit; donc la Pâque se célèbre leXIV" jour, puisque le
soir ou la nuit du festin appartient à ce quatorzième jour.) pp. 132-150.
::= Févr. — M. GoMBAULT. Le sentiment religieux et la psijcho-pJnjsio-
logie. (Sainte Thérèse n'apparaîtra à personne comme suggestionnable.
Les faits démontrent aussi qu'elle ne fut pas suggestionnée.) pp. 213-
224. — M. Lévrier. Date légale de la Pàque Juive. (La fêle de Pâques et
la fêle solennelle des Azymes constituent deux fêtes absolument diffé-
rentes, bien que liées ensemble et consécutives.) pp. 247-259.
REVUE THOMISTE. Janv.-Fév. — R. P. A. Mercier. Le Prêter nalurel.
(Le royaume de Satan est le royaume du mal au sens relatif, signifiant
l'absence, la perle, la privation des biens surnaturels, y compris le Rien
infini, qui est Dieu en lui-même; mais il n'est pas le royaume du mal
absolu signifiant l'absence de tous les biens naturels, soit dans le
domaine de l'être, soit dans celui des opérations.) pp. 701-727. - G.
Rareille. Saint Jean Chrysostoine, docteur de VEglise. (Justifie par
l'histoire son titre de docteur en montrant comment, dans les contro-
verses doctrinales qui eurent lieu en Orient, les vrais représentants de la
foi utilisèrent ses œuvres. Saint Augustin fit également pénétrer son
nom et sa doctrine dans l'Église latine.) pp. 728-752. — R. P. IIugon.
Les notions de « nature », « substance », « personne ». (La substance est
une essence qui peut exister en soi; la nature est cette même réalité en
tant qu'elle désigne la source première d'où jaillit l'opération spontanée;
la personne esl une substance individuelle^ complète, incommunicable.)
pp. 753-759. — T. RiciiARïi. Actualité de la méthode scolaslique (La méthode
scolastique est un remède au subjeclivisme, à l'anarchie intellectuelle, au
péril littéraire; elle est surtout d'une frappante actualité comme méthode
de formation et comme principe de classification et de synthèse.)
pp. 770-785.
RIVISTAFILOSOFIC A. Janv.-Fév. — N. Fornelu. Il nuovo individua-
lismo religioso (à suivre). (Tandis que dans l'ordre économique et
politique il y a une tendance à la socialisation, dans l'ordre des croyan-
ces religieuses il y a un retour à l'i-ndividualisme. Ce mouvement,
commencé par la laïcisation des lois, doit s'étendre à d'autres domaines
de la vie sociale et se conformer non seulement aux exigencesabstraites
du progrès scientifique, mais à l'esprit du v.emps.) pp. 2-27. — A. Faggi.
La Coscienza negli animali. (Le physiologiste américain Loeb ne voit
dans les instincts et les réflexes compliqués qu'une somme de réflexes
élémentaires, et ceux-ci seraient dus non aux nerfs, mais à l'irritabilité
spécifique des divers éléments de la superficie du corps. Il n'admet la
conscience que là oîi il y a mémoire associative. Cette théorie est trop
mécanique ; si la conscience est un concept de peu d'utilité pour la
science, elle n'est cependant pas une expression métaphysique.) pp. 28-
51. — A. Levi. La psicologia délia esperienza indifferenziata di James
Wnrd (à suivre). (Exposé des idées de Ward sur la conscience en géné>
RECENSION DES REVUES 443
rai et ses éléments ultimes et de sa théorie de la présentation.) pp. 52-
83. — L. SuALi. Un tratlalo elementare di fîlosofîa indiana (à suivre).
(Traduction d'un traité élémentaire de philosophie indienne, laTarkâm-
rita, composé par Jagadiçâ, qui vivait entre la fin du XVI'^ et le com-
mencement du XViP siècle. Ce traité combine les principes des deux
grandes écoles, Yvàya et Vaiçeshika.) pp. 84-109. — E. Morselli. Vita
morale e vita sociale (suite et fin). (L'étude de l'évolution des sociétés
humaines a mis en relief l'action des individus et de l'aclivilé consciente.
Otrelle considère la société sous l'aspect historique ou sous l'aspect
statique, la sociologie, si elle arrive à nous en fournir une connaissance
exacte, ne peut cependant dicter les règles de l'action huiriaine.)
pp. 110-128. — L. MoNDOLFO. La doltrina délia proprielà nel Montes-
quieu. (D'après Montesquieu, lÉtat doit procurer du travail à chaque
citoyen et chaque citoyen a le droit de posséder les fruits de son travail.
C'est en cela que consiste la véritable propriété.) pp. 129-135.
RIVISTA DI SCIENZA. 4. — E. Rignano. — Qu'est-ce que la cons-
cience "! {La. conscience n'est pas une propriété intrinsèque ou absolue
des états psychiques ; mais une propriété qui leur est extrinsèque et
relative, et qui accompagne certaines modalités de référence que ces
états psychiques ont entre eux. Il semble en effet qu'on ne puisse parler
de la « conscience » d'un état psychique par lui-même, mais seulement
de la « conscience » qu'un état psychique actuel a d'un état psychique
passé ; et que ce caractère « conscient » d'un état psychique passé,
actuellement évoqué, par rapport à un autre actuel, se rencontre toutes
les fois qu'on a la coexistence, pendant un certain temps au moins, du
premier avec le second, et la superposition ou fusion partielle de l'un
avec l'autre.) pp. 305--318. — B. Kidd. The tivo principal laws ofsociology.
(Voici l'énoncé de la première de ces lois : Les qualités que développe
premièrement chez iindividu le processus social ne sont pas d'ordre
individuel, mais d'ordre social; c'est-à-dire qu'en vertu de ce processus
social, l'individu n'est pas lui-même perfectionné comme tel, mais bien
là société dans sa lutte pour un état organique plus parfait. Application
de cette loi à la morale, à la psychologie, à l'histoire et à l'économique.)
pp. 338-353. — E. Westermarck. The origin of religions celibocg. ( Le
célibat religieux, serait le résultat logique de l'évolution. On en trouve
une première idée chez les païens, puis chez les Esséniens, puis chez
les chrétiens. Parmi les chrétiens, le témoignage de St Paul, la naissance
virginale du Seigneur, la virginité des grands saints, la promesse du
ciel aux eunuques, l'usage restreint du mariage même, toutes ces choses
ont préparé la voie au célibat obligatoire du clergé.) pp. 354-365.
RIVISTA STORIGO-CRITIGA DELLE SGIENZE TEOLOGICHE. Janv. —
U. Mannucci. Su le recenti teorie circa Vevoluzione slorica del Sacramenti
(suite et fin). (Conclusion. Le Christ a eu une volonté vraie et déterminée
d'instituer tous les sacrements. Mais ni les textes scripturaires ni l'his-
toire des premiers siècles de l'Église ne permettent d'établir que les
rites sacramentels aient été définitivement fixés du premier coup. Cette
conclusion n'est pas contraire à la définition du Concile de Trente. Enfin
444 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
les objections élevées par les théories récentes (Harnack, Loisy) contre
l'institution divine des sacrements ont peu de poids, surtout si on lès
met en regard de la tradition, dont la valeur s'impose, même au point
de vue historique.) pp. 1-14. — L. Cuiesa. Il parallelismo psicofisico e le
sue Inlerprelazioni nelJe diverse scuole filosofîche (Suite-à suivre). (Réfu-
tations des théories intellectualistes, principalement par l'argument
aO absurdo) pp. 25-56. =Fév. — L. Pizzi. La Grande Conlesa. (La grande
lutte est celle qui a été engagée, depuis la plus haute antiquité, entre
« l'esprit sémitique, rigide, uniforme, immobile, et l'esprit aryen ou indo-
européen, flexible, varié, multiforme et versatile, mais aussi plus vaste,
plus ample, et plus compréliensif.») pp. 93-106. — Y. Ermom. La Teolo-
r/ia di S. J'aolo. (suite-à suivre). (La doctrine de S. Paul sur la justifi-
cation se tient à égale distance des Pélagiens et des Protestants, a) Pour
S. Paul, le S.-Esprit est, d'une manière spéciale, présent dans l'âme du
juste ;il y agit, et par elle l'activité humaine produit des actes de vertu ;
b) La Grâce est une réalité surnaturelle, un don gratuit mais nécessaire,
c) Le Péché a pour siège la chair. Cette conception ne vient pas de
Philon, mais Pliilon et saint Paul sont tous les deux tributaires de l'An-
cien Testament.) pp. 107-121. — E. Buo.naiuti. Attraverso l'Epistolario
di S. Basilio. (Relève, à travers la correspondance de saint Basile, des
indications relitives à l'état de la vie chrétienne et politique en Asie-
Mineure et en Cappadoce à l'époque de ce saint.) pp. 122-132. = Mars.
(V. Ermom. La teologiadisan Paolo (.suite et fin). — l.Wngélologieà.eià\i\\.
Paul est concise, un peu confuse, et reflète, tout en restant originale et
personnelle, les idées qui avaient cours au temps de l'apôtre. L'Escha-
tologie se ramène aux trois points suivants : la Résurrection des corps,
le Jugement final et universel, et la Parousie dont saint Paul n'a pas
déterminé l'époque ; la Morale a pour principe suprême dans l'ordre
spéculatif la loi naturelle connue par la raison. Le terme de loi se trouve
d'ailleurs appliqué à plusieurs concepts distincts.) pp. 173-194. —
E, BuoNAïUTi. Un Lilosofo délia conlingenzanel secolo XI. Roscellino di
Compiègne. (A la lumière des documents, l'auteur cherche à élucider :
a) la position prise par Roscelin dans le problème de la connaissance :
b) sa doctrine sur la Trinité, doctrine contraire au dogme catholique, et
logiquement déduite de la théorie qu'il professe au sujet des rapports
à établir entre la connaissance rationnelle et la foi ; c) enfin sou alti-
tude dans la lutte entre le Sacerdoce et l'Empire ; dans la controverse
relative à l'entrée des époux en religion, et dans la polémique contre
Abélard, son ancien disciple.) pp. 195-212.
SCUOLA CATTOLICA (LA).Janv. —G. Ballerinl Val di là nella dot-
Irina delV iminanenza vitale o psicologica. (Les immanentisles affirment
que nous avons l'expérience du divin. Or, la conscience sensible ne
l'atteint pas, car il n'est pas de son domaine; la conscience psycholo-
gique ne peut y arriver sans un raisonnement; la conscience morale
suppose prouvée l'existence du législateur suprême, lorsqu'elle constate
des lois obligatoires. Si l'on veut prouver l'au-delà par la méthode
d'immanence, logiquement on en arrive à regarder le surnaturel comme
une évolution du sentiment religieux. La source de ces théories est le
Kantisme et le Néo-Kantisme.) pp. 30-56.
RECENSION DES REVUES 445
SLAVORUM LITIERE THEOLOGIC^. 1. - 0. Zidek. De ecclesiae
calholicitale. (Les livres de l'A. T., surtout les Psaumes et les Prophètes,
les Symboles et figures montrent le royaume messianique comme devant
s'étendre à toutes les nations, et devant durer jusqu'à la fin des siècles.)
pp. 41-48. — De sacramento poenitenliae. (V. Tout acte de charité
appretialive siimma suffît à la justification, mais l'obligation d'une
contrition formelle demeure. — VI. Pour que la contrition ou la charité
justifient, ne sont requis, ni un degré supérieur d'intensité, ni une
durée déterminée, ni un rappel distinct de tous les péchés.) pp. 49-71.
TEYLERS THEOLOGISCH TIJDSGHRIFT. 1908,1. — A. Bruining.
De 7'oekomst onzer Théologie. (Les modernes s'étant habitués à regarder
le progrès des connaissances religieuses comme produit, non par des
révélations faites du dehors par Dieu à l'homme, mais par le développe-
ment de la vie religieuse intime des individus humains, il faut que
l'ancienne théologie, qui se bornait à étudier les vérités considérées
comme révélées, soit remplacée parla science des religions. Celle-ci ne
peut pas se borner à étudier et à classifier les formes extérieures des
diverses religions, pour en arrivera déterminer la nature et l'origine
de la religion en général. Elle doit, avant tout, étudier la vie religieuse
comme fait psychologique, en commençant "par la vie religieuse chré-
tienne qui est le mieux à notre portée, et en s'aidant ensuite des données
fournies par cette même vie dans les autres cultes. Elle doit ensuite
discuter la valeur des idées métaphysiques contenues dans les diverses
religions, et déterminer celles qui doivent régir la religion vraie. — Les
programmes des Facultés de théologie dans les Universités doivent être
modifiés en ce sens.) pp. 1-40.
THEOLOGISCHE QUARTALSCHRIFT. 1. —A. Eberharter. Kritische
Bemerkungen zum hebraischen Texte des Bûches Ekkli. (Critique tex-
tuelle des passages suivants du texte hébreu de l'Ecclésiastique (cités
d'après l'édition Peters, 1905) : 31, 2 II et II b ; 36, 29 I, II ; 43, 4 IV.)
pp. 1-7. — W. KocH. Die allkivchliche Apologetik des Christenlums.
(L'apologétique des premiers Pères n'est ni organisée, ni originale. Les
principaux chefs de preuve sont les prophéties, les miracles (celui-ci,
négligé à l'origine, ne prit de l'importance qu'à partir d'Origène), la
haute moralité du Christianisme, le caractère et la vie de Jésus, le
besoin subjectif du Christianisme. Pour une apologétique, il faut le
concours réuni des preuves historiques et des preuves psychologiques.)
pp. 7-35. — J. Ernst. Goltesliebe nnd Silllichkeit. (L'auteur établit la
thèse suivante : Tout acte bon moralement est en relation nécessaire
avec Dieu, de telle sorte que l'amour de Dieu en constitue le motif au
moins implicite, amour naturel chez les non-justifiés, charité chez les
justifiés.) pp. 34-88. — H. Muller. Zum Paslor Hermae. (Explication de
Vis. II, 1, 4. Hermas, homme peu instruit, avait probablement à déchif-
frer un manuscrit en écriture cursive avec abréviations, ce qui explique
qu'il mit quinze jours à le comprendre.) pp. 89-94.
-446 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ZEITSCHRIFT FUR DIE ALTTESTAMENTLICHE WISSENSCHAFT. 1.
— JoH. Dahse, Textkritische Studien, I. (1. État des sources de II. Ch.
XXXII, 30 el XXXIII, 14, d'après les lxx. Sur la situation du Gihon infé-
rieur et de la « cité de David ». — 2. Les oiseaux lâchés, Geti. viii, 6-12.
Certaines fluctuations du texte, et le rapprochement avec le parallèle
babylonien, autorisent à penser qu'il y en avait trois, corbeau, hiron-
delle, colombe. — 3. La durée du déluge. — 4. L'ordre des 10 comman-
dements. — 5. Les recensions de la Genèse grecque, étude basée sur
les variantes du ch. xlii.) pp. 1-21. — Eb. Baumann. yn" inid seine Deri-
vate (eine sprachlich-exegetische Studie) (à suivre). (Ce mot souvent
employé avec lahwé ou Elohim comme objet, dans Osée, Isaïe,
.lérémie, Deutéro-Isaïe, demande, pour être bien compris, une étude
plus systématique que celles qui ont été faites jusqu'à présent.
I. Recherches préliminaires. Â. î?T en général. Avec une proposition
comme objet : connaître, vérifier que, etc. Avec un substantif comme
régime, il a plus rarement un sens purement intellectuel, mais signifie
plutôt sentir, éprouver, se préoccuper de. Avec un nom de personne, ce
sens d'« intérêt » domine, aussi rapports sexuels, etc. B. Entre Dieu
et l'homme. Avec Dieu comme sujet : choisir, s'approprier, soigner,
colère. Avec Dieu comme objet : rencontrer, éprouver, avoir affaire à,
honorer Dieu, lui rendre un culte. Sur le terrain éthique, s'occuper de
Dieu. Le sens personnel et moral domine donc.) pp. 22-41. — F. Kiicn-
LER. Der Gedanhe des Eifers Jahwes im Alten leslament. (Il faut
renoncer à chercher l'étymologie de ce mot i^*??P, mais en établir la
signification d'après Vusus loquendi hébraïque. Sens primitif : jalousie
dans l'amour des sexes, dans le mariage. Ce sens s'étend : effort pour
posséder ce qui est objet d'envie ; toute affection qui fait entreprendre
quelque chose en faveur d'une tierce personne ; quand cette tierce per-
sonne est Dieu, sens religieux. C'est le prophète Osée qui a introduit
l'idée du mariage de Jahwé avec Israël; il faut donc dater d'après lui
les passages bibliques où il est question de cette jalousie de Dieu, les
regarder comme postérieurs au dernier tiers du VIII" siècle. Il n'a du
reste pas employé ce terme de «jalousie» ; Jérémie non plus, sans
doute parce que cet anthropomorphisme ne leur paraissait pas assez
divin ; les élaborateurs postérieurs des lois et des traditions ne se sont
pas laissé arrêter par ce scrupule. — Ezéchiel use de cette expression
dans l'ancien sens jusqu'au moment de la ruine de Jérusalem; à partir
de ce moment, la « J. nx^p se tourne contre les ennemis du peuple de
Dieu. Dans la prophétie sur Gog, ainsi qu'en des passages analogues de
Joël, de Sophonie, la « jalousie de J.» est prise en un sens eschatolo-
gique qu'elle ne quittera plus.) pp. 42-52. — J. Boehmer.£'j» alphabetisch-
akrostichisches Ràlsel und ein Versuch es zu lôsen. (Il s'agit de la succes-
sion anormale S.y dans Thrènes, 2-4. Comp. Ps. 34 et Prov. 31.) pp. 53-
57. — A. Bertuolet. Eine Crux interprelum. Ps. II, 11 sv. (L'auleur,
en comparant ce passage avec un hymne à Mardouk, cité par Jastrow
{Die Religion Babyloniens und Assi/riens, I, 514), propose de lire :
Servez J. avec crainte
Et embrassez ses pieds avec tremblement.
RECENSION DES REVUES 4i7
(my-13 vhi^2 )p'Cf:).) pp. o8-o9. — A. Rahlfs. Nachîcirkungen der
Chrunik des Eusebhis in Septuaginla-Handschrifleu. pp. 60-02. —
A. Hadlfs. ikber das Fehlen der Makkabàerbûcher in der àthiopischen
Bibelûbersetzung. (Absence intentionnelle, comme le prouve la compa-
raison avec le Valicanus, auquel la version élliiopienne est apparentée.
Influence de la tradition d'Alhanase.) pp. 63-64. — H. H. Spoer. Psahn
J5L (Spoer compare deux textes s.yriaques, avec traductions arabes,
de ce poème, dont l'un a été découvert par lui, avec le texte syrien,
plus récent, publié par Wright en 1887.) pp. 6.J-68. — Nestlé. Miscelle,
Hosiouna, p. 69. — Bibliographie, pp. 70-80.
ZEITSGHRIFT FUR KATHOLISGHE THEOLOGIE. I. - John Stufler,S.J.
— Ziir Kontroverse ùber das Indulgenzedikl des Papsles Kallislus. (L'édit
de Callixte n'a pas été conservé, en reconstruire le texte est impossible ;
même la tentative de Rolffs a échoué. Pour résoudre la question, il faut
s'en tenir aux deux ouvrages de ïertullien, De poenitentia et Depudi-
citia. Un parallèle quelque peu soutenu de ces deux écrits de TertuUien
nous oblige à conclure que Callixte, en promulguant son édit, n'a pas
introduit de nouveauté dans le régime pénitenliel. Les motifs qui l'ont
guidé ne sont pas des motifs d'opportunité, des considérations d'ordre
pratique auxquelles poussait le changement des temps et des circons-
tances. Le motif qui inspira Callixte se trouve dans la miséricorde
divine. Dieu pardonne, dès cette vie, tous les péchés ; l'Église n'a pas le
droit de réserver des péchés alors que Dieu absout. Terlullien et les
Montanistes nient cette miséricorde divine. Cependant, du temps qu'il
fut catholique, TertuUien défendit la même doctrine que Callixte. La
nouveauté n'est donc pas du côté de Callixte, mais du côté de TertuUien.
Avant comme après Callixte, l'Église était pour les pécheurs « la misé-
ricordieuse Église du Dieu des miséricordes. ») pp. 1-42. — Dh Fr.
ScHMii). Die Gewalt der Kirclie bezùglich der Sakramente. (1" art.) (Le
Christ, il est vrai, a déterminé d'une manière positive ce qui est requis
pour la validité des divers Sacrements, mais cette détermination est-elle
si exclusive, qu'on ne puisse exiger pour la validité du Sacrement rien
de plus que ce que lui-même a établi? Pour résoudre celte question, il
faut envisager dabord la personne et les qualités de celui qui administre
le Sacrement. Or, eu égard à cette personne, à ses qualités et à leur
influence sur la validité ou non -validité du Sacrement, le Christ n'a nulle-
ment déterminé positivement et exclusivement pour tous les Sacre-
ments, jusqu'aux moindres détails requis: mais l'homme-Dieu a concédé
de fait à son Église un pouvoir tel, que dans une certaine limite les dis-
positions qu'elle prend décident de la validité ou de la non-validité du
Sacrement.) pp. 43-57. — Analeklen. H. Wiesmann, S. J. /. Sam. 1, 2-9.
(Ce texte, dans sa forme traditionnelle, présente plus d'une difficulté.
L'auteur propose, à l'aide d'inversions, un nouvel arrangement, qui
met de Tordre dans la suite des idées et donne une construction facile
et conforme aux exigences de la grammaire.) pp. l87-i90.
ZEITSGHRIFT FUR DIE NEUTESTAMENTLICHE WISSENSCHAFT.
1. — E. Preuschen. Das neue Evangelien fragment von Oxyrhgnchos.
4i8 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
(Le fragment d'Ëvangile trouvé en 1906 ù Oxyrhynchospar MM. Grenfoll
et IIiinL et qu'ils viennent de publier (Jésus dans l'Hagnoulerion) est
renoaiquable par la connaissance du temple dont il témoigne ; sa langue
est apparentée à celle des LXX et du Nouveau Testauu-nt. Peut-être
faut-il y voir un reste de cette source hiérosolymitaine que l'on suppose
avoir été utilisée par le IV" Évangile.} pp. 1-11 — I'h. Spitta. Jeau
H eigerunrj, sich als « gui » Ijezeichnen lassen. (Accepte pour àyaGô; le
sens de bienveillant, pi-opice. Puis s'attaclianl à la receiision de Auc xviii,
18-27 qu'il incline à considérer, ici et d'une manière générale, comme
représentant une forme plus ancienne, Spitta interprète la parole de
Jésus comme réponse à une captalio benevolentiae. Jésus repousse Tappel
à sa bienveillance que lui adresse ce riche. Rien de spécial à tirer de cette
réponse pour la Cliristologie.) pp. 12-20. — Dom J. Ciiai'Man, On ihe
claie of the Ckmenlincs. (Les Récognitions semblent avoir été éditées
entre .'{70 et 400. L'Écrit primitif qui a servi de base aux Récognitions et
aux Homélies est postérieur au Concile de Nicée et a été composé vers
330. Comme lieu d'origine, la Palestine et la Syrie sont suggérées parles
citations anciennes; les Clémenlinessont le produit d'un milieu arien.)
pp. 21-34. — li.Kocii. Die Sûndenverçjehunrj hei /rendus. (Contre Stufler
montre que l'opinion d'après laquelle les péchés capitaux n'étaierttpas
i-émissibles par l'Église fut soutenue non seulement par des schisma-
tiques, mais par un écrivain très orthodoxe, S. Irénée. Les textes qu'on
lui emprunte (Adv. haer., i, 0, 3, i, 13, Fi; i, 13, 7; iv, 40, 1; m, 23,3,)
pour prouver le contraire ne signifient pas cela. Un texte non encore
utilisé (Adv. haer., iv, 27) montre qvi'il n'admettait pas la réconciliation
ecclésiastique pour certains péchés et qu'il prétendait tenir cette opinion
des Anciens de l'Église d'Asie.) pp. 35-4(i. — A. Behendts, Analecla ziini
slavischen Josephus. (Comparaison entre le texte slave et le texte grec de
la Guerre Juive de Josèphe, liv. i. ch. xxx (fin) et xxxi. Le texte slave
représente une recension spéciale et réfléchie, une correction deJosèphe
d'après ses Sources, œuvre d'un Juif et qui semble remonter à une
époque où l'impression laissée par la Guerre était encore vivante.) pp. 47-
70. — L. KoHLER. Biblische Spurcn des Gliiubens an die Muller Erde ?
(Voit des traces de cette croyance à la « Terre Mère » dans le mot de
Jean-Rapliste rapporté Mail. 3, 9; Lur, 3, 8; dans le Psaume, 87, 0-7
(texte corrigé par Dulim) ; dans le Ps. 90, 3, "i; dans Jérémie, 2,27
fLXX); dans l'expression « mechib nèphech » de Proverbes, 4, 15, et
dans la scène racontée liulh, 8, 0-14.) pp. 77-80.
Le (jéraiil : (î. SroKKKi,.
Superiorinn permissii.
De Ucentia Ordinarii.
IMP. DESCLÉE, DE BROUWER ET c'e. LILLE. — 4.339.
L'idée générale de la connaissance
dans S. Thomas d'Aquin
L'idée la plus générale de la connaissance consiste, pour
saint Thomas, dans l'extension d'un être an delà de lui-
même, en vue de participer à la nature d'autrui et de la vivre.
« Les connaissants se distinguent des non-connaisisants en ce
que ceux-ci n'ont que leur forme propre, mais le connaissant
est capable de participer à la forme d'une chose étrangère; d'où
il suit que la nature du non-connaissant est plus limitée, plus
restreinte; la nature des connaissants est plus ample, plus éten-
due, c'est pourquoi Aristote a dit que l'âme est d'une certaine
manière toutes choses » (1).
Dès le début, saint Thomas pose ainsi la question du connaître
sur son véritable terrain, qui est celui de Vêtre. Mille équivoques
s'introduisent dans les discussions relatives à ce problème du
fait de l'anthropomorphisme enfantin qui ne voit ici qu'un apjya-
raître, comme si l'apparaître, qu'on en situe l'objet au dehors
ou au dedans, signifiait quelque chose sans l'être. Juger ainsi,
c'est se donner ce qui est en question. L'objet présent et comme
posant, au dedans ou au dehors, devant la puissance de connaî-
tre, cela n'explique rien (2); il y faut une entrée, c'est-à-dire, ici,
une synthèse de natures, ainsi que les Anciens « quasi a longe
divinantes » l'avaient compris depuis Empédocle (3). Le con-
naître est un mode d'être. Il faut que le connaissant soit d'abord
pétrissablo en cette forme; ensuite qu'il soit pétri. Par quoi?
Évidemment par son objet, et par conséquent selon lui, et en
ce sens à sa ressemblance. « L'âme est comme transformée en
la chose, et ce par communication de la forme, selon laquelle
1. Summa theolog ., I* pars, q. XIV, art. 1.
2. De verit., q. VIII, art. 6.
3. In I de Anima, lect. 4 iiiit.; lect. 12, init.
26 Année. — Revue des Sciences. — N° 3.
450 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
agit tout ce cpii agit (Ij. » H y a déjà dans cette phrasa tout©
une théorie de la connaissance.
Pour saint Thomas, l'être est dynamogénique; le bien est « dif-
fusif de soi »; la forme, l'acte, d'où l'être tire sa positivité in-
telligible, tend à se communiquer, de même que la puissance tend
à recevoir, et ainsi l'unité dans le meilleur tend à s'établir, en
raison de la fraternité universelle née de cette origination com-
mune : la participation de l'Acte pur. Telle est la formule la plus
générale de l'actiWté réciproque des êtres. Mais à l'invasion de
l'acte, les conditions de la matière imposent des exigences. L'acte
se communique ad modum recipienfis. D'où les lois diverses
qui règlent l'assimilation du patient à l'agent dans tous les or-
dres. Or. il est des cas où le patient est à l'acte qu'il s'agit
de communiquer dans la même proportion que l'agent lui-même;
alors il va de soi que l'acte sera reçu dans le premier tel qu'il
subsiste dans le second, tel, dis-je, soit spécifiquement, comme
dans les actions univoqiies, soit au moins génériqiiement, comme
dans les autres actions naturelles.
La matière donne le genre : c'est donc matériellement qu'en ce
dernier cas la forme sera reçue; elle s'y trouvera liée à une
matière dont elle sera l'acte incommunicable, comme elle l'était
par rapport à son sujet propre, la matière étant principe d'in-
di^^duation. Et en tout cela, rien ne répond aux réquisits de
la connaissance. Celle-ci, en effet, de quelque façon qu'on la
conçoive, doit se prêter à cette condition qu'un être, sans cesser
d'êtie soi, de\'ienne pourtant les autres. Or, s'il recevait on soi
l'être d'autrui en nature propre, il en perdrait le sien, et si
c'était un être matériel, il changerait d'espèce; si c'était un être
spirituel, il changerait même de genre. Pour qu'il y ait con-
naissance et non pas changement substantiel, il faut ds toute
nécessite supposer qu'il y a, pour l'acte du connu, deux façons
de se communiquer, et corrélativement, de la part du patient,
deux façons de recevoir l'acte. D'où le recours imposé à une
distinction capitale souvent énoncée, à savoir celle qui classe en
deux ordres à part Vactus imperfecti, c'est-à-dire l'acte qui cons-
titue le sujet en sa nature propre, et Vactus perfecti qui enrichit le
sujet constitué, par l'adjonction d'un deuxième degré d'acte. L'ac-
te de connaissance est actus perfecti, et il est bien évident que
l'exposant ainsi ajouté au radical des natures connaissantes cons-
1. De Xatitra Vcrbi intelîectus: Summa theohg., 1^ pars, q. LXXXV, art. 2.
Et ideo dicendum...
LA CONNAISSANCE DANS S. THOMAS 451
titue un ordre nouveau, analogue à ceux que crée dans la quan-
tité une dimension nouvelle. Le plan est transcendant à la ligne
et le solide au plan, bien qu'ils procèdent l'un de l'autre : ainsi
l'être de connaissance {esse intentionale) est transcendant à l'être
de nature {esse naturale), bien qu'il s'y greffe (1). Nous arri-
vons ainsi à poser un mystère, mais on ne pourrait le fuir qu'en
refusant les données du problème et en mutilant l'homme.
D'ailleurs ce mystère en se rapprochant d'un autre peut y trou-
ver quelque lumière. Puisque le connaître est un mode d'être,
son éclosion en nous doit se concevoir à la façon d'un fieri,
et l'analyse du fieri doit lui être proportionnellement applicable.
La puissance et l'acte, la matière et la forme feront donc ici
retour. Ce qui ne connaissait point et qui connaît passe pour
autant de la puissance à l'acte, et une puissance de connaître
qui passe à l'acte, c'est quelque chose d'analogue à une matière
qui reçoit une forme. De même que la matière première est une
pure puissance, définie uniquement comme telle et sans aucun
acte, afin qu'elle soit apte à les recevoir tous, ainsi, avant le
connaître, la puissance connaissante est comme telle tabula rasa
et définie uniquement en tant que puissance.
La différence, c'est que cette puissance a un sujet, au lieu
d'être premier sujet; elle est potentia j^erfecti ad optimum, l'op
limum étant ici l'extension d'être réalisée par participation à
des formes d'abord étrangères. Quant au principe déterminateur,
c'est, dans le cas du fieri, la forme substantielle ou accidentelle ;
ici ce sera la forme de second degré appelée species. Toute la
difficulté du problème de la connaissance consiste donc, dans ce
système, à rapprocher sans les confondre la réalité extérieure
qui doit entrer en nous et être nous sans sortir d'elle-même, et
la représentation intérieure qui doit rester en nous et être nous
tout en nous transportant au dehors. En d'autres termes, le prin-
cipe de la connaissance doit être à la fois sujet et objet, syn-
thétiser le moi et le non-moi, faire un seul tout de l'univers, et
de l'homme qui le contemple ou en éprouve les passions, sans
que d'ailleurs la synthèse obtenue aboutisse à une sorte de com-
posé qui ne serait ni le connaissant ni le connu, ainsi qu'il
advient par l'union de la matière à une forme dans la géné-
ration corporelle. La matière est nulUus ; l'intellect ou le sens
sont puissance d'un être défini et constitué : c'est celui-ci qui
doit bénéficier de la svnthèse. L'intellect ou le sens devront de-
1. Cf. Il de Anima, lect. 24.
4o'2 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
venir l'objet, et par là le sujet sera connaissant, sans être tenii
de devenir l'objet. Il absorbera et ne sera point absorbé; il
s'assiniile;ra le monde, au lieu d'aller s'y perdre en se quittant.
Voici un passage de Fichts qui donne un sentiment très vif
de cette condition et qui par Là peut servir à éclairer la thèse
thomiste^ « Comment une science des choses peut-elle être pos-
sible, du moment que la chose s'ignore elle-même ? Comment moi
qui ne suis pas du tout la chose, qui ne suis pas une modifica-
tion de la chose, puisque les modifications de la chose ne peu-
vent apparaître que dans le cercle même de l'existence de la
chose et non pas dans le cercle de ma propre existence, com-
ment moi, dis-je, puis-je avoir conscience de la chose? Par quel
mcyen la chose vient-elle à moi? Où est le lien entre moi, le
sujet qui sais, ce que je sais et la chose elle-même? Quand, je
suis moi-même ce que je sais, il n'y a pas de difficulté. Je me
connais simplement parce que je suis un être intelligible. Je
sais ce que je suis parce que je le suis... Je n'ai aucun besoin,
d'un lien étranger entre le sujet et l'objet : ma propre nature
est ce lien; c'est moi qui suis en même temps le sujet et l'objet.
Or, cette subjectiWté objective, cette objectivité subjective, cette
identité de l'objet de la science avec celui qui possède la science,
c'est précisément cela que j'entends signifier par cette expres-
sion vwi (1). »
La doctrine thomiste part du même point de vue que Fichte
en oe qu'elle reconnaît la nécessité de rattacher le connaître à
l'être. On ne connaît que ce que l'on est : saint Thomas accepte
pleinement cet axiome. Il s'agira de savoir s'il n'y a pas plu-
sieurs façons d'être quelque chose. Or, le fait de la connaissance
nous révèle précisément une multiplicité dans les manifestations
du fond de l'être. Le fond de l'être est idée, et l'idée peut 'se
réahser non pas seulement dans une matière, mais aussi, sous
certaines conditions, dans un sujet constitué, et précisément la
condition fondamentale de cette réalisation au deuxième degré
sera l'immatérialité aussi grande que possible du sujet que l'on
emàsage; car c'est la matière qui réduit la forme, qui la finit,
qui l'indi^ddualise, et puisque la connaissance consiste dans une
extension compréhensive qui fait dépasser à l'individu ce que
Fichte appelle son « cercle d'existence », il faut que pour autant
le pouvoir-limite de la matière s'écarte (2). A cette condition.
1. Destination de l'Homme. Trad. Barchûu de Pexhoëx, p. 160.
2. Sumyna theolog., I^ pars, q. XIV, art. 1.
LA co^^\AISSA^■cE dans s. thomas 453
les « cercles d'existence » pourront arriver à coïncider par quel-
que chose d'eux-mêmes, à savoir l'idée participée en commun :
ici sous forme naturelle pour constituer un être, là sous forme
intentionnelle pour le recréer, le repétrir à l'image d'autrui.
Par quel moyen la chose vient-elle à moi? damandait Fichte.
Réponse thomiste : Par la forme id''ale dont elle est l'incarnation
et dont sous son influence je deviendrai le sujet. La matière de
la chose est en acte d'idée, et c'est ce qui la fait êtro oe^ qu'elle
est. Or, la chose que je suis et qui est aussi en acte d'idée pour
être, est de plus en pouvoir d'idée pour connaître, c'est-à-dire
pour être autrui sans cesser d'être 'olle-m^me, en participant
à l'idéalité incarnée en autrui.
L'idéalisme réaliste de saint Thomas se découvre ici à pleiii,
et l'on voit comment dans sa pensée se réalise sans paradoxe
l'objectivité subjective et la subjectivité objective de Fichte. Nous
sommes sujet « naturellement », et objet « intentionnellement »,
c'est-à-dire sujet au premier degré de réalisation de l'idée-être;
objet au deuxième degré de cette réalisation, grâce auquel nous
nous étendons au delà de nous {in-tenclere, d'où intentio et Inten-
tionalis) pour participer à l'être des autres, à leur être, dis-je,
iion en tant qu'ils sont sujet, ce qui serait nous confondre avec
eux, mais en tant qu'ils sont idâe, et que tout être en' pouvoir
d'idée peut donc les recevoir sous ce rapport et les vivre (1).
Saint Thomas dit sans cesse qu'il y a quelque chose dans les
êtres par quoi ils nous sont connaissables, à savoir une frater-
nité entre eux et nous en tant que nous sommes connaissants.
Il en conclut hardiment avec Aristote (2) que tout ayant ainsi
naturellement rapport à la connaissance, à parler universellement
s'il n'y avait pas sujet, il n'y aurait pas non plus objet. Ces deux
termes s'impliquent comme exprimant deux faces d'une mêniô
réalité transcendante. La cognoscibilité de toutes choses leur
vient de ce qu'elles procèdent du Connaissant suprême et qu'elles
ne sont que sa pensée posée dans l'être (Scientia Dei est causa
rerum). Elles existent par leur forme, c'est-à-dire par une idée
qu'elles sont chargées de manifester. Or, à cette condition
'd'être issues d'une pensée et formées non seulement par elle,
mais d'elle suit leur cognoscibilité pour nous en ce que, par
un contact indicible, par une synthèse de ces idées-êtres, le sujet
arrivera à connaître l'objet en devenant lui et soi tout ensemble.
1. Summa theoïog., I^ pars, q. LXXXIV, art. 1.
2. I7i IV Phys., lect. 23.
454 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES El' THÉOLOGIQUES
Ce que saint Thomas rejette, c'est la nécessité prétendue, pour
le connaissant, d'être en nature propre ce qu'il doit connaître.
La puissance et l'acte l'exonèrent de cette supposition, qui a jeté
Fichte dans le paradoxe du moi absolu. Il la conserve d'ailleurs
pour un cas, à savoir celui où le connaissant étant forme pure,
se trouve appartenir à l'ordre idéal par lui-même et peut donc
se connaître immédiatement. Un tel être peut dire en effet :
« Je sais ce cjne je suis parce que je le suis >>. C'est le cas des
intelligences séparées (1); c'est à fortiori le cas d3 Dieu.
Mais hors ce cas qui n'est pas en cause pour nous, il faut
maintenir la distinction foncière des sujets et des objets, ce qui
ne nous empêche aucunement de les mettre en synthèse sous un
certain rapport, à savoir dans cet acte second par lequel le con-
naissant, tout en demeurant soi, participe à l'idée incamée dans
un autre. C'est en ce sens que saint Thomas dit toujours avec
Aristote : Dans le fait de la connaissajice, le sujet en acte et
l'objet en acte sont identiques. Averroès avait insisté en disant
qu'ils sont plus un que la matière et la forme dans la substance (2).
Saint Thomas y applaudit, car la matière n'est point la forme;
elle constitue avec elle un troisième, tandis que la puissance
connaissante, comme telle, devient réellement la chose en tant
que celle-ci est connaissable, c'est-à-dire que l'idée de réalisa-
tion qui est incarnée ici est participée là. Et comme l'être est
avant tout idée, forme, acte, raison, il y a donc là unité dans
l'être en sa plus haute acception, ( béoycta , .-rJo; ), eu ne ré-
sen^ant que la manière d'être (ro etvat) qui tient aux conditions
matérielles. A cause de cela, en Dieu où les conditions maté-
rielles n'ont plus cours, où l'essence et son acte d'être sont iden-
tiques, l'unité du sujet et de l'objet sera parfaite. Dieu sera sub-
jectivement son objet total, comme il sera objectivement son
être total (3).
Peut-on opposer à ces conceptions quelque difficulté insurmon-
table? Qu'est-ce qui peut s'opposer à ce qu'une idée réelle de-
vienne la détermination spécifique d'une puissance appartenant
à un être déjà constitué, aussi bien qu'elle devient la détermi-
nation d'une matière? L'être en question sera matière sous ce
rapport, voilà tout. ^Matière et forme ne sont-ils pas des termes rela-
tifs, en même temps qu'ils désignent, aux deux bouts des rela-
1. Summa theolog., h pars, q. LYI, art. 1.
2. In III de Anima, comment. V.
3. Summa Thcol., I^ pars, q. XIV, art. 5.
LA CONNAISSANCE DANS S. THOMAS 4oo
tiens, la puissance pure et l'acte pur? Pour que la détermination
dont on parle soit possible, il suffit que la constitution première
de l'être en^isagé ne le mure pas en soi en épuisant son pouvoir
d'idée : soit qu'il se trouve individualisé à outrance par la domi-
nation de la matière, soit qu'au contraire il enveloppe toute idée
et ne puisse donc rien recevoir. Ce dernier cas est celui de Dieu,
dont on peut dire en un sens supérieur qui était déjà peut-être
celui d'Aristote : Il ne connaît que soi. Quant à l'autre hypo-
thèse, elle nous aide à comprendre comment les êtres inorgani-
ques, ne possédant qu'un minimum d'acte, un minimum d'intelli-
gibilité propre, n'arrivent pas à se procurer le luxe ontologique
d'une participation à l'intelligibilité ambiante. Le mot de l'Évan-
gile s'applique ici : Omni hahenti dahitur ; ei autem qui non liabet,
et quod habet auferetur ah eo. ';'
Par où l'on voit comment se retourne en louange le reproche
adressé par quelques-uns à une conception qui, prétend-on, mé-
connaîtrai!; l'autonomie de la conscience, en l'identifiant au mon-
de extérieur (1). Est-ce méconnaître la conscience que de la mêler
à son milieu et de la mettre en synthèse avec la nature? Nous
sommes nature aussi, nous; par notre être sensible, d'où toutç
connaissance nous arrive, nous appartenons à cet océan qui, sous
le vent des actions \iitales, élève ses flots et y allume la sensa-
tion en aigrette lumineuse. Les formes naturelles sont donc chez
elles, chez nous. Leur existence en double : au dehors dans la
matière, en nous qui nous faisons matière pour les recevoir,
n'a rien do tellement insolite. C'est en tout cas une nécessité
qu'impose l'analyse. La critique adressée par Aristote à Platon,
k savoir qu'avec les idées il créait un double inutile de la nature,
n'a plus cours ici, car l'être intentionnel ne double pas l'être
naturel sans raison, et d'ailleurs, au point de vne où nous som-
mes pïésentement, l'un est aussi « naturel » que l'autre. Toute
chose est créée deux fois, dit saint Augustin : une fois en elle-
même, une fois dans les intelligences. Sans verser aux idées
innées, il faut reconnaître le bien fondé de cette remarque. Ce
qu'elle contient de platonisme nous parait rigoureusement imposé
par les données du problème de la connaissance. C'est ce qu'a
pensé le plus redoutable emiemi des Idées, quand il a dit tfua
l'âme peut devenir toutes choses. Aristote ne peut échapper à
Platon, et ceux qui veulent échapper à l'un et à l'autre s'éga-
rent loin de l'expérience.
1. Renouvier, Hist. et Solut. des probl. mctaphys., p. 75.
4o6 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Ce qui prouve d'ailleurs d'une façon assez piquante combien
est vain ce reproche de confusion entre la conscience et la nature,
c'est qu'il laisse place au reproche contraire. Certains ont vu dans
la thèse de l'identité formelle du connu et du connaissant non
plus la confusion dont on parle, mais un emmurement de la
conscience en soi et le sûr moyen de créer entre elle et la
nature un hiatus infranchissable. Ces critiques contradictoires
prouvent mieux que toute louange avec quelle justesse le mi-
lieu de vérité est ici atteint. Comment d'ailleurs le reproche
d'emmurement serait-il plus que l'autre acceptable? Dire que
le connaissant et le connu comme tels sont identiques, c'est
dire précisément que la forme par laquelle je connais n'est pas
seuJement forme du connaissant, mais forme du connu; qu'elle
est chose de nature, et qu'elle fait donc le lien qu'on lui reproche
de briser.
Bien plus, ce n'est pas seulement à l'état agissant, c'est d'une
.certaine manière dans sa constitution même que l'âme, en cette
théorie, se trouve mêlée à l'univers. Car le connaître est l'acte
dont le connaissant comme tel est la puissance. Si donc la puis-
sance et l'acte se correspondent; si par ailleurs connaître c'est
devenir un autre en participant au même acte, cà la même idée
de nature, c'est donc que l'âme est en quelque façon tout ce
qu'elle doit ou peut connaître. Comme nous disons : La matière
contient en puissance toutes les formes que la génération en
extrait, ainsi nous pouvons dire : L'âme contient en puissance les
hatures que ses conceptions intellectuelles successives y feront
reconnaître. Ce que l'âme deviendra, il faut qu'elle le soit en
pouvoir, et qui la connaîtrait à fond y pourrait donc trouver
comme en creux l'universalité des choses. « Elle n'en diffère,
et les choses ne diffèrent d'elle que selon que le tout est en
puissance (1). » Saint Thomas donne ainsi uno satisfaction inat-
tendue au panthéisme idéaliste d'après lequel la nature prend
elle-même, dans le connaissant, conscience d'elle-même, et il sug-
gère, sans nul sacrifice doctrinal, une grandiose idée de l'unité
relative de tout, sous les auspices de l'absolue unité divine.
Ce qu'il est très important de remarquer, c'est que la théorie
de la connaissance dont nous venons de marcpier les grandes
lignes n'est pas à l'ontologie thomiste dans le rapport de la con-
séquence au principe : c'est elle au contraire qui est principe. Le
1. Summa Theolog., I» pars, q. XIV, art. 2.
LA CONNAISSANCE DANS S. THOMAS 4o /
procédé synthétique de saint Thomas pourrait faire illusion :
constamment jl paraît déduire; mais à y regarder de près, on
voit que son système clos en apparence — tel un anneau hrisé —
a pourtant une entrée, et que cette entrée est sa thèse sur la con-
naissance. Au fond, cela va de soi. Se demander ce qu'est l'être,
c'est se demander : Qu'est ceci, qui nous apparaît? Et comment
répondre sans avoir dit d'abord ce que c'est qu'ajyparaître ; ce que
V apparence confère ou ne confère pas au réel, d3 telle sorte qu'on
puisse dire : Ceci est le résidu objectif; ceci est l'être en soi, et
voici ce que le sujet y ajoute. C'est Platon qui avait senti le
plus ^'ivement, dans l'antiquité, cette dépendance absolue du pro-
blème ontologique avec le problème de la connaissance (1). Il
avait &é\ié en chemin, mais la route était bonne. Saint Thomas
la reprend avec Aristote pour guide. Il note sans cesse que la
réalité, matière ou esprit, ne saurait être définie en termes qui
abstraient de la connaissance, sous peine de rendre celle-ci inin-
telligible.
Nous connaissons : donc le réel est connaissdble : donc il par-
ticipe de la nature du connaissant comme tel, autrement il lui
serait étranger et ne pourrait communiquer avec lui dans l'acte
commun qui constitue le connaître. L'aliment ne peut être étran-
ger à ce qui se nourrit; il faut qu'une communauté de nature
les assemble. U autre se fonde sur le même, comme le mouvement
sur l'immobile et le multiple sur l'un. Ce qui fait l'intelligibilité
doit être au fond ce qui fait l'intelligence ; ce qui rend le sensible
tel doit être ce qui rend le sens capable d'y boire. L'analyse
partant de là poussera ainsi sa pointe : Rien ne nous est donné
que dans son idée, en prenant ce mot au sens le plus large
(species). Or, le sens universel nous oblige à dire et tout le mou-
vement de la rie en contient l'affirmation : Nous connaissons
les choses. Quel moyen de s'en tirer que de dire : La chose même
est idée, et par l'idée, l'intellect ou le sens pourront donc deve-
nir chose. On pourra dire : Intellectus fit omnia parce qu'on
aura pu dire d'abord : Ex intelligibili m actu et intellectu in
actu fit unum, et cela même sera vrai parce qu'il est vrai qu'en
puissance du moins, intelligibile et intellectus sunt unum.
L'idéalisme platonicien est là, mais corrigé ainsi qu'on l'a vu
déjà, ainsi qu'on le verra davantage.
On peut juger maintenant de ce que devra penser saint Tho-
1. Cf. Summa theolog., V" pars, q. LXXXIV, art. 1.
458 REVU" DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
mas soit de l'objectdvism'e matérialiste, soit de l'idéalisme sub-
jecti\dste en toutes leurs nuances. Il les combat en tant qu'exclu-
sifs; il les absorbe dans sa synthèse. Il lui paraît tout à lait
insensé de vouloir, avec le premier, construire le sujet avec de
l'objet, la conscience avec de la chose. Il lui paraît absurde aussi
de chercher à absorber l'objet dans le sujet à tel point que tout
soit oonscienoe ou état de conscience. Par ailleurs, ayant vu
que le sujet et l'objet ne peuvent être étrangers en nature, il a
introduit dans l'être qui leur est commun de quoi faire que le
sujet devienne objet et l'objet sujet sans que l'un ou l'autre
abdique. Sa position est donc moyenne, et du point central où
il s'établit, il peut juger ses adversaires.
Le matérialisme était représenté pour lui par les anciens natu-
ralistes : Empédocle, Heraclite, Diogène d'Apollonie, Hippo, Cri-
tias, et surtout Démocrite. Leur point de départ commun était
que le semblable est connu par le semblable, en quoi ils
ne se trompaient point tout à fait, ainsi qu'on l'a vu; mais
ils étaient comme des hommes que la vérité poursuit dans
le sommeil, et qui l'habillent de songes (1). De ce que l'ob-
jet et le sujet doivent avoir quelque chose de commun, ils con-
cluaient aussitôt qu'ils doivent avoir une composition iden-
tique. Platon même raisonnait ainsi; seulement ayant recon-
nu d'abord l'idéalité du sujet, il avait idéalisé le réel, pour
ne pas désidéaliser l'âme. Les Physiciens, au contraire, partant
de l'objet matériel et le comprenant dans le sens le plus empi-
rique, en composaient le sujet, de sorte que l'idéalité de la
connaissance était sans nulle explication, quoique imposée par
l'expérience la plus immédiate du moi (2).
Cette opinion n'est pas soutenable. L'âme ne peut pas être
un composé corporel; elle n'est ni une harmonie de propriétés
matérielles comme le voulaient Simmias, Empédocle et Dinar-
que (3), ni une complexion d'organes à la façon de Galien (4),
ni à plus forte raison un feu, un souffle, une vapeur, comme
« l'imagination grossière » d'un Démocrite, d'un Diogène ou d'un
Heraclite le put croire. L'âme est un acte intelligible, une forme,
une idée réelle sous le gouvernement de laquelle les propriétés
matérielles s'organisent et s'unissent, mais qui par cela même
1. Ih I de Anima, lect. 4, init.
2. Ibid., cire, mcd.; Summa theolo(j., V pars, q. LXXXIV, art. 1 et 2.
3. Cf. C. Gentcs II, c. LXIV; 1 dz Anima, lect. 9.
4. lUd., c. LXIII.
LA CONNAISSANCE DANS S. THOMAS 459
les dépasse. La simple nutrition le prouve, et à plus forte raison
la sensation et l'intellection (1). Ce qui a trompé ces philoso-
phes, c'est le rôle é\'ident que jouent dans le connaissant les pro-
priétés corporelles. Voyant qu'on pouvait dire : Tel corps, telle
âme; telle complexion, telle intelligence; telles humeurs, telles
passions, ils n'ont pas su comprendre qu'autre est la relation
qu'entretiemient les fonctions de connaissance avec les proprié-
tés corporelles, autre la relation qu'elles entretiennent avec l'âme.
Celle-ci est le lien des autres et ne peut donc les rendre inutiles.
Les propriétés corporelles ont à l'égard de l'àme raison de dis-
positions matérielles; l'âme elle-même est la forme, l'acte, l'idée
réelle qui régit le composé. Sans les propriétés, l'âme ne pour-
rait rien faire; mais sans l'âme, les propriétés ne sauraient
aboutir à la connaissance, attendu que celle-ci les dépasse, qu'elle
est d'un ordre à part, et qu'il faut donc lui assigner un principe
de son ordre (2). Si l'âme connaissante était une harmonie de
propriétés, comme il faudrait supposer à cette harmonie une cause
propre, il faudrait donc une âme de l'âme (3). Qu'on dise donc
dès l'abord que l'âme est non l'harmonie même, mais son prin-
cipe; que par suite elle est antérieure logiquement aux éléments
de l'harmonie, afin de les contenir; que par suite elle leur est
supérieure (4). D'ailleurs si l'on comprend que la beauté soit une
harmonie de parties, la santé une harmonie d'humeurs, la force
des membres une harmonie de nerfs et d'os, etc., de quoi le
sens ou l'intelligenoe comme tels seraient-ils l'harmonie? Il y
a là une réalité à part, dont la raison propre (propria ratio)
n'est pas dans l'organisme (5). Tout au plus peut-on dire, s'il
s'agit de la sensation, que la raison propre en est dans le corps
\dvant, mais en tant qu'il est vivant par son âme.
]\Iais le matérialisme ne se soutenant pas, faut-il verser dans
l'idéalisme ? La doctrine du Cogito a orienté la pensée moderne
vers une méthode qtd fait des phénomènes de conscience le pre-
mier ou l'unique objet de l'investigation philosophique, tout le
reste — si reste il y a — ne pouvant être conçu ou donné que
par ou à travers ce premier objet. Cette attitude favorise infi-
niment, si elle ne les implique point, les conclusions idéalistes.
1. Q. un, de Anima, art. 1.
2. Ibid., loc. cit. et c. LXI; In I de Anima, lect. 9.
3. Loc. ult. cit., cire. med.
4. In I de Ayiima, lect. XII. Octavam rationem...
b, II C. Gentes, c. LXIV.
460 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Or, l'attitude thomiste est toute contraire. Le point de départ est
ici l'intuition objective. Le connaître est objet avant d'être sujet;
le primum cognitum, ce n'est pas le connaissant comme tel, c'est
l'être. Pour la puissance pure que nous sommes au point de vue
du connaître, connaître en acte c'est devenir autrui, et comme
nous ne sommes pour nous que par la connaissance, nous ne
sommes pour nous que par autrui. C'est l'invasion du monde
en nous qui nous éveille à nous. L'homme ne se connaît que dans
l'acte do devenir autre : Cognoscens in actu est cognitum in aetu,
de sorte que l'ordre vrai du connaître est celui-ci : Premièrement
l'objet, deuxièmement l'acte, troisièmement la puissance d'où pro-
cède cet acte, quatrièmement, pour finir, le sujet (1). On voit
combien s'éloigne un tel point de me des basées du subjecti-
visme. L'union synergétique du connaissant et du connu fait que
l'âme a conscience de l'un et de l'autre en son acte, mais du
connu directement, de soi-même indirectement, en tant que puis-
sance de l'acte obtenu par la connaissance. La réalité de l'objet
est donc ici donnée avant le moi : comment ensuite la méconnaître ?
Le fait premier doit être laissé à sa primauté (2). Il est plus
certain que nous connaissons des choses qu'il n'est certain que
nous connaissons par une opération immanente. Mieux vaudrait
donc nier l'immanence de la pensée ou de la sensation, comme
y tend le matérialisme empiriste, que d'en nier l'objectivité au
sens le plus général de ce terme. Volontiers saint Thomas dirait
aux subjectivistes ce que disait Cicéron aux Épicuriens : « Cum
perspicuis dubia debeatis illustrare, dubiis perspicua conamini
toUere (3). » Faire dépendre le monde extérieur de l'analyse du
moi, ne serait-ce pas vraiment chercher la lumière du jour dans
les caves?
A maintes reprises saint Thomas s'est posé cette question :
Qu'est-ce qui est vraiment connu? Est-ce la représentation, est-
ce la chose? Est-ce l'image intelligible ou sensible, est-ce l'ob-
jet? C'est en ces termes que se posait de son temps la question
du subjectivisme.
« Certains ont posé, dit-il, que les puissances cognitives, en
nous, ne connaissent que leurs propres passions, à savoir que le
1. De verit., q. X, art. VIII; art. IX; Siivimn theolog., I^ pars, g.
LXXXVII. art 3; art. 1, ad 3°i; In II de Anima, lect. 2, mit.; III, lert. 9,
mtd.; In Boet de Trinit., art. 3; de Principio individuationis, init.
2. In IV Iletapht/s., lect. 14, in fine.
3. De finîbus, IV, 24.
LA CONNAISSANCE DANS S. THOMAS 461
sens ne sent autre chose que l'altération de l'organe, et que l'in-
telligence ne perçoit que l'image intelligible éveillée en elle. Mais
cette opinion apparaît manifestement fausse (1). » Il s'ensuivrait
que les sciences ne seraient point relatives aux choses, mais seu-
lement aux états du moi, de la même manière que les Plato-
niciens ont dit : Notre science est relative aux Idées. Seulement,
dans l'hypothèse platonicienne, les Idées étaient un en soi et
comme un double immobile des choses; ici, elles sont en nous,
et toute science humaine se réduirait ainsi à une psychologie.
De fait, cette conséquence a été acceptée de quelques penseurs,
et remarquant avec raison que toute réflexion consiste à se don-
ner un objet intérieur, à penser sa pensée comme une chose, ils
ont avoué que leur doctrine générale de la connaissance doit se
pousser jusque là et que l'on doit dire : Il n'y a de science que
la psychologie réelle, c'est-à-dire « conscientielle », c'est-à-dire ir-
réflécliie et qui se réduit au courant non jugé de l'âme. Pour fuir
cette conséquence paradoxale, il faut accorder que la connaissance
peut avoir un donné en dehors d'elle-même, et alors au nom
de quel préjugé assurer que ce donné est création de l'esprit
plutôt que création d'autre chose? Une fois dans Vautre, on a
passé le pont qu'on disait infranchissable et on a ruiné ses pro-
pres objections. On a. donc, pour écarter un mystère, avancé
une absurdité qui ne supprime pas le mystère.
« En second lieu, il suivrait de la position adoptée l'erreur
de ces Anciens qui disaient : Tout ce qui apparaît est vrai, même
les contradictoires. Si, en effet, la puissance cognitive ne connaît
que ses propres états, elle ne peut juger que de cela même, et
elle n'en peut juger que selon qu'elle en est affectée. Tout juge-
ment porté par elle sur cet unique objet l'atteindra donc selon
ce qu'il est, et ainsi tout jugement sera vrai,... toutes opinions
seront équivalentes, tous les états de connaissance se vau-
dront (2). »
Il suffit à saint Thomas d'avoir énoncé ces conséquences pour
se croire en droit de rétrograder vers une théorie de la con-
naissance qui en écarte. Il refuse de compter avec des paradoxes
antihumains, et quand l'idéaliste prétend que s'il y a du réel hors
la connaissance, la connaissance ne saurait l'atteindre parce
qu'elle n'atteint que soi, il ne voit là qu'une pétition de principe.
L'idéalisme est contraire au sens univ^ersel : c'est donc à lui
1. Summa fJicoloi]., 'i^ pars, q. LXXXV, art. 2.
2. Loc. ult. cit.
-562 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
de se prouver; il mène aux inoonvénients qu'on vient de dire :
toute supposition à lui oontraire et qui saura rendre un compte
suffisant des phénomènes de connaissance sera donc la bienve-
nue. Or, c'est ici que saint Thomas avance sa thèse. Il admet
l'identité nécessaire du sujet et de l'objet; mais avant la con-
naissance, cette identité n'est que potentielle (1); pendant, elle
est actuelle, mais relative seulement à la forme d'être, non à la
manière d'être. La nécessité posée par le problème de la con-
naissance n'est-elle pas assez pressante pour justifier cette sup-
position d'une essence des choses participable, c'est-à-dire d'une
constitution du réel qui lui permette d'être en nous sans cesser
d'être en soi, l'un du moins de ses éléments pouvant être vécu
en commun par le sujet et par l'objet, tous deux authentiques fils
de l'Être, reliés à ce sommet par la même idéale Réalité transcen-
dante ?
Quand certains disent encore que le réel, s'il existait au de-
hors, ne pourrait être comparé à la connaissance pour voir si
elle lui est identique, ils partent du même postulat injustifié, à
savoir que le réel comme tel est inattingible. Car s'il est attin-
giblc, c'est éWdemment par la comiaissaiice, et ajors, quelle
étrange prétention que de demander, sous prétexte de vérifier la
valeur de la connaissance, qu'on connaisse un objet autrement
que par elle 1 Cette idée d'une comparaison à établir indique
d'ailleurs un faux point de vue qu'écarte la thèse thomiste. Con-
naître, pour saint Thomas, ce n'est pas élaborer au dîdans une
idole; la species intelligihiîis vel sensihilis n'est pas un double
du réel habitant dans le sujet, et qui pourrait ou non ressembler :
c'est, par rapport au sujet, une forme d'être surajoutée; par rap-
port à l'objet, sa propre forme participée en raison d'une sorte
de vie commune, d'unité sui generis établie entre le sujet et l'ob-
jet par la connaissance. Il ne faut pas oublier que connaître,
c'est être; pour autant que nous connaissons l'objet, nous le
sommes, non en nature et en positi\àté, mais selon sa forme
participable L'objection cjn'on nous fait s'adresserait à merveille
aux iid^jilx y.y.l y.Tzoppox; de Démocrite (2); elle est sans force
contre une conception qui fait de la species un « médium quo ipsa
objecta videntur », médium ontologique, et non pas, ainsi qu'on
le suppose anthropomorpliiquement, simple sosie ou toile pein-
1. Cf. II de Anima, lect. 10, in fine.
2. De Divinat. per somnum, II, 4:64a, 5-6; ap. S. Th., lect. 2.
LA COXXAISSANXE DANS S. THOMAS 463
te (1). Et sans doute ce n'est là qu'un système, une interprétation
rlu réel, mais du moins celui-ci est-il respecté, alors que l'idéa-
lisme sacrifie dans le problème proposé sa donnée la plus im-
médiate et défait le nœud gordien à la façon d'Alexandre. L'ex-
istence du monde extérieur, comme celle du libre arbitre, comme
celle de la vérité, est possible à nier logiquement, mais non pas
\-italement. On ne peut vivre qu'en affirmant implicitement l'ex-
istence du non-moi; le plus sage est donc d'accepter ce point de
départ et de systématiser en conséquence.
En. résumé, selon saint Thomas, le matérialisme relatif à la
connaissance tient à ce qu'on part de l'objet comme donné et
qu'on en fait le sujet, puis l'acte du sujet, comme si la connais-
sance avait lieu par assimilation ou identité en nature propre.
Et l'idéalisme résulte de ce qii'adoptant le même principe on
l'applique à l'inverse. Considérant comme donné l'idéal en nous,
on en compose l'objet. Dans les deux cas on en arrive à nier
l'évidence, soit celle relative au dedans, qui est conscience, soit
celle relative au dehors, qui est chose. La voie moyenne con-
siste à poser le sujet et l'objet comme deux données corrélatives
également nécessaires, et, refusant de sacrifier l'une ou l'autre,
de trouver un terme commun où elles puissent s'unir. On a ^'^l
en général de quelle façon sainl Thomas entend établir cette syn-
thèse; la suite de sa doctrine précisera en distinguant les cas
particuliers de connaissance que justifie la diversité des objets.
Le monde comprend matière et esprit, singulier et universel :
les puissances de connaître se diversifieront de même. 11 y a des
puissances dont l'objet propre et proportionné est l'immatériel:
ce sont les intelligences pures; des puissances dont l'objet pro-
pre et proportionné est le monde de la matière : de ce genre
sont les facultés humaines. Parmi celles-ci, on distinguera en-
suite les puissances sensitives, affectées au singulier, et l'in-
telligence, dont l'objet propre est ce qui, dans les réalités singu-
lières, les dépasse en même temps qu'il s'y manifeste, à savoir
les essences.
Si l'on s'en tient à l'homme, il ira de soi que les facultés sen-
sibles auront pour siège le sujet en tant qu'il est lui-même sen-
sible, c'est-à-dire le composé humain, coips et âme, le premier
étant représenté dans chaque cas par un organe approprié, la
seconde par une de ses naissances. Quant aux facultés intel-
1. Cf. Quodl. VIII, art. 22.
464 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
lectuelles, elles auront pour siège la partie de l'àme qui ne dé-
pend point de la matière, ou pour mieux dire l'àme en tant qu'elle
dépasse par son acte la potentialité de sa matière. Il ne faut
pas se tromper, en effet, sur le sens des expressions parties de
l'âme ou puissances de l'àme. Ces mots désignent non des entités
distinctes, mais des virtualités réellement distinctes, ce qui n'est
pas la même chose. La distinction des puissances de l'àme entre
elles et par rapport à l'essence est fondée sur ceci que les puis-
sances diffèrent comme les actes, leur étant proportionnées et
relatives. Or, l'acte de l'essence, c'est l'être; l'acte de la puis-
sance opérative comme telle, c'est l'opération. D'autre part, ex-
cepté en Dieu, l'être et l'opération diffèrent; car opérer, c'est
deveni]', et ce qui est, en tant qu'il est, ne devient pas. Dans tout
être qui évolue, il y a donc un non-être relatif, ou puissance, qui
ne saurait être confondu avec son acte. Par ailleurs et en vertu
du même principe, une évolution en divers sens impliquant une
diversité d'actes implique corrélativement une diversité de pou-
voirs. C'est tout ce qu'il faut chercher dans la classique distinction
des puissances de l'àme. Ceux qui voient là des entités autono-
mes, communiquant par fil spécial pour essayer de constituer une
unité impossible, ceux-là transposent en valeurs d'imagination
des données toutes métaphysiques; ils n'ont pas vu que l'acte
et la puissance divisent l'être en tant que tel et sont donc trans-
cendants aux réalités empiriques. Une maison n'est pas faite avec
des maisons, ni un être avec d'autres êtres. L'être et l'un se con-
fondent, et il faut donc comprendre que l'unité de l'homme ne
doit pas se résoudre en morcelage d'entités, mais seulement en
une distinction de pouvoirs que révèlent ses réalisations diver-
gentes (1).
Il faut avouer que même les penseurs profonds parmi les
scolastiques ont paru quelquefois opérer une anatomie de l'àmo
qui réduisait le sujet un en une pluralité anthropomorphique ou
mécaniciste. D'où l'impression de sécheresse qui se dégage fort
souvent de leurs analyses. Mais ce qui prouve leur souci de
sauvegarder l'unité de l'homme, c'est cette thèse constamment
soutenue que l'àme est toute dans le tout et dans chaque partie
Au corps, ce qui ne serait point s'il y avait en elle entités dis-
tinctes. Ce sont ses pouvoirs seulement qui se montrent divers
çn divers organes, car le pouvoir inclut l'organe et ne peut donc
]. Cf. Summa theoîog., l^ pars, q. LIV, art. 3; q. LXXVI, art, 1; q.
LXXIX, art. 1; De Writ.. i|. X, art. 'J, ad S".
LA CONNAISSAN'CE DANS S. THOMAS 405
être autre sans que celui-ci soit autre, ni se révéler ici quand,
son organe est là : « l'art d,e construire ne se loge pas dan.a
les flûtes. » Sous ce rapport donc (secundum totalitatem virtutis)
on ne peut plus dire que l'âme soit toute en chaque partie, ni
même qu'elle soit toute dans le tout, puisque la vertu de l'âme
dépasse ontologiquement et fonctionnellemeiit celle du corps (1).
Tel est le cadre général de la psychologie thomiste.
Paris. A.-D. Sertillanges.
1. De Spirit. créât, q. I, art. 4; Sitm. Theol, 1^ Pars, q. LXXVI, art 8,
corp. et ad 4m.
2e Aniice. — Revue des ScieIlce^. — N" 3.
La nature de l'émotion
selon les modernes
et selon Saint Thomas
SUITE (l).
II
LA THÉORIE DE L'ÉMOTION SELON S. THOMAS suilej
L'aspect psychique de V émotion.
SI l'on veut condenser en un mot l'idée que se fait saint Tho-
mas de l'aspect psycliique de l'émotion, il faut dire qu'il con-
çoit l'acte de l'appétit sensitif, qui constitue cet aspect psychique,
comme un certain mouvement de l'âme, « quidam motus ani-
mae » (2).
L'expression est analogique; car nous exprimons toutes cho-
ses, y compris les .opérations de l'âme, par comparaison aux
opérations des êtres matériels. Voici le fondement et la structure
de cette analogie : De même que les êtres de la nature ont un
mouvement propre, déterminé par leurs lois spécifiques cons-
titutives, — et par mouvement il faut entendre non seulement
le mouvement local, mais tout passage évolutif de puissance à
acte caractérisant toute activité — ; de même, l'être doué de con-
naissance, en plus de sa tendance native à se consen^er et à dé-
A'elopper ses activités, a ceci de particulier qu'un nouvel appétit,
et par suite de nouvelles tendances d'action surgissent en lui,
du fait que la connaissance lui présente de nouveaux objets et
de nouvelles fins (3).
1. Cf. Bev. des Se. Phil. et Thcol, avril 1908, p. 223 sv.
2. Sum. Thcol, I^ 11^^ qu XXIII, art. 2; — ibid., art. 4; etc.
3. « Motus appetitus animalis hoc modo se habet in operibus animae, sicut
motus naturalii in, rébus naturalibus. » Ibid., qu. XXXVI, art. 1; — « Motus
appetitivus habet simiiitudiuem appetitus uaturalis. » Ibid., art 2.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 467
L'appétit sensitif est ainsi calqué sur l'appétit naturel et nous
parlons du premier par analogie a,ux; effets que provoque le se-
cond. Comme le mouvement d'un être de la nature — ou, si l'on
veut, son activité — est tendance d'un terme à un autre, évolution
d'un état imparfait vers un état plus parfait; ainsi, nous conce-
vons l'acte de l'appétit comme une tendance évolutive, comme un
mouvement. Il y a ressemblance; car de part et d'autre il y a in-
termédiaire tendantiel entre un état et un autre état. Mais il y a
différence ; car ce mouvement de l'àme n'est pas un véritable mou-
vement, ni à plus forte raison un mouvement local : un acte im-
manent, comme l'acte appétitif, ne pouvant être un véritable mou-
vement.
Ces restrictions faites, et cette précision donnée à la significa-
tion de ce « certain mouvement de l'âme », saint Thomas en
détaille toui à tour les caractères respectifs dans chacune des
différentes passions. Retenons-en seulement la coupe générale :
A partir d'un désir, suscité par un attrait de bien à acquérir, ou
d'un désir contredit par un motif de mal ou de danger, un mou-
vement de l'appétit se déclare et se développe avec plus ou moins
d'amplitude, d'expansion, d'accélération, de contraction, ou de
recul, selon les différentes passions, jusqu'à un terme de repos,
auquel correspond dans l'appétit un sentiment de joie ou de tris-
tesse suivant que ce mouvement appétitif a un résultat bon ou
mauvais, agréable ou désagréable, pour le sujet. Que l'on essaie
d'analyser ce qui se passe dans la conscience au cours d'un état
émotionnel, par exemple, dans la tristesse ou dans la peur. N'est-
il pas vrai que nous avons l'impression d'une tension, d'un mou-
vement qui débande brusquement, qui s'arrête, se reprend, s'apai-
se ou s'affole, d'un flux et d'un reflux de tendances qui se heur-
tent, d'un équilibre rompu, d'une agitation désordonnée? Sans
doute alors nous éprouvons en même temps les diverses variations,
organiques : nous sentons nos membres trembler, notre chair
frémir, notre poitrine s'angoisser, notre respiration se précipiter
ou se raréfier, notre cœur s'accélérer ou battre péniblement. Et
nous ne refusons pas d'admettre que ces sensations — nous le
veirons — ajoutent à l'intensité de l'émotion; mais il reste que,
con&tatable par l'expérience intime et sous-jacente< à l'agitation
corporelle, une agitation psychique emplit avec celle-ci tout le
champ de la conscience. Sans doute nous ne pouvons positive-
ment exprimer ce qu'elle est, et nous la traduisons en termes
analogiq-ies de mouvements; mais elle n'en constitue pas moins
468 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
un événement de conscience particulier, un état spécial manifes-
tement éprouvé, que l'on ne peut confondre avec les autres élé-
ments de sensations renfermés dans l'émotion.
Et c'est ici que doivent s'intercaler les expériences et les obser-
vations de la théorie intellectualiste. Elles contribuent à faire
valoir la réalité de l'aspect psychique de l'émotion.
Ces mouvements de l'àme éprouvés dans l'état passionnel et
concomitants aux mouvements organiques, sont motivés et dé-
terminés par la représentation. La même harmonie ou le même
désaccord sont, à la fois et parallèlement, dans les représentations
et dans les mouvements appéti tifs. «Dans la tristesse causée par
la mort d'un ami, dit l'intellectualiste Linder, l'idée de cet ami
est prise comme dans un étau entre deux idées, celle de sa
mort qui tend à produire un arrêt des représentations, celle de
ses bienfaits qui tend à un effet contraire. » C'est vrai, à con-
dition d'ajouter que l'arrêt et l'effet contraire ne se maintien-
nent pas seulement dans les représentations, mais se poursuivent
et s'établissent surtout dans les tendances appétitives, bien qu'ils
soient immédiatement motivés par la contradiction des repré-
sentations. L'expérience interne, dans oe complexus de l'état
émotionnel, saisit, constate, éprouve, beaucoup plus qu'on ne
sauiait l'analyser, cet entrejeu des tendances appétitives sous
l'entre jeu des représentations. Mais ce « ton de sentiment » et
d'affectivité reste distinct des données de connaissance. Celles-
ci peuvent être aussi frappantes dans leur contradiction chez
quelqu'un qui n'éprouve pas l'émotion, chez celui, par exemple,
qui connaît parfaitement le malheur qui frappe son ami, alors
que celui-ci ne fait qu'en soupçonner l'étendue et pourtant se dé-
sole : le premier n'éprouve pas l'émotion de tristesse, au inoins
dans sa plénitude, bien qu'il connaisse les motifs d'affliction; le
second l'éprouve tout entière, car il devine, malgré la connais-
sance imprécise qu'il en a, le mal qui le menace directement, et
cette perspective suscite immédiatement le jeu des tendances
appétitives, et par suite l'émotion elle-même dans ses éléments
essentiels.
Cet aspect psychique de l'émotion en est donc un élément ca-
ractéristique. Bien mieux, l'acte appétitif, dit saint Thomas, cons-
titue /(' forme même de l'émotion, c'est-à-dire la spécifie comme
telle émotion et non pas telle autre (1).
1. Suvima Thcol., l^ 1I^«, qii. XXVIII, art. 5; — qu. XXVI, art. 1, ad 3;
— art. 4: etc.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 469
Ce rôle spécificateur attribué à l'acte de l'appétit est très im-
portant à remarquer, et sa vérification expérimentale devient une
preuve de l'insuffisance de la théorie physiologique. — En effet,
d'après celle-ci, deux émotions ne peuvent! être qualitativement
hétérogènes, qu'en raison de l'hétérogénéité des variations or-
ganiques, motivant l'hétérogénéité des sensations consécutives,
sensations qui, dans la théorie, — on le sait, — constituent l'émo-
tion. Or, l'observation la plus ordinaire constate des émotions
qualitativement dissemblables, alors que les variations organi-
ques sont manifestement les mêmes. Qu'on lise par exemple les
descriptions faites par Lange des manifestations corporelles de
la joie et de la colère, on les trouvera étrangement concordantes.
Non seulement ces réactions se présentent extérieurement iden-
tiques, mais encore et surtout, elles sont éprouvées comme iden-
tiques : Dans la joie exubérante je sens les joues me brûler sous
l'aiflux sanguin, je sens l'agitation musculaire de mon corps,
etc.; et de même dans la colère. Si l'émotion n'est qu'un ensem-
ble de sensations organiques, comment expliquer que j'éprouve
des émotions radicalement distinctes, alors que les sensations
qui les accompagnent ne se distinguent pas? — D'autre part une
émotion psychiquement la même peut se manifester corporelle-
ment différente chez deux individus à base de tempérament diffé-
rent : l'un a la joie exubérante et abondante, l'autre, muette et
silencieuse; l'un a la colère violente et mouvementée, l'autre
sourde et contenue.
Bien plus, chez un individu, au cours d'un état émotionnel iden-
tique, les événements physiologiques peuvent varier, en s'am-
plifiant jusqu'à devenir désordonnés, ou en s'atténuant jusqu'à
devenir latents, sans que pour cela l'émotion varie qualitative-
ment; c'est donc que l'émotion elle-même n'est pas réductible
tout entière aux sensations organiques.
Pour que la théorie physiologique, qui nie l'aspect psychi-
que de l'émotion, puisse se vérifier, il faudrait qu'il existât une
série de types spéciaux de phénomènes physiologiques corres-
pondant, un à un, aux différents types spéciaux d'émotion. « Or,
dit le D^ Grasset, des phénomènes physiologiques banaux, tou-
jours les mêmes, expriment des émotions très diverses : le fris-
son et la chair de poule expriment la peur, l'horreur, l'admiration
intense. On rougit et on pâlit, le cœur se précipite pour des émo-
tions absolument opposées » (1).
1. Iniroduction ph}/siologique à l'élude de la philosophie; p. 226 sv. Alcan.
Pails, ICOS.
470 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
L'expérience externe, scientifique, vient s'ajouter à l'expérience
interne pour justifier la nécessité et l'existence de l'élément psy-
chique de l'émotion, affirmé par saint Thomas. « En pathologie,
dit encore le D'' Grasset, ce qui fait la maladie de l'émotion, ce
n'est pas le degré plus ou moins grand des phénomènes physio-
logiques, mais le degré de Vémotivité, fonction essentiellement
psychique. » Et le même auteur rappelle les expériences de Fran-
çois Franck, de Paul Sollier, de Sherrigton, dont les résultats
contredisent ouvertement la théorie physiologique (1).
François Franck a montré que les événements organiques va-
rient, non suivant la qualité, mais uniquement suivant la quan-
tité des émotions. « Il détermine expérimentalement une élévation
de pression aortique semblable à celle que peut déterminer une
excitatior. psychique : il en résulte une sensation de gêne, de plé-
nitude circulatoire mais pas une émotion vraie de colère ou au-
tre. Le» effets de l'émotion sur les vaisseaux sont les mêmes que
ceux de la sensibilité générale ou de l'excitation directe de cer-
tains point.^ du cerveau. » Ce sont des effets sans caractère émo-
tif spécifique (2).
On se sou\âent que James rêvait de trouver une « expérience
cruciale » confirmant sa théorie, dans le cas d'un sujet anesthé-
sique, incapable par conséquent de sensations somatiques, et
chez lequel ne se manifesterait plus aucune émotion. Or, Paul
Sollier, qui s'était d'abord rallié à ra\is de James, conclut main-
tenant contre lui, après avoir étudié des hystériques anesthési-
ques et des anesthésiques par suggestion. Le docteur Grasset,
il est vrai, n'ajoute pas une grande importance à ces observa-
tions de Paul Sollier, « parce que, dans ces cas, l'anesthésie
s'accompagne d'un état cérébral psycliique qui explique la di-
minution ou l'absence de l'émotion, en dehors du trouble péri-
phéiique de la sensibilité. — D'ailleurs une anesthésie pure avec
intégrité absolue du cen^eau psychique paraît irréalisable par
l'expérimentation ou par la maladie. » Aussi considère-t-il com-
me « plus importantes les expériences de Sherrigton, qui coupe
la moelle à des chiens dans la région cen'icale inférieure. Toutes
1. Ihid.
2. Voir les recherches de François-Franck : Comptes rendus du laboratoire
de Marey, 1876, t. Il; — Leçons sur l'expression des émotions. Cours du
Collège de France, 2e semestre 1900; — Critique de la théorie dite phtjsio-
logique des émotions; XIII^ Congrès international de médecine, Paris, 1900,
Sect. de physiologie, physique et chimie biologiqTies ; — Les expressions
extérieures et profondes des émotions chez l'homme et les animaux. Bulletin
de l'Inst. gén. de psych., 1906, t. VI, no 2., p. 83.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 471
les connexions sont rompues entre le cerveau et les \'iscères tlio-
raciques, pelviens et abdominaux, excepté celles qui existent par
l'inteimédiaire de certains nerfs crâniens. Ainsi on isole, en ou-
tre, du centre vasomoteur bulbaire, tous les vaisseaux sanguins,
excepté quelques minimes communications par la voie des nerfs
crâniens. La peau et les organes moteurs sont, depuis les extré-
mités inférieures, jusqu'à l'épaule, également privés de toute
communication avec le cerveau. Et l'émotivité persiste. Un trou-
ble de nature émotionnelle est survenu chez un animal après que
toute réaction nerveuse vasomotrice a été rendue impossible et
après que la majeure partie des réactions viscérales a aussi été
empêchée» (1). Et le D'' Grasset conclut résolument: «Tous les
physiologistes sont unanimes pour combattre la théorie de Lan-
ge-James-Sergi, qui met l'émotion essentiellement dans les phé-
nomènes physiologiques et ne voit dans les phénomènes psycho-
logiques qu'une conscience de ces phénomènes physiologi -
ques » (2).
Ainsi donc, en résumé, l'émotion, pour saint Thomas, a un as-
pect psyclnque. Cet aspect psychique, nous le traduisons analogi-
quement, dans sa coupe générale, en disant qu'il est un mouve^
ment de l'âme. Son existence et ses caractères se révèlent à l'ex-
périence intime. Celle-ci est corroborée par les analyses de la
théorie intellectualiste; mais ce que cette dernière prend pour
un mode résultant seulement de l'interaction des représentations
est surtout une interaction de tendances, c'est-à-dire de mouve-
ments appétitifs. Enfin, la réalité de cet aspect psychique, forme
de l'émotion, est également prouvée par l'insuffisance de la théo-
rie physiologique à rendre compte de la spécificité et de la dif-
férence qualitative des émotions : de récentes expériences et ob-
servations manifestent d'ailleurs, plus péremptoirement encore,
cette insuffisance.
L'aspect physiologique de l'émotion.
L'émotion n'a pas seulement, selon saint Thomas, un aspect
psychique, caractérisé par ce « certain mouvement de l'àme »
que nous venons d'analyser. Celui-ci a un corrélatif physiologi-
1. Revault d'Allonnes. — L'''xp^i ration physiologique des éinot'ons.
Jo\irnal de Psychologie normale et pathologique, 1906, p. 1.37.
2. Op. cit., p. 229.
472 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET f IIÉOLOGIQUES
que nécessaire et inséparable : un mouvement organique, « trans-
muiaiio corjjoralîs. »
Ce mouvement organique est variable suivant la diversité des
passions : tremblement, pâleur, claquement des dents, frisson,
agitation spasmodique, sécrétions, clameur de la voix, tacitur-
nité, etc. (1), en un mot tous les phénomènes musculaires, vascu-
laires, ^iscéraux, dont Lange nous a donné la description. Il
suffit de parcourir le Traité des Passions poar constater que,
sous ce rapport, l'observ^ation de saint Thomas ne le cède en
rien, et dans les détails les plus réalistes (2), à celle du physiolo-
giste danois -
Mais laissons de côté cette description des mouvements et ré-
flexes périphériques propres à chaque passion; car aussi bien
ce que nous cherchons c'est la théorie générale de l'émotion
selon saint Thomas. Or, celui-ci s'est inquiété de savoir quelle
est l'origine interne de ces mouvements passionnels. De même
que les partisans de la théorie physiologique se sont demandé
quel est le facteur physiologique primaire de toute émotion — et
l'on sait que leurs solutions sont divergentes — de même saint
Thomas a cherché le point de départ central des diverses mani-
festations organiques de l'émotion. Pour lui, ce point de départ,
c'est U mouvement du cœur. Ici encore les textes sont trop abon-
dants pour que nous puissions les citer tous. En voici quelques-
uns : « Coi est instrumentum jyassionum animae » (3). — « In om-
ni passione animae additur aliquid vel diminuitur a naturali motu
cordis, inquantiun cor intensius vel remissius movefur secundmn
systolem aut diastolem » (4). — « Ratio passionis salvatur secun-
dmn quod cor dilatatur vel accenditur, vel qualitercumque dispo-
nitur aliter quam sit ejus communis dispositio » (5). D'autre part,
nous savons que, pour saint Thomas, le cœur est l'organe spé-
cialement informé par l'àme en tant que motrice, et c'est pour-
quoi son mouvement est le principe de tous les autres mouve-
ments de l'animal : « motus autem cordis principium est omnium
motuum qui sunt in animali » (6). Ainsi, dans toute passion,
1. Snm. Thcolorj. la IIa>.-, qu. XLIV, art. 1. c. et ad 1, ad 2, ad 3; —
ibid., art. 3; — qu. XLVI, art. 3, ad 3; — ibid., art. 4, c; — qu. XLVIII,
art. 2, c; — ibid., art. 4, c. et ad 1, ad 2, ad 3; — etc.
2. Op. cit., la Kae q^. XLVI, art. 3, ad 1.
3. Op. cit.. la lia., qu. XLVIII. art. 2.
4. Op. cit.. la Ipe qu. XXIV, art. 2, ad 2.
5. De Veritate. qu. XXVI, art. 8, c.
6. Summa Theoîog., passim. Voir eu particulier : l* nae qu. XVI î, art. 9.
l'émotion selon les modernes et s. THO^L\s 473
il y a un facteur physiologique primaire et spécifique dans son
ordre : les manifestations organiques externes sont engendrées
par le mouvement anormal trop rapide ou trop lent du cœur.
Mais il semble qu'il y ait uni hiatus entre les troubles vaso-
moteuis et les mouvements extravagants de la périphérie. Com-
ment passer des uns aux autres? Y a-t-il un intermédiaire, et un
intermédiaire physiologique? — Oui, il y en a un : c'est le pneu-
ma psychique, « sjnritus animalis ».
Que saint Thomas admette cet intermédiaire, dans sa physiolo-
gie passionnelle, c'est incontestable. Citons seulement quelques
textes . « In iratis... interius fit spirituum motus db inferiorïbus
ad superiora ; ... sed in timentibus spiritus moventur a superioribus
ad inferiora. » (1) — « Motus irae est causatlvus cujusdam fervo-
ris sanguinis et spirituum. » (2) — « Juvenes... habent miiîtos
spiritus, et ita in eis cor ampliatur. Ex ampUtudine autem cor-
dis est quod aliquis ad ardua tendat. Et ideo juvenes sunt
animosi et bonae spei. » (3).
Qu'est-ce donc que ce pneuma psychique et quel est son rôle
dans la physiologie passionnelle? Ceci nous amène à dire un
mot de la physiologie de saint Thomas, mais un mot très bref,
pour autant qu'il nous servira à comprendre l'aspect physiolo-
gique de l'émotion (4).
Les facultés de la vie sensitive (fonctions de connaissance et
fonctions de motricité) requièrent, selon saint Thomas, deux sys-
tèmes d'organes : les organes externes (œil, oreille, etc.) et les
organes internes, puis deux systèmes de nerfs : les nerfs sensi-
tifs et les nerfs moteurs. Les organes internes des fonctions de
connaissance sont localisés dans la partie antérieure de l'encé-
phale et sont reliés aux organes externes par les nerfs sensitifs.
Les organes internes de la motricité sont localisés dans la partie
postérieure du cerveau; de là partent les nerfs moteurs qui vont
se ramifier multiplement dans tous les membres et régions du
corps. Mais ces organes internes et externes, ces nerfs sensitifs
pA 1. arl 2. ad 8: — ^hid.. qa. XX, art. 1, ad 1; — gu. XXXIII, art. 1,
- qii. XXÂVii, u... ^, .., - XXXVIII, art. 4, ad 3; -- lU Sent., Dist.
XXXIV, cfu. II, ajt. 1, q. 1, c.
1. Suni. Theolog., I« II^«., qu. XL IV, art. 1.
2. Ibid., qu. XLVIII, art. 2.
3. Ibid., qu. XL, art. 6.
4. Cf. Note pour l'étude de la psycJio physiologie d'Albert le Grand et
de saint Thomas (Revue thomiste, 190.5, p. 91 sv) où nous avons étudié
avec plus de détails la physiologie de la sensation et du mouvement, d'après
Albert le Grand et saint Thomas et montré la conciliation qu'ils ont tentée,
sur ce point, entre les théories d'Aristote, de Galien, et des médecins arabes.
4/4 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
et moteurs ont besoin pour être immédiatement aptes à leurs
fonctions d'être lubréfiés par le pneuma psychique. Celui-ci est,
selon saint Thomas, une vapeur coq^orelle, très subtile, d'une
matière raréfiée et imisible. Albert le Grand disserte longuement
sur sa nature. Pour lui, c'est un corps subtil, sui generis, ayant
quelques propriétés des divers éléments : il est clair, tenant de
l'eau, du feu, et surtout de l'air; il est véhiculé par le sang; il est
formé par la nourriture, l'air de la respiration, le tout altéré et
modifié sous l'influence de la chaleur vitale. Voici au juste sa
fonction physiologique : Amené par le sang jusqu'au cœur il est
propulsé par le mouvement de sistole et de distole dans les di-
verses parties du corps. Par\'enu au cerveau, le pneuma, sous
l'influence fonctionnelle de celui-ci, subit une altération carac-
téristique, par laquelle il devient proprement « psychique », c'est-
à-dire approprié aux fonctions de sensibilité dont il pénètre les
organes internes. Par l'entremise des nerfs sensitifs et des nerfs
moteurs, qu'il traverse en raison de sa subtilité, il va jusqu'aux
organes externes et aux parties périphériques, les adaptant à
leur rôle sensitif ou moteur. Et ainsi — pour ne parler que de
la motricité qui nous occupe surtout — les mouvements corporels
seront excités ou atténués, selon l'apport plus ou moins grand
du pneuma; et ce plus ou moins aura son point de départ et sa
raison dans l'accélération ou le ralentissement du cœur.
Ces notions générales suffisent pour nous faire comprendre
le mécanisme physiologique du mouvement émotionnel selon saint
Thomas : Le mouvement appctitif a sa répercussion directe sur
le mouvement du cœur; celui-ci variant de son rythme normal,
au delà ou en deçà, suivant la spécificité de l'acte a,ppétitif, les
mouvements corporels, par l'intermédiaire que nous savons, se-
ront excités ou déprimés, corrélativement à l'excitation ou à la
dépression rythmique du cœur.
Cette physiologie moyenâgeuse de l'émotion paraîtra bien rudi-
mentaire. Pourtant, si on en élimine les notions démodées et si
on en considère avec bienveillance les lignes générales, on remar-
queia, nor sans surprise, qu'elle coïncide avec la physiologie de
l'émotion telle que Lange nous l'a décrite. Pour celui-ci égale-
ment, les mouvements périphériques, accélérés ou ralentis, sont
en corrélation directe avec le rythme anormal du cœur. De ce
trouble cardiaque provient en effet l'irrigation abondante ou l'ané-
mie des neurones moteurs : d'où l'innervation trop forte ou trop
faible des nerfs moteurs, et, par suite, l'incohérence agitée ou la
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 473
dépressior. des mouvements corporels ou autres manifestations
périphériques. Pour saint Thomas, comme pour Lange, le fac-
teur physiologique primaire de l'émotion est donc une modifi-
cation interne vasculaire ou vasomotrice.
Et maintenant que faut-il penser de cette physiologie de l'émo-
tion ?
Il faut remarquer tout d'abord — et cette remarque est de
première importance — que telle ou telle explication physiologique
est accidentelle à la théorie générale de l'émotion d'après saint
Thomas : De même que les partisans de la théorie physiologique
ne s'accordent pas — sans que leur point de vue général en soit
modifié — sur la question de savoir quel est, dans le processus
émotionnel, le facteur physiologique qui met en branle tous les
autres, de même il est indifférent à la théorie générale de saint
Thomas qu'il ait raison ou tort dans son alfirmation de l'origine
caidiaque des modifications organiques. Sa théorie générale exige
seulemeni que la réaction corporelle soit un élément intégrant de
l'émotion.
Cela dit, il faut loyalement reconnaître que saint Thomas s'est
trompé avec tous les physiologistes de son temps — et qui oserait
s'en étonner? — en admettant que le cœur est le principe de la
motiicité et par suite de la physiologie de l'émotion, de même que
Lange s'esl trompé, au dire des physiologistes contemporains,,
en mettant les troubles vasomoteurs au, début du processus de
l'émoUon. Il est reconnu aujourd'hui que les variations du cœur
n'influent qu'indirectement sur la motricité, et qu'elles sont préala-
blement commandées elles-mêmes par des centres cérébro-spinaux
dont la localisation précise reste, d'ailleurs, soumise à la discus-
sion. Mais il est sûr qu'un événement cérébro-spinal est au début
du cycle physiologique de l'émotion.
Toutefois l'opinion de saint Thomas garde une part de vérité.
Si l'acte appétitif n'influe pas immédiatement et directement sur
les perturbations du cœur, il reste qu'il a toujours, par un in-
termédiaire cérébral et nerveux, une répercussion indirecte sur
le cœur et ses mouvements anormaux (1). Et comme de tous
1. Les physiologistes distinguent dans le cœur son mouvement, son rythme
et en assignent la cause physiologique dans les ganglions microscopiques qui
l'entourent (le cœur d'un animal arraché de la poitrine peut battre encore
un certain temps; ; mais la vitessr, l'intensité, la régulari'é des contractions
cardiaques sont continuellement influencées par un centre cérébro-spinal;
deux faisceaux de fibres appartenant au nerf pneumogastrique et au grand
sympathiciiie relient le cœur au centre : le premier ralentit, le second accélère
le mouvement du cœuf. ' '■ < ]
476 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
les phénomènes physiologiques du processus passionnel ce sont
les phénomènes cardiaques que la cénesthésie sent et éprouve
et non les phénomènes cérébraux et nen'eux, le sens commun
et l'expérience interne immédiate sont portés à voir dans les
troubles du cœur l'événement organique prépondérant et carac-
téristique.
Ainsi, en résumé : l'opinion de saint Thomas sur le facteur
physiologique primaire de l'émotion est accidentelle à sa théorie
générale. Cette opinion n'est pas vraie en ce sens que le mouve-
ment du cœur serait la cause originelle des mouvements somati-
ques. ]\Iais elle reste vraie en affirmant que le cœur est intéressé
— bien qu'indirectement — dans toute émotion; et elle justifie
par là l'expérience intime vulgaire et le langage du sens com-
mun qui voit dans le cœur le symbole des différentes passions.
Intégration et réversibilité de Vaspect psychique
et de Vaspect physiologique de Vémotion.
Nous avons étudié séparément l'aspect psyclùque de l'émotion
« quidam motus animae » et son aspect physiologique « trans-
mutatio corporalis »; mais cette dissociation, introduite pour plus
de clarté dans l'exposition, ne doit pas faire illusion sur l'unité
foncière et Wvante du fait passionnel.
Les deux éléments qui l'intègrent, l'un comme forme, l'autre
comme matière, se rejoignent en une cohésion tellement absolue
et nécessaire que l'émotion n'existerait pas si, par impossible, l'as-
pect psychique pouvait être sans l'aspect physiologique, ou ré-
ciproquement. De même que le phénomène de connaissance sen-
sible, spécifiquement un, relève du sens animé, de même le
phénomène émotionnel n'est pas autre chose que le mouvement
organique animé, pour ainsi dire, par le mouvement appétitif de
l'àme; et, pour saint Thomas, ce complexus constitue la spécificité
même de l'émotion comme phénomène distinct de tous les autres
phénomènes de canscience.
Cette intégration de l'élément psychique et de l'élément phy-
siologique, au sein d'une même unité vivante, telle que l'affirme
saint Thomas, n'est qu'une application de sa théorie générale
du composé humain, de l'àme forme du corjjs. ]\Iais indépendam-
ment de cela, l'essentielle inter-dépendance de l'acte appétitif
et du mouvement corporel se constate expérimentalement par
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 477
un fait sur lequel il faut insister. Il s'agit de la réversibilité de
Vétat émotionnel.
On se souvient que le principal argument mis en arant par la
théorie physiologique pour éliminer de l'émotion tout élément
psycliique est ce fait que l'émotion peut surgir par la seule mise
en jeu des réactions physiologiques, par absorption d'excitants
ou de calmants, ou encore, chez certains dégénérés héréditaires,
sans cause apparente, par la seule prédisposition morbide.
Or, saint Thomas accepte d'emblée ces faits, et ceux qu'il relève
sont absolument les mêmes que ceux décrits par Lange. Que
l'appareil vasculaire soit dûment dilaté en raison de la complexion
du tempérament héréditaire, dit saint Thomas, un motif insi-
gnifiant suffira à déterminer la colère : « Si accendatur ex com-
plexioiie, corjms a valde parvis et debilibus înovetur » (1). Et
encore : « Magis est in promptu nt ille qui est dispositus secun-
dum naturalem complexionem irascatur, qiiam de eo qui est
dispositus ad concupiscendum quod concupiscat... Et propter Jioc...
ira magis traducitur a parentihus in fllios, quam concupiscen-
tia » (2). Saint Thomas va jusqu'à esquisser une di\àsion des états
pathologiques irascibles : ceux de la colère maniaque ou taci-
turne, ceux de la fureur vindicative et agissante (3). — Ce qui
est vrai de la colère l'est aussi des autres passions, de la peur,
par exemple. Celle-ci peut être constituée, in forma compléta,
sans aucun motif apparent, et tout à fait semblable à celle que
provoque un danger imminent : «... Yidemus quod eliamsi nul-
lurn immineat periculum, fiant in aliqiiihiis passiones similes
his passionibus quae sunt circa animam, ut puta melancoliôi.
fréquenter^ si nullum periculum immineat, flunt timentes » (4).
Non seulement les prédisposidors pathologiques héréditaires peu-
vent susciter, comme fatalement, les réflexes organiques et ainsi
déterminer le cycle émotiomiel correspondant : mais, même dans
le cas de tempérament normal, la passion peut surgir par la seule
excitation, ou la seule atténuation des mouvements corporels.
Saint Thomas a toute une question de la Somme Théologique
intitulée ; Des remèdes à la tristesse (5). Parmi ces remèdes, qu'il
énumère avec complaisance en des articles distincts : contempla-
1. Iii I De Anima, Lect. II. ■ i
2. Sum. Theol, la llae, qu. XLVI, art. 5.
3. Ibid., art. 8.
4. In I De Anima, loc. cit. — Ar'stote avait dit: ij.7i0€i.bsyàp ^o^epov crv/j-^alucv-
Tos iv Toîs iràOeffi. ylvovTai roîs tov (po^ov/xevov. IIEPI 4'TXH2 A, 1, 403 a 23-24.
5. Sum. Thcol., 3 II^^ qu. XXXIII.
4i8 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
tion de la vérité, commerce de l'amitié, en voici d'autres très
singuliers : le sommeil, la douche, le bain. Il va même jusqu'à
dire qu'il est très bon de pleurer au sein d'une grande douleur, car
les larmes soulagent. — Vis-à-vis d'autres états émotionnels saint
Thomas n'a garde d'oublier l'argument cher aux physiologistes :
la provocation de l'émotion par absorption de spiritueux; ainsi
le vin est un des meilleurs excitants à l'audaca et au courage,
et l'exemple de l'ivrogne qui provoque témérairement ceux qu'il
rencontre et n'a aucun souci du danger revient à plusieurs re-
prises sous sa plume comme un confirmatur sans réplique (1).
]Mais tandis que les partisans de la théorie physiologique invo-
quent ces faits pour éliminer l'élément psychique de l'émotion
et établir que celle-ci est tout entière constituée par la conscience
des réflexes organiques, saint Thomas, qui est observ^ateur trop
scmpuleux pour récuser ces mêmes faits, ne voit en eux qu'une
preuve expérimentale mam'feste de la connexion intime et néces-
saire de l'aspect physiologique et de l'aspect psychique, tous
deux ensemble constituant l'émotion. Loin d'y rencontrer une
contradiction, il n'y trouve au contraire qu^une illustration nou-
velle de sa théorie.
Voici l'explication qu'il propose des différents faits cités et
que nous résumerons ainsi dans sa coupe générale : Les diffé-
rentes parties de notre organisme physiologique ont entre elles
un tel rapport d'adaptation et d'harmonie que la modification
de l'une de ces parties entraîne celle de tout l'ensemble; ainsi
les modifications périphériques retentissent par différents inter-
médiaires sur les organes internes, et les modifications de ceux-ci
se répercutent à leur tour sur toutes les fonctions. D'autre part,
dans l'état normal, ce rythme général a une allure de juste mi-
lieu auquel est adjoint, dans l'appétit, un sentiment de bien-être.
Que ce rythme vienne à être modifié par un excitant externe ou
même par le jeu mécanique du tempérament physiologique ou des
prédispositions héréditaires, ce renforcement harmonique ou dés-
harmonique sera éprouvé, conscient, du fait de la cénesthésie
générale. En regard de cette appréhension, le sentiment se colore
de plaisir ou de malaise, parfaitement ressenti dans la conscience.
Que cette harmonie ou cette désharmonie," et aussi le sentiment
paiallèle, s'accentuent encore, l'appréhension, renforcée par la
mémoire, l'association, l'imagination d'états semblables ou ana-
logues, manifestera Aite des motifs immédiats de bien ou de
1. Jhid., qu. XL, art. G.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 479
mal pour le sujet. — réels ou fictifs — ; dès lors, le mouvement
appétitif déclanchera entraînant le mouvement organique cor-
respondant et l'émotion tout entière sera constituée. Elle sem-
blera n'avoir eu pour cause qu'une modification corporelle; en
réalité celle-ci aura provoqué tout le cycle émotionnel : la con-
naissance ou appréhension pratique antécédente, puis l'émotion
elle-même, avec son double aspect d© mouvement psychique de
l'appétit et de mouvement organique.
C'est de cette façon que peuvent fort bien s'expliquer les faits
invoqués par la théorie physiologique pour nier l'élément psy-
cliique de l'émotion. Ils ne prouvent qu'une chose, savoir, que
les phénomènes physiologiques sont des éléments nécessaires,
constitutifs de l'émotion; mais non pas qu'ils soient suffisants
pour constituer l'émotion, ni surtout qu'ils soient antérieurs aux
phénomènes psychiques. « Si je rencontre un ours, disait James,
j'ai peur uniquement parce que je m'enfuis : la conscience des
mouvements organiques et autres réflexes forme seule mon émo-
tion de peur. » Une telle interprétation est manifestement inexac-
te. Je ne tremble et je ne fuis que parce que j'appréhende le dan-
ger imminent et que je me vois sans défense. Si, au contraire, je
suis armé, si je suis à l'affût, je n'ai plus peur, je me réjouis du
bon coup de fusil et j'en vibre d'aise. Ce sont bien des événements
proprement psycliiques qui sont au principe de l'émotion et qui
en déterminent la spécificité. — James allègue un autre exemple :
il se souvient qu'étant tout jeune enfant, il se prit à pleurer en
voyant saigner un cheval. Mais, outre qu'il est impossible à James
de reconstituer son état psychologique complet à cette époque
de sa vie, son cas s'explique fort bien et de plusieurs manières
possibles par un jeu d'association auquel suivit un phénomène
appétitif correspondant. L'enfant associe en effet l'idée de souf-
france à celle du sang qui coule — quand il s'est égratigné ou
blessé, il a souffert et il a pleuré — et, par l'entremise de cette
suggestion, une émotion pareille aux anciennes peut se reproduire
spontanément. Même interprétation pour le cas de frayeur irré-
sistible près du canon qu'on tire — autre exemple de James. —
Il y a association Imaginative et par suite déclanchement presque
automatique de l'émotion complète.
Quant aux cas pathologiques, invoqués par Lange, et dans les-
quels l'émotion se déclare in optiniâ forma, sans cause extérieure
apparente, ils n'excluent pas pour autant l'élément psychique.
Celui-ci est déterminé comme fatalement par voie d'association,
480 REVUE DES SCIE^•CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
motivée elle-même par l'état morbide de l'organisme. A vrai di-
re, ces derniers faits ne pourraient confirmer la théorie phy-
siologique que s'il était prouvé que dans la ooiiscience du ma-
lade émotif il n'y a pas un état affectif hallucinatoire, mais seu
lement la sensation des modifications organiques. Or, les psy-
chiatres reconnaissent que la maladie de l'émotion n© provient
pas du degré plus ou moins grand des phénomènes physiologi-
ques, mais du degré de l'émotivité, fonction essentiellement psychi-
que. L'exagération du fait passionnel a donc sa cause dans l'élé-
ment psycliique, bien et dûment existant, et concourant av^ec les
réflexes organiques à l'état émotionnel complet.
Ainsi, saint Thomas ne voit dans la réversibilité de l'émoHon,
c'est-à-dire dans sa provocation possible par excitation indirecte
de l'organisme, qu'une preuve expérimentale de la connexion né-
cessaire des éléments intégrant toute émotion : l'élément phy-
siologique et l'élément psychique. Bien loin d'y trouver un mo-
tif d'éiiminer celui-ci^ son interprétation, confirmée par l'analyse
scientifique, ne va qu'à le mettre plus en valeur et à montrer par
là le bien fondé de sa théorie générale de l'émotion.
Cela dit, saint Thomas serait prêt à admettre une part de vé-
rité dans la théorie physiologique. Il concéderait volontiers que
les variations organiques contribuent indirectement à renforcer
l'intensité de l'émotion et que l'on peut dire avec James : « la
fuite aggrave la panique; chaque accès de sanglots rend le cha-
grin plus intense; dans la colère nous nous montons jusqu'au
paroxysHKî par des explosions répétées ». Saint Thomas affirme
expressément que la délectation corporelle est plus « véhémente »
que celle de l'appéUt supérieur, en raison des sensations conco-
mitantes provoquées par les réactions physiologiques (1). Mais,
au reste, ce renforcement se propage jusqu'à l'appétit par le jeu
d'association que nous avons décrit, et finalement c'est l'élément
psychique qui s'accroît en intensité et par lui l'émotion tout en-
tière.
CONCLUSION.
Résumons toute cette étude par un parallèle plus concis entre les
théories physiologique et intellectualiste et la théorie de saint
Thomas.
Pour les physiologistes, l'émotion n'est pas un phénomène
1. Ihid., qu. XXI, art. 5.
l'émotion selon les modernes et s. THOMAS 481
spécifique. Elle est tout entière constituée» par la sensation ou
conscience des modifications organiques, sans qu'il soit besoin
d'invoquer aucun élément psychique affectif. Elle n'est, en défini-
tive, qu'une représentation spéciale, dont l'objet précis est un
complexus de mouvements internes et externes. L'essentiel de
la théorie est le rejet de l'élément psychique et cette affirmation
conséquente : les phénomènes corporels et la, sensation qui en
est éprouvée constituent l'émotion tout entière. Si les divergen-
ces apparaissent chez les soutenants de cette théorie, elles sont
purement accidentelles; car elles portent sur la question de savoir
quel est^ dans l'ensemble des événements physiologiques, celui
qui est primaire et propre à déterminer' tous les autres. Lange
dit : ce facteur primaire, c'est le cœur et les troubles vasomoteurs;
d'autres disent : le cœur est secondaire dans la physiologie de
l'émotion, puisque son mouvement lui-même est commandé par
des manifestations organiques antérieures. L'argument principal,
apporté d'un commun accord, pour éliminer tout élément psy-
chique, est ce fait expérimentai incontestable que l'état émo-
tionnel peut être provoqué in forma compléta par des moyens arti-
ficiels ou par prédisposition héréditaire.
Pour les intellectualistes, l'émotion n'est pas non plus un phé-
nomène psychologique spécifique, mais seulement un mode de
la représentation, résultat de l'interaction harmonique ou déshar-
monique des représentations elles-mêmes. L'essentiel de la théo-
rie est également la négation d'un élément affectif propre, distinct
de la représentation. Celle-ci, modifiée dansi son intérieur, est
toute l'émotion. Les phénomènes physiologiques sont acciden-
tels et parasitaires; ils n'entrent dans le cycle émotionnel qu'in-
directement par l'influence qu'ils peuvent avoir sur l'entrejeu
des représentations.
Opposées en apparence, les deux théories se rejoignent dans
leurs affirmations caractéristiqiies : négation de l'élément psy-
chique affectif et par conséquent négation de la spécificité du
fait émotionnel. Qu'elle soit la conscience des variations organi-
ques ou la conscience des modes de la représentation, l'émotion
n'est qu'un< représentation.
L'originalité de la théorie de saint Thomas consiste dans l'af-
firn>ation de l'élément psychique de l'émotion, et, par suite, de
la spécificité de celle-ci comme fait distinct de tout autre phéno-
mène psychologique, en particulier de la représentation.
L'émotion est essentiellement un acte da l'appétit sensitif —
26 .^nnée. — Revue des Sciences. — N° 3. 3'
485 REVUS DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et c'est là son aspect formel — lié toujours à une modification
corporelle, — et c'est là son aspect matériel.
Ce n'est pas que la représentation n'intervienne en aucune
manière dans le cycle émotionnel complet. Elle ne constitue pas
intrinsèquement l'émotion, mais elle lui est indispensable. Tout
d'abord, elle la provoque et ainsi la détermine extrinsèquement :
l'acte appétitif affectif ne se déclare que sur la présentation, par
les facultés cognoscitives, de motifs d'attrait ou de répulsion pour
le sujet. De plus la connaissance est concomitante et parallèle à
l'émotion, parce que l'on doit éprouver et ressentir non seulement
le mouvement appétitif dont l'âme est agitée, mais encore et
également la commotion oiganique dont le corps est le théâtre.
Déterminatrice extrinsèquement et antérieure, concomitante et
parallèle, la représentation enveloppe toute l'émotion sans pour-
tant se confondre avec elle.
L'élément psychique de l'émotion est décrit analogiquement
par saint Thomas comme « un certain mouvement de l'âme »
variable selon les diverses passions. Son existence se révèle à
l'expérience intime. Les analyses de la théorie intellectualiste la
confirment, si l'on admet que l'entrejeu des représentations, qui est
indéniable, s'achève dans l'entrejeu des tendances affectives. En-
fin, l'impossibilité pour la théorie physiologique de rendre compte
de la différence qualitative des émotions en refusant d'admettre
l'aspect psychique affectif, manifeste la nécessité de celui-ci, com-
me élément intégrant toute émotion.
L'aspect physiologique passionnel est le même, au point de
vue périphérique, que celui mis en relief par les physiologistes.
Les descriptions qu'en donnent ces derniers n'ajoutent que des
variantes à celles de saint Thomas. Cette « transmutation corpo-
relle », second élément nécessairement requis dans toute émo-
tion, peut d'ailleurs en renforcer accidentellement l'intensité par
répercussion indirecte sur l'acte appétitif.
Mais ces deux aspects de la passion ne doivent pas faire illu-
sion sur son unité foncière : mi-psychique, mi-organique, elle
n'en est pas moins une dans sa nature constitutive, unité qui se
révèle dans l'expérience interne et externe et qui se confirme par
ce fait incontestable de la réversibilité de l'état passionnel, c'est-
à-dire de sa provocation possible par la seule mise en jeu des
réactions corporelles. Loin d'aboutir à la conclusion qu'en tirent
les physiologistes, ce fait ne sert qu'à mettre en évidence la né
cessité de l'élément psychique.
l'ÉMOTÎON selon les modernes et s. THOMAS -483
Ce qui reste essentiel dans la théorie thomiste, c'est donc que
l'émotion est un phénomène spécifique, intrinsèquement consti-
tué par l'union d'un mouvement appétitif et d'un mouvement
organique. Ce que l'on peut considérer comme accidentel c'est
cette opinion que, dans le processus physiologique, les manifes-
tations périphériques ont pour facteur primaire le mouvement
anormal du cœur. Il semble bien établi aujourd'hui, contre Lange
et par conséquent contre saint Thomas, que le trouble vasomoteur
est antérieurement conditionné par une innervation spéciale des
centres moteurs.
Mais c'est là, encore une fois, un détail de minime importance.
La théorie générale de l'émotion selon saint Thomas demeure tout
entière, dans ses lignes originales. Et puisqu'elle apparaît, ration-
nellement et expérimentalement, mieux établie que toute autre,
il convient de lui donner la plus franche adhésion.
Kain. H.-D. Noble, 0. P.
La notion du Lieu
théologique
SUITE (l)
LES LIEUX THEOLOGIQUES IMMEDIATS.
LA partie de VArs specialis, qui contient le dénombrement
analytique et raisonné des lieux dialectiques ne comprend
pas moins de six livres dans les Topicfues aristotéliciennes. C'iïst
un véritable dictionnaire. Et cependant le nombre des lieux dia-
lectiques est limité par la nature même des choses, puisque les
termes généraux qui les constituent et les propriétés logiques de
ces termes sont en nombre nécessairement restreint. Bien plus
considérable encore serait un Ars specialis tliéologique. Ici, plus
de limites fixes; l'approbation de la Révélation pouvant toucher,
en plus des propositions formellement révélées, uno quantité
indéfinie de dires des représentants de la Tradition et de la Phi-
losopliie. C'est, nous l'avons déjà remarqué, l'infinité de ce la-
beur qui a d,û détourner Melchior Cano d'entreprendre dans son
détail rénumération des Lieux théologiques proprement dits et
l'a fait se contenter de donner quelques spécimens de la manière
de s'y prendre pour les découv^rir. Les bornes restreintes d'un
article et le but d'initiation méthodologique que nous avons présen-
tement en VMe, nous commandent plus de résen^e encore. Du
moins, après avoir donné des exemples typiques de la mise en
œuvre de notre théorie, en confectionnant sous les yeux du lec-
teur quelque^: échantillons de lieux théologiques immédiats, nous
1. Cf. Rei: des Se. Ph. et Th., 1908, jaav., p. 51 ssv., avril, p. 246 sv.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 48o
sera-t-il permis d'élargir notre horizon, de lever les yeux, par
delà le Pratique, vers l'Idéal, et de concevoir l'Idée d'une systé-
matisation, générale des Lieux théologiques immédiats, analo-
gue à celle qu'Aristote a tenté de réaliser pour les Topiques, de
rêver, à l'instar de Leibniz, d'une Caractéristique théologique
universelle ?
l. — Comment on confectionne un Lieu théologique immédiat.
Dans la première partie de cette Section, conformément à ce
qu'annonce son titre, nous confectionnerons quelques principes
immédiats d'argumentation théologique en détaillant les différents
moments du procédé, emprunté à VArs generalis théologique, par
lesquels on les obtient. Dans une deuxième partie, nous éta-
blirons cfue c'est bien légitimement, qu'en dépit de certains scru-
pules que pourraient faire naître tant un certain défaut de pa-
rallélisme avec les lieux dialectiques que le langage de ]\Ielchior
Cano, les principes immédiats d'argumentation établis ainsi par
nous constituent des lieux théologiques proprement dits, vrai-
ment analogues aux lieux dialectiques pToprement dits des To-
piques.
7° Confection des principes immédiats de l'argumentation théolo-
gique par la méthode de l'Ars generalis.
Cette méthode, on l'a dit déjà, se propose de faire sortir des
dix lieux communs concrets de ^lelchior Cano, et cela par le
moyen des instruments théologiques dont nous avons donné les
types scripturaires, des principes immédiats d'argumentation théo-
iogique. L'opération comprend donc trois termes : le lieu commun
oui lui sert de point de départ, un facteur intermédiaire, à savoir
l'instrument d'invention, enfin le principe immédiat qui résulte
à son issue. Ceci remémoré, je commence.
Soit la première des questions soulevées à titre de modèle
de discussion par Cano : Utrum in lege nova verè nunc et -propriè
sit Sacrificium? A l'appui de sa première et affirmative conclu-
sion, Cano invoque successivement la plupart des lieux théolo-
giques, l'Écriture, la Tradition, l'Église et ses divers organes, les
Saints Pères; de plus il entremêle chacun de ces chefs princi-
paux d'argumentation d'appels à leurs voisins et jusqu'à celui
de l'autorité des Philosophes. Bien que l'auteur, en cela confor-
me à Aristote, n'ait pas rappelé explicitement les règles ou pré-
ceptes qui amènent sur le terrain ses arguments, il est facile
486 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de suppléer, et nous allons nous y employer pour l'un d'entre
eux, le plus efficace, semble-t-il, mettant à nu l'armature du pro-
cédé.
Airêtons-nous donc au second argument principal, tiré de ce
texte de saint Luc : Accepto pane, gratias egit et f régit et dédit
eis, dicens : Hoc est corpus meum, quod pro vobis datur : hoc
facile in meam commemorationem. Similiter et calicem (hoc est,
accepit et gratias egit) dicens : Hic est calix novnm testamentum
in sanguine meo, qui pro vobis fiDidetur. Cano déclare que ce
texte est un témoignage évident, apertissimum testimonium, en
faveur do sa thèse. Il le regarde donc comme immédiatement du
ressoii de la règle de découverte des lieux théologiques qui con-
cerne le sens littéral explicite. Il est clair, d'ailleurs, qu'il inté-
resse aussi, mais d'une manière plus éloignée, les règles qui con-
cernent la Canonicité (1), l'étendue de l'inspiration (2), l'auto-
rité de la Vulgate (3). Supposons que celles-ci ont déjà obtenu
leur effet, et tenons-nous-en, pour raison de clarté et de brièveté,
à l'instrument immédiat de confection de notre lieu théologique.
Voici, dans toute sa membrure, la suite de l'opération que sup-
pose l'argumentation de Cano.
Majeure : Les propositions de l'Écriture canonique dont le
sens littéral explicite ne fait aucun doute, sont aptes par elles-
mêmes, et sans déclaration de l'Église, à fournir des lieux théo-
logiques très certains et très efficaces (4);
Mineure : Or, il n'est pas douteux que le texte de saint Luc
en question, ne rapporte, à la lettre et explicitement, l'institution
dans la. Loi nouvelle d'un véritable et proprement dit sacrifice;
Donc ce texte est apte par lui-même, et sans déclaration de
l'Église à fournir à la Thèse de l'existence dans la Loi nouvelle
(f un vrai et proprement dit sacrifice, un lieu théologique très cer-
tain et très efficace, apertissimum testimonium.
La majeure de l'argument n'est autre que la première des
règles constituant le second instrument, relatif à la distinction
des ambiguïtés. Cet instrument n'a pas de peine à s'appliquer au
lieu commun de l'Écriture Sainte (5), car il s'identifie substan-
tiellement avec lui, étant son expression la plus formelle.
1. Cf. p. 267.
2 Cf. p. 269.
3. P. 273.
4. Voir p. 270, Règle I.
5. P. 261.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 487
La mineure doit être prouvée, et Cano ne manque pas de s'y
employer. Il prélude d'abord par des arguments extrinsèques
tirés do l'Histoire ecclésiastique, de témoignages de saint Cyprien
et de saint Irénée, puis il passe à l'argument spécifique en la
matière, l'explication littérale du texte. Savoir si son exégèse est
de tous points exacte n'est pas notre affaire. Il nous suffit d'avoir
démonté le mécanisme par lequel il cherche à consacrer comme
lieu théologique, très certain et très efficace pour la question visée,
la teneur littérale du texte cité de saint Luc. Ce texte sera dé-
sormais, à son point de vue du moins, un lieu, théologique classé
pour une argumentation scientifique de l'ordre de questions sur-
naturelles de principes, visant la matière spéciale du Sacrifice
de la Nouvelle loi.
Passons, avec le second modèle fourni par Cano, k une ques-
tion surnaturelle, non plus de principes, mais de conséquences.
On demande si le Christ, dès l'instant de sa conception, a eit
la Vision béatifique. Les arguments d'Écriture Sainte ne manquent
pas qui, par le moyen d'une exph cation ou d'un raisonnement,
établissent l'affirmative à titre de conclusion théologique. Mais,
l'argument adéquat en la matière, ainsi que Cano le marque au
début de sa Résolution, semble être l'accord des Théologiens.
Quac conchisio, licet solâ Theologorum audoritate probaretur, satis
firm.a habenda esset, quemadmodum lïbro 8° constituimus (1).
Nous voici reportés par ce renvoi au septième lieu théologique»
commun, à savoir : La doctrine des Théologiens scolastiques est
un principe de solution probable (2).
Au chapitre IV du VIII livre, De Locis, auquel se réfère Cano,
nous rencontrons trois règles constituant l'unique instrument de
différenciation de ce lieu commun, instrument qui relève, soit
dit en passant, du Collationnement des différences, troisième
instrument dialectique d'Aristote. La première de ces règles con-
cerne le cas où les théologiens ne sont pas d'accord. Il n'est pas
applicable à la solution de la cpiestion de la \àsion béatifique
dans le Christ, puisque tous les théologiens de l'École s'enten-
dent pour la résoudre par l'affirmative. C'est Cano qui vient de
nous le dire, et nous ferons bien de l'en croire. Les deux autres
règles concernent le cas de cet accord, mais différemment; car
1. De locis, 1. XII, c. XIII.
2. Cf. p. 262, et. pour le sens du mot probable, la note qiii se trouve au
bas de cette page. Ici, probable = preuve solide, satis firma (Cano).
488 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
l'acoord peut porter ou bien sur une chose considérée comme
importante, res gravis; ou bien sur une chose intéressant for-
mellement la foi ou les mœurs. Dans le premier cas, ex aucto-
rum omnium scolasticorum communi sententiâ in re quidem gravi,
usque adeo prohabilia sumnntur argumenta, ut illis refragari
TEMERARiUM siT. Dans le second cas, sententiam contradicere,
si haeresis non est, at haeresi proximum est.
A laquelle de ces règles devons-noas présentement faire appel?
Essayons de la dernière comme majeure.
Il \'ient :
Majeure: S'il n'est pas hérétique, il est tout au moins proche
de l'hérésie de contredire la sentence de tous les théologiens de
l'École touchant la foi et les mœurs;
Mineure : Or, la question de la vision béatifique du Christ
intéresse formellement la foi et est résolue dans le sens de l'affir-
mative par tous les théologiens de l'École;
Donc la nier est, sinon hérétique, du moins proche de l'héré-
sie.
La mineure est-elle de mise en la circonstance? Nous ne le
croyons pas. Aucune décision formelle du magistère ecclésias-
tiquo n'affirme sa première partie; aucun texte d'Écriture Sainte,
aucune Tradition apostolique ne la renferme explicitement. L'una-
nimité du verdict affirmatif des théologiens lui-même, sententiâ
concors, porte sur la solidité et la vérité de la conclusion théo-
logique qui déduit l'existence de la \ision béatifique dans le
Christ; elle n'existe plus sur le point de savoir si cette vérité
est de foi. En la niant on ne s'oppose donc pas à une sentence
unanime des Théologiens de fide et moribus. Et donc la troisième
règle du Lieu commun de l'Autorité des Théologiens de l'École
est inapplicable.
Essayons donc de la seconde. Il vient :
Majeure : De l'accord de tous les auteurs scolastiques en ma-
tière grave, on peut tirer un argument tellement probable en fa-
veur d'une conclusion, que s'y opposer soit téméraire;
Mineure: Or, sur la question de la vision béatifique du Christ,
res gravis, l'unanimité des Théologiens est acquise pour l'affir-
mative ,
Donc, il serait téméraire de dire que le Christ, dès l'instant de
sa conception, n'a pas eu la vision béatifique.
La mineure est, cette fois, des plus vérifiables. La chose dont
il s'agit est non seulement grave en elle-même, comme conclusion
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 4 SO
théologique nécessaire ou tout au moins extrêmement probable,
tenant donc de très près aux principes révélés, dans la Sainte
Écriture en particulier; mais, de plus, c'est comme telle, comme
res gravis, qu'elle est considérée par tous les théologiens qui la
résolvent dans le sens de l'affirmative. Et donc l'ensemble con-
cordant de tous, les témoignages des Théologiens sur cette matière
forme un lieu théologique décisif en l'espèce, c'est-à-dire pour
une question appartenant à l'ordre des questions sarnaturelles
de conséquences.
On vient de voir une seconde fois par quelle manœuvre dialec-
tique le théologien par\àent à s'assurer d'un lieu théologique
immédiat.
Avec CanO; tentons une troisième démonstration du même ob-
jet. Aussi bien, trinum pcrfectum ! Le troisième modèle choisi
par le maître appartient aux questions que nous avons appelées
questions naturelles. Il s'agit de la démonstrabilité rationnelle de
l'immortalité humaine. Et la partie qui se joue, principalement
entre Henri de Gand, Scot et Cano, a pour enjeu l'attribution de .
cette question, soit aux questions surnaturelles topiques^ soit
aux questions surnaturelles scientifiques (1). Scot, en particulier,
tient que toutes les raisons apportées en faveur de l'immortalité
de l'àme, tout en ne laissant pas que de persuader celle-ci avec
probabilité, ne la démontrent pas. Cano lui oppose sur ce point
cette proposition : Periculosum ac temerarium est, ne quid am-
plius addam, affirmare quod nidluni argumentum hactenûs inven-
tum verè dononstrat animae immortalitatem. Mais, à quel lieu
théologique recourir pour justifier cette note sévère? C'est l'ef-
ficacité des preuves existantes qui est en cause; on ne peut
alléguer pour la soutenir ces preuves elles-mêmes. Cano n'hésite
cependant pas à recourir à l'autorité de la raison, mais enten-
dons-nous, non pas de la raison pure qui ne saurait qualifier
ses propres opérations, mais de la raison approuvée par la Révé-
lation, par la Théologie dans son exercice de métaphysique su-
prême. Du fait de cette approbation, en effet, la Raison a droit
à être conçue comme supérieure à soi-même, comme son pro-
pre juge, son critère, son lieu théologique immédiat. C'est de la
raison ainsi considérée que la règle utilisée comme majeur©
par Cano affirme :
Il est périlleux et téméraire de nier l'efficacité de la démons-
1. Cf. p. 249 et 252.
490 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
tration d'une vérité naturelle concernant Dieu, lorsque cette dé-
monstration est universellement reçue comme telle dans l'École;
Sous ce lieu spécialisé die l'autorité de la raison théologique
Cano subsume cette mineure;
Or, les Théologiens, avec une unanimité morale, concluent l'im-
moitalité de l'âme par des preuves dont la teneur manifeste l'in-
tention démonstrative (1) ;
Donc, il est périlleux et téméraire de nier la valeur démons-
trative de ces arguments, et partant, « Syllogismi igitur isti verae
siint demonstrationes. »
La mineure est prouvée, chez Cano, par l'autorité de saint
Jean Chrysostome, de saint Augustin, de saint Thomas, choisis,
entre beaucoup d'autres, comme représentants éminents de la
sentence commune. A l'instance qu'on lui fait : « Passe que ce
soient en soi des démonstrations ! en tout cas, elles ne le sont pas
pour moi »; Cano s'irrite, et répond que l'on ne doit pas mesurer
ces choses-là d'après sa raison individuelle mais d'après l'auto-
rité de tous. Il ne saurait mieux marquer que son argumentation
procède de la seule raison théologique, que (;'est elle, et non
la raison tout court, le lieu théologique immédiat sous lequel
il conclut.
Ces trois exemples suffiront, je l'espère, pour mettre en lu-
mière le travail qui s'effectue dans l'esprit du théologien, lors-
qu'à l'aide des règles et préceptes qui constituent les instruments
de l'invention théologique, il confectionne une proposition immé-
diatement utilisable pour l'argumentation. En l'espèce, nous nous
trouvons, du fait des trois opérations accomplies sous nos yeux,
en possession de trois données : la première est constituée par
les propositions du texte de saint Luc cité, entendu selon son
sens littéral ; la seconde est constituée par l'ensemble concor-
dant des propositions soutenues par les théologiens de l'École
touchant la vision béatifiqtie du Christ; la troisième est constituée
par les propositions qui intègrent les deux syllogismes par les-
quels on conclut d'ordinaire à l'immortalité de l'âme, en s'ap-
puyant sur la nature, soit de l'opération intellectuelle, soit de
l'intellect lui-même. Ces diverses propositions, dis-je, sont dé-
sormais officiellement reconnues et comme consacrées participan-
1. Argumentum quod sumilur lx operatione propriâ, vel etiam ex potentiâ
quae substantiam rei necessaric naturaliterque consequitur, verc ostoidit qua-
lisne sil ejus rei natura nique suhstantia. Theologi vero tum rx propriâ
operatione, tum ex propriâ potentiâ, inteîlectione scilicet et intcUectû, ani-
mi incorrnptioiK m argument antur.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 491
tes do la Révélation, chacune à un titre différent, absolu ou plus ou
moins probable. Chacune d'elles porte désormais avec soi la mar-
que testimoniale de l'approbation spéciale à laquelle elle adroit en
théologie, la fiche topique, si je puis ainsi parler, de sa valeur
théologique probante. Cette fiche est constituée essentiellement
par la relation, dont la vérification est toujours ouverte, que con-
ser\^e avec le lieu commun qui lui sert comme de souche, par le
moyen des règles et préceptes constituant son instrument spécial
d'invention, la proposition qui en a été tirée. Il en serait de mémo
pour toutes les propositions que l'on tirerait des Lieux com-
muns théologiques par les mêmes procédés. Par la filière : ins-
trument d'invention propre, lieu commun concret d'origine, tout
principe immédiat d'argumentation théologique, rejoint les quatre
lieux communs majeurs, et ultérieurement le lieu commun suprê-
me de la Révélation, duc[iiel procède toute l'autorité qui fonde
l'argumentation théologique. Par cet engrenage dynamique de
lieux organicfuement ordonnés, descend vers le principe prochain
et intrinsèque du raisonnement théologique, vers le lieu théo-
logique immédiat, la vigueur probante de l'autorité de la parole
de Dieu. La modalité de celle-ci se précise à mesure qu'elle
passe parles canaux des lieux commuLS d: rivés, par les laminoirs,
des règles et préceptes qui constituent les instruments de décou-
verte des lieux. C'est sous la pression de ces principes générateurs
propres que le lieu théologique prouve, c'est avec la nuance ca-
ractérisée d'approbation par la Parole révélée dont ils l'autori-
sent à se prévaloir qu'il gouverne de sa luirdère les syllogismes
du Théologien. S'il se séparait de la relation vivante qui l'unit
à la révélation, le lieu théologique immédiat ne serait plus qu'un
argument mort; s'il échappait à l'empire de l'un des rouages crité-
riologiques qui ont ser\d à le formuler, il n'aurait plus la pré-
cision mordante qui fait de la vraie Théologie une science exacte.
2° En quoi les principes immédiats d'argumentation théologique
diffèrent des lieux dialectiques, et que c'est seulement par analogie
qu'on peut les nommer des lieux proprement dits.
A. — La logique de cette étude comparative entre le De Lacis
et les Topiques voudrait que les Lieux théologiques proprement
dits fussent, comme les lieux dialectiques proprement dits, non
seulement des propositions probables triées et classées d'après
leur degré d'approbation, mais aussi des propositions générales,
capables, en vertu de leur généralité, d'amorcer des argumen-
tations de différentes matières et de leur servir de lieu.
492 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Or, s'il est é\àdent que la méthode que nous venons de mettre en
œuvre a abouti à formuler des propositions toutes approuvées
et toutes prêtes à entrer dans les argumentations théologiques,
il n'est pas moins évident que beaucoup de ces propositions sont
des propositions particulières, non nécessaires, visant un fait
plutôt qu'un droit. Il semble donc qu'il leur manque l'une des
conditions qui, précisément méritaient aux propositions dialecti-
ques la dénomination de Lieux, à savoir un certain dégagement
vis-à-\às d'une matière déterminée, leur permettant de prêter leur
appui à des argumentations de toutes matières (1),
Nous ne chercherons pas à dissimuler cette divergence. Aussi
bien avons-nous pris soin d'avertir par deux fois (2) que nous
ne de\dons pas nous attendre à rencontrer, entre la dialectique ra-
tionnelle et cette dialectique surnaturelle que constitue la Théo-
logie, une ressemblance parfaite. Leurs matières sont trop dis-
semblables. Il faut, une fois de plus, eiï cette rencontre, nous
contenter d'une similitude analogique. La correspondance est par-
faite en ce qui touche la nature générique des principes de l'une
et l'autre dialectique, qui est d'être des propositions probables
au sens premier du mot (3). ayant chacune la note et comme la
fiche de son degré de probabilité, aptes par conséquent à four-
nir une base immédiate et appropriée à une argumentation dé-
terminée. Cela doit être considéré comme acquis, et ce serait
une faute de revenir là-dessus pour une imperfection partielle
de parallélisme. D'autant plus que ce défaut de concordance se
justifio par la diversité des matières spéciales à chacune des deux
disciplines et que, de plus, il n'est pas sans palliatif, comme nous
allons le faire voir.
a) Il se justifie par la différence des matières. A quoi tient,
en effet, l'approbation universelle que rencontrent les principes
de la dialectique naturelle ? Incontestablement à ce qu'ils se tien-
nent dans une certaine généralité superficielle qui en fait un
objet de constatation commune. Cette généralité à son tour est
due au caractère abstrait, logique, des termes dans lesquels se
maintient le principe dialectique. L'abstraction, et la généralité
qui en est la conséquence, sont donc constitutives des principes
dialectiques. Chacun de ceux-ci, individuellement, doit s'y con-
former sous peine de ne plus rencontrer l'approbation qui le con-
1. Cf. p. 65.
2. P. 246, 255.
3. Cf. p. 55.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 493
sacre comme principe probable. Du coup, c'est en. vertu de sa
nature intrinsèque, per se, qu'il rayonne, qu'il est un lieu d'ar-
gumentation. C'est son essence même. — Les principes de la
Théologie, au contraire, n'ont rien dans leur formulation, ex-
pressive du mystère divin, qui les prédestine à s'imposer comme
tels à l'approbation des esprits. Ils doivent uniquement cette puis-
sance à la Révélation divine. Ils peuvent donc être en eux-mêmes
des propositions particulières. Ils ne sont pas naturellement, et
par une vertu intrinsèque, des lieux.
b) Mais, cette inaptitude intrinsèque et individuelle n'est pas
sans remède. La liberté que nous donne l'analogie va nous permet-
tre de les envisager comme des lieux tliéologiques, non plus par
essence, il est vrai, mais par participation in solidum de l'essence
universelle du Lieu théologique suprême qu'est la Révélation.
Chacune des propositions de l'Écriture Sainte, de la Tradition, etc.,
prise isolément, est spéciale, et, faute de généralité, ne saurait
prétendre à la qualité de lieu (1), d'accord! Mais, ce qu'aucune
d'elles ne possède en propre, les lieux théologiques communs
dont elles sont issues l'ont par eux-mêmes. Nous avons vu, en
effet, que ces lieux communs peuvent être formulés en propo-^
silJons générales. Considérées comme des parties, des expressions
individuelles, des promotions de ces lieux communs, comme agis-
sant sous leur influence, les propositions particulières dont nous
parlons font corps avec eux. Ce sont des! instruments par les-
quels passe la vertu probante des lieux communs majeurs, pour
entrer dans l'argumentation et la gouverner. Ce sont comme les
substituts de la Révélation, lieu commun suprême. L'universa-
hté qui fait le lieu dialectique ne leur esf donc pas absolument
étrangère. Ils ne l'ont pas par eux-mêmes : ils l'ont dans la
cause commune qui agit en eux et par eux pour fonder la théolo-
gie (2). C'en est assez pour que les principes immédiats de l'ar-
gumentation théologique puissent être dits, par analogie, lieux
théologiques.
1. Nous n'exceptons même pas les articles de foi, car si, selon la concep-
tion de saint Thomas, ce sont des vérités qui rayonnent sur les autres,
(cf. Summa tkeol, 11^ 11=^, q. I, a. VI, VlU; q. 11, a. V; cf. supra, p. 268)^
ils n'ont, pas, la plupart du temps, une teneur uniA'erseile; l'auraient-ils, ce ne
serait que per accidens, et il faudrait d'ailleurs expliquer comment les vé-
rités suunciario revelatae, particulières la plupart du tcmi s, sont; elles aussi
des lieux théologiques.
2. Eu deux mots, et pour les initiés, l'univer.salité logique (luiiversale
in praedicando), est suppléée in casiî par lun^vez-salité de la cause de tout assen-
timent théoLogique, à savoix la Révélation, universale in causando).
494 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGEQUES
Cette oonœption n'est pas si nouvelle d'ailleurs qu'elle ne
trouve un fondement explicite dans la dialectique classique. Nous
avons vu plus haut (1) que c'est une propriété des lieux communs
dialectiques de diriger l'argumentation du dehors, de haut, sans
se mêler à sa teneur, encore qu'ils en fassent la force. Ils sont pré-
sents dans l'argumentation, selon le mot d'Averroès renouvelé
de Thémistius, non secundum se sed suâ sententlâ et potestatet
C'est ici la formule exacte de ce que nous demandons pour les
lieux théologiques. Dans chacun des principes immédiats et in-
trinsèques de l'argumentation théologique, texte de l'Écriture,
définition de Concile, sentence d'un Père, proposition de la phi-
losophie naturelle, un lieu théologique majeur est sous-entendu.
On ne le voit pas, mais il n'en est pas moins là, sententiâ suâ et
fotestate, par l'arrêt qu'il prononce et l'influence qu'il exerce.
Il est le nerf et comme l'àme intérieure du principe immédiat et
le fait participer pour sa quote-part à l'universalité de sa force
probante intrinsèque. Cette participation à l'universalité du prin-
cipe premier et fondamental de l'argumentation théologique ne
suffit-elle pas pour que l'on soit fonde à désigner, dans le lan-
gage courant, par le nom de lieu théologique proprement dit,
toute proposition préparée par les instruments pour l'usage théo-
logique ?
B. — Au reste, peu importe que l'on nous conteste le mot, si
l'on nous donne la chose, h savoir que ce n'est pas comme titres
généraux d'argumentation que l'Écriture Sainte, la Tradition, l'En-
seignement de l'Église, etc., prennent contact avec la Théologie,
mais par les propositions qu'ils contiennent, par ces proposi-
tions, dis-je, non pas frustes et comme en nature, mais élaborées,
critiquées, rendues aptes à emmancher immÉdiatemeiît les argu-
mentations, grâce à la préparation ad hoc que leur font subir
les règles et préceptes théologiques, analogues aux instruments
dialectiques de la Topique aristotéliciemie.
Et c'est cette chose, à défaut du mot, que nous donne Cano.
A ce dialecticien si averti et qui avait conçu le projet d'organiser
la Méthodologie théologique en regard de la ^léthodologie dia-
lectique d'Aristote, n'avait sans doute pas échappé le défaut de
païaJlélisme existant entre les principes concrets et spéciaux
de la théologie et les principes dégagés de matière et géné-
raux de la Topique. Aussi, nulle part, ne donne-t-il le nom de
1. Cf. p. 72
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 495
lieux aux propositions qui serv^ent de principes immédiats aux
argumentations théologiques. Il nomme ceux-ci des argumeyits,
entendant par ce mot non pas l'argumentation elle-même mais,
selon l'interprétation officielle de saint Thomas, ce qui en fait
la force ou le nerf, à savoir le médium de la démonstration, qui,
explicité dans une proposition, devient aussitôt son principe gé-
nérateur (1). 11 a donc réservé, conformément au vocabulaire
cicéronien qu'il affectionnait, le nom de Lieux théologiques aux
titres généraux qui se partagent la révélation. Écriture Sainte, Tra-
dition, Autorité de l'Église, des Pères, des Théologiens, Raison
théologique qui restent pour lui des sedes vel domicilia argumento-
rum. Mais il ne s'est pas pipé, conune les rhéteurs (2), à ces méta-
phores ; il n'a pas conçu les Lieux comme des endroits ou des ca-
dres vides, mais comme des ensembles concrets, différenciés,
critiqués, puissamment organisés dans leur détail par les règles
et préceptes dont l'énumération remplit son ouvrage. Ce n'est
pas par son titre commun, c'est par chacune de ses pièces soigneu-
sement agencées que, selon Cano, le lieu théologique est agissant,
qu'il est vraiment et efficacement lieu théologique. Si l'on veut
s'en rendre compte ce n'est pas son livre premier qu'il faut lire.
On n'y trouvera qu'une notion superficielle, le quid nominis ([ui
convient à une préface. Il faut lire le douzième livre, alors que,
les dix lieux théologiques étant tous et chacun munis des règles
appropriées qui permettent d'en tirer des arguments tout prêts
à faire face aux questions, le maître, sur le point de passer aax
applications et de nous donner des modèles de leur utilisation,
nous livre l'idée définitive qu'il s'en fait : Theoloyus haheat oni-
ues theologiae notas et tractatos locos. Notos, inquam, et tractatos
locos , 7iec enim memoria tenuisse sat est, sed paratos et expeditos
hahere oportet. Frimihn ergo discatur 7iumerus naturaque locoruui,
qui sini, quoi sint, quae vis cujusque ac proprietas... Proximum est
locos ipsos lustrasse ac comprehendisse universos. Nam qui sacras
litteras non léger it, aut minime intellexerit, is quo pacto è primo
loco argumentahitur? Qui traditiones Christi et apostolorum nus-
1. Argumentum propriè dicitur processus rationis de notis ad ignota, se-
cundum quod dicit Boëtius quod est ratio rei dubiae faciens fldem. Et quia
iota vis argutnenti consista in medio termino, ex quo ad igriotorum pro-
baiionem pruceditur, ideo dicitur ipsum médium argumentum, sive sit si-
gnum, sive causa, sive effectus. Et quia in medio termino, vel in principio
ex quo argumentando proceditur, continetur virtute totus processus argumenta-
tionis, ideo tract um est vomen argumenti ad hoc quod quaelibd Ijrevis prae-
libatio futurae narrationis dicatur argumentum. D. Thomas, in III. Sent.,
diist. XXIII, q. II, a. 1, ad 4uiii.
2. Cf. p. 71-72.
49G REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOSIQUES
quoTii ouinino ohservarit, quo hic modo è secundo loco argumenta
ducetî Qui 7iec in Ecclesîae, nec in Conciliorum, nec in Fontificu^n
doctrina fuerit assiduus, quem liuic argumentandi usum loci
ejusmodi suppeditahunt ?' Quas vero argumentationes è sanctis
auctoribus ille colliget, qui sanctorum libros ne attigerit quidem?
Quam autem disserendi facuUatem è Scholae Theologis habere
poterit, qui nullo tempore in Scholae conflictationibus exercuerit ?
An è Physicâ, Metaphysicâ, Astronomiâ, Geometriâ is homo ratio-
cinahitur, qui humanam rationem his nunquam doctrinis excolue-
rii ! Philosophi demum et historici ecqui ei emolumenti afférent,
qui non fuerit in illorum lectione versatus ? (1)
Quiconque réfléchira sur les conditions qu'impliquent pour les
lieux théologiques ces expressions parlantes : Notos et tractatos
locos, et encore, paratos et expeditos ; locos lustrasse ac compre-
hendisse omnes, sur l'insistance ^le met Cano à ne considérer com-
me efficaces que les lieux saisis dans tout le détail de leurs par-
ties constituantes, nous accordera sans doute l'identité substan-
tielle de sa conception avec celle cjne nous avons rencontrée,
en poussant plus avant et d'une manière peut-être plus serrée
que lui, le parallélisme des deux Topiques. Si, en effet, les
Lieux théologiques généraux de Cano ne sont vraiment des lieux,
qu'au moment où tractati, parati, expediti, ils sont aptes actuel-
lement à fonder immédiatement une argumentation théologique,
la réciproque ne s'impose-t-elle pas, à savoir que les arguments
qui fondent actuellement telle ou telle argumentation théologique,
j'entends les propositions qui constituent ses prémisses, incar-
nent toute l'essence agissante des Lieux théologiques et ont droit
à en porter le nom ?
II — De ridée d'une systématisation générale des Lieux théologiques
proprement dits ou Caractéristique théologique universelle
La détermination des principes immédiats de l'argumentation
théologique, ou lieux théologiques proprement dits, était, selon
Melchior Cano, une question d'effort personnel. C'est ce) qui ressort
des textes que nous venons de citer, et d'autres qui leur ressem-
blent. A chaque théologien de se créer, par ses lectures et ses
recherches, un fonds de documentation théologique, et d'élabo-
rer ce donné positif à l'aide des règles et des préceptes qui cons-
tituent les instruments de la méthode. Il se trouvera ainsi muni
1. De Locis, 1. xii, c. XI.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 497
d'un bagage de îoci tout préparés, tractât i, yarati, expediti, possé-
dant chacun la fiche caractéristique qui permet de l'adapter ins-
tantanément à une question posée, de la solutionner exactement,
en pleine connaissance de la valeur précise de la solution et de
sa preuve. Suivant que c'e travail d'approvisionnement aura été
poursuivi d'une manière plus ou moins complète, poussé plus ou
moins à fond, nous aurons, toutes choses égales d'ailleurs du
côté des facultés dialectiques et du sens théologique que rien ne
supplée, des théologiens de plus ou moins grande portée. Bien
entendu, à cette préparation éloignée se super]DOse la prépara-
tion prochaine que demande la solution d'une question instante.
Les lieux propres ne s'objectivent avec toute leur modalité pré-
cise, ils n'acquièrent toute leur topicité, qu'en présence des ques-
tions. ]Mais on ne peut douter que celui qui disposera habituel-
lement d'une abondante fourniture de lieux précis bien caracté-
risés n'ait, pour cette mise en ligne définitive, parmi de très pré-
cieux avantages, une avance considérable sur ses émules.
Les choses étant ainsi, ne serait-il pas' souhaitable, au point
de vue de la perfection de la Dialectique théologique, de ne pas
abandonner à la seule initiative individuelle la préparation éloi-
gnée des principes immédiats de l'argumentation théologique,
de pousser jusqu'au bout le parallélisme de la Dialectique surna-
turelle et de la Dialectique rationnelle, d'entreprendre, à l'instar
d'Aristote aux livres II-VIl des Topiques, un recensement offi-
ciel, aussi complet cp.ie la matière le souffrira, des Lieux théo-
logiques proprement dits? Poser la question c'est, si je ne me
trompe, la résoudre. Car, outre le danger des préjugés et des mé-
connaissances auxquels est exposée l'initiative individuelle, la
pratique qui s'appuie sur celle-ci a ce grave inconvénient d'exi-
ger de chaque théologien qu'il recommence pour son compte et à
nouveaux frais l'inventaire critique des lieux théologiques ap-
propriés, qui, pour ses devanciers, était déjà un acquis classé.
Sans doute, je ne voudrais pas remplacer par l'acquisition mné-
motechnique d'un manuel, analogue airx théories de nos régi-
ments, l'étude directe de l'Écriture Sainte, des monuments de la
Tradition, des Pères, des Théologiens, des Philosophes, de l'His-
toire. Celle-ci sera toujours indispensable au théologien, ne se-
rait-ce que pour lui permettre de se faire une juste idée de la
signification des arguments théologiques en les replaçant dans
leur contexte et dans les conditions littéraires, sociales, histori-
ques et autres qui les ont vu naître. Mais cette information i)er-
2' Année. — Revue des Sciences. — N^ 3. -2
4'J8 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
sonnelle sera toujours limitée, pour un individu donné, par les
forces humaines. S'en contenter, ce serait se condamner à se
spécialiser dans l'une des branches ou l'une des cpiestions de la
Théologie, oe qui ne va pas sans détriment pour l'intelligence
même de la branche choisie, ce qui jure avec le concept du Théo-
logien, tel du moins que l'entend saint Thomas, qui n'est rien
moins que le représentant de la métaphysique du Révélé, science
forcément universelle dans son ordre comme la métaphysique l'est
dans l'ordre des connaissances rationnelles. Il y aurait donc avan-
tage, pour ne pas dire plus, à ce que le théologien trouve à sa
disposition, en abordant le labeur théologique, non seulement
VArs generalis du De Locis, mais une Topique théologique
matérielle, de caractère impersonnel et objectif, où seraient
réunis, catalogués, caractérisés par leur note précise d'appro-
bation doctrinale, tous les résultats certains et acquis de l'élabo-
ration des sources de la théologie par les règles et préceptes
qui constituent les instruments de découverte des lieux théolo-
giques.
La réalisation de cette topique n'offre d'ailleurs rien d'im-
possible. D'une part, le donné formellement révélé est tout entier
entre nos mains ; les Conciles, les Pères, les décisions pontificales,
ont viaisemblablement donné leur plein: il suffirait de les tenir
à jour par des suppléments; la théologie traditionnelle, si elle
est toujours ouverte à de nouveaux progrès, contient une part
considérable d'acquis définitif; il faudra toujours y avoir égard
pour le compléter; la philosophie et l'Histoire ont atteint sur
nombre de points, et des plus importants pour la théologie, la
roche vive, ici du nécessaire, là du constaté. D'autre part, les
instruments d'élaboration de ce donné sont construits depuis
Cano. Les plus importants ont reçu leur expression définitive.
Il est facile d'ailleurs de perfectionner l'outillage sur les points
secondaires, et c'est à cela que tendent les précisions que nous
avons essayé d'apporter à la notion des instruments d'inven-
tion théologique en la rapprochant de la notion correspondante
de la Dialectique aristotélicienne qui a servi de thème aux Lieux
théologiques de Cano. L'œuvre est donc possible autant qu'util?
et avantageuse, pour ne pas dire nécessaire.
Mais, dira-t-on, c'est d'un labeur infini I et l'infini ne se traverse
pas! Cano, l'audacieux conquistador de ce continent nouveau
qu'est la méthodologie théologique, a dû renoncer à l'explorer
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 499
dans son intégrité, il s'est contenté d'en délimiter par ses règles
comme le rivage, les sommets, les cours d'eaux, en poussant
trois pointes à l'intérieur — trois exactement — comme pour
montier que la méthode a ses limites et, qu'au delà, la théologie
est affaire d'effort personnel. — Je réponds qu'avec un pareil
raisonnement on soutiendrait aussi bien qu'il faut renoncer à
construire de nouvelles cartes géographiques et nous contenter
de celles du dix-septième siècle par exemple, sous prétexte que
les voyages sont affaire d'effort personnel. Non ! nous ne sommes
plus au temps de Cano. Il a été permis à ce grand initiateur de
se contenter de nous orienter par ses Lieux théologiques. Il est,
d'ailleurs, mort à la tâche avant de les avoir terminés, et, si l'on
peut ainsi dire, en plein voyage d'exploration, au milieu même
de la mise en œuvre de son troisième type d'application des lieux.
Bien loin de nous détourner d 'entreprendra do parachever son
ouvrage il me semble qu'il nous l'ordonnerait si, ressuscitant
parmi nous, il voyait la documentation théologique au point de
maturation objective à laquelle elle est parvenue.
Mais, poui' ne pas rester dans des généralités, et mettre en
é"\ddence la possibilité pratique d'une réalisation immédiate, tout
au moins partielle et provisoire, de l'œuvre que no as poursui-
vons, prenons des exemples concrets.
Tout le monde connaît VEncliiridio7i de Denziger. Il contient,
réduits aux proportions d'un manuel, les textes principaux de
l'Autorité de l'Église sur les questions dogmatiques. Il ne repré-
sente donc que la matière de deux lieux théologiques : Conciles
et Souverains Pontifes. Voici donc sur un point particulier mais
capital du donné théologique toute la documentation essentielle
effectivement rassemblée. Mais elle n'est qu'à l'état de matière
brute. Tout au plus une table des matières, fort bien faite d'ail-
leurs, offre-t-elle un premier classement de ce donné en propo-
sitions. La critique théologique des textes reste à faire, leur dif-
férenciation en lieux théologiques préparés, expediti, est aban-
donnée par l'auteur à la sagacité du lecteur. D'où la difficulté,
parfois même le danger, que peut présenter le maniement de cette
compilation par des théologiens insuffisamment avertis. Cet in-
convénient, n'existerait pas si chaque texte se trouvait non plus
à l'état fruste de minerai, mais façonné, selon les règles et pré-
ceptes authentiques des lieux théologiques, en propositions, mu-
nies chacune de sa tiche théologique caractéristique. Ce serait, à
peu de frais, on voudra bien le reconnaître, toute une partie de
oOO REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
notre inventaire critique réalisée. Sans doute, une t-elle entre-
prise serait encore pro\àsoire, car, malgré les perfectionnements
qui tiennent d'être apportés à VEnchiridion dans sa deuxième édi-
tion, sa qualité de manuel empêche de le considérer comme une
œuvre complète et scientifique dans toute l'acception du mot :
mais on accordera qu'il constitue pour un premier essai une base
sérieuse et pratique.
Autre exemple. Tout le monde connaît V Histoire de la Théo-
logie pcsitive de M. Turmel. Elle n'est ni complète, ni parfaite de
tous points. ]\I. Turmel est le premier à le reconnaître. Il a fait
œuvre d'initiateur et à cause de cela il doit lui être beaucoup
pardonné. Dans cet ouvrage on trouve énumérées, selon l'ordre
historique de leur apparition, les principales preuves d'Écriture,
de Tradition, et même de raison théologique, qui ont été pro-
duites par les Théologiens à l'effet de résoudre les principales
questions dogmatiques soulevées au cours des siècles. Ce travail,
dont la matière est d'ailleurs loin de coïncider avec celle du
livre de Denziger, offre une base d'information plus large que
VEnchiridion et a de plus cet avantage de présenter souvent une
première élaboration du document, qui, entreprise au point de
vue de la science historique, ne saurait, sauf maldonne^ en altérer
le caractère positif (1). A moins de proclamer vaine l'œuvre de
toute la théologie traditionnelle, il faut recomiaître dans la docu-
mentation du livre de M. Turmel, la matière essentielle des véri-
tables lieux théologiques auxquels les questions soulevées par
la Théologie, depuis ses origines jusqu'à nos jours, ont demandé
leur solution. Dès lors, ne peut-on pas, sans grand travail, tabler
sur elle pour dresser un catalogue systématique, où tous les ar-
guments invoqués à l'appui des solutions orthodoxes, au lieu
d'être simplement mentionnés dans leur teneur positive, verraient
leur valeur de preuve pour la théologie explicitement développée
et mise au jour par les règles et préceptes d'invention des lieux
théologicjnes auxquels chacun d'eux se réfère et par l'intermé-
diaire desquels il a tiré effectivement de la Révélation la modalité
de sa vigueur probante ? Dans cette classification, où l'ordre d'im-
portance dogmatique des Lieux théologiques communs serait subs-
titué à l'ordre historique, chacune des propositions auxquelles
donnent lieu les textes cités par ]\I. Turmel, serait munie d'une
fiche criticfue, qui consisterait essentiellement dans l'indication
1. On a fait, et i'ai fait moi-même sur certains passages relatifs à saint Tho-
mas, des réserves importantes. Cf. Revue thomiste, XII, p. 207, 486, 58.3; XIII, 194.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE 501
du lien oommuu sous lequel conclut l'argument et de l'instrument
qui l'amène sur le terrain. Au lieu de rester dans un vague dé-
concertant (c'est l'impression que fait souvent sur les théolo-
giens curieux d'exactitude l'état dans lequel M. Turmel nous
livre, avec un laconisme cruel, les arguments qui ont convaincu
les Théologiens d'autrefois, ou même décidé des questions les
plus graves), les lieux théologiques immédiats apparaîtraient dans
notre répertoire, taillés à remporte-pièce, sans bavure, disant
nettement ce à quoi ils prétendent, le disant tout entier et
ne disant liien de plus. Ce serait de la théologie positive, puis-
qu'aussi bien, c'est le nom que l'on donne aux traités qui se
bornent à enregistrer les arguments positifs, mais cette théologie
positive ne serait plus scellée, énigmatique, in actu primo (les
choses de l'École, dirait Cano, amènent les mots de l'École),
mais claire, patente, in actu secundo, toute prête à servir d'amorce
à la théologie systématique, qui pour être telle, n'en est pas
moins positive dans sa source. Je dirai toute ma pensée, ce
serait peut-être (ici la véritable, la seule, rauthenti([ue théolo-
gie positive, si tant est qu'une théologie, vraiment digne de ce
nom, doive parler de Dieu dans la lumière de Dieu, et par consé-
quent doive être conçue, non seulement comme un donné litté-
raire quelconque concernant Dieu et ses œuvres, mais comme
un ensemble d'assertions actuellement éclairées par la lumière
de la foi, dont les règles et préceptes de lieux théologiques re-
présentent l'irradiation et dictent les exigences (1). Je le demande
une fois de plus, avec une base comme celle de {'Histoire de la
Théologie positive, complétée, si l'on veut, et corrigée, quelle
impossibilité y a-t-il à dresser un répertoire des principaux et au-
thentiques lieux théologiques immédiats visant toutes les grandes
questions dogmatiques?
Kous sera-t-il permis de regarder plus haut encore et plus
loin, de dépasser la région du pratique et de tourner nos regards
vers l'Idéal? Peut-être, si l'Idéal a cela de bon de donner seul
la pleine mesure des concepts, et, par conséquent, la seule juste
et définitive notion des choses, leur idée xar 'sEo/Tiv !
1. Jo me réfère, pour le développement de ces pensées, aux pages lumineuses
qu'a données le P. A. Lemonnyer dans son article : Théoloçjic positive et his-
torique, Revue du Clergé français, 1er mars 1903, t. XXXIV, p. 8 ssv; cf. A.
Gardeil, La place de saint Thomas d'Aquin dans la Réforme des Êhides
théologiques, Revue de l'Institut ratJioJiqiir de Paris, 1902 ; — Réponse à
M. Turmel, Revue thomiste, nov. 1904, p. 591.
50^ REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÈOLOGIQUES
li existe, parmi les œuvres de Leibniz, un très curieux projet
de méthodologie scientifique connu sous le nom de Carnctéristi-
qiie nniverselle. Ce fut le rêve de l'enthousiaste et génial logicien
de donner à toutes les sciences, particulièrement aux sciences
abstraites et à la Métaphysique, cette rigueur et cette certitude
réputées le privilège des Mathématiques, et auxquelles s'oppose
l'imprécision du langage vulgaire. Il conçut donc la pensée de
noter, avec des caractères symboliques fixes et en petit nombre,
tous les concepts, toutes les règles d'attribution, toute la matière
et toute la forme de la science de manière à faire de la déduction
philosophique et iScientifique une sorte de calcul universel et
infaillible, qui fût dans l'ordre de la pensée humaine, ce qu'est
le calcul infinitésimal, qu'il considérait comme une branche faite
de sa méthode, dans l'ordre des Mathématiques. Nous n'avons
pas l'intention, de décrire ici le détail de cette vaste méthodologie.
On en trouvera, si on le désire, une monographie des plus inté-
ressantes dans le chapitre IV de la Logique de Leibniz de M. Cou-
turat (1). Nous n'avons pas non plus à prononcer si les causes de
l'échec de Leibniz sont accidentelles ou si elles ne tiennent pas
à la nature même de l 'œuvra entreprise, à ce que l'on pourrait
appeler la complication de cette simplification qui ne vise rien
moins qu'à substituer au travail vivant et souvent synthétique
de l'esprit un procédé analytique rigide, auquel les intuitions et
les attributions mentales ont quelque peine à se plier. La Carac-
téristique universelle, quoi qu'il en soit des possibilités de sa
réalisation, n'en demeure pas moins le projet de monument le
plus grandiose qu'un génie humain ait tenté d'élever à l'Idéal
de la Science rationnelle parfaite.
C'est un semblable idéal que nous entrevoyons, au terme de
cette étude, pour la Topique théologique, et, quoique nous esti-
mions que plusieurs générations de théologiens ne seraient pas
de trop pour en dresser en pied la simple maquette, nous la
jugeons d'une réalisation plus facile, parce que d'une matière
mieux délimitée, et d'une forme plus déterminée, et d'une intention
plus circonscrite que le projet de Leibniz. Pour commencer par
la matière, de quoi s'agit-il en effet? De dépouiller méthodique-
ment toutes les sources de la théologie, d'en déterminer le con-
tenu positif, à l'aide des diverses sciences, spécialement des scien-
ces exégétiques et historiques, agissant sous le contrôle et la
1. La Logique de Leibniz d'après des documents inédits. Paris, Alcan. 1901,
p. 81 ssv.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE l'AVà
direction des exigences de l'objet de foi, de classer ce contenu
en groupes de lieux théologiques gradués selon le degré de v^a-
leur que leur confèrent les règles et préceptes de la Méthodologie
théologique, de les ordonner sous les Lieux théologiques communs
dont ils relèvent, de donner à chacun de ces groupes une caracté-
ristique symbolique formée de deux ou trois sigles, le nombre I
par exemple désignant le lieu théologique commun afférent, met-
tons l'Écriture Sainte ; la lettre C désignant le rapport du lieu ob-
tenu cà l'un de ses instruments éloignés d'invention, l'autorité de
laVulgate, je suppose; la lettre T marquant son rapport à l'instru-
ment immédiat qui lui donne sa nuance spéciale, par exemple
la deuxième règle concernant le sens accommodatice. — La forme
de notre Topique ce sont précisément ces principes organisateurs
de la documentation que nous venons de recenser, les quatre
heux communs suprêmes, les dix lieux communs concrets ma-
jeurs, les règles et préceptes de critique théologique qui ser-
vent, d'un côté, à attribuer à chaque élément distinct du donné
théologique la part de vertu probante à laquelle il a droit, de
l'autre, et corrélativement, cà organiser cette matière en lieux
théologiques immédiats et dont la valeur probante soit classée.
— Enfin, l'intention de la Topique théologique est circonscrite
aux questions que suscite le donné révélé. Le nombre (le oes
questions est linnité; les plus importantes sont résolues définiti-
vement, et l'on table sur du travail déjà fait, et bien fait. Le
dessin du canevas du dogme est assez rempli pour que l'ouvrier
n'ait plus à faire passer la navette qu'entre des points assez
circonscrits. C'en est assez, nous semble-t-il, pour qu'une carac-
téristique théologique universelle ne doive pas être regardée com-
me d'une réalisation impossible.
Quoi qu'il en soit, la simple conception de cet idéal d'une docu-
mentation théologique parfaitement critique, je veux dire qu'elle
l'est au point de vue théologique comme au point de vue scienti-
fique, jette un jour nouveau, ce nous semble, sur l'œuvre qui est
à accomplii, comme aussi sur l'état embryonnaire où se trouve
actuellement cette partie de la méthodologie théologique. Sera-
t-il dit que la Théologie retardera sur toutes ces sciences contem-
poraines que nous voyons si fiévreusement! occupées à dresser
l'inventaire critique de leur donné, en vue d'une précision plus
glande et d'une systématisation plus achevée? Non pas! Que les
jeunes théologiens traditionnels se mettent à l'œuvre! Ce n'est
pas seulement sur le terrain de l'iiistoire de la théologie qu'il
504 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES EV THÉOLOGIQUES
se rencontre du travail pour les jeunes (1). Il y a encore de beaux
jouis pour r « Ecclesia discens » dans le champ de la méthodo-
logie de notre \ieille théologie. Sous l'égide d'Aristote et de Mel-
chior Cano, mettons-nous au travail, nous, rappelant cependant
le conseil dont s'avertissait lui-même l'initiateur, à la langue
enjouée et maligne, auquel nous devons l'austère De Locis : Si
un nain perché sur les épaules d'un géant voit plus loin qne ce
géant, qu'il se somienne de n'en pas trop prendre gloire.
CONCLUSION
Si, comme nous le croyons, le caractère méthodologique du
De Locis theologicis ressort avec é^^dence de cette étude, nous
pouvons désormais marquer exactement la place de ce traité
dans la hiérarchie des sciences théologiques et répondre par
là à l'attente et au desideratum de la science que nous <>xpo-
sions au début de ces articles. Sans doute, l'idée intellectualiste
et dialectique de la Théologie que suppose notre travail n'est pas
de nature à plaire à tout le monde : certains y verront un beau
cas de «TJiéologis-me» (2). Ils ne se tromperont guère. Nous esti-
mons, en effet, que dépouillé des traits ridicules et forcés dont
on l'affuble, le « Théologisme » est la pure vérité. C'est dire qu'il
y a une homogénéité conceptuelle qui s'étend de l'expression pre-
mière et inspirée de la vérité révélée dans l'esprit du prophète au
dépôt révélé, de celui-ci au dogme, du dogme aux principes imtné-
diats de la théologie, de ces principes immédiats aux conclusions
théologiques, et, partant, que la Théologie scolastique n'est pas
une œuvre vaine, mais une promotion légitime de la Révélation.
Cette affirmation de la continuité substantielle de la vérité révélée
sous les différentes formes qu'elle traversa est à la base de ce
travail. Si quelqu'un la nie, il n'est pas mûr pour le lire. Peut-être,
dans une étude postérieure, suivrons-nous ce négateur sur son
terrain et tenterons-nous de le faire monter avec nous vers les
positions que nous supposons ici acquises. Mais cette intention n'a
pas été la nôtre dans la présente étude, dont le caractère est
purement ésotérique : Sapientiam loquimur inter perfectos. C'est
aux théologiens convaincus de la légitimité de la théologie spé-
1. DoM Germain Morin, De la Besogne pour l'S jeunes, Revae d'Histoire
ecclés., VI, 2.
2. Cf. dans la Revue pratique d'Apologétique, 15 juillet 1907, l'axticle
de M. Tvrrell.
LA NOTION DU LIEU THÉOLOGIQUE oOo
culative, et à eux seuls, que nous la dédions. Puisse-t-elle contri-
buer à innover ou à raffermir dans leurs esprits l'autlientique
notion, si ancienne, et cependant pour beaucoup si nouvelle, de
la Théologie et de ce qui doit être le De Locis qui lui sert d'in-
troduction !
Kain. Fr. A. Gardeil.
L'idée d'évolution
chez Saint Augustin
SAixT AuG-usTiN possède au plus haut degré ce caractère
distinctif du génie que nous appellerions volontiers l'opu-
lence intellectuelle. Les idées jaillissent de son cerveau et se
pressent sous sa plume nombreuses, originales, profondes. Qu'il
s'agisse d'une difficulté à résoudre ou d'un texte à interpréter,
de la démonstration d'une thèse ou de l'exposition d'une doctrine,
son esprit se révèle fécond en ressources et merveilleusement
actif. Certes, toutes ses conceptions n'ont pas une importance
ni une justesse égales; les fondements sur lesquelles elles s'éta-
blissent ne sont pas toujours solides. Il suffit de lire les écrits
du grand Docteur pour s'apercevoir que lui aussi en était con-
vaincu. jNIais les erreurs mêmes dans lesquelles il a versé sont
intéressantes, soit par les causes qui les ont déterminées, soit par
la manière dont il les défend.
Parmi ses conceptions les plus originales et les plus suggesti-
ves, il faut ranger, à notre avis, celle qu'il développe avec insis-
tance dans son commentaire sur les premiers chapitres de la
Genèse (De Genesi ad litteram), la conception de l'évolution.
Nous ne pouvons évidemment pas nous attendre à trouver chez
l'évêque d'Hippone les notions scientifiques récemment acquises
et, par conséquent, l'idée qu'il se fait de l'évolution sera, dans ses
formes concrètes, fort différente de celle que nous avons au-
jourd'hui. Alais ce que cette idée a d'essentiel — l'origine des
êtres matériels par des forces inhérentes à la matière, le déploie-
ment progressif de l'ordre naturel implicitement contenu dans
une situation originelle — saint Augustin l'a conçu. C'est ce
que nous nous proposons de mettre brièvement en lumière.
Nous pouvons considérer le commentaire De Genesi ad litte-
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN o07
ram comme l'expression de la pensée longuement mûrie du saint
Docteui. Non point qu'il donne comme certaines toutes les inter-
prétations qui y sont proposées; beaucoup au contraire, surtout
dans les détails, sont conjecturales. Il a soin d'en avertir 1b lec-
teur. Mais l'ensemble des idées qui s'y reflètent est le fruit de
longues réflexions et traduisent la manière de voir définitive
de leur auteur.
Nous trouvons la trace des préoccupations de saint Augus-
tin dans le passage des Confessions (XI, ?>), où il adresse à
Dieu une fer\'ente prière pour obtenir l'intelligence de ce que
]\Ioïse a écrit sur l'origine du monde. Outre les considérations
qu'il fait sur cette matière dans les trois derniers livres des
Confessions, il a commenté ex professo les premiers chapitres
de la Genèse dans trois ouvrages différents : De Genesi contra
Manicliaeos lihri duo, De Genesi opus imperfcdinn, De Genesi
ad litteram lihri duodecim. Saint Augustin nous renseigne lui-
même à leur sujet dans les Betractationes (I, 18) :
« Dans les deux livres que j'ai écrits sur la Genèse contre les
[Manichéens, dit-il, j'ai interprété l'Écriture Sainte dans un sens
figuré n'ayant pas osé aborder l'explication littérale des choses
naturelles qui nous sont si peu connues, c'est-à-dire exposer
comment les événements dont il y est question se sont passés
dans la réalité historique. Par la suite, je voulus essayer mes
forces dans cette entreprise complexe et ardue; mais bientôt
ma science fléchit sous le poids de ce labeur trop lourd. Je
n'avais pas encore terminé un livre que déjà je renonçais à une
tâche trop difficile. Cependant, tandis que je fais la revue de
mes œuvres, ce traité inachevé me tombe entre les mains. Je ne
l'aA'ais pas publié et j'avais résolu de le détruire parce que plus
tard j'ai écrit douze livres qui ont pour titre : De Genesi ad litte-
ram. Dans ce dernier ouvrage aussi, il y a beaucoup de points
où je cherche plutôt des solutions que je n'en découvre; cepen-
dant, il est bien supérieur au précédent... Donc plutôt que d'in-
diquer dans celui-ci ce qui me déplaît aujourd'hui, ou de défen-
dre ce qui y a été mal compris, je préfère avertir le lecteur qu'il
doit lire plutôt les douze livres dont je \àens de parler. Je les ai
écrits beaucoup plus tard étant déjà évêque et c'est d'après eux
qu'il faudra comprendre mon travail précédent. » Dans le De
Genesi ad litteram saint Augustin parle de même : Autrefois il
croyait que la Genèse ne pouvait pas être prise dans le sens obvie
ou du moins ne pouvait l'être que très difficilement; il s'était
508 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
donc attaché au sens figuré. ]\Iais après de longues et attentives
réflexions il a cru pouvoir tenter une interprétation littérale (VIU.
2) (1).
* *
jXotre intention n'est pas de donner une analyse de l'ouvrage
de saint Augustin, ni de relever toutes les choses intéressantes
qu'il contient. Nous voulons seulement mettre en relief la con-
ception évolutionniste qui s'y trouve développée. Le saint Doc-
teur a été amené à la faire servir pour l'explication des deux
premiers chapitres de la Genèse, parce qu'il avait remarqué leur
apparente contradiction en ce qui concerne l'ordre d'apparition
des êtres créés (VI, 1). Avec Philon, Clément d'Alexandrie, Ori-
gène, saint Augustin admet la création simultanée de toutes cho-
ses. Celle-ci, pense-t-il, se trouve enseignée par le tesle de l'Ec-
clésiastique (XVIII, 1) : Qui vivit in aetenium creavit omnia si-
mili; et il en voit la confirmation dans Gen. II, 4-5, qu'il lisait
ainsi : Cum factus est (lies, fecit Deus coeliim et terram et omne
viride agri prius quam oriretur, etc. Les six jours de l'œuvre
divine ne sont donc qu'un seul jour et ce jour lui-même a été
créé en même temps que tout le reste.
Cette création simultanée est le thème du premier chapitre
de la Genèse. L'auteur sacré a détaillé l'œuvre divine et en a
distribué les différentes parties en plusieurs jours à cause de la
faiblesse de l'esprit humain incapable d'envelopper d'un seul
coup d'œil l'inmiensité de la création (IV, 33). Puisque nous
n'aA'ons pas affaire à des jours véritables, il faudra donc don-
ner une explication figurée de cet élément du récit inspiré. Saint
Augustin propose d'y voir désignés les anges et la connaissance
qu'ils ont des œuvres de Dieu. C'est par ce détail que l'on carac-
térise d'ordinaire l'interprétation augustinienne de l'hexaméron.
Cependant le second chapitre, à son tour, nous fait le récit de
la création des êtres, du moins des êtres vivants : l'homme, les
plantes, les animaux, la femme. Le verset 27 du chapitre I-f
enseigne que Dieu créa l'homme mâle et femelle; ici, au con-
traire, l'origine de la femme est séparée de la création de l'homme.
Lorsqu'encore la terre était déserte, qu'aucun ai'brisseau ni aucune
herbe n'avait poussé, Dieu a formé Adam. Puis il a planté mi jardin
où il a placé l'homme ; il a créé les animaux et les lui a présentés
1. Cette indication abrégée, ainsi que les suivantes, se rapportent au traité
de Genesi ad litteram. Le chiffre romain indique le livre, le chiffre arabe, le
chapitre.
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN 509
afin qu'il les nommât; enfin, il lui a donné une compagne. Ce
récit est-il le simple développement d© l'enseignement du chapi-
tre 1er? Saint Augustin ne le pense pas (VI, 1). Il faut donc
que les deux récits se rapportent à des faits différents. Le premier
concerne la production de toutes choses en un instant. Or, dans
quel sens Dieu a-t-il produit tout à la fois? Est-ce que toutes les
créatures ont apparu au même instant dans leur nature propre?
Non, certes ! ]\Iais à l'origine Dieu a créé la matière, c'est-à-dire
les éléments doués d'acti\dté et de fécondité. Dieu a produit tou-
tes les choses, non pas suivant leur espèce, mais seulement dans
leurs causes.
Le texte sacré nous indique que l'eau a reçu le pouvoir de
produire les poissons et les oiseaux, tandis que la terre donnera
naissance aux plantes, aux animaux, à l'homme. dX, 2.)
Dans la suite, les effets voulus par Dieu se produiront, chacun
en son temps, par le jeu naturel des forces communiquées par
Dieu à l'Univers. Le chapitre II rapporte une partie de cette
évolution : l'apparition de l'homme, des premières plantes, des
premiers animaux. Voilà comment la conception d'une évolution
naturelle qui distingue deux manières d'être des choses et, par
suite, comme deux créations, l'une causale, l'autre effective, l'une
ayant Dieu pour cause immédiate et unique, l'autre accomplie par
l*inteimédiaire des forces naturelles, permet d'harmoniser les ré-
cits des deux premiers chapitres du texte sacré. « Lorsque la
» terre est dite avoir produit l'herbe et le bois (Gen. II, 12), il
» faut entendre : causalement, c'est - à - dire qu'elle a reçu alors
» le pouvoir de les produire. Dans la terre se trouvaient déjà alors,
» comme dans les racines du temps, les choses qui devaient naî-
» tre dans la suite des siècles. Car c'est plus tard que Dieu planta
» le paradis à l'Orient et fit sortir de terre tous les arbres agréa-
» blés à la vue et portant des fruits savoureux. Pourtant il ne
» faut pas dire qu'à ce moment il fait quelque chose de plus qu'il
» n'avait fait auparavant, quelque chose qu'il eût été nécessaire
» d'ajouter à cette œuvre qu'on a déclarée parfaite le sixième
» jour. Mais toutes les espèces de plantes et d'arbres avaient été
» produites dans la première création, après laquelle Dieu s'est
;> reposé. C'est en conduisant et en administrant tout le long
» des siècles les choses qu'il a créées au commencement — créa-
;> tion à laquelle le repos a mis un terme — que non seulement
» Dieu a planté le paradis, mais qu'il produit encore aujourd'hui
;> tout ce qui naît. Car qui est le créateur de toutes choses, si ce
olO PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
» n'est celui qui ne cesse point cVagir? {Joli. \, 17). Mais Dieu
» produit ces choses maintenant au moyen de celles qui existent
» auparaA'-ant. A l'origine, alors qu'il n'existait rien, elles ont
» été créées en même temps que ce jour qui n'existait pas non
» plus et qui n'est autre que la créature spirituelle et intelligente.
•-> (y, 4.)
» Dans le grain minuscule il y a une force admirable et supé-
» rieure qui de l'eau mêlée à la terre forme du bois de telle
» espèce, multiplie les branches, produit la couleur et la forme
» des feuilles, l'abondance et le type des fruits, la variété la plus
» ordonnée. Qu'est-ce qui naît sur l'arbre et y demeure qui ne
» soit issu du trésor caché de la semence?...
» Or, de même que la graine contient d'une manière invisible
» tout ce' qui, en se déployant successivement, constitue l'arbre,
» ainsi nous faut-il penser que le monde, lorsque Dieu a créé
» tout à la fois, contenait toutes les choses que Dieu a faites
» en lui... et cela bien avant que, dans le cours des temps, elles
» ne se développent comme elles nous sont connues, grâce à
» l'activité que Dieu déploie sans cesse. » (V, 23.) Non pas qu'il
faille confondre les raisons causales ou séminales avec ies se-
mences : il y a en effet cette ressemblance entre les deux qu'elles
contiennent en puissance ce qui en sortira plus tard. Mais les
semences sont matérielles et \'isibles; les raisons causales sont
invisibles (VI, 6). L'Écriture, d'ailleurs, nous indique que ce
sont les plantes qui produisirent la semence et non point la se-
mence qui produisit les premières plantes. {Gen. 1, •11-12. j. Il
faut donc concevoir les raisons causales comme des forces et non
pas comme des germes.
Kous trouvons dans la conception de saint Augustin tous les
éléments essentiels de l'évolution : la matière douée d'énergies
latentes qui vont se déployer successivement et produire dans la
suite des temps toute la série des êtres et des événements. Sans
doute, le cours de cette éA^olution dépend de la Puissance de Dieu,
non pas de la Puissance qui crée, mais seulement de celle qui
conserve, qui concourt, qui gouverne. Ceux-là comprennent mal
saint Augustin qui lui attribuent de n'assigner aux causes se-
condes dans la production des êtres, fût-ce des espèces nouvel-
les, d'autre rôle que celui de la materia ex qua. Cela revient à
imputer au saint Docteur l'erreur des Occasionalistes. Car les
raison.s causales ou séminales — qui comptent parmi leurs effets
l'origine des formes vivantes — constituent toute racti\ité na-
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN 511
turelle ; de sorte que leur dénier le caractère de puissances actives
suffisantes — dans leur ordre — ■ pour réaliser ces effets, c'est
nier la causalité efficiente des êtres matériels. Nous avons donc
ici une conception évolutionniste parfaitement caractérisée.
L'nnalogie que signale saint Augustin entre le développement
de la nature et celui de la plante qui sort de la graine n'est
pas la seule raison qui justifie le nom de raisons séminales donné
par lui aux forces qui président à l'évolution. En effet, si les
éléments créés par Dieu possèdent le pouvoir de produire les
êtres vivants, ils sont donc la source de perfections qu'ils ne
manifestent pas eux-mêmes. Ainsi les semences ne possèdent
qu'une vie latente et élémentaire; elles produisent néanmoins
les plantes avec leur vie active et complexe. Personne n'attri-
buera à l'œuf d'où sort l'animal la sensibilité que possède ce.
dernier. La semence, l'œuf, tiennent des parents le pouvoir de
produire les organismes adultes, et c'est ainsi que la loi de cau-
salité se trouve respectée dans la génération. Il faudra de même
faire remonter à Dieu les puissances de la matière dont parle
saint Augustin et ne pas les considérer comme des manifestations
d'une activité proportionnée à la perfection substantielle de la
matière brute. Au point de vue scolastique, ces puissances se
rattachent à la causalité instrumentale. Devons-nous admettre leur
existence? C'est une question de fait; elles ne sont pas incon-
cevables. Notre but, en ce moment, est simplement d'exposer la
conception qu'en avait saint Augustin. Le saint Docteur la pré-
cise un peu davantage à propos de l'origine de l'homme. Nous y
reviendrons nous-même à cette occasion.
Saint Augustin croyait trouver des confirmations de sa théorie
dans le récit de la Genèse. La première, malheureusement, repose
sur une interprétation fautive du texte rendue possible par la tra-
duction latine. Saint Augustin lisait comme suit Gen. Il, 4-5 :
Rie est liber creaturae cœli et terrae, cum factiis est aies, fecit
Deus coelum et terram et omne viride agri antequam esset super
eicraJH e( omne foenum agri antequam exoriretur. Dieu, ainsi
laisonnait-il, a produit les plantes des campagnes et le fourrage
des champs avant qu'ils n'apparussent sur la terre. Qu'est-ce à
dire, sinon que Dieu les a créés, non pas dans leurs natures pro-
pres, mais bien en puissance? (V, 4). Il a créé le sol d'où parla
vertu qu'il lui a communiquée sortiront en leur temps les herbes
et les arbres. Le sens du texte hébreu, malgré une certaine
incohérence do construction, n'est pas douteux : « Lorsque le Sei-
512 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
» gneiir Dieu créa le ciel et la terre, il n'y avait encore aucun
» arbrisseau sur le sol, et aucune plante n'était issue de la terre... »
Il n'y a rien dans cette phrase qui puisse servir de point d'appui
à l'argumentation de saint x\ugustin.
Une seconde confirmation est tirée par lui de Gen. II, 2, où
il est dit qu'après avoir accompli son œuvre. Dieu se repose,
non pas que son activité prenne fin, mais parce qu'il ne crée
plus rien, parce qu'il ne produira donc plus rien qui ne soit
contenu déjà dans la création première, comme l'arbre dans sa
semence (IV, 12). Saint Augustin insiste à plusieurs reprises
sur cet argument. Il s'en sert pour écarter de l'activité par laquel-
le la Providence gouverne l'Univers toute création proprement
dite; nous le rencontrerons encore plus loin.
La notion d'évolution est restreinte de sa nature aux choses
qui se modifient, à l'exclusion de celles qui demeurent invaria-
bles. Nous savons aujourd'hui que beaucoup de choses immo-
biles en apparence, par exemple, la configuration géographique,
le système solaire, la situation des étoiles fixes, subissent néan-
moins des changements très lents. Dès lors, nous leur appliquons
légitimement la notion d'évolution. Mais les anciens qui les con-
sidéraient comme immuables ne pouvaient pas agir de même.
Le firmament, la terre, la mer, les étoiles ont été créés par Dieu,
d'après saint Augustin, tels que nous les voyons aujourd'hui
(VI, 2.) Mais l'évolution enveloppe tout le reste. « Si nous disons
» que Dieu produit maintenant un être dont le genre n'ait pas
» été inséré par lui dans la création preinière, nous contredisons
» manifestement l'Écriture déclarant que Dieu a accompli toutes
» ses œuvres le sixième jour. A considérer la nature des choses
» qu'il a créées à l'origine, il est évident qu'il produit beaucoup
» de choses nouvelles qui n'ont pas été faites alors. Or, on ne
» peut pas croire qu'il établit des choses nouvelles, puisqu'il
» a tout achevé autrefois. C'est donc que sa Puissance cachée meut
» toute la création. Mise ainsi en branle, — tandis que les Anges
» font sa volonté, que les astres accomplissent leurs révolutions,
» que les vents alternent, que l'Océan est agité par les mouv^e-
» ments et les tourbillons de l'air, tandis que les plantes puUu-
» lent et produisent leurs semences, que les animaux naissent et
» développent les différents aspects de leur vie, tandis qu'il laisse
» les méchants éprouver les justes — la nature déploie les siè-
» clés que Dieu avait cachés dans son sein lorsqu'il la fit. Mais
» toutes ces choses ne se dérouleraient point, si Celui qui les a
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN 513
» créées cessait de les administrer par sa Pro\àdence. » (V, 20.)
Il est impossible de parler avec plus de vérité et d'éloquence.
Grandiose est la pensée qui représente l'Univers matériel déve-
loppant par ses forces intimes les formes innombrables qu'il
contient en puissance et réalisant ainsi au fur et à mesure dans
le cours des siècles l'idée divine qui s'y est incamée. Saint Au-
gustin en a saisi toute la beauté et, dans la limite des connais-
sances qu'on possédait à son époque, il l'a conçue dans toute
son ampleur. Il dépasse saint Grégoire de Nysse qui expose
également l'hexaméron en recourant le plus souvent possible aux
forces naturelles pour expliquer l'origine des œuvres de Dieu.
« Tout, dit celui-ci, se trouvait en puissance dans le premier acte
» créateur, comme si Dieu avait jeté la semence d'où devaient
» sortir toutes choses; mais les êtres particuliers n'étaient pas
» encore réalisés. » (Migne, t. XLIV, col. 77.) C'est déjà l'idée
d'une évolution partant d'une situation originelle où se trouve
contenu le développement successif. L'expression a une analogie
frappante avec la formule augustinienne. Mais, chez saint Gré-
goire, l'idée d'évolution 113 semble pas dépasser les six jours de
la création, tandis que saint Augustin la conçoit comme un procès
universel et continu, enveloppant tous les phénomènes. Les rai-
sons causales confiées à la terre et à l'eau, d'où sont issus les
plantes, les animaux, l'homme, se répètent pour ainsi dire dans
les êtres auxquels elles ont donné naissance. Ceux-ci ont tiré
des forces primordiales que Dieu a communiquées au monde la
fécondité par laquelle ils contiennent invisiblement leur progé-
niture, comme eux-mêmes étaient auparavant contenus dans la
matière créée par Dieu. (VI, 10.) « Tout ce que nous voyons dans
» la suite des temps accompli par les êtres suivant leur nature
» propre, est l'effet de ces causes intimes que Dieu a jetées com-
» me une semence dans la matière lorsqu'il la créa. » (IV, 33.)
L'interprétation donnée par saint Augustin de l'œuvre créa-
trice ne fut pas généralement admise par les scolastiques. Saint
Thomas d'Aquin le constate, mais en même temps il ne cache pas
qu'elle a ses préférences. Dans la Somme (I, q. 74, a. 1), il ex-
pose à la fois l'interprétation littérale du premier chapitre de la
Genèse et la théorie de l'évêque d'Hippone. L'une et l'autre sont
probables, dit-il, et les objections qu'on leur oppose peuvent être
résolues. ^Mais dans le commentaire sur le Livre des Sentences,
le docteur angélique est plus explicite (II. d. 12, q. I, a. 2.) « Au-
» gustin, dit-il, veut qu'au commencement de la création certaines
5e Année. — Revue de^ Sciences. — No 3. 3^
oit REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOI-OGIQUES
» choses furent produites dans leur nature propre : les éléments,
» les astres, les substances spirituelles; d'autres au contraire seu-
» lement dans leurs raisons séirùnales : les animaux, les plantes,
» les hommes. Ces dernières ne furent engendrées dans leurs
» natures propres que plus tard, par cette activité divine qui,
» après Vœuvre des six jours, gouverne la nature créée aupara-
» vant et dont il est dit dans saint Jean : Mon pcre ne cesse
.-> point (Vagir.... Saint Ambroise et d'autres saints pensent que
» l'ordre de succession temporelle (en six jours) a été suivi dans
» la production première et cette position est plus commune et
» paraît plus conforme au texte à première vue, mais la première
» est plus fondée en raison et elle défend mieux l'Écriture Sainte
» contre les attaques des infidèles... Et c'est l'opinion qui me
» plaît davantage. » S'il \'ivait aujourd'hui, saint Thomas aurait
trouvé dans le progrès scientifique accompli depuis son temps,
de puissantes raisons pour le confirmer dans la préférence qu'il
manifestait
Une loi n'entraîne pas d'emblée tous les cas particuliers. Quoi-
que l'on attribue à l'évolution naturelle l'origine des choses indi-
viduelles, on peut avoir des raisons d'en excepter l'une ou l'autre,
ou du moins l'on peut encore rechercher si, dans quelle mesure
et de quelle manière un être particulier est enveloppé dans l'ordre
général, surtout un être qui présente des caractères l'élevant à
certains égards au-dessus des choses auxquelles s'apphque la
loi. Alors même qu'on croirait devoir l'en séparer, la loi ne
serait pas pour cela révoquée en doute : au contraire, en lui
traçant des limites, on en reconnaîtrait implicitement l'existence.
Saint Augustin comprenait-il l'homme dans le domaine des rai-
sons causales que Dieu a insérées à l'origine dans la matière?
Nous no pouvons pas en douter et c'est aussi, nous venons de
l'entendre, ce que saint Thomas a compris. Saint Augustin, d'ail-
leurs, traite en particulier et assez longuement de la production
de l'homme. Comment, se demande-t-il, s'il n'existait qu'en puis-
sance dans l'œuvre di\dne des six jours. Dieu pouvait-il néanmoins
lui adresser la parole : Croissez, inultipUez-vous, etc.? Il répond:
« La parole de Dieu n'est pas de celles qui résonnent dans l'air,
» mais qui se gravent dans la réalité. C'est elle qui, dans ce qui
» était fait déjà, mettait les causes des choses à faire dans la
» suite, et ainsi par sa Toute-Puissance produisait déjà les choses
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN 515
» futures et créait l'homme dans la semence ou la racine des
» temps, pour qu'il en sortît en son temps. » (VI, 8.)
Le saint Docteur traite successivement de la production du
corps, de l'origine des âmes et de la formation de la femme. Le
premier point est développé au livre VI à partir du chapitre
XII. Voici, en ce qui nous concerne, la suite des idées : Le corps
(le l'homme a-t-il été formé d'une manière spéciale? D'abord,
n'allons pas nous imaginer de prendre à la lettre la formation du
corps rapportée dans la Genèse, comme si Dieu, de ses mains,
avait façomié l'argile.
Il ne faut pas davantage écouter ceux qui prétendent trouver un
pri\ilège pour l'homme en ceci : que le ciel, la terre, les continents
ont été appelés à l'existence par la parole de Dieu, tandis que
le Tout-Puissant est dit avoir fait lui-même l'homme. Ne lisons-
nous pas dans les psaumes que les cieux sont l'œuvre des mains
de Dieu (Ps. CI, 26), que ses mains ont formé les mers et les
continents? (Ps. XCIV, 5.) Ce qui distingue l'homme des ani-
maux, c'est qu'il est l'image de Dieu, non par le corps, mais par
l'intelligence. L'Écriture Sainte ne fait pas de distinction entre
l'origine du corps de l'homme et celle du corps des animaux.
« Le même texte qui rapporte que Dieu a formé l'homme du limon
» de la terre, enseigne qu'il a également fait de terre les animaux
» des champs. » (VI, 12.)
!Mais de quelle façon l'hoimne est-il issu de la terre? Est-ce
que le corps d'Adam a passé par toutes les phases que parcourt
l'embryon dans le sein de sa mère et l'enfant jusqu'à l'âge ^•iril,
comme la nature le prescrit? Ou bien l'homme a-t-il été produit
à l'âge adulte? La puissance de Dieu s'étend à l'un et à l'autre
et le texte sacré ne dit pas ce qu'il faut choisir. Quoique l'ordre
naturel soit une croissance lente de l'organisme. Dieu, en éta-
blissant cet ordre, n'y a pas lié sa volonté. N'a-t-il pasi changé
l'eau en "xàn et la verge de ]Moïse en serpent? (VI, 13.)
Pour comprendre le sens de ces réflexions, il faut se rappeler
que, pour les anciens, la génération spontanée de plantes et d'ani-
maux d'organisation même assez élevée, comme les reptiles et
les souris, était un fait ordinaire. Saint Augustin le rappelle dans
le traité que nous étudions : la chair ^^ vante, à notre connaissance,
naît de la terre mêlée d'eau, de la substance organique végétale
ou animale, ou par voie de génération sexuelle; les arbres nais-
sent du sol ou bien par leurs semences. (IX, 16; III, 12.) Aussi,
à peine a-t-il ici posé la question au sujet de l'organisme humain.
516 REVUi: DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
qu'il lui donne une portée générale : Comment concevrons-nous
les raisons causales que Dieu a communiquées à la matière?
Est-co qu'elles devaient produire, à l'origine, les plantes et les
arbres comme nous les voyons croître sous nos yeux? Ou bien,
plutôt, les ont-elles fait sortir de terre à l'état adulte comme on
le pense généralement au sujet d'Adam? Saint Augustin croit qu'il
faut se les représenter, ces raisons causales, indifférentes à l'un
et à l'autre mode d'origine. Car nous voyons qu'agissant encore
aujourd'hui, elles produisent les êtres par une croissance .conti-
nue et lente, et d'autre part nous voyons parfois se produire des
effets contraires au cours ordinaire des choses. Nous dirons donc
que Dieu a créé ces forces capables d'agir de l'une et de l'autre
façon : soit de la manière ordinaire par une croissance lente,
soit de la façon extraordinaire dont se font les miracles, d'après
la volonté du Très-Haut et d'après les circonstances. (VI, 14.)
Par conséquent, en ce qui concerne l'homme, nous devons dire
qu'il a été produit d'après les exigences des raisons causales, si-
non Dieu ne l'a pas créé dans l'œuvre des six jours. Mais cela
peut se vérifier de deux manières. Nous pouvons croire que Dieu
a détermine les raisons causales à produire l'organisme humain
soit en suivant le cours de son évolution naturelle, soit immédia-
tement à l'état adulte. Ou bien, nous pouvons admettre que les
raisons causales étaient capables de le produire indifféremment
de l'une ou de l'autre manière, selon la volonté de Dieu. (VI, 18.)
Pour comprendre l'enseignement de saint Augustin, il faut donc
distinguer deux choses : d'abord, le fait de la production du corps
de l'homme par la terre, ensuite la manière dont il a été produit.
Quant au fait de la production, il n'y a point de doute : il était
déteiminé à l'avance dans les raisons causales. Le mode de pro-
duction l'était-il également? Cela n'est pas impossible, soit que
l'on dise que la formation du corps de l'homme a suivi son cours
naturel, soit que l'on prétende, ce qui est plus probable, qu'il a
été formé d'emblée à l'état adulte. Néamnoins, il vaut peut-être
mieux concevoir que les raisons causales ne sont pas, par elles-
mêmes, déterminées quant au mode de production de leurs effets.
D'après cela, suivant que Dieu le veut, elles les produisent tan-
tôt conformément à l'ordre naturel, c'est-à-dire habituel, tantôt
d'une façon miraculeuse.
On voit clairement par tout ce qui précède combien il serait
contraire à la pensée de saint. Augustin de réduire les raisons
causales qui ont produit l'organisme humain à la présence de la
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN 517
matière et à La volonté divine. Le saint Docteur fait expressé-
ment l'hypothèse qu'il n'exclut nullement, d'après laquelle les
raisons causales auraient été déterminées non seulement à pro-
duire l'homme, mais à le produire de telle ou de telle façon.
Dans ce cas, dit-il, l'homme préexisterait dans ses causes, non
seulement de manière à pouvoir être produit ainsi, mais de ma-
nière à être produit nécessairement ainsi. Et si l'on n'admet pas
cette hypothèse, il reste vrai que les raisons causales étaient dé-
terminées à produire l'organisme humain, mais étaient indiffé-
rentes à le produire d'une façon ou d'une autre. Saint Augustin
distingue lui-même les raisons causales et la matière : « Dans
l'œuvre des six jours, dit-il. Dieu a créé, non seulement les rai-
sons causales du corps humain, mais encore la matière dont il
devait être formé. » (VIL 6.)
Il n'était pas difficile d'indiquer le siège des raisons causales
qui devaient produire le corps de l'homme, puisque l'Écriture
elle-même assigne son origine à la terre (VII, 6) qui contient le
corps de l'homme comme une semence contient la plante. (X, 2.)
Mais où placer l'origine de l'àme ? Sa raison causale serait-elle
mie créature comme elle-même ? (VII, 22). L'àme serait-elle fille
des anges? (\l\, 23.) Ces hypotlièses semblent peu probables
et saint Augustin, pour ne pas abandonner son principe que tout
a été créé à l'origine, préfère admettre que l'àme du premier
homme a été créée avec l'œuvre des six jours et n'a été unie
au corps que quand celui-ci fut produit par les forces communi-
quées par Dieu à la matière. Comment, dit saint Augustin, ceux
qui disent l'âme créée en même temps que le corps fut produit
répondront-ils aux objections qu'on leur oppose? La nature spi-
rituelle de l'âme ne permet pas de croire qu'elle est issue de la
matière comme le corps. Si elle a été créée de rien, comment
l'Écriture peut-elle dire qu'après le sixième jour, l'œuvre de Dieu
était accomphe? Dira-t-oii que la narration du chapitre II n'est
qu'une récapitulation du précédent? que l'homme et la femme
ont été créés le sixième jour dans leur nature propre? Il faudra
donc placer à ce même sixième jour et la production des plantes
du paradis terrestre et celle des animaux que Dieu amena à Adam,
alors que l'Écriture assigne le cinquième jour aux oiseaux et aux
plantes le troisième ! (VII, 28.) Disons, par conséquent, que l'hom-
me a été créé le sixième jour en ce sens que les raisons causales
318 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de son corps ont été déposées dans les éléments et que son âme
créée en même temps est restée cachée parmi les œuvres de Dieu,
jusqn'à ce que vint le moment où elle fut inspirée au corps for-
mé de boue. {\ll, 24.)
Mais la difficulté étant ainsi résolue pour l'àme d'Adam, elle
demeure tout entière quant à l'âme de ceux qui sont issus de
lui. Saint Augustin se reconnaît incapable d'y donner une solu-
tion certaine. Après avoir examiné les différentes hypothèses,
il énonce sa préférence pour l'opinion connue sous le nom de
Traducianisme spirituel, d'après laquelle les âmes des enfants
sont dérivées, par une sorte de génération, de l'âme de leurs
parents. (X, 23). Saint Augustin affirme très nettement la spi-
ritualité de l'âme : oe qu'il faut avant tout retenir c'est que l'âme
n'est pas corporelle. (X, 24). C'est sur ce point qu'a erré Tertullien.
Mais la spiritualité s'accommode, d'après saint Augustin, du Tra-
ducianisme et celui-ci, outre qu'il est plus conforme à l'Écri-
ture en ce qu'il n'exige pas de nouvelles créations, permet aussi de
mieux se rendre compte de la transmission du péché originel.
La question de l'origine des âmes humaines a toujours pré-
occupé saint Augustin et il y re\'ient à plusieurs reprises dans
ses écrits. Ses préférences ont toujours été pour la solution
que nous venons de rapporter. Il n'ignorait pas d'ailleurs qu'elle
soulève des objections et demeurait perplexe. On sait que depuis
lors cette opinion a été définitivement abandonnée (1). Nous ne
nous y arrêterons pas plus longtemps. Remarquons seulement
combien saint Augustin tient à rester fidèle autant que possible à
sa conception d'une évolution des êtres par des causes intrinsè-
ques.
Il nous reste à parler de la formation de la femme. Dans son
premier commentaire sur la Genèse, saint Augustin avait laissé
sans solution la question de savoir s'il faut comprendre la narra-
tion du texte sacré comme une allégorie ou comme une réalité.
Ici, c'est l'interprétation littérale qu'il suppose. Cela étant, dans
quelle relation se trouve cet événement avec l'évolution natu-
relle des êtres que saint Augustin a exposée? Il semble que s*im-
pose encore une fois la distinction entre- le fait que la première
femme a été produite et la manière dont elle a été produite. Que
1. Saint Thomas la juge hérétique (I, q. 118, a. 2>.
L IDEE DEVOLUTION CHEZ SAINT AUGUSTIN ol9
d'après les principes de saint Augustin le fait fût contenu dans
les raisons causales primitives, nous n'en pouvons douter. Saint
Augustin nous le rappelle : Dieu, dans l'œuvre des six jours, créa
l'honmie mâle et femelle, non pas dans leur nature propre, mais
dans leurs causes.
Tout comme le supplément de substance organique qui devait
prendre dans le corps d'Adam la place de la côte enlevée, ainsi
la production d'Eve, de son corps et de son âme, de son organisme
et de ses facultés, en un mot, de tout ce qui était nécessaire
pour que l'homme existât, mâle et femelle, est l'œuvre de Dieu
créant la nature savante tout entière dans ses causes, à l'origine,
et la conservant. (IX, 15.)
Mais la manière dont Eve a été formée est pleine de mystère.
Ne pourrait-on pas l'attribuer à l'intervention des anges ? Saint
Augustin délimite leur sphère d'intervention dans les phénomè-
nes : ils sont comme le laboureur ou le médecin qui donnent aux
forces naturelles l'occasion de s'exercer, mais ne les remplacent
point. Peut-être, l'intervention des anges que Dieu emploie pour
exécuter ses desseins n'est-elle pas étrangère au mode extraor-
dinaire de l'origine de la femme. Si nous connaissions la nature
tout en ignorant l'art du jardinier, nous saurions que les plantes
naissent du sol ou de leurs semences, mais nous n'aurions pas
l'idée d'une greffe qui fait porter à un arbre les fruits d'une espèce
étrangère. ('IX. 16.)
Néanmoins le travail des anges ne suffit pas : il ne fait qu'ap-
porter la matière sur laquelle s'exerce la puissance divine, soit
par racti\-ité qu'elle se réserve, soit par celle qu'elle communique à
la nature.
Que dirons-nous donc? La manière mystérieuse dont Eve a
vu le jour était-elle déterminée dans les raisons causales que
Dieu a insérées dans son œuvre?
Lorsqu'il s'agissait d'Adam, la question se posait : a-t-il été
formé suivant la loi naturelle du développement individuel, com-
me l'enfant est formé dans le sein de sa mère? ou bien, plus
probablement, a-t-il été produit à l'état adulte, contrairement à
la loi générale? Nous pouvons concevoir les raisons causales in-
différentes à l'un ou l'autre mode de production et agissant sui-
vant la volonté de Dieu. N'oublions pas que naître du mélange
de terre et d'eau est, pour saint Augustin, une des manières na-
turelles dont se produit la chair animée. (IX, 8.) Mais dans l'ori-
gine de la femme tout est manifestement en dehors de l'ordre
550 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
naturel : et sa création à l'état adulte et sa formation au moyen
d'une côte d'Adam. Saint Augustin rappelle donc bien à propos
que ni l'ordre naturel, ni les raisons causales ne limitent la Puis-
sance divine. « Au-dessus du cours naturel de l'Univers, dit-il,
le Créateur conserve en lui-même la puissance de faire au moyen
des créatures autre chose encore que ce qui est contenu dans les
raisons séminales. » (IX, 17.) C'est surtout la grâce qu'il faut
ranger parmi ces effets de la Toute-Puissance qui dépassent l'or-
dre et les forces de la nature. Les raisons causales, de la grâce
ne sont pas déposées dans la matièro, mais demeurent cachées
iians la volonté de Dieu. Et ne faut-il pas rattacher à l'ordre de
la grâce les miracles que Dieu opère pour la manifester, et no-
tamment la création de la femme qui est, par son mode mysté-
rieux, pleine d'enseignements? On conclura donc que la création
première — malgré la parole de l'Écriture : « il les créa mâle
et femelle » — ne contenait pas en puissance la manière 'mer-
veilleuse dont Eve fut tirée du corps d'Adam. (IX, 18.)
Pourtant, n'y a-t-il aucun lien entre ce mode d'origine de la
femme et l'évolution générale? Ce miracle est-il complètement
étranger à la nature que Dieu a créée à l'origine? Il s'y ratta-
che encore, dit saint Augustin, positivement par la potentialité
de la matière, négativement par l'absence de forces déterminant
un autre mode de production. Dieu a placé dans la matière la
possibilité du miracle qu'il produit et parmi les forces que sa
volonté a communiquées à la nature, aucune ne contrecarre l'œu-
vre que cette même volonté a réalisée. Enfin, les anges y appor-
tent leur concours.
Ce que nous venons de rapporter prouve que certains événe-
ments ne se rattachent pas activement aux raisons causales. Mais
en même temps cela confirme ce que nous avons dit plus haut
au sujet du caractère effectif de celles-ci. Saint Augustin conçoit
qu'elles peuvent déterminer des effets conformes à l'ordre habi-
tuel ou des effets merveilleux. D'après notre manière actuelle
do parler, nous dirions plutôt que les choses produites le sont
naturellement dans la mesure où elles sont déterminées par les
raisons causales, c'est-à-dire par les forces de la nature. Il peut
se faire que l'effet considéré en lui-même ne les dépasse point,
mais seulement l'une ou l'autre circonstance de sa production.
Dans ce cas on pourra attribuer cette circonstance à la volonté de
Dieu et non aux forces de la nature.
Saint Thomas d'Aquin restreint donc trop la doctrine de saint
l'idée d'évolution chez saint AUGUSTIN o2l
Augustin sur l'inten^ention des causes naturelles dans la, produc-
tion de l'homme, lorsque dans la Somme, il la réduit à la puis-
sance passive de la matière. (I, q. XCI, a. II, ad 4.) Cela n'est
vrai que de la création d'Eve et encore seulement quant au mode
de son origine. Nous venons de voir ce que saint Augustin en
pensait ; il dépasse l'ordre naturel et se rattache à l'ordre de la
grâce. Maie l'insistance avec laquelle le saint Docteur inculque
la potentialité naturelle de la matière à l'égard de cette origine
surnaturelle, la communication de cette possihilité à la matière
au moment de sa création et la nécessité d'interpréter dansi ce sens
le texte sacré, prouve l'importance qu'il attachait à la conception
générale d'un ordre universel créé par Dieu dans ses causes et
dont la série des phénomènes n'est que le magnifique épanouisse-
ment. Telle est précisément la conception évolutionniste dans la
forme où elle peut être admise par la philosophie spiritualist©
et la Foi chrétienne. Loin de reléguer dans l'ouhli la Puissance"
du Créateur, elle la révèle au contraire d'une façon plus splen-
dide. Sans négliger les liens qui rattachent l'ordre de la nature à
l'ordre de la grâce, elle fait cependant mieux ressortir la, diffé-
rence entre l'un et l'autre. Communication personnelle de Dieu
avec l'esprit de l'homme, plus particulière par conséquent et plus
immédiate, la grâce comprend les phénomènes tant intérieurs
qu'extérieurs qui échappent aux lois générales et n'ont point leui
source dans les forces créées; tandis que la nature, partie d'une
impulsion primordiale, exécute lentement dans la série indéfinie
des siècles une conception divine dont elle possède le germe dès
l'origine, mais que nos intelligences ne peuvent saisir qu'à tra-
vers sa réalisation matérielle, à mesure qu'elle se déroule dans
l'espace et dans le temps.
Louvain. Jacques Laminne.
La Philosophie et la Foi
chez les
Mystiques du XP Siècle
Saint Pierre Damien. — Avant d'en venir à l'exposition des
théories de saint Anselme et des théologiens spéculatifs qui
l'ont suivi, il nous faut parler brièvement d'un auteur ascétique^
célèbre dans le monde ecclésiastique du XI'^ siècle : Pierre Da-
mien (1) (1006-7 — 1072). D'em-iron trente ans antérieur à
saint Anselme, le grand réformateur nous intéresse moins par
ses œuvres ascétiques que par la vive peinture de l'état d'âme
du groupe mystique qu'il représente. Cette peinture montre jus-
qu'à quelles extrémités peut s'égarer un esprit, d'ailleurs élevé,
mais enclin à l'exagération, auquel fait défaut une notion exacte
des mutuels rapports entre la foi et la raison.
Saint Pierre Damien a bien mérité de l'Église par son zèle
pour la réforme de la discipline, mais son ardeur n'épargne pas
plus la philosophie que les mauvaises mœurs du clergé. Pour
préserv'er les moines d'alors de la peste de la science, — il
semble que point n'est besoin de tant d'efforts, — ce vigilant
ascète écrit deux ouvrages spéciaux, très suggestifs : De sancta
simpUcitatc scientiae inflanti anteponenda et De monacMs qui
grammaticam discere gestiunt. Il y déverse à longs flots son
aversion pour la science et la philosophie; ceUe-ci, à l'en croire,
est cette sagesse dont il est dit : « elle ne descend pas d'en
haut, mais elle est terrestre, animale, diabolique » (2). Aussi
le vovons-nous donner le conseil de se retirer plutôt dans un
1. s. Pétri Damiani. Opéra. P. L. t. 145. — Cf. M. Kt eInermaxxs. Article
Petrus Damiani in Wetzer u. ^YELTE■s KirchenUxikon 2 Auff. Bd. IX, Freiburg
Br. 1895, col. 1904-1908.
2. De Sancta Slmplicitate... etc. c. V. P. L., t. 145, col. 699. — « Et esl
sapieatia de qua dicitur : Non. est haec sapientia desursum descendons, sed
terrena, animalis, diabolica (Js). »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 523
désert cfue de s'adonner, non point aux études, mais aux folies
des arts libéraux (1). Étudier les sciences profanes, écrit-il ail-
leurs, c'est délaisser la chaste épouse dans le lit nuptial de la
foi, et fréquenter les prostituées du théâtre (2). Platon, Aristote,
Euclide ne sont pas mieux traités que la philosophie (3).
A un pareil mépris pour les études, ne peuvent guère s'allier
que le scepticisme ou le fidéisme. L'ardent réformateur des
mœurs s'arrête à la seconde doctrine : « Prima quîppe mentis
lux fides est », dit-il dans une de ses lettres (4). Sans doute,
il parle de la dialectique comme d'une servante de la théolo-
gie, mais il semble bien entendre que jamais cette servante ne
saurait démontrer quoi que ce soit de son propre fonds (5). En
mi mot, pour Pierre Damien il n'existe qu'une science, celle qui
fait les saints, la religion chrétienne. Il ne se demande point
oominent on y arrive et qliel est le rôle de la raison dans l'acte
de foi : nous n'avons pas trouvé dans son œuvre qu'il affirmât les
motifs de crédil^ilité.
Saint Anselme de Cantorbéry (1033-1109).— Le premier en da-
te des mystiques spéculatifs médiévaux est saint Anselme de Can-
torbéry. Né à Aoste, en 1033, il se fit bénédictin de la célèbre
abbaye du Bec en Normandie. Élève du théologien mystique
1. Ibid., Frol. P. L., t. 145, col. 695 .« Ante ad eremum pervolasti, qaam
liberalitim artium non dicam studiis sed stultitiis insudares. »
2. De perfect. monachor., cap. XI, P. L., t. 145, col. 306. — « Ut autem cum
stomacho loqniax. Hi porro fastidientes ecclesiasticae disciplinae peritiam, et
saecularibus studiis inhiantes, quid aliud qunm in fidei fhalamo confugem
rdinquere castam et ad scenicas videtitur descend>^re prostitutas?... » et cela con-
tinue encore plusieurs lignes dans un ton de plus en plus acre.
3. OpusG. Dominus vohiscwn ad Leonem eremitiun, cap. I, P. L., t. 145,
col. 232. — « Platonem latentis naturae secreta rimantem respuo... Pythagoram
parvipendo... Euclidem perplexis geometricalium studiis incurvum aeque de-
clino... qiiaerant peripatetici latentem in profundo puteo veritatem. »
4. Ad. Card. Hildeb. et Steph., P. L. t. 144, col. 262.
5. De div. omnipotentia. P. L., t. 145, col. 603. « Haec plane qiiae ex dia-
lecticorum et rhetorum prodemit argumentis non facile divinae virtutis sunt
aptanda mysteriis; et quae ad hoc inventa sunt ut in syllogismorum instru-
menta proficiant vel clausulas dictionum, absit, ut sacris legibus se per-
tinaciter inférant et divinae virtutis conclusioni suae nécessitâtes opponant.
Quae tamen artis liumanae peritia, siqiiando tractandis sacris eloquiis adlii-
betur, non débet jus magisterii sibimet arroganter arripere : sed velut ancilla
dominae quodam famulatus ohseqtiio suhservire, ne si praecedit, oborret et
dum exteriorum verborum seqnitur consequentias, intimae virtutis lumen et
rectum veritatis tramitem perdat. Quia enim manifeste non videat, quia si
argumentationibus istis, ut sese ordo verborum liabet fides adhibetur, divina
virtus in temporum quibusque momentis impotens ostendatur? »
524 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Lanfranc (1) qui défendit la présence réelle contre Bérenger (2)^
Anselme succéda à son maître dans le professorat, devant A-bbé,
puis Archevêque de Cantorbéry. Il mourut en 1109. Parmi ses
nombreuses œuvres tbéologiques les plus importantes sont le
Monologion, le Froslogion, les traités De Fide Trinitatis, De
Incarnatione, les dialogues De Grammatico, De Yeritate, De
Lihero Arbitrio, Cîir Deiis Homo (3).
De son maître, Lanfranc, un juriste converti, qui, par scrupule
religieux, n'ose se ser\'ir ouvertement de la dialectique (4), Ansel-
me semble avoir hérité le culte des Pères, en particulier de
saint Augustin. L'influence de ce docteur se trahirait dans les
théories de notre philosophe et dans son style, même si les
innombrables citations (5), empruntées au théologien africain,
et les titres des ouvrages d'Anselme (6) ne nous rendaient
attentifs à cette parenté spirituelle. La puissante pensée d'Au-
gustin ne laisse pas d'être quelquefois obscurcie par les élé-
vations pieuses, mêlées aux arguments. Ainsi en est-il chez saint
Anselme, avec, en plus, cette exagération que font les imita-
teurs des défauts du maître. De là, des obscurités qui quelquefois
déroutent le lecteur plus curieux du penseur que fut An-
selme que du saint et de ses effusions. Enfin, Anselme tient
d'Augustin l'amour de la spéculation; et c'est précisément le
rôle éminent que celle-ci joue dans son œuvre qui le sépare de
son maître Lanfranc et plus encore des théologiens ascétiques.
Réaliste (7) et mystique, néo-platonicien, Anselme personnifie
volontiers ses abstractions (8). Dans le fameux argument ontolo-
gique (9) du Proslogion, il conclut, sans s'apercevoir du sophisme,
de l'existence de l'idée de Dieu dans notre intelligence à l'exis-
1. Voir J. A. ExDRES, Lanfranlc's StcUiing zur Dialektik, dans Eatho-
Ul- XXII Jalugg,, I. 1902.
2. DoMET DE VoRGES, Lcs grands philosophes, S. Anselme, p. 42, ssq Paris,
Alcau, 1901.
3. Ibid., 68-80; De Wulf, Eist. de la phil. méd., p. 178.
4. Epit. 33 ad Domnaldum, P. L., t. 150, col. 533. D. « Questiones saecu-
larium litterarum uobis solveiidas misistis : Sed episcopale propositum non
decet operam dare hujusmodi studiis, olim quidem juverdlem aetatem in his
detrivimus. » Ap. Endres, p. 218. — De corpore et Sanguine Domini. c. 7.
P. L., t. 150. col. 417. A.
5. Voir par exemple MonoJog., P. L., t. 158, col. 143, et ïbid., col. 1139.
6. H est aiossi à noter qu'Anselme, écrivant des dialogues, est resté dans la
tradition augusiinienne et néo-platonicienne.
7. DoMET de Vorges, op. cit., p. 152-153.
S. Ueberweg-Heinze, op. cit., 180.
9. On le trouve aussi chez Augustin. De lihero Arhitrio, II, P. L., t. 32,
col. 1242-1263.
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 523
tence de Dieu en dehors et indépendamment de notre intelli-
gence. Si l'on ajoute à ces tendances ultra-réalistes le fait que
Roscelin, le plus célèbre d'entre les nominalistes d'alors, s'était
emparé d'une expression un peu équivoque du docteur «le Can-
torbéry et l'avait interprétée dans le sens de ses doctrines trithéis-
tes (1), l'on comprend aisément l'animosité de notre théologien
pour les dialecticiens nominalistes. Il ne leur reproche rien moins
que le matérialisme. Car, dit-il, selon eux les substances uni-
verselles ne sont que des mots, et le nom d'homme ne désigne
rien en dehors de l'individu. Aussi, Anselme voudrait-il voir ex-
clus d(3 la science ces hérétiques de la dialectique, dont la
raison, au lieu de gouverner et de juger de tout ce qu'il y a
dans l'homme, est à tel point immergée dans les imaginations
matérielles, qu'elle ne saurait plus s'en dégager ni en discerner
l'objet de la seule contemplation. Et tout cela, et davantage à
cause du nominalisme, dont les adhérents ne seront jamais
capables de comprendre comment plusieurs personnes dont cha-
cune est Dieu parfait, ne sont qu'un seul Dieu (2). La dernière
partie de ce reproche est particulièrement intéressante, et mani-
feste, une fois de plus, l'importance du problème des universaux,
même dans les régions les plus mystérieuses de la théologie.
Au reste, Anselme n'a jamais traité ex professa cet épineux
problème; pour ce faire, il était trop théologien. Il ignore l'in-
tellect agent de la psychologie d'Aristot© (3). Mais,, s'il faut en
croire M. Domet de Vorges et le texte par lui cité (4), notre
docteur enseignerait la théorie aristotélicienne de l'abstraction,
1. Cf. PiCAVET, Eoscelin, p. 3. — Epis'. Anselm. ad Bainaldum, Lih. I. ep.
7Â, P. L,, t. 155, col. 1144. « NesciebaM enim sic non dici proprie de Deo
très personas, quomodo très substaiitias ; quadani taaien ratione, ob indl-
gcntiam nominis proprie significantis illam pluritntem, guae in summa Tri-
nitatg intelligitur, Latines dicere très personas credendas in una substantia;
Greoos vero non minus fideliter très substantias in una persona confiteri. »
Cf. Monolog., P. L., t. 158, col. 144.
2. De fide Trinitatis, c. II, P. L. t. 158, col. 265. « Illi utique nostri temporis
dialeclici, (imo dialectice haeretici, qni non nisi flatum vocis putant esse
universales substantias et qui colorem non aliud queunt intelligere quam
corpus, nec sapientiam hominis aliud quam animam), prorsus a spiritualium
qnaestionum disputatione sunt exsufflandi. In eorum quippe animabus ratio
qiiae et princeps et jiidex omnium débet esse quae sunt in homine, sic est in
imaginationibus corporalibus obvoluta ut ex eis se non possit evolvere, nec
ab ipsis ea quae ipsa sola et pura oontemplari débet, valeat discemere. Qui
enim nondum intelligit quomodo plures homines iu specie sint unus homo,
qu aliter in illa secretissima et altissima natura comprehendet quomodo plu-
res pers-onae cjuarum singula quaeque est perfectus Deus, sint unus Deus. »
3. Domet de Vorges. Op. cit., p. 104.
4. Monol., 62, P. L., t. 158, col. 207-208. « Sed in hominis cogitatione cum
cogitât aliquid quod extra ejus mentem est, non nascitur verbum cogitatae
o26 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
OU du moins quelque chose d'approchant. On peut se demander
si ]\I. Domet de Vorges n'a pas été induit en erreur, pa,r la
ressemblance « matérielle » que présente la terminologie augus-
tniienne avec celle d'Aristote. L'archevêque de Cantorbéry, fidèle
disciple de saint Augustin, fait maints emprunts à sa théorie de la
connaissance, — telle, la pensée « Semper sui memmit ani-
ma (1) » et surtout la formule célèbre, fondement des spécula-
tions d'Anselme : « Xeque enim quaero intelligere ut credam;
sed credo ut intelligam (2) ». C'est la formule même de saint
Augustin : « credimus ut oognoscamus, non cognoscimus ut creda-
mus (3) » ou encore comme Anselme le dit fréquemment du pro-
phète Isaïe, cité d'après l'itala : « jS'îsî credideritis, non intelU-
getis. »
Comment interpréter ce principe? Faut-il faire d'Anselme un
fidéiste, comme d'aucuns pourraient le croire à première vue?
ou faut-il simplement le rattacher à cette lignée de docteurs
platoniciens perpétuant, jusque dans le moyen-àge, la « philoso-
phie religieuse » qu'x\ugustin, leur maître à tous, a empruntée
en majeure partie à Plotin pour l'adapter au dogme chrétien?
Pour débrouiller cette question assez complexe, et établir quels
sont les rapports mutuels entre la foi et la science, chez Anselme^
nous devons considérer dans quelle mesure ce docteur veut
l'application de la dialectique aux problèmes théologiques en
général et à l'étude des mystères en particulier.
Saint Anselme, en véritable mystique qu'il est, réserve le beau
rôle à la volonté non seulement dans son domaine propre, mais
aussi dans celui de la connaissance. Ainsi, il exige que l'on
apporte, outre la foi solide, la granité des mœurs et la sa-
gesse à l'étude des questions di^^nes (4), c'est-à-dire à la « phi-
rei ex ipsa re quia ipsa absens est a cogitatioiiis intuitu sed ex rei aliqiia
similitndiiLe vel imagine quae est in cogitantis memoria, aut forte quae tune
cum cc^itat per corporeum sensum ex re praesenti in mentem attrahitnr. »
1. Monolog., 46. P. L., t. 158, col. 199. « Mens humana non semper se cogi-
tât sicut semper sui meminit. »
2. Prosîog. I. P. L. t. 158 col. 227. Cf. Dr Heinrich Ritter, Geschichte
der christl. Philosophie, III. Theil, p. 321. Hamburg, 1844.
3. August. in Evang. Joh. tract 40; 9. — De Vera Belig. 5; 24. — De
Vtilitale Credendi, 9.
4. De fide Trin., P. L., t. 158, col. 265. «. Nemo ergo se temere immergat in
condensa dirinarum quaestionimi, nisi prius in soliditate fidei, conquisita
morum et sapientiae gravitate, ne per multiplicia sophismatum diverticula
incauta levitate discurrens, aliqna tenaci illaqueatur falsitate. Cumque omnes,
ut cautissime ad sacrae paginae quaestioaes accédant, sint commonendi; illi
utique nostri temporis dialectici, imo dialecticae liaeretici »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 527
losophie religieuse », en dehors de laquelle, chez le docteur
médiéval, comme chez l'évêque d'Hippone, il n'y a pas de science
véritable. Ce n'est pas la raison seule quii conduit l'homme à
la connaissance des grandes vérités. Aussi avant de les abor-
der, doit-il purifier son cœur par la foi et illuminer ses yeux
par robser\'ance des préceptes divins (1). Mais il ne faudrait pas
se limiter à ces bonnes dispositions, car il n'est pas blâmable
celui qui, confirmé dans la foi, — fide stabilitus — , s'efforce
d'en trouver des raisons; puisque aussi bien les Apôtres, les
Pères et les Docteurs n'ont point épuisé les richesses de la vérité
et puisque Dieu continue d'accorder ses grâces à cette fin. L'Écri-
ture elle-même par la parole : « Nisi credideritis, non intelli-
getis„ » (Isaïe VII, 9) ne nous invite-t-elle pas à aller plus avant,
pour atteindre dès cette vie, YintelUgence, cet état intermédiaire
entre la foi et l'évidence (species)? Plus quelqu'un progresse
dans cette intelligence, plus il s'approche de l'évidence. Saint
Anselme veut marcher dans cette voie, et, autant que le
secours d'en haut le lui permettra, pénétrer la raison des ensei-
gnements de la foi. Les lumières qu'il recevra ainsi, il les com-
muniquera volontiers aux autres, afin d'en éprouver la vérité
par leur jugement (2).
A ce propos, notre docteur expose tout le processus de la con-
naissance théologique. D'abord croire, puis, aidé de l'illumination
divine, approfondir par la raison, autant que fairei se peut,
1. De fidc Trinit., I. P. L., t. 1.58, col. 26J:. « Prius ergo fide nnindaadum
est cor... et prius per praeceptoram Domini custodiam illuminandi sunt oculi
quia praeceptum Domiai lucidum illuminans oculos... » Prius iiiquam, ea quae
camis sunt postponentes, secundum spiritum vivamus, quam profunda fidei
dijudicando discutiamus... »
2. De Trinit., prooemio, P. L., t. 158, col. 260-261. « Nullum tamen repre-
hendenduni arbitrer si fide stabilitus, in rationis ejus indagine se voluerit
exercera. Nam et illi (Apostoli, Patres, Doctores) qnia brèves dies sunt non
omnia qnae possent si diutius vixissent dicere potuerunt; et veritatis ratio tam
ampla, tamque profunda est ut a mortalibus nequeat exhauriri; et Dominus
in Ecclesia sua... gratiae suae dona non desinit impertiri. Et ut aJia taceam
qtiibus sacra pagina nos ad investigandara rationem invitât ubi dicit : « Nisi
credideritis non intellegetis » aperte nos monet intentionem, ad intellectum
extendere... Denique quoniam inter fidem et speciem inteUectum quem in vita
capimus esse médium intelUgo, quanto aliquis ad illum proficit tanto eum pro-
pinquare speciei ad quam omnes anhelamus, existimo. Hac igitur ego consi-
deratione... confortatus, ad eoruin quae credimus rationem intuendam quan-
luan superna graiia mihi dare dignatur, aliquando conor assurgere, et cum
aliquid quod prius non videbam reperio, id aliis libenter aperio, quatenus
quid secure tenere debeam aliéna discam judicio. Quapropter, mi Pater et Do-
mine... Papa Urbane... quoniam nulli rectius possum, vestrae sanctitatis prae-
sento conspectui subditum opusculum ut ejus auctoritate quae ibi suscipienda
sunt approbentur, et quae corrigenda sunt eraendentur... »
528 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
le contenu de la croyance, et arriver ainsi, par le travail discursif,
à cet état intermédiaire entre la foi pure et simple et l'évidence
de la vision béatifiqae, — état intermédiaire appelé « intelligence »,
dans un sens analogue à celui que, plus tard, xlbélard donnera
au verbe « intelligere ».
Ce travail de recherches théologiques, Anselme tient à ce que
la raison l'entreprenne, sans toutefois dépasser certaines limites.
Ainsi, il ne saurait être question pour le chrétien de chercher
comment ce que l'Église enseigne n'est pas — (quomodo non sit).
Au contraire, le devoir du chrétien est de tenir toujours à la foi,,
de l'aimer, de la vivre et de rechercher humblement les raisons
qui en expliquent le comment — (quomodo sit). Si la raison réus-
sit dans cette entreprise, qu'elle en rende grâces à Dieu ; si. elle
échoue, que la sagesse humaine n'aille pas se briser les cor-
nes, mais qu'elle baisse la tête et vénère le mystère, puisque aussi
bien, avant de comprendre il faut croire. D'où il est clair que
ceux-là n'ont pas la foi qui, ne comprenant pas leurs croyances,,
révoquent en doute la vérité chrétienne confirmée par les saints
Pères. Ils oublient, ces malheureux, qu'il n'est point loisible
aux nocturnes chauves-souris de discuter sur la lumière du
jour contre les aigles qui fixent de leurs regards le soleil de
midi (1).
Ces imprudentes chauves-souris, Anselme pensait les voir dans
la personne de Roscelin et de ses disciples, et cela précisément
rend compte, semble-t-il, de l'état d'esprit qui lui dicta à pro-
pios du trithéisme de Roscelin, les paroles les plus dures qu'il
ait écrites — Voici ce qu'il mandait à l'un des Pères du Con-
cile de Reims : « Si celui qui professe des doctrines pareilles
à celles de Roscelin, est baptisé et a été élevé parmi des chré-
tiens, il ne faut l'entendre d'aucune manière, ni lui demander
1. De fide Trinif., c. II, P. L., t. 158, col. 263-264. « NuUus quippe chris-
tianus débet disputare quomodo quod Ecclesia cafholica corde crédit et ore confite-
iViT 7ion sit ; sed sempcr eanidem fidem indubitanter tenendo, amande et secundum
illam vivendo, humiliter, quantum potest quaerere rationem quomodo sit. Si
potest intelligere, Deo gratias agat; si non potest, non immittat cornua ad ven-
tilandxim, sed submittat caput ad venerandum. Citius enim potest in se con-
fidens humana sapientia impigendo cornua sibi evellere, quam vi nitendo petram
banc evolvere... Unde fit ut, duni ad illa, quae prius fidei scalam exigunt
sicxit scriptum est : « Nisi credideritis non intelligetis » praepostere prius pc
intelJectum conantur ascendere in multiinodos errores per întellectus defec-
tum cogantur descendere. Palam namque est, qnia iUi non habent fidei firmi-
fatem, qui, quoniam quod credunt inteUigere non possunt. disputant contra
ejusdem fidei a sanctis Patril)us confirmatam veritatem; velut si vespertilio
nés et noctuae, non nisi in nocte coelum videntes, de meridianis solis radii.s
disceptent contra aquilas, so'em ipsum irreverberato visu intuentes »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 529
raison de son erreur, ni lui donner raison de notre vérité. S'il
ne se soumet préalablement, qu'on le charge d'anathèmes ; car
nous ne devons pas défendre notre foi par la raison contre
les chrétiens dont nous pouvons l'exiger en vertu de leur bap-
tême. Quant aux impies, il nous faut leur montrer, par des argu-
ments de raison, combien ils ont tort de nous mépriser (1).
La distinction dont Ajiselme fait usa^e pour exiger que l'on
donne des éclaircissements à l'impie et qu'on les refuse au chré-
tien dans l'erreur, semble indiquer d'une manière assez évidente,
que le docteur de Cantorbéry est loin d'avoir une idée nette de
l'acte de foi en lui-même, qui, chez le chrétien baptisé aussi bien
que chez l'impie, ne peut avoir lieu sans que la raison, à la
vue des motifs de crédibilité, quels qu'ils soient, ait représenté
à la volonté comme un bien désirable, l'adhésion aux vérités iné-
videntes de la foi (2).
Le savant Archevêque, dont les tendances apologétiques sont
très accusées, corrige quelquefois par sa pratique les insuffisan-
ces théoriques que nous venons de lui voir. S'il ne fait qu'insi-
nuer le motif de crédibilité tiré des miracles de Notre-Seigneur (3),
il appuie fortement sur la puissance de la raison (4) et son rôle
dans la solution des objections des infidèles (5). Au reste, An-
1. Epist. ad Falconem, lib. II; epist. 61, P. L., t. 158, col. 1193. « Quod si
baptizatus et iaiter Chiistianos est nutritas, nullo modo audiendus est; nec
uUa ratio atit sui 'erroris est ab illo exigeada, aut nostrae veritatis illi est
exhibenda; si mox ut ejus perfidia absqiie dubietate iiiaotuerit, aut anathema-
tizet venenum quod proferendo evomuit, aut anathematizetur ab omnibus
Catholicis, nisi resipuerit Fides enim nostra contra impios ratione defen-
denda est; non contra eos qui se Christiani nominis honore gaudere fatentur.
Ab his enim juste exigendum est ut cautionem in baptismate factam incon-
cusse teneant; ilUs vero rationnhiUtrr oslendendum est quam irrafionabiliter
nos contemnant. »
2. Nulle part, à notre connaissance, saint Anselme ne définit la foi « ex pro-
fesso » et c'est en passant qu'il en dit : De concord. praesc. Dei eum libero
arbif., quaest. III, c. 9, P. L., t. 158, col. 531, C : « Fides namque et spes
sunt eanim rerum quae non videntur. »
3. De concord. Fraescient. et liberi arhit., c. VI, P. L., t. 158, col. 528.
« Sicut ergo Deus in principio per miraculum fecit frumentum et alia de terra
nascentia ad alimentum homim;m sine cultore et seminibus, ita sine huniana
doctrina mlrabiliter fecit corda prophetarum et açostolorum necnon evangelis-
tarum fecunda salutaribus seminibus.... Siquideni nihil utiliter ad salutem
spiritualem praedicamus quod sacra Scriptura Spiritus Sancti miraculo fe-
cundata non protulerit aut intra se contineat....»
4. Monolog., Prooemio. P. L., t. 158, col. 142-143. Cf. aussi De fide Trini-
tafis, c. IV, P. L., t. 158, col. 272. « Duo parva opuscula mea Monologion
scilicet et Proslogion quae ad hoc maxime facta sunt, ut, quod fide tenemus
de divina natuxa et ejus personis praeter Incarnationem, necessariis ratio-
nibus, sine Scripturae auctoritate probari possit. »
5. Cur Deus Homo. Praef. P. L., t. 158, col. 361-362. « Quorum prior (liber)
quidem infidelium respuentium christianam fidem, quia rationi putant illam
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 3, 34
o3() REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
selme ne dédie pas ses traités spéculatifs à ses disciples pour
que ceux-ci aillent à la foi par la raison, mais afin qu'ils soient
à même de se délecter dans « l'intelligence » et la contempla-
tion des vérités religieuses et qu'ils puissent satisfaire ceux
qui demandent raison de leur espérance (1). Parmi les problè-
mes que se posent infidèles et chrétiens, Anselme en ciioisit sur-
tout deux; l'Incarnation et la Trinité.
Le mystère ne paraît pas retenir l'ardeur spéculative de notre
Docteur. Dans plusieurs de Ses ouvrages, il veut non seulement
établir les hautes convenances du mystère, mais il se laisse
entraîner par cette raison, « princesse et juge de tout ce qu'il
y a dans l'homme (2), » jusqu'à entreprendre de démontrer, par
des raisons nécessaires, sans l'autorité de l'Écriture, tantôt les
enseignements de la foi sur la Trinité (3), tantôt l'absolue néces-
sité de l'Incarnation ('4). Nous regrettons que le cadre de no-
tre modeste contribution à l'histoire de la philosophie ne nous
permette pas d'insister sur la doctrine d'Anselme sur l'Incar-
nation et sur son intéressante théorie de la Satisfaction.
Allons tout droit à ses doctrines trinitaires que, pour faciliter
la comparaison, nous continuerons de prendre, en quelque sorte^
comme pierre de touche des théories sur les rapports entre la
science et la foi. Aassi bien, la position d'Anselme de Cantorbéry
en face du plus sublime des mystères chrétiens est franche. Des
textes cités plus haut il ressort clairement qu'il entend le dé-
montrer, sans le secours de l'Écriture, par des raisons nécessai-
res, ^lais à cela il y a des réserves. Dans son opuscule De
repiignare, continet objectiones et fidelium responsiones : ac tandem, remoto
Christo, quasi nunquam aliquid fuerit de eo, probat rationibus necessariis
esse impossibile ullum hominem salvari sine illo... »
1. Cur Deus Homo. Praef. P. L., t. 158, col. 361.
2. De fide Trinitatis, c. II, P. L., t. 158, col. 265. « Ratio qnae et prin-
ceps et judex omnium débet esse qnae suât in homine. »
3. De fide Tritiit., c. IV, P. L., t. 158, col. 272. « Duo parva opuscula mea
Monologion scilicet et Proslogion quae ad hoc maxime facta sunt, ut quod
fide ten.emus de di\'ina natuxa et ejus personis praeter Incarnationem, neces-
sariis ratiombus sine Scripturae auctoritate probari possit.
4. Cur Deus Homo, Praef., P. L., t. 158, col. 362. « Quorum prior quidem
liber... remoto Chxisto, qiiasi numquam aliquid fuerit de eo probat rationibus
necessariis esse impossibile ullum hominem salvari sine illo; in seciuido autem
libro similiter quasi nihil sciatur de Christo, monstratur non minus aperta
ratione et veritate naturam humanam ad hoc institutam esse, ut aliquando...
immortalitate beata totus homo... frueretur ac necosse esse, ut hoc fiât de
homine propter quod factus est, sed non nisi per hominem Deum, atque ex
necessitate omnia quae de Christo credimus fieri oportere. »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 531
Fide Trinitatis, Anselme, d'accord avec son principe : « Nisi
credideritis, non intelligetis », essaie de nous faire comprendre,
tout un chapitre durant, que ces questions doivent être traitées
par des hommes humbles et versés dans les divines Écritures,
et non par des dialecticiens quelconqiies; car ces nominalistes —
il s'agit évidemment de Roscelin — dont l'intelligence est obs-
curcie au point de ne pouvoir distinguer entre un cheval et sa
couleur, comment sauraient-ils discerner le seul Dieu d'avec
la pluralité de ses relations (1)?
Une autre réserve du saint Docteur est encore plus importante,
puisqu'elle nous permet de déterminer jusqu'où s'étend la dé-
monstration rationnelle du mystère. C'est la déclaration que la
Trinité dépasse les forces de toute intelligence humaine qui
s'efforcerait en vain d'en expliquer le comment (qualiter sit).
Qu'il nous suffise, continue-t-il, de prouver par des raisons 7ié-
cessaires V existence de ce mystère (quod est). La solidité de
notre argumentation ne saurait être aucunement ébranlée parce
que nous sommes impuissants à en démontrer le comment (2).
Cela paraît fort clair et cependant personne, que nous sachions,
n'a fait O'bserver qu'Anselme, parlant de la Trinité, devait natu-
rellement se poser la double question : Ce mystère est-il {An
sit)'? — et s'il est, quel est-il? comment se fait-il que trois per-
sonnes di\"ines ne sont qu'une seule nature divine, qu'un seul
Dieu {Qualité?' sit, quomodo sit)?
A ces deux questions, saint Anselme répond, comme fit plus
tard Abélard, par la distinction qu'on connaît. Outre qu'elle
appartient à notre auteur même, cette distinction a l'avantage
de montrer que chez lui l'expression « rationes necessarife »
1. De fide Trinitatis, t. 158, col. 265. « Et cujus obsciixa est ad dis-
cernendum inter eqiaum suum et colorem ejus, qualiter discemet inter rnium
Deum et plures relationes ejus? »
2. Monolog., c. 64, P. L., t. 158, col. 210. « Videtiir milii hiiJTis tam sublimis
rei secretum transcendere omnem intellectiis aciem humani, et idcirco cona-
tum explicandi, qualiter hoc sit, continendum puto. Sufficere namqiie debere
existimo reui incomprebensibilem indaganti, si ad hoc ratiocinando pervene-
rit, ut eam certissime esse cognoscat etianisi penetrare neqneat intellectu
qnomodo ita sit, nec idcirco minus his adhibendam fidei certitudinem quae
probationibiis necessariis, nulla alia répugnante ratione, asseruntur si snae
natuxalis altitiidinis incomprehensibilitate explicari non patiantur. Quid autem
tara incomprehensibile, tam ineffabile quam id quod supra omnia est? Qua-
propter si ea, quae de summa essentia hactenus disputata sunt necessariis
rationibus sunt asserta, quamvis sic intellectu penetrari non possint ut et
verbis valeant explicari, nullatenus tamen certitudinis eorum nutat soliditas. »
— Cf. aussi De fide Trinit. II, P. L., t. 158. col. 263-261 et Cur Deus Homo,
'. I. t. 1.58, col. 361-362.
532 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
conserve sa signification habituelle de preuves rationnelles né-
cessitantes. Nous ne saurions donc nous rallier à l'opinion de
plusieurs historiens de notre saint qui, prenant acte de ses
déclarations sur l'incompréhensibilité du mystère en lui-même^
concluent que par la « nécessité » l'archevêque de Cantorbéry
n'entend qu'une haute probabilité (1). Anselme veut démontrer
par la raison l'existence de la Trinité et il avance ainsi d'un pas^
mais d'un pas seulement, vers le rationalisme théologique, s'il
est permis de parler de la sorte d'un tel défenseur du principe
d'autorité (2).
Au reste, lorsqu'il s'agit du fond du mystère, de son com-
ment, les textes cités et d'autres encore nous en assurent, l'obs-
curité relative de la foi reprend tous ses droits (3), excluant
ainsi le reproche de rationalisme, sans qu'il soit besoin de
mitiger la portée des « raisons nécessaires » par des interpréta-
tions tirées de loin (4).
N'oublions pas non plus que pour Anselme la soumission à la
foi et à une autorité doctrinale doit être d'autant plus facile
qu'il n'admet pas la possibilité d'une opposition entre la vérité
naturelle et la vérité révélée. « Nous recevons, écrit-il, tout ce»
qui est clairement démontré et que la sainte Écriture ne contredit
pas; car, comme celle-ci ne s'oppose à aucune vérité, ainsi elle
ne favorise aucune fausseté : et dès là qu'elle ne nie point les
affirmations de la raison, elle les soutient de son autorité. Mais
si l'Écriture répugne évidemment à notre sens, quelque inex-
pugnables que paraissent nos raisons, il faut les croire dépour-
vues de vérité (5). » L'excellence de la foi sur la raison ressort
nettement de ce texte.
1. Van Weddingen, op. cit., p. 383-384. ^ De Wulf, Hist. de la philos,
méd., p. 179. — Stôckl, Gcschichte der Philos, des Mittelalt. I, p. 156. —
D'Aguirre, Theologia S. Anselmi, t. I, disp. 1, section 7, dis. 8, sectio 1.
Apud Kleutgen, Théologie der Vorzeit. Miinster 1874, t. V, p. 285. Ce dernier
théologien partage l'opinion de d'Aguirre.
2. Voir plus haut, p. 7, note 1, à la fin.
3. MoHOl. LXV, P. L., t. 158, col. 211. « Nani si vera illud ratione explici-
tum est, qualiter est illa ineffabilis? Aut si ineffabilis est quomodo est ita
sicut est disputatum? Aut quadantenus de illa potuit explicari, et ideo nihil
prohibel esse verum quod disputatum est, sed quia penitus non potuit com-
prehendi idcirco est ineffabilis. »
4. Van Weddingen, op. cit., p. 389, invoque entre autres l'interprétation de
Suarez. — De Incarnatione. d. IV, sect. 11, no 4 et un passage de Duns
ScOT. — Report. Paris., prol. q. 2, n. 18, ap. Van Weddingen, p. 386.
o. De concordia grat. et lihcri Arh. VI, P. L., t. 158, col. 528. « Si quid
ratione dicamus aliquando, quod in dictis ejus (S. Scripturae) aperte mons-
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 533
D'ailleurs, notre Docteur va plus loin, lorsqu'il considère la
foi et les vertus morales comme une indispensable préparation
aux études d'un ordre élevé. Car c'est seulement chez le fidèle
dont le cœur est purifié par la foi, que le précepte du Seigneur
illumine les yeux (1).
x\insi comprise, l'étude devient chez saint xlnselme ime vérita-
ble méditation (2), fréquemment entrecoupée de prières qui teront
descendre l'illumination divine.
I.a théorie néo-platonicienne de l'illumination qu'Augustin (3j
avait empruntée surtout à Plotin, Anselme l'a rendue sienne.
Dans l'une de ses méditations, il nous déclare que, s'il ne voit
pas la lumière inaccessible et trop ardente de l'illumination,
il voit cependant tout par elle, comme notre œil voit par la
lumière du soleil, bien qu'il ne puisse le regarder en face. Il
en est de même de nous, qui ne saurions atteindre la fulgurante
lumière des vérités éternelles (4). Mais, préparés par la foi et
illuminés d'en haut, nous pouvons cependant connaître, on quel-
que manière, ces vérités, en atteindre l'intelligence (5), dirait
saint Anselme. Celle-ci est donc une sorte de révélation, autre-
ment ce Docteur lui-même, parlant de ce genre de connais-
sance n'emploierait pas la formule corrective : « donec m'ihi
Deus melius aliquo modo revelet (6) » formule qui paraît appuyer
singulièrement notre interprétation.
trare aut ex ipsis probare nequinius, hoc modo per illam cognoscimus, utruni
sit recipiendum aut respuendum. Si enim aperta ratione colligitur et illa ex
ntilla parte oontradicit, quoniam ipsa sicut nuUi adversatur veritati, ita nuUi tavet
falsitali, lioc ipso quia non negat quod ratione dicitur, ejus auctoritate susci-
pitur. At si ipsa nostro sensui indubitanter répugnât, quamvis nobis ratio
nostra videatur inexpugnabilis, nuUa tamen veritate fulcii'i credenda est. »
1. Voir plus liant, p. 66, note 2.
2. Lui-même la nomme ainsi dans le Prologue au Mono!., P. L., t. 153,
col. 143.
3. AuGUST. Soliloq., 1, 6, apud Domet de Vorges, p. 107. « Disciplina-
nim quaeque certissima talia sunt quae sole illustrantur ut videri possinl
veluti terra et terrena omnia, Deus autem ipse est qui illustrât. »
4. Médit 21. P. L., t. 158, col. 816-817. « Vere hanc (lucem inaccessibilem)
non video quia nimia est, et tamen quidquid video per hanc video sicut infir-
mus oculus, qui quidquid videt per lucem solis videt, quam in ipso sole
naquit aspicere. Non potest intellectus meus ad illam accédera; nimis enim
fulget. »
5. Voir plus haut, p. 67, note 1.
6. Cur Deus Homo, c. II, P. L., t. 158, col. 363. « Sed eo pacto quo omnia
quae dico, accipi volo : videlicet ut si quid dixero, quod major non confirmet
auctoritas, quamvis illud ratione probare videar, non alia certitudine acci-
piatur nisi quia intérim mihi videtur donec mihi Deus melius aliquo modo
revelet. — Et dans le texte cité plus haut p. 67, note 1, « ad eorum quae
534 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Saint Anselme est ainsi revenu à son point de départ, « Nisi
credideritis non intelligetis ». Parti de la foi simple, nous di-
rions presque naïve, il a abordé de sa raison curieuse et hardie,
les mystères les pins insondables de la religion chrétienne.
Quoiqu'il ait toujours protesté de son respect pour le principe
d'autorité, il côtoyait inconsciemment le rationalisme — sans
toutefois y tomber — , en prétendant démontrer par la seule
raison l'existence do la Trinité et l'absolue nécessité de l'In-
carnation C'est dire que dans l'œuvre de saint Anselme la rai-
son tient un rôle éminent. Appuyée sur la foi et les vertus
morales, nourrie par le travail théologique, la raison atteint,
dès cette vie, à Vintelligence des vérités étemelles. Ici Vintelli-
gence ne désigne pas l'absolue évidence du philosophe, mais plutôt
la foi du croyant, qui, de simple et naïve qu'elle était au seuil des
recherches scientifiques, s'est enrichie des conclusions théolo-
giques qui sont comme des illuminations, des révélations supplé-
mentaires, si l'on peut ainsi parler, descendues d'en haut pen-
dant la méditation des divins mystères. Tel est, ce nous semble,
le sens de la formule « Credo ut intelligam (1). »
On comprend aisément que la théorie dont cette formule est
comme le symbole, porte plutôt à confondre la raison et la
foi, la philosophie et la théologie, qu'à les séparer et à leur
délimiter scrupuleusement un domaine propre. Faut-il en conclure
que saint Anselme n'a rien fait pour la solution de la grave
question des rapports entre la science et la foi? Non; ce serait
injuste; à la vérité, le docteur de Cantorbéry n'a pas distingué
nettement les deux ordres, le naturel et le surnaturel (2); et,
par une tendance conforme au génie néo-platonicien, il a tr3p
credimus rationem intueudam, quantum superna gratia mihi dure dignatur... »
Notons aussi cfue peu d'aimées après la înort d'Anselme, Abélard, d'une
manière plus explicite, prétendra que par semblable illumination subjective,
le mystère de la Trinité a été révélé à quelques philosophes païens, surtout
à Platon.
1. Notre interprétation concorde, du moins dans les grandes lignes, avec
celle de M. Ch. de Rémusat. S. Anselme de Cantorbéry, p. 463 sq., Paris,
1853. Il est intéressant de noter que Vintelligence ainsi comprise a plusieurs
ajialogies avec le don de l'intelligence de la tliéologie thomiste. Sum. iheol.
l'-» Ila-^ q. VllI.
2. TuRNER. Ristory of Philosophy, p. 274. Boston-London, 1903. « bt. Ar.-
selra recognizes that they (reason and faith) cannot contradict each other, yet
he contends that each lias its separate sphère ». La première partie de ce
jugement nous paraît très exacte; mais après ce que nous venons de dire, on
nous pardonnera de trouver trop bienveillante pour Anselme la seconde
partie où l'on parle des sphères séparées de la foi et de la science.
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 535
accordé aux argumentations rationnelles en matière trinitaire;
mais, l'un des premiers parmi les docteurs orthodoxes du moyen
cage, il a montré, par son exemple, combien féconde pour la dé-
fense de la foi est l'application de la philosophie à la théologie.
Cela n'était pas d'un mince mérite à une époque où les hérésies
de Bérenger et de Roscelin, aussi bien que les anathèmes de saint
Pierre Damien, pesaient sur la méthode dialectique.
Mulhouse. Th. Heitz.
Note
L'aJlochirie des représentations du D"^ Janet.
DANS le numéro de mars 1908 du Journal de Psychologie nor-
male et patJiologiqne, le D^ Janet a publié un article sur
un cas assez rare de « renversement de l'Orientation ». A cer-
taines périodes de fatigue, une femme a constamment l'impres-
sion que tous les objets sont renversés de droite à gauche. Elle
les perçoit dans leurs rapports réels. Mais il lui semble, à ne
consulter que ses souvenirs, que ces rapports devraient être
exactement renversés.
L'inter}:trétation de c^ cas est extrêmement difficile. Janet essaie
successivement quatre hypothèses, auxquelles ]\I. Piéron, dans
une discussion soulevée à ce sujet à la « Société de psycholo-
gie », a ajouté une cinquième. Cette dernière a été écartée pour
le sujet en question; mais cette embarrassante richesse d'inter-
prétations montre à toute évidence que le phénomène reste mys-
térieux. Janet semble pencher vers une « allochirie des représen-
tations ». C'est ingénieux; mais malgré la haute autorité de son
auteur, l'hypothèse reste très problématique. Elle ne pourrait,
dans tou.^ les cas, qu'indiquer la raison dernière du renversement.
Immédiatement un problème ultérieur doit se poser. La base
anatomique et physiologique du phénomène nous échappe d'une
manière s: complète qu'il serait stérile de se livrer à des suppo-
sitions qui ne pourraient être que gratuites; mais ne pourrait-on
pas, dans la xie antérieure du sujet, recueillir des documents
psychologiques qui jetteraient quelque lumière sur la source pre-
mière de ce renversement. Celui-ci ne peut être, à mon sens, que
le dernier terme d'un processus dont les phases successives mé-
ritent toute notre attention, en raison de cette forme extrême
qui résiste aux efforts des théoriciens les plus sagaces.
Je ciY)is pouvoir contribuer, dans une mesure restreinte, à
la solution du problème, en rapportajit les faits que m'a livrés
NOTE 537
mon expérience personnelle. Je suis ici à la fois observateur et
sujet. Tous les psychologues savent ce que cette situation offre
d'avantages et d'inconvénients.
Dès mon enfance on a observé chez moi, — et j'observais à
ma confusion, — une tendance anormale à me servir de la main
gauche. Jamais je ne suis arrivé à jeter une balle de la main
droite. Je ne suis pas gaucher dans toute la force du terme; je
n'ai jamais songé à faire de la main gauche les opérations qu'on
m'a appris à faire de la main droite. Seules certaines actions
plus ou moins instinctives se réalisent mieux à gauche, bien
que j'en effectue beaucoup d'autres, non moins naturelles et
spontanées, à droite. Je me sers plus de la main gauche que mes
semblables, voilà tout ce que je puis constater.
Mais très tôt un second fait se fit jour. La facilité, avec laquelle
tout le monde distingue la droite de la gauche, fit l'objet de mon
étonnement et de mon admiration. Jusqu'à ce moment cette dis-
tinction n'a chez moi rien de spontané, rien d'instinctif. Lorsque,
dans une ville inconnue, on me dit de prendre une rue à droite
ou à gdache, il me faut une véiiîable réflexion, peat-être la re-
cherche d'une association stable, pour comprendre la portée de
ces indications. Si je suis mis en demeure d'indiquer moi-même
le chemin à un étranger, il me faut l'attention la plus soutenue
pour rendre ce service. La droite et la gauche sont très nettement
fixées dans mon imagination; mais jamais je ne suis parvenu à
associer à ces directions précises le mot correspondant.
Ces faits .semblent indiquer une certaine anomalie dans le
sens de l'orientation. Mais une conséquence assez bizarre mérite
de fixer l'attention. Jamais je n'ai eu la moindre tendance à
l'écriture en miroir proprement dite. Cependant par hasard j'ai
découvert que pour avoir appris à écrire comme tout le monde
de la main droite, je pouvais, sans effort, sans exercice préala-
ble, écrire de la main gauche « en miroir ». L'écriture, redres-
sée au moyen d'un miroir, est un peu plus maladroite, un peu
plus enfantine, mais elle est coulante et parfaitement lisible; et
j'ai eu beaucoup de peine à convaincre certains observateurs
que cette « adresse » n'avait pas été péniblement acquise. J'en
ai été trèd surpris moi-même.
Or, l'état psychologique correspondant à cette opération n'in-
dique rien qui fasse songer à un renversement des représentations.
Je ne pandens pas du tout à me représenter les lettres renver-
sées; et jo crois que cette image visuelle ne me servirait à rien.
o38 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Il me faut savoir ce que je dois écrire; j'en ai l'image auditive
et l'image motrice; et celle-ci se réalise presque indifféremment
dans le bras droit en écriture normale, ou dans le bras gauche
en écriture en miroir. Je suis incapable d'écrire de la main gau-
che en écriture normale.
Kous sommes donc en présence d'une véritable adresse ac-
quise par la main gauche, sans exercice préalable, en raison
d'une habileté acquise par la main droite. C'est là un fait émi-
nemment suggestif à plusieurs points de vue; mais qui en ce
moment nous mène au moins à cette conclusion : chez un sujet,
présentant une certaine tendance vers « l'action à gauche », il
se produit un renversement aJlochirique de la mjtri^ité sans ren-
versement de la représentation A-isuelle.
Voilà en quelque sorte les antécédents du phénomène. Il y a
quelques semaines, alors que je n'avais aucune connaissance de
l'observation du D^ Janet, je me rends dans une église où l'on
m'avait signalé des vitraux remarquables. J'étais extrêmement
fatigué, et je n'avais en vue qu'un délassement. L'œuvre était
trop compliquée, trop modern-style, pour se prêter à une analyse
superficielle. Ke voulant imposer à mon cerveau aucun nouveau
labeur, je renonce à examiner un travail d'une valeur réelle, et
sors de l'édifice. Ses abords me sont extrêmement familiers. Or,
au moment où je revenais à la pleine lumière du jour, j'eus l'im-
pression très angoissante du « renversé ». Je voyais la rue, les mai-
sons, les magasins, une grande banque, une autre église dans
leur position réelle; j'avais même une vague appréciation que les
choses devaient être ainsi; mais je m'attendais malgré cela à
trouver tout dans la disposition inverse. Je n'étais pas dans un
état bien favorable à l'introspection. Il se peut, — et un vague
souvenir semble confirmer cette supposition, — qu'aprè-s l'im-
pression première je me sois efforcé de me représenter les lieux
en « renversé » pour comprendre à quoi je m'attendais. Je pense
que ces efforts sont restés stériles et ont contribué à faire dispa-
raître l'illusion. Mes souvenirs sont vagues à ce sujet. Mais je
crois me rappeler nettement que ma représentation n'était point
renversée au moment même où le phénomène s'est produit. Com-
me je le constatais tantôt j'avais même une vague appréciation
que les lieux étaient disposés normalement.
A la suite de cette observation un point me parait établi. L'hy-
pothèse de Janet est parfaitement possible; mais je ne pense pas
que mou cas la vérifie : je crois pouvoir certifier que je n'ai ja-
NOTE 539
mais été sujet à une allochirie des représentations. — Inutile
d'ajouter que la théorie de Binet, — une erreur d'orientation de-
venue une idée fixe, — ne s'appliqiie pas davantage.
Si je n'avais à examiner que mon observation personnelle,
je serais fort tenté d'en donner l'interprétation suivante. Mon
expérience antérieure paraît indiquer que, la représentation res-
tant normale, la « motricité », pour un motif inconnu, a une
certaine tendance à se renverser. Peut-être la fatigue a pour effet
de provoquer instinctivement cette inversion. Spontanément j'au-
rais une tendance à ménager le « côté fatigué ». J'ai constaté
que, lorsque le phénomène s'est produit, j'étais dans un état de
fatigue extrême; et bien que cette fatigue fût surtout cérébrale,
il va sans dire qu'elle impliquait celle d'une foule d'énergies as-
sociées.
J'avais donc, à ce moment, une tendance sous-consciente d'agir
de « l'autre côté ». L'innervation se produit sous l'empire de
cette tendance ignorée, et aboutit à une action qui suppose un
renversement total de l'entourage. La disposition réelle des lieux
exige une activité contraire à celle qu'impose l'instinct. Celui-ci
« voudrait » que les lieux fussent renversés. De là à un juge-
ment, à une impression, à une illusion de renversement, il n'y
a pas une très grande distance psychique. — Le « renversement
de l'orientation » serait donc dû au renversement de la motricité,
sous l'influence de la fatigue, chez un sujet prédisposé.
Tout cela n'est évidemment que théorie et hypothèse; mais
il me semble que cette supposition, à base expérimentale évi-
demment trop étroite, pourrait servir de fil directeur dans l'obser-
vation méthodique du sujet. Il importe surtout de rechercher les
antécédents du phénomène; il faudrait constater si le sujet ne
présente pas des anomalies analogues à celles que je me suis
permis de constater.
Fr. M. P. DE MUNNYNCK,
Professeur à l'Université de Fiibourg (Suisse).
Bonn, avril 1908
Bulletin de Philosophie
VI
MORALE
Nous n'avons pas la prétention de rendre compte, dans ce Bulletin,
de tous les livres et articles relalifs aux questions morales qui
ont paru, en France et à l'étranger, depuis une année environ. Notre
but est uniquement de mettre les lecteurs de la Bévue au courant des
idées principales qui dominent tous les systèmes de morale à l'heure
actuelle, et de voir, parmi tant d'opinions divergentes, quelles sont
celles qui ont chance de survivre aux attaques dont elles sont l'objet, et
de rallier l'élite des suffrages. Après avoir traité des rapports de la
Morale el de la Science, nous dirons un mot de ïéducalion morale, et des
Traités principaux consacrés à cette question.
T. — La Morale et la Science.
La question des rapports de la morale et de la science est entrée dans
une phase nouvelle. Il n'est sans doute personne qui oserait soutenir
que la morale pût se passer absolument du concours de la science ;
mais autant certains sociologues ont mis naguère d'ardeur à démontrer
que la science seule est appelée à fonder la morale, autant d'autres
sociologues essayent aujourd'hui, à coups de dialectique et d'érudition,
de prouver le contraire. On peut même ajouter, sans aucune exagé-
ration, qu'à de très rares exceptions près, ils s'entendent tous sur ce
point, comme sur celui de savoir si la morale individuelle ne doit pas,
pour avoir son véritable sens, s'épanouir en morale sociale.
I. — La morale scientifique.
A en croire M. Durkheim, la morale scientifique, née d'hier, était appe-
lée à un grand avenir. Or, on a démontré depuis que cette morale, déjà
fort ancienne, était au surplus mort-née.
Dans la préface de la seconde édition des Bègles de la méthode socio-
logique, M. Durkheim affirmait notamment qu'au moment où parut son
ouvrage, «les idées courantes furent comme déconcertées » (1), ce qui
laissait clairement entendre qu'avant lui personne, parmi les socio-
1. Durkheim : Règles de la méthode sociologique; Paris, Alcan, 2c éd.,
p. IX.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 541
logues, n'avait eu Tidée d'une méthode sociologique aboutissani à la
créalion d'une morale scientifique. M. Simon Deploige, dans plusieurs
articles très nourris de la Revue Néo-Scolastique, sur le conflit de la
morale et de la sociologie, fui amené à s'occuper des idées de M. Dur-
kheim, et à se poser celle question : Quelle est — pour autant qu'on
puisse l'établir par les données contrôlables — l'origine des matériaux
entrés dans sa construction sociologique ? La réponse fut que les élé-
ments de son système sont en partie de provenance allemande (1). Là-
dessus, M. Durkheim s'émut, et écrivit au directeur de la Reçue Néo-
Scolastique (20 Octobre 1907) pour se plaindre qu'on l'eût accusé de
.«plagiat» et d'abus de confiance à l'égard de ses con)patriotes, alors
que personne, en France, ne s'était employé plus que lui à faire con-
naître les travaux allemands. A cette lettre, M. Deploige répondit qu'il
avait étudié l'œuvre et non l'ouvrier, qu'il s'était borné à déterminer
l'origine des idées amalgamées dans le système de M. Durkiieim, sans
suspecter les intentions, ni mettre en doute la probité de l'écrivain;
qu'en dépit des protestations et rectifications de l'auteur des Règles de
la Méthode sociologique, il maintenait ses conclusions. Nous n'avons pas
à entrer dans les détails de cette polémique, mais nous sommes obligés
de constater que M. Durkheim n'a réfuté aucun des arguments apportés
par M. Deploige, et qu'il demeure établi que la conception d'une socio-
logie à base exclusivement scientifique, d'une morale-science, quoi qu'en
dise M. Durkheim, ne date pas de lui. « Les influences contrôlables que
» M. Durkheim a subies sont, par ordre de date, d'abord celle de
» M Espinas,dont les travaux parurent en 1875, 1878 et 188"2,et celle de
» Schaeffle, dont M. Durkheim résuma le Bau und Lehen, dans la Revue
» Philosophique de janvier 1885 ; puis celle de M. Wagner et de
•> M. SchmoUer, qu'il étudia en 1887 dans la même Revue Philoso-
» phique » (2).
D'ailleurs, que la morale scientifique soit éclose dans des cerveaux
allemands ou dans celui de M. Durkheim, c'est une morale mort-née,
déclare catégoriquement M. Bayet (3). Car il n'y a rien de plus anti-
scientifique que le concept d'une morale scientifique, autrement dit d'une
morale qui prendrait uniquement la science pour base. « L'effort du
» savant, sur quelque point de la réalité qu'il se porte, est d'ordre théo-
» rique et non normatif. Ce qu'il cherche, ce n'est pas une raison d'agir,
» un but, un précepte, c'est la loi des phénomènes, l'ordre de leur suc-
» cession » (p. 10). Demander à la science un impératif quelconque,
c'est lui demander ce qu'elle ne saurait nous donner, sans cesser d'être
la science (p. 27). Il est vain d'imaginer que la sociologie nous donnera
un jour une morale. Plus elle s'étendra, plus elle nous fera connaître
les faits sociaux et leurs rapports ; jamais elle ne nous dira : fais ceci
ou fais cela. Le jour oîi elle nous le dirait, elle aurait cessé d'être une
science (p. 1 1 ).
1. Bévue néo-scolasiique ; août 1907; cf. ihid., nos de novembre 1905;
février, mai, août 1906.
2. Bévue néo-scolastique; novembre 1907.
3. Bayet A. L'Idée de Bien, Paris, Alcan, 1908; in-8o, 233 p.
o42 REVUS DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Mais si Tintroduction de l'esprit scientifique en morale ne doit pas
nous permettre d'aboutir, par la science positive, à la morale vraie,
quelles en sont donc les conséquences, et quel en est l'intérêt?
a). La science et Vart moral rationnel. — Il faut, en morale comme
ailleurs, répond M. Bayet, distinguer avec soin le point de rue théorique
et le point de vue pratique, l'étude de la réalité et l'action sur la réalité.
la science et l'art. A la science il appartient d'étudier les faits moraux
en les considérant comme des choses, et d'en découvrir les lois. A l'art
il appartient d'utiliser la connaissance des lois morales pour modifier la
réalité. L'art ne peut donner de résultats utiles que s'il est armé par la
science. Mais la science ne peut grandir que si elle se désintéresse des
considérations pratiques, si elle s'abstient avec soin d'usurper le rôle de
l'art.
A son point de départ, le système de M. Bayet ne diffère pas sensible-
ment de celui de M. Durkheim, repris et amendé par M. Lévy-Bruhl. Ce
dernier surtout s'était appliqué à montrer que la Science des Mœurs n'a
pas à répondre, comme science, à nos besoins pratiques ; que sa fonc-
tion se limite à connaître les faits avec le plus de précision possible, et
à en rechercher les lois ; que l'art rationnel seul, fondé sur la science
des mœurs, a pour mission de diriger notre action. Mais le tort de
M. Lévy-Biuhl, aux yeux de M. Bayet — comme d'ailleurs celui de
M. Durkheim. — a été de croire qu'entre la science des mœurs et l'art
moral rationnel, il n'y a pas place pour un intermédiaire ; que plus la
« nature sociale » nous sera révélée par la science, plus l'art rationnel
s'en rendra maître pour la modifier (1). Sans doute, réplique M. Bayet,
l'office propre de l'art moral est de modifier la réalité ; mais en atten-
dant que la science en découvre les lois, et même lorsqu'elle les aura
toutes découvertes, au nom de quoi l'art moral y introduira-t-il ses
modifications? Si l'on veut que l'art moral améliore un état donné des
idées et des mœurs, n'est-il pas indispensable qu'il soit dirigé, dans ses
interventions, par une idée du bien, du mieux, du mal ? Nous voici au
point central de la thèse de M. Bayet. 1° L'existence d'un art moral,
rationnel ou non, suppose l'existence d'une idée de bien, qui peut
d'ailleurs être multiple, diverse et contradictoire. Cette idée n'est pas
nécessairement claire et définie pour les praticiens qui s'en inspirent :
mais, en fait, elle les anime, car si rien ne les poussait à l'action, ils
n'agiraient pas. 2° La science ne peut pas nous donner, pour diriger
l'art moral rationnel, des principes d'action scientifiques. Les lui
demander serait faire renaître la confusion des points de vue théorique
et normatif. 3° Mais pourquoi demander à la science ce que nous avons
déjà? Sous des formes nombreuses et diverses, l'idée de bien existe en
chaque société. Cesi un fait. La science peut l'étudier, non le suppri-
mer, ou le condamner. L'art moral rationnel sera donc, en fait, animé
par l'idée de Bien qui l'entoure, et dont la réalité s'impose au praticien,
il n'en sera pas moins rationnel, car la rationalité dans l'art tient à
l'emploi de moyens donnés, mais non pas au choix de tel ou tel prin-
1. Lévy-Bruhl : La Morale et la Science des Mœurs, Paris. Alcan, 1907;
ch. HT, § 1, sqq.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE oi',\
cipe. i" Ae bien est, en chaque pays, à chaque instant, ce que les cons-
ciences collectives jugent, implicitement ou explicitement, être bon. Ces
jugements des consciences collectives ne valent jamais que pour un
lem|)S. Les idées de bien qu'ils déterminent, pareilles à des êtres vivants,
naissent, grandissent, vieillissent, et meurent. 5'' La diversité des prin-
cipes pratiques, qui est de nature à compromettre, non la rationalité de
Tart, mais la rapidité de ses progrès, sera atténuée, ou du moins pourra
l'être, par l'influence de la science et de l'esprit scientifique. La science
ne peut, directement ni indirectement, suggérer aux praticiens des
principes normatifs. Mais, chargée d'étudier ces principes comme des
choses, elle en peut prévoir le destin.
Il serait difficile, croyons-nous, de pousser plus loin la « relativité »
dç la morale. A cette question posée au début de son ouvrage : quels
pourront être, quels seront, en fait, les principes de l'art moral ration-
nel, M. Bayet répond : ces j)rincipes seront, à chaque instant, les
principes réels. S'ils sont divers et contradictoires. Fart sera divers et
contradictoire. La science ne peut, pour réaliser l'unité, élire ou imagi-
ner un principe scientifique.
On peut savoir gré à M. Bayet d'avoir péremptoirement démontré
l'impuissance totale de la science à fonder la morale, mais, à cela près,
je ne vois pas que l'auteur ait démontré quoi que ce soit dans son
ouvrage. Il affirme que le bien est, en chaque pays, à chaque instant,
ce que les consciences collectives jugent, implicitement ou explicitement,
être bon. Mais une pareille affirmalion ne se passe point de preuves.
Qu'est-ce qui fait la « collectivité » de ces consciences dont parle
M. Bayet ? Le nombre sans doute? Alors nous voici revenus à la loi du
plus fort. Et si c'est la qualité elle-même de l'idée de bien qui donne sa
valeur morale au jugement de la conscience collective, c'est donc qu'il
y a une autre norme du jugement de valeur que la collectivité elle-
même ? M. Bayet croit se tirer d'affaire en disant que cette façon d'en-
visager le bien est un fait, et qu'on n'a qu'à s'incliner devant un fait.
Sans doute, mais il peut y avoir d'autres façons de l'interpréter, et d'en
tirer des conséquences.
b). La science et la morale de Vintérèt social. ■ — Dans ses Etudes de
Morale Positive (1) que nous avons analysées ici même, l'an dernier,
M. Belot admet lui aussi que la science est incapable de fonder la
morale; il admet en outre que la morale s'applique à la réalité présente,
et qu'étant donné les fins actuelles qui s'imposent à l'activité
humaine, elle a à déterminer les moyens les meilleurs de les réaliser.
Mais il ne conclut pas pour autant à la relativité absolue de la morale,
comme le fait M. Bayet. Voici, d'après M. Cantecor, quelle est la carac-
téristique du système présenté par M. Belot (2). Au-dessus des fins
particulières qui momentanément s'imposent à une portion de l'huma-
nité, il existe une fin qui les domine et les explique toutes, et s'impose à
l'humanité entière : faire exister la société. Pour le prouver, en un
temps oîi tout doit se faire objectivement, scientifiquement, il suffit
1. Paris, ALcaii, 1907; 1 vol., in-8° VII-524 p.
2. Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1908.
344 HEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
den appeler à la science. C'est par une induction fondée sur les données-
de l'histoire et de l'ethnologie, que l'on établira que la considération de
l'utilité sociale a toujours été le principe des jugements moraux de
l'humanité. Ainsi la morale sera fondée, car elle se constate, et ne se
construit pas.
Ce système de M. Belot a séduit M. Parodi, qui écrit dans la Revue
Philosophique (1 1 : u La conception de la morale qui nous est ici pro-
» posée est ferme et compréhensive ; elle a le grand mérite de ne pas
» masquer, par esprit de système, la complexité de la question et de
« tenir compte de tous ses aspects; elle aboutit à une synthèse vigoureuse
» à force de modération et d'une originalité discrète, mais très réelle et
« très profonde, dans son apparent éclectisme. « M. Cantecor n'y veut
voir au contraire qu'un rajeunissement du vieil utilitarisme, dont la
formule et la méthode seules auraient été mises au goût du jour.
D'après lui, M. Belot s'est visiblement préoccupé de limiter le rôle du
rationalisme en morale ; il exécute en quelques phrases dédaigneuses
les morales de pure raison comme l'Onlologisme ou la Critique : et il
leur oppose triomphalement une méthode plus moderne, plus scienti-
fique, plus objective, et vraiment positive. Mais cette méthode soi-disant
scientifique n'a pas permis à M. Belot de constituer une morale plus
solide que celle des métaphysiciens. Au contraire, la superstition de
l'objectivité et de la science l'a empêché de déterminer les conditions
d'une vraie morale avec une suffisante netteté, et d'en poser les principes
avec une suffisante certitude. Le rationalisme en est justifié pour autant,
et c'est de quoi M. Cantecor a l'air de se réjouir fort (2).
Un autre aspect de Vutililarisme social nous est présenté par M. Has-
TiNGS Rasudall daus sa Théorie du Bien et du Mal (3j, celui-là même
que M. Landry a essayé de mettre en valeur, dans ses Principes de
morale rationnelle (4), par la conciliation du formalisme de Kant et de
l'utilitarisme empirique. M. Hastings Rashdall reprend pour son
compte, en la justifiant, cette assertion de Kant, suivant laquelle « l'ap-
» probation morale est un jugement de l'intelligence, et non pas un
» sentiment. » D'autre part, il admet que le sentiment et l'émotion
jouent un certain rôle dans la formation des jugements moraux. Le tort
de l'Hédonisme consiste à prétendre que le sentiment, l'émotion, le
plaisir, sont les motifs déterminants de ces jugements, comme celui du
formalisme est de soutenir qu'ils n'y ont aucune part. D'après l'auteur
le jugement moral — qui est un jugement de valeur — est un acte de
l'intelligence pratique. L'intelligence lui donne une universalité et une
objectivité que les simples émotions seraient impuissantes à lui com-
muniquer. Mais il reste vrai que le sentiment se retrouve toujours à la
racine du jugement moral.
Après avoir ainsi délimité les champs respectifs de la raison et du
1. Revue Philosophique, octobre 1907.
2. Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1908, p. 79.
3. Hastings Rashdall. The theory of Good and Evil; Oxfoord, Clarendon
Fress, 1907; 2 vol. in-8o, XX-312 et XV-464 pp.
4. Paris, Alcan, 1906, 1 vol. ill-8^ X-278 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 545
sentiment, l'auteur propose sa théorie du critère moral, qu'il qualifie
« d'utilitarisme idéaliste », utilitarisme, puisque nous n'apprécions nos
actes qu'en raison de leur tendance à promouvoir le bonheur humain ;
idéaliste, si ce bonheur nous est donné par des jugements de valeur
rationnels faits sur tous les éléments de notre expérience actuelle.
Dans le second livre de son ouvrage, M. Hastings Rashdall étudie les
rapports réciproques de V individu et de la société. II rejette la conception
hédoniste des fins morales : le plaisir est un bien, mais n'est pas le bien.
La conscience morale affirme que certains biens sont intrinsèquement
supérieurs à d'autres en valeur morale. Le plus haut bien est la vertu.
Toute vertu consiste finalement à promouvoir le bien social. Mais cela
ne doit pas se faire aux dépens de l'individu. Au contraire r autonomie
individuelle (Self-realization), V individualité morale., est la meilleure
garantie du bonheur social (Gonjunct-self).
Le livre troisième est consacré à « la métaphysique de la moralité » ;
aux rapports de la Religion et de la Morale, aux questions du Libre
Arbitre, de l'Évolution, de la Casuistique. La Morale, en tant que système,
suppose un certain nombre de postulats métaphysiques. Une religion
supra-morale (telle que la soutiennent Bradley, Hartmann, Taylor) est
inadmissible. Mais si l'on réduit en un sens la religion et la moralité,
c'est que l'on élargit le concept de la vie morale de manière à y com-
prendre toute l'expérience consciente, intellectuelle et esthétique, aussi
bien que morale. En ce qui regarde le problème du Libre Arbitre,
M. Rashdall estime que r indéterminisme est en contradiction avec le sens
commun. D'autre part, il critique longuement les thèses spencériennes
sur l'évolution morale, telles que la formation de l'idée du devoir, la
constitution héréditaire des intuitions morales, le critère scientifique de
la conduite, r individualisme. D'une façon générale, il estime que
l'histoire des origines ne peut fournir une explication suffisante de la
moralité actuelle.
C'est encore la doctrine de l'intérêt social que défend M. Carrel lors-
qu'il nous présente le perfectionnement de la race, comme le seul but
capable de donner à la sociologie sa valeur morale (1). S^ns ce but, la
sociologie se réduit à une simple statistique. Aussi bien serait-il oppor-
tun de diviser la sociologie en deux sections, dont la première (Moral
Sociology) embrasserait toutes les études relatives aux coutumes qui
sont de nature à améliorer la race humaine, et la seconde (Statistical
Sociology) le reste. Cette dernière section, très délimitée, constituerait
à proprement parler la sociologie.
M. R. KiDD, dans un article de la Rivista di Scienza (2), ne se propose
pas, comme M. Carrel, d'opposer la sociologie à la morale sociologique,
mais d'en analyser les deux lois principales. Voici l'énoncé de la pre-
mière : Les qualités que développe premièrement, chez l'individu, le
processus social, ne sont pas d'ordre individuel, mais social. En vertu
1. F. C.^.RREL. — Has Sociology a Moral basis? Internat. Journal of
Ethics, Jxdy 1907.
2. B. KiDD. — The two principal laws of sociology. Bivista di Scienza
I, 4.
2= Année. — Revue des Sciences. — No 3. ,-
546 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de ce processus, ce n'est pas l'individu, comme tel, mais bien la société
qui est perfectionnée dans sa lutte pour un état organique plus parfait.
Comme on le voit, la grande préoccupation des sociologues à l'heure
actuelle est de délimiter la part qui doit revenir à la science et à la
morale dans la constitution de la sociologie. De Vaveu de tous la science
est impuissante à fonder la morale. Mais où trouver le principe d'action
qui permettra aux sociologues de diriger le progrès social dans un sens
plutôt que dans un autre? Nous n'avons pas à nous préoccuper de
cette question, répond M. Bayet. L'idée de bien est un fait qui, même à
leur insu, inspire les praticiens dans leur marche en avant. Tâchons
seulement de le saisir, de le comprendre, et, à l'aide de la science, de
prévoir son destin. C'est proprement en quoi consiste Vart moral ration-
nel. M. Belot n'est point de cet avis. Selon lui le principe d'action existe,
mais il n'est pas multiple, divers, contradictoire, comme l'aflirme
M. Bayet. Il se nuance sans doute à Finfini dans ses manifestations
extérieures, mais depuis toujours il est resté le même dans son fond.
C'est le principe de l'intérêt social.
c) La Science et la Morale de la Solidarité. M. Bouglé, après M. Belot,
nous en donne une troisième formule : le Solidarisme (l). Au fait,
M. Bouglé se présente à nous comme le philosophe officiel de la Solida-
rité. Il y consacre trois ouvrages, dont le dernier surtout nous intéresse.
Dans les Idées égalitaires, il constate comme un fait la tendance actuelle
à l'égalitarisme, mais en se défendant de le justifier : « Nous avons
» prouvé que l'idée de l'égalité résulte logiquement des transformations
» réelles de nos sociétés; ce n'est pas prouver du même coup qu'elle doit
» moralement les commander.Après tout, il se peut que toute une civili-
» sation erre et fasse fausse route. » (2) Cependant, après avoir présenté
comme un fait les idées d'égalité et de solidarité, il restait à montrer
qu'elles s'imposent comme un fait,\inefin, un idéal, La démocratie devant
la science (3) fut écrit par M. Bouglé à cette intention. Voici comment
M. Gaston Richard, dans la lievue Philosophique, jugeait ce livre : « En
» l'écrivant, M. Bouglé n'a pas seulement donné à ses Idées égalitaires
» un complément indispensable, il a fait une œuvre excellente et oppor-
» lune, moins en brisant les armes débiles empruntées par l'opposition
» néo-monarchique à une anthropologie mal comprise, qu'en mettant la
» démocratie sociale en garde contre son culte du naturalisme, et sa
» prétention de fonder l'éducation publique sur une morale exclusive-
» ment scientifique. »(4) La conclusion de M. Bouglé était que la science
ne peut rien, ni pour, ni contre la doctrine solidarisle ; que cette morale
repose sur des bases supra-scienti fiques. Mais encore fallait-il nous dire
quelles sont ces bases, et si la science, qui n'en est pas une, n'a cepen-
dant rien à voir avec elles ? Le Solidarisme fut la réponse à cette
double question. M. Bouglé y soutient en propres termes que la morale
solidariste est fondée sur un critérium subjectif, à savoir le sentiment
1. C. B. Bouglé : Le Solidarisme, Paris, Giard et Brière, 1907.
2. J liées égalitaires, Paris, Alcan; p. 247.
3. Paris, Alcan.
4. Revue Philosopliiqiie, décembre 1906, p. 658.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 547
de la justice, et que la science ne sert qu'à accroître ce sentiment, au
nom duquel l'homme choisit entre les exemples que lui donne la nature.
La morale solidariste est une doctrine de progrès social, tendant à
l'avènement le plus complet possible du règne de l'égalité, grâce à la
coopération favorisée par l'intervention de l'État. Cette intervention de
l'État ne doit pas nous surprendre, car l'État n'est que la résultante des
volontés individuelles, repose sur un contrat tacite, ne subsiste à
chaque moment, d'une façon légitime, que s'il peut se réclamer du
« oui » plébiscitaire de tous ses adhérents. C'est l'effort coopératif des
individus, plus etTicace que la lutte des classes, qui amènera l'État à
intervenir et à inscrire dans ses codes des lois en faveur des déshérités,
à élargir la justice, à reconnaître et à sanctionner des droits jusque-là
ignorés.
Cette théorie du quasi-contrat est exposée et critiquée par M. Duprat
dans une étude consacrée k Va Solidarilé sociale (1). L'ouvrage est divi<^é
en trois parties, doutla seconde, qui traite de l'évolution de la solida-
rité, est de beaucoup la plus originale. Après avoir établi que la cohé-
sion « grégaire et oppressive » est la forme primitive de la solidarité C^),
l'auteur s'attache à démontrer que la société marche de plus en plus
vers une solidarité qui développe, au lieu de les restreindre, la responsa-
bilité et la liberté individuelle (3). L'association primitive « omni-fonc-
tionnelle » fait place à des associations hétérogènes «uni-fonctionnelles»
qui sont reliées entre elles par le lien le plus fort : la libre et vivante
volonté de leurs membres communs. Ainsi l'évolution de la solidarité
va dans le sens de la liberté, et la solidarité sociale, loin d'en être affai-
blie, s'en trouve au contraire fortifiée. Ceci posé, M. Duprat réprouve le
communisme et le collectivisme, s'élève contre la tyrannie des syndi-
cats, signale le danger des trusts, et demande à l'État d'organiser l'édu-
cation sociale de la volonté. La solidarité sociale deviendra morale par
«l'œuvre des volontés fortes»; elle sera «la coopération des êtres
libres en vue d'une harmonie toujours plus grande des bonnes volon-
tés » (4).
Nous voici donc en présence d'une théorie franchement personnaliste
de la solidarité, c'est-à-dire que nous voici loin de la sociologie
«impersonnelle» de M. Durkheim, et de la morale scientifique. Cette
courbe rentrante dessinée par certains sociologues vers une morale qui
de plus en plus cesse d'être une simple « physique des mœurs » pour
devenir « la morale », au sens traditionnel, était à signaler ; d'autant
que la plupart d'entre eux se posent en ennemis irréductibles de la
morale traditionnelle. En soutenant que la « morale sociale », en tant
que morale, ne saurait avoir la science pour fondement, et, en tant que
sociale, doit tenir compte de la responsabilité et de la liberté indivi-
duelle, malgré eux, ils préparent la voie à une morale psychologique, et,
1. Duprat G. L. La Solidarité sociale; Bibliothèque de Sociologie, Paxis,
Doin, 1907; 1 voL ia-18 de XIV-357 p.
2. Ibid., V'' Partie; Cf. cli. III; Lutte et Solidarité.
3. Ibid., 2<- partie; cf. p. 101, sqq.
4. Jbid., 3' pai-t., cf. IV, V et VI.
548 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
par elle, à une morale métaphysique (1), qui ne cesseront pas pour cela
d'être scientifiques.
2. — Morale psychologique
.Nous donnons le nom de « morale psychologique » à toute théorie
qui tend à donner à la morale des bases psychologiques, et exprime
une heureuse réaction contre les morales positivistes, d'après lesquelles
la seule méthode scientifique permettant de trouver les règles et les
conditions normales de la vie intérieure consisterait à n'accorder de
valeur expérimentale qu'aux constatations objectives de la physiologie,
de la sociologie, et de l'histoire, et à reléguer dans l'ombre le sentiment
et la pensée individuels.
a) Morale des idées- foi ces (2). Selon M. Fouillée, le point de départ
de la morale est avant tout « une analyse radicale de l'expérience inté-
rieure et de l'idée même de moralité, « oîi la conscience s'exprime. »
Je n'ignore pas que M. Fouillée veut se placer tour à tour « au triple
point de vue delà biologie, de la psychologie et de la cosmologie, dont
«la synthèse est l'objet d'une morale des idées-forces», mais son point
de départ tout psychologique n'en reste pas moins le trait caractéris-
tique de sa morale. Pareillement il tient à maintenir la valeur scienti-
fique d'une morale digne de ce nom — de la sienne par conséquent —
mais il élargit à son usage le concept de science, et fait appel à l'idée
mère de toute sa philosophie, à la théorie des idées-forces.
L'ouvrage de M. Fouillée, qui n'est au fond qu'une systématisation
d'idées antérieures déjà connues, se divise en deux parties. La première
est consacrée à l'analyse des éléments intellectuels de la moralité ; la
seconde a trait à ses éléments sensitifs et volitifs. Tour à tour
M. Fouillée réfute ses adversaires, et expose sa propre doctrine. Nous ne
nous arrêterons pas à sa réfutation, recommencée avec une force nou-
velle, de l'empirisme radical des morales sociologiques, et du forma-
lisme de la morale kantienne. L'exposé de la morale des idées-forces
nous importe davantage. IS'i empirisme rétréci aboutissant à l'amora-
lisme, ni rationalisme ontologique et transcendant se perdant dans les
nuages de l'idéologie métaphysique ; mais une morale fondée scientifi-
quement sur la nature originale de la pensée, analysée dans son con-
1. Ou pouiTa Lire dans la Revue Philosophique (Jau\ier et février 1908)
deux TcmarqTiables articles de M. F. Paulhax intitulés : La contradiction de
l'homme. L'auteur y met en relief l'esixjce d'opposition que l'on constate
entre la morale sociale et la morale individuelle. Naturellement la morale
sociale s'oppose à la morale Lndi^-iduelle, et s'accorde en même temps avec elle,
comme la \iG de l'individu et la vie de la société ! C'est de cette situation trou-
blée et de ce mélange d'accords et d'oppositions que naît toute notre
morale. L'instinct social use de tous les moyens pour séduire et dompter
l'instinct individuel. De là la théorie du devoir, qui prend l'apparence de l'au-
torité, précisémeait parce qu'U n'a pas de raison assez forte pour se faire
légitimement obéii.
2. Fouillée A. Morale des Idée.<i- forces, F;ix;s, Alcan, 1908; 1 vol., in-8°,
LXiV-391 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 549
tenu intégral, sur les idées qui sont des faits, elles aussi, et qui se
réalisent par leur efficacité propre, voilà à quoi se ramène essentielle-
ment la Morale des idées- forces.
L'idée-force est une idée qui tend à se réaliser ;de ce point de vue, la
morale sera possible, réelle et efficace, pourvu seulement que l'idée en
existe dans la conscience : « Son idée est précisément ce qui la cons-
» titue ; elle est une conception qui se réalise et non une réalité qui se
» verrait toute faite (1) ». Négatrice de toute transcendance, elle se
posera comme une force immanente, positive, scientifique. «Toute ligne
» nettement arrêtée dans la conscience devient une direction possible
» dans l'action (2) » : la volonté d'être respecté rend respectable ; Tidée
du droit crée le droit.
L'idée-force de moralité présente des éléments spécifiques qui per-
mettent de la définir. Elle implique le désintéressement, étant objective.
En effet, tout acte de pensée, d'attention, est un oubli provisoire du moi
en vue de l'objet. « Au cœur même delà conscience doit être établi
» l'altruisme intellectuel, germe de l'altruisme volontaire. «En fin de
compte, la morale peut se définir « le désintéressement en vue de tous
» et de tout, le désintéressement en vue de l'universel. » « Un des plus
» intimes fondements de la moralité, c'est précisément cette disposition
» scientifique et philosophique qui caractérise l'homme : sens de l'u-
» nité, aspiration à la synthèse totale... dans la société comme en soi-
» même, l'homme conçoit et veut l'unité. Il est impossible de ne pas
» vouloir exister et vivre universellement. Cette vie, commencée par
» l'intelligence, tend, sous la loi des idées-forces, à s'achever dans le
» sentiment et la volonté réfléchie (3) ».
La morale des idées-forces enveloppe, en les dépassant, et la morale
du plaisir, et la morale de l'amour. La froide raison et le cœur irrai-
sonnable ne peuvent, chacun à part, fonder une théorie de la conduite :
il faut qu'ils trouvent leur unité, et alors est accomplie la grande syn-
thèse morale oïli « les termes valent parleur union même, constitutive
» du réel (4) ». La morale des idées-forces relègue au second plan l'idée
d'obligation. A Yimpératif catégorique^ il convient de substituer le
suprême persuasif. La moralité ne nous commande plus, elle nous attire,
et c'est pour cela qu'il importe de « dégager l'idée-force de bonté et de
» l'élever au-dessus de toutes les autres. » « Je dois signifie au fond :
» je veux ; je veux l'univers idéal que je pense ; je le veux sans con-
» dition et sans restriction tant que je le considère en soi, parce qu'il
» est la suprême satisfaction, et de ma volonté intelligente, et de toute
» volonté intelligente ; bien plus, je dois signifie encore je veux devoir,
» j'accepte le devoir parce que cela est plus conforme à l'idéal suprême
» de ma volonté, de mon intelligence, de ma sensibilité (5) ». « La
» morale du désintéressement n'a pas encore été soutenue en sa
1. Morale des Idées-forces, p. XIV sqq,
2. Ihld., p. 79.
3. Ibid., p. 186.
4. Morale des Idées-forces, p. 242 sqq., 265.
5. Ibid., p. 366, p. 191.
550 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
») plénitude : elle doit l'être. La morale la plus élevée... est la morale de
» la liberté (1) ».
En posant sa construction morale sur le sol de la psychologie, M.
A, Fouillée a sagement réagi contre les « physiciens » de la morale.
Mais que la psychologie, qui constate des idées comme la physique
constate des phénomènes matériels, se suffise à elle-même, qu'elle n'ait
pas besoin de se prolonger dans la métaphysique pour trouver au
devoir ses véritables assises, c'est de quoi il est permis de douter. La
fragilité du système de M. Fouillée lui vient précisément de ses pré-
ventions et de ses dédains à l'endroit de la métaphysique. Il est vrai,
les idées-forces de moralité se présentent à nous comme des faits, que
l'auteur analyse et décrit avec complaisance. Mais rien n'en justifie la
valeur morale absolue. « Je ne sais pas, écrit M. Fouillée, si, en défini-
» tive, le dévouement et l'amour sont supérieurs en fait à l'égoïsme,
» car je ne sais pas si, dans le monde réel, l'amour n'est pas finalement
» dupe de soi (2) ». Alors, au nom de quoi préférer la morale du « dé-
sintéressement » à la morale de « l'intérêt » ? Au nom d'un préjugé
peut-être ? Du moins, M. Fouillée n'a pas prouvé que ce fût au nom d'un
principe qui s'imposât à l'activité de tous, et sa morale s'en trouve
ébranlée.
h } Éthique naturaliste . —Dans son ouvrage sur Le Fondement du
Droit et de la Morale (3), M. J. Lagorgette fait sienne la thèse de
M. Fouillée sur les idées-forces. Le chapitre premier est consacré à
Vexamen des doctrines du droit ; le second traite de la constitution d'un
système du droit. L'auteur nous déclare que la constitution d'un sys-
tème du droit dépend de la détermination d'un fondement du droit et
du devoir. Ce fondement idéal est à la fois subjectif e[ objectif : suh-
jectif, car il ne s'agit pas de le déterminer a priori et mélaphysique-
meut ; objectif, parce que la valeur égoïste n'exclut nullement, mais
implique les relations pareilles aux autres moi, individuels et collectifs.
« Persuasif ou impératif, l'idéal est une force qui commande, l'obéis-
» sance. » Son efficacité est en raison de son universalité. Mais quelle
est sa valeur morale ? Dénier au monde une valeur absolue, ou une
valeur quelconque, déclare M. Lagorgette, ce n'est pas renoncer à
donnera l'idéal humain un contenu positif. Nous n'avons pas à déter-
miner scientifiquement le èut uoî</i< par l'évolution, mais celui où elle
tend. Or ce but n'est autre que V épanouissement de la vie. Le critère
d'un idéal se mesure à son degré de vitalité. « Le droit, le devoir, ce
» n'est ni la force, ni l'intérêt, mais plutôt leur organisation idéale par
» l'égalité de liberté. Leur source se trouve dans la conscience, mais
» celle-ci n'a point la portée traditionnelle : l'intuition est conditionnée
» et contrôlée par l'expérience, et ses données, sur lesquelles opère le
» raisonnement, se développent selon l'histoire. La grande loi, qui
» n'est point « naturelle »> ni réaliste, c'est celle de l'évolution de la vie
» aussi bien sociale qu'individuelle. Et ainsi, partie du moi, notre con-
1. Ihid., p. 368.
2. La Morale des Idées-forces, p. 101-102; p. 198199.
3. Paris, Giard et Brière, 1907, 1 vol. in-8'J, 300 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 551
)) ception s'achève dans le tout. » « Conformons-nous donc aux exi-
» gences de la vie, suprême puissance motrice de notre activité. On ne
» saurait méconnaître, parmi elles, l'aspiration de riiommç vers le
» bien-être. L'idéal qu'on fonde sur cette base est plus solide que le
» « souverain bien . » Il est plus humain : au lieu d'un absolu stérile, il
» propose uneconduite appropriée au temps et au milieu. Mais il y a
» lieu de corriger ce que tout calcul a d'étroit, de mesquin, par des sen-
» timents altruistes qui n'en constituent pas la négation, et ne sont pas
» moins réels (1) ».
M. Lagorgelte éprouve le besoin, en terminant, de se défendre d'a-
voir contribué à saper les idées de droit et de devoir. Il se flatte au
contraire d'avoir travaillé à les régénérer, en montrant leur fonction
utile. Nous ne sommes pas de son avis. Nous croyons qu'en dépit de ses
intentions, une « éthique naturaliste » peut se ramener facilement à un
« utilitarisme étroit et matériel » qui « supprime ou abaisse l'idéal »,
le cas échéant. L'éclectisme de M. Lagorgette lui donne des illusions.
Il est difficile de conserver aux mots « idéal », « droit et devoir »,
« obligation morale », une valeur en soi, et une portée universelle,
lorsqu'on les a vidés au préalable de leur contenu inétaphi/sique, pour
ne leur reconnaître qu'un contenu positif, essentiellement variable (2).
3. — Morale Métaphysique et Religieuse
Avec M. Aars, la métaphysique reprend ses droits en morale. Il l'entend,
il est vrai, à sa façon ; mais sa façon de l'entendre ne laisse pas d'être
suggestive. Le but que s'estproposéM. Aars est d'étudier la genèse psycho-
logique des sentiments moraux. Cependant il dépasse ce but en essayant
de construire une Éthique de toutes pièces. D'après lui, la morale n'est
pas indépendante de la métaphysique, mais cela ne signifie nullement
qu'elle repose sur des postulats métaphysiques, ni qu'elle dépende de
telle ou telle métaphysique. « Elle est elle-même une métaphysique ».
Elle afllrme « qu'il y a une beauté et une laideur objectives de la volonté »;
elle proclame la valeur du devoir. Elle n'est pas une science, car elle
prime la science. « Mieux vaut se tromper avec la morale que d'avoir
raison sans elle ». La conscience morale nous donne « le droit d'imposer
nos fins morales à l'évolution (3) ».
M. A. Leclère ne parle pas autrement lorsqu'il affirme, dans son
1. Ouv. cité., conicliisiioii, p. 292, 298.
2. Dans son ouvrage II problcma del Bene (Toriiio, Clauseu, 1907, 1 vol.
in-8", XVI-246 pp.), qui est le premier d'une série annoncée, M. ïrivero sou-
tient nne thèse sur M Idéal moral qui se rapproche assez de cetle-ci. L'auteur
cherche à déterminer l'objet de la science morale, qu'il appelle le Bien.
C'est le concept de besoin qui lui sert à déterminer cehii de bien. Or, /il
semble résumer toute sa théorie des besoinLS dans cette formule : « La vie
veut vivre, et vivre une vie toujours plus intense, plus profonde, plus cons-
ciente et plus parfaite. »
3. Kristian B. II. Aars : Gut iind Base, Zur Psijcholorjie dcr Moral-
Gcfîihle, Clrri'stiania, Uybwad, 1907, 1 vol. gr. in-S» de 290 p.
552 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ouvrage sur La Morale rationnelle (1), que « la Métamorale, mais c'est
» la Métaphysique, c'est tout ce qui, de celte dernière, se rapporte direc-
» tement ou indirectement à la Morale ! » Et il ajoute : « Nous avons
» même pu fondre l'idée initiale de toute la Morale, celle du Bien, dans
» l'idée de l'Être, finalement dans l'idée de Dieu. C'est là le triomphe
» de la Métamorale ; il n'en est pas de plus éclatant, pour elle, que
» de constater qu'elle n'est rien en soi, qu'elle est... la Métaphysique
» même. Otez de la Morale, la Psychologie, et surtout la Critique et la
» Métaphysique, il n'en reste absolument rien (2) ».
Pour bien saisir toute l'importance de cette dernière affirmation de
l'auteur, il faut savoir qu'il étudie Va Morale rationnelle dans ses relations
avec la Philosophie générale, et qu'il met au service de sa thèse les
ressources de l'histoire, de la psychologie, de la critique, et de la Méta-
physique. Nous ne pouvons songer à le suivre dans ses analyses et ses
déductions, dont on ne peut contester la finesse et le bien-fondé scienti-
fique. Nous nous permettrons toutefois deux remarques, l'une au sujet de
l'histoire critique de la Morale, l'autre au sujet de ses bases métaphysiques.
A propos d'Aristote M. Leclère écrit : « Le caractère le plus saillant et le
» plus constant de la morale d'Aristote est, quoi qu'on dise, l'Hédonisme,
» ou, si l'on préfère, un Utilitarisme savant et relevé (3) ». M. Leclère
affirme la chose, mais ne la prouve pas. Il ne fournit pas un seul texte
à l'appui de son dire. A la page 205, il soutient que, d'après le Stagyrite,
le Souverain bien doit être la somme de tous les biens. Or Aristote dit
exactement le contraire, c'est à savoir que le Souverain Bien est un Tout,
dont les parties ne se nombrent pas, parce qu'il est lui-même supérieur
au nombre : ïni àï vrâvrwy a[pzr(xiTkT/]v iJ-yj i7vva.piB[xovij.iv'/]v (4). Quant à
la question des bases métaphysiques de la Morale, elle ne nous paraît
pas la meilleure du traité. La thèse de l'âme phénoménale, substituée à
l'àme-substance, est assez originale (p. i21). Mais nous persistons à
croire que l'immortalité de l'âme, comme d'ailleurs l'existence de Dieu,
ne doivent pas seulement être affirmées, en vertu des catégories sub-
jectives de l'entendement, mais démontrées, en admettant la portée
objective des principes de causalité et de contradiction. Au demeurant,
l'ouvrage de M. Leclère représente un travail considérable. Il décèle une
réelle puissance d'analyse, et un grand sens de l'actualité des problèmes.
J'estime que la synthèse, tentée par lui, des systèmes les plus dispa-
rates en est inférieure à l'analyse. Mais en pouvait-il être autrement?
Ce besoin de synthèse est d'ailleurs un signe de notre temps. « Nul
» temps ne fut plus travaillé que le nôtre, écrit M. Paul Gaultier, tou-
» chant la conduite de la vie et des sociétés, par des idées plus nom-
» breuses et divergentes. Toutefois, il me semble que plusieurs des
» conflits qui nous divisent viennent d'une vue superficielle des choses,
» quand ce n'est pas d'une ignorance radicale les uns des autres. Celui-
1. Paris, Alcan, 1908, 1 vol. ia-8'J de 543 p.
2. Ibid., p. 436.
3. Ouv. cité, p. 203.
4. Eth. Nie, A, 5, 1097, b, 16-17. Cf. Clodius Piat : Aristote, Paris, Alcan,
1903, p. 296. — GiLLET. Du Fondement intellectuel de la Morale, d'après
Aristote, Paris, Alcan, 1905, p. 136, sq.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 553
» là même qui oppose l'idéal chrétien à la pensée moderne — et qui
» les domine tous — me paraît provenir d'un intellectualisme plus
» soucieux des formules que de l'esprit. C'est donc en allant au fond
» des théories, en apparence les plus incompatibles, que je me suis
» efforcé de concilier et, finalement, de résoudre leurs antagonismes en
» une synthèse supérieure (1) ». M. Paul Gaultier présente cette syntlièse
au public, sous le titre d'Idéal moderne. Ce dernier ouvrage de M. Gaultier,
comme le précédent sur Le sens de PArt, se recommande de lui-même.
Il est supérieurement écrit, et fortement pensé. Toute la partie
consacrée à l'analyse des théories scientifiques de la Morale est très
fouillée, et menée avec entrain. Respectueux de toutes les convictions,
M. Gaultier se contente de s'en prendre aux systèmes, sans toucher
aux personnes. 11 n'admet pas que la science puisse fonder la morale, et
pense qu'une conception purement sociologique de la Morale conduit à
l'amoralisme scientifique. « Le moraliste doit d'abord procéder par
» comparaison et induction dans la détermination de nos fins, autrement
» dit de l'idéal moral ; ensuite il a la faculté de déduire de cet idéal les
» devoirs particuliers qui en découlent, ce qui fut toujours l'objet de la
» morale dite « appliquée » (p. 39). A la méthode inductive succède ainsi,
en éthique, le mode déductif. La morale peut être une science, sans être
fondée sur la science. Science du subjectif, l'éthique est une science à
part, qui a pour matière moins ce qui est, que ce qui devient. La certitude
dont dispose l'éthique n'est ni sensible, ni logique ; elle est morale.
Elle ne repose ni sur l'évidence rationnelle, ni sur celle des sens, mais
sur cette évidence purement intérieure, qui naît de l'action proprement
morale (p. 47 sqq.l. On reconnaît ici les principes de la philosophie de
l'action. Assurément l'action, la vie, jouent un rôle capital en morale,
si la morale n'est pas autre chose qu'une action continue, et la vie même
sous sa forme la plus haute. Mais il ne s'ensuit pas que la morale soit
fondée sur l'action, et ne repose pas sur une évidence rationnelle. L'ac-
tion au contraire n'a de valeur morale que si elle se rattache à des
principes qui la fondent, et l'expliquent. Le fait qu'on pratique la morale
avant de la « systématiser » ne prouve qu'une chose, c'est à savoir que
les principes sont donnés dans la nature de l'homme et avec elle, et
qu'il suffit d'être homme pour être obligé d'agir et de vivre moralement.
La priorité de la morale théorique sur la morale pratique n'est, si l'on
veut, qu'une priorité dénature; mais cela suffit cependant éprouver
que la morale a un fondement métaphysique.
Si le point de départ de M. Gaultier, dans sa façon de poser le problème
moral, est surtout psychologique, son point d'arrivée est tout métaphy-
sique, voire même religieux. « La moralité nous conduit directement à
» Dieu. Elle nous en fait ressentir le besoin ». « La morale mène à la
» religion, en ce sens qu'il n'y a pas de meilleure preuve de l'existence
» d'un Absolu qualificatif ou de perfection, dont nous dépendons, que
» le fait qu'il y a une morale. » M. Gaultier va sans doute un peu loin
— et sa pensée aurait besoin d'être précisée — lorsqu'il parle « d'un
1. Paul Gaultier : L'Idéal moderne, Paris, . Hachette et Cï*^^, 1908; 1 vol.
iii-16, VIIl-358 p.
534 REVUF, DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
» Être parfait, liberté absolue, d'où, pour reprendre une admirable
» expression de M. Bergson, tout «jaillit », et la morale même avec tout
» devenir » (p. 245). Mais nous ne le chicanerons pas sur ce point, per-
suadé qu'il entend ce « jaillissement » d'une façon orthodoxe, sans
recourir à l'idée d'une « évolution créatrice ».
Tout en se plaçant à un autre point de vue que M. Paul Gaultier,
M. P. Bureau, dans son dernier ouvrage sur la Crise morale des temps
ttouveaux (1), prend la défense de la morale religieuse contre l'amora-
lisme contemporain. C'est pourquoi nous le rangeons parmi les parti-
sans de la morale métaphysique, encore que la méthode qu'il emploie
soit exclusivement scientifique. L'auteur n'admet pas que la science
puisse fonder la morale, mais il croit que la science de la morale —
celle qui se confond avec le pragmatisme, et se base sur l'utilité, sur la
réussite — peut avoir une très salutaire influence sur certains esprits, et
les ramener à une vie honnête. Ceci posé, il prétend envisager le pro-
blème moral dans la réalité concrète, comme un problème d'intérêt et
de portée éminemment sociale, et pourtant retrouver, au terme d'une
étude méthodique, la conception métaphysique et religieuse de la
Morale. Pour procurer le bien-être social, la morale doit être obhgatoire.
Elle doit aussi être évolutive dans sa matière, et s'adapter à l'ambiance
sociale. La morale religieuse réalise seule ces conditions à un degré
éminent. Telles sont les principales conclusions qui se dégagent de
l'étude de M. Bureau. Est-il besoin de dire que nous faisons toutes nos
réserves sur le fond de cet ouvrage, et que nous ne partageons point
les vues « pragmatisles » de l'auteur ? Il n'est pas du tout prouvé
qu'une morale à base métaphysique ne puisse faire en même temps un
légitime emploi de la méthode scientifique, tandis qu'il n'est que trop
certain que l'emploi exclusif de la science — dans le domaine moral ou
religieux — procède la plupart du temps d'un « agnosticisme » méta-
physique. La Congrégation de l'Index a condamné le livre de M. Bureau.
L'auteur, qui est un croyant fervent et convaincu, s'est soumis à cette
condamnation.
Dans Morale et Société (2), M. Fonsegrive aborde à son tour la ques-
tion du Fondement de VEthique. Avec une grande pénétration d'esprit,
et une remarquable sûreté d'analyse, il commence par établir le rapport
entre le fait moral et le fait social; il dénonce ensuite les conflits qui
résultent de leur rencontre, en recherche la raison, et propose cette
solution : « Ni le moral n'absorbe le social, ni le social le moral, chacun
» d'eux a son domaine propre et distinct... Dès que l'on a compris et la
» distinction des deux ordres, et leur nécessaire union, on s'est par là
» même résigné à supporter les inévitables défauts de l'ordre social.
» Cependant on conserve intacte, avec la lumière morale intérieure, la
» sève profonde de la vie. » Parmi les conflits signalés par M. Fonse-
grive, il est surtout question des conflits d'ordre religieux. « Nulle part,
» écrit-il, plus et mieux que dans le catholicisme, le conflit ne se fait
» voir » (p. 30). L'Église catholique est un gouvernement social, en
1. Paais, Bloud et C'^ 1907, 1 vol. in-16, XI-2S0 p.
2. Pajis, Blond et Ci^, 1907, 1 vol. iii-lG, 344 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE Oo5
même temps qu'elle maintient le principe intérieur de toute vie morale.
Du dehors elle dirige le dedans, et si elle le fait toujours avec mansué-
tude, lorsque les individus seuls sont en jeu, elle le fait aussi d'autorité,
lorsque le bien social le réclame. De là ses anathèmes.« Ses pontifes, ses
» congrégations réprouvent, condamnent, excluent tout ce qui pourrait
» altérer la vraie doctrine. Et les brebis dangereuses, les faux pro-
» phètes sont excommuniés, expulsés, les téméraires sont avertis, et les
» imprudents sont notés, et les perturbateurs sont signalés à l'animad-
» version. » Il y a comme une nuance d'amertume dans cette remarque,
et d'aulres analogues. L'ouvrage de M. Fonsegrive aurait gagné à être
écrit avec plus de sérénité. 11 l'est du moins avec intelligence et avec
force, et ceux qui le liront y retrouveront, peut-être plus accentuées que
jamais, les qualités de clarté du philosophe, et le souffle généreux du
chrétien.
A signaler encore, parmi les théoriciens de la morale catholique,
M. HoLTZMANN (l) et M. Strehler ^2). Tous deux ont amplement justifié,
dans leurs récents écrits, la position théorique de la morale catholique
et sa valeur pratique, en répondant à certaines objections formulées
contre elle par les moralistes contemporains. Ces ouvrages se recom-
mandent à l'attention des lecteurs par une grande clarté d'exposition, et
une information scientifique des plus sérieuses.
Aux yeux de M. Gottschick (3), la morale est révélatrice d'un ordre
surnaturel, et seule l'idée d'un Dieu personnel, créateur de la loi, peut
expliquer le devoir. La Morale peut être traitée de deux façons : attachée
au monde, elle sera philosophique ; attachée à l'idée de Dieu, elle sera
théologique. Mais elle ne sera pas pour cela catholique et légaliste. Car
la morale théologique doit être autonome, et, pour l'être, elle doit
procéder non de l'autorité, mais de l'expérience religieuse. Ces paroles,
qui seraient déconcertantes sous la plume d'un écrivain catliolique, le
sont moins sous celle d'un théologien protestant. Du moins prouvent-
elles que le règne de la « morale scientifique » est terminé, et que de
tous les coins de la pensée humaine s'élèvent des réclamations en
faveur d'une morale qui prenne définitivement la métaphysique ou la
religion pour base.
II. — La Morale et l'Éducation
I. — Les Doctrines
Le problème de l'éducation est trop intimement lié au problème
moral pour que nous le passions sous silence. C'en est comme l'inévi-
table corollaire : telle morale, peut-on dire, telle éducation. Si l'anar-
1. Hoi.TZMANN, Di" Jos. : Moderne Sittlichkcitstheoricn and chrlstliches Le-
hcnsidcals. Strasboxixg, Le Roiix et C'c, 1907.
2. Strehler, Dr Bernhard : Das Idéal dcr Kalhnlischcn SUUirhJ.-clL Bres-
lau, Aderholz, 1907.
3. Gottschick, Dr Joannes : Elhik, Tubingue, Mohr, 1907; 1 vol. XV-
280 p.
556 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
chie règne dans les idées morales, on peut être sur de la retrouver dans
les idées sur léducation. Or, actuellement, en dehors des partisans
décidés de la morale chrétienne, il n'y a pas deux sociologues ou deux
philosophes qui posent et résolvent de la même manière le problème
moral. C'est bel et bien l'anarchie. Qu'en conclure au point de vue de
renseignement moral ou de l'Éducation?
a) Sagesse laïque. — M. Binet a eu la curiosité d'ouvrir une enquête
à ce sujet auprès des professeurs de philosophie, qui l'ont favorable-
ment accueillie (1). Voici la question qui leur fut posée : Orientez-vous
votre enseignement d'après un système philosophique connu ? Lequel
a vos préférences? Lequel aurait les préférences des élèves? Cent cinq
professeurs daignèrent répondre à la question posée par M. Binet.
« Nous nous attendions, remarque celui-ci, à ce que le spiritualisme
» obtînt la majorité des suffrages. Un bien petit nombre y est resté
>' fidèle, à peine six ou sept professeurs. » (p. 16). En dépouillant les
résultats, on est arrivé approximativement au pourcentage suivant :
systèmes positivistes, évolulionnistes, ou absence de tout système :
37 p. 100 ; systèmes mixtes, à la fois subjectifs et objectifs : 25 p. 100 ;
systèaies principalement subjectifs : 38 p. 100. Ces résultats en disent
long sur la situation « anarchique » de l'enseignement moral, à l'heure
actuelle, dans nos lycées.
En dehors des lycées, l'entente n'est guère plus complète. M. Jules
Delvaille a écrit un ouvrage : La vie sociale et i Education (2), pour
montrer que le problème de la réorganisation de la société moderne
n'est au fond qu'une question d'éducation. Dans un premier chapitre,
l'auteur nous donne une analyse courte, mais substantielle, des élé-
ments qui différencient l'organisme social de l'organisme animal. On y
retrouve les idées de MM. Tarde et Espinas. Le chapitre second est
consacré à l'organisation de la vie sociale. Selon M. Delvaille, pour
résoudre « le chaos actuel en harmonie et beauté », il ne faut recourir
ni à l'évolution, ni à la révolution sociale, La réforme de la société est
subordonnée à celle des individus. D'oîi deux facteurs de la réorgani-
sation sociale: l'instruction et l'éducation. L'éducation individuelle
n'est qu'une préparation à l'éducation sociale. L'individu doit être plus
instruit et plus éduqué, afin de coopérer avec plus d'intensité et d'effi-
cacité à la vie sociale. Bref, M. Delvaille, a foi en l'éducation. Elle est à
ses yeux le salut. Mais, comme on l'a fort bien remarqué, cela ne
résout rien. L'éducation elle-même est un problème dont la solution
est liée à une foule de choses : race, situation matérielle, conditions
économiques, mœurs, traditions, dont l'auteur ne paraît pas tenir
compte.
M. Lalaxde s'est fait fort de résoudre le problème si complexe et si
difficile de l'éducation, en publiant une sorte de « catéchisme moral » (;»).
1. Bulletin de la Société française de Philosophie, Paris, Ai'inand Colin,
janvier 1908 (Séance du 28 novembre 1907).
2. Paris, Alcan, 1907, 1 vol. in-8o, 199 p.
3. Lalande a. : Précis raisonné de Morale pratique, Paris, Alcaii, 1907,
1 vol. in-12, Vl-70 p.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 557
Nous avons euFoccasion, l'an dernier, de parler de cet ouvrage, dont la
première partie seule avait paru dans le Bulletin de la Société française
de Philosophie (1) (janvier et février 1907). L'auteur croit qu'il existe
un ensemble de vérités de conduite indépendantes, non seulement de
toute religion, mais de tout système philosophique. Ce sont ces vérités
qu'il a essayé de mettre en lumière, tout en voulant être objectif et
n'exprimer que ce qui, dans la morale, est actuellement objet de con-
sensus entre tous les philosophes.
Nous ne pensons pas que cette doctrine du consentement universel,
appliquée à la morale, et cet éclectisme quelque peu bourgeois, soient de
nature à remédier au mal profond dont souffre la société actuelle. Il n'y
a qu'à lire le Précis raisonné de M. Lalande pour s'en con\aincre. Rien
de moins « précis » que cet ouvrage. Le vague même des formules qui
enchâssent les prescriptions morales en assure l'infécondité.
C'est encore une doctrine «éclectique» que nous présente M. Jacob,
Maître de Conférences aux écoles normales de Sèvres et de Fontenay-
aux-Roses, dans son livre sur les « devoirs )i (2), mais d'un éclectisme
plus discret, plus raffiné et, pour tout dire, altique. L'élégante simpli-
cité du style ne fait que renforcer cette impression. L'auteur de ce petit
« livre de la sagesse laïque » ne se pique pas de nous apporter une
table nouvelle des valeurs morales, mais se contente de justifier celle
qui est ordinairement reçue. La méthode qu'il emploie à cet effet con-
siste à dégager les règles de conduite de l'analyse de la nature morale
commune. Mais par «nature morale» M.Jacob n'entend pas, comme
M. Lévy-Bruhl, une « nature sociale », d'où le moral proprement dit
serait absent. Dans toute la première partie de son livre, au contraire,
il réagit contre les doctrines qui prétendent absorber le moral dans le
social, et l'idée de justice dans le sentiment de solidarité. « Toutes les
» vertus de la spiritualité socratique et stoïcienne sont intelligibles et
» se justifient. » (p. 103). La charité elle-même se justifie par l'analyse
de notre nature individuelle ; elle est fondée sur « un altruisme naturel
» qui, découvrant la communauté de nature, la communauté de raison
» et la solidarité sociale, qui unissent l'individu à ses semblables,
» engendre le sentiment de la fraternité humaine. » (p. 335.)
Aux yeux de M. Georges Lyon (3), le dernier mot de la « sagesse
laïque » consiste dans l'indépendance du professeur, la neutralité et le
respect, en matière religieuse. La neutralité' peut être obtenue selon lui
1. Revue des Sciences pJiilosophiques et théologiques, juillet 1907; Bulletin
de Morale, p. 535.
2. Conférences de Morale individuelle et de Morale sociale, Paris, Cornély,
1908, 1 vol. iii-16 de VII-451 p.
3. Enseignement et Eeligion, Études philosophiques, Paris, Alcan, 1907, 1 vol.
in.-8" de 237 p. Nous signalons aussi à l'attention des lecteurs la Morale de
M. Emilio Moselli (Livourne, Giiisti, 1907, 1 vol. in-16 de VI-227 p.), qui
n'est pas une morale sociologique, bien que l'auteur pense que la moralité,
cjui doit aboutii- à la formation de la personnalité, ne se développe que dans
la vie sociale, — et un article de M. Harrold Johnson : Borne cssentials
of Moral Education {Intern. Jour, of Ethics, July 1907), sur la formation
du caractère.
558 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOr-IQUES
à la condition de ne point porter sur les dogmes des «jugements de
transcendance » et de se contenter d'émettre des « jugements de rela-
tion», de ne point sortir du domaine du relatif, et de s'arrêter aux
frontières du monde ultra-phénoménal. L'intention de l'auteur a|)paraît
clairement : tracer entre le champ d'investigation du prêtre et celui
du professeur une ligne de démarcation, reléguer la religion dans un
monde extra-scientifique, tout en se réservant de traiter — sinonde
maltraiter — les questions religieuses, au nom de la science. On recon-
naît là facilement les théories chères à W. James, et à tous les pragma-
listes ; nous n'insistons pas.
h) Sagesse religieuse. — • Cette opposition qu'établit M. Lyon entre les
«jugements de transcendance» et les «jugements de relation» en
matière religieuse ou morale, nous ne la retrouvons pas dans V Ethique
de M. DU RoussAux, professeur à la Faculté de Philosophie et Lettres
de l'Institut Saint-Louis, à Bruxelles (1). L'auteur établit au contraire,
et de façon très nette, que l'Éthique a pour objet la vie morale consi-
dérée dans ses éléments constitutifs et immanents d'abord ; puis dans
ses principes réels ou transcendants. D'où la division de son Traité en
Éthique formelle et en Éthique réelle, celle-là immanente, subjective ;
celle-ci transcendante, objective. Cette division de l'Éthique, qui n'a rien
d'équivoque lorsqu'on veut bien donner aux mots « formel » et « réel »
le sens que leur donne l'auteur, et que l'usage a déjà consacré en
Logique, pose surtout une question de méthode. A la méthode presque
exclusivement déductive de nos manuels classiques, M. du Rousssaux
substitue hardiment la méthode induclive qui « assure mieux l'indé-
» pendance de l'Éthique comme science, tandis que le procédé déductif
» la subordonne par trop à la Psychologie et à la théodicée,[et]enfaitpres-
» que un simple corollaire.» (p. 8. "> Ce mélange harmonieux de l'analyse et
de la synthèse dans l'étude de la loi ?>iora/e,envisagée tour à tour subjec-
tivement, puis objectivement, autrement dit dans l'esprit humain dont
elle détermine certaines attitudes particulières ; puis dans ses attaches
ontologiques, ne constitue pas la seule originalité de l'ouvrage de
M. du Roussaux. Signalons, dans la première partie, les deux chapitres
consacrés à l'analyse du fait moral et de l'habitude inorale. Le premier
est tout d'actualité. A une époque où l'on tend à « désubjectiver » le
fait moral, à l'identifier au fait physique, il était urgent d'insister sur
son caractère spécifique. « Dans l'acte moral, l'intention est l'àme, le
fait n'est que le corps. » (p. 70.) On le défigure, lorsqu'on ne l'envisage
que du dehors. On lui garde sa physionomie originale, lorsqu'avec M. du
Roussaux on établit qu'il est avant tout « intérieur et volontaire.» Quant
à l'habitude, elle est bien en eflet « un complément d'activité », un sur-
croît d'énergie psychique. Il y a sans doute des habitudes vicieuses ;
mais si l'activité morale s'en trouve diminuée, paralysée, il n'en reste
pas moins qu'au point de vue psychique «l'habitude ... est pour les
1. Éthique. — Traité de Philosophie morale; Brux&Ues, Dewit, 1908, 1 vol.
in-8o do XII-309 p. Division du Traité : I. P. Éthique formelle : de la cons--
cienco morale; de la volitiou morale; da fait moral; des habitudes morales;
des suites morales. — 11. P. Éthique réelle : du critère moral; du mobile
moral; de l'obligation morale; de la loi morale; du dénouement moral.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 539
» facultés une disposition stable et acquise à refaire plus parfaitement
» leur acte accoutumé. » (p. 91.)
Dans la seconde partie abondent les vues ingénieuses et neuves.
Ainsi les trois premiers chapitres offrent ceci de particulièrement clair
et d'inédit que Vfwnnêle y est considéré successivement comme objet du
jugement moral, du sentiment intentionnel, du libre arbitre qu'il en-
chaîne. Au chapitre III, l'auteur s'élève avec force contre ceux qui con-
fondent le devoir avec le sentiment du devoir, (n"^ 171 et 174) et
conçoivent celui-ci comme une tendance irrésistible à réaliser l'harmo-
nie de notre être, à vouloir la justice (n°^ 185 et 197). Il montre fort à
propos que le devoir est un quid ontologicum (n" 167). Ensuite il analyse
le sentiment provoqué par lui dans l'inclination rationnelle, et remarque
contre le naturalisme que ce sentiment est plus souvent celui d'une
inhibition que celui d'une attraction, rarement celui d'une impulsion
(n"^ 178 et 187). Le chapitre IV est consacré à l'analyse de la loi morale.
L'auteur prouve qu'elle est un fait intime aussi directement observable
que la loi logique. « L'honnête, tel que la raison le conçoit d'évidence,
)) est tout ensemble un type uniforme de conduite, une fin générale
» d'intention et une nécessité qui s'impose au libre arbitre. Ce triple
» fait constitue la majeure de la preuve, et voici la mineure. Or toute
» modalité stable qui nécessite, finalise et régularise une activité,
» constitue une loi. Donc l'honnête, tel qu'il est compris de la raison,
» joue vraiment le rôle de loi vis-à-vis des actes humains. » (p. 234.)
Dès lors peut-on conclure de l'existence de la loi morale et de son
caractère spécifique à l'existence d'une loi éternelle qui nous régit ?
Pourquoi pas, si l'on admet que les « possibles » nous conduisent à
affirmer l'existence d'une intelligence transcendante qui les fonde, et
leur donne leur valeur absolue ? Nous ne pouvons entrer dans la discus-
sion d'un pareil problème. Mais le fait de l'avoir si nettement posé
prouve suffisamment que l'auteur de VElhique sait pousser une idée
jusqu'au bout, et ne recule pas devant les difficultés « systématiques »
qu'on pourrait lui opposer.
Un autre Traité de Morale vient d'être livré au public, mais d'allure
moins moderne. Nous voulons parler du Compendio di Elka, de Rosmi-
ni, annoté par G. B. P. (1). Cet ouvrage date de 1845. Il a été primiti-
vement écrit en italien, bien qu'il ait paru en latin. Il comprend trois
parties : 1° Morale générale, nature du bien honnête (la volonté, la loi,
leurs relations) ; 2° Morale spéciale (devoirs, vertus, vices) ; 3° Endémo-
nologie. Excellence du bien honnête: perfection de la nature intelli-
gente et libre, son bonheur. Cet ouvrage brille surtout par la clarté de
l'exposition. On n'y retrouve pas de traces sensibles de l'ontologisme
rosminien. Bourré de notes par G. B. P., iil met à même de se retrouver
dans les ouvrages principaux du trop célèbre philosophe, dont les pen-
sées sont résumées ici (2).
1. Antonio Rosmini : Compendio di Etica. Brève storia de Essa. cou
annoiazioni di G. B. P. Roma, Désolée, Lefebvre et, Cie, 1907; 1 vol. ia-8"
do XV-300 p.
2. Ou a aussi réédité en. Allemagne les Instilidiones jariH nalural/s de
560 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
2. — Les Faits
Un des faits qui se rattachent le plus directement au problème de
l'éducation est celui de la criminalité juvénile. M. Gibon, dans la Revue
pratique d'apologétique {1), a rassemblé les témoignages des hommes
les plus autorisés en cette matière. Ils ne sont pas rassurants. Le fait
est que de 1890 à 1905, époque qui correspond au développement, à
l'épanouissement des théories morales les plus subversives, et de l'ins-
truction laïque et obligatoire, la criminalité juvénile a suivi une
marche ascendante. « L'ensemble des prévenus de seize à vingt et un
» ans, en France, était de 8,000 par an, avant 1840, écrit M. Henry
» Joly. ... Sans que le nombre des jeunes gens, sans que le nombre
» des enfants ait sensiblement augmenté dans notre pays, voici que
» nous sommes arrivés de 8,000 à 30, 81 et 32,000» (2).
La criminalité juvénile se détermine par les crimes, les délits et les
suicides des mineurs de seize à vingt et un ans. Dans le rapport du
5 mars l9o7 se trouve consignée cette déclaration suggestive : « Le.
» maximum de criminalité se trouve, aussi bien pour les hommes que
» pour les femmes, parmi les accusés et prévenus âgés de seize à vingt
» ans. » Quant aux chiffres des suicides d'enfants et d'adolescents, ils
ont quadruplé et quintuplé en soixante-quatre ans (3).
Quelles sont les causes d'augmentation de la criminalité juvénile ?
M. Joseph LoTTiN, dans un remarquable article de la Revue néo-scolâsli-
que (4), s'est appliqué à déterminer les rapports existants ou possibles
entre la statistique morale et le déterminisme. Voici les conclusions
auxquelles il est parvenu : 1° Les résultats de la statistique morale
sont explicables par la seule influence des motifs d'action, supposés
déterminants ; 2° Les régularités statistiques n'offrent, d'autre part,
aucune preuve ou confirmation du déterminisme qui régirait les phéno-
mènes moraux ; 3° Les régularités statistiques permettent, dans une
certaine mesure, les inductions sociologiques. M. Gibon ramène la
criminalité juvénile à quatre grands facteurs sociaux: 1° La transfor-
mation des conditions d'existence (opposition de la grande industrie,
désertion des campagnes, accumulation dans les grandes villes d'une
population hétérogène [etc.]) ; 2° Ze milieu familial ; 'S" La décadence
de r apprentissage ; 4° VÉcole (5).
Dans son livre sur ['Éducation et le Suicide des enfants (6), M. Proal
énumère également, parmi les causes qui expliquent le nombre toujours
croissant des suicides d'enfants, — causes morales et pathologiques —
Meyer, s. J., dont le preniier volume a paru en 1885. La nouvelle édition
a paru chez Herder à Fribourg en Brisgau : 1 vol. gr. in-So, 502 p.
1. Août 1907.
2. L'Enfance coupable, Paris, Lecoffre, 2^ édit.
3. Nous relevons, note M. Gibon, entre 1875 et 1896, la gradation suivante
de suicides de mineurs âgés de moins de seize ans pour les années 1886,
1887, 1889 et 1890 : 62, 68, 77 et 80.
4. Février 1908 : La Statistique morale et le Déterminisme.
5. Art. cité, p. 680, sqq. ; Henri Joly : oicv. cité, p. 5.
6. Paris, Alcan, 1906.
BULLETIN DE PHILOSOPHIE 561
les passions infantiles, l'éducation scolaire, et l'ambiance familiale.
M. Proal a raison. Mais il a moins raison lorsqu'il afTirme que c'est du
côté de la science qu'il faut chercher la solution de ce problème socio-
logique. Certes, l'hygiène et la médecine peuvent beaucoup pour en-
rayer les progrès de la névrose et de l'hystérie, mais l'éducation scolaire
et familiale offre encore plus de garanties. Lorsque l'anarchie des
idées aura cessé, dans le domaine moral', lorsque les éducateurs seront
devenus plus soucieux de former le caractère des enfants que de leur
fournir une instruction indigeste; lorsque les parents, au lieu de relâ-
cher les liens de la famille, les auront resserrés ; lorsque surtout on
aura rendu, dans l'enseignement moral, à la religion la place qu'elle
aurait toujours dû conserver, le niveau de la criminalité infantile
s'abaissera, et la vie normale reprendra son cours dans la société.
Louvain M. S. Gillet, 0. P.
2e Année. — Revue des Sciences. — No 3.
Bulletin de science des Religions
I. — RELIGION DES PEUPLES NON CIVILISES.
I. — Ouvrages Généraux.
DANS le livre, admirablement composé, qu'il a publié sous ce titre :
La Religion des peuples )wn civilisés (1), M. l'abbé Bros s'est pro-
posé d'étudier les croyances et institutions religieuses des sauvages
dans ce qu'elles ont de commun. Il a distribué ce vaste sujet en douze
chapitres : Objet ; Méthode ; Psychologie du sauvage ; V Animisme ; La
Magie ; Les dieux ; Le Culte ; Les Tabous ; Le Totémisme; Religion des
sauvages et religion des primitifs ; Religion des sauvages et religion des
civilisés ; Permanence et valeur du sentiment religieux. L'auteur a puisé
les éléments du tableau qu'il trace de la vie religieuse des sauvages
dans les mémoires publiés par nos missionnaires et dans les ouvrages
classiques de Tylor, A. Lang, Frazer, A. Réville, L. Marillier, etc. Quant
à l'explication des faits, il la demande à la méthode psychologique. La
méthode sociologique préconisée par MM. Hubert et Mauss n'est admise
qu'à titre d'auxiliaire.
Il est facile de caractériser les idées directrices de M. Bros. Ce sont,
dégagées des conceptions philosophiques inacceptables auxquelles elles
sont souvent liées, celles de l'école anthropologique dont M. E. B. Tylor
a été le fondateur et demeure le chef. A la source même de la religion
des non-civilisés et l'imprégnant tout entière, M, Bros aperçoit une
conception animiste du monde. Il considère cette religion comme le
produit de l'activité mentale du sauvage, semblable à celle de l'enfant.
Il estime qu'il faut concevoir la religion de l'homme préhistorique à
l'image de celle des sauvages actuels. Quant à la religion des premiers
hommes, au sens propre, la science n'en peut rien dire et seule la Révé-
lation nous renseigne sur ce point. La science n'est pas davantage en
état de se représenter les étapes de l'évolution qui a conduit l'humanité
de l'état religieux élevé, que nous fait connaître la Révélation, à celui
des non-civilisés actuels et de l'homme préhistorique.
'Voici quelques assertions de détail. Magie et religion sont distinctes
par nature, mais elles se mêlent dans la vie religieuse du sauvage. Il est
difficile de déterminer laquelle, de la religion ou de la magie, a précédé
l'autre. Toutes les deux ont le même principe qui est l'animisme. On a
nié, non peut-être sans quelque exagération, qu'il existe un lien
quelconque, pour le sauvage, entre la religion et la morale ; du moins,
1. Un vol. in-lG de XXIII et 365 p. {Bibliothèque d'Histoire des Religions,
1). Paris, Lethielleux, 1907. M. A. Bros est professeur au grand séminaire de
M eaux.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS "iOS
si nous en appliquons la substance à la conception des dieux, cette
manière de voir est exacte. Aussi bien le sauvage n'a-t-il qu'une idée
très vague de la morale et, si l'on excepte quelques données primor-
diales qui se réduisent peut-être à un certain instinct de justice et
d'équité, ses conceptions en cette matière sont factices. S'il connaît un
code un peu précis de morale, ce code est d'essence théologique et il
consiste dans les taOous. L'idée de rétribution dans l'autre vie est à peu
près étrangère aux non-civilisés.
Mgr Le Roy a écrit à l'auteur une lettre qui figure, comme Introduction,
en tête de l'ouvrage. Avec la franchise courtoise et spirituelle dont il a le
secret, l'éminent ethnographe expose des idées qui diffèrent sensiblement
de celles de M. Bros. 11 insiste tout particulièrement sur un point auquel
ce dernier n'a point accordé l'attention qu'il mérite. « Il y a d'abord
partout, ou presque partout, écrit Mgr Le Roy, la connaissance plus ou
moins distincte, mais réelle, d'un Maître souverain du monde, qui fait
la vie et la mort, et contre lequel nul être ne peut rien. (1) » Le
R. P. W. ScHMiDT, directeur de VAnlhropos, lui aussi ancien mission-
naire et anthropologue de grande autorité, adhère en ces termes à
ratfirmation de Mgr Le Roy:- -^c Peut-être faut-il limiter un peu ce
« partout » ou « presque partout », mais ce qui est certain, il y a toute
une série de peuples, et — ce qui est de la plus grande importance —
presque tous les peuples les plus primitifs, chez lesquels il y a cette
connaissance que Mgr Le Roy ici mentionne. (2) « Voilà qui change la
situation. Un trait capital manque donc au tableau de la religion des
sauvages que nous a donné M. Bros, un trait que l'animisme ne suffit
pas à expliquer. Certaines formes religieuses des non-civilisés, et ce
sont précisément les plus élevées et celles qui méritent premièrement
d'être appelées religieuses, échappent aux prises de la théorie animiste.
Dans ces conditions, et quelque remarquable que soit à bien des égards
le livre de M. Bros, sa conception de la religion des sauvages appelle
de fortes réserves et l'on préférera se rallier à celle, beaucoup plus sage
et plus conforme aux faits, du P. Lagrange qui écrit : « Il nous a paru
que l'animisme, facteur principal de la mythologie, n'a joué qu'un rôle
secondaire dans la religion (3) ».
C'est, en somme, la conclusion à laquelle est arrivé M. A. Lang, au terme
d'une évolution dont M. Bros semble n'avoir pas été informé. Je profite
de l'occasion pour appeler l'attention, à l'exemple du P. Schmidt, sur
cette position nouvelle du célèbre anthropologiste anglais. On sait que
Lang, pendant vingt ans et plus, a été en Angleterre le génial vulga-
risateur de la théorie animiste de Tylor. Aussi l'étonnement fut-il grand
lorsqu'en 1898 il publia un livre intitulé : 71ie Making of Religion, oîi,
brûlant ce qu'il avait jadis adoré avec ferveur, il reconnaissait l'exis-
tence, chez un grand nombre de tribus sauvages, de formes religieuses
supérieures, de croyances non animistes, et déclarait que l'animisme,
quoique réel, ne pouvait être désormais considéré comme le point de
1. Op. cit., p. XX.
2. Anthropos, 1908, 2, p. 381.
3. Études sur les Religions Sémitiques, 2e éd., 1905, p. 2.
564 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
départ et la source uniques de l'évolution religieuse. Et, avec beaucoup
de courage, il ajoutait qu'il fallait revenir, comme à la seule explication
satisfaisante de toute une catégorie de faits, à l'hypothèse trop discré-
ditée d'une dégénérescence à partir d'un certain monothéisme initial. Il
ne voyait d'ailleurs nulle raison défaire appel à une révélation primitive
pour rendre compte de ce monothéisme. Depuis lors, dans une seconde
édition de l'ouvrage précité, dans les éditions nouvelles qu'il a données
de ses publications antérieures et dans ses travaux plus récents, il a
maintenu et développé cette manière de voir (1). L'an dernier, écrivant,
à l'occasion du "o" anniversaire de sa naissance, un " Éloge " de
M. E. B. Tylor, il y introduisait ce discret mais significatif appel : « Plus
on accorde à l'Animisme, moins il reste pour 1' " All-Fatherism ", si
l'on me permet ce terme dont M. Howitt se sert pour désigner l'Être
supérieur, Baiame, par exemple, auquel croient maintes tribus en Aus-
tralie et ailleurs. Dans la théorie animiste de la religion de M. Tylor
un être de cette sorte a sa place ; mais souvent dans la manière dont on
conçoit originairement sa nature, il n'y a rien d'animiste. L'opinion
contraire est née de l'usage trop large du mot Esprit, Grand Esprit,
par des observateurs européens. Dans l'ouvrage qu'il prépare et qu'on
attend, peut-être M. Tylor voudra-t-il soumettre à un nouvel examen ce
fait d'une religion non animiste. (2) »
La nouvelle théorie de Lang a provoqué dans l'école anthropologique
plus que de l'étonnement, du scandale et une vive résistance. Le profes-
seur Ed. Lehmann, de Copenhague, dans une étude récente : Die Anfânge
der Religion und die Rôligion der primiliven Volker (3), la traite avec
un dédain oti perce l'irritation. Il s'en tient, pour son compte, à la doc-
trine Tylorienne et sous sa forme extrême. C'est ainsi que, sur la ques-
tion débattue de l'antériorité de la magie sur la religion, il écrit : « La
magie se révèle comme le tout premier degré de la religion en ceci,
particulièrement, qu'elle n'implique nécessairement ni dieux ni esprits,
pas même des prêtres et un culte. » p. 13.
Non seulement le petit livre, d'ailleurs très vivant et brillamment écrit,
de M. E. Clodd : Animism, the Seed of Religion (4), maintient la pure
doctrine animiste, mais il lui donne comme base l'évolutionisme darwi-
nien. Cela permet à l'auteur de découvrir les premiers linéaments de la
religion chez les animaux supérieurs. Nous voilà loin, trop loin même,
de la théorie qui faisait de l'idée religieuse un produit relativement tardif
de l'évolution mentale de l'humanité elle-même, théorie aujourd'hui si
discréditée. Au delà ou en deçà de la vérité, l'erreur ne vaut pas mieux.
1. Custom and Myth, l^e éd., 1884, dernière éd., 1904; Myth, Ritual
and Religion, 2 vol. lr« éd., 1887, dern. éd., 1901; Magic and Religion, dcm.
éd. 1906; The MaUng of Religion, 2e éd., 1900; Modem Mytitology, 1897;
Social Origins, 1903; The Secret of the Totem, 1905. Nombreux articles.
2. Anthropological Essays Presented ta E. B. Tylor. Grand in-4o iUustxé
de 416 pages. Oxford, Clarendoa Press, 1907, p. 11.
3. Die orientalischen Rcligionen, vol. in-4o, Leipzig, 1906, pp. 1-2') {Die
Eultur der Gegenwart I, 3, 1).
4. In-32 de 100 pages, Londres, Constable, 190G. De la collection : Religions
Ancicnt and Modem.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 563
L'étude de M. A. C. Haddon : Magic and Fetichism (1), ne formule pas
de vues d'ensemble sur révolution religieuse de Thumanité, et s'attache
exclusivement aux sujets particuliers mentionnés dans son titre. Elle
y gagne d'être très objective et d'une remarquable précision. Cet opus-
cule est peut-être ce qu'on peut lire de mieux si l'on veut être rapide-
dement renseigné sur la magie et le fétichisme. M. Haddon signale
l'erreur qui consiste à définir le fétichisme : « L'adoration ou le culte
d'objets inanimés. » En réalité, le fétiche est un objet matériel conçu
comme étant la demeure, permanente ou temporaire, d'un être spirituel.
Le fétichisme est donc sur le même plan religieux que l'animisme.
2. — Monographies de peuples.
L'Australie concentre toujours sur elle l'attention spéciale de tous
ceux que préoccupe le problème des origines religieuses. En 1899,
MM. B. Spencer et F. J. Gillen publiaient sous ce titre : The Native
Tribes of Central Australia, un ouvrage qui fît sensation et qui devint
immédiatement l'une des sources préférées où puisèrent les travailleurs
de seconde main. Ce livre révélait l'existence cliez les indigènes du Cen-
tre Australien de tout un système totémique, compUqué d'une doctrine
des réincarnations, qui sert de base à l'organisation sociale et qui cons-
titue toute la religion de ces tribus. Les deux voyageurs anglais insis-
taient sur l'absence complète de la notion d'un Être suprême pourvu
d'attributs moraux. D'autre part il était manifeste que ces indigènes
étaient, par excellence, des primitifs (2).
Or voici que la portée et l'autorité même de ces affirmations sont
discutées de divers côtés. Déjà la très sérieuse enquête poursuivie,
surtout depuis 1884, par M. A. W. Howitt, et dont les résultats, tout
d'abord communiqués au public dans des articles du Journal of Anlhro-
pological Institule of Greaf Britain and Ireland (3), ont été réunis en
volume : The .\ative Tribes of Soulh-East Australia (1004), avait établi
qu'il ne fallait pas étendre au continent tout entier les théories de
Spencer et Gillen. Dans la région qu'il a étudiée, M. Howitt n'a rencon-
tré qu'un totémisme et un animisme peu développés ; le culte des ancê-
tres fait défaut. En revanche, les tribus du sud-est ont la notion d'un
Être suprême, Baiame, etc., créateur de toutes choses et père des
hommes, législateur et juge de la conduite morale, auquel elles rendent
un culte assez rudimentaire. Le savant ethnologue donne à cette doctrine
religieuse, d'essence monothéiste quoique rabaissée par un grossier
anthropomorphisme, le nom caractéristique de « AU-Fatherism ».
Mais des contradictions plus directes encore se sont produites tout
récemment. M. C. Strehlow, missionnaire delà Société de Neuendettelsau
1. In-32 de 99 pages, ib., 1906. Même collection.
2. Les mêmes savants oat publié en 1904 un volume complémentaire ;
The Northern Tribes of Central Australia, où ils maintiennent les idées ex-
posées dans leur précédent ouvrage.
3. Ce sont ces articles et les faits qu'ils signalaient qui provoquèrent
l'évolution do M. A. Lang.
o66 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
(Bavière), réside et travaille, depuis 1892, parmi les tribus de l'Austra-
lie centrale, celles même qu'ont étudiées MM. Spencer et Gillen. Sti-
mulé et guidé par un ethnologue très compétent, M. de Leonuardi, il a
entrepris de vérifier les assertions des savants anglais. Et voici qu'il
vient, avec la collaboration de M. de Leonhardi, de publier les premiers
résultats de ses recherches en un volume intitulé : Die Aranda- und
Loritja - Staminé vi Zenlral- Australien . I Teil. Mythen, Sagen und
Mdrchen des Aranda-Stammes (1), Il y contredit, sur plusieurs points
importants, les assertions de Spencer et Gillen. Les Arandas (Aruntas
de S. et G.) ont, eux aussi, la notion d'un Être suprême, Altjira. Cet
Être est bon, éternel ; sa demeure est le ciel. Il règne seul sur les espa-
ces célestes, tandis que la terre, dont il ne s'occupe pas, est soumise
à de nombreuses divinités. Il n'est conçu ni comme créateur, ni comme
législateur et juge de la conduite morale. C'est un dieu-totem venu du
nord, et bientôt suivi de plusieurs autres, qui a amené l'introduction,
chez les Arandas, du culte et del'organisation totémiques et qui a rejeté au
second plan la doctrine, plus ancienne, d'un Être suprême. MM. Spencer
et Gillen auraient pareillement commis de graves méprises en ce qui
concerne la théorie des réincarnations qu'ils attribuent aux Arandas.
Mais ce point et le problème du totémisme seront examinés en détail
dans un second volume qui est en préparation.
M. H. Klaatsch, de l'université de Breslau, a récemment publié son
rapport final sur le voyage d'études qu'il a accompli en Australie de
1904 à 1907 (2). Dans le chapitre consacré au nord-ouest de l'Australie,
il traite longuement des totems. Il déclare avoir acquis la certitude que
les Niol-Niol de Beagle-Bay, tribu que l'influence européenne n'a tou-
chée que très tard, ne possèdent pas de système totémique semblable
à celui que MM. Spencer et Gillen ont découvert chez les Aruntas. Bien
plus les Niol-Niol paraissaient ne pouvoir prendre au sérieux ce qu'on
leur racontait, d'après Spencer et Gillen, de leurs congénères du centre.
M. A. Lang, dans un mémoire intitulé: Australian Problems (3), a mis
en doute un point auquel MM. Spencer et Gillen attachent une grande
importance, le caractère primitif du système totémique des tribus qui
habitent le Centre Australien. Le trait, qu'ils donnent volontiers comme
preuve de leur théorie, de l'ignorance oii sont ces tribus touchant le
fait de la génération, ne paraît nullement à M. Lang un élément primi-
tif. Si elles dénient à l'homme le pouvoir d'engendrer c'est qu'elles
voient dans la conception une réincarnation, la réincarnation d'un
ancêtre. Or c'est là une conséquence extrême de leur philosophie ani-
miste et non le fait d'une ignorance primitive.
M. A. C. Haddon a condensé en un tableau d'ensemble les renseigne-
ments dispersés dans les volumes V et VI des Reports of the Cambridge
1. In-foUo de 104 pages et 8 planc.lies, Francfort, 1907. Cet ouvrage forme
le premier fascicule d'une série dont le Vulh'rmuseum de Francfort a entrepris
la publication.
2. Zfitschrift filr Ethnolofjir, 1907, pp. 63.5-690. Je c'te d'après VAnlhrnps,
1908, 2. pp. 374-375.
3. Anthropotogical Essays Frescnted to E. B. Tylor, pp. 203-218.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 567
Anthropological Expédition to Torres Slrails. Son étude s'intitule : The
Religion of the Torres Straits Islanders (1). Il rappelle la distinction que
M. Ray a établie, au point de vue linguistique, entre les indigènes des
îles occidentales du Détroit de Torres, qui se rattachent aux Austra-
liens, et ceux des îles orientales, apparentés aux Papous. La même
distinction se vérifie au point de vue religieux. On trouve le totémisme
dans les îles occidentales ; il est généralement absent dans la partie
orientale de l'archipel. L'idée de survivance après la mort est commune
aux deux groupes. A l'ouest nulle trace de culte des défunts tandis qu'à
l'est certaines pratiques semblent se rattacher à ce culte. Dans toutes
les îles s'est répandu un culte des héros, d'origine étrangère, mais qui
à l'ouest s'est développé avec un caractère guerrier, à l'est, au contraire,
dans un rapport intime avec la vie sociale. Nulle part on n'aperçoit
l'idée d'une relation entre la religion et la morale, ni la notion d'un
Être suprême. Le P. Schmidt fait des réserves sur ces deux derniers
points [Anthropos, 1908, 2, p. 378).
Les Races païennes de la presqu'île de Malacca ont fourni à
MM. W. W. Skeat et C. 0. Blagden la matière de deux gros volumes :
Pagan Races of the MaUuj Peninsula (2), qui méritent la plus sérieuse
attention. L'ouvrage comprend quatre parties: I Race; II Mœnrs et
Coutumes ; III Religion (Skeat) ; IV Langue (Blagden). M. Skeat distin-
gue trois races: Les Semang, qui sont des negritos et qui constituent
les derniers restes d'une population de Pygmées anciennement répan-
due dans tout le sud du continent asiatique ; les Sakai ou Senoi, qu'il
rattache aux Veddas, mais que le P. Schmidt, auquel leprofesseur R.Mar-
tin semble vouloir donner son adhésion, incorpore à la famille Mon-
Khmer ; enfin les Jakun. La section relative à la religion nous intéresse
plus directement. « La Religion des Semang, écrit M. Skeat, malgré qu'elle
connaisse un dieu du tonnerre (Kari) et quelques divinités de second
ordre, ne possède qu'un rituel peu développé ; elle consiste surtout en
mythologie et en légendes. Elle montre relativement peu de traces de
démonolàtrie, peu de crainte des esprits de morts et moins encore de
croyances animistes de quelque sorte que ce soit. » « La Religion des
Sakai, tout en admettant une sorte de dieu suprême qui porte diflerents
noms, semble cependant consister presque entièrement en une démono-
làtrie. Celte démonolàtrie prend la forme du Chanianisme si répandu
dans le sud-est de l'Asie. » « La Religion des Jakun est la croyance
païenne ou pré-mahométane (Chamanisme) de la péninsule de Malacca...
Ses divinités, si l'on peut leur attribuer ce nom, sont des sortes d'ancê-
tres de tribu, tantôt sans nulle fonction, tantôt glorifiés, autour desquels
se sont agglomérées des légendes merveilleuses. » Tome II, p. 174 et s.
Ces religions se disposent donc dans l'ordre suivant : au premier
rang, celle des Semang avec son fond monothéiste et moral ; au second,
celle des Sakai, qui est surtout un polydémonisme ; au dernier, celle
des Jakun, qui consiste en un culte des ancêtres. Pour ce qui est, au
1. Anthropological Essays Fresented to E. B. Ti/lor, pp. 175-188.
2. Deux volumes in-8", copieusement illustres, de XL-724 et de X-855 pages,
Londres, Macmillan, 1906.
568 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
contraire, du degré de civilisation, les Jakun viennent au premier rang,
les Sakai au second et les Semang au dernier. On ne pouvait souhaiter
de démenti plus catégorique à la théorie animiste de l'évolution reli-
gieuse qui fait sortir, avec le progrès de la civilisation, le monothéisme
du polydémonisme et celui-ci de formes inférieures comme le culte des
esprits des défunts.
Sur l'Afrique nous avons d'abord la très intéressante étude de M. le
D"" E. DE JoNGHE : Les Sociétés secrètes au Bas-Congo (1). Après une
introduction oîi il expose les théories actuelles sur ces Sociétés, l'auteur
traite successivement les points suivants : Aire d'extension et nom ; âge
des adeptes ; choix des adeptes ; durée des épreuves ; lieu des épreuves ;
cérémonies d'entrée ; déformations artificielles ; costume ; éducation, ins-
truction ; prescriptions et défenses; cérémonies de sortie; après V initia-
tion. Deux fêtes surtout tiennent une place importante dans la vie de
ces Sociétés et des indigènes du Bas-Congo : la nkimba et la ndemba.
La première apparaît clairement comme une fête de la puberté et les
hommes seuls y sont admis. Le caractère de la seconde est plus difficile
à déterminer et les femmes y ont part; elle paraît être d'origine plus
récente, d'importance secondaire et elle varie beaucoup selon les régions.
L'auteur éprouve quelque embarras à préciser le rapport qui existe
entre la circoncision et les rites de la puberté. De même au Bas-Congo,
le tatouage, le limage ou l'extraction des dents et autres mutilations,
ne sont pas explicitement rattachés à la nkimba et paraissent la^ précé-
der. Il doit cependant y avoir un lien entre ces diverses pratiques. Le
chapitre sur l'éducation et l'enseignement offre d'autant plus d'intérêt
que c'est, semble-t-il, dans les doctrines traditionnelles des Sociétés
secrètes que Ton peut espérer découvrir la véritable pensée religieuse
des peuples non-civilisés.
Je ne dirai qu'un mot de l'ouvrage, d'ailleurs plein de choses, de
M. H, E. Dennett : At the Back of the Black Man's Mind (2), ou, comme
traduit M. A. van Gennep : Dans le tréfonds de Vâme nègre (3). L'auteur
y donne le résultat d'enquêtes poursuivies chez les Bavili, peuplade du
Loango dans le Congo français, et au Bénin. On appréciera surtout les
contributions précieuses qu'il apporte à l'étude de la conception de
l'office royal chez les Noirs de la côte occidentale de l'Afrique. L'ouvrage
mérite la plus sérieuse attention mais il est rebelle à l'analyse, étant
à la fois riche de faits et assez confus.
Kain. A. Lemonnyer, 0. P.
II. — RELIGION EGYPTIENNE
Tout d'abord je signalerai deux traductions, l'une en français : « La
1. i^ibliéc d'abord dans la Revue des Questions Scientifiques, octobre 1907,
puis eu brochure in-8o de 74 pages, Bruxelles, Falk.
2. Iu-8" de XV et 288 pages, Londres, Macmillan, 190G. Intéressante illus-
tration documentaire.
3. Revue de l'Histoire des Religions, 1907, sppt.-octobre, p. 219.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 569
religion égyptienne par' A. Erman, traduction française par Charles
Vidal » (1) ; l'autre en anglais : « A Handbook of Egyptian religion, by
A. Erman, Iranslated by A. S. Griffith» (2). Parues simultanément, elles
montrent l'importance que l'on a attachée à l'ouvrage d'Erman (3), qui
est le maître de l'école égyptologique allemande. Sans entrer dans
aucun détail, puisqu'il s'agit d'une œuvre déjà ancienne de deux ans,
il est bon de rappeler cependant que l'auteur a voulu représenter la
croyance égyptienne comme elle apparaît à un observateurnon prévenu,
et qui ne sait rien des théories modernes de la science des religions. Il
la saisit dans ses premières manifestations telle qu'elle se découvre
dans les monuments des époques les plus reculées, la suit dans son déve-
loppement durant les vicissitudes diverses de l'empire des Pharaons et
jusqu'à sa disparition du sol de l'Egypte. 11 montre, ce qui est intéres-
sant, l'extension qu'elle a prise dans les pays voisins au temps de sa
floraison, en Crète, en Palestine, en Phénicie et dans le pays de Koush,
et donne enfin un aperçu sur son infiltration en Europe au moment où
elle se mourait, alors que la foi en Isis et Osiris s'implantait en Grèce
et à Rome, dans le nord de l'Afrique et en Espagne, et s'égarait des
rives du Nil jusque sur les bords du Rhin et du Danube. Mais dans tout
cela il ne parle ni d'animisme et de fétichisme, ni de dieux chtoniens,
pas même des guérisseurs, ne voulant pas, comme il le dit lui-même,
« introduire de ces choses-là dans une religion qui peut se comprendre
sans le concours de ces idées » (4). C'est un exposé clair, précis et con-
duit avec un grand souci d'objectivité. Trop simple et trop objectif sans
doute au gré de certains critiques, car E. Andèrson (S), en annonçant la
traduction française, attaque l'œuvre d'Erman et se demande si elle
méritait de revêtir cette forme. Or, précisément c'est là ce qui fait
son incontestable valeur.
Je n'en saurais dire autant de l'œuvre suivante qui est une systémati-
sation des croyances égyptiennes : Kultur und Denckender alten Aeggp-
/er, .von Herman Scuneider, D"" Philos., D'' Med., Docent der Philosophie
an der Universitàt Leipzig (0). C'est le premier volume d'une collection
annoncée : Entwicklungsgeschichlc der Menschheit ; et comme il appert,
cette étude est tout entière basée sur l'idée de l'évolution et la concep-
tion hégélienne sous laquelle il envisage les événements historiques.
Cette autre: La civilisation pharaonique, par Albert Gayet(7), présente
une esquisse plus simple. Tous deux examinent un même ordre de
choses ; mais tandis que Gayet les passe rapidement en revue, de
l'aurore de l'époque fabuleuse jusqu'à l'heure où se manifeste l'in-
fluence gréco-romaine, et ne consacre que de brefs aperçus à la religion
1. Un vol. iii-8o, 355 p., orné de 165 gr., Paris, Fisclibacher, 1907.
2. Un vol. in-8o, XVI-262 p. with 1.30 illustrations, piiblishod in the Grerman
édition as a handbook by the Verwaltung of the Berlin impérial Miiseum,
London, Ajchibald Consiable and C»., 1907.
3. Un vol. in-8'^ VI-260 p., Berlin, G. Reimer, 1905.
4. Préfaoe, p. 2.
5. Sphinx, vol. XI, fasc. III, décembre 1907, p. 173.
6. Un vol. in-8o, XXXVI-561 p., Leipzig, R. Voigtlander, 1907.
7. Un vol. in-12, VIII-333 p., Paris, PIon-Nouxril et Cie 1907.
S70 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
elle-même, Schneider avec une méthode plws didactique trace l'évolu-
tion de tout cet ensemble de caractères qui forment une civilisation :
l'état général du pays et sa politique, l'art, la littérature, poésie et
histoire, la science et ses difîérentes branches, enfin la religion qui
comprend un bon tiers du volume. On pourrait dire la moitié, car aupa-
ravant déjà, à propos de la science, il parle des traités de théologie, de
la spéculation philosophico-religieuse, de la magie (1). Le premier est
un égyptologue qui expose le cours de la civilisation de l'antique
Egypte, cherchant à dégager les idées qu'elle renferme ; le second est
un philosophe qui veut donner une explication des choses.
Chez Gayet nous retrouvons les idées de Naville, que j'ai exposées
ici même l'année dernière (2), sur les origines de la race, les premiers
systèmes cosmiques, les dynasties divines, les systèmes religieux de la
période historique, les dogmes funéraires(3). Il considère, en terminant,
la diffusion des idées égyptiennes chez les Grecs qui s'efTorcèrent de
rattacher leur panthéon à celui de l'Egypte afin de justifier leur con-
quête ; chez les Phéniciens oii la légende isiaque s'était de bonne heure
acclimatée, grâce à leur conception du mythe d'Âstarté ; chez les Ro-
mains qui acceptèrent toutes les tentatives rénovatrices du panthéon
hellénique (4). Enfin dans l'école d'Alexandrie, pythagoriciens et néo-
platoniciens s'efforcent de donner corps sous des définitions nouvelles
aux mythes disparus. Ce n'est point la christianisation des idées de
Platon que nous rencontrons chez ces sages, tout au contraire, ils
s'ingénient à égyptianiser l'Évangile qui se ramène pour eux à la reli-
gion solaire et au culte d'Osiris.
L'étude de Schneidei- plus serrée et plus approfondie mérite qu'on
s'y arrête un peu. En voici donc les lignes générales.
L Die Religion der Urzeit. — Schneider prend l'homme au sortir des
langes de l'animalité, alors qu'avec la conscience naissante se posa la
question de la causalité des choses. Dans le monde extérieur il vit une
sommede formes résultant de l'aspect pratique, utile ou nuisible, puissant
ou vivant des êtres, et de cette masse de causalités naquirent les dieux.
Parallèlement se créa le culte des morts avec la question de leur desti-
née; et comme le primitif ne pouvait se former de la vie d'outre-tombe
qu'une idée analogue aux mille conditions de la vie présente, de là
sortirent toutes les coutumes funéraires et aussi la première idée
métaphysique. En effet, fournir le mort de toutes choses eût été en fin
de compte ruineux, et puisqu'on voyait l'être des choses dans leurs
formes, on constitua aux défunts tout une fortune faite de la forme
des objets, à l'abri de la corruption, de la déprédation et des vols. C'est
ainsi que l'observation fit naître la doctrine des doubles en général et
de la double nature de l'homme et des dieux en particulier. Les doubles
1. Op. cil., Sechtes Ivai>itel, Die Religion, p. 371-554, et Fiiiiftes Ivapit.,
Die Wissenschaft, Zauberei, TJieologie, etc., p. 293-294, et 330 371.
2. La religion des anciens Égyptiens; Bévue des Se. PJiilos. et Théol.,
Religion égypt., p. 541.
3. Chap. I; chap. II. La tombe memphite.
4. Cliap. VI, p. 286.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 571
accompagnaient les images de bois et de pierre, étaient logés dans un
domaine commun, ce qui semble être le point de départ de l'entremise
des dieux dans la vie d'outre-lombe. Le culte des dieux et le culte des
morts paraissent juxtaposés à Toiigine ; jusqu'à la quatrième dynastie
on ne trouve dans les mastabas aucune représentation certaine de la
divinité. En résumé, un ensemble de dieux de tribus, isolés et indé-
pendants, protecteurs d'une cité, un ensemble de coutumes funéraires,
c'est tout ce que nous offre la religion égyptienne des temps les plus
anciens. Les dieux n'eurent de valeur que celle de la puissance politique
du nome. La lutte de la tribu fut la lutte des dieux, de sorte qu'avec
l'élat royal naquit l'état des dieux. C'est pourquoi les suivants d'Horus
établissant peu à peu leur domination, Horus le faucon fut le dieu
royal des deux premières dynasties, des horiens qui repoussèrent les
autres dieux, surtout Set, l'ennemi du nord.
II. Die Religion zur Zeil der drillen bis seclisten Di/naslie. — Par le
revirement politique qui éleva Memphis, Horus perdit sa prédominance
tout en conservant un rôle de grand dieu dans le mythe égyptien. Râ
hérita du royaume. Mais si la cour eut un poids capital dans ce dévelop-
pement religieux, elle ne fut pas seule. A côté d'Héliopolis-On et de Râ,
nous voyons naître Busiris-Ded et Osiris, deux cultes analogues dans
leur mouvement évolutif. Tous deux cultes locaux de la basse Egypte
sont originaires d'un même culte primitif, le premier du pilier ou obé-
lisque Benben, le second du pilier Ded. Tous deux prennent des formes
humaines et de nouveaux noms : le Benben devient Râ qui reçoit la
tête de faucon et peut-être aussi le caractère solaire de l'ancien Horus;
son culte est plus ample, plus universel, plus théorique, plus doctrinal.
Le Ded se change en Osiris à la stature humaine ; héritier de tous les
éléments de la lutte d'Horus et de Set, son culte est plus pratique. Une
lutte s'engagea pour ainsi dire entre les deux durant le cours des longs
siècles de la civilisation égyptienne, qui se termina,après bien des com-
promissions, par le triomphe du culte osirien que nous trouvons encore
à la chute du vieux royaume. Ces deux cultes entln semblent une conti-
nuation et un développement, l'un du culte primitif des dieux, l'autre du
culte premier des morts. Autour d'eux se groupèrent les autres dieux
qui formèrent comme leur cercle et suivirent leur fortune. Ainsi l'évo-
lution politique des dieux coïncide avec celle des nomes et leur condi-
tion sociale est relative à celle du royaume. C'est alors qu'apparaisent
les dieux mondiaux ( Weltgôtler), issus des considérations purement
théoriques qui découlent de notre besoin de connaissance et de con-
ception du monde. Dès la plus haute antiquité, on a dû établir des analo-
gies entre la marche du ciel et les choses de la terre. Si pour l'Égyptien
la lune avec son croissant figure une corne de taureau ou un bec recour-
bé d'ibis, si le soleil, comme le faucon qui vole, s'avance pour détruire
les nuées rampantes comme un serpent, taureau, ibis, faucon et
serpent deviennent de purs symboles. Du rapprochement des nomes
où ces figurations ont eu lieu et de ce transport dans le champ du ciel
des idées premières des dieux et de leurs conflits se forma toute
une philosophie de la nature ignorée de la foule, dont Râ devint le
centre et qui eut pour couronnement les fameuses ennéades d'Héliopo-
572 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
lis. Ce culte eut une telle extension qu'il se compléta par une religion
des morts qui eut, celle-là, tout le caractère de la religion de la nature
de Rà. Son royaume des morts est le domaine de Râ avec sa route
solaire. Mais si la tendance de la cosmologie d'Héliopolis fut de s'écar-
ter de plus en plus de l'antliropomorphisme, surtout dans ses parties
les plus abstraites, elle dut le conserver cependant dans sa doctrine de
la mort. Aussi le culte osirien cadre-t-il mieux avec les nécessités pra-
tiques de la vie d'outre-tombe, car il est tout entier modelé sur le
problème humain. C'est lui en fin de compte qui l'emporta.
Il se fil chez lui en ce moment un grand pas vers la spiritualisation.
Si de plus grands soins furent apportés à l'ensevelissement et à la mo-
mification, si les cérémonies de l'ouverture de la bouche et des yeux
prirent de l'importance, les Égyptiens savaient que le corps reste inerte
au tombeau. C'est pour le double que cela se fit. C'est lui qui se meut,
passe à travers les portes peintes et figurées, etc.. Il peut vivre avec
le double des dieux en un royaume spécial. C'est le point de rencontre
du culte des dieux et des morts. Ceux-là, gardiens tout d'abord de la
tombe, entrèrent par leur humanisation dans la vie des morts. Le Ded
ou pilier d'Osiris, qui demeura pilier comme dieu local, se transforma
dans la spéculation sacerdotale. Pilier, il reçut une tête, devint momie et
maître des morts ; mort lui-même il leur est semblable. Nous louchons
là au plus haut point delà philosophie égyptienne dans sa considération
de l'univers et son partage en trois domaines : Celui de Râ, le ciel
d'Horus ; celui d'Osiris, le domaine inférieur, l'Amenti ; l'Egypte enfin
ou la terre.
C'est l'époque des grandes spéculations, celle où l'on aborde les
grands problèmes, celui de l'homme, de l'âme, et où ils sont résolus
définitivement pour les Égyptiens ; celle où l'on rencontre un enseigne-
ment complet de leur conception. C'est celle enfin où apparaît la magie.
Schneider veut en voir l'origine dans le culte des morts, dans l'emploi des
objets de toutes sortes qui devaient servir au mort de garantie, lui
procurer nourriture et jouissance. Ce furent peu à peu des amulettes
auxquelles s'adjoignirent des paroles. Les dieux d'abord commencent
à être magiciens, puis l'homme qui arrive à connaître leur puissance ;
d'où deux causalités dans le monde, la causalité naturelle et la causa-
lité magique.
C'est l'idée de A. Moret dans sa conférence : La Magie (1). Pour
lui, « religion et magie se proposent de modifier l'ordre normal
par des miracles. » Mais tandis que Schneider se plaît à cher-
cher les raisons, Moret, qui n'est pas philosophe, se contente
d'exposer les coutumes magiques, le rôle du magicien, la forme des
amulettes, etc. Erman (2), bien au contraire, la distingue résolument
du culte des dieux et des morts, « la magie étant une excroissance
monstrueuse de la religion qui prétend contraindre les forces de la
nature. » Certes ce n'est point du goût de tous, et VAlheneum(Z) trouve
1. Broch. m-18, 41 p., tirage à part du t. XX, Confér. du Musée Gui-
met. Paris, Leroux, 1907.
2. Op. cit.; ch. VL
3. The Atheneum, Satuiday, aug. 3th, 1907; et Sphinx, toc. cit.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 573
bien audacieuse l'idée d'Erman, qu'il accuserait volontiers d'ignorance
parce qu'il n'a pas accepté les théories opposées qui font de la magie
la forme primitive de toute religion ou les rendent inséparables l'une
de l'autre. Au terme de cette partie de son étude basée sur les « textes
des Pyramides '), Schneider essaye de dégager les procédés logiques
qu'ils renferment. Le mode d'appréhension des Égyptiens, la valeur
qu'ils altribuent aux représentations des objets, la manière d'exprimer
le principe d'identité et de contradiction, de raisonner par le syllogisme,
autant de choses en germe dans ces textes et qu'il faut arriver à con-
naître pour les comprendre(l). On ne peut que le féliciler de cette
tentative.
III. Die Religion im mitlleren Reich ; IV. im neuen Reich. — Un mou-
vement analogue à celui qui avait élevé le dieu Râ amena la suprématie
des princes de Thèbes et celle d'Amon, auquel le corps sacerdotal tailla
de magnifiques habits dans les dépouilles de ses prédécesseurs. Il fut
dieu solaire, son épouse Mut, qui remplace Hathor, reine du ciel, et
leur fils Chons dieu lunaire comme le Toth ancien. L'époque des
grandes spéculations était passée. Ce fut le temps d'une politique réa-
liste née de luttes à l'intérieur, obligée d'étendre son empire par des
expéditions guerrières et de protéger son commerce. On eut besoin d'une
divinité qui fut Monthou, dieu de la guerre. Il y eut par contre un
grand développement de la piété, empreinte parfois d'un peu de pessi-
misme, qui se manifesta davantage encore sous le nouvel empire,
dégénéra dans la superstition d'une multitude de divinités locales et
amena le règne de la magie. La fortune d'Amon fut un instant ébranlée
par la conquête des Hyksos, qui introduisirent des dieux asiatiques.
Baals'égyptianisa à Avaris. Vainqueur des rois égyptiens, ennemi d'Ho-
rus, il prit les attributs de Set et s'appela Suteck. Avec le nouvel empire,
Amon reprit ses droits ; les influences babyloniennes se firent sentir,
Bes et d'autres dieux étrangers obtinrent leur naturalisation. Une sorte
de syncrétisme, à l'instar de celui de Babylone, mais sans atteindre le
même degré, se produisit. La réforme d'Aménophis IV fut peut-être une
manifestation brutale de ce mouvement. Aten, qui se rattacha à la plus
pure doctrine de Râ, en rejeta l'anthropomorphisme. La voie était ouverte
au monothéisme et au panthéisme naturel. C'est le plus haut sommet
auquel parvint la spéculation théorique de l'observation du monde chez
les Égyptiens.
De son côté le culte funéraire d'Osiris fut accepté dans son ensemble.
Les rites de l'ensevelissement et de la momification subirent quelques
changements ; les mastabas et pyramides ne furent plus de mode, mais
les nouveaux tombeaux ne renferment que les anciennes formules pétri-
fiées. On ne fit que raffiner, rendre le rituel plus compliqué, se donner
libre champ dans les descriptions du pays d'outre-tombe et de ses lois.
Tout au plus pourrait-on voir, dans certaines particularités du tombeau
d'Aménophis IV, un essai de restauration de l'ancien culte funéraire de
Rfà. Le syncrétisme qui façonnait alors le culte des dieux se montre dans
1. Op. cit., Die Relicjion in deii Pyramidcn Tcxteii, p. 439-490. Dus Au-
schauliche und das Begriffliche Dencken im Strcite, p. 483, etc.
574 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
celui des morts. Il tenta même de lier ces deux cultes et de faire entrer
dans un même cycle tous les grands dieux.
V. Die Aegyptische Religion und das Christentum. — Ce fut en cet
état que le Cliristianisme trouva l'Egypte. Schneider, après avoir établi
les rapports de la doctrine de Socrate et de celle du Christ, et le lien
que, selon lui, l'apôtre Paul aurait créé entre l'hellénisme et le Chris-
tianisme, veut surtout rattacher celui-ci au culte et aux idées égyp-
tiennes. Jésus en a posé le germe, mais c'est en Egypte qu'il prit corps
pour devenir religion mondiale.
Toute réserve faite sur les idées kantistes et hégéliennes de Schneider,
qui dominent le volume, dirigent son processus, et sur les conclusions
qu'il prétend en tirer, je dois dire que, dans son exposition, l'antique
croyance égyptienne est parfaitement mise en lumière, basée sur les
travaux les plus sérieux, ceux de Wiedemann, Erman, Steindorf, etc.,
avec des vues originales et parfois neuves.
On trouve un essai de systématisation complète dans : Ancient Egypt,
the Light of the World, by Gerald Massey (1), œuvre volumineuse
quant au nombre des pages et à laquelle on peut appliquer le « nume-
rantur sed non ponderantur». L'Egypte est pour Massey la plus ancienne
civilisation, celle qui nous reflète le mieux les idées primitives de
l'homme, par conséquent oii nous pouvons retrouver l'origine des con-
ceptions postérieures, surtout des conceptions religieuses. Son ouvrage
peut se diviser en deux parties: l'une consacrée à l'explication de la
mythologie égyptienne, l'autre à sa dérivation, en particulier dans le
judaïsme et le Christianisme. La base fondamentale de sa pensée elle
pivot autour duquel elle se meut, est une question de linguistique et de
représentation des choses.
I. — L'homme créateur de mythes n'a pas fait les dieux d'abord à
sa propre image. La représentation anthropomorphique a été précédée
de tout une ménagerie de zootypes. C'est pourquoi les premières divi-
nités de l'ancienne Égypie, Set, Sebek, Shu, ont été figurées par
l'hippopotame, le crocodile, le lion ; car l'idée de force n'est pas
dérivée des muscles de l'homme, mais faisant, par exemple, mouvoir et
mugir les vagues de l'océan, elle a été perçue comme vent. Ce pouvoir
a eu comme zootype le lion, figur<^ appropriée à cette puissance hale-
tante de l'air ; son élément auditif a été traduit par le lion rugissant.
Il fut divinisé plus tard dans Shu. Toute la mythologie égyptienne n'est
ainsi qu'une représentation de la pensée primitive dont les types
forment des idéographes du pouvoir surhumain, dans la première
figuration du langage (2).
II. — Les traces de ce passé de l'homme se retrouvent plus ou moins
dans le totémisme. Les cérémonies et les rites ne furent à l'origine que
des moyens mnémotechniques, le rituel une sorte de mémorial toujours
vivant par la répétition des actes. On le voit dans les scènes funéraires
1. Deux vol. gr. in-8o impérial, 944 p., LiOndon, T. Fisher Unwin, 1907.
2. Massey, op. cit., Liv. I, Sign-language and mythology as primitive
modes of représentation.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 575
de l'Egypte. Les danseurs accourent en présence de la momie quand
celle-ci, élevée sur ses pieds, est prête à entrer dans le tombeau. Ils
imitent ainsi la résurrection future par les curieuses contorsions que
présentent les bas-reliefs. La première manifestation de ce totémisme
a été la « Magna mater » et le matriarcat issus du besoin de conserver
le sang de la famille et de la race. Alors apparurent Apet l'hippopotame,
Birit la truie, Hathor la vache ou l'arbre à fruit, comme chez les sémites
Behemot. Il se développa dans une multitude de coutumes ; les sacri-
fices totémiques ou eucharistie primitive, les rites de la puberté, le
culte phallique, et aboutit au patriarcat, toutes choses tangibles dans
la mythologie égyptienne. Enfin, centre et point de ralliement de la
tribu, le totem fut déifié. Le fétichisme, qui en découle, n'est, avec ses
symboles, amulettes, talismans, charmes, incantations, qu'un reste de
l'idéographisme primitif, un moyen palpable de détenir les forces de la
nature et de la surnature (1).
III. — Cette gnose primitive, l'Egypte nous l'a conservée dans son
langage de signes et de symboles. Elle nous apprend comment ceux-ci
sont devenus fétiches parce qu'ils représentaient un pouvoir protec-
teur qui appartenait à une double classe d'êtres que le rituel appelle
les dieux et les glorifiés. Ce sont les forces divinisées et les ancêtres.
Les premiers sont les pouvoirs des éléments, Set l'âme des ténèbres,
Horus celle de la lumière, Shu de l'air, Seb de la terre. Nu de l'eau,
Râ du soleil. Ce sont les six associés de la « Magna Mater », sous sa
forme typique la plus ancienne, l'hippopotame dont ils sont les enfants.
Comment se fit la transformation de ces puissances élémentaires en
divinités? Forces animistes elles ont été élevées à la position de gouver-
neurs d'en haut, ont eu leur étoile et ont atteint le rang de divinités
stellaires comme héros dont les âmes régnent dans les étoiles du ciel.
Le culte ancestral, totalement différent, apparaît dans le livre des
morts. Bien que relativement récent, une multitude d'indices le ratta-
chent aux temps les plus reculés. Sa doctrine des événements derniers
est une conséquence de la mythologie. C'est ainsi qu'Osiris, producteur
de la lumière dans la lune, est déchiré en quatorze pièces pendant la
dernière moitié de la lunaison par l'éternel Set, la puissance des ténè-
bres. Il est reconstitué par son fils Horus, le jeune dieu solaire.
Cette figuration suppose connu le fait de l'influence du soleil sur la
lumière lunaire qui en dérive, et permet de comprendre le rôle d'Horus
appelé le reconstrucleur d'Osiris. Du commencement à la fin, le rituel
égyptien est ainsi basé sur le fait primordial de la représentation
mythique. Appliquée tout d'abord aux phénomènes de la nature, en
partant des zootypes et en passant par le totémisme, celle-ci, à son tour,
a servi à l'explication des problèmes de l'âme humaine, et a formé les
mystères de l'eschatologie. Et c'est dans cette voie que Massey déter-
mine la fondation du domaine de l'Amenti, la formation des dieux qui
le peuplent, tout le drame de la transformation des défunts dans leur
1. Op. cit., ÏAv. II, Totetism, tattoo and fetichism as forms of sign-lanquarje.
Ces mêmes théories lont déjà été émises récemment pour étahlir les origines de
la religion grecque par I^rott, Archiv fur Beligiomswissenschaft, art. MHTHP,
mais 1906, et par J. Harrisson, The religion of ancient Grcece, 1905.
576 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
vie nouvelle, avec la signification des cérémonies qui l'accompagnent (1),
IV. — Originaire du centre de l'Afrique, cette sagesse de l'Egypte anti-
que a été inscrite dans les constellations qui forment un monde mnémo-
technique gravé sur la surface du firmament, portraiturée dans les
groupes d'étoiles qui sont autant d'idéograplies pour déterminer les
temps, les saisons et enregistrer le passé préhistorique de l'homme.
C'était le sujet des sujets des Urschus, docteurs des mystères du ciel.
Avec ces principes pour guide, Massey explore toute la carte du ciel
égyptien pour trouver la raison d'être de ces figures stellaires, dans
lesquelles il veut voir un récit de la gloire et des œuvres de iTantique
Egypte beaucoup plus merveilleux qu'aucun autre souvenir qu'ils aient
laissé sur la terre ("2).
V. — La pensée, ainsi dégagée, est comme perdue et noyée dans la
multitude des faits qu'il rapporte. Pour l'étayer, il met à contribution tous
les folk-lores, ceux des peuplades de l'Afrique et de l'Australie, comme
ceux de l'Asie et de l'Europe, même de l'Amérique, toutes les traditions
de l'antiquité, les rapprochements linguistiques, etc. Il conclut que la
mythologie égyptienne est la source primordiale des contes et supersti-
tions de tous les peuples, tandis que son eschatologie est la racine
même de tous les mystères religieux qui se sont développés depuis le
totémisme primitif jusqu'aux cultes de l'ancienne Rome et au christia-
nisme. C'est ici la seconde partie de son ouvrage, celle où, passant en
revue les livres de l'ancien et du nouveau Testament, il s'efTorce d'en
expliquer les différents faits à laide delà mythologie égyptienne. Je ne le
suivrai pas sur ce terrain (3) qui rappelle de loin l'école mythique alle-
1. Op., cit., Liv. III, Elemental and ancestral spirits or the Gods and
thc Glorificd. Liv. IV, Egyptian Book of the dead and the ynysteries of
Amenta. v
2. Op. cit., Liv. V et VI, The sign-language of astrononiical mythology.
3. Voici du reste les divers points qu'il traite : Liv. VII, Egyptian Wisdom
and thc Hehrew Genesis, et liv. VIII, The Egyptian Wisdom in other Jewish
Writings. Les récits babyloniens de la création, ceux d'Ansar et de Kisar, ou
de Giligames, ceux de Gautama, de Hwaug-ti comme ceux de Jehova dérivent
du mythe astronomique de Phtah; le scheol juif et le ourgatoire catholique
des mystères de l'Amenti. — Liv. IX, The ark. the déluge, and ihc World
great Y car. — Liv. X, The Exodus and the désert of Amenta. — Liv.XI,
Egyptian Wisdom in the révélation of John the divine. C'est l'Apocalypse
qui avec ses bêtes ou\Tre libre carrière à l'imagination fantaisiste. La révéla-
tion en est faite par Horus à ses Shesu-Hor dans le mystère de Toth-Aan
ou Toth le cynocéphale, d'où provient même Le nom de Jean, Jean=Aan. —
Liv. XII, The Jésus legcnd traced in Egypt for ten thousand Years. L'idée
de l'avènement d'un messie et des circonstances qui l'environnent se retrou-
va à Memphis dans le culte de Phtah, figurée en différents signes du Zodia-
que. Co fut humanisé dans la suite par la religion égyptienne dans les monu-
ments et tableaux qui conservent encore les traces des zootypes primitifs.
Cette légende de Jésuâ apportée à Rome par les sages de l'Egypte est en
partie conservée dans la Pistis-Sophia. Le double Horus est le type primi-
tif du Christ et de sa double nature divine et humaine. Les mystères et mira-
cles ne sont que des modes dramatiques de représenter la gnose de la mythologie
et de l'eschatologie égyptiennes dans l'Amenti. Ils ont évolué dans le chris-
tianisme. La lutte contre l'esprit du mal c'est toute la légende du mythe
de Set et d'Horus, etc.. Enfin il termine par un 'tableau comparatif des faits
et scènes de la mythologie, et des faits et scènes de la vie de Jésus.;
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS O//
mande d'il y a soixanle ans. Mais dtissé-je paraître par Irop sévère, je
n'iiésite point à dire qu'on trouve dans l'œuvre de Massey un tissu d'insa-
nités. Ce n'est pas ainsi qu'on fait de la science. Il y a dans ces volumes
un défaut manifeste de critique à l'égard des textes égyptiens. Il ne suffit
pas d'en réunir les fragments parfois d'époques très diverses, mais on
doit justifier l'accord qu'on établit entre eux et légitimer les idées que
l'on en déduit. Il ne faut pas les sortir de leur cadre pour les inter-
préter, et leur supposer des idées qu'ils ne renferment point, comme la
connaissance du fait de la lumière solaire source de celle de la lune.
Pour ma part, je n'en ai jamais vu trace en aucun texte. Il est égale-
ment certain que les Égyptiens l'ignoraient. Il ne faut pas non plus
baser ses démonstrations sur des rapprochements plus ou mioins hasar-
deux, comme totem et le copte lôm, l'hiéroglyphique, tem, tina ; ou sur
d'autres absolument fantaisistes, guidé par une simple assonance, et tirer
le nom de l'apôtre Thomas de Tum le Dieu égyptien, Jean de Aan^ le
cynocéphale, etc.
Enfin et d'une façon générale l'analogie ne peut établir par elle-même
un rapport de descendance entre deux doctrines. Elle n'a pas, que je
sache, une véritable valeur démonstrative, en bonne logique. Il serait
nécessaire auparavant de montrer qu'elle est basée précisément sur des
emprunts et des dérivations, et ne pas renverser le problème pour
déduire de l'analogie, l'emprunt et la dérivation, comme le fait Schnei-
lier dans sa conclusion ; ou par des rapprochements factices, créer
même des analogies, comme c'est le fait de Massey dans ses 994 pages.
Un tel procédé se rapproche du cercle vicieux.
Pour clore ce bulletin sur la religion égyptienne, je citerai encore :
Les idées cosmogoniques des anciens habitants de VEgypte, par Aemed
BEY Hamal, conservateur-adjoint du musée des antiquités du Caire (1).
Il cherche à établir un rapport entre les monuments égyptiens et les
livres saints, c'est-à-dire surtout le Coran. Pour renseigner sur la valeur
scientifique et critique de cet opuscule, il suffit, par exemple, que je
rapporte cette conclusion : Dieu, sous le nom égyptien de Khnoum, a
formé le corps de l'homme du limon et lui a communiqué le souffle de
la vie et lui a donné une âme humaine que les Égyptiens représentaient
comme un oiseau à tête humaine; le Hadis nous dit en effet: «Les
âmes des marlyrs sont renfermées dans des oiseaux verts (2) ».
Enfin G. Maspéro, dans Causeries d'Egypte (3), a réuni en volume
une série d'articles qu'il a publiés dans le Journal des Débats de 1893 à
1907. C'est un tableau vivant des recherches et des progrès accomplis
depuis quinze ans dans le domaine de l'égyptologie. Pour mémoire, en
voici quelques titres : « Les mystères d'Eleusis et l'Egypte. — Sur un
monument égyptien qui porte le nom d'Israël. — Le livre d'un magi-
cien égyptien vers le l*^"" siècle de notre ère. — Un dialogue philoso-
phique entre un Égyptien et son âme. »
Le Caire. Fr. A. Deiber. 0. P.
1. Broch. in-8o, 21 p. Le Caire, impr. nat. 1907. Extr. du Bid. de la
Soc. l'cd. il" géogr. VII'' série, no 1.
2. P. 9.
3. Un vol. in-8o, 360 p. Paris, E. Gmlmolo, 1907.
2^ Année. — Revue des Sciences. — N" 3. 37
578 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
III. — RELIGIONS SÉMITIQUES.
I. — Religion Assyro-Babylonienne.
Depuis Tannée 1902, M. Mokris Jastrow, professeur de langues sémi-
tiques à l'université de Pensylvanie, édite peu à peu, par fascicules, un
ouvrage d'ensemble sur la Religion babylonienne et assyrienne(l). Cette
publication, dont rachèvement total se fera, dit-on, attendre encore un
certain temps, est aujourd'hui assez avancée pour qu'on en puisse
apprécier déjà toute la valeur. La tâche est devenue facile, après que les
principaux organes scientifiques sont venus rendre hommage au carac-
tère si complet, si consciencieux d'une œuvre magistrale en son genre,
sinon définitive. Car l'auteur est trop bien informé pour prétendre
apporter l'ultime solution des nombreux problèmes que soulèvent les
inscriptions cunéiformes. En tous cas, un essai de synthèse était oppor-
tun : il donne corps à la masse énorme des documents connus.
Deux chapitres préliminaires contiennent la nomenclature des
sources (i), la description du pays et l'histoire du peuple (ii). A ce
propos, M. Jastrow ne pouvait se dispenser d'aborder la question
toujours ouverte des origines de la civilisation babylonienne. Il l'aborde
en effet et son altitude est assez réservée. Il lui parait établi que la
littérature et même le syllabaire cunéiformes sont complètement sémi-
tiques et n'ont point conservé la moindre trace d'une influence hétéro-
gène quelconque, suméro-accadienne par exemple. Mais aussi, l'hypo-
thèse d'un mélange de races dans le sud de la Mésopotamie lui semble
légitime : « En fin de compte, la question des origines se résoudrait
par la supposition suivante. Un contact réciproque de races distinctes
a donné cette impulsion aux esprits qui est la première condition de
tout essor civilisateur. 11 est possible que la part la plus considérable
dans ce mouvement revienne, pour une certaine période, aux éléments
non-sémitiques. Mais les sémites ont bientôt pris la prépondérance et
ils ont si bien absorbé les éléments non-sémitiques, que la culture issue
du mélange primitif des races leur doit le caractère unique dont,
en définitive, elle témoigne. » (p. 31). La solution peut paraître
contestable, surtout en ce qui concerne le syllabaire cunéiforme. Elle a
du moins l'avantage de faire ressortir que le problème n'appartient pas
exclusivement au domaine de la philologie, mais que les données de
l'anthropologie pourront peut-être y apporter quelque lumière.
L'histoire de la formation du panthéon assyro-babylonien forme
l'objet des douze chapitres suivants (iii-xiv). Les dilTeiences pro-
fondes qui existent entre les dieux du royaume du Nord et ceux du Sud
ont conduit M. Jastrow à tenir compte du point de vue chronologique et
géographique. Il étudie donc successivement le panthéon à l'époque
babylonienne (iii-xi) puis assyrienne (xii-xiii), enfin sous la période
1. Die Religion Bàbijloniens und Assyriens. I Band. in 8, X-552 pp. Giessèn.
Ricker, 1905. Le second volume est en cours de publication. L'ouvrage
complet comprendra trois volumes.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 579
néo-babylonienne, après la chute de Ninive (xiv). La religion assyro-
babylonienne a pour point de départ l'animisme, et son développement
est dû en grande partie à la distinction progressivement établie entre
les dieux et les esprits. Trois causes principales ont amené cette diffé-
renciation au point que nous révèlent les documents épigraphiques:
Les conceptions populaires, les théories édifiées par les prêlres, les
événements politiques. Les idées populaires ont plutôt agi dans le sens
conservateur. Elles ont contribué au maintien des anciennes traditions
locales. Grâce à elles, l'animisme primitif a persisté sous la forme du
culte des esprits. De très bonne heure aussi l'influence de \d. spéculation
sacerdotale est entrée en jeu. Elle aboutit bien avant Hammourabi à
un essai de systématisation que les siècles postérieurs modifieront peu.
Dès cette époque, les deux grandes triades Anu-Bel-Ea, Sin-Schamasch-
Ischtar (ou Sin-Schamasch-Adad) sont constituées, et les divinités qui
les composent ne sont plus considérées comme des dieux locaux, mais
comme des phénomènes cosmiques universels. La politique a eu pour
résultat d'introduire le principe monarchique dans le panthéon. Avec
Hammourabi la suprématie de Babylone s'établit sur toute la vallée de
lEuphrate. Par le fait même, Marduk, dieu de Babylone, prend le
premier rang parmi les dieux. Les autres divinilés locales sont obligées
de lui céder leurs attributs. M. Jastrow croit cependant que cette
transmission de pouvoirs n'a pas dû se faire sans lutte. Marduk est
obligé, à plusieurs reprises, de compter avec Nebo, son puissant voisin
de Borsippa. Et s'il hérite des attributs d'Ea, c'est à condition de se
faire adopter par le maître d'Eridu. Le royaume du Nord n'a pas connu
de semblables compromis. L'Assyrie en effet n'a pas été composée de
districts particuliers plus ou moins indépendants. Les cultes locaux
n'ont pas eu le temps de s'y implanter d'une manière aussi profonde
qu'en Babylonie. Aussi Aschur est-il devenu plus facilement maître
absolu, u Les grands dieux » eux-mêmes sont traités à Ninive « comme
les membres d'une petite cour, n'ayant d'autre raison d'être que de
relever par leur éloignement la majesté de la gloire souveraine. Et
l'on a l'impression qu'en Assyrie, quelques-unes seulement des divi-
nités invoquées à côté d'Aschur exercent une influence positive sur la
vie du peuple. » (p. 204.)
On a trouvé un peu prématurée et excessive la part que M. Jasirow
attribue à la spéculation des écoles chaldéennes (l). La critique, pour
juste qu'elle soit, ne saurait s'appliquer aux conclusions de l'auteur
relativement au monothéisme assyro-babylonien. Oui ou non le mono-
théisme a-t-il été connu dans la vallée de l'Euphrate ou à Ninive ?
M. Jastrow répond nettement non. (p. 260). Sans doute il a existé à l'état
de tendance qui se manifeste surtout par la constitution des triades et
l'introduction d'un dieu suprême auquel tous les autres sont plus ou
moins soumis. Mais pour atteindre jusqu'à la vraie formule du mono-
théisme, il aurait fallu concentrer entre les mains d'un seul loufes les
forces du monde. Or, ni Marduk, ni Aschur n'ont joué ce rôle. Et si les
triades témoignent d'un effort dépensée plus abstraite et d'une poussée
1. Cf. Jean Réville. Bévue de l'Histoire des Religions. T. LVI, n» 3.
oSn REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
plus intense vers l'unité, jamais la philosophie des écoles n'a franchi le
pas qui eût permis d'attribuer par exemple à Anu les prérogatives de
Bel etd'Ea.
Sur ce point spécial. M. Baentsch semblerait beaucoup plus afïîr-
matif (1). Il a lu « entre les lignes » que les prêtres babyloniens ont cru
aune « idée fondamentale » de l'univers dont les dieux multiples ne
sont que des manifestations partielles. De même, les âmes pieuses, au
moment où elles récitent les psaumes pénilentiaux, prient leur dieu
comme s'il était l'unique. Enfin les peuples, à travers les divinités
locales, s'aaressent en réalité aux grandes énergies cosmiques. La
croyance des prêtres demanderait un surcroît de documentation. Celle
(iu peuple ne semble pas beaucoup sortir du polythéisme. Quant à
l'état psychologique des âmes pieuses, il faut le rattacher directement
à l'hénolhéisme. Or, que l'hénothéisme « tende au monothéisme
comme à sa perfection », c'est le signe irrécusable qu'il n'y est pas
encore arrivé. De sorte qu'en dernière analyse, si l'on presse les con-
clusions de M. Baentsch, on s'aperçoit qu'elles diffèrent peu pour le fond
de celles du savant américain.
Après avoir exposé la formation du panthéon assyro-babylonien,
M. .Jastrow commence à explorer le contenu de la littérature religieuse.
Deux études très étendues sont consacrées aux textes magiques (xvii,
aux prières et aux hymnes (xvii). Ici l'auteur ne croit pas devoir main-
tenir la distinction établie précédemment entre la Babylonie et l'As-
syrie, parce que les usages religieux n'ont pas été notablement
influencés par les vicissitudes de la politique. La littérature et l'art
sont même des produits exclusivement babyloniens, (p. 4fi). Il n'est
pas possible de rendre un compte détaillé de ce qui est déjà un résumé,
d'ailleurs très objectif des documents. M. Jastrow a laissé le plus
souvent possible la parole aux textes. Les citations sont nombreuses
et donnent un tableau fidèle, concret, parfois presque familier de la vie
religieuse, telle qu'on la menait à Babylone ou à Ninive, avec ses
croyances populaires, ses rites magiques, ses supplications aux dieux.
J'attirerai cependant l'attention sur un point qui a été, ces dernières
années, l'objet d'études spéciales. Il s'agit de l'idée de péché et d'expia-
tion chez les Babyloniens (2). Après avoir analysé une partie des textes
magiques, M. Jastrow conclut que non seulement les notions de bien
et de mal étaient répandues parmi les prêtres et le peuple, mais encore
celle de faute morale. Sans doute on les y trouve mélangées avec des
conceptions beaucoup moins hautes, mais elles apparaissent assez
distinctes pour qu'on puisse les détacher de leur contexte, (p. 327).
Cette opinion n'est point universellement partagée. La preuve en est
que M. ScHRANK, professeur à l'Herzog Ernst-Seminar de Gotha, ne croit
1. Altorientalischer und israelitischer Monotheismiis. Fin Wort zur Revision
der EntivicMunqsgeschiclitlichen Auffassung der israeJitischen Rdigionsge-
scMchte.. XII-12Ô pp. Tabingue, Mohr, 1938.
2. Elle a été étudiée ex professo par M. Morgenstern. The Doctrine of
Sin in hahyl. Bel. :Mitheil. d. Vorderas. Gesells. 190-3 H. 3.; et incidemment
par tous les auteurs qui se soat occupés de l'idée de péché ou d'expiation
dans l'Ancien Testament.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 58i
pas devoir s'y rallier. Il consacre un travail aux « Rites de Fexpiation en
Babylonie » (1). Et dès le début il déclare qu'il ne subordonnera pas
ses recherches aune théorie quelconque de l'idée de péché ou d'expia-
tion, parce que la religion babylonienne n'a fourni jusqu'ici aucun
témoignage en sa faveur. On n'est pas plus autorisé, selon lui, à établir
une distinclion, dans la langue rituelle, entre les termes : maladie,
possession, faute, impureté, mort, qu'on ne l'est à isoler les idées de
santé, de délivrance du péché, de pureté et de vie. L'auteur s'est donc
attaché à décrire surtout le côté extérieur de l'expiation, et son étude se
divise en trois parties. La première a pour objet le prêtre exorciste : sa
place dans la hiérarchie sacerdotale, les qualités qu'il doit avoir, ses
fonctions, ses vêtements liturgiques. — Dans la seconde partie, on
décrit la personne du pénitent, les parties du corps qu'il soumet à
lexorcisme ; les prières et les actes imposés par le rituel. — Enfin, la
troisième partie distingue les différents rites expiatoires. On le voit,
l'exposé est complet et peut passer pour un essai de reconstitution de
ce « code rituel » dont l'auteur n'est pas seul à admettre l'existence
auprès du code civil, (p. 80 1.
Le livre contient eu outre quelques vues d'une portée plus
générale. A propos des qualités corporelles requises chez l'exor-
ciste, M. Schrank suggère l'hypothèse qu'elles pourraient bien
être en relation avec le caractère même des sacrifices. La foi popu-
laire veut offrir au dieu un don parfait, et le prêtre doit participer à la
pureté de l'offrande. De même l'auteur a cru pouvoir se permettre un
certain nombre de rapprochements entre les rites babyloniens et les
liturgies occidentales. La couleur violette des ornements pénitentiaux,
l'étole, la confession publique, la génuflexion, etc., tout cela fait partie
d'une vaste évolution dont Babylone serait le point de départ. Il y
aurait naturellement à faire là-dessus plus d'une réserve. Sans doute,
M. Schrank n'est point « panbabyloniste » par principe. Mais c'est égal,
on ne voit pas très bien, par exemple, comment le terme « Fils de
Dieu » dans le Nouveau Testament se rattache à l' « amêlu mar ilisu »
des pénitents babyloniens. A rester strictement sur le terrain des faits,
est-ce qu'on ne pourrait pas accorder à l'histoire en général et à l'his-
toire des religions en particulier la permission de s'être répétées
spontanément une ou deux fois sur un espace de cinq à six mille
ans ?
Un autre travail, mais d'un genre tout différent, vient également
enrichir les connaissances relatives à l'exorcisme babylonien. Il existe
un groupe de bas-reliefs figurés qui ont, depuis longtemps, exercé la
sagacité des archéologues. On les désigne d'un nom collectif : « Bas-
reliefs de l'Hadès. » Ce nom leur vient de ce qu'on avait cru jusqu'à
présent y reconnaître la description d'une scène funéraire babylonienne.
La solution n'était pas considérée comme de tous points satisfaisante.
Elle vient d'être discutée à fond dans une étude très minutieuse et fort
1. Babylonische SuJinriten mit liiicksicht auf Friester und Busser. — in-S",
XIl-112 pp. Leipzig, . Hinrichs, 1908.
582 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQIIES
bien conduite (1). L'auteur, M. Karl Franz, joint, à une connaissance
approfondie des textes assyro-babyloniens, une très grande finesse
d'observation. Grâce au contact incessant établi entre les données épi-
graphiques et les monuments figurés, il réussit à dégager, d'une façon
qui semble très ferme, le véritable sens de ces énigmatiques figures.
Il y voit la description d'une scène d'exorcisme. Les deux morceaux
les plus importants (2) se divisent en quatre grands registres. Le
premier représente les attributs des dieux dont le nom intervient ordi-
nairement dans les incantations : Anu, Éa, Adad, Marduk, Nabu, Ischtar,
Schamasch, Sin etles sept dieux (ilâni sibitti) ou plutôt les sept mau-
vais esprits qui envoient les maladies. Ce dernier groupe reparaît au
naturel dans le second registre. Le troisième registre contient la scène
proprement dite de l'exorcisme, et enfin, sur le quatrième se dessine
l'image de Labartu, démon de la fièvre, accompagné de Lilu qui tient casa
disposition le terrible vent du Sud-Ouest. Sur un point cependant
l'analyse de M. Franz s'est reconnue impuissante. Il s'agit de la figure
de monstre sculptée au revers du relief, dont la tète dépasse et dont les
mains étreignent le rebord du registre supérieur. En dépit de cette
lacune, l'identification générale demeure très vraisemblable et c'e.st
plaisir que de voir les résultats de l'épigraphie appliqués avec tant d'à-
propos et de perspicacité au déchiffrement parfois scabreux des
scènes purement figurées.
Signalons encore une courte étude de M. E. Sidney Hartland (3).
Elle nous ramène à un stade plus récent de la religion babylonienne
sous la domination perse. Hérodote (4) mentionne, non sans dégoût,
l'existence d'un rite d'après lequel toute femme de Babylone devait,
une fois dans sa vie, faire le sacrifice de sa chasteté avec un étranger
dans le temple de Mylitta. Après avoir distingué cet usage des pra-
tiques similaires qui existaient en Arménie, en Lydie et à Chypre,
l'auteur s'efforce d'en dégager la signification. Il ne faut pas y voir un
sacrifice d'expiation en vue du mariage. Il y a plutôt lieu de l'assimiler
aune coutume observée chez la plupart des peuples primitifs, pour qui
la défloration naturelle ou artificielle des vierges constitue un acte d'ini-
tiation cultuelle à l'état adulte et à la vie matrimoniale. Pour éviter le
danger que pouvaient créer de semblables relations, on avait recours
le plus possible à l'intervention d'un étranger. Enfin, lorsque le sens
primordial du rite eut été perdu, on fit rentrer celui-ci dans le culte de
iMylitta, la déesse du plaisir.
Ces divers travaux montrent qu'actuellement trois méthodes sont
1. BahyJonische BeschivOmngsreliefs. Ein Beitrag filr Erklarung des sog.
Ilaâi s-Bclipfs. mit .5 Abbildiuigen im Test und 4 Taieln, in-So, 11-94 pp. Leip-
zig, Hiniichs, 1908.
2. Le premier se trouve à Paxis (Collection de Clercq); le second au Mu-
sée de Constautinople. ^I. Franz a eu de plus la bonne fortune de découvrir
au Lou\-ro deux fragments nouveaux qui l'ont aidé à compléter ses obser-
vations sur- les autres pièces.
3. Concerning the rite at the temple of Mylitta, Dans la Collection des « An-
thropological Essays ». Oxford. Clarondon Press. 1907, p. 189-202.
4. Hlst., I, 199.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS o83
appliquées à l'étude de la religion babylonienne : la méthode
qui procède par simple analyse des documents ; la méthode arché-
ologique ; la méthode anthropologique. Inutile d'ajouter qu'il
n'existe aucune espèce d'opposition entre ces trois procédés d'in-
vestigation. Ils sont appelés de plus en plus à se compléter l'un par
l'autre.
Avant de terminer cette partie du bulletin, je mentionne, bien qu'elle
ne s'y rattache qu'indirectement, une plaquette de M. Paul Haupt sur
la fête juive de Puriiu (1). Cette fête, on lésait, fut instituée en souvenir
de la victoire remportée par Judas Machabée sur PSicanor, le 13 Adar
161 A. C. On y lisait le livre d'Esther. Or, ce livre contiendrait,
dil-on, des traces de mythes babyloniens. Voici comment. D'après
M. Haupt, Esiher n'est pas un livre historique, mais une légende com-
posée pour la fête des Purim. Haman, Mardochée, etc. figurent les
personnages réels qui ont joué un rôle dans la délivrance des Juifs à
l'époque de Nicanor. Mais par delà ce premier plan de symbolisme, on
en découvre un second qui trahit ses origines par la forme des noms
propres. Mardochée correspond à Marduk ; Esther à Ischtar ; Haman
et Vasthi désignent des dieux élamites. « L'antagonisme entre llaman
et Yashti d'une part, et Mardochée et Esther d'autre part, a donc pu
être suggéré par une ancienne légende qui célébrait la victoire du dieu
principal de Babylone sur les dieux de l'Elam. Cette même légende
reçut plus tard une nouvelle adaptation naturiste : elle signifia le triom-
phe des divinités prinlanières sur les géants glacés de l'hiver. » (p. 22).
Comment Fauteur du livre d'Esther a-t-il été amené à choisir ce cadre
babylonien ? M. Haupt croit pouvoii répondre que l'analogie des
situations le lui a suggéré ; et aussi celte circonstance que les Purim
étaient la fête du nouvel an dont le retour coïncida, à partir de la Capti-
vité, avec l'équinoxe du printemps.
2. — Religion Cananéenne.
Peu de travaux à signaler. M. Dussaud consacre une étude au dieu
phénicien Eschmoun (2). Eschmoun-Adonis-Tammouz ne sont qu'une
seule divinité, personnifiant d'abord r« esprit de la végétation » et plus
spécialement de la moisson, puis plus tard, s'élevant jusqu'à représenter
« le principe de toute vie. »
On est en droit d'attendre de nouveaux détails sur l'histoire des
religions cananéennes en Palestine, puisque les fouilles continuées à
(jézer et inaugurées à Jéricho ont amené, l'an dernier, plus d'une décou-
verte intéressante (3).
1. Ptirim. Address delivered at the annual meeting of the Society of
Biblical Littérature and Exegesis. Leipzig, Hinxichs, 1906; in-4o, 56 pp.
2. Journal des Savants, janvier 1907.
3. Oa ea trouvera le Compte-Rendu, par le R. P. Vincent, 0. P., dans la
RevKe Biblique, janvier 1908, p. 114 et s.
oS4 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
3. — Religion des anciens Arabes. — Islam.
On n'ignore pas les difficultés presque insurmonlables que présente
la reconstitution de l'histoire des Arabes avant la conquête musulmane.
Les sémitisauts sauront donc gré à M. Dussaud d"avoir publié son
pénétrant mémoire sur «les Arabes en Syrie avant l'Islam » (1), véritable
mine de renseignements groupés autour de l'ancienne tribu des Sa-
faïtes. Les Safaïtes se sont installés, vers le début de notre ère, à l'est
du Djebel Hauran. Ils ont laissé sur les basaltes du désert d'El-Harra
un nombre assez considérable de graffites (2) du genre de ceux que les
Nabatéens gravaient sur les grès du Sinaï. Et ces inscriptions ont per-
mis de restituer un des chapitres les plus intéressants de la pénétration
arabe en Syrie. Je ne dois parler ici que du panthéon décrit longuement
par l'auteur, (ch. v-vii).
L'idée générale de M. Dussaud est que les Safaïtes, au moment où
ils écrivent leurs inscriptions, passent de l'état nomade à l'état séden-
taire. Il faut donc s'attendre à trouver deux catégories de divinités dont
les unes, « plus généralement arabes », ont été emportées par les no-
mades, tandis que les autres sont empruntées aux cultes déjà établis
antérieurement en Syrie. La première catégorie comprend Allât, divi-
nité féminine, qu'on n'est pas autorisé à identifier avec l'n^X des textes
puniques, ni avec l'Allâtu babylonienne. On la retrouve déjà sous une
forme masculine dans les inscriptions sabéennes. Elle avait un sanc-
tuaire à Ta'ifprès de la Mecque. Les Nabaléens ont également contribué
à implanter son culte en Auranitide. Elle personnifie la planète Vénus
et suivant qu'elle représente l'étoile du matin ou l'étoile du soir, on
l'appelle encore Al 'Ouzzâ et Manât. De là lui vient aussi son caractère
guerrier. Allât est la parèdre d'Allah. A ce propos M. Dussaud note
que « les inscriptions safaïtiques ont, pour la première fois, fourni le
témoignage indiscutable qu'Allah, avant de devenir le dieu unique des
musulmans, avait été une divinité particulière du nord arabe, «(p. 140).
Viennent ensuite Gad-'Awîdh, Chams, déesse solaire. Il lia', Raliain
connu des Sabéens et des Palmyréniens, enfin Chai-'al-Qaum proba-
blement un dieu des armées chez les Safaïtes. La description se ter-
mine par cette remarque : « On ne peut manquer d'être frappé de la
richesse du panthéon safaïlique. Cet exemple infirme à nouveau la
théorie d'après laquelle le nomadisme inclinerait au monothéisme »
(p. 156). — A l'époque de leur incorporation aux populations syriennes,
les émigrés adoptent deux divinités implantées en Syrie avant qu'ils
s'y fussent installés eux-mêmes. Dusarés, dieu des ISabatéens et Be'el-
Samîm, le Ba'al-Chamîm des Cananéens, mentionné sous la forme Baal-
sa-me-me dans le traité d'Asar-haddon avec le roi de Tyr. A une
époque plus récente, le panthéon des safaïtes s'hellénise et ses dieux
perdent jusqu'à leurs noms arabes pour prendre des noms grecs.
1. Les Arabes eu Syrie avant l'Islam, avec 32 figures, ln-8'^, 173 pp. Paris,
Lexotix, 1907.
2. Il en existe actuellement en\'iron 17.50. Leur découverte est due princi-
palement à ■\BI. Waddington, de Vogué, Dussaiid el Macler.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 585
Outre l'intérêt intrinsèque qu'elle présente, Félude de M. Dussaud
met en évidence les liens qui rattachent entre eux les divers cultes
d'origine arabe. De mèaie il n'est pas sans intérêt de constater au point
de vue de l'histoire des religions que « les textes safaïtiques révèlent
une diffusion insoupçonnée des dialectes arabes antéislamiques qui
permet de mieux comprendre la propagation rapide de l'enseignement
religieux de Mohammed, le propliète d'Allah. « (p. 21).
Le savant professeur du Collège de France a donc su tirer des textes
tous les renseignements qu'ils étaient capables de fournir. Et en ache-
vant la lecture de son mémoire, l'on forme le souhait que les inscriptions
relatives aux anciens Arabes se multiplient et qu'elles rencontrent des
commentateurs aussi compétents, puisqu'après tout, si incomplet et si
obscur qu'il soit, le pUis humble gralFite est encore, semble-t-il, le lien
le plus immédiat qui nous rattache au passé des peuples oubliés... Et
pourtant, que serait-ce si les morts ressuscitaient pour venir déposer
eux-mêmes en faveur de leurs institutions sociales et de leurs croyances
religieuses? Voilà une idée bien fantaisiste ! Il suffit d'être un peu initié
aux choses d'Orient pour entrevoir qu'elle n'est pas de tout point irréa-
lisable. Assurément on serait mal venu de prendre à la lettre l'affirmation
si souvent répétée : « En Orient rie.n ne change. » Mais s'il est vrai que
les traditions se maintiennent là-bas avec plus de ténacité que partout
ailleurs, Ton conçoit immédiatement que de nouvelles voies devaient
s'ouvrira la curiosité des orientalistes qui les amèneraient àun contact
en quelque sorte phis direct avec le passé que celui du document écrit
sur lequel le « document humain » vivant et agissant possède une incon-
testable supériorité. Aussi a-t-on vu ces derniers temps éclore une
nouvelle branche de la littérature orientale qui n'allait à rien moins
qu'à transformer l'histoire des religions sémitiques en une science
d'observation. L'ouvrage si connu de M. Curtiss (1) eu est un des essais
les plus brillants, sinon les plus heureux. Puisqu'on voulait prendre une
attitude d'observateur, il fallait eu accepter jusqu'au bout les conditions
el se soumettre aux règles qu'elle impose. Or il y a bien longtemps déjà
qu'elles étaient tracées, ces règles, dont il suffit de rappeler les plus
élémentaires : d'abord, savoir circonscrire le domaine des recherches
à un milieu déterminé, bien homogène ; se familiariser autant que pos-
sible avec ce milieu, que l'on prétend décrire, par la connaissance
de la langue et des mœurs ; enlin écarter tous les a priori théoriques
qui seraient de nature à fausser non seulement la juste appréciation,
mais le simple enregistrement des faits. Règles sages et dont l'obser-
vation se recommande plus strictement encore en terre d'Orient où le
fait primordial, le « fond indestructible » qui fait l'objet de l'enquête, se
trouve enchâssé, sinon dissimulé, dans un agrégat d'éléments divers
accumulés par les siècles. De sorte que, pour être sûr de s'en rendre
maître, il faut se résigner à lo-ut enlever d'un seul coup, et l'agrégat
composite, et la trouvaille antique qui peut-être y est caciiée. Le triage se
fera ensuite avec d'autant plus de sécurité. Le seul fait de constater une
1. TJrscmiiischc Rdigion im Volksleben des lieutigen Orknts; u\-8°, XXIX-378
pp. Leipzig, Hinrichs, 1903.
586 REvur. DES sciences philosophiques et théologiques
application vraiment scientifique, consciencieuse, j'allais dire coura-
geuse, de celte méthode, prouve qu'un progrès nouveau a été réalisé
dans la voie dont je parle. L'honneur en revient au R. P. Jaussen dans
son ouvrage sur les « Coutumes des Arabes au pays de Moab » (1).
Depuis longtemps familiarisé avec l'Orient, le P. Jaussen était plus que
tout autre à même de se persuader que (> la connaissance des phéno-
mènes actuels paraîtra d'un grand secours, sinon d'une nécessité absolue
à quiconque veut pénétrer les religions sémitiques anciennes. » (p. 304)
Mais d'autre part il a su limiter ses recherches à un groupe ethnogra-
phique restreint, assez nettement caractérisé : les tribus de la ïransjor-
dane. Et s'il s'est occupé presque exclusivement des nomades, c'est parce
que les nomades « ont moins subi l'influence de la civilisation étrangère. »
(p. 328). Et il a tellement bien compris la nécessité d'entrer en relations
immédiates avec les Arabes qu'il s'est plié à vivre pendant de longs mois
la vie des Bédouins sous la tente. Il a partagé leur hospitalité, discuté
des heures entières les usages, coutumes, traditions sociales et religieuses
de ses hôtes, enregistré les moindres détails capables d'éclairer son
enquête. Enfin tout son livre témoigne qu'il ne s'est proposé « de soutenir
aucune thèse ni d'étayer aucun système », mais qu'il a voulu simplement
« constater des faits, relever et noter des observations » (p. 2). Les
qualités positives qu'on avait le droit d'attendre d'une étude de ce genre,
c'était, avec la fidélité du rapporteur, une classification des résultats
assez large pour n'être pas elle-même tendancieuse, assez méthodique
pour faciliter le travail du sémilisant et plus encore du bibliste auquel
les pages du P. Jaussen sont spécialement destinées. Ici encore il con-
vient de rendre hommage à l'auteur des « Coutumes ». Le plan est à la
fois logique et calqué sur la réalité (2), et le P. Lagrange a pu dire que
« la fidélité du P. Jaussen est telle, que les arabisants n'auront aucune
peine à lire ses histoires par la pensée dans le texte original » (préface,
p. III). Le chapitre consacré à la Religion se subdivise de la manière
suivante. Allah. Wélys. Ancêtres. Gins. Umm-el-Geit. Arbres sacrés.
Pieri-es sacrées. Immolation. Fedou. Circoncision. Semât. Vœux. Temps
sacrés. Superstitions Faqir. Et c'est en parcourant ce tableau, pris sur
le vif, de la religion bédouine, que l'on constate jusqu'à quel point les
prévisions de l'auteur étaient justifiées. Il est, par exemple, dans tel ou tel
paragraphe consacré au Gins, ou aux superstitions, des traits dans
lesquels un contemporain d'Hammourabi, un Nabatéen, voire même un
Israélite, reconnaîtraient leur propre image.
Laissons toutefois à l'œuvre du R. P. Jaussen le caractère qu'il reven-
dique si instamment pour elle. Certes les comparaisons avec les anciens
cultes se suggèrent parfois d'elles-mêmes. Et l'auteur en a incidemment
signalé quelques-unes des plus frappantes. Raison déplus pour attendre
le jour où lui-même fera toucher du doigt, avec la compétence d'un
spécialiste, tout ce que l'interprétation scripturaire peut attendre d'une
1. Collection des « Etudes Bibliques ». Paris, Gabalda, 1908; jii-8°, XII-
448 pp.
2. Vie do famille. Tribu. Rapports des tribus. Droits. Vie économique.
Religion..
BULLETIN DE SCIEN'CE DES RELIGIONS 587
étude directe, scientifiquement menée, sur les mœurs et coutumes de
l'Orient contemporain.
4. — Expansion Extérieure des Religions Sémitiques.
Presque toutes les religions sémitiques sont susceptibles d'être abor-
dées à un triple point de vue. On peut en effet se proposer de dégager
le fonds d'idées, de croyances et de pratiques qui revient à chacune
d'elles prise à part. On peut aussi, et ce second aspect voisine de très
près avec le premier, les considérer dans leurs rapports et déterminer,
par voie de comparaison, les éléments qu'elles se sont mutuellement
empruntés. Enfin puisque les Sémites forment un groupe distinct, eth-
nologiquement et géographiquement, on peut replacer ce groupe dans
l'histoire générale des religions, et se demander dans quelle mesure il a
pénétré de son influence les autres races, exercé en un mot sa puissance
d'expansion et de conquête. Historiquement, ces trois points de vue
sont tellement mélangés, que la plupart des auteurs sont obligés de les
aborder plus ou moins tous les trois à la fois. Pourtant le dernier, celui
de l'expansion extérieure, se prête davantage, sinon absolument, à une
étude séparée. J'ai donc cru devoir réserver, à litre de conclusion, un
paragraphe spécial à deux ouvrages qui me semblent assez bien rentrer
dans cette catégorie de travaux.
Le premier a pour titre :. les religions orientales dans le paganisme
romain (1) et pour auteur M. Franz Cumont, professeur à l'université de
Gand. Assurément le titre de cette attrayante série d'études dépasse de
beaucoup les limites du présent bulletin, puisque le paganisme romain
a reçu, non seulement les cultes sémitiques, mais encore ceux d'Egypte,
d'Âsie-Mineure et de Perse. Les Sémites n'en ont pas moins joué un rôle
très considérable dans ce mouvement prodigieux de diffusion que l'au-
teur a su décrire en historien et en psychologue.
Les premiers cultes orientaux qui s'établirent en Italie venaient d'Asie-
Mineure. Mais ils apportaient avec eux des éléments empruntés aux
religions sémitiques. Ainsi le culte de Ma, la Bellone cappadocienne,
avait subi leur influence. Le culte de la Magna Mater lui-même n'a pas
été à l'abri de toute compénétration sémite ou plus exactement juive. Le
Sabazius des barbares, souvent identifié avec Attis, l'amant de Cybèle,
porte le litre de KJoto; ^a/^âi^to; qui se change par une étymologie « auda-
cieuse » en KJo'o; 3a,3aco9. Les purifications pratiquées par les Saba-
ziastes, la consécration des mains votives, la croyance au bon ange, ont
une origine ou prennent un sens juif. Enfin Attis et Cybèle reçoivent
dans l'empire le qualificatif» d'omnipotentes », et ce terme fait allusion
à une conception « plus probablement » d'origine sémitique.
« A une époque un peu plus récente, arrivèrent les baals de Syrie,
multiples et variés... Peut-être n'avaient-ils pas une liturgie aussi émou-
vante, peut-être ne s'absorbaient-ils pas aussi complètement dans la
préoccupation de la vie future, bien qu'ils enseignassent une eschatologie
1. Les religions orientales dans le paganisme romain. Conféreuces faites au
Collège de France, In-12, XXII-333 pp. Paris, Leroux, 1907.
o88 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
originale, mais ils avaient une idée iafîniment plus haute de la divinité.
L'astrologie chaldéenne, iiout les prêtres syriens furent les disciples
enthousiastes, leur avait fourni les éléments d'une théologie scientifique-
Elle les avait conduits à la notion d'un dieu siégeant loin de la terre,
au-dessus de la zone des étoiles, tout-puissant, universel et éternel, tout
ici-bas étant réglé par les révolutions des cieux durant des cycles infinis
d'années, et elle leur avait enseigné en même temps l'adoration du
Soleil, source radieuse de la vie terrestre. »
Enfin cette même « théologie savante des Chaldéens s'imposa au
mazdéisme primitif, qui était un ensemble de traditions et de rites plutôt
quun corps de doctrines. Les divinités des deux religions furent
identifiées... Ahura-Mazda fut identifié à Bel, Anàliita à Ishtar, et Mithra
à Shamash^ le dieu solaire. C'est pourquoi dans les mystères romains,
Mithra fut communément appelé sol invictus, bien qu'il soit proprement
distinct du soleil, et un symbolisme astronomique, abstrus et compliqué,
fit toujours partie de l'enseignement révélé aux initiés, et se manifesta
dans les compositions artistiques qui décoraient les temples. » i^pp. 176-
177 .
On peut juger par ces quelques aperçus combien suggestive est l'œuvre
de M. Cumont, et combien elle est capable d'éclairer l'histoire de ce
paganisme, que le christianisme a dû vaincre pour s'implanter définiti-
vement dans le monde romain.
On ne saurait demander à un simple manuel les développements que
comporte un ouvrage spécial, surtout quand l'auteur s'est proposé de
faire tenir en deux cents pages l'histoire de toutes les grandes religions
du monde, et de leurs relations, depuis Babylone jusqu'à l'Islam, en pas-
sant par l'Ancien Testament, le Bouddhisme et le Christianisme. Ce tableau
d'ensemble, ^L Karl Vollers a tenté de le tracer (1). Naturellement la
physionomie de chaque religion est présentée en raccourci ; de même
les rapprochements sont indiqués et catalogués, plutôt qu'approfondis,
et on souhaiterait plus dune fois qu'ils fussent plus heureux. Cependant
ce court et élégant volume permettra au lecteur de se rendre rapidement
compte des questions les plus générales qui se posent actuellement sur
le domaine de l'histoire comparée des religions.
Kain. Te. Malvage, 0. P.
IV. — RELIGIONS DES INDO-EUROPÉENS
ET DE L'EXTRÊME-ORIENT.
Je ne sache pas que, depuis un an, dansée domaine, aucune ten-
dance nouvelle se soit fait jour, aucune grande découverte se soit im-
posée à l'attention publique. L'archéologie continue ses progrès lents
et sûrs ; et, de plus en plus, les principes de l'école anthropologique
règlent l'interprétation des textes et des faits, au point que ceux-là
mêmes qui n'y adhèrent point, et s'en tiennent aux méthodes philolo-
1. Die Weltreligionen in ihrcm gcschicJitUcJien Z usammenhangc . In 8\ IV,
200 pp. lena. Diederichs, 1907.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 589
giques ou à la mythologie comparée, passeraient pour des arriérés s'ils
n'accordaient des mentions et des discussions aux théories nouvelles.
Il est même à redouter que la vogue de la préhistoire et de l'ethno-
graphie sauvage ne nuise pour un temps à l'histoire des civilisés.
Dans ce bref bulletin, nous nous attachons de préférence aux études
d'ensemble.
I. — Grèce et Asie Mineure.
Ages préhelléniques. — Les résultats des importantes fouilles opé-
rées en Crète et dans le monde égéen en général commencent à se
populariser. Deux ouvrages récents aideront fort à ce mouvement.
Leurs auteurs ont puisé leurs renseignements aux sources immé-
diates.
C'est d'abord La Crète ancienne, du P. Laghange, série d'études que
connaissent les lecteurs de la Revue Biblique (1). Elles ont pour objet
tour à tour, après une description soigneuse des palais crétois (2), les
lieux de culte, le sacrifice, les idoles, les symboles. Les saintes ca-
vernes de Dicté et de l'Ida où les Hellènes envahisseurs virent, à une
époque postérieure, le lieu oîi leur Zeus avait été caché dans son en-
fance, étaient des centres de pèlerinage ; les cérémonies y auraient eu un
caractère d'exception ; le culte habituel se célébrait à ciel ouvert avec
des autels placés dans des agoras attenants aux palais. La divinité
n'avait pas là son habitation particulière, mais ses idoles siégeaient
dans des cellae exiguës des palais qui ne se seraient pas prêtées à la
liturgie et pouvaient être assez éloignées du lieu des réunions reli-
gieuses (3). Les idoles et les statuettes divines — on en trouve depuis
l'âge néolithique jusqu'aux temps mycéniens, et beaucoup de celles qui
sont sorties des tombes rappellent celles de l'Egypte préhistorique
découvertes par MM. de Morgan et Flinders Pétrie — représentent ordi-
nairement, tant dans les sanctuaires domestiques que dans les sépul-
tures, des personnages féminins ; la déesse aux lions, la déesse aux
serpents, la déesse aux colombes, sont fameuses. Jusqu'ici, absence
notable de dieux mâles. Pourtant, la double hache, la bipenne, si fré-
quemment trouvée depuis la fin des temps minoens moyens et identique
à l'emblème du dieu hittite de Boghaz-Keuï et du Jupiter Dolichenus,
paraît bien être l'emblème ou le fétiche d'un dieu de la foudre qui
aurait, plus tard, fondu sa personnalité dans celle de Zeus. Ce signe
pourrait être d'origine asiatique. A côté de la double hache, on trouve
la croix ordinaire (une étoile schématisée ?) la croix gammée (swastika)
qui se rencontre, comme on lésait, delà Bretagne au Japon. Le culte des
arbres est révélé par les monuments bien plus sûrement que celui des
1. La Crète ancienne, par le P. Lagrange, Paris, Lecoffre, 1907. — Bévue
Biblique (RB), avril, juillet et octobre 1907.
2. Le F. Lagraiige. avec Dussaud (Questions Mycéniennes) admet le carac-
tère sacré fies palais, demexires de rois-prètres.
3. C'est la solution que le P. Lagraiige donne à ce problème archéologi-
qne.
390 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
pierres ; car s'il y avait des piliers consacres, les traces de bétyles, de
pierres sacrées en elles-mêmes, sont au moins fort douteuses. On a
trouvé un sphinx de style original, des figures humaines à tête de
laureau (minotaures) curieusement analogues à d'autres monstres hy-
brides découverts dans les fouilles d'Èlam. Le protome du taureau appa-
raît aussi comme un objet sacré. — Les autels ont des cornes de consé-
cration comme chez les Sémiles. Le sarcophage en pierre peinte d'Hagia
Triada nous représente un sacrifice oùun taureau est immolé ;la scène est
funéraire, comme il ressort de la présence d'une espèce de momie qui y
tient une place d'honneur; mais le P. Lagrange estime qu'il est plus
exact de parler ici d'un sacrifice pour le mort que d'un sacrifice au
mort. — Telles sont les principales données de ces 'soigneuses études,
qu'un grand nombre de photographies, de plans et de dessins rendent
faciles à suivre.
Cet avantage manque au deuxième livre dont nous avons à parler,
The discoveries in Crète de Ronald M. Burrows (1). J'insisterai moins
sur cet ouvrage, parce qu'il ne traite de la religion Cretoise qu'en
passant. Mais il est très intéressant au point de vue de l'archéologie, de
l'histoire de l'art, de l'ethnographie, et contient des discussions chrono-
logiques dont l'importance n'échappera à personne ; il serait particu-
lièrement désirable d'établir, comme B. cherche à le faire, (chap. V, cf.
l'appendice A) un synchronisme des âges minoens avec l'histoire des
dynasties égyptiennes. Quelques titres de chapitres en disent assez :
I. Le palais de Ctiossos et la puissance maritime de Minos. — IL Les
palais de Phaestos et d'Hagia 7'riada, et les fouilles de la Crète Orientale.
— III. Les débuts de la civilisation minoenne. — V. La Chronologie égyp-
tienneet la date despériodes « minoennes moyennes ». — VIII. Le Laby-
rinthe et le Minotaure. — ÏX La Crète et l'Orient. — X. La Crète et le
Nord. — XL Z,rt poterie néolithique de la Russie méridionale et de l'Eu-
rope centrale (très intéressant). — XII. La Crète et les poèmes homériques.
L'auteur remue toutes ces questions si importantes pour l'histoire reli-
gieuse de ce mystérieux pays, et peut-être de tout l'Occident, en un style
qui évite d'être trop technique, et que relève même çà et là une pointe
agréable d'humour. Mais le lecteur regrette — M. Burrows reconnaît
lui-même dans sa préface que cette critique a sa raison d'être — qu'il
n'y ait dans tout le livre que sept ilhistrations, dont une sur la couver-
ture.
Les découvertes de Crète rendent vraisemblable la théorie de la « race
méditerranéenne » qui eût existé antérieurement aux peuples indo-
germaniques de l'Europe, et dont les traits se retrouveraient dans toutes
les populations du midi. La culture qui monta si haut en Crète pouvait
être répandue à des degrés divers sur toute la race. Beaucoup de faits
archéologiques s'expliqueraient ainsi. Ce n'est encore qu'une hypothèse ;
niçiis la diffusion d'une culture et de religions voisines de celles de la
Crète à travers tout le monde égéen, îles, Grèce continentale, côte ouest
d'Anatolie, n'est plus nullement hypothétique. La civilisation préhellé-
nique répondant à ce que Gruppe appelle « die krelische und die boio-
1. Lond-on, Jokii i\hirrav, 1907.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 591
tisch-euboiisclie Kultur » furme un continu. On a pu remarquer que
les déités féminines, à caractère plutôt chthonien, y dominent. Sam
WiDE montre assez bien, ce semble (1), que Hérn était une de ces divi-
nités-là ; les Grecs la naturalisèrent olympienne en la mariant à Zcus ;
y-'pa eût été d'abord un appellatif de déesses chthoniennes et d'esprits de
femmes défuntes héroïsées(2). Les Dioscures auraient subi la même évo-
lution : le processus de cette ascension au ciel est illustré par l'exemple
évident de Démèter et de Coré ; de même par Wôdan chez les Ger-
mains. R. Herzog (3), dans ses études sur VAsklépiéion de Cos, fait res-
souvenir ces dieux souterrains de leurs origines. Par des inductions
assez probables fondées sur des rites (ainsi l'offrande de gâteaux aux
serpents d'Esculape, gâteaux jetés aussi aux serpents divins qui habi-
taient les cavités du sol, puis remplacés par de l'argent : comparez l'o-
bole à Charon), il arrive à de curieux rapprochements entre Cerbère
et Charon, tous deux également chiens et serpents chthoniens à leur
naissance, et nous fait remontera ce vieux monde religieux préhisto-
rique que les totémistes peuplent de leurs dieux animaux (4). — Avant
dequitterles origines, mentionnons l'étude de Frazer snv Hyacinthe (5),
déité aborigène que le mythe grec faisait tuer par son ami Apollon. Sa
tombe était honorée à Amyclée, en Laconie^ par des cérémonies de
deuil suivies d'explosions de joie, ce qui laisse supposer qu'on fêtait
peut-être sa résurrection. Frazer incline naturellement à y voir un an-
cien roi divin d'Amyclée, que les Grecs conçurent plus tard comme une
personnification de la végétation qui s'épanouit, se fane et renaît. Ce
en quoi il a plus certainement raison, c'est quand il le met dans la
même catégorie de die-ux qu'Attis. A celui-ci, il consacre le second
livre de la quatrième partie de son Golden Boiighremanié (6). Il a pro-
fité dans cette étude de la masse de faits et de textes collectionnés par
Hepding. Ce parallèle phrygien du Sémite Adonis apparaît avant tout
comme un dieu de la végétation, dont la vie se manifestait spécialement
dans le pin et les violettes. Mais à l'origine, c'est comme dieu-père
(Attis-Pappas) qu'il aura été associé à la déesse-mère, peut-être même
comme dieu du ciel (?). Il semble, dit F., s'être personnifié dans son
grand prêtre de Pessinonte; c'est pour cela que celui-ci devait se tirer
du sang en souvenir de la mort sanglante du dieu. Ces représentants
humains d'Attis, au temps où, selon les idées de l'auteur du Golden
Bough, il était d'usage courant de sacrifier les prêtres et les rois,
eussent été rituellement mis à mort par pendaison ; de là, lalégende de
1. Chthonische und himmlische Gôtter, Archiv fur Beligionswissensehaft
(AP.W), 12 mars 1907.
2. Cfr. les Junons des Romaines.
3. Aus dem AsMepieiou von Kos, ARW, mars 1907.
4. Sur le totémisme présumé des Grecs ou des Thraces de la préhistoire,
on peut lire divers chapitres de Cultes, Mythes et Religions de Sal. Reinach,
p. ex. les chap. VII, VIII et X du tome deuxième.
5. Adonis, Attis, Osiris, Book second, ch. VII. — London, Macmillan,
Second édition, revised and enlarged, 1907.
6. Id. Book second, tout entier.
592 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIOUES
Marsyas, un double d'Atlis, qui fut allaché à un pin avant d'être écorché.
Comparez la pendaison d'Odin, dans TEdda, et la pendaison rituelle de
ses victimes humaines.
Sur le terrain plus sûr de la religion historique des Hellènes, citons,
parmi les publications documentaires, Leges graeconnn sacrae e iitulis
collectne. Legps Graeciae et insularum de L. Zteben : c'est le l*"" fascicule
de la 2^ partie de la collection de documents épigraphiques commencée
dès 1896 par Hans von Prott. On y retrouvera des titres de fondation,
des règlements nombreux et variés concernant les sacrifices, les pro-
cessions, le sacerdoce, l'accès des temples, etc. en des lieux et des
temps très divers. La Revue de V Histoire des religions (1) donne la liste
elle titre détaillé de ces cent soixante textes.
H. ScHMiDT a publié dans les Rg. VV. un opuscule intéressant intitulé
Veteres philosophiquomodo judicaverint de precibus (2i. Depuis la prière
homérique, qui aie caractère d'une offre de contrat, jusqu'à celle du
stoïcien contemporain d'Épictète qui a écrit cette belle sentence : clyô-
^.îvo; Toiyy.poj-^ ^jzoïç, y.i'rt'. zx Oîly., on ne verra pas sans intérêt comment
tous les philosophes grecs et romains, à l'exception des athées ou ratio-
nalistes déclarés, ont accordé à la prière une grande importance en
pratique sinon en théorie, et comment l'objet et le mode de la prière
ont été présentés par eux, de plus en plus clairement, comme devant être
spirituels. 11 est vrai que, en même temps, les dévots vulgaires conti-
nuaient à demander aux dieux des choses dont ils n'eussent osé avouer
le désir devant les hommes (c'est une des raisons souvent mentionnées
de prier à voix basse), et que certains néo-platoniciens ont confondu la
prière et la magie (3).
A l'autre pôle du monde de la religion se trouve la mythologie. Mal-
gré le relent de versions latines et de pensums qui s'attache au souvenir
de la mythologie classique, les légendes grecques, si poétiques parfois,
sont une carrière que l'art peut toujours exploiter. H.Â. Guekber apublié
pour les gens du monde The mijths of Greece and Rome (4). La lecture de
ce livre est facile et attrayante, grcâce surtout aux citations de poètes et
aux illustrations. Il n'apas de prétentions scientifiques, car l'auteur choisit
la forme la plus classique des mythes, et, dans le dernier chapitre oî'
il donne les principes de leur interprétation, il dit préférer, comme
plus poétiques, les théories, qui sont bien un peu vieillottes, de l'école
des philologues météorologistes ; encore est-ce toujours, pour l'imagi-
nation moderne, même sous cette forme populaire, un petit ruisseau de
cette « Fontaine de Jouvence » que fut et que demeure la pensée hellé-
nique.
1. R. H. R. Berue dca Livres, jaiiv. fév. 1908 Ad. J. Reinach; -
2. Belioionscjpschichtliche Versuche und Vornrbeiten, Tôpelmann, Giessen,
1907, IV Band, 1. Heft.
3. Sur les menaces «t les reproches adressés aux morts, chez les Grecs,
pour les appeler au secours des ^T-vants, ainsi cpie sur les invocations
aux Erinnyes, voir Chdten und Fluchm de L. Radermacher, ARW, décem-
bre 1907."
4. London, George G. Harrap and C, 1907.
BULLETIN DE SCIEN'CE DES RELIGIONS 593
2. — Rome.
Les premiers colons aryens qui s'avancèrent en Italie ne le faisaient
qu'en tremblant, émus ou épouvantés àchaque pas, avec leurs croyances
animistes, par la vague impression du Xumen des grands bois qui cou-
vraient alors la péninsule ; ce sentiment était la religio au sens tout à
fait originel de ce mot dans la langue latine. Mais ces gens superstitieux
étaient pratiques, et chez eux l'État, si rudimentaire qu'il fût encore,
s'occupa bien vite de régulariser les rapports de chaque homme avec
les pouvoirs invisibles, de supprimer ce qu'ils avaient d'imprévu, de
mystérieux, d'efîrayant, par la création du jus divinumjondé sur l'obser-
vation empirique des manifestations des Numina. Ce droit, si rigoureux,
si précis, si détaillé, contribua sans doute beaucoup à développer l'es-
prit de discipline dans toute la vie des Romains; par contre, il réussit
trop bien àcalmer l'appréhension du mystère, et arriva presqueà suppri-
mer le sentiment religieux. Il fit cette religion desséchée, formaliste,
où tout était objet de prévisions et de calculs, oîi rien ne répondait aux
aspirations profondes de l'âme humaine et qui, par conséquent, se
trouva un jour absolument sans force pour lutter contre le mysticisme
d'Anatolie et d'Egypte. Tel est le résumé d'un article de Warde Fowler
très suggestif et non dépourvu de portée philosophique (1).
Ce stade primitif de la religion romaine, avant les premières atteintes
du syncrétisme, est décrit avec beaucoup de méthode par Cyril
Bailey(2). Il s'attache à ce qui est char ac ter istically roman. Sur les
antécédents préhistoriques qu'il donne à la « religion de Numa », nous
faisons nos réserves, car ils se ressentent du dogmatisme d'une philo-
sophie sur laquelle rien ne nous porte à appuyer la science des reli-
gions (3). Mais, dès que nous arrivons aux temps historiques, à l'histoire
primitive de cette communauté agricole d'où Rome est sortie, aussi
substantielle que succincte est la description du culte delà maison, du
culte des champs, puis du culte de l'État ; celui-ci est sorti des deux
premiers et n'a fait que grossir les numina de la maison du fermier^
1. Religion and citizenship in early Rome, Hibhert Journal (HJi Juillet
1907.
2. Jncient Rome, (Religions ancient and modem RAM) London, Archibald
Constable, 1907.
3. Rien dans l'histoire ne démontre la vérité de cette théorie évolution-
niste, admise comme un postulat par tant d'antliropolognes, qui voudrait:
1° Cfue la magie, science commençante, eût marqué un stade de la pensée
humaine antérieur à toute religion proprement dite; on n'en a la preuve
chez aucun peuple, et les prétendus indices de cet état primitif peuvent
toujours, sans \'iolence, s'interpréter autrement; 2° que l'adoration rendue
à des esprits habitant les objets naturels supposât antérieurement une adora-
tion directe de ces objets pour eux-mêmes; ce n'est qu'un postulat arbitraire;
■3° enfin que l'animisme fût le résultat de la banqueroute de la magie;
cette dernière hypothèse est telle qu'on ne peut même pas en discuter les
bases, car elle n'en a point. C'est un pur placitum. Toute cette philosophie
des religions, actuellement assez en vogue, n'est qu'une construction ingé-
nieuse, qui ne répond ni à l'histoire, ni à la psychologie, et semble igno-
rer ce qu'ont de propre et d'irréductible les phénomènes religieux.
2' AnncT. — Revue des Sciences. — N» 3 38
594 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
son Janiis, sa Vesta, ses Pénates, ses Lares et ses Genii, ou lesNumina
delà végétation, Mars avec son pendant Quirinus, Liber, Cérès, Paies ;
il leur donna des fonctions politiques ou militaires, les disposa avec
Jupiter et Junon à leur tête dans une « hiérarchie froide et sans cœur »,
avec une casuistique et un rilualisme qui atteignent à la perfection du
genre. Les dieux romains ont cela de particulier que, si spécialisés
qu'ils soient dans leurs fonctions, faisant pour ainsi dire partie des
cadres de Fadministration tout comme leurs prêtres, ils restent cepen-
dant toujours plus ou moins vagues et pâles dans leur concept ; peut-
être cependant ne faudrait-il pas trop exagérer leur impersonnalité (1) ;
très anciennement ils apparaissent déjà assez personnels, puisqu'on
peut faire avec eux tant et tant de « contrats civils » réglés par le jus
divinum. Cependant, quelques-unes de ces entités, comme le Genius (de
la racine de gignere, d'après Bailey, qui voit dans ce genius un simple
esprit attaché à l'homme pour lui donner la force générative) sont tou-
jours restés à l'état de numina imprécis. Il faut remarquer la fin du
chapitre ]]^orship of the household, conS(\c.rée aux morts. B. ne recon-
naît pas de culte des morts chez les anciens Romains. Ce qui survivait
de l'homme, c'étaient, dans ces âges lointains, les funestes Larvae ou
Lémures qu'on avait seulement le souci d'écarter ; puis le sentiment de
rapports de solidarité affectueuse subsistant au delà du tombeau, fit
instituer des rites comme ceux des Parenlalia, quand on eut conçu les
morts comme ayant besoin du souvenir et de la bienveillance des vivants,
et pouvant en retour leur accorder une certaine protection (^) ; mais
les Di Mânes, avant l'époque impériale, n'étaient pas encore les âmes des
défunts ; ils n'étaient conçus originairement que comme des dieux, à
caractère plutôt propice, du monde infernal ; le sacrifice « à la tombe »
était offert a quelque déité chthonienne. — Au total, cette religion était
consciencieuse et froide, bornée à peu près à la terre, sauf dans le culte
familial où a pu se réfugier une véritable pietas envers les dieux, un
sentiment religieux teinté d'émotion. Les éloges que les auteurs anciens
ont faits de la religion de Rome ne sont mérités que pour autant que sa
forte discipline et le sentiment qu'elle entretenait de la dépendance du
citoyen vis-à-vis de l'invisible ont contribué à « faire et à conserver une
nation. »
En fait d'études plus spéciales, citons-en dabord une qui tend à pré-
ciser la difficile définition des Lares. Ernest Samter, contre Wissowa
(à l'opinion duquel incline Bailey, op. cil. p. fî8), maintient qu'il n'exis-
tait pas au co»;/)«7i<?u de cuite d'un Za*' particulier, et que le Lai' était
un ancêtre, quelque chose comme un yjooo; y.oyrr/hr,; ; ce n'était pas un
numen des champs, mais un protecteur spécial de la famille, en rela-
tions avec les puissances souterraines (3). — Domaszewski (4) établit
1. D'abord ils étaient ooaçus comme sexués, comme le prouve la formule
très ancienne « sive deus, sive dea »; et mariés. Voir Frazer, op. cit., appen-
dice II, The îvidowed Flaimn, § 2 The marriage of the Roman gods.
2. Rien ne prouve q;ue ces deux conceptions n'aient pas coexisté dès
l'origine. La psychologie porte au contraire à penser cpi'elles coexistaient.
3. Der Ursprung des Larerikidtes, ARW, juiUet 1907.
4. Die Fcstc!/<lr)i des romischen Ealeuders, ARW, juiUet 1907.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 595
Tordre cyclique du calendrier romain dont les fêtes se groupent, mois
par mois, autour d'une fête centrale ; leur succession est réglée par les
diverses phases de la vie de la nature, de décembre en décembre, avec
un rapport spécial à l'agriculture, et aux forces qui favorisent ou com-
promettent les récoltes et la santé des hommes.
Franz Clmont, dans un livre de vulgarisation que recommande sa
haute compétence (1), fait l'histoire de l'invasion des cultes orientaux
qui se juxtaposèrent ou se combinèrent à cette religion méticuleuse et
sèche, et finirent, en pratique, par la supplanter (2!. L'Âsie-Mineure, dès
les guerres puniques, envoie aux Romains sa Grande Mère qui traîne
derrière elle tout un cortège, son parèdre Attis, puis Mà-Bellone, Mên,
Sabazios, Anâhita. L'Egypte fournit Isis et Sérapis,'dont le culte, hellé-
nisé par les Ptolémées, s'était répandu même dans la Grèce. Les cultes
de Syrie, surtout à partir des Sévères, se répandent dans tout l'Occident,
grâce aux soldats, aux marchands, aux esclaves ; sous l'influence de
l'astrolàtrie babylonienne qui les pénètre, ils aboutissent à la forma-
lion de cet hénothéisme solaire qui devint presque la religion ofTicielle
du monde romain. Puis, c'est le mazdéisme d'Anatolie avec Mithra, aux
mystères duquel se l'ait initier déjà Commode, et qui est reconnu en
307 par Dioclétien, Galère et liicinius comme fautor imperii sui (voir
ci-dessous, IV, Iran). Ainsi, avant Constantin, le paganisme de Rome
était complètement transformé : il était devenu oriental, reconnaissait
universellement un dieu suprême, unique, éternel, tout-puissant,
parfois identifié au Destin, au Temps infini ou à l'Univers lui-même ;
au-dessous de lui ou comme faisant partie de lui, on adore tous les
elementa, particulièrement les astres, grâce à la lointaine Babylone dont
l'influence a répandu partout l'astrologie. Toute la religion est un mé-
lange confus de science et de mystique, de sorcellerie et de dévotion,
de très grossières superstitions et d'aspirations*, à l'immortalité bien-
heureuse, à la purification des âmes. Et une armée de philosophes est
sans cesse occupée à justifier tout cela en bloc. Cumont traite son sujet
dans un style qui en fait ressortir encore davantage l'intérêt puissant.
Il est, en somme, très sympathique à ces influences exotiques, et ne
craint pas d'exagérer la supériorité religieuse, pour ne pas dire intel-
lectuelle, de l'Orient sur Rome, de présenter comme un progrès la
difl'usion de ces cultes qui faisaient appel à l'intelligence et à la cons-
cience, malgré toutes leurs tares. Il y voit une préparation au christia-
nisme, ce qui est vrai dans un certain sens, mais il se montre trop
disposé à rapprocher les bords du grand abîme qui séparait tout ce
chaos panthéiste delà religion de l'Esprit.
1. Les Religions orientales dans le paganisme romain, Aanales du Musée
Guimet (A^IGi Bibliothècpie de vulgarisation, tome 24, Paris, Leroux, 1907.
2. Un savant italien, M. Vittorio Macchioro, entreprend d? démontrer, dans
un axticle de la Revue Archéologique, intitulé 11 sincretismo religioso e
l'epigrafia, que le polythéisme gréco-romain n'est jamais devenu le vaste
syncrétisme qnxe l'on pense. Sur ses conclusions et la majiière dont il les
étab'it, voir le jugement de R. H. R. Chronique, janv.-fév. 1908, p. 144, sv.
596 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
3. — Européens du Nord ( 1 »
Germains. — Eugène Mogk, auteur d'une Mythologie germanique
publiée d'abord dans la « Grundriss der germanischen Philologie « de
Paul, a donné en 1906 à la collection Gôscben une petite <( Germanische
Mijthologie » (^) pleine de renseignements. Comme font maintenant
presque tous les auteurs d'ouvrages de haute vulgarisation, il procède
par voie de synthèse à partir des origines. Dans un travail d'ensemble
scientifique il serait difficile de faire autrement ; car sur la religion des
Germains, il ne s'est pas exercé de ces influences profondes de la litté-
rature et de lart que nous voyons à l'œuvre chez les Grecs ; là, les
poèmes homériques ont fini par créer un Panthéon assez consistant et
presque panhellénique; au contraire l'Olympe germanique de l'Rdda est
de naissance tardive et artificielle, et les scaldes n'ont sans doute ja-
mais réussi à l'imposer au peuple. Il faut donc remonter à travers
les brumes préhistoriques, et raisonner sur les survivances, pour re-
trouver approximativement la religion des ancêtres. Aussi Mogk,
comme les autres, cherche-t-il à distinguer les différentes couches de
cette concrétion, analogue aux autres religions naturelles. Toutes les
croyances et les formes du culte dérivent de deux principes qui réa-
gissent continuellement l'un sur l'autre : V aniinisvie , qui remplit la na-
ture de volontés pareilles à celles de l'homme et la peuple d'elfes et de
démons, et le monisme, ou croyance à la survie et <à la puissance des
morts(o). Puis il passe en revue les principales figures divines anthropo-
morphisées, Wôdan-Odin, Loki, Donar-Thor (dont il narre les princi-
pales légendes), Ziu-Tyr, Heimdallr, Balder, Freyr et Njord, enfin les
déesses. Leur personnalité, comme leur popularité, a pu varier énor-
mément d'un peuple à l'autre, d'un temps à l'autre, et les religions des
races nordiques ne ressemblaient sans doute guère à celles des vieux
païens des bords du Danube. L'auteur examine les mythes nordiques
du commencement et de la fin des choses. Puis il passe au culte ; il
montre la place qu'y tenait le charme, la divination et la prophétie,
presque exclusivement réservés aux femmes, tandis que le souci des
présages incombait aux hommes ; il étudie les prêtres et les prêtresses,
les temples et les images, la prière; le sacrifice avait essentiellement le
caractère d'offrande (l'objet offert s'appelait gild, gjald, ce qui signifie
don, d'où l'allemand Geld^Spende, verpflichlete Gabe, à l'origine). Les
sacrifices humains, même les sacrifices, chers à Frazer, de rois ou de
fils de rois, ont laissé des traces très nombreuses dans les traditions,
surtout en Suède.
1. Sur les religions des Slaves, des Fimiois, des Lithuaniens, dont les croyan-
ces populaires nous ramènent encore actuellement à un lointain passé, ce
sont principalement les revues de folk-lore qu'il faut consulter.
2. Sammlung Gôschen, Leipzig, 1906.
3. Ni l'animisme ni le manisme, ni les deux combinés, ne peuvent d'ailleiurs
expliquer la naissance de la croyance religieuse; et il serait malaisé de
prouver que^ chez aucun peuple, la religion ait jamais été un pur polydé-
monisme.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 597
Dans un bullelin de ÂRW. (I), Kaufmann menlionne l'ouvi-age précé-
dent et plusieurs autres travaux similaires. Il insiste sur un point qu'ils
ne lui paraissent pas mettre assez en valeur, les tabous des vieux Ger-
mains, tels qu'ils se révèlent d'une façon particulièrement frappante
chez les Frisons, dans le culte des sources sacrées, c'est-à-dire tabouées ;
culte qui s'explique tout seul dans un pays où l'eau potable était rave,
et qui n'a rien à démêler avec la météoroloi^ie ni le dieu Donar. Le
même Bulletin indique les principaux ouvrages concernant le folk-lore
germanique, les inscriptions germano-romaines, et l'histoire du vieux
droit, tout pénétré de rapports avec la religion et l'autre monde. Il tou-
che à l'éternelle question de Balder, que les mythologues traitent à des
points de vue très divers encore; les uns, comme Kaarle Krohn, y
voient un mythe dérivé du christianisme, d'autres, comme Henrik
Schilck (2), une création poétique des Scaldes, tandis que Kaufmann lui-
même, qui tient pour les origines magiques de la mythologie, reconnaît
dans la triste histoire du jeune dieu un vrai mythe germanique répon-
dant au rituel du « Sacrifice du roi » (3). Pour le reste, je renvoie mon
lecteur à son Bulletin.
Celtes. — A tous les érudits ou amateurs qu'intéressent les questions
celtiques, il faut recommander le Manuel pour servir à l'étude de l'anti-
quité celtique de Georges Dottin (4). L'auteur n'y consacre à la religion
et au druidisme que le 5*^ et le 6' chapitres, mais ce manuel, d'une cri-
tique aussi rigoureuse que l'information en est abondante, est d'une
lecture vraiment tonique et prophylactique pour tous ceux qui veulent
se hasarder sur ce terrain des religions du Nord oîi les imaginations
aiment toujours à fourrager. — Ch. Renel a publié, dans la Bibl. de vul-
garisatio)t des Annales du Musée Guimet(.'j), un bon livre orné d'illustra-
tions instructives. Les Religions de la Gaule avant le christianisme. Il
suit l'ordre archéologique et, après avoir examiné les cultes précelti-
ques des âges paléo, méso, néolithiques, il étudie les rites funéraires,
inhumation et incinération, le mobilier funéraire, les sacrifices animaux
ou humains de l'âge des métaux ; puis les cultes sans date, certainement
antérieurs aux Celtes, mais pratiqués encore par eux, ceux des pierres,
(les plantes, des eaux, des animaux, du feu et des astres (6). Ensuite les
dieux celtiques zoomorphes et anthropomorphes, Tarvos Trigaranus,
Sucelius (le dieu au marteau), le serpent cornu, le dieu à la roue (Jupi-
ter gaulois), la prétendue Irinité Teutatès-Esus-Taranis, les dieux Irirp-
1. Altgermanische Religion, ARW. Bericht 1, déc. 1907.
2. Henrik Schuck, Studier i nordisk Litteratur och Religions-Jiistoria,
2- vol. Stockliolm, 1904. — Kaarle Krohn, Finnische Belirage zur germa-
nischen Mythologie, Helsingfors, 1906, (d'après ARW, loc. cit}
3. F. Kaufmann, Balder, Strasbourg, 1902. Cfr. Mogk, op. cit., p. 77 sv.
4. Paris, Honoré Champion, 1906.
fi. AMG, Bibl. vulg., tome XXI, Leroux, 1906.
6. L'asti-olâtrie paraît avoir été très effacée chez les Celtes el; les Ger-
mains, comme d'ailleurs chez les anciens Romains et les anciens Grecs.
Pourtant le swastika, fréquemment trouvé dans nos pays d'Occident, passe
très communément pour un emblème religieux solaire.
o'J8 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
pliales, les Mères. Le chapitre suivant dépeint la romanisalion de ces
religions locales, jusqu'au christianisme. Puis Fauteur nous dit ce
qu'on sait des prêtres, des lieux de culte, des rites, de la magie et de la
divination. Comme la plupart des savants d'à présent, R. fait assez bon
marché du druidisme, auquel il n'attribue qu'un rôle très effacé en Gau-
le durant la période historique, que cette institution fût déjà usée, ou
qu'elle fût d'importation trop récente et trop exotique pour agir beau-
coup sur la religion populaire de ces races si mélangées qu'on appelait
les Gaulois, Tout en se rangeant à beaucoup des conclusions de Salomon
Reinach, qu'on peut voir exposées dans Cultes, Mythes et Religions (1),
Renel ne le suit pas aveuglément ; ainsi, malgré la tentation si forte
qu'on aurait de ramener à des origines tolémiques toute la religion
d'une race qui nous a laissé tant d'images sacrées d'animaux, cheval,
sanglier, taureau, ours et corbeau, malgré le serpent cornu et les ap-
pendices animaux de nombreuses idoles humaines, il aime mieux, pour
n'être pas accusé de « manie totémistique", user d'expressions qui n'en-
gagent à rien, telles que « cultes animalistiques, thériolâtrie ». Nous
croyons qu'il a raison. Il constate d'ailleurs qu'on trouve en Gaule, à
l'époque la plus reculée, une tendance manifeste à représenter les dieux
sous forme humaine (ainsi déjà les statues-menhirs du Tarn, de l'Avey-
ron et de l'Hérault, les grossières représentations féminines des grottes
sépulcrales de la Champagne), seulement l'anthropomorphisme eût été
arrêté dans son développement jusqu'aux environs de l'époque romaine.
Nous le félicitons moins pour sa philosophie des religions, pour ses ex-
plications de la « manière dont sont nés les dieux », etc. Comment se
fait-il que les historiens des religions n'aient pas tous compris encore
qu'une affectation de scientisme et de mépris pour la religion en soi
n'est nullement de nature à relever leur crédit scientifique aux yeux des
lecteurs cultivés, et parfois même pourrait induire ceux-ci à croire qu'ils
entendent des aveugles expliquer les rapports des couleurs ? — A part
cela, le livre est intéressant, compréhensif, et assez réservé en fait d'hy-
pothèses.
4. — Iran.
Ce n'est pas en général l'accusation de mépriser la religion qu'on
pourra porter contre les iranistes.Au contraire, l'approche de Zarathush-
tra, comme ailleurs celle de Çakya-Mouni, est de celles qui font tourner
captieusement le philologue à l'apologiste. Et il ne faut pas trop s'en
étonner; l'Avesta est captivant et a droit à de grands égards. D'ailleurs,
si l'on veut pénétrer le sens d'un système religieux, il est plus habile,
1. Dans Cultes, Mythes et Religions, beaucoup d'études sont consacrées
aux religions celtiques. Tome I : III. Les survivances du totémisme chez les
anciens Celtes; XII. L'art plastique en Gaule et le druiHisme; XVI. Les vierges
de Séna; XVII. Tentâtes, Esus, Taranis ; XVIII. Sucellus et Nantosvelta;
XIX; XXII; XIV. Les carnassiers androphages dans l'art gallo-romain. Tome
II : VIII, Zagreus, le serpent cornu. EUes sont toujours fort instructives, à
cause de l'érudition archéologiqxie et phLlologiqiie de l'auteur, et ordinairement
peu convaincantes, à cause de son esprit de système.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 599
ne fût-ce qu'au pur point de vue professionnel, de l'aborder avec sym-
pathie que de le faire, comme malheureusement certains qui se figurent
remplir ainsi une condition nécessaire et presque suffisante pour être
bons critiques, avec des allures sournoises de sbire ou d'assassin. Mais
il ne faut pas non plus exagérer dans le sens de la bienveillance, au
point, par exemple, de parler avec l'émotion qu'on éprouverait devant
une révélation divine du dualisme zoroastrien, cette solution nette,
mais simple, du problème du mai.
Le Prof. Mills est un de ces scholars de haute autorité qui ont telle-
ment mis leur âme dans l'objet de leurs longues années d'études, qu'on
oublierait presque, à les lire, qu'ils sont des critiques, c'est-à-dire des
juges, et non pas des disciples des religions du passé. Il incline à croire
que ce sont les idées de llran qui ont mené le monde depuis le temps
où elles auraient agi sur Akkad et Sumer, aux âges pré-babyloniens,
jusqu'à ce que, transmises par les gnostiques et Jacob Bœhme, elles
soient venues façonner la pensée de Hegel (1). On ne sera donc pas
surpris que son livre récent intitulé Avesta Bschatology compared with
the Books of Daniel and Révélations (2), porte un caractère marqué
d'apologétique, non chrétienne, mais zoroastrienne. C'est un supplémen
à son précédent ouvrage: Zaï'athushtra, Philo, the Aehaemenids and Israël,
dont il a déjà été rendu compte en cette revue (3). En voici le plan :
cl. Le cas à première vue : connexion littéraire et historique entre
lAvesta et les Écritures sémitiques (c.-à-d. la Bible) depuis l'exil. Ces
rapports, il les développe successivement : II. Conception de Dieu ;
]U. Angèlologie et Démonologie ; IV. Concept de Véiernité en général;
V. Résurrection ; YI. Jugement. Les chap. VII et VIII décrivent les carac-
tères distinctifs du zoroastrisme, puis « Dieu et ses Immortels», c'est-
à-dire les Ameshas Spenlas ; le dernier louche au lyrisme.
Certes il y a des rapprochements, parmi ceux qu'il fait, qui méritent
d'être sérieusement étudiés; que, par exemple, le nom à' Adar = Atar ,
le feu, qui est appellatif chez les Iraniens, mais désigne un élément
des plus vénérés, et personnifié, soit devenu (?) le nom d'une divinité
sémitique, et un nom de mois chez les Babyloniens et les Hébreux aussi
bien que chez les Perses, c'est un fait qui peut donner à rétléchir. On
ne niera pas non plus qu'Âsmodée de Tobie rappelle Aeshma-Daêva, ni
que la ville de Rages, du même Tobie, ait été un centre zoroastrien
important, ni que l'angélologie des Juifs se soit fort explicitée après leur
contact avec les Médo-Perses. Quant à la résurrection, il n'est pas telle-
ment certain que, dès le temps des Achéménides, les Perses en aient eu
ridée nette (4). On reconnaîtra aussi qu'il y a quelque analogie entre
la conception des Ameshas Spentas et celle des Adityas védiques, et
par conséquent que ces divines abstractions, ayant des germes si loin-
tains dans la période indo-iranienne, ont pu prendre figure, tôt ou tard,
1. Avesta Eschatology, p. 8; The Zend-Avesta, part III, p. XIX, en note
{Sacred BoAs o/ Ihc East (S. B. E), vol. XXXI).
2. Chicago, Opea Court, (London, Kegan Paul), 1938.
o. Bulletin de Théologie biblique, de Lemonnyer, p. 168 169, janvier 1908.
4. Darraestoter l'admeUait; mais cfr. L.\grange, La Religion des Perses.
liOO REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
dans le zoroastrisme, sans faire violence à l'esprit perse. Mais on n'en
conclura pas du tout à celte priorité que Mills veut donner à la forme
iranienne définitive de toutes ces idées vis-à-vis des idées similaires
juives ou gréco-alexandrines. La raison en est toute simple et toujours
la même. D'abord, il n'en est pas encore question dans les inscriptions
des Âchéménides ou les anciens textes grecs. Puis Mills, avec la majo-
rité des iranistes, tient comme à une espèce de dogme à l'antériorité
des Gâthassur les textes âchéménides, et même à leur antiquité absolue.
Or, son assertion, il ne veut pas l'appuyer sur l'antiquité de leur dialecte
par rapport au Zend(l) (on peut, en effet, écrire dans une langue morte
ou mourante particulièrement sacrée) ; mais sur l'impression qu'il .-i
que dans les Galbas « tout est sobre et réel » (2), que Zarathushtra, dans
ces hymnes, apparaît incontestablement comme un homme vivant et
historique; « their antiquity is placed beyond dispute by the historié
mention of Zarathustra » (3). Il n'est pas nécessaire que tous les lec-
teurs des Galbas partagent cette impression; de fait, leur caractère
quelque peu abstrait, essentiellement religieux, et, s'il est permis de
parler ainsi, clérical (jusque Yasna xlvi, que l'on donne comme si plein
de traits d'individualité inimitables), rend tout aussi aisé d'y voir l'œuvre
de prêtres réformateurs, passionnés pour leur œuvre, que celle d'un
véritable prophète historique; ces prêtres ont bien pu faire usage de
noms tradionnels, Vistâspa, Frashaohtra, etc , et Zarathushtra même,
pour désigner typiquement les personnes et les conditions du temps de
leur réforme. Je ne pense pas qu'on puisse soutenir que toutes ces
mentions de personnes portent le cachet évident d'historicité et d'indi-
vidualité de celles qu'on trouve, par exemple, dans le Coran ou les plus
vieux documents bouddhiques. D'autre part, comme nous connaissons
suffisamment, par leDînkart et par la lettre de Tansar(4), les conditions
de la rédaction de l'Âvesta au temps d'Ârdashir, et avant et après ;
comme le réformateur Tansar, d'après Maçoudi, était un platonicien,
fort capable d'épurer et de spiritualiser les textes et les traditions (3) ;
comme les conditions de la lutte politico-religieuse d'Ardashir et de
Tansar contre les « Kois des provinces » suffisent très bien à rendre
compte du ton passionné qu'aie Zarathushtra des Gàthas quand il parle
des ennemis de sa religion, on y regardera de très près avant de parta-
ger l'impression de Mills sur le caractère k historique » des Gàthas ;
et tout son ensemble d'arguments n'étant décisif que grâce à l'appoint
de cette impression, le système n'est pas encore près, croyons-nous,
d'avoir détruit la théorie si opposée de son défunt collaborateur, le
grand iraniste Darmesteter.
1. « Nor do I lay too .much siress upon the differeace between the
Gâthic dialect aaid the so-called Zead... » (SBE, vol. XXXI, Introd. p. XXVI).
2. <i ...bu,':. I do lay very great stress upon the totally dissimi!ar atmosphères
of the two portions. In the Gàthas ail is sober and real. » Ihid.
3. Ibidem, p. XXXVI.
4. Darmesteter, The Zend-Avesta, second édition part I, (SBE. vol IV;
Introduction, pp. XXXIII-sv; Journal Asiatique, 1894, I, Lettre de Tansar
au roi de Taharistan. (Ihid., p. XLII).
5. Maçondi. Les prairies d'or, II. IGl; SBE, IV, Infrod. p. XLIV.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 601
D'ailleurS; l'iiisloire du culte de Mithra montre assez que le maz-
déisme n'avait pas nécessairement, vis-à-vis des autres religions, même
païennes, un rôle si exclusivement actif. Dans son ouvrage précédem-
ment analysé, Cumont a un chapitre plein d'intérêt qui résume ses
grandes études sur le mithriacisme(l). Le Mazdéisme d'Ânatolie, répan-
du en Occident comme culte de Mithra, était déjà un syncrétisme dans
son pays d'origine. Depuis les Achéménides, une noblesse de race per-
sique dominait le Pont, l'Arménie, la Cappadoce ; à côté d'elles, un clergé
puissant, les pyrèthes ou maguséens, qui Sixaienl des temples jusqu'en
Lydie, pratiquaient des rites à peu près semblables à ceux de l'Âvesta.
Seulement ils parlaient araméen, et leur mazdéisme était plus naturiste
que celui de Tansar : des génies de la nature, comm Ânâhita, Mithra,
tenaient autour d'Ahura-Mazda une place aussi importante que les
Amshaspeuds. Or, ce culte avait une théologie toute difTérente de celle
des Gàtlias. Il était profondément influencé par Babylom, et l'astrologie
sémitique y dominait les mythes naturistes des Perses. Au sommet de
la hiérarchie divine, le mithriacisme placera le Temps divinisé, le Zer-
van Akarana, source des deux Principes. Anâhita s'identifie à la fois à
la Grande-Mère anatolienne et à Ishtar ou à Astarté, Mithra à Shamash,
et Ahura-Mazda lui-même à Bel, puis, plus tard, au dieu céleste des
Clialybes sémitisés, le Zeus de Dolichè. C'est un bel exemple de syn-
crétisme, où le mazdéisme se montre au moins aussi transformé que
transformateur. — On sait que plus tard, dans l'empire romain, après
que les empereurs mêmes se furent fait initier à ces mystères, le
mithriacisme devint encore plus syncrétiste, et vécut en grande intimité
avec Cybèle et Attis. Mithra, l'Livincible, cher aux soldats, le grand
médiateur qui accueillait les âmes au ciel et devait ressusciter les corps,
était sans doute une divinité très noble, à peu près irréprochable ; il
n'avait même pas de déesse parèdre. Mais cela n'empêche pas que, dans
l'ombre, à côté des grands mystères, on n'arrivât à rendre un culte au
Principe mauvais, Ahriman. C'est la grande faiblesse du dualisme, au
point de vue moral : il expose à la tentaliou de se concilier les démons,
quand on les considère comme plus ou moins indépendants ; et ainsi
le mazdéisme, tant admiré de Mills et des autres pour sa pureté morale,
n'a pas peu contribué à répandre la sorcellerie, déjà dans l'antiquité ;
même à travers le manichéisme, les sombres horreurs de la magie
noire, au Moyen Age. en dérivaient pour une bonne part.
5. — Inde et Extrême-Orient.
Védisme et brahmanisme. — Mills, comme Oldenberg et d'autres,
aime à rapprocher d'Ahura-Mazda le dieu védique Varuna, dieu moral
aussi et assez abstrait. V^aruna est un Asura, non un Deva. T. Se-
GERSTEDT, dans R. H. R. (2), a commencé une série d'études, qui pro-
mettent d'être intéressantes, et tendraient à établir que Varuna ne
1. Les Religions orientales dans le Paganisme romain, chap. VI.
2. Les Asuras dans la religion védique (l^r article) RHR, mars-avril 1908.
602 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Siérait ni sémitique, comme le propose Ûldenberg, ni indo-iranien,
comme les partisans de l'antiquité des Gàthas le supposent, mais un
dieu des populations pré-aryennes de Tlnde : c'est aux Dàsas détestés
que l'auraient emprunté les Aryas. Cette théorie n'est pas nouvelle,
nous verrons si elle reprendra vie. Le nom Asura (1), en rapport avec
la Mâyà, impliquait pour les vieux Hindous l'idée de pouvoir magique,
de puissance plus ou moins suspecte. C'est pour cela que les Asuras
finissent, dans le védisme tardif, par devenir tout à fait les ennemis des
dieux, et que Varuna lui-même a toujours conservé un caractère un
peu sombre et sournois, tout gardien de la morale qu'il était. Son asso-
ciation avec Mitra =Milhra serait purement accidentelle, et n'offrirait
donc pas de parallèle bien instructif à celle d'Ahuramazda-Mitlira. —
Les Maruts, Rudra et Pushan se seraient introduits de la même manière
dans le Panthéon védique. J. Schefielowitz a publié une édition des
Apocryphes du Rigvéda que les indianistes tiennent pour très impor-
tante. Voir là-dessus le Bulletin Indische Religion ( 1 904-1 906 ) de
W. Caland dans ARW (2). Le lecteur qui s'y reportera y trouvera les
renseignements qu'il peut désirer sur les travaux de première main.
Indiquons-lui quelques publications d'intérêt plus populaire sur l'hin-
douisme. The Gospel of Krishna and of Christ, par Maud Soynt (3), est
une étude qui tend à atténuer beaucoup les différences de nos Évangiles
et de la Bhagavadgilà. L'auteur veut que cette œuvre célèbre de mysti-
que panthéiste propose à l'homme un Nirvana presque identique à la
vie éternelle du 4^ Évangile. Le dieu s'identifierait, non pas au monde
phénoménal, mais à un monde intelligible que je soupçonnerais d'être
plus platonicien qu'hindou. On sera plus disposé par cet article à con-
céder à « l'Évangile de Krishna» certaines affinités avec Spinoza (v.
p. 87) qu'avec l'Évangile du Christ ou avec saint Paul. — Le Rév.
N. Macnicol, dans la même Revue, expose V Action and Reaction of
Chrislianity and Hinduism in India (4). On trouve là des jugements
intéressants sur le « Védanta pratique » de Swami Vivekananda, dont
la religion «universelle», prêchée jusqu'en Amérique, se réduit à peu
près à la philosophie des Upanishads, tandis que la théosophie de
Mrs Annie Besant fait plus de cas des Pûranas ; l'ardente' néophyte
trouve même des raisons apologétiques en faveur de l'idolâtrie, car
l'image « établit une communication magnétique entre la forme divine
et l'adorateur. » Les diverses sociétés théistes issues du Brahmo Samaj
de Ram Mohun Roy ont à l'heure qu'il est moins de relief, peut-être du
seul fait que les vérités qu'elles proclament sont beaucoup plus répan-
dues maintenant dans l'hindouisme moyen qu'elles ne l'étaient au
temps de leur fondation. Les apôtres de ces divers mouvements ont
1. Asura = Ahura. Ce mot signifierait maître, seigneur; ^lills fait venir
AhTiia de ÂJin, vie, avec le suffixe ra; de sorte que Ahura-Mazda serait
« the living god. » {Avesta Eschat. p. 12 1.
2. KRy<. W. Caland, Indische Religion (1904-1906) déc. 1907.
3. ILT., octobre 1907.
4. HJ., oct. 1907. Comparer C. Auzuech. Le mouvtment religieux dans
l'Inde, Revue du Clergé français, 1er juin 1908.
BULLETIN DE SCIENCE DES RELIGIONS 603
d'ailleurs tous emprunté au Cliristianisme tout ou partie de sa morale,
et c'est une des raisons de leur force (1).
Bouddhisme. — L'influence chrétienne ne se fait pas moins sentir
sur le bouddhisme, tel du moins que nous l'exposent ses, adeptes d'Eu-
lope ou d'Amérique et quelques Japonais européanisés. On en aura la
vive impression en lisant The Dharma, sous-titre : The Religion of En-
lightenment, du D'" Paul Carus (2). Ce petit livre doit être fort ortho-
doxe, puisqu'il est d'un auteur dont The Gospel of Buddha a été
chaleureusement recommandé par S. M. le roi de Siam et par les
délégués bouddhistes au Parlement des Religions de Chicago, traduit
même en japonais et en chinois ; tandis que les travaux d'Oldenberg et
de Monier Williams, à ce qu'on nous dit dans un Appendice, sont
ft scholarly, but written from the Christian standpoint, and Buddhists
do not recognize them as represenling the facts correctly. » The Dhar-
ma est franchement apologétique. C'est un petit manuel qui est à la fois
traité métaphysique, catéchisme, livre de prières et de méditations,
théologie dogmatique de poche. Il paraît assez éclectique et se place
au-dessus des divergences du Mahayana et du Hinayana. Sa métaphy-
sique purement phénoméniste insiste sur l'irréalité de l'Atman, c.-à-d.
de toute âmeet de toute substance, mais les remplace par la loi suprême,
Amitâbha (le double célestedu Bouddha), qui est dieu sans être démiurge,
qui estlaBôdhi,qui est toute Perfection. Le Nirvana, naturellement positif,
est « a State of mind in which the limitations of individuality disappear,
and the eternity of truth is contemplated. » Il n'est d'ailleurs pas dit si
Amitâbha est un être conscient, s'il est de l'ordre réel ou idéal, une
simple personnification de l'ordre cosmique et moral, ou un sur-être ;
|)robablement ces distinctions sont-elles artificielles aux yeux du
D'' Carus.
Signalons une étude de A. Nagel, JJer Chinesische Kûchengott Tsau-
Kyun (3), qui montre comment le bouddhisme, en Chine, a su appro-
prier un vieux culte, mi-naturiste, mi-maniste, du feu domestique, en
l'entourant même de mythes évhémériques.
Shintoïsme. — La brève et substantielle étude de W. G. Aston
\nli\.u\ée Shijito, Ihe ancienl religion of Japan (4) est à rapprocher de
l'ouvrage de M. Hevon (o), qu'elle contredit sur certains points, prin-
cipalement en ce que Aston nie que cette religion contienne rien qui
ressemble à un code de morale formé. Elle n'a dans ses origines que
des rapports génériques avec la vieille religion des Chinois, dont les
Japonais sont des parents fort éloignés ; ainsi il n'y a pas de dieu du
1. Les études d'A. Roussel sur la Tliéologie brahmanique, que connais-
sent les lecteurs de' cette Revue, pourront leur suggérer un jugement sur la
valeiu- et l'avenir de ces divers essais de syncrétisme.
2. Chicago, Opea Court, 1907.
3 ARW, déc. 1907.
4. R. A. M. 1907.
5. Voir le numéro de cette revue de juillet 1907. Bull, d'histoire des religions,
Japon.
604 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ciel, et la déesse du soleil (Amatéras) a la préséance sur celle de la
Terre. Le culte y est inspiré plutôt par l'affection et la gratitude que par
la peur. Contrairement à la théorie de Spencer, l'absence de spiritisme
y est notable. Peu de traces d'une croyance à l'immortalité. Quoique
parmi ces Kami si mal individualisés, toutes les grandes divinités
soient naturistes, et ne soient devenues des ancêtres qu'après coup,
cependant il y a dans leurs rangs beaucoup de héros divinisés ; mais il
ne faut pas faire du Shinto, comme Lefcadio Hearn, un « culte des an-
cêtres». Il y a aussi des dieux, moins primitifs, qui sont des abstrac-
tions ou des principes personnifiés ; ainsi Jzanaghiel Izanami semblent
à Aston suggérés tout simplement par le Yin et le Vang, le principe
mâle et le principe femelle de la philosophie chinoise. Après les mythes
et les dieux principaux, Aston examine le sacerdoce, le culte, la mora-
lité et la pureté, la divination, les influences du bouddhisme et de la
culture chinoise. Il conclut en jugeant que le Shinto, dépourvu du
code moral, d'organisation ecclésiastique sérieuse, peu riche en litté-
rature, absolument pauvre en art, — borné qu'il est aux fétiches,
(shinlaij où habite un double (mxlama) de ses dieux — est condamné
à une extinction qui pourrait être assez rapide. C'est une nourriture de
babies peu appropriée au Japon moderne.
Fribourg Suisse). Bernard Allô. 0. P.
Bulletin d'histoire des Institutions
ecclésiastiques (o
I. — Gouvernement de TÉglise.
Conciles. — La Revue (2) a déjà annoncé la traduction du grand
ouvrage du P. Granderatu (3) sur le concile du Vatican. Maintenant
que le premier volume de cette œuvre magnifique a paru, il importe
d'en donner une idée moins sommaire.
Longuement préparé par son édition des actes de ce concile dans la
Colleciio Lacensis, ayant eu à sa disposition toutes les archives du Vati
can, largement informé sur toute la littérature du sujet, l'auteur nous
oiTre un travail qui, dans l'ensemble, peut passer pour définitif. « Avant
tout, il a voulu faire œuvre d'historien, donner de son sujet une idée
claire et exacte, d'après les sources, en rapportant ce qui s'y trouve,
sans rien taire ni déguiser... » Il ajoute : « J'écris cette histoire du point
de vue catholique ; c'est, semble-t-il, le seul juste, le seul possible même
pour apprécier un concile. Il s'agit en effet d'une institution catholique
qui doit se juger d'après les principes catholiques. » On ne peut que
hii donner raison ; vouloir contester ce principe c'est, en tout cas, sortir
du terrain de l'iiistoire pour entrer dans celui de l'apologétique.
Le Tome I est consacré aux préliminaires du Concile. Il traite de sa
première annonce et de sa préparation éloignée, des mouvements d'opi-
nion qu'il souleva et enfin de sa préparation immédiate.
Si l'on en croit certaines sources, Pie IX aurait eu depuis longtemps
l'idée, qu'il manifesta publiquement le 6 décembre 1864, de convoquer
un Concile général. Bien des motifs militaient en ce sens, et la commis-
sion de cardinaux ainsi que les trente-six évèques du rite latin et quel-
ques orientaux consultés en 1863 affirmèrent, à une très forte majorité,
l'utilité et même la nécessité de cette réunion. D'après eux, il devrait
traiter des erreurs modernes opposées aux vérités fondamentales de la
religion, des rapports de l'Église et de l'État, de l'union des Églises et
de diverses questions de discipline ecclésiastique.
Un instant le pape avait pensé pouvoir faire coïncider l'ouverture du
1. Je rappelfe gae ce Bulletin n'entead traiter que dis Institutions impli-
ruant un point de vue doctrinal.
2. Revue des Sciences Ph. et Th., I, (1907), p. 390.
3. Histoire du Concile du Vatica)i depuis sa première annonce jusqu'à sa
prorogation, d'après les documents authentiques. Ou\Tage du P. Ihéodore
Granderath, s. J., édité par le P. Conrad Kirch, S. J., et traduit de l'alle-
niand par des religieux de la même Compagnie. Tome I : Préliminaires du
Concile. Bruxelles, A. Dewit, 1908; in-8«, XIV-590 pages.
600 REVUF DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Concile avec le centenaire des saints Apôtres Pierre et Paul (1867), mais
les travaux n'étaient pas assez avancés pour qu'on pût s'arrêter à cette
date ; du moins, Pie IX profita de cette solennité pour en faire l'annonce
officielle : le Concile devait s'ouvrir le 8 décembre 1869.
En attendant, une congrégation dite « Congrégation spéciale direc-
trice des affaires du futur concile général » fut chargée de préparer les
questions qui s'y rapportaient ou qu'il devrait traiter. Elle s'adjoignit
des consulteurs romains et étrangers, distribués en plusieurs commis-
sions. Le choix de ces derniers, en Allemagne surtout, ne se fit pas
sans soulever des difficultés et des polémiques.
La commission centrale se trouva dès l'abord en face d'une tâche
délicate, celle de décider qui devrait être appelé au concile. « Que les
évêques chargés d'un diocèse (évêques résidentiels) dussent être convo-
qués, cela ne faisait pas de doute. Qu'un privilège ancien donnât à
tous les cardinaux, à ceux même qui n'étaient pas évêques, siège et voix
au concile, cela n'était pas moins solidement établi, et ce privilège
devait évidemment être maintenu. Mais il fallait examiner avec soin si,
outre les évêques résidentiels, on devait convoquer aussi les évêques
simplement titulaires, quelle part revenait dans le concile aux procu-
reurs des évêques empêchés, quel parti était à prendre au sujet des
abbés et des généraux d'Ordres. Il y avait en outre à étudier la conduite
à tenir relativement à l'admission dans le concile des Églises orientales
non unies, et l'attitude à prendre vis-à-vis des protestants et des jansé-
nistes ; à décider enfin si l'on devait, à l'exemple des conciles antérieurs,
inviter les princes chrétiens et quel rôle leur serait dévolu au concile. »
11 fut décidé que tous les évêques, même titulaires, seraient convoqués,
car, par le seul fait de leur consécration, ils reçoivent un droit à ensei-
gner et à gouverner l'Église. On admit aussi, en vertu d'un privilège
traditionnel, les généraux d'Ordres et les abbés généraux, mais non les
abbés des abbayes particulières. Quant aux vicaires capitulaires et aux
procureurs des évêques, ils n'eurent aucune place au concile; les der-
niers devaient se borner à exposer les motifs qui avaient empêché leurs
évêques de répondre à l'invitation qui leur avait été faite. Les évêques
orientaux non unis seraient invités à condition qu'ils acceptassent de
souscrire une formule de foi et de reconnaître la primauté romaine,
comme cela s'était fait en pareille circonstance. Les Jansénistes, à cause
de l'état de révolte dans lequel ils se trouvent, et les Anglicans, parce
qu'ils n'ont pas gardé l'épiscopat, ne seraient pas convoqués. Les prin-
ces catholiques ne furent pas expressément invités ; dans la bulle do
convocation, on choisit les termes les concernant de façon à leur per-
mettre une certaine coopération, s'ils désiraient la fournir.
L'annonce du concile fut accueillie avec un enthousiasme presque
unanime. Pourtant, lorsque l'opinion fut mise au courant des questions
qui devaient sy traiter, de bruyantes polémiques s'élevèrent. Parmi les
opposants on remarqua surtout, en Allemagne Dollinger, en France
Mgr Maret, le P. Hyacinthe et Mgr Dupanloup. Parmi les orientaux non
unis l'accueil fait aux lettres papales varia selon les dispositions indivi-
duelles des destinataires, mais tous, les uns par esprit d'hostilité, les
autres par crainte, s'abstinrent. Chez les protestants on remarqua quoi
BULLETIN d'histoire DES INSTITUTIONS ECCLÉSIASTIQUES 607
ques démarches en faveur de runion. Enfin les gouvernements, malgré
une tentative d'excitation contre Rome venue de la Bavière, se tinrent
dans une altitude de réserve et d'abstention. Seule la Russie défendit
aux évêques de prendre part au concile.
Durant ces discussions préliminaires, la commission centrale conti-
nuait ses travaux. Elle eut à décréter les mesures nécessaires pour la
célébration du concile et à rédiger les schémas des futurs décrets.
D'accord avec le pape elle régla ce qui regardait la présidence du concile
Pie IX présiderait en personne les sessions publiques, les congrégations
générales seraient dirigées par cinq cardinaux représentant le pape. On
choisit les officiers du concile, on désigna le local des sessions, enfin on
décida l'établissement de quatre députations conciliaires, formées de
vingt-quatre Pères du concile nommés par le Pape , pour préparer les
décrets. La députation pour le dogme proposa trois schémas : 1° de la
doctrine catholique contre les erreurs issues du rationalisme ; 2" de
l'Église ; 3° du mariage chrétien. Les députations de la discipline ecclé-
siastique, des réguliers et des rites orientaux, proposèrent de leur côté
de nombreux schémas. L'ensemble s'élevait à cinquante et un ; il s'en
faut que tous aient été proposés au concile. Il faudrait joindre à ces
projets ceux qui émanèrent des Pères.
Tel est le contenu de ce premier volume. Il importe de noter que plu-
sieurs des questions traitées à l'occasion du concile et rapportées par
son historien intéressent le théologien et le canoniste, car elles fixent
certains poinis du gouvernement général de l'Église.
L'Index. — Le P. J. Hilgers, S. .1. (l), vient de fournir un précieux
complément à son Histoire de l'Index en relevant tous les écrits condam-
nés par lettre apostolique, des origines de l'Église à nos jours. Une
première partie donne sous forme de régestes les documents pontificaux
portant condamnation des ouvrages qui n'ont plus été insérés dans
l'édition de l'Index publiée en 1900. Dans ce cas sont tous les ouvrages
antérieurs à 1600 et quelques autres. La seconde partie comprend la liste
des ouvrages condamnés par lettre apostolique, encore actuellement
inscrits au catalogue. Cette liste off"re un intérêt bibliographique tout
spécial, car l'auteur ne s'est pas contenté des indications fournies par
les documents pontificaux, il a relevé sur l'original le titre exact et
complet de ces ouvrages. Dans une troisième partie enfin vingt-deux
lettres apostoliques, omises dans les collections, sont intégralement
publiées. Un appendice donne le texte de la soumission de Fénelon. On
ne saurait trop louer l'auteur du souci d'exactitude dont il a fait preuve
en son travail. Pour en montrer toute la valeur et l'utilité, il faudrait
encore relever la savante dissertation canonique sur l'excommunication
jointe à la défense de certains livres, mais ce serait sortir du domaine
de ce bulletin.
II. — Liturgie et culte.
Il faut savoir gré au prince Maximilien de Saxe, professeur à l'uni-
1. Die Buchcrvobote in Papstbriefeit. Kanonistisch-bibliographische Stu-
die. Fribourg en B., B. Herder, 1907; in-S", VIII-IOS pages.
608 REVUF DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
versité de Fribourg (Suisse), de publier ses leçons sur les liturgies
orientales. Les ouvrages sur ce sujet sont peu nombreux, et souvent
très spéciaux. Il manquait une œuvre de synthèse qui permît à tous
de s'orienter facilement dans une matière très complexe et en même
temps fit saisir à l'occasion la portée théologique des formules en usage
dans ces liturgies. C'est ce qu'a voulu faire le prince Maximilien. Aussi
ne prélend-il pas apporter sur tous les points des solutions originales.
Plus d'une fois il s'est contenté d'utiliser les travaux de ses devanciers
en y ajoutant le résultat de ses recherches et de ses observations per-
sonnelles.
Le premier volume, le seul paru (1), comprend une introduction
générale assez dense et une étude sur le rite grec.
L'introduction, après quelques indications bibliographiques qu'on
aimerait plus complètes et plus précises, aborde diverses questions
intéressant l'ensemble des liturgies orientales. Leur authenticité d'abord.
Elle peut être considérée à un double point de vue ecclésiastique et
historique. Toutes, sauf une liturgie grecque dite de S. Pierre, ont
été en usage daus les diverses Églises et de ce chef sont authentiques.
Mais ont-elles été composées par les personnages dont elles portent les
noms ? Pour quelques-unes l'attribution est certainement fausse ; pour
d'autres elle est vraie en partie. Une circonstance complique le problème :
c'est que jusqu'au IIl^ siècle aucune liturgie n'a été écrite. Pourtant dès
cette époque, très probablement du moins, existaient déjà les liturgies
dites de S. Jacques et de S. Marc.
L'ensemble des liturgies orientales peut se ramener à quatre groupes.
1° La liturgie de S. Jacques à laquelle se rattachent certainement les
liturgies grecque, syriaque, arménienne. — La liturgie grecque primi-
tive, à en croire une tradition, fut abrégée par S. Basile; plus tard
S. Jean Ghrysostome fit subir à son travail la même opération ; de là
sortirent deux types nouveaux, auxquels on ajouta encore par la suite la
liturgie des présanctitiés pour le temps de carême. — Les anaphores
syriaques sont très nombreuses, on en compte jusqu'à quaranbe-trois.
— Enfin la liturgie arménienne qui forme le dernier rameau de cette
famille n'est pas antérieure au V« siècle. Durant le moyen âge elle reçut
des additions empruntées au rite romain.
2" Le groupe égyptien comprend les liturgies copte et éthiopienne,
qui se rattachent à la liturgie de S. Marc.
3*^ Le troisième groupe comprend les liturgies de la Mésopotamie. La
plus ancienne est celle des apôtres de ce pays, Addée et Mar. Plus tard
on y ajouta deux anaphores dites l'une de Théodore de Mopsueste,
l'autre de Nestorius; elles ne sont pas en usage chez les catholiques.
La liturgie du Malabar n'est qu'une variété de la liturgie nestorienne.
4" Un quatrième groupe enfin serait celui d'Éphèse ou de la liturgie
de S. Jean. 11 n'en reste pas trace en Orient; mais certaines liturgies
occidentales (mozarabique et gallicane) en seraient issues.
L'auteur donne ensuite quelques indications sur l'extension actuelle
1. Praeleetiones de Liturgiis oricntalibus habitae in Universitate Frïbur-
gensi Helvctiae. T. I. Fribourg en Brisgau, B. Herder, 1908; in-S", VIII-
242 pp.
BULLETIN d'histoire DES INSTITUTIONS ECCLÉSIASTIQUES 609
des diverses liturgies orientales, sur les langues dans lesquelles elles
sont écrites et les éditions qui en ont été faites. Il insiste plus spéciale-
ment sur leur richesse au point de vue dogmatique el l'importance du
témoignage qu'elles peuvent fournir au théologien.
La seconde partie est spécialement consacrée au rite grec. Elle décrit
culte, édifices, instruments, vêlements, [livres et personnes; puis fournit
de copieux renseignements sur le calendrier ecclésiastique. Une table
de tous les personnages inscrits à ce calendrier permet de l'utiliser faci-
lement.
Eucharistie, Messe. — Le P. Thurston, S, J., un des savants les
plus renseignés sur l'histoire des dévotions dans l'Église, a consacré au
culte de la sainte lùicharistie et à la Messe des articles remarqués dont
M. Boudinhon commence la traduction pour le puhlic français.
Pour ce qui est du culte privé envers la sainte Eucharistie (1), l'auteur
n'en trouve pas trace avant le XI*^ siècle. Selon lui, les témoignages
invoqués par le chanoine Corblet et d'autres sont impuissants à
en faire la preuve pour les temps antérieurs. Il est hors de doute cepen-
dant qu'on gardait la sainte réserve pour les malades et que l'on croyait
à la présence réelle.
De quelle époque aussi date l'élévation de la Messe ? Il paraît bien,
toujours d'après le P. Thurston (2), que cette rubrique date du XIII'^ siè-
cle. Son établissement serait la conséquence des disputes tliéologiques
soulevées au XII" siècle sur le moment précis où est accomplie la trans-
substantiation du pain. « Certains, et sans doute le plus grand nombre,
soutiennent l'opinion, universellement admise aujourd'hui, que le pain
est changé au corps du Clirist aussitôt que les paroles de la consécration,
Hoc esl corpus vieiim, ont été prononcées sur lui par le prêtre. D'autres
cependant tenaient que le chang ment ne se produisait pour le pain
que lorsqu'il avait lieu aussi pourle vin, c'est-à-dire après les paroles
de la consécration du calice. » Et comme aussi, au XII® siècle, le célé-
brant, avant de consacrer, élevait l'hostie au-dessus de l'autel, assez
haut pour qu'elle fût aperçue du peuple, « cet usage d'élever l'hostie
avant la consécration donna naissance, par une transition insensible, à
l'usage de montrer l'hostie après la consécration », car les tenants de la
première opinion virent là une manière de populariser et de faire
accepter leurs idées.
Des remarques déplaisantes, émises par un organe ultra-protestant
d'Angleterre, amenèrent le P. Thurston (3) à justifier l'usage des hono-
raires de messe en recherchant leur origine. Il le rattache à une double
cause. D'abord la coutume des fidèles des premiers siècles de faire des
offrandes au moment du Saint Sacrifice, offrandes dont une partie était
consacrée pour la communion du prêtre et celle des fidèles, et le reste
1. The carlij CuUus of the Blessed Sacrament dans The Month, avril
1907. " . ^
2. Thp. Elévation dans Tat)let, 19 octobre, 26 octobre, 2 novembre 1907;
tiaduciion de M. Boudinhon : Les origines de l'élévation dans Revue du
Cleroé français, 1 juin, 1 juillet 1908.
3. Stipends for Masses, janvier 1908.
2e Année. — Revue des Sciences. — N" 3. 39
610 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
réservé à la subsistance du clergé. Une autre cause se trouve dans
l'introduction des messes privées, célébrées pour une intention particu-
lière. Ce fut surtout quand l'usage des messes pour les morts eut été
introduit que les offrandes en argent apparurent. La pratique de celles-
ci n'est commune qu'à partir des X*" et XI« siècles.
Prière pour les morts. — La prière pour les morts et même la
célébration de l'Eucharistie en leur faveur était beaucoup plus ancienne.
Le R. D'^ SwETE, professeur de théologie à l'Université de Cambridge,
en a fait la preuve en un article richement documenté, dont M. Vacan-
DARD a donné une adaptation française (l). En voici la conclusion.
« Bien qu'à lorigine la prière pour les âmes ait été peut-être une
pratique individuelle, il n'y a pas de preuve que les morts aient été com-
mémorés par leurs noms dans Vagape eucharistique dès l'âge aposto-
lique ou dans la période subapostolique. De telles commémorations ont
probablement commencé au second siècle avec la tenue des agapes sur
les tombes des martyrs et plus lard sur celles des autres chrétiens
décédés. Si l'Eucharistie était associée à Vagape cémétérialle,soit qu'elle
fût célébrée concurremment, soit qu'elle l'ait précédée immédiatement,
les noms des défunts ontpu trouver alors place dans la prièie eucharis-
tique. Au IIl^ siècle l'Eucharistie elle-même était, au moins dans le
nord de l'Afrique, offerte pour les fidèles trépassés, et avant la fin du
même siècle l'intercession pour les morts paraît avoir été un trait
commun à toutes les liturgies. En même temps l'usage de célébrer
spécialement l'Eucharistie en mémoire des personnes décédées, soit
dans les cimetières, soit dans les églises, est marqué dans les manuels
ecclésiastiques. Le quatrième siècle, avec sa vénération pour les mar-
tyrs, son sentiment si développé de la grandeur des mystères et de
l'unité du corps du Christ, s'attacha encore plus fermement à ces com-
mémorations, et malgré l'opposition de quelques mécontents, comme
Aérius, malgré la répugnance qu'éprouvaient les gens du monde à se
charger des intérêts spirituels de leurs défunts, l'usage d'offrir des
prières, le sacrifice eucharistique et des aumônes pour les membres
décédés de l'Église s'établit désormais comme un important facteur de
la vie chrétienne, tant en Orient qu'en Occident. »
La Sainte Vierge. — C'est une croyance tenue presque à l'égal d'un
dogme par beaucoup de Protestants que le culte envers la Sainte Vierge
est une nouveauté de l'Église en décadence, une idolâtrie à peine
déguisée. Cette opinion est si forte que des âmes loyales, comme le fut
celle de Pusey, se heurtent à ces préjugés. En ces derniers temps, on a
même essayé de jeter pareil doute parmi les Catholiques ; mais la ten-
tative, complètement discréditée au point de vue scientifique, n'a abouti,
jusqu'ici, qu'à un lamentable échec.
Il importe pourtant de ne pas s'en tenir sur ce sujet à de pures néga-
tions. Heureusement la science catholique a mieux à offrir et dès main-
1. Im Prière pour les Trépassés dans les quatre premiers siècles, daas
Revue du Clercfé français, 15 oct. 1907; cf. Journal of theological stitdics,
1" juillet 1907'.
BULLETIN d'histoire DES INSTITUTIONS ECCLÉSIASTIQUES 611
tenant il est loisible de signaler plusieurs ouvrages composés en dehors
de toute polémique qui apportent les preuves d'une dévotion envers
Marie, presque aussi ancienne que l'Église et répandue dans les diverses
contrées soumises à son action.
Avant de les aborder, je tiens à annoncer la nouvelle traduction d'un
ouvrage de Newman : Du culte de la Sainte Vierge dans VÉglise catho-
lique (1). Il fut composé en 18(io et publié sous forme de lettre au
D"" Pusey. OEuvre de science sans doute, ces pages se recommandent
aussi par le sentiment profond, le ton intime et personnel qu'on trouve
dans les diverses œuvres du cardinal. Par ce double aspect, l'ouvrage
est resté vivant et peut encore atteindre des âmes semblables à celle à
laquelle il était directement adressé. On y trouvera en dehors des
preuves qui établissent l'antiquité de la doctrine mariale dans l'Église,
une utile distinction entre la foi et la dévotion. « J'admets pleinement
que la dévotion envers la Sainte Vierge a grandi chez les catholiques
dans le cours des siècles ; je n'admets pas que la doctrine qui la con-
cerne ait reçu aucun accroissement, car je crois qu'elle est, en substance,
restée la même une et identique depuis l'origine. » p. 40.
Au fond c'est l'application de cette même distinction que M. E. Ntu-
BERT, dans le consciencieux travail (2) déjà analysé ici même (3), a
constatée durant la période anténicéenne. « Élevée, dès la période anté-
nicéenne, au-dessus de tous les autres saints et placée à côté de Jésus
dans l'œuvre de la Rédemption, Marie a-t-elle été aussi dès lors l'objet
d'un culte? Si l'on entend par le mot culte des honneurs officiels, il
serait difficile de donner une solution précise à cette question, à cause
de l'obscurité oi^i sont encore plongées les origines de la liturgie. D'après
ce que nous en connaissons, il semble que la réponse serait plutôt
négative. Mais on ne peut rien conclure de ce fait contre l'idée qu'à cette
époque on se faisait de Marie dans la vie chrétienne. » En effet la litur-
gie ne se présentait pas alors avec les caractères qu'elle a de nos jours. Le
culte des saints était surtout local et étroitement lié au souvenir du jour
de leur naissance au ciel. Pas d'anniversaire déterminé, pas de souvenir
local, pas de culte. A cause de cela, Marie pouvait difficilement entrer
dans la liturgie de l'Église universelle. D'ailleurs sa mémoire s'unissait
trop intimement au Christ pour en être séparée, même dans la liturgie ;
dans plus d'une fête on honorait, en même temps que le Fils, la Mère :
il n'y avait donc pas lieu de lui consacrer une liturgie spéciale.
Mais « s'il est difficile d'établir que Marie ait reçu dans les trois
premiers siècles des honneurs proprement liturgiques, ce qui ne fait
pas de doute, c'est qu'elle a été pour les fidèles de ce temps un objet de
vénération. >> Cette vénération s'est traduite de diverses manières : dans
les nombreux récits sur l'origine de Jésus, oîi la Mère était exaltée avec
1. Traduction revue et corrigée par un Bénédictin de l'abbaye de Farn-
borough, avec une préface par Dora Cabrol. Paris, Téqui, 1908; in-12,
XII-252 pages.
2. Mark clans l'Église anténicéenne. (Bibliothècfue théologique). Paris, J.
Gabalda, 1908; iai-12, XVI-284 pp.
3. Cf. Bev. des Se. Fh. et Th., avril 1908, p. 375.
612 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
le Fils, dans les peintures des catacombes, dans les homélies des
Pères, dans la préoccupation constante des fidèles de défendre contre
les hérésies les privilèges éminents de Marie.
« Â-t-on aussi dès cette époque invoqué Marie?... On ne peut citer
aucun témoignage certain établissant qu'on ait prié la Mère de Dieu dès
cette époque ; mais le silence des documents s'explique aisément, et la
comparaison avec les autres bienheureux qu'on invoquait au moins à
partir de la seconde moitié du IP siècle, ainsi que le pouvoir spécial
d'intercession attribué à Marie ne permettent pas de douter qu'à elle
aussi aient été dès lors adressées les prières des fidèles. »
L'ouvrage du R. P. Delattre, des Pères Blancs, vient heureusement
compléter, pour un pays particulier et par une méthode spéciale, ces
données générales (1). Comme le remarque avec à-propos le savant
auteur, plus d'un qui reste réfractaire aux preuves théologiques ou même
aux témoignages écrits s'inclinera devant les documents archéologiques.
Ce travail comprend deux parties, l'une consacrée à l'époque qui
précède l'invasion arabe, l'autre à celle qui la suit. La première est de
beaucoup la plus riche et la plus intéressante. Le bas-relief de Damous-
el-Karita, ainsi que les orantes, images de Marie et de l'Église, permet-
tent de remonter dans les témoignages favorables au culte mariai en
Afrique jusqu'au règne de Constantin, peut-être même jusqu'à la fin du
IIP siècle. Plusieurs statuettes d'aigile grise, qu'il faut sûrement regarder
comme des images de Marie, datent delà fin du IV* siècle ou du com-
mencement du V*. De la même époque sont des carreaux de terre cuite,
les uns offrant l'image indubitable delà Sainte Vierge, les autres por-
tant l'invocation : Sancta Maria, adjuva nos. Des marbres des VP et
VII® siècles prouvent que des femmes chrétiennes reçurent le nom de
Marie. « Mais rien n'égale, ajoute l'auteur, pour l'extension et l'inten-
sité du culte de la Sainte Vierge, les révélations fournies par notre
riche collection de plombs de bulle. » Ce sont les sceaux dont étaient
munis les actes publics ou les correspondances privées. Or, beaucoup
de ces plombs portent l'image de la Vierge avec une invocation, et cela
dès le VP siècle.
Ces précieuses constatations sont nouvelles et dues à peu près exclusi-
vement aux sagaces recherches du R. P. Delattre. En 1878, M. Rohault
de Fleury écrivait à propos de l'Algérie : « Nous ne connaissons
encore aucune église ayant autrefois existé sous son patronage, aucune
médaille frappée à son image, aucune inscription marquée de son nom.»
De pareils résultats montrent ce qu'on peut attendre de l'archéologie et
le concours appréciable qu'elle peut fournir à l'histoire des croyances
et du culte.
Saint Joseph. — Plus encore que le culte de la Sainte Vierge, celui
de saint Josepli s'est développé avec lenteur dans l'Église. On peut s'en
rendre compte en parcourant l'ouvrage si complet que vient de consa-
1. Le culte de la Sainte Vierge en Afrique, d'après les monumputs archéolo-
giques. Paris-Lille, Desclée, De Brouwer et Cic (1908); ia-8o, XlI-231 pp.
BULLETIN d'histoire DES INSTITUTIONS ECCLÉSIASTIQUES 613
crer à ce sujet M. Joseph Seitz (1), prêtre du diocèse d'Eichstâtt. C'est
une véritable somme historique relevant toutes les manifestations de la
pensée Ihéologique, de la légende, du culte et de l'art (2), intéressant le
saint époux de Marie, des origines jusqu'au concile de Trente. Un pareil
ouvrage ne se résume pas, qu'il suffise de donner ici quelques-unes de
ses conclusions.
Durant les premiers siècles saint Joseph a peu d'importance et de
relief dans la littérature ecclésiastique. Il faut en chercher la raison dans
les hérésies quiattaquaient la divinité de Notre-Seigneur. En présence
de pareille négation, les docteurs catholiques insistaient sur le côté
divin de la vie de Jésus et laissaient dans l'ombre ce qui, dans son hu-
manité, pouvait faire objection. Cependant peu à peu une tradition se
forme cliez les Pères, qui détermine les principaux aspects de la figure
de saint Joseph, notamment ses relations avec Jésus et Marie. On le
représente comme un charpentier et l'opinion de saint Isidore de Sé-
ville qui en fait un forgeron est peu suivie. A l'origine, on le disait seu-
lement fiancé de Marie, mais saint Ambroise et saint Augustin soutien-
nent l'existence du mariage. La conséquence pour l'évêque d'Hippone,
c'est que, dans un sens très profond, saint Joseph est le père de Jésus,
puisque celui-ci est né de son épouse. Saint Jérôme et saint Augustin
affirment contre plusieurs autres Pères la virginité de saint Joseph.
Dans l'antiquité, à parties légendes qui popularisent la mémoire de
saint Joseph et les œuvres d'art qui le représentent, on ne trouve pas
trace de culte en son honneur, si ce n'est peut-être chez les Copies.
Le moyen âge a fait faire des progrès à la dévotion envers le père
nourricier de Jésus. Pour la première fois son nom est inscrit dans un
martyrologe de Reichenau au IX'' siècle. La première chapelle qui lui
fut dédiée, le fut à Bologne en 1129. C'est dans cette même ville qu'on
trouve son nom inséré pour la première fois dans les litanies des saints.
Vers la même époque on trouve sa fête célébrée en diverses Églises et
par plusieurs Ordres religieux.
Un de ceux qui fit le plus pour propager le culte de saint Joseph, ce
fut Gerson, et il eût voulu que le concile de Constance établît une fête
générale en son honneur. Mais l'ouvrage le plus remarquable, parmi
ceux qui parurent à cette époqueet dont l'infiuence fut considérable
pour développer la dévotion à saint Joseph, est certainement celui du
Dominicain Isidore de Isolanis.
Dès cette époque, si la fête n'est pas universelle, la dévotion a cepen-
dant déjà profondément pénétré dans le peuple et on peut déjà prévoir
l'importance croissante qu'elle prendra à partir du Concile de Trente.
Kain. M. Jacquin, 0. P.
1. Die Verehrung dcr hl. Joseph, in ihrer geschichtUchen EntwicMung Us
zum Konzil von Trient dargcsleUt. Fribourg en B., B. Herder, 1908; in-8o,
XVII-388 pp.
2. Douze planches contenant quatre-vingts gravures reproduisent les prin-
cipales.
CHRONIQUE
ALLEMAGNE. — Publications nouvelles. — M. E. Kautzsch a com-
mencé de publier une li"'" édition, entièrement refondue, de sa traduc-
tion si connue des Livres de IWncien Testament. En tête de chaque
Livre figurent maintenant les introductions critiques qui formaient
précédemment la matière de fascicules complémentaires. Les différentes
sections du texte sont, elles aussi, précédées d'une introduction critique
spéciale. Enfin, dernière amélioration, de courtes notes explicatives,
placées au-dessous du texte, en facilitent l'intelligence.
Cette nouvelle et vraiment pratique édition paraît à la librairie Molir,
de Tubingue, par fascicules de 4 feuilles d'impression, au prix de 80 pf.
chacun. Le premier fascicule a paru en mai, les autres suivront toutes
les cinq semaines et la publication s'achèvera au printemps de 1910.
— La librairie B. Herder, de Fribourg, depuis peu propriétaire du
célèbre Enchividio)} de Denzinger, vient d'en donner une nouvelle (10'')
édition. La préparation en a été confiée au R. P. C. Bannwaut, S. J.
D'importantes améliorations ont été réalisées tant au point de vue
scientifique qu'au point de vue pratique. Plusieurs textes ont été donnés
en une forme plus correcte ; d'autres, douteux ou peu utiles (sur les
mariages mixtes), ont été supprimés; les dernières décisions du pontifi-
cat de Pie X sont insérées. De plus, l'ordre chronologique a été plus
nettement indiqué et les renseignements bibliographiques complétés.
L'impression elle-même est excellente et divers types de caractères
aident à distinguer au premier coup d'oeil les passages plus significatifs.
— La librairie F. Schoningh, de Paderborn, publie une nouvelle Col-
lection intitulée : Slitdien zur Philosophie und Religion, qui comprendra
tout à la fois des études systématiques et historiques. Le Directeur en
est le D"" R, Stolzle, professeur de philosophie à l'Université de Wurz-
bourg. Le premier volume qui vient de paraître est dû au D''G. Sattel :
Martin Deulinger als Elhiker. Fin Deilrag zur Geschichle der clirisl-
Uchen Ethik in 19 Jahrhundert. in-8'' de viii et 304 p.
Concours. — La Kantgesellschaft propose comme sujet de concours
pour lobtention du prix Giiller (lOOO Marks et 600 Marks) la question
suivante : Quels sont les progrès réalisés par la métaphysique en Alle-
magne depuis Hegel et Herbart ? Le travail demandé doit être de carac-
tère critique plutôt qu'historique et proposer des conclusions louchant
les éléments durables des systèmes étudiés. On désire même que ces
conclusions soient exprimées sous forme de thèses à la fin du travail
Le jury se compose des professeurs Riehl, Stumpf,recteur, de Berlin, et
Kiilpe, de "NVurzbourg. Les mémoires, rédigés en langue allemande,
peuvent être envoyés jusqu'au 22 avril 1910.
CHRONIQUE 615
Retraite. — Le D"" Karl Fr. Nosgen, professeur ordinaire d'exégèse du
N. T. à l'Université de Rostock, a pris sa retraite.
Nominations. — M. A. Deissmann, professeur ordinaire d'exégèse du
N. T. à l'Université de Heidelberg, passe avec le même titre à l'Univer-
sité de Berlin où il succède à M. le professeur Bernhard Weiss qui
prend une retraite bien méritée.
M. Deissmann a lui-même pour successeur à Heidelberg M. J. Weiss,
précédemment professeur ordinaire d'exégèse du N. T. à Marbourg.
— M. le D"" G. AicHER s'habilite comme privat-docent d'exégèse du
N. T. à la Faculté de tliéologie de Munich.
— M. le D" J. Ev. NiEDERHUBERa été appelé au Lycée royal de Ratis-
bonne comme professeur extraordinaire d'exégèse du N. T., de patrolo-
gie et d'encyclopédie et méthodologie théologiques. Il était précédem-
ment Régent du Petit Séminaire de la même ville.
Décès. — M. J. A. KoEBERLE est décédé prématurément il y a quel-
ques mois, à l'âge de 36 ans. 11 était professeur d'exégèse et d'histoire
de la religion Israélite et juive à l'Université de Rostock, et occupait
une place très en vue parmi la jeune génération d'exégètes protestants
conservateurs.
Ouvrages principaux : Nalur und Geisl nach d. Auffassg. d. ait.
7'est., 1901 ; Geistige Kultur der semit. Vblker, 1901 ; Babi/lonische
Kuliur und bibiische Religion, 1903 ; Silnde und Gnade in Religiosen
Leben des Volkex Israël bis auf Christiim, 1905 ; Zum Kampfe uni das
Alte Testament, 190G. M. Koeberle a donné aux Bibiische Zeil- und
Slreitfragen de MM. Boehmer et Kropatscheck : Das Ràtsel des Leidens.
Eine Einfuhrung in dasBuch Hiob.
ANGLETERRE. — Publication nouvelle. — La maison Clark, d'É-
dimboui-g, qui a déjà édité le Diclionarg of the Bible et le Dictionanj of
Christ and tite Gospels, entreprend de publier une Encyrlopaedia of Reliriion
and Ethics (\m com\)VQnAvi\ dix volumes, in-8° impérial, d'environ 900
pages chacun. Le premier paraîtra en septembre prochain.
Universités. — Une pétition, signée d'un grand nombre de noms
connus, a été récemment adressée au Gouvernement demandant la
création, à Londres, d'un Bureau impérial d'anthropologie. Les signa-
taires demandent, dans l'intérêt même du bon gouvernement des
colonies britanniques, que les candidats aux fonctions coloniales
reçoivent officiellement une formation scientifique en matière d'ethno-
logie, de sociologie et de religion des peuples non civilisés. Ils rap-
pellent que tout récemment Sir Reginald Wingate demandait aux
universités d'Oxford et de Cambridge si elles étaient en état de
donner cet enseignement aux candidats du « Sudan Civil Service » et
que, sur leur réponse affirmative, des cours ont été organisés et fonction-
nent déjà.
— M. H. Wilde a fait don à l'université d'Oxford d'une somme de
40001. st. pour la fondation d'une chaire de religion naturelle et com-
parée.
616 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Musée. — On vient d'ouvrir à Londres une sorte de Musée de l'Orient
« The Orient in London «, destiné à promouvoir l'intérêt pour les Mis-
sions. Le Musée comporte une Salle, très intéressante, des Religions.
Pour en rendre la visite plus facile et plus profitable, le président du
Comité, le Rev. Macfayden, avec le concours de plusieurs collabora-
teurs, a publié un Ouide qui est en même temps une précieuse contri-
bulion à l'histoire des religions. M. A. C. Haddon a écrit une Introduc-
tion à la religion des primitifs. MM. H. A. Cook, W. A. Elliot, J. G.
Hawker, G. Owen el le prof. G. W. Thatcher ont donné des éludes sur
rinde, la Chine, llslam, etc.
Congrès — Le Congrès international d'Éducation morale dont nous
avons annoncé, dans notre dernier numéro, la prochaine réunion à
Londres, se tiendra les 25-29 septembre au lieu des 28-26. La carte de
congressiste se vend 12 francs : une souscription de 6 francs donne
droit à recevoir le volume des Actes qui sera ultérieurement publié.
Adresser la demande à M. H. G. Belot, 137, rue du Hanelagh, Paris;
A. Moulet, 7, rue de Roussy, Lyon, secrétaires pour la France, ou à M. G.
Spiller, 13, Buckingham street, Strand, Londres, secrétaire général.
Conférences. — Une série de conférences sur la Grèce ancienne va
être donnée à luniversité de Cambridge pendant les mois de juillet et
d'août. On signale une lecture du D"^ Burn sur les Credo grecs, une
autre du D"" ,1. H. Moullon sur lestas de décombres égyptiens et l'étude
du Nouveau Testament. Les professeurs B. Swete, Stanton et Inge ont
également engagé leur concours.
Retraite. — Le Rév. T. K. Cheyne, professeur d'exégèse à Oriel Col-
lège (Oxford), s'est vu contraint de donner sa démission pour raison de
santé. M. Cheyne, qui a déjà fourni un labeur scientifique hors de pair,
est âgé de 68 ans.
Nominations. — M. Warde Fowleh a été nommé Gifîord Lecturer à
luniversité d'Edimbourg pour la période 1909-1911.
— M. L. BREBANTa été nommé professeur adjoint de philosophie mo-
rale à l'université de Saint-Andrews.
Décès. — Les journaux ont annoncé, il y a quelques semaines, la
mort de Lord Derby, qui était chancelier de l'université de Liverpool-
AUTRICHE. — Concours. — Luniversité de Vienne a mis au con-
cours le sujf't suivant, qui est très actuel : La religion des peuples dont
il est question dans le Pentateuque. Élude historique. Un prix de
800 cour, sera attribué au meilleur travail.
Société savante. — L'Autriche possède désormais, à Athènes, comme
la France, l'Allemagne et l'Angleterre, son Institiitd'Archéologie. lia été
solennellement inauguré à la fin de mars. Le directeur est le D"" R. Heber-
dey, précédemment privat-docent d'Archéologie classique à l'université
de Vienne et secrétaire de l'Institut archéologique de Vienne.
CHRONIQUE 617
Congrès. — Le 10* Congrès international des Américanistes se tiendra
à \Menne du 9 au 1-4 septembre prochain. Les sujets à traiter ont été
répartis en trois sections. Les deux premières surtout intéressent
l'histoire des religions : 1° Les tribus indigènes ; leur origine, leur
distribution géographique, leur histoire, leurs particularités physiques,
leur langue, leur culture malérielle, leur culte, leurs mœurs ; 2° Les
monuments et antiquités d'Amérique.
Le secrétaire général, M. Fr. Heger, Wien I, Burgring 7, est chargé
de recevoir tous les avis relatifs aux mémoires et communications que
que Ton se propose de présenter au Congrès. Les langues allemande,
anglaise, française, espagnole et italienne sont admises. Pour obtenir la
carte de membre, qui coûte 21 francs, s'adresser à M. le D' Karl
Ausserer, Vienne VIII, Lenaugasse, 2.
Jubilé. — Le R. P. Hugo Hurter, S. J., a célébré, le 2 mai, son
cinquantenaire comme professeur de théologie dogmatique à la Faculté
de Tliéologie d'inspruck. Le savant Jésuite est professeur honoraire
depuis 1903.
Nominations. — L'Académie des Sciences de Vienne a nommé ré-
cemment membres d'honneur MM. G. Maspéro et H. Poincaré.
— Le D' J, Stufleb, S. J., privat-docent à l'université d'inspruck, a été
nommé professeur ordinaire de théologie dogmatique.
Décès. — M. Theodor von Sickel, l'éminent historien autrichien, est
décédé dans les derniers jours d'avril à l'âge de 92 ans. M. von Sickel
avait passé deux ans à l'École des Chartes de Paris et quand, en 1874, la
mission lui fut confiée de réorganiser l'Institut ftir Oesterreichischen
(ieschichteforschung de Vienne dont il venait d'être nommé directeur,
il s'inspira largement de ses souvenirs de chartiste. En reconnaissance
de ses longs services, il fut choisi, en 1901, comme directeur de l'Institut
autrichien d'études historiques de Rome. Depuis plusieurs années il
vivait dans la retraite à Meran, Tyrol.
On doit à M. von Sickel de précieuses publications relatives au Concile
de Trente : Zur Geschichte des Konzils von Trient, 2 vol., 1870-72;
fiomische Berichle, 5 vol., 1893-1901. Citons encore ses Alcuinsludien,
1875.
BELGIQUE. —Universités. — L'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres de Paris a attribué un prix de 8000 francs, sur la fondation
Lefèvre-Deumier, à M. Franz Cumont, professeur d'histoire ancienne à
l'Université de Gand, pour l'ensemble de ses publications relatives à
l'histoire des religions, notamment au culte de Mithra. Dans la lettre
de remercîmenis qu'il a adressée à l'Académie, M. Cumont annonce l'in-
lenlion de consacrer cette somme à l'achèvement de sa publication du
« Catalogue des astrologues grecs. »
Académie. — Au cours de la séance tenue le lundi 1 1 mai, l'Académie
royale de Belgique (section des Sciences morales et politiques) a élu
deux nouveaux membres: M. J. Van den Uruvel, professeur à l'Univer-
618 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
site de Louvain, ancien ministre de la justice, et M. E. Maiiaïm, profes-
seur à l'Université de Liège.
DANEMARK. — Congrès. — Le lo*' Congrès international des Orien-
talistes se tiendra du 13 au 20 août prochain à Copenhague, sous le
patronage de Sa Majesté le roi de Danemark. Des sections spéciales ont
été constituées au nombre de 7. P Pliilologie indo-européenne ; 2° Phi-
lologie et archéologie de l'Inde et de la Perse ; 3° Langues et antiquités
de TExtrême-Orient; 4° Philologie et histoire Sémitiques; o^Égyptologie
et langues africaines ; G° La Grèce et l'Orient ; 7*^ Ethnographie et folk-
lore de rOrient.
S'adresser pour les mémoires et communications à M. le D'" Sarauw,
secrétaire général du Congrès, Copenhague, Frederiksberg allée, 48 et
pour obtenir la carte de membre (25 fr.) à M. le conseiller privé
Gliickstadt, Copenhague, Landmannsbanken, Holmens Canal, 12. Le
Congrèssera présidé par M. Thomsen, professeur de philologie comparée
à l'université de Copenhague.
EGYPTE. — Université. — Le projet de fonder au Caire une Univer-
sité libre touche à sa réalisation. Les journaux égyptiens ont déjà
publié le programme de la nouvelle fondation. Nous leur empruntons
les renseignements suivants. L'université du Caire se propose le relève-
ment du niveau moral et intellectuel du peuple par la dilTusion de la
science, spécialement de la science moderne et l'étude de la lilléralure,
et par la création d'un centre de culture scientifique et philosophique en
rapport avec les institutions analogues d'Europe. Les sujets politiques et
religieux seront exclus du programme et aucune attaque contre une race
ou une religion ne sera autorisée. Des conférences pubhques seront
tenues pour la discussion de problèmes scientifiques et de questions
littéraires et historiques. Des bourses seront fondées en vue de l'envoi
d'étudiants en Europe, où ils feront des études spéciales complètes.
Différentes écoles d'enseignement seront créées et développées autant que
les ressources le permettront. Au début, des professeurs européens
seront engagés. Ils seront graduellement remplacés par des Égyptiens,
à proportion que ceux-ci seront préparés.
Seront considérés comme étudiants de l'université tous les anciens
élèves et élèves des écoles supérieures : ceux de l'université d'El Azhar,
du Dar El Ouloum et de l'École normale des Cadis, ainsi que toutes les
personnes qui présenteront "une demande pour assister à un ou plusieurs
cours, avec esprit de continuité, et dans le but d'obtenir un diplôme ou
un titre de l'université.
On cite parmi les futurs professeurs: Ahmed Zaki bey, secrétaire de
l'université, chargé d'un cours d'histoire de la civilisation et de la litté-
rature de l'Islam ; Ahmed Kamal bey, conservateur adjoint du Musée
des antiquités égyptiennes, titulaire de la chaire d'histoire de la civiM-
salion ancienne de l'Egypte.
Congrès. — Nous avons déjà annoncé que le 2'"^ Congrès interna-
tional d'archéologie se tiendra au Caire du 10 au 21 avril 1909. Voici un
CHRONIQUE 619
aperçu du programme provisoire qui vient d'être publié. Le Congrès
comprendra trois sessions : celle d'Alexandrie (10-12 av.) ; celle du
Caire (13-18 av.) ; celle de Thèbes, qui sera surtout une session d'excur-
sions archéologiques (13-21 av.) Six sections sont projetées: f. archéo-
logie préclassique. Civilisations égéennes et mycéniennes surtout dans
leurs rapports avec TÉgypte ; II. Archéologie classique comportant une
division consacrée à la littérature, la science, la philosophie Alexan-
drines ; 111. Papyrologie ; IV. Archéologie religieuse : Le syncrétisme
gréco-égyptien. Thermétisme, le judaïsme et le christianisme en Egypte
jusqu'à l'établissement de l'empire dOrient. V. Archéologie byzantine ;
VI. Numismatique et Géographie.
A la date du 9 mai 1908, M. Maspéro a été élu président du Congrès
par le Comité d'organisation, et M. Ahmed bey Zaki, secrétaire.
ESPAGNE. — Universités et Séminaires. — L'université d'Oviedo
célébrera, dans la seconde quinzaine du mois de septembre, le 3'"'' cen-
tenaire de sa fondation. La statue du fondateur, l'archevêque D. F. Val-
dés y Sala, œuvre du sculpteur Folgueras, sera inaugurée à cette
occasion.
— Sous la présidence du pénitencier de Tolède, M. R. J. Vabuena, les
délégués des séminaires pontiticaux d'Espagne ont tenu une réunion à
Madrid pour y discuter de l'unification du plan d'études dans les divers
séminaires. Le projet élaboré sera soumis à la S. Congrégation des
Études.
Congrès. — Les 22, 23 et 23 juin un Congrès historique se tiendra à
Barcelone à l'occasion du 7'"^ centenaire de la naissance de Jacques I®"",
roi d'Aragon. Les travaux relatifs à la personne de Jacques L"" et à son
époque sont seuls admis. En revanche, tous les éléments de la civilisa-
tion du Xll""' siècle appartiennent au domaine d'études du Congrès.
Conférences. — Au « Centro Sacerdotal » de Salamanque, notre
collaborateur le R. P. M. Garcia, 0. P., a donné une série de conféren-
ces sur la philosophie des modernistes considérée par lui plutôt comme
une orientation, une attitude d'esprit que comme un système. Il a étudié
successivement : le criticisme kantien, le phénoménisme, l'agnosticisme,
le dogmatisme kantien, le volontarisme, le pragmatisme, l'immanenlisme
qu'il regarde comme les sources de la mentalité philosophique des
modernistes.
Nomination. — M. Alejandro Groizard, ancien ministre, a été élu
président de l'Académie des Sciences morales et politiques de Madrid,
à la place du marquis de la Vega de Armho, récemment décédé. Le
marquis de la Vega de Armijo était en même temps président de
l'Académie d'Histoire.
ETATS-UNIS. — Publication nouvelle. — La librairie Longmans,
Green and Co. de New-York a mis en vente il y a quelques semaines
un volume d'Essais Philosophiques el Ps'jcholofjiques publié en l'honneur
de William James par ses collègues de Columbia University, New- York.
620 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
C'est un recueil de 19 mémoires dont 12 sont consacrés à des sujets de
philosophie et 7 à des questions psychologiques. Les professeurs G. S.
FuUerton, J. Dewey, W. P. Montagne, Fr. J. E Woodhridge, A. 0. Love-
joy, R. S. Woodworth, etc., tigiirent dans la liste des auteurs. Une
pholographie de M. W. James orne l'ouvrage.
Revue. — On annonce que la PliUosophical Revieir paraît désormais
à la libi-aii-ie Longmans, Green and Co. de New-York.
Universités. — Nous empruntons l'information suivante à la Revue
dliistoire Ecclésiaslique de Louvain : « Le projet de création d'une Uni-
versity of llie United States a été ressuscité au commencement de celle
année. M. Frye a présenté au Sénat des Étals-Unis, de la part du National
University Committee of Four Ilundred, une pétition invitant le Congrès
Fédéral à voter sans retard les lois requises à cet effet. Le projet, on le
sait, remonte au premier président des États-Unis, George Washington,
La nécessité d'une université nationale se fait sentir davantage, d'année
en année. Il est vraisemblable que sous peu Washington possédera une
institution analogue, sous plusieurs rapports, à l'Université de Paris et
qui sera le centre de l'éducation supérieure en Amérique. Les objections
contre celte fondation viennent principalement des universités libres.»
— L'université George Washington, de Washington, vient de créer
une Section spéciale de psychologie dont elle a confié la direction aux
professeurs W. S. Hough, Sli. F. Franz et W. C Ruediger. Deux labora-
toires de psychologie ont été organisés. ( Journal of Ph., Ps., and Se. M.).
— Le liév. Th. S. Lee a fait don au Conseil d'administration de Tuni-
versilé catholique de Washington de oO.OoO fr. destinés à la fondation
de bourses au bénéfice d'étudiants de la faculté de théologie.
Sociétés savantes — La « Society for Philosophical Inquiry », de
WashinuLon, a tenu une réunion solennelle à G. Washington University
en l'honneur de Leibniz. Les mémoires suivants ont été lus: Professeur
G. L. Raymond, La doctrine de Leibniz sur l'harmonie préétablie;
prof. G. M Sauvage, La doctrine de Leibniz sur le libre arbitre ; Dr. E.
E. Richardson, La théodicée de Leibniz; Dr. W. M. Coleman, Contribu-
tion durable de Leibniz à la philosophie. (./. of Ph., Ps. and Se M.).
Nominations. — M. A. 0. Lovejoy. profes^.eur de Philosophie à
Washington University, S. Louis, Missouri, entrera en oclobre prochain
avec le même litre à l'université de Missouri. Le Dr. Ch. S. Cory, précé-
demment professeur adjoint, le remplace à Washington University en
qualité de professeur ordinaire de Philosophie.
— M. A. B. Alexander a été nommé professeur de philosophie à l'uni-
versité de Nebraska.
— M. E. E. RiniARDSON a été élu maître de conférences de philosophie
àGeorge Washington University, Washington.
FRANCE. — Publications nouvelles. — Au cours de cette dernière
année, la Collection Ln Pensée chrélienne (Paris, Bloud) s'est enrichie
CHRONIQUE 621
de plusieurs volumes. Deux ont été déjà signalés [Rev. d. Se. Pli. et Th.,
1908, pp. 392, 395) ; il reste à mentionner le Gerbel de M. H. Brémond,
le Ketteler de M. G. Goyau et le ^ainl François de Sales de M, F.
Strowski,
l.e premier sort un peu du cadre habituel de la Collection. C'est
moins l'élude d'une œuvre que celle de l'homme si sympathique que
fut Gerbet. La rédaction est bien dans la manière pénétrante et nuan-
cée de M. Brémond. Certains traits peuvent paraître, à dessein sans
doute, trop accusés, certaines appréciations discutables, mais incontes-
tablement l'ouvrage est des plus intéressants. Quant à la doctrine, «ce
qu'il y a de plus original, de plus actuel, de plus durable dans l'œuvre
de Gerbet, dit M. Brémond, c'est, à mon avis, la méthode.^) Aussi c'est
elle qu'il s'attache à mettre en lumière en citant des extraits se rappor-
tant 1*^ à la distinction entre l'ordre de conception et l'ordre de la foi,
2° au dogme considéré comme principe de vie surnaturelle, 3" au sym-
bolisme chrétien.
L'ouvrage de M. Goyau, moins chargé de réflexions personnelles, fait
une place plus large aux extraits de Ketteler. Une préface élégante et
sobre retrace la carrière sociale de l'évéque de Mayence. De nombreux
textes empruntés à ses divers ouvrages, à ses lettres, à ses discours,
parfois même à de simples notes incomplètement rédigées, exposent
les doctrines qu'il professait sur l'Église et la question sociale. Il faut
noter spécialement le chapitre intitulé « L'Église et le problème de la
propriété. »
M. Strowski, dont ou connaît les belles éludes sur l'évéque de Genève,
était tout désigné pour présenter au public les idées de saint François
de Sales. Il l'a fait avec art, mettant en relief, par un choix heureux de
textes empruntés aux divers ouvrages de l'aimable saint, les points prin-
cipa»ix de sa théologie mystique.
— La librairie Fischbacher publie une «traduction entièrement nou-
velle » de L'Essence du Christianisme de M. Harnack (un volume in-16
de 360 pages). Celle qu'elle avait précédemment mise en vente laissait
à désirer, lant au point de vue de l'exactitude qu'à celui de la clarté.
Celle-ci est vraiment satisfaisante et mérite l'accueil empressé qu'elle
reçoit dans les divers milieux de langue française. L'ouvrage lui-même
est désormais trop connu pour qu'il soit nécessaire de l'analyser. OEuvre
de philosophie religieuse autant et plus que d'histoire, il est représenta-
tif d'un état d'esprit et d'âme qui semble assez répandu parmi les
protestants libéraux. Ce n'est pas là son moindre intérêt pour l'apolo-
giste catholique. Le traducteur et l'éditeur eussent été bien inspirés
d'ajouter en appendice les principaux comptes-rendus dont les Confé-
rences de M. Harnack ont été l'objet, et spécialement la recension que ce
dernier a faite dans le Theologische Literalurzeilung, 1904, col. 59-60,
de la traduclion allemande de L'Évangile et V Eglise de M. Loisy.
— Le H. P. J. BuND de la Congrégation de Picpus, en publiant la 5""®
édition de la Théologie morale de Mgr Haine (Theologiae moralis elemenla
ex S. Thoma aliisque prohatis doctoribns) n'a guère touché à l'œuvre
classique de l'ancien professeur de Louvain. Les modifications qu'il y a
622 RLVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
introduites sont de peu d'importance : elles n'atteignent pas la doctrine
de l'auteur, mais seulement certains points matériels du livre. Les
simples sommaires des chapitres sont subdivisés en articles. Quelques
questions sont remplacées par d'autres ; le format est un peu différent.
La nouvelle édition est publiée à la fois à Rome chez Pustet et à Paris
chez Lethielleux : c'est dire que le livre ne s'adresse plus spécinlement
à un pays ; aussi les points relatifs à la législation civile de la Belgique
y sont supprimés. J. N.
— La librairie Picard de Paris annonce en ces termes la publication
d'une Bibliothèque d'Histoire Religieuse : « A ce moment où l'histoire
religieuse intéresse plus que jamais, non seulement les spécialistes,
mais le grand public instruit et cultivé, il a semblé opportun de publier
une série de volumes destinés à vulgariser les principales questions de
ce domaine d'études... Conçus dans un esprit exclusivement scientifique
et objectif, ils contiendront l'exposition claire et méthodique des pro-
blèmes que soulève la question traitée, sans parti pris, de quelque
nature que ce soit : le but de celte Bibliothèque étant de permettre à
chacun de se faire une opinion ou simplement de se mettre au courant
de sujets intéressants. »
k paru : J. Turmel, L Histoire du dogme de la -papauté, des origines à
la fin du IV'^ siècle, in-12 de 492 pages.
En préparation : J. Capart, ha Religion de VEggple ancienne ; J. Tou-
TAIN, Les cultes indigènes de t Europe occidentale sous r Empire romain ;
A. HuMBERT, La Réforme catholique en France et le Concile de Trente ;
A. Bros, Le Totémisme ; 0. Habert, La Magie ; Ch. A. Briggs, Le Pres-
bytérianisme américain, ses origines et son histoire.
Universités. — Plusieurs séries de Conférences d'histoire des reli-
gions sont inscrites au programme de l'Institut Catholique de Paris
pour l'année scolaire 1908-1909. M. Roussel, de l'université de Fribourg,
en Suisse, traitera du Brahmanisme. M. Ph. Virey, l'égyptologue
connu, étudiera la religion de l'Egypte ancienne. Le P. Dhorme, 0. P.,
de l'École Biblique de Jérusalem, traitera des religions sémitiques autres
que la religion d'Israël. Les Conférences données au cours de l'année
qui s'achève par Mgr Le Roy, MM. de la Vallée Poussin, Carra de Vaux
et EJoyer ont obtenu le plus sérieux succès.
Nominations. — M. le chanoine Breton, supérieur du petit séminaire
de Brive, vient d'être choisi pour succéder à Mgr Batiffol en qualité de
recteur de l'Institut Catholique de Toulouse. M. G. Breton est né en
1852. Il est particulièrement apprécié comme orateur et administrateur.
Ses principaux ouvrages sont : Un évêque d\iutrpfois. Mgr Berteaud,
èvêque de Tulle, 1897 ; Le drame éternel, essai doctrinal sur la Messe,
qui est une étude théologique estimée, et une brochure intitulée : La
Messe, étude philosophique et théologique, dans la collection « Science
et Religion ». M. le ch. Breton est un ancien élève de l'Institut catholique
de Toulouse.
— M. Delbos a été nommé maître de conférences d'histoire de la
philosophie et M. Rauii chargé de cours pour la philosophie en Sor-
bonne.
CHRONIQUE 623
— M. Emile Senart, membre de rinslitut, président du Comité de
l'Asie Française, vient d'être nommé président de la Société asiatique
en remplacement de M. Barbier de Meynard. M. Senart a été également
élu membre étranger de l'Académie des Sciences d'Amsterdam.
Décès. — Le R. P. Th. Cocon'nier, 0. P., est mort soudainement à
Toulouse, le 8 avril. Né en 1846, il avait 62 ans. Après avoir achevé ses
études théologiques au Collège de la Minerve, Rome, sous la direction
du P. Zigliara, alors régent, le P.Coconnier entra dans l'Ordre de Saint-
Dominique, au couvent de Saint-Maximin, province de Toulouse, en
ls7o. Il était tout jeune profès lorsqu'il fut appelé à occuper la chaire
de philosophie à l'Institut catholique de Toulouse, qui venait d'être
créée. Il la garda 12 ans. En 1890, l'Université de Frihourg, en Suisse,
lui contla la chaire de théologie dogmatique. Il dut l'abandonner en
1899 pour raison de santé.
Si remarquable qu'ail été la carrière professorale du P. Coconnier, la
fondation de la Revue Thomiste n'en demeure pas moins son œuvre
principale. C'est en 1893 qu'après s'être assuré le concours de collabo-
rateurs tout dévoués à l'œuvre, il fit paraître, le 7 mars, le premier n°
de la nouvelle Revue. Depuis lors et jusqu'à sa mort, il lui consacra tous
ses soins comme directeur, en même temps qu'il y publiait toute une
série de travaux qui en assurèrent, pour une part importante, le
succès.
Le P. Coconnier a laissé deux ouvrages où il s'affirme à la fois comme
un maître de la philosophie et de la théologie traditionnelles de l'Église
et comme un esprit sympathique à tous les légitimes progrès et très au
courant des données les plus récentes dans le domaine des sciences et
dans celui de l'histoire : L'Ame humaine, 1890; L'Hi/pnolisme franc,
1897.
— M. Hartwig Derenbourg est décédé à Paris, le 13 avril, dans sa
63""^ année. Il était membre de l'Académie des Inscriptions et Belles
Lettres depuis 1900, directeur d'études pour l'arabe et pour l'Islam et
les religions de l'Arabie à l'École pratique des Hautes Études, professeur
d'arabe littéraire à l'École spéciale des langues orientales vivantes.
M. H. Derenbourg a pris une part toute spéciale à la publication des
Inscripliones himijarilicae et sabaeae dans le Corpus inscriptionum semi-
ticarum, Pars IV, Tomus I, Fasc. 1-3, 1889 et ss. Dans ce domaine de
l'épigraphie et de l'archéologie minéo-sabéennes, il a publié, en outre,
divers mémoires ou travaux plus étendus: Les noms de personnes dans
l'A. T. et dans les inscriptions himi/arites, 1880; Vemen Inscriptions :
the Gloser Collection in the British Muséum, 1891 ; The Himyaritic
Inscription 32 of the British Muséum, 1891 ; Le dieu Allah dans une
inscription viinéenne, 1H92; Epitaphe minéenne d'Egypte inscrite sous
Ptolémée, fils de Ptolémée, l89d ; Nouveau mémoire sur Vépitaphe mi-
néenne d'Egypte, etc., 1895 ; Nouveaux textes Yéménites inédits publiés
et traduits, 1902 ; Les monuments sabéens et himyarites delà Bibl. Nat.,
1891; Les monuments sabéens et himyarites du Louvre; Premier supplé-
ment aux monuments sabéens du Louvre ; Les monuments sabéens et
himyarites du Musée d'archéologie de Marseille, 1899. Il a eu pour
654 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
plusieurs de ces travaux la collaboration de son père, Joseph Deren-
bourg, de l'Institut. Parmi ses autres publications citons : Les manus-
crits arabes de la collection Schefer à la Bibl. i\at., 1901 ; le précieux
catalogue intitulé: Les manuscrits arabes de VEscurial, T. I; Grammaire^
Rhétorique, Poésie, Lexicologie, Philosophie ; T. II, Fasc. 1, Morale et
Politique, 1884-1903 ; Opuscules d'un arabisant {1 S6S-1 905), 1905 ; La
science des religions et IHslamisme, 1886 ; Les inscriptions phéniciennes
du temple de Seli à Abydos, publiées et traduites d'après une copie
inédile par Sayce ; etc.
— M. A. DE Lapparent, de Tlnslitut, professeur de Géologie à l'Institut
catholique de Paris, est mort le o mai après une courte maladie. Il était
né à Bourges le 30 décembre 1839. Élève de Téminent géologue Éliede
Beaumont, M de Lapparent, d'abord ingénieur des mines, entra à l'Ins-
titut catholique de Paris dès sa fondation en 1875 comme professeur de
géologie et de minéralogie. En 1897 il était élu à l'Académie des Sciences
dont il fut nommé secrétaire perpétuel pour la section des Sciences
physiques en 1907, succédant à M. Berthelot, décédé.
Outre ses publications relatives à la géologie, à la minéralogie, à la
géographie physique parmi lesquelles tout le monde connaît son admi-
rable Traité de Géologie, 1" éd, 1883. 5* édition, 3 vol. 1905, M. de
Lapparent a composé plusieurs ouvrages d'un intérêt plus immédiat
pour les théologiens et les philosophes : Science et Apologétique, 6*= éd.
1908; Les Silex taillés et Vancienneté de l'homme, 2 vol. in-16 (Science
et Religion); La Providence créatrice (même Collection) 1906, et de très
nombreux articles dans Le Correspondant, La Revue des Questions
scientifiques, les Annales de Philosophie Chrétienne, La Lievue de V Insti-
tut Catholique de Paris, la Revue pratique d'apologétique, etc.
M. de Lapparent a grandement honoré la science française et la Foi
catholique.
— M. Jean Réville est mort à Paris, le 6 mai, des suites d'une opéra-
lion, 11 était né à Rotterdam, où Albert Réville, son père, remplissait
alors les fonctions de pasteur, en 1854. D'abord maître de conférences
d'histoire de l'Église à lÉcole pratique des Hautes-Études, il fut choisi
en 1886 comme professeur de patristique à la faculté de théologie pro-
testante de l'université de Paris, puis rentra aux Hautes-Études oîi il fut
bientôt nommé secrétaire de la section des Sciences religieuses et direc-
teur d'études pour la littérature et l'histoire du christianisme. En 1907,
il avait été nommé professeur d'histoire des religions au Collège de
France à la place d'Albert Réville, son père, décédé. Il dirigeait depuis
1884 la Revue de i Histoire des Religions.
Nous avons donné en 1907 {R. d. Se. Ph. et Th. I, p. 396) la liste de
ses ouvrages les plus récents. Il suffira d'ajouter ici : La religion à
Rome sous les Sévères, 1884 ; Les origines de l'épiscopat, 1894. Il a publié
en outre de nombreux articles dans la Lievue de l" Histoire des Religions.
— La mort de M. Gaston Boissier, secrétaire perpétuel de l'Académie
française, survenue le 10 juin, à Viroflay, a causé dans tout le monde
savant les plus vifs regrets. M. Boissier était né à Nîmes en 1823 ; il
avait 85 ans. Après avoir enseigné au lycée de Nîmes, puis à Paris au
lycée Charlemagne, il entra en 1861 au Collège de France comme sup-
CHRONIQUE 625
pléant de M. Havet dans la chaire d'éloquence latine : il devenait un peu
plus tard titulaire de la chaire d'Histoire de la littérature latine qu'il a
occupée, avec infiniment d'autorité et d'éclat, jusqu'en 1907. En 1865,
il fut nommé maître de conférences à l'École Normale supérieure et,
quelques mois après, chargé, comme suppléant, du cours de poésie
latine. Élu membre de l'Académie française en 1876 à la place de
M. Patin, il fut choisi en 1895 comme secrétaire perpétuel. Il appartenait
depuis 1886 à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Il avait rem-
pli en 1892 et les années suivantes la haute charge d'Administrateur du
Collège de France.
De son œuvre scientifique, qui est du premier mérite, nous ne retien-
drons ici que deux ouvrages : La Religion romaine^ d'Auguste aux Anlo-
nins, 2 vol., 1874; La fin du Paganisme, 2 vol.; 1891.
ITALIE. — Publication nouvelle. — L'ouvrage de Mgr M. B, Nardi (Dis-
serlalio de sanclilale malrimonii vindicata conira onanismum. 1-376 p.
Rome, Desclée, s. d.), forme une excellente dissertation sur un sujet déli-
cat et plein d'actualité et qui n'avait pas jusqu'ici fait l'objet d'un travail
spécial et complet pour les confesseurs. Le titre de cette 3* édition est
changé. Les éditions antérieures portaient celui à' Onanismus Conjuga-
lis. L'auteur se montre au courant de certains travaux français qui ont
un rapport avec la question qu'il traite. Ses conclusions, tliéoriquement
incontestables, lui sont fournies par les principes de la morale catho-
lique, et s'appuient aussi sur les faits de l'expérience. L'opuscule de
Mgr Nardi est destiné spécialement aux confesseurs, mais tous ceux
qui, effrayés de la progression décroissante des naissances, veulent
travailler efficacement à extirper un mal dont les funestes conséquences
n'échappent à personne, y trouveront la réfutation des objections in-
voquées par les coupables et les véritables remèdes à employer pour
arrêter son action dissolvante sur la famille et la société. J. N.
— Commission biblique.
De Libri Isaiae indole et auctore,
Piopositis seqnentibus dubiis Commissio Poatificia de re biblica scquenti
modo respondit :
iJuhimn I. — Utrujn dooeri possit, vaticLoia quae leguntur in libro Isaiae,
— et passiin in Sciipturis, — non esse veri nominis vaticinia, sad vel narrationes
post eventum confictas, vel, si ante eventuni praenuntiatum quidpiam agnosci
opus sit, iil prophetaui non 'ex supematurali Dei futurorum praescii revelatione,
sed ex his quae jam contigeriiiit, feLici quadam sagacitate et naturalis
Lngenii acuniine, conjiciendo praenuntiasse ?
Resp. — Négative.
Duhium II. — Utrani sententia quae tenet, Isaiam ceterosquo prophetas vati-
cinia non edidlsse nisi da his quae in continenti vel post non grande temporis
spatium evcntura eraut, conciliari possit cum vaticini's, imprimis messianicis
et eschatologicjs, ab oisdeni prophetis de longinquo certo editis, necaon
cum oommuni S. S. Patrum seJitentia concorditer asserentiuin, prophetas ea
(ruo(fuo pxaedixisse, quae post nuilta saecula cssenl imph^nda?
Resp. — Négative.
2^ Année. — Revue des Sciences. — N» 3. 40
626 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Diihium III. — Utruni admitti possit, prophetas non modo tanquam correc-
tores pravitatis Immaime diviiiique verbi in profectiiiM audientium praecones, ve-
runi etiam tanquam praenimtios eventuum f uturorum,conslaiiter alloqui debuisse
auditoies non guidem futuros, sed praesentes et sibi aequales, ita ut ab ipsis
plane intelligi potuerint; proindeque secundam partem libri Isaiae (cap. xl-
Lxvi), in qua vates non Judaeos Isaiae aequales, at Judaeos in exsilio baby-
lonico Ingénies veluti intea- ipsos vivens .alloquitur et solatur, non 'posse
ipsnm Isai.an'i jamdiu emoirtuum auctorem habsre, sed oportere cam ignoto
cuidam vati intex exsuies vivent! assignare?
Besp. — Négative.
Duhium IV. — Uti"um ad impugnandam identitateni auctoris libri Isaiae argu-
meiiUim philologicum, ex lingua stiloque desumptuni:, taie sit censendum,
ut virum gravem, criticae artis et hebraicae linguae periUim, cog at in eoilcm
libxo pluralitatem auctorum agnoscere?
Eesp. — Négative.
Dub'mm V. — Utram solida prostenl argumenta, etiam cumulative sumpla,
ad evincendum Isaiae librum non ipsi soli Isaiae, sed duobus, imo pluribus
auctoribus esse tribuendum?
Besp. — Négative.
Die autem 28 jimii amii 1908, in Audienlia ambobus Rmis Consultoribus
ab Aclis bénigne concessa, Sanctissimus praedicta Responsa rata habuit ac
piib'.icL jmis fieri mandav.t.
Roma.e. 'lie 29 juaii 1908,
fulcranus vlgouroux, p. s. s.
Laurentius Janssens, U. s. B.
ConsTiltores ab Actis.
Examens tour la licence en Écriture Sainte.
La Septième session d'examens pour la licence en Écriture Sainte s'est
tenue au Vatican les 1, 2, 4 et 5 juin 1908. Ont été proposés pour l'examen
écrit les sujets suivants :
I. Examen d'exégèse : 1'^ Exégèse du discours de Notre-Seigneur à un
jeune bomme riclie; d;uigci-s des richesses et récompenses de la foi. Matth.,
XIX, l(i-29; Marc, x, 17-30; Luc, xviii, 18-30.
2" Exégèse du discours de saint Paul à Antioclie de Pisidie. Act., xiii,
15-41.
3" Exégèse du discours de saint Paul devant Festus et Agrippa. Act.,
XXVI, 2-29.
Un des trois sujets aii choix des candidats.
II. Examen d'histoire. — Invasions des rois d'Assyrie dans le royaimie
d'Israël et dans le royaujne de Juda à l'époque des Rois, d'après la Bible
et d'après les docmnents assyriens.
III. Examen sur l'Introduction. — Introduction au Uvre de Joël.
Dix candidats se sont présentés aux examens. Sept ont siîbi avec succès
l'épreuve écrite et l'épreuve orale.
M. l'abbé Joseph Bonsir\-en, chapelain de Saint-Louis-des-Français (Rome),
prêtre du diocèse d'.Albi, docteur eji théologie de la Minerve. Avec mention.
Le R. P. Denis Bazy, au Séminaire français (Rome), prêtre du Sacré-
Cœur de Jésus de Bétliarram, docteur e.a Tnéologie de l'ApoUinaire. Avec
mention.
M. l'abbé Pierre Tiberghion, à la Procure de Saiat-Sulpice (Rome), prêtre
du diocèse de Cambrai, docteur en théologie de la Sapience.
CHRONIQUE 627
M. l'abbé AlexaaicLre Pie Grigaïtis, de l'École bibliquo de Saint-Etienne,
à Jénasalem, du diocèse de Sejjiy (Russie-Lithuanie), maître en théologie
à l'Académie catholicfue de Saint-Pétersbourg. — Ex aequo avec M. l'abbé
Eugène René Nicolas, à La Procure de Saint-Sulpice (Rome), prêtre du dio-
cèse de Paxis, docteiu' en théologie de la Sapience.
Le R. P. Réginald Jausen, des Frères Prêcheurs, de 1 "École biblique de
Saint.É tienne de Jérusalem, docteur en théologie du couvent de liuissen
(Hollande).
M. l'abbé Albert Lartaud, au séminaire français (Rome), prêtre du dio-
cèse de Moulins, docteur en théologie de l'Université Grégorienne.
Thèse de doctorat en Écriture Sainte.
M. l'abbé Léon Gry, prêtre du diocèse de Remies, reçu licencié en Écri-
ture Sainte, le 23 novembre 1905, a passé avec succès les examens de doc-
torat en Écriture Sainte, au Vatican, les 15 et 16 juin 1908.
Le 15 juin, il a passé, avant midi, pendant 3 heures environ, un exa-
men public : lo sur la langue étlùopiemie, pour laquelle il a présenté la
traduction éthiopieime du livre d'Hénuch et celle du quatrième livre d'Es-
dras; — 2<^= sur l'exégèse du texte hébreu de Jérémie; — 3» sur l'exégèse
d/u texte grec de l'Épître aux Hébreux; — 4° sur les écoles exégétiques d'Alex-
andrie et d'Antioche; — 5"^ sur des questions de critique textuelle.
Dans l'après-midi, M. Gry a domié une leçon publique sur un sujet pour
lequel il lui a été ,accordé une heure de préparation. Le sujet traité a été
le sacerdoce de Notre-Seigneur dans l'Épître aux Hébreux.
Le 10 juin a eu lieu la soutenance publique de la thèse. Le messianisme-
des l'araboles du livre d'Hénoch, sous la Présidence de Son Éminence le
Cardinal Rampolla, président de la Commission biblique, et en présence
de leurs Éniinences, les cardinaiix Mathieu, Segna et Vives (1).
La huitième session d'examen pour la hcence aura lieu au Vatican, le
lundi lli novemljre 1908 et jours suivants.
Rome, 22 juin 1908.
F. ViGOUROUX P. S. -S.
L. Janssens 0. S. B.
Secrétaires de la Commission biblifjue.
Retraite. — La Rivista Filosofica annonce la relraile de M. A. Chia-
PELLi, professeur d'hisLoire de la philosophie à l'universilé de Naples.
MEXIQUE. — Université. — Une université catholique, la première
de l'Amérique latine, vient d'être solennellement inaugurée à Puebla.
L'initiative de cette création appartient à l'archevêque, Mgr Ibarra. La
nouvelle université doit assurer l'enseignement de la théologie, de la
philosophie, du droit, des lettres et des sciences. Le recteur, qui est
Mgr Ibarra lui-même, se propose de donner une place importante aux
sciences modernes telles que l'anthropologie, la biologie, la sociologie,
elc. Il est tout à fait décidé à en faire un centre de haute culture capable
d'attirer des étudiants. Pour accroître le prestige des grades que décer-
nera l'université, spécialement pour les Facultés de droit, de lettres et
de sciences, Mgr Ibarra a conçu le projet d'agréger son jeune Institut à
1. Heureuse du succès de son savant collaborateur, la Direction de Ja
Bévue des Sciences Philosophiques et Théologiques lui adresse toutes ses
félicitations.
628 revup: des sciences philosophiques et théologiques
l'Université catholique de Washington. L'on peut espérer que sa
demande sera agréée, puisque tout récemment l'Union des Univer-
sités américaines, dont fait partie l'Université calholique de Washing-
ton, mettait à l'ordre du jour de son assemblée annuelle : Les possibi-
lités de coopération intellectuelle entre les États-Unis et l'Amérique
latine.
RECENSION DES REVUES "'
ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. Avr. — E. Jordan. La
Responsabilité de V t^glise dans la répression de Vhérésie au moyen âqe
(suite). (Établit contre Mgr Douais que si l'Église n'édictait pas la peine
de mort, elle obligeait l'État à l'édicter, lorsqu'il ne l'avait pas fait
spontanément. L'Étal était réduit au rôle d'instrument docile et n'avait
pas la liberté d'épargner l'hérétique. Au reste, les plus nombreux et les
plus grands théologiens et canonistes, et en première ligne S. Thomas,
ne ressentaient ni hésitation ni scrupule à justifier de front la pratique
de l'Église.) pp. 5-31. — J. Martin. >S. j^piphane : La Connaissance reli-
gieuse (suite). (S. Épiphane résume sa doctrine sur ce point en ces deux
formules : « La foi qui sauve tout fidèle n'a jamais été créée par la con-
ception syllogislique de l'homme. » — « Le Père révèle (le Fils) par le
Saint-Esprit ; il le révèle non pas à ceux qui mettent (le Fils) en syllo-
gismes, mais à ceux qui, d'une foi sincère et absolue, ont cru en lui. »)
pp. 32-49. — Ch. Huit. Le Platonisme en France au XVIII* siècle (suite).
(Au XVIII* siècle, Platon réussit seulement à attirer l'attention de quel-
ques érudits dénués des connaissances et des aptitudes nécessaires pour
comprendre les côtés les plus élevés de son merveilleux génie. Cepen-
dant c'est de 1762 à 1770 que le Père (îrou, S. J., publia son excellente
traduction de Platon, qui fut à peine modifiée par Cousin.) pp. 50-65. —
P. Hans. Le droit et la science. (Rapproche les conclusions de M. Poin-
caré sur la science de celles de M. Gény sur le droit. Par l'examen
attentif du rôle que joue l'analyse et l'intuition, l'induction et l'hypo-
thèse dans les méthodes du droit et de la science, on est amené à
conclure que les lois juridiques positives comme les lois scientifiques
sont le produit d'une élaboration objective, que les unes et les autres
sont en partie conventionnelles et subissent la loi de l'évolution.)
pp. 66-87. = Mai. — P. Duhem. Essai sur la notion de la théorie physique
de Platon à Galilée. [Montre que la « question tant agitée aujourd'hui :
Quelles sont les relations de la théorie physique et de la Métaphysique ? »
a été pendant deux mille ans formulée de la manière suivante : Quelles
sont les relations de l'Astronomie et de la Physique? - Doit passer
en revue les réponses qui ont été données à cette question par la pensée
1. Tous ces périodiques appartiennent au second trimestre de 1908. Seuls
les articles ayant un rapport plus direct avec la matière propre de la Revue
ont été résumés. On s'est attaché à rendre, aussi exactement et brièvement
que possible, la pensée des auteurs en s'abstenant de toute appréciation. —
La Recension des Revues la été faite par les RR. PP. Allô, (Fribourg),
BLA^•CHE (Paris), Garcl\ (Salamanque), Gillet, Tuyaerts (Louvain), Martin
(Huy), Garrigou-Lagrange, .f.-vcnuix, Lemonnyer, Mainage, Noble, de Poul-
PiQUET, RoLAND-GossELiN (Kain), lecteurs en Théologie.
630 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
hellène, par la science sémitique, par la scolaslique chrétienne du
Moyen Age, enfin par les astronomes de la Renaissance. — Le présent
article est consacré à la solution de la science hellénique depuis Platon
jusqu'à Simplicius.) pp. 113-139. — P. Hans. ].e droit et la science (suite).
(Montre que pour atteindre son but le droit érige des principes, comme
la géométrie des axiomes, comme la science des liypotlièses ; principes,
axiomes, hypothèses, ce sont là des conventions, mais conventions les
plus commodes eu égard aux indications de l'expérience et au mécanisme
de notre esprit.) pp. 160-184. = Juin. — D. Sabatier. L'expérience
religieuse et le protestantisme contemporain. (Analyse et critique l'ou-
vrage de M. W. James : L'expérience religieuse. Montre comment
« ce livre veut être la critique la plus aiguë et la plus implacable des
religions positives. Ce qui vous reste dans la main quand l'auteur a
brassé son énorme matière, c'est une légère mousse d'agnosticisme qui
fuit encore entre les doigts. » Les croyances ne peuvent trouver d'appui
suffisant ni sur le sentiment, ni sur l'intuition, ni sur la spéculation,
ni même sur la fécondité pratique qui s'évanouit dans les remous de
l'évolutionnisme empirique — L'auteur indique un plan de réfutation
où chaque paragraphe accuse à peu près la thèse contradictoire de
celle que développe W. James.) pp. 225-246. — B. Desbuts. De Vutili-
sation de la doctrine thomiste du concours divin. (La théorie thomiste
du concours divin peut être utilisée pour éclaircir l'origine de notre
idée d'infini. 11 est faux que cette idée soit élaborée par la seule intel-
ligence, sans aucune influence de la volonté, en niant simplement la
limite d'une perfection finie. « Si telle était son origine, notre idée d'in-
fini serait une pure illusion, un mot et rien de plus. » Au reste, une pa-
reille idée serait « univoque », ce qui est contraire à ce qu'enseigne saint
Thomas. — Notre idée d'infini n'est pas un concept de la pensée réflé-
chie, « elle est suscitée et portée par la pensée directe, vue immédiate «le
ce que nous faisons... par la conscience que nous prenons de celte
force que notre volonté, grâce au concours divin, possède en elle et que
nous ne pouvons endiguer en aucun être fini. » La volonté ne pouvant
se reposer en aucun bien fini, l'intelligence conçoit une perfection sans
borne, capable de satisfaire la volonté. Ainsi on retrouve la vraie notion
thomiste de l'analogie « qui affirme seulement entre Dieu et nous un
parallélisme de fonctions. »« Le contenu positif de notre idée de Dieu
est donc fourni par nos actions. ») pp. 246-^260. — B. Carra de Vaux.
De l'origine des mythes. {l\ es[ des mythes d'origine humaine que les
peuples se forgent pour symboliser les races, les professions, les états.
Puis, la grande classe des mythes naturalistes qui symbolisent les forces
de la nature. Enfin, les mythes dérivés de certaines circonstances
relatives aux beaux-arts et à la linguistique. Ce qui dislingue de tous ces
mythes païens les récils merveilleux de la Bible, c'est l'idée morale et
vraiment religieuse.) pp. 261-276. — P. Duhem. Essai sur la notion de
la théorie physique de Platon à Galilée (suite). (Examine ce qu'a été la
théorie pliysique ou mieux la théorie astronomique chez les philo-
sophes arabes et juifs et dans la scolaslique chrétienne du Moyen Age.
«Bien que les hypothèses des astronomes, dit saint Thomas, paraissent
sauver les phénomènes, il ne faut pas affirmer qu'elles sont vraies, car
RECENSION DES REVUES 631
on pourrait peut-être expliquer les mouvements apparents des étoiles
par quelque autre procédé que les hommes n'ont point encore conçu. »
En cela saint Tliomas suit Simplicius. — L'auteur cite aussi un texte
des plus remarquables de Jean de Jandun (1330) : « pourvu qu'il ait le
moyen de déterminer exactement les lieux et les mouvements des
planètes, l'astronome ne demande pas si cela provient ou non de
l'existence réelle de telles orbites dans le ciel; cette recherche regarde
le physicien ; car une conséquence peut être exacte lors même que son
antécédent serait impossible. ») pp. 277-302,
ANTHROPOS. 2. - A. M. de St-Élie, 0. C. La femme du désert autre-
fois et aujourd'hui (fin). (Négociations de mariage et cérémonies des
noces chez les Bédouins ; divorce, rapt, condition de la femme mariée.
Explique l'usage toujours existant de ces " signa virginitatis" dont
parle le Deutéronome, xxii, 13.) pp. 181-192. — J. Meier, M. S, C.
Mljthen und Sagen der Admiralitdtsinsulauer (sn'ûe). (Texte et traduction
de légendes relatives à l'origine de la mort, de contes merveilleux qui
ont pour héros des animaux divers.) pp. 193-206. — F. da Offkio, 0.
Cap. Pvoverbi abissini in lingua Tigraij (suite), (l-iste de proverbes abys-
sins en langueTigréavec traduction; n''^51-lo0.) pp. 207-212. — N. Stam.
The Religions Conceptions of some Tribes of Buganda {British Equato-
rial Africa). (Décrit les conceptions religieuses et les légendes des
Baganda, les conceptions religieuses des Basoga, des Bavuma. Malgré
la prédominance du culte des esprits mauvais, l'idée d'un Être Suprême,
appelé Kalonda, Créateur, est générale parmi ces tribus.) pp. 213-218.
— T. Caius, s. J. Au Pays des Castes. Les Brahmanes (suite). (Classifi-
cation des Brahmanes qui habitent au sud du fleuve Krichna et mensu-
rations anthropométriques avec photographies.) pp. 239-243. —
J. Hafliger, 0. S. B. Fabeln der Matengo ( Deulsch-Osta frika) . (Texte et
traduction de trois fables : Le lièvre et l'hyène; l'ichneumon et le singe ;
le lion et le lièvre.) pp. 244-247. — L. Cadière, d. M. É. Philosophie
populaire annamite (suite). (Idées relatives à l'univers, aux astres, aux
points cardinaux, à la surface du sol, à l'origine du monde, aux êtres
animés; proverbes relatifs aux animaux supérieurs, aux oiseaux, aux
animaux inférieurs. Le monde parait devoir son origine à une force
productrice qui lui est immanente.) pp. 248-271. — F. Mijller, S. V. D.
Die lieligionen Togos in Einzeldarstellungen (suite). (Documents divers
concernant le culte d'un Être Suprême chez quelques tribus de Togo.)
pp. 272-279. — G. Scbmidt, S. V. D. L'origine de Vidée de Dieu. Etude
historico-critique et positive (à suivre). (Décrit la position des théolo-
giens et apologètes, des exégètes, en cette matière et en fait la critique :
manque de formation ethnologique, manque de précision dans la
défense ; mérites des théologiens adversaires de l'animisme ; une
situation nouvelle plus favorable.) pp. 336-368. = 3. — A. Schotter, d.
M. É. Notes ethnographiques sur les Tribus du Kouxj-tcheou (Chine) (à
suivre). (A signaler : Art. VII, Quelques us et coutumes des Miao ; VIII,
Caractère des Miao ; X, Superstitions des Miao. Les Miao, qui sont
encore barbares, constituent l'un des trois groupes ethniques dans les-
quels se divise la population du Kouy-tcheou. Les deux autres sont les
632 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Y-jen et les Chinois.) pp. 397-425. — A. Witte, S. V. D. Der « Konigs-
eid » in Kpandu und bei einigen benachbarten Ewe-Slàmmen. (Le
«. Serment du roi » usité à Kpandu et dans quelques tribus de Togo se
rattache au culte des ancêtres.) pp. 426-430. — G. Zl'moffen, S. J.
L'âge de la pierre en Phénicie. (I. Période paléolithique : Akbyeh ;
Doukha ; Keferaya ; Âdloun ; Ras el Kelb ; Nahr Ibrahim ; Antelias ;
Batroun. Très nombreuses illustrations documentaires. La phase paléo-
lithique de la civilisation apparaît comme ayant été bien développée
en Phénicie. ) pp. 431-453. — C. Van Coll, C. SS. H. Contes et légendes
des Indiens de Surinam (suite - à suivre). (IL L'histoire du Piay Maca-
naholo ; III. L'Indien anachorète et son chien ; IV. Halwanli et ses deux
frères ; V. Une aventure de chasse.) pp. 482-488. — M. Pionnier. A'^otes
sur la Chronologie et V Astrologie au Siain et au Laos. (Décrit les ères
diverses, avec leur double cycle d'années, majeur et mineur, usitées au
Siam et au Laos et reproduit leurs représentations dessinées. Chaque
année porte le nom d'un animal, auquel est associé un homme ou un génie
Catalogue d'augures.) pp. 489-507. — G. Schmidt, S. V. D. L'oiigine de
Vidée de Dieu, etc. (suite). (Expose la nouvelle théorie d'A.Lang: Préa-
nimisme monothéiste et en fait la critique.) pp. 559-611.
ARCHIV FUR GESCHICHTE DER PHILOSOPHIE. Avril. — Cl. Baeum-
KER. ifur Vorgeschichte zireier Lorkescher Begriffe. (Rectification d'une
inexactitude relevée dans le Gri/ndriss der Geschichte der Philosophie de
Ueberweg-Heinze (10. Aufl. Bd. IV, S. 164) à propos de Locke. — Les
termes dont se sert Locke : « white paper, void of ail characters»,
rappellent plus la xiy-P'o stoïcienne que le yoy.ij.u.oixtlov d'Aristote. L'ex-
pression latine « tabula rasa » n'est pas employée pour la première fois
par Gilles de Rome ; on la rencontre déjà cliez Albert le Grand, Thomas
d'Aquin et Bonaventure.) pp. 296-298. — B. Antoniades. Die Slaalslehre
des Mariana (suite). (Étude historique des théories politiques et sociales
du jésuite Mariana.) pp. 299-332. — R. Bloch. Liber secundus yconomi-
corum Aristotilis. (Édition critique.) pp. 333-351. — G. Cevolani. Sopra
un passoillogico délia Logica del Rosmini. (Quelques preuves de l'igno-
rance où se trouvait Rosmini des règles de la logique.) pp. 332-356. —
G. Falter. Platons Ideenlehre. (Justification du point de vue de P.
Natorp et réponse aux critiques dirigées contre son interprétation du
platonisme par H. Gomperz, dans Archiv, Bd. XV fil, N. F. XI Bd.)
pp. 357-371. — Fr. Kuntze. Pascals letztes'Problem (h suivre). (Conserver
à l'âme humaine sa valeur, tout en acceptant les vues nouvelles de
Copernic sur le monde, — tel est le problème résolu par Pascal, et qu
lui marque sa vraie place dans l'histoire de la philosophie.) pp. 397-415
— 0. Gilbert. Jahresbericht ûber die vorsokratische Philosophie (H
DiELS. Die Fragmente der Vorsokratiker. 2 Aufl. 1^' Band) pp. 419-435
BIBLISGHE ZEITSCHRIFT. 2. — J. Gottsberger. iVj'I^ nï^*; in Gn 8,7
(Donne à ces deux infinitifs absolus le sensd'une action plusieurs fois re-
nouvelée : le corbeau sortit etrevint à plusieurs reprises. ) pp. 113-116. —
J. Scuaefers. I Sm i-1 5 literarkrilisch luj/^rsMc/i/ (suite). (L'auteur, qui a
distingué deux sources M et G dans /. Sm 8-15, s'efforce de déterminer
RECENSION DES REVUES 633
lequel de ces deux documents a fourni la matière des ch. 1-7. Il conclut
en faveur de M qui a de son côté fait usage de plusieurs documents. Il
n'est pas encore possible de dire si les sources de I.Sm s'identifient
avec celles de Tliexateuque. G est contemporain de Salomon. M est
antérieur à Jérémie.) pp. 117-132. — G. Goetzel. Hizkia und Sanherib.
(11 y a eu deux expédilions de Sennachérib contre Ézéchias. La pre-
mière coïncide avec la troisième campagne du roi d'Assyrie en 701 et
se trouve brièvement racontée dans IV R. XVIII, 14-16. La seconde,
décrite avec plus de détails, IV R. YVIII, 13, 17 —XIX 9a = XIX
9b-20, 32-36, n'eut lieu qu'après 691 et avant la mort du roi de Juda.)
pp. 133-134. — J. Doeller. « Ninivc gleich einem Wassertciche.. » (L'assi-
milation de Ninive à un étang peut être prise à la lettre et s'entendre
d'un débordement du Tigre.) pp. 164-168. — J. M. Pfattisch. Der Herr
des Sabbats. (Des trois passages oùil est question, chez les Synoptiques,
du maître du sabbat, Ml XII, 8. Me II, 28, Le. VI, ô, Marc est celui
qui a conservé le plus fidèlement les paroles deN.-S.) pp. 172-178.
BULLETIN DE LITTÉRATURE ECCLÉSIASTIQUE. Juin. - Doni
A. Du Bourg. Doui Jean Mabillon. (Conférence. Expose brièvement la
vie elles travaux de Mabillon.) pp. 181-204. — Carmé. La Ihéologie de
saint Grégoire I (Soutenance de thèse. Saint Grégoire est un docteur
pratique, « moins soucieux de spéculation qu'animé du désir de traduire
en formules claires, pour des esprits moyens, les données de la foi...
(Il) a le mérile d'avoir présenté l'idée chrétienne en un tout organique
parfaitement harmonisé. ») pp. 20.5-210.
CATHOLIC UNIVERSITY BULLETIN (THE). Mai — E. A. Page.
Agnosticism as Conciliation. (Après avoir défini l'Agnosticisme, expose,
d'après Spencer, la manière dont ce système conçoit la conciliation
entre la Science et la Foi et qu'elle s'opère au préjudice de la Foi. En
déclarant l'ultime réalité inconnaissable, l'Agnosticisme se trompe et
sa position est si parfaitement intenable que des termes mêmes dont
Spencer se sert quand il parle de celle réalité ultime, on peut extraire
une métaphysique très positive.) pp. 433-442.
CIVILTA CATTOLICA (LA). 2 MaL-C. Ferretti. Lo^iilh e Vêtira senti-
mentale. (Ce qui caractérise la morale de Smitli, c'est la théorie du
«spectateur impartial » qui serait juge de nos actions. Où le trouver ? et
pourquoi l'imaginer quand nous avons un juge intérieur, la conscience?)
pp. 279-290. — Il testimonio di S. Ireneo sulla Chiesa Romana e
sullautorità del romano Pontifice {à suivre). (Expose le passage du
Contra Haereses, 1. III, c. m, 1-3. Donne le sens et examine quelques
difTicultés de détail ) pp. 291-306. = 16 Mai. — E. Rosa. // niodemismo
ascetico. (Les modernistes mettent en première ligne la révélation
individuelle, l'action extraordinaire du Saint-Esprit, et tiennent à peine
compte de la direction extérieure et du magistère authentique de
l'Église.) pp. 38.j-i02. — Canti liturgici primilivi. (Les textes de
S. Paul {f^ph. V, 18-20 ; Coloss. m, 16-17) prouvent au moins indirec-
tement l'existence de chants liturgiques dans l'Église primitive. On peut
même déterminer leur nature.) pp. 404-416. = 6 Juin. — E. Rosa. //
634 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
modernisino apologetko. (Le modernisme apologélique dans sa partie
négative attaque les fondements mêmes de la religion ; dans sa partie
positive, il arrive au même résultat avec l'agnosticisme, et l'immanen-
tisme.) pp. 347-366.
CULTURA ESPANOLA. Mai. — A. Gomez Ezquiekdo. Hisloria de la
fdosofUi espa/lold. (Analyse le premier volumedel'o: Ilistoiredela philo-
sophie espagnole» récemment publié par M. A. Bonilla y san Martin,
professeur de l'Université de Madrid. Ce premier volume contient
l'histoire des époques suivantes : temps primitifs, époque romaine,
époque gothique, époque chrétienne.) pp. 383-396.
ÉCHOS- D'ORIENT. Mars. — S. Vailué. Le tilre de palriarche œcumé-
nique avant saint Grégoire le Grand. (Dès le VI^ et même dès le V* siècle
ce titre d'œcuménique est déjà donné à divers évêqiies orientaux, mais
On n'y attache pas le sens précis qu'il prendra plus tard. — Jean le
Jeûneur (388) le prendra lui-même avec une tendance à lui faire signifier
un pouvoir s'étendant à tout l'Orient ; c'est pourquoi Pelage II jugea bon
de prolester contre son emploi.) pp. 63-69. — L. Petit. Un texte de
saint Jean Chnjsostome sur les images. (Ce texte cité par S. Jean Damas-
cène ne se trouve pas dans les œuvres imprimées de S. Jean Chry-^ostome.
Il appartiéni à l'homélie /» sacram pelvim regardée comme inaulhentique
parles éditeurs. L'autorité de S. Jean Damascène forme pourtant un
argument sérieux en sa faveur.) pp. 80-86 — S. Sala ville. L'épiclèse
d'après saint Jean Chrxjsostome et la tradition occidentale. (S. Chrysos-
lome attribue formellement aux paroles du Sauveur : « ceci est mon
corps» la consécration eucharistique; cependant il admet aussi une inter-
venlion mysiérieuse du Saint-Esprit. On trouve la même doctrine dans la
tradition occidentale et celle-ci, dépendante de S. Chrysostome, explique
sa manière déparier.) pp. 101-112. =Mai. — S. Vaildé. Saint Grégoire
le Grand et le litre de patriarche œcuménique. (Saint Grégoire, toute sa
vie, protesta contre l'emploi de ce litre, sans obtenir grand résultat. Il
le fit, non pour défendre la primauté romaine qui n'était pas en cause,
mais pour écarter ce qu'il regardait comme un manquement à l'humilité
sacerdotale et un empiétement nuisible.) pp. 161-171.
ÉTUDLS. 5 Avril. — St. Harent. Expérience et Foi. (L'acte de foi que
demande le chrislianisme diffère essentiellement de la connaissance
naturelle de Dieu. La révélation proprement dite, à laquelle répond ce
acte de foi, ne se fait pas immédiatement à chaque fidèle. La pia cogilalio
ne peut s'identifier avec la révélation, car elle ne tombe pas sous la
conscience.) pp. 20-31. = 20 Avril. — St. Harent. Expérience et Foi. (La
révélation est un ensemble d'affirmations garanties par l'autorité du
témoignage divin. La révélation a un caractère extérieur, 1° parce qu'elle
est un don surnaturel, -2" parce qu'elle est un témoignage de Dieu, 3"
parce que ce témoignage a élé donné à d'autres personnes séparées de
nous par le temps où elles ont vécu. Tout en restant surnaturelle,
la révélation présuppose certains éléments naturels et les utilise.) pp.
164-1!)8. = 5 Mai et 20 Mai. — X. Moisant. Qu'est-ce que le Modernisme?
(Philo.sophiquement, le modernisme se rattache au nominalisme; théolo-
RECENSION DES REVUES 635
giquement, il dérive du protestantisme, car le modernistne signifie
autonomie el sentimentalisme. ) pp. 289-308 et 463-484. - A. Condamin.
Abraham el Hammourabi. (Conclusion: Il reste encore des difficultés ;
niais, on le voit, dans le domaine de la chronologie, comme en matière
d'histoire générale et de philologie, les découvertes et les conclusions
scientifiques sont allées progressivement dans le sens d'une probabilité
toujours plus grande pour l'identificalion d'Amraphel et de Hammourabi.
Il est donc maintenant très probable qu'Abraham est contemporain de
Hammourabi. Les principales objections élevées contre la substance
même des faits relatés au ch. xiv de la Genèse ont été résolues, grâce
aux textes cunéiformes.) pp. 485-50].
ÉTUDES FRANCISCAINES. Mai. Juin. — P. Dominique. Ximénès
créateur du mouvement ikéologique espagnol, (à suivre). (Par la fonda-
tion de rUniversilé d'Alcala, parla publication de la Polyglotte et un
essai d'édition critique d'Aristote, Ximénès procura l'efflorescence théo-
logique qui illustra l'Espagne.) pp. 449-459, 640-650.
EXPOSITOR (THE). Avril. — D. S. Mamgolioutq. Folklore in tlie Old
Testament. (Discute l'interprétation proposée par Frazer du « Faisceau
de vie », i Sam., xxv, 29 ; du Signe de Gain ; du tas de pierres élevé par
Jacob et Laban ; de la lutte de Jacob; des gardiens du seuil du temple.
Incline à voir en plusieurs de ces récits des mythes étymologiques.) pp.
304-314;. — J. Orr. The Résurrection of Jésus, iv. The Credibility of ihe
Witness. The Burial. (Après avoir fait ressortir l'autorité des écrivains
du N. T. comme témoins de la llésurreclion, étudie les divergences des
récils qui ne sauraient préjudicier à leur ci-édibililé. C'est Taltilude de
chacun vis-à-vis dusurnalurel qui décide de la valeur critique qu'il leur
accorde.) pp. 314-333. — W. 0. OEsterley. The Parable of Ihe Labourers
in the Vineyard. (Jésus y combat la doctrine juive des œuvres à laquelle
il oppose celle de la grâce.) pp. 333-313. — A. R. Eagar. St. Luke's
Account of the Last Supper. 2. Internai Griticism. (L'unique difficulté de
ci-itique interne que présente le récit de la dernière Cène dans S. Luc
tient à la mention des deux coupes. Cependant les raisons à l'aide
desquelles on s'efforce de l'éliminer de la recension primitive sont sans
valeur. Le trait est vraiment primitif et liislorique. Seule la seconde
coupe est eucharistique.) pp. 343 361. = Mai. — C. B. Gray. The Hea-
venlij Temple and the HeavenUj Altar (à suivre). (La première mention
certaine de la croyance à l'existence d'un temple céleste se trouve dans
le Testament de Lévi. 1^' Apocalypse de Jean connaît en outre un autel
céleste avec son personnel sacerdotal et sa liturgie. Mêmes idées dans
la littérature talmiidique. Par contre, les anciens Babyloniens n'auraient
pas connu, comme on le dit, la doctrine précise d'un temple et d'un
autel célestes.) pp. 385-402. — J. H. Bernard. St. Pauls Doctrine of the
Résurrection (à suivre). (Exégèse de I Corinth. xv.) pp. 403-416. —
J. Denney. He thaï Came by Waler and Blood. (S. Jean veut parler du
baptême et de la mort de Jésus où il voit les deux principales manifes-
tations de sa qualité de Fils de Dieu. L'insistance sur la mort pourrait
viser Cérinlhe. Les sacrements de baptême et d'euciiarislie sont présents
à sa pensée comme perpétuant l'eau du Baptême de Jésus et le sang
636 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
répandu sur la croix.) pp. 416-428. — J. Orr. The /{esurreclion of Jésus.
V. 7'he Easter Message. (Établit la crédibilité du Message Pascal : visite
des femmes le malin du 3"^ jour, la pierre écartée, la tombe vide,
l'apparition et les paroles de Fange.) pp. 428-449. — W. F. Loftuouse.
The Social Teaching of the Law. (Les Codes successifs d'Israël : Code de
l'Alliance, Deutéronome, Loi de Sainteté. Code Sacerdotal, contiennent
des prescriptions de morale sociale d'une si haute portée et ils leur
accordent une si large place qu'on ne saurait les dire inférieurs aux
écrits des Prophètes ) pp. 449-469. = Juin. — S. R. Driver. 71ie Aramaic
Inscription from Syria. (Texte, traduction et commentaire de l'inscrip-
tion du roi Zakir récemment publiée par M. Pognon.) pp. 481-490. —
J.H. Bernard. St. Paul's Doctrine of the /{esurreclion (fin). (Exégèse de
I Corinlh. \v.) pp. 491-504. — J. Orr, The Résurrection of Jésus, vi. The
Post-Resurrection. (Étudie ralte.station des apparitions de Jésus en
général, puis, en particulier, les apparitions à Marie-Madeleine, à Pierre
et à Jacques.) pp. 504-524. — T. K. Cheyne, EzechieVs Visions of Jéru-
salem. (Les symboles et rites religieux contre lesquels s'élève Ézéchiel
proviennent du nord de l'Arabie plutôt que de la Babylonie.) pp. 525-
o30. — G. B. Gray. llie Heavenlg Temple and the Heavenlg Altar (fin),
(l'idée d'un temple et d'un autel célestes avec personnel sacerdotal et
liturgie propres est d'origine juive. Elle semble avoir fait son apparition
entre 500 et 100, probablement à une date plus voisine du dernier chiffre
que du premier, et peut être considérée comme l'un des premiers fruits
de cette exégèse savante qui a donné naissance à la littérature apoca-
lyptique et à la Haggada.) pp. 530-546. — J. H. Ropes. « 7'hou hast Faith
and I hâve works ». (Cette expression de Jacques, ii, i 8, est une pure
manière de parler et il n'y a pas à chercher derrière ce « tu » un person-
nage réel. ) pp. 547-556
EXPOSITORY TIMES (THE). Avril. — C. W. Emmet. Professor Har-
nacl; on the Si'coml Source of the First and Third Gospels (à suivre).
(Voir n° de Mai.) pp. 297-300. — E. W. Maunder. The Triad of Stars,
(La Triade, inscrite si souvent sur les monuments assyro-babyloniens,
a successivement symbolisé des astres différents. Anciennement, à partir
de 4000 av. J. C environ, elle désignait la nouvelle lune de l'équinoxe
de printemps et Castor et Pollux; à partir de 700 av. J. C. seulement elle
désigne, outre la nouvelle lune de l'équinoxe vernal, le Soleil et Vénus.)
pp. 300-303. — J. RuïUERFL'KD. St. PauVs Epistle to the Laodiceans.
(L'épître « de Laodicée » dont il est question Colos. iv, 16 est notre
épître canonique aux Éphésiens.) pp. 311-314. — A. H. Sayce. The
Arc.haeologii of the Book of Genesis (Commentaire archéologique de Gen.
II, 1-3 et conclusions générales relatives à Gen. i, l-ii, 3. L'auteur de
ce récit a sous les yeux la forme assyrienne du système cosmologique
babylonien dont il accepte les principes. Il a en vue non seulement de
l'expurger des éléments polythéistes et mythologiques mais de rendre
raison de l'observance sabbatique. Son récit n'est pas une traduction et
il écrit en Palestine. Retouches par des scribes postérieurs.) pp. ?)26-327.
— F. P. Baduam. Philippians, If, 6. 'AoTrayaôv.( Entre les deux sens
possibles de ce mot : se saisir d'une chose et s'attacher obstinément à
RECENSION DES REVUES 637
une chose, choisit le premier à raison d'une analogie supposée entre le
l)assage indiqué de Tépître aux Philip, et la situation décrite Gen. i, ii
et du parallélisme entre le premier et le second Adam.) pp. 331 333. =
Mai.— H. A. A. Kennedy, The Self-Consciousness of Jésus andlhe Servant
of Ihe Lord. (Entreprend d'étudier les relations qui existent entre le
type du Serviteur de Jahvé d'Isaïe et la conscience messianique de Jésus,
et commence par préciser les traits essentiels de cette mystérieuse
figure, la plus haute incarnation de l'idéal messianique d'Israël.) pp.
340-349. F. R. Tennant. 7'he Origin of Life. (Expose brièvement
l'histoire des recherches relatives à l'origine de la vie; insiste sur ce
point que la théologie n'est p;is intéressée à la question. Biogénèse ou
Ahiogénhe, peu importe au théologien.) pp. 3o2-33o. — C. W. Emmet
J'rofessor Harnack on the Second Source of the flrst and Third Gospels.
(fin). (Analyse le travail récent de Harnack sur ce sujet dont il accepte
les conclusions tout en observant qu'elles demeurent conjecturales. La
seconde source (Marc étant la première) de Matthieu et de Luc mérite
un crédit tout spécial et permet de tracer un portrait intéressant de
Jésus.) pp. 338-363. — A. H. Sayce. The Hillile Invasion of Babijlonia.
(A propos de la Note où il suggérait que Tidal, roi des Nations, Gen. xiv,
pouvait être un roi Hélhéen signale un fragment de tablette cunéiforme
(British Muséum, K. 3353) où il est question d'une invasion Héthéenne
en Babylonie. Ce fut cette invasion qui dut amener vers I9o0 la chute
de la dynastie de Hammourabi.) p. 379. — E. J. Gilchrist « And L knew
him not. » (Cette déclaration du Baptiste signifie qu'il ne concevait alors
qu'imparfaitement les prérogatives du Messie Jésus. Après le Baptême
seulement il vil en lui le Fils de Dieu et l'Agneau chargé des péchés du
monde.) pp. 379-380. = Juin. — H. A. A. Kennedv, 7'he Self-Conscious-
nrss of Jésus and the Servant ofthe Lord (suite). Relève l'application à
Jésus des oracles du Serviteur de Jahvé dans les Actes et les Épitres de
S. Paul, puis, dans les Évangiles, signale Matt. viii, 16-17. Il est remar-
quable que l'interprétation messianique de ces oracles fut familière de
très bonne heure aux disciples de Jésus tandis que les Juifs, à la même
époque, n'avaient point coutume de les entendre du Messie. L'interpré-
tation chrétienne doit remonter à Jésus lui-même.) pp. 394-397. —
A. H. Sayce. The Archaeology of the Book of Genesis. (Notes archéolo-
giques sur Gen. ii, 4-iii.) pp. 423-426.
HARVARD THEOLOGICAL REVIEW (THE). 2.— F. B. Jevons. Hellenism
and Christianitij. (Entreprend d'analyser le fait historique de la diffu-
sion universelle du Christianisme. L'idée morale et religieuse est
apparue au sein du groupe social ; le culte s'est développé en extension
eten complexité,à mesure que le groupe social devenait plus compréhensif.
L'empire romain avait réuni le monde d'alors en une vaste communauté
politique à laquelle l'hellénisme avait donné une culture commune.
D'autre part l'individualisme religieux s'était développé. Le christianisme,
à la fois religion universelle et individuelle, était supérieurement
harmonisé à cet état de choses.) pp. 16'J-l8S. — B. A. G. Fuller.
Ethxcal Monism and ihe Problem of Evil. (Critique comme inadmissible
la doctrine Néo-Hégélienne qui fait de l'existence du mal la condition
638 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
sine quà non de celle du bien. Cela ne se peut soutenir en ce qui con-
cerne le mal moral et les analogies aussi bien que les expériences que
l'on apporte en faveur de cette thèse ne sont point à la question ou sont
mal interprétées.) pp. 207-222.
HIBBERT JOURNAL (THE). Avril.— Mgr J. S. Vaughan. The Calholic
Church : W'hal is il ? (A propos d'un article publié sous ce titre par
l'évêque anglican de Carlisle dans le Numéro de janvier. Établit que
Tunité et spécialement l'unité doctrinale est un attribut essentiel de
l'Église du Christ et que seule l'Église catholique romaine le possède.)
pp. o49-,j62. — Sir 0. Lodgi:. 71ie Immorfalil)/ of ihe Soûl. IL The
Permanence of Personnalilij. (Si seule l'enveloppe corporelle des choses
est sujette au changement et si leur essence, leur réalité intrinsèque,
leur âme est permanente, il est évident que les éléments qui constituent
la personnalité humaine sont destinés à une existence perpétuelle. Si,
parmi les acquisitions de l'univers, rien ne périt de ce qui mérite
d'exister, la personnalité humaine ne peut disparaître. La survivance
individuelle trouve une confirmation en un certain nombre d'observations
et d'expériences qui sont présentées squs les titres suivants : Expression
de la pensée en termes de mouvement ; Argument tiré de la télépathie ;
Arguments tirés de la psychologie préternormale ; Argument tiré de
l'automatisme; Faculté subliminale; Argument tiré du génie; Argu-
ment tiré de la pathologie mentale.) pp. o63-.j85. — K. B. Mac Gilvary.
Bvilish Exponents of Pragmalhm. (Partant des diverses définitions du
Pragmatisme données par ses représentants attitrés, s'attache à montrer
qu'il y a en Angleterre beaucoup plus de pragmatistes véritables et
d'esprit pragmaliste que ne le prétend le D"^ Schiller.) pp. 032-633. —
F. J. C. Hearnsuaw. Law. (Signale les équivoques qui résultent dans
l'emploi de ce terme de sa double signification : pour le jurisconsulte, il
s'entend d'un ordre, d'un commandement; pour le savani, il s'entend
d'une généralisation et représente une conception générale. Les deux
sens coexistent dans la terminologie des sciences morales.) pp. 654-669.
INTERPRETER THE). AvriL — S. R. Driver. A Light to Ihe Genliles.
(Montre comment la prophétie d'haie, xlix, 6, qu'il entend de l'Israël
idéal, s'est réalisée, pour sa première partie, par le retour en Palestine
de la portion la plus fidèle d'Israël, et, pour sa seconde partie, en Jésus-
Christ et en son envoyé S. Paul.) pp. 245-2.52. — S. A. Peake. Dr. Orr
on liiblical Criticism. (Critique l'ouvrage du Dr. Orr, Problem of the
Old Testament, et divers articles du même. Estime que le Dr. Orr n'ex-
pose pas d'une manière suffisamment objective et équitable les vues
qu'il combat et s'étonne qu'il paraisse croire qu'en ébranlant les théories
récentes il renforce l'autorité des opinions anciennes. Conteste que les
théories critiques soient liées de soi et chez tous les biblistes à des con-
ceptions rationalistes.) pp. 233-268. — G. Bladon. The Synoptic
Problem and lieceni Lilerature. (Expose l'état du problème synoptique
d'après les publications de Wright, Hawkin, Abbott, Burkitt, Harnack.
La solution doit en être demandée à une étude simultanée des sources
et du milieu ecclésiastique primitif.) pp. 290-302. — S. A. P. Kermode.
RECENSION DIÎS REVUES 639
The Influence of Naiure on the Lileralure of Ihe Dible. (Éludie rinfluence
de la monlagiie sur la lillérature hébraïque. La montagne apparaît
surtout aux Hébreux comme un objet peu aimable, effrayant même, et
ensuite comme un endroit plus prociie de Dieu.) pp. 315-329.
IRISH THEOLOGIGAL QUARTERLY (THE). Avril.— W. IvmE^.Cehus,
« The Voltaire of Ihe Second Ceniurij ». (Notes biographiques sur Celse et
analyse de son traité : 'AArfirii )^6yo;.) pp. 137-150. — J. Mac Rory. Jlie
Aulhorship of Ihe Fourlh Gospel : Inlernal Evidence. (Trois passages
du IV Évangile, i, 14 ; xix, 33; xxi, 24 exigent positivement, comme
auteur du livre, un apôtre ou du moins un témoin oculaire. Bon nombre
d'indices suggèrent en outre que l'auteur était un Juif parlant araméen
et à qui la Palestine était familière, un témoin oculaire, un apôtre et
finalement Jean, tils de Zébédée.) pp. 151-171. — J. M. Harty. The Li-
ving \\ âge : A Heply. (Réponse aux critiques du D'' Mac Donald. Main-
tient que sa théorie du droit au salaire suffisant pour vivre et des bases
morales de ce droit est celle même de l'Encyclique Herum Novarum.
Examine les difïicultés élevées par robjeclant contre cette théorie.
Expose que le R Mac Donald a mal compris la raison sur laquelle il
s'appuie pour aiïirmer que l'acheteur est obligé de payer les marchan-
dises un prix tel que l'employeur puisse donner à ses ouvriers le salaire
en question.) pp. 172-183. — P. Boylan. Nejo Dates in Oriental Historij.
(Exposé des résultats obtenus en matière de chronologie babylonienne
en tant surtout qu'ils éclairent l'histoire d'Abraham.) pp. 18G-208.
JAHRBUGH FUR PHILOSOPHIE UND SPEKULATIVE THEOLOGIE, 4.
— D'' M.Glossner./V(> Spiele der 7'(>/'e. (Analyse d'une étude de K.Groos
sur les jeux des animaux. Il résulte de cette étude que l'animal ne peut
être conçu comme un pur mécanisme, ainsi que le voulait l'école de
Descartes, ni comme un être en voie d'humanisation, comme le veulent
les panthéistes qui voient dans l'animal l'esprit encore captif dans
les liens des sens. L'étude de Groos témoigne hautement en faveur
de la conception téléologique de la nature.) pp. 42G-431. — P. Jos. Leo-
NISSA, 0. M. Cap. Verursachung des Uehels. Die Vorsehung und das Ver-
langens des Uehels. (Explique, à l'aide du Commentaire de saint Thomas,
la doctrine de l'Aréopagite : le mal n'est pas premier principe ; il a une
cause. Le bien est la cause du mal, non pas d'une manière directe,
mais en raison de certains défauts qui, par accident, sont veims se
joindre au bien. La cause du mal n'est pas unique, elle est multiple. Ces
causes ne sont pas des facultés; l'impuissance, l'irrégularité, le désordre,
telles sont les causes du mal. — La Pr(>vidence ne cause pas le mal, mais
elle le fait rentrer dans ses plans et ne doit pas l'empêcher tout à fait.
Le mal peut exister dans le désir ; il peut aussi exister dans la connais-
sance ; dans l'un et l'autre cas, il relève d'une impuissance de la
faculté. Cependant le secours divin enlève cette faiblesse et donne les
forces nécessaires pour faire le bien.) pp. 431-452. — P. Joseph aSimritu
Sancto, 0. C. D. Die Kon lemplationsarten nach der Lehre des hl. Ber-
nard. (Critique du dernier chapitre de l'ouvrage du D"^ Ries : Das geisll.
Leben in seinen E titwickelungsstuf en nuch der Lehre des hl. Bernard,
640 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÈOLOGIQUES
i 906. C'est à tort que Tauteur a voulu trouver chez saint Bernard un
concept générique de contemplation. Saint Bernard ignore absolument
deux espèces de contemplation, la contemplation acquise et la contem-
plation infuse. Pour lui comme pour les anciens il n'y a qu'une espèce
de vraie contemplation, la contemplation infuse.) pp. 433-466. —
Fr. H. Amschl, 0. Pr. Ein angeblich zugunslen der nnbeflecklen Empfàn-
gnis lautendev Text des hl. Thomas, III, qu. 21 , a. 3 ad 3"' (Contraire-
ment aux explications du D"" G. Schneider et du P. Jos. a Leonissa, ce
texte ne prouve aucunement en faveur de l'Immaculée Conception.) pp.
467-470. — P.W. ScHLOSSiNGER, 0. Pr. Die Erkenntnis der Engel (2® art.).
(Les anges connaissent les objets extrinsèques à leur essence par des
formes infuses et non par abstraction ; l'ange connaît ainsi les choses
dans leurs éléments essentiels et propres et non pas d'une manière
universelle. Les formes sont moins nombreuses selon que l'ange est
plus parfait, mais elles sont d'autant plus compréhensives. 3. Objet de
la connaissance angélique. Objets immatériels. Ce sont : leur propre
nature, les natures des autres anges, Dieu. L'ange se connaît soi-même
par sa propre substance, sans autre forme infuse ; de la même manière
il connaît les facultés qui dérivent de cette substance: son intelligence,
sa volonté. 11 connaît les autres anges par une forme infuse. L'ange
supérieur connaît l'ange inférieur d'une manière compréhensive ;
l'ange inférieur ne connaît pas ainsi celui qui lui est supérieur.)
pp. 492-319.
JOURNAL (THE OF PHILOSOPHY, PSYCHOLOGY AND SCIENTIFIG
METHODS. 16Janv. — A. 0. Lovejuy. The Thirleen Pragmalisms. II.
(Achève de distinguer les principales variétés de pragmatismes en se
basant sur la nature différente des critériums de la vérité proposés dans
les diverses théories.) pp. 29-39. — Discussion. George P. Adams. Sub
Specie j^ternitntis. (Bien que l'expérience présente un changement con-
tinu et soulève à toute époque des problèmes nouveaux, il ne s'ensuit
pas que le philosophe ne puisse, tout comme l'homme de science,
découvrir des vérités éternelles au sujet de ces faits mouvants.) pp.
39-41. — Societies, R. S. Woodwortu. (Compte rendu de la séance du
23 novembre 1907 de la section d'Anthropologie et de Psychologie de
l'Académie des Sciences de New-York.) pp. 41-44. = 30 Janv. —
Archibald B. D. Alexaxder. Kuno Fischer : An Estimate of his Life and
Work. (Kuno Fischer se rattachait à la grande école idéaliste allemande.
L'importance qu'il attribuait à la personnalité des penseurs, sans toute-
fois négliger l'étude de leur milieu littéraire et social, l'amena à conce-
voir l'histoire de la pliilosopliie comme une série de biographies. Ce fut
un véritable orateur joignant un vif sentiment de la beauté au souci de
l'exactitude scientifique.) pp. 37-64. — Mary W. Calkins. Psychology as
Science of Self. II. The Nature of the Self. (A un point du vue pure-
ment psychologique, le moi se distingue des idées ou des fonctions par
sa permanence, sa complexité, son unicité et sa relativité.) pp. 64-68. —
Discussion. Morton Prince. Professor Pierce's Version of the laie « Sym-
posium on ihe Subconscious ». (Contrairement à ce qu'affirme le Prof.
Pierce, sans compétence en la matière, M. Pierre Janet, dans sa conlri-
RECENSION DES REVUES 641
bution au Symposium, n'a pas rejeté rinterprélation psychologique de
certains phénomènes subconscients. Relation de trois expériences à
Fappui de la théorie des idées subconscientes.) pp. 69-75. = 27 Fév. —
MaryW. Calkins. Psychologxj as Science of Self. III. The Description of
Consciousness. (Présente un tableau des principaux phénomènes cons-
cients, en les classant en réceptifs ou assert! fs et en indiquant leurs
corrélatifs physiologiques et biologiqnes.Développe ou corrige certaines
idées précédemment exposées.) pp. 113-122. — Discussion. James Bissett
Pratt. Truth and Mens. (La double interprétation pragmatiste de la
vérité, radicale ou modérée, a le tort de confondre une idée avec un
plan d'action. La vérité est coextensive au jugement et non à Tinten-
tiôn.) pp. 122-l,'îl.= 12 Mars. — Discussion. B. H. Bode. 7'he Pvoblem of
Objectivity. (Certains phénomènes, comme les émotions, s'opposent à
ce que l'on considère la conscience comme séparable de son objet. Voir
dan.s le moi la résultante des tensions de diverses consciences fragmen-
taires, c'est rendre impossible l'unité de la vie consciente et dire que
notre perception contribue à la nature des objets, c'est admettre que
l'apparence est la réalité et que l'erreur est impossible.) pp. loQ-157. =
26 Mars. — John E.Boom^. Consciousness and Reality. I. Négative Défini-
tion of Consciousness. (La conscience n'est ni une relation, ni le prin-
cipe immuable de tout changement, ni une forme ou un produit de
l'énergie, ni un nom désignant l'ensemble des faits conscients, ni une
réalité dont les manifestations soient parallèles aux processus énergé-
tiques, ni une force agissant sur eux ; c'est un élément ultime, non-
énergétique.) pp. 169-179. — William James. « Truth » versus « Truth-
fidness », (Propose d'appeler vérité complète (truthfulness) la vérité
d'une proposition établie par ses conséquences, pour la distinguer delà
vérité pure et simple (Irutli) consistant uniquement dans l'accord abs-
trait d'une afïirmation avec un fait.) pp. 179-181. — Discussion. Wendel
T. Bt'sn. Provisional and Eternal Truth. (Aucune théorie particulière
concernant les objets de l'expérience ne peut être érigée en vérité
éternelle ; seules les relations logiques présentent cette immutabilité.)
pp. 181-184. = 9 Avr. — Charles H. Johnston. Ribot's Theory of the
Passions. (Analyse et apprécie favorablement VFssai sur les Passions de
Ribot; relève cependant le changement, injustifié dans une certaine
mesure, d'une distinction quantitative des passions en distinction quali-
tative.) pp. 197-207. — Stevenson Smith. The Threshold of Rectifïed
Perception as a Clinical Test. (Relation d'une expérience sur la rapidité
de rectification d'une perception.) pp. 207-208. — Discussion. W. P.
MoNTAGUE. Consciousness and Relativily. A Beply to Professor Bode.
(Déclare ne pas voir pourquoi la conscience, indépendante de certains
objets, le serait de tous ; note trois ressemblances entre l'énergie poten-
tielle et la sensation ; montre que le moi expliqué par un système de
tensions a la même unité que celle dont témoigne la conscience, et que
la contribution du sujet à l'objet n'implique pas que celui-ci soit totale-
ment indéterminé.) pp. 209-212. — Societies. R. S. Woodwgrth. (Compte
rendu de la séance du 28 février 1908 de la Section d'Anthropologie et
de Psychologie de l'Académie des Sciences de New-York.) pp. 212-216.
= 23 Avr. — John F. Boodin. Consciousness and Reality, II. Conscious-
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 3. 41
642 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ness and ils Implications. (La conscience n'a aucune intluence causale
sur les processus énergétiques, elle ne fait que les rendre significatifs
et capables de prendre des valeurs diverses dont toutefois la gradation
ne dépend pas d'elle. La conscience n'est ni individuelle, ni subjective ;
il est plus facile de la considérer comme une constante et de la supposer
partout, sans qu'elle ait partout la même influence, que la dériver de
phénomènes inconscients., pp. 22S-234. — R.W. Sellars. Consciousness
and Conservation. (Ce ne sont pas les éléments qualitatifs, la conscience
ou l'organisation qui assurent la conservation dans l'univers; seul le
quantitatif se perpétue.) pp. 235-238. — L. Pe.\rl Boggs. 7'he Question.in
the Learning Process. (Amener un désaccord dans l'esprit entre les idées
qu'il possède ou entre ces idées et les choses, afin de lui faire sentir la né-
cessité d'une nouvelle adaptation, est le moyen le plus efficace d'exciter le
désir d'apprendre et de provoquer l'effort. Tel est le rôle de la question en
pédagogie.) pp.239-244. = 7 Mai. — G.Albert Coe. /ieligious Value. (La va-
leur religieuse se présente tantôt comme partiellement identique à toutes
les autres valeurs, tantôt comme leur étant transcendante et constituant
leur unité idéale. Dans le premier cas toutefois, la religion n'existe que
si chaque valeur particulière tend à se dépasser et à s'harmoniser avec
les autres.) pp. 2o3-2o6. — Discussion. C. A. ?)1^osg. Pragmatism audits
Définition of Truth. (La définition pragmatiste de la vérité n'est valable
que pour les événements futurs et, à ce point de vue, le pragmatisme
n'ajoute rien à l'empirisme. La connaissance, ayant pour but de nous
adapter à notre milieu, doit être en quelque mesure une copie des objets.)
pp. 256-264. — A. H. Pierce. The Sulconscious Again. (Maintient le
reproche d'inconséquence adressé au travail du professeur Janet, réclame
pour le psychologue le droit de critiquer les explications psychologiques
en pathologie et expose ses doutes relativement aux conclusions que
l'on prétend tirer des cas d'automatisme.; pp. 264-272. = 21 Mai. —
TiiADDAEUs L. BoLTON. A Genctic Study of Make-Believe. (Le pouvoir de
s'illusionner semble consister dans l'aptitude à concevoir une même
chose sous des formes multiples qui en font autant de choses différentes-
Ce qui distingue l'illusion enfantine de la variation dans la conception
d'un même objet chez l'adulte, c'est que dans le premier cas le change-
ment a lieu sans ordre apparent, tandis que dans le second il suit une
marche méthodique.) pp. 281-288. —-Albert Schi.nz. Jules de Gaulliens
Theory of the Scientific Principles of Ethics. (Ce qui entretient la vie et
lui donne sa raison d'être d'après Jules de Gaultier, c'est la lutte contre
l'hostilité croissante du milieu ; l'adaptation parfaite serait la mort.
Mais dans ce cas, la vie serait-elle un bien et pourquoi devrions-nous
l'accepter?) pp. 288-293.— Z>/.sri/5SiO??. Horace M. Kallex. The Pragmatic
iXotion of'Jlr,. (Quoi qu'en dise M. Gifford, on peut sans contradiction
regarder la réalité première (•j/.y;)comme indéterminée et indéterminable.
Pour qu'une chose en devienne une autre, il n'est pas nécessaire qu'elle
soit déjà cette chose en puissance. Il n'est pas prouvé que forme et con-
tenu s'impliquent réciproquement et que la réalité première soit exclu-
sivement psychique.) pp. 293-297.
BCIND. Avr. — F. H, Bradley. On Memory and Judgmrni. (Si l'on veut
RECENSION DES REVUES 643
échapper au scepticisme, il faut reconnaître que le jugement le plus
récent, le jugement fait dans l'instant présent est toujours tenu pour
infaillible à ce moment, et que la mémoire n'a pas de valeur indépen-
dante. Ce qui constitue l'unité du jugement, c'est le développement
continu et progressif du sujet pour l'esprit qui juge. L'état psycliique
de celui qui afïîrme ne doit pas être considéré comme un élément inté-
grant de son jugement.) pp. l.o3-l74.— A. H. Lloyd. Radical Empiricism
and Agnosticism. (L'empirisme radical ou pragmatisme ofFre une forme
nouvelle d'agnosticisme. La chose en soi est identifiée avec la réalité
présente du connaissable. Cependant la distinction entre le connaissable
et l'inconnaissable demeure vraie, pourvu que ces deux domaines, au
lieu de s'exclure, soient regardés comme continus et immanents l'un à
l'autre), pp. 17Î5-192. — Mary Hay Wood. Plato''s Psychologij in ils Bea-
ring on the Development of Will. II Conclusion. (Suivant Platon, ce qui
fait du moi un tout unifié et harmonisé, c'est la faculté d'abstraire par
laquelle l'esprit se dégage des choses sensibles et arrive à concevoir
l'idée du bien, but suprême du désir et de l'activité. lia volonté de l'indi-
vidu ne dépend pas seulement de la volonté sociale pour son éducation,
elle lui doit encore sa nature ; d'autre part la volonté de l'individu
concourt à affermir la volonté générale.) pp. 193-213. — K. J. Spalding.
On the Sphère and Limit of Aristotelian Logic. (La base réelle bien
qu'implicite de la logique aristotélicienne, est la classification. Ce prin-
cipe n'embrasse pas tout le domaine de la logique. Sous sa forme
moderne celle-ci repose sur l'idée de relation et doit se développer
d'une manière indépendante.) pp. 214-223. — Discussions. F. H. Bradley.
On the Ambiguity of Pragmatism. (Fait ressortir l'ambiguïté de la notion
de « pratique » chez James et Dewey.) pp. 226-237. — B. Russell.
Mr Haldane on Infinitg. (Relève les affirmations inexactes de M. Hal-
dane touchant les concepts fondamentaux du Calcul Différentiel actuel.)
pp. 238-242.
MONTH (THE). Mai. — PL Tiiurston. The Name of the Rosarg (à
suivre). (C'est à tort que l'on a voulu faire remonter à S. Dominique
lui-même le nom de «Rosaire». Le poème latin copié en 1693 par le
P. Benoist aux archives de Muret ne saurait servir d'appui à cette
affirmation, attendu qu'il ne dit rien de pareil.) pp. 518-329. = Juin. —
H. Thurston. The Name of the Rosary (fin). (Ce nom de Rosaire semble
avoir été attribué au « Psautier de Notre-Dame » sous l'influence de
légendes Mariales que nous trouvons très répandues dès le XIII* siècle,
de celle, entre autres, qui a pour héros un Cistercien dont les 30 Ave
font apparaître, sur le front de la Vierge, une couronne, un chapel de
roses.) pp. 610-623.
MUSÉON (LE). 1. — Ed. De Jongue. Étude sur les sources de l'ethno-
graphie congolaise. (Critique la valeur des renseignements ethnogra-
phiques recueillis sur les Congolais par les fonctionnaires^ les mission-
naires et les voyageurs.) pp. 1 2G. — L. Gry. La composition littéraire
rfes pa/'rtôo/es rf'//e>îoc/i. (Distingue, d'une manière probable, les docu-
ments qui sont entrés dans la composition des ch. XXXVII-LXXI du
livre d'Hénoch : 1° Une compilation principale puisée à trois sources :
644 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
la première aurait fourni : XXXIX 12-XLI 3 sqq., XLYI. LU 1-5,
LXl 1-3 ; peut-être aussi XXXVIII, XLY 1-3, LYIII, XLVIII 8 XLIX ; la
seconde : LU o-LIV 7, LV 3-LYI §, LXII 3-LXIII 2..., 11 et 12 ; la troi-
sième : XXXIX 3-12, XLYIII 1, XLII ; 2° Un livre d'astronomie;
XLl 3-9, XLIII 1-3 ; XLIY, LIX ; 3° Un certain nombre de fragments
noachiques disséminés dans cette partie du livre ; 4° enfin peut-être
« d'autres petits fragments qu'il serait impossible et superflu de chercher
à identifier ».) pp. 27-71. — E. Blochet. Éludes sur Vésotérisme musul-
man (suite-à suivre). (Traite du jeûne, des repas, du vêtement et du
sommeil chez les Soufis.) pp. 85-102.
NEW -YORK REVIEW (THE). Janv. - Fév. ; Mars -Avril. — T.
Gerrard. Dichotomy : a Studij in Newman and Aquinas. (L' « lUative
Sensé >> de Newman n'est qu'une application de la théorie thomiste sur
l'unité substantielle de l'âme humaine.) pp. 381-390. — E. Hanna. llie
Human Knoîdedge of Christ. (4^ article). (Après la controverse arienne,
la tradition chrétienne, orientale et occidentale, tend à accorder à l'hu-
manité du Christ la connaissance la plus parfaite possible. L'auteur donne
ensuite un résumé général de tout son travail. 'l pp. 391-400. — M. Has-
SETT. Church and State from Julian fo Theodosius. (Durant celte période,
l'Église d'Occident sait se garder de l'ingérence impériale. En Orient au
contraire l'intervention des empereurs dans les questions de foi donne
lieu à de graves excès. Théodose, sur ce point, introduit en Orient les
coutumes des empereurs occidentaux.) pp. 401-417. — A. Roussel.
Sludies in Buddliism. (2*^ article). (La vie du Bouddha, ses adversaires,
son enseignement.) pp. ■429-447. — Y. Me Xabb, 0. P. J'he Gospel Witt-
ness to S. Peter. (Examine, d'après l'ordre chronologique, les témoi-
gnages évangéliques relatifs à saint Pierre.) pp. 448-456. — G. Calde-
ROisi. Relativism and Logic. (Le relativisme moderne contient le principe
de sa propre destruction. Niant la valeur objective des principes de
l'entendement, il enlève toute base objective aux sciences naturelles
qu'il voulait conserver. 11 se met en contradiction avec lui-même quand
il se donne comme un système philosophique certain, ou qu'il prétend
maintenir la valeur absolue du sentiment moral, social et religieux.)
pp, 457-470. — G. OussAM. The lirgin Birth of Christ : Theorg of
Healhen Mythological Eléments. (Critique de certaines théories récentes
d'après lesquelles la conception virginale du Christ serait un mythe
emprunté à la légende d'Auguste ou, en général, au paganisme hellé-
nique.) pp. 470-492. — L. Dubois. The Franciscan Movement in the
Prolestant and Rationalistic World. (11 existe, à l'égard de S. François
d'Assise, chez les non catholiques de France, d'Angleterre, d'Allemagne
et d'Italie, un mouvement de sympathie. Trois causes principales
l'expliquent : La personnalité du Saint, son rôle dans les origines de
l'art et de la littérature italiens, et enfin la mission qu'on lui prête
d'avoir été un précurseur de la Réforme, un apôtre de la liberté de
conscience. Les résultats provoqués par ce retour de faveur, en littéra-
ture, en histoire et sur le domaine moral, compensent les critiques
injustes à l'égard du catholicisme dont il a été l'occasion.) pp. 499-515.
— G. OussANi. 71ie Slorg of Assgro-Dabglonian Explorations. (Retrace
RECENSION DES REVUES 645
l'histoire des découvertes en Babylonie et en Assyrie, depuis E. Botta,
1842, jusqu'aux dernières expéditions de H. Ressam, 1882.) pp. 516-544.
— F. GrTGOT. Divorce in the New Testament. (Commentaire de Mt.
V, 31-32. Au V. 32, Notre-Seigneur défend le remariage même après
un divorce légitimé par l'adultère de la femme.) pp. 545-560.
QUESTIONS ECCLÉSIASTIQUES LES). Mai. — J. A. Chollet. La
contribution de l'occultisme à V anthropologie. (Beaucoup de phénomènes
d'occultisme sont à rejeter pour cause de fraudes, ou bien ils se pro-
duisent dans de mauvaises conditions d'observation ou d'expérimen-
tation scientifique.) pp. 385-402. — H. Goujon. Idée synthétique de la
théologie surnaturelle. (Établit la dépendance de la théologie vis-à-vis
de la foi, fixe les limites de la science Ihéologique.) pp. 403-415. —
H. QuiLLiET. L'évolution et le modernisme. L'évolution vitale et les
sacrements. (Expose la nature et l'origine des sacrements selon la doc-
trine catholique et selon le système moderniste.) pp. 416-444. ^ Juin.
— J. A. Chollet. La contribution de l'occultisme à l'anthropologie.
(Critique de l'anthropologie spirite et de la théorie des radiations psy-
chiques.) pp. 4S1-492.
RAZON Y FE. Mai. — E. Ùgarte de Ercilla. El modemismo la ruina
de la filosofia. (Se propose d'étudier les racines et les fondements de la
philosophie moderniste au point de vue logique. Dans cet article
étudie le criticisme kantien, le symbolisme et le phénoménisme,le prag-
matisme et le positivisme métaphysique.) pp. 43-58. == Juin. —
A. P. GoYENA. El desenvolvimiento dogmatico. (Expose le dogmatisme
de Harnack, l'évolutionisme de Sabatier, le symbolisme de Loisy, le
modalisme de Le Roy. Les réfute indirectement en expliquant le vrai
développement du dogme selon la doctrine de saint Thomas, IP II'"',
q.I, art. 7. Termine par quelques mots sur le modernisme en Espagne.)
pp. 151-167.
REVUE AUGUSTINIENNE. 15 Avril. — M. Démery. La conversion.
(Expose la théorie de W. James sur le fait religieux et le rôle du sub-
conscient dans les conversions.) pp. 401-425. — S. Protin. La théologie
de saint Paul. EÉvangile de saint Paul. (Reçu de Dieu dune manière
unique, adapté aux milieux païens avec une sagesse tout apostolique,
l'Évangile de Paul est surtout le code d'une doctrine universelle que
nul n'a encore proclamée.) pp. 426-442. = 15 Mai. — R. de Chefdebien.
La « Summa Sententiarum » de Hugues de Saint- Victor. (Énumère les
arguments d'ordre externe en faveur de l'attribution de cet ouvrage à
Hugues de Saint-Victor, montre que les objections du R. P. Porlalié ne
sauraient infirmer cette attribution.) pp. 529-560. = 15 Juin. —
Pn. Mahtaln. EÉglise et la Papauté au Y® siècle. Saint Victrice à Rome.
(Raconte comment saint Victrice dut plaider auprès du Pape Innocent
la cause de son orthodoxie.) pp. 657-666.
REVUE BÉNÉDICTINE. Avril. — D. De Bruyne. Nouveaux fragments
des Actes de Pierre, de Paul, de Jean, d'André et de l'Apocalypse d'Élie.
(Conservés dans un apocryphe intitulé : Epistola Titi diszipuJi Pauli,
646 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUKb
et transmis dans l'homéliaire de Burchard, à la bibliothèque de Wurz-
bourg.) pp. 149-160. — G. Morin. Un leclionnaire mérovingien avec
fragments du texte occidental des Actes. (Manuscrit de la bibliothèque
de Schlettstadt, dont les textes bibliques seront publiés dans le pro-
chain volume des Anecdota Maredsolana.) pp. 161-166. — A. Wilmart.
Les « Fragments historiques » et le synode de Béziers de 356. (La rela-
tion des « fragments historiques », restes d'un libelle composé par S.
Hilaire, avec le concile de Béziers, est manifestée par divers textes,
surtout si l'on admet une conjecture de critique textuelle proposée par
Mgr Duchesne.) pp. 225-229. — G. Morin. Deux débris inaperçus d'un
ouvrage perdu de saisit Jérôme dans les « Anecdota Maredsolana ». (Deux
des Traclatus de S. Jérôme (sur les Ps. x et xv) seraient les restes de
l'ouvrage perdu de ce Père sur les Ps. x-xvii.) pp. 229-231.
REVUE BIBLIQUE. Avril. — A. Condamin, S. J. Le serviteur de Jahvé.
(Les Poèmes du serviteur de Jahvé peuvent fort bien être du même
auteur que le livre où ils figurent. Le poème 47, 1-9 se trouvait origi-
nairement après 49, 7. L'ordre primitif rétabli, le contexte lui-même
devient favorable à l'interprétation individualiste.) pp. 162-181. —
H. Vincent, 0. P. La troisième enceinte de Jérusalem (à suivre). (Ré-
tlexions sur quelques publications récentes relatives au tracé de la
troisième enceinte. Annonce le dessein de demander l'éclaircissement
de ce difficile problème à l'étude combinée des textes et des données
archéologiques. Commence par l'examen des textes qui se trouvent
presque tous dans les derniers livres de la Guerre juive de Josèphe.)
pp. 182-204. — P. Dhorme, 0. P. Hammourabi-Amrajphel. (Deux des
noms de rois qui se lisent Gen. XLV, ont été trouvés jusqu'ici dans les
documents cunéiformes : Amraphel== Hammourabi ; Âriôk = Rim-aku =
Rim-Sin ; quant à Kedor-Laomer, il suppose le nom élamite Kudur-
Lagamar qui est très vraisemblable. Les événements rapportés dans la
Genèse entrent très bien dans l'histoire élamile-babylonienne. La dy-
nastie hammourabienne est d'origine arabe. Les noms que portent
Abraham elles siens sont, ou de purs noms babyloniens, ou des noms
ouest-sémitiques retrouvés en Babylonie. La famille d'Abraham
pourrait avoir émigré d'Our à Harran à l'occasion de la prise d'Our par
le père de Hammourabi. La campagne des rois aurait eu lieu vers 2010.)
pp. 205-226. — A. Fabre. L'étoile du matin dans l'Apocalypse. (L'étoile
du matin intervient dans l'Apocalypse comme symbole de puissance
et de domination. Elle avait déjà ce caractère dans le culte assyro-bàby-
lonien de l'Ichtar guerrière et dans le culte arabe d'Atlilar. Dans
haïe, XIV, 12, m,ême sens.) pp. 227-240. — A. Jaussen et R. Savignac.
Nouvelles inscriptions de Hégra. (Donnent le texte d'une inscription
déjà copiée par Huber mais d'une manière très imparfaite, et y ajoutent
un commentaire philologique. L'inscription paraît être de l'an 267 de
notre ère. Publient ensuite avec des gloses deux graffîtes importants
pour l'histoire de l'Arabie.) pp. 241-250. — L. Mariés, S. J. Remarques sur
la forme poétique du livre de la Sagesse (i,l-ix,17}. (Les ch. i,l-ix, 17
de la Sagesse forment trois poèmes i,l-iii, 12 ; m, 13- vi, 11 ; vi, l2-ix,
17, groupés selon la formule : strophe, antistrophe, strophe finale et
RECENSION DES REVUES G47
unique. Celle étude confirme que l'unité métrique dans la poésie hé-
braïque est le vers et non le stique.) pp. 25l-2o7. — M. J. Lagrange,
0. P. Les Fouilles d'Éléphanline. (Notes sur les fouilles poursuivies
par M. Clermont-Ganneau et aperçu des résultats obtenus.) pp. 260-267.
REVUE CATHOLIQUE DES ÉGLISES. Avril. - L. Cristiam. La
notion d'Église dans saint Ignace d'Antioche. (« Les lettres de saint
Ignace nous présentent un tableau très suffisamment net de la consti-
tution de l'Église au début du second siècle... L'Église orthodoxe est
fortement groupée autour de ses chefs, centres naturels de l'unité
catholique. De toute évidence, Ignace prêche le resserrement de la
discipline, mais il ne crée pas, il n'invente pas la hiérarchie à trois
degrés qu'il veut si parfaitement obéie ; il la constate comme un fait
« incontesté et traditionnel ». L'Église apparaît ainsi comme une vaste
monarchie dont le centre est au cenire même de l'Empire. ») pp. 193-
206.
REVUE DU CLERGÉ FRANÇAIS. 1'^ Avril. — P. Godet. Un apologiste
contemporain. Hermann Schell. (Retrace la vie, l'œuvre, l'infinence de
l'ypologiste allemand.) pp. 5-30. — F. Dubois. L'exégèse biblique et
l'Église. (Une exégèse critique et scientifique de la Bible demeure
possible en face des exigences de l'Église.) pp. 31-43. := 15 Avr. —
J. Bricout. Le développement du dogme. (Les dogmes, énoncés infaillibles
de vérités révélées par Dieu et proposées à notre foi par l'Église assis-
tée de Dieu, sont immuables, et leur immutabilité nous est garantie par
l'autorité divine. Or, le développement dogmatique, tel que le conçoi-
vent les modernistes, est incompatible avec cette immutabilité et c'est
pourquoi il est à rejelèr sans hésitation ni réserve.) pp. 129-149. =
i^^ Mai. — E. Vacandard. Le baptême des cloches. (« Certains abus
s'étaient glissés au XYI« siècle ou même plus tôt dans le cérémonial de
la bénédiction des cloches. Mais les réformateurs qui les condamnaient
les ont, à coup sûr, fortement exagérés. Assimiler d'une façon absolue
la bénédiction des cloches, telle qu'elle se pratiquait officiellement dans
l'Église romaine, au rite baptismal, est une absurdité. ») pp. 237-274. =
15 Mai. — A. ViLLiEX. Histoire des commandements de l'Eglise. Cin-
tjuième commandement. (Retrace les origines historiques des Quatre-
Temps, des Vigiles, du Carême.) pp. 383-402. = 1'=^'^ Juin. — P. Pisam.
La Constitution civile du Clergé. (Conclusion : la moitié du clergé
paroissial, le tiers du clergé tout entier de France, ont adhéré à la
Constitution civile, mais avec de très sérieuses variations locales.)
pp. 513-334. — A. BouDiNHOX. Les origines de V Elévation. (Traduction
d'un article du R. P. Thurslon. L'usage d'élever l'hostie avant la consé-
cration donna naissance, par une transition insonsiblp, à l'usage de
montrer l'hostie après la consécration.' pp. .n3o-.Ti2.
REVUE D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE. Avril. — J. Flamiox. L>'s
Actes apocryphes de Pierre (à suivre). (Expose les résultats des travaux
sur cet ouvrage au point de vue de la critique de restitution et de pro-
venance^ du caractère doctrinal et historique.) pp. 233-234. — E. Don-
cœur. S. .1. Lfs premières interventions du Saint-Siège relatives à l'Im-
648 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
maculée Conception, XIl-AIV" siècle (fin). (« 1. La fêle est encore
vivement combattue en 1342 ; — 2. la curie l'autorise cependant de
plus en plus par sa bienveillance ; — 3. les Carmes sont alors immacu-
listes puisqu'ils invitent à parler dans leur église un partisan'décidé du
privilège... En tout cas, la curie ne donne à son adliésion à la fêle
aucune portée dogmatique, en sorte qu'aucun parti ne puisse s'en
prévaloir. ») pp. 278-293.
REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS. Janvier-Février. — Jean
RÉVILLE. Les Origines de i Eucharislie (3^ et dernier article). (Réville
résume sous vingt et un chefs les résultats obtenus par l'analyse des
documents, de l'an 50 environ à l'an 1.50. Puis il critique les récits des
Synoptiques sur la Cène : « Sa signification et sa valeur ne résidaient
pas pour eux dans son caractère spécifiquement pascal, mais bien plutôt
dans le fait qu'il (ce repas) avait été le dernier repas pris par Jésus avec
ses apôtres ». Suit un « essai de reconstitution historique de la Cène. «
Jésus aurait peut-être dit : « Voici le corps de notre alliance, » « Voici
notre corps ». (p. 33). Genèse et première évolution de l'Eucharistie:
« Le repas du Seigneur parmi les premiers chrétiens n'est pas autre
chose que la continuation des repas que les disciples prenaient d'habi-
tude avec Jésus et oij. Jésus bénissait le pain et le vin et rendait grâces
suivant la coutume de la piété juive. » Il aurait continué sous cette
forme dansles communautés syro-palesliniennes dont la Z>it/ac/iè nous per-
met de reconstituer l'image. Mais, dans le monde hellénique, l'évolution
fut tout autre, grâce en particulier aux spéculations et aux révélations
de Paul, qui en fait une commémoration de la mort du Christ, com-
mandée par Jésus lui-même, sans voir d'ailleurs dans le pain autre
chose que le symbole du Christ mystique. Pour le 4® Évangile : « Le
Logos divin s'incarne d'une façon mystique dans le pain de l'Eucharistie
comme il s'est incarné dans la chair de l'homme-Jésus ; c'est ainsi que
ce pain est un pain de vie qui nourrit en vie éternelle », une élaboration
théologique alexandrine. Comment, de ces origines, serait sortie la
croyance ecclésiastique, l'Eucharistie graduellement devenant une obla-
lion que pouvaient seuls présenter les prêtres, et l'oblalion prenant de
plus en plus le caractère d'un sacrifice de consécration), pp. 1-59. —
C. Snouck IIurgkonje. L Arabie et les Indes néerlandaises, (raduit du
hollandais par A. H. Van Oppcijsen. (L'unité frappante actuelle des
méthodes d'enseignement dans le monde islamique, du Maghreb à
l'Extrême-Orient. La conversion de Sumatra et de Java date du
XIV^ siècle. L'islamisme avait dii être importé de l'Inde, comme le fait
croire le caractère audacieux du panthéisme mystique des sentences
attribuées aux anciens saints mulsulmans de Java. Influence aciuelle
des commerçants arabes venus de l'IIadramaout, qui repiésenlent au
contraire une orthodoxie sévère, et surtout du pèlerinage de la Mecque,
dont les conditions ont été tellement facilitées par le progrès moderne
aux croyants de l'Indonésie) pp. GO-80. — A. Moret. Du sacrifice en
Fgijpte. (Le culte osirien a été la base de tous les autres cultes égyp-
tiens; or ses premières formes semblent s'inspirer du sacrifice agraire,
démembremeiil, enterrement, renaissance de l'Esprit du blé ; le specta-
RECENSION DES REVUES ' 649
cie de la renaissance de la végétation après sa mort annuelle a amené
l'homme à croire à la possibilité de revivre lui-même après sa sépul-
ture ; et « il a fait des rites du culte agraire le prélude obligé du culte
adressé aux dieux et aux morts », car ce culte est essentiellement le
même chez les Égyptiens. Comment le sacrifice au dieu a remplacé
graduellement le sacrifice du dieu ,- comment la victime humaine ou
animale, d'ennemi qu'elle était {hostia) du défunt Osiris, une fois que
l'immolation en a dégagé l'âme, qui se dirige vers le monde des dieux,
sert de véhicule au dieu ou au défunt, dont l'âme descendue en quelque
sorte sur la victime sacrifiée, et confondue avec elle, fait de la sorte son
ascension. Autorités de Frazer, Hubert et Mauss, Lefébure, etc.) pp. 81-
101. — Mars-Avril. — T. Segerstedt. Les Asuras dans In religion védique
(à suivre). (Les Asuras, dont le nom implique essentiellement l'idée de
puissance magique, sont des dieux des populations aborigènes vaincues
par les Aryas. La plupart sont descendus peu à peu, dans les Védas pos-
térieurs, au rang de démons et d'ennemis des dieux, mais quelques-uns,
comme le grand Varuna, Rudra, Puschan, les Maruts, ont trouvé place
à côté des Dévas dans le panthéon. Caractère particulier qu'ils gardè-
rent ; rites asuriens) pp. 157-203. — E. Amélineau. La Religion égyp-
tienne d'après M. Ad. Erman. (^Critique très sévère du manuel d'Erman,
et de la traduction française par Charles Vidal.) pp. 204-221. -- F. Ma-
CLER. Hebraica. (Exposé des découvertes de Vépigraphie hébraïque,
depuis de Saulcy et de Vogue jusqu'aux dernières fouilles en Palestine ;
histoire de la découverte de V Ecclésiastique hébreu ; enfin des papyrus
araméens récemment découverts à Êléphantine et à Syène. Traduction
(pp. 229-232) de la requête adressée en 408 avant Jésus-Christ, par les
Juifs d'Éléphantine, au seigneur Bagohi (en grec Bagoas), pour obtenir
l'autorisation de reconstruire leur temple de Yâhoù (lahwé), le Seigneur
du ciel, détruit à l'instigation des prêtres de Khnoub ; publié par
M. Sachau de Berlin.) pp. 222-235.
REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS. Mai-Juin. — Ch.
Huit. Le réveil du platonisme en France au commencement du xix*^ siècle
(à suivre). (Influence de Platon sur Bonald, J. de Maistre, Ballanche,
Joubert, Chateaubriand.) pp. 197-222.
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. Mars. — V. Bro-
CHARD. Le Dieu de Spinoza. (Analyse des deux conceptions, en appa-
rence opposées, de Dieu, exposées dans ÏÉthique et le Traité théolo-
gico-politique. Comment elles se concilient par la manière dont Spinoza
envisage les rapports de la raison et de la foi. — Influence des philo-
sophes grecs sur Spinoza.) pp. 12ii-163. — K. Mevmal. Du rôle de la
logique dans la formation scientifique du droit. (Sous l'influence de
la logique, les cullections primitives de préceptes isolés font place à
des préceptes plus généraux ; de prohibitifs ceux-ci deviennent l'expres-
sion d'un droit ; puis ils s'organisent en systèmes. Mais dans cette
œuvre, la logique n'est qu'un instrument au service des conceptions
morales et sociales d'un peuple. L'usage de cet instrument peut engen-
drer des abus graves, car il fait survivre la loi à sa cause vraie et l'isole
65U REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
des faits : mais il est indispensable à l'esprit humain et a cet avantage
de rendre plus difficiles les changements brusques et inconsidérés.)
pp. 164-189. — A. Job. La méthode en chimie. (« L'auteur essaie sim-
plement de définir l'objet de la chimie et les moyens mis en œuvre
pour l'atteindre. La division du sujet est la suivante : 1° l'espèce chi-
mique, les espèces possibles ; 2° la transformation chimique, les
transformations possibles. ») pp. 190-213. — H. Torero. La Philosophie
de ]\'undt (à suivre). (Étude critique.) pp. 214-243. — Discussions :
E. BoREL. Réponse à M. Bergson, pp. 244-245. — G. Le Box. Réponse à
M. Bonasse, pp. 246-247. = Mai. — F. Colo.n.na d'Istria. Bichat et la
biologie contemporaine. (L'œuvre de Bichat ; sa conception de la vie ;
son influence sur la biologie contemporaine.) pp. 261-280. — J. Mal-
didier. Les caractéristiques probables de l'image vraie. (Discussion des
difTérentes théories, données depuis Carnéade, du critérium de l'image
vraie. Solution de l'auteur : aucun critère immédiat n'est valable, sinon
d'une manière accessoire ; les critères vraiment probants doivent être
empruntés à la connexion et à la résistance des images.) pp. 281-320.
— M. \\"iNTER. Importance philosophique de la théorie des nombres.
(L'auteur se propose « de montrer que la plupart des grandes idées qui
ont transformé l'algèbre et l'analyse : le nombre imaginaire, la va-
riable continue, les développements en séries infinies, la notion de
groupe ont été également fécondes en arithmétique. Cette exposition
établira. d"abord, la parenté intime qui unit l'arithmétique avec l'al-
gèbre et l'analyse ; elle montrera ensuite qu'aucun domaine de la
science humaine n'est achevé et que l'arithmétique pure elle-même,
évolue comme les autres sciences. ») pp. 321-34.5. — Élude critique :
H. ?S0RER0. Aa Philosophie de ]]'undl (suite). (III. Métaphysique.
IV. Beligion et intuition esthétique. — « Wundt a eu l'ambition d'édifier
un système encyclopédique qui fût la synthèse originale du positivisme
et de l'idéalisme. Ce système peut être caractérisé dans ses principaux
aspects comme un réalisme critique, un idéalisme humanitaire et un
volontarisme métaphysique. Puisant ses matériaux dans toutes les
sciences positives, il les utilise et les combine à l'aide d'une large et
solide méthode d'induction rationnelle. Il rappelle par le style général
de son architecture le grand romantisme philosophique, mais il cherche
à reproduire par la variété des lignes l'infinie complexité de l'évolution
spirituelle. >Opp- 346-371.
REVUE NÉO-SGOLASTIQUE. Mai. — C. Piat. De rintuilion en Ihéo-
dicée. (De quelque manière qu'on envisage l'argument ontologique, le
raisonnement ne conclut pas, car on ne découvre jamais que du logique
dans ridée de Dieu. Nous ne trouvons pas Dieu dans nos idées comme
le pensait Malebranche, nous remontons par elles jusqu'à lui. Dieu est
la raison suprême des possibles ; ils se fondent sur l'immutabilité de
son essence.) pp. 173-203. — G. Sentroul. La vérité dans l'art. (L'abs-
traction qui juge le réel en y relevant un attribut spécial, la conver-
gence qui y met en valeur l'attribut relevé, la transcendance qui
porte directement sur l'idéal d'un type, permettent et condi-
tionnent la justesse et la véracité de l'œuvre qui exprime la concep-
RECENSION DES REVUES 651
tion artistique.) pp. 204-230. — C. Nys. A propos du composé chimique.
(Défend contre le R. P. Gredt la thèse de l'hétérogénéité du mixte.)
pp. 231-249. — A. Gemelli. Le fondement biologique de la psychologie.
(Les progrès et les perfectionnements de l'usage de l'expérience en
psychologie ont produit le phénomène inverse de celui qu'attendaient
les partisans de la réduction moniste de la psychologie à la biologie.
L'introduction de l'expérience en psychologie, au lieu d'arriver à infir-
mer les résultats de l'observation interne et à exclure la spéculation, a
montré encore mieux la nécessité de ces deux voies pour arriver à la
connaissance de l'âme humaine.) pp. 250-277.
REVUE PHILOSOPHIQUE. Avril. — D. Parodi. La morale des idées-
forces. (Analyse critique du livre de M. Fouillée : La morale des idées-
forces.) pp. 337-366. — A. Chide. Pragmatisme et intellectualisme. (Passe
en revue les diverses formes du pi'agmatisme. Bien que né d'une réac-
tion contre l'intellectualisme, le pragmatisme peut être inconséquent
avec lui-même et retourner à l'intellectualisme en restituant de la
rationalité dans l'action profonde ; mais le pragmatisme, s'il ne peut guère
s'interdire une logification illuminant l'action, doit bien spécifier que
cette logification — quelle qu'elle soit — ne répond à rien dans le réel
profond : elle « n'est qu'un compromis avec le génie mystérieux de la
Mâyâ. de rillusion idéaliste qui nous permet de parler et aussi d'agir
dans un ensemble harmonieux. ») pp. 367-388. — P. Gaultier. L'indé-
pendance de la morale (suite et fin). (L'auteur revendique la possibilité
de fonder une véritable science morale à partir du fait de la moralité,
positif, évident, donné dans l'expérience, et réfléchissant la loi profonde
delà nature humaine cherchant sa perfection. Science véritable, l'éthi-
que n'en est pas moins une science à part, différant des autres par la
nature de son objet, la certitude de ses conclusions et l'exigence qu'elle
a d'être confirmée par les sciences sociales, biologiques et physiques.)
pp. 389-409. ~- Mai. — Ch. Lalo. Les sens esthétiques (P"" art.) (Les arts
historiquement organisés ne s'adressent jamais directement qu'aux
deux seuls sens de la vue et de l'ouïe ; mais l'argumentation consacrée
dans les écoles d'esthétique à justifier le privilège de ces deux sens
n'est pas suffisante : elle n'aboutit qu'à mettre entre ceux-ci et les autres
sens une différence de degrés ; d'autre part la théorie de Guyau niant le
caractère spécifique de la vue et de l'ouïe est contraire aux faits esthéti-
ques.) pp. 449-470. — E, Bréhier. De Vimoge à Vidée : Essai sur le
mécanisme psychologique de la méthode allégorique. (La méthode allé-
gorique prend le mythe ouïe récit comme la donnée provisoire d'oii
l'on doit partir pour aller à la découverte de l'idée. On peut distinguer
deux cas limites entre lesquels toutes les formes de la pensée allégori-
santes peuvent se ranger : a) la forme confluente, dans laquelle la
pensée interprétant l'image se formule d'une façon précise et définitive ;
b) la forme diffluente, dans laquelle l'image est donnée spontanément ;
seulement elle se cherche à elle-même un au-delà de pensée qui la
complète, et cet au-delà ne s'exprimant pas en termes clairs et abstraits
reste indécis et fuyant parce que l'image, complète comme image, est
incomplète comme pensée.) pp. 471-482. — Bertrand Mertens. La genèse
652 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
psi/cholor/ique de la conscience morale. (L'auteur a recherche dans la
pathologie l'origine de cette évaluation qu'on appelle morale. » La
genèse de la conscience morale est due « à un fléchissement de cette
suite d'équilibres appelée santé ». La morale « procède d'une diffusion
des fonctions dans le métabolisme général de l'organisme >>.) pp. 483-o02.
= Juin. — P. SoLLiER et G. Banville. Passion du jeu et manie du jeu.
(Le jeu, sous ses aspects pathologiques, « se montre avant tout comme
un moyen de stimuler l'activité de l'individu, soit directement par le but
à atteindre ou le réveil de l'émotivité, soit indirectement en supprimant
les causes de dépression et d'inertie... Il est aussi une manière de
réaction mentale contre les causes qui tendaient à limiter et à diminuer
l'activité du sujet ».) pp. 562-576. — Ch. Lalo. Les sens esthétiques
(2*= art.) (Les sensations esthétiques ne sont pas esthétiques par elles-
mêmes elles le sont par la collaboration du sens musculaire. L'auteur
étudie le rôle du sens musculaire dans les sensations esthétiques.)
pp. 377-598. — Sageret. La cu7'iosilé scientifique. (Définition de la
curiosité ; étude de la curiosité sentimentale et de la curiosité intellec-
luelle ; esquisse de la formation et de l'évolution de la curiosité propre-
ment scientifique.) pp. 622-638.
REVUE DE PHILOSOPHIE. Avril. — J. GAtihMR. Fogazsaro et Rof-
miui. (La vie intellectuelle et morale de Fogazzaro est dominée par une
certaine interprétation de l'hypothèse évolulionniste, et l'exphcation
de cette hypothèse s'est révélée à son intelligence dans la philosophie
de Rosmini. L'auteur expose et critique les théories philosophiques de
Rosmini dont Fogazzaro s'est inspiré.) pp. 333-332. — L.-M. Rillia.
L'objet de la Psychologie. (Le véritable objet de la psychologie est le
vioi, ou l'âme. Aucun fait interne ne peut s'observer qui ne soit un fait
du moi : aucun ne peut se concevoir qu'à la condition d'être un fait du
moi.) pp. 353-371. — E. Peillaube. L'organisation de la Mémoire. III.
L'évocation des souvenirs. (Il faut distinguer l'évucation des souvenirs
passive ou automatique et l'évocation des souvenirs active qui dépend
de l'attention et de la volonté. Il y a deux sortes d'amnésies relatives à
l'évocation des souvenirs : l'obsession-interrogation ou folie du doute
et l'aphasie amnésique. L'auteur étudie, les conditions générales de l'évo-
cation volontaire réfléchie.) pp. 372-385. — P. Duuem. Le mouvement
absolu et le mouvement relatif {6" art.). (XII. Jean de Jandun.) pp. 386-
400. = Mai. — La Directiox. Programme d'études pour le problème de
la connaissance. {Exposé schématique des questions soulevées par ce
problème ; importance philosophique de celui-ci ; son actualité et son
opportunité.), pp. 449-462. — .\bbé J. Martin. Un poète philosophe.
(Expose et analyse les principales idées philosophiques de Sully-Pru-
dhomme.) pp. 462-179. — P. Duhem. Le mouvement absolu et le mouve-
ment relatif {-'^ art.) (XIII. Albert de Saxe.) pp. 486-498. — G. Dumes-
NiL. L œuvre critique de M. Pierre Lasser re. (Analyse critique des ou-
vrages de M. Pierre Lasserre : La morale de Nietzsche (1903) ; Le ro-
mantisme français, essai sur la révolution dans les sent'iments et les idées,
au XlX^siède ; Les idées de Nietzsche sur la musique.) pp. 499 509. ^=
Juin. — P.-J. CucHE. Le procès de l'absolu (i'^' art.). (Entreprend de
RECENSION DES REVUES 6ol^
reviser le procès inlenté à Vabsolii par la philosophie moderne. Dans
ce premier article, l'auteur relève la confusion et la contradiction des
sens donnés à la notion d'absolu par les savants et philosophes ; il
énumère les principaux absolus ou inconditionnés sur lesquels porte le
débat entre le spiritualisme et le monisme.) pp. 060-08]. — Georges
AiMEL. Individualisme et philosophie bergsonienne. (« Si l'individualisme
est impliqué déjà dans le pragmatisme, c'est dans la psychologie berg-
sonienne qu'il trouve sa plus complète et plus précise expression.
L'auteur de V Essai sur les données par sa notion de la durée pure, éta-
blie par lui, rend pleinement intelligible l'idée de ce moi, formant un tout
fermé... dont l'action, pourrait-on dire, n'est qu'une des modalités. »)
pp. 382-593. — H.lvRBO. Psychologie de l'Équilibre du Corps humain.
(l^"" art.) Étudie le sentiment de l'équilibre, la conservation de l'équi-
libre, les excitations périphériques déterminantes de l'équilibre.)
pp. 594-606. — P. DuHEM. Le Mouvement absolu et le mouvement relatif.
(XIV. L'École de Paris ; Marsile d'inghen, Pierre d'Ailly, Nicolas de Or-
bellis, Pierre Tataret. La théorie du Lieu dans les universités alle-
mandes : Conrad Summenhard, Grégoire Reisch, Frédéric Sunczel.)
pp. 607-623.
REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE. 1" Avril — L. de Grand-
maison. Le développement du dogme chrétien. (Expose les théories du
développement chez les protestants libéraux : Ad. Harnack, Aug. Saba-
lier et chez les catholiques : J. de Maistre, Mœhler, Gûnther, Newman.)
pp. 5-33. — E. Mangeinot. m. Guignebert et le Nouveau Testament. (Les
difficultés textuelles énumérées par M. Guignebert sont résolues par les
critiques de profession, et l'établissement du texte est presque entière-
ment assuré ; la discussion ne porte plus que sur un petit nombre de
passages.) pp. 34-41. = 15 Avril. — L. de Grandmaison. le développe-
ment du dogme chrétien. Expose les théories du développement à base
scolastique chez Franzelin et à base non scolastique chez MM. Loisy,
Tyrrell, Maurice Blondel.) pp. 81-104. — E. Maxgenot. M. Guignebert et
le Nouveau 7'es/amen^ (Réfute les objections de M. Guignebert contre
l'authenticité des livres du >'ouveau Testament, la contradiction des
Évangiles, leur désaccord doctrinal, l'inerrance du Nouveau Testament.)
pp. 105-124. = 1^'' Mai. — J. V. Bainvkl. Un essai de systématisation
apologétique. (Exposé critique de l'ouvrage du P. Gardeil {La Crédibi-
lité et r Apologétique.) Pour le P. Gardeil, la crédibilité relative repose
sur des motifs de pure probabilité spéculative auxquels doivent s'ajou-
ter des suppléances subjectives ; pour M. Bainvel, les suppléances sub-
jectives ne peuvent renforcer la crédibilité objective ou la suppléer, il
faut des raisons de croire valables en soi.) pp. 161-181. — E. Mangenot.
J/. Guignebert et le Nouveau Testament. (« Ni dogmes, ni rites, ni
Église, concluait M. Guignebert, telle nous paraissait devoir être la
conséquence logique de ce que les Évangiles nous laissent entrevoir du
caractère de Jésus, de l'esprit et des tendances de sa doctrine ». Cette
conclusion n'est pas confirmée par un examen direct, approfondi, de
tous les textes. M. Guignebert n'a pas étudié sérieusement les sujets
qu'il traite. Sur chacun d'eux il a lu quelques ouvrages récents, ceux de
654 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÊOLOGIQUES
M, Loisy, de M. Jean Réville par exemple, qu'il ne s'assimile même pas^
à qui il emprunte un petit nombre d'arguments sans toujours les bien
comprendrH.) pp. 181-203. = 15 Mai. — J. Lebretox. L'Église et la
Papauté, d'après M. Guignebert. (Réfute l'erreur de M. Guignebert
prétendant que le Christ n'a ni voulu ni prévu l'enseignement dogma-
tique de l'Église, ses sacrements, sa hiérarchie et que l'histoire dément
les droits de la papauté.) pp. 241-268. = 1" Juin. — J. Y. Bainvel. Un
essai de systématisation apologétique. (Exposé critique des idées du
R. P. Gardeil sur l'objet de l'Apologétique et la Théologie apologétique.
Selon M. Bainvel l'Apologétique du probable ne saurait sans cercle
vicieux recourir à la foi pour engendrer la certitude.) pp. 321-336. —
G. Michelet. Une récente théorie française sur la religion. (Expose la
théorie sociologique de la religion, esquisse les idées maîtresses des
prédécesseurs de cette théorie : A. Comte, Guyau, Wundt.j pp. 268-283
et 337-346. — J. Touzard. M. Guignebert et l Ancien Testament. (Signale
les erreurs de fait de M. Guignebert sur le Pentateuque.) pp. 346 357.
= 15 Juin. — L. DE Graxdmaisox. Le développement du dogme chrétien.
(Analyse la notion de dépôt révélé, et prouve l'immutabilité du dogme,
par les textes du Nouveau Testament, le témoignage des Pères et celui
du magistère ecclésiastique.) pp. 401-436.
REVUE (LA) DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET LA SCIENCE
CATHOLIQUE. AvriL — L. Grimal. De la compensation du mal par le
bien. (Il importe à la gloire de Dieu et aussi à l'honneur de ses créa-
tures, qu'après le relèvement des coupables, ceux-ci purifiés et renou-
velés puissent faire plus de bien qu'ils n'avaient auparavant fait de mal.)
pp. 385-395. — Ch. Gombault. Le sentiment religieux et la psijcho-phg-
siologie. (Dans l'état de dédoublement, si un dialogue s'engage entre les
deux personnalités, elles se parlent comme deux inconnues. Or les dia-
logues de sainte Thérèse sont remarquables par leur esprit de suite,
leur parfait accord.) pp. 396-406. — C. Daux. Saint Augustin et le Culte
Mariai en Afrique. (On ne trouve chez S. Augustin ni traité particulier,
ni ouvrage spécial sur la Vierge Marie. Néanmoins, on peut extraire de
ses œuvres tout le dogme mariai. Cet enseignement est renfermé soit
dans les instructions aux fidèles d'Hippone, de Carthage et d'autres
Églises africaines, soiL dans la réfutation des hérésies alors répandues,
soit dans les solutions qu'il fournit à des amis, à des confidents.) pp.
407-422. — X. Lévrier. La Pdque juive et VEquinoxe du printemps. (La
Pàque juive devait se célébrer après l'équinoxe du printemps tel qu'il
était déterminé alors et accepté par la nation juive. Jésus est mort le
jour légal de la Pàque juive, le xiv^ jour de la lune et le 22 Mars.) pp.
423-444. =Mai. — J. Foxtaixe. Sociologie scientifique: ses conséquences.
(Critique l'état actuel du triple prolétariat agricole, industriel et intel-
lectuel, créé par la démocratie.) pp. 473-512. — C. Daux. Saint Augustin
et le Culte Mariai en Afrique. (Recherche dans les écrits de S. Augustin
les principaux textes relatifs à la Virginité, au Mariage, à la Maternité
virginale de Marie.) pp. 513-528. — Cii. Gombault. Le sentiment reli-
gieux et la psgcho-physiologie. (L'état d'âme de sainte Thérèse est diffé-
rent de celui des automates, l'hypothèse de l'automatisme psycholo-
gique ne saurait donc expliquer ses états mystiques.) pp. .529-541.
RECENSION DES REVUES 6SS
REVUE THOMISTE. Mars-Avril. — R.P. Bonhomme. Le sens biblique
du théologien. [ Le vrai sens biblique du Ihéologien est le sens lilléral.
Seul le sens littéral exprime en directe et première ligne « ce que Dieu
a dit » et peut en conséquence servir de base à un argument tliéoio-
gique.) pp. 5-30. — R. P. Hugon. La profession religieuse et les œuvres
d'apostolat et de charité. (Faire renoncer un profès à ses vœux sous pré-
texte de l'appliquer aux œuvres serait profaner une âme que la profes-
sion a consacrée, diminuer les mérites d'une vie que la profession a
orientée vers le ciel, amoindrir la valeur satisfactoire d'un sacrifice dont
la profession a fait un holocauste.) pp. 31-45. — Dom Olivieri, 0. S. B.
Priyicipium qui et loquor vobis. (Rectifie la traduction de la Vulgate en
donnant à rhv àpyj,y sa signiftcation primitive de prius, antea, in prin-
cipio. On obtient alors la version snisanie : Dixeral eis Jésus antea :
quia sane loquor vobis.) pp. 46-o6. — R.P. Montagne. Théorie de Vaulo-
matisme conscient : L'homme est-il un automate à reflet mental ? (Incon-
testable en théorie, la loi d'économie et de simplicité est pratiquement
dune application très délicate et difficile. Il n'est pas facile de décou-
vrir le simple sous le complexe. Le grand point est de rattacher les
phénomènes à leurs vrais déterminants et à leurs causes proportionnées.
C'est ce que ne font pas les psychologues qui expliquent les faits psy-
chiques par l'automatisme organique.) pp. 57-69. = Mai-Juin. — R. P.
PÈGUES. L'évolution créatrice. (Expose les idées essentielles de l'ouvrage
de M. Bergson, montre que parler d'évolution créatrice pour expliquer
philosophiquement toutes choses, exclure l'être transcendant et la pro-
duction par cet être transcendant de l'être auquel s'oppose le non-être,
pour ne poser qu'un élan qui se poursuit et évolue, c'est nier toute rai-
son et se vouer aux pires erreurs), pp. 135-163. — R. P. Garrigou-La-
GRANGE. Le sens commun, la philosophie de l'être et les formules dogma-
tiques. (Le sens commun, selon M. Le Roy, n'est pas une philosophie
rudimentaire, mais une organisation utilitaire de la pensée en vue de
la vie pratique. Gonséquemment, les formules dogmatiques devant
s'interpréter comme écrites en termes de sens commun « n'enveloppent
qu'une pensée toute pratique elle-même.» — L'auteur montre dans cette
théorie du sens commun une conséquence rigoureuse du nominalisme
ou sensualisme bergsonien, qui est la négation de la raison et peut-être
même de la conscience. Exposera la théorie classique ou conceptua-
lisle-réaliste du sens commun qui voit en lui une philosophie rudimen-
taire de l'être, opposée à la philosophie du phénomène et à celle du de-
venir.) pp. 164 186.
RIVISTA FILOSOFICA. Mars-Avr. — B. Varisco. La Creazione. (Criti-
que de l'ouvrage de II. Bergson « L'Évolution Créatrice ». Ses princi-
pales thèses, en particulier celles qui concernent la nature de l'intel-
ligence, sont déclarées fausses.) pp. 149-180. — N. Forxelli. // nuovo
individualismo religioso. (Suite et fin). (La difficulté qu'éprouvent les
hommes à la fois croyants et initiés aux sciences à concilier leur foi et
leurs idées, les amène à considérer la religion comme une question
personnelle qui ne doit pas franchir les limites de la conscience indivi-
duelle. Cet individualisme, qui n'est qu'un affranchissement légitime,
()o6 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
a été provoqué par la pression intense exercée par un pouvoir spirituel
fortement centralisé.) pp. 181-209. — A. Levi. La Psicologia délia espe-
rienza indi/fevenziata di James Ward (suite, à suivre.) (Exposé des idées
de Ward sur l'association des images, la mémoire, l'imagination, le
sentiment.) pp. 210-224. — A. Tilgher. Bramanesimo, Buddismo e Cris-
tianesimo (à suivre). (De la dualité reconnue par la philosophie des
Upanishad, le Bouddhisme ne conserve qu'un terme, le monde. Il rejette
l'Âtman ou essence inconnaissable des choses, comme un concept inu-
tile, incapable de servir de fondement à la morale. Le monde n'est dans
ce système qu'une apparence subjective qui a pour cause la volonté de
vivre ; en supprimant celle-ci on entre dans le Nirvana.) pp. 223-246.
— P. F. NicoLi. Psicologia e Linguislica. (Critique quelques conceptions
psychologiques élaborées par l'onomasiologie, discipline nouvelle qui a
pris naissance dans le domaine de la linguistique romane.) pp. 247-261.
RÎVISTA STORICO - CRITICA BELLE SCIENZE THEOLOGICHE.
Avril. — G. N. Sola. // teslo greco inedilo delta legenda di Teofilo di
Adana (suite et fin). (Texte grec de la légende d'après le man. vatic. 790
collationné avec plusieurs autres codd. (Vienne, Paris, Xaples). Le
travail se termine par des renseignements bibliographiques sur les
diverses rédactions du texte de la légende et sur les ouvrages à con-
sulter.) pp. 257-280. — B. Stakemeier. La dollrina di Terlulliano sul
battesimo e sulla cres?ma. (Définition, matière, forme des sacrements de
Baptême et de Confirmation d'après les œuvres de Tertullien.) pp. 281-
298. = Mai. — U. Fracassini. Le origini del canone del Nuovo Tesla-
menlo [k snivre). (L'origine du Canon du Nouveau Testament ne coïn-
cide pas avec l'origine des livres qui le composent. Sa formation a
marché de pair avec l'organisation hiérarchique de l'Église. Le tétra-
morphe s'est constitué en Asie. Il a passé de là en occident. Le contenu
et laulorité en sont nettement définis à la fin du second siècle. Trois
apocryphes ont fait concurrence aux évangiles canoniques : ce sont les
évangiles selon les Hébreux, selon les Égyptiens et selon Pierre.) pp. 349-
368. — \. Ennoyi. La ci'istologia degli Alli degli Apostoli. (Le symbole
christologique des Actes comprend trois articles fondamentaux : la
crucifixion de Jésus, sa résurrection, sa mission de juge universel. Les
Actes présentent donc le Christ comme le Messie prédit par l'Ancien
Testament, sans apporter une alTirmalion évidente et précise de sa divi-
nité.) pp. 369-383. — E. Buonaiuti. Giovanni di Salisbunj e le Scuole
filoso/îche del suo tempo. (Sugemeal de Jean de Salisbury sur les ten-
dances philosophiques de son temps, spécialement d'après le metalogi-
con, et sur l'état de la cour romaine.) pp. 384-496. = Juin. — U. Fra-
cassini. Le origini del canone del ]\uovo Testamento (suite et fin).
(Les lettres de saint Paul réunies en collection (apostolicum) sont ré-
pandues dans l'Église à la fin du second siècle. L'accord n'est pas una-
nime sur l'origine paulinienne et sur la canonicité de l'épître aux
Hébreux. Parmi les épîtres catholiques, l P. et / /. ont été seules
l'objet d'une reconnaissance universelle et ont pris place dans le canon,
avec les Actes, à côté de l'Apostolicon. Pendant un certain temps, l'É-
glise d'occident a admis un canon apocalyptique qui comprenait : le
RECENSION DES REVUES t)57
Pasieur, l'apocalypse de saint Pierre et celle de saint Jean. Cette dernière
seule s'est maintenue. L'origineromaine du Canon du Nouveau Test.t-
ment est assez probable.) pp. 43;3-445. — B. Stakemeier. La dollvina di
Terlulliano suisacramenti in génère. (Signification du terme « sacramen-
tum >) chez Tertullien. Dans quelle mesure TertuUien connaît-il les
sacrements au sens actuel du terme. Le sacrement comme signe visible ;
formule qui accompagne l'acte visible. EfTets du sacrement. Explication
du lien de causalité qui existe entre le signe visible et la grâce. De la
cause efficiente des sacrements. Les sacramentaux.) pp. 446-466. —
G. Meloni. Iinbalsamazione preventiva e Me. XIV, 3 segg. (L'épisode de
l'Évangile raconté en J/c. JTiF, 3 sv. pourrait être expliqué par une
coutume arabe d'après laquelle un homme sûr de mourir procédait
à un embaumement préventif de son propre corps.) pp. 490-496.
SCUOLA CATTOLICA (LA). AvriL — C. Ohsenigo. Buddismo e Cris-
lianesimu (à suivre). (Religions prébouddhistes : védisme et brahma-
nisme. Bouddhisme : livres sacrés, doctrines, monachisme, culte,
diffusion. A côté de lui d'autres religions connues sous le nom général
d'Hindouisme, dont le caractère est de se rendre accessibles aux classes
inférieures. L'Hindouisme est contenu surtout dans le Mahâbàrata.)
pp. 384-406. = Mai. — C. Orsenigo. Buddismo e Crislianesimo (fin).
(Malgré certaines ressemblances historiques, doctrinales, morales et
cultuelles, le Christianisme garde vis-à-vis du Bouddhisme des diffé-
rences trop profondes pour qu'on puisse voir sur lui l'influence de ce
dernier.) pp. 492-.511. = Juin. — E. Love. Saggio sutle ovigini délie
proibizioni alimenlari degli Ebrei. (A propos de Lev., XI, Deul., XIV.
<ï 1'^ Les prohibitions alimentaires ne sont pas dues à une cause ration-
nelle qui aurait poussé les hommes à porter de telles lois (hygiène,
conservation du culte, défense contre l'idolâtrie). — 2*^ Le concept
d'impureté est un concept corrélatif à celui de chose sainte. — 3" Les pro-
hibitions alimentaires eurent une première origine naturelle sur laquelle
se greffa peu à peu l'élément surnaturel. — 4" La genèse des impuretés
alimentaires n'est en rien distincte des autres impuretés. ») pp. 598-611.
SLAVORUM LITTERAE THEOLOGICAE. 2. — 0. Zidek. De Ecclesioe
cathollcitate. (Durant les quatre premiers siècles le sens du mot «catho-
lique » n'a pas été uniforme. Pourtant on peut dire qu'il signifie alors
directement l'unité de l'Église du Christ, obtenue par l'identité de
doctrine et l'union hiérarchique ; indirectement : ou bien l'Église
dans sa totalité, ou dans son universalité. C'est saint Augustin qui a
insisté surtout sur ce second élément.) pp. 112-125. — A. Splaldak,
De Sacramenlo Poenilenliae, Th. VU. (Pour la rémission des péchés
véniels, la contrition parfaite î^ufTit, si elle s'étend-à eux au moins
virtuellement. Chez le juste, l'altrition, dans les mêmes conditions,
produit probablement le même effet, pourvu qu'elle exclue la volonté
de commettre le même péché. Une contrition (formelle ou virtuelle)
est toujours requise ; le vœu de soumettre ses péchés aux clefs ou
d'émettre un acte de contrition formelle ne l'est jamais.) pp. 125-137. —
P. SiNTHERN. De causa papae Liherii. (Les témoignages invoqués contre
le pape Libère, ou sont faux, ou sont d'hommes mal renseignés. En tout
2e Année. — Revue des Sciences. — No 3. 42
658 REVUE D^'S SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
cas, on ne peut rien lui reprocher au point de vue dogmatique.)
pp. 137-183.
TEYLER S THEOLOGISCH TIJDSCHRIFT. 2. — I. J. de Bussy. De
Nieuwste Denkrichling. (Expose les points saillants de la doctrine prag-
maliste, d'après le dernier ouvrage de W, James.) pp. 192-218.
THEOLOGISCHE QUARTALSCHRIFT. 2. — P. Riessler. Wo lag dais
Paradies? (Des textes cunéiformes, il ressort que, «dès la plus haute
antiquité, avant la dispersion des peuples sémitiques, le paradis terres-
tre avec Farbre de vie, l'arbre de vérité et le serpent, avait été placé
dans le pays de l'Euphrale supérieur. Lui aussi le rédacteur du récit
biblique se figurait que le Paradis était situé dans la contrée où tous
les Sémites le cherchaient dès les âges anciens, dans la contrée de la
courbe de l'Euphrate, à l'actuelle Balès, près de la place de l'ancienne
Eraziga ou Uru-azagga, la ville sainte. ») pp. 169-182. — A. Schllte.
]Jie aramahche Bearheilung des Bùchleins Tobios verglichen mil dem ]'ul-
gatalexl. (Traduction allemande du remaniement araméen du Livre de
Tobie, déjà publié en anglais dès 1878. De la comparaison de ce texte
avec la Vulgate il ressort que tous deux ont tme source commune.
L'araméen rend mieux la tournure hébraïque ; tous deux ont pris des
libertés avec le texte, il est difficile d'établir en quelle mesure.) pp. 182-
204. — J. IIONTHEIM, S. J. Die Abfolge der evangelischen Perikopen im
Diatessaron Tatians (à suivre). (Le Diatessaron de Tatien nous est par-
venu dans diverses recensions : syriaque, arabe, latine et greciiue.
11 offre de grandes ressemblances avec les Synopses d'Âmmonius et
d'Eusèbe. Prenant comme base saint Mattliieu, il forme une vie de Jésus,
suivant l'ordre chronologique. État du texte de saint Matthieu, de saint
Jean, de saint Marc.) pp. 204-255.
ZEITSCHRIFT FUR DIE ALTTESTAMENTLIGHE WISSENSCHAFT.
Heft 2. — Fr. Kuechler. lahwe und sein Volk nach Jeremia. — (Les
rapports de Jahwé et de son peuple reposent sur le don de la terre de
Chanaan, la libération d'Israël de l'Egypte, un herith, ou alliance parti-
culière : Jabwé est le père et l'époux. — Il pourvoit donc aux besoins de
son peuple ; celui-ci, en retour, doit l'honorer ; mais chez Jérémie la
forme morale de ce culte domine beaucoup les préoccupations cultuelles ;
peu ou point de rapports avec le Deuléronome, qui n'est pas le Thora
dont parle le prophète. Contrat rompu en raison des fautes du peuple,
de sa dépravation, et de la pratique du culte des Baals, qui n'est autr^
qu'une corruption du Jahwisme, sous des influences chananéennes ;
aussi Juda doit-il être détruit par l'ennemi du Nord, les Scythes, puis,
cette première menace ne s'étant pas réalisée, par les Chaldéens. — Le
prophète espère toujours un renouvellement de l'alliance : mais, théo-
riquement du moins, il n'a pas dépassé la conception nationaliste de la
religion.) pp. 81-109. — E. Baumann. VT und seine Derivate. (IL Emploi
de ri" dans la littérature prophétique, I Sam., Osée, Isaïe, Jérémie,
Deutéroïsaïe, Ézéchiel, et de nrn au sens absolu, dans les livres sapien-
tiaux. Nombreux exemples pour démontrer les conclusions de l'auteur
dans la première partie de son étude (Heft I).) pp. 110-143. — H. Rosen-
RECENSION DES REVUES 639
BERG. Aotizen ans der tanuailiscJien IJternlur ûher das Geschlechl der
hehràischen Hauptivc'rter. pp. \ii-]ïl. — Barth iind Nestlé Miscellen.
pp. ] i8-]52. — Bibliographie.
ZEITSCHRIFT FUR KATHOLISCHE THEOLOGIE. 2 — L. Szeze-
PANSKi, S. J. Der Durchzug der Israetiten durch das Rote Meer. (Essai de
solution. A. Examen ci'ilique du texte de V Exode 14, 21, 22, 29,
d'après le texte original et les plus anciennes versions. B. Explication
de ce texte : Caractères du fait rapporté : a) il est historique, fj) il est
miraculeux (praeter naiuram). Le mot hébreu ntûTn a dans ce texte la
signification de défense, retranchement, en général, plulùt que la signi-
fication plus particulière de murailles, remparts. C. Détermination
géographico-lopographique de l'endroit du passage des Hébreux.
Hypothèses vieillies et abandonnées ; hypothèses modernes et accep-
tables : une première se prononce pour les environs de Suez (Vigou-
roux) ; une autre désigne les lacs amers, y compris le lac Timsâh
(P. Lagrange). L'une et l'autre a ses difficultés; ces difficiillés sont
moindres dans la dernière hypothèse. La réponse certaine dépend de
la détermination de Migdol. — Comme conclusion, un aperçu général
de l'événement raconté dans ce texte Ex. XIV, 2i sq.) pp. 230-253. —
D"" Fr. ScnMiD. Die Gewalt der Kirche hezûglich der Sakramente (suite
et fin). (Les dispositions que prend l'Église relativement à la matière
des Sacrements, les changements qu'elle a apportés à la forme de
plusieurs sacrements, prouvent qu'elle peut décider de la validité et de
la non-validité de ceux-ci. Portée de la thèse : conçue dans une certaine
limite assez étroite, elle a un degré de probabilité tel qu'un théologien
sérieux doit en tenir compte. Solution de quelques objections. Force
des divers arguments proposés. )pp. 254-288. — B. Jansen, S. J. Die Defi-
nilion des Konzils von Vienne : Substantia animae rationalis seu i^itellec-
fivaè vere ac per se humani corporis forma. P' art.: Die Entslehung
und Bedeutung der Dégriffé Materie und Form in der Scholaslik bis zum
Konzil. (Les notions de matière et de forme appliquées au corps et à
l'âme sont d'origine aristotélicienne. Toutes les écoles étaient d'accord
pour dire que matière et forme sont principes substantiels mais incom-
plets, formant par leur union une substance complète. Grand innova-
teur fut saint Thomas en établissant les deux principes de l'indétermi-
nation de la matière première et de l'unicité de la forme. Sa doctrine
souleva des luttes violentes surtout à Paris et à Oxford et dans son
propre ordre. En celui-ci la doctrine thomiste devint obligatoire au
chapitre de Milan en 1278. Jusqu'au Concile de Vienne et encore après
le principe de la pluralité des formes fut maintenu dans la majorité des
écoles.) pp. 2H9-306. — Analekten. SebastianHAiDACBER. Pseudo-Chrysos-
tome: Die Homilie ûber Mt. 21, 23. (Cette homélie fut considérée
jusqu'à ce jour comme un bien sans maître. Elle est certainement
l'œuvre de Sevérien de Gabala, à voir la Parallela Rupefucaldina. Un
passage de cette homélie est important pour Ihistoire du Canon, notam-
ment pour la canonicité de la 2^ et 5" Joannis. Sevérien la prêcha
probablement à Antioche.) pp. 410-413.
ZEITSCHRIFT FUR DIE NEUTESTAMENTLICHE WISSENSCHAFT.
6(î0 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
2. — P. CoRSSEiN, Ueber Begri/f iind Weseii df's Helhuismus. (Contre
Wendiand insisle sur ce que les éléments constitutifs de IHellénisme
sont antérieurs à Alexandre. Signale comme phénomène caractéristique
de l'Hellénisme la traduction en grec d'œuvres étrangères. Estime
qu'une certaine école restreint à l'excès l'influence de l'Héllénisme, en
particulier sur le Judaïsme et le Christianisme et accorde trop aux influ-
ences orientales. ) pp. 81-95. — E. Wendling. Synoplische Studien{sn\\.e).
( L'épisode du Centurion de Capharnalim est l'œuvre propre de Matthieu.
La narration proprement dite a été composée d'après deux récils de
Marc : le paralytique de Capharnaiim et la fille de Jaïre. Le discours de
Jésus vient de Q. Luc a emprunté cette péricope à Matthieu.) pp. 1)6-
109. — E. BuRGGALLER, Das lilerarische Problem des HehràerOriefes.
(L'épître aux Hébreux est un discours d'abord prononcé puis mis par
écrit et envoyé ensuite à une Église.) pp. 110-131. - G. Klein. Die
Gebele in der Didache. (Les prières des premières Communautés, celle
que renferme la Didachè en particulier sont tout ensemble chrétiennes
par leur contenu et juives par leur forme. La prière du ch. ix, 2, corres-
pond à la kidduch juive ; celle de ix, 3-4, à la birkalh hammozi ou
bénédiction du pain ; celle du ch. x, 2-5, à la birhath hcnnmason ou
bénédiction de la table. Le repas dont il est question au ch. ix ne serait
pas le repas du Seigneur et se serait tenu le vendredi soir. Les prières
de ce repas seraient donc rigoureusement une kidduch chrétienne.) pp.
132-146. — J. Chapman, O.S.B., On llie date of the Clémentines, II. (o.
Les Clémentines n'ont pas de Sources ; 6, Les Clémentines ne sont pas
une œuvre Ébionite ; 7, La Discipline de l'arcane dans les Clémentines ;
8, La situation de l'évêque de Jérusalem : 9, Jamblique et les Clémen-
tines.) pp. 147-159. — Fr. Spitta, Der Satan als Blitz. (Il s'agit du
logion rapporté Luc X, /S. Jésus n'y parle pas d'une chute mais d'une
intervention hostile de Satan dans les choses de la terre.) pp. 160-
163. — A. Andersen. Zu Joh. 6, 5lb ss. (Trouve dans ces versets une
conception de l'Eucharistie postérieure à saint Ignace. Et puisque l'on
estime que l'Évangile de Jean n'a pu être composé après 110 ou 12.!),
l'on doit tenir ces vv, pour inauthentiques.) pp. 163-1G4. -A. Ander-
sen, Zu der Aùrpon-Slelle. (Argue de la manière d'interpréter la
mort de Jésus dont témoignent L Clem ad Cor. 16, l'épisode de Phi-
lippe et de l'eunuque d'Ethiopie, la prédication des Apôtres, Luc .24-26
que le logion Marc X, 4ô, Malt. XX, 2S, est d'origine tardive.) pp 164-
166. — A. BiscHOFF, Exegetische Uandbemerkungen. (Notes sur divers
passages desÉpîlresde Jean, de Paul, de Pi'^rre, aux Héb. et de l'Apoca-
lypse.) pp. 166-172. — A. SuLZBACii. Zum Oxijrhynchus - Fragmoit (Cor-
rige diverses interprétations proposées par les éditeurs de ce fragment.
Il n'est pas question d'une piscine de David, ni non plus de chiens
et de porcs mais de ronces el d'une espèce de poissons.) pp. 175-176.
Le gérant : G. Stoffel.
Superionnn permisse.
De Ucentia Ordinarii.
1-;P. DliSCLÉE. DE BROUWER ET C*e, UIXB. — 4.619.
La Philosophie et la Foi
chez Albert-le-Grand
Albert de Bollstaedt, né en 120G, entra, à l'âge de 16 ans, dans
l'Ordre des Fre^-es Prêcheurs, y fit ses études et devint bientôt
lecteur, c'est-à-dire professeur, d'abord à Cologne, puis au Cou-
vent de Saint-Jacques, à Paris (1245-1246), et derechef à Colo-
gne, où il eut Thomas d'Aquin pour disciple. Évêque de Ratis-
bonne en 1260, il dut se mêler à tant d'affaires temporelles que,
pour retourner à ses chères études, il résigna sa charge et redevint
professeur, dès 1262. Entre temps, il s'acquitta d'une mission
pontificale en Allemagne et entreprit de longs voyages. Ainsi,
il s'était rendu à Rome, en 1250, pour défendre son Ordre contre
Guillaume de Saint-Amour; à Valenciennes en 1259, pour prendre
part à l'élaboration d'une constitution sur les études chez les
Prêcheurs; à Paris, en 1270, pour soutenir de son influence
Thomas d'Aquin dans sa lutte contre les Averroïstes. U assista
au deuxième Concile général de Lyon en 1274, et revint à Paris
en 1277, pour y défendre les doctrines de son grand disciple,
censurées par l'évêque Etienne Tempier, et attaquées par les
professeurs séculiers. Mais la grande occupation d'Albert, ce
fut son œuvre scientifique, dont la partie publiée, — des traités
importants sont encore inédits, — ne remplit pas moins de 38
volumes in-4o. Chargé d'années et de gloire, Albert mourut en
1280 (1).
1. Pour la biographie, voir surtout J. Sighart, Alhertus Magnus. Sein
Leben und seine Wissenschaft. Regeusburg, 1857 — et l'article Albert le
Grand du P. Mandonnet dans le Dich'oiinairc de Théologie de l'ablx'' Vacant,
où l'on trouvera l'indication des œuvres d'Albert et une diligente bibliogra-
phie, à laquelle s'est ajouté depuis l'ouvrage suivant très important pour la
connaissance de la psyclinlogie d'Albert : Dr. Arthur Scunkider. Die Psy-
chologie Alberts des Grossen, 1er Xeil. {Brifràge zur Geschichtc der Philos, des
MiUelaltcrs, herausu;. vou Dr. Cl. Baeumker u. Dr. v. Hertlint.. Bd. IV,
Heft. 5). Miinster, 1903. Nous nous servons, faute de meilleure, de l'édition
de Borgnet, Paris, Vives, 1890 ssq., 38 vol. in4o.
2^ Année. — Revue des Science.s. — No 4. 43
662 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
« L'action intellectuelle exercée par Albert sur le moyen âge
a été probablement de toutes la plus puissante, sans en excepter
celle de Thomas d'Aquin, qui, étendue à un domaine moins
vaste, a été plus profonde et plus durable » (1). Objet d'admi-
ration pour ses contemporains et même ses adversaires (2), il
a été honoré du titre de Grand par la postérité reconnaissante.
Cette étonnante célébrité s'explique par l'immense service qu'Al-
bert rendit au moyen âge en portant à sa connaissance l'ensemble
de la science grecque, latine et arabe, réunie dans une vaste
encyclopédie où l'abondance des matières déborde quelquefois
le cadre tracé par Aristote et les péripatéticiens. L'œuvre d'Al-
bert, malgré les imperfections qui en troublent parfois l'ordon-
nance, et malgré l'opposition qu'on lui fit, a atteint son but (3) :
elle a vulgarisé Aristote en le christianisant.
L'admiration d'Albert n'est pas exclusive, et souvent elle as-
socie Platon à Aristote : « Il faut savoir, dit-il, que l'homme ne se
perfectionne en philosophie que par la connaissance des deux
philosophies d'Aristote et de Platon » (4). Aristote est la grande au-
torité en philosophie, mais non pas au point de supprimer la cri-
tique et même la contradiction (5). Quelquefois, Albert corrige
le Stagirite par Platon (6), et plus souvent encore, il s'efforce de
concilier leurs deux philosophies (7). En théologie, il est resté au-
1. ÎNIandonnet. Article Albert le Grand. Dictionnaire de théologie, § III.
2. Roger Bacon. Opéra. Editio Brewer, 327. « Homo studiosissimus est et
vidit infinita et habuit expensuin; et ideo multa potiiit colligere in pelago
actorum iufinito. » — Siger de Brabant. De anima intcllectiva, III, p. 94.
« Praecipui viri in philosophia Albertus et Thomas. » Apud Mandonnet,
ibid.
3. Phijsic. lib. I, tract. I, cap. 1, Borgnet, t. 3. p. 2. « Nostra intentio
est omnes dictas partes (physicam, mathematicam et metaphysicam) facere
Latinis intelligibiles. »
4. Metaplnjs., lib. 1, tract. V, cap. XV. Borgnet, t. 6, p. 113, a. « Scias
(fiiod non perficitur homo in philosophia, nisi ex scientia diiarum philoso-
phiarum Aristotelis et Platonis. »
5. Physic, VIII, tract. I, cap. XIV. Borgnet, t. 3, p. 553. « Dicet autem
fortasse aliquis nos Aristotelem non intellexisse, et ideo non consentire verbis
ejus, vel quod forte ex certa scientia contradicamns ei quantum ad hominem,
et non quantum ad rei veritatem : Et ad illum diciraus quod qui crédit
Aristotelem fuisse Deum, ille débet credere cpiod nunquam erravit. Si autem
crédit ipsum esse hominem tune procul dubio errare potuit sicut et nos. » —
Cf. aussi In IV Metaphys., tract. III, cap. 2. Borgnet, t. 6, p. 236-237.
6. Sum. throlog., II, tract. I, quaest. IV, art. 5. Borgnet, t. 32, p. 96 B.
« Et quod dicit Aristoteles quod omnes philosophantes hoc posuerunt, falsum
dicit; quia Plato qui inter philosophantes fuit praecipuus, oppositum dicit. »
7. De natiira et origine animae. Tract. I, cap. II. Borgnet, 9, p. 378.
« Ncc est differontia inter Platonem et Aristotelem in re aliqua sed tantum
in modo... »
LA l'HILOSOPIIIE ET LA FOI 663
gusthiieii pour le fond des idées (1), quoiqu'il y cite d'iimombra-
bles fois Aristote et ses commentateurs arabes ou juifs.
Si la connaissance des autorités auxquelles Albert se réfère ha-
bituellement aide à mieux comprendre son œuvre, il ne fau-
drait cependant pas croire que l'argument d'autorité soit le
seul ou le principal dont se serve ce docteur. 11 admet l'autorité
en théologie, parce que là elle est inspirée par l'Esprit-Saint;
mais il déclare expressément que, dans les autres sciences, l'ar-
gument .d'autorité est faible, plus faible que tout autre, puis-
qu'il s'appuie sur les forces faillibles de l'esprit humain i^2).
En véritable aristotélicien, xVlbert s'efforce d'édifier ses con-
naissances naturelles sur l'inébranlable fondement de l'expérience
sensible : « Toute conclusion, écrit-il dans sa Physique, qui con-
tredit l'expérience sensible est incroyable, et le principe qui ne
concorderait pas avec l'expérience n'est pas un principe, mais
plutôt le contraire d'un principe (3). Aussi, quoiqu'il sache la
difficulté de l'expérience qui doit tenir compte de toutes les cir-
constances (4), il n'hésite pas à recourir au raisonnement inductif
flans ses traités de sciences naturelles (ô), dont le but n'est pas de
1. In II Sentent., dist. XIII, art. 2. Borgnet, 27, p. 247, A. « Sciendiim
quod AugusUno in his quae suut de fide et moribus, plus quam Philosophis
credenduin est, si dissentiuut. Sed si de mediciiia loqueretur, plus ego cre-
derem Galeno vel Hippocrati, et si de naturis rerum loqiiatur credo Aristoteli
plus vel alii experte in rerum naturis. » — Sum. theol., II, tract. XIV, quaest.
84, in fine. Borgnet, 33, 133. « Dicendum est quod sic, quia hoc Augustinus
aperte dicit. cui contradicere impiuni est in liis quae tangunt fidem et mores. »
2. Sum. theol., I, q. 5, memb. IL Borgnet, t. 31, p. 24. B. « In theologia
locus ab auctoritate est ab iuspiratione Spiritus veritatis... In aliis scientiis
locHS ah auctoritate infirmus est et infirmior cieteris : quia pcrspicacitati humani
ingenii, quae fallibilis est, innititiir. Propter quod Tullius in libro de natura
Deorum deridens scholam Pythagorae dicit, quod de nullo quaerebat ratio-
nem aliam nisi quod ipse dixit, ipse autem erat Pythagoras. »
3. Fhysic. VIII, tract. II, cap. II. Borgnet, 3, p. 564. « Omnis autem ac-
ceptio quae firmatur a sensu, melior est quam illa quae sensui contradicit;
et conclusio quae sensui contradicit est incredibilis : principium autem quod
experimentali cognitioui in sensu non concordat, non est principium, sed potius
contrarium principio. »
4. Ethic, lib. 6, tr. 2, cap. 2.5. Borgnet, 7, p. 442-443. « ^Multitudo enim
temporis requiritur ad hoc ut experimentum probetur, ita quod in nullo fal-
lat : unde Hippocrates in medicinalibus loquens : « Vita brevis, ars vero longa,
experimentum fallax, judicium difficile est ». Oportet enim experimentum non
in uno modo sed secundum omues circumstantias probare, ut certe et recte
principium sit operis. »
b. De Vegetabil., lib. VI, tract. I, cap. I. Borgnet, 10, 159-160. Jessen,
p. 339. « Earum autem quas ponemus, quasdam quidem ipsi nos cxperimento
probavimus, quasdam autem referimus ex dictis eonim, quos compcrimus,
non de facili alicpia dicere, nisi probata per experimentum. Expcriinmtum
ènhn solum certificat in taliljus, eo quod de tam particularihus naturis sijl-
logisnius haheri non potest. » — Cf. A. Mansion. L'induction chez Albert le
Grand. Eev. Néo-Scoladique, XIII (1906), u» 2, p. 11Ô-134, et n° 3. p. 24G-264.
664 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET TIIEOLOGIQUES
rapporter simplement les faits, mais d'en chercher les causes (1).
Grâce à cet excellent procédé, l'œuvre d'Albert le Grand mé-
mérite une place importante dans l'histoire des sciences d'obser-
vation, puant aux naïvetés scientifiques qui s'y mêlent, elles
sont (dues à l'influence du milieu et du temps, et plus eiivcore,
aux naturalistes anciens à l'autorité desquels Albert se fiait, par-
ce qu'il les supposait, à tort, aussi consciencieux observateurs
qu'il l'était lui-même (2),
A cette sorte d'abstraction qu'est l'induction, l'illustre Docteur
joignit jia théorie aristotélicienne de l'intellect agent, abstrayant la
forme de la connaissance, l'universel, des choses singulières (3).
Il icompléta d'ailleurs cette théorie psychologique, par la théorie
théologique de l'exemplarisine augustinien (4), de sorte que nous
trouvons chez lui un triple universel: « universale ante rem, in
re, post rem ». Ce dernier seul est l'universel proprement dit; il
n'existe que dans l'intelligence (5). C'est donc à juste titre qu'on
peut ranger Albert parmi les modérés (6).
1. De minerai., lib. II, tract. 2, cap. I. Borgnet, 5, p. .30. « Scientia
enim iiaturalis non est .simpliciter narrata accipere, sed in rébus naturalibuis
inquirere causas. »
2. Voir le texte cité à la page précédente, note 5.
3. III De Anima, II, 19. Borgnet, 5, p. 366. « Duo sunt opéra agentis,
quorum iinum est abstraliere formas intelligibiles, quod nihil aliud est nisi
facere eas simplices et universales. Secundum est illumiuare possibilem intellec-
tum sicut lumen se habet ad diaphanum. »
4. Sum. theol. I, tract. XV, quaost. 60, memb. IV, art. I. BorgN'et, 31
p. 612. « Omnia dicuntur esse in Deo per rationes exemplares et idéales qiii-
bus facta sunt omnia et quibus sunt in arte divina et sapientia. » — Sum.
theol., I, tract. XIII, q. 55, memb. II, art. I. Borgnet, 31, p. 561. « Ad id
quod obiicitur... de positione Platonis dicenduni quod... Plato posuit formas
quae sunt ante rem et principia rei in seipsis existere et in ipsis sigillari
res sicut ad sigillum; nec posuit eas in mente divina sed in seipsis. Et hoc
modo improbat Aristoteles eam. Et forte Plato dicit verum. Necesse est enim
principia esse prius natura et prius esse principia quam principiata... Et si
(piaeritur \ibi sint? Quaestio Porpliyrii est, qui ita quaerit de universalibus
et primis principiis... sic enim ex mente divina formae sive ideae pro-
deunt in îdeata sive formata... Et hoc non negat Aristoteles, sed negat, quod
formae siint ante rem per seipsas et secundum seipsas separatim existentes. »
5. De nat. et orig. animae, tract. I, cap. II. Borgnet, 9, p. 378. « Et tune
résultant tria formarum gênera. Unum quidem aaite rem existens, quod est
causa formativa rerum... aliud autem est ipsum genus formarum quae fluctuant
in materia... Tertium autem est genus formarum quod abstrahente intelleclu
separatur a rébus secundum modum speciei et generis et generalissimi in
quolibet génère rerum. Et liorum trium genermn primum quidem est anto
rem, ut diximus, secundum autem est in re... Tertium autem est post rem.
Propter quod Aristoteles in septimo Metaphysicae suae probat quod univer-
sale non est aUipiid de substantia rei... » — Cf. De intel. et intellig., 1. I,
tr. II, cap. 2. Borgnet, 9, p. 493. « Nos autem in ista difficullate mediam
viam ambulantes... »
6. Bach Dr. Joseph. Des Alhertns Magnus Verhàitniss zu der Erkenntniss-
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 663
A'ristotélicienne également est sa conception de la science, ou
connaissances par les causes (1). Au faîte de la philosophie se
place la métaphysique, partie maîtresse de la spéculation et
déesse des sciences (2). On la nomme sapience, parce qu'elle est
la science des causes premières et des premiers principes (3).
Elle représente le résultat suprême qu'atteint l'intelligence, cette
lumière générale .qui, comme une révélation, descend de Dieu,
première lumière, et se réfléchit dans les vérités évidentes par el-
les-mêmes. Pour voir les choses surnaturelles, une autre lumière
nous est donnée et qui brille dans les articles de foi (4). A ce
propos, il laut noter qu'Albert, tout en préconisant la théorie aris-
totélicienne de l'abstraction, ne rompt pas entièrement avec la
doctrine augustinienne de l'illumination subjective divine.
Croire, enseigne Albert, c'est admettre comme vrai ce qu'on
ne connaît pas en raison de l'objet, mais par le témoignage d'au-
trui, auquel l'esprit adhère parce qu'il le juge doué de vérité (5).
En matière théologique, le principe de la croyance, ou la foi, est
une lumière qui entraîne une adhésion absolument certaine (6).
L'Apôtre, appelrait la foi, « argumentmn non apparentium », ne la
Ic-hre der Griechen, Lateiner u. Jitden. Wien, 1881, p. 212. « Albert ist im
ganzeu der Vertreter eines gemassigten Realismus und zwar zunàchst im
rein logischen Intéresse. »
1. De Minerai., lib. II, tract. II, cap. I. Borgnet, 5, p. 30.
2. III Mclaphys., tract. II, cap. VI. Borgnet, 6, p. 181. « Potissinia pars
theoriae et dea scientiarum. »
3. Metaphys., tract. I, cap. XI. Borgnet, 6, p. 22.
4. Sum. theol., Pars. I, quaest. IV. Borgnet, t. 31, p. 20 B. « Duo sunt
modi révélation! s. Unus quidem modus est per lumen générale uobis. Et hoc
modo revelatum est Philosophis : hoc enim lumen non potest esse nisi a
primo lumine Dei, \\t dicit Augustinus in libro de Magistro. Et hoc optime
probatum est in libro De Causis. « Aliud lumen est ad supermuudana con-
tueiida, et hoc est elevatum, super nos. » Et hoc lumine revelata est haec
scicntia. Primum relucet in per se notis, secundum auteni in fidei articiilis. »
— Sum. theol. I, tract. III, q. 1.5, m. III, art. 111. Borgnet, vol. 31, p. 110 b.
111 a. — « Concedendum enim est, quod sine lumine illustrante iutellectum
nullius cogniti întellectus noster possibilis perceptivus est. Per hoc enim lumen,
cfficitur intellectus possibilis oculus ad videndum; et hoc lumen ad naturalia
recipienda, naturale est : ad credenda vero, gratuitum est; ad beatificantia
autem gloria est... Hoc autem lumen sic descendens non est aliqiiid conferens ■
cognito ut cognoscibile sit, sed egt conferens cognoscenti ut cognoscere
possit, et assimilatio est quaedam cognoscentis et cogniti. »
5. Sum. theol., I, tract. III, q. 1.5, m. III, art. 1, ad I. Borgnet, t. 31.
p. lOG a. « Ad primum ergo dicendum, quod si credere stricte capiatur, tune
creditur id quod in seipso non cognoscitur vel videtur, sed alterius testimonio
oui mens inhaeret tanquam vero accipitur. »
6. Ihid., ad. 3"!. Borgnet, p. 107 a. « In theologicis autem fid(^s lumen
est, certissimam faciens adhaesionem et assensum; dicit enim Augustinus
quod « credere est cum cognitione et admiratione assentire. »
666 REVUE DES SCIENXES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
définit pas dans sa nature intime, mais en tant qu'elle est consi-
dérée dans xin sujet par les effets qu'elle y produit; la connais-
sance ,des choses éternelles et la conviction de leur vérité (1).
L'obje' de la foi, ce sont les vérités inévidentes à l'intelli-
gence et pour aut<int qu'elles échappent à toute démonstration (2).
L'obscurité de la foi n'empêche pas d'admettre, avec Richard de
Saint-Victor, que toute croyance a des raisons nécessaires ; il
faut seulement remarquer, observe Albert, que ces raisons di-
vines nous sont inconnues et ne doivent pas faire l'objet de nos re-
cherches (3).
Au reste, cette obscurité, qui exclut les vérités démontrées du
domaine de la foi, s'allie très bien à sa certitude. Notre Docteur
s'emploie à le prouver; voici comment. La certitude est double :
la certitude absolue, la certitude relative à nous. Celle-ci rend
certain, tantôt en considération de nos raisonnements (certitude
rationis quasi arguentis), tantôt en considération de celui qui
demande notre adhésion, (certitudo inclinantis ad actum). Au
point de vue de la certitude absolue, la première place est due
à la vision béatifique, la seconde, à la foi et la dernière à
la science. S'agit-il de la certitude relative à nous, la foi vient,
soit après la science, en raison de l'évidence que confèrent
à celle-ci les arguments rationnels, soit aua)it la science parce
qu'elle rend notre esprit certain des choses divines dont la raison
naturelle nous persuade seulement (4).
1. In III Sentent., dist. XIII, H, art. 18. Borgnet. vol. 28, p. 437 ss.
« ileo judicio dicendum al praedicta qnod fides non est diffiuita ah Apostolo
ia se considerata et secundum suam substaiitiam, sed potius sccundura cpiod
consideratur in subjecto per effectum quem efficit in ipso. Sunt autem duo
effeclus ejus sese consecpientes, quorum nnus est, quod res aeternas ostendit,
et ita per aliqnem consensum ponit. eas in fideli. Secundus autem est, quod
convincit mentem de veritate illarum rerum. »
2. I7i III Sentent., dist. XXIII G, art. 13. Borgnet, 28, p. 410 et 411. « Ad
id <iucd objicitur de alia diffinitione (Hugonis) dicendum quod nhscnfmm di-
citur ibi quoad rationem; et hoc dupliciter. Est eiiim absens rationi, id cujus
cognitio nullo modo est in ipsa; nec est ut ratio probans, nec etiam ut ob-
jectum; et sic absens rationi est ignoratum : et hoc modo procedit ratio in-
ducta. Secundo modo dicitur absens rationi, qiiod quideni inest ut objectum,
sed non inest ratio probans et convincens sensum : et sic dicitur fides rectitude
absentium : et ideo dicit Glossa ad Galat. V, 6, quod fides est certitudo invi-
sibilium. Et dicuntur ibi invisihilia quae hic dicuntur absentia, scilicet quorum
ratio probans non habetur; et tanien consensus fortissimus est. »
3. Sum. theol., I, tract. III, q. 16, m, III. art. U. Borg.net, 31, p. 110. A.
« Ad dictuni Richard! dicendum est, i[uol nihil prohibet ad quodiibet cre-
ditum, rationcs esse necessarias : sed illae divina.(^ sunt et nobis ignotao^ et
ideo inquiri non nossunt. »
4. Suin. theol., tract. III. q. \n. mcmb. III, art. IF. Borgnet, t. 31, p. 109.
« Certitudo multiplex est. Est enim certitudo simpliciter et certitudo quoad
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 667
A cette considération sur la certitude et dignité de la science
et de la foi, il faut joindre une autre page du grand Docteur
où il détermine « ex professo » la radicale distinction de ces
deux modes de connaissance, par ce que l'École appelle la raison
formelle. La certitude de la science s'appuie sur des princi'pes évi-
dents en eux-mêmes qui déterminent la raison; la certitude de la
foi provient d'mie lumière infuse, descendue de la vérité pre-
mière qui convainc la raison plutôt par un attrait de la volonté
(amore quodam voluntatis) que par des démonstrations ration-
nelles. Enfin la science et la foi diffèrent par leurs sujets immé-
diats d'inhérence : la science est dans l'intellect spéculatif; la
foi. dans l'intellect affectif (intellectu affectivo); de sorte qu'elle
est plus volontaire que rationnelle (1).
D'ailleurs, si, par son objet formel, le domaine de la foi est
nos; et certitudo cjiioad nos duplex, scilicet certitudo inclinantis ad actum et
certitudo rationis quasi arguentis... Certitudine ergo simpliciter niliil est adeo
certum sicut Deus et divina... Hoc modo certissima cognitio diviuorum facie
ad facieni, et sub illa cognitio per fidem, infima vero cognitio per naturalem
lationem. Est enim haec cognitio per certissiraum secundum se ipsum. Cer-
titudo autem quae est quoad nos, ex notioribus est quoad nos secundum quod
animales sumus enutriti sensibus, ut dicit Augustinus. Et hoc modo nihil
prohibet cognitionem per naturales rationes esse certissimam, et post hoc
cognitionem fidei et minime certam eam quae est facie ad faciem. Iterum cer-
titudine infomiationis mentis vel conscientiae, certior est fides et cognitio quae
per fidem est. quam aliqua cognitio quae est per na-turales rationes, quae non
nisi per moduiii persuasionis aliquid ostendit de crédite sive de divinis. Et
hoc modo certissima est cognitio per gustum sicut fit in raptu : et sub illa
cognitio fidei, infima vero per rationem naturalem. »
1. In I Seutenf.. dist. III, A. art. III. Borgnet, t. 25, p. 94 9-5. « Dicendura
quod istae cognitiones in quinque diffcrunt ad minus, etsi in multis aliis
differentia possit assignari. Prima differentia est in comparatione scientiae
ad scientem : quia processus naturalis subest rationi, fidei autem processus
est supra rationem. Secunda differentia est in principiis in quibus accipitur
cognitio ipsa : quia illa in naturali cognitione sunt principia per se nota, sicut
ea quae sunt de ratione principii primi, ut non esse ipsum ab alio et alia'
esse ab ipso, et non ipsum incepisse quia sic esset causatum, et ipsmn non
esse motum ab alio et hujusmodi; sed in fide est lumen infusum quod infor-
mando conscientiam, rationem, convincit magis ex amore quodam voluntatis,
quam ex probatione rationis : hoc enim est argumentum non apparentium quod
illuminât ad credibilia accipienda. Tertia differentia est in efficiente cognitio-
nem : quia banc efficit ratio creaturae objectae naturae ratiouali ut dicit Ma-
gister; in fide autem efficit prima veritas; si enim quaeratur ab aliquo quid
fecit sibi fidem, dicet quia prima veritas; quae est efficiens fidei suae et
finis. Quarta est in cognito : quia per naturalem cognitionem non adeo propin-
quatur ad scientiam quid est, sicut per cognitionem fidei. Quinta et ultima
differentia est ex parte subjectorum : quia fides est in intellectu affectivo,
etiam informis, licet qviidam contradicant ; sed scientia naturalis rationis est in
intellectu speculativo. Licet enim fides informis sit, tamen ipsa est magis vo-
luntaria quam rationalis et est allicitiva tiinoris servilis, ut dicit Oregorius:
sed ca quae sunt in intellectu speculativo (ut dicit Philosophus) niiiil dicunt
de fugiendo, vel imitando; igitur, etc. »
668 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
neltement séparé de celui de la science, cela n'empêche pas les
très intimes relations entre l'un et l'autre ordre, comme on le
verra en examinant la théologie d'Albert le Grand. En posses-
sion des données certaines de la foi, l'homme peut y surélever
l'édifice théologique (1), comme le philosophe fonde la science
rationnelle sur les principes évidents. L'objet général de la théo-
logie, — Albert dit : « subjectum generaliter » (2), — ce sont
toutes choses pour autant qu'elles sont ordonnées à la béatitude
parfaite, soit qu'elles la donnent, soit qu'elles y disposent. Son
objet spécial « subjectum specialiter », ce sont les vérités de la
foi en général, c'est-à-dire les «praeambula f idei » et les articles
de la foi. Et, resserrant davantage le sens du terme « subjectum
specialiter », Albert déclare que Dieu, l'Alpha et l'Oméga, est
l'objet spécial de la théologie, son « objectum fonnale quod »,
diront les scolastiques postérieurs à saint Thomas (3).
Le but principal de la théologie, c'est de conduire à la jouis-
sance affective (quod fruatur per affectum) de la suprême vé-
rité. La théologie est donc une science pratique (4). Comme elle
1. Sum. theol, I, tract. I, q. 4. Borgnet, t. 31, p. 20 B. « Aliud lumeii
est ad supermimdana contueiida et hoc est elevatum super nos. Et lioc lumine
revelata est liaec scientia .Primiim relucet in per s? notis, secundum autem ia
fidei articulis. »
2. Par sujet d'une science, d'une connaissance, les grands tliéologiens du
XlIIe siècle désignent ce qu'une terminologie plus moderne appelle objet
d'une science, d'une connaissance. Pour plus de clarté, nous nous conformons
à l'usage moderne, reçu même dans l'École thomiste.
3. In I Sentent., dist. I, A. art. 2. Borgnet, t. 25, p. 16. « Dicendum quod
subjectum scientiae dicitur multipliciter. sciliter generaliter et specialiter. Ge-
neraliter sic ut omne illud dicatur subjectum esse vel pars subjecti de que
tractatur in scientia; et sic verum est quod dicit Augustinus, quod res et
signa suiit subjectum... Tlieologia non speculatur res in quantum res sunt abso-
lute sed prout ordinatur ad perfectionem beatitudinis et fruitionis, ad quam
quaedam ordinantur ut beatificantes, quaedam autem ut adjuvantes et dispo-
nentes ad beatitudiiiem sicut utilia. Similiter dicen lum est de signis... Alio modo
dicitur subjectum specialiter circa cjuod negotiatur scientia probando de ipso
proprietates quae passiones dicuntur et differentias per principia scilicet pro-
pria; et sic quidam antiqui dixerunt, quod credibile generaliter acceptuni est
subjectum Theologiae. — Voco autem credibile generaliter acceptum pra^ambu-
lum articiilo, sicut Deum esse veracem, Deinn esse, sacram Scripturam a Spiritu
Sancto esse factam, Scripturam non posse excidere, et hujusmodi. Et similiter
articulos qui secundum divisionem eorum qui ediderunt Credo in Deum, sunt
duodecim... Spéciale autem dicitur subjectum id quod est dignius inter conside-
rata in scientia et sic subjectum bujiis scientiae Deus est, a quo denominatur-
non autem abso'.ute tantum est subjectum, sed secund un quo l ipse est Alpha
et Oinega, principium et finis. »
4. Sum. theoL, p. 1, tract. I, q. 3, mb. III. Borgnet, t. 31, p. 18 b. « In
v( ritate Sacra Scriptura practica est, et stat in opère virtutis vel theologicao
vel cardinalis; quia si etiam vervnn in re fruibili vel utili inquirit, hoc Ipsum
refert ad affectum, ut scilicet iii fide vel in co quod succedit fidei fruatur per
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 669
s'efforce en outre, d'expliquer les données de la révélation, et
de convaincre les adversaires, elle est aussi science argumenta-
tive (1). Quoiqu'elle se distingue des sciences profanes par son
objet (subjecto), par ses propriétés (passione) et par son prin-
cipe de démonstration qui est la foi (2), la théologie a souvent
recours à ces sciences qui jouent à son égard un rôle ancillai-
re (3). Mais ce sont là des subordonnées fort utiles, puisqu'elles
affectum vel intellectum affectivum summa veritate, per speciem vel spei
succedens sumine beatificaiite, per charitatem summa bonitate... sicut etiam
Aristoteles in X. Ethicorum felicitatem contemplativam déterminât, ut ad finem
ad quem referantur actus virtutum intellectualium et moralium et heroicarum:
propter quod et ipsa quae tractât de felicita.te contemplativa, moralis sive
practica est sicut et caeterae partes moralis s?ientiae. Differt tamen ab alii?
practicis quas Philosophus considérât. Aliae enim practicae stant ad opus
perfectum perfectione virtutis acquisitae, ista autem stat ad opus perfectum
perfectione Wrtutis infusae per gratiam. » — In Sent., dist. I, A, axt.
4. BoBGNET, 25, p. 18, Albert se fait l'objection suivante : « Contem-
platio autem veritatis, praecipue primai veritatis et summae est perfectio in-
tellectus speculativi: ergo videtur, quod ista scientia sit speculativa. » Il
répond (ad 2'^, p. 19) : « Non quaeritur cognitio ad veritatem per intellectum
tantum, sed per affectum et substantiani; et ideo non est intoUectiva sed af-
fectiva : quia intellectus ordinatur ad affectum ut ad finem. » Sum. theol.,
I, tract. I, q. 2. Borgnet, t. 31, p. 11. « Theologia scientia est secundum
pietatem, hoc est^ quod non est de scibili simpliciter ut scibile est, nec de
omni scibili, sed secundum quod est inclinans ad pietatem. » — Il est à
remarquer que sur ce point de doctrine spécial, Albert le Grand est plus au-
gustinien que S. Bonaventure qui enseigne que la théologie est une science
à la fois spéculative et pratique, mais surtout pratique.
1. Sum. theol, l, tract. I, q. 5, mb. III. Borgnet, t. 31, p. 26, B. « Ad
ultimum dicendum quod licet de dicto sacrae Scriptxirae non licet dubitare,
tamen de ratione dicti dubitare licet, et ad illam contingit quaerore argumenta-
tionem, et maxime ut contradicens revincatur. Sicut in aliis scientiis est,
quod non est disputare ad negantem principia, sed ad principia conce-
dentem. Ita in theologia ad eum cpii negat sacram Scripturam verum di-
cere non est disputatio de fidei articulis, sed ad eum qui concedit hoc, multae
rationes possunt induci. Sicut et metaphysicus cura negante omnia, non dis-
putât... ad eum qui... dicens infinita significent et contradictoria, non verbe
disputât, sed facto, ut dicit Avicenna in IV Metaphysicue suae. Non enim
restât nisi ut adversarius veritatis projiciatur in ignem; quia secundum eum
idem est esse in igné, et non in igné esse. Sic facit theologus, separans se ab
eo qui omnia negat quae Scriptura dicit. »
2. Sum. theol.. p. 1, tr. I. q. 4. Borgnet, t. 31, p. 20 B. « Haec scientia
separatur ab aliis subjecto, passione et principiis confirmantibus ratiocinatio-
nem. Subjecto quidem quia in aliis scientiis subjectam est eus vel pars entis,
a natura vel a nobis causatum, ut dicit Avicenna in principio suae metaphy-
sicae. In theologia autem subjectum est fruibile, vel relatum ad ipsum per
modum signi vel utiHs. Passiou<' autem, quia quod in bac scientia de subjecto
ostenditur, vel divinum est attributum, vel ordinatam est ad ipsum; ia aliis
autem scientiis proprietas entis est a nobis vel a natura causata. Principio
vero, quia quod in ista Scientia probatur, per fidem quae articuius est qui cre-
ditur, vel antecedens fidem, quod est Scriptura, vel per revelationem probatur
ut principium. Quod autem in aliis scientiis probatur, probatur per principium
quod est digiiitas, vel maxima propositio. »
3. Sum. theol., I, tract. I, q. (î. Borgnet, t. 31, p. 31 B. « Imp()ssil)le est
quod haec scientia (theologia sacra) finem in aliis scientiis habeat, sed ipsa
670 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
conduisent resprit à quelques-unes de ces grandes vérités que la
foi présuppose, aux « praeambula fidei ». Ainsi les philosophes su-
rent démontrer que Dieu est, et au moins déterminer ce qu'il n'est
pas (quid non est), sinon ce qu'il est (quid sit) (1). Car, lorsque
nous disons que Dieu est une substance, nous désignons d'un©
manière insuffisante (infinité) une substance qui dépasse infi-
iiinient toute substance (2). En un mot, la connaissance que nous
avons de Dieu est analogique (3).
Et cepondaiït, ces vérités primordiales : l'existence de Dieu
et ses principaux attributs, peuvent être prouvées avec une telle
évidence, qu'elles ne sauraient plus être objet de foi pour celui
qui en a compris la démonstration (4). Il découle en effet du
concept de la foi qu'un même homme ne peut croire et savoir
une vérité considérée au même pomt de vue (5). Arrivés près-
finis aliarum scientiarum est ad quam omnes aliae referimtur ut ancillae. Et hoc
modo sola libéra est; omnibus enim existentibus et suffragantibus nobis et ad
voluptatem et ad necessitatem, ista post omnia habita et in omnibus habitis
quaeritur, et ideo libéra est. et domina est et in omnibus potior. »
1. In I Sentent., dist. III. A, art. 2. Borgnet, t. 25, p. 93 B. « Dicendum quod
(philosophi) non cogiiovertm.t nisi quia est (Deus) et quid non est non quid
est, ut habitum est prias. Licet enim cognoverunt quaedam attributa ipsius,
non tamen habuerunt de ipsis cognitionem certam; sicut invenimus qiiosdam
cognovisse sapientiam ipsius, et cum hoc dicere quod non haberet scientiam
partie ularium. »
2. Snm. theoJ., I, tract. III, q. U, memb. I. Borgnet, t. 31, p. 69-70. « Di-
cinnis igitur quod ex solis naturalibus potest cognosci quia Deus est positive
intellectu : cfuid autem non potest cognosci, nisi infinité. Dico autem infinité,
quia si cognoscatur quod substantia est incorporea, determinari non potest
quid finite génère, vel specie, vel differentia, vel numéro illa substantia sit...
Dicimus enim quod cum dicitur substantia Deus, non est substantia qnae nobis
innotescit finite génère vel specie. vel differentia vel numéro : sed est subs-
tantia infinité eminens super omnem substantiam... Privative autem intellectu
cognoscitur quid non est, sicut quod non est corpus... cp-^od non est temporalis ».
3. Sum. thcol., I, tract. 111, q. 13, meml). I. Borgnet, t. 31, p. 56. — Ihid.;
m. Il, p. 58.
4. In III Sentent., dist. XXIII. G. art. XIII. Borgnet, t. 28, p. 429. « Ratio
probans Deum esse et unum esse, non ostendit nisi quia et non quid. Licet
autem per fidem non possimus penitus accipere quid est Deus, eo quod ipse
solus perfectus sui contemplator sit, tamen accedimus magis, quam ratio ducat,
dicentes etiam cujusmodi unum Deus sit, et cujusmodi substantia, sciUcet
quod suum unum non répugnât pluralitati personarum... et haec irapossibile
est probare : et ideo hoc modo fides est de Deo quod sit substantia et quod
sit unus : et non illo modo quo concluditur, quia est Deus, et sul)stantia, et
unus. » — In III Sentent., dist. XXV. B, art. II. Borgnet, t. 28. p. 476 B.
Commentaire du passage Heb. XI, 6 : « Credere oportet accedontem
ad' Deum quia est »... Cum dicitur quia est, non credo quod supiionatiu-,
quia est în universali tantum, quia hoc invesligatur ratione tantum vel naturali
cognitione, sed (juia est determinatuin in ([uihusilain articulis « ileterminatis
a revelatione. »
f). In III Sentent., dist. XXIV. C, art. 9. Borgnet, t. 28, p. 468. « Fides
et scicntia sunt de eodem, non secunduin idem; et ideo unum non évacuât
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 671
qu'au terme de cette longue revue où ont défilé bon nombre dé
théologiens médiévaux, nous constatons qu'Albert est le premier
qui ait saisi toute la portée de ce principe, et ait osé l'appliquer
au, premier article du symbole.
La raison ne se contente pas d'établir ces grandes vérités qui
forment, pour ainsi dire, le portique de la foi (praeambula fidei),
elle s'efforce, en outre, de montrer que, si la foi est au-dessus
de la raison, l'assentiment qu'elle produit n'est pas contraire à la
raison (1) et que de sérieux motifs militent en sa faveur (2).
D'ailleurs, ces motifs n'ont qu'une valeur persuasive; ils por-
tent à croire, mais ils ne sauraient forcer ou contraindre le con-
sentement, puisqu'ils ne démontrent pas le contenu obscur de
la foi : l'assentiment, ou mieux, à raison de l'élément actif, le con-
sentement est l'œuvre de cette lumière infuse qu'est la foi t3). La
aliutl, et ideo concedo rationes primo inductas hoc modo iiitelligendo ; fides
autem non assentit propter rationem, sed ratio ibi est sub fide, et similiter
scientia... » — Jbid., ad. 2m. « Ad aliud dicendum, cfuod hoc modo quo
fides est de articulo illo non potest esse scientia vel ratio de eodem : ot cfiialiter
hoc sit saepius jam supra explanatum est. »
1. In III Sentent., dist. XXIV. A, art. 2. Borgnet, t. 28, p. 447 B, 448 A.
« Dicendum sine praejudicio, quod laus fidei est assentire ei quod non videtur:
non tamen contra rationem. Aliuc] enim est esse supra rationem, et aliud
est esse contra rationem. Auctoritas enim revelationis cui innititur cogitatua
fidei, secundum quod est ex auditu, est supra rationem, sed non contra ratio-
nem; et secundum illum cogitatum est articuliis : et ideo non audemus aliquid
dicere aut cogitare (ut dirit Dionysius) praeter ea quao nobis in sacris eloquiis
sunt expressa. »
2. Sum. theol.. I. tract. III. q. 15, mb. III. art. 2. Borgnet, t. 31, p. 109 B.
« Ad id quod ulterius quaeritur, satis bene respondenmt Praepositivus et Gui-
lielmus Altisiodorensis. Très enim rationes assignaverunt propter quas bonum
est quaerere rationes credendorum. Una est ut melius cognoscatur creditum.
Melius enim cognoscitur, ffiiod dualms viis cognoscitur, quam quod una : et
sic quod fide et ratione cognoscitur, melius cognoscitur quam quod cognoscitur
fide sola. Secunda est propter inductionem simplicium ad fidem, qui faciHus
inducun^tur per rationem persuasivam. Ad Rom. X, 7 : Fides ex auditu, au-
ditus autem per verbum Christi. Tertia est propter contrrdictionem infidelium
convincendam. qui non possunt convinci nisi per rationem. »
3. In in Sentent., dist. XXIV. A, art. I. Borgnet, t. 28, p. 446. « Fides
non habet meritum cui humana ratio praebet experimentum. Tamen distinguen-
dum est hic duplici distinctione : rpiaruni unam pnnit Damascenus, scilicet
quod quaedam fides ex auditu, ot quaedam est charisma Spiritus Sancti ; illa
quae est ex auditu, potest habere rationem inductivam, non probativam; non
ut quis consentiat, sed ut facilius consentiat ei, cui tam?n per affectum est
inclinatus ot paratus consentire. Charisma autem est lumen infusum tendons in
primam veritatem, et haec non habet rationem inducentem. ut ita dicam. Et
ut hoc melius intelligatur, resumendum est quod babituni est in praecedonti
distinctione, ubi diffinitur crodere ah Augiislino, ((uod credcrc est cum asseu-
sione cogitare. Uiide ex parte cogititionis almittit rationem; quia ex parte illa
est ex auditu; et haec ratio quam admiUit non est probans sed quasi alludens
credito ad jucunditatem, non âd consensum; ex parte autem consensus non
innititur nisi lumine infuso. Aliam etiam distinctionem ponit Petrus in Itine-
672 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
même valeur persuasive, rien de plus, est attribuée aux miracles :
ils conduisent à la foi et la confirment (1).
Grâce à ces sages théories sur les relations entre la science
et la foi, Albert le Grand a su éviter les écueils contre lesquels
ont heurté, dans leurs spéculations trinitaires, la plupart des
théologiens antérieurs. H enseigne que les philosophes, par la
seule raison, n'ont pas pu connaître nettement la Trinité; car
ce mystère, en opposition, — Albert ne dit pas laquelle, — avec
les principes de notre science, dépasse notre intelligence et exige
un principe de connaissance supérieure, c'est-à-dire la foi.
D'autre part, les créatures nous offrent de trop imparfaites simi-
litudes de Dieu, pour qu'elles puissent nous soulever jusqu'à ces
hauteurs (2). Aussi, n'est-ce point Albert qui tentera, sur nouveaux
frais, de réaliser les prétentions de saint Anselme et de Richard
de Saint-Victor, allant à « démontrer » la Trinité par des raisons
philosophiques nécessaires, sans jamais invoquer l'appui de l'É-
rario démentis, scilicel quod fidos non exigit probatioiiem uisi ut prôbetur
verus esse Propheta qui tradidit eam : Si enim ille verus extiterit, absque
dubio oniiiia quae docet, vera erunt, quamvis qnaedam earum propter sui
altitudinem non întelligantur. »
1. Sioii. theoL, II, tract, VIII, q. 32, m. 1, art. 1. Borgneï, t. 32, p. 352 A.
« Concedendum est quod finis miraculi in homine est inductio fidei et conJir-
matio. Et hoc videtur etiam innuere Dominus, Joan. IV, 48, ubi dicit : Nisi
signa et prodigia videritis, non creditis. »
2. Sum. theoL, I p., tract. III, q. 13, niemb. III. Borgnet, t. 31, p. 60 A.
« ... Philosophi per propria ductu naturalis rationis non potuerunt cognoscere
trinitatem... » • — Ibid., ad. G^. « Auctoritas Augustini non probat quod co-
gnoverunt nisi appropriata quae secundum se sunt commiinia sicut et essentia. »
— Albert fait ici une allusion assez vague à la raison qu'allègue Guillaume
d'Auxerre, et après lui S. Thomas, pour prouver que les philosophes ne pou-
vaient connaître la Trinité. Mais il semble n'en point comprendre la portée,
comme Guillaume d'Auxerre et surtout S. Thomas l'ont comprise, autrement
il ne se contenterait pas des raisons suivantes : In I Sentent., dist. III. F,
art. 18. Borgnet, t. 25, p. 113 B. « Sine dubio Pliilosophi ductu naturalis.
rationis non potuerunt cognitionem .liabere determinatam de Trinitate secun-
dum propria uomina personarum; et hoc contingit propter tria : quorum unum
est quia cognitio illa oppositionem habet ad principia, quibus intellectus accipit
scientiam, qualia sunt, quia unius naturae indivisibilis per numerum non pos-
sunt esse supposita plura... et omnibus bis oppositum est in distinctione per-
sonarum in Trinitate; et ideo ad notitiam Triaitatis exigitur aliud principium
altius bis quod est fidcs, sive illuminatio revelationis desuper veuientis. Se-
cundum est, quia scientia Dei mirabilis est, et confortata, et non possumus ad
eam : eo quod excedit et viucit nos, sicut supra probatum est. Tertium est quia
similitudo in creatura represeutans Deum non est perfecta, et déficit in repre-
sentando, sicut Magister dicit infra : quia omiiis similitudo in pluribus multo
déficit quam conveniat. » — In I Sentent., dist. III. F, art. 14. Borgnet,
t. 25, p. 105. « Hic autem transsumitur vestigium ad confusam similitudinem
artificis in opère suo, in quo non expresse relucet; et ideo in fine istius ca-
pifuli dicit ^"Magister, quod videntes per vestigium, per umbram viderunt et de
biniiincino vcrilaleni, déficientes in contiiilu veritalis : lanien aliqiiid videtur in
vestigio, sicut aliqua distinctio per appropriata, licet non per propria. »
LA PHILOSOPHIE ET LA FOI 673
criture. Bien au contraire, Albert le Grand déclare, dès les prélimi-
naires de son traité, qu'il y faudra procéder par des arguments
d'autorité, plutôt que par des preuves rationnelles (1).
En somme, l'illustre docteur dominicain s'est montré digne
de sa réputation. Il a non seulement réussi à introduire complè-
tement l'œuvre d'Aristote en philosophie, mais par ses travaux
théologiques, où l'augustinisme prédominant est maintes fois
déborde par des doctrines aristotéliciemies, il a préparé les es-
prits à la synthèse définitivement aristotélicienne de son grand
disciple, Thomas d'Aquin (2). Celui-ci reprendra notamment les
idées de son maître sur les rapports entre la science et la foi :
leur distinction formelle, l'impossibilité de croire et de savoir
en même temps une même vérité, considérée au même point de
vue, le. rôle préparatoire et persuasif de la science vis-à-vis de
la foi et l'inaptitude foncière de la raison à démontrer les mys-
tères. A ces éléments de solution proposés par Albert, le Docteur
angélique n'ajoutera rien d'entièrement nouveau. Mais, par une
précision de langage plus grande, une argumentation plus ri-
goureuse, et logique jusqu'aux moindres détails, saint Thomas
mettra au point la doctrine de son maître : la théologie, d'augusti-
nienne et pratique qu'elle était chez Albert, deviendra aristotéli-
cienne et spéculative chez son génial disciple.
Mulhouse. Th. Heitz.
1. In I Sentent., dist. II. C, art. 10. Borgnet, t. 25, p. 63 B. « ... Et ideo
cum fides in liac scientia praecedat intellectum (ut liabitum est) prius est pro-
cedendum per auctoritates, qiiam per rationes. »
2. Stockl. Gesch. der Philos, des Mittelalt. II, 421. « Albert's Lehrsystem ist
normgebend geworden fiir die iiaclifolgemle Scholastik. Schoii sein naclister
Nachfolger, Thomas von Aquin, sein Schûler, steht ganz auf den Schultern
seines Lehrers. Er hat in vielen Bezieliungen seinen Lohrer iibertroffen, ist
auch in manclien Punkten von ihm al)ge\viclien, aber die Grundanschauungen,
die Hauptgesichtspunkte beider sind die nâmlichen. »
LES DEUX THÉOLOGIES :
LA SCOLASTIQUE ET LA POSITIVE
SONT-ELLES deux Vraiment? Possèdent-elles chacune son ob-
jel propre, irréductible à celui de l'autre ? — Tel est le pro-
blème de compétences respectives que je voudrais examiner
au point de vue des théologiens. Un catholique s'y achemine spon-
tanément dès qu'il veut s'expliquer les données de sa foi par le
moyen de sa raison.
Problème comparatif, comment J'aborderais-je sans rappeler
d'abord l'objet particulier de la théologie scolastiqne? Elle est
des deux la plus classique dans l'Église, la plus achevée, la mieux
connue : elle convient donc bien pour nous fournir le terme
initial de la comparaison. Elle y convient d'autant mieux, que
l'objet rigoureux de la théologie positive se discute présentement
encore : ces discussions attestent le besoin d'éclaircissements
plus complets (1). Sans prétendre nullement à les fournir d'em-
blée, j'espère du moins en indiquer le sens, grâce aux orientations
qui se dégagent des travaux antérieurs.
Mais la théologie suppose la foi, disais-je tout à l'heure; et
donc, nous ne comprendrons bien son existence et sa nature
qu'en nous remémorant le procédé vital par où l'esprit du croyant
passe de la foi pure et simple à la science des vérités révélées.
Nous surprendrons ainsi la naissance de la théologie dans la
lumière surnaturelle et intérieure où se déroulent ensuite ses
progrès. C'est sous la projection de cette même lumière que deux
théologies, s'il en est deux, pourraient ensuite se distinguer: elles
procéderaient comme deux rayons issus d'un même foyer, mais
éclairant deux aspects divers des mêmes choses divines.
1. M. Th. Coconmer. Positive et Spéculative. Revue thomiste, janvier 1903.
A. Li^MONNYER. Théologie positive et Théologie historique. — jRrvne du
Clergé français, 1er mars 1903. — Comment s'organise la Théologie catholique;
1" octobre 1903. — P. Batiffol, Évolutionisme et Histoire, Bulletin de Lit-
térature ecclésiastique, juin 1906. — M. Jacqui.n. Question de mots : His-
toire des dogmes, Histoire des doctrines. Théologie positive. Revue des Se. Th.
et Fhil.. janvier 1907.
LES DEUX THÉOLOGIES 675
I. — LA GENÈSE DU PROBLEME THÉOLOGIQUE
DANS LA VIE DE LA FOI.
La foi vit intégralement lorsque ses convictions s'épanouissent
en œuvres, mais son acte essentiel, le premier signe de sa vie
propre, c'est l'acte même de croire. Nous devons donc ici
regarder de près aux caractères de cet acte : ils influencent
essentiellement les origines et la nature de la théologie.
Étant donnée la révélation émise par Jésus-Christ et trans-
mise jusqu'à nos jours par l'Église catholique, l'intelligence du
croyant adhère bien en réalité à des choses divines. Mais elles
s'expriment humainement sous forme d'énoncés. Ce morcelage du
simple et de l'infini est nécessaire à sa pénétration dans notrq
esprit borné, analytique, raisonneur.
Des énoncés à croire, ceilains nous représentent la vie intime
de Dieu, Père, Fils ou Esprit. La plupart se réfèrent à l'action
gracieuse des Personnes divines pour nous communiquer leur
propre vie. Or, ces objets dépassent tous de soi la sphère des
vérités naturelles, que la raison découvre et que la philosophie
peut démontrer relativement à Dieu. En conséquence, le Dieu de
la révélation réclame de ses adhérents une conviction qui dépasse
l'efficacité de la simple raison et de la science pure.
Sans doute, cette conviction se justifie rationnellement, scien-
tifiquement par des motifs de crédibilité historiques, moraux,
psychologiques, sociaux; mais ceux-ci la préparent et ne la pro-
duisent pas. L'assentiment du fidèle aux énoncés révélés corres-
pond de la sorte à cette parole du Père qui fait connaître le Fils
à ce témoignage intime de Dieu, à cette docilité ou docibilité de
l'àme que mentionnent les Écritures (1). Bien que passible tou-
jours d'inquiétudes intimes sur l'objet de sa foi, parce qu'il ne
le voit pas, le croyant se tient ferme dans la sécurité que lui
donne la vérité première et absolue (2). Telle est la vie de la
foi, considérée simplement d-^.ns son acte essentiel, qui est de
croire en Dieu.
Mais cette vie anime une raison humaine; et celle-ci cherche
naturellement à pénétrer l'être des choses. iVinsi le croyant s'en-
gagera dans certaines recherches sur les objets de sa foi; — à
1. Mt. XL 27. Eom. VIII. 16. i. Jo. V. 10. Jo. VI. 4b.
2. Sunima theohgica. U.^ n^e. Quaestio. 2. Art. I. — Qaaestiones de Veri-
tate, XIV. Art. 1. corp. § Patet ergo, et ad 5^.
H76 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
proportion, bien entendu, de son génie si)éculatif et de sa cid-
ture rationnelle, que stimulent tantôt des expériences religieuses
et tantôt des besoins d'action. — Certains objets de la foi sont de
nature exclusivement spirituelle, comme Dieu et sa grâce. Corpo-
rels, dans l'Incarnation et dans les sacrements, ils contiennent
Dieu encore ou son action; ils appartiennent de ce chef au monde
spirituel. Et donc, à des titres divers, toutes ces réalités appellent
cette science particulière de l'immatériel et du divin, qui a nom
la métaphysique ; — mais une métaphysique d'un genre à part
encore. Ses notions fondamentales, ses axiomes générateurs sont
données de révélation: à la lumière de ces principes, le théologien
étudiera les relations constitutives des Personnes divines, l'union
du Verbe à la nature humaine en Jésus-Christ, l'habitation du
Sajnt-Esprit dans les justes, l'action des sacrements.
Cette métaphysique du surnaturel n'est autre que la théolo-
gie dénommée scolastique, d'après l'École, dont ses œuvres dé-
notent le milieu professoral et la méthode didactique (1). Mais tout
ce que l'École synthétisa en Sommes, à l'usage des lecteurs et des
étudiants, les écrivains de l'antiquité chrétienne, les Pères l'a-
vaient jadis élaboré par fragments, à l'usage d'un public mêlé,
selon les controverses de leurs temps et de leurs cités. Du jour où
la croyance de l'Église et la philosophie des Grecs se rencontrè-
rent dans un esprit orthodoxe et penseur, la scolastique fut en
préparation. En vertu de ces origines, sa théologie se constitua
et vit encore, traditionnelle par ses maximes, rationnelle dans
ses procédés. C'est pourquoi, envers et contre tous novateurs,
qui se l'imaginent périmée, l'Église maintient, de nos jours encore,
la discipline éducative et scientificrue, héritée de l'École (2).
Mais alors, la scolastique posséderait-elle un monopole ; serait-
elle à jamais l'unique espèce de théologie recevable dans l'É-
glise ? Devrions-nous contester le nom de théologie à celle qui se
dit positive, pour la classer en réalité parmi les sciences histori-
ques ? — Il est probable que non, lorsque des maîtres théologiens
comme Melchior Cano, Maldonat, Pétau, Morin, Thomassin tra-
vaillèrent à l'organiser. Il est certain que non, puisque des Pères
comme saint Athanase ou saint Cyrille d'Alexandrie s'y essayaient
déjà : ils opposaient en effet, les témoignages suivis de leurs pré-
1. T. Richard. Étude critique sur le but et la nature de la Scolastique. —
Reviie thomiste, mai-juin 1904, 179, 180.
2. LÉON XIII. Encyclique Aeterni Patria. — Pie X. Encycliqiie Pascendi.
LES DEUX THÉOLOGIES 6*7
décesseurs, la foi constante de leurs églises aux inventions des
hérétiques. Alors, si nous voulons sentir avec l'Église, nous sui-
vrons une règle formulée dans ce but par saint Ignace de Loyola,
au Livre des Exercices : « Hautement apprécier la Doctrine sacrée,
tant celle dite positive que celle dite scolastique (1) ». Ceci n'est
pas seulement une maxime d'orthodoxie, un fin conseil de pru-
dence; mais encore un fécond principe de culture intégrale.
Cependant, nous ne devons pas ici nous contenter de présomp-
tions ou d'autorités ; du moment que nous traitons un problème
de méthode, nous sommes tenus de le résoudre par des raisons
inhcrenicc à la nature des choses.
De même que, tout à l'heure, nous reconnaissions l'étude mé-
taphysique du surnaturel comme l'objet d'une science fondée sur
la foi, conmie le principe formel du groupement de théologiens
nommé l'École; de même nous examinerons s'il n'existerait pas
un autre aspect du surnaturel, qui échapperait à cette science :
il réclamerait, par suite, un autre groupe de spécialistes.
Or, il existe précisément un aspect du surnaturel qui échappe,
à certains égards, aux prises de la scolastique. A ces égards, il
nécessite une théologie qui n'est plus de la métaphysique, mais
qui demeure encore de bonne théologie. Arrêtons-nous d'abord
à caractériser cet aspect; ensuite, nous verrons sous quel angle
il réclame une théologie particulière.
II. — LA TRANSMISSION SOCIALE DE LA REVELATION.
Jésus enseigne d'autorité, comme le témoin de son Père :
Tanquam 'potestatem hahens (2j. D'autorité aussi, les apôtres
enseignent, comme témoins de Jésus, chargés de son message (3).
Saint Paul écrit aux Corinthiens : « Je reçus du Seigneur ce que
je vous livrai »; et le pape Etienne, aux rebaptisants : « Ce
que nous reçûmes des Apôtres, nous l'observons» (4). C'est donc
un fait matériel, posé dans le temps et dans l'espace, un objet
d'observation et d'expérience, que le geste testimonial de Jésus
et de l'Église. Voilà un fait positif dans le sens propre du mot.
C'est plus encore qu'un simple fait. Jésus disait: (.^Nul ne co)uiait
1. Exercitin sptritualia. Rogulae aUquot servaudae ut cum orthodoxa Ec-
clesia vere sentiamuSj XI.
2. Me. I. 22.
3. Jet. L S. II, 32. III, 15. V. 32. X. 39.
4. I. Cor. XI. 23. Stephani deeretum, ap. Denzixger-Stahl, nf 15.
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 4. 44
678 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
le Fère, sinon le Fils et celui à qui le Fils l'a révélé ». Un texte
évangéliqiie de saint Jean cadre si bien avec ce logion qu'il en
paraît à son tour l'écho apostolique le plus fidèle: a Fer sonne ja-
mais ne vit Dieu; mais le Fils unique, vivant au sein du Père,
Va Jiiimême raconté » (1). Jésus se présente là comme le seul
capable de manifester ce qu'il voit chez son Père, à l'exclusion
de tout témoin étranger. L'impossibilité humaine de voir Dieu
entraîne la nécessité, essentielle pour l'homme, d'entendre qui l'a
vu. Si libre que Dieu soit éternellement de se révéler d'une ma-
nière ou d'mie autre, du moment que c'est soi-même qu'il révèle,
et dans sa vie intime, un seul témoin convient à l'objet de
cette révélation. Elle ne sortira pas, tout immanente des intui-
tions de notre conscience; nous entendrons au contraire Celui
qui seul a vu Dieu et que Dieu nous envoie comme sa parole en
personne Mais comment donc entendrons-nous ce témoin?
Nous ne sommes pas des anges ; mais des hommes qu'on ensei-
gne au moyen de signes matériels. Des paroles intérieures, même
venues de Dieu, sont trop indiscernables pour la multitude;
trop sujettes à mélanges illusoires dans l'élite mystique deve-
nue apte à les écouter. Pour que le témoignage divin se certifiât
objectivement, Jésus devait nous l'apporter suivant le mode con-
naturel de nos informations : perceptible à l'oreille. Saint Paul
comprenait bien cette nécessité du témoignage externe, lors-
qu'il disait aux Romains : « Quiconque invoquera le nom du Sei-
gneur sera sauvé; mais comment Vinvoquer sans avoir cru en lui ?
Mais comment croire sans avoir écouté'? Mais comment écouter
sans recevoir un messager? Mais commeyit livrer le message sans
posséder la mission? ... La foi vient donc de Vaudition, et l'audi-
tion, de la parole du Christ » (2).
Ainsi donc, à raison du même surnaturel, humainement indé-
couvrable et révélé à des hommes, la logique du témoignage ex-
tériorisé, l'autorité positive du messager qui a vu se substitue
à la logique de la preuve interne et au droit naturel de la libre re-
cherche, dès que Jésus raconte son Père à ses disciples. C'est
l'effet immédiat d'une nécessité intime, qui tient à ce que sont
respectivement les choses révélées et les bénéficiaires de la ré-
vélation. Ce fait surnaturel de communicalions divines adres-
1. Mt. XI. 27. Jo. 1. 18. III. 31, 36.
2. Boni. X. 14, 17. — Cf. Constitutiones Concilii Vaticani. Sessio III.
Const. de fide Catholica, cap. 2 De Revelatione, § Hiiic divinae revelationi.
LES DKUX THEOLOGIES OTy
sées à rhuinaiiité, voulait positivement cette forme sociale du
témoignage autorisé.
Cette forme particulière ne devait pas se restreindre h l'en-
seignement tout personnel de Jésus. Par delà le cercle étroit des
Douze et même du peuple juif, Jésus levait les yeux vers toutes
les multitudes qui lui viendraient de l'Orient et de l'Occident,
vers toutes les nations jusqu'à la fin des temps (1). Aussi, pour que
son témoignage s'universalisât et se perpétuât sans altération
de ses données typiques, Jésus prit des mesures de garantie;
mesures sociales encore. — Déjà, si pieux et si docte qu'un
homme apparaisse, il n'est jamais capable de conserver isolément
une vérité indécouvrable à sa raison; elle le dépasse trop pour
ne pas le tenter à part soi d'accommodements à ses mesures parti-
culières ou aux idées de son voisinage, dussent-elles la défigurer.
C'est ce que saint Paul redoutait en écrivant à Timothée : « Garde
le dépôt traditionnel. Évite les mots profanes et tous les embar-
ras d'une science usurpant son nom » (2). A plus forte raison,
ces adultérations de l'Évangile menacent-elles une société; car
la plupart des hommes sont crédules, irréfléchis, dociles aux par-
leurs qui flattent leurs passions.
Faiblesses de nature, faiblesses collectives, dont le protestan-
tisme restera dans l'histoire la grande preuve expérimentale.
Dès son rejet originel des messagers autorisés que l'Église lui en-
voyait, Luther, Calvin, n'importe qui encore devint le pape de
soi-même sans pouvoir se passer ou d'enseigner autrui ou d'en être
enseigné Les confessions antagonistes s'entredisputèrent, bien
que liguées contre Rome. La foi de la Réforme évolua dans une
perpétuelle dissolution. Plus que jamais, cette déliquescence opère
de nos jours. Elle s'accélère à fond, sous le mordant de la libre
critique : toujours si subjective, d'une part, celle-ci défère sans
cesse, d'autre part, aux suggestions de certains maîtres à la
mode, bien cfue sous les graves aspects de la science imperson-
nelle! Nous possédons historiquement, et sous nos yeux encore,
l'expérience cruciale du principe d'autorité pour la conservation
et la propagation de l'Évangile. En conséquence, il est aisé do
voir à quel point l'émission surnaturelle de la révélation eût com-
promis son avenir, si Dieu n'avait pourvu à garantir lui-même
les messagers ultérieurs de sa fidèle transmission. De là, cette
1. Mt. VIII, 11. XXVIII. 20.
2. I. Tim. VI, 20.
680 REVUF. DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
promesse au collège des apôtres, considéré comme représentatif
d'mie société permanente : « Voici, je demeure avec vous tous les
jours, jusqu'à la fin des temps » (1). Elle complète le précepte
d'enseigner toutes les nations : c'est la grâce requise par la durée
de cette mission. Ici encore, l'àme du fait positif est une rationnelle
adaptation du témoignage ecclésiastique aux fins de la révéla-
tion.
De là, le caractère surnaturel qui établit ce témoignage à part
et au-dessus de tout autre en ce monde. Boëce disait et, avec lui,
l'École, que le témoignage est humainement le plus débile de nos
moyens d'information : « Locus ab auctoritate est infirmissi-
mus » (2). Non seulement il ne donne pas l'évidence iutime des
choses qu'il rapporte ; mais encore il demeure livré, de sa nature,
aux trahisons de la mémoire chez celui qui le donne et chez
qui le reçoit, quand ce n'est pas aux trahisons de l'improbité;
livré, même chez les plus honnêtes, aux fantaisies de l'Imagi-
native, aux inconscientes déformations de la sensibilité et du
tempérament; livré aux courants populaires, créateurs de légen-
des, et aux truquages savants de l'opinion. Chaque âme, en,
son particulier, et toute société en bloc, travaillent à falsifier
tout ce qui nous arrive par voie de témoignage. C'est pour-
quoi il ne fallait rien moins qu'une retouche divine de ce fragile
instrument, pour qu'il rendît le même son inaltéré, depuis lésus
jusqu'à Pie X. Si, dans le fait, l'histoire établit cette continuité
de la doctrine catholique dans le sens premier de l'Évangile,
voilà, et au point de vue psychologique, et au point de vue social,
ime chose qui dépasse le possible hmnain. Ce fait surnaturel
vaut, dans son genre, ce que valait, dans le sien, la résiLrrection
de Lazare. C'est un miracle perpianent ; il émerveille la raison,
lorsqu'elle le constate dans l'histoire et dans les enseignements
de l'Église contemporaine : de part et d'autre, il est voulu par
le progranune de témoignage universel que Jésus-Christ se po-
sait.
C'est donc par une grâce de Dieu, essentielle à son objet,
que l'Église nous transmet bien pur le message du Christ. Ici
encore, la même loi d'ordre social demeure l'âme du fait : un
fait de témoignage, divinement garanti.
1. Mt. XXVIII. 19. 20.
2. BoëcE. In Topic. Ciceronis, VI. De Differcntiis topicis III. — S. Tho-
mas, Summa thcologica. l^ Pars I. 8. ad 2^.
LES DEUX THÉOLOGIES 681
Allons plus loin. Le même caractère de présentation par 'une
société autorisée demeure toujours essentiel aux développements
successifs que reçoit le message du Christ. Jamais les données
de l'Évangile ne demeurèrent figées dans les formes de paraboles,
de sentences, de vérités paradoxales, de causeries interrogatives,
par où le Seigneur se plaisait à exciter lui-même les réflexions,
les questions, les recherches de ses disciples. Aussi, lorsque
saint Paul commande à Timothée le rejet des mots profanes et
nouveaux, il exclut simplement ceux qui manquent d'affinité
avec le sens de la foi. Jamais il ne se prive de donner une
signification chrétienne à des termes classiques ou populaires,
ni de se créer des expressions toutes personnelles (1). L'Église
agit toujours avec la même imissance cV assimilation, comme New-
man la nommait si bien (2). A la conservation textuelle, authen-
tique des Livres Saints, elle ajoute continuellement les traductions
de mots, les explications de choses, les créations de formules,
•tlont elle emprunte les éléments à la langue générale ou à celle
des savants. « ]\Ière de Dieu » se disait dans le peuple avant
de s'écrire dans les Conciles ; « transsubstantiation » avait cours
aux écoles. Conservateur et assijiiilateur, le développement de
la doctrine associe essentiellement une série de générations. Nulle
part comme dans l'Église, il n'est vrai de dire : Ce sont « les
morts qui parlent »; car ils s'expriment ressuscites et rajeu-
nis par les vivants. Saint Augustin parle encore, dans telle
pensée qui est bien nôtre, sur les excitations et prévenances
intimes de la grâce, et dont, toujours, sans l'épuiser, se nourri-
ront la foi, l'étude, la piété des catholiques. Harnack demeure
fi.ippé de notre mysticisme augustinien (3); mais Augustin est
phis qu'Augustin .dans ce legs de son âme à l'âme catholique.
Sa religion intérieure ne nous demeure si nutritive que par une
saine alimentation au donné pur et originel de la révélation. Elle
se nourrit de saint Paul, qui se nourrit de Jésus. Et donc les
témoignages dogmatiques, les influences morales des Pères nous
parviennent comme des produits sociaux. C'est essentiel à leur
passage au coure des temps. Ils furent élaborés en collaboration
perpétuelle avec le Christ révélateur. Les anciens ne pensaient pas
1. Jacquier. Histoire des Livres du Nouveau Testament. I. 61, 62.
2. Newman. Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Ile Par-
tie, chapitre V. Soction III (Collection La Pensée chrétienne, édit. Brémond).
3. Harnack. L'Essence du christianisme, XlVe Conférence, p. 271, 273
(trad. fr.). Lehrhnch dcr Dogmengeschichtr, III, 129.
682 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
à nous. Souvent, et la plupart, nous ne connaissons guère les an-
ciens. Mais les pensées qu'ils émirent circulent dans l'Église;
d'Ame en âme, elles transmettent des impulsions et provoquent
de la vie. Présent chaque jour à son Église, l'auteur premier de
ces pensées, le Christ, en unifie le développement dans un même
sens continué, toujours constant avec soi-même.
A plus forte raison, cette facture sociale de la doctrine catho
lique se retrouve entre contemporains. De 526 à 630, saint Cé-
saire, évêque d'Arles, déplorait le succès des doctrines de Cas-
sien sur les cominencements naturels de l'acte de foi et du
salut. Grâce aux relations, à la science, à la renommée des moi-
nes cassianites, soit de Lérins, soit de Marseille, ces problèmes agi-
taient l'opinion, du Var aux Pyrénées. Voici déjà les facteurs
sociaux d'une doctrine suspecte : un milieu régional, un prota-
goniste, une école, un courant d'opinion. L'autorité locale s'en
émeut. Représentée par Césaire, elle sollicite le jugement du
Pasteur suprême; car il s'agit plus encore d'une cause majeure
dans l'ordre de la foi, que d'un groupe de cités et de monastères
à pacifier. Aussi, le pape Félix IV envoie à son correspondant une
série de Capitula que celui-ci propose aux quatorze évêques
réunis en synode à Orange, pour la consécration d'une basilique.
Et voici donc l'évêque universel qui, de Rome, collabore avec luie
assemblée de collègues particuliers, dirigeant ses travaux. De
même Boniface II, successeur de Félix, approuvera, en 531, les
Actes du synode, achevant à son heure la collaboration pontifi-
cale. Sa suprême approbation universalise la doctrine du synode
provençal comme règle de foi pour l'Église tout entière (1).
Voici le canon VP, qui déclare la foi, son premier acte et son
premier désir, l'effet d'une inspiration du Saint-Esprit à l'in-
croyanl en voie de conversion. A raison des facteurs hiérarchiques
dont il est l'œuvre, ce canon ne possède pas seulement son carac-
tère logique d'énoncé et de proposition; — son caractère méta-
physique de choses divines connues par de formelles analogies ; —
son caractère moral de vérité de foi, qui demande un libre et
honnête consentement; — son caractère mystique d'exprimer
une touche surnaturelle où Dieu s'expérimente, agissant dans
l'âme et lui donnant les arrhes de l'éternelle béatitude; — ce
canon du Concile, comme tous les autres encore, parvient à
1. Mansi. Sacrorum Concïliorum nova et ampUssima collectio, VIII, 712-
735.
LES DEUX THÉOLOGIES 683
l'existence comme im produit social. Il synthétise l'action du
Pape, des évêques, des théologiens même qui furent consultés sans
avoir voix délibérative ; et toutes ces actions coordonnées se syn-
thétisent elles-mêmes avec l'action d'un éternel contemporain,
toujours présent à l'Église : Jésus-Christ en personne. Il agit
extérieurement par les données de sa révélation, toujours fonda-
mentales et reçues comme des axiomes dans les débats des Conci-
les ; intérieurement, par les grâces d'assistance et de direction que
les Papes, les Légats, les Pères, les Assemblées plénières obtien-
nent de lui, selon leurs charges respectives.
Les héréticfues eux-mêmes collaborent bon gré mal gré au
progrès de la doctrine. Ils soulevèrent des problèmes nouveaux
ou résolurent à neuf des problèmes anciens. La négation qu'on
leur oppose inclut une affirmation de la donnée révélée, qui en
développe une virtualité jusque-là sommeillante. A la psychologie
naturaliste de la foi, d'après Cassien, le II® Concile d'Orange
oppose un nouvel éclaircissement du dogme apostolique sur les
commencements surnaturels du bien ou du salut, et sur le don
gracieux de la foi (1). Ainsi, dans le cours de ses développements,
comme au premier instant de sa révélation, la doctrine de l'Église
demeure essentiellement un ouvrage social.
Elle est, par suite, une cause ^'effets sociaux. Voici les canons
d'un Concile. Ils sont des lois de la croyance pour tous et chacun
des fidèles, sans excepter le pape; car tout pasteur aussi est un
fidèle. Au point de vue acte de foi, tout le monde est peuple dansi
l'Église, sans préjudice de la hiérarchie. De croire elle-même ce
qu'elle enseigne, elle se trouve forte et mérite confiance. Que
d-^ naïves imaginations servent à une bonne femme pour se
représenter le Père céleste, et de savantes abstractions à un évê-
que, n'importe : ce sont les accessoires humains d'un même article
de foi sur la même chose divine. Les énoncés de la foi sont
des règles égalitaires.
De là, un autre effet social : ils s'imposent tout particulière-
ment aux théologiens, aux exégètes, aux apologistes, aux phi-
losophes même, dans la mesure où leurs méthodes intéressent les
problèmes religieux et où leurs conclusions se répercutent sur
les objets de la foi. Ces savants ne relèvent pas seulement de leurs
propres découvertes, mais aussi bien et d'abord des enseignements
1. Concilii Arausicani II, can. V. — Ce canon se réfère à Fhili}). I. 6 —
I. 29. Ephes. II. 8; et il nomme ces textes apostolica dogmata.
684 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
et directions de l'Église. Aussi, lorsque l'on parle d'eux comme
de VEccIesia discens, on doit toujours se souvenir qu'ils sont
disciples de l'Église enseignante, avant de l'être d'une école ou
d'un maître humain, comme le sont tous les savants. On l'ou-
bliait ces derniers temps; et c'est pourquoi le Décret Lamentahili
censura cette proposition : « Dans la définition des vérités de foi,
VEccIesia discens et VEccIesia docens collaborent de telle sorte,
que le rôle de celle-ci se borne à enregistrer les opinions de
celle-là » (i). C'était purifier la notion de VEccIesia discens d'une
certaine saveur de protestantisme. C'était lui rendre le sens que
lui donnait si nettement INIgr IMignot, au temps où il empruntait
le mot à une Revue catholique anglaise. Dans un discours sur la
méthode de la théologie, les professeurs do l'Institut catholique
de Toulouse s'entendaient rappeler, par l'archevêque d'Albi, leur
soumission intime à l'Église enseignante, soit comme théologiens
particuliers, soit comme groupe universitaire. Devant ces distin-
gué.^ représentants de VEccIesia discens, le prélat réprouvait
l'erreur du malheureux Doellinger, comparant les théologiens à
ces prophètes hébreux qui dominaient le corps sacerdotal (2).
L'Église cfui étudie et qui apprend, doit recevoir, au contraire!,
les documents et les impulsions de l'Église enseignante comme
des facteurs d'unanimité, comme des lois de son travail.
Contraignantes, par un certain côté, lorsque l'Église clôt de
fallacieuses perspectives à des esprits téméraires, les directions
de l'Église enseignante sont par ailleurs libératrices : elles répon-
dent, non seulement aux instincts du vrai sens catholique dans
les esprits que ces nouveautés inquiètent, mais encore, elles dé-
gagent les vues révélatrices de Jésus-Christ des interprétations
hétérodoxes qui leur faisaient violence ; elles maintiennent la
pensée et la vie catholiques dans la logique spontanée de leurs
principes et de leurs saines assimilations. Ces grands actes d'au-
torité restent libérateui*s, lors même qu'ils frappent douloureu-
sement des penseurs égarés : pourquoi faut-il que la fascination
de certains hommes devant certaines idées oblige à sacrifier leur
ménagement particulier au bien public de la doctrine ! La revanche
de ce sacrifice est dans les groupes d'esprits que ces interventions
rassérènent ou confirment. Pour eux, en même temps que les 1er-
1. Décret Lamentahili, prop. IV.
2. Mgr MiGNOT. La Méthode de la théologie : Revue du Clergé français,
15 décembre 1901, p. 125, 127. WcelcJ!/ Regisfer, 19 iuillet 1901. Docens dis-
cendo. < ; '
LES DEUX THÉOLOGIES 685
mes d'une condamnation ferment la voie à des erreurs, ils ou-
vrent la carrière à des recherches nouvelles. Ils jalonnent des
progrès futurs.
En résumé, l'enseignement de l'Église est un produit social de
facteurs hiérarchiques; l'enseignement de l'église est un facteur
social d'unité dans la foi et de progrès catholique dans la science
des choses divines. Parmi toutes ces causalités, la Cause première
est Jésus-Christ, par l'action harmonisée de sa révélation passée
et de son immanence actuelle au milieu de l'Église. Tel est l'en-
chaînement essentiel de témoignages révélateurs et de sentences
explicatives que j'appelais tout à l'heure la transmission sociale
de la révélation. C'est un fait positif, dont la constance et la
vigueur nous sollicitent d'approfondir les manifestations tangi-
bles et les lois.
A quel ordre de science un tel fait ressortit, cela se deviné.
Comme cette facture collective des vérités catholiques se réalise
par une cause efficiente principale qui est la Hiérarchie, par une
cause auxiliaire et subordonnée qui est le groupe des théologiens ;
comme la Hiérarchie développe le dogme avec une assistance et
sous une direction particulière du Saint-Esprit; comme les théo-
logiens ne manquent pas de grâces d'état, la transmission orga-
nisée de la vérité catholique est objet de théologie. On ne sau-
rait en douter sans méconnaître absolument le caractère surna-
turel de l'Église.
Ce caractère admis, nulle autre compétence, historique, philoso-
phique ou sociale, mais purement humaine, ne paraîtra suffisante
pour étudier ex profcsso la société dogmatisante qui est l'Église.
Les purs savants n'en saisiront que les aspects humains, avec
des résidus irréductibles de toute manière k leurs explications,
bien que saisissables toujours par le moyen de l'observation. Au
fond, le surnaturel échappe en son essence aux prises des sciences
purement naturelles : celles-ci, par définition, se cantonnent dans
le déterminisme de l'univers ou de l'espèce humaine. A leur
sommet, la métaphysique ne découvre Dieu que comme nécessité
sous le nom de Première Cause, Premier Être, Souverain Bien.
En dehors de la théologie, l'apologétique seule considère le fait
surnaturel de l'Église; mais elle le constate par des moyens ])ure-
ment naturels, d'après ses signes miraculeux. Cette constatation
s'arrête à démontrer que Dieu soutient l'Église à part et au-des-
sus des lois sociales, cormnunes aux autres groupes civils ou re-
ligieux. Mais la science de cette société surnaturelle, de ses pro-
686 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
priétée et de sa vie demeure toute à faire; — et c'est l'ouvrage
de la seule théologie.
Or, voici maintenant le point critique de la difficulté : dans
quelle mesure exacte la méthode scolastique donne-t-elle à con-
naître l'Église?
Ici s'impose à nous l'opération toujours un peu délicate d'une
rigoureuse délimitation de frontières scientifiques. Nous y pro-
céderons, en commençant par explorer ce qui revient à la sco-
lastique.
III. — LE TRAITÉ DE L'ÉGLISE
AU POINT DE VUE SCOLASTIQUE.
Un croyant qui se raisonne sa foi en métaphysicien s'applique
aussi spontanément à étudier l'Église que l'Incarnation ou les
Sacrements. Aussi, le traité de l'Église sollicitait déjà l'atten-
iion des théologiens avant même d'exister. Saint Thomas l'es-
quissaii par fragments, selon les occasions : TJtrum pertineat
ad Summum Pontificem fidei synibolum ordinare. — TJtrum Jiaere-
tici errantes in uno articulo haheant fidem de aliis articulis. —
Utrum haeretici sint tolerandi, etc. (1). De tels fragments abon-
dent à ce point dans rœu\Te de saint Thomas, qu'on en tirait
naguère une monographie de l'Église, avec ce titre suggestif :
« La doctrine de saint Thomas sur l'Église comme ouvrage de Dieu.
Sa place dans la synthèse thomiste et dans Vhistoire de la théologie
médiévale » (2). Sans se dresser déjà en sa forme architecturale,
comme le plan achevé d'une basilique, l'Ecclésiologie était con-
nue depuis longtemps dans ses grandes lignes. Avant même que
saint Ignace d'Antioche, prenant, une saisissante conscience du
plan universel établi par Jésus, aiguillonné par la nécessité de
maintenir unies les églises particulières qui se multipliaient avec
une vie si intense, innovât le vocable d'Église catJiolique, la doc-
trine vivait dans la pratique des Églises et dans leur ralliement
autour de celle de Rome (3). Mais elle resta longtemps implicite,
vécue plus que débattue, à l'arrière-plan des spéculations, même
1. Summa tlieologica. Ha II". Quaest. 1. Art. X. Quaest. 5. Art. III et IV.
2 Grabmanx. Die Lehre des heiligen Thomas von Aquin, von der Kirche
aïs Gottesicerlc. Ihre Stellung im thomlsfischen System und in der GescMschte
dn- MïUdaJterlicheTC Théologie. Ratisboiino, Mauz, 1903.
3. Ignatii Evistola acl Smyruaeos, \\\\. 2. Cf. FrMC. Patres apostolici.
I, 241. — TiXERONT. Histoire des Dogmes, I, 140.
LES DEUX THÉOLOGIES 687
chez les scolastigues, en puissance dans les esprits plutôt qu'en
acte dans les livres.
Ce recul au second rang et cet inachèvement n'accusent pas
l'incurie chez des chercheurs aussi pénétrants et aussi peu mé-
nagers de leurs peines; mais un hesoin leur manquait. L'Église,
comme la société civile, vivait au XIIP siècle sur des hases trop
respectées en général par les coutumes domestiques et par la
religion universelle, pour que les sages se missent à discuter les
fondements, les pouvoirs, les fonctions de la hiérarchie. On ne
se décide à de si graves entreprises que pour des fins de dé-
fense catholique ou sociale. C'est pourquoi les docteurs ne par-
laient de ces choses qu'au passage, à propos d'une vertu ou d'un
devoir : l'objet de la foi amène saint Thomas à se poser le
problème des symboles jet définitions que constitue le pape; la
considération des vices et péchés qui s'opposent à la paix, une
fille aimable de la charité, introduit les questions : le schisme
est-il un péché spécial? Le schismatique possède-t-il encore des
pouvoirs dans l'Église? (1). Et aussi bien, de nombreux schismes
à l'époque des Pères et depuis, n'avaient-ils pas occasionné ces
développements particuliers de l'Ecclésiologie? Une société, com-
me un individu, ne s'analyse qu'en se sentant malade, elle ne dé-
montre ses droits qu'en les voyant contestés. Qu'il s'agisse de
l'Église ou des peuples, la science des sociétés provient toujours
des temps de révolution.
D'après cette constante loi, les déchirements de la chrétienté en-
tre papes et antipapes au XIV<^ siècle, les précurseurs du protes-
tantisme au XV'^, ses prédicants, ses pamphlétaires au XVI'-^
orientèrent les théologiens catholiques vers l'organisation de thè-
ses relatives à l'Église. De nombreux opuscula, nous dirions des
brochures ou des tracts, sortirent de cette réaction. C'est ainsi
que Luther suscita Cajétan. Sans déserter ses commentaires de
la Somme, ce dernier écrivait : De comparatione auctoritatis Pa-
pac et ConcUii ; De Bomani Poiifificis insiitutione et auctoritate ;
— De 21SU Sacrarum Scripturarum ab Ecclesia (2). A maintes re-
prises, le XVP siècle et le XVIP virent se renouveler une réper-
cussion de la propagande hérétique sur le développement de la
doctrine catholique déjcà vérifiée à l'époque des Donatistes et de
saint Augustin.
1. Siimma théologien. U^ H^e. Quaest. 39. Art. I. et III.
2. Opuscula Cajclani I. Opiisf. I, III, XXX. Antverpiae, 1612.
688 REvui: DES sciences philosophiques et théologiques
Mais les points de vue de la controverse ou de l'apologie do-
minaieni dans tous ces essais: les théologiens ripostaient à l'at-
taque du jour par une contre-attaque appropriée. Voilà pourquoi
le traité de l'Église demeure absent de nos bibliothèques patris-
tiques ou scolastiques ; absent dans son ampleur intégrale d'ex-
posé scientifique. Les anciens élaborèrent seulement bon nombre
de ses thèses, mais les subordonnant toujours ou h des fins polé-
miques ou à d'autres traités, dont elles restaient l'accessoire.
Par l'accumulation, néanmoins, de ces travaux d'actualité et
de ces vues fragmentaires, les questions de principe s'élucidèrent
de plus en plus, traçant la voie. De nombreux matériaux apparu-
rent préparés pour des œuvres plus synthéliques et moins oc-
casionnelles.
Mais toujours, la même provocation hétérodoxe des travaux
catholiques se vérifia et se vérifie encore sous nos yeux : c'est
encore une loi sociale du progrès théologique : la loi des réac-
tions. Le dix-neuvième siècle finissant, voyait s'élaborer des
philosophies de la révélation, d'après l'histoire et la psychologie,
— protestantes s'entend, — non sans mélange de piétisme croyant
et de rationalisme criticiste, à la manière de Kant. On prétendait
y poser le problème de l'Église et du dogme dans toute son am-
pleur. Auguste Sabatier concluait son exposé critique des « gran-
des formes historiques dn christianisme » par une théorie sur
la «mission pédagogique de l'Église »(1). Une ecclésiologie encore
est esquissée dans les Conférences de Harnack sur « l'essence
du christianisme » (2). De tels essais n'appellent-ils pas des
essais catholiques? La question de l'Église y devrait s'exposer
dans toute son ampleur, avec le ton et les moyens de la science.
L'Église elle-même facilite la tcàche. A mesure des erreurs ec-
clésiologiques parues dans le siècle dernier, Grégoire XVI, Pie IX,
le Concile du Vatican, Léon XIII rappelèrent la vérité tradition-
nelle ou l'ilkistrèrent à point nommé, devant les problèmes nou-
veaux qui se résolvaient incorrectement. Naguère encore, Pie X
continua ces enseignements d'actualité ([ui dégagent de l'éter-
nel : on doit creuser, à cet égard, les propositions I ta VIII et
LU à LVI du Décret Lamentahili.
A raison de toutes ces données accumulées et convergentes,
jamais peut-être le terrain ne fut mieux préparé par la contro-
1. .\. Sabatier. E-'^qiiisse d'nnr nhi.fosophir. (h: li, rdigion, d'après la psi/-
■■holoi/ic et rhisjoirr, ]>. 253. Livre II. Cli. II H Livre III. Cli. II et III.
2. Haunack. L'Essence dxi Chrisli ini^mc, IX« Conférence et suivantes.
LES DEUX THEOLOGIES ()80
verse, mieux jalonné par l'autorité, pour la conipositiou d'un traité
de l'Église, intégral et approfondi. « Si saint Thomas revenait
et voyait le dogme de l'Église au point où il est parvenu de nos
jours, — écrit le 11. P. Gardeil, — je ne doute pas qu'il ne lui fit
une large place dans la troisième partie de la Somme tju'ologique,
entre le traité de l'Incarnation et le traité des Saci'cincMils » (Ij.
Pour amener cette renaissance de saint Thomas, il appartient à
son école de lui rendre des précurseurs : comme toute grande
œuvre de doctrine, la future Ecclésiologie synthétisera l'acquis
épars des siècles. Dieu veuille y animer, si ce n'est déjà fait,
quelq;ue jeune théologien, de préférence un professeur enseignant
ces matières, et, par là même, en communion habituelle de pen-
sée avec les Pères, les Papes, les Théologiens qui furent les élabo-
rateurs de la doctrine à exposer; — un studieux, un recueilli,
qui sache la valeur active de la contemplation et de la solitude;
— un longanime, un généreux, pour consacrer « les longs espoirs
et les vastes pensées » dont s'illumine la jeunesse, à la matura-
tion patiente et humble de la synthèse attendue. S'il est vrai que
toute vie féconde et belle réalise dans son âge mûr un enthou-
siasme de ses vingt ans, quel plus digne achèvement d'un minis-
tère professoral et universitaire, que ce traité de l'Église, traité du
Fils de Dieu socialisé !
Ok y appliquerait les moyens ratiomiels de la méthode sco-
lastique à une matière sociale d'un genre à part et surnatu-
rel. Au lieu de reposer sur le travail manuel qui exploite les res-
sources d'une région; au lieu de ressentir l'effet accumulé de
travaux antérieurs, en des régions diverses, parmi des migrations
éducatives, comme c'est le cas des familles ouvrières et des na-
tions, l'Église repose toute sur le témoignage de son fondateur, per-
pétué par d'authentiques représentants. Au lieu d'organiser les
biens de la vie présente, elle achemine les hommes vers l'éter-
nelle béatitude. Étant donné cette fin et cette origine, on pos-
séderait, avec leur notion, la vue des principes irréductibles et
constitutifs de l'Église catholique; à partir d'eux, on (diercherait
ses éléments, consécutifs de cette fin et de cette origine : d'une
part, son autonomie, ses pouvoirs, ses agents émanés de Dieu,
d'autre part, ses matériaux humains et les états de vie que son
action sumaturelle leur communique ; de là, on passerait aux re-
lations extérieures de l'Église, dans le temps où elle vit et dans
1. A. Gardeil. La Crédibilité et l'Apologétique, p. 147, 148.
69U REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
l'Éternité où elle retourne. Au fur et à mesure, ou montrerait la
suite et la synthèse de ces grands faits sociaux élémentaires,
par une exacte détermination de leurs influences l'un sur l'autre.
On commencerait, bien entendu, par le plus simple, qui ne se
fonde sur aucun autre, pour avancer par degrés de complication
et de dépendance.
Au point de vue de cette gradation, ces éléments et principes
de l'Église rentreraient, semble-t-il, dans les catégories suivantes,
que j'ai tâché de préciser, pour bien montrer la portée sociale de
la méthode scolastique :
I. — La fondation divine de l'église. — 1'' Sa fin surnatu-
relle, posée par Jésus-Christ. — 2° Révélations et institutions
émanant de lui ou des apôtres, dans la période fondatrice.
II. — Le développement de l'église. (A cause des éléments
humains de sa fondation). — Développement : 1» Dans la doctrine.
— 2" Dans les institutions.
III. — L'autonomie de l'église. — 1° Subsistant par elle-
même comme société parfaite à raison de sa fin. — 2'^ Rejaillis-
sement de son autonomie dans le temporel de son existence :
propriété, gouvernement, administration.
IV. — Les pouvoirs de l'église. — 1° Testimonial et doc-
trinal. — 2° Sanctificateur et sacramentel. — 3'^ Disciplinaire,
législatif et judiciaire.
V. — Les agents hiérarchiques. — l*^ Formes ordinaires
et actes quotidiens. — 2° formes et actes solennels, intermit-
tents (Conciles, définitions de foi, etc.).
VI. — La multitude gouvernée. — 1° Fidèles baptisés. —
2'' Les délinquants : hérétiques, schismatiques, apostats. Droits
envers eux.
VII. — Les groupements par états de vie. — 1'^ Laïcs et
clercs. — 2° Séculiers et religieux. — 3° Simples croyants et
savants. — 4° Ascètes et mystiques. (Relations de ces groupes
fragmentaires avec la vie du tout).
VIII. — Relations avec les autres sociétés. — 1° Dépen-
dances temporelles des fidèles et des pasteurs. — 2° Autonomies
respectives des groupes dont ils dépendent temporellement : fa-
milles, écoles, universités, associations professionnelles, états sou-
verains. — 3° Sociétés catholiques, dissidentes, neutres, persé-
cutrices.
LES DEUX THÉOLOGIES 691
IX. — Relations au delà de ce monde. — 1° Avec l'Église
triomphante. — 2° Avec l'Église souffrante. — 3'^ Pouvoir sur les
démons.
Cette sommaire nomenclature ne se présente ici, bien entendu,
que comme le simple essai d'un instrument d'analyse et de re-
cherches. Ses termes seraient à creuser; mais strictement au point
de vue du concours de Jésus, de ses apôtres, de ses représentants
et collaborateurs à ces diverses fins. Des problèmes accessoire-
ment posés et quelquefois mal à propos dans la morale, le droit
canou ou l'apologétique se retrouveraient là scientifiquement grou-
pés autour du même objet. Ce serait une métaphysique sociale
de l'Église. Encore une fois, les problèmes soulevés dans celle-ci
et autour d'elle, les jalonnements fixés par ses autorités réclament
cet inventaire universel de travaux séculaires, cette solide base
pour les progrès toujours possibles des catholiques dans la
pénétration de la doctrine révélée.
Mais, si parfaite qu'on la suppose, cette sociologie philosophi-
que de l'Église suffirait-elle à renfermer tout ce que la raison
du croyant et du théologien doit s'expliquer dans la nature
et dans la vie de ce grand corps surnaturel?
Je pense que non. Si quelqu'un s'étonnait de cette catégorique
négation, je le prierais de méditer l'exposé de motifs qui va
suivre. Puissé-je le donner avec abnégation de toute vue sim-
plement personnelle, dans une humble ouverture aux exigences
de la vérité ! — Voici l'objet formel de connaissance théologi-
que où il semble que, d'une part, la scolastique n'atteint plus
et que — d'autre part, une autre science, non moins théologique,
doit se trouver compétente.
IV. — LA FACTURE SOCIALE DU PROGRES DOGMATIQUE
DANS SES PHASES CONCRETES.
Il est certain d'abord que la théologie scolastique s'abstient
de suivre pas à pas les phases particulières que l'exposé, la
défense et le développement du dogme traversèrent au cours
des âges. Cette sorte d'abstraction appartient en propre au mé-
taphysicien : il se transporte hors des temps et des mouvements,
dans la région des causes les plus universelles, des pures essen-
ces, des qualités premières de l'être; — et ce n'est pas illégi-
time dans les matières dogmatiques. Toutes les explications que
G02 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
celles-ci reçurent peu à peu, développèrent simplement, en termes
plus abstraits, plus distincts, en formules plus approfondies et
plus compréhensives, ce que Jésus ou les Apôtres condensèrent
à la perfection, du premier coup, en quelques mots révélateurs.
Nous les presserons toujoure, ces mots divins, sans épuiser jamais
leur sève de vérité. Dès l'origine, ils contenaient l'essence de
la révélation, les principes les plus universels de ses explications
futures, les suprêmes causes génératrices de tout progrès dogmati-
que réalisable par l'Église (1).
Mais Jésus mettait Dieu et ses vues parfaites à la portée des
hommes, des Juifs de Palestine : il s'exprimait en araméen,
dans un style concret, mêlé de paraboles et de sentences, affir-
matif plus que raisonneur, bien à l'usage de vignerons, de ber-
gers, de pêcheurs aussi étrangers que possible aux précisions
analytiques, aux nuances abstraites, aux synthèses logiques du
dialogue platonicien ou de la prose d'Aristote. Saint Paul, sans
doute, parlait le grec; mais quel grec! L'idiome usuel des ports
méditerranéens, simple langue de commerçants, toute bariolée
d'hébraïsmes, dans son usage au Ghetto et dans les synagogues
de la Diaspora.. Ce grec et cet araméen, ce sont les plus étran-
ges des langages pour des Hellènes purs ou des Latins; et alors,
puisque les vérités parfaites, internationales de la révélation se re-
vêtaient là de fonnes régionales et imparfaites, un travail s'im-
posait, selon que l'Évangile pénétrait de nouvelles civilisations.
Le grec philosophique des Pères et des Conciles orientaux ; le vo-
cabulaire augustinien des Conciles de Carthage et d'Orange ;
le latin scolastique des Conciles de Vienne, de Florence ou de
Trente, ce dernier plus teinté d'humanisme classique; en un
mot, les styles variables des Conciles à mesure du progrès de la
langue théologique durent peu à peu traduire analytiquement
les données primitives.
Mais, transporté en dehors des temps, le métaphysicien du
dogme ne s'arrête point à considérer chaque phase individuelle
de ces diverses traductions. La perspective des temps s'est fon-
due à ses yeux dans la lumière totale, acquise et condensée au
moment où il vit. Pour peu qu'il soit exagéré et rebelle à l'ob-
1. S. Thomas. Siimma theologiea, U^ n^e. Quaest. 1, art. VII, ad 2™,
ad 4in. — B. Allô, Germe et Ferment, Revue des Se. phil. et théol, I.
38, 43. — A. Gardeil, La Réforme de la Théologie catlwlique, Revue thomiste
septembre-octobre 1903, p. 447, 448. — Schaezler, Introductio in Sacram
theologiam, 148, 150.
LES DEUX THEOLOGIES G9o
servation, il niera qii'im Concile s'exprime différemment d'mi an-
tre; plus modéré et moins fermé, il manquera d'intérêt i)Our
les stades concrets et singuliers qui amenèrent le dogme à son
état présent d'explication.
Le plus qu'il puisse à cet égard est de considérer in ahstracto
la loi miiverselle du Développement doctrinal. ^lais il se garde
bien d'en relever les matérielles applications, selon les cas in-
dividuels, examinés à l'état concret. Il ne touche cà ceux-ci
que par manière d'exemples vus de haut. C'est suffisant pour
justifier son commentaire général de la sentence évangélique :
« Il eu est du Règne de Dieu, comme d'un Jwmme, père de famille,
lequel extrait de son trésor de l'ancien et du nouveau (1) ».
jMais alors, un élément réel, une propriété du magistère et
du dogme échappe au scolastique en vertu de sa métJiode : leurs
phases de développement par des facteurs hiérarchiques; leurs
phases dans ce que je \iens de nommer Vétat concret et singulier.
Or, ce n'est pas un objet qu'on puisse dédaigner, ce devenir con-
cret des organes enseignants et des doctrines enseignées. Voici
pourquoi :
D'une manière générale d'abord, c'est s'amoindrir l'intelligence
que de négliger les faits particuliers. Un métaphysicien nous
l'assure, qui pratiquait personnellement la plus parfaite synthèse
d'une très haute abstraction avec l'observation vivante et réa-
liste : « Cognoscere singularia pertinet ^d perfectionem nos-
tram (2) ». Les scolastiqnes eussent moins encoiLru le reproche
d'ignorer tout en dehors de leurs généralités et de ne point possé-
der ime culture intégrale de l'esprit, s'ils avaient pratiqué tou-
jours cette sentence de saint Thomas (3'.
En second lieu, négliger les phases concrètes de l'organisme
enseignant et du dogme enseigné, c'est méconnaître une pro-
priété de tous deux, consécutive à leur nature: le développe-
ment successif. Cette succession est essentielle dans la transmis-
sion des données révélées par des agents sociaiLx. Essentielle, non
pas au fonds divin, car, émise par Jésus-Christ comme définitive en
ce monde, la révélation chrétienne est parfaite du premier coup,
dans la richesse infinie de ses mots les plus simples. Bossuet l'a
bien ^1I ; mais sans remarquer, semble-t-il, que, par degrés seule-
1. ML XIII. 52.
2. Summa theologica, I^ Pars, quaest. 14. XI.
3. T. Richard. Usage et abus de la Scolastique. — Bivur thomisfr, iiorom-
bre-décembre 1904^ p. 56.5 et suiv.
2e Année. — Revue des Sciences. — N" i. 4;
694 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ment, l'intelligeiice humaine pénétrerait la densité de ces trésors.
Selon lui, «la vérité que le Saint-Esprit enseigne a un langage tou-
jours uniforme», là même où saint Thomas reconnaît des «éditions
nouvelles » du symbole catholique, par des Conciles successifs.
«Le suivant ne dressait pas un symbole autre que le précédent;
mais le contenu implicite que celui-ci renfermait recevait des
additions explicatives contre les hérésies qui surgissaient » (1).
Dans ce développement, c'est l'élément humain de l'Église qui
agit, non sans cfue Dieu l'assiste et le dirige; mais selon le
mode naturel de ses opérations. Si déjà la raison n'actualise que
par étapes toutes ses propres découvertes, combien de progrès
lui faudra -t-il pour qu'elle approfondisse les paroles de l'Infini,
de l'Absolu et du Parfait! Les Pères apostoliques ne dégageront
pas de saint Paul tout ce que Paul tenait de Jésus ; mais les sui-
vants le pénétreront davantage. Si donc évolution du dogme v^eut
dire que la révélation elle-même passe du vague au précis,
du sentiment obscur à l'idée nette, il n'y a pas d'évolution :
Jésus voyait à fond ce que les générations découvrirent peu à
peu en explorant son Évangile. L'évolution est tout entière dans
la pensée des croyants, qui va de la puissance à l'acte, de l'im-
plicite à l'explicite, du principe à la conséquence.
De même, au point de vue des institutions, Jésus posait en
fait les bases permanentes, les principes typiques de pouvoirs et
d'organes qui, peu à peu encore, se développèrent sous la pous-
sée de leur vie interne, en réaction contre les heurts et les dé-
viatioiu qui les menaçaient en divers milieux. Le tout se préexis-
tait éminemment dans les fonctions primitives du collège aposto-
lique et de son chef.
Mais voici la difficulté. Il appartient à la métaphysique du
dogme ou de l'Église de définir en général cette loi évolutive;
à qui donc appartiendra-t-il de discerner en particulier chacune
de ces phases, tout en les regardant comme les étapes successives
de l'Étemelle Vérité, lorsqu'elle s'explique aux hommes, par
l'Église et dans le temps ? Allons-nous donc nous interdire cette
science du concret? Car c'est une vraie science : chaque phase
singulière du progrès dogmatique s'y éclaire d'une lumière gé-
nérale, empruntée aux données de la révélation. Y faudra-t-il re-
noncer?
1. SinjDiKi theoloii'tra, 11^ ll^e. Quacsl. I. Art. VU. Art. X. — I» Par.s,
3tj. Art. II, ad 2'". — Busslet. Premier avertissement aux protestants.
LKS DF.UX THÉOLOGIES
6Pè
Jamais! Ce serait nous crever un œil. Le segment d'horizon
mvisiblc pour nous subsisterait quand même, peuplé de vie et
de lumière. Tout le progrès successif des organes enseignants
et du dogme enseigné ne se déroulerait pas moins dans le passé
et de nos jours comme un splendide fait de vie sociale surna-
turelle, dont le Saint-Esprit demeure l'àme au travers des temps
Nous resterions à ne pas voir ce déroulement, comme des mu-
tilés d'intelligence! Il requiert donc de notre part cette attention
religieuse au sens divin des choses, cette vue de Dieu omni-pré-
sent, qui est la lumière propre du théologien. Elle illumine aussi
bien le concret que l'abstrait, les temps et leurs changements,
que les essences dans leur fixité. Ne craignons pas ici de dépasser
la métaphysique : il y a, dans l'Église et dans l'Évangile, plus de
vérités que la métaphysique n'en aperçoit. Vn objet de science
théologique se découvre à nous.
Un objet positif, aussi bien, nous le savons déjà, soit qu'on y
considère l'émission initiale de la révélation, soit qu'on pour-
suive les phases de son explication croissante au cours des
âges (1). Tout cela s'est vu et constaté par des témoins oculaires;
tout cela se raconte historiquement sur les données de leurs té-
moignages. De plus, l'action divine sur le progrès dogmatique
amène les Conciles à édicter des canons, et les théologiens à
composer des ouvrages. Encore du positif, c'est-à-dire du tan-
gible et de l'obsen^able, sous forme de documents: ils se produi-
sent comme les effets et les signes de ce progrès cfue Dieu ac-
tionne.
Et dès lors, leur étude positive se complique singulièrement.
Comme ils sont par nature, ces documents de l'Église, des signes
matériels, diplômes, inscriptions, manuscrits, imprimés, ils don-
nent prise à divers genres de connaissances positives que nous
devons soigneusement distinguer. C'est le meilleur moyen d'ar-
river au très pur et formel objet de la théologie dite positive :
une méthode éliminatoire par voie de comparaison. Nous par-
viendrons alors à définir ainsi exactement que possible, sous
quel aspect cette seconde théologie considère les phases concrètes
et individuelles du progrès dogmatique.
1. \oir plus liant, II, La Transmission socialo rie la rôviMatioii.
696 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Y. — LE POSITIF DOCUMENTAIRE
ET LE POSITIF THÉOLOGIQUE.
Les dociimeiits, d'abord, nous parviennent écrits dans une lan-
gue particulière : ici le latin de saint Augustin, ailleurs le grec
de saint Basile. Possédons-nous leur texte pur et natif? La ré-
ponse appartient 1° à l'examen philologique et grammatical, d'a-
près ce que l'on sait de la langue usitée dans le milieu de l'au-
teur, et de sa langue personnelle. — 2° On poursuivra aussi l'exa-
men comparatif des manuscrits ou des imprimés. Lesquels sont
primitifs et typiques des autres? Quelles leçons autorisent-ils?
On recomiaît la tâche de la critique textuelle.
Assurément, c'est du positif, mais non point de la théologie.
Des spécialistes appliquent là des connaissances philologiques,
bibliographiques, paléographiques à l'examen d'un document.
Leur objet propre est d'en fournir mi texte inaltéré. Ils restent par
là même dans le positif documentaire.
]ilais que le théologien ne dédaigne pas ces questions de grec
et de latin, de variantes et de virgules! S'il existe une théolo-
gie des phases concrètes du dogme, elle réclame impérieusement
cette vérification des textes qui la documentent. Le critique
de ces textes opère donc le commencement d'un inventaire positif,
où le donné théologique se vérifie bon au point de vue tout maté-
riel de sa livraison dans l'Église. Sans rien avoir à décider pour ou
contre le dogme, ce spécialiste agit comme mi premier jjrépara-
teur de pièces théologiques. Il travaille fort utilement pour l€!
laboratoire du théologien.
Que de variétés encore, parmi les documents ! La lettre du pape
Léon au patriarche Flavien, de Constantinople, est une véritable
encyclique à l'adresse du Concile de Chalcédoine. Elle formule
en termes exprès la profession de foi du Saint-Siège sur l'union
hypostatique ^l). Autre est le caractère des deux lettres du pape
Grégoire à Euloge, patriarche d'Alexandrie, sur l'hérésie des A-
gnoëtes, relativement à la science du Christ. Ce sont deux let-
tres intimes : l'intrépide grabataire qu'était Grégoire s'y la-
mente de sa podagre aux douleurs lancinantes. En même temps,
il y expose les opinions de saint Athanase, de saint Grégoire de
Nazianze, de saint Cyrille d'Alexandrie. A la critique, aussi
bien, d'examiner comment et auprès de qui le Pontife s'in-
1. MiGNE. P. L. LIV. 117;V Harduin, Acta Conciliorum, II, 386.
LES DEUX THÉOLOGIES 697
forma de ces auteurs, car il avoue ignorer le grec (1), Cette cri-
tique des procédés et des formes de la composition se nommera
littéraire ,
Positive toujours, puisqu'elle décrit ses objets ou les explique
par le moyen de l'observation, de l'analyse et de la comparaison,
elle ne sera pas encore de la théologie ; elle restera de la connais-
sance documentaire. Classer, dater et caractériser les pièces,
te] est l'objet que lui assignent ses propres spécialistes (2), Grâce
à leurs soins, notre inventaire des matériaux qui fournissent les
données de la théologie prendra figure de synthèse : ils dressent
leurs catalogues par époques et par genres. Ils n'y omettent pas
les délicats problèmes de l'authentique et de l'apocryphe. S'ils
ne sont pas eux-mêmes théologiens, ils constituent encore une ca-
tégorie de préparateurs documentaires pour l'atelier du théologien.
Et celui-ci leur doit une juste reconnaissance pour les données
positives qu'ils lui apprennent à contrôler.
Ce n'est pas tout. Quelle que soit sa fonne ou sa date, un apo-
cryphe, un authentique exprime une doctrine. Par là, il constitue
essentiellement un événement, gros ou petit, dans le travail ex-
plicatif du dogme ou bien encore dans les effets de son élucidation.
La Hiérarchie ecclésiastique du Pseudo-Denys, les trois livres
de saint Augustin eoyitre les lettres de Fetilianus, évêque donatiste
de Cirta, représentent chacun une phase dans l'élaboration de la
doctrine ecclésiologique. De même, c'est le dogme christologique,
à des moments divers, que nous trouvons en 381 dans les canons
du IP Concile œcuménique de Constantinople et dans ceux de
Chalcédoine en 451. Ici donc, une question, non plus de mots
et de texte, non plus de composition ou d'attribution, mais de
fond et de choses, nous presse immédiatement. Quelle est la
place de ce Concile, de ce Père, de ce pseudonyme, et de leurs
travaux respectifs dans la croissance de la doctrine ?
A ce problème, un troisième critique répond : l'historien. En
possession de documents que les deux autres lui ont livrés
en bon état, datés, attribués, caractérisés, classés, il vise tout droit
aux choses dont ces documents parlent. Sans doute, il pratiquera
souvent lui-même la critique textuelle et la critique littéraire;
mais, quant à lui, comme historien, bien voir les faits, en bien
1. S. Grégoire. Bcgcsfa episfolanim, X, 35, 39. P. L. XCIV. 1091, 1096.
Cf. Beg. ep. VII, 32. XI, 74.
2. Batiffol, Annennes littératures chrétiennes, I, XIV. — Lagrange, La
Méthode historique, 11.
698 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
saisir les enchaînements de cause à effet, les exposer de la
façon la plus claire et en toute sincérité, tel est le programme
de sa spécialité (1). Il tâche de le réaliser par son observation,
son analyse et ses comparaisons documentaires : alors, il syn-
tliétise les résultats des deux critiques préparatoires, dans une
troisième, qui travaille pour son compte à pénétrer le réel, à
voir revivre le passé (2).
C'est encore bien du positif que cette vue des faits et de leur
suite, par le moyen des documents ; toujours du positif documen-
taire.'—Mais ce n'est pas de la théologie; cela reste de l'histoire.
D'une méthode purement historique, une théologie ne résultera
jamais. Sans doute, la théologie vous fournira de nécessaires ma-
tériaux pour vos récits, puisque vous entendez raconter les pha-
ses doctrinales traversées par l'Église. Mais, la méthode formelle-
ment e< non pas la matière seule, voilà ce qui spécifie une science.
On vous reprocherait donc l'ambiguïté des termes si vous nommiez
ici théologie positive, ce qui est simplement l'histoire des doc-
trines développées dans l'Église et par elle.
A ce sujet d'ailleurs, les historiens avertis n'oublient pas le
caractère généralement incomplet des collections documentaires
les plus riches : les parchemins, les stèles et les bibliothèques ne
restituent le passé que par fragments épars ou mutilés. De tou-
tes parts, les documents laissent des périodes obscures et de^
problèmes insolubles. Dans notre histoire des premiers âges chré-
tiens, malgré Eusèbe, cet « heureux accident », que d'inconnues
encore ! « La documentation critique et historique peut bien nous
donner des essais de croquis, des hypothèses sur la manière dont
les choses purent se passer, du vrai documentaire ; elle est im-
puissante à reconstituer le BéeJ total » (3).
Conscients de cette insuffisance, les plus probes historiens n'hé-
sitent pas à y suppléer, précisément par des hypothèses, que le
document lui-même suggère sans toutefois les nécessiter. L'ap-
port des sources documentaires se complète par celui de sources
variées, mais scientifiques toujours et nourrissant la connaissance
des hommes : géographie, sociologie, psychologie, métaphysique
même; car celle-ci partout sonde le tréfonds des choses. Aussi,
1. DucHESNE, Lettre-préface, dans Flnk-Hemmer, Histoire de l'Eglise.
2. LAonANGE. La Méthode hisforique, 187.
3. A. Gabdkil. La Béfoniie de la Théologie catholique. — Revue thomiste,
mars-avril 1903, p. 18.
LES DEUX THÉOLOGIES 699
l'histoire que M. Blondel nommait critique et technique se prolonge
dans celle qu'il appelait réelle; et les deux n'en font qu'une,
observait justement le R. P. Allô (1).
Allons-nous donc prétendre alors compléter simplement notre
science documentaire des phases doctrinales par des hypothèses ?
Ce serait notre seul recours, si l'Église se fût développée comme
une société purement humaine, sans nulle intervention surnatu-
relle; ou bien, si nous ne possédions la foi. Et c'est pourquoi,
sous la plume d'un incroyant, l'histoire de nos doctrines devient
si facilement insuffisante et conjecturale. Elle ressemble à une
histoire de la musique, écrite par un auteur qui manquerait tout
à fait d'oreille, mais qui se serait documenté chez les artistes :
que de thèses fragiles, que de lacunes et d'incompréhensions !
« Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas ». Ce vieux
mot d'Isaïe, appliqué par saint Anselme à la pénétration des
choses divines, reste aussi vrai dans la science des phases doc-
trinales que devant les profondeurs métaphysiques du dogme.
Pour nous, qui possédons la foi, nous considérons les documents
épars et fragmentaires des époques doctrinales dans une lumière
directement émanée de l'Intelligence Suprême qui en gouverna
le développement. Intérieure à notre âme, cette lumière tombe
sur des objets que nous garantit au dehors le magistère contem-
pcrain de l'Église ; cet enseignement nous donne l'expression actua-
lisée des virtualités natives de la donnée révélée ; et alors, sans pré-
tendre voir les Pères apostoliques, par exemple, professer nos ex-
plicites formules sur l'union hypostatique, ce qui serait de la dé-
mence historique, nous retrouvons, dans tel passage fameux de
saint Ignace d'Antioche, notre foi même sur Jésus-Christ, « l'uni-
que médecin, corporel et spirituel, engendré et inengendré, venu de
Dieu et venu de Marie» (2). Notre foi actuelle se reconnaît bien
là; mais non encore précisée dans sa formule métaphysique par
les notions de nature et de p-ersonne. Il y faudra quatre cents ans.
Ce n'est pas simplement le contenu du dogme ancien que
nous connaissons bien par son actuation contemporaine; nous
découvrons aussi par quelles voies de conséquence logique ou
d'assimilafiou normale, les notions philosophiques de nature et
1. R. P. Allô. Extrinsécismc el hislorlaismc. Reçue thomiste, septembre-
octobre 1904, p. 453, 454.
2. Ignatii Kj)/sf. ad Ephedos, VII. 2. Funk. Patres aposlolicl, I, 178, 179.
— A. Gardeil. La Béforme de la Théologie catholique. Revue thomiste, sep-
Icmbre-octobro 1908, 445, 446. — Niîwman. Histoire dto développement da
la doctrine chrétienne, Paris, 1818, p. 161.
700 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
de personne se sont incorporées au dogme ecclésiastique. Nous les
voyons élaborées par saint Cyrille d'Alexandrie et par Léonce
de Byzance; estampillées par les Conciles (1). Alors, dans une vue
de foi intelligente, nous retraçons la courbe rationnelle de ce long
développement. Elle enveloppe et dépasse les fragments de vie
et d'époques, manifestés par les documents. Ce que ceux-ci nous
donnent à obser\'er par les dehors matériels et empiriques ; par
des signes sensibles et naturels, toujours inadéquats à l'intelligi-
ble et au surnaturel ; avec des intervalles de ténèbres et des pério-
des allongées de silence, notre foi à la croissance dogmatique,
nous le donne à considérer dans une synthèse suivie, où les
minutieux problèmes textuels, littéraires, historiques, prennent
une ampleur nouvelle et une vie supérieure. Ils réapparaissent
là, comme les monuments partiels et distancés, les colonnes mil-
liaires de la grande voie sacrée, toujours suivie par l'Église,
coinmentant l'Évangile. Autrement dit : nous ramenons là nos
incomplètes données d'énidition et de critique, à une vue coor-
donnée des étapes qui marquent le progrès doctrinal dans l'É-
glise catliolique. Aux critiques documentaires, à la critique pure-
ment historique, une plus haute critique s'ajoute ainsi, péné-
trant le sens divin des phases doctrinales, marquant leur unité
continue, dans la diversité des langues et des temps (2).
Ce sera encore bien de la critique' positive : non seulement
elle enregistrera les documents qui constituent sa matière propre
et immédiate; mais surtout, elle observera les signes qu'ils ren-
ferment d'une continuité logique, vivante et infrangible de la
doctrine catholique, à partir du témoignage révélateur de Jésus
et de ses Apôtres. Ces signes, perpétués d'âge en âge et de ques-
tion en question, lui donneront à retrouver expérimentalement la
substance pure des données révélées, tantôt dans leurs explica-
tions et conséquences directes, tantôt dans les assimilations de
termes savants ou populaires, les uns fournis par les théologiens,
les autres adoptés par les foules, et sanctionnés ici et là par les
Évêques, les Conciles, les Papes, en des écrits qui font foi. Ce
ne sera pas sortir du positif, c'est-à-dire de ce qui se manifeste
sensiblement dans le temps et dans l'espace, que de relier ces dé-
1. TixERONT, Des concepts de nature et de p;rso)ine dans les Pères et les
écrivains ecclésiastiques des V^ et VI^ siècles. — Revue d'Hist. et de Litt.
religieuses, nov. 1903.
2. A. Lf.monnyer. Comment s'organise la Théologie catholique; Bévue dik
Clergé français, 1er octobre 1903, 241.
LES DEUX THÉOLOGIES 701
vcloppements successifs de la doctrine Scacrée aux textes qui en
contiennent les premiers principes ou qui en jalonnent les phases.
Alaiâ ce sera du positif surnaturel : l'observation et la critique
du théologien considèrent les monuments de la révélation et du
dogme sous la lumière de la foi. Au lieu de s'en tenir à des ana-
lyses, à des rapprochements de simple raison, ainsi que le bota-
niste ou le sociologue, le théologien positif compulsera ses docu-
ments comme l'expression directe ou le commentaire autorisé
de témoignages divins. De même que la notion de loi ou d'ordre
naturel parmi les phénomènes préside à toute recherche de labo-
ratoire ou d'observation ; de même, la notion de témoignage divin
continué et socialisé, gouvernera la méthode positive du théolo-
gien.
11 en résultera un classement particulier des documents théo-
logiques. Selon les caractères apodictique de l'enseignement des
Papes ou des Conciles, et simplement prohahh de l'enseignement
des théologiens, — au sens que prennent ces termes dans le
Traité des Lieux théologiques, — la théologie positive pourvoira
les documents qu'elle recueille, de notes diverses, graduées avec
précision au point de vue de la foi et de la certitude (1). Mais
qu'en veuille bien le remarquer : cette nécessaire caractérisation
iramènera toujoure la valeur d'un document positif au témoignage
documentaire existant d'un groupe ou d'un personnage hiérar-
chique, ainsi qu'à sa cause propre et iinmédiate dans V ordre de
la. révélation surnaturelle et de V enseignement ecclésiastique. Les
caractères doctrinaux des énoncés admis par les tliéologiens ou
l)ar l'Église se dessinent oi fonction de Vorgane enseignant dont ils
émanent, à proportion du mode de leur émanation. Leur qualifica-
tion — de foi, proche de la foi, certain, etc. — nous découvre
donc une propriété logique et un droit à tel genre d'adhésion dont
la science intégrale ne se réalisera que par un seul et unique
moyen de démonstration : le rattachement positif de cette pro-
priété à l'acte, à l'organe d'enseignement par locfuel elle existe
et qui la spécifie.
Et donc, si le théologien scolastiiino est le mélaphysicien du
dogme, le positif en est un sociologue; — non pas le sociologue
abstrait, comme le scolastique étudiant l'Église, mais le sociologue
da)ts le concret. S'il fallait proposer une devise scriplnraire pour
la théologie positive, on se souvienrlrait que, dans le tons les
1. A. Gardkil. L(i Kolioit du Lien. niéoJof/i'iioe, p. 45, p. 80.
702 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET TIIÉOLOGIQUES
jours familier et variable, par le détail individuel de chaque
phase doctrinale, se vérifie la continuité de la donnée révélée
émise par Jésus avec les commentaires dont il laissa le soin à
ses envoyés. La devise cherchée serait donc : « Avec vous, tous les
jours, jusqu'à la fin des âges ». Il n'est peut-être aucune parole
évangélique où se résmne plus fortement cette collaboration du
Christ révélateur et des Autorités ses interprètes, dont résulte à
nos yeux le point de vue social de la théologie positive.
En proposant ce point de vue, je ne me dissimule pas que son
aspect social présente un élément de nouveauté dans l'ensei-
gnement des théologiens ; mais je constate que cette nouveauté
se produit dans une ligne de pensée absolument traditionnelle. Voici
comment.
D'abord, à la lecture d'ouvrages, soit anciens, soit modernes,
sur la théologie positive ; à la lecture de Pères, de Docteurs, de
Conciles auxquels me renvoyaient ces ouvrages, de plus en
plus j'observai que des groupements hiérarchiques et des grou-
pements privés, solidaires toujours de leurs prédécesseurs, éla-
borèrent l'exposé, la défense, le progrès, la formule authentique du
dogme catholique. Des Pères agirent après leur mort sur d'au-
tres Pères, qui les suivirent et les complétèrent. Des Pères colla-
borèrent entre eux par des échanges de vues concordantes ou de
polémiques. Des isolés eux-mêmes collaborent, sans le sa-
voir, à des pensées que d'autres élaborent, isolément aussi :
de part et d'antre, on travaille sur les mêmes données du Christ
révélateur, en communion avec son assistance présente, par le
moyen de l'Église. J'avouerai notamment que la documentation
des Dogmafa théologien, de Pétau, me fut des plus décisives pour
cette constatation expérimentale des ateliers et groupes d'ate-
liers où se travaillent les doctrines. Ce que Pétau pensait en théo-
rie de la théologie positive, je ne le sais trop. Il s'occupe moins
de la définir que de l'utiliser dans un ensemble assez complexe
de recherches. En même temps qu'elle y figure pour son objet
spécifique, elle se subordonne à des études sur les origines des
grands problèmes scolastiques chez les Pères, et cà des examens
criliqueiL de la critique protestante (1).
En second Hou, «l'ailleurs, les plus classiques définitions de la
théologie positive me parurent elles-mêmes un acheminement
certain vers le point de vue sociologique. D'après Franz-elin, par
1. DoijiHdlii Ihi'oJogica, Prolegomona. IX. il. 10.
LES DEUX THÉOLOGIES 703
exemple, la théologie positive a pour objet la parole de Dieu
en tant que consen^ée dans l'Écriture et la Tradition, et proposée
par l'Église [i). Mais, puisque c'est l'Église qui nous apporte,
nous garantit, nous interprète la Bible et la Tradition, j'obser-
verai ici, avec le R. P. Lemonnyer, que, pour avoir l'objet de
la théologie positive dans son ultime détermination, il faut con-
sidérer la proposition de ces documents par VÉglise, comme l'élé-
ment formel et spécificateur de leur notion théologique et po-
sitive. Et ceci nous maintient dans la grande ligne traditionnelle
de toute saine théologie (2).
Mais quoi? cet élément formel de notre définition rcs(era-t-il un
mot souligné sur une étiquette, ou ne deviendra-t-il pas, selon
sa valeur, un élément principal d'explication et de preuve? S'il
est vraiment formel dans la définition classique, il sera l'âme
de la science que cette définition résume ; il sera le principe or-
ganisateur de sa structure et de sa vie. Or, je pense l'avoir mon-
tré : la présentation du dogme révélé par l'Église s'effectue es-
sentiellement comme l'œuvre propre de la Hiérarchie ; une œuvre
collective et progressant par phases, dans les Conciles, d'une
part, et, d'autre part, dans le Magistère dispersé, mais social
encore, des églises particulières en communion avec Rome. A
cet ouvrage principal collaborent des théologiens, des écoles de
penseurs, qui préparent des éléments aux sentences de la Hiérar-
chie, ou qui commentent ses souveraines décisions. Il nous est
donc impossible de coordonner positivement les phases de l'en-
seignement dogmatique et de la théologie, son accessoire, sans
reconnaître partout le développement de la donnée révélée par
des facteurs sociaux. S'il y a là quelque nouveauté, elle ressort
tout droit des plus classiques définitions de la théologie positive
et de sa plus sûre documentation. C'est pourquoi j'en adresse
l'hommage aux théologiens, aux maîtres, aux anciens, dont les
travaux m'ont orienté vers cette vue plus explicite.
Nice. M.-B. Schw.\lm.
1. Franzelin, De Dioina tradifione. 613. — De Deo uno, 14.
2. S. Thom.\s. Summa theologica, 11^ IT^e. Quaest. 5. Art. 111. corp. et
ad 2ni. — PET.A.U. Dngm-ita theologi''a. Pro'e?. I. 7. — Lemonnyer. Thcologir
positive et Théologie historique, p. 6, 7. Revue du Clergé français, Ler mars
1903.
Le Problème
des Sources Théologiques
au XVP Siècle
SUITE (l).
II
LA RENAISSANCE DES TRADITIONS HERMÉNEUTIQUES
La théorie ecclésiastique de l'autorité des Écritures avait sem-
blé, un momeut, par ses extensions exclusives et arbitraires, met-
tre en péril leur valeur d'enseignement et de doctrine. La théorie
scolastique était venue rétablir l'équilibre, et faire saillir, au pre-
mier plan, le sens dogmatique de la Bible. Mais là ne s'était pas
arrêtée la fécondité intellectuelle de l'Église. Pour viv^re la doctrine
chrétienne, il fallait d'abord la penser. Aucune des directions
normales de l'esprit ne devait donc être exclue de ce travail d'ap-
propriation. Pour beaucoup, la forme logique donnée par la théo-
logie aux enseignements gcripturaites était inaccessible. Pour
quelques-uns même, l'exemple de Roger Bacon le prouve, elle
paraissait ne point convenir absolument. Tous ceux qui lisaient
les Saints Livres en vue seulement de la sanctification de leurs
âmes, et c'était le grand nombre, y cherchaient Dieu non point
sous forme de thèses abstraites et de démonstrations, mais dans
les splendeurs des images bibliques ou sous la grâce infinie des
paraboles et des récits de l'Évangile. Pourtant, cette façon de
comprendre l'Écriture, cette intelligence des simples et des pau-
vres d'esprit, devait, elle aussi, fournir à la théologie un long
développement théorique, et se ranger avec des droits égaux,
1. Cf. Mevue des Se. Ph. et Th. I (11)07), p. (30-93; 474-498.
PROBLÈME DES SOURCES THÉOLOGIQUES AU XYI^ SIÈCLE 70o
parfois même avec des prétentions à la "prééminence, aux côtés
de la théorie ecclésiastique et de la théorie scolastique.
Deusintus loquitur sine strepitu verhoriun. Dieu parle en nous-
même sans bruit de paroles. Cette expérience, vieille comme le
christianisme, avait eu de trop profonds retentissements dans la
vie chrétienne pour ne pas avoir ses prolongements théologiques.
La divine Parole Intérieure n'avait certes pas le relief historique
ni l'importance doctrinale du Verbe de Dieu. Mais elle appropriait,
si l'on peut ainsi parler, l'efficacité rédemptrice de celui-ci à
chaque àme fidèle, rendait cette efficacité sensible et person-
nelle, rétablissait de quelque façon les conmiunications entre
l'honmie et Dieu que l'heure de la plénitude des temps avait vu
conmiencer. Pourtant l'Église hellénique fut trop absorbée pai
les controverses christologiques proprement dites pour donner
une grande importance à ce trait des spéculations touchant le
divin Logos. D'autre part, la vue métaphysique du dogme, qui
domine alors, n'était guère favorable à l'expression doctrinale
de cette grande réalité psychologique. Mais un intermédiaire nou-
veau, moins mystique que la Parole Intérieure, d'une présence
plus immédiate que le Verbe fait chair, allait compléter l'ensem-
ble de thèmes qui devait composer le cycle des développements
relatifs aux manifestations de Dieu dans le monde sous les es-
pèces du langage. L'Écriture, elle aussi, était la parole, la voix
de Dieu. Soit qu'elle enseigne, soit qu'elle ordomie, elle traduit
d'une façon immédiate, la volonté ou la pensée même du Créa-
teur. Dieu a parlé par la bouche des Prophètes et des Apôtres,
et tous, même les ignorants, peuvent et doivent entendre sa voix.
11 est même, par sa divine parole, l'instrument de notre déifica-
tion. « Celui qui s'est retiré des illusions hérétiques, et qui, écou-
tant les Écritures, a consacré sa vie à la vérité, celui-là d'un
homme devient un Dieu. Car nous avons comme principe de
notre savoir le Seigneur qui, par les Prophètes, l'Évangile et les
saints Apôtres, nous conduit en mille façons et par mille voies di-
verses du début à la fin des sciences. Si quelqu'un supposait
avoir besoin d'autre chose, connue principe, alors, il n'y aurait
plus véritablement de principe. Celui donc qui, de lui-même, croit
à l'Écriture du Seigneur et à Sa Voix, celui-là est digne d'être
cru, car il est poussé par le Seigneur à agir ainsi pour le bien
des hommes. C'est de ce principe que nous nous servons comme
d'un critérium pour découvrir la nature vraie des choses. Tout
ce qui est soumis au jugement n'est pas acceptable en effet avant
706 REVUE DES SCIEiNXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
d'avoir été jugé. De so'rte que ce qui a besoin de jugement ne
peut êire principe. Et cependant, c'est avec raison que nous ac-
ceptons par la foi un principe indémontré, car nous tirons de ce
principe même des preuves surabondantes de sa propre vérité,
instiuits que nous sommes par la voix de Dieu dans cette recher-
che. Nous n'accordons point foi aux hommes sur leur simple dire,
puisqu'on peut affirmer le contraire avec autant de raison. Si
donc il ne suffit point d'affirmer ce que l'on croit, si l'on doit
en plus faire foi de ce que l'on dit, alors nous n'attendons pas le
témoignage des hommes, mais nous croyons sur la Parole de
Dieu qui, non seulement est plus immédiate que toute démonstra-
tion, mais encore se trouve être la seule vraie démonstration» (1).
C'est donc la voix de Dieu qui est la source unique de la science
sacrée, source qui porte en elle-même la garantie de sa y-ureté
et de son abondance. Mais, qu'on le remarque, Clément d'Alexan-
drie laisse ici, dans une indétermination favorable aux distinc-
tions futures, ce concept de Parole divine. Il est rapproché et
partiellement confondu avec celui d'Écriture. Pourtant il semble
aussi s'en différencier en quelque façon (2).
Cette restriction était justifiée. L'Écriture n'était pas, en effet,
la seule fomie des productions divines qui rentraient dans la
catégorie des choses inspirées. Le premier âge du Christianis-
me avait vu tout un ensemble de manifestations extraordinaires
que les fidèles rapportaient à une seule cause, à ce « Paraclet »,
que Jésus avait promis d'envoyer aux disciples après sa mort.
Parmi les charismes de l'Esprit de vie et de sainteté, quelques-
uns seulement se trouvaient en relation plus ou moins directe
avec les Livres Saints. Mais déjà s'exprimait la pensée que ce
divin Esprit était l'unique et véritable auteur de la Bible, et
que les écrivains sacrés n'avaient été que ses porte-paroles.
Au reste, son action ne s'arrêtait pas là. Son œuvre ne se bor-
nait pas à fournir, de l'extérieur, une matière intellectuelle à la
foi chrétienne. Son caractère essentiel n'était-il pas avant tout
de répandre dans les âmes l'onction de vérité? Ne devait-il pas,
d'après la promesse elle-même du Christ, exercer surtout un
ministère d'enseignement? Ce qu'il avait fait de façon plus mani-
1. Clément d'Alexandrie, Stromates, VII, 16. M., P. G. p. .322, c. 890.
Voyez aussi Clément of Alexandria, Sevenfh Book of the Stromafeis, éd.
by HoRT and Mayor, p. 166 et notes.
2. C'est ainsi cpie Hort traduit le texte : « ô fjLèv ovi> é^ éaiToû -mcrTos rrl KvpiaKrf
ypa4>rj Te Kul (pijprj à^iàwLSTos.» T[)a.T : « He then wlio of himself believes the Lord's
Scripture and His actual voice is wurthy of belief. » Op. cit.. p. 167.
l'IluBLE.ME DES yuUIlCES TllÉoLOGIOLES AU XVI'' SIÈCLE 707
feste, plus éclatante, plus explicite, par les Prophètes et les Apô-
tres, il allait le continuer sur un mode plus intime, au milieu
des fidèles. Comme il avait inspiré les auteurs des Livres Saints,
de même il allait inspirer leurs lecteurs, en leur livrant, dans une
illumination charismatique, les trésors cachés du sens scriptu-
raire. Grâce à lui seulement, il était possible de découvrir ces
trésors Et la génération des âmes à la vérité, conmiencée dans
l'initiation baptismale par l'eau et l'Esprit, se continuait et s'a-
cbevai* par l'action indéfiniment prolongée de ce dernier. Or,
cette œuvre ne consistait pas seulement à faire trouver dans
l'Écriture, pour chaque àme particulière, la nourriture spirituelle
spéciale dont elle avait faim. Sans l'Esprit, le sens doctrinal de
la Bible restait lettre close. Docteurs et didascales étaient à la
merci de ses grâces. C'était lui qui ouvrait les yeux de leurs
intelligences à la claire lumière des vérités bibliques. L'inspira-
tion objective de l'Écriture avait ainsi pour pendant naturel l'il-
lumination intérieure qui était la condition de son efficacité pra-
tique. La compréhension des mystères et de la doctrine renfermée
dans les Livres Saints dépassant les bornes de l'esprit de l'hom-
me, il faut que l'Esprit de Dieu vienne collaborer avec lui pour
lui permettre de les pénétrer. Les docteurs les plus férus de lo-
gique admettent ce concours nécessaire, indispensable, pour sai-
sir même le sens historique et littéral de l'Écriture. « Pendant
que nous sondons, dit Abélard, l'abîme, infini en profondeur, de
la Genèse, invoquons l'Esprit lui-même qui a dicté tout ce qui
s'y trouve écrit, pour qu'il nous ouvre le sens des paroles qu'il a
inspirées aux Prophètes. Tout d'abord donc dans la mesure où ille
voudra, bien plus, où il nous le domiera, établissons comme
fondement historique la vérité même des faits racontés » (1).
L'atmosphère lumineuse de la grâce est ainsi nécessaire à la claire
vision des réalités, soit religieuses, soit purement historiques,
consignées dans la Bible. On comprend pourtant que les tempéra-
ments mystiques aient été plus portés que les esprits raisonneurs
à insister sur ce point de doctrine (2). Trouver avant tout dans l'É-
1. Pétri Abaelardi opéra. M., P. L. 178, 731 ssq. Expositio in Hexa-
meron : « Immensam igitur al)yssum profuuditatis Geneseos triplici perscru-
tantes expositione, hislorica scilicet, morali et mystica, ipsum invocemus Spi-
ritum, quo dictante haec scripta sunt, ut qui Prophetae verba, largitus est,
ipse nobis eorum aperiat sensum. Primo itaque, prout ipse aimuerit, imo
dederit, rei gestae veritatem quasi historicam figamus .radicem. »
2. Cette précaution d' Abélard n'eut pas du reste le succès qu'il devait
s'en promettre. Les mystiques attaquèrent avec ensemble ce scolastique avant
708 REVUF DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
criture la touche mystérieuse de Dieu qui se révèle sous les
voiles de la lettre et se rend sensible au cœur; y puiser la nour-
riture d'édification et de réconfort promise par l'Évangile
même à tous ceux qui' goûteraient la Parole de Dieu; dans le
miroir et les images des Livres Saints, contempler, suivant l'ex-
pression de saint Bernard, « ce qui est connu de Dieu » ; écou-
ter là sa voix elle-même ; entretenir le dialogue de l'àme avec son
créateur; réaliser ainsi l'épithalame sacré du Cantique des Can-
tiques, n'était-ce pas l'élément essentiel des aspirations mysti-
ques ? L'auteur de 1' « Imitation », dans un psaume admira-
ble, dont l'ardente prière transparaît au travers des traductions,
amena à leur fonne définitive et pratique tous ces élans de la
piété médiévale.
<x' Que Moyse ne parle point, dit l'àme fidèle, ni aucun des Pro-
phètes; mais vous, plutôt, parlez. Seigneur, mon Dieu, vous, la
limiière de tous les Prophètes et l'Esprit qui les inspirait.
Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute mon âme de votre
vérité; et sans vous, ils ne pourraient rien.
Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre effica-
ces; leur langage est sublime, mais, si vous vous taisez, il n'é-
chauffe point le cœur.
Ils exposent la lettre; mais vous en découvrez le sens.
Ils proposent les mystères ; mais vous rompez le sceau qui en
dérobai!: l'intelligence.
lis publient vos commandements ; mais vous aidez à les accom-
plir.
Ils montrent la voie ; mais vous donnez la force pour mar-
cher.
Ils n'agissent qu'au dehors ; mais vous éclairez et instruisez
les cœnrs-
la lettre. Témoin ce passage caractéristigue du Didascalicon de Hugues de
Saint-Victor, qui vise évidemment, comme l'a reconnu Hauréau, le docteur
du Palet. « Quand tu commenceras à connaître quelque chose, dit Hugues
à son disciple, ne méprise pas les autres. Cette arrogance se remarque chez
certains maîtres qui considèrent leur propre science avec trop de satisfaction,
et qui, persuadés qu'ils sont quelque chose, pensent que tels ne sont pas,
tels ne peuvent être d'autres maîtres qu'ils ne connaissent pas. De ce vicieux
ferment tiennent de surgir ces colporteurs de sornettes, qui, glorieux on
ne sait de quoi, taxent les anciens Pères de puérile bonhomie et croient
<iue la sagesse, née avec eux, ne doit pas leur survivre. Le style des Écri-
tures, disent-ils, est tellement simple, quils n'ont pas besoin de maîtres pour
leur enseigner à les coynprendre : il suffit à cha^iun de sa propre intelligence
pour pénétrer les arcanes de la vérité. » B. Hauré.\u, Les Œuvres de Hngnrs
de Saint-Victor, p. 97 sq. Paris, 1886.
PROBLEME DES SOURCES TIIEOLOG lOUKS AU XVl'^ SIECLE 709
Ils arrosent extérieureineiit, ; mais vous donnez la fécondité.
Leui-s paroles frappent l'oreille; mais vous ouvrez l'intolli-
gence.
Que Moyse donc ne me parie point; mais vous, Seigneur, mon
Dieu, éternelle vérité! » (1).
Qu'on ne s'y trompe point. Ce dont il est ici question est tout
autre chose que Vexpositio mystica des docteurs du moyen âge.
Les paroles sacrées deviennent ici l'objet d'une révélation person-
nelle et immédiate, dont l'intelligence et le bienfait ne sont
donnés, de façon toute gratuite, qu'à ceux-là qui sont élus de
Dieu. C'est par la prière, l'oraison, les sacrifices et les pratiques
de l'ascétisme qu'il faut se préparer à la lecture des Saints Livres.
On écartera ainsi le danger, autrement inévitable, de l'orgueil
de l'esprit, de la superbe intellectuelle, sources de toute hérésie
et de toute erreur. « Beaucoup ont perdu la dévotion parce qu'ils
ont voulu trop savoir. » Appliquant cette pensée à la Bible,
le pieux auteur avait déjà dit : « Dans la lecture de la Sainte Écri-
ture, souvent notre curiosité nous nuit, voulant examiner et
comprendre, alors qu'il faudrait passer simplement.
» Si vous voulez en retirer du fruit, lisez avec humilité, avec
simplicité, avec foi et ne cherchez jamais à passer pour ha-
bile » (2).
Là n'était point la seule ligne que le mysticisme avait fait sui-
vre à ce courant de la pensée chrétienne. Dans un autre sens en-
core, il avait développé les analogies profondes du « Verbe de Dieu »
et de la « Parole divine ». Cette fois, ce n'avait pas été sans dan-
ger pour cette dernière. Saint Bernard fournit de nouveau, pour
l'Occident, le germe très fécond d'mi long développement. « Qu'il
me soit fait, s'écrie-t-il dans une de ses homélies Super missus
est, au sujet de votre Verbe suivant votre Parole. Que le Verbe
qui, au commencement, était en Dieu, devienne, suivant votre
Parole, la chair de ma chair. Qu'il devienne pour moi, je vous
en prie, le Verbe non pas parlé, qui passe, mais conçu, pour
qu'il demeure, revêtu de chair et non pas d'air. Qu'il soit pour
moi, non seulement perceptible à mes oreilles, mais encore vi-
sible à mes yeux, palpable à mes mains, supportable à mes
épaules. Qu'il soit pour moi non seulement le Verbe écrit et si-
lencieux, mais incarné et vivant, c'est-à-dire non seulement tracé
1. Imitation, L. III. chap. 2, trad. df Lamfanais.
2. Id. L. I. chap. 5.
2' Année. — Revue des Sciences. — N" 4. 4^
710 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
en figures inertes sur des parchemins morts, mais \àvement im-
punie en mes entrailles devenues chastes sous sa forme humaine.
Et cela, non point par les traits d'un calame sans vie, mais par
l'opération du Saint-Esprit. Qu'il se produise en moi de façon
telle qu'avant moi il ne s'est jamais produit, telle qu'après moi il
ne se produira jamais. Or, jadis, Dieu a parlé par les Prophètes
en sortes diverses et multiples, aux uns, dans l'oreille, aux au-
tres, par la bouche. A d'autres même, rapporte-t-on, le Verbe de
Dieu fut déposé dans les bras. Pour moi, je prie qu'il vienne dans
mon sein, selon votre Parole. Je ne veux pas qu'il me soit prê-
ché en pompeux discours, ou montré en figures, ou dépeint en
rêves imaginaires ; mais qu'il me soit inspiré en silence, person-
nellement incarné, déposé corporellement en mes entrailles. Ce
Verbe qui, en lui-même, ne pourrait être soumis au devenir, qu'il
daigne s'y soumettre pour moi, selon votre Parole. Qu'il s'y sou-
mette d'mie façon générale pour l'univers entier, mais pour moi
d'une façon toute spéciale, selon votre Parole » (1). L'opposition
des deux Verbes ressortait ici avec un remarquable relief. D'un
côté, le Verbe écrit et muet, les figures inertes, silencieuses, les
parcbemins morts, les traits d'un calame sans vie, de l'autre, le
Verbe incarné, vivant, personnel, qui naît et grandit dans l'âme
du fidèle pour réaliser l'miion mystique par laquelle Dieu et
l'homme peuvent se confondre en un même Esprit et se péné-
trer aussi intimement que le feu et le fer en fusion.
]\Iais saint Bernard garde encore les justes limites. Cette dépré-
ciation de la Parole divine au profit du Verbe divin restait
1. Voici le texte, d'ailleurs intraduisible : « Fiat mihi de verbo secundumi
verbum tuiim. Yerbum quod erat in principio apud Deum fiât caro de carne
mea secundum verbum tuiun. Fiat, obsecro, mihi verbum non prolatam quod
transeat, sed conceptum ut maneat, came videlicet indutum, non aère. Fiat
mihi non tantum audibile auribus, sed et visibile ocuhs, palpabile manibus,
gestabile humeris. Nec fiât mihi verbum scriptum et mutimi, sed incamatiun
f't vivum : Hoc est, non mutis figuris, mortuis in pellibus exaratum, sed in
forma humana meis castis visceribus vivaciter impressuni : et hoc non mortui
calami depictione, sed sancti Spiritus operatione. Eo \idelicet modo fiât mihi
quo nemini ante me factum est, nemini post me faciendum. Porro multifariam
multisque modis oliin Deus locutus est Patribus in prophetis; et aliis quidem
in aure, aliis in ore, aliis etiam in manu factum esse verbum Domini memo-
ratur. MiM autem oro ut in utero fiât juxta verbum tumn. Nolo autem ut
fiât mihi aut declamatorie praedicatum, aut figuraliter significatum, aut ima-
ginatorie somniatuni; sed silenter iiispiratuni, persomialiter incarnatum, cor-
poraliter invisccratum. Verbum igitur quod in se nec poterat fieri nec indi-
gebat, dignetur in me, dignetur et mihi fieri secundum Verbmn tuum. Fiat
ffiiidem generalitcr omni mundo. sed specialiter fiât mihi secundum Verbum
tuum. » S. Bernardi, Opéra, M., P. L. 183. c. 86 sq. En un autre endroit,
saint Bernard appelle le Christ « Verbiim abbreviatum ».
l'ROBLÈMF, DES SOURCES TllÉOLOGIQUES AU XYI^ SIECLE 71 l
chez lui toute spéculative, et, si l'on peut dire, toute oratoire.
La mystique postérieure devait aller plus loin. Elle se laissa mémo
entraîner k mettre au-dessus de l'Écriture un mode de connais-
sance qui rendait, pratiquement inutile la lettre des Saints Livres.
Chez Tauler, chez Suso, surtout chez leur maître, Eckart, malgré
la vénération formelle dont la Bihle est entourée, il ne s'agit nul-
lement de mettre en valeur, soit pour l'action, soit pour la
pensée, les données de la Parole divine. Ce qu'il faut avant
tout avoir en vue, c'est la « genèse » intime du Verhe dans nos
âmes. « Le Père engendre son Fils dans l'entendement éternel,
dit Eckart, et aussi le Père engendre son Fils dans l'àme comme
en sa propre nature » (1). Pour arriver à un tel résultat, les Écri-
tures ne sont pas absolument nécessaires. Elles n'ont plus qu'une
valeur indicative, grande sans doute et très appréciable, mais
cependant toute relative. La Bible compte au rang des livres
qui distribuent aux esprits la vraie sagesse, mais elle n'y tient
pas une place spéciale. « J'ai beaucoup lu dans les livres, dit en-
core maître Eckart, dans les écrivains profanes et les Prophètes,
dans l'Ancien et le Nouveau Testament, et J'ai cherché sérieuse-
ment et avec tout le soin possible quelle était la vertu la meil-
leure et la plus haute, par laquelle l'homme peut s'unir le plus
étroitement à Dieu. Et plus j'étudie toute Écriture, aussi loin
que ma raison peut pénétrer et connaître, je ne trouve d'autre
moyen que le complet abandon de toute créature » (2). Or, il y a
une forme intellectuelle du « complet abandon de toute créature »,
c'est la contemplation. En ses différentes étapes, à ses divers
degrés elle donne de Dieu et de ses mystères une connaissance
de plus en plus parfaite, d'autant plus parfaite qu'elle est plus
immédiate. Ici, plus de moyens empruntés au monde extérieur,
plus de ces voiles qui dérobent la réalité suprême aux regards
de l'âme extasiée. Plus rien de commun avec le pénible et discur-
sif déchiffrement des mystères divins cfu'impose à l'esprit et au
CŒur des hommes l'interposition entre eux et Dieu du Livre sacré.
La contemplation est la science au-dessus de toute science, car elle
se meut dans un domaine tout surnaturel, où viennent s'atténuer
1. « Der vatter gehirt seyneu sua in der owigeu vorstcatuusz imd ;ils(i
gebirt der vatler soinen sun ia der sele, als ia seiner natur ». Cii. Srinin r.
Meififer Ecl:nrf, dans Th. StiaU'-n n. Kritikm, 1839, p. 727.
2. Cité par Preger. Gesehichte der deufschen Mi/stik, I, p. 43.3 ssq. Deaifle
(Archir fuer Liierafur und Kirfhentfcschirhtp. der MiitelalL II, p. 52(3) compte
parmi les »''!énionts essentiels de tonte myst:([iM? les s]MVnlations sur le ver-
bum divinum.
712 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET TIIEOLOGIQUES
puis mourir les défaillances et les infirmités de l'humaine intel-
ligence.
La contemplation est une science sans mode
Qui reste toujours au-dessus de la raison.
Elle ne peut descendre en la raison
Et la raison ne peut s'élever au-dessus d'elle.
L'absence de mode illuminé est un beau miroir,
Où reluit l'éternelle splendeur de Dieu.
L'absence de mode est sans manière,
Et toutes les œuvres de la raison y défaillent.
L'absence de mode n'est pas Dieu,
Mais elle est la lumière qui fait voir.
Ceux qui circulent dans l'absence de mode,
En la lumière divine,
Voient en eux une étendue.
L'absence de mode est au-dessus de la raison,
Mais non sans raison.
Elle voit toute chose sans étonnement,
L'étonnement est au-dessus d'elle.
La vie contemplative est sans étonnement ;
L'absence de mode voit, mais elle ne sait quoi.
C'est au-dessus de tout, et ce n'est ni ceci ni cela (1).
Cette « absence de mode » célébrée par Ruysbroeck, comporte
évidemment la disparition, dans la pensée, des formules scriptu-
ral res, où la connaissance de Dieu se présente en des «modes»
parfaitement définis et limitatifs des puissances intellectuelles.
Celles-ci ne peuvent, en effet, goûter par elles-mêmes « le mys-
térieux prodige caché dans l'Écriture, dans les Sacrements et dans
le Sacerdoce » (2).
Tel est le point jusqu'où la mystique avait poussé les consé-
quences de son principe. Il faut ajouter qu'ici encore ces consé-
quences restaient dans le domaine de la spéculation. Les nom-
breuses intelligences qui, au XV*" siècle, allèrent puiser aux sour-
ces de la mystique (3), surent trouver des accommodements pra-
tiques qui maintenaient aux Livres Saints une dignité relative.
Pour elles, la Bible restait un répertoire de récits et de propos
1. Ruysbroeck, Dat hoee van den twaelf beghinen, ch. VIII, éd. de la
Maetschappy der Vlaemsche Bil)liophileii, traduction de M. Maeterli.vck.
2. Rl'ysbroeck, L'ornement des noces spirituelles, ch. XLVII, traduction
de M. Maeterlinck.
3. Pour Ruysl)roeck en particulier, voyez W. Moll, EerJcgeschiedenis van
Nederlan-d voor de Herrorming, Ariihem, 1864-1869, P. II. 2. p. 240 ssq. Je
note seidement les noms de Tauler et de Denys de Ryckel parmi ses lecteurs
et admirateurs avérés.
PROBLÈME DES SOURCES TIIÉOLOGIQUES AU XVI^ SIECLE 713
édifiants, comme elle était un répertoire d'arguments pour les
Docteurs scolastiques. Mais, par un juste retour, elle profitait de
ces Imnières nouvelles et s'éclairait de tous les feux de l'intui-
tion contemplative. Ainsi s'établissait un cycle de connaissances
dont les différents ordres, de plus en plus élevés, semblaient
s'informer les uns les autres, l'inférieur fournissant la matière du
supérieur. Comme l'a écrit l'historien de Denys le Chartreux,
la science sacrée, « pour être complète, devait embrasser l'étude
de l'Écriture, de la théologie et de la mystique : la Bible, les Sen-
tences, l'Aréopagite. Dans l'Écriture, on étudiait le fondement
et les sources de la théologie ; dans la théologie, le fondement et
les sources de la mystique; dans la mystique, l'âme, assouplie
et façonnée par cette longue préparation, recevait l'illumination
dernière. Et comme tout se tient dans cette organisation, à ces
clartés nouvelles. Écriture et théologie gagnaient en évidence,
en précision et en profondeur » (1), Il n'en est pas moins vrai que
l'Écriture occupait le rang le plus bas dans cette hiérarchie des
sciences sacrées. D'une façon encore inconsciente et timide, s'ex-
primait, sous une nouvelle forme, la vieille opposition de la lettre
et de l'esprit. Ici, cette opposition s'épanouissait en un système
complet qui ne cherchait même pas à voiler la réelle déprécia-
tion de l'Écriture au profit de l'intuition spirituelle et de l'ex-
tase.
Heureusement, parmi les mystiques eux-mêmes, il s'en trouvait
que toute cette métaphysique de la connaissance superessentielle
de Dieu ne satisfaisait point, et qui préféraient, aux images fulgu-
rantes et aux subtilités quintessenciées des maîtres d'origine ger-
manique, un développement plus normal des fonctions intellec-
tuelles. Gerson, d'Ailli, Nicolas de Clamanges, représentent une
tout autre direction du mysticisme, qui s'accommode mieux des
faits existants et ne prétend pas diminuer la valeur des autres
sources autorisées de la science de Dieu. L'illustre chancelier de
l'Université de Paris s'attacha, plus que tout autre, à faire pré-
valoir cette doctrine plus modérée et plus sage. Il combattit ouver-
tement les opinions de Ruysbroeck et montra le danger de ces
images et de ces subtilités (2). Il avait, en effet, trouvé un moyen
1. D. A. MouGEL, Deuys le Chartreux, 1402-1471, p. 35. Muiitreuil sur-
Mer. 1896.
2. Epi.stohi J. Gersonii ad //7/if/v;w BarfhoJomaemn cartmiensem. fiuper li-
hrum J. 'R^Djahroeclc de Ornalu spiriludlinm niiptiarum. 0pp. éd. Ellies
DupiN, I, 60 ssg.
714 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQ lES
plus acceptable et plus juste de faire droit à l'expérience iuliine
de Dieu et de ses mystères. Chez lui, la tradition de « l'Imitation »
revit et les préoccupations morales prennent le pas sur les spé-
culations qui retracent la genèse intime du Verbe et ses effets
intérieurs. Il peut ainsi relier, sans péril ni exagération, les
données scripturaires aux intuitions que peut fournir la contem-
plation. Dans son système — car les idées sont, chez lui, fortement
systématise es — la «cognitio Dei experimentalis » laisse intactes,
grâce à d'adroites combinaisons, l'autorité de la Bible et celle
de l'Église. Son éducation scolastique n'avait pas été vaine.
Tout d'abord, l'Écriture est la règle de foi. Étant infaillible, par-
ce qu'elle est révélée de Dieu, elle est ainsi suffisante à fonder
le dogme et aussi bien la discipline de l'Église. Contre elle, au-
cune raison humaine, aucune coutume, aucune institution, quelle
qu'elle soit, ne peut prévaloir. Elle forme un tout doctrinal dont
les diverses parties s'éclairent mutuellement, se confirment les
unes les autres, se répètent au besoin en des termes nouveaux, ap-
propriés aux différentes époques et aux circonstances diverses de
la vie de l'Église (1). Et Gei-son emploie ici une comparaison qui
donne un tour très net à sa pensée. La Bi])le est pour lui,
comme une phrase complexe, renfermant plusieurs propositions
reliées entre elles de façon à s'expliquer les unes les autres.
Ainsi comprise, elle fournit la source unique et suffisante « usque
in finem saeculi » du gouvernement spirituel du corps de l'Église et
de ses membres. Il était difficile, comme on le voit, d'affirmer
de façon plus nette et plus absolue le principe de la « Sola Scrip-
tura ». Mais un mot suffit à Gerson pour établir le vrai caractère
de cette autorité. Une telle valeur n'appartient qu'à l'Écriture
hieji comprise, « bene intellecta ». Or, pour bien comprendre
l'Écriture, il ne faut pas seulement employer toutes les ressources
des sciences profanes : grammaire, rhétorique, dialectique. Il ne
suffit même pas de rester fidèle aux explications des Pères qui ont
été aidés dans leur travail d'exposition par des inspirations di-
vines. Il est nécessaire surtout que l'exégète possède les qualités
1. « Sciiptura sacra est fidei refçula, coutra quain bene iiitellectam non est
adniillouda auctoritas; ratio hominis cujuscuinquo, nec aliqua consuetudo, ncc
conslitutio, nec observatio valet, si contra sacram scripturam mililare con-
vincalur ». Contra haerestim de communione sub utrnque specie. {Opp. I. 4.57).
Voyez, sur ce point, J. H. Schwab, Johanies Gerson. p. .314 ssq. Wiirzbùrg,
18.5S; Kropatscheck, op. cit., p. 388 sscj. et aussi l'ancienne thèse de Ch.
JniKi>.MN, Docir'niii Joliiuuiis (Irrsonii de Theologia mi/stlca, p. 30. Paris,
1838.
PROBLÈME DES SOURCES THÉOI.OG lOt'FS AU XVI° SIECLE 71o
morales requises, sans lesquelles ime véritable intelligence de
l'Écriture est impossible. Et ces qualités ne se laissent point seu-
lement émmiérer de l'extérieur et acquérir par l'exercice, comme
il se fait pour les capacités naturelles. Elles sont un don gratuit,
une grâce spéciale, sans laquelle on tombe infailliblement dans
l'erreur, quand même on prétendrait, comme le font certains hé-
rétiques, pénétrer, mieux qu'on ne l'avait fait auparavant, dans
le sens de quelques passages de la Bible. L'humilité, la prière,
les pratiques mêmes de l'ascétisme deviennent donc une ]iropé-
deutique qui s'ajoute sans s'y opposer à tous les autres éléments
d'intelligibilité des Écritures. Même lorsque cette grâce intérieure
produit son maximum d'effet, loi-squ'elle crée dans l'àme cette
assimilation à la vie divine, dont la fleur est la contemplation, elle
ne s'applique point à des objets étrangers à ceux que nous offre
l'Écriture, Les expériences mystiques, telles que les entend Ger-
son, sont de même ordre, objectivement parlant, que les données
discursives fournies par la Bible. La différence essentielle qui
les sépare consiste en ce que les unes ont pour siège les facultés
affectives, les autres, l'intelligence. Mais elles visent au même but
et l'atteignent sans qu'il y ait entre elles autre chose qu'une dis-
tinction formelle. Telles sont les formules essentielles de cette
mystique adoucie, qu'on retrouve plus mélangée et moins sys-
tématisée chez Pierre d'Ailli et chez Nicolas de Clamanges. Elles
sont, chez ces derniers, influencées davantage par le nominalisme
et les thèses d'Ockam, auxquelles, du reste, elles se laissent
joindre assez aisément. Aussi, en considérant par ce côté la
théologie, dont les principes sont les vérités de l'Écriture, d'Ailli
peut-il écrire que, sous ce rapport, elle n'est pas une science pro-
prement dite (IV Des éléments extrascientifiques viennent, en
effet, jouer un rôle dans cette connaissance d'une nature spé-
ciale et lui donner son caractère particulier. A cette conclusion
1. « Principia theologiae sic sumptae simt sacri canones, i. o., divinae Scrip-
turae veritates noii secundum so formaliter in sacra scriphira contentae, sed
ex coiitentis in ipsa de necessitate secruentes et non aliae... Inde thoolo;;ia
per discursum theologicum naturaliter acguisita non est scienfia proprie dicta,
sed est in animo fidelis qnaedam cosnitio adhaesiva... Non est adhaesio
rum formidine, sed est quaedam fides firma sive crodulitas cum certitudine...
In eodem subjecto et respectu ejusdem objecti non est naturaliter compossi-
bilis scientiae vel opinioni, scilicet actas actui, vel habitas liabitui. » Quaca-
tiones in Sentenfins, I. q. i. a. 1. Voyez P. Tschackert, Peter von AiJli,
p. 349 ssq. Gotha, 1877. et surtout L. Salembier, Pefrus de Âlïi'teo, p. 195
ssq-, 304 ssq. Insulis, MDCCCLXXXVI.
716 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
aboutissait le mysticisme teinté de nominalisme de l'école fran-
çaise au XV^ siècle.
Dans son enseignement sur l'autorité et la valeur de la Bible,
la tradition chrétienne présentait donc, à la veille de la réforme,
ces trois grandes lignes de sommet : ecclésiastique, scolastique
et mystique. Sur leurs versants s'étaient répandus les flots abon-
dants des théories particulières. Mais précisément, leur distinc-
tion avait imposé aux esprits un véritable équilibre doctrinal.
L'expérience avait été faite que suivre l'une à l'exclusion des
autres, c'était risquer quelque chose de la pureté ou de l'intégrité
de la foi. L'autocratisme doctrinal était au bout de la théorie ecclé-
siastique, lorsqu'on la poussait à ses dernières et illégitimes con-
séquences. Laissée à elle-même, la scolastique confluait dans
le rationalisme théologique, et, pour le réel, dans les tentatives
qui prétendaient établir au sein de l'Église une féodalité intel-
lectuelle. Bâle et Constance avaient sanctionné, par leur impuis-
sance même, l'échec de ces tentatives. Elles n'en avaient pas
moins un retentissement prolongé sur l'enseignement et sur la
vie même des fidèles. De la mystique immodérément cultivée
à l'individualisme religieux et cà l'anarchie des doctrines, il n'y
avait qu'un pas trop facile à franchir. Or, le danger des exagéra-
tions, dans l'un ou l'autre sens, avait été conjuré justement par
l'existence et la justification traditionnelles de ces trois concep-
tions qui, par des chemins divers, aboutissaient à la Bible. En
effet, celle-ci n'était point une autorité que l'on pouvait opposer
à celle de l'Église. Ce qui ne l'empêchait nullement, dans son
interprétation légitime, de conserver une valeur doctrinale ab-
solue. Et cette valeur n'excluait naturellement pas les virtualités
de grâce et d'édification, telles qu'elles se révélaient dans la
méditation personnelle des Saintes Lettres. Sur ces thèmes géné-
raux et essentiels s'était édifiée l'infinie variété des construc-
tions personnelles. Parfois, ils avaient été formulés en opposition
l'un de l'autre, suivant les préférences de quelques esprits dont la
profondeur nuisait peut-être à la largeur. Mais ils ne s'étaient
jamais choqués en contradictions flagrantes ni en dissonances avé-
rées. Plus souvent, ils avaient coexisté en la même intelligence
sans se gêner ni s'exclure. Un saint Bonaventure, un saint Tho-
mas, même un Gerson, n'avaient perçu aucune impossibilité à
concilier ces tendances que renfermait la doctrine traditionnelle
sur le caractère et l'autorité de l'Écriture en matière de foi.
Il fallait, pour faire croire à cette impossibilité, pour créer de
PROBLEME DES SOURCES THEOLOGIQUES AU XVI^ SIÈCLE 717
toutes pièces ces contradictions, une dissolution complète des
thèses traditionnelles. Du reste, au début du XVP siècle, elles
étaient loin de vivre dans leur intégralité. Elles se présentaient
aux esprits, soit fragmentées, soit liées à d'autres éléments dog-
matiques en certains écrits des Pères qui exercèrent alors une
incomparable influence. La dissolution fut l'œuvre d'Erasme et
de ses disciples. Les théologiens de Wittenberg restent les auteurs
d'un essai de reconstruction, dans lequel malheureusement ils
prirent plaisir à rétrécir les assises patristiques de la doctrine tra-
ditionnelle.
*
* *
Cette" dissolution et cette reconstruction ne se firent pas imique-
ment pai le jeu des idées et des principes traditionnels, d'abord
dissociés, puis entraînés en de nouvelles combinaisons intellec-
tuelles. Dans le devenir des doctrines qui exprime l'âme de ces
premières années du XVP siècle, les tendances des esprits s'o-
lientent sous la pression d'une foule de circonstances extérieures
dont la convergence est frappante. JMais, chose qui frappe encore
davantage, elles revêtent tout d'abord une forme personnelle.
Il y a des noms qui sont alors tout un programme. Certains per-
sonnages résument les désirs latents de toute leur génération.
Reuchlin, Érasme, sont les porte-drapeaux d'un parti qui voit
en eux toute science et toute sagesse. On les déifie de leur vi-
vant. Or, se réclamer d'eux, c'est accepter et professer tout un
ensemble d'idées, aux contours plus ou moins flottants, peut-
être, mais sur lequel les contemporains ne se trompent pas. Ils
incarnent une philosophie, une théologie, une conception géné-
rale de l'univers. Et ce n'est pas aux vivants seulement que l'on
demande de symboliser ainsi le mouvement intellectuel. On re-
trouve des chefs et des ancêtres dans le passé ; sous leur nom et
sous leur protection courent des théories qui, probablement, leur
auraieni: causé plus d'une surprise. Chez les Érasmiens, l'homme
qui a charge de représenter en cette sorte l'idéal de l'exégète, de
synthétiser les tendances herméneutiques du maître et des dis-
ciples n'est autre que saint Jérôme. Il est le « patron » tler-
rièie lequel on s'abrite pour répandre cette conception nouvelle
de la Bible, de son autorité, de sa valeur, que l'on pourrait ap-
peler la conception des humanistes.
Ceux-ci n'étaient pas venus directement à la théologie. Leur
718 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
vocation ou même leur profession faisait d'eux tout d'abord des
philologues. Hébraïsants ou hellénistes, ils s'intéressaient en pre-
mière ligne à la langue des textes sacrés. Mais il ne leur était
guère possible, lorsqu'ils avaient ainsi abordé l'étude des Livres
Saints, de se garder des conclusions qui découlaient naturellement
de leurs recherches. Du reste, le fait même de ces recherches ne
posait-il pas inévitablement à leurs yeux la question de la va-
leur de la Bible? La constatation et des variantes qu'ils rele-
vaient et des différences entre le texte qu'ils considéraient comme
original et les versions courantes, ne les induisait-elle pas natu-
rellement à se demander comment ces faits étaient conciliables
avec la divine autorité des Écritures ? Or, dans l'antiquité chré-
tienne, il était un homme qui, toute sa vie, s'était livré à ce tra-
vail auquel ils s'adonnaient eux-mêmes, qui avait résumé
en ses ouvrages, en ses lettres, en ses traductions toute
l'œuvre de philologie sacrée des premiers Pères. Il n'avait
jamais eu de scrupules à noter ces variantes et ces différences.
Il avait trouvé là l'occasion de pénétrer plus avant dans le sens des
Livres Saints et de les mieux faire comprendre. Bien plus, ces
patientes recherches lui avaient servi d'armes invincibles pour
combattre l'hérésie et défendre la pureté de la foi. Et même l'on
pouvait dire que ses lettres d'édification, que ses hymnes enthou-
siastes à la vie ascétique reposaient sur cette intelligence ap-
profondie de la Bible. Aussi, dès la première heure, les philologues
le revendiquèrent-ils pour leur chef. Quand Reuchlin publia, en
1506, se\: célèbres « Rudimenta hebraica », il ne laissa pas échap-
per une occasion de proclamer sa vénération et son respect pour
la science et l'autorité de saint Jérôme. Aucune affirmation n'ob-
tient chez lui droit de cité, qu'elle ne soit confirmée par quelque
texte de son maître. Dans les questions les plus difficiles, c'est à
lui qu'il appartient de décider. Reuchlin avait remarqué, par exem-
ple, que les auteurs du Nouveau Testament rapportent parfois
des passages de l'ilncien en 'des termes différents de ceux de l'ori-
ginal hébreu. Il sent là une grave difficulté et tâche de se couvrir
en disant qu'il fait cette remarque, non comme théologien, mais
comme grammairien : « Sed ego non de sententia ut theologus,
sed de vocabulis ut grammatîcus disputo ». Pourtant, une telle
réponse ne lui suffit pas, et il est tout heureux de se mettre à
l'abri derrière saint Jérôme (1). « Ce qui me console, ajoute-t-il,
1. « Et nisi S. Paulus ad Romanos. 3. 4, pxponeret : Sicut justificeris in
sermonibus tuis, ego secfiierer proprietatom liiiguae dicens: Idcirco justifi'
PROBLÈME DES SOURCES THÉOLOGIQUES AU XVI° SIÈCLE 719
c'est que. saint Jérôme écrit, à propos de l'Épître aux Éphésiens,
cil. 5 : Nous avons souvent remarqué que les Apôtres et les Évan-
gclisles, dans leurs citations de l'Ancien Testament, n'ont pas
employé les termes qui se trouvent dans nos exemplaires ». Même
lorsqu'il se croit obligé d'être d'un avis différent, il ne veut
point qu'on dise que t'illustre exégète s'est trompé. Il a seule-
ment voulu suivre de trop près le texte ou les anciens interprè-
tes. Dans le lexique qui termine les « Rudimenta hebraica »,
il n'est presque pas un article dans lequel l'autorité de saint
Jérôme ne soit invoquée. On peut même remarquer une nuance
de respect moindre lorsque Reuchlin relève les interprétations
de saint Augustin. « Beatus vero iVugustinus, note-t-il en passant,
hune versum (Ps. 141, 6) de Aristotele intelligens, nescio quo
somno motus, scribit eum tremere apud inferos » (1).
Toutes les constatations troublantes que révélait la nouvelle
méthode philologique, toutes ces questions nouvelles bien faites
pour inquiéter les esprits attachés aux traditions exégétiques du
passé, c'était saint Jérôme qui avait charge de les faire accepter.
Mais il ne plaisait pas aux humanistes seulement par la liberté
plus grande qu'il semblait assurer à leurs études. Sur un autre
point encore, et plus important, la méthode et l'esprit qui l'ins-
piraient s'adaptaient aux tendances des hommes formés par
l'humanisme. Jamais, peut-être, on n'eut plus grande confiance
en la valeur éducative des œuvres de l'antiquité, profane ou sa-
crée, que pendant ces premières aimées du XVP siècle. La réus-
site des applications de principe considérées alors comme scien-
tifiques donne une entière assurance en la valeur du savoir.
cabis in verbo tuo, ita sane guod David praevidisse mihi videretur quod
S. Paulus scribit, I Cor. 6, 11 : Justificati estis in nomine Doraini nostri
Jesu Christi... Aitamen consolatur me S. Hieronymus scribens in epistolam
ad Ephcsio^, cap. 5, his verbis : Quod fréquenter anuotavimus apostolos et evan-
gelistas non iisdem verbis uses esse in testamenti veteris exemplis, quibus in
propriis voluminibus continentur. Hoc et hic probamns. Haec ille. » Rudi-
menta hcbraiea. h. 2b. Voyez encore Rud. heb., p. 19-31, les explications con-
cernant la généalogie de la Sainte Vierge, qui causèrent tant d'étonnement à
Jean Fisher et à Erasme. Erasme à Reuchlin, 1er mars 1510.
1. Rudimenta hebraica, p. 528. Voici du reste le témoignage d'un bon
juge en cette matière : « Von den Kirchenvâtern ohne Vergleich am meisten
wird Hieronymus citiert. Er begicitet Reuchlin aùf seiner ganzen wissens-
chaftlichen Laùfbahn, von deren Begimi bis zum Ende. Am meisten begegaet
er in den Schriften, die hebraeische Spraclie behandeln. Man kann sageii,
eino Behaùptùng erhiilt erst dann ihre rechto Weilie, wenn sic durh eiii
Zeùgniss des Hieronymus bestatigt wird. » L. Giuger, Johann Reuchlin,
p. ?(). Leipziiî, 1871. Voyez encore, p. 120, où saint .lérômc est comparé à.
Lyra et aux exégètes juifs.
720 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Les découvertes d'un Colomb, d'un Magalhâes, d'un ]\Iartin Bo-
haim, sont rapportées par leurs auteurs eux-mêmes aux sys-
tèmes astronomiques et cosmologiques dont elles semblent dé-
montrer la parfaite solidité et la fécondité pratique. Dans le
domaine de l'esprit, on croit aller aussi à la découverte de nou-
veaux continents et trouver bientôt les terres neuves de la théo-
logie et de la religion. Aussi, la science de l'éducation, la péda-
gogie, est-elle en honneur. Grâce à. elle, on espère prolonger
à l'infini le rendement idéal de ces trésors antiques qui, successi-
vement, réapparaissaient au grand jour. C'est Érasme, on le sait,
qui donna la plus grande amplitude d'onde à cette intime per-
suasion de tous les humanistes. Si son disciple Mélanchton mé-
rita d'être appelé le précepteur de la Germanie, à plus juste titre
encore pourrait-on le nommer l'éducateur de l'Europe. Il fut et
reste le grand pédagogue dont l'esprit ne connut peut-être, au
milieu de ses universelles incertitudes, d'autre principe que celui
de la valeur et de la vertu du savoir. Or, de même qu'il a trouvé
dans la lecture des chefs - d'œuvre de l'antiquité la source de
sa vie intellectuelle, de même il pense que la lecture intelligente
et l'étude des documents de l'antiquité chrétienne suffisent pour
bien vivre. Cicéron et Virgile sont des modèles de perfection et
de beauté qu'il s'agit seulement de contempler pour être ravi et
détaché de toute imperfection et de toute laideur. De façon iden-
tique, le Christ, qui nous est révélé dans le tableau sans tache des
Livres Saints, attire pour ainsi dire fatalement notre culte, notre
adoration et notre imitation (1). En cela consiste, pour Érasme, à
peu près tout le christianisme.
Or, pour trouver le Christ dans l'Écriture, il ne fallait qu'appli-
quer les règles dont on usait dans l'étude des auteurs profanes.
La méthode philologique, les interprétations littérales des textes
originaux, les remarques critiques sur l'emploi des mots, bref,
tout l'appareil d'une science plus précise des sources de la foi,
telles étaient, en résumé, les exigences des théologiens de l'huma-
nisme. Et cette méthode convenait admirablement à la révolu-
tion que ses représentants voulaient opérer dans l'enseignement
1. En 1.527, dans ime lottre à Maldonato publiôe par Helfforich (Zcitschrift
fuer hisf. Thpoingle, 1859, p. 605 ssq), Érasme prétend résumer ainsi toute
son œuvre : « Non in aliud fari litteris liumaninribus. nisi ut famularentur
graxàoribus disciplinis et in his praeoipue theologiae, quod viderem ex haruni
neglectu natam misorahilem omnium disciiùinarum corruplionem... Enixus siun
et hoc, ut bonao litterae guae apud Italos, praecipuo Romanos, nihil fere
sapiebant nisi nieram pasa,nitatem, inciporent ingénue sonare Christum. »
PROBLÈME DES SOURCES THÉOLOGIOUES AU XVI'-' SIÈCLE 751
de la religion comme des autres disciplines. L'esprit des commen-
taires de saint Jérôme répondait, autant que possible, à ces
exigences. Il discutait le sens des mots, après avoir établi le texte,
en comparant entre eux les passages semblables et en consultant
les travaux des anciens interprètes. Il ne s'attardait point à bâtir
des systèmes ni à voiler « l'ingénuité » de l'Évangile sous les
formules d'une philosophie antique. Pour lui, la lettre des Saints
Livres était le point de départ nécessaire qui conduisait au Christ,
fin dernière de toutes les Écritures. Aussi, dès la première heure,
Érasme l'invoque-t-il, non seulement comme le modèle des exé-
gètes, mais comme le plus grand des théologiens. « Que si l'on
réclamait, dit-il dans sa fameuse lettre cà Christophe Fisher, pro-
gramme de toute son œuvre exégétique et théologique, en disant
que la théologie est trop haut placée pour être soumise aux loia
de la grammaire, que tout le travail de l'interprète dépend des
inspirations du Saint-Esprit, c'est vraiment revendiquer pour les
théologiens une dignité d'un nouveau genre que ce droit de faire
des barbarismes. Mais alors, qu'on explique le sens de ce que
saint Jérôme écrit a Desiderius : Autre chose est d'être prophète,
autre chose d'être interprète. Là, l'Esprit prédit l'avenir; ici l'éru-
dition et la science du langage traduisent les choses qu'elles com-
prennent » (1). Aussi poursuit-il concurremment les travaux préli-
minaires à son édition de saint Jérôme et à celle de son Nouveau
Testament grec. Quand, dans ses lettres, il parle de ces travaux, il
joint toujours l'un à l'autre et considère le premier comme le
seul commentateur autorisé .du second. Plus il avance, et plus
il manifeste son admiration, qui devient exclusive, envers son
modèle. Dans la lettre à Léon X, qui expose au pape le projet
de publication du Nouveau Testament, il n'a garde d'oublier son
saint Jérôme. Il annonce la prochaine apparition de ses œuvres,
11 demande au Pape la permission de les lui dédier. Et, pour que
Léon X ne se trompe point sur ses intentions, il ajoute : « Je me
suis, en effet, aperçu que saint Jérôme est, à ce point, supérieur
aux autres 'théologiens latins, que lui seul, à peu près, mérit<i
le nom de théologien. Non que je condamne les autres. Mais les
1. « Quod si reclament majorera esse tlieologiam cfiiam ut grammaticae lo-
gibus teneatur, totum interpretandi negotium de sacri spiritus afflatu pen-
dere : nova vero theologorum dignitas, si solis illis licet barbare loqiii. Sed
f'xpediant intérim (juid sibi velit qnod Desiderio suo scribit Hieronvmus :
Aliud est, inquiens, esse vatem, et aliud interprétera. Ibi spiritus ventura prae-
dicit; hic eruditio et verborum copia, quac intelligit transfert.» Erasmi opé-
ra, éd. Le Clerc, III, 98. Année 1505.
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plus illustres, si on les compare à lui, disparaissent devant son
éclat. Il est lenftn comblé de tant de qualités admirables, que la
Grèce savante elle-même peut à peine trouver quelqu'un à lui
qomparer » (1).
Cette révérence à l'égard du « prince des théiologiens » allait
être aiguillonnée davantage encore par la contradiction. Dans
leurs attaques contre les novateurs, les tenants de la scolastique,
— Luther comme les autres, — faisaient parfois tomber leurs
coups sur saint Jérôme en croyant ou en prétendant frapper sur
le dos d'Érasme. Ce dernier ne se contente point de se défen-
dre lui-même. 11 agite, aux yeux de ses contradicteurs, le nom et
l'autorité de son patron. Il raille ces mauvais élèves de mauvais
maîtres, qui opposent au Père de l'Église l'informe savoir phi-
lologique condensé par le moyen âge en de barbares compilations.
« Lorsqu'ils ont appris quelques règles d'Alexander Clallus,
puis touché à la plus vaine des sophistiques, étudié, sans les
comprendre, les dix propositions d'Aristote, enfin, épelé au-
tant de questions dans Scot ou Ockam, se reposant, pour le rcste,
sur le Catholicon, le ]\Iammotrectus et autres dictionnaires sem-
blables, qui sont leur corne d'abondance, alors il les faut voir se
dresser sur leurs ergots, avec l'arrogance coutunwère à la sottise.
Ce sont les mêmes qui méprisent saint Jérôme en le traitant
de grammairien, parce qu'ils ne le comprennent point» (2). Voilà
les traits sous lesquels il peignait ses adversaires dans sa justi-
fication à Van 'Dorp. Il écrivait en termes semblables à Jacques
Le Fèvre, en réclamant pour lui la même liberté dont avait usé
saint Jérôme. «Comme je voyais la liberté des commentaires que
saint Jérôme met si fréquemment en avant et dont il se sert
pour défendre sa cause, je croyais, moi aussi, avoir droit à la
même liberté. D'autant plus que mon travail ne renfermait rien
1. « Perspiciebam divura Hieronymum sic apud Latines esse thcologonini
]>rincipem, lit. hune prope solum habeamus theologi dignum cognomiiie; non
((uod ceteros damnem, sed quod illustres alioqui, si cum hoc conferantur, oh
hujus eniinentiam velut obscurentur : denique tôt egregiis cumulatum dotibns
ut vix uUum habeat et ipsa docta Graecia quem cura hoc viro queat conipo-
nere. » Erasmi opéra, cd. Le Clkrc, III, 152. Lettre à Léon X, 28 avr.l
1515.
2. « Deinde posteaquam pauculas Alexandri Galli régulas edidicerint, ad
haec paululum ineptissimae Sophislices attigeriat, post ex Aristotele decem
tf'uuprint i>roi)osilioiies, nec bas intelloctas, pnstremo ex Scoto aut Ocam
lolidfMa edidicerint quaestiones, quod .superesf ex Catholico, Mammotrecto
("t consimilibiis dictionariis velut ex copiae cornu petituri, mirum quam cristas
HffcranI, ut nihil est arrogantius imperitia. Isti sunt qui coiitemmint divum
Hieronymum ut grammatisten, quia non intelligant. » Erasmi opéra, IX, 6.
PUuBLÈiME DES SOUUCES TllÉuLUGloUES AU XVI" SIÈCLE ?23
sinon quelques petites annotations presque exclusivement gram-
maticales et sans prétention. .Et ai'affirmé-je pas très souvent
que je formulais des notes, et non des dogmes? » (1). Cette
opposition des annotationes ,et des dogmata résumait parfaite-
ment l'esprit de toute l'exégèse érasmienne et justifiait le choix
qu'il avait fait de saint Jérôme comme modèle et protecteur. Elle
expliquait aussi son attitude vis-à-vis de saint Augustin, envers
lequel il accentuait la nuance de moindre respect déjà marquée
par Reuchlin. « Si saint Augustin avait possédé les langues,
disait-il dans son Apologie à Jacques Le Masson, son œuvre
eût ,été plus complète et moins dangereuse » (2).
Les préférences du maître trouvaient un écho dans le camp
des disciples. Les trois premiers volumes de l'édition de saint
Jérôme avaient paru dans le courant de l'année 1516 et s'étaient
répandus rapidement. Dès le 1^^ décembre, Jean Lange, l'ami
commun de Mutian et de Luther, les avait déjà entre les mains.
Ils répondaient merveilleusement aux désirs de tous ces esprits.
Lorsque le « Quincuplex Psalterium », de Lefèvre, lui était tombé
sous les yeux, Mutian avait écrit : « J'ai le Psalterium d'Étaples.
Je l'ai lu en courant. Il ne sait pas l'hébreu, mais il sait saint
Jérôme. De. plus, j'ai noté en passant, qu'il attaque les métaphysi-
ciens, amis des inepties. Écoute, je t'en prie : Ce que certains,
dit-il, appellent la riguetir de la logique, d'autres, qui jugent ïnieux,
l'appellent justement l'inopportunité de la logique et le traitent
de vain et déraisonnable bavardage. Et ce n'est point la faute de
cet art ni de cette discipline, qui est nécessaire pour discut(er
loyalement et sans tromperie, comme la grammaire et la rhé-
torique, pour bien parler. C'est la faute de ceux qui maltraitent
ces arts et ces sciences, dignes d'mi homme libre. Et tant que
l'imposture de tous ces esprits malfaisants n'aura pas été ramenée
à sa pureté première, non seulement les sciences rationnelles,
naturelles et mathématiques, mais encore les sciences sacrées
1. « Cuiu eiiim videreni eam esse libertatein commentarioriun ad quam sao-
penumero provocat diviis Hieronymus et hoc colore causam tuetur suam,
arbitrabar multo magis idem ]us milii tribuendum in opère guod praeter hu-
miles ac paene grammaticas qi.iasdam annotatiuiiculas nihil profiteretur, prae-
sertim cuni semel, iino non semel sed crebro tester me annotationes scribero,
non dogmata. » Opéra, IX, p. 23.
2. « Ipse tamen Augustinus, si linguas calluisset, et plenius et inoffensius
egisset id cruod egit. » Opéra,, IX, 95. Un peu plus haut, Erasme avait parlé
de saint Jérôme avec grand(;s louanges. Il n'est pas douteux que le rappro-
chement des deux noms ne soit ici intentionnel. Suivant Bezold {op. cil.,
p. 237), c'est de John Colet (lu'Erasme tenait son aversion pour saint Augustin.
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souffriront la même éclipsé que le soleil caché par la lune ou la
lune par l'ombre de la terre » (1). L'éloge de saint Jérôme enca-
dré dans un tel commentaire, était significatif. On l'opposait
implicitement à ces métaphysiciens, pour lesquels Mutian savait
trouver des épithètes caractéristiques. Les deux seuls reproches
que le chanoine de Gotha faisait à Lefèvre, étaient précisément de
ne pas suivre toujours l'interprétation de saint Jérôme et de
délaisser parfois l'élégance du langage. Il semble que ce soient
à ses yeux deux choses également condanmables et qui se tien-
nent. « Si tu me demandes ce que je lis, écrit-il à l'un de ses
correspondants, apprends que je parcours les hymnes de David (de
Le Fèvre) et que je m'arrête presque à chaque mot, ou au moins
à chaque verset. Je trouve peu de profit. Car, en dehors des
travaux de saint Jérôme, le commentateur n'apporte à peu près
rien de nouveau. Il ignore, comme on le voit, les lettres hébraï-
ques, il a touché à peine au grec, et, selon le proverbe, il le
fuit comme lé chien qui boit l'eau du Nil. 11 n'a pas dépensé
grande peine pour le latin, quoiqu'il faille le louer d'avoir soi-
gneusement réuni là ce qu'il a pu savoir. Pourtant ses collections
ne me, satisfont pas. Un exemple entre tous. Voici un verset que
le Psautier :gallican lit : Da nobis auxilium de tribulatione, quia
vana salus hominis. Le romain : et vana salus hominis. Le texte
hébreu, suivant saint Jérôme, porte : Vana est enim salus ab ho-
mine. Ici, Lefèvre, ignorant l'élégance latine, déclare qu'il fau-
drait lire ce verset : Da nobis auxilium de tribulatione, quia vana
salus hominis, sous prétexte que (luia correspond mieux au sens
et va mieux que et. Je ne crois pas, ô Lefèvre, à tout ce que tu
dis; tu ignores certainement que quia et enim se prennent dans le
même sens. Tu n'as pas lu tes auteurs » (2).
1. « Porro habeo Psalterium Stapulensis. Legi ciirsim. Nescit hebraicas lit-
teras : Sequitur Hierouymum. Sed obiter iiiveni qiiod tais ineptientibus mc-
taphysicis opponatur. Audi qiiaeso : Et qnod nonaidli vocant rigorem logi-
cae, quidam cfui rectius nonmt, juste appellant iraportunitatem logicae, va-
namque et à\6-yLffTov , ut sic dicani, h. e. minime logicam ac rationalem gar-
rulitatem. Non quod vitium sit artis aiit disciplinae, qua« aeque necessaria
ost ad probe et minime fallaciter disserendum, ut grammatice et rhetorice ad
latine et diserte loffuendum, sed eorum qui maie libère viro dignas artcs dis-
ciplinasque tractant. Et quousque redierit ad suum nitorem amota omni maie
utontium impostura, non solum rationales, naturales et mathematicae, sed
«■liam sacrao litterae id patientur. » Der Bripfwerhsel des MutianHS Rufus,
éd. Carl Krause, p. 444. Kassel, 1885. Mutian reproche assez souvent à saint
Augustin d'être trop « métaphysicien ».
2. T>cr Briefwechsd rfcs Mutianns Bufus, éd. Krause, p. 446 aq. Kassel,
1885.
PROBLEME DES SOURCES TllÉoLOGIQUES AU XVI'-' SIÈCLK 72.')
Voilà, prise sur le fait, la critique — le mot est appliqué par
Mulian à Érasme lui-même — en laquelle se plaisait toute l'école
érasmienne. Aussi, quelle joie quand paraissent ces volumes où
les hmnanistes trouvent ample matière pour leurs exercices de
philologie sacrée et confirmation de leurs tendances vers une
exégèse plus détachée de tout système théologique, sinon de toute
théologie! « N'est-il pas de toute justice, écrit encore Mutian à
Lange, d'honorer et de suivre pieusement les auteurs auxquels
revient une souveraine autorité en notre religion?... Et quoi de
plus achiiirable que saint Jérôme ? Il gronde comme un paysan dal-
mate. Mais son. style me paraît le plus agréable et le plus utile
précisément lorsqu'il s'emporte avec plus de vigueur » (1). Na-
turellement, cette publication doit faire pâlir et disparaître les
étoiles de la scolastique abhorrée. Arrière Capreolus, Durand, Scot
et Ockam. Laissez choir dans l'oubli les Biel et les Pelbart (2).
^lais par mi jeu de tactique infiniment habile, Mutian joint pour
ainsi dire indissolublement la gloire d'Érasme à celle de saint Jé-
rôme et les idées de l'un à celles de l'autre. « J'aime saint Jérôme
comme un moraliste très instruit, j'aime Érasme comme un très
éloquent critique. L'un et l'autre méritent notre religieuse et ab-
solue vénération, parce qu'ils sont tous deux hommes d'une admi-
rable éducation. Le second a été pour le premier un correcteur et
un appréciateur plein d'élégance, et même un défenseur contre les
niaiseries des Crinitus et auteurs semblables ». Et il propose de
vouer à Érasme une inscription qui résumera de la sorte ses ser-
vices : « Au restaurateur de l'œuvre hiéronymienne, au grand
Érasme, illustre par sa science du grec et du latin, qui a bien
méiité des lettres évangéliques et apostoliques en même temps
que des études profanes, qui a surpassé, par sa finesse singulière
et son éloquence, tous les théologiens, — tous les esprits amis
des études, doivent tresser des couronnes ; tous les érudits ortho-
doxes, rendre des honneurs; tout âge, tout sexe, toute condition,
1. « Aequissimum est, mi Lange, authores quibus summa est in religione
uostra authoritas honore et pietate prosequi. » Id. ibid., p. 646. Il parle na-
turellement de saint Jérôme. « Quid enim. Lange, Hieronymo mirabilius? Mur-
murât lit rusticus Dalmata. Sed tum mihi vidctur ojus scriplio maxime jii-
cunda et utilis, cum saevit ferociter. » Id. ibId., p. 610.
2. M. Krause, l'éditeur des lettres de Mutian, nous semble avoir fait ici une
singulière méprise. Il imprime : « Cédant Capreolus, Durandus, Scotus et
Occam. Cadat e manu Bickl, Axckst, Kolparte. » P. 618. Et il ajoute en note :
Die Spitzfiiidigkeiteu der Scholastik : Bickel, Axt, HolJebart. 11 s'agit, je crois
bien, des auteurs BicI et Pelbart.
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 4. 47 -
726 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
dire grâces; enfin, le monde chrétien tout entier, attribuer ses
faveurs et ses suffrages ».
Cette comnnnie vénération pour saint Jérôme et pour Érasme
formait, on peut le dire, l'un des articles de foi des humanistes al-
lemands. Même ceux qui admiraient en ce dernier umquement le
littérateur éminent, le rénovateur de l'antiquité classique, n'ou-
bliaient pas, dans leurs éloges, de mentionner cette union qui fai-
sait d'Érasme l'égal d'un Père de l'Église (1). Aussi, la jeune
génération des théologiens qui devaient prendre une part active
au mouvement de la réforme, tout en gardant quelque indépen-
dance vis-à-vis de Luther, se rattache-t-elle directement à cette
tradition établie par le grand humaniste. Zwingli, Mykonius,
Œcolampade, Capito subirent dans une très large mesure l'in-
fluence de cette exégèse éprise de liberté qu'Érasme avait mise
en vogue sous le patronage de saint Jérôme. Mais cette action
s'exerce au delà de ces bornes malgré tout assez étroites. On la
retrouve dans les œuvres d'un homme chez qui on ne l'attendait
guère : chez le cardinal Cajétan. Le théologien romain, que n'a-
vaient pas épargné les censures de la Sorbonne et les suspicions
des « Parisienses », entretenait avec Érasme une correspondance
qui ne voile point la sympathie de son auteur pour certaines idées
de l'hmnaniste, concernant la Bible, son autorité, son interpré-
tiiliou (2). Il devait même faire passer quelques-unes d'entre elles
dans les nombreux ouvrages qu'il consacra aux études bibliques
à partir de 1523. Dans la question du canon, en particulier, il
fait profession de suivre l'autorité de saint Jérôme, à l'exclusion
de toute autre. «L'usage commmi de l'Église, dit-il en parlant
de l'Épître aux Hébreux, désigne certainement Paul comme
l'auteur de cette lettre... ^lais, comme nous avons pris, crainte
d'erreur, saint Jérôme pour règle dans le choix des livres cano-
niques, et qu'il exprime un doute sur l'auteur de cette épître, par
là même, elle reste douteuse » (3). Mais cette influence d'Érasme
1. Pour cette influence d'Erasme sur les humanistes d'Erfurt, voyez Carl
Krause, Hdius Eohanus Hessus, I, p. 283 ssq. Gotha, 1879.
2. A. Cossio, Il cardinal .Gnetano e la Biforma, p. 247 ssq. Cividale, 1902.
Pour les démêlés de Cajétan avec la Sorbonne, vovez L. Delisle, Extraits
et Notices des Mss., XXXIV, p. 351.
3. « De auctore hujus epistolae certum est communera usura ecclesiae no-
minaro Pauhim... Et giioniam Hieronymum sortiti sumus resrnlam ne erremus
in discretione lihrorum canonicorum... ideo dubio apud Hieronymum epistolae
auctore existente, dubia quoqxie redditur epistola. » Caietani, oprra, éd. Lyom
1639, V, 329. Ce texte .a^ déjà été utilisé par A. Loisy, Histoire du canon
du Souveau Testament, p. 231 sq. Paris, 1891. _
PROBLÈME DES SOUKCES THÉOLOGiniiES AU XVI° SIECLE 727
et de saint Jérôme sur Cajétaii semble bien avoir été plus pro-
fonde. C'est à elle qu'il faut très probablement rapporter le fameux
principe qui devait valoir au cardinal tant et de si véhéments as-
sauts : « Dans l'interprétation de l'Écriture, il est permis de pré-
férer parfois l'explication d'un seul Père de l'Église au torrent
des docteurs ». En tout cas, lorsqu'il voulut se défendre, en par-
ticulier dans ses « Responsiones ad quosdam articulos nomine
theologorum Parisiensium editos », il fit appel pour se couvrir,
à l'autorité de saint Jérôme.
Mais il était bien loin de l'espxit d'Érasme de donner à toutes
ces idées une forme systématique. Ses disciples immédiats eux-
mêmes, les humanistes d'Erfurt, par exemple, avaient encore
moins de goût peut-être pour les constructions ambitieuses qui
leur rappelaient la scolastique. Ils exerçaient volontiers leur cri-
tique sur les grandes thèses du passé, mais n'avaient aucun
souci de les remplacer. La désagrégation méprisante des théo-
îries auparavant admises suffisait à contenter le plus grand nom-
bre d'entre eux. Pourtant, l'école d'Érasme devait aboutir, trop
tard, malheureusement, à un programme parfaitement défini. Au
moment où il allait se convertir à une tout autre direction des
tendances réformatrices, un homme dont on a dit qu'il aurait été,
sans Luther, un Érasme plus pénétrant et plus calme, Mélanch-
ton, présentait en un résumé frappant, l'idéal érasmien à ces mêmes
jeunes gens que l'éloquence passionnée du moine augustin pous-
sait déjà vers une bien autre voie. Dans le discours d'inaugura-
tion qu'il prononça, .en 1518, à l'Université de Wittenberg, le
nouveau professeur concentrait tous les traits de cet idéal. Il
peignait en termes classiques la décadence progressive des belles
lettres et sa compagne obligée, la décadence des sciences sacrées.
11 dénonçait en cette barbarie montante des esprits, la cause même
de l'abaissement des mœurs. Le seul remède à cette triste situa-
tion était le retour aux bonnes études. Et Mélanchton dressait
le tableau de la réforme nécessaire. Il caractérisait la façon dont
on devait enseigner aux jeunes esprits chacune des sciences :
grammaire, dialectique, philosophie et histoire. Chaque branche
du savoir était appelée par lui à contribuer cà la formation mo-
rale de la jeunesse. « Car presque toujours, les hommes sont ce
cpie les font leurs études. Il n'y a de bonnes lettres pour moi que
celles qui rendent d'esprit bon. Aussi, faut-il que la jeunesse soit
bien élevée : ce sont les bonnes lettres qui sèment les bonnes
728 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET ÏHÉOLOGIQUES
mœurs » (1). Il arrivait alors à la théologie, couronnement de
toutes ces études; et voici comment il s'exprimait : « Pour ce
(jui concerne les sciences sacrées, la façon dont on les acquiert
est de la plus haute importance. Car, parmi tous les genres d'étude,
il n'en est pas qui réclame plus d'intelligence, de suite et de soin.
En effet, l'odeur des parfums du Seigneur domine les baumes des
disciplines humaines : sous la conduite de ï'Esprit, avec l'aide
des arts que nous cultivons, alors seulement il est permis de s'ap-
procher des sciences jsacrées... Or, la théologie est en partie hé-
braïque, en partie grecque; car nous, Latins d'éducation, nous
avons bu à leui^s eaux. C'est pourquoi nous devons apprendra
ces langues, afin de ne pas jouer avec les théologiens le rôle
de personnages muets. Là s'ouvrira devant nous la splendeur
et le sens véritable des mots, et se révélera, comme en sa plus
intime retraite, cette vraie, cette originelle signification de la
lettre. Aussitôt que nous avons perçu la lettre, d'elle-même suivra
l'appréhension des choses signifiées. Adieu alors toutes ces froi-
des gloses, ces concordances et ces discordances, tous ces obs-
tacles de l'esprit. Et, lorsque nous aurons ainsi approché nos in-
telligences des sources, alors nous commencerons à goûter le
Christ, sa loi nous deviendra claire et nous serons pénétrés du
nectar de la divine Sagesse... C'est ce qu'insinue souvent saint
Paul, en particulier dans l'épître à Tite, où il exige de la doc-
trine du chrétien tout d'abord l'intégrité, àoia^GoptV., pour que la
foi ne soit pas en danger. Ensuite, la pureté, crîy.vor/;; , en sorte
que nous ne mélangions pas malhonnêtement les lettres profanes
aux lettres sacrées. Je pense qu'il prévoyait ce qui devait arri-
ver ; si les unes étaient mêlées aux autres, alors en même temps
les passions du monde, les haines, l'ardeur des partis, les divi-
sions et les querelles s'y introduiraient.
Pour celui qui veut s'initier aux choses divines, il importe au
contraire de dépouiller le vieil Adam pour revêtir l'Adam incor-
ruptible, c'est-à-dire, rejeter les passions humaines et briser, avec
l'aide d'En-Haut, le joug de l'insidieux serpent pour que l'abîme
do malice se transforme, grcâcé au Seigneur, en abîme de misé-
1. « Fere sc-mper talis est unusquisqiie, qualein stu.lia faciunt. Nec mihi
bonae litterae, nisi quae mentis boaae sont -v-identur. Itaque praestat opti-
niis juventutem erudiri : mores enim optimos optiinae litterae conserunt. »
Corpus Reformai orum, XI, p. 16 ssq. Ces paroliïs ne se trouvent pas dms !e
discours lui-même, mais dans la dédicace à Otto Beckman, chanoine de Wit-
tenberg, datée du mois d'octobre 1518.
PROBLEME DES SOURCES THEOLOGIQUES AU XYI^ SIÈCLE 729
ricorde. Telle était la cause pour laquelle je vous disais que
l'Ëglise, privée du secours des lettres, avait oublié pour des tra-
dilions humaines la vraie et naturelle piété. Ces explications hu-
maines ayant commencé de plaire, entraînés par l'amour de nos
propres ouvrages, nous avons commencé en même temps de n'être
plus chrétiens » (1). Même en ces dernières lignes, où pointent
déjà quelques-unes des idées essentielles de Luther, son futur
disciple reste fidèle aux suggestions d'Érasme. S'il leur donne
une portée plus considérable, c'est uniquement par la concentra-
tion qu'il leur impose.
Or, chez Mélanchton aussi, ces idées se rattachent à une par-
ticulière vénération pour saint Jérôme, son œuvre et sa méthode,
et pour Érasme, qui renouvelle ses services. Il ne s'occupe pas
encore d'une façon spéciale de théologie et déjà, pourtant, dans
la préface de sa « Rhétorique », il célèbre, dans le grand hu-
maniste, l'homme qui a ramené cette fecience à ses sources. Il
entend, lui encore, que l'on aille de la lettre bien comprise au sens
qui révèle la divine volonté, la loi imposée aux hommes par le
Tout-Puissant. Chose singulière! Il exerce même en ce point
une action, sinon durable, au moins très marquée, sur son col-
laborateur à l'Université de Wittenberg, sur Luther. Pendant
ces deux années 1518 et 1519, l'hostilité déjà très grande de ce
dernier envers cette méthode et ses deux représentants, ses at-
taques communes contre saint Jérôme et Érasme s'atténuent et
s'adoucissent jusqu'à prendre l'air de nuances sans aucune im-
portance. Dans le commentaire sur l'Épître aux Galates, qui fut
composé et publié sous sa forme première, pendant les premiers
mois de 1519, Luther emploie précisément tous ces procédés de
la philologie hiéronymienne et érasmienne pour éclairer le sens
de son texte. Remarques de stylistique, comparaison de la Vul-
gate avec lé grec, choix de certaines interprétations d'Érasme
qui se fondent uniquemement sur la grammaire et l'étude de la
« lettre », bien plus, préférence souvent donnée à saint Jérôme
sur saint Augustin, voilà ce que l'on trouve en cette œuvre, unique,
à ce point de vue, dans la série des commentaires de Luther.
Parfois même, ce dernier va beaucoup plus loin que ses inspira-
teurs. Il ne se gêne point pour déclarer que les interprétations
1. Corpus Rrforwnt.ontm, XI, 23 ssq. Voyez aussi G. Plitt, Die Loci
comwvnfn PhiJipp Mclnvrhtlio)!!-' ^. 33. Erlantîon, 1864.
730 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
d'Augustin sont forcées et peu sûres en regard de celles de Jérôme,
qui reste toujours plus pondéré et plus littéral. ]\Iais l'opposition
entre les tendances profondes du réformateur et l'humanisme éras-
mien était trop radicale, et la douce action de Mélanchton lui-
même ne pouvait donner de bien profondes racines à ce courant
d'idées en l'âme de celui qui allait devenir son maître exclusif.
Luther n'allait pas tarder à brûler ce qu'il avait un instant,
sinon adoré, du moins admis. Le naturel reprenant le dessus, ses
dédains à l'égard d'Érasme se manifestèrent à nouveau, et avec
une violence presque égale à celle de ses attaques vis-à-vis du
papisme. Cette conception de la Bible comme un manuel d'édu-
cation religieuse domié par Dieu aux lionmies, était pour lui
du pélagianisme tout pur. Aussi, dans la réédition de son Com-
mentaire sur l'Épître aux Galates, qu'il fit imprimer en 1523,
revint-il sur ses complaisances envers l'exégèse des humanistes.
Il supprima soigneusement tous les passages où se trouvaient
des éloges ou des emprunts de saint Jérôme et d'Érasme et
ceux qui discréditaient quelque peu la méthode de saint Augus
tin en leur faveur (1).
A ce moment, en effet, le conflit entre humanistes et réfor-
mateurs tournait à l'aigu. Les positions respectives des deux
groupes s'étaient précisées. Or, €es précisions n'avaient fait que
mettre en un jour plus net l'attachement des Érasmiens pour
gaint Jérôme et le sens qu'ils donnaient à leurs sympathies
pour ce Père de l'Église. Les circonstances allaient fournir à
Érasme une nouvelle occasion de revendiquer pour modèle et
chef le maître désormais incontesté de la philologie biblique.
Reuchlin venait de mourir (1522). Les théologiens de Wittcn-
berg et ]\Iélanchton lui - même, son petit-neveu, gardaient un si-
lence significatif sur cette mort qui causait, par toute l'Allemagne,
nue profonde émotion. L'illustre hébraïsant avait en effet re-
fusé de se joindre au mouvement réformateur. Tout au contraire,
dès que son élève Pellikan lui eut apporté à Bàle la triste nou-
velle et raconté les derniei-s instants de son maître, sur l'heure
Érasme se mit a l'œuvre pour donner au philologue disparu un
dernier témoignage de son admiration. Ce fut là l'origine de ce
dialogue singulier, que les contemporains nommèrent «l'Apo-
théose de Reuchlin », qui est surtout une apothéose de la science
1. Co point a été bien mis en lumière par G. Ellinger, Philipp MeJa>ichton.
Berlin, 1902.
PROBLÈ.MK DES SdURCES THÉOLOGIQUES AU XVI^ SIECLE 731
nouvelle. Là, sons une forme où se retrouve le curieux mélange,
cher à Érasme, de termes païens appliqués au christianisme et
de critique acérée contre les scolastiques, réapparaît en ses
traits les plus caractéristiques l'idéal exégétique de toute l'é-
cole. L'auteur nous y fait le récit d'un songe ou d'une vision
qu'aurait eue un dévot frère mineur à l'heure même de la mort
de Reuchlin. Devant le bon moine, s'étendait une prairie mer-
veilleuse où l'on accédait par un pont. Et voici que survint le
mort lui-même, vêtu de blanche lumière et accompagné d'un
bel enfant aux ailes déployées, son g^nms. Quelques oiseaux
noirs, semblables à des vautours, le poursuivaient, à distance
respectable, de leurs désagréables cris. Mais un signe de croix
da savant les mit en fuite. A l'entrée du pont, saint Jérôme l'at-
tendait. Il le salua comme un collègue et le revêtit d'une longue
robe, toute pareille à celle qu'il portait lui-même. Elle était par-
semée de langues qui ressortaient en trois couleurs sur un fond
de neige. La prairie fut bientôt toute couverte d'anges qui ve-
naient à la rencontre des deux bienheureux. Une colonne de feu
descendit du ciel, les enveloppa, et ils disparurent, attirés vers
l'empyrée, au milieu des chants et des musiques divines. Telle
était la vision du franciscain. Et les deux interlocuteurs con-
cluaient à inscrire Reuchlin au nombre des saints et à faire de
lui et de saint Jérôme les patrons de la science sacrée (1).
Jusqu'à la fin de cette lutte entre humanistes et réformateurs,
saint Jérôme devait apparaître comme le symbole d'une exégèse
plus libre et moins asservie à des conclusions dogmatiques.
Lorsque la guerre eut été définitivement ouverte entre les deux
camps, que le De lïbero arbitrio d'Érasme eat provoqué le De
scrvo arbitrio de Luther, et celui-ci les vives critiques qui em-
plissent les pages des Hyperaspistes diatribae adversus servuDv
arbitrium Martini Lutheri, la réputation du Père de l'Église
devint l'enjeu de ces mutuelles attaques. Il faut entendre de
f[uel ton, dans ce dernier ouvrage, Érasme défend son maître con-
tre son adversaire. « Faut-il dire do quelle façon peu res])ectueuse
tu traites saint Jérôme dans cette discussion, simplement parce
qu'il a écrit que certains textes de l'Écriture s'opposaient chez
1. Erasmi opéra, I, 689 ssq. « De incomparahili Hcroe Joaiine Reuchlùto
in dicorum mcmerum relalo. » Pour les circonstances de la composition de co
dialogue, voyez T^. Okiger, op. cit., S. 472; D. F. Strauss, Ulrich von
Hutten, II, S. 250 ssg.
732 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
saint Paul qui, dans l'original, ne s'opposent point. Il ne te
suffit pas de le traiter d'aveugle, de maladroit, de farceur, il faut
que tu voues à l'exécration sa bouche sacrilège. A supposer que
saint Jérôme se soit trompé, on pouvait l'excuser de façon con-
venable. Même s'il n'y avait pas place pour des excuses, il eût
été séant de relever son erreur avec modération. C'est, je pense, la
manière dont tu voudrais être traité s'il t'arrivait chose sembla-
ble. Mais tu savais fort bien que saint Jérôme pensait très juste
au sujet de saint Paul. Il ne prétendait nullement l'accuser d'a-
buser des textes de l'Écriture, mais montrer qu'il n'était pas un
témoignage, si mystérieux fût-il, que l'Apôtre n'employait à prou-
ver la vérité de l'Évangile. x\ussi n'est-il pas étonnant que, fai-
sant rage contre saint Jérôme lui-même, tu ne puisses sup-
porter chez les autres, malgré leur politesse, des idées différen-
tes des tiennes » (1). Cette vive repartie montre a quel point
Érasme se sentait touché par les attaques dirigées contre saint
Jérôme. Mais elle montre surtout le thème spécial qui, chez le
Père de l'Église, offensait les réformateurs, et fournissait au con-
traire un point 'd'appui d'apparence traditionnelle aux tendan-
ces des humanistes. Ce texte de saint Jérôme, que relève et cri-
tique Luther, que défend Érasme, c'est celui-là même dont s'au-
torisaH Reuchlin, vingt ans plus tôt, pour légitimer toutes les
hardiesses et toutes les libertés de la méthode philologique.
En signalant les oppositions des mêmes textes scripturaires en
différents endroits des Livres Saints, on croyait ouvrir toutes
grandes les portes jde la critique verbale, sans vouloir atteindre ce-
pendant d'une façon directe leur autorité. Luther n'admettait
pas alors de conciliation possible entre ces deux thèses. Il
avait des raisons spéciales et décisives de rejeter une semblable
possibilité. En effet, la conception de la Bible qu'il allait faire
prévaloir s'opposait radicalement à l'exégèse antithéologique de
l'école d'Érasme. ' •
1. « Eundem (Hioronymum) in tua disputatinne quam irreverenter tractas,
eo qiiod scripserit quaedam scripturae tostimoiiia apud Paulum pugnare quae
suis locis non pugnant. Hic non satis ost illum vocasse hisciosum, îneptum,
nugoncm, nisi tandem execreris ejus os sacrilegum. Etiamsi quid lapsus esset
Hieronynuis poterat excusari civiliter, et si non esset locus excusationi, con-
veniobat errorem modeste corrigi. Hoc opinor officium relies tibi praestari si
quid aocidisset simile. Nunc sciebas Hieronynuun optime sontire de Paulo,
nec illud in eo criminari quod abuteretur testiinoniis sciipturarum. sed quod
nihil esset recomlitum in Scripturis ([uod ille non accommodaret ad Evangelii
com.probationem. Qui sic debaccbaris in Hieronymum, non pateris alios quam-
vis civiliter ab te dissentienles. » Erasmi opéra, IX, 1296. Daté du 20 fé-
vrier 1526.
PROBLEME DES SOURCES THÉOLOGIOUES AU XVI^ SIÈCLE 733
*
» *
Pendant que saint Jérôme fournissait de la sorte aux huma-
nistes encore préoccupés de christianisme un idéal exégétique,
une autre figure de l'antiquité chrétienne renaissait, dans un cer-
cle théologique différent, et allait former une image divergente,
dont le contraste devait bientôt, dans la lutte intellectuelle, se
tourner en opposition. L'ermite de Bethléem allait de nouveau
entrer en conflit avec l'évêque d'Hippone et lui disputer la do-
mination sur les esprits. Il est un livre qui jouit alors d'une in-
comparable popularité et dont l'influence dépasse, en ses limites
trop étroites et trop étroitement comprises, celles que purent
exercer les œuvres les plus célèbres des Pères. C'est le De Spiritu
et liitera de saint Augustin. En 1517, Karlstadt, le futur réfor-
mateur, l'avait édité, et, dans ses leçons à l'Université de Witten-
berg, lui avait consacré « d'admirables explications ». Consulté
vers le même temps par Georges Spalatin, sur la meilleure fa-
çon d'étudier l'Écriture, il lui répondait : « Quant à moi, j'ai
compris que le smeilleur aide pour pénétrer les mystères de la théo-
logie, c'était le très savant ouvrage d'Augustin De Spiritu et
littera. Je vous engage à le lire et le relire » (1). Spalatin avait
adressé la même question à Luther. La réponse fut identique.
Après avoir disserté sur les mérites relatifs d'Augustin, d'Am-
broise et de Jérôme, après avoir nettement marqué l'opposition
fondament^ale de ses lidées avec celles d'Érasme, frère Martinus
Eleutherius, comme il se plaisait alors à signer ses lettres, ter-
minait sur ce conseil : « Si tu veux m'en croire, tu commenceras
par lire saint x\ugustin dans le De Spiritu et littera. Notre Karls
tadt, cet homme d'une science incomparable, l'a expliqué ad-
mirablement et donné au public » (2). La Réforme française suivit
sur ce point l'exemple de sa sœur germanique. Lorsque Robert
Estienne publiait, en 1534, son édition manuelle de la Bible
latine, il y joignait, immédiatement après les index et avant les
préfaces hiéronymiennes, le livre de l'évêque d'Hippone. Un
1. « Ego profecto librum de Spiritu ot littera Ausnstini dnctissimura com-
peri ansam ad secretiora theoliigiae latibula praestantem. Hiinc legas atqiie
relpgas, consulo. » Lottro du 17 janvier 1.518, dans Olearius. Scrinivm ovfi-
quariiim, p. 8. Cf. id., p. 24. Nous reviendrons plus loin sur l'interiirétation
de ce livre par les réformateurs.
2. « Incipies autem (si mea tibi placent studia) b. A\igustinum de litora et spi-
ritu, qnem jam noster Carlstadius, honio sfudii imconiparabiiis explicavit mi-
ris explicationibus et odidit. » 18 janvier 1.5t8, Lnfhers Brirfwerhscl, éd.
Enders, I, p. 143. :
734 PEvur DES sciences philosophiques et théologiques
mot au lecteur, d'une allure narquoise, le renseignait sur les
raisons de cette adjonction (1). C'était tout d'abord pour ne point
laisser de pages blanches. Mais surtout nul autre livre au monde
n'était plus propre à faire comprendre, en son véritable sens, l'en-
semble de l'Écriture. Dans sa brièveté merveilleuse, il présentait
tout le contenu de la Bible sous son vrai jour si longtemps oublié.
Il faisait pénétrer les arcanes de la révélation divine en résumant
par quelques oppositions essentielles et profondes la doctrine
même des Saints Livres. Le maître imprimeur indiquait en pas-
sant ces lumineuses oppositions, a la clarté descruelles Augustin
avait admirablement commenté la parole sacrée. Son ouvrage ex-
posait avec autant de science que de piété, « la loi et les promes-
ses, la foi et les œuvres, la lettre et l'esprit, le nouveau etl'ancien
Testament ». Il ne s'agissait plus maintenant de recourir aux
procédés tout extérieure et superficiels de l'Aristotélisme. D'au-
tres principes que ceux du quadruple sens scripturaire étaient
nécessaires pour atteindre, à travers la dure écorce de la lettre,
la « noix » de la doctrine. Le De Spiritu et littera fournissait ces
principes. Voici donc qu'une nouvelle intelligence de l'Écriture,
s'autorisant d'un des plus grands noms de l'antiquité chrétienne,
(lu docteur dont la pensée avait nourri toute la théologie occi-
dentale, s'offrait aux âmes pour renouveler leur vie religieuse et
morale. Après la lettre, dont les philologues avaient rétabli la
pureté, c'ét^iit l'esprit qu'on croyait retrouver. Les réformateurs,
en effet, prétendaient ici dépasser les humanistes autant que
ceux-ci avaient fait les scolastiques.
Quel était donc le sens et la portée du choix de cet ouvrage
comme introduction à l'Écriture? Et que devenait la Bible, vue
an travers de ce traité de saint Augustin, interprétée suivant les
données très particulières, il faut le dire, du De Spiritu et littera ?
L'cvêque d'Hippone l'avait composé en des circonstances toutes
spéciales (2). Il avait soutenu, dans l'une de ses œuvres précé-
dentes, adressée à Marcellinus, que nul homme en ce jiionde,
sauf, bien entendu, l'Homme-Dieu, n'avait atteint ou n'atteindrait
1. Lectori. Ne chartae vacarent, chrisliane lector, hune b. Augustini de
litera et spiritu libellum impressimus, huic Bibliorum operi maxime acconi-
niodum, quod cum docte tum christiane legera et promissa, fidem et opéra,
literam et spiritum, novum et vêtus Testamentum paucis verbis erponat ;
sitque hujus operis verus cum mira et diiucida brevitate commentarius.
2. S. Aurelii Augustini Opéra, éd. Bénédictine, t. X, col. 8.5 et ssq. Paris,
1696. L'ouvrage qui y donna occasion est le De jx'ccatoram meritis et re-
missione pcccatorum , adressé lui aussi à Marcellinus.
PROBLEME DES SOURCES THÉOLOGIQUES AU XVI^ SIECLE 735
la perfection de la justice. Aucun homme n'avait été, aucun hom-
me ne serait, dont le péché n'eût ou ne dût, de fait, entacher
la conduite. Mais il avait affirmé en même temps qu'il était
possible, avec l'aide de la grâce divine, de vivre sans péché.
Comment concilier ces deux idées? C'est ce que Marcellinus
lui avait demandé, et c'est l'occasion qu'Augustin avait saisie,
avec empressement, semble-t-il, pour attaquer et réfuter une fois
de plus la doctrine pélagienne. Ce lui avait été chose aisée de
répondre à la difficulté qui embarrassait son ami. Il suffisait
de distinguer ici le fait et le droit. En fait, il n'est pas d'homme
qui vive sans péché; en droit, l'homme pourrait, avec la grâce
de Dieu, arriver à cet état de perfection. N'y a-t-il pas en effet
mille choses dont nous admettons la possibilité, tout en sachant
bien qu'elles ne se sont jamais réalisées et que jamais elles ne se
réaliseront? L'Évangile lui-même ne nous fournit-il pas l'exemple
de telles possibilités : le chameau qui pourrait passer par le trou
d'une aiguille plus facilement qu'un riche entrer au ciel, ou bien
les légions d'Anges qui eussent pu protéger le Christ et qui ne
l'ont point fait ? Mais à tout cela IMarcelliims avait réponse prête.
Ces cas de possibilités irréalisées dépendent de la volonté toute-
puissante de Dieu. Il n'en va pas ainsi du fait en question. Être
parfaitement juste, c'est une œuvre de volonté humaine. Et si, en
droit, telle œuvre est possible à l'homme, pourquoi donc affirmer
qu'il n'y parvient pas, qu'il n'y parviendra jamais ? C'est alors
qu'entrant dans le vif du sujet, Augustin réplique : Voilà, dit-il,
l'erreur initiale du système pélagien. Oui, être juste est l'œuvre
de l'honnne. Mais c'est en même temps l'œuvre de Dieu
clans l'homme. Quel est donc l'office propre de sa grâce?
Suivant le mot profond de l'Apôtre, n'opère-t-il pas en nous le
vouloir et l'agir? Comment, dès lors, admettre que la volonté hu-
maine peut parvenir à la justice de son propre fonds et sans le
secours de Dieu?
^laio Pelage n'entend pas de telle sorte l'économie du salut.
Cette aide divine, cette grâce adjuvante, par laquelle s'institue
un mystérieux concours entre Dieu et l'homme dans l'œuvre de
sanctification, il ne veut pas la nier absolument. Ce qu'il pré-
tend, c'est l'arracher à ces profondeurs un peu ténébreuses où la
relègue Augustin, à cet arrière-plan où s'élabore la vie active, pour
la transporter en une région plus claire du domaine humain. Cette
grâce qui permet de bien vivre se ramène, eu son essence, à deux
éléments connus : le libre arbitre, qui nous permet d'agir volontaire-
736 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
ment, la loi divine, qui nous instruit de nos devoirs. Ces éléments,
tous deux dons faits par le créateur à sa créature, en se combinant,
suffisent à nous faire vivre en toute justice et piété, et par con-
séquent à mériter le bonheur des élus. La liberté d'une part, l'É-
vangile de l'autre, voilà, suivant Pelage, les deux grâces essen-
tielles, permanentes qui sont, pour nous et en nous, les sources
de tout bien. Leur jeu combiné sauve les âmes en qui elles ne
s'opposent point l'une à l'autre. Cette organisation du salut nous
révèle Dieu sous deux aspects essentiels, en sa bonté infinie et
en son omniscience. Il est à chaque instant, pour l'homme tout
ensemble un Père et un Pédagogue. Telle est sa part dans l'œuvre
de la justification. Or, pour répondre à cette conception, Augustin
édifie sur le texte de saint Paul : « Littera occidit, Spiritus autem
vivificat, » une théorie qui doit ruiner de fond en comble celle
de son adversaire, et à laquelle l'avenir réservait la plus singu-
lière destinée. Selon lui, le libre arbitre de la volonté et la
révélation qui nous dicte nos devoirs sont absolument insuf-
fisants pour réaliser la perfection de la justice. Pas n'est besoin
de s'arrêter au libre arbitre : en lui-même, il n'est qu'une
puissance du péché. Mais la doctrine révélée, la parole de Dieu,
elle non plus, n'est pas de soi un instrument de grâce efficace.
Si l'esprit de Dieu ne vient la vivifier, elle est la lettre qui tue.
Cet esprit seul donne à l'âme l'amour, la dilection du Bien su-
prême sans lesquels l'accomplissement des préceptes n'est qu'une
vaine observance.
L'on voit maintenant se dessiner la conception de la Bible qu'in-
troduisait cette polémique, et dont il fallait montrer les racines
profondes, puisqu'elles se retrouvent chez les réformateurs et
que de favorables circonstances les font alors renaître. Lorsque
saint Paul distinguait la lettre qui tue de l'esprit qui donne la vie,
il ne voulait point laisser entendre seulement cette vérité banale,
qu'on doit appliquer à l'Écriture le discernement du sens littéral
et du sens figuré. Il ne visait même pas seulement l'intelligence
« spirituelle » des Saints Livres, qui fournit à l'homme « inté-
rieur » sa nourriture surnaturelle. Traduire ainsi la pensée de
l'Apôtre, c'est l'amoindrir. Que nous représente en effet la révéla-
tion écrite? La volonté divine par rapport à nous. Elle est d^abord
et essentiellement la « Loi ». Elle nous fait connaître les com-
mandements sous lesquels son auteur veut que nous courbions
notre obéissance. Mais quel n'est pas le premier effet de cette
Loi ? Elle est bonne en soi, puisque révélatrice du Souverain Bien.
PROBLÈME DES SOURCES THÉOLOGIOUES AU XYI^ SIÈCLE T.'ÎT
Et cependant, par elle-même, elle ne fait qu'augmenter nos désirs
mauvais, aiguiser notre concupiscence. Nous voulons, avec plus
de violence encore et d'emportement, ce qui nous est défendu.
Notre culpabilité s'en aggrave d'autant. Il advient ainsi que la
lettre de la Loi, en enseignant qu'il ne faut pas pécher, donne la
mort. La révélation de la volonté divine devient la révélation de
notre incurable infirmité. On ne peut donc point dire qu'il suffit,
pour pratiquer la justice, de connaître la Loi. Les enseignements
de Dieu, même sous forme d'Écriture révélée, sont pour nous un
verdict de condamnation plutôt qu'un moyen de justification.
La Parole de Dieu n'est pas, de soi, communicative de la grâce.
Sous son aspect de Loi, elle est bien plutôt la Lettre qui tue.
Mais à cette première identification qui unit les deux termes de
Loi et de Lettre, s'en oppose une seconde, dans laquelle se reflète
wie tout autre face de la doctrine révélée. Qui voudrait dénier en
effet à la Parole de Dieu une efficacité pratique d'ordre surna-
turel ? Elle est la manifestation de la justice par laquelle Dieu veut
sauver les hommes. Or, on ne peut s'approprier cette justice
sans d'abord la comiaître. Telle est la bonne nouvelle, l'Évangile
que le, Christ est venu apporter au monde et dont l'Esprit donne
le sens aux âmes de bonne volonté. C'est cet esprit qui opère en
nous la circoncision du cœur et rend la volonté pure de toute
concupiscence illicite, tandis que la Lettre, avec ses enseigne-
ments et ses menaces, ne promulgue rien autre chose que l'irré-
médiable déchéance de l'homme. L'accomplissement de la Lettre
ne conduit donc qu'à des pratiques toutes judaïques qui sont, non
seulement inefficaces, mais ajoutent encore leur poids mort à
celui de notre dépravation originelle. L'Évangile nous révèle
au contraire la grâce entièrement gratuite qui nous a été donnée
par Dieu dans la personne du Christ, force notre amour pour
lui et fa'l, que nous nous plaisons en la Loi qu'il nous a imposée.
Cette délectation, que la Lettre ne pouvait nous infuser, c'est
l'Esprit qui nous pénètre de sa grâce vivifiante et guérissante.
Ici, la face du Pédagogue terrible disparaît pour faire place à la
douceur souriante du Père. Et saint Augustin trouve dans la Bi-
ble elle-même des images frappantes pour rendre sensible cette
différence entre les deux aspects de l'Écriture. L'Esprit-Saint,
dans l'Évangile, n'est-il pas désigné comme le doigt de Dieu? Et
n'y a-t-il pas là une analogie, voulue et profonde qui nous dé-
finit son véritable rôle? La Loi, en effet, a été écrite par le doigt
de Dieu sur des Tables de pierre. L'Évangile est inscrit dans les
T.1S HEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET l'HÉOLÔGIQUES
cœurs par l'Esprit. La loi était quelque chose d'extérieur, une
manifestation de puissance. L'Évangile nous est donné au fond
de nous-mêmes, non pas comme un joug à supporter, mais comme
un échange dé mutuel amour. La première est justement appelée
l'Ancien Testament, car elle avait pour unique objectif le « vieil
homme », la nature pervertie, dont la Lettre, avec ses ordres et ses
menaces, ne faisait qu'étaler la dépravation. Le second se dé-
nomme tout aussi justement le Nouveau Testament; il s'adresse
à l'homme renouvelé par l'Esprit, au cœur guéri et réprimé par
la charité, qui est la plénitu'de de la Loi. Et tel est lei rôle de
l'Évangile et de l'Esprit. .Ils rétablissent entre l'homme et Dieu
cette ressemblance originelle que la chute avait effacée. Par
eux revit l'homme « intérieur » que le péché semblait avoir dé-
finitivement condamné. Ainsi s'établissait un nouveau couple
d'idées dont les deux éléments faisaient face à la première oppo-
sition. A la Loi répond l'Évangile, à la Lettre qui tue, l'Esprit
qui vivifie.
Dans les esprits travaillés par l'humanisme érasmien, mais
auxquels son exclusive critique, en fait de théologie, ne suffi-
sait pas, ce levain d'idées augustiniennes devait produire une
natureUe fermentation. Elles formaient la contrepartie positive
de ses négations, auxquelles elles se rattachaient et dans lesquelles
elles développaient leurs puissances ainsi qu'en leur véritable at-
mosphère. Les tirades classiques d'Érasme et de ses disciples
sur la décadence religieuse, sur la perversion de la doctrine ré-
vélée par les adjonctions humaines, aboutissaient comme consé-
quence extrême, au dogme de l'irrémédiable dépravation de
notre nature. Celui-ci, tout naturellement, excluait, comme moyen
de régénération, l'intelligence purement humaine, philologique, de
la Bible. Ce n'était pas ce sens extérieur, ce n'était pas la Loi,
la révélation de la volonté de Dieu, c'était l'Évangile, la révélation
de sa grâce dans le Christ, qui justifiait et sauvait les âmes.
Or, l'érasmianisme donnait la Lettre de l'Écriture. Il faisait con-
naître la Loi. Il mettait à nu l'incapacité absolue de l'homme
pour le bien. L'augustinisme, au contraire, — ce que, du moins,
l'on appelait de ce nom, — révélait l'Esprit des Livres Saints. 11
mettait au tout premier plan la grâce justifiante de Dieu. 11 édifiait,
sur le vice de la nature humaine, le chef-d'œuvre de la misé-
ricorde divine. Et à toutes ces antithèses venait s'ajouter, comme
un couple obligé, l'opposition de saint Jérôme et de saint Augus-
tin. Avant même d'être en rapport direct avec Érasme, Luther
iniOBLÈME DES SOUllCES TIlÉoLut.IQUIiS AU XVl'^ SIÈCLE 7;]9
avait exprimé aussi nettement que possible tout ce système dans
lequel les idées, rangées sur un double front, se faisaient face
avec une régularité mathématique. Il avait prié Spalatin d'être son
intermédiaire auprès du grand humaniste, et de soumettre à ce
dernier les craintes que lui causait son engouement pour saint
Jérôme. Il est tout maîtrisé déjà par ces idées augustiniennes.
« Voici, mon cher Spalatin, écrit-il, ce qui, chez Érasme, me trou-
ble malgré son immense savoir. Lorsqu'il explique ce que saint
Paul appelle la justice des œuvres, ou de la loi, ou la justice
propre, il l'entend des observances cérémonielles et figuratives.
Puis, à propos du péché originel, qu'il admet, du reste, il refuse
de croire que l'Apôtre en parle au chapitre cinquième de l'Épître
aux Romains. Qu'il lise donc les ouvrages de saint Augustin
contre les Pélagiens, en particulier le De Spiritu et Littera, puis le
De peccatorum meritis et remissione, le Coiiira duas epistolas
Felagianorum, enfin le Contra Juliamim, qui se trouvent à
peu près tous dans le huitième volume de ses œuvres ! Il verra
que celui-ci n'expose point sa propre sagesse, mais celle des Pè-
res les plus célèbres, les Cyprien, les Grégoire de Nazianze, les
Rheticius, les Irénée, les Hilaire, les Olympius, les Innocent, les
Ambroise. Peut-être alors non seulement comprendra-t-il mieux
l'Apôtre, mais encore attribuera-t-il à saint Augustin une impor-
tance plus grande qu'il n'a fait jusqu'ici.
Pour moi, en effet, je m'éloigne certainement d'Érasme en ce
que, dans l'interprétation des Écritures, je mets saint Jérôme
aussi loin après saint Augustin, que lui saint Augustin après
saint Jérôme. Et ce n'est pas le zèle pour mon ordre qui m'en-
traÎDe à la suite d'Augustin. Avant de tomber sur ses ouvrages,
je ne lui accordais pas vraiment la moindre faveur. Mais je me
suis aperçu que saint Jérôme se bornait intentionnellement au
sens historique, bien mieux, qu'il interprétait de façon plus
saine les Écritures lorsqu'il en traitait par occasion, comme dans
ses lettres, cpie loi-squ'il les étudiait directement, par exemple
dans ses opuscules.
La justice de la loi ou des faits ne comprend donc pas unique-
ment les cérémonies, mais tous les actes visés par le Décalogue.
Lorsqu'ils sont accomplis en dehors de la foi du Christ, quand
bien même ils feraient des Fabricius ou des Regulus, des hommes
tout à fait honnêtes aux yeux du monde, cependant ils ne res-
semblent pas plus à la justice que la sorbe à la figue. Car ce
n'est pas, comme le veut Aristote, en faisant des choses justes
TiO REVUE DES SCIENCES l'IIlLOSOPIIlQUES ET TIlÈOLOGlQUES
([Lie nous deveiiuiis justes, sauf en apparence. C'est, en som-
me, parce que nous devenons justes que nos actes sont justes. Il
faut tout d'abord que la personne soit convertie, ensuite les
œuvres Abel est objet de complaisances avant ses présents.
Mais j'y reviendrai ailleurs.
Rends-moi im service d'ami et de chrétien, je t'en prie, en fai-
sant connaître toutes ces choses à Érasme. Je crois que son au-
torité deviendra très grande et je le désire. Mais je crains en
même temps que, grâce à elle, beaucoup ne premient la défense de'
cette intelligence littérale, c'est-à-dire morte (illius litteralis, id est,
mortuae intelligentiae) qui remplit le commentaire de Lyra et
presque tous les autres depuis saint Augustin. Car, pour Lefèvre
d'Étaples lui-même, cet homme, grâce à Dieu, pénétré de l'Esprit et
tout à fait sincère, il n'a pas cette intelligence dans l'interpréta-
tion des Saintes Lettres, bien qu'il la manifeste de façon plé-
nière soit dans sa propre vie, soit dans ses exhortations à au-
tiui )/ (1). Spalatin transcrivit cette lettre presque littéralement,
en priant Érasme, au nom de la théologie, de lui accorder une
réponse. L'humaniste le fit-il? Nous n'en savons rien. En tout
cas, le ton scolastique de Luther, affaibli du reste par son inter-
médiaire, n'était pas fait pour lui agréer. La Bible lui réapparais-
sait ici plus que jamais saisie dans une gangue dogmatique qui la
rétrécissait et ramenait son infinie variété à un seul point de
doctrine. Les faces multiples des divins enseignements se voi-
laient à nouveau sous les abstractions d'un système exclusif
dont la puissance pénétrante ne laissait pas grande place à la
souplesse et à la liberté de l'intelligence. De toutes parts, ici,
l'on se heurtait à des concepts arrêtés et l'esprit, enfermé dans
ce cercle, y cherchait vainement une issue. Rien n'était plus
opposé en fait à l'idéal d'Érasme : le retour aux Livres Saints
comme à la seule source de la doctrine chrétienne. Mais les cir-
constances sociales, l'état de l'Église, donnaient une portée im-
mense aux idées augustiniennes dont Luther s'inspirait. Elles
retentissaient au plus profond des âmes.
Une tradition qui se désagrège et se dissout, des tendances en-
core imprécises, qui, pour se mieux définir, se rattachent, les
nnes au nom de saint Jérôme, les autres à celui de saint Augus-
tin, puis s'opposent, tel est' le bilan do la situation théologique
1. Luiher's BriefwcchseJ, cl. Endf.rs, I, p. 02 ssq. La lettre de Spalatin
à Erasme s'y trouve reproduite en note.
PROBLÈME DES SOUllCES TIlÉoLOGIOUES VU XYI^ SIÈCLE 741
dans le second décenniuni du seizième siècle. Et ces tendances im-
pliquent, les unes comme les autres, tout un ensemble, tout un
système d'idées, rfui, peu à peu, au cours des événements, dé-
veloppera jusqu'à ses dernières conséquences. Mais, d'un côté
comme de l'autre, un premier point apparaît, dont le vif relief
ferme centre et attire plus puissamment la réflexion. C'est l'im-
portance accordée à la Bible comme source de la révélation.
Comment faut-il la lire pour y trouver le Christ? De quelle
façon la comprendre, si l'on veut s'approprier le trésor caché
que Dieu y a déposé? Selon quelle méthode l'interpréter, pour
saisir le sens réel, salutaire, de ses enseignements? Toutes ces
questions montent aux lèvres des humanistes et des réformateurs.
Aussi le spectacle est-il tout d'abord frappant et presque émouvant,
de tous ces hommes qui croient découvrir dans le Livre le re-
mède universel qui doit guérir les âmes de leurs erreurs, la so-
ciété de ses abus et de sa décadence. Avec mie véritable avidité,
les esprits se jettent sur le texte des deux Testaments et se de-
mandent .quelle doctrine se trouve là distribuée. Ils y perçoivent
au premier regard une opposition absolue avec le courant ordi-
naire de leurs pensées. On se raconte partout alors les décisives
paroles du célèbre médecin anglais Thomas Linacre. A son lit
de mort, lisant pour la première fois de sa vie le texte évangé-
lique et parcourant le chapitre cinquième de saint Matthieu : « Ou
bien, s'écriait-il, cela n'est pas le véritable Évangile, ou bien nous
ne sommes pas des chrétiens ! » Le véritable Évangile ne peut
se trouver que dans la Bible. Tous sont d'accord là-dessus. ^Mais
comment démêler ses traits dans cette masse documentaire qui
se présente au premier aspect comme un récit, comme une his-
toire, et non. pas comme une théologie? Les uns s'en tiennent à
ce premier aspect. Ils ont retenu de leur fréquentation avec les
auteurs anciens que l'histoire est « la maîtresse de la vie et l'édu-
catrice du genre humain ». Ils veulent attribuer ce rôle aux
Livres Saints. Ceux-ci jouent dans le monde le personnage de
pédagogue divin. Les éducateurs de l'école érasmienne conçoi-
vent la révélation à leur image et ressemblance. Mais les autres
prétendent déjà que c'est là seulement la forme et non point la
matière de la révélation et de l'Évangile. Au-dessous de la lettre,
il y a l'esprit; dans le récit lui-même est incluse la doctrine du
salut. Cette doctrine appréhendée par les consciences, saisie com-
me vraie en vertu de son action inunédiate sur les âmes, est la
2* Année. — Revue des Sciences. — N» 4. 4^
742 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
seule chose qui importe, l'unique Évangile donné par Dieu aux
hommes dans la personne de son Fils Jésus-Christ. Il ne s'agit plus
que d'une chose : savoir quelle est cette doctrine de salut et
comprendre la Bible suivant la ligne d'intelligibilité qu'elle dé-
terminera. (A suivre.)
Verdun. A. Humbert.
Notes
I
Un cas complexe de fausse paramnésie.
LA « paramnésie », l'angoissante sensation du « déjà-vu », offre
dos difficultés d'observation et d'interprétation que les' théo-
ries courantes paraissent totalement négliger. Il serait absurde,
ou au moins ti'ès arbitraire, de prétendre que la « fausse recon-
naissance » n'existe pas; mais dans la forme classique, nous la
croyons beaucoup plus rare qu'on ne l'imagine en général.
Il y a lieu de distinguer la vraie paramnésie, dans laquelle une
perception certainement nouvelle pour le sujet est accompagnée
(\o l'impression illusoire du déjà-vu; et la paramnésie fausse,
où la perception n'est pas nouvelle; où le déjà-vu est donc parfai-
tement justifié, mais où, malgré l'impression du déjà-vu, la per-
ception est à tort jugée nouvelle. Il n'y aurait peut-être pas lieu,
dans ce cas, de parler de paramnésie, la mémoire étant fidèle,
presque trop fidèle ; mais le jugement faux, qui affirme la nouveau-
té de la perceptiou actuelle, provoque un état psychologique ab-
solument semblable à celui qui résulte de la paramnésie vraie.
A ce titre, le nom de « fausse paramnésie » se justifie suffisam-
ment.
Nous croyons que le rêve et l'oubli rapide mais toujours incom-
plet des choses rêvées, les images « oniriques » et les ondulations
fugaces de la rêverie doivent être considérées comme un facteur
prépondérant dans la production du phénomène. On assiste pas-
sif au défilé des images, qui surgissent on ne sait d'où, et s'ef-
facent on ne sait comment; et si aucune introspection réfléchie
et volontaire n'intervient pour les saisir et les fixer au passage,
tous ces fantômes de l'espace intérieur paraissent à jamais perdus
pour la mémoire consciente.
Mais la subconscience est plus tenace : là tout paraît se conser-
ver, et tant de choses s'élaborent. Qu'une sensation externe, une
perception actuelle vienne donner le déclic, l'image sous-con-
744 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
scieute ne restera pas inactive. Elle donnera une teinte particu-
lière, une physionomie subjective à l'objet nouvellement perçu,
et si celui-ci ressemble suffisamment aux images latentes, il peut
prendre une allure de déjà-^n.i, parfaitement légitime, mais qne le
sujet ne par\'iendra pas à légitimer parce que la mémoire réflé-
chie ne paxWent pas à saisir une image qui refuse de franchir
le seuil de la conscience vive.
Parfo^'s cependant:, on se souvient d'une manière plus ou moins
précise de ce qu'on a rêvé. Quelques points de repère reparaissent
au regard de la conscience, et, spontanément, inconsciemment,
de la meilleure foi du monde, nous complétons la scène suivant
le contenu de la subconscience et les impressions du moment. On
finit par s'apercevoir que le faux déjà-vu avait été rêvé. Il ne faut
même pas que la concordance soit très parfaite. De part et d'au-
tre, du côté de l'image primitive et de celui de la perception ac-
tuelle, il y aura une tendance à converger; le rêve, en effet,
est complété par la perception actuelle, et celle-ci est toujours
fonction de nos souvenirs latents. Bref, quelques points de con-
tact suffisent; on ne parlera plus de paramnésie : on aura déjà wi,
on aura prévu en rêve ce que la réalité nous met sous les
yeux; et la fausse reconnaissance fera place à une « divination par
les songes ». On devine à quelles extravagantes conclusions la dé-
couverte de ces « coïncidences » peut mener les esprits naïfs
Ces considérations générales nous sont suggérées par un fait,
rentrant parfaitement dans nos cadres psychologiques établis,
mais qui s'offre avec des caractères si nets et en même temps si
étranges, qu'il mérite de fixer l'attention. Il a été observé d'une
manière rigoureuse et se présente avec toutes les garanties dési-
rables,
:^ladame T. réside à Saint-Pierre, loin de sa patrie. Intelligente
et cultivée, elle ne tarde pas à attirer dans son orbite un de ses
compatriotes, 'SI. L., qui lui voue l'adoration la plus assidue, et
d'ailleurs la plus respectueuse. Mme T. n'avait certainement jamai.s
vu M. L. avant son arrivée à Saint-Pierre; elle ignorait son exis-
tence et ne coimaissait que son nom de famille.
Un jour, dans ime chapelle, :Mme T. laisse tomber son para-
pluie. Toujours attentif, :\I. L. se précipite pour le ramasser; oi
ce mouvement vif, en désaccord violent avec la corpulence de L.
aboutit à l'effet le plus comique. A ce moment même, bien que
malicieusement amusée, :Mnie T. se sent saisie de l'angoisse du
déjà-\'u. Le doute n'est pas possible : elle a assisté déjà à cette
NOTES 745
scène ridicule : c'était le même homme, portant le même nom, af-
fligé du même embonpoint, qui, mû par- les mêmes sentiments,' lui
a rendu le même service.
Le phénomène paraissait inexplicable et, pendant quelques
jours, toi-turait l'esprit de Mme T. Cependant, elle finit par se rap-
peler une conversation assez banale qu'elle avait eue, avant de
quitter sa patrie, avec une de ses parentes. Il lui semble qu'elle
a raconté alors un rêve ayant des ressemblances avec la scène
de la chapelle; et Mme T. se trouve hantée par l'idée que le
déjà-vu était du prévit, et que sa paramnésie était une divina-
tion par les songes. Avec toutes les précautions indispensables
l)0ur éviter la suggestion, Mme T. s'informe auprès de sa pa-
rente sur le rêve raconté. La réponse était aussi nette que surpre-
nante : six mois avant la scène de la chapelle, elle avait \ii en
rêve un gros monsieur, homme dii monde irréprochable, du nom
de L., qui, s 'étant attaché à elle, lui rendait des services avec
un empressement contre lequel protestaient sans cesse les anoma-
lies do ses proportions corporelles.
Je répète que l'observation a été menée d'une manière rigou-
reuse. Toute possibilité de suggestion ou de fraude est écartée.
Aussi le premier phénomène qui appelle impérieusement son in-
terprétation, c'est cette apparente divination par un songe. En
réalité, rien n'est plus simple.
]\hne T. a beaucoup de succès mondains ; et bien qu'elle soit fort
intelligente, j'imagine ne lui faire aucune injustice en supposant
cru'elle s'en trouve un peu flattée. Certaines scènes d'empressement
plus ou moins idéal lui ont été offertes par la chevalerie de salon ;
d'autres se sont très probablement élaborées dans son esprit.
Tout cela repose ou s'agite dans la subconscience. Vienne un
rêve correspondant cà ces préoccupations. Elle verra certaine-
ment les hommes de son « monde » et de sa nationalité papillon-
ner autour d'elle. Trop heureux de lui rendre des services, ses
admirateurs de la réalité ou du rêve doivent s'être baissés plus
d'une fois pour lui épargner un effort, pour lui ramasser un ob-
jet quelconque. Ajoutons que les hommes de sa race et de sa situa-
tion sociale ont une tendance anormale à l'embonpoint, et que
le nom de L. est fort connu dans le pays. Il n'en faut pas da-
vantage, à part la coïncidence peu mystérieuse du nom de L.,
pouj- faire croire à la prévision complète, dans un songe, de la
scène de la chapelle. Le rêve a été beaucoup moins net, selon
toute vraisemblance, que le récit que Mme T. en a fait cà sa pa-
7-46 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
rente : il est si naturel de renforcer les lignes vagues, de remplir
dans une scène les lacunes absurdes. La coïncidence entre le rêve
et la scène réelle de la chapelle, quoique remarquable, n'est
probablement pas aussi parfaite que l'imagine Mme T.: dans
la perception du réel, on projette ses souvenirs, et ceux-ci se
déforment sous la pression du réel. La « divination par le songe »
se réduit donc dans le cas présent aux lois banales de la psycholo-
gie (!)• . , . , . 1
Ce qui rend le phénomène digne d'attention, c est qu en tace de
la scène réelle, le souvenir du rêve a été précédé par l'impression
très précise du déjà-vu et l'angoisse de la paramnésie. Le rêve
s'efface de la mémoire avec une surprenante rapidité. Il est
fort probable que Mme T. n'aurait plus connu le sien si, par
hasard, elle ne l'avait pas raconté immédiatement après le ré-
veil. Aucun souvenir ne lui aurait plus permis de résoudre sa
paramnésie; et le cas serait tombé sous la définition classique.
Dans l'examen de phénomènes semblables, de grandes précau-
tions s'imposent. Il ne s'agit pas toujours du rythme de l'attention
ou de la diffusion du déjà-vu, légitime pour un détail, sur toute
une scène nouvelle. Ces explications traditionnelles peuvent be vé-
rifier dans certains cas. Mais au moins faudrait-il y ajouter, com-
me troisième interprétation possible, le rêve oublié. Il est impro-
bable au dernier degré que la coïncidence soit jamais complète.
La deuxième interprétation classique, celle qui admet la diffusion
du déjà-vu de la partie sur le tout pourrait nous faire comprendre
1 Le vague insoupçonné qui entoure les objets ou scènes vus en rêve,
et qui disparaît facilement dans le récit, résulte du fait suivant. - Mme
T se serait certainement préparé un^ nouvelle « divination par les songes >>
sans mon intervention, peut-être maladroite. Elle me raconte que souvent
elle voit en rôve une église, toujours la même, qu'elle appelle «son»
église et que jamais elle n'a vue dans le monde réel. L'édifice ui parait ms-
pirer une certaine terreur, parce que tout autour sont rangées dos tombes majes-
tneuses et sinistres. Elle m'affirme de la manière la plus positive qu elle
voit l'église dans tous ses détails, comme si elle s'y trouvait réellement
J,. lui demande à brùle-pour point où se trouvent les autels, ires surprise
elle m'avoue n'y avoir jamais pensé, et ne pas le savoir par consequen
Toute son attention s'est portée sur les sépultures. Une église catliohque ou
les autels se perdent dans la marge de la conscience ou peut-être au deu,
'n'est pas très nettement représentée. Bien des églises a tombeaux multi-
ples, comme Santa-Croce à Florence, Saints-Jean .^t Paul a Venise, le dôme
de Mayence et vingt autres pourraient répondre au signalement, et donneraient
toutes l'impression du déjà vu ou du préini en songe. Supposons un sujet
non averti, à tendances « mvstiques », qui. entrant enfin daas une église
à tombes, lit sur l'une d'elles le nom d'un de ses parents, ce qui est partai-
Irment possible dans un certain monde, — les explications fantaisistes^ du
songe iront leur train. 11 y aura message d'outre-tombe, demande de prières
et le reste.
NOTES 747
la disparition des différences. ]\Iais dans ce cas, nous n'aurions
plus qu'une fausse paramnésie. Il n'y a pas impression du nou-
veau en face du déjà-vu ; la « reconnaissance » peut, au contraire,
être très vive. Il n'y a pas davantage impression du déjà-vu en
face du nouveau, puiscjne la scène ou l'objet perçus ont été vrai-
ment présents à la conscience. II y a impression du déjà-vu et faux
jugement du nouveau, parce que le rêve ou la rêverie ont été ou-
bliés.
Le fait que nous avons raconté nous paraît imposer ces con-
clusions. Mais, s'il en est ainsi, si, devant chaque « fausse recon-
naissance », se pose la question, d'ailleurs insoluble, du rêve
oublié, comment affirmer l'existence d'une seule paramnésie du
type classique? L'explication par le rythme de l'attention paraît
passablement arbitraire et inventée pour les besoins de la cause;
la diffusion subite du déjà-vu de la partie sur le tout est au
moins discutable. Au contraire, nous connaissons le dynamisme
des images latentes, leur projection en combinaison nouvelle dans
la conscience vive pendant le rêve ou la rêverie, l'effacement
rapide de ces efflorescences spontanées dans les conditions nor-
males. Qu'en faut-il davantage pour voir dans un grand nombre
de paramnésies rapportées par les auteurs, des paramnésies
fausses ? — Il faut se défendre de tout entraînement à ce su-
jet; mais, au moins, est-il légitime de supposer, à titre provisoire,
et sous réserve d'observations ultérieures, que les paramnésies
classiques sont beaucoup plus rares qu'on ne semble l'imaginer.
Fr. M. P. DE MuNNYNCK, 0. p.
Professeur à l'Université de Fribuurg en Suisse.
Lugano, septembre 1908.
II
Le Rationalisme de Jean Scot.
Quelques auteurs parlent encore couramment du rationalisme
de Jean Scot. L'appellation ne me paraît ni heureuse ni juste. Elle
crée une équivocpie, puisque certainement Jean Scot n'est pas ra-
tionaliste au sens ordinaire de ce mot. Il admet en effet l'auto-
rité de l'Écrilure, et, s'il proclame un certain primat de la "aison,
il l'entend d'une raison illuminée par Dieu.
En fait, Jean Scot est un mystique néo-platonicien, non un
rationaliste. Au nom de l'inspiration privée, il réclame le libre
748 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
examen, mais il ne soutient pas l'autonomie absolue de la raison
naturelle. La preuve en serait facile à faire.
Tel n'est pourtant pas le but de cette modeste note. Elle tend
uniquement à montrer qu'un des textes les plus fréquemment in-
vocfués en faveur du rationalisme de Jean Scot n'a pas chez son
auteur la portée qu'on lui prête.
Il s'agil. du fameux passage du De divisione naturae, I, 69 (P.
L. t. CXXII, c. 513) : « Omnis enim auctoritas, quae vera ratione
non approbatur, infirma videtur esse. Vera autem ratio, quoniam
suis virtutibus rata atque immutabilis munitur, nullius aûctori-
tatis astipulatione roborari indiget ». Évidemment, si on prend ces
phrases détachées de leur contexte, elles ont un sens rationaliste
très accentué et signifient l'absolue domination de la raison,
toute autorité, de quelque ordre qu'elle soit, lui étant inférieure
et devant être jugée par elle.
i\Iais si l'on place ce texte dans l'ensemble du raisonnement d'où
il a été détaché, il n'en va plus de même. Il perd sa signification
absolue pour ne garder qu'un sens tout relatif.
Jean Scot, en effet, traite de la connaissance que nous avons de
Dieu. La source principale en est la Sainte Écriture, dont l'au-
torité est intangible : « Sacrae siquidem Scripturae in om-
nibus sequenda est auctoritas » (64). Mais, pour condescen-
dre aux besoins des faibles et des ignorants. Dieu s'y exprime sou-
vent en un langage figuré que les savants doivent interpréter.
Comment? Par la raison dérivée elle aussi de la sagesse divine
(66). En conséquence, les noms appliqués à Dieu ne doivent pas
être pris au pied de la lettre (67-68). — Mais, demande le dis-
ciple, cette théorie ne peut-elle être confirmée par l'autorité des
Pères (68)? Et le maître, c'est-à-dire Jean Scot, de répondre que
seule la raison a une valeur explicative; l'autorité (des Pères) ne
vaut que ce que valent leurs raisons. « Nil enim aliud mihi vide-
tur esse vera auctoritas, nisi rationis virtute reperta veritas, et
a sanctis Patribus ad posteritatis utilitatem literis commenda-
ta » (69).
On peut donc bien, de ce texte, conclure que Jean Scot donne
le pas à la raison sur l'autorité des Pères ; mais on n'a pas le
droit .d'inférer qu'il soumet d'une façon absolue à cette même rai-
son l'autorité, comme telle, puisqu'il réserve la première place
à l'Écriture.
Kain. M. Jacqtix, 0. P.
Bulletin d'Histoire de la Philosophie
I
PHILOSOPHIE GRECQUE
Pré-Socratiques. — Malgré ses promesses, M. Diels n'a pu nous
donner cette année que la l'"'' partie du second volume de la réédition
de ses Vorsokratiker (1), la troisième table (Wortregister) n'étant pas
encore terminée. Elle paraîtra en un volume spécial avec la collabora-
lion de M. W. Kranz,et permettra, ainsi que les deux autres (Stellen-und
Namenregister), de se reporter à la première comme à la seconde édi-
tion. — On trouvera un compte rendu détaillé du premier volume dans
VArchiv fur Gesch. der Phil. XXI B., H. 3, avril 1908, p. 419.
Le numéro précédent delà même revue (2) contient un essai ingénieux,
dû à M. W. ScHULTZ, d'expliquer la vénération des Pythagoriciens pour
le nom de leur maître et pour la formule aùrô; £(pa par le symbolisme
arithmétique en usage dans l'École. ATTOZ Ê<M = 100, le carré de
10, autrement dit la perfection absolue. Le sens symbolique de IIYQA-
rOPAZ est en relation étroite avec celui de la TETPAKTT:^
A la première période de la philosophie grecque nous pouvons
rattacher l'étude plus générale de M. Max Wl'ndt, Der Inlellekiualismus
in der griechischen Ethik (3). Bien que, en effet, elle s'étende jusqu'au
Néo-Platonisme, la première partie en est, semble-t-il, plus originale.
Simple introduction, sobre et objective, à un ouvrage plus étendu, on
n'y trouve pas une critique bien approfondie des interprétations adop-
tées ; c'est toutefois un assez bon recueil des textes les plus significatifs
intéressant la question,
Platon. — C'est toujours Platon qui attire le plus l'attention des cri-
tiques.
L'important ouvrage de M. Léon Robin : La lliéorie plalonicienne des
Idées el des Nombres d'après Aristole (4), nous est présenté comme la
première partie d'une étude consacrée à déterminer la signification
probable du système platonicien, ou, plus exactement, le titre l'in-
dique, de ses deux théories fondamentales. L'originalité de cette étude
est avant tout dans sa méthode. M. Robin croit en effet possible
de reconstituer la pensée de Platon en laissant de côté le texte des />««-
/o/7Mes et en s'attachant, d'une manière exclusive, à l'analyse critique
1. Die Fragmente der Vorsohratiker, 2tc Aufl., IJer B. Ite Halfte. Berlin,
Weidmann, 1907.
2. Archiv, XIV B., H. 2. janv. 1908, p. 240.
3. Leipzig. Engelmanii, 1907; in-S», 103 pages.
4. Paris, Alcan. 190S, 1 vol. iu 8o, XVII-702 pp.
750 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
des philosophes;, disciples, interprèles ou adversaires du Mailre qui
forment, dit-il, une véritable tradition platonicienne. Après seulement
avoir rempli ce vaste etpérilleux programme, il se permettra d'en com-
parer les résultats avec ceux d'une interprétation directe. Nous avons,
dans ce premier volume, l'application du procédé aux œuvres d'Âristote.
L'auteur ne se dissimule pas ce qu'il va de bizarre à préférer ainsi à un
document de premier ordre des témoignages de bien moindre valeur ;
il sait aussi toutes les difficultés auxquelles il s'expose. Mais — ce qui
est bien étrange — il les croit inférieures aux inconvénients d'une exé-
gèse immédiate (p. 3). Â vrai dire, le seul avantage un peu réel, mais
négatif, de cette méthode, est de parer dans une certaine mesure aux
erreurs d'interprétation suggérées par la philosophie et les tendances
d'espi'it modernes (p. 5). Encore est-il que l'intluence de ces mêmes
préjugés peut se faire sentir aussi bien dans la critique des auteurs
pris pour guides, surtout lorsque l'on a déjà, par ailleurs, une connais-
sance approfondie du texte lui-même. Il faut reconnaître cependant que
les limites du sujet étudié rendaient la tâche plus facile et à la fois plus
intéressante, puisque les Dialogues nous font à peine entrevoir ce qu'é-
tait la théorie platonicienne des nombres.
La tlièse de M. Robin se divise en trois livres : L La théorie des
Idées ; II. La théorie platonicienne des Nombres et des Figures ;
III. Les Principes. Les 2 premiers comprennent, l'un trois parties :
1. La nature et le mode d'existence des Idées. 2. La causalité de l'Idée.
3. L'étendue du monde des Idées ; — l'autre deux : 1, Les choses
mathématiques. !2 Les Nombres idéaux et les Grandeurs idéales. Dans
chacune de ces parties et dans le 3^ livre, l'auteur donne l'exposition
dWristole, puis les objections, dont il examine ensuite la portée afin de
déterminer les déformations qu'elles font subir à la pensée de Platon.
Il termine en réunissant, sous forme de conclusion, les principaux
résultats obtenus.
Voici le résumé de ce dernier chapitre :
« La doctrine des Nombres idéaux et des Figures idéales se lie de la
façon la plus étroite à la pure théorie des Idées. Elle ne s'y juxtapose
pas simplement, elle en continue l'évolution naturelle dans la pensée du
philosophe, elle l'achève, elle en comble les lacunes et elle répond à
des nécessités auxquelles la théorie des Idées n'avait pu satisfaire. Les
Nombre^ idéaux sont au-dessus des Idées : ce sont les modèles des
Idées, non pas sans doute au sens ou celles-ci sont les types spéci-
fiques des réalités sensibles, mais en tant que types de l'organisation
interne de chaque Idée, ainsi que d'un monde d'Idées. » (pp. 585, 586.)
A cette fonction suffit la série décadique. Celle-ci « peut se constituer
assez clairement et se déduire de ses principes, l'Un et la Dyade du
Grand et du Petit. La Dyade est une puissance inerte d'accroissement
et de décroissement à laquelle l'Un donne la vie et dont il équilibre ou
limite les mouvements de progression et de régression jusqu'à l'achè-
vement naturel de la série par la réalisation complète de tous les
moments que comporte son développement rationnel à partir des prin-
cipes. » (p. 586.)
Les Figures viennent immédiatement au-dessous des Nombres idéaux.
BULLETIN D'iIISTOirxE DE LA PHILOSOPHIE 7ol
Elles n'ont rien de spatial : substances qualitativement déterminées et
indivisibles, leurs principes sont une modification des principes pri-
mitifs, due k la formation même des Nombres idéaux, à savoir la Direc-
tion pure el l'Intervalle (/oîoa). Les Figures idéales sont antérieures aux
Idées, « car, si les Idées sont des relations déterminées et supposent des
types universels de la Relation, elles sont aussi des types spécifiques
de la Qualité. Il faut donc des modèles particuliers de l'organisation
des qualités comme telles. Or, les qualités des corps élémentaires sont
réductibles à des relations géométriques, celles des surfaces. Par con-
séquent, il n'est pas surprenant que, au-dessus des Idées, mais au-
dessous des nombres, Platon ait voulu admettre des Grandeurs idéales
qui fussent par rapport aux Idées ce que sont les Grandeurs géomé-
triques par rapport aux corps, les types de l'arrangement des Qualités. »
« Comme on le voit, cette conception de la théorie des Nombres
idéaux et des Grandeurs idéales ne fait pas disparaître du Platonisme
la théorie des Idées. Donc, quand nous disons qu'il y a un Platonisme
de la dernière période, que les dialogues nous laissent en partie ignorer
et qu'Aristote nous fait connaître, ce n'est pas du tout au sens où l'ont
entendu quelques auteurs. L'étude attentive et impartiale de l'exposi-
tion et de la polémique d'Aristole conduit, d'une façon nécessaire, à
condamner toutes ces interprétations qui, suivant l'ingénieuse expres-
sion de Th. Gomperz, tendent à « volatiliser » la théorie des Idées. «
(p. 588.) — «L'Idée est une sorte de mixte, où, selon les Nombres,
s'unissent la Limite et l'Illimité... Les Idées forment une hiérarchie, et
le monde des Idées est un autre mixte, composé de relations analogues
entre elles, dont l'ordre est déterminé. » (p. 590.)
Le rôle assigné aux Nombres idéaux peut jeter quelque lumière sur
la théorie de la Participation. Il y a, en efTet, entre les choses et les
Idées, une relation analogue à celle qui unit les Idées aux Nombres :
« le rapport du Sensible à l'Idée répète, dans un état de dépendance et
de complication plus grandes, le rapport de l'Idée aux Nombres idéaux.»
(p. o9l.)
Mais la dépendance du Sensible vis-à-vis de l'Idée n'est pas immé-
diate ; entre eux il y a plusieurs intermédiaires. Ce sont d'abord les
nombres arithmétiques et les figures géométriques, puis l'Ame du
monde avec sa double fonction motrice et cognitive, enfin le corps
géométrique auquel elle s'unit pour former un Vivant intermédiaire,
modelé sur le Vivant en soi.
Dans toute cette organisation de l'univers les Principes sont partout
les mêmes, au moins par analogie. « Il y a deux principes universels
qui suffisent à expliquer tout ce qui est, l'Un, principe formel, et la
Dyade de l'Infini, ou Dyade du Grand et Petit, principe matériel. »
(p. 595.) « Mais la matière à informer ne peut pas demeurer immua-
blement pareille à elle-même, car, à chaque application de la Forme,
elle perd quelque chose de son indétermin.ition primitive. D'autre p;iif.
la Forme, sous l'aspect qu'elle revêt dans l'Un, serait trop simple pour
déterminer immédiatement la confusion du Sensible : il faut donc i\[\';\
chaque Iransform.ition de la malièr-e corresponde aussi une parlicula-
risalion de la Forme. Les principes se particularisent donc de plus en
7o2 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
plus à mesure que nous descendons vers la particularité infinie de
l'univers sensible. En somme, conclut l'auteur, ce qui se dégagerait de
ces considérations, c'est, sije ne craignais d'employer prématurément
ce terme de la langue néoplatonicienne, l'idée d'une «procession » de
l'Être... Comme... les principes sont conçus de telle sorte que l'un agit
sur l'autre et développe, en les réglant, les puissances qu'enveloppe ce
dernier, chacune de ces dégradations se présente sous l'aspect d'une
génération... L'Un est donc vraiment créateur et producteur, et le nom
de Démiurge s'impose à notre esprit en ce qui le concerne. » (pp. 597-598).
La reconstitution hardie el très cohérente, tentée par M. Robin, est
basée sur une exégèse serrée et pénétrante et sur une documentation
des plus étendues. On peut se demander toutefois s'il est toujours
équitable envers Aristote et dans quelle mesure il a le droit d'inter-
préter Platon d'une manière plus favorable par les survivances qu'il
croit retrouver chez son disciple. Il est aussi visible qu'il se laisse
souvent dominer au cours de ses discussions par la systématisation néo-
platonicienne à laquelle il aboutit de fait; ces défauts, en partie inévitables,
n'enlèvent rien d'ailleurs aux mérites fonciers de l'ouvrage qu'il faut
chercher avant tout dans l'exposé des témoignages directs et de la polé-
mique d'Aristote.
Dans sa thèse complémentaire, M. Robin étudie La théorie platoni-
cienne de Vumoiiv (1). Il l'envisage en elle-même, indépendamment de
ses origines et de ses relations avec les doctrines et les mœurs contem-
poraines, telle qu'elle se trouve exposée dans le Lysias, le Banquet et le
P/ièrfre. Après une analyse de ces trois dialogues, qui est un modèle de
précision et d'exactitude, il se pose la question de leurs rapports chro-
nologiques. La partie la plus intéressante de la discussion concerne la
date du Phèdre. 11 serait postérieur non seulement au Banquet, au
Fhrdon et à la /{épuhUque, mais encore au Timée. De cette innovation
lauteurdonne trois raisons principalesqui paraîtront peu convaincantes :
la parenté du Phèdre avec les dialogues dialectiques, les variations
louchant, et la doctrine de la tripartilion de lànie, et les preuves de
l'immortalité. Les nombreux rapprochements signalés aussi dans ce but
entre le Phèdre et le Timèe auraient gagné à être plus dégagés de
l'interprétation de la pensée platonicienne.
Celle-ci repose sur la mise en valeur de la nature synthétique et
intermédiaire de l'amour L'amour unit entre elles les qualités opposées:
le mal au bien, la privation à la richesse, l'ignorance à la science.
L'amour, dit Platon, est un grand démon, « or, la fonction des démons
est d'être les intermédiaires entre les immortels et les mortels, d'unir
l'une à l'autre les deux sphères, de remplir l'intervalle qui les sépare,
de donner à l'Univers l'unité et la liaison ». (p. 130.) M. Robin tient
beaucoup à cette définition des démons: aussi tout être intermédiaire
est-il pour lui démoniaque : Socrate, comme Diotime, comme aussi
l'âme humaine. « Tenant à l'immortel par son origine, au mortel par
sa chute, elle peut s'élever au-dessus de la vie terrestre et se rapprocher,
par la réminiscence, de son divin séjour. Elle effectue donc, comme
1. Paris, Alcan, in-8o, 229 pages.
BULLETIN D'htSTOIPxE DE LA PHILOSOPHIE 753
un démon, la liaison du sensible et de rintelligible ». (p 14!).) Aussi
Tamour est-il l'acte essentiel de l'âme.
Cette conception se vérifie en ce que chacune des fonctions de rame
est liée à l'amour. L'amour est en effet principe de la vertu, et de la
connaissance du vrai, et par suite du mouvement, si par mouvement on
entend l'ascension régulière vers les Idées.
Nous ne pouvons entrer dans le détail de l'exposition savante, ingé-
nieuse — mais parfois forcée et confuse — de l'auteur. L'impression
qui s'en dégage est celle d'une interprétation trop métaphysique et trop
systématisée. Platon, dans sa théorie de l'amour, demeure, à notre
avis, bien plus psychologue : les liens qu'il établit entre elle et sa théorie
des Idées ou sa morale, sont plus accidentels et moins définis.
C'est peut-être le défaut contraire que l'on serait tenté de reprocher à
l'étude de Mary Haï Wood sur la psychologie platonicienne (1). Beaucoup
de textes et de références y sont donnés, mais sans ordre et surtout sans
aucune considération de chronologie.
Le travail qui, sans doute, contribue le plus, parmi ceux que nous
analysons, à mieux faire pénétrer le sens de la philosopliie platoni-
cienne^ est dû à M. Brocuard (2) C'est le dernier, nous dit-on, que l'émi-
nent et regretté critique ait composé. Il traite de la théorie de la parti-
cipation telle qu'on peut la dégager de l'analyse du Parménide et du
Sophiste. D'une manière plus précise, il a pour but de <*; montrer
comment le Parménide prépare l'établissement définitif de la théorie de
la participation et comment il se complète par le Sophiste, où se trouve
la solution de toutes les difficultés qu'il soulève ».
La seconde partie du Parménide est un jeu, un exercice dialectique,
mais elle est autre chose encore. Platon a une arrière -pensée.
Comme celui de Zenon d'Élée, qui est rappelé non sans intention au
début, le jeu qu'il joue est sérieux ; il doit dissimuler une attaque
contre certains adversaires. Au fond ce n'est qu'une « nouvelle objec-
tion contre la théorie des Idées, la plus formidable de toutes, qui
s'ajoute à toutes les précédentes (celles de la première partie) et les com-
plète «, — M. Brochard analyse avec finesse les divers motifs qui
pouvaient engager Platon à choisir une tactique aussi déconcertante.
Puis il rappelle les objections de la première partie, en comptant parmi
elles, — peut-être à tort — l'espèce de défi lancé à Zenon par Socrale
(129 A), défi qui a traita la participation des Idées entre elles, et dont,
en toute hypothèse, M. Brochard fait, avec raison, ressortir l'impor-
tance et le lien étroit avec la deuxième partie. Aucune de ces objections,
remarque-t-il encore, n'est considérée comme insoluble.
Quant à la dialectique de Parménide, elle utilise la méthode même de
Zenon. Et voici les hypothèses examinées : « Si l'Un est, qu'en résulte-
t-il : 1° pour lui-même; 2° pour les autres choses? si l'Un n'est pas,
qu'en résulte-t-il : 3'' pour lui-même ; \° pour les autres choses? Mais
1. Plafo's PsycJwlogi/ in Us Bearing on the Development of Will. — Mind.
1908, janv. p. 48, avril, p. 193.
2. Tm Théorie platonicienne de la partir! paiion d'après le «. Parménide »
et le « Sopliiste ». — Année phil. 1907. — Paris, Alcaii, 1908; p. 1.
751 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
cliacune de ces quatre hypothèses est examinée elle-même à un double
point de vue; il y a ainsi huit hypothèses au lieu de quatre qui sont
successivement examinées ».
Ce double point de vue n'est autre que celui de la participation de
l'un à l'être, comme il est indiqué au déhut de la deuxième hypothèse.
(142 B-14i C). De telle sorte que, en définitive, l'objection que développe
Parménide porte directement contre la participation. «Ce qui fait le
nerf de l'argumentation, c'est cette vérité découverte par Platon que
l'un (et sans doute il en serait de même pour toute autre idée) peut, tout
en existant, ne pas participer à l'être, ou du moins, ce qui revient au
même, ne pas être considéré comme y participant ; inversement l'un,
tout en n'existant pas, peut participer à l'être si on donne au mot «un »
un sens déterminé, si on distingue cette idée de toutes les autres. Par
suite, l'argumentation de F^arménide peut se résumer ainsi : si l'un est
et qu'il participe à l'être, on peut allirmer de lui et des autres choses
tous les contraires ; s'il est sans participer à l'être, on ne peut rien allirmer
ni de lui ni des autres choses : en d'autres termes, posez la participation
d'une idée quelconque à l'être et tout est vrai, niez cette participation et
rien n'est vrai. La participation, de quelque manière qu'on l'entende,
est donc tout à fait impossible, et avec elle s'écroule la théorie des
idées. »
[.a réponse à celte difficulté est déjà signalée dans la cinquième et la
septième hypothèses où Platon attribue au non-être une certaine parti-
cipation à l'être (p. 13). Mais elle est présentée avec tout son dévelop-
pement dans le Sophiste. « Entre les deux termes de l'alternative posée
par Parménide, on peut [tout' affirmer de tout et on ne peut rien
affirmer de rien, ou encore tout est vrai, et rien n'est vrai, il y a un
moyen terme qui est de dire: il y a des idées qu'on peut affirmer les
unes des autres, et d'autres qui ne peuvent se combiner entre elles.
Pour justifier l'alternative, il faut prouver que l'être peut participer au
non-être, et le non-être à l'être » ...puis « établir que toutes les idées
ne participent pas indistinctement les unes aux autres, mais que leur
liaison est soumise à certaines lois ou à certaines règles qui ne relèvent
pas du raisonnement seul et que peut seule atteindre une science royale
ou divine : la dialectique, » (p. 17).
M. Brochard justifie ensuite son interprétation du Soph. en ce sens.
De son exposé notons seulement la preuve, décisive semble-t-il, qu'il
donne de l'équivalence du Travrî/w; ov (248 E) avec les expressions dési-
gnant, au même endroit, l'ensemble du monde (1).
« La doctrine que soutient ici l'auteur du /S'o/j/(!s/e, en conclut-il, n'im-
plique donc à aucun degré l'abandon de la théorie des idées, ni même
une modification à cette théorie Les idées prises en elles-mêmes sont
toujours ce qu'elles sont dans tous les dialogues, séparées et immuables,
mais elle peuvent aussi, sous un autre point de vue, se rapprocher et se
mêler. » (p. 26). — Mais, il est bon de le remarquer, cela même est une
innovation qui compte. Platon ne parlait pas ainsi dans le Phédon lors-
1. Cf. Brochard. La morale de Flaton. An. phil. 1905, p. 30, note.
Comp. RoDiER. L'évolution de la dialectique de Flaton, ibid., p. 64, et
An. phil., 1907, p. 43.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 755
qu'il affirmait l'identité absolue et l'indivisibilité des Idées par oppo-
sition à la diversité et à la multiplicité des choses. M. Brocliard laisse un
peu trop dans lombre la nouveauté du point de vue. C'est du reste à
peu près la seule réserve que l'on puisse faire, croyons-nous, à l'ensemble
de sa pénétrante étude.
La thèse opposée à celle que soutient M. Brochard vient pourtant dètre
reprise d'une manière assez originale dans un petit livre qui est un
recueil d'essais sur les derniers dialogues et s'intitule : Six Essays on
Ihe Plalonk Theorxj of Knowledge (1). Voici le titre de chacun d'eux :
I. The Search for Knowledge ; II. The Analogy of Ihe Arts and ils
Application in the Foliticus and Philebus ; III. The World-process
of tke Timaeus ; IV. The Jdeas r/s 'ArjiQtj.ol ; V. The Pijlhagorean'kgi^-
u-ol and their Relation lo Ihe Platonic Ideas : IV. The Arislotelian Cri-
tique of the Ideas and Numbers of Plato.
L'auteur, Marie V. Williams, nous confie, dans la préface, appartenir
à l'école qui voit dans les derniers dialogues (Parni., Théét., Soph., Polit,
PhiL, Tim.) une élaboration plus parfaite, de la théorie des idées. xMais
celle-ci est conçue et prouvée de façon assez neuve. On remarquera dans
les essais I et II quelques points de contact avec l'argumentation de M.
Brochard.
1. — Dans la première partie du Parménide, les deux premiers
arguments portent directement, non pas contre l'existence des Idées,
mais contre leur nature telle que la comprennent le Phédon et la Répu-
blique ; d'une manière plus précise ils attaquent la thèse de la Parti-
cipation et de ses conséquences au sujet de l'attribution. Nous y trou-
vons de plus une hésitation prononcée à admettre des Idées de toutes
choses en même temps qu'une tendance à les distinguer en classes dilfé-
rentes. Quanta la seconde partie du dialogue, elle est autre chose qu'un
exercice logique ; son rapport étroit avec la première est indéniable.
Les conclusions à retenir de la discussion des huit hypothèses sont les
suivantes : l'Un — ou l'Idée suprême, ou par suite le Bien — ne peut être
connu que mis en relation avec les autres Idées ou avec les choses
sensibles, et inversement (2® et 3^ hyp.) ; la participation entre les
Idées est possible puisqu'elle est nécessaire à la connaissance de l'Un ;
pour connaître une Idée, quelque simple soit-elle, il devient inévitable
de lui attribuer un prédicat numérique ou relatif.
Par une autre voie le Théétète arrive aussi à rejeter les conceptions
de Phàd. et Rép., et il nous apporte des précisions nouvelles 11 faut
attribuer à Platon lui-même l'explication donnée de la sensation 182 A,
B ; dès lors les qualités sensibles n'ont plus rien d'absolu ni de fixe, il
n'est plus besoin d'Idées pour en rendre compte. De plus la perception
exige l'intervention de l'intelligence qui compare les données sensibles
et juge de leurs rapports avec certains prédicats généraux. Ceux-ci, déjà
annoncés da.ns Parm., paraissent donc bien indispensables à la connais-
sance et parties intégrantes du mécanisme psychologique.
La solution du problème de la prédication se trouve dans l'analyse
des cinq genres du Sophiste. Il y est affirmé que la prédication est pos-
1. Cambridge, Univcrsity Press. l'JOS, in-12., VII-133 pages.
7^)6 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
sible puisque, sans elle, il n'y aurait plus de philosophie. Par suite, la
communication des genres s'impose. Une même réalité j)eut recevoir
des attributs variés et avoir diverses relations même opposées. Suit alors
la distinction des cinq genres. Platon les nomme bien £^)/î, mais rien
n'indique qu'ils soient des Idées séparées, transcendantes, objets directs
de la connaissance ; ce sont plutôt des instruments de la science. —
Les sections suivantes (247 E) sont encore plus significatives. L'objet
connu doit être vivant et animé, autrement dit être un aspect de l'âme.
La plus haute réalité est de même nature que l'esprit; ce qui n'exclut
pas de l'ovro); ov la permanence et la stabilité.
II. — Le second essai continue l'analyse de cette évolution de la
théorie des Idées par l'étude des genres du PhiU-be. Ceux-ci nous per-
suadent que désormais il n'y a d'Idées que des mixtes, c'est-à-dire des
substances naturelles. Le seul fait que les qualités sensibles, les relations
mathématiques, l'esprit et ses activités scientifique et artistique sont en
dehors du fxérptov suffit à l'établir. Quant aux concepts moraux et esthé-
tiques, ils font partie de la ,aîrpy;-r/./î dont la fonction est de comparer
les choses avec leur modèle.
m. — La pensée définitive de Platon nous est révélée par le Timôe.
Dans le démiurge, qui est à la fois cause efficiente et modèle de l'univers,
il faut voir l'Ame du monde. Celle-ci est donc à tous points de vue l'Être
suprême. Elle est dite composée de sensible et d'intelligible et suivant
des proportions mathématiques, parce que ce sont là ses objets de con-
naissance, de Même et d'Autre, parce que ces deux prédicats lui sont
nécessaires en tous ses jugements ; de même ceux-ci entrent dans la
composition du monde et des Idées en tant que éternellement l'âme les
leur attribue dans sa connaissance. Comme le Sophiste l'indiquait déjà,
les Idées ne sont que des aspects de l'âme universelle.
IV. — La seconde partie du 'Jlnu-c confirme la première et retrouve
par l'examen du détail de l'univers la souveraineté absolue du voj;.
En effet par Vvnodoyji il faut entendre l'espace idéal et par les dd-n
qui la déterminent, les lois mathématiques, qui sont évidemment subjec-
tives par rapport à notre esprit, sans être, il est vrai, comme les Idées
supérieures, des aspects de l'Ame du monde.
Dans le V'' et le YP Essai, sur lesquels il n'est pas utile. d'insister,
M. V. Williams montre la supériorité des Idées-nombres de Platon sur
la tiiéorie pythagoricienne et examine brièvement les témoignages
d'Aristote.
M. RoDiEK étudie, dans r.l«»''e philosophique (1), les Preuves de l'im-
mortaiilt- d'après le Phédon. « Contrairement à l'opinion à peu près uni-
versellement admise », il pense « que ce n'est pas le dernier de ses ar-
guments, mais le troisième, qui constitue pour Platon la preuve capi-
tale ». Pour l'établir, M. Rodier analyse chacun d'entre eux et montre
ses rapports avec les autres. Le premier argument ne prouve la préexis-
tence des âmes dans l'Hadès que si l'on suppose « que l'âme est une
substance distincte du corps, c'est-à-dire, pour Platon, une Idée ou
quelque chose d'analogue ». Le second argument suppose, lui aussi,
1. 18e an. 1907, p. 37.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 757
mais explicitement la théorie des Idées. 11 est donné comme complément
du premier, sans que toutefois Platon ait considéré leur ensemble com-
me concluant, « Pour parfaii-e la preuve, il reste à établir que l'âme
qui, dans une existence antérieure, a connu les choses intelligibles, est
de la même nature qu'elles et, par suite, comme elles, simple et incor-
porelle. Tel est l'objet du troisième argument. » Le Phédon ne suffit pas
à nous faire constater l'identité de nature entre l'âme et l'Idée. Aussi
M. Rodier a-t-il recours — et c'est le point faible de sa thèse — à
divers passages de dialogues postérieurs, dont le sens est par ailleurs
discuté (1) : Soph. 248 E ; Timée 34 C ss. — Il le confirme par quelques
témoignages d'Aristole et combat avec vigueur, sinon avec succès, les
objections qu'on pourrait lui faire.
Le quatrième argument n'est valable « que si l'âme n'est pas un at-
tribut d'un sujet, si elle est une chose en soi, quoique non sensible, c'est-
à-dire si elle est une Idée. Comme les deux premiers, le quatrième argu-
ment suppose donc le troisième ». Voici en conséquence comment s'en-
chaînent les quatre preuves : « 1° L'Idée suppose une âme qui soit le
sujet dont elle est l'objet. Cette âme ne doit donc avoir aucun autre
contenu que l'Idée. Elle doit être simple, c'est-à-dire sans parties, com-
me l'Idée, et, par conséquent, éternelle ; 2" c'est parce qu'elle est Idée
que l'âme ne peut, comme les choses sensibles, devenir le contraire de
ce qui constitue son essence, c'est-à-dire recevoir la mort ; 3° la réminis-
cence prouve une connaissance des Idées antérieure à la connaissance
sensible ; mais ce qui connaît l'Idée est Idée. Ce n'est donc pas le corps
qui préexiste ; 4° L'âme étant une Idée, c'est-à-dire une chose en soi,
n'est pas un simple attribut ; elle est au contraire la substance, le sujet
dans lequel se succèdent, sans qu-e son essence soit modifiée, les deux
accidents opposés : vie dans le corps et vie incorporelle ».
Au point de vue de Platon, l'immortalité de la raison (p. 46) est donc
valablement démontrée.
C'est aussi ce que pense M. E. Prlm (2) mais seulement de la 4"''
preuve et pour les motifs allégués d'ordinaire. Son article porte d'ailleurs
sur le sens général du Pliédon, en ce qui touche à la destinée de l'homme,
du philosophe en particulier, malheureux dans le monde des sens où il
vit en étranger, heureux dans la mesure où il sait s'en abstraire. —
L'une des raisons psychologiques de cette doctrine est peut-être donnée
par M. A. H. Lloyd (3) lorsqu'il note le pessimisme que durent excitei-
en Platon les commencements de la décadence athénienne et la mort de
Socrate.
Signalons encore sur Platon les travaux suivants, de moindre impor-
tance: M. Schiller (4) croit pouvoir inférer de ce que l'argumentation
1. Cf. Rodier. Sur l'évolution de la dialectique de Platon. Année philos.
1905, pp. 51 et 61 ss. ; Les mathém. et la dialect. dans la doctrine de Flalon,
Archiv. f. Gesch. der Phil. t. XV, pp. 179 ss.
2. Dcr Fhaidon ûbcr Wesen te. BeMimmung des Mcnschen. Arcli. f. Gesch.
der Phil, XXI B., H. 1, 10 oct. 1907, p. 30.
3. The PhUosophy of Plato as a Méditation on Dcath. — Harvard theo-
logical Review, juillet, p. 325.
4. Plato or Protagoras : heing a critical Examination of the Protagoras
2e Année. — Revue des Sciences — No 4. 4 9
758 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
du Théétèle (166 A-168 C) n'a pas été réfutée par Platon, quelle est réelle-
ment de Protagoras. — M. G. Bury (1) répond à une observation in-
exacte du Pr. Billia sur son interprétation dePIùL 15 A, B. — A. Ritter
VON Kleemakn (2) estime que le Ménon est postérieur non seulement au
Gorgias, mais encore au Banquet. J'ai essayé de montrer, dans cette
lievue (3), que son opinion était loin de s'imposer. — M. Ernst Bickel
consacre un article, dans VArchiv (4), à la prière du Phi-dre 279 B dans
ses rapports avec la philosophie de Platon et les habitudes religieuses
de l'Académie. — Dans la deuxième partie de son étude intéressante et
suffisamment informée sur V Éducation d'après Platon (5), M. G. Dantu
traite en passant les questions toujours discutées de la divinité platoni-
cienne (ch. III) et de la nature des Idées (ch. Y). Sur ces deux points il
adopte, sans arguments bien nouveaux, les solutions traditionnelles.
Aristote. — M. Adolf Lasson vient de faire paraître une nouvelle
traduction allemande de la Métaphysique (6). Son but est moins d'arri-
ver à une parfaite exactitude que de rendre intelligible la pensée
d'Âristote. Il suit le texte de W. Christ (Lipsiae, Teubner, 1895) et
ordonne ainsi les livres : a, A, B, I, E — 0, A, I, K, M, N, A.
Cette question de l'ordonnance de la Métaphysique est étudiée pour
elle-même par M. A. Goedeckemeyf.r (7). Yoici ses conclusions : Il faut
retrancher A et K 8, lÛ65a27-12, 1069 a 14. Les autres livres appar-
tiennent à deux rédactions différentes: I..- A 7, 988 b 20-fin ; Kl — 8,
106.^ a 26 ; A. II. : A 1-7,988 b 19 ; « ; B ; I ; E-I ; M ; N.
M. A. E. Taylor traduit en anglais le premier Livre de la Métaphy-
sique (8), en vue d'étudier ce que nous dit Aristote de ses prédécesseurs.
C'est l'objet de Tinlroduction. M. W-. D. Ross donne un compte rendu
autorisé et détaillé de cet ouvrage dans le Mind, janv. 1908.
Une édition critique et une version anglaise du neol Wv/fa viennent
d'être publiées par M. D. Hicks (9). L'auteur a tenu compte de tous les
travaux antérieurs, y compris celui de M. Rodier, avec lequel il est
parfois en désaccord. L'appareil critique est, avec quelques modifica-
tions, celui de Biehl. La première partie de llnlroduction résume*
Speech in the « Theacfetiis » u-ith somc Bcmarks npon Error. By F. C. S.
Schiller, M. A., D. S. Oxford, Blackwell, 1908.
1. Archiv. f. Gesch. der Fini. XXI B., H. 1, oct. 1907, p. 108.
2. Platonischc Untcrsuchmigen. II. Menon, ibid, p. 60.
3. Avril 1908, p. 308.
4. XXI B., H. 4, juillet 1908, p. 535.
5. Paris, Alcan, in-8o, XXI-229 pages.
6. Âristoteles' Metaphysik, in s deutsche iibertragen. — lena, Diederichs,
1907; inSo, XV-319 pages.
7. Arch. f. Gesch. d. Fhd. XXI B., H. 1, oct. 1907; cf. ibid., XX B., H.
4, juillet 1907.
8. Ârisiotle on his Predeccssors, hcing thc First Boni: of hls Metnphysics.
Transtdted with Introduction and Note>i. Chicago, the Open Court Publishing
Co., 1907; 160 pages.
9. Aristotte de Anima. With Translation, Introduction and Notfs, by R.
D. IIiCKS, M. A., Fellow and late Lecturer of Trinity Collège; Cambridge,
University Pre«s. 1907; LXXXIII-(326 pages.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 759
l'histoire de la psycliologie,depuis les peuples primitifs jusqu'à Aristote,
et analyse le mpl ^Vvyviç, ; la seconde partie traite des manuscrits: Les
notes, rejelées à la fin du volume, discutent les passages controversés
et justifient les interprétations de l'auteur.
Un très bon exposé de la théorie aristotélicienne de la connaissance
se trouve dans l'ouvrage de M. S. Aicher : Kants Begriff der Erkennluis
verglichen mit dem des Aristoteles{l). Le point de vue d' Aristote est bien
compris et impartialement jugé. Il eût été plus exact cependant de
ramener l'opposition matière et forme à l'opposition fondamentale
puissance et acte, là où il est question des rapports de l'intelligence à
son objet.
Les Stoïciens. — Tandis que Platon et Aristote s'efforçaient de
trouver le principe des choses en des êtres intellectuels, les Stoïciens
et les Épicuriens n'admettent d'autre réalité que celle des corps.
Comment expliquer ce changement radical de point de vue ? L'un des
moyens pour y parvenir, a pensé avec raison M. Emile Bréhier(2),
serait d'étudier la place que conserve chez les Stoïciens l'idée de
l'Incorporel.
Le mot lui-même qui se rencontre occasionnellement dans les œuvres
de Platon et d'Aristote et dont peut-être Antisthènes se servit le
premier, fut sans doute introduit dans lé langage courant de la philo-
sophie par les Stoïciens eux-mêmes. Ils s'en servaient pour désigner
r« exprimable >> (As^rov), le vide, le lieu, le temps, réalités d'un ordre
à part, qui s'imposaient à eux, sans qu'ils puissent leur appliquer la
définition du corps.
Quel sens exact donnaient-ils donc à ce terme et quel usage
précis en faisaient-ils? M. Bréhier essaie de le déterminer en traitant
d'abord: I. De V Incorporel en général ; puis en examinant : II. L'Incor-
porel dans la logique et la théorie des Exprimables ; III. Théorie du Lieu
et du Vide; IV. Théorie du Temps.
I. — Platon et Aristote demandaient à la science de leur faire
connaître ce qui dans les êtres est stable, nécessaire et universel; ils
trouvaient l'explication des choses en des concepts définis, limités,
dominant une infinité d'individus semblables. Le point de vue des
Stoïciens est au contraire individualiste; ils s'intéressent à l'unité intime
de l'évolution personnelle de chaque être. La cause que la science doit
révéler est une force interne, vivante, qui commande et dirige le déve-
loppement de l'individu, « plus semblable, suivant une comparaison
d'ilamelin, à ïessenlia parlicularis affirîuativade Spinoza qnàVidée plato-
nicienne. » Leur matérialisme est donc tout à fait dynamiste. Si l'Incor-
porel ne peut être cause et à ce titre n'existe pas, c'est que la cause
doit être de même substance que son effet et une comme lui. « Le nomi-
nalisme des Stoïciens se trouve être moins un postulat de la logique
qu'un résultat de la physique.»
1. Berlin, Reuther et Reichard, 1907; in S'> XII-137 pages. Gekroiite Preis-
schrift.
2. La théorie des Incorporels dans l'Ancien Stoïcisme. Paris, Picard, PJU7 ;
in-8'\ 63 pages.
760 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Cependant l'Incorporel a une certaine réalité comme effet. Il n'est
autre que la modification qui lient à l'action réciproque des corps. Celle-
ci en effet n'est ni qualité, ni propriété, mais seulement attribut
(•/.aryiyooy,aa). L'attribut est une manière d'être, « en quelque sorte à la
limite et à la superficie de l'être», dont il ne peut changer la nature.
« Ces résultats de l'action des êtres, que les Stoïciens ont été peut-être
les premiers à remarquer sous cette forme, c'est ce que nous appelle-
rions aujourd'hui des faits ou des événements : concept bâtard qui n'est
ni celui d'un être, ni d'une de ses propriétés, mais ce qui est dit ou
affirmé de l'être.»
II. — L'attribut physique, à cause de son irréalité, coïncide avec
l'attribut logique. C'est lui qui forme l'essentiel de r« exprimable» du
\iY..-ôv. « L'exprimable n'est donc pas toute espèce de représentation
rationnelle, mais uniquement celle du fait et de l'événement. »
A l'aide de cette notion de l'exprimable incorporel, M, Bréhier inter-
prète quelques points de la logique stoïcienne, sur lesquels nous ne
pouvons insister. On rapprochera avec intérêt ses conclusions des vues
assez différentes de Brochard(l; et de Hamelin (2).
III. — Sur la nature du lieu, les Stoïciens se rallient à la troisième
des quatre hypothèses émises par Âristote (Phys. iv, 4, G); ils identi-
fient le lieu « avec l'intervalle entre les extrémités du corps en tant que
cet intervalle est plein. » Ils ne pouvaient admettre la définition d'Aris-
tote à cause de leur théorie sur le continu, et ils répondaient à ses
objections contre la 3""* hypothèse par leur thèse delà pénétrabilité des
corps. Le lieu est au nombre des Incorporels, comme le /îx.ro'v. Il ne fait
pas partie des principes du corps. On peut le comparer à la conception
kantienne de l'espace.
Le vide ne peut exister à l'intérieur du monde, mais il se trouve en
dehors de ses limites, pour permettre la dilatation causée par la confla-
gration universelle. Malgré leur notion d'Incorporel, les stoïciens
n'arrivent pas à éviter la difficulté de cette théorie.
IV. — Ils sont moins unanimes sur la défintiion du temps ; mais il
est certain qu'ils furent amenés à accentuer son irréalité. «Le temps
apparaît chez eux pour la première fois comme une forme yide dans
laquelle les événements se suivent, mais suivant des lois dans lesquelles
il n'a aucune part. »
Dans sa conclusion l'auteur fait ressortir l'originalité de cette théorie
des Incorporels et l'influence que devait avoir la scission qu'elle opère
entre la pensée rationnelle et logique, dont les Incorporels sont l'unique
objet et la « représentation compréhensive » qui seule atteint le réel.
L'étude de M. Bréhier, très neuve dans son ensemble, est menée avec
beaucoup de méthode et fait preuve d'un sens critique pénétrant et
dénué de parti pris, dans l'interprétation de textes la plupart du temps
incomplets et obscurs.
1. Archiv. fiir Gesch. der Philos., t. V, p. 449.
2. Année philos., (1901), p. 13.
BULLETIN d'histoire DE L.\ PHILOSOPHIE 761
Philon. — Des qualités analogues se retrouvent dans la thèse du
même auteur sur Philon(l).
Elle est, au dire de M. Wendland (2), non seulement le meilleur
ouvrage français sur la matière, mais d'une manière générale, nous
fait pénétrer plus que tout autre exposé moderne l'organisation intime
des idées philoniennes, leur genèse et leurs rapports de dépendance
avec la civilisation du temps. C'est bien là, en effet, le mérite principal
de cette étude très documentée et compréhensive.
M. Bréhier la divise en 3 livres : I. Le Judaïsme, où. il nous fait con-
naître ce que Philon pensait du peuple juif et de la loi juive, puis d'où lui
venait et comment il comprenait la méthode allégorique. II. Dieu, les
Intermédiaires et le Monde. III. Le culte spirituel et le progrès moral.
Voici, parmi les conclusions de l'auteur, celles qui intéressent le plus
l'histoire de la philosophie :
« L'idée dominante (de Philon) est celle des rapports de l'âme à Dieu.
Ces rapports ne font pas l'objet d'une théorie philosophique à concepts
limités et définis; ils sont l'expression même de l'expérience intime de
l'auteur. Une telle expérience ne trouve pas d'analogue dans la pensée
grecque ; elle n'est ni la « contemplation » d'Aristote, cette connaissance
dans laquelle l'être devient aussi transparent à la pensée qu'une essence
mathématique, ni la « représentation compréhensive » des stoïciens par
laquelle l'âme prend possession de son objet... La foi en Dieu résulte
pour l'âme de la reconnaissance de son propre néant et du néant des
choses extérieures ; c'est par le vif sentiment de l'incertitude de la con-
naissance et de l'insécurité de l'action que l'âme arrive à comprendre
Dieu. La connaissance qu'elle a de Dieu est moins une connaissance
réfléchie qu'un acte d'humilité. » (p. 311).
« Un Dieu ainsi conçu sera nécessairement source de toute certitude
à son égard; c'est par lui seul qu'on peut le connaître. Il s'ensuit que
la seule science qui compte, celle de Dieu ou du bien, sera révéla-
tion... » (p. 312.)
« C'est cette conception d'une révélation rationnelle qui permet à
Philon de recevoir dans le Judaïsme toute la philosophie grecque. Mais
en même temps elle l'altère profondément, et dans son essence même.»
(p. 31-4).
« L'objet de la philosophie grecque, depuis les physiciens jusqu'aux
stoïciens, est de déterminer les principes des êtres, tels qu'ils sont...
L'objet de la philosophie est pour Philon moins de connaître que de
rapporter à Dieu, avec un culte intérieur, l'origine de nos connaissances,
ou plutôt ce rapport est le seul moyen de la connaissance stable et
certaine... La révélation qui était un moyen devient un but. La connais-
sance des êtres devient la « gnose » au sens que le mot devait avoir un
peu plus tard. » (p. 313).
« Mais si la connaissance se complaît et se termine... à la révélation
de l'être suprême, on verra dans le rapport personnel contenu dans
1. Les Idées 'philosophiques et religieuses de FJiilon d' Alexandrie. Paris,
Picard, 1908; in-8o XIV-336 pages.
2. Theoloyische Literaturzritntig, n" 16, l^i" août 1908
76'2 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
cette révélation, la raison morne et l'essence de tous les êtres; que sont,
en efîet, les intermédiaires chez Philon, sinon les instruments de la
révélation en même temps que les causes et les principes des êtres?...
Le seul principe d'existence est le rapport à Dieu, non pas conçu comme
un rapport physique, mais comme amour, culte et connaissance inspirés
par Dieu... L'idée centrale de toute la métaphysique philonienne est de
substituer comme raison explicative, le rapport moral des êtres à Dieu
(inspiration, révélation) à un rapport physique ou mathématique.
» De ce point de vue, on comprendra l'attitude de Philon par rapport
à la philosophie grecque. Le platonisme est pour lui particulièrement
important ; mais il n'en recueillera pas tout, ni même le principal. Il y
voit avant tout le démiurge du Timée qui crée le monde par un acte de
bonté, l'amour intermédiaire entre l'homme et le bien, et le monde
intelligible ; ce monde n'est pour lui cependant un principe d'explication
du monde que dans la mesure où il est le séjour des prophètes et des
inspirés qui y vivent d'une vie éternelle, séparés du corps. Il ne reçoit
donc du platonisme que ce qui implique un rapport moral entre Dieu
et l'âme humaine.
« On chercherait vainement à expliquer par le Judaïsme de Philon
une pareille transformation de l'esprit grec. Les causes en doivent
plutôt être cherchées dans le milieu alexandrin. C'est là, sous des
influences multiples et obscures, que s'est accomplie celte fusion entre
philosophie et révélation d'où est sorti le philonisme. Là s'est créée la
théologie des intermédiaires. Dans cette élaboration, le stoïcisme a joué
le premier rôle. Elle a consisté surtout à introduire une difTérenciation
entre les principes que les stoïciens réunissaient en leur unique
divinité, identique à l'âme du monde »... (p. 316.)
« Philon n'a pas pris comme point de départ la philosophie grecque,
mais cette théologie alexandrine qui devait produire les systèmes
gnostiques et la littérature hermétique. C'est là, et non chez les pro-
phètes juifs, qu'il a pris l'idée de la parole divine et de la révélation.
Peut-être seulement, sous l'influence juive, a-t-il introduit dans ce mys-
ticisme un sens humain et pratique. Sa conception du Dieu suprême,
toujours plus élevé que l'âme qui veut l'atteindre et échappant sans
cesse à ses prises, reste bien celle du Dieu juif qui, suivant le prophète
Isaïe, n'est semblable à aucun être. Elle introduit dans la vie humaine
un principe d'activité morale, une recherche sans fin d'un objet toujours
désiré qui manque au mysticisme alexandrin des livres hermétiques»...
(pp. 316, 317.)
M. Bréhier fait précéder son exposition d'une notice sur les manus-
crits et les éditions de Philon et d'une bibliographie très complète.
Plotin. — Comme «ous l'apprend déjà la dédicace de son livre (1),
c'est du point de vue de Hartmann que M. Arthur Drews se propose
d'étudier Plotin et de montrer son importance dans l'histoire de la
philosophie. De ce point de vue Plotin, par rapport aux anciens, tient la
1. Plotin und dcr Untergnng der antikcn WeUansc^iauunT. E. Diodoriclis.
Icna, in-So XII-33'J pages. Dem Andenkeii Ed. V. Harlmanns gowidmet.
BULLETIN d'histoire DE LA. PHILOSOPHIE 763
première place ; il est au-dessus de Platon et d'Aristote. Par rapport aux
modernes, il a le grand mérite d'être un précurseur de la philosophie
de l'Inconscient.
Pour établir sa thèse, M. A. Drews expose d'abord, dans une intro-
duction, le développement de la philosophie ancienne avant Plotin,
« L'histoire de la philosophie est l'histoire de l'effort de la raison
humaine pour atleindre au vrai concept de l'Esprit. » Les Grecs ont eu
la pénible tâche de commencer cette lutte sans savoir où et comment
elle devait aboutir. Les premiers d'entre eux, de Thaïes à Ânaxagore,
incapables de s'isoler de l'univers et hypnotisés par l'objectivité du
monde sensible, l'identifièrent dans sa réalité matérielle avec la pensée.
La contradiction intime de ce monisme primitif provoque la dialectique
de Zenon et le scepticisme des Sophistes. Ceux-ci révélèrent alors la
subjectivité de l'Esprit. Mais ils conservèrent au fond la méthode empi-
rique du naturalisme et ne purent sortir des fantaisies du moi indivi-
duel. A Socrate était réservé de découvrir les ressources profondes du
subjectivisme, en donnant pour guide à l'Esprit le concept. C'était, du
même coup, remplacer par l'objectivisme de l'Esprit, et à l'intérieur
même du snjet, l'objectivisme naïf des sens. Platon donne à l'objecti-
visme de l'Esprit un fondement solide dans sa thèse des Idées. De fait il
identifie par là l'être et la pensée, puisque le concept est la réalité
même. Cependant il ne sait pas expliquer de quelle manière l'Idée est
principe de la nature et parvient à s'unir à elle, ni comment le concept
psychologique, abstrait de l'expérience, peut être identique au concept
métaphysique. Aristote s'est efforcé de résoudre ces deux problèmes ;
mais par sa doctrine de la matière et de la forme, il revient au mo-
nisme matérialiste, la Forme étant pensée, et s'unissant à la matière.
Il retarde ainsi le progrès de la philosophie, bien loin d'y concourir
comme on le croit généralement. De même, à plus forte raison, les
Stoïciens et les Épicuriens, avec leur sensualisme, — jusqu'à ce que
les Sceptiques viennent le bouleverser et l'anéantir pour remettre les
choses au point où elles étaient au temps des Sophistes. C'est là que
Plotin les retrouvera.
M. Drews termine son introduction par une esquisse du développe-
ment de la pensée religieuse dont l'influence se retrouve chez les Néo-
Platoniciens; puis il consacre la 1™ partie de son ouvrage à décrire la
vie intellectuelle à Alexandrie, à rappeler brièvement la vie de Plotin,
enfin à apprécier son caractère et son talent de philosophe et
d'écrivain.
La 2'"® partie reprend alors l'exposé de la doctrine de Plotin, sous
deux rubriques générales : A. Der induktive Aufslieg der Ploïinischen
Weltansdinuiing; B. Der deduklive Abstieg der Ploïinischen Wellanschau-
nng. M. Drews s'y inspire des travaux de Kirchner, de liichter et de
Zeiler. Je me contenterai de noter ce qui achève de caractériser son
point de vue spécial.
Toute la philosophie de Plotin est une réponse à celte question-:
comment doit être conçu le Réel pour que la connaissance soit possible,
en dépit des objections du scepticisme? Comme Platon pour qui se
posait un problème analogue, Plotin affirme d'abord la souveraineté de
764 BEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
la raison comme moyen de connaissance. Mais toute connaissance est
i-elative, disaient les Sceptiques ; c'est donc que l'objet lui-même est
relatif, est lui-même Pensée. Comment du reste serait-il connu s'il
n'était pas spirituel, s'il ne s'identifiait pas avec l'Esprit ? Mais toute
connaissance suppose une connexion intime, des rapports étroits
entre les concepts ; c'est donc que ceux-ci ont entre eux des relations
vivantes, ils dépendent les uns des autres, ils sont génétiquement
hiérarchisés ; c'est donc en définitive que, au-dessus d'eux, supérieur
à la pensée et à l'être, se trouve l'Absolu, source dernière de toute
réalité. Supérieur à la pensée, l'Absolu ne peut être connu, mais on
s'unit à lui par un contact mystique, immédiat.
D'oîi l'on voit que le problème fondamental est pour Plotin celui de
l'Absolu, de la Substance.
Et c'est là aussi, bien entendu, que M. Drews, d'une manière assez
compliquée et obscure, retrouve le germe de la philosophie de
Hartmann.
La 3™« partie, assez courte, traite de l'école de Plotin. Puis l'auteur
conclut par des considérations générales de même esprit que les précé-
dentes.
Kain. M.-D. Roland-Gosselin, 0. P.
II
PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE.
I. — Monographies de doctrines.
Les universaux. — Parmi tous les problèmes que soulève l'étude de
a philosophie médiévale, le plus célèbre est, sans contredit, le problème
des universaux. lît pourtant, malgré les nombreux travaux qu'il suscita,
on n'est pas arrivé encore à une solution nette ; des divergences sub-
sistent dans l'interprétation des doctrines et la classification des sys-
tèmes.
Le D"" J. Reiners vient de reprendre à nouveau cette question (1). Il
limite son travail dans la présente brochure à l'étude du réalisme aris-
totélicien au début de la scolastique; Parmi les tenants de cette doctrine
il mentionne Jepa, un Pseudo-Raban datant selon lui de la première
moitié du XI* siècle, tandis que Prantl le croyait du IX^, Adélard de
Balh, Gautier de Mortagne, Gauslenus de Soissons, Gilbert de la Porrée.
Ces divers auteurs concordent en un point : l'universel et le singulier
ont le même sujet. Ils auraient emprunté cette idée à un texte, mal com-
pris d'ailleurs, du commentaire de Boëce sur YJsagoge de Porphyre,
donnant ainsi, dans leurs considérations, la prédominance à l'aspect
métaphysique du problème, au détriment du point de vue logique.
1. Der aristotelische Realismiis in der Fruhscholastik. Ein Beitrag zur
Genrhichtc der Uuiver.<<alirnfrage im Miftrlalfr.r. Aachon, Isn. Schwoitzcr,
1907; iu-S", 60 p.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 765
L'idée reste identique mémo lorsqu'elle aboutit à la théorie des
« états >) (Gautier de Mortagne) : une réalité concrète est individu, espèce
ou genre, suivant les états dans lesquels on la considère. L'idée est la
même encore dans la théorie de « l'indifTérence », très voisine de la pré-
cédente ; la même enfin dans la théorie de la « collection » (Gauslenus)
qui voit l'universel, non plus dans les singuliers, mais dans leur collec-
tivité concrète.
Il y a dans l'élude du D^ Reiners de la finesse d'analyse et des obser-
vations heureuses. Pourtant n'exagère-t-il pas l'absence de toule consi-
dération logique chez les auteurs du XI1% et partant ne creuse-t-il pas
lui-même l'abîme qu'il veut faire voir entre eux et les réalistes modérés
du XI IL siècle?
L'amour. — « Ce qu'on appelle ici le « problème de l'amour » pour-
rait, en termes abstraits, se formuler ainsi : Un amour qui ne soit pas
égoïste est-il possible? Et, s'il est possible, quel est le rapport de ce
pur amour d'autrui à l'amour de soi, qui semble être le fond de toutes
It^s tendances naturelles? » — C'est ainsi que M. ï". Rousselot présente
le sujet dont il traite dans sa thèse complémentaire (1).
Au moyen âge le problème de l'amour se posait principalement sous
la forme suivante : Utrum homo naturaliler diligat Deum plus quam
semelipsum ? Si tous les auteurs admettaient que Dieu seul béatifie plei-
nement l'homme, si tous encore étaient d'avis, suivant en cela la tradi-
tion, qu'il faut aimer Dieu pour lui-même, il y avait cependant entre
eux des divergences dans la solution du problème. Deux grandes con-
ceptions se partageaient les esprits : la conception phijslque et la con-
ception exlatique.
La première désigne « la doctrine de ceux qui fondent tous les amours,
réels ou possibles, sur la nécessaire propension qu'ont les êtres de la
nature à rechercher leur propre bien. Pour ces auteurs, il y a entre
l'amour de Dieu et l'amour de soi une identité foncière, quoique secrète,
qui en fait la double expression d'un même appétit, le plus profond et
le plus naturel de tous, ou pour mieux dire le seul naturel. » Cette
manière de voir, qil'on pourrait appeler gréco-thomiste, avait été ébau-
chée par Hugues de S*- Victor dans le De sacramentis et par S. Bernard
dans son De diligendo Deo, mais elle fut précisée et systématisée par
S. Thomas.
C'est à exposer la doctrine de ce dernier et à rechercher ses sources
que s'attache particulièrement M. Rousselot. Dans une première partie,
il met en relief les trois théories qui la fondent : celle du tout et de la
partie, empruntée à Aristote ; celle de l'appétit universel de Dieu, d'ori-
gine néo-platonicienne ; celle enfin de l'identification du bien des esprits
avec le bien en soi qui a des bases dans l'aristotélisnie.
1. Four l'histoire du Problème de l'amour au moyen âge. (Beitràge zur
Geschickte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersachungen, hrsg.
von Dr C. Baeumker und Dr G. von Hertling, B. \'l, h. (!), Munster,
Aschendorf, 1908; in-S", VIII-104 pages. — La thèse principale de M. Rous-
selot a pour sujet l'Intellectualisme de S. Thomas. Comme elle est construc-
live autant qu'historiq^ie, il en sera rendu compte ailleurs.
766 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
« La conception extatique est plus difficile à définir avec précision
que la conception physique, parce qu'elle n'est jamais arrivée à se cons-
tituer en un ensemble complet de doctrine. A vrai dire, on peut douter
qu'elle en fût capable, et si la pousser à bout ce n'est pas la vider de
toute intelligibilité... C'est une « mentalité » plutôt qu'une -( théorie. »
Pourtant elle a le droit de rentrer dans l'histoire de la pensée médiévale,
car on retrouve en elle l'origine des doctrines nettement classées et
définies.
« La';:conception extatique de l'amour a été exposée avec infiniment
d'art, de ferveur et de subtilité par quelques-uns de ces mystiques éper-
dument dialecticiens qui sont les figures les plus originales du XIP
siècle ; on la rencontre à Saint-Victor, dans l'ordre deCîteaux, dans l'école
d'Abélard, et les traces en sont reconnaissables dans la scolastique des
Franciscains. »
Voici les caractères qui la distinguent. D'abord, la dualité de l'aimant
et de l'aimé. Tandis que dans la conception physique l'unité est la raison
d'être, l'idéal et la fin de l'amour, ici la pluralité ou du moins la dualité
est représentée comme un élément essentiel du parfait amour. A ce pre-
mier caractère de l'amour se rattachent diverses spéculations théolo-
giques ; la théorie abélardienne de la création et la théorie richardienne
de la Trinité. — Le second caractère c'est la violence de l'amour. Loin
d'être, comme le soutient l'autre opinion, une tendance naturelle,
l'amour apparaît ici comme en opposition avec les appétits innés.
« Aimer, dans l'école gréco-thomiste, c'est chercher son bien, c'est
donc « trouver son âme » ; dans l'école extatique, c'est « la perdre ».
L'amour est ici une violence, c'est une « blessure », une « langueur »,
une « mort ». Deux théories définies et systématisées paraissent
devoir être rattachées à cette doctrine. L'une, commune au XIL siècle,
a rapport à 1' « ordre de la charité », qui se règle sur ce qui est meilleur
en soi, l'autre a trait à l'acte de charité parfaite, et à la théorie du pur
amour. — Le troisième caractère est l'amour irrationnel. Celui-ci se
soumet tout, même l'intelligence, l'esprit. C'est la « folie » de l'amour.
Guillaume d'Auvergne a déduit de là le mystère de la Rédemption san-
glante. — Le quatrième caractère enfin est l'amour fin dernière. Il porte
avec soi sa justification, sa raison et sa fin. Ce qui équivaut à dire qu'il
est la béatitude. « Mais la béatitude n'était pas conçue autrement que
comme la « possession du souverain Bien ». Donc l'action d'aimer devait
être conçue comme une action formellement possédante. Cette conception,
qui est très répandue au XIP siècle, a eu, si je ne me trompe, une très
grande influence sur le développement de la scolastique. 11 ne faut pas
chercher la différence essentielle du scotisme et du thomisme ailleurs
que dans la notion de possession spirituelle. »
Telle est, dans ses grandes lignes, cette remarquable monographie.
Il n'y faudrait pas chercher une histoire complète des deux conceptions
de l'amour, — l'auteur nous en avertit dès le titre — mais il a marqué
avec sagacité la courbe de son évolution, il a éclairé les courants doc-
trinaux qui s'y ramènent, donnant ainsi plus de relief à des notions
éparses et souvent à peine formulées.
Preuves de l'existence de Dieu. — Le D' G. Griinwald consacre un
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 767
fascicule des Beùvage ziii- Geschichle der Philosophie des MitlelaUers à
étudier les preuves de l'existence de Dieu apportées par les auteurs du
moyen âge (1). Son but n'est pas d'en donner un exposé détaillé, ni
d'en faire la critique ; il a voulu simplement marquer le développement
qu'elles ont pris depuis le IX" jusqu'au XIII" siècle, époque à laquelle
elles reçurent leur expression la plus parfaite.
Quatre noms lui semblent bien indiquer les divers stades de cette
évolution : S. Anselme, les Victorins, S. Bonaventure et S. Thomas
d'Aquin marquent tous un progrès sur leurs devanciers et, par l'origi-
nalité de leur pensée, tranchent plus nettement sur les spéculations
philosophiques de l'époque à laquelle ils appartiennent. Ils rentrent
pourtant dans un courant général qui les prépare et dont ils sont plus
ou moins tributaires. Aussi l'auteur, en même temps que leurs théories,
afin d'en mieux faire saisir la valeur, expose celles qui les ont pré-
cédées.
Durant le IX^ siècle, les essais qu'on rencontre dans les Dicta Can-
didi et chez Benoît d'Aniane sont bien imparfaits; ils se rattachent à
Cicéron et à S. Augustin. Au X^, Atton de Verceil tente, lui aussi, une
preuve basée sur le degré de perfection des êtres.
Dans son Monologium, S. Anselme se rattache explicitement à la
tradition augustinienne ; mais sa fameuse preuve ontologique lui est
personnelle.
Abélard, Rupert, Robert Pulleyn, Pierre Lombard demeurent dans la
tradition patrislique. Les arguments du dernier sont peu convaincants,
malgré les efTorts que firent plus tard ses commentateurs pour les
mettre en valeur. Son élève, Pierre de Poitiers, arriva cependant à
présenter avec quelque originalité ses preuves fondées sur les notions
de substance et d'accident, de tout et de partie. Ces arguments ou
d'autres similaires eurent la vogue au Xll*^ siècle. C'est à ce moment,
avec Alain de Lille spécialement, qu'on remarque l'introduction, au
milieu des idées platoniciennes jusque-là dominantes, sinon de la doc-
trine, du moins de la terminologie aristotélicienne.
L'apport des Victorins consiste surtout dans le recours à l'expérience,
soit interne, soit externe, pour former la base de l'argumentation. On
pourrait relever également chez Richard de S'-Victor une maîtrise
dans le raisonnement qui annonce déjà les grands scolastiques.
Alexandre de Halès et plus tard Henri de Gand n'ont fait que collec-
tionner toutes les preuves connues de leur temps. Albert le Grand com-
mence à introduire les principes de la physique aristotélicienne dans la
preuve par le mouvement.
S. Bonaventure qui, dnns ses commentaires sur les Sentences, se
borne à justifier les preuves apportées par Pierre Lombard et se rap-
proche des opinions communes de son temps, a professé, dans son
1. Geschichte der Gottesbeweise im Mittelalter bis znm Aiisgang der Hoch-
srholastik, nach der Qudlen dargestellt. {Beitràge zur Geschichte der Philosophie
des Mit fêlait ers. Texte und Untcrsuchungen hrsg. von Dr G. Baeumkeh
urul Dr G. Fioih. voa Hertling, B. VI, h. 3). Miinster, Aschendorf, 1907;
inSo, XIM64 p.
ibO REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
De myslerio Trinitatis, une doctrine spéciale assez voisine de Tonlolo-
gisnie de S. Ansehïie. Il soutient rinnéité de l'idée de Dieu.
Enfin S. Thomas fait entrer complètement dans sa démonstration les
données de la Physique et de la Métaphysique d'Aristote. La preuve
par le mouvement n'était pas absolument nouvelle ; l'originalité de
S. Thomas consiste dans l'application qu'il y a faite des principes du
Stagirite. La preuve par les causes a été vraisemblablement empruntée
à Avicenne ; S. Thomas est également tributaire d'Avicenne et de
Maimonide pour la troisième par la contingence. La quatrième, par les
degrés des êtres, doit beaucoup dans ses éléments matériels aux sco-
lastiques des âges antérieurs. Mais S. Thomas, comme il l'avait fait
pour les précédentes, lui a donné plus de rigueur et de force démons-
trative. La preuve par la cause finale est une preuve traditionnelle
qu'on trouve dès les débuts de la scolastique et même chez, les Pères.
L'ouvrage du D"^ Grunwald se recommande autant par son érudition
que par la netteté de l'exposition.
2. — Monographies d'auteurs
Jean Scot. — M. J. Draeseke (1) vient de relever, en se basant sur le
remarquable travail consacré par le D'' Endres à Honorius « Augus-
todunensis » (2), les traces de l'influence de Jean Scot sur la pensée
médiévale. On était quelque peu étonné jusqu'ici de constater, d'une
part, le silence fait autour de lui du X^ au XIP siècle, et d'autre part, la
subite reviviscence de ses idées au début du XIIP siècle. Mais en réa-
lité son influence, pour être cachée, n'en fut pas moins réelle et l'on n'a
pas à noter une interruption aussi considérable dans la diffusion de
ses doctrines. Honorius en est un exemple. Cet auteur, qui écrivait
durant le second quart du XII® siècle, Scot d'origine à ce qu'il semble,
doit beaucoup à son illustre compatriote.
M. Dràseke croit qu'on pourra découvrir de nouvelles traces de cette
influence. Elles existent déjà. Récemment, le D'' Osller (3) notait les
emprunts faits par Hugues de S'-Victor au commentaire do Jean Scot
sur la Hiérarchie céleste. D'ailleurs, si l'action du savant irlandais ne
fut pas aussi considérable qu'on aurait pu s'y attendre, cela tient, je
crois, non seulement à la suspicion dont il était l'objet dans les milieux
orthodoxes, mais aussi à des circonstances d'ordre général, dont souf-
frirent tous les écrivains du IX^ siècle. Les ruines accumulées par les
Normands arrêtèrent la propagande littéraire. Des manuscrits furent
détruits ou bien on n'eut plus le temps ni le goût de les transcrire. Et
c'est pourquoi, en dehors de Jean Scot, plus que lui, des auteurs,
comme Ratramne, demeurèrent à peu près inconnus durant tout le
moyen Age.
1. Zur Frage 7iach devi Einfluss des Johannes Scotus Erigena, dans
Zeitschrift fur wissenschaftUche Théologie, t. L. (1907) p. 323-347.
2. Cet ouvrage a été analysé daiis mon dernier Bulletin. R^c. d^s Se. Ph.
et Th. I (1907), p. 741-750.
3. Die Psychologie des Hugo von St, Vikior. p. 9. Munster, Ascliendorf,
1906.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 769
Roscelin. — Dans la brève étude consacrée par M. G. Buonaiuti à
Roscelin (1), un point est à relever. L'auteur ne croit pas que les
théories nominalistes, très réelles, du chanoine de Compiègne, l'aient
amené à ses doctrines erronées sur la Trinité. Tout au contraire, le
désir de donner une explication apologétique de ce mystère l'aurait
conduit au nominalisme. Ce dernier système en effet lui aurait paru
plus compatible avec les données delà foi que le réalisme exagéré qi)i
formait alors la seule alternative possible.
Le traité « De erroribus philosophorum ». — Le Père Mandonnet
prépare en ce moment une nouvelle édition de sa magistrale étude sur
Siger de Brabant et V Averro'isme latin au AIIP siècle. Cette revision
l'amènera, semble-t-il, à résoudre de nouveaux problèmes littéraires.
En tout cas, l'un d'eux l'est déjà, et il nous présente la solution dans la
Revue néo-scolastique (2). Il s'agit d'une composition du XIII'' siècle,
jusqu'ici attribuée à Gilles de Rome. Mais des divergences doctrinales
profondes entre l'auteur du De erroribus et le célèbre augustin ne per-
mettent pas de les identifier. Par une série d'observations très perspi-
caces, le Père Mandonnet arrive à conclure que l'auteur de cet ouvrage
doit être cherché parmi les dominicains espagnols. Il aurait écrit pro-
bablement entre 1260 et 1274. Mais pour l'instant on ne saurait citer
aucun nom avec quelque assurance.
Raymond Lulle. — L'œuvre immense de Raymond LuUe a été long-
temps discutée, mais en somme elle est peu connue. Les éditions en sont
rares et elle déroute souvent par sa complexité ceux qui ont pu l'abor-
der. Pourtant, en ce moment, un important mouvement se produit au
sujet de l'illustre franciscain, et cela pour des motifs fort divers. On
célèbre en lui une gloire du pays catalan, on exalte le littérateur autant
que le philosophe et le théologien. Quoi qu'il en soit, on a commencé
une édition de ses ouvrages rédigés en catalan ; une revue, la Revista
Luliaua, étudie les questions qui se rapportent à sa personne et à ses
idées.
M. Salvador BovÉ est un des représentants de ce mouvement. Il
voudrait même lui donner encore plus d'ampleur. C'est pourquoi il
entreprend un travail de longue haleine qui a pour but de mettre à la
portée du public savant l'œuvre du célèbre polygraphe. Le projet est
en soi excellent et mérite d'être encouragé. Qu'on adopte ou non les
idées de Raymond Lulle, il y aura intérêt pour tous aie connaître autre-
ment que par des intermédiaires et des commentateurs plus ou moins
fidèles. Toutefois le nombre, la variété de ses ouvrages et souvent leur
rédaction un peu diffuse ne permettent pas de songer à une publication
intégrale. M. Bové tente une adaptation plus en rapport avec nos habi-
tudes d'esprit. La matière sera distribuée en questions et articles
d'après la méthode scolastique dont S. Thomas d'Aquin forme le type
1. Un filosofo délia contingenza nel secolo XI. Roscellino di Compiègne,
dans Sivista storico-critica délie scienze theologiche, mars 1908, p. 195-212.
2. Le traite « De erroribus Philosophorum » {XIII° siècle). Revue néo-scolas-
tique, XIV (1907), p. 533-552.
770 REVUE D^S SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
le plus achevé. Quelques volumes contenant des explications néces-
saires pour pouvoir entrer dans l'esprit du système y seront joints. Le
tout comprendra vingt volumes.
Celui qu'il nous donne aujourd'hui (l)est comme la Préface de sa
collection. Il y expose les idées principales de VArs magna, en fait la
critique et répond aux difficultés qu'elles ont soulevées. D'après l'auteur,
le système de Raymond Lulle consiste essentiellement dans l'exposé de
deux mouvements de l'intelligence : l'un qui remonte des choses sen-
sibles à Dieu, l'autre qui descend des perfections divines aux êtres
particuliers. Ce serait une synthèse des méthodes aristotélicienne et
platonicienne. Lulle, conforme pour la première partie aux doctrines
essentielles de S. Thomas, le compléterait dans la seconde en ramenant
à un système scientifique ce qui est un mouvement naturel de l'esprit
humain.
Il vaut mieux attendre les textes pour apprécier cette position et ces
affirmations. Toutefois, à en juger par l'exposé que donne M. Bové,
s'il y a dans la tentative de Lulle quelque chose de hardi, qui a mérité
l'attention de plusieurs grands esprits en quête d'une synthèse de tout
le savoir humain, il y a aussi beaucoup d'artificiel. Il resterait à voir
jusqu'où cette doctrine est conforme aux idées de S, Augustin et de
S. Anselme.
Mais dès maintenant on ne peut s'empêcher d'admirer l'optimisme
avec lequel M. Bové souhaite voir cette méthode lullienne entrer dans
le domaine pratique et l'enseignement universitaire. Attendons du
moins qu'il nous donne les moyens de la mieux connaître. Son présent
travail eût gagné à être plus concis et mieux organisé. On y trouve des
redites qui sont loin d'aider à la clarté.
Kain. • M. Jacquin, 0. P.
III
PHILOSOPHIE MODERNE (2)
I. — Ouvrages généraux
M. Aloïs RiEiiL fait paraître une seconde édition de son histoire du
criticisme(3). Il y apporte d'assez nombreuses modifications, surtout
en ce qui concerne Locke et Hume. Il insiste davantage sur le dévelop-
pement de la pensée de Kant et expose plus en détail la critique des
idées d'espace et de temps.
1. El sisiema cientifico Lîdiano Ars magna. Exposîciôn y critica. Bar-
celone, Imprimerie catholique, 1908, in.-4o, LXVIII-598 pages.
2. Les quelques comptes-rendus qui suivent, peu nombreux et assez brefs
pour la plupart, n'ont pas la prétention de former un véritable Bulletin
d'tlistoire de la l^hilosophie moderne. On voudra bien y voir sâniplement
le gage, pour les années suivantes, d'ua travail plus complet, et nous
en avons l'espoir, plus satisfaisant.
3. Der Philosophische Kritizismiis. Geschichte und System. I B. Gesch,
des philos. Kritiz. 2te, neu verfasste Aufl. — Leipzig, Engelmann, VlI-614
pacos.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 771
Le troisième volume de l'Histoire de la philosophie de A. Mannbei-
mer(1) vient, après une attente de quatre années, compléter les précé-
dents. 11 va de Kant jusqu'à Nietzsche, et suit toujours la même méthode
de vulgarisation scientihque.
II. — Monographies
Giordano Bruno. — En Italie, comme de juste, on étudie spéciale-
ment Giordano Bruno. — M. Em.m. Troïlo (2) expose les principes géné-
raux de sa philosophie, d'une manière intéressante, mais que l'on sou-
haiterait plus dégagée des opinions philosophiques personnelles à l'au-
teur. — M. Gextile (3) analyse sa conception de la religion qui explique
l'attitude prise par lui à Genève et à Wittemberg, à l'égard de la Réfor-
me, puis à Venise et à Rome, à l'égard du Saint-OfTice. — M. Fr. Paolo
Calamita (4) commence avec une étude sur ses idées astronomiques,
une série de travaux qui doivent nous donner une exposition historique
et critique de tout son système.
Hobbes. — Dans les études de M. Hanneouin, publiées par M. Cha-
bot (5), se trouve une esquisse inachevée et inédite de la Philosophie de
Hobbes. Elle date de 1883, mais n'en garde pas moins l'intérêt qu'un
esprit aussi philosophique ne pouvait manquer de lui donner.
M. Hannequin se proposait d'exposer la philosophie de Hobbes sous
ces trois divisions: I. la Philosophie première; H. la Psychologie;
III. la Politique. Seuls les deux premiers points ont été traités.
I. — Hobbes définit la philosophie « la connaissance des effets ou
phénomènes ^Bv leurs causes génératrices conçues, et inversement de la
génération possible des phénomènes ou effets, en employant le droit
raisonnement» (Logica § 1). Cette définition caractérise l'empirisme et
le matérialisme de Hobbes, Il veut s'en tenir aux phénomènes, mais
aussi les expliquer par le raisonnement ; et par là il entend l'analyse et
le calcul des éléments qui les composent. « Juger, c'est additionner deux
ou plusieurs idées... Philosopher, c'est, par une série convenable de
calculs, refaire la somme représentée par les idées qui se rapportent
aux êtres de la nature... en additionnant les termes simples qui s'y
trouvent réalisés : ce sont ces termes simples qui sont la raison des
êtres, comme les parties aliquotes d'une somme sont la raison de cette
1. Geschichte der Philosophie, in Ubersichtlicher Darstellung. III. ïeil : von
Eant bis zur Gegenivart. — Frankfurt a. M., Neuer Frankfurter Verlag, 1908;
VIII-287 pages.
2. La fiîosofia di Giordano Bruno. — Turin, Bocca, 1907; 1 vol. iii-16,
160 pages.
3. Giordano Bruno nella storia délia Cultitra. — Milan, Sandron, 1907;
1 vol. in-16, 146 pages.
4. L'astronomia net dialoghi vietafisici di Giordano Bruno. — Bitonto,
Garofalo, 1908; in-8o, 47 pages.
5. Études d'histoire des Sciences et d'histoire de la Philosophie — Avec \uie pré-
face de R. Thamin, recteur de l'Académie de Bordeaux, et une introduction
de J. Grosjeax. — Paris, Alcan, 2 vol. in-8'^ CI-264 et 326 pages.
772 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
somme. » Les causes génératrices dont s'occupe la philosophie ne sont
pas « les conditions historiques, les circonstances empiriques qui ont
rendu possible l'existence deFélre »... mais ce qui l'explique, « ce qui le
rend intelligible ». les éléments idéaux accessibles à l'analyse. —
M. Hannequin étudie ensuite les idées de Hobbes sur l'Espace, le
Temps, le Mouvement et le Mécanisme absolu auquel il aboutit, en le
comparant au « mécanisme idéaliste de Descartes. »
II. — La seconde partie expose les tliéories concernant la Sensation,
l'Imagination, la Logique, Ifs Passions et la 'Volonté. — « La Logique
de Hobbes repose sur le nominalisme le plus arrêté, comme sa psyclio-
logie sur un sensation nisme déjà très complet et très semblable à cehii
de Hume. » — « Les passions sont assimilées à de véritables forces
aveugles résidant dans l'esprit. » — La volonté n'est qu'une sorte de
résultante des mouvements qui se cachent sous nos désirs et nos
craintes; ce qui la distingue du désir, avec l'essence duquel elle se
confond, c'est la délibération, qui n'est qu'une sorte d'équilibre mo-
mentané de nos penchants divers; et c'est cet équilibre qui est la
cause de l'illusion de la liberté ; mais sous celte complexité apparente
se cache la loi très simple qui préside à la continuité du mouvement et
qui est toute mécanique. »
Descartes. — Le tome X des Œuvres de Descartes (1), paru dans le
courant de l'année, comjirend \e Compendium Musicae ; les /{egulae ad
direclionem ingenii ; puis tous les extraits, qui se rapportent à Des-
cartes, du Journal de Beekmanu, manuscrit retrouvé à Middelbourg en
1905 ; d'importants fragments mathématiques publiés soit en 1701, soit
par Foucher de Careil en 1859-1860 et corrigés avec soin d'après les
manuscrits ; le début d'un dialogue en français, La recherche de la
vérité, dont on n'avait qu'une traduction latine; un long supplément à
la correspondance; le Calcul de Mons. Z)escflr/es ou Introduction à sa
Géométrie. — L'édition comprendra encore deux volumes.
Il n'y avait pas encore en Allemagne de monographie complète sur
Descartes. M. K. Jungmann (2) vient de combler cette lacune, et de
manière très heureuse. Il retrace avec précision et clarté l'histoire de
la pensée de Descaries dont il donne à chacun de ses "moments un
exposé très satisfaisant. Voici comme il divise son travail : I. Die
J/c/Aorfe (1619) ; IL Die Malhemalik [i%\^-\&'i'i) ; IIL Die Erkenntnis-
Iheorie (1628-1629) ; IV. Die Wissen&chaflen (1629-]6g0); V. Die Werke
Descartes\
M. J. Prost étudie rinfluence de Descartes surl'alomisme de Géraud
de Cordemoy et l'occasionnalisme de Louis de La Forge et de Male-
branche (3). C'est là une contribution importante, sinon toujours
décisive en ses jugements, à l'histoire delà diffusion du cartésianisme.
1. Paris, L. Cerf., achevé d'imprimer 20 mars 1908.
2. René Descartes. Eine Einfûhrung in seine Werke. — Leipzig, Eckardt,
1908; in-8o, VIII-234 pages.
3. Essai sur Vatomisme et l'occasionalismc dans la philosophie cartésienne.
— Paris, Henry Paulin, 1907; in-S", 274 pages.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 773
Newton. — L'iiistoire de la philosophie dépend dans une certaine
mesure de l'histoire des sciences. Aussi M. Léon Bloch a-t-il cru faire
œuvre d'historien de la philosophie, en recherchant quelles étaient les
idées directrices et la méthode de Newton (1). C'est en réalité toute
l'œuvre scientifique de Newton qui se trouve étudiée dans son ouvrage
ainsi que sa valeur et la place qui lui revient dans l'histoire des idées.
— Malgré l'intérêt de sa thèse et sa compétence scientifique, on s'est
accordé en Sorbonne (2) à reprocher à M. Blocli son défaut de méthode
et de sens historique. M. Milhaud, dans la Revue de Métaphysique et de
Morale{'S), précise et développe cette critique, en ce qui concerne les
jugements portés sur Descartes.
Spinoza. — Si l'admiration et rtnithousiasme pour une doctrine philo-
sophique et ses bienfaits d'ordre moral doivent aider à en bien pénétrer
le sens, il faut penser que M. Alfred Wenzel a mieux que beaucoup
d'autres compris Spinoza (4). Et cette remarque a son importance, car
l'auteur nous déchire se séparer dans ses conclusions des historiens de
Spinoza les plus récents (5), tels que Kuno Fischer, Friedlander, Camerer,
Freudenthal etc.. Avec un seul d'entre eux il est presque entièrement
d'accord : Friedrichs, auteur d'une dissertation intitulée : Der Subsianz-
begriff Spinozas, neu und gegen die herrschenden Ansichlen zu Gunsten
des Fhilosophen erlaiilert (6).
Dans son premier volume, seul paru encore, M. Wenzel expose la doc-
trine de Spinoza sur Dieu, la connaissance humaine, l'essence des choses;
la psychologie et la morale seront traitées dans le second volume.
L'originalité de Friedrichs réside dans sa manière de concevoir les
rapports entre la Substance et ses Attributs. Aussi s'atlendrait-on à ce
que M. Wenzel, qui établit sur elle toute son interprélalion du Spino-
zisme, nous la fît connaître clairement. Mais il prélère l'incorporer à
l'ensemble de son exposé (7), comme l'indiquent les litres mêmes qui
le divisent : Spiîi. Lelire von Gotl und der menschlichen Erkenntnis, et
Spin. Lehre von Gott und deni Wesen der Dinge.
1. La philosophie de A'ewton. — Paris, Alcan, 1908; in-So, 642 pages.
Signalons, à ce propos, les remarquables études de M. Duhem, eu cours de
publication : dans la Bevuc de Philosophie, Le mouvement absolu et le
mouvement relatif; dans les Annales de philosophie chrétienne. Essai sur
la notion de la Théorie physique de Platon à Galilée. — M. René Berthelot
vient aussi de réunir en volume différentes études d'hist. de la philos, et
d'hist. des sciences, parues dans le Bulletin de la Société française de Philos.
la Grande Encyclopédie, la Biblioth. du Congrès inteni. de Philos, de 1900,
la Bévue de FUniversité d'^ Bruxelles, sous le titre: Êvolutioiinisme et Pla-
tonisme, Paris. Alcan, 1908; in-8o IV-324 pages.
2. Cf. Bev. de Met. et de Mor., mars 1908, suppl. p. .36 ss.
3. Juillet 1908, p. 492.
4. Die Weltanschauimg Spinozas. !« B. Leipzig, Engelmann, 1907; VIII-
479 pages.
5. De langue allemande, bien entendu, M. Wenzel ignore les travaux
de Brunschwicg, Couchoud, Delbos, Rivaud.
6. Greifswald, 189G.
7. Vorwort, p. IV. , "
ze Année. — Revue des Sciences. — No 4. 50
774 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÈOLOGIQUES
La première partie comprend les sections suivantes : I. Wahrheit und
Iritum. II. Die Hilfsmittel der wahren Erkenntnis : BegrifFundDenken.
III. Die Quellen der wahren Erkenntnis. IV. Die emotionalen Wir-
kungen der Scientia intuitiva.
La seconde partie, deux autres : I. Die allgemeinen Bestimmungen
des Wesens. — II. Die konkrete Darstellung des Wesens in der Erschein-
ungswelt.
La méthode suivie par M. Wenzel rend difficile une analyse brève et
suffisamment intelligible de ses idées directrices ; disons seulement qu'il
insiste sur le caractère positif, actif et vivant de la Substance, sur son
unité avec les Attributs, sur la manière dont son activité s'unit à celle
des causes externes. Au point de vue de la connaissance, il fait ressortir
le rôle attribué par Spinoza à l'expérience et s'efforce de préciser les
caractères de l'intuition. Il termine en opposant le Spinozisme à l'idéa-
lisme de Kant. La Substance n'est pas un noumène dissimulé derrière
les Attributs et inattingible, car les Attributs n'en sont pas réellement
distincts.
La Revue de Métophysiqiie et de Morale (1) publie une étude sur Le
Dieu de Spinoza, recueillie parmi les papiers de M. Brochard. Elle se
divise en deux parties. La première, qui est la piincipale, est une ten-
tative faite pour concilier les deux conceptions différentes de Dieu
données par Spinoza dans le Traité théologico-politique et dansrj&//«'i7Me.
La seconde, sur laquelle nous ne reviendrons pas, détermine les • in-
fluences exercées sur Spinoza par les philosophes grecs, et ce qu'il y a
d'original dans sa philosophie, à savoir la négation de toute finalité.
Les différences entre le Traité et Y Ethique ne peuvent s'expliquer par
les dates de leur composition. Ils sont de la même époque (1670 et 1676)
et dès le Traité, Spinoza est, sans aucun doute, en pleine possession de
sa pensée. « Il faut donc, si Ton veut exactement démêler la pensée
du philosophe, se faire de la divinité une conception assez large et
assez compréhensive pour convenir à la fois au Dieu à^ V c thique et à
celui du Traité. »
Dans le Traité théologico-politique, Spinoza s'occupe des rapports
entre la raison et la foi. Chacune a son domaine à part. La raison « nous
permet de comprendre la réalité, de connaître les vérités éternelles » ;
la foi « consiste à savoir sur Dieu ce qu'on n'en peut ignorer sans perdre
tout sentiment d'obéissance à ses décrets et ce qu'on en sait par cela seul
qu'on ace sentiment d'obéissance (2). » Il n'y a de déduction possible
de la raison à la foi que pour une intelligence supérieure à la nôtre. La
foi relève de la certitude morale. Elle « exprime sous une autre forme
les mêmes vérités que la science découvre par la lumière naturelle. »
Elle permet à ceux qui ne sont pas philosophes et ne conforment pas
leur conduite à la raison d'atteindre malgré cela la béatitude. Spi-
noza admet le fait de la Révélation et la mission divine de Jésus. « La
religion, à ses yeux, n'est pas toute la vérité, elle est vraie cependant et
1. Mars 1908, p. 129.
2. Cf. Benedicti de Spinoza opéra, éd. Van Vloten, et Land, 1882, t.
T, ch. XIV, p. 538.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 775
ce qu'elle enseigne est excellent. Elle était le plus précieux trésor de
riiumanité avant que la raison eût pris conscience d'elle-niême, et
depuis ravènement de la science elle est encore la consolatrice de la
plus grande partie du genre humain. »... « S'il en est ainsi il faut bien
que Dieu, tel que le conçoit la philosophie, ne soit pas uniquement la
substance pensante et étendue que la raison connaît. Il faut qu'il y ait
en lui des intentions, une volonté bienveillante et, comme dit Spinoza
lui-même, propice à tous les hommes... En dernière analyse le Dieu de
Spinoza est un Dieu personnel. »
Vp^tkique, malgré les apparences, ne contredit pas cette conclusion.
Dieu est bien la substance une, immuable, infinie et universelle, mais
cette substance est concrète et individuelle ; son intelligence et sa
volonté n'ont de commun avec les nôtres que le nom, mais il est conscient
et connaît toute réalité ; il est étendu, mais d'une étendue purement
intelligible et qui en tout cas n'exclut pas la pensée ; il agit nécessaire-
ment, mais parce qu'il est la suprême liberté. Enfin « il faut songer...
que la pensée et l'étendue divines, les seules que nous connaissions
clairement, ne sont pas tous les attributs de Dieu. Parmi les attributs
en nombre infini que Dieu'possède en outre, rien ne s'oppose à ce qu'il
s'en trouve d'autres, tels que ceux que l'on désigne ordinairement sous
le nom d'attributs moraux. » De plus certains passages de VEthique
(Prop. 68, sch. I : part. IV, prop. 37, sch. I ; etc..) rappellent expres-
sément le point de vue du Traité.
Dans un Fragment d'une étude sur Spinoza, édité dans les Etudes
d'histoire des Sciences et d'histoire de la Philosophie (i), M. A. Hanne-
OUiN rapproche la manière dont Spinoza établit la doctrine de la Sub-
stance dans la première partie de l'Éthique, de la preuve ontologique
de Descartes dont il donne une pénétrante analyse. « Si l'on voulait
exprimer en une formule concise le principe qui domine toute la doc-
trine de Spinoza sur Dieu et, par conséquent, toute sa métaphysique, on
devrait dire qu'il soutient, comme son maître et inspirateur, Descartes,
la primauté de la perfection sur la nécessité de la perfection qui est
puissance et vie, et à laquelle convient vraiment le nom de Dieu. »
(p. 13.)
Leibniz. — Dans la collection des Philosophische Arbeiten, M. âlb.
GoKLAND publie un travail sur l'idée de Dieu chez Leibniz (2), qui doit
servir d'introduction aune série de monographies sur les différents points
du système. Le l*"" chap. — rapports de Dieu et de la science, — met bien
en lumière l'intellectualisme de Leibniz par opposition au volontarisme
de Descartes. Le 2" chap. étudie Dieu et la moralité ; le 3"« les concepts
de possibilité et de réalité, de nécessité, de cause efficiente et finale ;
le 4Ma contingence du monde, le o*, un peu tardivement peut-être et
brièvement, les preuves de l'existence de Dieu. M. Gorland suit toujours
de très près le texte de Leibniz dont il fait de copieuses citations. 11 est
1. Paris, Alcan, 1908, t. II, ch. I.
2. Der Gottesbegriff bei Leibniz, ein Vorwort zu seinem System (coUect.
Philosophische Arbeiten, éditée par Herm. Cohen et P. Natorp). Gicsson,
Topelmann, 1907; in-8o, VI-138 pages.
776 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
à regretter toutefois que la traduction n'en soit pas toujours très
exacte.
M. Max Leopold montre dans ÏArchiv (1) comment s'est formé le sys-
tème cosmologique et métaphysique de Leibniz à partir du mécanisme de
Descartes et de Hobbes, et comment il arrive par sa théorie des monades
et des deux forces active et passive à rétablir l'unité entre le monde spi-
rituel et le monde corporel, à réconcilier mécanisme et téléologie.
Kant. — M. Victor Delbos donne une traduction des Fondements de la
métaphysique des mœurs (2), faite sur le texte adopté par l'édition de
l'Académie des Sciences de Berlin. 11 y joint une biographie de Kant,
des notes nombreuses et une introduction sur la morale de Kant, où
l'on retrouve les idées fondamentales de son ouvrage : La Philosophie
pratique de Kant.
M. Herman Cohen publie dans la Philosophische Bibliothek un commen-
taire de la Critique de la Raison pure (3), qui se réfère au texte paru
dans la même collection. Savantes et originales, les réflexions de l'au-
teur supposent souvent pour être comprises du lecteur une connais-
sance approfondie de Kant, et même de l'interprétation spéciale de
M. Cohen, exposée plus au long dans son étude sur la théorie kantienne
de l'expérience (4).
Nous avons déjà signalé dans la première partie de ce bulletin, à
propos d'Aristote, l'élude de M. S. Aicher : Kants Begriffder Erkenntnis
verglichen mit dem des Aristoteles (5). Ici encore l'auteur se montre
digne du prix que lui a décerné la Kantsgesellschaft.
Taine. — La publication de la correspondance de Taine rendait
possible une étude nouvelle et originale de sa philosophie. Le sujet a
tenté M. Paul Nève, qui vient de faire paraître le résultat de ses recher-
ches dans la Bibliothèque de l'Institut supérieur de Philosophie^ de
Louvain (6).
Après avoir rappelé en quelques pages la vie de Taine, M. Nève
expose l'œuvre du philosophe, la divisant en deux parties générales :
I. les Causes; IL les Normes. Les Causes — l'auteur n'explique pas le
sens de ce titre — comprennent la Métaphysique (ch. ii), la Cosmolo-
gie (m), la Sociologie (iv), la Psychologie (v),la Sociologie spéciale (vi),
l'Esthétique (^'n)- Les Normes, ce sont : la Morale (vm), la Logique (ix),
la Politique (x), l'Idéal dans l'Art (xi). L'auteur justifie la distinction
de cette seconde partie, que semblerait exclure le déterminisme de Taine,
1. Leihnizens Lehre von der Eôrperwelt als KernpunJct des Systems. —
Arch. f. Gesch. der Fhil, XXI B., H. L, oct. 1907, p. 1 et H. 2, janv. 1908,
p. 145.
2. Paris, Delagrave; in- 16, 211 pages.
3. Koynmentar zu I. Kants Kritik der reinen Vernunft. — Leipzig, Dùrr,
1907; in-16, IX-233 pages.
4. Eants Théorie der Erfahrung. Berlin, 2 Aufl. 1885.
5. Berlin, Reuther et Reicliard, 1907; in 8«, XII 137 pages.
6. La philosophie de Taine. Essai critique. — Louvain, histitut sup<'>-
rieur do Philosophie; Paris, Lecoffre; Bruxelles, Dewit, in 12, XVI 351 pages.
BULLETIN d'histoire DE LA PHILOSOPHIE 777
en remarquant avec raison que le déterminisme, malgré qu'il en explique
l'influence à sa manière, admet l'existence de normes dans la vie
humaine, — et que Taine ne sut pas « maintenir jusqu'au bout et dans
ses dernières conséquences » la rigidité de ses principes.
Taine eut une métaphysique. C'est là ce que révèlent surtout sa
correspondance et les fragments publiés avec elle. De ses ouvrages,
comme les Philosophes classiques ou VHisloire de la littérature anglaise,
on pouvait conclure avec M. Barzellotti, que Taine admettait la possibi-
lité d'une métaphysique. Nous savons maintenant qu'il a été plus loin :
(' il en a lui-même tracé les grandes lignes ». En effet, « la question de
savoir s'il n'existe qu'un seul être ou plusieurs êtres, est manifestement
un problème de métaphysique. Or à cette question, Taine a répondu
et très catégoriquement. Selon lui il n'existe qu'un seul être, la nature :
tous les êtres en sont les membres, leurs actions en sont la vie : la
pluralité des choses n'est qu'apparente, elles sont un aspect particulier,
individualisé du tout infini et parfait. En dehors de celui-ci, rien n'existe,
et tout ce qui existe est une de ses parties, un de ses attributs ou un
de ses actes. » p. 41. — « La nature est Dieu, écrit Taine, le vrai
Dieu, parce qu'elle est parfaitement belle, éternellement vivante, abso-
lument une et nécessaire... elle est le tout infini et parfait. » —
« 11 n'existe donc qu'un seul être, ayant la plénitude de l'Être. Et
comme d'autre part, « l'absolu est à la fois essence et manifestation »,
ce Dieu se manifeste nécessairement. Cette manifestation revêt deux
formes, selon qu'elle s'opère par un acte immédiat et par un acte pro-
gressif. La première manifestation, c'est Dieu ou l'Être manifesté
immédiatement ; la seconde manifestation, c'est le monde ou l'Être
manifesté progressivement... » pp. 43, 44. Taine ne fera que préciser
ce panthéisme de la vingtième année, lorsqu'il dira plus tard de la
nature : « elle est une pure loi abstraite qui, se développant en lois subor-
données, aboutit sur tous les points de l'étendue et de la durée à réclu-
sion incessante des individus et au flux inépuisable des événements. »
{De V Intelligence. Préf. p. 10).
Les quelques principes de cosmologie que l'on rencontre dans les
œuvres de Taine, sont par suite en connexion intime avec sa métaphy-
sique. Voici à quoi ils se réduisent : « il n'y a rien de réel dans les
corps que leurs mouvements ; ces mouvements sont des sensations
rudimentaires, des qualités, c'est-à-dire des faits constitutifs de faits
plus complexes dont ils sont l'essence et la cause. » p. 77.
M. Nève montre bien l'influence de cette conception fondamentale
sur les théories sociologiques, psychologiques et esthétiques de Taine,
qu'il expose d'ailleurs très en détail, et avec beaucoup d'exactitude.
Les mêmes qualités d'historien se retrouvent dans la seconde partie.
L'auteur joint, à son exposé, une critique de la philosophie de Taine.
Bien que cette partie de son ouvrage ne relève pas strictement de l'his-
toire de la philosophie, elle montre, comme toute critique, et mieux
qu'une simple reproduction des textes, jusqu'oïl M. Nève a su pénétrer la
pensée de Taine. Et cette remarque est de notre part un éloge... au
moins pour l'ensemble des appréciations qu'il porte, car il est un point
sur lequel il m'a paru moins heureux. C'est au ch. ii, p. 57, lorsque
778 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
M. Nève, examinant l'argument par lequel Taine essaie d'établir
l'existence de Dieu, prétend que son argumentation suppose une concep-
tion quantitative de l'Être. Il est possible que de fait les idées de Taine
fassent alors assez matérielles ; une lettre à Prévost-Paradol, écrite sept
mois plus lard (25 mars 1849) sans le prouver (1\ pourrait le faire soup-
çonner. Mais il sutTit, pour la preuve en question, que la « notion d'être »
ait été pour lui univoque, et non analogue comme pour M. Nève (p. 59),
et que par la plénitude de l'Èlre il ait entendu sa perfection.
A cette critique de détail on en pourrait joindre une autre plus géné-
rale. On a souvent dit qu'il n'y avait pas eu d'évolution dans la pensée
de Taine. M. Nève se fait l'écho de ce jugement, vrai, croyons-nous
aussi, pour une grande part. Mais ne le prend il pas trop à la lettre ?
N'v a-t-il pas quelque différence entre le disciple fervent de Spinoza à
l'École normale et l'empiriste qui s'extasiait devant le « petit fait » bien
observé? Taine aurait-il écrit au moment où il pubViâil ïlnlelligence,
ce plan de travail du mois d'aoïît 1849, où nous lisons ceci : « Remar-
quez que ces lois de la raison, nous les trouvons aussi à priori. Car
nous les tirons du concept de la Pensée considérée en soi. En d'autres
termes nous disons que concevoir la Pensée, c'est concevoir qu'elle a
telles et telles lois, c'est-à-dire tels et tels modes d'action. La raison se
concevant elle-même, nous donne ses propres lois. Ce n'est donc pas
un moi qui écrit ce travail, c'est la Pensée » (2) ? Non évidemment,
puisqu'il disait lui-même de ces lignes trois mois plus tard : « Ceci est de
l'idéalisme pur, je n'avais pas encore fait la distinction entre percevoir
et concevoir ». (3) M. Nève n'a donc pas tiré tout le parti possible des
documents si précieux qu'il avait en main ; il n'a pas suivi d'assez près
— de l'intérieur — la vie intellectuelle de Taine ; de même il n'a fait
qu'indiquer en terminant (ch. xii) les influences subies par lui, sans
pousser plus loin l'analyse, ce qui peut-être était possible pour Spinoza,
Hegel, Condillac, Mill, A. Comte.
Aussi bien, nous allions l'oublier, M. Nève avait-il un autre but:
« opérer la synthèse des idées (de Taine), en glanant les éléments dans
l'œuvre intégrale. » (p. xiii). Il y a réussi sans aucun doute.
Kain. M.-D. Roland-Gosseltn, 0. P.
1. IL Taine. Sa vie et sa Correspondance, Paris, Hachette, t. I, 1902, p.
63. — Taine, parlant de la iiériode matérialiste par où doivent passer
les philosophes, dit à son anii : « C'est là où tu en es, où j'en étais
il y a dix-huit mois... »
2. Ibid., Appendices, p. 348.
3. Ibid., p. 115.
Bulletin d'Apologétique
I
LE PROBLÈME DE LA FOI ET L'APOLOGÉTIQUE
Le R. P. Allô, 0. P., a réuni en volume sous le titre : Foi et Sijs-
lèmes (1), les articles très remarqués qu'il avait publiés sur les princi-
pales questions religieuses agitées en ces dernières années. Dans la
préface, l'auteur montre que la distinction des méthodes est nécessaire,
pour assurer aux travaux de critique religieuse des résultats durables.
La méthode historique, incapable sans doute de dire le dernier mot
en quoi que ce soit, doit demeurer indépendante dans son champ
propre et modeste, des philosophies trop systématisées. Elle ne peut
prétendre qu'à établir, en se basant sur les constatations documentaires
et les lois empiriquement connues du témoignage humain, un certain
nombre de phénomènes concomitants ou successifs. Des disciplines
plus hautes interviennent pour nous dicter un choix entre les diverses
conjectures possibles en présence des phénomènes constatés, mais la
reconstruction à laquelle on arrive ainsi, n'est pas une conclusion de la
méthode historique, mais une conclusion philosophique.
Voici un bref résumé des pénétrantes études qui suivent.
Ch. I. La peur de la Vérité. — Certains malentendus divisent les
catholiques dirigeants, qu'ils soient ou non des hommes d'étude, à
cause des préoccupations exagérées d'un avenir trop immédiat, les-
quelles inspirent parfois une certaine peur des vérités non encore vul-
garisées, à ceux qui ne voient pas tout de suite les moyens de les
utiliser, La solution de ce conflit est avant tout morale, elle consiste à
pratiquer une mutuelle tolérance, et à reconnaître la légitimité et la
nécessité de la division du travail. Que le savant laisse le prédicateur
prêcher et celui-ci le penseur penser et le critique critiquer, et surtout
que les unset lés autres se souviennent que leur manière de voir n'é-
puise pas toute la vérité.
Ch. II. Penser pour vivre. — Selon M. Laberthonnière, 1' « Idéa-
lisme grec » s'oppose au n Réalisme chrétien. » Cette antithèse est
forcée. Assurément, le sens de la vie humaine s'est transformé par le
Christ, mais il n'y a pas eu substitution. L'idéal grec était vraiment
humain dans son idée foncière et ses grandes lignes. Le Christianisme
l'a adopté en l'élevant et en l'étendant. Au lieu de la contemplation
passagère et abstraite du divin, réservée aux seuls métaphysiciens, il
1. Paris, Bloud, 1908.
780 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
a proposé à tous les hommes la contemplation amoureuse et éternelle
de Dieu dans son essence.
Ch. 111. Exlrinsécisme et Historicisme. — L'Extrinsécisme consiste,
soit dans une étroitesse de logicien méfiant qui compromet une mé-
thode d'ailleurs excellente, soit dans un défaut de critique dans le choix
desfaitsquecettemethodeutilise.il faut compléter la démonstration
par le miracle et la prophétie, à l'aide d'arguments moins universels
mais scientifiques : état présent de l'Église, preuves psychologiques,
morales, sociologiques. L'Historicisme qui prétend reconstituer le passé
à l'aide des seuls documents, n'existe pas comme doctrine abstraite et
explicite, mais il se retrouve, à l'état inconscient et inavoué, chez bon
nombre d'esprits qui, en fait de science religieuse, ne croient qu'au
positivisme. Ces deux tendances d'esprit ne sont pas sans danger pour
la foi,
Ch. IV. A la recherche d'une dr finition du dogme. — 1° Les dogmes
sont des propositions, soit purement spéculatives, soit en rapport direct
avec l'histoire, que l'autorité doctrinale impose à la foi des chrétiens,
comme exprimant des vérités dont l'objectivité est requise, pour la
permanence et le développement de la vie spirituelle apportée par le
Christ sur la terre. 2° Ces propositions, si elles expriment des faits du
monde visible (conception virginale, résurrection) sont à prendre au
pied de la lettre, non pas toujours suivant le sens technique et secondaire,
mais suivant le sens obvie et primitif des termes. Si elles expriment
des faits de l'éternité ou du monde invisible, elles ont un sens intel-
lectuel, positif, mais obscur, parce qu'il n'est qu'analogue, non uni-
voque, au sens courant de ces mêmes termes.
Ch. V. Trois conceptions philosophiques du Dogme chrétien. — L'A-
nalogisme, cette conception philosophique du dogme, qui s'oppose à
toutes les formes du symbolisme, n'est pas seulement une conception
traditionnelle entre toutes, mais elle est la plus favorable au progrès
historique et critique, en même temps qu'elle sauvegarde le mieux
l'objectivité du dogme.
Ch. \ I. Germe et Ferment. — Le christianisme s'est développé au
point de vue du dogme par la précision que les circonstances ont
apportée au cours des siècles à la doctrine du Christ. Il y a eu évolu-
tion dans la société sous l'influence dii christianisme ; il y a eu progrès
en extension. En ce sens, l'Évangile est un germe qui est devenu arbre,
mais, comme connaissance religieuse, la doctrine chrétienne n'est pas
un germe parce qu'elle n'a pas évolué, et qu'elle existait déjà pleinement
en acte, dans l'âme des premiers prédicateurs de notre foi.
Ch. VII. Y a-t-il un catholicisme ésoterique? — H n'y a pas d'ésoté-
risme ni d'exotérisme dans la religion catholique. Il n'y a que des
catholiques plus ou moins complets et plus ou moins conséquents. Les
représentations mentales de l'idéal unique sont chez les uns plus
frustes, chez les autres plus affinées ; mais la doctrine est invariable
comme l'objet.
L'ouvrage du P. Allô se recommande à l'attention de tous les apolo-
gistes, par la profondeur et l'originalité de la pensée, la richesse de l'in-
formation, le souci perpétuel de se maintenir dans un juste milieu
BULLETIN d'apologétique 781
doctrinal qui soit celui de la vérité. De plus, la parfaite loyauté de
l'auteur, la façon très vivante dont il développe ses idées, son atti-
tude pleine de justice et de charité envers l'adversaire, rendent ce livre
accessible et sympathique à tous les esprils. Nous croyons cependant
que la pensée du P. Âllo eût parfois gagné en clarté et en précision,
si elle avait été plus dégagée de son enveloppe concrète et sensible, ou
de certaines expressions équivoques dans la manière de reconnaître la
part de vérité que renferment les systèmes qu'il critique. M'eùl-il pas
été bon, par exemple, tout en admettant que les formules dogmatiques
doivent s'inberpréter suivant leur acception courante (Ch. II), de montrer
que le sens commun professe une ontologie rudimentaire, et que par
suite, les philosoptiies qui ne respectent pas cette métaphysique primi-
tive de l'intelligence humaine, sont incompatibles avec le dogme ? On
rencontre également, au Ch. VI^ (Germe et Ferment), certaines asser-
tions qui, prises au pied delà lettre, pourraient s'interpréter dans un
sens pragmatiste.Etce n'est pas, certainement, celui que l'auteur a voulu
leur donner.
Nous avons résumé dans notre précédent Bulletin, l'analyse si appro-
fondie du R. P. Gardeil sur la crédibilité (1). Son article Cn-dibilité du
Dictionnaire de Théologie (2), la reproduit dans ses traits essentiels, en
y ajoutant toutefois l'histoire de cette notion au cours des siècles. Ce
nouveau travail, très documenté, forme un répertoire des plus utiles à
consulter, pour ceux qui désirent connaître les différentes manières dont
on concevait l'Apologétique à travers les âges. Après avoir énuniéré les
principaux textes de l'ancien et du nouveau Testament relatifs à la cré-
dibilité, l'auteur l'étudié chez les Pères Grecs et Latins. « Les saints
Pères, sauf de rares exceptions, écrit-il, n'ont pas traité ex-professo et
d'une manière abstraite, de la crédibilité rationnelle. C'est principale-
ment de leurs apologétiques, de leurs sermons, de leurs Commentaires
sur l'Écriture sainte que l'on peut en extraire la notion. On ne la trouve
guère développée qu'en fonction des motifs de crédibilité, spécialement
des miracles et des prophéties » (3). Le P. Gardeil justifie cette asser-
tion à l'aide de textes nombreux et bien choisis ; on voit par là que
l'Apologétique du miracle et de la prophétie, sans être la seule possible
ou la seule complète, est tout à fait dans l'esprit de la tradition. Le
P. Gardeil classe les doctrines scolastiques sur la crédibilité en quatre
groupes: 1" d'Abélard à Guillaume d'Auvergne 1120-1230. 2° de Guil-
laume d'Auvergne à Capréolus 1230-1450. 3° de Capréolus aux Salman-
ticenses 1444-1679. 4° fin du XVII», XVIll^ et XIX^ siècles. « Le prin-
cipal apport de saint Thomas à la théologie traditionelle, remarque
avec raison le P. Gardeil, est la précision avec laquelle il distingue
l'ordre naturel et l'ordre surnaturel... La doctrine de la puissance obé-
dientielle en sortit .. Dans la question des rapports de la raison et de
la foi, cette limite supérieure des forces rationnelles fut l'établissement
de la crédibilité rationnelle du dogme révélé » (4). Toutefois, l'élabora-
1. Rev. des Se. Ph. et Th., 1907, p. 759 et ssq.
2. Fasc. XXIV et XXV.
3. Col. 22.S9.
4. Col. 2270 et 2271.
782 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
tion de la notion de crédibilité suit chez saint Thomas une marche
ascendante, le P. Gardeil en marque avec netteté les différentes étapes ;
elles vont du Commentaire sur les Sentences, au texte célèbre et clas-
sique de la Somme théologique (IP W" Q. I. Â. 4. ad S""). « £n quae suh-
sunt fidei possunt dupliciter considerari. Uno modo in speciali et sic ?Jon
possunt esse simul visa et crédita. Alio modo in generali^ scilicet sub
communi ratione credibilis, et sic siinl visa ab eo qui crédit. Non enim
crederel^ nisi videret ea esse credenda, vel propter evidentiam signorum,
vel propter aliquid hujusmodi », La notion de crédibilité chez les
grands Commentateurs de saint Thomas, Capréolus, Cajetan, Tolet,
Suarez, Jean de Saint-Thomas... etc., se trouve exposée avec toute
l'ampleur désirable, on peut ainsi en comparant entre elles leurs théo-
ries, saisir leurs différentes conceptions sur l'acte de foi. L'article se
termine par un rapide aperçu sur l'état moderne de la question en
Allemagne, en Angleterre et en France.
L'article pénétrant de M. Mallet : L'unité complexe du problème de
la foi (1), est une réponse aux diverses critiques dont son étude sur la
science et la foi (2) avait été l'objet. C'est, remarque-t-il, sur le rùle de
la volonté dans la foi, que porte principalement le débat. Le plus
grave tort de ses critiques est de donner comme explication cela même
qui est à expliquer. C'est méconnaître le problème soulevé par l'étude
du consentement, que de considérer exclusivement ce qui, dans la
volonté, ne fait que commander à l'entendement, et de plus c'est rendre
l'intervention de la volonté irrationnelle et arbitraire. De ce que l'assen-
timent est inhérent à l'intelligence, il n'en résulte pas que la volonté
ne puisse être essentielle à l'assentiment, et qu'elle lui reste totalement
étrangère. Ce n'est jamais sans le désir d'une vie plus pure que l'incré-
dule arrive à la foi, ce n'est jamais sans une volonté droite et honnête
que la foi s'établit ou se rétablit dans une âme. Il ne suffit pas pour
avoir la foi, d'étudier des arguments et des témoignages, mais il est
essentiel de se mettre, par un exercice normal de la volonté, en état
de les trouver bons, et de s'ouvrir par la prière, au secours qui seul
aide l'incrédulité et engendre la foi. L'important est de montrer com-
ment dans la foi, l'intelligence, la volonté, et la grâce se combinent
pour ne former qu'un acte unique et homogène. La volonté présuppose
l'intelligence, mais elle contribue à la rendre plus éclairante et plus péné-
trante, la grâce à son tour, qui échappe, comme phénomène surnaturel,
aux prises de la conscience, produit cependant des effets psycholo-
giques susceptibles d'être notés, par exemple l'inquiétude salutaire.
Assurément, toutes les obscurités inhérentes au problème de la foi
concrète ne sont pas dissipées, mais M. Mallet a le grand mérite d'avoir
approfondi une question, que tant d'autres se contentent de résoudre,
à l'aide de formules trop claires pour s'adapter à la complexité du
réel.
Dans une série d'études, sérieusement documentées, et fortement
pensées, M. Harent a recherché les raisons et les influences qui ont pu
1. Bévue du Clergé français, 1er fé\T. 1908.
2. Ihid., 1er et 15 août 1906.
BULLETIN d'apologétique 783
amener certains catholiques à la théorie de la foi intuitive et expérimen-
tale (1). C'est d'abord l'exclusivisme de la philosophie nouvelle afTir-
mant que, seules, l'expérience et l'intuition sont sources de connaissance
et de certitude ; mais à moins de détruire les sciences historiques et
une partie des autres, il faut renoncer à cette idée fondamentale de
Kant, que la valeur de la connaissance lient à l'expérience de son objet.
Car la connaissance peut avoir une vraie valeur objective, et pourtant
elle est irréductible à l'expérience. Il ne faut donc pas exclure de la
science toute conclusion dont l'objet sort des limites de l'expérience
humaine. Il y a ensuite l'influence d'une fausse théologie luthérienne.
C'est au protestantisme libéral que les catholiques modernistes
empruntent leur théorie fondamentale sur la foi : sentiment, expérience,
intuition confuse de V Inconnaissable ; sur l'Écriture : recueil d'expé-
riences religieuses destiné à en susciter de nouvelles ; sur les dogmes:
purs moyens destinés à provoquer le sentiment religieux et sans valeur
dès qu'ils ne peuvent plus remplir cette fonction. De plus, assigner à
la foi pour objet, comme le font les modernistes, une réalité inconnais-
sable, c'est favoriser le panthéisme. Pour une première catégorie de
modernistes, l'expérience du divin est un fait normal, ordinaire, une
manière facile de connaître l'existence de Dieu, directement, sans passer
par le circuit des preuves classiques, dont ils nient la valeur. C'est le
sentiment qui est à la base de cette nouvelle manière de connaître Dieu.
Or, l'acte de foi, que demande le christianisme, diff"ère essentiellement
de la connaissance naturelle de Dieu. Pour une seconde catégorie de
modernistes, la révélation, phénomène anormal, d'une intensité extra-
ordinaire, est nécessaire à la foi chrétienne. Or, la révélation ne se
fait pas immédiatement à chaque fidèle. La pia cogilatio ne saurait
s'identifier avec la révélation, car elle ne tombe pas sous la conscience.
La théorie moderniste conduit à l'illuminisme et les divers éléments de
la synthèse moderniste élaborée par M. Tyrrell sont contradictoires. En
effet, l'expression de l'expérience religieuse est regardée comme une
traduction tout humaine et faillible, et elle est cependant couverte par
l'autorité divine ; l'expérience est proclamée à la fois autonome et assu-
jettie à l'expérience d'un autre ; on prône l'évolution, et on déclare que
la révélation ne peut faire aucun progrès; on assure que l'avenir ne
dépassera jamais les expériences apostoliques, mais on ne donne aucun
fondement de cette assurance.
La révélation est un ensemble d'affirmations garanties par l'autorité
du témoignage divin. Les modernistes, à la suite du protestantisme
libéral, vident complètement la révélation de son contenu doctrinal. Le
dogme n'est plus qu'une invention humaine surajoutée à la révélation.
Dans le Nouveau Testament, la révélation apparaît comme une doctrine.
Don surnaturel, témoignage de Dieu, témoignage communiqué à
d'autres personnes, voilà les traits distinctifs qui prouvent que la révé-
lation est extérieure. Cependant, la révélation suppose, dans notre
esprit, un désir de la recevoir. En face de la révélation, l'homme est
passif et actif à la fois.
1. Expérience et Foi. Études, 20 net. 1907. o ot 20 avril. IHOS.
784 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Signalons du même auteur Tarlicle : Croyance dans le Dictionnaire
de Théologie (1), il renferme des notions qui intéressent au plus haut
point l'Apologétique. Définition. C'est un état d'esprit qui n'est plus
mêlé de doute et par là diffère spécifiquement de l'opinion, et qui
d'autre part, reste croyance distincte de la science, malgré la fermeté de
sa conviction. Cette définition tient le milieu entre le sens très large
(affirmation et jugement) et le sens très restreint (croyance au témoi-
gnage). Objet : vérités connues par le témoignage, vérités morales et
religieuses, vérités de sens commun, exactitude de notre souvenir,
prévision de l'avenir. Causes : 1° L'habitude et l'association des idées.
"2° Le penchant naturel à la certitude. 3*^ Les motifs intellectuels. 4° L'i-
gnorance des difficultés, o" L'imagination et l'action. G° Le sentiment.
7° L'influence d'autrui. 8^ La volonté libre. Critique de la valeur des
croyances. La croyance est illégitime, lorsque la volonté, malgré la
conscience de l'insuffisance du motif, tend par un coup de force à
supprimer le doute prudent et arrive à obtenir une certitude d'entête-
ment. La croyance est légitime, lorsque la certitude d'adhésion est
obtenue sans imprudence ; on n'est pas assez éclairé pour découvrir la
médiocrité du motif, celui-ci se trouve ainsi pourvu d'une suffisance
relative. Quelquefois cependant, le motif intellectuel a une .suffisance
absolue, dans ce cas la volonté doit intervenir pour chasser les doutes
imprudents et déraisonnables. L'intervention delà volonté est légitime.
Il suit de là qu'exiger l'évidence au sens strict, celle qui rend le doute
absolument impossible, est arbitraire autant que dangereux, /iô le pro-
videntiel 'de la croyance. Grâce à la croyance, l'éducation, l'action, l'ex-
tension de la vérité à tous, sont possibles. Elle joue également un rôle
social important et elle devient l'épreuve de notre liberté.
Il faut louer l'auteur, de la précision qu'il a apportée dans une matière
si difficile, et des vues suggestives que renferme son travail. Il ne nous
semble pas cependant avoir assez mis en lumière le pourquoi de
l'intervention de la volonté dans la croyance. Selon M. Harent, elle ne
se produirait que pour chasser une doute. Pour saint Thomas, la
volonté, alors même qu'il n'y aurait pas de doute à réprimer, n'en a
pas moins son rôle à remplir, car son intervention est nécessitée
premièrement et directement par l'insuffisance objective de la proposi-
tion à mouvoir l'esprit. « Quandoque Dero intellectus determinatur ad
altérant partem conlradictionis per voluntatem, quae eligit assenliri uni
parti determmate et précise propter aliquid quod est sufficiens ad moven-
dum voluntatem, non auteni ad movendum intellertum, utpole quod vide-
lur honum vel conveniens huic parti assenlire-» (Q. disp. De Veritate. Q.
XIV.arLl). C'est cette raison de bien (attrait ou devoir) qui est le moteur
spécifique de la volonté dans tout acte de foi.
Dans sa thèse de doctorat présentée à la faculté de théologie de Lyon,
M. Catherinet a spécialement étudié ce rôle de la volonté dans l'acte
de foi {1). Il y a dans ce travail, de sérieuses qualités d'infoimation, de
1. Fasc. XXV.
2. Le rôle de la volonté dans l'acte de foi, Iinp. de l'École profess. de
Sacuny-Brignais, 1908.
BULLETIN d'apologétique 785
lucidité, de sûreté d'analyse. L'auteur détermine d'abord l'influence de
la volonté dans le jugennent de crédibilité. Le jugement sur l'autorité
de Dieu étant de même nature que le jugement sur l'existence de Dieu,
la volonté y intervient pour fixer l'attention et refouler les doutes
imprudents, mais elle ne peut remplir ce rùle que si elle aime la vérité.
La volonté intervient dans la connaissance de l'existence des critères
externes qui établissent le fait de la révélation, soit parce que la certitude
historique de l'existence de ces critères suppose une certaine connais-
sance du vrai Dieu, soit parce que la certitude historique ne donne
qu'une évidence extrinsèque. La première condition requise pour
connaître l'obligation de l'acte de foi est la bonne intention, c'est-à-dire
l'orientation de l'âme vers Dieu. Les motifs qui font de l'acte de foi un
moyen obligatoire pour arriver à Dieu, sont d'abord un motif extrin-
sèque : le précepte divin, puis un motif intrinsèque qui n'est ni l'espé-
rance, ni l'amour, ni à proprement parler l'obligation que nous avons
de connaître la vérité, mais l'autorité de Dieu, Vérité infinie et Souve-
rain Maître. L'acte de foi est libre, parce qu'il est essentiellement un
assentiment donné de confiance, et que la confiance en Dieu, si bien
justifiée qu'elle soit, ne s'impose pas à la volonté comme un bien sans
mélange. M. Catherinet termine sa thèse par l'analyse de la certitude
de l'acte de foi. Sans la connaissance certaine de l'autorité de Dieu et
du fait de la révélation, l'acte de foi serait impossible. Croire, c'est
mettre en valeur ce motif formel ; la certitude de la foi se mesure non
pas sur la valeur des titres qui établissent le fait de la révélation, mais
sur la force objective du motif formel accepté, fécondé, utilisé par notre
coopération surnaturelle. Le motif formel donne la certitude objective ;
l'intervention de la volonté met l'intelligence dans l'état de certitude
subjective.
La question du rapport de la nature et du surnaturel est des plus
importantes en Apologétique ; il faut donc savoir gré à M. Ligeard, de
nous avoir exposé, d'une manière si complète et si vivante, la doctrine
que les théologiens scolastiques, depuis le XIII* jusqu'au XYIIP siècle,
ont professée sur ce sujet délicat (1). M. Ligeard nous donne d'abord la
théorie de l'école Thomiste. La doctrine de Suarez se dislingue de celle
de saint Thomas. Pour saint Thomas, la puissance obédientielle est une
puissance purement passive, qui sert de sujet récepteur à l'activité
surnaturelle. Pour Suarez, la puissance obédientielle est une puissance
active, mais qui exige pour agir le concours divin ; la grâce n'est
qu'une transformation de l'activité et de l'énergie potentielle du sujet.
M. Ligeard écrit que la doctrine Suarésienne fut presque universelle-
ment adoptée dans l'école Thomiste, et parmi les tenants de cette opi-
nion il range Billuart. Sur ce point, l'érudition de M. Ligeard est en
défaut, car Billuart rejette formellement la thèse de Suarez sur la
puissance obédientielle active, il lui reproche d'être contradictoire et
de ruiner l'ordre de la grâce (2). Selon la théorie thomiste, poursuit
1. Le rapport de la nature et du, surnaturel, d'après les théologiens scolas-
tiqurs du XI11<^ au XVJII^ siècle. Revue pratique d' Apologétique, 15 janv.,
le' fév., 1er et 15 mars 1908.
2. Billuart. Thcol. dog., t. I. Diss. IV. Art. V, § .3, p. 121 et ssq.
9e édit, 1852.
786 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
M. Ligeard, et quelles que soient les divergences des explications sur le
désir naturel du surnaturel, le surnaturel demeure le terme idéal auquel
peut aboutir l'activité humaine ; le don gratuit qui lui en est fait, met
ainsi le comble à tous ses désirs. La relation unissant la nature au
surnaturel, n'est qu'un pur rapport d'harmonie et de convenance, à
aucun titre elle ne crée dans la nature un droit strict au surnaturel.
L'école Scotiste fait du surnaturel une entité créée et extérieure à la
nature, elle admet cependant qu'elle est portée vers le surnaturel par
un appétit inné, mais inefficace. D'après l'école augustinienne (Noris,
Belleli, Berti), l'état de nature pure est impossible, non pas sans doute
absolument et pris en lui-même du point de vue de la toute-puissance
divine, mais du point de vue de la convenance morale, en tant qu'il
s'harmonise moins à l'infinie bonté de Dieu, à sa justice, à sa sagesse.
M. Ligeard indique, en terminant, l'utilisation apologétique de la théorie
scolastique. Loin de considérer la vie et la vérité surnaturelle comme
venant se juxtaposer brutalement à la nature, sans avoir avec elle
aucun point commun, les grands docteurs se sont efforcés de montrer
comment elle est le terme même de son activité et répond à toutes ses
aspirations. La théologie scolastique satisfait donc dans une mesure
légitime aux exigences que formule la philosophie moderne, au nom
du principe d'immanence.
La nouvelle édition de l'ouvrage de M. Bainvel : « La Foi et Vacte de
Foi » (1) diffère peu de la précédente, l'auteur estimant que les travaux
parus depuis n'ont pas notablement éclairci la question (2). « Je n'ai
donc, conclut le savant théologien, presque rien changé au corps du
livre. Quelques corrections de style, quelques explications plus précises,
quelques lignes pour remettre en mémoire des opinions que je suppose
connues et auxquelles je fais allusion en passant: c'est tout. Mais j'ai
ajouté deux appendices. L'un donne les textes du Concile du Vatican
sur la foi ; l'autre est un recueil des textes de saint Thomas qui ont paru
les plus intéressants sur la question » (3). Nous recommandons vive-
ment le livre de M. Bainvel à ceux qui désirent un exposé exact de la
théorie traditionnelle sur l'acte de foi. L'extrême précision de l'auteur,
la fermeté de sa logique, sa connaissance approfondie de la théologie,
montrent sous un jour particulièrement lumineux, comment la concep-
tion classique de la Foi a toujours su garder la via média, entre le
fidéisme et l'intellectualisme exagéré.
II
LES MOTIFS DE CRÉBIDILITÉ.
M. TouzARD a donné dix conférences à l'Institut catholique de Paris,
sur la valeur apologétique de l'argument prophétique. On en trouvera
1. Paris, Lethielleux, 1908.
2. L'auteur excepte l'ouvrage du R. P. Gardeil : La Crédibilité et l'Apo-
logétique.
3. Préf. de la 2" -dit., p. 8.
BULLETIN d'apologétique 787
une partie dans la Revue pratique (V Apologétique, mais nous attendons
pour les analyser que l'ouvrage entier ait paru. La compétence de
l'auteur et l'importance de la question font désirer que cette publication
ne larde pas.
Nous avons parlé dans notre précédent Bulletin (1) des deux premières
études que M. Maiso^jneuve a consacrées à la réfutation de la théorie de
M. Le Roy sur le miracle. Dans la dernière (2), le savant professeur de
Toulouse montre fort bien que M. Le Roy confond la cause formelle
et la cause finale du miracle. L'idéalisme de M. Le Roy s'appuie sur les
théories du morcelage, du déterminisme conventionnel, du subjectivisme
des sensations ; mais aucune de ces théories n'est fondée. Le miracle
n'est pas le produit de la foi, l'aflirmer, c'est détruire les bases mêmes
de la foi. C'est l'aspect préternaturel d'un fait qui détermine la conviction
de ceux qui en sont témoins.
D'après le R.P. Mercier, O.P., le miracle serait un phénomène surna-
turel (3). Le miracle est l'œuvre de Dieu, mais de Dieu se rapprochant
librement de l'humanité, se mêlant aux choses humaines. Il implique
nécessairement un certain anthropomorphisme de Dieu. C'est Dieu
descendant au niveau de l'homme, s'identifiant par mode d'union avec
les diverses causes dont l'influence se fait sentir dans l'existence
humaine. A cette thèse du miracle phénomène surnaturel, nous préfé-
rons celle que M. Lefebvre a défendue dans la Revue du Clergé français
(4), et où il montre que le miracle est une œuvre opérée d'une manière
surnaturelle, sans être pour cela une œuvre surnaturelle. La manière
dont la cause agit et dont l'effet est produit par cette cause ne peut
aucunement servir à qualifier cet effet. La santé, la vue, l'ouïe recou-
vrées miraculeusement, ne diffèrent en rien de ce qu'elles sont, lors-
qu'elles sont le fait de la nature. On ne retrouve pas davantage dans le
miracle la définition des entités surnaturelles, comme la grâce, la foi,
l'espérance, la charité. Nous ferons également remarquer, que le miracle
aurait très bien pu se produire dans ce que les théologiens appellent
l'état de nature pure « Nihil repugnaret in natura pura, écrit Van
Weddingen dans son excellente thèse sur le miracle, si Deus ad hominis
oralionem, sanitatem ei per miraculum reddidisset » (5). Aussi bien,
refusait-il de voir dans le miracle une entité surnaturelle.
M. le Docteur Baraduc, par une application de sa théorie du fluide
vital, prétend nous donner les conditions physiques et naturelles du
miracle (6). Il croit avoir photographié ce fluide supra-humain au pèle-
rinage des malades à Lourdes (15 août 1906). Un des clichés, écrit-il
avec une tranquille assurance, « a été pris au moment du miracle de
Fanny Combes ; il représente un ruban fulgurant. Les autres ont été pris
1. Eevue des Sciences Phil. et Théol., oct. 1907, p. 771.
2. La notion du miracle. Eevue du Clergé français, 1er d.éc. 1907.
3. Revue Thomiste, sept.-Oct. 1907.
4. La notion du surnaturel, 1er juia 1907.
5. De Miraculo, p. 212. Louvain, 1869.
6. La Force curatrice à Lourdes et la Psychologie du miracle. Paris, Blond,
1907.
788 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
dans la piscine et ont une apparence toute difTérenle, si bien que ces
eaux autour desquelles on a fait tant de bruit en les comparant à des
bains de boue, à des cultures de microbes, sont couvertes d'un dyna-
misme intensif d'aspect fantômal, facteur de cure ». Et l'auteur conclut
triomphalement que ces clichés sont « la démonstration d'une force ».
II est permis de sourire de cet optimisme, alors que de nombreuses
expériences faites par des savants de marque, ont réalisé les mêmes
clichés, par de simples procédés chimiques et sans la moindre inter-
A'ention de fluide vital, mais ce qu'il y a de particulièrement réjouissant
dans l'opuscule en question, est l'explication détaillée que donne M. le
docteur Baraduc, sur le mode d'action de cette force. L'atmosphère de
piété de la foule représente une bobine d'induction qui suscite la force
curatrice, a La force qui va agir, est représentée par la tige sur laquelle
s'enroulent les fils qui vont produire, par induction, le courant électrique
curateur. Ce dynamisme momentanémentcréé, cause, entre les potentia-
lités humaines et sidérales, des effluves, des décharges qui atteignent
tel ou tel malade et produisent des effets que l'on peut diviser en trois
catégories : phénomène curateur physique, phénomène curateur physio-
logique, phénomène curateur psychologique. Tout gît dans la valeur de
la force induite et de la résistance qu'elle a à vaincre; c'est elle qui pro-
duit le phénomène, mais c'est l'atmosphère vibrante de piété clamée à
haute voix qui attire la force productrice du phénomène ». Celte citation
suflît à faire juger de la valeur scientifique de l'ouvrage.
La théorie de M. Jules Bois (1) se distingue nettement de celle du
docteur Baraduc. Selon lui, le miracle n'est pas le produit d'un agent
extérieur, il a une cause purement interne, tout se passe en nous et
par nous. C'est la thèse du subconscient appliquée au cas du miracle.
M. Bois admet la réalité des faits psychiques dits prodigieux : télépathie,
clairvoyance, réponses des tables, guérison par la volonté, la pensée ou
la foi. Les faits physiques lui paraissent plus douteux, les uns résultent
de simples trucages, comme par exemple les photographies spirites
ou les matérialisations de fantômes, les autres de fraudes parfois incons-
cientes. Mais aucun fait psychique ou physique ne prouve Finlervention
d'une intelligence distincte de la nôtre. Tout vient du médium. Jamais
aucun y esprit » n'a manifesté des connaissances transcendantes au
savoir humain. Pour la même raison, le miracle est une production
humaine. Le miraculé est seule cause du miracle. Les « facultés extra-
ordinaires » des saints ne diff"èrent pas du pouvoir des médiums, et les
miracles de Lourdes sont le produit de la suggestion. Cette branche
nouvelle de la psychologie est la mélapsy chique. La métapsychique
étudie les miracles et s'essaye à lesreproduire ; son but est de remplacer
VAu-delà par VEn-deçà. M. J. Bois est, comme on le sait, un écrivain de
talent, mais les réelles qualités littéraires de son livre ne parviennent
pas à masquer sa fragilité philosophique. Le subconscient est encore
trop peu connu pour être regardé comme une solution adéquate ; il est
aussi mystérieux, sinon plus, que la réalité dont il prétend être l'expli-
1. Le miracle moderne. Paris, Ollendorf, 1907.
BULLETIN d'apologétique 789
cation. M. Michelet, dans une série d'études remarquables résumées ici
même (1), l'a établi avec toute la clarté désirable.
Le récent opuscule de M. le docteur Lavrand (2) forme une excellente
contribution à l'Apologétique du miracle. Il y montre que la suggestion
ne saurait expliquer les miracles de Lourdes. Voici ses principales con-
clusions. La puissance lliérapeiitique de la suggestion, même dans les
maladies nerveuses prises dans le sens de névroses, demeure limitée et
incertaine. Dans les maladies organiques (altérations cellulaires, ulcères,
fractures osseuses. . etc.), elle ne saurait expliquer les réparations rapides
ou soudaines. Or au Bureau des Constatations, les affections nerveuses
sont écartées, on y constate la guérison instantanée de lésions orga-
niques, et les miraculés sont souvent incapables de suggestion. On ne
saurait donc attribuer les miracles de Lourdes à la suggestion.
Ce qui fait ressortir encore plus l'inconsistance de toutes ces hypo-
thèses, est l'étude attentive des phénomènes miraculeux. Celte tâche
est rendue particulièrement facile, grâce à la nouvelle édition de l'ou-
vrage de M. le docteur Boissarie: L'œuvre de Lourdes (3). « C'est le cin-
quième livre que j'écris sur Lourdes, nous dit-il dans l'avant-propos. Je
résume les principales guérisons observées dans ces dernières années;
mais je veux surtout donner une description fidèle du Bureau des
Constatations, avec les épisodes, les incidents de séance, les polémiques
soulevées, les études sur la suggestion... je puis dire que j'ai vécu ce
que je raconte ». Le savant et sympathique docteur retrace d'abord
l'histoire des apparitions, puis réfute à l'aide de nombreux témoignages
médicaux, l'hypothèse d'une Bernadette hallucinée ; mais la partie la
plus intéressante de l'ouvrage est celle qui est consacrée au récit détaillé
des guérisons les plus remarquables opérées à Lourdes pendant les
récents pèlerinages. On en trouve dans les Aialadies les plus diverses et
les plus réfraclaires aux efforts de la science : péritonites tuberculeuses,
coxalgies, cécités, phtisies... etc. La compétence médicale de l'auteur, sa
sereine impartialité font de cet ouvrage un livre indispensable à
consulter, pour ceux qui veulent se documenter sérieusement sur les
miracles de Lourdes.
Les guérisons qui s'y accomplissent continuent d'intéresser vivement
l'opinion ; c'est ainsi que V Histoire critique des événements de Lourdes
par M. G. Bertrin (4), vient d'atteindre sa 19^ édition. Ce fait atteste le
succès persistant et mérité de cet ouvrage. L'auteur s'est appliqué, avec
plus de soin que jamais, à entourer les faits qu'il raconte, de toutes les
garanties possibles d'objectivité; aussi bien, une revue qu'on ne saurait
accuser de partialité en faveur du catholicisme, conclut l'examen du
livre de M. Bertrin par ces paroles qui en sont le plus bel éloge : « La
lecture (de ce livre) entraînera chez tous les esprits non prévenus la
conviction qne tous les faits sont réels » (5). Dans l'interprétation des
1. Cf. H. D. Noble. Bulletin de philosophie. Avril 1908, p. 337 et seq.
2. Lu suggestion et les guérisons de Lourdes. Coll. Science et Religion.
Paris, Bloud, 1908.
3. Paris, Técrui. 1908.
4. Paris, Lecoffre.
5. Annales des Sciences psychiques, déc. 1907.
2e Année. — Revue des Sciences. — N° 4. ji
790 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
faits, M. Bertriû s'efforce d'en montrer le caractère miraculeux, par
l'élimination des causes naturelles ; celles-ci ne peuvent expliquer le
caractère des guérisons opérées à Lourdes. L'argumentation de l'auteur
est remplie d'entrain, elle gagnerait cependant à être approfondie par
une critique philosophique plus rigoureuse. M. Bertrin se contente trop
souvent d'un appel au bon sens, et le bon sens, comme le faisait remar-
quer Descartes, « n'est pas une preuve qui vaille rien pour les choses
un peu malaisées à découvrir » (1), Le chapitre sur les Forces incon-
nues renferme quelques confusions sur l'ontologie du miracle. D'après
M. Bertrin, les lois actuelles ne seraient pas des lois, mais de simples
hypothèses, si des lois nouvelles inconnues pouvaient un jour les
détruire. Or, c'est une loi de la nature, que les désordres produits ne
se réparent pas subitement, donc aucune loi, même inconnue, ne viendra
la contredire. 11 est bien évident qu'une loi, dûment constatée, ne peut
jamais être détruite, mais une autre loi supérieure, naturelle ou surna-
turelle, intervenant, l'etTet de la première loi se trouve seulement
modifié ou suspendu, sa relation permanente de cause à effet subsiste
entièrement. « Lorsque Dieu produit un effet en dehors d'une cause
naturelle, écrit saint Thomas, il ne supprime point l'essentielle relation
de cette cause à son effet propre ; ainsi dans la fournaise, le feu
gardait sa puissance de brûler, quoiqu'il ne brûlât pas les trois
enfants. » {Q. disp. De Fotentia. Q. VI, A. I, Âd 20"".)
L'Église, on le sait, est regardée, et ajuste titre, comme un motif de
crédibilité de première importance. Parmi les travaux qui l'ont étudiée
au point de vue apologétique, il faut d'abord signaler les rapports pré-
sentés au Congrès de Velehrad (2). Le plus remarqué fut celui du R. P.
Urban, s. J. : De iis^ quœ Iheologi calholici prxslare possinl ac deheant
erg a ecclesiamrvssicam. Wîni écouté, nous dit le rapport du Congrès,
« avec l'assentiment général, et soit pour la nouveauté, soit pour l'im-
portance de la matière, accueilli par de chaleureux applaudissements » (3).
En voici les idées fondamentales. On peut en un sens véritable parler
de V Union des Églises, quand il s'agit des Orientaux, car le baptême,
étant la forme première et fondamentale par laquelle le corps de l'É-
glise est établi et persiste dans son être, il s'ensuit que nul homme
baptisé vaUdement ne peut, tant quilvit ici-bas, être totalement privé
de la dignité de membre du corps de l'Église. Comme le disait Solo-
vief, les tentatives d'union ne seront qu'une vaine illusion, tant que l'on
ne reconnaîtra pas l'unité essentielle des Églises orientale et occiden-
tale comme parties du corps du Christ. Les Églises grecque et russe
possèdent, dans une certaine mesure, les propriétés de la véritable
Église ; il ne faut donc pas les nier absolument, mais insister sur ce
1. Cf. A. Bros. Comment constater le miracle. Annales de Philosophie chré-
tienne, juin 1906. I
2. Cf. Rev. des Se. Ph. et Théol, Chronique, oct. 1907, pp. 816 et 817 et
avril 1908, p. 403. Ces divers rapports viennent d'être réunis en brochure.
Acta I. Conventus Velehradensis Theologorum Commercii studiormn inter
Occidcntem et Orientem cupidorum. Prague, Rolilicek et Sievers, 1908.
3. Ibid., p. 5.
BULLETIN d'apologétique 791
fait que l'Église orientale n'a pas tous les éléments de la véritable
Église... défaut qui peut et doit être suppléé par l'union avec le Pontife
romain. La reconnaissance de la primauté du Pape n'est nécessaire au
salut que de nécessité de précepte, une ignorance non coupable excuse
donc ceux qui refusent de s'y soumettre.
M. 0. ZiDEK a étudié la notion de la catholicité dans l'Écriture et la
Tradition (1). D'après le savant auteur, les livres de l'Ancien Testament,
surtout les Psaumes et les Prophètes, montrent le royaume messianique
comme devant s'étendre à toutes les nations et devant durer jusqu'à la
fin des siècles. Pendant les quatre premiers siècles, le sens du mot
« catholique » n'a pas été uniforme. Pourtant, on peut dire qu'il signifie
alors directement l'unité de l'Église du Christ, obtenue par l'identité de
doctrine et l'union hiérarchique ; indirectement : ou bien l'Église dans
sa totalité, ou dans son universalité.
Le fait des missions forme une partie intégrante de la preuve de la
catholicité de l'Église romaine ; aussi faut-il remercier le R. P. Krose,
S. J., de nous avoir donné une bonne statistique des missions catho-
liques (2). Le mot « mission » doit, selon l'auteur, se restreindre aux
missions en pays infidèle. La statistique comprend dans son objet 1° le
nombre des chrétiens, 2° le personnel de la mission, 3° les établisse-
ments, 4° les résultats. L'utilité d'une bonne statistique est de faire
connaître l'état d'une mission et de signaler avec lés progrès effectués,
ceux qui restent à accomplir. Se basant sur les travaux les plus récents
et les meilleurs, le P. Krose dresse un tableau comparatif de l'état des
missions catholiques et des missions protestantes ; il distingue les
missions actuelles (19^ siècle) et les missions anciennes (à partir du 16^
siècle). Les missions catholiques actuelles comptent 8.321.963 catho-
liques. Les anciennes missions comptaient 21.988.000 catholiques. En
quatre siècles, le chiffre total des catholiques s'élève donc à 30.309.963.
Les missions protestantes actuelles comptent 3.216.684 protestants, les
anciennes missions en comprenaient 4.000.000, ce qui fait un total de
7.216.684 protestants en quatre siècles. Le nombre des missionnaires
catholiques actuel est de 12.30.") et celui des protestants de 4.470. Cepen-
dant les protestants, remarque le P. Krose, nous devancent pour l'en-
seignement ; alors que nous n'avons que 17.834 écoles avec 790.870
élèves, les protestants possèdent 18.921 écoles avec 867.370 élèves.
Le phénomène des conversions constitue également un motif de cré-
dibilité qui, pour être d'un ordre plus concret, n'en a pas moins sa valeur
propre et son efficacité. On ne saurait donc qu'applaudir à l'excellente
idée d'écrire, comme l'a fait M. Koure, le Journal d'un néo-converti à
l'aide de « souvenirs de choses vues, souvenirs de conversations,
souvenirs de lectures » (3). Tout est vrai, nous dit-il dans la préface,
1. De ecclesiae catholicilate. Slavorum Litterae Theohgicae ; 1908 1 et 2.
2. Katholische Missionsstatislik. Freiburg im Breisgau. Hordersclie Verlags-
handlung, 1908.
3. TJn chrétien. Journal d'un néo-converti. In-16 de VI-83 d. Paris, Beau-
chesne.
792 BEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
hormis « le lien léger qui unit les documents sans les dénaturer >> et
cela fusion en un personnage d'éléments d'origme diverse». INous
assistons au retour émouvant et attachant d'un jeune medecm a la toi
de son enfance. Après sa conversion, il nous dit la paix profonde que
son àme éprouve dans l'union avec Dieu. Bien des épreuves viennent
cependant traverser sa vie, mais illes surmonte avec autant d héroïsme
que de simplicité. Signalons, au cours de ces notes intimes des
remarques fort suggestives sur certaines théories à la mode, tendant a
expliquer par des causes purement physiologiques la plupart des senti-
ments religieux. - Il serait vivement à souhaiter que des essais de ce
^enre se multiplient Rien-n'e.st plus propre à enrichir l'Apologétique
et à élargir ses cadres, que la psychologie des conversions
L'étude si documentée de M Ckosmer sur les « Convertis d hier» (1)
en est une nouvelle preuve. L'auteur, après avoir examine les motifs
qui ont amené au catholicisme Brunetière, Bourget. Huysmans, toppee,
Retlé. conclut que « les conversions dont la chaîne se déroule sans
cesse, sont la preuve vivante qu'il y aura toujours pour les espnts
sérieux, pour les cœurs droits, des raisons acluelles de croire a ses
dogmes, de pratiquer sa morale et de recourir à ses sacrements ->. Il
réfute ensuite les principales critiques de M. Sageret ^2) contre tous
ces néo-convertis et montre que leur conversion, loin d avoir diminue
leur talent littéraire, l'a augmenté.
III
OUVRAGES GÉNÉRAUX.
Le livre de M. le Chanoine de la Paouerie (3) est un livre d'expé-
rience, car il est le fruit d'une lutte quasi-journalière avec 1 incrédulité
vivante. Cet ouvrage comprend deuxparties. Dans la première, 1 auteur
évitant à dessein les discussions trop techniques, s efforce dofînrune
vue générale de l'apologétique catholique qui soit à la portée de tous
les esprits. Il y répond aux trois questions classiques : Dieuexis te-t-il .
S'il existe, faut-il lui rendre un culte? S'il faut lui rendre un culte, est-
ce le culte catholique? La réponse à cette dernière question nous
paraît la m>eux traitée ; l'auteur y développe les quahtés que doit avoir
la religion véritable. Faite par Dieu, elle doit être digne de Dieu, c est-
à-dire être sainte ; faite pour les hommes, elle doit être appropriée a a
nature humaine, être vraie ; faite pour unir Dieu et les hommes elle
doit s'adresser à tous les hommes, c'est-à-dire èWe wnverselle ei\env
fournir des preuves incontestables de sa mission divine, c est-à-dire
être simmturelle. La seconde partie : Etudes et réponses aux objections a
pour but de fournir des explications supplémentaires, d ordre plus
1. Bévue pratique d'Apologétique, 15 fév. et 1er mars 1908.
2 Les grands convertis. Société du Mercure de France, Pans, 1906.
3. mments d'Apologétique. I. Apologie élémentaire. Dieu et la religion.
Paris, Bloud, 1908.
BULLETIN d'apologétique 793
Strictement philosophique. L'auteur y expose d'abord dix preuves de
l'existence de Dieu ; parmi ces dix preuves celle tirée de l'impossibilité
d'une succession infinie et de l'éternité du monde n'a pas de valeur aux
yeux de saint Thomas. (Cf. P P. Q. 46. A. 2.) 11 réfute ensuite les objec-
tions de Spencer contre l'idée de cause, répond aux principales
difficultés du panthéisme, de l'évolutionisme, de l'athéisme, établit la
supériorité du catholicisme sur les autres relip;ions, et prouve qu'il n'y
a pas d'incompatibilité entre la science et la foi.
La manière personnelle et vécue avec laquelle l'auteur résout les
questions qu'il traite, son grand bon sens, son souci d'être clair et
précis, rendent la lecture de cet ouvrage intéressante et profitable. Il
est regrettable cependant, que M. de la Paquerie n'ait pas mis un peu
plus d'ordre dans la rédaction de ces notes apologétiques; elles se
suivent au petit bonheur et l'absence à peu près complète de titres
accentue encore ce manque de présentation ; les références ne sont
pas non plus suffisamment indiquées, enfin certaines réfutations sont
par trop sommaires et quelques preuves sont plutôt énoncées que déve-
loppées.
Le traité : De Vera religunie, de M. l'abbé van Noort, professeur au
séminaire de Warmund, vient d'être réédité (1) ; on y trouve les mêmes
qualités que dans ses précédents ouvages : clarté, information étendue,
sûreté doctrinale. L'auteur connaît et aime saint Thomas, car il s'en
inspire pour ses thèses fondamentales, ce qui assure à son livre une
base très solide. La première partie a pour objet la théorie générale
de la Religion ; à signaler un excellent exposé de la notion et de la
constatation du miracle; la seconde établit la divinité de la religion
catholique : divinité de la mission du Christ, divinité de son œuvre.
Le livre de M. Eugène Franon (2) est un recueil d'articles publiés dans
un bulletin paroissial du diocèse d'Autun. L'auteur cherche à éclairer et
à convaincre « les hommes instruits, d'esprit ouvert et réfléchi, et les
femmes sérieuses, qui ont le goiît et le sens des choses intellectuelles. »
Il étudie les principales questions religieuses qui, à l'occasion de cer-
tains faits et de certains mouvements d'idées, se sont tour à tour posées
devant l'opinion française, au cours des dernières années. Parmi les
soixante études qui composent ce volume, nous signalerons comme
particulièrement intéressantes au point de vue apologétique : L'Église
et le Progrès, — Anticléricalisme et anticléricaux, — Catholicisme et
décadence, — La prospérité des nations prolestantes ; la déca-
dence des nations catholiques, — Solidarité et Cliarilé, — L'infail-
libilité du Pape, — Science et miracle, — L'existence de Dieu et la
théorie de l'évolution. — Ces pages, écrites en un style agréable, sont
d'une lecture facile et instructive, parfois cependant la pensée gagnerait
à être exposée avec plus d'ampleur. Ajoutons que l'absolue sincérité
de l'auteur justifie pleinement le titre : Pages de bonne foi.
En 1903, M. le prof. Joseph Ballehini publiait une « courte défense
1. Amsterdam. Van Langeahuysen, 1907.
2. Pour Vidée chrétienne. Patje^ de bonne foi. Paris, Beauchesne, 1908.
794 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
des principales vérités religieuses contre les incrédules de nos jours. »
Cet ouvrage qui en est déjà à sa quatrième édition, porte maintenant le
titre de Brève Apologia (1). Son succès est dû, pensons-nous, à la clarté
de l'exposition. La première partie traite de ce que l'auteur appelle les
questions préliminaires : existence de Dieu, origine de Thomme, im-
mortalité de l'àme, etc. Nous aurions préféré voir l'auteur se cantonner
plus strictement sur le terrain de lApologétique. Celle-ci ne commence
véritablement qu'avec la seconde partie qui étudie les principaux signes
de l'existence d'une religion révélée. La divinité de cette religion se
fonde sur celle de Jésus prouvée par les mirales et les prophéties. La
question de la discernibilité du miracle est traitée dune manière
beaucoup trop succincte ; à des difficultés réelles on répond par des
affirmations tranchantes et qui sont loin de faire la lumière sur le
sujet donné. La théorie de la prophétie est mieux exposée, l'auteur en
fait une application heureuse aux prophéties messianiques. Les preuves
de la divinité de Jésus forment un tableau assez complet encore qu'il
y règne un certain désordre ; ainsi l'argument du miracle, après avoir
été étudié au chap. XXVI, est de nouveau repris au ch. XXXllI. L'auteur
passe également sous silence les critères internes ; c'est là une lacune
importante dans un traité d'apologétique.
Le livre du R. P. Maumus : La défense de la foi (2) a déjà été présenté
aux lecteurs de la Revue (3;. Il se recommande par une doctrine très
sûre, exposée avec une grande lucidité et d'une manière vivante.
Dans notre précédent Bulletin, nous avons dit tout le bien que nous
pensions de l'opuscule de M. Ligeard: Vers le Catholicisme. Ce petit
volume vient d'être réédité (4). Nous lui souhaitons une large diffusion.
C'est un essai très heureux d'Apologétique intégrale.
Kain. A. de Poulpiquet, 0. P.
1. Firenze, Libreria éditrice Fiorentina, 1908.
2. Paris, Pion, 1907.
3. Cf. no d'a\-Til, 1908. Suppl.
4. E. Vitte, Lyon, 1908.
Bulletin de théologie spéculative
I. — Introduction à la théologie.
Ouestions générales. — 11 nous faut revenir ici sur une question
fondamentale que nous n'avions fait que toucher dans notre pre-
"-'' mier bulletin : l'objet même de l'Introduction à la Théologie. Le
R. P. Gardeil, dont nous nous étions assimilé la pensée, y est d'ailleurs
revenu lui aussi dans une série d'articles parus ici même, sous ce titre :
La notion du lieu théologique [l). L'introduction à la Théologie se réduit
au fond, comme il a été dit, au traité des Lieux théologiques. Il valait
donc la peine de donner tout d'abord une notion claire et précise du lieu
théologique. Le travail du P. Gardeil est construit sur de larges bases.
Il n'y a pas que la notion du lieu théologique qui y soit précisée : nous
y trouvons encore le plan général d'une introduction à la théologie,
conçu comme un traité de lieux théologiques sur le modèle qu'en traça
jadis Melchior Cano, 0. P. Le lieu théologique est décrit en fonction du
lieu dialectique, tel que l'entendait Aristote. Il y a, en effet, non pas
conformité absolue, mais parallélisme entre la théorie des Lieux dialec-
tiques et celle des Lieux théologiques. Voici les principales conclusions
de l'auteur ; elles sont, pour la plupart, peu connues de notre époque :
1° C'est dans une topique que la théologie trouve normalement son
introduction méthodique ; il faut en conséquence, débarrasser la métho-
dologie Ihéologique des thèses métaphysiques, historiques, canoniques,
exégétiques, qu'on a coutume de traiter dans les manuels d'introduction.
2° Les traités modernes de lieux théologiques, en dépit de leur titre, ne
contiennent que la partie de la Dialectique théologique, correspondant à
VArs generalis, c'est-à-dire à la théorie des instruments d'invention des
Lieux, et ainsi, phénomène paradoxal, on ne rencontre pas de lieux
théologiques proprement dits dans la plupart des traités des Lieux théo-
logiques, mais seulement des préceptes sur la manière d'en faire ou d'en
découvrir. 3° L'Ars specialis, c'est-à-dire l'invention même des Lieux
théologiques, est encore tout entier à construire. M. Cano en a fait pour
chaque théologien une question d'effort personnel, mais il y a grand
avantagea dresser un répertoire des principaux et authentiques lieux
théologiques immédiats, de loci tractati, parati, expediti, visant toutes
les grandes questions dogmatiques et aptes à fonder immédiatement une
1. Rev. des Se. Ph. et Théol, 1908, janvier, p. 51-73; avril, p. 246-276;
juiUet, p. 48-1-505.
796 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
argumentation Ihéologique. L'idéal serait une Caractéristique théolo-
gique universelle, à la façon du projet de méthodologie scientifique rêvé
par Leibniz. Cet idéal n'est pas d'une réalisation impossible. C'est l'œuvre
réservée aux jeunes théologiens, non pas à ces « jeunes » à qui manque
le respect de la tradition et qui regardent la théologie scolastique comme
une œuvre vaine — ils ne sont pas mûrs pour l'entreprendre — ; mais à
ces « jeunes » avides de la sagesse des anciens et convaincus que la
théologie scolastique est une promotion légitime de la révélation. Ils
pourront nous donner une Introduction à la Théologie, véritable et
monumentale.
Le modernisme théologique constitue au fond une « insigne » erreur
de principes et de méthode théologiques. La méthode moderniste est
une alliance de la fausse philosophie avec la foi ; les principes de la
théologie moderniste sont ceux de l'immanence, du symbolisme et de
l'évolution : l'immanence, désignant l'origine du dogme; le symbolisme,
marquant sa nature, son caractère ; l'évolution, son mode de dévelop-
pement. L'encyclique Pascendi Dominici gregis a dénoncé et condamné
ces faux principes de théologie : « La méthode du moderniste théolo-
gien consiste tout entière à prendre les principes du philosophe et à les
adapter au croyant : et c'est à savoir les principes de Vimmnnence et du
symbolisme. Fort simple est le procédé. Le philosophe disait : Le prin-
cipe de la foi est immanent ; le croyant ajoutait : Ce principe est Dieu ;
le théologien conclut : Dieu est donc immanent dans Vhomme. Immanence
théologique. De même le philosophe disait: Les représentations de Vohjet
de la faisant de purs symboles ; le croyant ajoutait : l'objet de la foi est
Dieu en soi; le théologien conclut : Les représentations de la réalité divine
sont donc purement symboliques. Symbolisme théologique. Insignes
erreurs, plus pernicieuses l'une que l'autre, ainsi qu'on va le voir claire-
ment par les conséquences «.
Les modernistes posent enfin ce principe général que, dans une
religion vivante, il n'est rien qui ne soit variable, rien qui ne doive
varier. C'est là peut-être le point capital de leur système, à savoir le
principe de Vévolution. Des lois de l'évolution, dogme, Église, culte.
Livres Saints, foi même, tout est tributaire, sous peine de mort. Il
faut lire dans l'Encyclique même, œuvre de synthèse admirable,
l'application de ces principes et les funestes conséquences qui en résul-
tent. Une bonne analyse de ce § 3 de l'Encyclique a été donnée par le
P. Joseph MuLLER, S. J. : Die Verurteilung des Modernismus durch
PiusX{i). xM. Van der Meerscu, professeur au Grand Séminaire de
1. Zeitschrift fur Eatholische Théologie, 1908, n. I, p. 103 sqq. Le même
auteur a polémisé contre Ehrhard dans une brochure qui a pour titre:
Die Encycklica Pius X gegen dcn Modernismus und Ehrhard's Kritik
derselhen. Iimsbruck. Rauch, 1908, pp. 48, in-8o. Ehrhard s'en était pris
au ton et au contenu de l'Encyclique : le ton serait loin d'être i>aternel,
les doctrines morlomistes auraient été mal rendues par le Pape; l'Ency-
clique, selon Ehrhard, provoqixait \me crise théologique intérieure et exté-
rieure : elle mettait en danger la position des facultés de théologie catholique
aux universités; elle condamnait la méthode historico-critique, alors que la
scolastique est une des causes de l'origine et de la diffusion du modernisme.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 797
Bruges, ne s'est pas contenté de donner dans sa brochure : De. Modor-
nismo (1) un exposé très clair de la première partie de rEncyclique ; il
a, en outre, inséré dans son analyse les principaux textes d'auteurs
français {Loisy, Le Roy), où sont contenues les erreurs atteintes par le
document pontitîcal. Ce travail facilite considérablement l'intelligence
de l'Encyclique et du système qu'elle réprouve. — M. Lebreton (2),
nous a fait connaître la théologie moderniste à sa source même :
Il 'programma dei modernisti et les différents écrits de Tyrrell. Il a
esquissé très brièvement l'origine du mouvement, les principes de la
théologie moderniste, les conséquences auxquelles elle aboutit. Cette
esquisse, rapide sans doute mais très fidèle, nous montre que l'Ency-
clique a bien rendu les conceptions modernistes ; elle a surtout mis
en limiière les principes de la théologie tels que les conçoivent les
modernistes, la révélation, les dogmes, la règle de foi. Ces principes
ont leur source dans l'homme ; ils sont de plus individuels, mesurés à
la conscience d'un chacun. Que s'ensuit-il, ajouterons-nous, pour la
théologie, comme discipline basée sur ces principes ? Aon seulement,
ce n'est plus une science divine, ce n'est même plus une science.
L'origine du dogme chrétien est un des points les plus essentiels de
la théologie moderniste. Dans son livre : Les deux aspects de Vlmma-
Dence et le Problème religieux (3^. M. l'abbé Thamiry, s'est posé cette
question : La raison humaine est-elle, oui ou non, créatrice des ilogmes?
D'aucuns, dit-il, voudraient nous enserrer dans cette alternative : ou
bien Vesprit humain est le créateur des dogmes, ou bien les dogmes sont
déclarés irrecevables au nom du principe d'immanence. Mais nous ne
sommes nullement pris dans cette alternative ; « non, la vérité est entre
ces deux excès et nous pensons que la théorie des raisons séminales
peut aider à le faire mieux voir )>. Qu'est-ce donc que la théorie des
raisons séminales ? C'est une théorie basée sur le principe d'immanence
relative. Il y a en efîet deux aspects de l'Immanence ; le concept de
l'immanence absolue^ dont les formes diverses ne sont que des appli-
cations plus ou moins franches du modernisme; et le concept de l'im-
manence relative appelée aussi théorie des raisons séminales. Selon
St Augustin, notre naturel désir de connaître, nos sympathies sponta-
nées ne germent pas en nous sans que leur semence ne soit en notre
âme. Les principes premiers de la raison et les préceptes universels de
la conscience morale revêtent ainsi l'aspect de raisons séminales.
St Thomas a noté avec soin que l'expression : raison séminale, contient
une métaphore tirée du monde des vivants et que pour les problèmes
de la connaissance, elle ne doit pas être prise à la lettre. Pour le saint
Docteur, la raison séminale dans la nature cognoscitive n'est autre
Le P. Miiller s'est attaché à montrer que les griefs du Dr Ehrhard proviennent
de ce qu'il n'a pas compris l'Encyclique, et reposent la plupart du temps
sur de fausses suppositions.
1. Brugis, Typis Ad. Maertens, 1908, in-8o pp. 52. Cette étude parut d'abord
dans les Colïaiiones Bricgctises, t. XIII.
2. Ij' Encyclique, et la Théologie moderniste. Paris, Beauchesne, 1908, pp.
80, in-12o.
3. Paris, Blond et Oie, 1908, in-8o, 308 pp. cf. p. 173. Le problème du dogme.
798 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
chose et rieû de plus que Vinclinatio potentiae ad proprium ohjeclum.
Pour les vérités naturelles, il y a donc lieu de parler d'un principe
d'immanence, non pas d'un prmcipe d'Immanence absolue, de telle
manière que l'intelligence tire d'elle-même, et uniquement d'elle-même,
la vérité ; mais d'un principe d'immanence relative, en ce sens qu'il y
a dans l'intelligence une proportion, une capacité, une inclination à
recevoir la vérité. Peut-on parler d'un semblable principe d'immanence
pour les vérités surnaturelles ? « Les vertus infuses, dit l'auteur,
donnent à notre intelligence des aptitudes nouvelles, à notre volonté un
amour plus grand de la vérité divine ; et ces secours intérieurs nous
élèvent au niveau de l'enseignement qui nous est offert. Toutes ces
grâces viennent parfaire la nature, mais elles ne l'absorbent pas. Les
actes que nous posons sous leur influence continuent d'être nôtres,
puisque nous en sommes responsables ; ils demeurent l'œuvre du mou-
vement vivant de notre intelligence ainsi que de notre bonne volon-
té... » (1) Donc la grâce {Semen iJei [Si Tu.]), les vertus infuses qui
découlent de la grâce, constituent de vrais principes d'immanence
relative pour les vérités surnaturelles. C'est de cette manière que la
théorie des raisons séminales nous aide à mieux voir comment les
dogmes doivent être déclarés non irrecevables, mais recevables au nom
du principe d'immanence (relative).
M. Thamiry a appliqué la théorie des raisons séminales à d'autres
problèmes que celui du dogme : aux problèmes de la vie et de l'action
divine, de l'organisation du monde, de la vie et de l'évolution de l'âme,
de la morale. Pour tous ces problèmes, la théorie constitue un excellent
essai de solution et l'ouvrage de l'éminent professeur accuse par suite
un véritable progrès ; il prouve que l'immanence est réelle, distingue
soigneusement l'immanentisme faux ou monisme, de l'immanentisme
vrai, et limite sagement la portée de la méthode d'immanence en apolo-
gétique.
II. — Théologie systématique.
Ouvrages généraux.
A signaler tout d'abord deux nouveaux volumes des Praelectiones
dogmalicae du R. P. Pesch, S. J., publiées en 3'^ édition. Ce sont les
tomes III et V. Ils traitent successivement, le tome III, de la création,
de l'élévation à l'ordre surnaturel et de la fin dernière, le tome V,
de la grâce et des lois divines positives : la loi mosaïque et la loi
évangélique (2). L'éloge de ces traités n'est plus à faire. La théologie
du P. Pesch fait son chemin ; elle s'impose, sinon toujours par une spé-
culation profonde, du moins par l'abondance des données théologiques
positives et la clarté de l'exposition. Ce qui est regrettable, c'est que les
présents volumes ne constituent qu'une reproduction trop fidèle des
1. P. 215/6.
2. IIL De Deo créante et devante. De Deo fine ultimo (XII et 375). — V.
De gratta. De lege divina positiva. Edit. Illa. Friburgi Brisgoviae. B. Herder,
1908.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 799
mêmes traités de la deuxième édition. Ceux-ci n'ont pas été revus, ni
augmentés, ni corrigés. La théologie du P. Pesch est déjà volumineuse;
toutefois rien n'eût empêché d'ajouter certaines questions, comme, par
exemple, le mode de la connaissance angélique. D'autres parties méri-
taient d'être revues et corrigées : ainsi, le passage où le R. P. explique
le motif qui fait que le péché originel en nous est volontaire, aurait été
avantageusement modifié dans le sens de l'article premier de la P II ",
qu. 81. — La doctrine sur l'Immaculée Conception de Marie est traitée
à la suite des questions touchant le péché originel. Parlant de saint
Thomas, le R. P. conclut que le grand docteur enseigne « disertis ver-
bis, B. Virginem primo instanti infusionis anim* actu confraxisse pec-
calum originale sed brevi post gratia sanctificatam esse ». Il nous sem-
ble que les défenseurs de saint Thomas et leurs adversaires n'auraient
pas de peine à se mettre d'accord sur les thèses suivantes proposées par
ScHEEBEN : saint Thomas n'a pas enseigné expressément l'Immaculée
Conception de Marie ; il ne l'a pas non plus formellement niée ; il a
posé les principes sur lesquels elle se base et par suite il l'a affirmée
d'une manière implicite (1). Dans le traité de la grâce, l'auteur exige,
avec les Thomistes, contre Molina, outre l'habitude surnaturelle infuse,
une grâce actuelle pour faire une œuvre salutaire. Partout ailleurs, il se
montre le champion ardent du molinisme auquel, la question de la pré-
destination mise à part, il identifie le congruisme. Cependant, les
preuves par lesquelles le R. P. cherche à établir les multiples contradic-
tions que renferme la doctrine soi-disant bannésienne, ont quelque peu
vieilli ; de plus, elles manquent absolument de solidité. Ce motif-là seul
aurait pu décider le savant auteur à reviser son œuvre.
M. L. Lab.\uche a commencé la publication d'un Cours de théologie,
en français. Le premier volume offre un traité de dogmatique spéciale,
celui de l'homme (2). Il contient quatre parties : I. L'homme dans Vétat
de justice originelle (distinction entre l'ordre naturel et l'ordre surnatu-
rel). II. L'Iwmme dans l'état de péché originel : le péché d'Adam, la
transmission de ce péché, ses effets, sa nature, Dieu et le péché ori-
ginel, doctrine des protestants libéraux sur l'origine du péché.
III. L'homme dans l'état de grâce. A. La grâce actuelle, controverses
dont elle fut l'objet ; controverses pélagienne, calviniste, prédestina-
tienne, thomiste et moliniste, janséniste. B. La grâce habituelle, la
justification, dispositions nécessaires, sa nature et ses caractères ; le
mérite, sa nature, son existence, son objet. IV. L'homme dans l'état
de gloire ou dans l'état de damnation : l'Eschatologie des deux testa-
ments, dans la tradition des Pères, dans la théologie. — Telle est la
division de ce premier volume. La valeur de son contenu a été beau-
1. « Man sollte daher zufrieden sein, dasz der lil. Thomas gerade an den
Stellen, wo er tatsâchlich die Thèse leugnet oder, wenn man will, iguoriert, das
Princip, worauf dieselbc beruht und worin sie unplicite eingeschlossen ist,
immer noch hinreichend festhalt und folglich dieselbc virtuell behauptet ».
Hiindbuch der christl. Dogmatik. 1. 5, no 1708.
2. Leçons de théologie dogmatique, par L. Labauche, prof, à l'école de
théologie catholiqrie de Paris. T. I, l'Homme, XII-4:22 p., in-So, Paris, Bloud
et Cie, 1908.
800 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
coup discutée (1). Sans doute, le but apologétique que s'est proposé
l'auteur est des plus louables. Aux apologistes qui sont légion
aussi bien parmi les laïques que parmi les ecclésiastiques , il
veut « fournir une doctrine puisée aux meilleures sources, disposée
selon un ordre historique et pourtant aussi didactique que possible,
qui permette de suivre rapidement la pensée développée » (VIII). En
fait, n'eût-il pas été possible de pousser plus loin que ne l'a fait
M. Labauche dans ce volume, la sûreté, la précision, la richesse de
l'information ? Certes, il y a de très bonnes doctrines dans cet ouvrage.
Qu'on nous permette cependant d'en relever aussi qui le sont moins, qui
manquent de précision ou de sûreté. Je passe les parties où est traitée
l'histoire des dogmes et certaines interprétations de passages de l'Écri-
ture, pour ne m'arrêter qu'aux propositions dogmatiques et aux exposés
théologiques. La proposition qui consistée dire que Dieu veut vraiment
le salut de tous les hommes et qu'il leur destine à tous des grâces plus
ou moins suffisantes, doit être admise, dit l'auteur, p. 201. « Énoncée
sous cette forme, elle est non seulement une proposition certaine,
mais une proposition de foi ». Cette proposition doit être admise,
c'est vrai, mais elle n'est nullement une proposition de foi. Ce n'est
qu'une conclusion théologique solidement établie (2). Ce qui est de
foi, c'est que Dieu veut le salut, non pas seulement des prédestinés,
mais au moins de tous les fidèles. Que Dieu veut le saint au moins de
tous les adultes est une proposition fidei proxima. Mais qne Dieu veut
le salut de tous les hommes, inclus les enfants qui, sans qu'il y ait
de leur faute, meurent sans baptême, c'est l'opinion commune des
théologiens, Vasquez excepté (3). A la p. 130, l'auteur écrit: « Que la
grâce actuelle proprement surnaturelle soit absolument requise pour
faire les actes salutaires qui précèdent la justification, cette doctrine
est de foi comme définie en dernier lieu par le Concile de Trente, où il
est dit que par le moyen du seul libre arbitre, l'homme ne peut faire
aucun acte salutaire ». Cette formule est à tout le moins équivoque. Le
Concile de Trente a défini, i° que l'homme ne pouvait être justifié
« ahsque divina per Jesiim Chrislum gralia » (Denz., 693) ; 2° que
l'homme ne peut vivre justement et mériter la vie éternelle « per lihe-
rum arbitrium sine graliay> (Denz., 694); 3°que l'homme ne pouvait croire,
espérer, aimer ou se repentir comme il le faut, pour recevoir la grâce
de la justification « sine praeveniente Spiritus sancti inspiratione atque
eius adiuiorio » (Denz.. 695.) Donc, d'une manière générale, d'après le
Concile de Trente, l'homme ne peut faire un acte salutaire pour être
justifié sans la grâce. M. Labauche écrit : la grâce actuelle proprement
surnaturelle est absolument requise. Cette expression : grâce actuelle
proprement surnaturelle peut avoir un sens qui n'est pas celui du
Concile : on pourrait entendre par là, grâce surnaturelle entitative.
Or, il n'est pas de foi qu'une telle grâce est absolument requise pour
1. Voir p. ex., Y Ami du Chrgé, 19 décembre 1907, p. 1161. — 16 avril
1908.
2. BiLLUART. De Voluntate Dei, Ciirs. Theol., t. 2, diss. VI § II.
3. V. G. Van Noort. De Gratia, p. 79.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 801
faire un acte salutaire. — Le Concile de Trente a également défini
que l'homme justifié ne peut persévérer dans sa justice sans un secours
spécial de Dieu, « sine speciali auxilio Dei ». (Denz., 714). « Ce n'est pas
de la grâce de persévérance ordinaire, qu'il est ici question, explique
l'auteur (p. 164). Nous parlons d'une grâce de persévérance spéciale. Ce
sera la persévérance ordinaire, si l'on veut, mais s'exerçant sur notre
activité intellectuelle et volontaire d'une façon plus pressante, plus irré-
sistible. Telle est la grâce spéciale de persévérance ». La vérité, cepen-
dant, c'est que le Concile parle de la persévérance ordinaire. Ce qui,
probablement, a donné le change à l'auteur, c'est l'expression ; spéciale
auxilium Dei, un secours spécial (« tout à fait spécial ») ; une grâce
extraordinaire devant avoir comme effet une persévérance spéciale et
plus qu'ordinaire. Mais, nulle part, nous ne trouvons cette distinction
entre persévérance ordinaire et spéciale, enseignée par l'Église en la
présente matière ; et de plus, la majorité des théologiens nous appren-
nent que ce secours spécial, dont parle le Concile, ne diffère pas essen-
tiellement des secours communs de la grâce ; si la grâce de persévé-
rance est appelée néanmoins spéciale, c'est qu'elle est distincte du
concours divin général (naturel) et surtout de la grâce habituelle (1).
Ce paragraphe des Leçons de théologie dogmatique est à refaire. Nous
ne voudrions pas non plus souscrire à cette proposition : (Le mérite de
congruo) « sera le mérite de celui qui, accomplissant le bien honnête,
méritera, par mode de convenance, le commencement de la foi. »(p. 320).
Elle porte une teinte de semi-pélagianisme. — M. Labauche n'expose
pas non plus toujours fidèlement les opinions théologi^ues. Ainsi
S. Thomas, ni dans le texte De Malo, qu. iv. a. I, cité p. 97, ni dans la
Somme, 1*, II*'', qu. 81, art. I, ne fait du premier homme, quant au
mode de transmission du péché originel, le représentant juridique
(moral) de toute l'humanité. On trouvera chez l'auteur également des
inexactitudes, dans l'exposé du système moliniste et thomiste. Faisons
remarquer p. ex. que les théologiens molinistes, pris en bloc, ne
rejettent pas la prédestination ante praevisa mérita: bien des molinistes,
et des plus célèbres, Suarez, Bellarmin, de Lugo, la défendent. — Encore
un mot au sujet de la méthode employée par l'auteur. « L'étude de
chaque dogme commence par un exposé complet de ce dogme^ consi-
déré à son point d'arrivée, c'est-à-dire au moD''ent oîi les Conciles lui
ont donné la dernière détermination... La doctrine nettement détermi-
née, nous nous sommes appliqué à en rechercher l'origine dans la
Sainte Écriture, le développement dans la Tradition des Pères, l'essai
de systématisation dans les Écoles... Ce genre d'étude a permis de
dégager l'un des caractères les plus remarquables de nos dogmes. Dans
la marche de leur développement, ils conservent une continuité parfaite;
ils se développent, mais toujours dans le même sens, « in eodem scilicet
dogmate, eodem sensu, eademque sententia >% malgré des causes très
puissantes qui pourraient les faire dévier. » (Préface, viii-ix). Le pre-
mier point de ce programme : exposé complet, net et solide des dogmes,
1. Cf. BiLLUART, t. 6. diss. 3. art. X. — Tabarelli. De Gratta Christ*,
Romae, 1908, p. 175.
802 REVUi; DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
est, au dire même de Tauteur, le plus important : « Le vrai moyen de
bien défendre nos dogmes est d'en faire une solide exposition. » Si
M. Labauche parvient à réaliser absolument ce programme, son traité
de théologie, nous n'en doutons pas, « marquera une date dans l'histoire
des sciences ecclésiastiques. »
Déjà nous avons eu l'occasion de signaler le traité de Deo Uno et
Trino du prof. G. Van Noort (1). C'est un excellent résumé de la doc-
trine ; peu ou point de controverse, un court exposé de la question, puis
la proposition à établir, ensuite la preuve nette et brève, et tirée de
l'Écriture ou des Pères, ou fournie par la raison ; enfin les corollaires
les plus importants. M. Van >'oort omet les arguments en faveur de
l'existence de Dieu qu'il suppose avoir été vus en philosophie. Les
questions sur la Providence de Dieu et la Prédestination sont renvoyées
au traité de la grâce ; c'est avantageux au point de vue pratique ; au
point de vue logique et systématique, c'est évidemment un tort, que les
raisons d'utilité, croyons-nous, ne rachètent pas suffisamment. A propos
de prémotion physique, l'auteur fait remarquer « Aquinatem vere
docuisse praemolionem physicam (quoad rem scil. nam vocem praemo-
tionis non adhibuit,multo minus vocem praedeterminationis)et constan-
ter adiecisse eam non esse necessitantem. » Au sujet de la parenthèse,
il faut toutefois noter avec le P. Mandonnet (2) que S. Thomas emploie
lui-même les mots de prédéfinilion et de prédétermination. Comment,
de divinis iiominibus, lect. IIP, c. V. M. Van ^'oort conclut l'exposé des
deux principaux systèmes qui se disputent l'honneur de déterminer le
mode dont Dieu connaît les futurs contingents, par ces paroles : « les
fondements du thomisme me paraissent solides et vrais ; la base du
molinisme, la science moyenne, ne parait pas solide du tout. »
Le traité de la Trinité a trois parties : I. L'existence de la Trinité :
preuves de l'Écriture et de la Tradition ; IL La nature de la Trinité : les
relations divines, les processions en Dieu ; les appropriations et la
mission des Personnes ; III. Le mystère de la Trinité et la raison
humaine. L'auteur a consacré un soin spécial à expliquer les
termes les plus importants, p. ex. relatio et generatio. Chose étrange,
M. Van Noort, qui est toujours si judicieux dans le choix des opinions
théologiqups, identifie la personnalité avec l'existence en soi (existentia
in se). L'opinion qui met une distinction réelle entre la subsistance et
l'existence méritait cependant d'être préférée. L'article premier du
chap. 3 est nouveau : ni dans les écrits des philosophes, ni dans les
religions et les mystères des gentils(Perses, Hindous, Chinois, Égyptiens)
l'on ne voit apparaître le mystère de la Trinité.
Le traité de la (jrâce a suivi de très près les précédents (3). Il nous
donne la doctrine de la grâce actuelle, de la grâce habituelle et du
mérite des bonnes œuvres. La disposition des deux derniers chapitres,
1. Revue des Se. Phil. et Théol, oct. 1907, p. 794, na 2. — De Ealholiek,
(Amsterdam), Januari 1908, bl. 63 vv.
2. Dictionnaire de théologie de Vacant, art. Banez.
3. Tractatus de Gratia Cliristi, quem iu usum auditorum suoriun concinaavit
G. Van Noort, S. Theol. in Seminario W armundano (ia HoUandia) profes-
sor. Amstelodami, Van Langenhuysen, 1908, in-8o, pp. 216.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPECULATIVE 803
De gratia habituali, De merito, ne me semble pas très logique.
D'abord, la théorie de la justification, ensuite celle de la grâce sancti-
fiante ; les vertus infuses et les dons font l'objet d'une troisième division.
Au mérite est réservé un chapitre indépendant, le troisième. Justifica-
tion et mérite constituent les effets de la grâce: la justification est
l'efTet de la grâce habituelle opérante, le mérite est l'effet de la grâce
habituelle coopérante. N'aurait-il pas été plus simple d'intituler le
troisième chapitre du livre De effectibus gratiae : de justificatione, de
merito ; on aurais ainsi pour tout le traité la division suivante : De
gratia actuali. De gratia habiluali, De effectibus gratiae (habitualis). —
Les thèses défendues dans ce volume peuvent compter parmi les
meilleures. La grâce acluelle consiste formellement dans une qualité
incomplète, « in virtute fluente », imprimée à l'âme par Dieu, qui
précède tout acte de notre part et constitue avec la faculté un même
principe d'opération. La grâce actuelle est absolument requise pour poser
un acte salutaire, en plus de l'habitude surnaturelle correspondant à
cet acte. Il y a une grâce vraiment et purement suffisante. Il y en a une
autre qui est la grâce efficace ; elle est telle, que Dieu peut, par l'effet de
cette grâce, promouvoir au bien n'importe quelle volonté d'une manière
infaillible. M. Tan Noort expose très bien les cinq systèmes qui se dis-
putent l'honneur de résoudre les questions que soulève l'efficacité de la
grâce : système thomiste, augustinien, moliniste et congruiste, qui, dans
la présente matière, s'identifient — le système sorbonico-alphonsien ;
mais il ne se prononce ni pour, ni contre aucun de ses systèmes ; par
là, nous semble-t-il, il est doublement inconséquent avec lui-même.
D'abord, parce que, dans un traité précédent {De Deo Uno, p. 85), il a
donné ses préférences au système thomiste et qu'ici même, l'on
retrouve ces marques de préférence, du moins si l'on sait lire entre les
lignes; ensuite parce que quiconque définit et explique la grâce efficace
comme M. Van Noort, doit prendre position à tout le moins contre le
molinisme ou congruisme. Le chapitre sur la distribution de la grâce
suffisante est un des meilleurs du livre et très complet. Il en est de
même du paragraphe sur la nature de la grâce sanctifiante ; M. Van
Noort a dépassé ici le P. Pesch. Relatons encore que l'auteur a inséré
dans ce traité un chapitre sur les vertus et les dons : notions générales,
existence et connexion des vertus infuses, dons du St-Esprit, béatitudes
et fruits. Il montre, dans un corollaire le rapport intime entre les
vertus, les dons et la grâce sanctifiante. Dans toutes ces pages, M. Van
Noort est fidèle disciple du Docteur angélique. — Comme manuels, les
traités du prof. Van Noort sont des modèles du genre ; ils se recom-
mandent par la clarté et leur brièveté ; la solidité et l'excellence de la
doctrine et la richesse de l'information ; ils sont à la hauteur des plus
récentes publications.
D'une valeur théologique moindre est la brochure du R. P. Matth.
KoNiNGS, Ord. S. Crucis. De Gratia acluali. Accedil appendix de prae-
destinatione{i). L'auteur s'est plu à adopter des opinions défendues par
la minorité des tliéologiens, des opinions souvent singulières. Dans son
1. 1 vol. in-8o pp. 134. Lovanii, Peeters, 1907.
804 REVUE DES SCIEN'CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQU^'S
œuvre, se révèle le souci de restreindre, pour les questions du salut,
autant que possible, l'action divine sur les âmes et de rehausser la suffi-
sance humaine, ce qui est bien un des traits les plus marquants du
molinisme. Ce traité de la grâce actuelle n'est guère recommandable
comme manuel; il initie trop peu les jeunes théologiens aux doctrines
traditionnelles et communes.
Le traité de la Grâce du Prof. Richard Tabarelli est écrit sous la
forme d'un commentaire des qq. CIX-CXIY de la P IP^ de saint
Thomas (1). De là, la même ordonnance des matières, la même série de
conclusions, que dans la Somme ; en plus, les questions soulevées
depuis par les Commentateurs. L'auteur procède comme suit ;
d'abord des notes préliminaires : vues générales, distinctions ; ensuite
l'énoncé de la conclusion ; après, l'état de la question, le point de vue
spécial où se place l'auteur est soigneusement déterminé ; vient ensuite
la preuve ou plutôt une série de preuves : l'Écriture, les Pères, les déci-
sions ecclésiastiques, la raison théologique, enfin des objections et la
réponse. Ce traité se présente comme un manuel très étendu et très
complet de la doctrine de la grâce ; l'abondance des matières n'a pas
empêché la clarté de l'exposition ; la doctrine est partout solide. Il est
à remarquer cependant que dans ce commentaire d'une partie de la
Somme la doctrine précise de chaque article n'est pas mise en relief, le
texte même de saint Thomas est trop peu expliqué ; un commentaire
cependant s'attache tout d'abord à exposer le texte de l'auteur, choisi
comme maître. M. Tabarelli donne la conclusion conformément à la
doctrine de la Somme, mais traite ensuite la question selon les données
générales de la théologie, ainsi que la traitent des auteurs qui ne songent
guère à écrire un Commentaire du saint Docteur, mais appuient leurs
conclusions de l'autorité et des raisons de saint Thomas comme étant
celles du premier des théologiens.Dans les matières à con troverse M.Taba-
relli rejette les thèses moliniennes non moins que les opinions curieuses
de Vasquez. Est-il thomiste jusqu'au bout ? Il met une certaine distinc-
tion entre la grâce suffisante et efîicace. Au sujet de la grâce suffisante
il fait une bonne remarque : « La grâce suffisante n'est donc pas inutile,
mais constitue toujours un véritable bienfait, ]iuisque toujours elle con-
fère la puissance d'agir, et si celle-ci n'obtient pas d'ellet, il faut en
attribuer la cause à la volonté perverse de l'homme. J'ajoute, conlinue-
t-il, que même si la grâce suffisante n'a pas comme effet de produire
l'acte salutaire qui est l'objet de l'intention divine, elle excite cependant
toujours des lumières surnaturelles dans l'intelligence et de pieux désirs
dans la volonté, lumières et désirs qui sont comme des dispositions à la
conversion et ne sont point par suite inutiles » (p. 280). Gela encore
est très thomiste. Ce qui ne l'est plus, c'est de poser en thèse que la
prémotion ou la prédétermination physique ne peut se concilier avec
la liberté humaine ; qu'il n'y a pas de distinction entitative entre la
grâce suffisante et efficace, mais seulement une difTérence d'intensité
(p. 3U)). L'auteur n'embrasse pas cependant la solution molinienne
ou congruiste pure et simple : elle expose au danger d'affaiblir
1. De Gratia Christi, 1 vol. in-S", pp. 533, Romae, Bretschneider, 1908.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE " 805
refficacité de là grâce et de rendre la divine prescience dépendante
d'un objet extrinsèque. M. Tabarelii ouvre une voie intermédiaire :
« La grâce efficace n'assure pas le consentement par le moyen de la
prémotion physique ; la grâce efficace n'est pas non plus telle par la
détermination de la volonté humaine : mais Dieu, par sa sagesse
infinie et sa toute-puissance, peut connaître et conférer une grâce d'un
genre tel que, vu la disposition du sujet, elle obtienne infailliblement de
celui-ci le libre consentement (p. 316). La solution est-elle heureuse ?
Est-elle réellement autre que la solution congruiste ? L'auteur, qui cite
très rarement un auteur moderne, aurait pu s'éclairer à ce sujet dans le
récent ouvrage du P. N. Del Prado. 0. P. : De Gralia et libero arbi-
lrio{l). Nous nous permettons d'appeler encore l'attention des théo-
logiens sur cette importante publication. L'auteur y montre la vraie
manière de concilier l'efficacité de la grâce avec la liberté humaine ;
de plus, il y fait voir l'importance fondamentale du principe de la
prémotion physique en théologie. Ce principe domine la théologie du
gouvernement divin. L'auteur le rattache au principe de l'identité d'es-
sence et d'existence en Dieu : Deus est suum esse, in omnibus alii s diffevt
essentia et esse. Dieu étant la plénitude de l'être doit également avoir
plénitude et primauté d'action. Or, sans la prémotion physique, la
plénitude et la primauté d'action est inconcevable. — Un fait qu'on ne
peut nier, c'est que dans les questions de la grâce, la défiance à l'égard
des solutions molinistes s'accroît de plus en plus. Certains auteurs cepen-
dant ont encore trop peur du thomisme. L'œuvre du P. Del Prado, nous
en sommes convaincu, leur fera embrasser franchement et entièrement le
système thomiste.
M. le chanoine Maui'ice De Baets, président du Séminaire épiscopal
de Gand et professeur de dogme, a publié à l'usage de ses élèves un
résumé de ses leçons de théologie sacramentaire (2).Dans un préambule
il explique les notions de cause et de signe, et traite ensuite en six
chapitres, de la causalité des Sacrements, de la matière et de la
forme et du ministre^, de l'auteur des sacrements, de leurs effets,
du sujet propre à les recevoir, de leur nombre et de l'ordre dans lequel
on peut les comparer entre eux. Comme appendice, quelques courts
aperçus sur les rites sacramentels, les sacramentaux, les sacrements
de la loi ancienne. M. De Baets est un théologien à l'esprit subtil et
chercheur ; aussi son traité est-il remarquable à cause surtout de
certaines solutions nouvelles qui y sont proposées et défendues. La
grâce sacramentelle est un état et comme une sorte de consécration, qui
fait que Ihomme a droit aux grâces habituelles et actuelles. Le caractère
des sacrements n'est pas constitué par une pure relation. Ce n'est pas non
plus une puissance physique ; c'est le signe physique de la puissance in-
tentionnelle qu'il confère. On a surtout relevé la théorie nouvelle de
l'auteur touchant la causalité des sacrements. Rejetant la causalité morale
et physique, M. De Baets conclut en faveur d'une causalité intentionnelle :
Sacramentel significando causant : ils sont efficaces en tant qu'ils signi-
fient, de par institution divine, la grâce qu'ils doivent produire. L'ex-
1. Cf. Bev. des Se. phil. et ThéoL oct. 1907, p. 799-802.
2. De sacramentis in génère. Louvain, 1907.
2° Année. — Revue des Sciences. — N" 4. 52
806 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
posé de l'auteur donne lieu, nous semble-t-il, aux remarques suivantes,
qui se rapportent tant à sa thèse qu'aux arguments qu'il oppose à la
causalité physique. 1. La réception d'une vertu physique spirituelledans
un objet matériel serait chose fort difficile. Saint Thomas a répondu
à cette difficulté (III P. qu. 62. art. IV, ad 1). Nous y renvoyons
le lecteur. 2. L'argument de l'art L, ibid., prouve l'insuffisance de la
causalité simplement morale, ne conclut pas à la nécessité de la cau-
salité physique. Dans cet argument, la causalité physique est affirmée
par la théorie instrumentale, qui est à la base de l'argument (1).
3. L'auteur pour établir son opinion en appelle à l'autorité de St Thomas
qui s'est servi de ces mêmes termes : Sacramenta significando causant.
(De Verit. qu. 27, art 4, ad 13"^^). L'expression « significando causare »
peut signifier^ ou bien : significare simul et causare, ou bien ; per ipsam
significationem causare (p. 15). M. De Baets donne au texte cité de saint
Thomas cette seconde interprétation. Or l'analyse du contexte, celle des
textes parallèles du saint docteur et l'ensemble de sa doctrine excluent
cette interprétation. L'idée de saint Thomas, c'est que les sacrements,
non seulement signifient la grâce, mais, de plus, sont cause de la
grâce : l'expression employée par lui indique une rfo«6/e fonction, dont
l'une est bien distincte de l'autre :1e sacrement est symbole d'abord ;
il cause ensuite l'effet qu'il symbolise, il ne cause pas cet effet par cela
même qu'il est signe ou symbole, mais par suite d'une vertu physique
transitoire et passagère. On peut sans doute défendre la causalité inten-
tionnelle des sacrements, mais impossible d'identifier cette opinion
avec la théorie de saint Thomas. M. De Baets remarque que la théorie
du P. Billot, qui soutient également la causalité intentionnelle, diliere
notablement de la sienne. Cependant l'une et l'autre détruisent la
vraie notion de causalité instrumentale, telle que noiis l'enseigne l'angéli-
que Docteur. Le P. Pègues a donné naguère une réfutation de l'opinion
du P. Billot (2). Le P. Hugon vient de la soumettre à un nouvel examen (3).
Deux assertions principales résument la théorie du savant Jésuite :
1° la vertu instrumentale par laquelle opèrent les sacrements n'est pas
physique, mais intentionnelle ; 2° l'action des sacrements n'atteint pas la
grâce elle-même, mais plutôt une disposition qui exige la grâce. A ren-
contre de ces assertions, le R. P. Hugon prouve que « nos divins rites
sont des causes physiques et que cette efficacité atteint la grâce elle-
même. La célèbre formule : operari dispositive ad gratiam, signifie, au
sens thomiste: nos rites liturgiques produisent, comme effet immédiat,
une grâce sacramentelle qui est une disposition à la grâce sanctifiante.
Cette interprétation permet de résoudre toutes les objections du P. Billot.
L'auteur note encore que saint Thomas, dans la Somme, simplitie la
1. Le T. R. P. Hugon, a fait de cette théorie un magistral exposé dans son
livre : La Causalité instrumentale en théologie. Paris, ïéqui, 1907, in-12, pp.
223. Cet ouvrage traite non seulement la causalité des sacrements, mais
les principaux sujets qui se ramènent à la causalité instrumentale: l'inspiration
scripturaire, l'humanité sainte de Jésus, les miracles de la Très Sainte
Vierge.
2. Revue Thomiste, T. XI (1903), p. 689 svv. — T. XII (1904), p. 339 sw.
3. Cfr. Op. cit., p. 157 sw.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 807
thèse et débarrasse son sujet de cette distinction entre les causes dispo-
sitives et les causes perfectives et se contente d'établir que les sacrements
contiennent et produisent la grâce elle-même ; il conclut : « Pour simpli-
fier nous aussi avec le saint Docteur, nous pensons qu'il faut débarrasser
la théologie de la distinction désormais vieillie entre les causes disposi-
tives et les causes perfectives et conclure simplement que les sacrements
delà nouvelle loi sont causes physiques de la grâce et atteignent la
grâce elle-même >> (p. 17.1). Une petite controverse a surgi à la suite des
exphcations du P. Hugon. Le P. Aurelius UivrERLEiDNER proposa d'ac-
centuer davantage encore l'unification réalisée dans la. Somme (i). M. H.
Merkelbach reprit les objections du P. Billot (2). Le P. Hugon, dans
deux lettres à la Revue Augusliiiienne (3) a précisé sa pensée et montré
comment la grâce sanctifiante elle-même est l'efïet immédiat des sacre-
ments et qu'il n'y a qu'une différence modale entre la grâce sanctifiante
et la grâce sacramentelle. Ces explications ultérieures auront satisfait
— • nous aimons à le croire — M. Merkelbach, non moins que le P.
Unterleidner.
Monographies
Monographie de doctrines. Christologie. — Hormis les œuvres
oratoires et de piété, il n'existait pas, à notre connaissance, d'ou-
vrage didactique sur Tlncarnation. Le P. A. Villard, 0. P., a
comblé celte lacune par son beau livre : L'Incarnation d'après saint
Thomas d" Aquin (4j. En Allemagne, C. von Schaezler, le grand théo-
logien thomiste, avait traité le même sujet (5). Son livre est toujours
actuel et mériterait une traduction. Mais Schaezler se place à un point
de vue spécial ; tout en s'occupant des questions générales, de la pos-
sibilité, de la nécessité et du but de l'Incarnation, il ^ voulu surtout
mettre en lumière la Personne divine du Christ, l'union des deux
natures dans une Personne divine. De plus, par suite de la méthode
employée et à cause de la grande part qui y est faite à la controverse,
cet ouvrage ne s'adresse qu'aux théologiens de profession. Le P. Vil-
lard a visé un autre but et écrit pour un cercle plus étendu de
lecteurs. Son travail «est une œuvre d'exposition, plutôt que de
controverse. » Il se divise en trois parties : la première est consacrée
à rappeler ce que la foi enseigne au sujet de l'Incarnation, par le
prologue de saint Jean, les Conciles et les Symboles. Elle expose
également les nombreuses altérations de la foi : les hérésies. L'auteur
les a groupées en trois catégories : celles qui se sont attaquées à la
divinité du Christ : ce sont les plus graves ; celles qui ont nié, en tout
ou en partie, son humanité ; celles enfin qui ont méconnu le lien qu
1. Bévue Augustinienne, 15 février 1908, p. 193.
2. Revue Ecclésiastique de Liège, mars 1908, p. 335.
3. Nos du 15 mars 1908, p. 343-345 et du 15 avril 1908, p. 454-456.
4. Paris, Lecoffie, 1908, XV-436 pp.
6. Bas JDogma von der Menschwerdmg Gottes im Geistc des ht. Thomas.
Freiburg, Herder. 1870.
808 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THBOLOGIQUES
unit les deux natures. Le P. Yillard expose chaque hérésie et la réfute.
— La seconde partie du livre donne la théologie de l'Incarnation et
traite, dans les trois derniers chapitres, de l'union hypostatique, de
l'union dans la personne, de l'union substantielle et de la connaissance
pratique du Christ. Les trois premiers chapitres ont pour objet les
divers degrés d'union avec Dieu : le contact naturel, le contact par la
grâce, l'union hypostatique. A notre humble avis, l'auteur s'est étendu
trop longuement sur les deux premiers degrés d'union : dans un traité
spécial sur l'Incarnation, ces développements — efi eux-mêmes très
beaux sans doute — nous semblent un hors-d'œuvre. — Dans une
troisième partie, l'auteur examine les convenances de l'Incarnation par
rapport à Dieu qui s'incarne, à l'homme pour lequel il s'incarne, et, par
l'homme, à l'universalité des choses. A part la remarque faite plus
haut, ce nouvel ouvrage du P. Villard est d'une construction parfaite-
ment logique : sous une forme agréable, dans un style simple et clair,
il nous fait goûter les belles doctrines exposées par saint Thomas, dans
la Tertia Pars et dans la Somme contre les Gentils ; les textes du saint
Docteur sont fidèlement rendus. La méthode employée par l'auteur est
excellente; cela paraît surtout dans la deuxième partie, la plus spécula-
tive du livre : l'auteur s'est appliqué à toujours bien définir les termes,
pour éviter toute confusion. Nous n'en doutons pas, son travail contri-
buera à faire mieux connaître et aimer le Christ.
Dans l'opuscule De libéra Christi ohedientia (1), IWM. DeBaets a
proposé un nouveau mode de concilier le mérite de l'obéissance libre
avec l'impeccabilité du Christ. Il conclut: « Nostra doctrina est: in
Christo et Beatis, ad merendum (non ad demerendum) non requiri
libertatem illam a necessitate quae est indifferentia ad bonum et
malum, sed sufficere libertatem a coactione et a necessitate naturali.
nonobstanle necessitate, quae est indefectibilitas suppositi a bono. » La
solution consiste à concevoir l'acte libre comme le mouvement spon-
tané de la volonté rationnelle, lequel ne peut déchoir du bien, par
suite de la perfection du suppôt duquel il procède. Cette indéfectible
perfection du suppôt serait la source et du mérite et de l'impeccabilité.
La spontanéité d'opération telle que la définit l'auteur ressemble bien
à ce que l'on appelle le voluntarium perfectuni necessarium, mais ne
co'incide point avec le voluntarium perfectum liberum. La solution par
suite ne paraît pas heureuse. De plus, les textes des anciens scolastiques,
cités par le distingué professeur, n'exigent pas l'interprétation qu'il en
donne. M"^ De Baets rejette la solution que présentent les Thomistes.
Voici les motifs qui rendraient cette solution inacceptable : 1" La dis-
tinction entre le sensus compositus et le sensus divisus est sans valeur.
2° Les décrets prédéterminants, auxquels on a recours pour appuyer la
solution — vu la similitude de solution — rendent la liberté impossible,
quia praedeterminatum ab alio non valet se determinare. Aucun des
deux arguments n'est nouveau. On y a assez souvent répondu pour que
nous n'insistions pas davantage (2).
1. Lovanii, Istas, 1905, ia-So, pp. 47.
2. Cfr. Di M. Glossneb. Jahrhach fur Philosophie und Spekulative théologie,
XV Bd. (1900;, p. 259-260.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 809
Sacrements. — M. A. Roudière a traduit de l'anglais, le livre écrit
par Mgr J. C. Hedlet, évêqiie de Newport : La sainte Eucharistie (1) On
peut le diviser eii trois parties : I. l'Eucharistie, considérée comme sacre-
ment (chap. I-VII). — II. Le sacrifice eucharistique (chap. IX-XII). —
IIÏ. Le culte du Saint-Sacrement (chap. XllI). La première partie a
deux subdivisions, relatives, la 1'^"' au dogme : l'institution, les mystères
de FEucharistie : présence réelle et transsubstantiation, lesacremenllui-
mème ; la 2"*'^ à la pratique du sacrement : la réception sacramentelle,
les effets de l'Eucharistie, la communion fréquente. La seconde partie
traite de la messe : la messe comme sacrifice, la messe dans les liturgies
anciennes et le rituel moderne, fruits et effets du Saint-Sacrifice. L'ou-
vrage de Mgr Hedley tient le milieu entre une exposition catéchistique
et un traité et constitue un exposé raisonné des questions relatives à la
Sainte Eucharistie. Les lecteurs qui connaissent déjà le sujet, retrou-
veront dans ce volume les études de leur jeunesse dépouillées de l'appa-
reil encombrant des grands auteurs et de l'austère forme scolastique.
Ce manuel, s'il n'épuise pas, au moins embrasse toute la matière. II con-
tient, en effet, les résultats d'une vaste, d'une immense étude sur l'Eu-
charistie, au point de vue dogmatique, exégétique, liturgique et ascé-
tique. La liturgie y apparaît comme source théologique : l'auteur ne
dédaigne pas non plus la controverse soit philosophique soit apologé-
tique : il combat les théories de Mgr Gore et des anglicans, de même
qu'il défend le dogme contre les vues de la philosophie moderne sur la
substance matérielle. L'ouvrage offre ainsi un aspect très neuf. Ce
qu'on apprécie le plus, outre l'abondance des renseignements puisés
dans les derniers travaux, à côté de la solidité des conclusions théoio-
giques, qui sont thomistes pour les questions sujettes à controverse —
c'est la clarté et la concision. L'auleur domine de très haut la matière
qu'il avait à traiter ; son livre est un manuel tel que peut en écrire seul
un maître.
Le D*" Fr. Schmid a étudié le Pouvoir de l'église touchant la validité des
Sacrements. Il développe la thèse suivante : « le Christ n'a nullement
déterminé positivement et exclusivement tous les sacrements jusqu'aux
moindres détails requis ; mais l'IIomme-Dieu a concédé de fait à son
église un pouvoir tel que, dans une certaine limite, les dispositions
qu'elle prend, décident de la validité ou de la non validité du Sacre-
ment (2). L'auteur réclame pour cette thèse un tel degré de probabilité
qu'elle mérite, dans les controverses, d'être sérieusement prise en con-
sidération. Ce travail du D'" Schmid est très complet. Les preuves fournies
par lui se rapporteat à la qualité du ministre, à la matière et à la forme
des sacrements. Elles établissent bien la conclusion comprise dans les
limites que lui assigne l'auteur (3).
Eschatologie. — « Au-delà » de M. Germain Gazagnol, du clergé
d'Albi est une adaptation de la huitième édition allemande du livre inti-
1. 1 vol. in-12, (XVI-343). Paris, Gabalda, 1908.
2. Zeitsckrift fur Katholische Théologie, Irnisbnick, janvier, avril 1908.
3. V. la Revue Thomiste, mai-juin, sept-oct. 1908, où nous avons donné
de cette étude une analyse détaillée.
810 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
tulé : Das ondere Leben qui a pour auteur le D"" Wilhelm Schneider,
évêque de Paderborn (Westphalie) et dont le P. Weiss 0. P. a cru pou-
voir écrire qu'il était, en Allemagne, entre les mains de tout le monde.
Dans cet ouvrajaje Mi2;r Schneider a passé en revue les diverses questions
qui se rattachent au problème de réternité, l'idée chrétienne de la mort,
la vie, la connaissance des élus, leur amour pour Dieu, pour eux-mêmes
et entre eux et pour ceux qui sont restés après eux sur la terre, la résur-
rection et la glorification des corps, le revoir et la séparation au juge-
ment dernier, l'épreuve du purgatoire, le deuil et la consolation que
nous cause la mort de ceux qui nous sont chers, le sort des enfants
morts sans baptême, les morts subites, le nombre des élus, les effets
salutaires qu'opère l'espérance du revoir. En écrivant ces pages, Mgr
Schneider a certainement obéi, dit l'auteur de la préface, M. l'abbé Birot,
vicaire général d'Albi, à une pensée d'apologie, mais il n'institue pas
à proprement parler une thèse de la vie future, il s'applique à repré-
senter de la façon la plus accessible à l'esprit, les affirmations de la foi.
Ce livre déconcertera donc un peu, au premier abord, les esprits qu'in-
quiète le doute, aussi bien que ceux qui sont épris de logique. Cela
n'empêche qu'il pourra leur être utile : car la meilleure apologie de la
foi, est certainement de la faire connaître et d'en faire vivre. Cependant
l'intention mystique de l'auteur l'emporte sur toute autre ; il cherche
surtout à provoquer larétlexion du lecteur, à éveiller en lui l'espérance
religieuse, à faire jaillir dans son âme la source des consolations. Aussi
l'ouvrage est-il beaucoup moins un traité didactique qu'une série de
méditations très libres, dont le cadre souple se prête à la digression et
à l'anecdote aussi bien qu'à l'exhortation et à l'émotion poétique. A la
lecture de l'ouvrage, fait encore remarquer M. Birot. on aura soin de
distinguer les vérités essentielles qui font partie de la foi, des dévelop-
pements empruntés à la spéculation théologique ou mystique. M. l'abbé
Gazagnol a rendu un immense service au public français en adaptant
l'ouvrage à ses exigences. Les prêtres, théologiens et prédicateurs, les
âmes pieuses et les cœurs endoloris trouveront dans cette lecture
lumière, force et consolation.
La mystique. — L'étude de la mystique a, pendant ces derniers
temps, vivement occupé les esprits. Philosophes, psychologues et phy-
siologistes, voire même des aliénistes, s'y sont adonnés tour à tour et
ont abouti aux idées et aux conclusions les plus contradictoires. Leurs
aberrations n'ont rien d'étonnant. La mystique est un terrain oii ils ne
sauraient se mouvoir avec connaissance de cause (1). C'est un domaine
qui appartient en propre aux théologiens. Aussi ces derniers n'ont
pas manqué de nous le faire connaître. Les travaux qui ont été publiés
s'appuient de préférence sur les témoignages des grands mystiques,
sur les faits et sur les manifestations de la vie surnaturelle. Il faut citer
ici le P. L. RouRE, Dom Vital Lehodey, 0. C. R. Le premier a tenté
de la mystique une synthèse qui, au dire du P. M. Démery, ne manque
1. Cf. Lucien Roure. En face du fait religieux; 1 vol. iii-12 (VII-245). Paris,
Perrin; surtout le chapitre intitulé : Le mysticisme et ses explications patho-
logiques.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 811
pas de valeur. Dom V. Lehodey a traité des Voies de roraison mentale (1),
de l'oraison, en général, des oraisons communes et des oraisons mysti-
ques ; il vise surtout un but pratique. Cependant les auteurs les plus en
vue sont le R. P. Poulain et M. l'abbé Saudreau. Le P. Poulain dans
son livre Des Grâces d'oraison s'est montré avant tout théologien mys-
tique descriptif. M. Saudreau a fait davantage œuvre de théologien
mystique spéculatif C2). Son premier ouvrage : Les degrés de la vie spiri-
tuelle (3), est trop connu pour que nous en donnions ici un résumé.
Il a comme sous-titre : Méthode pour diriger les âmes suivant leur pror/rès
dans la vertu. Il fut bientôt suivi par un autre : La vie d'union à Dieu
et les moyens d'y arriver d'après les grands maîtres de la spiritualité (4),
qui complète le premier. « Une analyse détaillée des ouvrages des
grands maîtres nous apprend ce qu'a été la mystique chez les Pères
grecs, chez les Pères latins, chez les écrivains du moyen-àge, aux
époques suivantes et jusqu'au XVIII' siècle. L'auteur, après un rapide
aperçu sur la mystique contemporaine, résume les principes et conclut
que l'union contemplative est le terme de la vie spirituelle et que les
âmes doivent désirer cet état. Il indique les principaux moyens de se
préparer à l'union divine. »
Les deux ouvrages sont des travaux d'analyse. Il restait à donner une
synllièse et à traiter les questions fondamentales de la mystique. C'est le
but du livre de M. Saudreau, intitulé : VElat mystique, sa nature et ses
phases (5). L'auteur débute par quelques exemples de l'état mystique et
expose ensuite cet état d'après les enseignements des grands auteurs,
les Pères, les Docteurs du moyen-âge, sainte Thérèse et saint Jean de
la Croix, à qui il consacre le plus d'attention et dont il souligne la
précision et la clarté ; il termine par la doctrine de Suarez et résume
l'exposé qu'il a fait dans cette proposition. Il y a dans l'état mystique et
dans tout état mystique ce double élément: connaissance supérieure
de Dieu qui, bien que générale et confuse, donne une très haute idée
des ses incompréhensibles grandeurs et amour irraisonné mais intense,
que Dieu lui-même communique et auquel l'âme, malgré tousses efforts,
ne pourrait jamais s'élever. Ce double élément suffit à constituer l'état
mystique et en forme la note caractéristique ; la ligature des puissances,
la conscience de l'état de grâce, les joies et les consolations, le senti-
ment de la présence de Dieu, ne sont pas essentielles à cet état. On
peut diviser les états mystiques selon la part qu'y prennent les diverses
facultés. On obtient ainsi la classification suivante : état mystique
aride, état mystique sensible, état mystique complet, état extatique. Ce
sont les diverses phases de l'état mystique. Cependant, l'on ne peut
mesurer le degré d'intensité de l'état mystique d'après les effets qui s'en
1. Xes' Voies de l'Oraison mentale, par Dom Vital Lehodey; 1 vol. in.-12,
(XII-422). Paris, Gabalda.
2. M. DÉMERY, dans le journal La Croix. Paris, 20, 25 juiu, 5, 6 juillet
1908. ,
3. 2 vol. Paris, 1905; 3e éd. Vie et Amat.
4. 1 vol. in-12, p. 615. Paris, Vie et Amat, 1903.
5. Paris, Librairie Vie et Amat, 1903; 1 vol. in-12; 260 pp.
812 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
manifestent au dehors, comme le recueillement, puis l'absorption,
puis l'aliénation complète des sens. Même ce dernier état, Fétal exta-
tique, ne marque pas nécessairement un degré déterminé de l'ascension
mystique, on peut avoir des extases et ne pas être arrivé à un état
mystique fort élevé. La contemplation est l'acte mystique par excel-
lence. M. Saudreau nous expose sa notion d'après les Maîtres, fait
remarquer les inexactitudes de certains écrivains mystiques à partir du
17*^ siècle, les termes impropres de quelques auteurs plus expérimentés
et observe que la véritable contemplation se reconnaît non aux émotions
sensibles mais aux effets qu'elle produit. Une description et une analy.se
psychologique de l'état mystique terminent le volume. — Cet ouvrage
trouva à son tour une suite et un complément dans le dernier livre
publié par M. Saudreau : Les faits extraordinaires de la vie spirituelle (1)
L'auteur comprend parla: les phénomènes d'ordre angélique : vues,
actes d'amour et sentiments angéliques ; les extases, les visions et
révélations privées, les possessions diaboliques. Les premiers chapitres
de l'ouvrage sont consacrés à des questions de délimitation et de défi-
nition des états spirituels et établissent les frontières de l'extraordi-
naire. Dans ce volume l'auteur n'a pas cherché à discuter avec les
incrédules ou à fournir de longues preuves de la vérité des faits prêter-
naturels. Il s'est limité à exprimer les principes fondamentaux aussi
clairement que possible et à donner des règles de conduite à suivre
quand des faits extraordinaires se présentent. Ce livre est le fruit de
l'étude et d'expériences certaines et comme tous les autres ouvrages
de M. Saudreau, c'est un travail fort consciencieux et très bien docu-
menté. Il couronne très dignement la série des publications mystiques
de l'auteur.
Dans le cours de ses différents ouvrages, M. Saudreau a touché
maintes fois des points de controverse fréquemment agités de nos
jours. Il nous reste à les relater et à déterminer brièvement l'état
actuel de la question. 1° Il s'agit tout d'abord de la distinction entre
ascétique et mystique. On est généralement d'accord pour dire que les
deux sciences ont l'une avec l'autre plusieurs points de contact. Tous
les auteurs aussi affirment la distinction des deux états ; aucun ne
fait rentrer l'un dans l'autre. Le P. Poulain soutient que l'ascétique est
l'état ordinaire qui dépend du travail de l'homme, auquel il peut et doit
se disposer ; par contre, la mystique est un état exlrordinaire et mira-
culeux ; l'homme a beau faire, il ne peut y atteindre même en redou-
blant d'efforts. M. Saudreau est d'un avis contraire : la mystique, il est
vrai, est une grâce éminente, mais non une faveur extraordinaire et
miraculeuse ; elle fait partie intégrante de la perfection clirétienne, elle
est la suite et le couronnement de l'ascétique, le terme et l'achèvement
normal de la perfection chrétienne. Le P. Caliste Boulesteix et le
P. HuGON ont pris parti pour la théorie de M. Saudreau. Le P. Hugon a
écrit de cette dernière qu' « elle semble bien être celle de saint Thomas
et de la Tradition. » (2) — 2° Il s'agit ensuite de Vêlement fondamental
1. 1 vol. in-12, 401 pp., Paris, Vie et Amat, 1908.
2. Cf. P. Poulain : Des grâces d'oraison, ch. 1er. Saudreau : Faits extra-
ordinaireu de ta vie spirituelle, chap. I^'. h' État mystique: passim; Mevue
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 813
et constitutif de la mystique. Selon M. Saudreau, c'est une connaissance
amoureuse de Dieu, infuse et due aux dons du Saint-Esprit. Le P. Pou-
lain et à sa suite M. Lejeune, le P. Lahousse, le font consister dans le
sentiment que l'àme éprouve de la présence de Dieu en elle, Fexpéri-
mentation de Dieu présent dans l'âme ; celte connaissance expérimen-
tale est analogue à celle des sens qui ne raisonnent pas ; Tàme perçoit
directement Dieu, elle ne conclut pas. Comment s'opère cette perception
de l'Être divin ? La contemplation mystique sera-t-elle la perception
sans espèces, la vision intuitive atténuée? Le P. Lahousse a proposé
cette explication. Le P. Poulain se prononce pour la perception de Dieu
par le moyen d'espèces impresses analogues à celles de la perception
des sens, avec cette différence que les espèces seraient spirituelles au
lieu d'être sensibles. M. Saudreau a repris longuement la discussion.
Impossible de ne pas reconnaître à ses nombreux arguments une grande
valeur surtout au point de vue théologique. La thèse du P. Poulain est
très faible, elle ne peut s'accorder avec les principes de la théologie sur
la notion de l'être divin. De ce point de vue, la Revue Aurjiistinienne Ta
jugée inacceptable (1). — 3° 11 s'agit c^e* divisions de la contemplation. \ di-i-W
différentes espèces de contemplation, contemplation acquise et contem-
plation infuse, contemplation ordinaire et extraordinaire? Le P. Joseph
a Spiritu Sancto, 0. Carm. Disc, a vivement combattu ces distinctions.
Elles sont inconnues des grands maîtres de l'âge classique. La première
fut introduite par Philippe de la Trinité, 0. C. La seconde par le béné-
dictin Schram. Il n'y a, dit l'auteur, qu'une espèce de contemplation :
la contemplation infuse, toute division étant incompatible avec la vraie
notion de contemplation (2). M. Saudreau parle-t-il dans le même sens,
quand il pose en thèse que les maîtres ne connaissent que la contem-
plation mystique ? Cependant le P. -los. a Spiritu Sancto s'en est pris à
la notion de contemplation telle qu'elle est exposée par M. Saudreau (3).
D'autre part aussi, M. Saudreau a trouvé un défenseur dans le P. Jos.
Leonissa (4). — Un exposé rationnel, clair et solide de l'idée de con-
templation chez l'un des maîtres de la mystique, p. ex. saint Thomas,
apporterait à cette discussion les lumières désirables.
Monographie d'auteurs. — Le professeur Hermann Schell a été en
Allemagne un semeur d'idées nouvelles. L'œuvre théologique laissée
par Schell est assez considérable. Le Dr Commer de Vienne a consacré,
au professeur de Wurzbourg et à son œuvre, une étude qui en est déjà
augustinienne, 15 août, 1908, p. 212 svtt. Revue Thomiste, mars-avril 1907,
p. 80; mars-juin, 1908, p. 211. Études franciscaines, janvier 1908.
1. Cfr. P. PouL.\iN : Les grâces d'oraison, p. 564. Lejeune, art. Contem-
plation, Dict. de théologie (Vacant). P. L.\housse : Revue Apologétique, 15
juillet 1907. Cavd-ro^, Revue du Clergé français, 1er juin 1906. — Saudreau:
Faits extraordinaires de la vie spirituelle, ch. IV, p. 101-167. Revue au-
gustinienne, 15 juillet 1907, P'. 71-76.
2. Jahrbuch fiir Philosophie ufid spekulative Théologie. Bd. XXI (1907),
pp. 436-484.
Z.Ihid., p. 457-479.
4. lUd., Bd. XXII, 1908, p. 280-299.
814 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
à sa seconde édition (1). Cet ouvrage a toute une histoire. C'est la
« Schell-Commerfrage » : Taffaire Schell-Commer. Elle est suffisamment
connue : nous n'avons pas à y revenir (2). L'ouvrage lui-même se divise
en deux parties : La première donne l'exposé et la réfutation des prin-
cipales erreurs de Schell, la seconde oppose aux différents courants
d'une fausse réforme du catholicisme l'idée et le plan d'une réforme
vraie et salutaire. — Une caractéristique générale du théologien que
fut Schell ouvre la première partie. Schell, quoique très bien doué au
point de vue spéculatif, n'a pu construire une œuvre systématique de
tout point satisfaisante, parce qu'il lui manquait : 1° une formation logi-
que sérieuse; 2* l'intelligence de la philosophie péripatético-scolastique ;
3" le respect de l'autorité théologique. Schell n'a pas même fait une
œuvre originale, il est demeuré éclectique et a marché sur les traces
de Kuhn, de Staudenmaier, de Deutinger. — Commer passe ensuite à
la critique des principales doctrines de Schell. L'erreur fondamentale
c'est le concept moniste que Schell s'est fait de Dieu : Dieu, selon Schell,
c'est cet être qui se cause lui-même par sa propre pensée et se réalise
lui-même par son amour. De ce faux concept dérivent toutes les autres
erreurs de Schell au sujet du Surnaturel, de la Trinité, du Christ, de la
grâce, du mal moral, du péché, des sacrements de Baptême, d'Extrême-
Onction, d'Eucharistie, de Mariage, et des peines de l'enfer. Par ses
doctrines, Schell a rompu avec l'enseignement traditionnel et s'est
mis plus d'une fois en opposition avec les dogmes chrétiens. Sa théo-
logie est rationaliste. — Quelle position occupe Schell à l'égard de
l'Église ? L'Église a condamné ses doctrines. Schell s'est soumis ; mais
sa soumission n'a pas été un acte d'obéissance intérieure, ce ne fut
qu'un acte de loyauté extérieure. En réalité Schell s'est cabré devant
l'autorité de l'Église ; il a été, dans la suite, l'adversaire de cette auto-
rité, à tel point qu'il y aurait lieu de le rapprocher plutôt de Luther
que de saint Paul.
Commer a jugé l'œuvre de Schell, il l'a jugée objectivement, d'après
les faits, et non d'après les intentions de son auteur ; tout en condam-
nant cette œuvre théologique, il a rendu hommage aux brillantes quali-
tés d'esprit, à la piété du professeur de Wurzbourg. — L'étude du
Dr Commer a valu à son auteur, de la, part des adhérents de Schell, des
1. Hermann Schell und der fortschrittUche Katholizismus. Ein Wort zur
Orichlierung fur gl^ubige Eatholikcn von Pralat Dr Ernst Commer. Zweite
neubearbeitete auflage. Wien, 1908. Heinrich Kirsch, in-8o LXXIV-460. La
première édition parut dans la semaine de Pâques 1907. La seconde vers la
fin de la hiême année. Elle a été considérablement augmentée ûans la
première partie : exposé des erreurs de Schell. L'auteur leur a opposé la
doctrine de l'Église, nette et précise, en vue d'éclairer mieux ceux de ses
lecteurs qui ne peuvent s'appliquer à la théologie. Outre une deuxième
préface où l'auteur se défend contre ses adversaires, on trouve dans cette
seconde édition un prologue du Dr Glossner : Écho de la Presse au sujet
de l'affaire Schell-Commer. Une liste des documents se rapportant aux
faits les plus importants qui ont caractérisé le débat a été ajoutée à la fin du
volume.
2. Voir l'Ami du Clergr, 23 janA^er 1908, p. 65-75. — Revue augus-
tinienne, 15 mars 1908, pp. 345-358.
BULLETIN DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE 815
critiques sévères, non justifiées, des injures qu'il me répugne de citer.
Où en est actuellement le débat? Par la voie de l'initiative privée aucune
réponse sérieuse n'a paru contre l'ouvrage de Gommer : elle n'est d'ail-
leurs pas possible. Oificiellement, l'affaire Schell est terminée. Pie X a
parlé : par un bref du 14 juin 1907, il a fait siennes les conclusions de
Gommer et rendu hommage au mérite de l'auteur.
Fr. Raymond-M. Martin,
Huy (Belgique). \rd. praed.
CHRONIQUE
ALLEMAGNE. — Publication nouvelle. — Le Dr Fr. M. Schiele entre-
prend de publier, chez Mohr à Tubingue. un nouveau diclionnaire :
Die Religion in GescJiichte und Gegemvart. Il a pour collaborateurs les
professeurs H. Gunkel et 0. Scheel. Le christianisme et les religions
principales du monde entier seront étudiés dans leurs doctrines et
leur histoire. On s'attachera spécialement à exposer l'état présent du
christianisme et aussi les transformations que la théologie est en train
de subir du fait de Tintroduction des méthodes nouvelles. C'est assez
dire que l'encyclopédie s'inspire du même esprit que les lieligions-
geschichtlichen Volksbûcher et que les Lebensfragen. — L'ouvrage com-
prendra 4 ou 5 volumes grand in-8° de 1000 pages environ chacun. Il
paraît par livraisons au prix de 1 M. les 3 feuilles. On espère qu'il sera
complet en 1911.
Universités. — L'université d'Iéna a célébré, au cours du mois
d'août, le S-jC" anniversaire de sa fondation. Les fêtes données à cette
occasion n'ont guère été qu'une apothéose du professeur E. Haeckel et
de son enseignement. L'inauguration du Musée Philogénétique, fondé
par souscription publique et conçu comme une démonstration par les
faits de l'évolutionisme matérialiste, en a été l'acte le plus saillant et le
plus significatif.
— L'université de Leipzig, l'une des plus importantes d'Allemagne,
célébrera au mois de juillet prochain, le 5^ centenaire de sa fondation.
Elle occupe le second rang, au point de vue de l'ancienneté, parmi les
universités allemandes, celle de Heidelberg, fondée en 1386, tenant le
premier.
Concours. — Le Comité de la fondation Karl Schwarz met au concours
pour l'obtention du prix de 500 M. qu'elle doit attribuer le 19 novembre
1910 le sujet suivant : « La place d'Adolf Hilgenfeld dans l'étude du Nou-
veau Testament. »
Les travaux, en langue allemande, devront être envoyés avant le
1" juillet 1910 à M. le pasteur 0. Millier, Gotha (Thuringe). Le Comité
s'est adjoint récemment, pour compléter le nombre de ses membres, le
professeur P. Schmiedel, de Zurich, et le conseiller ecclésiastique
P. Graue, de Meiningen.
Congrès. — Le 3*" Congrès allemand de psychologie expérimentale
s'est tenu à Francfort les 22-25 avril 1908, sous la présidence du profes-
seur G. E. MOller de Gœttingue. Les travaux ont été suivis par 110 per-
sonnes ; quatre rapports généraux ont été lus et une trentaine de commu-
nications présentées.
1" Psychologie animale el anatomie. Le professeur Ed. Claparède,
CHRONIQUE 817
de Genève, a lu un rapport sur Les méthodes de la ps>/cholo(jie animale
où il a essayé de systématiser les mélhodes employées jusqu'ici pour
étudier l'état mental des animaux. Le Dr L. Edinger, directeur de l'Ins-
titut neurologique de Francfort, a étudié Les rapports de l'anatomie
comparée et de la psychologie en insistant sur les services que i'anatomie
du cerveau des vertébrés inférieurs peut rendre à la psychologie.
M. Kappers, d'Amsterdam, dans un mémoire intitulé : De la formation
de fibres associatives résultant d'excitations simultanées et successives, a.
exposé que la loi fondamentale de la psychologie, à savoir la loi d'asso-
ciation des impressions simultanées est aussi la loi fondamentale de
I'anatomie cérébrale.
2" Méthodes et technique. ^\. Marbe, professeur de philosophie à
Francfort, a traité de L'emploi des flammes fumeuses en psychologie. En
plaçant une bande de papier au-dessus d'une flamme d'acétylène, on
obtient une série de cercles enregistrant les vibrations de la voix, les
battements du cœur. etc. M. Schultze, de Francfort, a appelé l'attention
sur Les erreurs d'origine psychologique dans la sphijgmomanométrie avec
les procédés de Riva Rocci et Recklinghausen.
3"= Sensations et mouvements. M. Plassmann, de Munster, a étudié
Les rapports entre l'astronomie et la psychologie et M. Révész, de Buda-
pest, L' orthosymphonie, phénomène paracoustique.
4° Processus psychiques supérieurs. M. Specht, professeur de psy-
chiatrie à l'université de Munich, a présenté un rapport très étendu sur
la Pathologie de l'attention où les théories diverses de l'attention sont
critiquées. Il oppose la conception volontariste de l'attention à Fassocia-
tionisme. Le professeur Durr, de Berne, a étudié L'investigation expéri-
mentale de la pensée. Il critique la méthode généralement suivie dans
ce domaine et estime qu'on se désintéresse trop du comment de la
pensée. Le professeur 0. Schultze, de Francfort, a lu un Rapport sur
les expériences d'associations exécutées à l'Institut psychologique de
Francfort. M. Grunbaum, de Wurzbourg, a présenté une étude expéri-
mentale sur L' abstraction du semblable d'où il ressort que la conscience
du semblable et la perception distincte des éléments de ressemblance
sont deux actes différents. M. le professeur Michotte, de Louvain, a
montré dans un travail sur les Expériences de mémoire avec directions
associatives multiples le rôle que jouent les sentiments de relation dans
la conservation et la reproduction de couples associés. M. 0. Lipmann, de
Berlin, a traité De l'appréciation des réponses dans les expériences de
mémoire et de témoignage. Le Dr Gutmann, de Berlin, dans une étude :
Sens chromatique et peinture, a exposé le rôle joué dans la peinture par
les troubles de la perception des couleurs. Il est beaucoup moins consi-
dérable qu'on eût pu le croire. Le professeur Alrutz, d'Upsal, a traité
des Phénomènes demi-spontanés dans l'hypnose, c'est-à-dire des phéno-
mènes en rapport avec les suggestions, mais les dépassant.
5" Langage. Signalons un mémoire de M. Pick, de Prague, sur La
compréhension du Langage du point de vue de la pathologie, qui est un
exposé historique des éludes sur l'aphasie ; un autre du professeur
BuEflLER, de Wurzbourg, sur L'intelligence du langage, du point de vue
de la pb-ychologie normale, où trois problèmes sont étudiés : Perception
818 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
sensorielle des sons verbaux, signification du mot, compréhension de
la phrase. Le professeur Thumb, de Marbourg, a traité Expériences
d'associations et science du langage et M. Menzerath, de Diiren, a exposé
le résultat d'expériences sur Les contaminatio7is linguistiques.
6° Psychologie infantile et pédagogie. A relever un rapport de
M. Stern, de Breslau, sur la Formation de la perception chez les enfants
et un travail de M. Schmidt, de Wurzbourg, sur L'esthétique chez l'écolier
où il note dans le développement du sens esthétique chez l'enfant cinq
étapes successives.
Le prochain congrès se tiendra en avril 1910 à Inspruck. [Archives de
Psychologie. Juillet 1908).
— Le 3" Congrès international de philosophie, qui s'est tenu à Heidel-
berg dans les premiers jours de septembre, comprenait environ
300 membres. L'intérêt s'y est concentré principalement sur deux
groupes de problèmes : la théorie de la connaissance d'une part et
d'autre part la philosophie des sciences et la méthodologie.
A la première séance générale, M. J. Royce, de l'Université Harvard,
lut un mémoire intitulé : La nature de la vérité à la lumière des discus-
sions ?'ece/?/es. Il y critiqua trois théories de la vérité : l'instrumentalisme,
l'individualisme, la conception mathématique, auxquelles il opposa la
théorie pragmatiste, qui en est la synthèse. Le professeur Jérusalem de
Vienne résuma en allemand l'exposé que M Royce avait fait en anglais,
en insistant sur les avantages que procure dans la recherche de la vérité
le point de vue de l'action. Pour la première fois le pragmatisme osait
affronter l'idéalisme allemand. La discussion s'éleva aussitôt et prit
des proportions telles que, d'un commun accord, on décida d'instituer
un débat contradictoire familier et méthodique. 11 dura tout le Congrès
et se déroula dans une salie spéciale sous la direction du professeur
Aars de Christiania. MM. Schiller, Jérusalem, IS'elson, Goldstein, etc.
développèrent la théorie pragmatiste. Le débat dégénéra tout de suite
en une violente bataille que les efforts du président ne parvinrent pas
à calmer. Dans ces conditions il était difficile d'aboutir à un résultat
quelconque.
La seconde séance générale fut marquée par deux communications
que l'on put considérer comme le programme de la partie la plus con-
sidérable et la plus féconde des travaux du Congrès. M. Boutroux traça
le tableau de la philosophie en France depuis 1867, et M. Windelbanb,
président du Congrès, lut un travail sur l'idée de loi. Après avoir
raconté la chute de l'éclectisme, M. Boutroux signala l'apparition et le
développement parallèle d'une philosophie métaphysique et d'une
philosophie expérimentale. Peu à peu le philosophe cesse de faire
abstraction de la science en môme temps qu'il renonce à ignorer la
religion. Du rapprochement avec la science résultent l'invention de
méthodes nouvelles et une croissante spécialisation du travail philoso-
phique. De leur côté les savants recommencent à se préoccuper de la
vérité philosophique. M. Boutroux affirme la vitalité de la philosophie et
même de la métaphysique. Loin de croire à la faillite prochaine du
rationalisme, il entrevoit son renouvellement par la psychologie et
l'étude approfondie de l'expérience.
CHRONIQUE 819
M. Windelband, qui remplaçait M. H. Bergson, empêché, et dont l'ab-
sence fut vivement ressentie, exposa qu'à son avis les théories modernes
de la connaissance, en dépassant le criticisme et son idée d'une repré-
sentation purement qualitative du monde, marquent toujours le même
effort pour dégager dans la représentation l'élément électif et le sens
quantitatif. De même que toute perception est un choix parmi les pos-
sibilités de la sensation, et tout concept un choix parmi les perceptions,
ainsi toute théorie tend à opérer une sélection dans la masse du donné,
laquelle n'est jamais saisie dans sa totalité. Toute loi est donc une
connaissance découpée dans la masse abondante et confuse du réel,
selon un dessein arrêté par l'intelligence. En lésumé, MM. Boutruux et
Windelband aboutissaient tous deux à préconiser l'étude du phénomène
vivant, à envisager le réel comme concret et à délimiter avec précision
et modestie le point de vue et les limites de la recherche.
Celte tendance caractérise assez bien le plus grand nombre des
travaux lus au Congrès et dans le détail desquels il est impossible
d'entrer. M. A. Fley, parlant de l'a priori et de l'expérience dans les
méthodes scientifiques, a signalé le sens de plus en plus relatif et provi-
soire, que tend à prendre le mot à priori. Le professeur von Karman de
Budapest a développé le plan d'une nouvelle classification des sciences.
M. Meyerson s'est appliqué à définir, à l'aide d'exemples, les rapports
qui rattachent l'explication scientifique aux données du sens commun.
M. F. Simiand a indiqué le caractère et la portée d'une méthode positive
en économie politique. M. Brunschwicg s'atlache à réduire l'antinomie
entre analyse et synthèse en substituant à ces termes abstraits ceux plus
clairs et plus justes de dissociation et implication de notions. M. Rauh
a esquissé une théorie nouvelle de l'expérience. Les philosophes lui
paraissent établir une distinction trop absolue entre l'expérience et la
pensée comme s'il y avait dans le monde idéal autre chose que ce qui,
pour notre expérience, compose le monde réel, des images et des
sentiments. La pensée est un pressentiment d'images.
La section d'histoire de la philosophie a présenté un programme très
riche. Signalons entre autres le mémoire dans lequel M. Delbos a entre-
pris de montrer que, dans le système de Spinoza, les deux notions de
Dieuetdesubstance étaientnon paséquivalentes,mais distinctes. C'est de
la notion de Dieu que Spinoza a déduit son panthéisme. Le professeur
E. Schmidt a lu une étude sur Schopenhauer et la mystique.
M. H. Maier, de Tubingue, a étudié la personne et l'influence de
D. Strauss. M. X. Léon, directeur de la Revue de Métaphysique et de
Morale a exposé, d'après des documents inédits, les relations de Fichle
avec la Franc-maçonnerie et la Loge Royal-York.
Les travaux présentés à la section de philosophie religieuse n'ont
point trahi, comme l'on s'y attendait, l'influence du pragmatisme.— A la
section de la philosophie de lart, l'étude la plus remarquable a été celle
de M. B. Croce, de Naples, sur le caractère lyrique de l'art et l'intuition
pure. — Le prochain Congrès se tiendra à Bologne en l9ll.
Nominations. — Le D' F. Feldmann, professeur extraordinaire d'exé-
820 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
gèse de l'A. T. à l'Université de Bonn, remplace, comme professeur
ordinaire, le D"" Kaulen décédé.
— Le D'^ Frilz Tillmann a été admis à enseigner à la Faculté de théo-
logie catholique de FUniversilé de Bonn comme privat-docent d'exégèse
du N. T.
Décès. — M. A.. DiETERiCH, l'historien des religions, est mort dans
les premiers jours du mois de mai. 11 était né à Hersfeld en 1866.
Albrecht Dieterich étudia aux Universités de Leipzig et de Bonn. En
1891, il entra à Marbourg comme privat-docent et fut nommé professeur
extraordinaire en 1895. L'Université de Giessen se lagrégea en 1897
comme professeur ordinaire. Il enseignait la philologie classique à
Heidelberg depuis 1903 avec le titre de professeur ordinaire. En 1904
la direction de ÏArchiv fur Religionswissenschnft lui fut confiée. Il
publiait également, avec R. Wiinsch, depuis 1903, la collection bien
connue : Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeilen.
Dieterich laisse plusieurs ouvrages importants : Papyrus magica,
1888 ; /^e hymnis orphicis, 1891; Abraxas, Sludien zur Religionsge-
schichle der spàleren Altertums, 1891 ; Nekyia. Beitrâge zur Erklàrung
der neuentdeckten Pelrusapocalypse, 1893; Sommertag, 1905 ; Mutter
Erde, 1905 ; Fine Milhrasliturgie, 1903 ; etc.
— On annonce la mort du D'^Eduard Glaser, décédé à Munich au cours
du mois de mai. M. Glaser avait fait en Arabie un voyage d'exploration
d'où il rapporta, en 1889, une importante moisson d'inscriptions. Il a
publié l'ouvrage bien connu intitulé : Skizze der Geschichte und Geo-
graphie Arabiens. Le premier volume, incomplet, a paru à Munich en
1889 et n'est plus dans le commerce. Le second volume (Géographie)
a paru à Berlin en 1890. On lui doit encore Die Abissinier in Arabien
und in Afrika, 1895, et un petit nombre d'études en diverses revu<^s.
C'est M. Glaser qui a donné naissance à la controverse minéo-sabéenne
en avançant, dans le premier volume de ses Skizze, que le royaume
minéen avait précédé le royaume sabéen. (Cf. Rev. BibL, 1902, p. 256
et ss.).
— Le D'' Otto Pfleiderer, professeur de théologie pratique à l'uni-
versité de Berlin, est décédé le 22 juillet. Il était né en 1839 à Stetten bei
Kannstatt. Après avoir étudié la philosophie et la théologie à luniver-
sité de Tubingue, de 1857 à 1861, où il eut pour maître Ch. Baur, il entre-
prit un voyage d'étude dans l'Allemagne du Nord, en Angleterre et en
Ecosse. Revenu à Tubingue, il fut attaché à l'université en qualité de
répétiteur et privat-docent de 1864 à 1868. Il entra ensuite pour quelques
années dans le ministère et remplit les fonctions de pasteur à Heilbronn
et à léna. En 1870 l'université d'Iéna se l'attacha comme professeur
ordinaire et prédicateur de l'université. Depuis 1875, il était professeur
ordinaire à l'université de Berlin.
Ouvrages principaux : Bas Urchristenthum, seine Schriften und Lehren
im geschichtlichen Zusammenhnng.'^yoX. 1887, 2^ éd. 1902; Der Paulinis-
mus, 1873, 2« éd. 1890 ; Die Religion, ihr Wesen und ihre Geschichte, 1869,
ouvrage repris plus tard et publié sous ce nouveau titre : Religionsphi-
losopkie auf geschichtiicher Grundlage, 1883-84, 3^ éd. 1896 ; Geschichte
CHRONIQUE 821
der lieligionspliilosophie von Spiuoia bis zum Gegemvart, 3" éd. 1893 ;
Grundriss der Glaubens- und Sittenlehre, 6= éd. 1898 ; Enlivicklung der
protestantischen Théologie seit Katit, 1891; liilschlsche Théologie kri-
tisch beleuchlel, 1891 ; Die Entstehung des Christenthums, 1905 ; lieli-
gion und Religionen, 1906, Die Enhricklung des Chrislentums, 1907, etc.
Le professeur Pfleiderer se rattachait en exégèse à l'ancienne école de
Tubingue. Il était pour la philosophie religieuse et la théologie le prin-
cipal représentant des idées hégéliennes, en conflit, comme l'on sait,
avec la théologie néo-kantienne inaugurée par Ritschl.
— Le D' Friedrich Paulsen, professeur de philosophie à l'université
de Berlin, est mort a Steglitz le 14 août.
Né à Langenhorn dans le Schleswig, le 16 Juillet 1846, Fr. Paulsen
commença ses études universitaires en 1866, à Erlangen. Il les poursuivit
à Bonn et les acheva à Berlin où il reçut en 1871 le titre de docteur en
philosophie. Privat-docent à l'université de Berlin en 1875, il y fut suc-
cessivement nommé professeur extraordinaire en 1878 et en 1893 pro-
fesseur ordinaire de philosophie et de pédagogie.
Le D"" Paulsen laisse une œuvre scientifique considérable. Voici, par
ordre chronologique, ses principaux ouvrages : Versuch einer Entivic-
khtngsgeschichte der kantischen Erkenntnisstheorie, 1875 ; Geschichte des
gelehrlen Unterrichts auf den deutschen Schulen und Universitdten (du
moyen âge à nos jours), 2 vol. 1885, 2« éd. 1896 ; System der Elhik,
1889, 8« éd. 1906 ; Einleitung in die Philosophie, 1892, 19<^ éd. 1907 ;
Immanuel Kant, sein Leben und seine Werke, 1898, 4® éd. 1903 ; Philo-
sophia Militans, Gegen Klerikalismus und Naturalismus, 1901, 2® éd.
1908 ; Schopenhauer, Hamlet, Mephistopheles, 1901 ; Die deutschen Uni-
versitdten und das Universitàtsstudium, 1902 ; Gesammelte Vortràge und
Aicfsdtze, 2 vol. 1906 ; Moderne Erziehung und geschlechtlicJie Sittlich-
keit, 1908.
Comme philosophe, le D"^ Paulsen se rattachait à l'école néo-kan-
tienne. Sa pensée était très spécialement orientée vers les conclusions
morales et les résultats pratiques. Pédagogue très averti, doué comme
professeur de qualités éminentes, personnalité sympathique, il exerçait
sur la jeunesse universitaire une action extraordinaire, comparable à
celle de K. Fischer. Son « Introduction à la philosophie « est peut-être
le livre philosophique le plus lu d'Allemagne.
ANGLETERRE. — Publications nouvelles. — Le premier volume de
VEncijdopaedia of Religion and Ethics dont la direction appartient à
l'estimé et infatigable D'^ Hastings et que publie la librairie Clark d'Edim-
bourg, vient de paraître : impérial in-8° de XXll et 903 pages dont les
15 dernières sont consacrées aux illustrations. Cent quatre-vingt quinze
auteurs différents, tous de compétence reconnue, quoique d'écoles assez
différentes, y ont collaboré. Nous relevons les noms d'Achelis, Bousset,
van Berchem, Goblet d'Alviella, Garvie, Geffcken, Inge, Jevons, Kennett,
Littmann, Me Giffert, Nuldecke, Sayce, Slrack, Strzygowski, De Wulf,
Cumont, Carra de Vaux, Flinders Pétrie, de la Vallée Poussin, etc. On
sait que VEncgclopaedia couvre un vaste domaine embrassant toutes les
26 Année. — Revue des Sciences. — No 4. 53
822 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
religions du monde et tous les départements de la morale, générale et
spéciale.
Le mouvement connu sous le nom de New Theology continue en
Angleterre, non sans rencontrer de vives oppositions. Son promoteur,
R. J. Campbell, vient de rééditer le programme de ce mouvement dans
ses Neiv Theology Sermons (1). Ce programme est connu du lecteur (2).
M. Campbell ne l'a pas soumis à de nouvellps discussions ; il a simple-
ment voulu montrer comment les principes exposés par lui sont sus-
ceptibles de recevoir une application homilétique. L'auteur prend donc
un texte biblique, de préférence un verset de saint Paul ou de saint Jean,
et l'expose conformément aux idées de son propre « Évangile ». Il me
suffira de dire que les interprétations de M. Campbell sont toutes a priori
et absolument gratuites. R- ^f-
Universités. — L'universilé d'Oxford vient d'accorder à M. W. Sanday
un congé d'une année afin qu'il puisse s'adonner font entier à la pré-
paration de cette Vie du Christ à laquelle il travaille depuis longtemps
déjà. L'article qu'il donna jadis au Dictionnaire de la Bible de Has-
tings : Jésus Christ, et qu'il publia un peu plus tard en volume : Outlines
of the Life of Christ, 1903, n'est qu'une esquisse du grand ouvrage
qu'il médite et dont on peut dire que le monde chrétien tout entier
l'attend avec la plus vive sympathie.
— Lord Rayleigh, ancien fellow de Trinity Collège, Cambridge, ancien
professeur de philosophie naturelle à la Royal Institution of Great Bri-
tain, président de la Royal Society, Londres, a été élu chancelier de
l'université de Cambridge, à la place du duc de Devonshire décédé.
Congrès. — Le Congrès de l'Histoire des Religions, qui s'est tenu à
Oxford du 15 au 18 septembre, réunissait plus de six cents membres.
Il a été présidé par Sir A. C. Lejall, le doyen des anthropologues
anglais, qu'assistait de sa haute compétence et de son dévouement le
professeur Percy Gardner, d'Oxford.
A la section delà religion des primitifs, M. Hartmann, de Glowcester,
dans son discours d'ouverture, a exposé la thèse d'après laquelle magie
et religion ne seraient que les deux faces d'une même médaille. La
notion d'un Être suprême ne serait apparue qu'à une époque relative-
ment récente.
A la section égyptienne, le professeur et explorateur FI. Pétrie qui
présidait, s'est élevé contre l'importance accordée, depuis quelque
temps, au point de vue funéraire, dans l'étude de la religion égyptienne.
M. Moret a lu un mémoire sur un texte relatif au culte du roi en
Egypte.
A la section sémitique, M. Morris Jastrow, de Philadelphie, président,
a insisté sur l'importance des recherches relatives à l'Islam. M. Bonet-
Maury, de Paris, a communiqué un mémoire sur les confréries musul-
manes. M. Bertholet, de Bâle, a rappelé les influences étrangères qui
s'exercèrent sur Israël et insiste sur la puissance d'assimilation des
1. 1 vol. in-So (XI-300 pp.)- London, Williams and Norgate, 1907.
2. Cf. Bévue des Se. Phil. et Théol. oct. 1907, p. 806-807.
CHRONIQUE 823
Juifs. Ex. : le serment par une déesse égyptienne (papyrus d'Éléphan-
tine), l'introduction de la langue grecque dans l'usage liturgique.
Traitant un sujet semblable, M. von Orelli, également de Bâle, s'est
attaché à établir que la sagesse égyptienne a influencé la pensée juive
par un intermédiaire qui pourrait être Ëdom. M. P. Haupt, de Balti-
more, a repris la thèse d'après laquelle Jésus et ses premiers disciples
auraient été, en leur qualité de Galiléens, non pas des sémites, mais
des aryens. Il n'y avait plus à cette date, en Galilée, de population de
race juive. Cette manière de voir rencontre une vive opposition.
A la section chrétienne, présidée par le professeur W. Sanday,
d'Oxford, mentionnons les mémoires du prince de Teano sur l'Église de
Damas, du D'' Eisler sur l'agneau pascal et sur l'eucharistie, etc.
M. Goblet d'Âlviella, de Bruxelles, qui présidait la section de métho-
dologie, a développé dans son discours d'ouverture d'importantes
considérations sur la méthode de l'histoire des religions. 11 a montré
l'utilité des sciences auxiliaires : ethnographie, folk-lore, psychologie,
sociologie.
Nomination. — M. Gheyne a pour successeur comme Oriel Professor
d'exégèse à Oxford, le Rév, G. A. Cooke, chapelain du duc de Buce-
leuch. Le Rév. Cooke est un élève du professeur J. R. Driver. Il a été
successivement chapelain et fellow de Magdalen Collège à Oxford,
maître de conférences d'hébreu à S*-John's et Wadhain Collèges. Son
Text-Book of ÀVorth Semitic Inscriptions, 1903, est un livre classique.
Décès. — Le D"^ Charles Taylor, Master of S'-John's Collège, Cam-
bridge, est décédé récemment. Citons parmi ses ouvrages : T/ie Sayings
of t/ie Jewis/i Fal/iers. (Texte et traduction, avec des notes, du traité
talmudique Pirke Aboth), 2 vol., 2^ éd. 1897. The Wisdom of Ben Sira
(en coll. avec. S. Schechter), 1899 ; T/ie Oxyrhynchus Logia and the
Apocryphal Gospels, 1899 ; The Witness of Hermas to the Four Gospels,
1892 ; divers articles dans le Journal of Theological Studies, la Jeicish
Quarlerly Revieiu, etc.
M. Ch. Taylor, a écrit le D'^ R. Sinker dans The Record du 28 août
dernier, « ne rappelait nullement ce type de savant préoccupé avant
tout d'attirer l'attention et toujours en quête de théories nouvelles.
C'était un travailleur modeste et consciencieux. »
— Le lo juillet est décédé le Rev. Charles Bigg, Canon de Christ Church
et Begius Frofessor d'Histoire ecclésiastique à l'université d'Oxford. Ses
deux ouvrages les plus connus sont : The Christian Platonists of
AlexandriafBampton Lectures), 188Q ; The Epistles of St Peter and
St Jude (International critical Commentary), 1901.
AUTRICHE. — Retraite et Nominations. Le D'^ W. A. Neumann, pro-
fesseur ordinaire d'exégèse de l'A. T. et de langues sémitiques à l'univer-
sité de Vienne et l'un des directeurs de l'importante collection : Monu-
menta Judaica, vient de prendre sa retraite. Il a pour successeur le
savant religieux cistercien Dom Nivard Schlogl, précédemment profes-
seur à l'abbaye cistercienne de Sainte-Croix.
824 REVUE DES SCIE^"CES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
— Le D'" K. Beth, professeur extraordinaire de symbolique, de théo-
logie systématique et de morale chrétienne à la Faculté de théologie
évangélique de Vienne, a été nommé professeur ordinaire.
Le D^J. Hermann enseigne comme privat-docent à la même Faculté
l'exégèse de N. T.
ESPAGNE — Universités. — Avec l'appui et sous le patronage de
Tévêque de Madrid-Alcalà, un groupe de catholiques vient d'organiser à
Madrid une Académie universitaire catholique. Cet institut vise à fournir
aux étudiants un centre bien vivant d'études scientifiques. et la direction
intellectuelle dont ils ont besoin. L'on y donne des cours de religion, de
philosophie, de sciences morales et politiques. L'Académie a été inau-
gurée dans les premiers jours du mois d'octobre.
— L'université d'Alcalà de Henares a célébré le 26 juin dernier le 4™^
centenaire de sa fondation par le cardinal Cisneros.
Centenaire. — La ville de Vich en Catalogne se propose de célébrer,
par des fêtes solennelles le centenaire de la naissance de Balmès, l'émi-
nent philosophe catholique. L'on a conçu le projet d'organiser un
congrès international de philosophie, projet qui a trouvé, auprès du
savant évêque deVich, le plus chaleureux accueil.
Décès. — On annonce la mort du D"^ Enr*que Gil Robles, professeur
de droit constitutionnel à l'université de Salamanque. M. Gil Robles a
publié un traité de droit constitutionnel très estimé. Il était au premier
rang des savants qui en Espagne représentent la pensée catholique.
ÉTATS-UNIS. — Universités. — M. H. Phipps a fait don récemment
d'une somme de 7.30.000 dollars à l'Université John Hopkins de Balti-
more pour la création d'une clinique psychiatrique. L'on devra tout à la
fois s'y livrer à des recherches expérimentales et y donner des cours
publics. Les administrateurs de l'Université ont choisi comme directeur
de la future clinique et professeur de psychiatrie le D"^ Meyer de New-
York.
Le D"" Adolf Meyer est né à Zurich en 1866. Après avoir étudié à
Paris, Londres, Vienne et Berlin, il vint, en 1892, aux États-Unis-
D'abord professeur de pathologie à l'IUinois Eastern Hospital, puis chef
de clinique à l'Insane Hospital de Worcester (Mass.), il fut nommé en
1902 directeur du Pathological Institute of the New-York State Hospital,
Ward Island. Depuis 1904, il était professeur de psychiatrie à la faculté
de médecine de la Cornell LTniversity. Il est en outre président de la
Psychiatrical Society de New-York.
Nominations. — Le T. R. P. Kennedy, 0. P., maître en théologie et
régent des études au collège théologique des Dominicains à Washington
qui, pendant l'année scolaire 1907-08, avait été chargé de donner des
conférences sur les Sacrements aux étudiants de l'Université catholique
de Washington, vient d'être nommé titulaire de la chaire de théologie
sacramentaire dont la récente création marque un nouveau progrès des
études théologiques dans cet Institut.
^Nv
CHRONIQUE 8-25
— M. J. W. HuDSON, docteur en philosophie de Harvard, a été nommé
professeur adjoint de philosophie de l'Université de Missouri.
— Le D''. Cl. S. JoAKUM, de l'université de Chicago, devient répétiteur
de psychologie à l'université du Texas.
— Le D^ H. Carr, professeur de psychologie à Pratt Institute, remplace
comme professeur adjoint de psychologie à l'Université de Chicago le
D" J. B. Waïson, élu professeur à John Hopkins University, Baltimore.
FRANCE. — Nominations. — M. le chanoine Margeri.n, vicaire
général de Cambrai, ancien curé :,de Fourmi es, a été choisi par les
évèques protecteurs de l'Institut catholique de Lille pour succéder, en
qualité de recteur, au vénéré Mgr Baunard, que ses quatre-vingts ans
ont forcé de prendre sa retraite.
M. le chanoine Margerin a professé plusieurs années la rhétorique au
Collège libre de Douai, oii il a laissé la réputation d'un lettré des plus
distingués. Il est secrétaire général de la Société d'Émulation de Cam-
brai, qui est l'une des sociétés d'étude les plus florissantes de province.
Décès. — On annonce la mort de M. Claude-Charles Cuaraux, profes-
seur honoraire à la Faculté des Lettres de l'Université de Grenoble, où
il enseigna avec éclat pendant vingt-cinq ans.
M. Cl.-Ch. Charaux, philosophe spiritualiste et catholique, a exercé
sur la jeunesse universitaire une influence analogue à celle des Gratry,
des Ollé-Laprune, etc. Il laisse divers ouvrages dont voici les princi-
paux : De la Pensée, 1881 ; De l'esprit philosophique et de la liberté
d'esprit, 1888 ; De l'Esprit et de l'esprit philosophique, 1892 ; Philo-
sophie, Science, Religion, 1898 ; La philosophie et la science, 1889 :
Ze temps et l'unité de temps ; l'espace et la matière, 2^ éd., 1889 ; La
pensée et les trois moments de la pensée, 1876 : L'ombre de Socrale : petits
dialogues de philosophie socratique, etc., 1878; etc.
— Eu juillet dernier, est décédé à Chèvetogne, en Belgique, Dom
Chamard, 0. S. B., de l'abbaye de Saint-Martin de Ligugé. Il était né à
Cholet le 16 avril 1828. Il laisse de nombreux travaux d'histoire et d'ar-
chéologie concernant les origines du christianisme et sa province natale.
Dom Chamard fut un des champions les plus ardents de l'apostolicité
des Églises des Gaules, et ce sujet le lança plus d'une fois dans la con-
troverse soit avec Tabbé de Meissas soit avec Mgr Duchesne. Ses ouvra-
ges les plus importants sur ce sujet sont l'Histoire ecclésiastique du
Poitou, 3 vol., Poitiers, 1873-1889 ; Les Eglises du monde romain et
notamment celles des Gaules durant les trois premiers siècles. Paris, 1877.
Citons parmi ses derniers travaux : Les origines du symbole des Apôtres
dans Revue des Questions historiques, t. LXIX (1901) p. 337-408 ; Le lin-
ceul du Christ, élude critique et historique, Paris, 1902.
HOLLANDE. — Décès. — M. Joh. M. S. Baljon, professeur à l'Uni-
versité d'Utrecht, est décédé il y a quelques mois.
Né à Rotterdam, en 1861, M. Baljon fît ses éludes à l'Université
d'Utrecht de 1870 à lH8i. D'abord professeur de théologie à la même
826 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Université, il devint en 1895 titulaire des cours d'exégèse du N. T.,
d'ancienne littérature chrétienne et d'encyclopédie théologique.
Il a publié, outre des éditions critiques du texte du N. T,, un lexique
du grec biblique et une histoire des livres du N. T., divers commen-
taires : Commenlaar op het Fvangelie van Johannes, 1902 ; Commen-
taar op de Handelingen der apostelen, 1903 ; Commentaar op den brief
van Paulus aan de Filippiërs, 1904; Commentaar op de katholieke
brieven, 1904; Commentaar op den brief van Paulus aan Galatiers,
1889 ; etc.
Le D"^ Baljon a eu le mérite de se tenir à l'écart des excès de l'école
radicale hollandaise de Loman, van Manen, etc. En 1906, il publiait un
article où il mettait en garde contre l'application indiscrète à l'étude du
N. T. de la méthode d'histoire comparée des religions : Die Friichte
des Studiums des Religionsgeschichte fur die Behandiung des N.T., article
très sage et qui fut remarqué (Cf. Rev. des Se. Ph. et Th., 1907, p. 164).
ITALIE. — Publications nouvelles.— A. l'instigation et sous le patro-
nage des cardinaux Maffi et Mercier et des évêques de Yerceil et de
Césène, le R. P. A. Gemelli, des Frères Mineurs, et le D'' Canella
s'occupent d'organiser une nouvelle revue de philosophie qui prendra
pour titre : Rivista di Filosofia Cristiana et dont ils assumeront la
direction.
La Rivista di Filosofia Cristiana aura pour but spécial de promouvoir
en Italie le retour à la philosophie catholique traditionnelle, à la manière
de la Revue néo-scolastique de Louvain et dans le même esprit intelli-
gemment progressiste.
— Le D-" E. ScHMiTZ et le professeur D"^ J. Sestili viennent de publier
le premier fascicule d'un Bihliophoros decvrrentis literaturae scientiae
catholicae. Ils exposent eux-mêmes les considérations qui leur ont
inspiré de créer ce Bulletin bibliographique et la manière dont ils le
conçoivent en des termes qui méritent d'être reproduits : « Quid nobis
consilii fuerit in bibliophoro suscipiendo redigendoque ex ipso titulo
haud obscure innuitur. Repetentes enim non modo antiquorum dicta
sapientem exquirere oportere sed recentiorum quoque scripta noscere
atque aestimare necesse ; fructuosum visum est perennem ac veluti
decurrentem literaturam ob eruditorum oculos non confuse atque
inconsulte, ut communiter fit, sed delectu quodam exhibere et pandere,
bac ratione, ut neque vulgaris catalogus nec absoluta literaria recensio
foret, sed aliquid utrinque médium prae se ferret, ut una simul catalogi
et literarii census vel nomenclationis commoda conjungeret, ila ut ad
optima studia excolenda intellectu et amore juvaremus, nec librarii
commercii utilitates negligeremus. »
Le fascicule paru réalise ce programme d'une manière très heureuse.
Il compte 56 pages in-8°. Les ouvrages recensés sont répartis entre les
sections suivantes : biblique, patristique, théologique, canonique,
philosophique, historique, apologétique, sociologique, pédagogique,
catéchétique, ascétique et mystique, sujets divers. Le litre exact, le
lieu de publication et le prix de chaque ouvrage sont donnés ainsi que
le format et le nombre de pages. Suit une recension sommaire précisant
CHRONIQUE 8^7
le contenu du livre, ses caractères généraux, ses tendances et sa valeur
à laquelle on joint habituellement le jugement porté sur lui par quel-
qu'une de nos meilleures Revues catholiques. La Revue des Sciences
Philosophiques et Théologiques est citée à maintes reprises et elle en
exprime sa gratitude aux savants auteurs. Nous sommes persuadés que
tous les hommes d'étude sauront gré aux D" Schmitz et Sestili d'avoir
créé ce nouvel organe catholique d'information scientifique et de
n'avoir pas jugé indigne d'eux cette lâche modeste mais nécessaire.
Le Bibliophoros est édité par la librairie Bretschneider, Rome, via del
Tritone, GO. Il est trimestriel. Le prix d'abonnement est, pour un an,
de 2 fr. 50 en Italie et en dehors de l'Italie de 3 fr.
Universités. — Le R. P. L. Fonck, professeur ordinaire d'Écriture
Sainte, de langues orientales et d'archéologie biblique à l'Université-
d'Inspruck, a été député à l'Université Grégorienne (Collège romain)
pour la prochaine année scolaire. Le cours ordinaire d'Écriture Sainte,
destiné à l'ensemble des étudiants de théologie, comptera désormais
deux cours distincts : le R. P. L. Méchineau garde l'Ancien Testament,
tandis que le N. T. est confié au P. Fonck.
De plus un cours supérieur est établi à l'intention des docteurs en
théologie qui se préparent aux examens de la Commission Biblique.
Outre les cours de langues orientales confiés au savant P, Gismondi,
S. J., il comporte des cours spéciaux sur l'A. T. par le P. Méchineau et
le N. T. par le P. Fonck, de deux heures chacun par semaine.
A la Faculté de philosophie, on signale comme nouveaux les cours
suivants: (2^ année) Cosmologie, R. P. Loinaz, S. J. ; Psychologie,
R. P. ScuAAF; Minéralogie et Cristallographie, R. P. Gennari, S. J. ;
(3^ année) Psychologie expérimentale, R. P. Gexnari ; Géologie, R. P.
MÛLLER, S. J.
Deux Académies sont créées, celle d'histoire ecclésiastique à laquelle
seront admis les théologiens reconnus aptes après examen spécial, celle
d'art chrétien pour les théologiens du petit cours et les philosophes de
troisième année.
— A l'Apollinaire, le Souverain Pontife a décidé de créer une chaire
d'assyriologie. M. l'abbé Eugène Tisserant, du diocèse de Nancy en a
été nommé titulaire. Ancien élève de l'Institut catholique de Paris,
M. Tisserant y a reçu, en juillet dernier, le Diplôme de langues sémi-
tiques, 2" degré (hébreu, syriaque, assyrien, arabe, éthiopien), en
même temps qu'il passait à l'École des langues orientales vivantes le
deuxième examen d'arabe littéral avec la mention très bien.
Prix. — L'Académie des Lincei de Rome, dans sa séance du 8 juin
dernier, a attribué le prix d'histoire (10,000 fr.) à Dom Leone Gaetani,
prince de Teano, pour son importante publication: Annali deli Islam,
dont deux volumes ont paru.
Instituts. — Le « Cercle de Philosophie » de Rome fondé depuis
trois ans, se propose de commencer l'année prochaine une « Bibliothè-
que philosophique moderne ». « Elle aura soin, conformément au pro-
828 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
gramme du cercle, de faire circuler les livres et les idées de toutes les
écoles philosophiques ».
D'autre part, « la Direction du Cercle se propose aussi de publier
dans son bulletin périodique les recensions, les notes et les annonces des
livres qui lui seront adressés, et de réunir toutes ces informations dans
un annuaire (Annuario filoso/ico italinno) aussitôt qu'elle le pourra. »
SUISSE. — Nominations. — Le prince Maximilten de Saxe, professeur
extraordinaire de Liturgie et de Droit canonique à l'université de Fri-
bourg, a été promu professeur ordinaire.
Signalons à cette occasion, d'après la Revue de l'Orient Chrétien, que
le prince Maximilien de Saxe a promis sa collaboration à la Patrologia
Orientalis que dirigent MM. Graffin et Nau. Il y publiera les textes
arméniens et géorgiens qu'il pourra être utile de faire connaître aux
savants occidentaux. Le Synaxaire arménien sera sûrement édité et
assez prochainement. Le prince Maximilien de Saxe devient membre du
Comité directeur de la Revue de V Orient chrétien.
Décès. — xM. J. de Rougemoxt, professeur de théologie systématique
à la faculté de théologie de l'Église évangélique à Neufchàtel, est mort
au cours d'une excursion dans les Alpes, le 22 juillet.
RECENSION DES REVUES
(0
ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. JuiL — Cu. Dunan.
Félix Ravaisson. (Métaphysicien de tradition, Ravaisson eut surtout
pour maîtres Aristote et Leibnitz. Selon lui, nos aspirations à une
science qui dépasse l'ordre piiénoménal ne sont pas vaines ; nous
trouvons dans la conscience de nous-mêmes la révélation de l'Absolu.
La conscience nous révèle sous l'action le désir, et sous le désir l'amour.
Or l'amour qui tend vers la beauté est le fond de toutes choses, et l'in-
définissable mais vraie substance de Fàme. Le bien et le beau s'iden-
tifient. — Mais ce système où tout est amour n'explique ni la douleur ni
le péché. De plus l'esthétisme de Ravaisson propose ses principes, mais
ne les discute pas. La beauté se prouve-t-elle ?) pp. 339-331. — P. Duhem.
Essai sur la notion de la théorie physique de Platon à Galilée (suite).
(Tandis que philosophes averroïstes et astronomes ptoléméens s'obs-
tinent, de part et d'autre, à attribuer aux hypothèses astronomiques
une inadmissible réalité, les humanistes et les beaux esprits ne veulent
y voir que des artifices d'enseignement et des représentations provi-
soires. Quant à l'Université de Paris, « du début du XIV'^ siècle au début
du XVI^ siècle, elle a donné, touchant la méthode physique, des ensei-
gnements dont la justesse et la profondeur passent de beaucoup tout
ce que le monde entendra dire à ce sujet jusqu'au milieu du^vIX^ siècle.
— La scolastique parisienne, en particulier, a proclamé que la physique
du monde sublunaire n'était pas hétérogène à la physique céleste ; que
les liypothèses de l'une, comme les hypothèses de l'autre, avaient pour
seul objet de sauver les apparences ». — Copernic semble avoir attribué
à son système une valeur absolue ; son disciple Rhœlicus les regarde
comme adéquates aux phénomènes.) pp. 332-376. — Cu. Huit. Le Plato-
nisme en France au A'VIIP siècle. (Tandis que Voltaire déblatère contre
Platon, d'Alembert se contente de l'ignorer. Diderot «croit les ouvrages
de Platon aussi propres à gâter l'esprit qu"à perfectionner le style. »)
pp. 378-393. — D. Sabatier. L'expérience religieuse et le protestantisme
contemporain (suite). Description de l'expérience religieuse chez les
mystiques protestants contemporains, plus particulièrement le Réveil
1. Tous ces périodiques appartiennent au troisième trimestre de 190S. Seuls
les articles ayant un rapport plus direct avec la matière propre de la Revue
ont été résumés. On s'est attaché à rendre, aussi exactement et brièvemeat
que possible, la pensée des auteurs en s'abstenant de toute appréciation. —
La Receasion des Revues a été faite par les RR. PP. Allo (Fribourg),
Blanche (Paris), Garcia (Salamanque), Gillet, Tuyaerts (Louvain\ Martin
(Huy), Barge, Garrigou-Lagrange, Jacquin, Lemonnyer, Mainage, Noble,
de PouL PIQUET, RoL.A.ND-GossELi\ (Kain), lecteurs en. Théologie.
830 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
au pays de Galles.) pp. 395-414. = Août. — V. Ermoni. La foi et la
croyance en matière religieuse. (Distingue dans la vie religieuse « la foi
ou confiance qui est dans la volonté et la croyance qui est dans l'intelli-
gence ». « Les scolasliques ont trop insisté sur la croyance, les théolo-
giens protestants se sont trop immobilisés dans la foi. » « Parce qu'ils
se sont un peu trop inféodés à l'intelligence, les scolastiques ont cons-
truit une admirable théologie de la croyance, ils ont à peine ébauché
celle de la foi. » — Ces deux formes de la vie religieuse s'influencent
réciproquement, « la croyance engendre la foi par l'ébranlement des
centres nerveux (théorie des idées-forces), mais la foi à son tour se
répercute sur la croyance, la colore et l'anime.» « Dans un individu la
foi est d'autant plus forte que la croyance est plus faible et réciproque-
ment. » — L'âme reçoit le germe religieux du dehors « et travaille par
ses énergies immanentes à le développer. » «Si la vie religieuse est plus
éclairée et plus vigoureuse dans un individu que dans un autre, il faut
en chercher la raison dans l'action individuelle des âmes. ») pp. 445-
481. — P. DuHEM. Essai sur la notion de la théorie physique de Platon à
Galilée, (vl De la préface d'Osiander à la réforme grégorienne du calen-
drier. « Les astronomes qui suivent immédiatement Copernic traitent
les hypothèses comme les traitaient au XIY'^ siècle et au XV* siècle les
savants de Paris ou de Vienne», ils y voient seulement des artifices
imaginés pour « sauver les phénomènes ». Cette opinion se retrouve
également chez les théologiens protestants, et aussi chez les théologiens
catholiques. Grégoire XIII, qui en 1582 accomplit la réforme du calen-
drier à l'aide de tables construites au moyen des théories de Copernic,
n'entendait nullement adhérer à l'hypothèse du mouvement de la terre.)
pp. 482-514. — 0. Habert. L'histoire des religions et la méthode sociolo-
gique. (Indique comment les lois sociologiques peuvent, dans la poussière
et la succession fugace des faits et des croyances, introduire de la
liaison, des raisons oii l'esprit puisse se prendre. Cette méthode sociolo-
gique dans l'histoire des religions reste purement positive, puisqu'elle
fait appel à des lois susceptibles de vérification expérimentale dans
quelque institution connue ; le fond métaphysique des événements lui
échappe.) pp. 515-538. = Sept. — P. Duhem. Essai sur la notion de la
théorie physique de Platon à Galilée (suite et fin). (« Durant le demi-siècle
qui s'écoule de la réforme du calendrier à la condamnation de Galilée,
on veut trouver dans les hypothèses astronomiques des affirmations sur
la nature des choses, qui exige, dès lors, que ces hypothèses s'accordent
avec les doctrines de la physique et avec les textes de l'Écriture. » Tel
fut le sentiment de Kepler et de Galilée. Bellarmin et celui qui allait
être Urbain VIII firent à Galilée les remarques si logiques qui avaient
été si nettement formulées auparavant par saint Thomas d'Aquin,
Osiander et plusieurs autres ; mais ils ne parvinrent pas, semble-t-il, à
convaincre Galilée, à le détourner de sa confiance exagérée en la portée
de la méthode expérimentale. « Contre le réalisme impénitent de Galilée,
le Pape donna libre cours au réalisme intransigeant des péripatéticiens
du Saint-Office. » « Force est de reconnaître aujourd'hui que la logique
était du parti de Bellarmin et d'Urbain VIII. ») pp. 562-592. — D. Saba-
TiER. L'expérience religieuse et le protestantisme contemporain (suite).
RECENSION DES REVUES 831
(Les principes de la Réforme doivent conduire les protestants ortho-
doxes au protestantisme libéral; et ce dernier s'identifie progressive-
ment avec la libre pensée. W. James accélère ce mouvement.)
pp. 392-6^28.
ANTHROPOS. 4. — T. Caius, S. J. Au Pays des Castes (suite — à
suivre). (Décrit diverses cérémonies pratiquées par les Brahmanes
pendant la grossesse et à la naissance de l'enfant.) pp. 639-650. —
J. Meier, m. s. C. Mylhen und Sagen der Admiraliliitsinsulaner,
(suite — à suivre). (Textes et traductions de mythes relatifs au monde
végétal.) pp. 651-671. — Ch. Gilhodes, d. M. È. Mythologie et Religion
des Aatchins( Birmanie) {k suivre). [Mylhes deslinés à rendre compte
de l'origine de toutes choses.) pp. 672-699. — 0. Mayer, M. S. C.
Fin Sonnenfest bei den Eingsborenen von Vuatom, ^eu-Pommern,
Sûdsee. (Description d'une fête du soleil qui se célèbre à Yalaur, dans
rtle Vuatom, au début de l'année.) pp. 700-701. — J. M. Henry, d. Pères
Blancs. Le culte des Esprits chez les Bambara. (Après avoir expliqué
l'idée que les Bambara, Soudan Français, se font des Esprits et indiqué
les différentes classes d'Esprits, étudie le culte du fétiche dasiri, protec-
teur du village, la société secrète du fétiche korè, protecteur des
moissons, qui ofïVe cette particularité d'admettre des femmes.) pp. 702-
717. — J. de Marzan, S. M. Sur quelques Sociétés secrètes aux lies Fiji.
(Renseignements sur la Société des Kalou Vatu ou Dieux-Pierre, la céré-
monie du A7»' buca, la Société des Kai Nakauvadra, du nom d'une
montagne de Fiji, et qui est la plus célèbre, celle des luve ni wai ou fils de
l'eau.) pp. 718-728. — A. Dirr. Die alte Religion der Tschetschenen (à
suivre). (Renseignements émanant d'un membre de cette tribu du Cau-
case et relatifs à l'au-delà, aux modes de sépulture, aux rites funéraires,
au séjour des âmes, à la conception de l'âme, au pouvoir des sorciers.
Nulle idée d'une rétribution après la mort.) pp. 729-740. — J. Struyf,
S. J. Aus dem Marchenschaiz der Bakongo ( Aiederkongo}. (Après une
introduction sur l'origine des habitants actuels du Bas-Congo qui
viennent du Congo portugais et qui ont gardé quelques traces de l'an-
cienne évangélisation, donne le texte et la traduction de 8 contes de
contenu divers.) pp. 741-760. — J. Dols, de la C. de Scheut. L'Enfance
chez les Chinois de la province de Kan-sou. (Coutumes chinoises relatives
à la naissance et à l'instruction des enfants ) pp. 761-770. — Dr. L. C.
Casartelli, Bisliop of Salford. Hindu Mi/lhology and Littérature as
recorded hy Portuguese Missionaries of the early 17 "' century. (Continue
la traduction anglaise d'un ouvrage portugais manuscrit relatif à la my-
thologie Hindoue.) pp. 111-112. — G. Schmidt. Vorigine de Vidée de
Dieu (suite — à suivre). (Critique de la théorie de A. Lang. Commence
par rapporter et critiquer les informations et interprétations de A.W.
Howilt, le-sentiment de E. B. Tylor sur les découvertes de Howilt, celui
de \V. Foy sur le même sujet.) pp. 801 836.
ARGHIV FUR GESCHICHTE DER PHILOSOPHIE. JuiHet. - R. Bloch.
Liber secundus yconomicorum Aristotelis (suite). (Édition critique. « Le
Liber secundus yconomicorum Aristotelis n'est pas un écrit un ; il se
832 REVUE DES SCIEXCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
divise en deux parties, l'une primitive, Tautre rapportée. La première
est l'œuvre d'un Péripatélicien et fut composée entre le 3^ (2* moitié) et
le l^"" siècle avant Jésus-Christ. Il est possible qu'elle ait été composée
pour faire suite au l^"" livre de l'Économique ; en tout cas elle fut intro-
duite assez tût dans les œuvres d'Aristote. C'est ce que nous apprend la
seccmde partie, interpolée sciemment, et provenant d'un Stoïcien du
2^ ou du 3« siècle. ») pp. 441-468. — Fr. Knutze. Pascals letztes Prohlem
(suite). (Commentaire de quelques pensées de Pascal.) pp. 469-491. —
Cl. Bael'MKER. Zitr Vorgeschichte zweier Lockescher Begriffe. II. (Histo-
rique de l'expression : qualités premières et secondes.) pp. 492-517. —
J. Stilling. Ueber das Problem der Freiheit auf Grund von Kants Kate-
gorienlehre. (Recherche d'une définition de la liberté basée sur la table
des catégories, modifiée par Albrecht Kranze et perfectionnée par
l'auteur. La liberté réside dans l'indépendance des principes de raison
suffisante et de causalité. C'est dire qu'il n'y a de liberté que celle que
nous attribuons aux choses, actes, pensées, événements, dont nous ne
connaissons pas les raisons déterminantes.) pp. 518-534. — Ernst
BiCKEL. Platonisches Gebetsleben. (Étude sur la prière du Phèdre, 279 B.)
pp. 535-554. — Ernst Appel. Bericht ùher die Literatur der Philosophie
der Renaissance in den Jahren i 899- J 907. pp. 557-570.
ARCHIVES DE PSYCHOLOGIE. Juillet. — Ed. Claparède. Classifi-
cation et plan des méthodes psychologiques. (Le Processus psychophysio-
logiqne immédiat par le moyen duquel se fait la mesure ou l'analyse est
un phénomène de réception, ou de jugement, ou à'exécution, ou
ai' expression. Quelle que soit la fonction mentale envisagée : sensibilité,
mémoir.e, attention, sentiment, nous pouvons toujours faire rentrer les
investigations les concernant dans un de ces quatre groupes. Au point
de vue technique on doit employer 1° les méthodes quantitatives
(Psychométrie) : la mesure est exprimée en degrés de l'excitant (psycho-
physique), en durée du processus (psycho-chronométrie), en travail
fourni (psycho-dynamique), en nombre de sujets (psycho-statistique);
2° les méthodes qualitatives (Psycholexie) : la description ou apprécia-
tion est fondée sur l'analyse subjective (introspection) et sur des signes
extérieurs (extrospection,) pp. 321-36i.
ARCHIV FUR RELIGIONSWISSENSCHAFT. 3-4. — Richard Wuexscb.
Notice nécrologique sur Albrecht Dieterich, mort le^6 mai 1908. — Abhand-
LUNGEN. I. — Albrecht Dieterich. Die Enslehung der Tragoedie. (Origines
religieuses de la tragédie grecque. Le chœur et la danse des boucs et
des satyres, autour de Dionysos, dieu de la fécondité renaissante et
des morts. Son cortège représentant les âmes des morts ; à la /sa;
ytloix s'ajoute une naenia funéraire chantée alternativement par une
seule voix et par le chœur qui lui répond. Le sujet n'en est pas, comme
plus tard dans l'orphisme, la passion de Dionysos. « Le chariot de
Thespis », c'est le cu/'rws )mua/(s du dieu qui vient par mer à Athènes
rapporter la fertilité de terres lointaines. Les « tragédies » proprement
dites, organisées à Athènes par l'État au VP siècle, sortent de ce germe.
L'unique personnage qui donnait la réplique au chœur se dédouble à
RECENSION DES REVUES 833
partir d'Eschyle et se multiplie en une série d'acteurs. La Aî^t; yzloitx
cède à l'action dramatique. Traces permanentes des origines sacrées
du drame. La « péripétie», en relation avec la péripétie par excellence
des mystères^ le passage du mal au bien, de la mort à la vie, etc.
Rapports possibles avec la liturgie éleusinienne. Analogie de ces origines
de la tragédie grecque avec celles des drames du moyen âge.) pp. 163-
196. — J. G. Frazer. Hunting for soûls. (F. explique Ezéchiel, XIII^ i1-
21 , par la superstition répandue de la capture des âmes en voyage hors
de leurs corps.) pp. 197-199. — W. Wundt. 3/àrchen, Sage und Légende
als Entunckpïungsformen des Mythus. ( Le «mythe» n'est pas une forme
de récit dont le conte, la saga et la légende seraient des dérivés, mais un
genre commun aux trois. W. entreprend de caractériser chacune de ces
formes de récits, qui se trouvent tantôt isolées, tantôt mêlées. Le plus
particulièrement primitif serait le conte populaire, produit spontané de
l'enfance des individus ou des races ; la légende ordinaire [Sage) en
diffère par les relations déterminées qu'elle implique à des lieux ou des
temps donnés, parfois mêhie à des personnalités réelles de l'histoire ;
la légende proprement dite a une portée éthique ou cultuelle. Tous les
mythes se présentent sous forme de contes mytholo<giques ou de « Sagen »
mythologiques. Le mythe divin n'est pas une troisième espèce ; il se
range dans l'un ou l'autre de ces deux genres, ou présente un mélange
des deux. Les dieux n'ont rien à faire avec un bon nombre de mythes.)
pp. 200-222. — A. von Domaszëwski. Biepolitische Bedeulung der Religion
von Einesa. (Influence du culte du dieu solaire d'Émèse, dans sa ten-
dance à devenir religion universelle, sur l'histoire de l'empire romain
à l'époque des Sévères. Petite dissertation sur le temps de l'écrivain
Uranius.) pp. 223-242. — R. Hirzel. Der Selbstmord (suite). (Moyens de
suicide. Légalisation en Attique, sa théorie, jugement moral, sa con-
damnation par les théologiens (Philolaos, V^ siècle), son interdiction et
les raisons qui la fondent, sa punition ; sa justification par les écoles
cynique et stoïque.) pp. 243-284. — , H. Holtzmann. Hôllenfahrt im
jSeuen Testament. (Contre les vues critico-apologétiques d'un certain
nombre d'exégètes, H. maintient qu'il est bien question de la descente
du Christ aux enfers dans le N. T. {3It. XXVII, 52 ; I Pet. III, 19, etc.)
et y voit un mythe à la formation duquel participèrent simultanément
les mythes païens de descentes de divinités dansl'Hadès et l'imagination
judéo-dhrétienne.) pp. 283-297. — Enno Littmann. Sternensagen und
Astrologische aus Nordabessinien. (Noms des étoiles chez les Abyssins
septentrionaux, mythes et rites superstitieux sur la lune, les constella-
tions.) pp. 298-319. — Richard M. Meyer. Fetischismus. (M. discute les
idées de Lehmann sur le « fétichisme. » Cet ancien nom doit rentrer
dans l'usage, non comme synonyme pur et simple d'animisme, mais
pour désigner cette conception religieuse d'après laquelle l'homme a le
pouvoir d'instituer les objets du culte, de conférer un caractère ou une
activité surnaturelle à divers objets animés ou inanimés. Le fétiche n'est
dieu que pour son adorateur exclusivement. Il est vraisemblable que l'évo-
lution parcourt les stades : dieux momentanés ou occasionnels étudiés
par Usener, — fétichisme, — animisme.) pp. 320-338. — IL Bericiite. —
C. H. Becker. Islam. (Bulletin des récents travaux sur l'Islam, généralités,
834 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
vie de Mahomet, Coran, Tradition et sources diverses, orthodoxie, hété-
rodoxie, littérature populaire. Islam moderne.) pp. 339-368. — K. Th.
Preuss. Die religiôsen Gesànge und Mylhen einiger Stàmme der mexika-
nischen Sierra Madré. (Nombreux détails sur ces chants et ces rites,
particulièrement dans la tribu des Huichol. Description des chants, des
danses, etc. représentant de manière dramatique Faction des dieux sidé-
raux et agraires. Incantations analogues pour les morts, les maladies.
Richesse de ces sources populaires et leur importance pour les études
mexicaines.") pp. 369-398. — III. Mitteilungen und Hinweise. pp. 398-416.
BIBLISCHE ZEITSCHRIFT. 3. — J. Denk. Burkitts Thèse : Itala
Augusti/u = Vulgata Hieronymi — eine lextkritische Unm'ôglichkeit.
(L'argument principal de cette impossibilité est fourni par un texte des
Rétractations (I. 37), jusqu'à présent inexploité, mais décisif, et dans
lequel S. Augustin affirme que la traduction des Écritures dont il se
sert ne contient pas une seule fois le mot : caeremonia. Or le mot se lit
communément dans le texte de la vulgate hiéronymienne.)pp. 225-244.
— J. HoMHEDi, S. J. Zu den neuesten jûdisch-aramaischen Papyri ans
Elefantine. (Présente les nouveaux papyrus araméens d'Éléphantine
découverts par Rubensohn, déchiffrés et publiés par Sachau (1907),
Insiste sur le fait que ces documents ont appartenu au même fonds
d'archives juives d'où sont sortis les papyrus de Sayce (1906) et celui
d"Euting (1903), On possède donc relativement aux mêmes événements
trois témoignages qui se confirment et se complètent l'un par l'autre.)
pp. 245-261. — A. ScHULTE. In icelchem Verhiiltnis steht der Cod. Alex,
zum Cod. Vat. im Bûche Tobias ? (Le Vaticanus offre du livre de Tobie
un texte plus ancien que celui de VAlexandi'inus. Il est toutefois possible
que des additions aient été faites au Vaticanus.) pp. 262-265, — H. Koch.
Der eriveiterte Markusschiuss und die kleinasiatischen Presbyter. (La
péricope finale de l'Évangile de Marc XVI, 9-2U) s'est accrue d'un
nouveau fragment conservé en partie déjà par S, Jérôme (Cont. Pelag.
II, lo), et en totalité par le manuscrit de Ch, Lang Freer, Cette addition
et la finale elle-même dérivent d'une source commune. Et cette source
est originaire d'Asie-Mineure. On le prouve par la comparaison établie
entre ces fragments et les écrits d'origine asiatique : épître aux
Hébreux, S. Irénée, première épître et évangile de S. .Jean.Jpp, 266-278.
BULLETIN DE L'INSTITUT GÉNÉRAL PSYCHOLOGIQUE. Mars-
Avril. — Conférence de M. Emile Boutroux : Le moi subliminal. (Brève
histoire des recherches sur l'inconscient ou subconscient. Analyse
critique des principales théories. L'auteur propose cette hypothèse
touchant l'opération propre du subconscient : L'expérience consciente,
où le sujet et l'objet se posent en face et en dehors l'un de l'autre, est
une opération dérivée, née d'un effort spécial, dont le but est de créer
des symboles objectifs et précis des choses afin de pouvoir les recon-
naître, prévoir leurs cours et en disposer. Or cette expérience
dérivée suppose une expérience immédiate qui doit être l'unité de
l'objet et du sujet, du faire et du connaître. Cette expérience immédiate
impossible à notre moi conscient, serait le secret ressort de notre moi
RECENSION DES REVUES 835
subliminal.) pp. 107-122. =r Mai-Juin. Conférence de M. Henri Poincarré :
Uinvention malhématique. (Le conférencier fait valoir, à travers son
expérience personnelle, le rôle prépondérant du travail inconscient dans
l'invention mathématique. Mais ce travail inconscient doit être précédé
d'un travail conscient qui prépare, parmi les éléments du problème, la
bonne combinaison. Un travail conscient doit suivre la découverte de
l'inconscient, pour la vérification par les règles du calcul, qui, étant
strictes et compliquées, exigent la discipline, l'attention, la volonté et
par suite la conscience.) pp. 17,^-187.
BULLETIN DE LITTÉRATURE ECCLÉSIASTIQUE. Juillet-Oct. —
L. Maisonneuve. Science et religion, l^-^ art. (Analyse critique de l'ou-
vrage de M. Boutroux : Science et religion dans la Philosophie contem-
poraine (1908).) pp. 217-234. — L. Desnoyers. Les nouveaux papyrus
araniéens (VEléphanline. (Trois papyrus découverts par M. Rnbensohn
et publiés (1907) par M. E. Sachau. Traduction ; détails qu'ils fournis-
sent sur quelques personnages et sur la situation religieuse de la
colonie.) pp. 235-246.
CIUDAD DE DIOS. 5 Août — M. Arnaiz. La percepciôn del mundo
exterior (à suivre). (Commence à étudier la perception du monde
extérieur. Énonce le problème et la solution du sens commun ; analyse
la solution du subjectivisme contemporain et la juge incapable d'expli-
quer le caractère d'objectivité et d'extériorité des perceptions.) pp. 563-
575. =1 5 Sept. — M. Arnaiz. La percepciôn del mundo exterior (suite).
(Considère l'aspect psychologique du problème. Indique la solution
réaliste et les solutions subjectivistes. Expose et critique la théorie
associationnisie de Villusion.) pp. 26-36.
CIVILTA CATTOLICA (LA). 4 Juillet. — Il teslimonio di S. Lreneo
sulla Chiesa Bomana e sulV aiitorità del Romano Pontifice (suite). (Exa-
men et explication du texte Ado. haer. m, 32, et spécialement de l'expres-
sion potentior principalilas.) pp. 33-47. — // Boccardo e il progresso délia
moralità. (La morale ne peut progresser dans ses principes premiers,
mais elle le peut dans la connaissance qu'on en a, dans leurs détermina-
tions particulières, dans l'exercice pratique. Or l'Église admet et réalise
ces progrès plus que toute autre société.) pp. 48-57. = 18 Juillet. —
F. Savio. Nuovi sludi sulla questions di papa Liberio. (Soutient contre
Mgr Duchesne [Mélanges de Vhcole française de Rome, t. XXVill, 1908)
l'inauthenticité des quatre lettres attribuées au pape Libère et montre
qu'on a des témoignages extraordinaires en faveur de son orthodoxie,
qu'il a été l'objet de calomnies.) pp. 143-157, = 1" Août. — // moder-
nismo crilico. (La critique dont se targuent les modernistes n'est pas
une vraie critique. Elle est corrompue par les théories immanentistes
et agnosticistes de ses partisans.) pp. 257-271. = 15 Août. — F. Savio,
Nuovi studi sulla questione di papa Liberio. (Les preuves apportées
pour prouver la culpabilité de Libère ne sont pas convaincantes.)
pp. 398-422. =19 Sept. — // modernismo critico e storico. (Malgré qu'ils
s'en défendent, les modernistes sont dépendants dans leur critique
836 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
historique de données philosophiques. Leur prétention d'exclure Dieu
de l'histoire et de limiter le domaine de celle-ci aux phénomènes
dénonce l'agnosticisme ; l'opposition qu'ils mettent entre l'histoire et la
foi est la preuve de leur immanentisme ; l'insistance qu'ils mettent à
prôner l'évolution en face de l'inspiration fait croire à des idées d'évo-
lutionisme historique anti-chrétien.) pp. 6ri7-675. — F. Savio. A^iiovi
sludi sulla questione di Papa Liberio. (Maintient, dans le détail, l'inau-
thenticité des lettres attribuées au pape Libère.) pp. 676-688.
ÉCHOS DCRIENT. Juillet. — M. Jugie. S. Jean Chrysostome et la
'primauté du Pape. (On ne trouve dans les œuvres de saint Chrysostome
« aucun texte affirmant explicitement et sans conteste possible que
l'évêque de Rome est le successeur de saint Pierre dans sa primauté. »
Mais plusieurs actes de l'évêque de Constantinople montrent nettement
qu'il admettait cette doctrine.) pp. 193-202.
ÉTUDES. 20 Juillet. — Adh. d'Alès. L'œuvre de saint Luc. (Analyse
critique de l'ouvrage de Harnack: Lukas der Arzt. 1906.) pp. 248-239.
= 20 Août. — P. GÉNY. L'enseignement de la Métaphysique scolastique.
(Exposé historique de l'ordre suivi dans l'enseignement de la philoso-
phie scolastique.) pp. 433-467. ;= 5 Sept. — P Gény. U enseignement de
la Métaphysique scolastique. (Les questions qui composent aujourd'hui
l'ontologiepourraient se répartir en trois groupes: les unes se rattachent
directement à la logique, d'autres appartiennent àla théologie naturelle,
d'autres forment une véritable introduction à la philosophie réelle. La
réforme proposée serait un retour à la tradition, car la logique traitait
des universaux dans leurs rapports mutuels, la physique s'ouvrait par
l'étude du devenir, à la métaphysique étaient réservées les généralisa-
tions les plus ardues. Elle conservait aussi au péripatétisme son carac-
tère objectif et positif.) pp. n77-604.
ÉTUDES FRANCISCAINES. Juillet. — P. Dominique. J'î;Mp'nt!5, créateur
du mouvement théologique espagnol (fin). (La restauration de la scolas-
tique entreprise par Ximénès a été une restauration « complète, inté-
grale ». Il a fait refleurir les trois grandes écoles de théologie:
thomisme, scotisme, occamisme. Par là il a préparé des théologiens
pour la lutte intellectuelle contre les protestants.) pp. 41-35. = Sep-
tembre. — P. HiLAiRE. Les derniers travaux d'apologétique (à suivre).
(Analyse et critique sur plusieurs points l'ouvrage du R. P. Gardeil, 0. P.
La Crédibilité et V apologétique.) pp. 223-242.
EXPOSITOR THE] Juillet. — G. A. Smitu. Herr Alo'is Musil on the
Land of Moab. (Analyse de l'important ouvrage du Dr A. Musil, Arabia
Petraea, /, Moab. Vienne, 1907.) pp. 1-16. — J. B. Mayor. The Helvidian
versus the Epiphanian Bypothesis. (Maintient contre les critiques du
Church Quarterly le bien-fondé de l'opinion dllelvidius qui voit dans les
« frères du Seigneur » d'autres enfants de Marie et de Joseph.) pp. 16-
41. — D. S. Margolioutu. Récent Exposition on Isaiah LUI. (Critique,
RECENSION DES REVUES 837
comme inacceptables, l'opinion de J. W. Thirtie qui reconnaît le ser-
viteur de Jahvé dans Ézéchias, celle de Sellin qui propose Jehoiachin,
celle de Gressmann qui voit dans ce personnage une création mythique
du cycle d'Adonis, rapporte l'interprétation traditionnelle soutenue
récemment par Feldmann et conclut qu'il faut attendre la découverte de
documents nouveaux contemporains du second Isaïe.) pp. 59-68. — E. F.
Scott. John the Baptist and his Message. (Les Évangélistes n'ont rapporté
de Jean-Baptiste que ce par quoi il a été le Précurseur de Jésus. L'auteur
estime qu'il a eu cependant un programme et un message propres et il
entreprend de les restituer d'après les Évangiles.) pp. 68-76. — R.
Macktntosh. Corinth and the Tragedy of Saint Paul. (Étudie les rapports
de saint Paul avec l'Église de Corinthe pendant son ministère à Éphèse.
Place entre I et II aux Cor. la visite rapide dont parle // Cor. , XII, 16,
XIII, 1, et la lettre à laquelle fait allusion // Cor. , II, 4.) pp. 77-83. —
J. H. MouLTON and G. Mtoligan. Lexical Notes from the Papyri. (Donne
avec citations, les vocables, employés dans lA. et le N. T. , que l'on
trouve dans les papyrus : de avoiôév à âTroypâçouat.) pp. 84-96. = Août.
— J. Orr. The Résurrection of Jésus. VII. The Significance of the Appea-
rances. The Risen Body. (Étudie les apparitions publiques, officielles,
par opposition aux apparitions privées, de Jésus aux apôtres, en défend
la réalité, en fait ressortir la signification. Le corps de Jésus ressuscité
est présenté à la fois comme un vrai corps et comme doué de privilèges
surnaturels qui ont leur origine en sa personnalité divine.) pp. 98-118.
— B. D. Eerdmans, Hâve the Hebreius heen Nomads ? (Ni à l'époque
patriarcale, ni au temps de l'Exode les Hébreux n'ont été de vrais
nomades, mais des semi-nomades. Les lois agricoles de Moïse peuvent
être authentiques.) pp. lis-lol, — G. A. Smith. Berr Alois Musil on the
Lund of Moab (suite). (Analyse de la partie de l'ouvrage du Dr Musil
consacrée au sud de Moab.) pp. 131-150. — W. Sherlock, The Potières
Field. (Les Actes de S. Luc ne sont pas moins dignes de croyance dans
leur première partie que dans leur seconde. La remarque est justifiée
en ce qui concerne le discours de S. Pierre, Actes, I, et spécialement
l'incidente relative à Judas que l'on peut accorder avec la narration
parallèle de Matthieu.) pp. 158-163, — J. B. Mayor. The Helvedian versus
the Epiphanian. (Continue son essai de justification de la théorie
d'Helvidius louchant les « frères du Seigneur ».) pp. 163-182. — J. H.
MouLTON and G. Milligan. Lexical Notes from the Papyri. (Notes lexi-
cographiques sur les termes employés dans l'A. et le N. T. que l'on
retrouve dans les papyrus : de àTtodiiyjvviJ.i à àTrocpÉpco.) pp. 182-192. =
Sept. — B. D. Eehdmans. The Hebrews in Egypt. (Les Patriarches étant
semi-nomades, semi-agriculteurs, il est possible de reconnaître en eux
les Israélites dont Merenptah ravagea les moissons. Les Israélites ne
sont entrés en Egypte que vers 1205. Ils y trouvèrent d'autres groupes
d'Hébreux établis depuis longtemps, les Apriiv des textes égyptiens.
L'exode des Apriw et des Israélites eut lieu vers 1125. Les Khabiri des
lettres d'El-Amarna n'ont rien à voir avec les Hébreux ni avec les Israé-
lites.) pp. 193-207. — R. Mackintosh. r/ie Brief Visit to Corinth. (La
visite •:( brève » aurait été motivée par le refus des Corinthiens de s'asso-
cier à la sentence de saint Paul contre l'incestueux. On peut supposer
26 Année. — Revue des Sciences. — N° 4. 54
838 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉQLOGIQUES
que celle senlence lerrible eut pour résultai lamorl du malheureux. Le
triomphe douloureux de saint Paul fut de courte durée. Un groupe de
judaïsauts arrive àCorinlhe et leur action aboutit à une terrible réac-
tion contre saint Paul.) pp. 220-234:. — J. Orr. The Résurrection of Jésus.
VIL The Aposlolic Church. Visionat and Apparilionnl Théories.
(Montre que les grandsfails qui marquèrent l'histoire de l'Église apostoli-
que, p. ex. lapentecôte, la conversion de sainl Paul, impliquent la réalité
de la Résurrection. Examine et écarte ensuite les deux principaux sys-
tèmes d'explication qui s'attachent à exclure la réalité de la Résurrection,
la théorie des visions et celle des apparitions réelles du Christ spirituel.)
pp. 2oô-254. — G. H. Smitii. Hâve Ihe Ilebrews been Nomad% ? A Bcply to
Professors Eerdmans. (Conteste l'originalité et signale l'imprécision
des classifications du Dr. Eerdmans. L'analyse que ce dernier entreprend
des récits de la Genèse présente les mêmes fâcheux caractères.) pp. 254-
272. — J. H, MouLTON and G. Milligan. Lexioal Noies from the Papyri.
(Suite des notes lexicographiques sur les mots qui se trouvent à la fois
dans l'A. ou le N. T. et dans les papyrus : de xT,6yoY](JLç, à àor-jw.) pp. 278-
281.
EXPOSITORY TIMES (THE). Juillet — H. A. A. Kennedy. The Self-
Consciousness of Jésus and thf' Servant of the Lord (suite). (Jésus aurait
acquis d'abord et très tôt — il la possède dès l'âge de 12 ans — la cons-
cience de sa relation filiale vis-à-vis de Dieu, conscience qui aurait
donné naissance à celle de sa messianité.. Cette dernière se serai t précisée
et modelée sous l'influence des prophéties du "Serviteur de Jahvé". Le
Baptême marque la consécration définitive de ces convictions intimes.)
pp. 442-446. — J. S. Banks. The Argument from Expérience. (Constate
que l'on donne à l'argument d'expérience intime une place de plus en
plus grande en Apologétique. Cependant cet argument ne saurait suffire
à lui seul et demande à être complété par l'argument historique. La
preuve philosophique n'est pas moins légitime et utile, et la défiance
que l'on atïecte vis-à-vis de la philosophie est anormale.) pp. 460-462.
— A. H. Sayce. The Archaeology of the Book of Genesis. (Éclaircisse-
ments sur la section relative à l'Éden, Gen. II, 8-14 tirés de la philolo-
gie et de la littérature assyro-babyloniennes.) pp. 470-472. = Août. —
H. A. A. Kennedy. The Self-Consciousness of Jésus and the Servant of
the Lord. (Signale dans les paroles et actions de Jésus au cours de sa
vie publique les traces de l'influence profonde exercée sur son esprit
par les oracles relatifs auServiteur de Jahvé.) pp. 487-491. — Eb. \estle.
He shall le called a Nazarene. (Estime, après Weymouth, et d'après la
formule parallèle de Luc I, 3o, que Malt. II, 23 semble devoir se tra-
duire, non pas Nazaréen, mais Naziréen. Sans vouloir douter de l'exis-
tence de Nazareth, se demande si le séjour de Jésus à Nazareth ne
repose pas sur une méprise.) pp. 523-524.
HARVARD THEOLOGIGAL REVIEW (THE). Juillet. — .\. H. Lloyd.
The Philosophy of Plato as a Méditation on Dca th. (L'idéalisme " réa-
liste " de Platon représente la victorieuse réponse d'un esprit élevé,
croyant, optimiste, aux impressions pessimistes que la mort de Socrate
RECENSION DES REVUES 839
elle spectacle de la décadeuce athéniennes avaient faites sur lui.) pp. 32o-
343. — G. E. HORR, Bishop Butler and Cardinal Newman on Keligious
Certitude. (Après avoir précisé la maxime fondamentale de l'Api^logé-
tique de Butler, à savoir qu'en matière religieuse l'on ne peut exiger
une certitude démonstrative et qu'il est légitime de se décider dans le
sens de la plus grande probabilité, maxime qu'il juge tout à fait inac-
ceptable, l'auteur a étudié l'influence de la pensée de Butler sur la
théologie anglaise et sur l'école même où se forma Newman. Celui-ci a
pour objectif d'obtenir une évidence externe qui rejoigne ses évidences
internes et il la demande à Villative sensé. Au fond cependant il est
demeuré sous l'influence du principe de Butler. Contribution de Butler
et de Newman à une con-ieption plus adéquate de la certitude religieuse),
pp. 346-361.
HIBBERT JOURN/VL (THE). Juillet. — W. James, Pluralism and
Religion. (Nos expériences religieuses ne trouvent d'explication satis-
faisante qu'en une conception pluraliste du monde dans le genre de
celle formulée par Fechner. Ni le naturalisme, ni le théisme dualiste, ne
peuvent s'y harmoniser.) pp. 722-7:28. — R, Eucken. 7'he Problem of
Immorlality. (Après avoir esquissé l'histoire et l'état présent de ce
problème, expose que la vraie preuve de l'immortalité doit être deman-
dée, non pas à certains caractères généraux de l'âme, mais à la nature
spécifique de l'âme et au sens particulier de la vie humaine. Le terme
" spirituel " caractérise bien le caractère et la valeur propres de l'âme
et de la vie humaine, la sphère spéciale à laquelle elles appartiennent.
Ajoute quelques suggestions touchant la nature et les conditions de cette
immortalité.) pp. 836-831.
INTERPRETER (THE). Juillet. — E. Barnes. Our Appréhension of
the Doctrine of the Trinifi/. (La Trinité a été appréhendée spirituellement
avant d'être formulée intellectuellement. L'appréhension spirituelle en
même temps qu'elle donne à la connaissance intellectuelle son efficacité
salutaire, la préserve de l'erreur que la valeur approximative des analo-
gies de substance et de personne pourrait engendrer.) pp. 332-363. —
J. Orr. Professeur Peake on Biblical Crilicism. (Maintient, contre les
observations du Pr, Peake, que la critique des représentants attitrés de
l'école grafienne montre la profonde influence de postulats rationalistes
et déclare ne pas partager l'optimisme avec lequel son contradicteur
envisage l'esprit et l'orientation de leurs travaux.) pp. 364-372» —
F. J.FoAKES-JACESON.Causes and Methods of Dealing with Modem Unbelief.
(Après avoir exposé que si la situation présente du Christianisme est
difficile, eUe ofl"re peut-être moins de périls qu'à beaucoup d'autres
époques, indique les deux principales diflicultés de la situation et
suggère que le moyen d'y parer n'est pas de tout rejeter de la science
contemporaine, comme on l'a fait trop longtemps, ni non plus de rien
céder sur les seules injonctions de la science, mais d'écarter ce qui n'est
plus défendable après jugement de la théologie qui seule est qualifiée
pour en juger.) pp. 373-382. — Cl. F. Rogers, The Scientific and Historié
Methods in Theology. (Trop souvent la méthode historique appliquée à
840 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
l'étude du Christianisme se présente comme une extension de la
méthode usitée dans les sciences physiques à l'étude de réalités pour-
tant bien différentes.) pp. 383-401. — S. L. Browx. The Book of'Malachi.
(Le nom et la personne de l'auteur sont inconnus. L'œuvre doit être du
milieu du V** siècle. Signale parmi les doctrines caractéristiques de l'au-
teur, la condamnation du divorce, son zèle pour la Loi, sa conception
élevée du sacerdoce.) pp. 402-408. — H. .1. Bardsley. Is the Virgin Birlh
Doçjmaticalhj slaled in Ihe Aposlles' Creed? (Saint Paul connaissait les
informations relatives à Jésus recueillies par saint Luc et par suite la
naissance virginale. Marc et Jean, tout compte fait, semblent aussi
l'avoir connue. Estime que la formule du Credo : Né de la Vierge Marie,
n'est pas une affirmation dogmatique de la naissance virginale.)
pp. 409-425. — G, J. CniTTY. The Idea of Judgement in St. John. (L'idée
du jugement dans le IV» Évangile, tout en ne différant pas essentielle-
ment de celle des synoptiques, nous introduit plus avant dans le mystère
des rapports entre l'homme et Dieu. 11 consiste dans le refus de la lumière
et l'amour des ténèbres, rendus sans excuse par la manifestation du
Fils. La clef de la doctrine de saint Jean est fournie par Jo. III, 16-21.)
pp. 426-432. — F. W. Orde Ward, Ihe Désire for Immorlality. f pro-
pos dune enquête instituée par le " Psychical Research Society " et qui
semble avoir abouti à constater la non-universalité du désir d'immorta-
lité, expose qu'il y a lieu d'expliquer ce qu'est l'immortalité, objet d'un
désir universel.) pp. 433-442.
IRISH THEOLOGICAL QUARTERLY (THE). Juillet, — J. A. Ryan,
The Moral Aspect of Monopohj. (Étudie successivement les monopoles
privés et les monopoles quasi-publics. Détermine les conditions dans
lesquelles les prix peuvent être considérés comme justes ou injustes ;
signale trois mélhodes injustes d'établir ou de soutenir un monopole
privé. Traite de l'obligation éventuelle et du mode de restitution.)
pp. 273-292. — J. O'Mahony, On some Difficulties recently raised ag ainsi
the Argument from Design for the Existence of God. (Récemment un
théologien catholique, le Révérend Mac Donald a formulé contre la
démonstration de l'existence de Dieu par l'argument tiré de la finalité
les objections suivantes : Il faudrait prouver, par des raisons directes,
que l'ordre du monde a commencé, ce qu'on ne fait pas. Il faudrait
prouver que l'ordre actuel ne provient pas par évolution d'un ordre
éternel en germe, ce qu'on ne fait pas. Il n'est pas démontré que la vie,
à aucun moment, n'a pu être produite par des forces matérielles.
L'auteur estime ces objections sans force.) pp. 293-306. — P. Mac Kenna,
The Jiidicial Character of the Sacrament of Penance. (Après avoir défini
l'office judiciaire en général, précise ce qu'il implique dans le cas du
sacrement de pénitence. Établit ensuite que, lors de la scène solennelle
rapportée Jean XX, 22-23, et qui vit l'institution du sacrement de
pénitence, les apôtres ont néces.sairement et légitimement compris qu'ils
étaient investis d'un vrai pouvoir judiciaire sur le péché.) pp. 307-322.
— F. H. Pope, 0 P., Israël in Egypt after the Exodus. (Étudie, d'après
les découvertes de FI. Pétrie et les papyrus d'Éléphantine, les traces
laissées par les Juifs échappés à l'exil babylonien dans le Delta et la
RECENSION DES REVUES 841
Haute-Égypte.) pp. 342-336. — J. Mac Caffrey, The Origin and Dévelop-
pement of Cathedral and Collégiale Chapters in the Irish Church (à
suivre). (L'organisation créée par S. Patrice comportait l'épiscopat tri-
bal, des communautés de caractère plutôt canonial que monastique. Le
Saint n'a pas rédigé de règle monastique ; les grands centres monas-
tiques sont postérieurs. La tradition d'une apostasie générale de
l'Irlande, fin du V* siècle et commencement du YP, est par trop invrai-
semblable. Précise le rôle des Saints Irlandais dits du Second Ordre, et
étudie l'organisation qu'ils donnèrent à l'Église d'Irlande et qui avait
son analogue sur le Continent.) pp. 357-371.
JAHRBUCH FUR PHILOSOPHIE UND SPEKULATIVE THEOLOGIE.
XXII, 1. — p. A. Manser, 0. P. Die gottliche Erkenntnis der Einsei-
dinge und die Vorsehung bei Averroes. (On a répété jusqu'à ce jour
qu'Âverroès niait que Dieu connaissait les choses particulières et exer-
çait sa providence à leur égard. C'est faux 1 Averroes n'a nié ni l'un
ni l'autre de ces points. D'après lui, Dieu connaît les choses indivi-
duelles, comme telles ; mais il les connaît d'une autre manière que nous,
d'une manière plus parfaite, puisque sa connaissance est la cause même
des choses particulières. Cette même causalité divine est aussi pour Aver-
roes un motif pour admettre qu'il y a une providence et que Dieu prend
soin des choses terrestres. Toutefois une puissance étrangère, la matière
éternelle incréée, porte à cette providence divine maint préjudice.) pp.
1-29. — P. W. ScHLOSSiNGER, 0. Pr. Die Erkenntnis der Enc/elÇS^ art),
(Les anges ont une connaissance naturelle de Dieu ; ils connaissent
l'essence divine par le moyen de leur substance, en tant que cette
dernière représente l'essence divine ; ils n'ont pas, selon les thomistes,
de Dieu une espèce propre. Il est aussi plus probable que l'ange ne
connaît Dieu qu'en se connaissant d'abord soi-même ; ce faisant il ne
pose qu'un acte et non pas deux. — Objets matériels de la connaissance
angélique. C'est un fait attesté par la Révélation et prouvé par saint
Thomas que les anges connaissent les choses matérielles (I P. qu. 57,
a. 1) ; ils les connaissent dans leur individuabté et non d'une manière
générale, ils les connaissent indépendamment de l'espace et du temps.
Parmi les choses individuelles, l'ange connaît aussi les futurs ; non pas
tels qu'ils sont en eux-mêmes, mais dans leurs causes ; 2. les mouve-
ments naturels et spontanés de l'intelligence et de la volonté angélique
et humaine, non pas les pensées et les vouloirs libres ;3. les actes de
l'appétit sensitif chez les animaux ; chez Ihomme il ne connaît ces actes
que pour autant qu'ils ne dépendent pas de la raison ou de la volonté
libre. — Les mystères de la grâce ne sont pas l'objet de la connaissance
naturelle des anges. — 4. Le mode de la connaissance angélique. Con-
trairement à ce qui existe pour l'âme humaine, il y a toujours dans
l'ange une connaissance actuelle 1° de sa propre substance, 2'' de Dieu ;
quant aux autres objets, sa connaissance est tantôt habituelle, tantôt
actuelle. L'ange peut connaître actuellement plusieurs objets ; sa con-
naissance n'est pas formellement discursive, ni proprement expérimen-
tale ; il ne forme pas non plus son jugement par voie de composition et
de division ; il n'a une connaissance compréhensive que de ces objets
842 PEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
dont il a en lui une espèce propre, et des créatures placées en dessous
de lui. L'ange, tant le bon que le mauvais, ne peut errer de soi ; le bon
ange ne peut, pas même par accident, donner dans Terreur.) pp. 45-84.
JOURNAL (THE) OF PHILOSOPHY. PSYCHOLOGY AND SCIENTIFIC
METHODS. 4 Juin. — G. Vailati. On Malerial Représentations of Deduc-
tive Processes. (Étudie l'emploi des métaphores empruntées au monde
physique pour exprimer les opérations mentales, en prenant comme
exemple celles qui décrivent le raisonnement déductif. Les divise en
trois groupes suivant qu'elles se rattachent aux images de support, de
montée et de descente ou de contenant et de contenu, et tout en recon-
naissant les avantages que présentent certaines d'entre elles, signale
surtout les illusions qu'elles créent.) pp. 309-316. — Discussion. W. Mit-
CHELL. Structure and Groivth of tlie Mind. (Répond aux critiques du Dr
Perry sur son ouvrage. Explique et défend sa manière de voir sur trois
questions en particulier : rapports de l'esprit et du cerveau, de l'esprit
et de l'expérience, le sujet comme objet d'expérience.) pp 316-321. —
Max Meyer. 7 lie Exact Number of Pragmatisms. (Il est vain de chercher
à déterminer le nombre exact des variétés de pragmatismes, comme l'a
tenté le Prof. Lovejoy ; les théories dont il veut montrer la radicale diffé-
rence, celles en particulier qui concernent le sens et la vérité des propo-
sitions et les conséquences des propositions ne sont en réalité que des
fonctions d'une seule et même variable, le développement de la vie
humaine.) pp. 321-326. = 18 Juin. — W. H. Winch The Function of
Images. (La théorie actuellement en faveur au sujet des images, leur
attribue un rôle beaucoup plus étendu et plus important que celui qui
leur convient en réalité. L'absence d'images dans la perception, la com-
paraison et le mouvement volontaire ne parait pas nuire à la perfection
et à la facilité de ces opérations.) pp. 337-352. — H. H. Britan. The
Power of Music. (La puissance d'émouvoir de la musique semble due
principalement à trois causes : l'importance biologique du son, le carac-
tère organique du rythme et le caractère dynamique des divers éléments
du symbolisme musical.) pp. 352-357. = 2 Juil. — J. E. Boodln. 7. Is
Expérience Self-Supporting ? (L'expérience ne saurait se suffire à elle-
même, car l'on n'y trouve pas l'explication d'un certain nombre de faits ;
p. ex. sa propre continuité dans le temps, la communication des esprits,
la régularité dans la nature, etc. Il y a donc une réalité qui dépasse l'ex-
périence et qui en est le fondement. Toutefois on ne peut se la repré-
senter comme un ensemble de substances spirituelles ou matérielles, ni
comme l'Absolu; elle est dynamique comme l'expérience. Être == éner-
gie.) pp. 363-375. — Discussion. J. Dewey. The Logical Character of
Jdeas. (Le caractère logique des idées tient à ce qu'elles sont essentiel-
lement des hypothèses destinées à diriger la pensée réfléchie vers une
conclusion stable.) pp. 375-381. = 16 Juil. — J. E. Boodin. Energy and
Reality. IL The Définition of Energy (L'énergie se définit par les deux
notions de processus et d'uniformité. Bien que la science tende à réduire
à un seul type les diverses formes de l'énergie, il faut se garder en phi-
losophie d'une unification artificielle. Les faits semblent réclamer trois
espèces d'énergies : l'énergie matérielle caractérisée par la masse et le
RECENSION DES REVUES 843
poids, l'énergie électrique et l'énergie intentionnelle ou psychique.) pp.
393-406. — Th. P. Bailey. Organic Sensation and Organismic Feeling.
(Description et analyse, d'après une expérience personnelle, de trois
dispositions d'esprit successives.) pp. 406-412. — Socielies, R. S. Wood-
WORTU. (Compte rendu de la séance du 27 avril 1908 de la Section d'An-
thropologie et de Psychologie de l'Académie des Sciences de New-York.)
= 30 Juil. — E. A. KiRKPATRicE. llie Part Played bij Consciousness in
Mental Opérations. (Les expériences faites sur certains sujets hypnoti-
sables ne prouvent pas l'existence de consciences distinctes de la cons-
cience normale et ignorées d'elle ; le mécanisme physiologique fournit
par lui-même une explication suffisanle de ces faits. Il est probable que
le rôle de la conscience se borne à disposer l'appareil cérébral à accom-
plir un acte déterminé et à constater le succès ou l'échec dans l'exé-
cution.) pp. 421-429. — A. W. MooRE. Truth Value. (Tandis que l'école
absolutiste avec Bradley et Royce cherche à éviter les antinomies en
admettant que la pensée est cause, non seulement de sa forme, mais
aussi de son contenu, la théorie instrumentaliste offre une solution plus
satisfaisante en considérant au contraire la forme et la matière de la
peusée comme le produit des instincts en conflit.) pp. 429-436. "=^ 13
Août. — G. Salvadori. Positivism in Italy. (Rapide exposé des doctrines
positivistes d'Ardigô et de Varisco.) pp. 449-454. — G. R. Dodson. The
Function of Fhilosophy as an Académie Discipline. (L'enseignement
philosophique ne retrouvera quelque crédit que s'il aide les esprits à
organiser la synthèse de leurs connaissances, synthèse qui doit rester
assez souple pour se prêter indéfiniment à des développements nou-
veaux.) pp. 4o4-4o8. — Discussion. G. A. Tawney. Ultimate Hypothèses
in Fsychology. (L'organisation de la psychologie ferait de grands pro-
grès si l'on pouvait trouver pour elle, comme on l'a fait pour les autres
sciences, des hypothèses fondamentales appropriées. Le concept du moi,
tel que le présente Miss Calkins, ne semble pas offrir grande utilité à ce
point de vue ; il serait préférable de choisir la notion de valeur.) pp.
459-467. =27 Août. — H. R. Marshall. Subattentive Consciousness and
Suggestion. (Certains caractères de la suggestion peuvent s'expliquer
aisément si l'on considère que le domaine de la conscience inattentive
(subconscience) est au fond de même nature que celui de l'attention et
que la systématisation du premier est aussi complète que celle du
second.) pp. 477-483.
JOURNAL DE PSYCHOLOGIE NORMALE ET PATHOLOGIQUE Sept.-
Oct. — D'' Ameline. Comment faire une théorie mécanique des phéno-
mènes mentaux. (Essai de synthèse de quelques phénomènes mentaux
d'après les équations qui peuvent convenir à les exprimer au point de vue
de leur évolution, en choisissant comme première variable : le temps, et
comme seconde variable : le symptôme dominant. Recherche des équa-
tions des trois phénomènes psychologiques : démence simple, sensation,
psychoses.) pp. 398-446. — Communications à la Société de Psychologie
(5 juin 1908) : M. Dumas. Comment les prêtres païens dirigeaient-ils les
rêves? pp. 447-450. — M. Sollier. La Rétrospection, pp. 150-4.^3.
844 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
JOURNAL (THE) OF THEOLOGICAL STUDIES, Juillet. — II. J. Law-
LOR. The heresy of ihe Phrygians. (Il ne faut pas s'en tenir exclusive-
ment aux ouvrages de TertuUien pour faire connaître le Montanisme.
Il y a de sensibles différences entre « Thérésie phrygienne » et le mon-
tanisme africain.) pp. 480-499. — Documents : Cl. Jenkins. Origen
on I Corinthians. III (Publication de texte), pp. 500-514. - Notes and
Studies : M. Rule. The Leonian Sacramentary : an analytical sludy.
^à suivre). (Le Sacrameniarhun Leonianum a été composé en trois rédac-
tions successives, déterminées, d'après le manuscrit, par le nombre de
lignes et de lettres à la ligne. La première daterait du Pontificat de
Léon le Grand (440-461) ou de son successeur immédiat Hilaire (461-
468) ; la seconde du pontificat d'Hilaire, la troisième de celui de Sim-
plicius (468-483) ) pp. 5l5-oo6. — L. Gougaud, 0. S. B. Some liturgical
and ascetic Traditions of the celtic church. I. Génuflexion. (Les Irlan-
dais et les Scots pratiquaient, plus que partout ailleurs dans l'Église, la
génuflexion, soit comme pénitence privée, soit comme cérémonie
durant l'office liturgique. Cette pratique avait été en usage aussi en
Orient.) pp. o56-o61. — H. Galssen. Tlte Lucan and the Johannine
Wriiings. (Il y a entre l'évangile de S. Luc et celui de S. Jean des
ressemblances, au point de vue des sujets traités dans les discours, des
phrases, des mots, des noms. Pareille ressemblance n'existe pas entre
S. Jean et les autres. Elle doit tenir à une source commune qui serait la
Vierge mère de Notre-Seigneur.) pp. 562-568. — F. C. Burkitt et
A. E. Brooke. 5. Luke, XXII, 15-16 : Wal is the gênerai Meaning ?
(Malgré l'opinion à peu près unanime des exégètes, le verset en ques-
tion exprimerait non nu vif désir, mais un sentiment de regret.)
pp. 569-572. — R. H. Conxolly. 0. S. B. On Aphraates Boni. / § /9.
(Discussion avec M. Pass sur le texte en question ; expose ses rap-
ports avec un symbole syriaque primitif.) pp. 572-576. — F. C.
Conybeare. An Old Armenian Version of Josephus. (La version
arménienne de Josèphe imprimée en 1707 contient des restes d'une
ancienne version faite sur le syriaque, des modifications et additions
dues à un traducteur travaillant sur le grec, et enfin des modifications
faites en 1660 par Etienne de Lemberg d'après le latin de Rufin.)
pp. 477-583. — H. Souter. Contributions lo the Crilicism of Zmarag-
dus's « Expositio Libri comitis ». (Caractère de Fœnvre ; manuscrits,
auteurs cités : fautes de l'édition imprimée.) pp. .j84-597. — M. J. Thac-
KERAY. Renderings of the Infinitive absolnte in the LXX. (Deux
manières : verbe avec le nom correspondant au datif, ou verbe avec
participe du même verbe ou d'un verbe similaire.) pp. 597-601. —
J. F. Bethune-Baker. l'he Date of the Dealh of Nestorius : Schenute,
Zacharias, Evagrius. (Nestorius vivait encore à l'époque du concile de
Chalcédoine. Explication du récit d'Évagrius affirmant le contraire.)
pp. 601-605.
MIND. Juil. — L. J. ^^ \uiY.K. Martineau and the Hwnanists. (Le but,
la méthode et les principes de la philosophie morale de Martineau sont
analogues à ceux de l'épistémologie pragmatiste. Même point de vue
subjectif et psychologique, même relativisme, même affirmation du pri-
RECENSION DES REVUES 845
mat de la volonté. L'erreur qui leur est commune est la méconnaissance
du rôle de l'objet ; les difficultés auxquelles ils se heurtent pourraient
être évitées par un retour aux principes essentiels de TAristotélisme.)
pp. 305-320. — Léonard J. Russell. Space and Mathematical Reasoning.
(Essaie d'établir que l'espace n'est pas une chose, mais une pure forme,
comme le nombre. Critique les théories des Mathématiques de Poincaré
et Bertrand Russell et défend contre eux le point de vue kantien.) pp.
321-349. — Angelo Crespi. The Frinciple of Causality in Italian Scien-
tific Fhilosophy. (Les doctrines épistémologiques et cosmologiques d'Ar-
digô fournissent l'explication de la valeur objective du principe de cau-
salité que l'on chercherait en vain chez les empiristes anglais. Cette
valeur est fondée sur la réalité absolue et l'unité primitive de l'expé-
rience indifTérenciée dont le moi et le non-moi ne sont que des aspects
ultérieurs.) pp. 350-338. — Helen Wodehouse. Judgment and Appré-
hension. (Apporte quelques arguments pour prouver l'identité du juge-
ment et de l'appréhension.) pp. 359-367. — Discussion. A. Sidgwick.
« The Ambiguitij of Praginatism ». (Répond aux critiques de M. Bradley
sur l'usage du concept de pratique chez les pragmatistes et l'impossi-
bilité 011 ils sont d'aboutir à un critérium satisfaisant : note avec plaisir
quelques concessions de sa part.) pp. 308-369. — F. C. S. Schiller. Is
M^. Bradley becoming a Pragmatist ? (D'après deux récents articles de
M. Bradley, caractérise la philosophie de ce dernier comme un singulier
assemblage d'absolutisme, de scepticisme et de pragmatisme.) pp. 370-
383. — E. E. C. Jones. Précise and Numerical IdenliUj. (Distingue entre
l'identité précise ou identité dans la qualité et l'identité numérique ou
identité dans l'existence ; marque les conséquences de cette distinction
au point de vue de l'affirmation et en indique l'utilité pour certaines
controverses actuelles.) pp. 384-393. — J. N. Shearman. Infinité Divisi-
bility. (Ce qui est infini pour le mathématicien est fini pour le métaphy-
sicien; cette considération permet de résoudre les arguments de Zenon.)
pp. 894-395.
PRINCETON THEOLOGÎCAL REVIEW (THE). Juillet. — G. S. Patïon,
Beyond Gond and Evil. (Expose comment et pourquoi Nietzsche a
conquis l'admiration de la foule avant d'obtenir l'attention des philo-
sophes. S'attache ensuite à établir que l'idée centrale de sa philosophie
est le concept de valeur et que son objet principal est une transformation
de l'échelle des valeurs humaines.) pp. 392-436. — J. Lindsay, Psycho-
logy ofthe Soûl. (Plaidoyer en faveur d'une psychologie spirituelle et
mystique ayant pour objet l'àme dans son fond, l'àme considérée
comme sujet de l'action divine comme investie de forces divines. Cette
psychologie supérieure commencerait là où finit la psychologie philo-
sophique.) pp. 437-454. — W. M. Mac Pheeters, The Détermination of
Religious Value the Ultimate Problem of llie Higher Criticism. (Définit
la Haute Critique : La science des procédés à l'aide desquels la valeur
religieuse dun livre est déterminée sur la base de son origine et de sa
forme, ces deux problèmes étant eux-mêmes déterminés d'après les
caractéristiques internes : littéraires, historiques, psychologiques, doc-
trinaux. Estime que c'est par ce but spécial, la détermination de la
846 REvur. DES sciences philosophiques et théologiques
valeur religieuse, que la haute critique se distingue de la critique litté-
raire et historique et de l'introduction spéciale. D'ailleurs, malgré qu'ils
ne s'en soient pas rendus compte, telle est bien la conception que sup-
posent le langage et les recherches des critiques depuis oO ans. Examine
ensuite trois difficultés qu'on peut élever contre cette manière de conce-
voir la haute critique. Spécifie enfin que la haute critique et sa base
dernière, l'évidence interne, n'est pas le seul mojen de déterminer cette
valeur. Il y a encore la tradition, l'autorité.) pp. 45o-478.
QUESTIONS ECCLÉSIASTIQUES (LES). Juillet. — J. A. Chollet.
La contribution de Voccultisme à V anthropologie (suite). (Parmi les
nombreux profits que l'anthropologie peut tirer de l'occultisme, il en
est deux importants désormais acquis: « le premier... est une mise en
relief plus puissant de l'étroite solidarité qui unit en nous le psychique
et le physique », le second «est la découverte dévastes régions occu-
pées en nous par l'inconscient. ») pp. 1-15. — H. Goujon. Idée synthé-
tique de la théologie surnaturelle (suite). (Détermine le domaine de la
science théologique ; réfutation des erreurs et hérésies, preuve d'ana-
logie, harmonie des mystères entre eux et avec la nature humaine,
preuves de convenance.) pp. 16-29. = Août. — Ch. de Kirwan. Le moi
et le sous-moi ou la dissociation psychologique. (Examine, à la suite du
D"" Surbled, les divers cas de dissociation de la conscience consciente
d'elle-même _moi] et de la subconscience sous-moi .) pp. 97-107. —
H Goujon. Idée synthétique de la théologie surnaturelle (suite). (La science
théologique, dans son origine comme dans son développement, est une
œuvre de la raison et de la foi ; elle engendre une certitude surnaturelle
qui lui est propre.) pp. 108-119. — H. Quilliet. L'évolution et le moder-
nisme. L'évolution vitale et la hiérarchie. (Expose la doctrine catholique
de la hiérarchie, puis la doctrine des modernistes snr le même sujet
d'après les documents pontificaux.) pp. 120-137. = Septembre. —
H. Q\:\LL\F.J. L'évolution vitale et la hiérarchie (suite). (E.vpose la doctrine
des modernistes sur la hiérarchie, d'après eux-mêmes, et en fait la
critique.) pp. 103-205. — Ch. de Kirwan. Le moi et le sous-moi ou la dis-
socia/ion psychologique (Rn). (Oppose à la théorie du «système poly-
gonal » du D"" Grasset la théorie édifiée par le D"" Surbled pour expliquer
les cas de dissociation psychologique, théorie basée sur les rapports du
cerveau et du cervelet.) pp. 206-214. — H. Goujon. Idée synthétique de la
théologie surnaturelle (suite). (Signale l'importance des conclusions
théologiques et précise l'assentiment qui leur est dû. Expose ensuite la
nature, les caractères et la méthode de la théologie spéculative, de la
théologie positive et de l'apologétique.) pp. 215-228.
RAZON Y FE. Juillet. — L. Mlrillo. El mudcrnismo y la critica del
Pentateuco. (Analyse et réfute les affirmations contenues dans le Pro-
gramma- Riposta des modernistes sur l'authenticité du Pentateuque.)
pp. 277-289.:= Septembre. E. Ugarte de Ercilla. Tronco de la filosofîa
modernis/a (suite). Étudie le processus des erreurs modernistes en
psychologie.) pp. 42-59.
RECENSION DES REVUES 847
REVUE AUGUSTINIENNE. 15 Juillet. — Pl. Anciaux. Uinlenlion requise
pour recevoir validement un sacrement. (La volonlé interne, dans le sujet,
de recevoir le rite sacré, reste de rigueur pour la validité du sacrement.)
pp. 5-11. — M. DÉMERY. La conversion. (Conclusion : La conversion est
un acte intelligible produit par l'action de Dieu, mais qui ne violente en
rien la nature ou les facultés de l'homme. Dans son essence, c'est une
affaire d'intelligence et de volonté ; es émotions n'y entrent que
comme des éléments secondaires pour soutenir et fortifier l'action de la
volonté.) pp. 12-3.5. = 15 Août. — S. Crèteur. Notre connaissance de
Vêtre matériel et singulier. (Si nous avons un concept abstrait, nous
possédons les éléments d'un jugement portant sur la réalité. Il suffit
de revenir par voie de réflexion sur ce concept pour prononcer ce
jugement. Ainsi tombe l'opposition exagérée que l'on tendrait à main-
tenir dans l'ordre de la connaissance entre l'esprit et l'être matériel
ou singulier.) pp. 14o-16o.
RE"VUE BÉNÉDICTINE. Juillet. — E. Flicoteaux. Un problème de
littérature liturgique. Les « Eclogae de officîo missae » d'Amalaire. (u Les
Eclogae ne sont pas sorties des mains d'Amalaire telles que nous les
avons aujourd'hui ; elles ne sont qu'une compilation faite postérieu-
rement à Amalaire, et composée d'extraits de VFxpositio missae en deux
parties, écrite vers 814, adressée à Pierre de Nonantola, et dont nous
avons encore quelques fragments dans le mss. 102 de la bibliothèque
de Zurich. ») pp. 304-3-20. — D. LT. Berlière. 7Vo?s traités inédits sur les
Flagellants de 1349. (^Texte de trois traités contenus dans le mss. 64
de l'hôpital de Gués. Le premier, contre les Flagellants, est de Gilles
van der Hoye (de FenoJ, doyen de N.-D. à Courtrai ; le second, en
faveur des mêmes, a pour auteur Alard de Denterghem, prévôt de
St-Martin à Ypres; le troisième, contre les Flagellants, est d'un ano-
nyme.) pp. 334-357. — D D. De Bruyne. Une lecture liturgique empruntée
au quatrième Uvre d'Fsdras. (Le missel contenu dans le mss. B 63 de
la Vallicelliana contient une épître empruntée à IV Esd., ii, 42-48,
preuve que ce livre était regardé comme canonique. Le texte appartient
à la recension espagnole avec des leçons spéciales.) pp. 358-360. —
D. A. WiLMART. La question du Pape Libère. (Se rallie à la conclusion
de Mgr Duchesne {Mélanges d'archéologie et d^ histoire., t. XXVIII, 1908.)
Les quatre lettres de Libère sont authentiques, la première Sfudens
paci, serait de 356 ; Libère aurait donc faibli en exil.) pp. 360-367.
REVUE BIBLIQUE. Juillet. — M. J. Lagrange, Les nouveaux papyrus
d'Éléphantine. (Texte, traduction des trois papyrus araméens faisant
partie d'un lot de manuscrits trouvé récemment à Éléphantine par
M. Rubensohn,et publiés pour la première fois par M. Sachau. Notes sur
leur écriture, leur langue et aperçus historiques.) pp. 325-349. — M. J.
Lagrange, Le Règne de Dieu dans le Judaïsme. (Expose d'abord la
conception du règne de Dieu dans les écrits pharisaïques, livre des
Jubilés, Psaumes de Salomon, dans la littérature rabbinique. Étudie
ensuite sous ce titre : Règne de Dieu dans le judaïsme les idées expri-
mées dans les Livres sibyllins, dans Ilénoch et dans l'Assomption de
848 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Moïse. Il est remarquable que les écrits pharisaïques et les apocalypses
se rencontrent dans la même conception essentielle du règne de Dieu.
Les divergences se produisent touchant la nature précise de ce règne
attendu et le mode de son établissement.) pp. 350-366. — H. Vincent,
La troisième enceinte de Jérusalem (suite^. (Continue l'enquête com-
mencée dans le n° précédent par l'examen des données plus directe-
ment relatives au parcours de la troisième enceinte que Josèphe fournit
incidemment. Aboutit au tracé suivant : De l'angle nord-est du Temple
à la tour angulaire voisine du monument du Foulon ; de cette tour
angulaire nord-est à la tour Pséphina qui est à l'angle nord-ouest ; de
la tour Pséphina à la tour Hippicus, au milieu du mur occcidental actuel.
Comme moyens de préciser le développement de l'enceinte vers le nord,
Josèphe fournit l'indication de la distance entre l'enceinte et le Scopus,
entre l'enceinte et le tombeau des princes d'Adiabène.) pp. 367-381. —
H. Vincent, Amulette judéo-araméenne . (Étude sur une amulette trouvée
en 1896 à Amwàs, portant des figures et un texte.) pp. 382-394.
REVUE DU CLERGÉ FRANÇAIS. 1*^' Juillet. — L.-Cl. Fillion. Ce que les
rationalistes daignent nous laisser de la vie de Jésus. (Les « théologiens
modernes » prétendent que le tableau de la vie de Jésus fut tracé dès le
début au point de vue de la foi, et non pas à celui de la fidélité
hislorique.) pp. 5-23. — V. L. Bernies. Dieu est-il? Éiude critique sur
lavaleur de la démonstralion.(Le positivisme récuse le processus rationnel,
le criticisme et les écoles plus ou moins apparentées avec lui, comme le
dogmatisme moral, l'immanentisme, le pragmatisme, s'élèvent contre le
processus purement intellectuel, dit intellectualisme. Criticistes et posi-
tivistes ont également tort. Ils mutilent l'âme.) pp. 24-59. — A. Boudinhon.
Les origines de l'Élévation. (Histoire du mouvement qui al)Outit à la
pratique de l'hostie montrée à l'assistance.) pp. 60-70. = 15 Juillet. —
E. Baudin. Le droit de propriété dans le Nouveau Testament. (Il ne faut
pas demander à l'enseignement de Jésus une condamnation ou une
consécration quelconque d'une forme de la propriété, mais seulement
une doctrine morale et religieuse sur l'usage de la propriété et sur la
vocation providentielle des biens de ce monde. Il ne faut pas davantage
chercher dans l'Évangile la doctrine de l'universalisation ou de la per-
pétuité du paupérisme. S. Paul continue et précise les enseignements
de Jésus sur la propriété.) pp. 130-158. — A. Boudinhon. Les angines de
VÉlévalion. (Origine historique de la pratique des fidèles de regarder
l'hostie.) pp. 158-169. = 1*"" Août. — L.-Cl. Fillion. Ce que les rationalistes
daignent nous laisser de la vie de Jésus suite). (Expose tout ce que les
critiques rationalistes voudraient supprimer dans les Évangiles en vertu
de leurs divers principes.) pp. 257-283. — L. Palfray. Science et foi.
(Le devoir des catholiques est de faire un vigoureux effort pour prendre
la tête du mouvement scientifique.) pp. 284-293. = 15 Août. — A.Villien.
Histoire des Commandements de l'Eglise. Sixième Commandement. (Ce
précepte, très développé à l'origine, n'a fait que se restreindre et se
réduire à sa f)lus simple expression.) pp. 403-418. — V. L. Bbrnies.
Dieu est-il ? Elude critique sur la valeur de la démonstration. (Critique les
principales thèses du matérialisme et du panthéisme.) pp. 419-439. =
RECENSION DES REVUES 849
l'^'Sept. — P. Batiffol. Nouvelles études documentaires sur la sainte
Eudtarisiie. (Analyse criti ^ue du livre de M. Rauschen : Eucharistie und
Busssakrameni in den erslen secJis Jahrhunderten der Kirche. Freiburg,
Herder, 1908.) pp. 513-548. =5 Sept. — L. Ci. Fillion. Ce que les ra-
tionalistes daignent nous laisser de la vie de Jésus. (Montre que l'école
libérale abuse de l'a priori philosophique, et que la méthode (|u'elle
emploie n'a de critique et de scientifique que l'étiquette.) pp. 641-66o.
— V. L. Bernies. Dieu est-il ? Etude critique sur la valeur de la démons-
tration. (Prouve que le panthéisme statique ou dynamique est une
doctrine philosophiquement, théologiquement, moralement irrece-
vable.) pp. 688-716.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE. Juillet. — J. Flamion. Les
actes apocryphes de Pierre (suite — à suivre). (Les actes apocryphes des
Apôtres appartiennent au genre littéraire appelé « roman grec >, comme
le prouvent : la matière mise en œuvre : les prodiges et les morceaux de
rhétorique, les procédés littéraires : organisation simpliste et caractère
abstrait des personnages.) pp. 465-490. — J. Lebon. lYotes sur Christian
de Stavelot, (Quelques preuves en faveur de l'authenticité des ouvrages
attribués à Christian. — Il n'a pas professé comme le croit Diimmler,
« la conception protestante d'une présence et d'une perception spiri-
tuelles du corps et du sang du Seigneur dans l'Eucharistie ».) pp. 491-
496. — L. Salembier. A propos du grand schisme d'Occident. (Indication
de diverses sources (Archives vaticanes, bibliothèque nationale, etc.) de
l'histoire du grand schisme encore inexplorées.) pp. 497-505.
REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS. Juillet-Août. —
Cl. Piat. Méthodologie, d'après Bacon et Descartes (2« art.) (Conclusion :
« Bacon et Descartes rejettent à l'unisson et le syllogisme et l'autorité ;
en matière de science, ils se prononcent nettement pour la méthode
immanente, celle qui se borne à l'étude directe et indépendante de
l'objet. De plus, ils représentent l'un et l'autre... un retour fervent et
résolu à l'observation des faits : l'enquête pour eux n'est point close ;
elle est, au contraire, à recommencer. Et cette enquête, ils la poursui-
vent l'un et l'autre par deux moyens à la fois, le sens et la raison... »
Mais « Bacon se fie surtout aux sens, Descartes presque uniquement à
la raison... )>) pp. 308-324. — L. Cl. Fillion. Le Folklore et VAncien
Testament. (Compte-rendu de l'ouvrage de M. Oskar Dahnliardt: Natur-
sdgen, eine Sammlung nalurdeutender Sagen, Màrchen, Fabeln und
Legenden. /" B. Sagen zum Allen Testament. Leipzig, Teubner. 1907.)
pp. 325-344.
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. Juillet. - R. Ber-
THELOT. Sur le Pragmatisme de Nietzsche. (Exposé du pragmatisme de
Nietzsche. Ses origines : influence des Romantiques et des philosophies
utilitaristes.) pp. 403-447. — L. Vialleton. La loi biogénétique fonda-
mentale de Haeckel. (Résumé de conférences données à la Faculté des
lettres de Montpellier et publiées sous le titre Un problème de l'Evolu-
tion, in-8°, Contet et fils, Montpellier. — Explication de la loi biogé-
8o0 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
nélique. Difficultés soulevées contre elle, en particulier par Oscar Hert-
wig ) pp. 448-463. — J. Dagxan-Bouveret. L'Aphasie et les locali-
sations cérébrales. (Historique de la question depuis Gall et Bouillaud
jusqu'aux « remarquables travaux » de M. Pierre Marie. Points de
psychologie et de méthode que ceux-ci mettent en lumière.) pp. 466-491.
— G. MiLHAUD. La philosophie de Newton, par M. L. Bloch. (Analyse et
critique. M. Bloch tend à exagérer la portée des travaux de Ps'ewton,
aux dépens du Cartésianisme.) pp. 492-506. =: Septembre. — Études
sur le mouvement philosophique contemporain à l'étranger. Allemagne :
M. J. Benrubi. pp. 347-382. — Angleterre : M. J.-S. Mackenzie. pp. 383-
606. — htats-Unis : F. Thilly. pp. 607-634. — Italie: G. Amendola.
pp. 633-663. — Scandinavie : H. Hôffding. pp. 666-673. — Sud-Amé-
rique : F.-G. Calderon. pp. 674-681.
REVUE NÉO - se OL ASTIQUE. Août. — Cl. Piat. L'expérience du
Divin. (Il y a un fond de relativisme intellectuel dans la pensée des
intuitionnistes : ils se sont réfugiés au dedans, parce qu'ils ont cru que
le dehors était à jamais inaccessible. C'est là un vice radical qui
compromet tout, jusqu'à leurs propres théories.) pp. 345-367. — M. De
WuLF. Le mouvement philosophique en Belgique. (Retrace l'histoire de
la philosophie en Belgique depuis le X' siècle jusqu'en 1423.) pp. 368-
388. — A. Gemelli. Le fondement biologique de la psijchologie. (La
biologie a procuré des avantages incontestables à la psychologie en
étudiant les éléments concomitants et les coefficients de l'activité
psychique, et surtout en fixant les méthodes de recherche expérimen-
tale pour étudier et décrire les phénomènes de l'activité psychique ;
mais d'un autre côté, elle lui a manifestement nui en prétendant
renfermer dans le domaine des manifestations delà vie organique, celui
des manifestations de la vie psychique. La biologie est distincte de la
psychologie par l'objet et la méthode.) pp. 389-409.
REVUE DE L'ORIENT CHRÉTIEN. 2. — F. Xau. Le calendrier
d'Aboul-Barakat, traduit en latin par Renaudot. (Ce calendrier a été
compilé à la fin du XIII" ou au commencement du XIV« siècle. Il est par
conséquent antérieur aux synaxaires de Michel, évéque de Malig (vers
423.) pp. 113-133. — F. Nau. Un extrait de la Didascalie : La prière de
Manassé (avec une édition de la version syriaque). ( « Nous tenons pour
l'instant que la prière de Manassé a paru pour la première fois dans la
Didascalie (grecque, dont le texte est aujourd'hui perdu), et qu'elle a
rayonné de là dans toutes les littératures.») pp. 134-141. —
F. TouRNEBiZE. Élude sur la conversion de V Arménie au Christianisme
(suite et fin). (Housig et Nersès, le réorganisaleiir de l'Église armé-
nienne : tentative de schisme par Bab.) pp. 142-163. — S. Vailhé. Saint
Euthyme le Grand, moine de Palestine (suite— à suivre). (Gliapitre III:
Fondations monastiques de saint Euthyme.) pp. 181-191.
REVUE DE PHILOSOPHIE, l-^' Juillet. — Abbé Gayraud. Les vieilles
preuves de l'existence de Dieu. I. — (Réponse aux objections formulées
sur ce point par M. Le Roy. Dans les vieilles preuves, le médium de
RECENSION DES REVUES 831
démonstration n'est pas lié essentiellement aux parties caduques de
l'ancienne philosophie naturelle. — Dans sa critique de la preuve du 1"
moteur, M. Le Roy défigure la notion aristotélicienne du mouvement ;
quoi qu'il en dise : « le mouvement ne se conçoit pas sans rien qui se
meuve, sans un sujet, une matière, un « quelque chose » en mouve-
ment. » Pour le nier, on ne saurait invoquer « la science, qui n'a pas à
se prononcer sur la réalité ou l'irréalité de ce qui se trouve hors du
champ de l'observation et de l'expérimentation et qui ne relève que de
la métaphysique. ») pp 3-25. — P.-J. Cuchiî. Le procès de Vabsohi (fin).
(L'auteur étudie cette fois l'absolu mental dans sa valeur représentative,
tel qu'il se manifeste dans l'idée et surtout dans le jugement universel;
si le jugement contient l'universalité ; celle-ci est donc impliquée dans
le concept ou idée. Critique des positivistes et associationnistes sur la
formation et la valeur de l'universel. Les antimétaphysiciens condam-
nent les idées universelles au nom d'idées universelles, les jugements
absolus au nom d'autres jugements absolus ; c'est donc que le mode de
penser absolu et métaphysique s'impose à l'esprit humain.) pp. 26-43.
— A. Valensun. La théorie de V expérience d'après Kant. (Exposé et para-
phrase du système kantien sur la détermination du concept de catégorie,
la déduction métaphysique des catégories, la déduction transcendanlale
à ses trois degrés, le schématisme.) pp. 4.3-"7, — R. Turro. Psychologie
de l'équilibre du corps humain (fin). (« Quoique le corps humain soit une
véritable machine, il faut qualifier de volontaires ceux d'entre les mou-
vements qui sont adaptés à une fin prévue, car leur mécanisme est
préétabli par un principe psychique supérieur en agissant sur les
différentes pièces de la machine.») pp. 58-72. ^l^'' Août. — A. Bouyssonie.
De la réduction à l'unité des principes de la raison. (On ne peut réduire
le principe de raison suffisante au principe d'identité, ce dernier n'est
pas le principe suprême; il y a trois principes premiers irréductibles.
Il n'y a pas contradiction mais seulement inintelligibilité à nier le prin-
cipe de raison suffisante, parce qu'il exprime une relation et non une
identité. Il n'est pas analytique, mais synthétique a priori.) pp. 107-122.
— Abbé Gayraud. Les vieilles preuves de l'existence de Dieu II. — (Les
objections faites par M. Le Roy contre l'argument de la cause première
et l'argument des causes finales, procèdent de son monisme phénomé-
nisle qui, selon lui, serait seul d'accord avec la >< science ». La science
qui n'atteint l'être que dans sa superficie phénoménale n'a aucun droit
de contredire les affirmations de la raison qui pénètre plus avant et se
livre à ses recherches philosophiques. S. Thomas ne fait pas intervenir
subrepticement dans ces preuves l'argument ontologique.) pp. 123-142.
— P. DuHEM. Le mouvement absolu et le mouvement relatif. fXVI. L'in-
fluence parisienne h l'École de Padoue : Paul Nicoletli de Venise ; Gaétan
de Tiène.) pp. 143-165. = l^'^ Septembre. — Mgr Le Roy. Chez les Pri-
mitifs africains (l^"" Art.) (Étudie les croyances des indigènes sur l'âme
humaine, la mort, les mânes.) pp. 223-240. — Séraphin Belmond. L'exis-
tence de Dieu d'après Duns Scot (1" Art.) (Pour Scot, il est nécessaire
de démontrer cette proposition « Dieu existe », car elle n'est évidente
ni quoad 7ios, ni même quoad se. Cette démonstration ne peut être
qu'une démonstration a posteriori. Elle remonte de l'effet à la cause
852 REVUK DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
première par la série des causes essentiellement subordonnées, c'est-à-
dire des causes opérant simultanément. Si l'on remonte dans le passé
la série des causes accidentellement subordonnées (père, aïeul, bisaïeul,
etc.), il faut, à un moment donné, sortir de la série de ces causes de
même nature, toutes contingentes par conséquent, et s'élever à une
cause d'un autre ordre, affranchie de toute dépendance, transcendante.)
pp. 240-268. — P. Chovet. Les principes de la raison sont-ils réductibles
à lunité. (Réponse à M. Bouyssonie. Le principe de raison suffisante et
le principe de causalité se rattachent au principe d'identité ; « l'idée du
néant, produisant l'être ou devenant l'être, est contradictoire. Rien
égalera toujours rien, et ceci n'est encore autre chose que le principe
d'identité. « La vieille doctrine scolastique a ainsi l'avantage de ramener
tout le problème de l'origine des idées à l'acquisition de la seule idée
d'être... il suffit, en efîet, de comprendre le sens « de ce petit mot « est »
pour en voir sortir aussitôt tous les premiers principes. ») pp. 269-274.
— P. Dlhem. Le mouvement absolu et le mouvement relatif (10*" art.)
(XYIL La philosophie réactionnaire de l'École de Padoue. Les huma-
nistes, Giorgio Valla. — XVIII. Les Averroïsles, Agostino Nifo.) pp. 273-
287. — P.-J. CucHE. Les deux aspects de Vimmanence et le problème reli-
gieux. (Analyse critique du livre de M. Éd. Thamiry, portant ce titre.)
pp. 288-302.^
REVUE PHILOSOPHIQUE. Juillet. — L. Weber. La finalité en biolo-
gie et son fondement mécanique. (« Nous ne croyons plus aux causes
finales, c'est-à-dire à la causalité d'idées causatrices et directrices.
Néanmoins... nous ne pouvons interpréter les faits biologiques qu'en
fonction d'idées finalistes. Pour rendre compte de celle apparence...
nous ne disposons que de deux principes, la sélection naturelle, et l'a-
daptation fonctionnelle, au sens lamarkien. La sélection agit, sans doute :
elle achève les ébauches d'adaptation, elle ne les commence pas. Quant
au principe lamarkien, il convient de l'accepter dans un sens physique ;
dès qu'on le rattache à des hypothèses psychologiques, à des notions
d'effort, de tendances au mieux, etc., on sort de la science positive. »)
pp. 1-22. — G. Rageot. Le problème expérimental du temps. (Ce n'est ni
à la métaphysique ni à la science, mais seulement à la psychologie qu'il
appartient d'aborder le problème du tetnps. Les formes primitives de
la durée apparaissent dans la conscience élémentaire (sensations viscé-
rales et musculaires). La notion des changements extérieurs, compa-
rés avec les nôtres, nous permet d'abstraire l'idée même du temps,
c'est-à-dire d'un « changeant rythmique en général et régulier. »)
pp. 23-47. — M. Mauss. L'art et le mythe d'après Wundt (Analyse et
critique du livre de Wundt : Mythus und Religion.) pp. 48-78 = Août-
— A. Fouillée. La volonté de conscience comme base philosophique de la
morale. (La « volonté de conscience » est le principe philosophique de
la théorie des idées-forces : tout être doué de vouloir veut être aussi
conscient que possible ; il veut la plénitude de la pensée, du sentiment,
de l'action. Cette mutuelle implication entraîne la loi des idées-forces,
où représentations, émotions et appétitions sont posées comme insépa-
rables, si bien qu'une idée complète enveloppe sentiment et impulsion.
RECESSION DES REVUES 853
La « volonté de conscience » est le principe de la philosophie morale ;
lu morale en effet est la volonté de conscience devenant pratique et
trouvant en soi, avec son propre but, sa propre règle d'action : prendre
de plus en pins conscience de tous les autres comme de soi-même et
devenir ainsi volonté de conscience universelle.) pp. 113-137. — M. Mil-
LiouD. La formalion de l'idéal. (Il y a trois étapes dans la formation de
tout idéal : l'élaboration d'une image, l'extériorisation de cette image
et l'action en retour que cette image exerce sur l'homme. L'auteur
étudie successivement les divergences entre l'idéal individuel et l'idéal
collectif, ce que l'idéal reçoit de nous, son extériorisation, sa nécessité
pour le développement de la vie morale.) pp. 138-159. — Oh. Richet.
La guerre et la paix au j) oint de vue philosophique (Le pacifisme peut
s'accorder avec la morale la plus rigoureuse et être défendu par une
argumentation rationnelle, tel ce dilemme : après une guerre, le traité
de paix qui sera conclu sera conforme au droit ou non. Si oui, le litige
aurait été certainement résolu dans le même sens par un tribunal
d'arbitrage équitable. Si non, ce traité est brutal, violent, inique, et
c'est un mal pour les deux pays et pour le monde entier. Réfutation des
principales objections des bellicistes.) pp. 160-172. = Septembre. —
A. ScHiNZ. A nli- Pragmatisme . L. Pragmatisme et modernisme. (Le prag-
matisme est avant tout le produit d'un tempérament. C'est au sein du
peuple américain qui est sans traditions dans le passé et dont le tem-
pérament est tourné vers l'action et les résultats pratiques, que devait
fleurir la philosophie pragmatiste. Ailleurs, par ex. en Angleterre, le
courant de la tradition de la spéculation pour elle-même rend moins
facile la diffusion du pragmatisme ; à plus forte raison dans les autres
pays d'Europe. L'auteur étudie le rapport du pragmatisme et des idées
religieuses, particulièrement en Amérique où a religion est reconnue
comme facteur social nécessaire, m.oins pour ses dogmes que pour son
utilité comme maintien des idées morales.) pp. 2:2o-2oo. — D'' Jajmkele-
ynCH. Du rôle des idées dans l'évolution des sociétés. (Deux catégories
de facteurs composent une civilisation donnée : les facteurs matériels
(richesses, conditions extérieures de l'augmentation du bien-être) et
les facteurs immatériels ou idéologiques (richesses des idées de toutes
sortes, complication des sentiments dans leurs manifestations sociales,
etc.) Les facteurs idéologiques ont une place, sinon prépondérante, du
moins importante, dans l'évolution d'une civilisation. Cette évolution
est proportionnelle aux idées et aux principes qui existent dans le
groupe social, à la conscience qu'il en prend et aux conséquences qu'il
sait en tirer. La continuité de « l'élan social « est assurée par des indi-
vidualités marquantes dont le rôle consiste à opposer Vidée au fait.)
pp. 2.36-280.
REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE. 1" Juillet. — J. Baylac. Le
modernisme et ses origines philosophiques. (Le modernisme est une for-
me de rationalisme, un abus ou un mauvais usage de la raison. Le
modernisme ne diffère pas essentiellement du kantisme.) pp. 481-300.
— A. Hamoîsî. Mysticisme et Subconscience. (La subconscience n'est pas
une explication suffisante de tous les phénomènes mystiques, on n'a
Année. — Revue des Sciences. — N" 4. 55
854 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
pas prouvé qu'il u'y eût rien de surnaturel dans le mysticisme chrétien.)
pp. 501-514. — G. MiCHELET. Une récente théorie française sur la religion.
(Relève les apriorismes dans l'inlerprétation sociologique delà religion.
Ni le fait du totémisme, ni celui de l'obligation pour les fidèles de croire
aux vérités religieuses acceptées par leur groupe ne suffisent à démon-
trer l'origine sociale de la religion.) pp. 515-528. = 16 Juillet. — Mgr
Douais. La cour séculière juge et non bourreau. (La théorie du bras sécu-
lier bourreau est en contradiction avec l'esprit et la législation de l'É-
glise, et aussi avec l'application.) pp. 561-576. — Cl. Piat. De l'expé-
rience avant Bacon. (Trois courants se dessinent à partir duXllI*' siècle :
le courant de la science, celui de l'art et celui de la philosophie. Or,
aucun d'eux ne demeure étranger à l'expérience, et dans les deux pre-
miers, on a préparé et parfois même dépassé l'esprit et les règles de la
méthode Baconienne.) pp. 577-594. r= l'^' Août. — J. V. Bainvel. Un essai
de systématisation apologétique. (Examen critique du jugement porté
par le P. Garueil {La crédibilité et T Apologétique) sur l'Apologétique
subjective, morale et fidéiste.) pp. 641-659. = 5 Août. — A. Moulard.
Le catholique et la question dn pouvoir coercitif de V Église. (L'Église
n'a jamais cessé de revendiquer comme un droit le pouvoir coercitif,
mais un catholique peut en toute sûreté de conscience se déclarer pour
la réduction de ce pouvoir à la contrainte morale. En faisant appel au
bras séculier, le catholique doit reconnaître que l'Église a défendu ses
droits les plus légitimes et ceux de l'État.) pp. 721-736. = 1*^' Sept. —
J. Legendre. La science et la Religion d'après un livre récent. (Détermine
dans quelle mesure l'ouvrage de M. Boutroux (Science et religion), peut
servir à l'apologétique catholique.) pp. 803-814. — P. Cruveilhier. Un
nouveau recul de la critique indépendante dans la question du Mono-
théisme d'Israël. (Malgré de graves lacunes, la théorie de Baenstch, se
rapproche de la théorie traditionnelle. — Loin de prêter une religion
semi-barbare aux Hébreux contemporains de Moïse, c'est à leur époque
3t non au VIII^ siècle que le professeur d'Iéna fait apparaître le mono-
théisme d'Israël. Il rejette également le cadre évolutioniste dans lequel
l'école de Kuenen et de Wellhausen avait prétendu enfermer l'histoire
religieuse du peuple hébreu.) pp. 814-839. ^^ 15 Sept. — L. de Grand-
maison. Le Développement du Dogme Chrétien. (Étudie les causes et les
modalités du développement dogmatique, en détermine la nature et la
portée.) pp. 881-905. — J. Touzard. L Argument prophétique. (Établit
que le développement de la religion prophétique trahit une action spé-
ciale de Dieu, montre que cette même action divine a présidé à la trans-
formation du judaïsme en christianisme.) pp. 906-933.
REVUE DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET LA SCIENCE
CATHOLIQUE. Juillet. — M. E. Roupain. Dieu dans l'histoire. (La foi
ne gêne, ni la liberté, ni l'impartialité des recherches. Elle n'entrave
que le zèle prématuré et indiscret de ceux qui veulent, sans aucun
droit, traiter les Livres saints comme des livres ordinaires.) pp. 660-
686. — M. E. Roupain. La peine de mort. (Pour le juste exemple, l'ex-
piation, la sécurité sociale, et pour la sanction proportionnée de l'ordre
méprisé, lapeine de mort restera nécessaire contre les crimes atroces.)
RECENSION DES REVUES 855
pp. 687-694. — M. Gombault. Le senthnenl religieux et la psi/cho-phy-
siologie. (Il est injuste d'attaquer le mysticisme orthodoxe par des
textes empruntés aux faux mystiques et que l'Église a censurés. Le
langage des mystiques, bien qu'emprunté à celui de l'amour humain,
doits'interpréter en unsens spirituel.) pp. 693-707. — M. A. Michel'.
U infaillibilité pontificale. (Détermine les conditions de l'infaillibilité
pontificale et montre que, par eux-mêmes, le décret Lamentabili et
l'Encyclique i^ascenc?/ présentent les caractères de documents promul-
gués par le Pape ex cathedra.) pp. 708-733. = Août. — M. E. Roupain.
Dieu dans l'Histoire. Les Synoptiques et V Exégèse moderniste. (La mé-
thode moderniste use d'à priori dans sa critique et son exégèse, néglige
une série de faits d'histoire dont l'ensemble donne raison à l'opinion
traditionnelle sur l'intégrité des Synoptiques.) pp. 803-824. — M. Gom-
bault. Le sentiment religieux et la psycho-physiologie. (L'état extatique,
pas plus que les autres états contemplatifs, n'accuse aucune souffrance
notable d'aspect purement physiologique et de nature morbide.)
pp. 823-837. — M. Hurault. La Théologie de Guillaume de Champeaux.
(Exposé de sa doctrine sur Dieu et la Trinité.) pp. 838-848.
REVUE THOMISTE. Juillet-Août. — R. P. Garrigou-Lagrange. Le
sens commun, la philosophie de l'être et les formules dogmatiques.
(Expose la théorie classique du sens commun. Le sens commun est à
l'état rudimentaire non pas une philosophie, mais la philosophie, ou la
philosophie de l'être opposée à celle du phénomène et à celle du
devenir. L'objet propre du sens commun est ce que Tintelligence
perçoit immédiatement dans ïêtre, son objet formel, c'est-à-dire les
premiers principes spéculatifs et pratiques et les grandes vérités qui s'y
rattachent : existence de Dieu, distinction de l'intelligence et des sens,
liberté, immortalité. Le sens commun s'élève à ces vérités par un
raisonnement très simple, mais qu'il est impuissant à formuler rigou-
reusement et à défendre. La philosophie de l'être justifie ces certitudes
spontanées en établissant leur rapport avec Vêtre et avec le principe
d'identité.) pp. 239-300. — R. P. Richard. De la nature et du rôle de
Vinduction d'après les anciens. (L'induction n'est la méthode totale
d'aucune science. Qu'il aboutisse à une simple notion, ou à une propo-
sition générale de concordance ou de non-concordance, son travail
n'est jamais que préliminaire à la véritable explication scientifique.
L'induction ne fait pas connaître la cause intrinsèque et nécessaire de
l'union du prédicat avec le sujet.) pp. 301-310. — R. P. Pègues. La
question XLIV de la Somme Théologique. (Commentaire de la question
de saint Thomas sur la procession des créatures par rapport à Dieu et
sur la cause première de tous les êtres.) pp. 311-340.
RI"VISTA FILOSOFICA. Mai. Juin. Juil. — S. Tedeschi. Un' équivalente
aprioristica délia metafisica (la Teoria degli oggetti). (Expose les idées
de Meinong sur la nécessité de sciences qui, à l'exemple des mathéma-
tiques, s'occuperaient des essences sans considérer leur rapport avec
l'existence, sciences de l'objectif et non de l'objet, et conclut en regar-
dant comme indispensable l'union des méthodes empiriques et des pro-
856 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
cédés rationnels.) pp. 289-303. — Â. Levi. La psicologia délia es-perienza
indifferenziata di James Ward (suite et fin). (Théories de AVard sur
l'intelligence, le concept du moi, la conscience de soi et l'action.) pp.
304-329. — Â. TiLGHER. Bramanesimo, Buddismo e Cristianesimo (suite
et fin). (Le Bouddhisme n'est pas une religion, mais une morale, morale
entachée d'égoïsme et dans laquelle la doctrine du karma est loin d'ap-
paraître comme un principe de libération et de vie. La grande supé-
riorité du Christianisme sur le Brahmanisme et le Bouddhisme consiste
dans sa solution du problème du mal ; il donne de la valeur au fini au
lieu de proclamer la nécessité de le détruire.) pp. 330-348. — A. Faggi.
Eduardo Zeller e la sua concezione storica. (Bien que Zeller, critiquant
la conception hégélienne de l'histoire, ait signalé le danger de consi-
dérer l'évolution de la pensée philosophique sans tenir compte des
influences extérieures, il n'a pas su l'éviter complètement.) pp. 349-
354. — L. M. BiLLiA. Le idée morali nella doltrina di un psicologo scan-
dinavo. (Loue le psychologue norvégien Kristian Aars d'avoir fait
ressortir l'originalité et l'autonomie du jugement moral.) pp. 355-363. —
P. F. NicoLi. Ilmelodo délie matematiche e linsegnamentoelementare délia
logica. (Signale après Boral et Goblot l'inexactitude et l'insuffisance
des notions données sur la méthode mathématique dans les cours de
logique élémentaire.} pp. 364-371. — L. Miranda. Macho Hegel? (Le
point de vue de Hegel qui affirme le pouvoir de la raison doit être
préféré à celui de Mach dérivant logiquement de la position kantienne
et arbitraire comme elle.) pp. 372-380.
RIVÎSTA STORICO-CRITIGA BELLE SCIENZE TEOLOGICHE. Juillet-
Août. — G. Bonacgorsi. yuovi vianoscritti hiblici e la finale di S. Marco.
(Étudie le nouveau fragment ajouté à la finale de S. Marc par le manus-
crit de Charles Lang Freer. Critique textuelle et grammaticale du mor-
ceau. Avec Harnack, Bonaccorsi croit que le nouveau fragment ne
faisait pas partie de la finale primitive du second évangile. Mais il
rejette la communauté de source attribuée par le critique allemand aux
deux péricopes.) pp. 521-537. — Y. Ermom. La cristologia delTApoca-
lisse. (« La christologie de l'Apocalypse est plus dynamique que
statique ; l'auteur est plus préoccupé de décrire les fonctions et les
offices de Jésus-Christ que d'en analyse!" la nature... L'eschatologie est
son thème fondamental... 11 a beaucoup plus utilisé les livres prophé-
tiques de l'A. T. que les livres du N. T.) pp. 538-552. — G. la Piana.
Chiesa e Stato in Francia. (suite — à suivre). (Expose les théories de
Fénelon, de Saint-Simon et de Fleury sur les rapports de l'Église et de
l'État; caractérise l'attitude pratique de ces trois personnages vis-à-vis
des essais tentés pour la réforme de l'Église gallicane ; conduite du pou-
voir vis-à-vis des protestants, des jansénistes et des quiétistes; institution
par Louis XIV du conse?'/ de Conscience; collation des bénéfices, con-
ditions économiques et morales faites au clergé ; éducation des clercs.)
pp. 553-580. = Septembre — B. Stakemeier. La Dottrina di Tertul-
liano sui sacramenti délia Penilenza, delV Ordinazione e del Matrimonio.
(Après avoir signalé la nécessité pour l'historien de distinguer entre les
écrits de Tertullien orthodoxe et de TertuUien montaniste, dès lors qu'il
RECENSION DES REVUES 857
s'agit de la Pénitence, de l'Ordre et du Mariage, Tauleur dégage des
œuvres du célèbre apologiste un témoignage en faveur de la doctrine
de l'Église relative à ces trois sacrements.) pp. 643-666. —G. la Piana.
ChiesaeSlato m Franaa (suite et fin). (Décadence de la vie religieuse
au début du XVIII* siècle et difficultés d'une réforme. Saint-Simon, pour
des raisons à la fois morales et économiques, propose de réduire le
nombre des moines et de retarder l'âge de la profession. Toutes ces
réformes présupposent le règlement des relations de l'Église de France
avec Rome. Sur ce point délicat Fénelon est ondoyant, Saint-Simon
radical. Fleury demande la stricte observation des droits des deux
parties. En fait, ces divers projets ne reçoivent pas d'application immé-
diate, mais ils préparent l'avenir.) pp. 667-686.
SGUOLA GATTOLIGA (LA). Juillet. — G. Nogara. Crileri storici dei
modernuLi nel fatto délia risurrezione di Gesù Cristo. (Exposé des théo-
ries de Le Roy et Loisy sur la résurrection. Principes philosophiques
et théologiques qu'elles supposent. Elles sont la négation de la critique
historique.) pp. 33-67. — A. Novelli. Il valore apologetico del marti-
rio. (Expose la controverse soulevée sur la valeur apologétique du
martyre entre P. Allard et Laberthonnière. Se rattache au sentiment
de P. Allard.) pp. 83-98. = Août. — E. Love. Sulla ubicazione del
Paradiso Terrestre. (Se fondant sur le travail de Riessler {Theologische
Quartalschrift, 1908, 2), admet avec lui que le Paradis terrestre « était
situé près de la grande courbe de l'Euphrate, oii est aujourd'hui Balis,
dans le voisinage de l'antique Eraziga ou Uru-Azagga, la cité sainte »).
pp. 188-199. = Septembre. — G. Mattiussi. Conoscibllità del miracolo
(à suivre). (Il faut partir dans l'étude du miracle des notions du sens
commun.) pp. 277-284. — E. De Giovanni. La demonologia assira. (Ex-
pose d'après les sources assyriennes, surtout les incantations magiques,
ce qui a trait aux démons : leur genèse et leur éducation, leur habitation,
leur nature et leur puissance, la stérilité dont ils sont affligés, leurs rap-
ports avec les dieux.) pp. 304-315. — G. Cevolani. Le proposizione
incidente nella logica tradizionale. (La logique traditionnelle a tort
d'admettre des propositions incidentes déterminatives. Discussion de
la critique de Rosmini àce sujet et de celle de Peyretti au sujet de
Rosmini.) pp. 338-344. — A. Novelli. Ancora del valore apologetico del
martirio. (Discussion.) pp. 351-3.'>'t.
TEYLERS THEOLOGISCH TIJDSCHRIFT. 3. — A. Bruining. Ten
lioomsch Modernist aan het luoord. (Expose les raisons pour lesquelles
G. Tyrrell, dans son récent ouvrage « Through Scylla and Charybdis »,
déclare vouloir rester catholique, malgré sa condamnation par le Pape,
et malgré les multiples défauts du catholicisme traditionnel.) pp. 344-
371. — J. VAN Leenen Martinet. Ten Theodicee. (Propose quelques
réflexions critiques au sujet d'un essai de théodicée du professeur
Bruining. Celui-ci fait suivre une courte réponse.) pp. 372-396. —
S.-J. DE BussY. Gedachten over het Pragmatisme (à suivre). (Les prag-
matistes manquent de clarté dans l'exposé positif de leurs doctrines, et
tombent dans bien des inconséquences. Tantôt ils semblent nier la
858 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
possibilité de construire une métaphysique, tantôt ils en construisent
une eux-mêmes ; tantôt ils affirment que la foi religieuse est étrangère
aux conceptions métaphysiques, tantôt ils disent qu'elle en fait partie
intégrante.) pp. 397-41?,
THEOLOGISCHE QUARTALSCHRIFT, 3. — E. Belser. Die Vulgata
und die griechische Text im Jakobusbrief. (Montre les inexactitudes de
la Vulgate dans l'Épître de S. Jacques.) pp. 324-339. — J. Hontheim,
S. J. Die Abfohje der evangelischen Perikopen im Diatessaron Tatians.
(L'Évangile de Saint Luc dans le Diatessaron. — Comparaison. — Le
Diatessaron dans le commentaire sur les Évangiles de Saint Éphrem. —
Le Diatessaron et les Canons d'Eusèbe. — Rapports du Diatessaron avec
certaines harmonies évangéliquesde l'Occident. — Durée de l'enseigne-
ment de Jésus dans le Diatessaron. — Quelques résultats de ce travail
pour l'établissement du texte évangélique.) pp. 839-376. — J. Dôller.
Dreineue aramâische Papyri. (Papyrus découverts en 1906 à Éléphantine
et publiés par Sachau en 1907. Ils complètent sur certains points les
données de l'A. T. et posent de nouvelles questions au sujet du temple
d'Éléphantine et de la colonie juive de cette île.) pp. 376-384. — F. Die-
KAMP. Die Wnhl Gregors von Nyssa zum Metropoliten von Sebaste im
Jahre 3S0. (De la lettre 19 de Grégoire (migne, P.G. xlvi, 1072-1080) il
faut conclure que Grégoire de Nysse a été, contre sa volonté, élu métro-
politain de Sébaste, non d'Ibora, en 380. Les aits et le droit d'alors con-
cordent avec celte hypothèse.) pp. 384-401. — Chr. Baur, 0. S. B. Zur
Ambrosius-Theodofiiiis-Frage. (La légende racontée par Théodoret et
Sozomène serait empruntée non au biographe de Saint Ambroise, Pau-
lin, mais au panégyrique de Saint Babylas par Saint Jean Chrysoslome.
On la retrouve dans plusieurs vies de saints.) pp. 401-409 — P. Minges.
Die « distinctio formalis » des Dans Scotus. (La distinctio formalis
posée par Scot ne nuit pas à l'unité essentielle de l'homme et ne conduit
pas à admettre l'universel séparé, au sens de Platon. En théologie elle
met en lumière, plus que la doctrine thomiste qui insiste surtout sur la
simplicité divine, l'objectivité de la distinction entre les attributs de
Dieu.) pp. 409-436.
ZEITSGKRIFT FUR KATHOLISCHE THEOLOGIE, 3. — B. Jansen,
S. i. Die Définition des Konzils von Vienne ûber die Seele (2® arti-
cle). (L L'occasion du décret conciliaire : il fut provoqué par le parti
adverse des Spirituels qui honoraient Olivi comme leur chef. 2. La
doctrine erronée d'Olivi : elle ne consiste pas à admettre dans l'homme
trois âmes (Palmieri). Olivi soutenait que l'âme spirituelle était substan-
tiellement une, mais n'était pas unie au corps comme forme, d'une
manière immédiate. Preuves intrinsèques et extrinsèques. 3. La con-
damnation de la doctrine d'Olivi par le Concile : le corps et l'âme cons-
tituent une substance unique, de manière que l'âme, informant immé-
diatement le corps, c'est-à-dire communiquant directement à celui-ci
son être, constitue avec lui un seul principe d'être et d'action. Ne serait
donc hérétique que celui qui nierait cette unité formelle, bien qu'il
admette, outre l'âme spirituelle, encore un principe sensitif et négatif.)
RECENSION DES REVUES 859
pp. 471-487. —J. Stufler. Die Sûndenvergebung bei Irenàus. (Réponse
au D^ Koch : des écrits de saint Irénée on ne peut conclure que, d'après
ce saint Docteur, les lapsi devaient rester privés de l'absolution sacra-
mentelle.) pp. 488-497. — Analeklen. P. Honorius Rett, 0. Fr. M. Die
Josephsehe in ihrem Original und ihre Nachahmung. {Prouve la validité
du mariage de la B. V. Marie avec saint Joseph et d'autres unions sem-
blables engagées i sous réserve de l'usus matrimonial. » L'explica-
cation de Suarez résout le mieux, d'après l'auteur, toutes les diffi-
cultés.) pp. 590-596. — H. WiESMANN, S. J. / Sam., /, 22-36. (Essaie
de corriger le texte corrompu de ce passage et en donne conséquemment
la traduction.) pp. 597-601.
ZEITSGHRIFT FUR DIE NEUTESTAMENTLICHE WISSENSCHAFT. 3.
— R. Steinmetz. Textkrilisclie Untersuchung zn Rom. 1. 7. (Les mots :
ïv 'Pûiœr, dans l'épîlre de S. Paul aux Romains I, 7, sont omis par le
codex G et par sa traduction latine g. Cette omission (de même que
l'omission des mots semblables I, 15, le retranchement de XY-XVl
et l'annexion de la doxologie au ch. XIV)' provient de l'adaptation
de l'ép. aux Rom. à l'usage liturgique ) pp. 177-189. — Th. Nissen. Die
Petrusakten und ein bardesanitischer Dialog in der Aberkiosvita, I.
(Conformément au procédé hagiographique signalé par le P. Delehaye,
l'auteur de la vie d'Abercius a mis dans la bouche de son héros
plusieurs discours tirés des Actes de Pierre.) pp. 190-203. — L. Blau.
Bas neue Evangelienfragment von Oxyrhgnchos buch- und zaubergeschi-
chtlich betrachtel nebst sonstigen Bemerkungen. (Les caractéristiques
matérielles des fragments évangéliques récemment édités et décrits par
Grenfell et Hunt, matière, format, écriture, les apparentent aux exem-
plaires de la Torah que les Juifs portaient en guise d'amulette et qui
étaient de dimensions très réduites. Ces fragments doivent provenir
d'un milieu judéo-chrétien. L'étude de leur contenu a conduit Preuschen
à des conclusions analogues. L'auteur éclaircit quelques points de détail
en vue de montrer le bien-fondé des conclusions de P. (Cf. R. d. Se. PI/.
et Th., av. 1908, p. 448.) pp. 204-215. — J. Boehmer. Slndien zur Geo-
grayhie Palàstinas bes. im Neuen Testament. (Les Actes YIII, 5, visent
la ville de Sichem ; de même Joa. IV. Le terme grec z-jyoïzoïwj de Josèphe
est la lran.scription du mot néo-hébreu sç'no = torrent. Magadan =
Magdala, Mail. XV, 39.) pp. 216-229. — 0. Dibelius. Studien sur Geschi-
chie der Valentinianer. L Die Excerpta ex Theodoto und Irenàus. (Pour
les paragr. 43-65, les Excerpta, réunis par Clément d'A. sont tirés du
même ouvrage Valentinien auquel Irénée a emprunté l'exposé du sys-
tème valentinien qu'il a placé en tête de son ouvrage. Il est difficile de
préciser les sources et le caractère du reste des Excerpta ; il semble
qu'ils représentent pour une bonne part, la pensée de Clément lui-
même.) pp. 230-247.
Le gérant : G. Stoffel.
Superiormn permissu. \ De licentia Ordiiiarii.
ERRATA
Page 313, fi« ligne : au lieu de : Thomme par excellence, li^cz : l'homme, par excellence.
\
» 403, 8« ligne : au lieu de : Urbain, lixr: : Urban.
Tables
i
Table générale des Matières
1. — Articles
Gauchie A. Les Assemblées du Clergé de France sous l'Ancien
Régime 74-93
Gardeil A., 0. P. La Notion du Lieu théologique . . 31-73 ; 246-276;
484-303
Garrigou-Lagrange R., 0. P. Intellectualisme et Liberté chez
saint Thomas (^suZ/gy! ;j-32
Gry L. La Création en sept jours, d'après les Apocryphes
de TA. T 277-293
Heitz Th. La Philosophie et la Foi chez les disciples d'Abélard 33-50
— La Pliilosopliie et la Foi chez les mystiques du W" siècle . 322-335
— La Philosophie et la Foi chez Albert le Grand 661-673
Humbert A. Le problème des Sources théologiques au
XYI'^ siècle. 704-742
Laminne J. L'idée d'évolution chez saii-t Augustin .... 306-321
Noble H. D., 0. P. La nature de l'émotion selon les modernes
et selon saint Thomas 223-243 ; 466-483
Roussel A. Théologie Brahmanique d'après le Bhàgavata
puràna. III. Trinité 294-307
Schwalm M. B. Les deux théologies : la scolastique et la
positive 674 703
Sertillanges A. D. L'idée générale de la connaissance dans
saint Thomas d'Âquin 449-463
2. — Notes.
Allo B.. 0. P. La Variabilité des symboles dans l'Apocalypse . 313-321
De Munnynck P. RI., 0. P. L'Allochirie des représentations
du D-- Janet 336-339
— Un cas complexe de fausse paramnésie 743-747
Jacquin M., 0. P. Le Rationalisme de Jean Scot 747-748
Lemounyer A., 0. P. Saint Thomas et l'Histoire inspirée . . 98-99
Mainage Th., 0. P. Canonicité et Authenticité 96-98
Roland-Gosselin M. D., 0. P. Le «Ménon» et le « Gorgias». 308-313
862 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
3- — Bulletins.
Bulletin d'Apologétique (A. de Poulpiquet^ 0. P.) 779-794
Bulletin d'histoire des Doctrines chrétiennes (M. Jacquin,
0. p.) 374-400
Bulletin dhistoire des Institutions ecclésiastiques (M. Jac-
quin, 0. P.) 603-613
Bulletin dhistoire de la Philosophie (M. D. Roland-Gosselin
et M. Jacquin 0. ?.) 749-778
Bulletins de Philosophie :
I. — Métaphysique (A. Blanche) 100-134
H. — Cosmologie (P. M. De Munnynck, O.P.) 134-146
III. — Psychologie (H. D. Nohle, 0. P. ; 322-336
IV. — Logique (A. Blanche) 337-370
V. _ Ouvrages généraux (H D. Noble, G. P.) . . 370-373
VI. — Morale (M. Gillet 0. P.) 340-361
Bulletin de Science des religions :
I. — Religion des Peuples non civilisés (A. Lemonnyer, O.P.) 562-568
II.— Religion Égyptienne (A. Deiber, 0. P.) 568-377
m.— Religions sémitiques (Th. Mainage, 0. P.) .... .378-588
IV. — Religions des Indo-Européens et de l'Extrême-Orient.
(B. Allô, 0. P.) 388-604
Bulletin de théologie biblique (A. Lemonnyer, 0. P.) . . . 147-179
Bulletin de théologie spéculative (R. M. Martin, 0. P.) . . . 795-815
4. — Chronique.
Allemagne IHO, 401, 614, 816
Angleterre . . 182, 402, 615, 821
Autriche » 403, 616, 823
Belgique 184, 403, 617, »
Danemark » » 618, »
Egypte » 413, 618, »
Espagne 185, 404, 619, 824
États-Unis 185, 404, 619, 824
France 186, 406, 620, 823
Hollande » » » 825
Italie 190, 411, 625, 826
Mexique » » 627, »
Orient » 413, 618, »
Suisse » 413, » 828
5. — Recension des Revues.
193-224 ; 416-448 ; 629-660 ; 829-839.
TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES
8(13
II
Table Analytique
1. — Bibliographie des Bulletins (l)
Aabs Kk. Gut und Bose .... 551
Adam K. Der Kirchenbegriiï Tertul-
lians 393
Ahmed bey Hajial. Les idées cos-
mol. des anc. habitants de l'Egypte 577
AiCHEK S. Kantsbegriff der Erkenn-
tnis 7.V.», 77(J
Albeets h. Die Geistestaiife ira
Urchristentum 379
d'AlÈS A. Pt/«/' U honneur de 2\.-D. 375
— La Question iaptismale au temps
de S. Cyprlen 379
— La réserve des trois cas et VEdit
de CalVuTte 384
Allô B. Fui et Systèmes .... 779
AlvÉKY a, Mariologie augustinienne. 378
Arnaiz m. Fragmatismo y Hurna-
nismo 110
ASTOX W. Shinto 603
Bailey C. Ancient Kome .... 593
Bainvel J. V. La Foi et lacté de foi 786
Ballerini J. Brève apologia. . . 793
Baraduc. La force curatrice à
Lourdes 787
Baeton Pebky K. a Bevieir of
Pragmatism 109
Batiffol p. Le Judaïsme de la
Dispersion tendait-il à devenir une
Église] 161
Bayet. L'idée de Bien 511
Belot. Études de morale positiye . 513
BenîsEWItz F. Die Silnde im alten
Israël L57
Bebgson h. L'Evolution créatri-
ce m, 137
Bektling 0. Der Johanneische Lo-
gos.
110
179
789
556
Berteest g. Histoii-e critique des
événements de Lourdes. . . .
BiCKEL E. Platoniscites Gebetslehen .
BiXET. Enquête sur r Enseignement
de la Philosophie
BLAJSfC É. Dictionnaire de Philoso- j
phie 373
Blanche A. Un essai de synthèse
pragmatiste 1 10 l
BlaNiK 0. Die Lebre des hL Augus-
tin vom Sakramente der Eucha-
ristie 383
Bloch L. La philosophie de Newton 773
'RO'D'E. Realism and ohjectirity . . 112
BOODIN J. E. The A'eio Beaïism . . 113
Bois J. Le miracle moderne . . . 788
BoiSrfAEiE. L'oeuvre de Lourdes . . 789
Boeel É. L'Évolution de Vlntelli-
gence géométricpie 118
Bouglé C. B. Le Solidarisme . . 516
— Idées égalitaires 516
— La Démocratie devant la Science. 546
Bourdon B. La perception du temjjs. 346
BOUSSET W. Die Religion des Juden-
thums 163
— Hauptprobleme der Gnosis. . . 390
BovÉ S. El sistema cientifico Luliano. 769
Bréhier E. La théorie des Incorpo-
rels dans l'ancien stoïcisme. . . 759
— Les Idées philosophiques et reli-
gieuses de Philon d'Alexandrie. . 761
Beochard V. La théorie jAatoni-
ciemte de la jiarticipation 753
— Le Dieu de Sjjinoza 774
Bros. La Religion des peuples non
civilisés 562
BuoNAluri E. Lo Guosticismo . . 390
— Roscellino di Compiégne. . . . 769
Bueeatj p. La Crise morale des
temps nouveaux 554
BuryV. Plato 758
Calamiïa p. Lastronomia nei dia-
loghi di G. Bruno 771
CALDERONiG.L'Evoluzione e i suoi
limiti . 142
Cantecor. Etude de morale posUire,
par M. Belot 543
Cabe. Tlie Virgin Birth inStJohiîs
Gospel 175
Cabeel F. Mas Sociology n Aforal
basis ? 545
CAEtJS P. The Dharma 603
Catheeinet. Le rôle de la volonté
dans l'acte de foi 784
Catheein V. Phllosophia moralis . 372
1. Les articles de revues ou de recueils sont indiqués ici en italique.
864 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQlîES
Cavalleea F. Saint Athanase . . 395
Charles P. Le Perceptionisme . . 346
Chartieb. Ussai stir les élément-'^
pruicipaux de la représentation.
par Hamelin 121
Cheyne. Traditions and Beliefs of
ancient Israël 148
Clemen C. Die Grundgedanken der
paulinischen Théologie . . . . 177
Clodd E. Animism ôfii
Cohen H. Kommentar zu Kants
Kritik 776
ÇoMMEB E. Hermann Schell . . . 813
CoilPAGNlON J. Critique thomiste
du Thomisme 125
Couard L.Diereligiosen... Auschau-
ungen der alttestamentlichen
Apokryphen u. Pseudepigraphen. 163
COUTURAT. Pour la Logistique. . 361
— La Logique et la Philosnp/iie con-
temporuirip 369
Cresson A. Les Bases de la Philoso-
phie naturaliste 122
Crosnier a. Les convertis (Vider . 792
Coche P. J. Étude sur le Monisme . 124
CuMONT Fr. Les Pieligions orientales
dans le paganisme romain. 587, 595, 601
Dagneaux. Cours de Philosophie . 372
Dantu g. L'Éducation d'après Pla-
ton 758
De Baets m. De Sacramentis in
génère 805
— De libéra Christi obedieniia . . 808
Dehove h. Sur la perception exté-
rieure 341
Delattre. Le Culte de la Sainte
Yierge d'après les monuments ar-
chéologiques 612
Delbos V. Kant. Fondements de la
métaphysique des mœurs . . . 776
Del Prado N. De Gratia et libero
arbitrio 805
Delvaille j. La vie sociale et l'É-
ducation 556
Dennett R. e. At the Back of the
Black Man's Mind 568
Deplocge s. Le confit de la Morale
et de la Sociologie 541
Descartës R. Œuvre.-; 772
Dessoulavt. L'Injini confus. . . 132
Dewey. The Control of Ideas hy
Farts '.108
DiELS. Die Fragmente der Vorsokra-
tiker 749
von Di Pauli a. Die Irrisio des
Hermias 394
DOMASZEWSKI. I>ie Festcyclen der
rômischen JCalenders 594
DONCŒUR L. Les premières interven-
iio)is du Saint-Siège relatirex à
V Immaculée Conception .... 379
DoTTiN G. Manuel pour servir à
l'antiquité celtique 597
Dbaseke j. Mnjîuss d. Joh. Scotus . 768
Drews a. Plotin 762
Deiesch h. Die Physiologie der in-
dividuel, organ. Formbildung . . 138
DuBRAY Ch. A. The theory of psy-
chical dispositions 329
DuPRAT G. L. La Bolidarité sociale. 547
DuPUY L. L hallucination au point
de vue psyclwlogiqne 347
Durkheim, Règles de la Méthode
sociologique 540
DUSSAUD. Eschmoun 583
— Les Arabes en Syrie 584
Eggersdorfek F. X. Der hLAugus-
tinus als Pàdagoge 398
Eisler R. Leib und Seeie. ... 328
Erman a. La Religion égyptienne . 569
EfiNST. Bie Tauftehre de^ Liber de
rehaptismate 380
EWER B. C. The Anti-Jtealistio
(( IIoiv r> 112
P'arges. La crise de la certitude. . 100
Feldmann F. Der Knecht Gott«s
in Isaia» 162
FoNSEGRiVE. Morale et Société . . 554
Fouillée A. Morale des Idées for-
ces 548
Franon e. Pour l'idée chrétienne . 793
Franz K. Babylonische Beschwô-
rungsrehefs 582
Frazer j. g. Adonis, Attis, Osiris 591
— Folk-lore in the Old Testament . 158
Friedrich Ph. Die Mariologie des
hl. Augustinus 377
GardAir. La Transcendance de
Dieu 131
— L'Infinité divine 133
GabdeilH. Crédibilité .... 781
— La notion théologique .... 795
Garrigou-Lageange r. Les preu-
ves tlwmistes de Vexistence de Dieu. 131
— Le Dieu fini du Pragmatisme. . 131
Gaultier P. L'Idéal moderne . . 553
Gayet a. La civilisation pharaoni-
que 569
Gazagnol g. Au-delà 809
Gemelli a. Del valore delV esperi-
menlo in psicologia 335
DE Genouillac h. L'Église chré-
tienne au temps de saint Ignace
d'Antioche 388
TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES
865
605
330
159
766
Gentile. Giordano Bruno. . . . 771
GiBON F. La marche ascendante de
la criminalité juvénile .... 560
GOEDECKEMEYEK A. Gedanliemjang
... der ariatotelischen ^letaphysik . 758
GoRLAND A. Der Gottesbegriff bei
Leibniz 775
GOETZ K. G. Die heutige Abend-
mahlsfrage 381
GoMEZ IZQUIEEDO A. Xuevas Direc-
ciones de la Logica 361
GOTTSCHICK J. Ethik .555
Graxdeeath. Histoire du Concile
du Yaticaû
Grasset. Introduction physiologi-
que à l'étude de la Philosophie. .
GrimmeH. Das israelitische Pfingst-
fest
Grunwald g. Geschichte der Got-
tesbeweise im Mittelalter . .
GuERBER H. A. The Myths of Gree-
ce and Rome 592
GUNKEL. Eli.is, Jahve und Baal. . 151
Haddon a. C. Magic and Fetichism. 565
— Tlie Religion ofthe Torrea Strait.^
Islanders 567
Hamelix 0. Essai sur les Éléments
... de la Représentation . . . . 111
Hannequin a. Études d'histoiie
des sciences 771
— Fragment d'une étiide s. Spinoza. 775
Harent s. Udj>érience et foi . . . 782
— Croyance . , 781
Harnack a. Spriiche und Reden
Jesu 169
Harrold Johnson. Some essentials
of moral Education 557
Hastings Rashdall. The theory
of Good and Evil
Hatjpt p. Purim
Hay Wood m. Plato.^ Psycholugij .
Hedley J. C. La sainte Eucharistie.
Hehn j. Siebenzahl . . . bei den Baby-
loniern und im A. T
Heim K. Bas Wesen der Gnade...
bei Alexander Halesius . . . .
Hemmer h., Lejay p. et Laurent
A. La (C Doctrine des Apôtres » et
l'Épître de Barnabe
HerzoG g. La Sainte Vierge dans
l'histoire 375
— La Conceptionrirginale du Clirist. 174
Herzog R. Ans dem Asiilepieian m/i
Kos 591
HiCKS D. Ai-istotle de Anima. . . 758
HiLGERS J. Die Biicherverbote in
Papstbriefen 607
Hoelscher g. Der Sadduziiismus . 165
.514
583
753
809
160
100
388
HoENNiCKE G. Die Neutestament-
liche Weissagung vom Ende . . 1 79
HoLTZiiANN H. J. Das messianische
Bewusstsein Jesu 171
HoLTZMANNj.ModerneSittlichkeits-
theorien und christliches Lebens-
ideals 555
HowiTT. The native Tiibes of S.-E.
Australia 565
HuGON É. Cursus Philosophiae tho-
misticae 370
— La causalité instrumentale eu
théologie 806
Jacob. Conférences de morale indi-
viduelle et de morale sociale . . 557
James W. Pragmatism. . 104, 124, 134
— Prof essor Pratt on Truth . . . 109
— Controversy ahout Truth . . . 109
— A Word More about Truth. . , 109
JA.STROW J. The subccinscious . . 337
Jasteow m. Die Religion Babylo-
niens und Assyriens 578
Jaussen. Les coutumes des Ara-
bes 586
Jensen P. Das Gilgamesch-Epos. . 167
J. M. Ontogenèse et Phylogénèse . . 143
Jones C. Logic and Identity in diffé-
rence 369
Joi^KS H. Pi ri ne Immanence . . . 133
DE JoNGHE. E. Les Sociétés secrètes
au Bas-Congo 568
Joseph a Spiritu Sancto. Ueber
die Arten der Kontemplation . . 813
JuNGLAS J. P. Leontius von Byzanz 399
JuNGMANN K. René Descartes . . 772
Kaufmann F. Altgerinanische Re-
ligion 597
KiDD R. The tvro principal laws of
sociology 545
KlRFEL H. Per hl. Augustinus u.
das Pogma der unbefiecliten Emp-
fàngnis 3fariens 378
KiRSOPP Lakë. The historical évi-
dence for the résurrection of J.-C. 172
Klaatsch h. Schlusslericht iiber
seine Reise nach Australien. . . 566
von Kleemann. Platonische Unter-
suehung 758
KOCH H. Zeit und Heimat des Liber
de i'ebajjtisJ>iate 380
— Die Tauflehre des Liber de rebap-
380
386
399
803
327
tismatc
— Pie SUndeiirergebung bei Irenàus.
— Yincenz von Lcrin und Gennadius
KoNiNGS M. De gratia actuali . .
Kostylepf N. Les substituts de
l'âme dans la philosophie moderne.
866 REVUE m.s SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
Keose h. a. Katholische Missions-
statistik '91
Labauche L. Leçons de théologie
dogmatique 799
Lab byrie. JRSle de la volonté dans
la coiimiissance 110
DE La Buiolle P. Un épisode de
Vhistoire de la 3{orale Chrétienne. 394
Lachelier. La Proposition et le
Syllogisme 369
Ladeuze p. La Késurrection du
Christ (levant la critique contem-
poraine 1 "3
Lagorgette J. Le Fondement du
Droit et de la Morale 550
Lagrange m. J. La Crète ancienne. 589
Lahr Ch. Cours de Philosophie , . 372
Lalande a. Précis raisonné de Mo-
rale pratique 556
— Le mouvement logique .... 369
Lang a. The making of Religion . 563
— Australian Prohlems 566
DE La PaQUERIe J.L. Eléments d'A-
pologétique 792
LASSON Ad. Aristoteles' Metaphysik 758
Laurent A. Cf. Hemmer H.
Lavrak D. La suggestion et les gué-
risons de Lourdes 789
Lebreton j. L'Encyclique et la
théologie moderniste 797
LeclÈre a. La morale rationnelle . 552
Lefebvre. La notion du surnaturel. 787
Lehmann Ed. Die Anfànge der Be-
ligion 56-1
Lejay p. Cf. Hemmer H.
LÉON a. La notion du Réel . . 125
Leonissa j. Zuv Konteinplation . . 818
Leopold m. Leihnizens Lehre . . 776
LiEnOY E.B.Xature des halluci7iatio}is 347
Le Roy E. Comment se pose le pro-
blème de Dieu^ 128
Ligeard h. Vers le Catholicisme . 794
— Le rapport de la nature et du
surnaturel 785
Lloyd a. h. The Philosopliy oJ Fia-
to as a Méditation on Death. . . 757
Lods Ad. La croyance à la vie fu-
ture ...dans l'Antiquité Israélite . 151
LoHR M. Alttestamentliche Reli-
gionsgeschichte 147
— Sozialismus und Individualismus
im A. T 155
LOTTIN J. La Statistique morale et
le Déterminisme 560
Lucas de PesloUan C. Sur les fon-
dements de V Arithmétique . . . 363
LuQUET G. H. Idées générales de
Psychologie 322
Lyon G. Enseignement et Religion. 557
Macchioro V. 77 sinvretisnw reli-
tjioso e Vepigratia 595
Mac Gilvary The physiologie al Ar-
gument againts Pealisin .... 111
— The Stream of Conseiousness . . 113
— Prolegomena to a tentative Rea-
lism 118
Macnicol N. Action and Réaction
of Christianity ami Hinduism in
Lidia 602
MahÉ. L' Eucharistie, d'ajjrès saint
Cyrille d' Alexandrie 382
Maisonneovë. La notion du mi racle 787
Malapert P. Leçons de Philosophie 326
Mallet F. L'unité compilexe du
jirohlème de la fui ...... 782
]\lANDONNET P. Le traité De Errori-
hus P]iilosopltorum 769
Mangenot e. Jésus, Messie et Fils
deDieu, d'après les Actes. . . . 177
Mannheim a. Geschichte der Philo-
sophie 771
I\lANNTTCCl U. Irenaei ad versus
haereses libri quinquc 392
Martinez-Nunez Z. La Finalidad
en la ('iencia 139
— La Herencia 142
M ASPÉRO G. Causeries d'Egypte. . 577
Massey g. Ancient Egypt. . . . 574
Maud Soynt. The Gospel of Krish-
na and of Christ 602
Maumus V. La défense delà foi. . 794
Maximilien de Saxe. Praelectiones
de Liturgiis orientalibus .... 608
Mercier A. Le prctermiturel. . . 787
Meyer. Institutiones Jurisnaturalis 559
MiCHELET G. Les faits religieux et
la théorie de la suiconxcience . . 887
MiCHOTTE. A j)ropos de la ca Mé-
thode d'introspection » datis la psy-
chologie expérimentale .... 384
Milhaud g. La philosophie de New-
ton 776
Mills L. H. Zarathushtra, Philo . 168
— Avesta Eschatology 599
Mogk E. Germanische Mythologie . 596
Moisant X. Dieu. L'Expérience en
métaphysique 126
^lONTAGNE. Théorie de V automatis-
me conscient 338
MoNTAGUE. Current Misconceptions
of Realism 111
— Contemporary Real U m . . . . 112
MORET A. La Magie 572
MoRiLLA H. S. Augustin defensor de
la Concepcion Immaoulada de
Maria 378
TABLE GENERALE DES MATIERES
867
MosELLi E. Morale ôô7
MiJLLER J. Die Verurteilung des
Modemismus durch Piu'i X. . . 796
— Die Encyclica und Ehrhard's
Kritit 796
Nagel a. JDer Chinesische Kucheii-
gott Tsau-Kyun 603
Nayrac J. p. Physiologie et Psycho-
logie de l'attention 3i7
Netjbert E. Marie dans l'EgUse
anténicéenne 375, 611
NÈVE P. La Philosophie de Taine . 776
Newman h. Grammaire de l'assen-
timent 108
— Du Culte de la Sainte Vierge . . 611
Niederhuber j. e. Die Eschato-
logie des hl. Ambrosius .... 396
0' Donnell m. j. Penance in the
Early Chm-ch 386
Oesterlet W. 0. T. 'Jlie Demuno-
Jogij oftheOJd Tedament . . . 1.53
Olivier Lodge. La Vie et la Ma-
tière 123
OSTWALD. Zu)' modernen Energetïk. 13.5
Paris G. Grammaire de l'assenti-
ment. Trad
Patton. The Sew Theism ....
Paulhan F. La contradiction de
V homme
Peibce a. h. An appeal from the
prevailiiig iloctrine of a detached
consciousness
Pbisker m. Die Beziehmigen der
Nichtisraeliten zii Jahve. . . .
Pesch C. Praelectiones dogmaticae.
Ppleiderer 0. Die Entwicklung
des Christentums
PlERl 51. Sur la comptabilité des
A.riomes de VAinthmctiqite , .
PiLLSBURG. L'attention ....
PoiNCAHÉ H. Les mathématiques et
la Logique
Poulain A. Des Grâces d'Oraison .
Prat F. Théologie de saint Paul. .
Pratt. Truth and its verilication .
Proal. L'éducation et le suicide des
enfants
Prost j. Essai sur la Philosophie
cartésienne
PrÙm e. Der Phaido/i Hier Wesen
11. Bestimmung des Menschen . .
Relnach s. Cultes, Mythes et Eeli-
108
1.33
348
336
155
798
374
361
353
360
811
175
109
gions
560
772
757
598
Reiners j. Der Aristotel. Eealismus
in der Friihscholastik 764
Reinstadler L, Elementa philoso-
phiae scholasticae 371
Renel Ch. Les reUgions de la Gaule
avant le christianisme .... 597
Riehl A. Der Philosophische Kriti-
zismus 770
Rivière J. S. Justin et les Apolo-
gistes du second siècle .... 392
Robin L. La théorie platonicienne
des Idées et des Nombres d'après
Aristote 749
— La théorie platonicienne de
l'amour 752
RoDiER. Les prédites de Vimviorta-
litê de l'âme d'après le « Phédon ». 756
ROEKRiCH E. L'attention spontanée
et volontaire 348
Rogala s. Die Anfànge des arianis-
cheu Streites 395
Ronald M. Burrows. The Discove-
ries in Crète 590
RosMiNi A. Compendio di Etica. . 559
Roure L. En face du fait religieux. 810
— Un chi-étien 791
DU RoussAUX. Éthique. Traité de
Philosophie morale 558
Rocsselot p. Problème de l'amour
au M. A 765
Royce J. Immortali*>j 134
RoYET A. Étude sur la Christologie
des Épîtres de S. Paul . . . . 176
Russell D. The Principles of ma-
thematics 360
— Les paradoxes de la Logiqve . . 363
Russell J. E. Pragmatism as tlie
Sal rat ion from. philosojjhie Douht. 108
— A Reply to Dr Schiller. ... 108
— A Last Word to Dr Schiller . . 109
Samtér g. Der Ursprung des Laren-
kultes 594
Saudreau. Les degrés de la vie spi-
rituelle 811
— La vie d'union à Dieu .... 811
— L'état mystique 811
— Les faits extraordinaires de la vie
spirituelle 812
Savio. Logica Raziocinativa e In-
duttiva 368
SCHEFTELOWi I z. Les Apocryphcs du
Rigvéda 602
SCHiFFiiACHER, L'idée de Dieu et
l'idée du Cosmos ' 132
Schiller F. C. 8. Plato or Protagoras 757
— Studies in Humanism . . 104, 124
— The Pragmatic cure of Doubt. . 108
— Pragmatism, versus Skeptieism . 109
— UUima ratio 109
868 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES
SCHMID Fr. Bie Gewalt der Kirche
iezûglich der Saltramente . . .
ScHMiDT H, Yeteres philosophi
quomodo judicaTerint de precibus.
Schneider H. Kultur und Dencken
der alten Aegypter
SCHKEIDER W. Das andere Leben .
SCHRAîJK. Babylonische Siihnriten
mit Eiicksicht auf Priester und
Biisser
SCHÛRER E. Geschichte des jUdis-
cben Volkes im Zeitalter j. C.
(4«éd.)
SCHULTZ W. nTGArOPAS . . .
Scott S. T. The Fourth Gospel . .
Seeberg R. Lehibuch der Dogmen-
geschichte
Segerstedt t. Les Asuras dans la
religion védique
Settz J. Die Verehrung des hl. Jo-
seph
Sertillanges a. D. Réponse à
M. Oardair
Shearman a. t. The Development
of symbolic Logic
Sidney Haetland E. Conceming
the rite at the temple of Mylitta .
Skeat W. W. Pagan Races of the
Malay Peninsula
Sollier. Essai critique et théorique
sur l'association en psychologie .
Spitta Fr. Streitfragen der Ges-
chichte Jesu
Strehler B. Das Idéal der Katho-
lischen Sittlichkeit
Strehlow C.Die Aranda- und Lorit-
ja-Stâmme in Zen tral- Australien .
Stufler j. Zur Kontroverse ilher
das InduJgenzedilit de.'^ Papstes
Kallistus
— Die Buxsdiszijjîin der ahendlmidis-
chen Kirclie bis Kallutus .
— Bie Sundenrergeiung hei Orige-
nes
— Bie Behandlung der Gefallenen
zur Zeit der deci^chen Vej'folgmig.
Taparelli R. De Gratia Chi-isti. .
Tanguy. L'ordre naturel et Dieu.
Taylor a. e. Aristotle on bis pre-
decessors
Thamiry e. Les deux aspects de
l'immanence
Thurston h. The early Cultus of
the hlessed SacrameTvt ....
— Stipends for Masses
de Tonquédec. La notion de Vérité
dans la « Philosophie nouvelle » .
TOUZAKD J. L^argument prophétique.
809
592
569
810
581
1(5-1
749
178
374
fiOl
613
131
357
582
567
354
170
566
385
385
386
386
804
141
758
797
609
609
102
786
Trivero. 11 problema del Bene . . 551
Troilo e. La filosofia di G. Bruno. 771
Turmel j. s. Jean Clirysostome et
la Confession 387
Urban j. Be vis quae theologi catho-
lici jjraestare jmsswnt erga eccle-
siam russtcam
r90
Vacaxdard e. lertullien et les trois
péchés irrémissibles 383
— La Prière 2>our les Tréjiassés dans
les quatre premiers siècles . . 610
Vaganay. Le problème eschatolo-
gique dans le IV'' livre d'Esdias . 166
Yailati. The Attack on Distinctions 370
Van Biekvliet. La Psychologie
qiiantitatire . ....... 331
Van der Meersch J. De moder-
nismo 796
Van Nookt G . De Vera religione. . 793
— De Deo uno et trino. 802
— De gratia Christi . 802
ViLLARD A. L'Incarnation d'après
saint Thomas 807
Vital Lehodey. Les voies de l'orai-
son mentale 811
Voelter D. Aegj^pten und die
Bibel (3'= éd.) . ' 166
Vollers K. Die Weltreligionen in
ihren geschichtlichen Zusammen-
bange 588
Warde Fowleu. Religion and citi-
zenshij} in early Rome .... 593
TVassmann e. Die moderne Biologie
und die Entwicklungstheorie . . 142
— Der Kampf um das Entwick-
lungsproblem in Berlin . . . . 142
Waybaum. Les caractères affectifs
de la 2}erception 347
WÉBER L. L'évolution créatrice par
H. Bergson 117
Wenzel a. Die Weltanscbauung
Spinozas 3
Whitehead. Introduction logique
à la géométrie 363
Wide s. Chthonische und himmlis-
chp Gotter 591
Williams M. V. Six Essays on the
Platonic Theory of l'Lnowledge . 755
WiNTER. Sur r introduction logique
à la théorie des fonctions . . . 363
WoRKMAN G. c. The Servant of
Jebovab 162
Wundt m. Der Intellektualismus
in der erriechiscben Ethik . . .
TABLE GENERALE DES MATIÈRES
809
ZaenkerO. Der Primat des^Willens
TOT dem Intellekt bei Augustin . 81)8
ZiDEK 0. De Ecclesiae catholicitate . 7itl
ZiEHEN L. Leges Graecorum sacrac
e titulis collectae
092
2. — Chronique.
Pie X. Motu proprio
Documents pontificaux.
• . . 190 I Commission Biblique
191, 625
Publications nouvelles.
/. — Ouvrages,
Abele Th. A. .
d'Annibale J.
Bannwart C. .
Bastien P. . .
Benuett. . .
Boudinhon A.
Boulenger F. .
Brémond H. .
Bros A. . .
Bund J. . .
Campbpll J. .
CofEey P. . .
Cook H. A. .
Denziager . .
Uesmons F. .
DeWulf . .
180
411
614
192
183
408
407
621
188
621
822
184
616
614
40R
184
Drerup . . .
180
Elliût W. A. .
616
Francotte H. .
180
Gennari . .
191
Getino L. G. A
404
Goyau G. . .
621
Grimme H. .
680
Haddon A. C".
616
Haine . . .
621
Harnack . .
621
Hawker J. (i.
616
Hefele . . .
186
Heinisch P. .
180
Kautzsch E. .
614
Kirsch J. P. .
180
Knabenbaucr.
406
Leclercq H 187
Lehmkuhl A. . . . 180
von Loë P 180
Macfayden . . . . 616
Martini E 180
Meinertz 180
Nardi M. B . . . . 625
OwenG 616
Pannier E 406
Quentin H 408
Sachau K. 1'^. . . . 181
Sattel G 614
Strowski 621
Thatcher G. W. . . . 616
TurmelJ 622
Zapletal 413
2. — Pèriodiqtœs.
Archivura Franscisc. Historicum. . 411
Bibliophoros 826
Foi (La) Catholique 188
Irish (The) Church Quarteriy . . . 402
Oxford (The) and Cambridge Keview. 1 83
Philosophical Eeview 620
Questions (Les) Ecclésiastiques . . 408
Rivista di Filosofia Cristiana . . . 700
■3. — Collections et Recueils
Acta I. Conventus Velehradensis . .
Alttestamentliche Abhandlungen
Anthropological Essays presented to
E. B. Tylor . . '
Bibliothèque d'Histoire religieuse. .
Bibliothèque d'Hist. des Pieligions .
Biblische Studien
Chrysostomica
Cursus Scripturae Sacrae ....
Encyclopaedia of Religion and
Ethics 615 et
Essais Philosophiques et Psychologi-
ques
Literature (The) and Religion of
Israël
ae Année. — Revue des Sciences. — N»
403
180
183
622
188
180
412
406
821
619
182
Neutestamentliche Abhandlungen .
Pensée (La) chrétienne
Quellen u. Forschnngen zur Gesch,
des Dominikanerordens in Deut-
schland
Rapport sur les travaux du sémi-
naire historique (Louvain) . . .
Religion (Die) in Geschichte und
Gegenwart
Studien znr Geschichte und Kultur
des Altertums
Studien zur Philosophie und Reli-
gion
Textes et doc. pour Tétude hist. du
Christianisme. . . . . . .
180
620
180
403
816
180
6U
407
s6
870 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET TIlÉOLOGIQUES
Universités. "
Alcala de Henarès . . 824
Apollinaire (Rome). . 827
Baltimore 824
Caire (Le) 618
Californie 185
Cambridge . . (il(i. 822
Fribourg (Suisse") . . 415
léna. r 816
Leipzig 816
Londres 615
Lyon 409
Madrid . 185, 404, 824
Oxford . . . .615,
Paris
Puebla (Mexique) .
Salzbourg ....
Univ. grégor. (Rome)
Washington . . .
822
«22
627
403
827
620
Académies, Écoles, Congrès, Sociétés savantes et Bibliothèques
Académie royale de Belgique
Association cath. intern. pour le progrès des Sciences. . . .
Bureau impérial d'Anthropologie (Londres)
Cercle de Philosophie (Rome)
Commission biblique
Congrès international des Américanistes (Vienne)
» » d'Antliropologie criminelle (Turin) . .
» » d'Ai-cbéologie (Le Caire)
» » d'Éducation morale et sociale (Londres).
» » d'Histoire des Religions (Oxford) . . .
n » de Mathématiques (Rome)
» )) des Orientalistes (Copenhague^ . . .
>. » de Philosophie (Heidelberg)
» » de Psychologie (Genève)
» allemand de Psychologie expérimentale
" historique de Barcelone
» des neurologistes et aliénistes français
" positiviste international (Naples)
» des Séminaires d'Espagne
» de la Société italienne de philosophie ....
Conventus Velehi-adensis
Institut autrichien d'Archéologie (Athènes)
» d'Etudes catalanes
» imp. allemand d'Archéologie égyptienne (Le Caire). .
» cathol. allemand d'Archéologie orientale r.Térusalem i .
Orient (The) in London
Séminaires d'Espagne
Society for Philosophical luquirj- (Washington)
» n Philosophy and Psychology (Washington) . . .
Union des Univci'sités américaines
412
413,
402,
183.
401.
617
192
615
827
626
617
412
618
615
822
412
618
818
414
816
619
409
412
619
192
403
616
404
413
413
616
185
620
405
405
Fouilles et Découvertes
Sebastige (Palestine) .... 186
Mssde la Bible (Hte Egypte) . 404
Xepata.
413
Prix et Concours
Académie des Inscr. et lî. L. . 617
t> des Se. mor. et po'. . ISS
>i roy. de Belgique. . . 184
>' des làncei Rome). . 827
Fr. Cumont . . . .
KantgeselLschaft .
Université de Vienne.
617
614
616
TABLE GENERALE DES MATIERES
Conférences
AUo B., à Fribourg (Suisse). . 415
Bateson W., à Yaîe (E.-U.) . 186
Bum, à Cambridge 616
Garcia M., à Salamanque. . . 619
Institut cath. de Paris. . .
Monlton J. H. , à Cambridge.
Pfleiderer 0., (Univ. Harvard)
Anniversaires et Jubilés.
Balmès 824
Darwin (Cambridge) 402
HurterH 617
871
188, 622
616
186
Jacques I", roi d'Aragon . . . . 61!»
Tylor B. E 183
Université d'Oviédo 619
Abbee E . .
Aicher G . .
Alexander A. lî
Balfour A. J .
BalthazarX .
Benedite G
BerthelotK .
Beth. . . .
Bonet-Maury G
Breasted J. H
Brebant L.
Breton . .
CarrH . .
Comtesse P
Conze . .
Cooke G. A
Cory Ch. S
Deissmann A
Delbos . .
DeWulf .
Dupréel .
Ehrle . .
Emeisoi] L.
Evellin . .
Feldmaun F
Fonck L .
Fowler W.
Frazer J. G
186
615
620
409
184
410
184
824
409
186
616
622
825
415
410
823
620
615
622
184
184
410
186
409
819
827
616
184
Nominations.
Gressmanii .
Groizard A .
Hammond W. .\
HeberdcjPv. .
Heigl B. . .
Hermann J
Heuzey. . .
Hudson J. W.
Joakum CI. S.
Kennedy . .
Knopf R. . .
Ledi'ain. . .
Lévy-Brubl .
Lidzbarski M.
de Loubat. .
Lovejoy A. 0
Maître Cl. E.
Margerin . .
Maspero G. .
Maximilieu de Saxe
Meinertz M .
Meyer Ad. .
Niederbuber J
Nippold F. .
Nôldecke Th .
Noon W. D .
Pastor L . .
Poincaré H .
Ev
4U9.
401
619
406
616
181
824
189
825
825
824
403
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189
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189
620
410
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617
828
181
824
615
181
403
405
192
617
Pottier .
Rauh .
Ray Leigh.
Revillout E.
Ricbardson E
de Ridder .
Ridgeway W
Rosebery .
Santayaua G
Schlôgl N .
Seeberg A .
Senart . .
Starch D. E
Steuernagel C
Stratton G. M
Stufler J . .
Thureau-DaugiH
Tilhnann Fr .
Tisserant E .
Van Berghem ]\I
Virolleaud Cli
VoIzJ. R . .
Watson J.-B.
Weber S . .
Weiss J. . .
Withney C. W
Zaraguëta J .
410
622
822
410
620
410
402
402
186
823
401
623
186
401
406
617
410
820
827
410
409
405
825
401
615
186
404
Boutroux 189
Cbeyne T. K. . . . 616
ChiapeUi A . . . . 627
Heuzey 189
Baljon J. M. S . . . 825
Barbier de Meynard A 410
Bigg Ch 823
Boissier G 624
BosC 18;)
Retraites
Neitmann W. A . . . 823
Nôsgen K. Fr . . . 615
Pierret 410
ReviUout E . . . . 410
Nécrologie.
Broobard V
Busse L .
Chamard .
Charaux
Christ P .
189
182
825
415
Rubeus Du val
Seisenberger M
Weiss B. . .
Coconnicr Th.
De Loes A. .
Derby . . .
Derenbourg H
Dieterich A .
410
181
615
623
415
616
623
820
872
REVUE DES SClEiNXES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES
Franco G 413
Freudenthal J . . . 181
Glaser Ed 820
Kelvin 184
Koeberle J. A . . . Olô
Lamy Th 184
de Lapparent A. . . 624
Paulsen Fr 821
Pfleiderer 0 .... 820
Réville J 624
Robles E. G . . . . 824
de Rougemont J . . 828
Riickert K .... 182
Schneider Fr. . . . 401
von Sickel Th . .
Sophus Bugge . .
TaylorCh
Thomsom W. . .
de 1a Vega de Armijo
ZeUer Ed . . . . "
617
189
823
184
619
401
Renseignements biographiques et bibliographiques
Baljon J. M. S. . . . 825
Barbier de Meynard A. 410
BiggCh. ..'... 823
Boissier G 624
BosC 189
Breton 622
Brochard V 189
Busse L 182
Chamard 825
Charaux Cl. ('h. . . 825
Christ P 415
Coconnier Th. . . . 623
Cooke G. A 823
Derenbourg H. . . . 623
De Devonshire . . . 402
Dieterich A 820
Franco G 413
Freudenthal J. ... 181
Glaser Ed 820
Kelvin 184
Koeberle J, A. . . . 615
Lamy Th 185
De Lapparent A. . . 624
Maximilien de Saxe ' . 828
Meyer Ad 824
Paulsen Fr 821
Pfleiderer O. . . . 820
Poiucaré H 409
RéviUe .J 624
Ruckert K 182
Von Sickel Th. . . . 617
Taylor Ch 823
Tisserant E 827
ZeUer Ed 401
3. — Recension des Revues.
Annales de Philosophie chrétienne ('i'aW.?, Blond et Cie). . . . 193 416
Anthropos (Môdling, bel Wien, Autriche) 194 417
Archiv fiir Geschichte der Philosophie (Berlin, G. Reimer j . . » 418
Archiv fiir Religionswissenschaft C Ze//;.-;^, ^. ^'r. 7i3Mft?j^7- ... » 419
Axc\Atq% àe'^s^cholo^xe (Genève, H. Kilndi g) 196 »
Biblische Zeitschrift f^m^;?/r<7;. ^;-..^.S<'^'rfe;-; 196 420
Bulletin de l'Instit. général psychologique (Paris, 14, r. de Coudé). » »
Bulletin de littérature ecclésiastique ('P«;v>, J*. ief/ne/?e?<.>'^ . . 197 420
Catholic (The) University Bulletin ( Washington) » »
G\\ià&à(h2i) de 'Dios (Madrid, Monasterio de el Escorial) . . . 197 421
Civilta (La) cattolica ( Roma, via Ripetta, 246) 198 421
Ciiltura espanola (Madrid, S. Vincettte, 56) 198 421
Échos d'Orient (Paris, 5, r. Bayard ) 198 421
mnàei (Paris, 50,r. de Balylone) 199 422
Études Franciscaines (Paris, Ch, Povssielguej » 423
Expositor (The) (London, Hodder and Stoughton) 199 423
Expository (The) Times (Edimiurg, T. and T. Clarch j .... 202 424
Harvard (The) theological Review (Xeio-York.theMacmillan C). » 425
Hibbert (The) Journal fi(>«<?o«, Williams and Xor gâte ) . ... » 426
Interpréter (The) (London, Simjfkin, Marshall, Hamilton, Kent
and C) » 427 638 839
Irish (The) Theological quarterly (Buhlin, M. H. Gill and Son) . 202 427 639 840
Jahrbuch flir Philosophie n. Spekulative Théologie (Paderborn,
F. Schbningh) 203 428 639 841
Journal (The) of Philosophy, Psychology and Scientific methods
(Neiv-Tork, the Science Press) 204 429 640 842
Journal de Psychologie normale et pathologique (Paris, F.Alcan). 204 430
Journal (The) of Theological Studies (London, H. Froicde) . . > )^
KathoUek {De) (Utrecht) 205 >
Mind (London, Macmillan atul O") » 431 642 844
Month (The) (London, Longmans, Grcen and C) 205 » 643 »
629
829
631
831
632
831
»
832
»
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»
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635
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636
838
637
838
638
839
843
844
»
lABLE GÉXÉHALE DBS MAllÈKES 873
Muséon (Le) (Louvain, J.-B. Istas) , . . . . 205
New York (The) Review (New- York, St Joseph' s Seminary) . . 206
Princeton (The) theological Review (Princeton. N. J., The Prin-
ceton University Press) »
Questions (Les) Ecclésiastiques ('if'ZZe, 25, r. rf'^7î^Ze<er/«) . . . »
Razon y Fe (Madrid, Piazza de S. Domingo, 14) 207
Revue Augustinienne ^/'rtm, 5, r. i?ayarrf^ 207
— Bénédictine ( Maredsous, Belgique) 207
— Biblique (Paris, V. Lecoffre) 208
— Catholique des Églises ('i'<m«, 5J r. rf«?.* &i«#s-Pèms-j. . . . 209
— an Clergé han^&is ( Pari s, Letcmxey et Ané ) 209
— d'histoire ecclésiastique (Louvain) 210
— de l'histoire des religions f Paris, J^. Le/w«a;J 211
— de rinstitut Catholique de Paris (Paris, 1er, de Vaugirard) . 212
— de Métaphysique et de Morale (Paris, Arm. Colin) .... 212
— Néo-Scolastique (Louvain) 213
— de l'Orient Chrétien (Paris, A. Picard ) 214
— de Philosophie ^Pa/v's, iV, -Btn'^re^ 214
— Philosophique (Paris, F. Alcan) 215
— pratique d'Apologétique (Paris, O. Beauohes'iieJ 216
— des Sciences ecclésiastiques et la Science catholique (Paris et
Arras, Sueur- Charrvey ) 217
— Thomiste (Pans, Librairie Saint-Paul) 217
Rivista filosoiica (Pavie) »
— ai ^GiQnza, ( Bologna, X. Zaniohelli) 218
— Storico-critica délie Scieuze teologiche ^JSwrta, IV. Ferrari) . 219
Scuola cattolica (La) (Milano, S. Andréa, 10) 220
Slavorum Litterae Theologicae (Pragne, Uohlicek et Sievers) . . 221
Studi Religiosi (Firenze) 221
Teyier's Theologish Tijdschrift (Haarlem) 221
Theologische Quartalschrift f /"«Sirt^e/i, J.. iœw;7/^j »
Zeitschrift flir die Alttestamentliche Wissenschaft (Giesseu,
A. Topelmann) 222
— flir katholische Théologie (Innshruck, F. Ranch) 223
— fiir die Neutestaraentliche "Wissenschaft (Giessen, A. Topel-
maJin) 223 447 659 859
»
643
»
431
644
»
»
»
845
432
645
846
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»
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»
»
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447
659
858
IMPRIMK PAR DÉSOLÉE, DE BROUWER ET Oie
41, RUE DU METZ, LILLE. — 4.997
'• " . ^-^